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La grotte et le karst de Cango

Afrique du Sud
J.E.J. MARTINI
Council for Geoscience, Private Bag X112, Pretoria, Afrique du Sud

RÉSUMÉ : L’auteur décrit une petite proches de l’entrée, les concrétions wet ones. It is practically linear in plan
région karstique à l’extrémité sud du ont été profondément corrodées par and in profile, with a length of 2,6 km
continent africain et s’attache surtout l’action du guano de chauve souris, from entrance to end for a total of
à sa grotte principale, Cango, qui avec formation d’hydroxylapatite. 5,2 km of passages. The age of the
constitue une attraction touristique Auparavant, cette corrosion avait speleogenesis has been estimated as
majeure. Comparé aux autres régions été en grande partie attribuée à des early Pleistocene from the entrance
d’Afrique Australe, ce karst est unique. dissolutions en relation avec des elevation, which is in between the
Il est typiquement exogène, avec des oscillations anciennes du niveau altitude of the actual talweg and the one
grottes-pertes se formant là où les cours hydrostatique. La météorologie est of the Post African I erosion surface,
d’eau recoupent des bandes de calcaire discutée, en particulier la forte teneur which started to be eroded during the
précambrien très redressées. en gaz carbonique qui indique que la Upper Pliocene. This relatively young
Ces grottes actives présentent des grotte est mal ventilée, ce qui pose un age is in contrast with a Miocene
profils longitudinaux rectilignes avec problème pour son exploitation et sa model which was accepted by most
de courts tronçons phréatiques. conservation. of the previous authors.
Les galeries plus larges que hautes se Cango is well adorned with speleothems,
caractérisent par des plafonds plats ABSTRACT : CANGO CAVE (SOUTH in particular with outstanding abundant
souvent étagés en terrasses inversées. AFRICA). The author describes a small shields, monocrystalline stalagmites and
Cette morphologie particulière est karst area in the extreme south of the pools coated with calcite crystals. In the
caractéristique des grottes calquées sur African Continent, with special first chambers from entrance, the
le niveau hydrostatique ; elle est reference to the Cango Cave, which is a speleothems have been deeply corroded
également attribuée à l’abondance major tourist attraction. Compared with by bat guano, with deposition of
des sédiments introduits par les pertes the other karsts of Southern Africa, this hydroxylapatite. Previously this
qui limitent le travail de la dissolution area is unique. The karst is typically corrosion was attributed to resolution
à la base du conduit. exogenic, with caves forming by stream due to several rises of the paleowater-
Cango est un réseau essentiellement disappearance into swallow holes, where table. The meteorology is discussed, in
fossile, recoupant un actif dans sa partie the talweg intersects steeply dipping particular the high carbon dioxide
médiane, mais sa genèse est comparable Precambrian limestone. Wet caves are which indicates that the cave is poorly
à celle des grottes actives. vadose, with only short phreatic ventilated and which constitutes a
Elle est pratiquement linéaire en plan segments and exhibit rectilinear problem for management and
et en section, avec une longueur de longitudinal sections. Passages are low, conservation.
2,6 km de l’entrée au fond pour un but wide with bevelled
développement total de 5,2 km. Le ceilings, often
creusement de la cavité est rapporté au terraced. This peculiar
Pleistocène d’après l’altitude relative de morphology is typical
l’entrée, qui est comprise entre celle du of the caves
talweg actuel et celle des reliques de la developing exactly on
ue

Zimbabwe
biq

surface post-africaine I, dont l’érosion the water-table and


am

a commencé au Pliocène supérieur. seems to be controlled Namibie


oz
M

Ce creusement relativement tardif by the abundance of Botswana


contraste avec la spéléogenèse miocène sediments introduced Pretoria
généralement admise par les auteurs. from the swallow
La grotte de Cango est décorée par de holes.
Afrique du Sud
belles concrétions, parmi lesquelles de If one excepts a short
nombreux disques, des stalagmites active lower level,
Cango
monocristallines et des gours à cristaux Cango is a dry cave of Cape Town
Figure 1 :
Oudtshoorn
de calcite. Dans les salles les plus the same type than the Carte de situation.
Location map.

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KARSTOLOGIA N° 36 - 2/2000, 43-54 43
INTRODUCTION Photo 1 : Vue de la vallée
de Cango en direction de
La “Cango Cave” est la grotte la plus l’est. À remarquer la surface
renommée d’Afrique du Sud. Située d’érosion Africaine avec
tout au sud du pays (fig. 1), près de sur la gauche les pentes
Oudtshoorn, elle a été repérée par les du Groot Swartberge,
Européens vers la fin du 18e siècle, et peu visibles.
View of the Cango Valley
dès le début du 19e, elle est devenue une towards the east.
attraction touristique fréquentée [Craven, Note African Surface, with
1994]. Pendant longtemps, la grotte n’a Groot Swartberge mountain
été connue que sur une longueur de in the background to the left.
770 m, correspondant à la partie actuel-
lement ouverte au public et appelée “subalpin”, de même direction que ceux crêtes rectilignes. Ces reliques d’une
Cango I. En 1972, puis en 1974, les de l’orogenèse pan-africaine et déversés pénéplanation plus jeune s’observent
découvertes des spéléologues de la “South vers le Nord. Le groupe de Cango a été aussi en dehors de la vallée de Cango,
African Spelaeological Association” fortement tectonisé et légèrement méta- en particulier 80 km plus à l’ouest où elle
permirent d’en tripler le développement morphisé durant ces deux orogenèses, a été identifiée comme “Post African I”
[Terblanche, 1975 ; Crombie et al., 1978]. avec pour effet que ses strates sont [Partridge et Maud, 1987]. Le cycle
Bien qu’elle ne soit pas la plus fréquemment redressées. d’érosion ayant produit cette surface a
longue grotte du pays, mais seulement Au point de vue morphologique, la été enclenché par un soulèvement du
la septième, elle est remarquable par la séquence inférieure du groupe de Cango, continent au Miocène moyen et le renou-
splendeur et la variété des concrétions, plus tendre que les autres unités strati- veau d’érosion l’ayant entaillé est lié à
surtout dans les parties récemment décou- graphiques régionales, a été plus forte- un second soulèvement au Pliocène supé-
vertes, Cango I étant passablement dégra- ment érodée. Elle affleure au fond d’une rieur [Partridge et Maud, 1987].
dée après deux siècles d’exploitation vallée subséquente orientée E-O, la vallée Le climat régional, tempéré chaud,
touristique. De plus, dans le cadre de de Cango, dont les eaux s’échappent par présente deux maxima en hiver et en été.
l’Afrique Australe, le contexte karstique une gorge conséquente, le Schoeman- À l’entrée de la grotte, les précipitations
est très particulier. Cet article fait la spoort (fig. 2). En contraste, les quartzites sont faibles, 382 mm/an [Marker, 1975],
synthèse et réinterprète les données de la Montagne de la Table, plus résis- mais elles s’élèvent à plus de 800 mm
publiées. tantes, forment l’ossature de la chaîne au sommet du Groot Swartberge. La
du Groot Swartberge qui culmine plus végétation est proche du type “fynbos”,
au nord à 2 132 m. Sur les pentes infé- dominée par une couverture herbacée et
I. LES CONTEXTES rieures de ce dernier, les interfluves des de bas buissons.
GÉOLOGIQUE, vallons présentent des reliques d’un
MORPHOLOGIQUE ancien pédiment [Rossouw et al., 1964]
parfois recouvert de graviers grossiers II. LES CARACTÉRISTIQUES
ET CLIMATIQUE
(fig. 2 et photo 1). Il s’agit d’une surface DU KARST DE CANGO
Les terrains les plus anciens de la qui a atteint son stade de maturité au
région appartiennent au groupe de Cango, Miocène et qui est bien connue en En surface la morphologie karstique
d’âge précambrien supérieur (fig. 2). Ce Afrique Australe sous le nom de “African est indigente, du moins à grande échelle :
groupe est composé à la base de phyl- Surface” [Partridge et Maud, 1987]. Cette aucune dépression ou perte n’est détec-
lades et métagrauwackes avec bancs et dernière s’observe dans les montagnes table sur la carte topographique au
lentilles de calcaires fins, lités, gris-bleu du Cap sur une longueur de 600 km et 50 000e. Les carbonates, plus résistants
et plus rarement de dolomie. Cette série elle est généralement associée à une que les phyllades encaissantes, forment
inférieure est surmontée par une épaisse kaolinisation profonde et des croûtes sili- des hogbacks recoupés perpendiculaire-
série de grauwackes avec passées conglo- ceuses témoignant d’une longue pédo- ment par de nombreux vallons issus du
mératiques [Le Roux, 1977]. Les puis- genèse. Dans la vallée de Cango, Groot Swartberge (fig.2). Cette déficience
santes quartzites de la montagne de la l’altitude de la surface africaine atteint de morphologie karstique peut être attri-
Table, d’âge ordovicien, reposent en plus de 1 000 m au pied du Groot Swart- buée à la faible surface occupée par les
discordance sur le groupe de Cango. Les berge mais vers le sud s’abaisse jusqu’à calcaires qui n’affleurent qu’en minces
roches plutoniques ne sont représentées 730 m à l’entrée du Schoemanspoort. Il bandes et en lentilles isolées dans une
que par quelques minces sills et dykes semble donc que l’exutoire des eaux de “matrice” de roches silicoclastiques. Le
d’âge pré-ordovicien (non indiqués à la la vallée de Cango miocène était déjà climat sec a dû également jouer dans le
fig. 2). Sur le plan tectonique, le groupe situé à l’emplacement de cette dernière faible développement de la karstification
de Cango a été plissé lors de l’oro- gorge. superficielle. La karstification est ici
genèse pan-africaine, à l’extrême fin du Une autre phase d’aplanissement a essentiellement liée aux pertes de cours
Précambrien, avec des directions struc- affecté cette région : elle se marque par d’eaux allochtones. Ceux-ci perdent une
turales E-O, puis une seconde fois lors la présence discrète d’une surface située partie de leur écoulement au contact de
de l’orogenèse des chaînes du Cap, 60-70 m en contrebas de la surface afri- la bande calcaire. Ces pertes partielles la
durant le Permien supérieur. Cette der- caine (fig. 2). Moins spectaculaire, elle traversent ensuite souterrainement sur
nière a produit des plis parallèles de style se caractérise par des épaulements et des des distances n’excédant pas 2,5 km et

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retournent à l’air libre dans un
autre vallon au niveau de son
talweg. Le caractère partiel de
ces pertes explique le fait que
les vallons aveugles n’existent
pas. Les cinq longues grottes
indiquées sur la carte de la
figure 2 appartiennent à ce type
et sont de loin les plus impor-
tantes. Le karst est donc défini
comme exogène.
La caractéristique princi-
pale des grottes est leur profil
rectiligne, à pente très régulière
en direction de la résurgence :
8 m/km (Efflux) et 20 m/km
(Stroomwater). Une autre carac-
téristique est la morphologie
apparemment phréatique des
galeries, bien que l’écoulement
soit principalement libre ; les
Légende
siphons peu profonds ne consti- Coupe AB
tuent que quelques pour cent de
la longueur des percées hydro-
logiques. Les profils rectilignes
ne sont pas contrôlés par la
tectonique ou la lithologie (les
blancs calcaires étant très
redressés) mais très probable- Coupe CD
ment par le voisinage immédiat
du niveau hydrostatique (ou
niveau de base). Ce dernier est
lui-même ajusté par la position
des résurgences, là où le talweg
recoupe la partie affleurante la
plus basse du massif calcaire.
Figure 2 : Carte géologique simplifiée de la région de Cango, position des grottes principales et données
Les pertes sont aussi localisées géomorphologiques. 1) Alluvions récentes (a) ; 2) graviers miocènes (g) ; 3) quartzites de la Montagne de la
au fond des vallées, mais dans Table (Ordovicien) ; 4) métagrauwackes et conglomérats : groupe de Cango Supérieur (Précambrien
les deux cas observés (Efflux supérieur); 5) calcaires et intercalations schisteuses (m) : groupe de Cango inférieur (Précambrien supérieur) ;
et Stroomwater), les eaux 6) Phyllades ; 7) grotte avec direction d’écoulement ; 8) grotte et écoulements supposés ; 9) cours d’eau de
s’écoulent d’abord plus ou surface ; A = Surface Africaine ; PA = Surface Post-Africaine I. Géologie d’après Rossouw et al. [1964],
moins verticalement sur une modifiée d’après photos aériennes ; relief d’après feuille topographique au 1/50 000 ; grottes d’après
hauteur de 10-20 m avant de Craven and Gartz [1988], Crombie et al. [1978], Hitchcock [1985], Land [1973] and Martini [1986a].
Simplified geological map of the Cango area, location of main caves and geomorphic data. 1) Recent alluvium
rejoindre la galerie en pente (a) ; 2) Miocene gravel (g) ; 3) Table Mountain quartzite (Ordovician) ; 4) metagreywacke and conglomerate :
douce. Upper Cango Group (Upper Precambrian) ; 5) limestone with schist layers (m) : Lower Cango Group (Upper
Le détail de la spéléoge- Precambrian) ; 6) Phyllites ; 7) cave with flow direction ; 8) inferred cave and flow ; 9) surface stream ;
nèse est apparu plus clairement A = African Surface ; PA = Post-African I Surface. Geology after Rossouw et al. [1964], modified after aerial
par l’étude du cas de la grotte photographs ; relief after topo sheets 1/50 000 ; caves after Craven and Gartz [1988], Crombie et al. [1978],
d’Efflux [Martini, 1986a]. Dans Hitchcock [1985], Land [1973] and Martini [1986a].
la galerie active principale, on
observe plusieurs stades de développe- occupe toute la largeur d’une galerie probablement dû à l’abondance des allu-
ment : au plafond un chenal tubulaire surbaissée, mais ne touche pas le plafond. vions de sable et des graviers quartzeux,
de petites dimensions et de section ellip- Il en résulte que la roche n’est en contact et probablement aussi au faible gradient.
tique là où le plancher n’a pas été entaillé avec l’eau courante que sur les bords de L’enfoncement du lit de la rivière en
ultérieurement, puis en contrebas de ce la galerie, ce qui suggère que, dans ces réponse à l’abaissement de la résurgence
chenal initial, une ou plusieurs galeries conditions, la dissolution est principale- a produit les “terrasses de voûte”.
à plafonds plats disposés en terrasses ment latérale et non pas verticale comme Le début de cet écoulement vadose
inversées recoupant la stratification du c’est classiquement le cas pour les gale- est plus difficile à visualiser car les
calcaire (fig. 3). Le lit de la rivière est ries vadoses. Cela explique le caractère chenaux elliptiques originels, qui sem-
très encombré d’alluvions sur lesquelles plus large que vertical des galeries souter- blent bien être phréatiques, présentent
le cours d’eau forme des méandres ou raines de ce karst. Ce phénomène est déjà un profil rectiligne. En effet, on

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H
H H de Cango II [Terblanche, 1975]. Cette
H partie se compose d’une galerie d’effon-
drement large et haute, laquelle se divise
vers l’ouest en trois conduits plus petits,
étagés sur une hauteur de 15 m. Un
0 –~ 10 m
concrétionnement obstruant complète-
ment la galerie inférieure à 1 060 m de
Figure 3 : Coupes schématiques montrant l’évolution des grottes vadoses de la région de l’entrée marque la fin de Cango II. Peu
Cango. 1) Formation d’un réseau phréatique endogène à fissures étroites ; 2) après capture avant ce terminus, un puits hélicoïdal
d’un cours d’eau de surface par le réseau phréatique initial, montée du niveau hydrostatique étroit de 20 m donne accès à un étage
(H) due à une recharge accrue, colmatage partiel des fissures profondes, établissement, puis inférieur actif parcouru par un ruisseau
élargissement des conduits dans la partie haute ; 3) après abaissement du niveau hydrostatique,
formation d’entailles en laminoir par dissolution du calcaire confinée sur les parois latérales ;
à débit constant, estimé à 700 l/heure le
4) par abaissements successifs, formation des terrasses de plafond. 4/3/1973. L’analyse d’un échantillon
Schematic sections showing the evolution of vadose caves in the Cango area. 1) Formation of prélevé le même jour a donné, par litre :
an endogenic phreatic network of narrow fissures ; 2) after piracy of a surface stream by the 28 mg Na+, 8 mg Mg2+, 48 mg Ca2+,
initial phreatic network, rise of the water-table (H) in response to renewed recharge, partial 28 mg Cl -, 37 mg NO3-, 12 mg SO42- et
filling of deep fissures, establishment and enlargement of channels in the high portion ; 3) after 171 mg HCO3- pour un résidu solide à
lowering of the water-table, development of bevelled corrosion notches by dissolution restricted 105°C de 241 mg [Land, 1975]. Cette
to side walls ; 4) by progressive lowering, formation of terraced bevels at the ceiling.
galerie active est de petites dimensions,
2-3 m de large pour 1 m de hauteur.
pourrait s’attendre à un profil irrégulier III. LA GROTTE DE CANGO Immédiatement à l’amont de la base du
du fait que la fissuration primaire la plus puits d’accès, un court siphon fut franchi
favorable à l’écoulement ne pouvait A. Description en 1974 et permit la découverte de Cango
guère coïncider avec le niveau hydro- de la grotte de Cango III [Crombie et al., 1978].
statique. Le développement du système Derrière ce siphon, le ruisseau se
d’Efflux pourrait s’être effectué en deux La grotte s’ouvre à 663 m d’altitude remonte sur 100 m, puis une cheminée
phases principales : sur les flancs d’un vallon issu du Groot permet d’accéder aux étages supérieurs,
1) par l’eau de pluie s’infiltrant directe- Swartberge. Elle est relativement simple, contournant ainsi les obstructions de la
ment dans le calcaire, formation lente d’un avec un plan et un profil longitudinal galerie principale de Cango II. Après un
réseau phréatique endogène à conduits remarquablement linéaires. La pente, passage plus étroit lié à l’effondrement
étroits, impénétrables (phase 1, fig. 3) ; inclinée d’ouest en est, est très faible, de la voûte, la galerie s’évase considé-
2) en conséquence de l’abaissement de la de 6 m/km. La grotte se divise en trois rablement et conserve ses dimensions
surface par érosion, capture accidentelle sections (fig. 4) : la première partie, sur 750 m. Au-delà, la grotte se divise
d’un cours d’eau par ce réseau phréatique, Cango I, n’est plus active, et se compose en deux étages non fonctionnels fusion-
élargissement considérable des conduits de plusieurs étages rapprochés, plus ou nant fréquemment en une seule galerie.
originels et formation de la grotte propre- moins superposés sur une hauteur de 10- L’étage inférieur est bas et de dimensions
ment dite (phases 2, 3 et 4, fig. 3). 15 m, lesquels fusionnent souvent loca- comparables à celles de la galerie active,
Durant cette phase 2, l’introduction lement en une seule galerie. Des salles tandis que 7 m au-dessus, l’étage supé-
d’abondants sédiments détritiques dans se sont formées par effondrement de la rieur, plus spacieux, est fréquemment
le réseau phréatique endogène a eu pour voûte. De plus, les galeries originelles ensablé et fragmenté en plusieurs tron-
effet de colmater les conduits profonds, ont été passablement modifiées par des çons. Néanmoins au terminus de la grotte,
forçant ainsi l’écoulement à emprunter dépôts alluvionnaires sablo-argileux et à 2 650 m de l’entrée, compte tenu du
la partie supérieure des conduits phréa- un concrétionnement volumineux, qui remplissage, il apparaît que la taille
tiques. Ce modèle pourrait expliquer le souvent les obstruent complètement. Les de cette galerie s’est considérablement
profil particulièrement rectiligne, ajusté sables et limons ont une composition rétrécie.
sur le niveau hydrostatique. monominérale, presque uniquement du Comme la grande majorité des
Bien que ces grottes-tunnels soient quartz, issu du bassin-versant de la perte, grottes de la vallée, Cango est creusée
largement dominantes dans le karst de alors que les argiles révèlent en plus une dans la bande calcaire principale (fig. 2).
la vallée de Cango, on relève néanmoins certaine proportion de mica. Le style des Cette dernière est épaisse de 500 à 700 m,
quelques cavités typiquement phréa- conduits est originellement phréatique. en position renversée et plonge à 65°
tiques. Un exemple est “Emerald Lake” Néanmoins, en plusieurs endroits, des vers le SSW [Rossouw et al., 1964 ;
(fig. 2), une petite grotte en partie noyée plafonds plats et des terrasses de voûte Le Roux, 1977]. Dans le détail, cette zone
par des eaux pratiquement statiques et identiques à celles décrites dans la grotte comprend des calcaires relativement purs
limpides, dont le niveau varie lentement Efflux ont été observés, en particulier à la base (100-150 m) et au sommet (300-
et régulièrement au cours des années. dans l’étage supérieur (photo 2). 500 m), séparés par environ 100 m de
Les galeries présentent des profils longi- La seule galerie qui n’était pas phyllade à minces bancs de carbonate.
tudinaux irréguliers explorés par plongée complètement obstruée au terminus de En surface, ce niveau “marneux” se suit
jusqu’à 22 m sous le niveau hydrostatique Cango I, à 770 m de l’entrée, consistait depuis l’entrée en direction de l’ouest,
[Truluck, 1991]. Mais, dans ce cas, les en un laminoir impénétrable avec un en tout cas jusqu’au vallon de la
eaux ne proviennent pas d’une perte et plancher stalagmitique qui a été excavé Hoekrivier (fig.2) et joue le rôle de barriè-
le karst est endogène. en 1972, permettant ainsi la découverte re compartimentant l’aquifère karstique.

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Cango est la seule grotte majeure déve-
loppée dans le calcaire inférieur, les autres
cavités, étant localisées surtout dans la
séquence supérieure (fig. 2). Du fait de
l’épaisseur relativement mince du calcaire
et du fort pendage, le degré de liberté de Photo 2 :
développement latéral est limité à environ Plafond en
170 m, ce qui explique l’allure linéaire terrasses à
de la grotte vue en plan. l’ouest du
La roche visible dans la grotte Grand Hall,
montre surtout des calcaires avec minces Cango I.
Bevelled
bancs de dolomie fragmentés par boudi- terraced
nage. Ces derniers ne constituent que ceiling west
quelques pour cent du carbonate. Des of the Grand
calcaires à délit schisteux affleurent sur Hall, Cango I.
les parois nord des salles de Cango I et
annoncent la proximité du niveau phyl- pensaient que la grotte s’était formée en son débit régulier [Craven et Gartz,
litique. En deux endroits, dans les salles milieu phréatique, bien en dessous du 1988]. Toutefois cette hypothèse n’est
“Devil’s Workshop” et “Stonehenge” niveau hydrostatique. En revanche, le pas attestée par les faits. En considérant
(fig. 4), de minces (2-3 m) dykes de modèle proposé par Blaquière [1975] la position de cet étage actif, 20 m en
diabase altérée et schisteuse recoupent était très semblable : en effet, il montrait dessous de la galerie “fossile”, de même
la galerie perpendiculairement. Ils n’ont qu’un cours d’eau avait d’abord creusé que la direction de l’écoulement et le
pas représenté un obstacle à la formation l’étage supérieur en milieu vadose, puis contexte géologique, il semble logique
de la grotte. La diabase étant friable, qu’avec l’abaissement de la résurgence, que l’origine des eaux soit la même que
les dykes ont été évidés par soutirage. la rivière s’était encaissée à un niveau pour le réseau “fossile”. L’analyse des
Un sill de la même roche, d’environ 2 m inférieur. eaux du ruisseau (voir description) ajoute
de puissance, s’observe au plafond de L’origine des eaux ayant creusé le plus de précisions. La teneur en nitrate
Cango III sur presque toute sa longueur. réseau dit “fossile” est probablement à (37 mg/l) est ici très élevée en compa-
rechercher dans une perte ancienne dans raison avec celle des eaux souterraines
B. La formation et l’âge le vallon des Fontaines ou éventuellement des montagnes du Cap, qui est en moyen-
dans celui de la Hoekrivier (fig. 2). À ces ne inférieure à 1 mg/l, et ne dépasse pas
de la grotte de Cango
deux emplacements, il ne reste plus trace 3 mg/l [Bond, 1946]. Une origine endo-
Le profil rectiligne et les terrasses d’un ancien point d’absorption, lequel gène à partir de guano de chauve-souris
de plafond suggèrent que la genèse des doit être obstrué, peut-être masqué sous est exclue car ces animaux n’ont jamais
galeries fossiles de Cango est la même des alluvions. Les grandes dimensions eu accès à Cango III (cf. minéralogie,
que pour les grottes actives des environs. des salles et galeries de Cango militent infra) et aucune autre grotte n’est connue
Cela signifie que le réseau s’est déve- en faveur d’un cours d’eau important, sur la bande de calcaire inférieur entre
loppé pratiquement sur le niveau hydro- ce qui pourrait indiquer une perte l’entrée et le vallon de la Hoeksrivier.
statique et que ce dernier était ajusté par complète dans une dépression bien La seule origine possible est à rechercher
la position d’une résurgence, c’est-à-dire établie, un phénomène qui ne s’observe dans les engrais répandus dans les
au point le plus bas de la masse calcaire. plus dans le karst actuel. Sa fossilisation champs cultivés sur les alluvions du
Cependant, une différence avec les autres pourrait avoir été due à une capture vallon des Fontaines ou éventuellement
grottes de la région est un plus faible du cours d’eau par le calcaire supérieur, de la Hoeksrivier, ce qui confirmerait
gradient (6 m/km), ce qui suggère que plus en amont dans le vallon des l’hypothèse d’une perte dans un de ces
les tronçons noyés étaient peut-êre plus Fontaines. vallons. Le débit régulier du ruisseau de
importants, surtout dans la partie aval, Il a été proposé que le ruisseau de l’étage inférieur suggère qu’il ne doit
c’est-à-dire Cango I. Ce modèle contredit l’étage inférieur provient d’un vaste aqui- pas s’agir d’une perte directe, mais
ceux proposés par King [1958], Rossouw fère non karstique dans les quartzites du d’infiltrations à partir d’un écoulement
et al. [1964] et Marker [1975] qui Groot Swartberge, ceci afin d’expliquer sous-fluvial dans des alluvions.

Figure 4 : Plan et coupe Plan


de la grotte de Cango.
1) Van Zyl’s Hall ; 2) Grand Hall ;
3) Japanese Umbrella ;
4) Devil’s Worshop ;
5) Banqueting Hall ; 6) Krakatoa
Chamber ; 7) Stonehenge ;
8) Isolation Chamber. Coupe
D’après Crombie et al. [1978].
Map and section of the Cango
Cave. After Crombie et al. [1978].

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matière organique [Martini, 1987a]. Un
caractère remarquable est la grande taille
des cristaux de calcite constituant ces
concrétions. Par exemple, les taches de
scintillement dues au réfléchissement de
la lumière sur les microclivages paral-
lèles, ailleurs généralement millimé-
triques, peuvent atteindre plus de 10 cm
de diamètre. Certaines stalagmites blan-
ches, translucides et à profil en pain de
sucre sont monocristallines, avec l’axe c
(axe de croissance principal) orienté
verticalement, ce qui leur confère une
section horizontale grossièrement trian-
gulaire. Elles ont été observées surtout
dans Cango III (photo 4). La raison de
ce développement macrocristallin est
Photo 3 : Stalagmites et colonnes dans Cango II. Notez à l’arrière les concrétions anciennes, encore obscure et résulte, peut-être, d’une
sombres, à lames proéminentes, et à l’avant plus récentes, plus claires et d’aspect plus classique. croissance très lente en milieu météoro-
Stalagmites and columns in Cango II. Note in the background old speleothems (dark, with
logiquement très stable, ainsi que cela a
proeminent blades) and more recent ones (lighter, more classic).
été proposé pour d’autres cas [Hill et
Forti, 1997]. Des fistuleuses monocris-
En ce qui concerne la position des niveau hydrostatique. Or, on a vu que ce tallines s’observent également et se
résurgences actuelle et ancienne du systè- modèle est en contradiction avec le profil reconnaissent facilement lorsqu’elles
me de Cango, il est également difficile rectiligne de la grotte. dévient progressivement de la verticale
de se prononcer avec exactitude. Le ruis- à partir de leur point d’attache ; cette
seau de l’étage inférieur devrait réappa- C. Les formations forme courbe est due aux changements
raître au fond du vallon sous l’entrée de de l’orientation de l’axe du cristal.
stalagmitiques et
la grotte, au contact inférieur du calcaire Pour les concrétions massives,
avec les phyllades. Néanmoins à cet
organiques de Cango stalagmites et colonnes, on peut identifier
endroit, aucune source n’est visible et il deux périodes de formation. La plus
1. Stalactites, stalagmites,
est probable que les eaux s’écoulent ancienne, inactive, forme des édifices
colonnes et draperies
directement dans les alluvions du fond de teinte sombre, d’un brun noirâtre,
du vallon. De même la résurgence fossile Ces concrétions classiques sont bien caractérisés par des “côtes” en lames
a pu se situer au même endroit, mais développées sur presque toute la longueur verticales souvent développées sans inter-
40 m plus haut (partie supérieure du de la grotte. Elles sont polychromes avec ruption de bas en haut des colonnes,
réseau fossile) lorsque le talweg du vallon des teintes variant du blanc au brun-rouge formant des cloisons minces en saillie
était à ce niveau. (photos 3 et p. IV de couverture), liées de parfois plus de 50 cm (photos 3 et 5).
L’âge du début du creusement du à la présence d’oxydes de fer et/ou de La seconde, encore en formation et
réseau fossile peut s’estimer d’après cette recouvrant la première, est plus claire,
hauteur de 40 m au-dessus du talweg et diversement colorée et présente des
par sa position par rapport à la surface “côtes” moins proéminentes et dévelop-
d’érosion post-africaine I. Le talweg post- pées “par étages”, c’est-à-dire de type
africain I devait passer environ 60 m au- plus classique (photo 3).
dessus de cette résurgence fossile (fig. 2). Les concrétions ont subi des dégâts
Comme l’incision de cette surface a attribuables à des séismes. Les stigmates
commencé au Pliocène supérieur, la grotte les plus anciens affectent les colonnes
s’est probablement formée au Pléistocène de la première génération et se traduisent
ancien. Blaquière [1975] pressentait aussi par des fractures des cloisons, lesquelles
que la grotte était relativement récente ont été observées en de nombreux points
après avoir calculé qu’elle pourrait s’être dans Cango II et III (photo 5). Ce type
formée en quelques centaines de milliers de fracture suggère des secousses
d’années d’après la quantité de carbonate violentes. Dans Cango III, des stalactites
dissout dans le ruisseau de l’étage infé- blanches, translucides et macrocristal-
rieur, comparé au volume de l’étage supé- lines, développées sur le calcaire mais
rieur. D’après King [1958], Rossouw et le long du sill de diabase mentionné
al. [1964] et Marker [1975], la formation
de la grotte serait beaucoup plus ancienne Photo 4 : Stalagmite monocristalline,
et remonterait au Miocène, un âge qui Krakatoa Chamber, Cango III.
ne serait recevable que si la grotte s’était Monocrystalline stalagmite, Krakatoa
formée à une grande profondeur sous le Chamber, Cango III.

J.E.J. MARTINI, La grotte et le karst de Cango, Afrique du Sud


48 KARSTOLOGIA N° 36 - 2/2000, 43-54
précédemment, se sont systématiquement
détachées et gisent fracassées sur le sol.
Le phénomène s’observe çà et là sur une
longueur de plusieurs centaines de
mètres. Là encore un tremblement de
terre en est probablement la cause.
Comme les fractures sont fraîches, sans
nouvelle croissance appréciable, l’événe-
ment doit être récent, mais néanmoins
antérieur à la découverte de Cango III
(1974). Dans Cango II, une grande colon-
ne s’est abattue et fragmentée en plu-
sieurs tronçons, probablement sous l’effet
d’un séisme, mais dans ce cas une stalag-
mite de 50 cm s’est déjà reformée. La
vallée de Cango, qui n’est sortie de la
“Préhistoire” qu’à la fin du 18e siècle,
n’a pas la réputation d’être sismiquement Photo 5 : Concrétions sombres
active. Néanmoins, il est possible que anciennes, à noter la brisure
de rares, mais violents séismes se produi- des lames attribuable à
des tremblements de terre,
sent à de longs intervalles.
Cango III. Cliché M. Sefton.
Dark old speleothems, note
2. Excentriques brocken blades, possibly by
earthquakes, Cango III.
De spectaculaires excentriques déco- Photograph by M. Sefton.
rent sporadiquement la grotte sur toute
sa longueur. Elles peuvent être de type
classique (photo p. IV de couverture) ou
en tire-bouchon et en “lasso”. Dans ce
dernier cas, l’excentrique se referme
en un cercle complet attaché à un pédon-
cule qui peut être une fistuleuse. Les
“baguettes de glace”, observées seulement Photo 6 : Concrétions dans
Congo III. Au plafond notez le
dans “Isolation Chamber”, forment sur
disque et la palette côte à côte et
les parois des tiges rectilignes de calcite à côté du personnage, le popcorn
hyaline, épaisses de 0,5 à 1 cm et longues s’évasant en tray à l’extrémité de
de 20 cm. stalactites. Cliché M. Sefton.
Speleothems in Cango III.
At the ceiling note shield and
3. Disques
palette next to each other and
popcorn developing into tray at
Les disques sont abondants sur toute
stalactite tips, next to the caver.
la longueur de la grotte, appartenant au Photograph M. Sefton.
type classique attaché aux parois concré-
tionnées. Les palettes, c’est-à-dire ce
qu’il reste de la concrétion lorsque la il a été limité dans sa croissance par le scalénoèdres hyalins atteignant 10 cm
partie inférieure plus lourde s’est déta- plafond et les parois. Il est regrettable de long. Dans un autre, la croissance
chée, sont aussi fréquentes (photo 6). qu’une ouverture ait été percée à travers verticale des cristaux a été arrêtée par la
Les disques croissant à partir du plancher cette concrétion pour faciliter le passage surface de l’eau, qui a provoqué un
peuvent être simples, verticaux et donc des touristes. épanouissement radial et horizontal en
symétriques, ressemblant à un “mollus- Dans le “Banqueting Hall”, un nénuphars. Dans le troisième, peut-être
que bivalve” et ils s’apparentent alors réseau de crêtes s’est développé sur un le plus original, des scalénoèdres de calci-
aux stegamites [Webb, 1991]. Les dis- plancher stalagmitique et il est peut-être te orange ont aussi été arrêtés dans leur
ques de plancher peuvent aussi former aussi apparenté aux disques ou stegamites croissance verticale par la surface de
des groupes complexes (photo 7). Dans (photo 8). l’eau et se sont développés latéralement,
la partie profonde de Cango I, une cloison formant des cristaux aplatis en “incisives”
verticale de calcite obstrue à moitié la 4. Gours à cristaux (photo p. IV de couverture). Épalement
galerie qui, à cet endroit, a 6 m de large dans Cango II, des triangles de calcite
pour 1,5 m de haut. Bien que la forme Trois gours asséchés et tapissés (photo 9) comblent presque complète-
ne soit pas suggestive, il s’agit bien d’un de remarquables cristaux de calcite ont ment des petits bassins. Là encore, la
disque, mais géant et épais de 25 cm, été observés dans Cango II. L’un d’eux genèse de ces formes est contrôlée par
qui s’est développé à partir du plancher ; sort de l’ordinaire par son tapis de la surface de l’eau [Hill et Forti, 1997].

J.E.J. MARTINI, La grotte et le karst de Cango, Afrique du Sud


KARSTOLOGIA N° 36 - 2/2000, 43-54 49
branchus épais de l-2 mm, hauts de 10 cm
en moyenne parmi lesquels on distingue
deux types d’un point de vue descriptif :
1) “arbres” ordinaires à frondaison
en dôme et,
2) “arbres” grêles évoquant des peu-
pliers sans feuilles, ou des clavaires,
c’est-à-dire avec des branches verticales
parallèles.
Leur couleur brun-rouge est due à
des impuretés argileuses. L’examen au
microscope électronique à balayage
révèle que l’extrémité des branches est
formée de calcite à faces lisses et intactes,
tandis que lorsque l’on se déplace vers
la base, les cristaux sont progressivement
de plus en plus corrodés [Martini, 1987b].
Cela suggère que seul le bout des
Photo 7 : Disques multiples développés à partir du plancher, Cango III. branches croît : des solutions légèrement
Multiple shields grown from floor, Cango III.
sous-saturées en calcite, donc corrodantes,
montent par capillarité sur la surface de
la branche, puis par évaporation dépassent
le point de saturation à l’extrémité.
Ce modèle de formation subaérienne
est apparemment contredit par le fait que
ces coraloïdes sont étroitement associés
à des gours. Le modèle subaquatique
proposé pour la formation des tourelles
de corail [Hill et Forti, 1997] pourrait, à
première vue, s’appliquer pour la forêt
en miniature : à la surface d’un gour,
l’eau est plus saturée en carbonate de
calcium qu’au fond, favorisant ainsi
une croissance verticale. Cependant, ce
modèle n’est guère applicable car le
dépôt de la calcite est strictement localisé
à l’extrémité des branches, lesquelles
s’étagent sur toutes les hauteurs d’un
“arbre”. Il a été proposé que l’évapora-
tion, combinée à des inondations pério-
Photo 8 : Réseau de crêtes de calcite, apparentées aux disques, Banqueting Chamber, Cango I.
diques, pourrait jouer un rôle pour
Ridge network, related to shields, Banqueting Chamber, Cango I.
expliquer la morphologie étrange de ces
concrétions [Martini, 1987b].
5. Coraloïdes remarquable est la taille relativement
grande des cristaux de calcite, atteignant 6. “Acid Hole”
Les concrétions décrites précédem- le centimètre [Martaud, 1997, p. 28].
ment se formaient essentiellement par Les “trays” représentent une forme Adossé à la paroi Sud de la salle
dégagement de CO2. Dans le cas présent, particulière de “popcorn” croissant à Krakatoa, dans Cango III, on observe un
elles dérivent aussi du dégazage carbo- l’extrémité des stalactites inactives et petit conduit perforant à l’emporte-pièce
nique, mais associé à l’évaporation. Le des pendants rocheux. Le “popcorn” se une cascade pétrifiée (photo 11). Cette
facteur supplémentaire de l’évaporation développe horizontalement au bout d’un dernière n’adhère pas complètement à la
totale de la solution rend possible une pendant, formant une sorte de plateau paroi et son arrière forme une courte gale-
montée capillaire soutenue, laquelle est inversé (photo 6). La genèse de cette rie ouverte aux deux bouts. Le petit
responsable de la morphologie particu- concrétion bizarre est complexe et a été conduit, l’“Acid Hole” [Martini, 1991],
lière de ces concrétions. Les formes résul- décrite ailleurs [Martini, 1986b ; Hill et ressemble à s’y méprendre à un boyau
tantes sont groupées sous le terme de Forti, 1997]. d’origine phréatique, avec surface lisse,
coraloïdes [Martaud, 1997] : “popcorn”, Un autre coraloïde spécial forme la poches de dissolution et un “pendant
chou-fleur, givre, etc. Ces formes sont “Forêt en Miniature” qui tapisse plusieurs phréatique”. Sur la face donnant sur la
communes dans Cango III où elles crois- gours argileux asséchés dans la première grande salle, du “popcorn” couvre la
sent sur le sol, les parois et les concré- partie de Cango III (photo 10). Les cascade pétrifiée alors qu’il est absent à
tions inactives. Ici encore, un trait “arbres” sont composés de filaments l’arrière de la concrétion, qui est très

J.E.J. MARTINI, La grotte et le karst de Cango, Afrique du Sud


50 KARSTOLOGIA N° 36 - 2/2000, 43-54
humide. Sur le pourtour de l’orifice le
“popcorn” forme une “surface” d’excrois-
sance épaisse de 1 cm et proéminente
de 2 cm environ, laquelle est rugueuse
dans sa partie externe et lisse du côté
interne. Cette “surface”, qui n’est pas Photo 9 : Triangles de calcite
visible sur la photo 11, semble prolonger dans petit gour, Cango II.
le conduit. Ce genre de cavité, avec Un ruban métrique donne
surfaces de “popcorn”, a été décrite l’échelle.
Pyramids in small basin,
ailleurs sous le nom de “vents” et “rims”
Cango II. Metric tape for
[Hill et Forti, 1997] et s’observe là où scale.
des conduits étroits séparent les parties
humides d’une grotte des parties plus
sèches. Ces conditions s’observent dans
le cas de l’“Acid Hole”. L’air circule de
la partie humide, avec condensation et
corrosion dans le conduit, surtout dans
la partie haute, d’où la forme bulbeuse
(photo 11). L’orifice originel se présentait
probablement comme une mince fente
Photo 10 : Forêt en
entre deux draperies. La réfrigération
miniature, Cango III.
nécessaire à la condensation pourrait être Largeur du champ
produite par l’évaporation liée à la forma- environ 70 cm.
tion du “popcorn”. À noter que la coulée Miniature Forest, Cango III.
stalagmitique qui est issue de l’“Acid Width of field about 70 cm.
Hole” (photo 11) représente probable-
ment la calcite redéposée après dissolu-
tion dans le conduit.

7. Les autres formations


dues à l’évaporation
L’aragonite semble très rare dans
Cango, la calcite étant la forme domi-
nante du carbonate de calcium. Dans
“Isolation Chamber”, dans Cango III,
quelques petits “oursins” sont peut-être
constitués de ce minéral. Sa rareté est
très probablement due au fait que la
grotte se développe dans un calcaire peu
ou pas magnésien, ainsi que cela a été
proposé ailleurs [Hill et Forti, 1997]. Photo 11 :
De la dolomie, associée à un peu Acid Hole,
Cango III.
de calcite, forme une croûte crayeuse À noter la
sur le sol de “Isolation Chamber”. Elle forme bulbeuse,
peut être due à la précipitation directe le “pendant
par évaporation, ou à la décomposition phréatique”
d’une phase de dépôt primaire instable gisant brisé au
comme de l’hydromagnésite ou de la fond et la coulée
huntite [Hill et Forti, 1997]. stalagmitique
au pied.
Dans “Isolation Chamber”, une Cliché M. Sefton.
croûte de gypse finement cristallisé a Acid Hole,
été observée sur le sol. Ce minéral dérive Cango III.
très probablement de l’oxydation de Note bulbeous
pyrite disséminée dans le calcaire, un shape, “phreatic
processus classique. pendant” brocken
Toujours dans “Isolation Chamber”, on floor and
flowstone
de la célestine bleu-ciel forme de petites originating
rosettes de quelques millimètres de from hole.
diamètre sur du popcorn et des excen- Photograph
triques en tire-bouchon. L’origine du M. Sefton.

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KARSTOLOGIA N° 36 - 2/2000, 43-54 51
Photo 12 : Trous enduits d’apatite, perforés dans une coulée stalag- Photo 13 : Coulée stalagmitique corrodée révélant la stratification interne.
mitique. Formation ancienne sous des points de stillation par infiltration À noter une mince couche d’apatite blanche reposant en discordance
à travers une accumulation de guano, puis corrosion de la calcite et sur de la calcite ancienne (sur la gauche) et recouverte en concordance
précipitation d’apatite. Cango I. par une deuxième génération de calcite, elle-même recouverte d’apatite
Holes coated with apatite, excavated in flowstone. Originally developed récente (sous la main du personnage). Van Zyl’s Hall, Cango I.
under stillation site, leaching through guano, then corrosion of calcite Corroded flowstone showing internal layering. Note white apatite seam
and precipitation of apatite. Cango I. resting unconformably on older flowstone and covered conformably by
2nd calcite generation, itself coated by recent apatite (on which the caver
leans). Van Zyl’s Hall, Cango I.

strontium est à rechercher dans le calcaire sporadique. L’apatite est totalement probablement récentes et se sont formées
qui en est relativement riche (0,1-0,2 %), absente dans Cango III, les chauve-souris après que les chauve-souris eurent déserté
tandis que la source du sulfate doit être n’ayant jamais eu accès à cette partie de la grotte à cause de l’activité touristique.
la même que pour le gypse. Des calculs la grotte qui est défendue par un siphon. Cette hypothèse est d’autant plus plau-
ont montré que dans ce cas la célestine Comme l’apatite est friable, elle sible qu’il a été démontré que, dans
ne peut cristalliser qu’après une réduction adhère souvent mal aux surfaces verti- Cango, des dépôts de calcite plus épais
considérable du volume de la solution cales où elle n’est souvent représentée se sont formés en 60 ans [Craven, 1996].
afin d’atteindre le produit de solubilité que par des reliques. De plus, dans les La corrosion des concrétions a été
de ce minéral [Martini, 1987a]. premières salles de Cango I, la corrosion observée par les premiers auteurs, mais
des concrétions est intense même dans ceux-ci n’ayant pas remarqué l’apatite,
8. L’action corrosive du guano les parties hautes des salles où l’on ils l’attribuèrent soit à un phénomène non
de chauve-souris n’observe pas d’apatite et où il est diffi- expliqué [King, 1958], soit à une remon-
cile de visualiser une action directe du tée du niveau hydrostatique, avec redis-
Dans les premières salles de Cango guano. Il est probable que dans ce cas la solution en milieu phréatique [Marker,
I, et jusqu’un peu au-delà du Grand Hall, corrosion ne soit pas due à l’acide phos- 1975]. Ce dernier auteur a même identifié
du guano formait une couche épaisse qui a phorique : il est bien connu que la décom- plusieurs phases de corrosion alternant
été exploitée jusqu’au début du 20e siècle position du guano produit de l’ammoniac avec des périodes de concrétionnement,
[Craven, 1994]. À son contact avec les en abondance, et que ce gaz peut être corrélées à des variations climatiques.
concrétions et avec le calcaire, l’effet le oxydé en acide nitrique au plafond par Il n’est pas possible d’exclure qu’une
plus notoire de la décomposition du guano des bactéries [Hill et Forti, 1997] et part de la dissolution soit due à une
a été une corrosion intense et la formation corroder les concrétions. submersion, mais il est évident que le
d’une croûte blanche, crayeuse, ressem- Dans la première salle de Cango I, guano a joué un rôle important. Ce dernier
blant à du mondmilch (photos 12 et 13). on observe de l’apatite reposant en facteur est rehaussé par le fait que dans
Elle est composée d’un minéral du groupe discordance sur de la calcite concrétion- la partie profonde, où l’apatite est rare
de l’apatite : principalement hydroxyla- naire, le tout recouvert par un épais dépôt ou absente, on n’observe pratiquement
patite, avec parfois une composante de stalagmitique (photo 13). Cela souligne pas de corrosion des concrétions.
carbonate-hydroxylapatite. l’irrégularité de l’activité du concrétion- Par réaction du guano avec les
Durant la décomposition du guano, nement. Lorsque l’alimentation est suffi- argiles et limons alluviaux, des phos-
qui est riche en composés organiques sante, ou si le dépôt de guano est lent, phates de Fe-Al-K se sont formés ; ils
phosphorés et azotés, de l’acide phos- ce dernier n’affecte guère la chimie des ont été identifiés surtout dans le Grand
phorique se forme : des pH aussi bas que eaux de stillation et la calcite peut se Hall. La variscite (AlPO4.2H2O) repré-
2 ont été observés [Martini et Kavalieris, déposer. Si la stillation est faible ou nulle, sente le minéral le plus fréquent de cette
1978 ; Hill et Forti, 1997]. L’acide est l’influence du guano domine et la calcite catégorie, se trouvant sous une forme
neutralisé au contact de la calcite avec se dissout. Dans la partie profonde de peu spectaculaire, friable, microcristal-
formation d’apatite. Ce minéral est bien Cango I, à proximité de la “Japanese line, blanche ou beige et parfois violacée.
développé dans la première moitié de Umbrella” et au début de Cango II, on La taranakite (K2Al6(PO4)6(OH)2.18H2O)
Cango I, mais il est néanmoins présent observe des dépôts de calcite cristalline et la sasaite ((Al, Fe)14(PO4)11(SO4)
jusqu’au début de Cango II ; toutefois il recouvrant de l’apatite. Ces minces (OH)7.83H2O) ont été déterminées dans
est beaucoup moins abondant et plus (1-2 mm) croûtes de carbonate sont très des nodules blancs, friables, développés

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52 KARSTOLOGIA N° 36 - 2/2000, 43-54
dans un sol argileux. La leucophosphite était de 5-6°C inférieure à l’actuelle Malgré le peu de données (tableau 1),
(KFe2(PO4)2(OH).2H2O) a aussi été durant la dernière période glaciaire, ainsi il semble qu’en direction de l’entrée, les
identifiée. que l’indiquent des analyses isotopiques taux élevés en CO2 se maintiennent
Également dans le Grand Hall, une d’une stalagmite de Cango II [Talma et jusque dans la partie profonde de Cango I.
croûte vitreuse grise sur “popcorn” calci- Vogel, 1992]. À partir du Grand Hall, la teneur baisse
tique correspond d’après le diagramme Un fait intéressant est que l’humidité considérablement du fait de la proximité
de diffraction X à de la tridymite cryp- relative de Cango III n’atteint pas systé- de l’entrée. Cependant, dans ces premiè-
tocristalline de basse température. Ce matiquement 100 %, ce qui se traduit par res salles les valeurs oscillent considé-
polymorphe de la silice représente un des la présence de concrétions et de minéraux rablement selon un rythme journalier qui
constituants de l’opale [Knauth, 1994]. formés par évaporation. Cette sous-satu- est fonction des visites touristiques
La tridymite se forme métastablement à ration suggère que Cango III n’est pas [Craven, 1996].
cause de la vitesse de cristallisation complètement isolée de la surface et
excessivement lente du quartz, qui est qu’une certaine “respiration” doit s’effec-
le polymorphe stable à température ordi- tuer, probablement par l’intermédiaire CONCLUSIONS
naire. L’altération des argiles par le de fissures impénétrables, car à l’exté- ET COMPARAISONS
guano libère de la silice qui doit être rieur aucune cavité n’a été mise en
fortement sursaturée par rapport au quartz évidence malgré des prospections “au Le karst de la vallée de Cango est
dans les solutions résultant de cette réac- peigne fin”. D’autre part, le CO2 élevé exogène : il s’est développé dans une
tion. La silice se serait ainsi déposée sous confirme le caractère restreint de ces région sèche et les eaux formant les
forme d’opale tridymite après migration échanges. Ainsi que cela est générale- grottes proviennent des montagnes
et évaporation des solutions. ment admis, ce gaz est probablement voisines qui recueillent des plus grandes
surtout d’origine pédologique et trans- précipitations. Certains cours d’eau se
D. Les conditions porté dans la grotte par respiration à perdent lorsqu’ils recoupent des bandes
travers les sols et en solution dans les calcaires très redressées et ressortent aux
climatologiques et
eaux d’infiltration. Cela suggère que le points les plus bas des affleurements
aérologiques de Cango taux de CO2 observé dans Cango III doit carbonatés. Les grottes qui en résultent
Comme la grotte de Cango ne possè- être proche, quoique légèrement inférieur, sont surtout de type vadose, parfois
de apparemment qu’une entrée, elle est de la moyenne dans les sols, sans quoi phréatique, mais dans les deux cas
mal ventilée et se classe comme grotte les concrétions ne se formeraient pas. toujours développées au voisinage immé-
de “basse énergie” [Craven, 1996]. Les Au sujet de l’origine du gaz carbo- diat du niveau hydrostatique. Ce type de
conditions météorologiques originelles nique, un fait instructif est que le ruisseau cavité est unique dans les roches carbo-
de Cango I ont été modifiées par l’influ- de l’étage inférieur est sous-saturé en natées d’Afrique Australe [Martini,
ence humaine. Seules les parties visitées calcite par rapport au CO2 de l’étage supé- 1985]. En effet dans le reste du pays, de
occasionnellement, c’est-à-dire Cango rieur : seulement 135,7 mg/l de carbonate même qu’au Zimbabwe, au Botswana et
II et surtout Cango III, permettent de Ca et Mg, ce qui correspond à un pour- en Namibie, les réseaux sont hyperphréa-
d’observer des conditions approximati- centage de CO2 d’équilibre d’environ tiques et les cours d’eau souterrains
vement naturelles. Les paramètres tempé- 0,5 % dans l’air (voir analyse à la partie inconnus. Ce n’est pas le cas pour bien
rature, humidité relative et gaz carbonique descriptive). Ce cours d’eau doit donc d’autres régions du monde, en Europe
sont présentés dans le tableau 1. abaisser le taux de gaz carbonique de par exemple, où les grottes à collecteur
Les données récoltées dans Cango III Cango II et III, mais probablement de de base sont ubiquistes.
sont les plus instructives par leur nombre façon inefficace car il est peu en contact L’écoulement vadose des grottes de
et par le fait qu’il s’agit d’un environne- avec l’étage supérieur. Comme il a été la vallée de Cango ne produit pas des
ment apparemment isolé de la surface. suggéré que les eaux proviennent proba- cañons, mais des galeries larges et basses
Les paramètres ont été mesurés sur toute blement d’une perte occulte à travers les à plafonds plats. Des formes comparables
la longueur de cette partie de la grotte. alluvions du vallon des Fontaines et en ont été décrites ailleurs [bibliographie
Il est probable qu’ils ne varient que très tenant compte du contexte géologique, dans Ford et Williams, 1989] ; par
peu selon les saisons, ainsi que cela a été ce ruisseau doit couler plus ou moins à exemple, des cas remarquables ont été
suggéré par l’abondance des concrétions l’aplomb de la grotte sur toute sa longueur. étudiés dans les Monts Cantabriques, en
monocristallines. Cependant à l’échelle Cela confirme que le gaz carbonique vient Espagne, où des développements à
des millénaires, des variations se sont bien du plafond de la galerie principale, plafonds plats s’observent à différentes
produites ; par exemple la température c’est-à-dire du sol en surface. hauteurs sur un même cañon [Rossi et
al., 1997a et b]. Ces encoches à plafonds
plats sont interprétées comme marquant
Température, C Humidité relative, % CO2, %
des périodes pendant lesquelles l’écou-
Moyenne Extrêmes Moyenne Extrêmes Moyenne Extrêmes
lement se faisait exactement sur le niveau
Cango I Variable - Variable - 1,35 (n=1) - hydrostatique. Le modèle proposé pour
Cango II 17,9 (n=2) 17,5*-18,2 100 (n=1) - 1,19 (n=1) - les grottes de la vallée de Cango est très
Cango III 18,1 (n=6) 17,9-18,5 98,2 (n=6) 95-100 1,44 (n=10) 1,25-1,63
semblable [Martini, 1986a]. Les galeries
Tableau 1 : Température, humidité et gaz carbonique d’après Maxwell [1980], mesurés se développent aussi au voisinage de la
en avril 1980, et Talma et Vogel [1992] pour 17,5*. Dans Cango I, le CO2 a été mesuré dans nappe phréatique, mais l’accent a été
la partie profonde. mis sur le rôle joué par les alluvions :

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KARSTOLOGIA N° 36 - 2/2000, 43-54 53
la forme en laminoir dérive du fait que détournement du ruisseau de surface par va augmenter considérablement dans
la dissolution ne peut agir efficacement capture karstique ou par obstruction de les parties mal ventilées. Ce processus
que latéralement parce que le plancher la perte. L’âge du creusement de la grotte pourrait expliquer certaines variations
rocheux est protégé de la corrosion par a pu s’évaluer comme remontant au de taille le long d’une même galerie,
les sédiments, et parce que le plafond Pleistocène ancien, en combinant les comme par exemple l’extrémité amont
n’est qu’occasionnellement en contact conditions de spéléogenèse exposées plus de Cango III qui devient plus étroite à
avec l’eau (fig. 3). haut avec son altitude relative par rapport l’approche de la vallée des Fontaines où
Ce développement sur niveau aux anciennes surfaces d’érosion. devait se situer la perte.
hydrostatique, occasionnellement phréa- Localement, c’est la beauté des Le renouvellement naturellement
tique, mais sans siphons profonds, est concrétions qui fait la réputation de lent de son atmosphère impose des limi-
probablement dû à l’abondance des allu- Cango, bien que de nombreuses grottes tations sévères à l’exploitation touristique
vions introduites par les pertes. Ceci est ornées similaires existent ailleurs sur de la grotte de Cango. Ceci s’applique
en contraste avec les réseaux à alimen- la planète. Cependant, certains types particulièrement à l’aménagement possi-
tation surtout endogène, transportant comme les disques, les stalagmites mono- ble de Cango II et III, lequel pourrait
peu de matériel détritique, comme par cristallines et les gours à cristaux sont augmenter la température, le CO2 et ainsi
exemple les systèmes alpins dont les comparativement bien développés. dégrader les concrétions. À l’autre extrê-
collecteurs, lorsqu’ils ne sont pas déve- Le taux élevé du gaz carbonique de me, une ventilation mal contrôlée pourrait
loppés sur un niveau imperméable, la grotte de Cango n’est pas anormal également entraîner des modifications
forment des galeries à des profondeurs comparé à beaucoup des grottes mal fâcheuses du mode de dépôt de la calcite
variables sous le niveau hydrostatique. ventilées du reste du monde. Dans le par abaissement de l’humidité, de la
La grotte de Cango représente un contexte plus restreint de l’Afrique température et du taux de gaz carbonique.
tronçon fossile de ce type vadose sur Australe, les valeurs sont similaires à Cela démontre la complexité du milieu
niveau hydrostatique. Il ne semble pas celles des grottes des régions humides souterrain et invite à la prudence dans
que sa position puisse être corrélée à une du Transvaal (1-2 %), mais inférieures toute modification physique d’une cavité
ancienne surface d’érosion, ainsi que cela à celle des cavités des régions plus (désobstruction, élargissement, exploi-
a été proposé [Marker, 1975], mais plutôt sèches à savanes boisées du Transvaal, tation touristique…).
que la grotte s’est formée lorsque des Botswana et Namibie [5-10 %, Martini
conditions favorables à l’absorption et al., 1999]. Remerciements
complète d’un cours d’eau de surface se Dans la grotte de Cango, le consi- L’auteur exprime sa gratitude envers
sont établies fortuitement. Ces conditions dérable déséquilibre chimique des eaux Messieurs M. Schultz et H. Gertsner, direc-
favorables n’ont probablement pas duré du cours actif par rapport au CO2 de teurs successifs de la grotte, pour avoir
plus que quelques centaines de milliers l’atmosphère souterraine suggère que ce permis l’accès aux parties non aménagées
d’années si l’on se base sur la quantité gaz pourrait jouer un rôle dans la spéléo- de Cango, de même qu’à Messieurs
de calcaire qu’un cours d’eau relative- genèse. En considérant que les eaux de L. Terblanche, J. Blaquière, S.A. Craven et
ment important peut dissoudre. L’absence surface n’ont qu’un potentiel de disso- G. Wright qui l’accompagnèrent et l’aidèrent
de galeries importantes en dessous du lution limité à la teneur en CO2 de l’atmo- dans sa tâche. Dr D. Bühmann du Council
réseau fossile suggère que la fin de la sphère (0,03 %), en entrant dans la grotte for Geoscience, à Prétoria, détermina les
période active pourrait être due à un le pouvoir dissolvant du cours d’eau minéraux du groupe de l’apatite.

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J.E.J. MARTINI, La grotte et le karst de Cango, Afrique du Sud


54 KARSTOLOGIA N° 36 - 2/2000, 43-54

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