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Contribution à l’étude

du karst et des grottes


du Kaokoland (Namibie)
J.E.J. MARTINI *, J.C.E. MARAIS ** et J. IRISH ***
* Council for Geoscience, Private Bag x112, Pretoria, South Africa
** National Museum of Namibia, P.O. Box 1203, Windhoek, Namibia
*** National Museum, P.O. Box 266, Bloemfontein, South Africa

RÉSUMÉ : Les auteurs décrivent le ABSTRACT : STUDY OF KARST AND CAVES


INTRODUCTION
karst dolomitique du Kaokoland, IN KAOKOLAND (NAMIBIA). Le Kaokoland est une région encore
une région aride de la Namibie qui The authors describe the dolomite karst sauvage et peu accessible du Nord-Ouest
est peu connue spéléologiquement. of Kaokoland, an arid region of de la Namibie, comprise entre la frontière
La géomorphologie, le régime de Namibia,which had been very poorly angolaise au nord et la rivière Hoanib
l’écoulement karstique et la chimie investigated speleologically. The geomor- au sud (figure 1).
des eaux sont passés en revue. phology, the karst hydrology and the water Elle n’avait pratiquement pas fait
Bien que la surface du karst soit chemistry are reviewed. Although the karst l’objet de recherches spéléologiques
vaste, les grottes sont rares et géné- area is large, caves are scarce and usually avant que les auteurs de cet article n’orga-
ralement réduites à de grandes reduced to single large chambers. nisent deux expéditions en 1990 et 1994
salles uniques, qui ne se sont appa- Integrated networks of passages are appa- avec pour objet des dolines et ouvertures
remment pas connectées à des rently missing. Seven caves are described de gouffres repérées par photos aériennes.
réseaux de galeries. Sept de ces in detail, including
grottes sont décrites en détail, de their mineralogy, which
même que leur minéralogie qui est comprise rare species. The
variée et comprend des espèces peu Kaokoland karst is compa-
communes. Ce karst est comparé red with other ones develo-
avec d’autres karsts d’Afrique ped in more humid areas
australe, lesquels se sont développés of Southern Africa.
dans des régions plus humides. A speleogenetic model is
Un modèle de spéléogenèse est proposed, which involves
proposé, qui implique le mélange mixing of near surface
d’eaux de la nappe karstique ground water with anoxic
superficielle avec des eaux sulphide-rich water of deep
anoxiques profondes sulfurées, origin and could explain
expliquant ainsi le développement the very localised forma-
très localisé de larges cavités. tion of large cavities.

Figure 1 : Carte géologique du secteur étudié et position des cavités.


(1) Terrains post-Mulden ; (2) groupe de Mulden (grès, argiles) ;
(3) sub-groupe de Tsumeb (dolomies) ; (4) sub-groupe d’Abenab
(dolomies, argiles) ; (5) groupe de Nosib (grès, conglomérats) ; (6) socle
cristallin pré-Nosib (granit, gneiss) ; (7) Cavités visitées : I Orumana
Sinkhole, II Blister Pot, III Wow Gdoom Pothole, IV Columbarium
Sinkhole, V Parakietgat, VI Arboretum Pothole, VII Hermitage Cave ;
(8) cours d’eau. Localités : Se = Sesfontein, Op = Opuwo.
Geological map of the studied area and cave location.
(1) Post-Mulden terrains ; (2) Mulden Group (sandstone, shale) ;
(3) Tsumeb Sub-group (dolostone) ; (4) Abenab Sub-group (dolostone,
shale) ; (5) Nosib Group (sandstone, conglomerate) ; (6) Pre-Nosib base-
ment (granite, gneiss) ; (7) Visited caves : I Orumana Sinkhole,
II Blister Pot, III Wow Gdoom Pothole, IV Columbarium Sinkhole,
V Parakietgat, VI Arboretum Pothole, VII Hermitage Cave ;
(8) stream. Settlements : Se = Sesfontein, Op = Opuwo.

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KARSTOLOGIA N° 34 - 2/1999, 1-8 1
phénomènes karstiques décrits dans cet article.
Comme cela est généralement le cas pour les
karsts en climat sec, la morphologie de surface
n’est pas typiquement karstique : la dolomie
est entaillée par des vallées se subdivisant
vers l’amont en réseaux dendritiques indiquant
que l’érosion fluviatile domine. Les bassins
fermés font complètement défaut. Par contre
les lapiés sont souvent bien développés de
même que des petites cavités verticales étroites
n’atteignant que quelques mètres de profon-
deur. Les seules cavités dignes d’être reportées
consistent en dolines d’effondrement et en
gouffres, lesquels sont décrits au chapitre
suivant. Les résurgences sont localisées au
fond des vallées, principalement au nord et
au sud de la région étudiée, et se présentent
sous la forme de sources à débit constant mais
faible. Les plus importantes s’observent près
Photo 1 : Vue plongeante de CADRE GÉOLOGIQUE de Sesfontein dans la vallée de la rivière
l’entrée principale de
l’Orumana Sinkhole.
ET KARSTIQUE Hoanib sur une longueur de 30 km. C’est là
que le karst a été entaillé le plus profondément
Vertical view of Orumana
Sinkhole entrance. La partie du Kaokoland favorable au et qu’une étude de 32 sources a montré que
développement karstique comprend la moitié le débit maximum atteint 11,5 l/s. et que la
est de la région, laquelle est montagneuse, température varie de 26,6 à 34,8oC [Guj,
s’étageant à des altitudes variant de 500 à 1969]. De plus, elles sont fortement minérali-
1850 m. Le climat est aride à semi-aride, avec sées (tableau 1).
Tableau 1 : Chimie des
des précipitations minimales de 80 mm dans
eaux karstiques, leur
température et les précipita- l’ouest et de 250 mm dans les parties plus
tions du Kaokoland, de la élevées de l’est. La végétation varie en consé- DESCRIPTION DES GROTTES
région d’Ontavi-Tsumeb quence : brousse très clairsemée à plantes
(Namibie du N-E) et du S-O du grasses dans les parties les plus sèches, passant Orumana Sinkhole : des cavités du
Transvaal (Afrique du Sud). à une savane boisée vers l’est. Kaokoland, Orumana est la seule à être connue
Données pour le Kaokoland La série carbonatée appartient au groupe et visitée de temps en temps par les indigènes.
d’après Guj [1969], pour la
d’Otavi, qui est épais de près de 4000 m dans Les trois entrées consistent en des puits abou-
région d’Otavi-Tsumeb d’après
Marchant [1980] et Martini le nord, de 1000 m dans le sud et qui se divise tissant dans une vaste salle, avec un plancher
[1991], et pour le Transvaal en deux sub-groupes : Abenab et Tsumeb. de blocs éboulés, de débris organiques et de
d’après Bond [1946]. Ces couches datent du Protérozoïque supé- rares stalagmites (photos 1 et 2). L’accès se
Karst water chemistry and rieur et ont été plissées à l’extrême fin du fait par le puits principal E1 (figure 2) et se
temperature, and rainfall of Précambrien, durant l’orogenèse panafricaine descend en escalade libre, excepté un ressaut
Kaokoland, Otavi-Tsumeb area [Hedberg, 1979 et Miller, 1983]. La direction de 8 m qui doit être équipé. Ce puits d’accès
and S.W. Transvaal (South des structures tectoniques est nord-sud et la salle principale ont été quelque peu modi-
Africa). Data for Kaokoland
(figure 1), lesquelles consistent en plis à grand fiés par effondrement, à l’exception des deux
after Guj [1969], for
Otavi-Tsumeb area after rayon. autres puits, des recoins et des courtes galeries
Marchant [1980] and Martini Le sub-groupe de Tsumeb, qui consiste latérales, qui se terminent en cul de sac dans
[1991], and for the S.W. en dolomies massives, parfois siliceuses, la roche et sont d’origine phréatique. Rien ne
Transvaal after Bond [1946]. forme des reliefs vigoureux et renferme les suggère qu’un réseau de galeries importantes
se branche sur la salle.
Kaokoland Otavi-Tsumeb Flanc S-O du bassin
du Transvaal Blister Pot : il s’agit d’une doline d’effon-
drement typique, avec une courte galerie sur
Moyenne Extrêmes Moyenne Extrêmes Moyenne Extrêmes
(n = 26) (n = 10) (n = 19) les côtés, laquelle s’est formée par dissolution
Résidu sec (mg/l) 544,8 295 - 1340 474,9 290 - 922 236,2 80 - 450 (figure 3).
Ca2+ 62,8 18,4 - 101,2 107,8 32 - 212 37,9 25,0 - 49,4
Mg2+ 60,2 46,7 - 93,3 58,4 10 - 114 30,0 25,6 - 38,5 Wow Gdoom Pothole : ce gouffre impres-
SO42- 38,3 7 - 244 13,0 1 - 90,3 3,8 0,1 - 12,3 sionnant a été exploré par deux d’entre nous
Cl- 59,4 15 - 218 15,7 2 - 30 10,6 5,6 - 22,9 (J. Marais et J. Martini) en 1994. Il consiste
Température 30,1 26,6 - 34,8 - 24 - 27 - 19 - 20 en une doline ovale en entonnoir se terminant
des eaux (°C) par un étranglement à -13,6 m (figure 4 et
Précipitations 80 - 250 500 - 600 700 - 800 photo 3), mais s’ouvrant en dessous sur un
(mm/an)
abîme fissural. Le fond s’évase en une salle

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terminale montrant des figures phréatiques SWAKNO 26-02-90
typiques, comme des poches de dissolution ORUMANA
et des pendants de plafond. Ce n’est que sur SINKHOLE
le côté sud que des gros blocs détachés du
plafond suggèrent des modifications par effon- Plan
drement. Le plancher est recouvert d’alluvions,
grossières à fines, introduites durant des crues
d’orage. Sur le sol, des lignes horizontales
d’accumulation de débris organiques marquent
d’anciens niveaux d’eau et suggèrent des inon-
dations passagères subséquentes à ces crues.
La morphologie du puits n’évoque pas
une origine vadose car il n’est pas vertical et
ne porte pas les stigmates usuels (cannelures
et forme en cloche), mais est légèrement incli-
né. Il s’est développé sur un plan de faille à Coupe
faible rejet associé à une brèche de broyage
friable épaisse de 1 à 2 m. À partir de la salle
terminale, il aurait pu s’ouvrir de bas en haut
par effritement progressif du plafond et fina-
lement crever à la surface. Par la suite cette
crevasse aurait été nettoyée et agrandie par
capture d’eaux d’orage.

Columbarium Sinkhole : il s’agit d’une doline


d’effondrement comparable au Blister Pot.
Les seuls restes de la cavité originelle déve- Légende :
loppée par dissolution s’observent à l’extrémité Éboulis
est (figure 5). Matières organiques
Stalagmite Topographie : chevillère, boussole et clisimètre
Parakietgat : une doline d’entrée se continue
par un large vestibule incliné aboutissant à une
verticale de 35 m, qui doit être équipée, puis la Figure 2 : Plan
cavité se termine dans une salle occupée par et coupe de
l’Orumana
un long cône d’éboulis (figure 6 et photo 4).
Sinkhole.
De nombreux oiseaux nichent près de l’entrée, Map and section of
en particulier des perruches très bruyantes, Orumana Sinkhole.
desquelles dérive le nom de la cavité (“para-
kiet”). La galerie s’est formée le long d’une
faille oblique qui s’observe de l’entrée jusqu’à
la base du ressaut. La dolomie a été silicifiée
en jaspe le long de cette faille. Bien que les
effondrements de plafond produisant des
gros blocs ne soient guère développés, les
éboulis sont abondants et semblent surtout
dus à l’effritement des parois ; l’aspect général
suggère une cavité phréatique dégradée. Un
faible volume d’eau d’orage, récolté par la
doline, alluvionne le fond, formant un delta
en miniature.

Arboretum Pothole : la grotte se résume en Photo 2 : Côté nord


une vaste salle avec un trou au plafond pour de la salle de
orifice, au pied duquel survit un bosquet l’Orumana
(figure 7 et photo 5). La morphologie de cette Sinkhole ; un
salle suggère une évolution par effondrements personnage donne
l’échelle ; éclairage
successifs à partir d’une galerie creusée en
naturel.
régime phréatique. La salle est habitée saison- Northern side of
nièrement par de nombreux oiseaux, surtout Orumana Sinkhole;
des pigeons (absents lors de l’exploration), caver gives scale ;
qui laissent une épaisse couche de guano. natural light.

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Figure 3 : Plan et coupe de MINÉRALOGIE
BLISTER POT SWAKNO 26-02-1990
Blister Pot. Map and section of
Blister Pot.
A l’exception de Blister Pot, les
cavités visitées renferment des concré-
tions de calcite ou d’aragonite, peu déve-
effondrement a eu pour effet loppées, le plus souvent anciennes et
de piéger cette colonie de inactives. Elles n’ont pas fait l’objet
babouins. d’études particulières et les investigations
ont surtout porté sur les minéraux dérivés
Hermitage Cave : cette grotte de la décomposition du guano, lesquels
comporte deux salles sépa- ont révélé des espèces rares. Les échan-
rées par un éboulement de tillons ont été identifiés dans le labo-
gros blocs à travers lesquels ratoire du Council for Geoscience par
il est possible de communi- diffraction des rayons X et dans certains
quer, mais visuellement seu- cas par microsonde afin de confirmer la
Topographie : lement. Chaque salle possède composition chimique.
chevillère, boussole son entrée propre : une doline Dans la salle terminale de Wow
et clisimètre forme l’entrée de la salle Gdoom, sur le côté sud, du guano de
supérieure, tandis que celle chauve-souris s’est accumulé sur des
En plusieurs points, probablement à de la salle inférieure est en falaise blocs tabulaires. Des efflorescences cris-
l’aplomb des nids, le guano s’est accu- (figure 8). Au point de vue genèse, la tallines sur guano se révélèrent compo-
mulé en petites stalagmites atteignant grotte est entièrement due à l’effondre- sées de struvite (Mg(NH4)PO4.6H2O,
1 m de haut, que les auteurs baptisèrent ment d’une cavité primitive, probable- ortho.), de biphosphammite (H2(NH4,K)
“coprothèmes”. Une cinquantaine de ment d’origine phréatique, dont il ne reste PO4, quadrat.) et de gcwihabaite ((NH4,K)
momies de babouins de toutes tailles sont plus traces probantes. La salle supérieure NO3, ortho.). Ce dernier minéral n’a été
dispersées dans la salle. Il est possible est périodiquement occupée par des défini que récemment [Martini, 1996,
que dans le passé, un figuier comparable oiseaux qui laissèrent des coprothèmes Hill and Forti, 1997] dans une grotte du
à l’actuel leur facilitait l’accès ; son comme dans Arboretum Pothole. Botswana, mais depuis a été identifié

WOW GDOOM POTHOLE


Plan général

Coupes

N NM

Légende :
Éboulis
Sable, limon
Plan de la salle du fond Plan au niveau Plancher
du balcon stalagmitique
Lit de ruisseau

Figure 4 : Plans
et coupes de Wow
Gdoom Pothole.
Maps and
sections of Wow
Gdoom Pothole.

Topographie : chevillère, boussole et clisimètre


SWAKNO 20, 21-08-1994

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COLUMBARIUM Figure 5 : Plan et coupe de Columbarium
Sinkhole. Map and section of
SINKHOLE Columbarium Sinkhole.
NM N
Photo 3 : Entrée de Wow
Gdoom Pothole ; à noter
le bloc coincé à -13,6 m.
Wow Gdoom Pothole
10 m entrance ; note block
jammed in slot at -13,6 m.

Légende :
Blocs, éboulis

Topographie : chevillère, Sable, guano


boussole digitale et clisimètre
SWAKNO 13-08-1994

dans plusieurs cavités de Namibie et détritiques comme la dolomie


d’Afrique du Sud. Il est probablement et le quartz, révèle de la white-
commun dans la plupart des grottes lockite et de la syngenite
sèches fréquentées par des chauve-souris. (K2Ca(SO4)2.H2O, monocl.).
Une croûte microcristalline développée Ce dernier minéral est certai-
sous le guano, au contact avec la dolomie, nement d’origine secondaire,
est aussi polyminérale et composée de tandis que la whitelockite
whitelockite (Ca3(PO4)2, rhomb.) de pourrait être primaire et déri-
gypse et d’un peu d’apatite. ver de la calcination de phos-
Sous le surplomb nord du phates contenus originellement
Columbarium Sinkhole, une croûte cris- dans la matière organique.
talline adhérant à la paroi dolomitique II est intéressant de remarquer
est composée de gypse et de whewellite que la température de combus-
(CaC2O4.H2O, monocl.). Ces minéraux tion n’a pas été suffisamment
dérivent très probablement d’excréments élevée pour fondre les cendres
d’oiseaux nichant dans la paroi. en scories, ainsi que cela a été
Dans la partie profonde de observé dans une autre grotte
Parakietgat, le sol est recouvert d’une namibienne, Arnhem Cave.
poudre organique brune résultant de la Dans ce dernier cas les scories
décomposition de débris de nids et de contiennent des pyrophos-
guano de chauve-souris (figure 6). La phates primaires formés à haute tempé- à du mondmilch sec. Des analyses par
diffraction des rayons X indique la pré- rature [Martini, 1997]. diffraction et microsonde indiquent de
sence de whewellite mêlée aux substances Au fond de la salle inférieure la monohydrocalcite (CaCO3.H2O, hexa.)
organiques. La partie centrale de cette d’Hermitage Cave, des efflorescences comme unique constituant. Dans ce cas,
couche organique est transformée en blanches ressemblant à du givre, recou- le mode d’occurrence de ce rare minéral
cendres gris clair d’une épaisseur attei- vrent du guano de chauve-souris. Elles est particulier, car ailleurs il n’a été géné-
gnant 50 cm et reposant sur une matière sont formées en partie d’aiguilles scin- ralement observé que dans des grottes
noire à débris de brindilles carbonisées. tillantes atteignant 1 cm de longueur, froides, où il a été déposé par des embruns
Ceci confirme l’origine par combustion qui s’avérèrent être surtout de l’urée produits par stillation [Hill et Forti, 1997].
de la poudre brune organique, dont accompagnée de biphosphammite et Ce ne peut pas être le cas de l’occurrence
l’épaisseur originelle a pu atteindre d’aphthitalite (K3Na(SO4)2, rhomb.). d’Hermitage Cave, qui est très sèche et
plusieurs mètres. La combustion peut Cette paragenèse de minéraux solubles généralement chaude. Il est possible que
avoir été spontanée comme dans les cas est commune dans la plupart des grottes le minéral se soit formé en présence de
des tas de tourbe ou de foin qui s’enflam- sèches de Namibie. Une croûte épaisse matière organique, laquelle est regardée
ment d’eux-mêmes. Dans une autre hypo- de 1 à 2 cm, qui s’est formée entre guano comme favorisant la formation de mono-
thèse, le feu pourrait avoir été transmis et roche, consiste en gypse, syngenite, hydrocalcite [Polyak, 1992].
par des brindilles enflammées tombant hannayite ((NH4)2Mg3H4(PO4)4.8H2O,
dans le puits lors de feux de brousse. tricl.) et weddellite (CaC2O4.2H2O,
Néanmoins les cendres sont situées un quadr.). ÉCOULEMENT ET CHIMISME
peu trop en profondeur pour que ce À l’entrée inférieure de la grotte, DES EAUX KARSTIQUES
modèle soit vraisemblable et la première des crottes de damans 1, accumulées entre
hypothèse, la combustion spontanée, deux larges blocs, passent progressive- Bien que la surface d’affleurement
semble la plus probable. L’analyse miné- ment en profondeur à une substance des roches carbonatées soit considérable
ralogique des cendres, à part les grains blanche, poreuse, légère, qui ressemble (figure 1), le débit des résurgences est

(1) Daman : petit mammifère ongulé ayant l’apparence d’une marmotte et vivant en petites bandes.

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Figure 6 : Plan et coupe que les roches carbonatées
PARAKIETGAT de Parakietgat. Map and plongent à des profondeurs
section of Parakietgat. suffisantes [par exemple
au Nevada : Winograd et
Plan Thorarson, 1975].
Coupe
La forte minéralisa-
tion des eaux karstiques du
Kaokoland (tableau 1) est
due d’une part à une évapo-
transpiration poussée et
Légende : d’autre part à des pCO2
Éboulis élevées là où la dolomie est
mise en solution. Dans la
Boue organique sèche région d’Otavi-Tsumeb,
Cendre située 200 km plus à l’est,
où la minéralisation est aussi
Poudre organique
et granules élevée, les pCO2 calculées
d’après les teneurs en Ca et
Stalagmite, pilier Mg et le produit de solubi-
Topographie : chevillère, boussole et clisimètre lité de la dolomie (10-17)
SWAKNO 23-02-1990 sont comprises générale-
ment entre 0,07 et 0,1 atm
insignifiant. Ceci est dû aux faibles préci- fissures peu ouvertes ou en réseaux [Martini, 1991]. Ces valeurs sont confir-
pitations et à la forte évapotranspiration mal intégrés. Les températures variables mées par l’exploration des grottes : dans
réduisant considérablement la portion et souvent élevées des eaux indiquent les parties profondes, non ventilées, l’air
des eaux qui s’infiltrent. Ce dernier effet que ces dernières peuvent circuler à est très souvent irrespirable. En comparant
est suggéré par une forte teneur en chlo- des profondeurs minimales de plu- les analyses des sources de la vallée de
rures comparée à d’autres régions plus sieurs centaines de mètres sous le niveau l’Hoanib avec celles de la région d’Otavi-
pluvieuses d’Afrique australe (tableau hydrostatique. À remarquer que pour le Tsumeb (tableau 1), après déduction du
1). Il faut préciser que l’origine des chlo- Kaokoland la température des eaux kars- Mg et Ca équilibrés par SO42-, il apparaît
rures dans cette partie du continent est tiques au niveau hydrostatique, sans que la pCO2 présidant la dissolution kars-
acceptée comme essentiellement éolienne influence du gradient géothermique, doit tique doit être un peu plus basse, soit envi-
et pluviale [Hugo, 1974]. Ceci s’explique être d’environ 27°C. Cette valeur est ron 0,07 atm. Comme les grottes du
par le fait que les roches impliquées dans suggérée par la température la plus basse Kaokoland décrites dans cet article ne
les karsts ne renferment pas d’évaporites des sources de la vallée de l’Hoanib sont pas profondes et largement ouvertes
et ont toutes subi une diagenèse poussée (26,6°C). Cette circulation karstique à la surface, c’est-à-dire bien ventilées,
ou un métamorphisme. lente et à température variable, plus ou une telle teneur n’a jamais été ressentie.
Le débit régulier des sources sug- moins chaude, semble fréquente dans les Néanmoins il est probable que, si des
gère une circulation karstique lente en régions arides de la planète, à condition grottes plus profondes et à étroitures
étaient découvertes, le CO2 pourrait
constituer un obstacle sérieux à
l’exploration. À la plus grande
échelle de l’Afrique australe, il appa-
raît que les grottes où le CO2 atteint
un degré gênant pour l’exploration
(plus de 4 %) sont localisées dans
les régions à précipitations infé-
rieures à 700 mm/an : le nord-ouest
du bassin du Transvaal et la “North-
western Cape Province” (Afrique
du Sud), le Botswana et la Namibie.
Les grottes du sud-ouest du bassin
du Transvaal (tableau 1), là où sont
localisées la majorité des cavités de
l’Afrique australe [Martini, 1985],
incluant les plus longs réseaux, ne
renferment jamais plus de 1 ou 2 %
de CO2.

Photo 4 : Sommet du puits de


Parakietgat. Top of Parakietgat pitch.

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Figure 7 : Plan et
ARBORETUM POTHOLE coupes d’Arboretum
Pothole.
Map and sections of
Arboretum Pothole.

Photo 5 : La salle de
l’Arboretum Pothole
vue du nord ;
à noter le bosquet
sous l’entrée et
le champ de guano
à gauche, avec
coprothèmes ;
Légende : lumière naturelle.
Chamber of
Blocs, éboulis
Arboretum Pothole,
N NM Sable, limon seen from north ;
note grove under
Guano d’oiseau (coprothèmes) entrance and to the
left guano field with
Topographie : chevillère, boussole digitale et clisimètre Plancher stalagmitique
coprothems ;
SWAKNO 14-08-1994 natural light.

Une haute pCO2 en climat sec, parti-


culièrement dans le Kaokoland, peut
étonner car les sols de ces régions sont
peu développés, pauvres en matières
organiques et donc à activité bactérienne
faible. Les régions à grottes à CO2
énumérées plus haut sont caractérisées
par une végétation de brousse ou de
savane boisée. En contraste, dans le sud-
ouest du bassin du Transvaal, qui est
plus humide et là où la pCO2 est basse,
la végétation est de type prairie avec très
peu d’arbres. Le fait qu’une haute pCO2
soit liée au type de végétation doit donc
être retenu comme une hypothèse. Les
arbres de climat semi-aride ont des
racines très développées, pouvant attein-
dre la nappe phréatique à des profondeurs
de 100 m, d’après les observations des
auteurs dans les grottes de la Namibie
du nord. Du CO2 est produit par l’inter- SPÉLÉOGENÈSE cavités volumineuses sans réseaux de
médiaire de bactéries vivant en symbiose galeries existent également dans le nord-
avec les racines [Jakucs, 1977]. De Dans le Kaokoland la rareté des est de la Namibie, bien que, dans cette
plus, cette activité bactérienne est favo- grottes est en relation avec le faible déve- région plus pluvieuse, des réseaux phréa-
risée par la température élevée. Un autre loppement du karst. En climat similaire, tiques complexes, peu étendus, mais
facteur positif, peut-être le plus impor- cette relation est bien connue ailleurs. séparés entre eux, soient fréquents
tant, est la grande profondeur du lieu de Néanmoins, des cavités à grand volume [Martini et al., 1990]. Il semble donc
production du CO2. En effet, dans des existent et indiquent que localement probable que ces grandes salles repré-
fissures profondes, mal élargies par une la dissolution karstique a été intense. sentent bien des poches de dissolution
karstification déficiente, la distance Cependant, ces grottes consistent en isolées.
jusqu’à la surface étant plus grande, la salles uniques apparemment sans déve- La formation de ces grottes pourrait
diffusion du CO2 vers l’atmosphère est loppement de réseau. Si l’on se réfère à s’expliquer par mélange d’eaux sulfurées
plus difficile que dans le cas des sols la partie descriptive, des réseaux pour- d’origine profonde avec des eaux oxygé-
en climat plus humide, où les racines raient exister, mais alors il faut croire nées superficielles : H2S s’oxyde en
et l’activité bactérienne restent superfi- que leur accès est colmaté par alluvion- H2SO4 et le milieu passe d’alcalin à acide,
cielles. nement ou effondrement. Cependant, des un processus généralement accepté pour

J.E.J. MARTINI, J.C.E. MARAIS et J. IRISH, Contribution à l’étude du karst et des grottes du Kaokoland (Namibie)
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du karst régional, en particulier par une
HERMITAGE CAVE forte teneur en sulfate (SO42-/Cl- = 31,2
et SO42- = 90,3 mg/l) et une forte miné-
ralisation totale (212 mg/l Ca2+ et
72,2 mg/l Mg2+). Dans les environs
immédiats, une autre grotte, Klein Nosib
NM N
[Irish et al., 1991], renferme un lac
profond du même type, qui est situé à
Coupes 170 m des lacs de Pofaddergat et en
amont de la direction générale de l’écou-
lement de la nappe karstique régionale.
Les deux grottes sont creusées dans le
Légende : même banc de calcaire, les lacs sont sur
Éboulis, blocs, le même niveau et donc sont probable-
Poussière ment connectés hydrologiquement.
Guano (coprothèmes) L’eau de Klein Nosib est basse en sulfate
Plancher stalagmitique et moins minéralisée : SO42-/Cl- = 1,6
Plancher rocheux
pour 8 mg/l SO42-, 120,2 mg/l Ca2+ et
Topographie : chevillère, boussole digitale et clisimètre
SWAKNO 15-08-1994
47,1 mg/l Mg2+. Cette composition
s’approche de celle des eaux karstiques
Figure 8 : Plan et coupes d’Hermitage Cave. Map and sections of Hermitage Cave. normales de la région d’Otavi-Tsumeb,
dont le SO42- varie de 1 à 9 mg/l. Ces
la formation de certaines grottes [Hill, les sources de la vallée de l’Hoanib [Guj, données suggèrent que l’eau s’écoule de
1987]. Le mélange de deux solutions 1969], le rapport des poids SO42-/Cl- Klein Nosib vers Pofaddergat et qu’elle
saturées en dolomie sous des pCO2 diffé- varie de 0,2 à 1,35, avec une moyenne se mélange dans cette dernière grotte à
rentes [Bögli, 1964], dans lesquelles des de 0,64. En supposant que le chlorure une venue d’eau sulfurée d’origine
sulfures ne sont pas impliqués, peut aussi est d’origine marine, via les précipitations profonde, avec oxydation, renouvelle-
expliquer cette spéléogenèse localisée, pluviales, il apparaît que le sulfate est ment de la dissolution de la roche carbo-
bien que ce processus soit probablement principalement endogène puisque ce natée et augmentation de la charge
moins efficace. Le premier modèle est rapport n’est que de 0,14 dans l’eau de minérale. Un tel processus pourrait avoir
rendu plus consistant par l’exemple de mer. Il provient probablement de l’oxyda- contribué à la formation des grandes cavi-
la grotte du Temple of Doom, située en tion de sulfures, soit sous une forme tés du Kaokoland.
dehors du Kaokoland, mais seulement primaire (pyrite) dans les roches de
20 km au sud de la rivière Hoanib. Les l’aquifère, soit secondaire après transport
parois de cette grotte ont été recouvertes sous forme de H2S. Remerciements
en milieu phréatique par des cristaux de Dans la région d’Otavi-Tsumeb, la Les auteurs expriment leur reconnaissance
barythine, qui ne peuvent guère s’expli- grotte de Pofaddergat [Martini et al., pour le support logistique fourni par le
quer que par l’oxydation d’eau sulfureuse 1990] pourrait constituer un exemple “National Museum of Namibia”. Les photos
profonde [Martini et Marais, 1996]. actif de “spéléogenèse sulfurique”. Cette aériennes ont été prêtées par le “Geological
Le rôle de l’oxydation de sulfures grotte renferme plusieurs lacs profonds Survey of Namibia”. Le travail à la micro-
dans la spéléogenèse peut aussi s’évaluer dont la composition des eaux [Martini, sonde a été effectué par Madame E. Hatting
par l’analyse des eaux (tableau 1). Pour 1991] diffère considérablement de celle du Council for Geoscience à Pretoria.

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