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Travaux de l'Institut

Géographique de Reims

Géographie de la violence et gestion du territoire au Brésil. Le cas


du Maranhão
Michel Chossudovsky, Micheline Ladouceur

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Chossudovsky Michel, Ladouceur Micheline. Géographie de la violence et gestion du territoire au Brésil. Le cas du Maranhão.
In: Travaux de l'Institut Géographique de Reims, vol. 23-24, n°89-90, 1995. Le Brésil. Aspects sociaux. pp. 105-115;

doi : https://doi.org/10.3406/tigr.1995.1318

https://www.persee.fr/doc/tigr_0048-7163_1995_num_23_89_1318

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Abstract
The crisis of the 1980s and the setting up of economic restructuration policies, implying, in particular,
the sale of public land and the privatization of state companies, have had important spatial implications
: pillaging of raw materials, displacement of the peasant economy, over-exploitation of the uprooted
labour foce, destruction of the environment, etc. The example of the Maranhâo state, in the North-East
of Brazil, is significant of these processus. The expansion of the agricultural frontier and the implanting
of huge forestry or animal-raising projects have reinforced land-owning concentration there and have
provoked the eviction of autochthonous peoples from their ancestral homes. The metallurgical mining
projects of the Grand Carajas Programme have led to the accentuation of land speculation and to
incontrolled urbanization in the exportation.

Résumé
La crise des années 80 et la mise en place de politiques de restructuration économique, impliquant, en
particulier, la vente des terres publiques et la privatisation d'entreprises d'Etat, ont eu d'importantes
implications spatiales : pillage des matières premières, déplacement de l'économie paysanne, sur-
exploitation d'une main-d'oeuvre déracinée, destruction du milieu etc. L'exemple de l'état du Maranhão,
dans le Nordeste brésilien, est significatif de ces processus. L'expansion de la frontière agricole et
l'implantation de méga-projets forestiers ou d'élevage y renforcent la concentration foncière et
provoquent l'éviction des peuples autochtones de leurs terres ancestrales. Les projets miniers-
métallurgiques du Programme Grand Carajas entraînent l'accentuation de la spéculation foncière et
l'urbanisation sauvage dans le couloir d'exportation.
Travaux de l'Institut de Géographie
de Reims, n°89-90, 1994, pp. 105-115.

Michel
GEOGRAPHIE DE LA
CHOSSUDOVSKY
Université d'Ottawa

VIOLENCE ET GESTION DU
Micheline
LADOUCEUR
TERRITOIRE AU BRESIL Collège de
l'Outaouais, Hull,
Québec
Le cas du Maranhâo

Mots-clés : Fronts pionniers - Conflits fonciers - Projets miniers-métallurgiques - Concentration foncière - Violence -
Destruction écologique - Territoires autochtones.
Résumé - La crise des années 80 et la mise en place de politiques de restructuration économique, impliquant, en particulier, la
vente des terres publiques et la privatisation d'entreprises d'Etat, ont eu d'importantes implications spatiales : pillage des
matières premières, déplacement de l'économie paysanne, sur-exploitation d'une main-d'oeuvre déracinée, destruction du milieu
etc. L'exemple de l'état du Maranhâo, dans le Nordeste brésilien, est significatif de ces processus. L'expansion de la frontière
agricole et l'implantation de méga-projets forestiers ou d'élevage y renforcent la concentration foncière et provoquent l'éviction
des peuples autochtones de leurs terres ancestrales. Les projets miniers-métallurgiques du Programme Grand Carajas entraînent
l'accentuation de la spéculation foncière et l'urbanisation sauvage dans le couloir d'exportation.
Key-words : Pioneer fronts - Land conflicts - Metallurgical mining projects - Land concentration - Violence - Ecological
destruction - autochthonous territories.
Abstract - The crisis of the 1980s and the setting up of economic restructuration policies, implying, in particular, the sale of
public land and the privatization of state companies, have had important spatial implications : pillaging of raw materials,
displacement of the peasant economy, over-exploitation of the uprooted labour foce, destruction of the environment, etc. The
example of the Maranhâo state, in the North-East of Brazil, is significant of these processus. The expansion of the agricultural
frontier and the implanting of huge forestry or animal-raising projects have reinforced land-owning concentration there and have
provoked the eviction of autochthonous peoples from their ancestral homes. The metallurgical mining projects of the Grand
Carajas Programme have led to the accentuation of land speculation and to incontrolled urbanization in the exportation.
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La crise de la dette des aimées 80 avait déjà mené à l'épuisement du M miracle brésilien " de
l'époque des militaires. L'accession du gouvernement élu de Fernando Collor de Mello en 1990
marquera le coup d'envoi de cette transition au régime parlementaire. Un démembrement de l'appareil
d'Etat s'amorce sous la tutelle des bailleurs de fonds. La misère s'étend désormais à toutes les couches
de la société, y compris les "classes moyennes" bénéficiaires du "miracle"... Selon les statistiques
officielles, la pauvreté affecte aujourd'hui environ 80 % de la population brésilienne1.
En milieu rural, notamment dans les grands territoires du Nord-Est et de l'Amazonie, on assiste à
l'amplification de l'exclusion sociale et à la désintégration des structures spatiales. Les politiques
d'ajustement structurel proposées par le FMI et la Banque Mondiale et soutenues par les nouvelles
institutions de la "démocratie" civile auront, dès le début du gouvernement Collor, un impact direct sur
les structures socio-spatiales ainsi que sur la mise en valeur économique du territoire national. Divers
mécanismes économiques et politiques (dont la réforme constitutionnelle et la modification du régime
foncier) sont amorcés.

1. Le cas de l'Etat du Maranhâo.

La restructuration de l'espace, commencée sur le vaste territoire de l'Etat du Maranhâo, permet


d'illustrer l'impact de ce processus de destruction écologique. Situé dans le Nord-Est du Brésil, le
Maranhâo s'étend sur un territoire de 328 663 km2, soit près des deux tiers de la France. Les années 80
ont vu s'accentuer la dégradation des zones rurales de cet état ainsi que le recul de la frontière agricole,
par la suite du développement de mégaprojets forestiers, miniers et agro-industriels.
Le Maranhâo représente un espace de transition entre la zone semi-aride du Nordeste et la région
amazonienne. L'ouest du Maranhâo (incluant une partie du littoral : de Sâo Luis à la frontière du Parâ)
fait d'ailleurs partie de "l'Amazonie légale" (.Amazonia legal)2 . On trouve ici l'une des plus grandes
concentrations foncières du Brésil, marquée par un processus d'expulsion de la petite paysannerie.
Dans ce contexte, l'espace marahense constitue en quelque sorte l' arrière-pays de l'Amazonie ainsi
qu'une réserve de main-d'oeuvre à bon marché. Depuis les années 70, les projets amazoniens ont attiré
une migration croissante de main-d'oeuvre en provenance du Maranhâo notamment vers les mines et les
nouvelles zones de colonisation accessibles par le chemin de fer.

fois
1 Selon
le salaire
l'IBGEminimum
(Institut (environ
brésilien $300
de géographie
par mois).et de statistiques), plus de 80 % des actifs recevaient en 1991 un revenu inférieur à cinq
2 "L'Amazonie
Para, d'Acre, dulégale",
Rondônia,
espace
du Roraima,
de cinq millions
du Tocantins
d'hectares
et du(57Mato
% duGrosso
territoire
du Nord.
brésilien), comprend également les états d'Amazonas, du
107

2. Processus historique du mode d'occupation des terres.

Dès le 17e siècle, furent établies dans le Maranhâo des plantations de coton utilisant une main-
d'oeuvre d'origine africaine. Les Portugais ont également incorporé dans une moindre mesure des
travailleurs autochtones dans les grandes propriétés (fazendas). S 'appuyant sur l'esclavage, ce type
d'exploitation des terres s'établit d'abord à partir du littoral pour s'étendre ensuite vers l'intérieur en
suivant le réseau hydrographique : les colons implantèrent des plantations de coton, de riz et de canne à
sucre le long de la rivière Itapecuru et des vallées du Mearim et du Munim1.
Au début du XIXe siècle, 55 % de la population du Maranhâo étaient composés d'esclaves2. Avec
la libération des esclaves décrétée en 1888, une paysannerie pratiquant la culture de subsistance se
développa à l'intérieur du latifundium. Le travail salarié rural prit ses origines dans le système
esclavagiste. D'autre part, les quilombos (territoires libres des esclaves fugitifs3) ont pu conserver leurs
terres malgré le développement de l'agriculture commerciale (particulièrement dans les vallées
d' Itapecuru, de Mearim et de la Baixada Occidental). Contrairement aux lopins implantés par les
paysans lors des poussées migratoires, les quilombos s'identifient par l'occupation ancestrale de la
terre, sur une base ethnique (identité noire), le système d'usage commun de la terre, le maintien des
traditions culturelles et la reconnaissance d'un territoire commun (appropriation privée accompagnée de
pratiques d'usage commun de la terre4).
Dans le Sud du Maranhâo, l'élevage bovin favorisé par la présence d'immenses pâturages fut
développé dès la fin du XVIIe siècle. La pauvreté du sol ainsi que l'éloignement des centres urbains et
des ports d'exportation n'ont guère facilité le développement d'une agriculture commerciale dans cette
région du "cerrado" (savane).
Caractérisée par sa forêt dense, la région pré-amazonienne (Moyen et Haut Munim, Pindaré,
Tocantins - aujourd'hui devenu un état - et le Haut Turiaçu) devait constituer la dernière frontière
d'occupation du Maranhâo. Les mouvements migratoires vers cette région se sont formés dès le début
du XXe siècle, prenant de l'ampleur dans les années 50 avec l'ouverture du réseau routier.

4mutambo
32.n°1.1991,
termes
surtout
"Garantias
1992,
1 César
Le
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Quilombo
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10-14.
: constitucionais
p.38-47.
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|
108

Avec la rareté des terres dans les zones d'occupation traditionnelle, l'effondrement du marché du
sucre en 1929 ainsi que les grandes sécheresses affectant la zone semi -aride du Nordeste, des milliers de
paysans furent refoulés vers les "terres libres" de l'ouest de l'état. Une paysannerie autonome s'est alors
formée en dehors du système des grandes plantations. Une nouvelle frontière agricole s'établit, basée
sur les cultures de céréales dans la vallée du Pindaré vers Imperatriz et Gurupi1.
Dès les années 50, le développement du réseau routier permettra la pénétration de l'ouest
Maranhâo par les sociétés agro-industrielles et forestières ainsi que par des grands projets d'élevage.
Cette colonisation de l'espace fut appuyée par l'Etat : les politiques du gouvernement fédéral
favorisaient la concentration des terres, notamment au moyen d'une loi de 1950 interdisant la
légalisation des petites exploitations en régime d'occupation ("posses")2.
A partir des années 70, avec l'extension du réseau routier et notamment la construction des routes
reliant les grands centres urbains (la Belém-Brasflia, la BR-316 Teresina-Belém et la BR-22 Santa Inês-
Açailândia), ce processus de concentration des terres prit de l'ampleur. Les grands propriétaires du
Maranhâo ainsi que des sociétés agro-industrielles achètent les "terres libres3" ou en prennent
possession de manière illégale ("grilos4"). Entre 1970 et 1986, 1 525 541 hectares de "terres libres"
furent aliénés en faveur de 63 grands propriétaires.
Depuis les années 80, ces "luttes pour l'espace" s'accentuent avec la prospection minière et
l'arrivée des garimpeiros (travailleurs des mines). Le développement du Programme Grand Carajas
amorcera de nouvelles contradictions socio-spatiales.

3. Le développement du Programme Grand Carajas.

Le territoire du Programme Grand Carajas situé au nord du huitième parallèle entre les fleuves
Amazonas, Xingu et Parnaiba inclut une superficie d'environ 900 000 km (11 % du territoire brésilien).
Ce vaste espace se déploie sur les états du Maranhâo5, du Para et du Tocantins (cf carte).
Les premiers gouvernements militaires (1964-1968) avaient favorisé l'entrée de capitaux étrangers.
En 1966, la United Carbide et la US Steel commencèrent la prospection minière du manganèse dans la
région amazonienne. L'année suivante, une équipe brésilienne de la Brazilian Exploration Programme

2 Ibid.
Rodrigues Viana, op. cit.

543 Le
Terme
Terrain
PGCjuridique
exploité
englobeavec
signifiant
la majorité
un faux
l'extension
dutitre
territoire
de propriété.
territoriale
maranhense.
qui est effectivement occupée par les paysans.
109

(BEP) (une filiale de la US Steel) découvrit d'importants gisements de fer dans la Serra Carajas
(Amazonie)1.

Figure n° 1 : Programme du grand Carajas

AMAPA 230km
Marajo SÀKITA
BF.LEM O) MM1A
seBARCARENA
A

SÀO LOUIS
ALTAMIRA© PARA ® PARAGOMINAS ROSARIO
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MARABA IMPERATRIZ
zone minière
SAO FELIX Province minière iss pôle de transformation
DO XINGU voie ferrée (E.F.C.)
route importante
XINGUARA CAROLINA © ville importante
de Carajas§i$; ____ Grand
limite Carajas
du Projet(P.G.C.)
du
__! PIAUI fleuve

Un véritable pillage des ressources minières de la région amazonienne s'amorce avec l'arrivée de
nombreuses sociétés multinationales. En 1970, la junte militaire invita la Compagnie de la Vallée du
Rio Doce à participer à un "joint venture " : (51 %) avec la US Steel (49 %)2. En 1977, cette dernière
se retira du joint venture et la CVRD devint le principal actionnaire, initiant la même année le projet de
construction du chemin de fer (qui lui fut octroyé par le gouvernement fédéral).
Axé vers l'exportation, le PGC sous la gestion de l'Etat fédéral s'orientera vers la formation d'un
vaste réseau intégré de projets miniers-métallurgiques appuyés par le développement du chemin de fer
et du réseau routier. La transformation de la bauxite en aluminium utilisera l'énergie hydroélectrique

1 La Serra Carajas constitue l'arc de plus de 80 km d'une chaîne de montagne. Voir Jean Hébette, "le programme grand Carajas : un
2défi
"Mégaprojets
Lapour
U.S.lesSteel
communautés
et amérindiens
avait créé 1'amérindiennes
Amazonia
en Amazonie
Mineraçâo
etbrésilienne",
paysannes
S.A. deFrans
XXl'Amazonie
(2)Gistelinek,
: 37-50,orientale"
1990.
Carajâs,Recherches
usinas e favelas,
amérindiennes
Sâo Luisauediteur,
Québec,1989,
numéro
p.56.spécial;
110

produite par le barrage du Tucurui. Le chemin de fer qui relie la Serra Carajas (Para, Amazonie) au
port moderne d'Itaqui (Sâo Luis du Maranhâo) constitue, sur 890 km, l'axe névralgique de ce vaste
territoire permettant le mouvement des marchandises et des travailleurs migrants. La zone ainsi
constituée englobe un total de 25 millions d'hectares. Dans les années 80, ce programme attira plus
d'un million de migrants du Maranhâo et des états du Nord-Est1.
Le tracé du chemin de fer du Carajas traverse précisément la région marquée par les conflits de
terres ainsi que les territoires autochtones ( Gaviôes ). Les posseiros (paysans sans titre de propriété)
d'origines autochtone (caboclos ) et noire sont expulsés, deviennent des boias-frias (travailleurs
saisonniers migrants) ou des salariés dans l'industrie minière. Désormais les latifundia, largement
orientés vers l' agro-industrie et l'élevage extensif, occuperont 90 % de l'espace agricole. Une
spéculation foncière s'amorce également à proximité des grandes routes et du chemin de fer. Une
urbanisation sauvage s'enclenche menant à la formation de villes minières dépourvues de toute
infrastructure.
Trois grands complexes industriels (minéraux-métallurgie, bois-cellulose et construction civile)
furent mis en place sous les auspices du PGC. L'entrée massive dans le Grand Carajas de capitaux
étrangers ainsi que l'importation de technologies contribueront à l'augmentation de la dette externe,
alors que dès 1982, les prix du fer s'effondrent sur le marché mondial. La création du Programme
Grand Carajas (PGC) visait également la "modernisation" de l'agriculture en créant sept pôles de
développement agricole pour l'exportation2.

4. Le corridor d'exportation : le Sud du PGC.

Durant le gouvernement Collor de Mello, la concentration des terres entre dans une nouvelle
phase. Au Sud du Programme Grand Carajas, un véritable " corridor d'exportation" se déploie sur les
états du Maranhâo, du Tocantins et du Goias détruisant flore et faune sur son passage. Ce vaste
territoire de cinq millions d'hectares situé dans le "cerrado" est réservé exclusivement à la
monoculture3. Déboisement et destruction du couvert végétal, ce pillage est réalisé par les familles de
l'oligarchie régionale en alliance avec les intérêts du capital étranger. Dans cette région frontière, la

1 Jean Jacques Sévilla, "Grand Carajas le dernier pachyderme", "Amazonie la foire d'empoigne", Autrement, 49 : 138-147, 1990.

3du
2 Voir
l'International
Leprojet,
gouvernement
"Monoculture
la Compagnie
Development
brésilien
: Dieta
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RioMaranhâo",
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Japonais
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l'étude
Sâo leLuis
un développement
groupe
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de enduvaleur
n°20,
corridor
japonais.
dujuillet
"couloir
d'exportation.
1993,ferroviaire".
p. 18.En charge
En 1986,
de la cette
coordination
étude de
Ill

destruction des petites exploitations agricoles favorisa la suppression des cultures de maïs et de riz au
profit de l'établissement à grande échelle des plantations de soja.
Par ailleurs, les politiques d'ajustement structurel (du FMI), comprenant la libéralisation du
commerce et la déréglementation du marché céréalier, ont eu une incidence directe sur l'articulation de
l'économie rurale du Maranhâo. Avec l'ouverture des frontières, l'économie paysanne est détruite et les
cultures vivrières sont déplacées (remplacées par les importations, notamment de riz vietnamien).

5. La forêt de babaçu : Est du PGC.

L'est de la région du Programme Grand Carajâs, occupé par la forêt de babaçu, a été dévasté par
la coupe de bois et le feu pour faire place au pâturage. Plusieurs milliers d'hectares de cette forêt furent
transformés en savane. Les latifundistes et les grileiros (occupants détenteurs de faux titres de propriété)
expulsent les familles afin de contrôler la commercialisation du babaçu1. Quelques 300 000 familles y
survivent de manière précaire grâce à la culture de la noix de cet arbre (travail ardu exécuté par les
femmes et les enfants) vendue à des intermédiaires pour un prix dérisoire. Mais cette activité est
également en voie d'être supplantée au profit des importations d'huile de palme en provenance d'Asie
du Sud-Est.
D'autre part, en 1992, on favorisa la création de quatre réserves extractives de babaçu dans la
région du Grand Carajas (dont trois dans l'état du Maranhâo). Ces réserves, inaugurées durant le
gouvernement Collor, s'étendent sur une superficie de moins de 0,04 % (36 322 hectares) du total du
territoire du PGC. Superficie négligeable dans la structure foncière régionale, le statut de ces réserves
est néanmoins ambigu et des revendications sociales demeurent : les populations, toujours victimes de
la violence des grands propriétaires, n'ont pas reçu de titre de propriété.

6. Gestion écologique et action de l'Etat.

Les données officielles ne permettent guère d'évaluer l'ampleur des séquelles écologiques au
Maranhâo car les "programmes de reboisement" sont également contrôlés par le clientélisme local,
souvent avec l'appui technique de l'aide internationale. Le programme des "polos florestales " (pôles
forestiers) inauguré dans la Serra Carajas durant le gouvernement du président Collor de Mello

1 Fruit dont on tire de l'huile alimentaire.


112

envisageait, au nom de la protection de l'environnement, la mise en valeur d'un immense territoire


(5 000 krn) en plantation d'eucalyptus pour la production de cellulose en détruisant la flore existante.
Ces méga-projets contribuent au recul de la frontière agricole ainsi qu'au refoulement brutal de
milliers de " posseiros " vers la ville ou les plantations commerciales du Para et du Sud-Est (où les
pratiques de travail forcé et d'esclavage sont en plein essor). Des " aires de colonisation " financées par
la Coopération japonaise (JICA) et la Banque mondiale sont néanmoins prévues afin d'étouffer les
revendications paysannes. La société japonaise Nisso Iwai, en "joint-venture" avec la compagnie Vale
do Rio Doce, sera responsable de l'exportation de la cellulose vers le marché mondial. Des intérêts
scandinaves sont également impliqués dans ce " pillage écologique " 1 . . .

7. Géographie de la violence dans le Maranhâo.

Cette dégradation du territoire est accompagnée par une institutionnalisation de la violence en


milieu rural. Dans les années 80, les "conflits de terres" ainsi que les assassinats de paysans se
multiplient. Les propriétaires terriens font appel aux forces policières et aux tueurs à gages (pistoleiros)
afin d'expulser une paysannerie à majorité noire et autochtone2 .
Ce processus de restructuration de l'espace est appuyé par l'idéologie raciste des élites
municipales. On assiste au déracinement des autochtones ainsi qu'à la suppression de leur identité
culturelle. Expulsés de leurs terres ancestrales, ils formeront désormais une main-d'oeuvre à bon
marché pour les grandes plantations3.
L'Institut National de Colonisation et de Réforme Agraire (INCRA), organisme relevant du
gouvernement fédéral et dont le mandat consiste à redistribuer la terre en faveur de la paysannerie,
semble s'associer davantage aux intérêts des grands propriétaires. D'une part, l' INCRA ne prend
aucune mesure concrète pour pallier à la violence dans les zones d'expropriation ; d'autre part, les
"expropriations" réalisées par cet organisme constituent en réalité des achats de terres (financés par
l'Etat) impliquant une compensation monétaire aux propriétaires fonciers.

Coopération
* Entretien avec
japonaise
un responsable
et le projet
de l'aménagement
Scandinave s'étendent
du territoire.
respectivement
Sâo Luis sur
de Maranhâo,
des territoires
juillet
de 1993.
250 000
Le hectares.
projet CELMAR
Voir également
appuyé par
Céliala
Maria Corrêa Linhares et Maristela de Paula Andrade, "A Açâo Oficial e os Conflitos Agrârios no Maranhâo" Desenvolvimento e
Cidadania, n°4, pp5-10, Sâo Luis de Maranhâo, 1992.
2 José do Carmo Alves Siqueira, "Estado de Imunibilidade Publica", Desenvolvimento e Cidadania, n°10, 1994, pp 9-12.
que
3 Enlaportugais,
transformation
on utilise
des Indiens
le concept
en travailleurs.
de "destribalizaçâo" pour se référer à la perte graduelle de l'identité des nations autochtones ainsi
113

Il vaut d'être mentionné que les programmes de distribution des terres se réalisent dans des espaces
impropres à l'agriculture et démunis d'infrastructure. Par exemple, à Coroata, les cinq zones
expropriées par l'INCRA ne possèdent ni routes, ni infrastructures en eau et en électricité.
Une spéculation foncière s'installe. Avec la crise économique, les fazendeiros n'exploitent plus les
terres et n'investissent pratiquement plus dans l'industrie. Dans la région de Coroata, par exemple, les
latifundistes ne mettent plus en valeur leurs terres. Les paysans sont expulsés ou sont obligés de devenir
locataires. Le maire de Coroata, propriétaire de 2 000 hectares expulsa en 1994 près de 50 000
personnes de ses terres1...
Alors qu'il n'existe pas de données d'ensemble sur la concentration des terres, une étude récente
fait valoir que dans 1 1 municipalités (surtout dans la région pré-amazonnienne : Santa Luzia, Lago da
Pedra, Imperatriz, Açailândia, Bom Jardim et Grajau), quatorze latifundia occupaient au début des
années 90 un espace de 1 676 368 hectares. La société Marflora est, à elle seule, propriétaire d'un
territoire de 74 858 hectares. Plusieurs entreprises étrangères, dont la multinationale allemande Merck,
occupent de grandes superficies de terres2.

8. Les territoires autochtones.

Dans le Maranhâo - tout comme en Amazonie - l'expansion de la frontière économique continue à


favoriser l'éviction des peuples autochtones. " Queimadas " (grands brûlis) de la forêt et méga-projets
empiètent sur les terres ancestrales. Dès le début du régime militaire, les autochtones furent
graduellement repoussés vers des terres improductives. Aujourd'hui, la politique gouvernementale
consiste à les enclaver dans des "réserves"3.
Selon l'article 231 de la Constitution de 1988, le gouvernement fédéral devait procéder à la
démarcation des terre ancestrales dans le cadastre. Dans la pratique cependant, le gouvernement Collor
avait opté pour une stratégie de négociation avec les élites régionales et les sociétés étrangères. Les
frontières des terres ancestrales n'ont guère été respectées : le cadastre fut recomposé en fonction de ces
intérêts économiques. Par exemple, alors que l'Etat reconnaissait la nation des Indiens Krikatis4, les
autorités ont néanmoins autorisé l'accès de ce territoire aux entreprises forestières impliquées dans

321 Voir
4Forging
Alfredo
Entrevues
Signifie
Micheline
Identities
Wagner
"aldeia
avecl Ladouceur,
'association
and
grande"
Berno
Patterns
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"Territorialités
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réalisées
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déjà
noires
Belém,
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Maranhâo
etPress,
Falangola,
mouvements
Toronto,
en juin
on retrouve
1994,
socioculturels
1991.
1994.
329
plusieurs
pages.auposseiros
Brésil" dans
et fazendas.
II Diaz et al (dir.),
114

l'extraction du charbon de bois végétal pour l'exportation, ce qui a favorisé la déforestation ainsi
qu'une plus grande spéculation foncière.
Cette dérogation des droits coutumiers permit à l'Etat - dans le cadre des politiques de colonisation
de l'INCRA - d'allouer des terres à des travailleurs en provenance d'autres zones. Par ailleurs, le
gouvernement favorisa également la vente de terres à l'intérieur des réserves ancestrales. Par exemple,
sur le territoire de la nation Krikati, de nombreuses terres ont été vendues aux enchères à des
entreprises ainsi qu'aux posseiros et garimpeiros (travailleurs du secteur minier). Il est important de
mentionner que la réforme de la Constitution, exigée dès 1991 par le Fonds Monétaire International,
prévoit l'élimination des droits territoriaux des Amériniens et des Noirs...

9. Les territoires "noirs".

Dans le Maranhâo, plusieurs terres ancestrales occupées par les Noirs ont été clairement reconnues
dans la Constitution de 1988 (art. 68). Ces territoires "noirs" ( terras dos pretos) ont une superficie de
plus d'un million d'hectares dans la région du Carajas (soit 1,1 % du total du territoire du PGC dans
l'état du Maranhâo). Ces terres incluent des zones habitées par des familles d'ex-esclaves pratiquant
l'agriculture de subsistance et ayant obtenu un droit d'occupation. Nous retrouvons également les
anciens quilombos (terres entourant les régions minières, telle la vallée de Maracassumé) ainsi que les
terres allouées aux anciens esclaves évadés qui furent intégrés à l'Armée1.
L'Etat avait pour responsabilité, selon la Constitution, d'émettre des titres de propriété aux
occupants de ces terres. Dans la pratique, cependant, on assiste à une spoliation de ces droits. Le
processus d'amendement de la Constitution fut amorcé en novembre 1993 durant le gouvernement
Itamar Franco par l'entremise d'une proposition visant la suppression de l'article 682.

10. Conclusion.

La mise en valeur du territoire ainsi que le pillage des grands espaces du Brésil fait partie
intégrante de la restructuration économique imposée par les bailleurs de fonds. Dans le Maranhâo, la
vente des terres publiques ainsi que la dérogation des droits ancestraux jouent un rôle parallèle à celui

21 Selon
Pour prestation
l'article 68dedeservice
la Constitution
militaire, de
par1988
exemple
: "unedans
propriété
la guerrepermanente
de Balaladaet définitive
(1838-1841).
sera reconnue aux descendants des communautés
de quilombos qui occupent leurs terres, l'Etat ayant pour responsabilité d'émettre des titres de propriété. "
115

de la privatisation des entreprises d'Etat. Ordonnées par les créanciers extérieurs, ces ventes de terres
serviront à assurer le service de la dette.
La gestion macro-économique tend à exacerber les pressions sociales au niveau du territoire.
L'austérité budgétaire fut exigée par les créanciers en contrepartie du rééchelonnement de la dette
extérieure sous le plan Brady (avril 1994). L'établissement d'un fonds social d'urgence financé par les
coupures budgétaires devait permettre de dégager les fonds publics nécessaires pour payer le service de
la dette1.
La gestion du territoire ainsi que l'internationalisation de l'espace s'inscrivent dans la logique des
mesures macro-économiques : pillage à outrance des matières premières, déplacement de l'économie
paysanne, surexploitation d'une main-d'oeuvre déracinée et appauvrie, destruction systématique de
l'environnement biophysique... tout est mis en oeuvre afin de répondre aux exigences des créanciers2.

A1 Voir Michel
O Globo,Chossudovsky
Rio de Janeiro,
"Le8 Brésil,
décembre
sous1993.
les diktats de ses bailleurs de fonds" Le monde diplomatique nov.1993, pp. 10-11.

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