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Les fermes

par tagée s

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étude
2021
AV A N T - P R O P O S
Face aux défis socioéconomiques,
environnementaux et sanitaires qui se posent
à nos systèmes alimentaires, de nombreuses
initiatives collectives émergent depuis une
dizaine d’années. Les plus visibles touchent
à la consommation et la commercialisation.
Des groupements de consommateurs solidaires
de l’agriculture paysanne, des magasins de
producteurs, des épiceries participatives,
des ceintures alimentaires… Des initiatives
collectives se mettent néanmoins également en
place au niveau de la production. Dans cette étude,
nous nous intéressons à l’une des formes qu’elles
peuvent prendre et que nous avons baptisée
« ferme partagée ». En son sein, se déploient des
activités autonomes de production agricole et de
transformation alimentaire, mais qui s’exercent au
sein d’une même ferme, dans un cadre collectif
qui favorise des formes d’entraide et de partage.

...
C’est un sujet assez « hors cadre familial » : manque Nous avons mentionné que histoires et aux récits. Elle est avant
spécifique, ce qui n’est pas d’expérience et inadéquation des le sujet est peu documenté. tout une analyse transversale. Le texte
la coutume des études stages de formation existants, difficultés Comment avons-nous dès est néanmoins agrémenté de paroles,
de SAW-B. d’accès au foncier agricole (terres, lors procédé pour réaliser d’extraits des témoignages. Ils viennent
bâtiments agricoles et logement), accès cette étude ? compléter l’analyse avec les mots de
Pourquoi l’avoir choisi ? Si les fermes limité aux filières de financements celles et ceux qui partagent les fermes.
partagées sont un phénomène émergent et inadéquation des aides agricoles, Celle-ci s’appuie sur les témoignages Lors de nos rencontres, nous avons
et concernent un nombre encore assez grande précarité financière en phase d’une série de personnes impliquées souhaité que les choses nous soient
restreint de personnes, elles semblent de lancement, manque d’outils dans des fermes partagées wallonnes racontées sans détour. Nous avons
aujourd’hui susciter un vif intérêt. À titre d’accompagnement avant et durant et bruxelloises rencontrées au cours garanti une certaine confidentialité aux
illustratif, trois fermes partagées ont le lancement, tests d’activité sous de l’année 2020. Nous nous sommes personnes rencontrées. Nous avons
lancé à l’été 2020 un appel à projets couveuse d’entreprise non adaptés aux entretenus avec une vingtaine de dès lors choisi de systématiquement
commun pour agrandir leur équipe projets agricoles… Nous allons le voir personnes, issues de 12 fermes employer des noms d’emprunt pour
respective de producteurs. Leurs à travers cette étude, ces verrous n’ont partagées. La carte reprise au chapitre 1, les extraits d’entretien que nous
séances d’information ont rassemblé malheureusement pas pris une ride. Il y a p.19 (voir « À ancrages différents, vous partageons.
au total 300 personnes ! Toutefois, cinq ans, émergeait le projet Greenscop, modèles différents », p.15) fait état des
contrairement à d’autres formes de qui visait précisément à s’attaquer de collectifs rencontrés. Par ailleurs, nous Dans cette étude, nous pointons une
coopération émergentes dans le secteur, front à ces différentes problématiques avons également interrogé une série série d’enjeux, de verrous, de défis, de
il existe peu de documentation sur le pour faciliter les installations paysannes, d’organisations de la société civile et risques… À certains égards, la démarche
sujet. À travers cette étude englobante, au moyen d’une entreprise partagée autres experts, afin de recueillir leurs peut sembler froide. Il ne faut pourtant
nous souhaitons apporter notre pierre à visant la mutualisation d’une série de constats et enseignements sur le pas y voir une volonté de se concentrer
l’édifice et soutenir cette innovation. services. En chemin, le projet s’est contexte institutionnel avec lequel les sur le négatif. Au contraire, si nous avons
lui-même heurté à la difficulté d’accès fermes partagées doivent composer. choisi de documenter les obstacles,
Par ailleurs, bien que le sujet des fermes à la terre et s’est réarticulé vers un c’est pour mieux comprendre quels sont
partagées soit pointu, le traiter implique soutien à des activités de transformation L’un dans l’autre, ce sont plus de les leviers. Avec l’intime conviction que
d’aborder bon nombre de sujets plus alimentaire. C’est ainsi qu’est née 30 entretiens qui ont été réalisés pour les fermes partagées sont une piste à
généraux. Pour dresser les enjeux CABAS (Coopérative alimentaire belge mener cette étude. Nous tenons à poursuivre et que, pour le faire bien, il
auxquels ces fermes sont confrontées, des artisan•e•s solidaires). remercier chaleureusement toutes les faut être lucide sur les conditions à réunir.
il a par exemple fallu investiguer personnes qui nous ont ouvert leurs
le thème de l’accès à la terre, qui Derrière tout cela, une conviction : portes et ont pris le temps de discuter Que vous soyez impliqué dans une ferme
concerne l’ensemble du monde agricole. les principes de l’économie sociale avec nous. Cette étude leur doit partagée, que vous soyez en désir d’en
Nous avons également été amenés à et solidaire, que nous défendons au beaucoup. Méthodologiquement, cette créer une ou d’en accueillir une, que vous
interroger les défis qui se posent aux quotidien, sont plus que jamais utiles étude s’appuie en effet essentiellement soyez mandataire public, régional ou
installations néopaysannes, c’est-à-dire pour une transition vers des systèmes sur ces témoignages oraux. Nous nous communal, que vous soyez chercheur sur
de personnes non issues du monde alimentaires soutenables. Il faut créer sommes prêtés à un travail de recueil des thématiques proches, que vous soyez
agricole. Aussi, certains trouveront des organisations qui, aux multiples d’informations et de croisement des travailleur ou membre d’une association
probablement plus d’intérêt dans telle échelons des filières alimentaires, font constats, en essayant de leur appliquer qui travaille sur des questions liées, ou
partie de l’étude, et d’autres dans telle primer la coopération sur la concurrence un recul critique dans la mesure de que vous soyez tout simplement citoyen
autre. Bonne nouvelle : les quatre et, ensemble, peuvent proposer ce que permettent les ressources concerné… nous espérons que cette
chapitres peuvent se lire de manière une alternative crédible. Les fermes disponibles et le temps dont nous lecture sera pour vous l’occasion d’en
relativement indépendante. partagées ont une place à prendre dans disposions. Nous vous livrons les apprendre plus. L’occasion de se réjouir,
cet écosystème. conclusions auxquelles nous arrivons. de s’offusquer, de discuter. Notre souhait
L’intérêt pour ces sujets n’est pas neuf Elles sont une lecture, à un temps le plus cher est que cette étude ne soit pas
chez SAW-B. Il y a bientôt dix ans, donné, sur un sujet en pleine évolution. un objet de bibliothèque, mais serve plutôt
notre ex-collègue, Jean-Marc Zanatta, à déclencher le débat et à soutenir celles
rédigeait pour l’agence-conseil de Nous avons récolté beaucoup de et ceux qui se lancent dans l’aventure.
SAW-B une note qui pointait les témoignages. Et, pourtant, cette étude
difficultés des parcours d’installation ne laisse qu’une place réduite aux Bonne lecture !
Ta b l e d e s m at i è r e s
INTRODUCTION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

I. Partager... mais partager quoi ? .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11


Qu’est-ce qu’une « ferme partagée » ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
À ancrages différents, modèles différents.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Que mutualise-t-on sur une ferme partagée ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Tâches partagées et coordination : qui fait quoi ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Des structurations juridiques variées. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

2. Accéder à l’outil de production :


le parcours du combattant !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
L’accès à la terre, l’éléphant dans la pièce. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Pas qu’un problème de terres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Quel impact pour les fermes partagées ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Que peut-on faire ?.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
Des fermes comme « biens communs » ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

3. Faire collectif ne s’improvise pas !.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67


Se doter d’un référentiel commun.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
Fixer le cadre de la participation : cinq questions à se poser avant de participer. . . . . 72
Comment fait-on au quotidien ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
Coopératives de services ou coopératives autogérées ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
Comment penser l’inclusion future de nouvelles activités ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Soutenir l’accompagnement des collectifs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

4. Devenir paysan : un chemin précaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89


Le paradoxe des fermes partagées : un besoin social fantasmé ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
Difficiles conditions de marché. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
La formation : un enjeu de taille. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Comment se lancer sans couler ? Le rôle possible des coopératives d’activité. . . . . . . 102
L’accès aux aides agricoles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109

Conclusion.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
Notes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Nos rencontres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Notes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
INTRODuction
Une « ferme partagée », qu’est-ce que toutes sortes d’additifs à augmenter
c’est au juste ?! Cette question, il nous leur conservation et à standardiser leur
semble utile de la lier à une autre : à goût et leur apparence.
quoi ça sert ? Commençons donc par
vous livrer l’intérêt que nous voyons L’industrialisation s’est également
dans les fermes partagées, le besoin marquée en aval des filières, dans les
social auquel elles répondent. Pour modes de commercialisation. La grande
ce faire, il faut d’abord toucher un distribution s’est imposée comme la
mot du contexte politique dans lequel nouvelle norme, et le commerce de
les situer. Celui d’un système agro- gros s’est généralisé. Cela a accéléré
alimentaire qui a pris, depuis plusieurs le phénomène de spécialisation des
décennies, une tournure inquiétante. fermes, poussées à adopter des
stratégies de « volume ». Dans le même
La seconde moitié du 20ème siècle a temps, dans un contexte d’extension du
vu une hausse sans précédent de libre marché, les filières alimentaires se
la productivité agricole. C’est dû à sont mondialisées. L’intensification de la
une industrialisation progressive des concurrence a un peu plus poussé à la
activités agricoles. Des machines spécialisation, chaque pays privilégiant
de plus en plus puissantes et de certaines productions, pour lesquelles il
plus en plus spécialisées ont permis dispose d’un « avantage comparatif ». La
de drastiquement réduire la main- part de produits importés dans l’assiette
d’œuvre nécessaire dans les champs. des consommateurs a été décuplée.
Les produits phytosanitaires se sont
multipliés et ont permis de limiter les Ces évolutions ont induit un
pertes. Les engrais chimiques ont phénomène de « concentration » des
permis d’augmenter artificiellement fermes, c’est-à-dire une augmentation
la productivité des sols. La sélection de leur taille moyenne. La Wallonie
génétique a permis de développer des comptait encore 38.000 exploitations
variétés de végétaux et des espèces agricoles en 1980. Ce chiffre est
animales spécifiques aux rendements aujourd’hui de 12.700, soit une
améliorés. Cette agriculture demande division par trois1. Cela signifie que,
une grande quantité d’intrants en Wallonie, 12 fermes par semaine en
externes. On parle d’agriculture moyenne ont été rayées de la carte ces
« intensive ». L’industrialisation de la quarante dernières années. La surface
production s’est, de la même manière, moyenne d’exploitation, elle, a triplé.
opérée pour les produits transformés.
Leurs volumes ont continuellement Aujourd’hui, nous savons que nous
augmenté, leur production a été sommes allés trop loin dans cette voie.
mécanisée, la chimie a contribué via Prise comme le reste de la société

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dans des structures capitalistes les premières victimes de ces utiles de la mécanisation mais ne la vague des départs à la retraite
privilégiant la rentabilité à la qualité, évolutions. Imbriqués dans des filières cède pas à la surenchère d’outils des agriculteurs en fin de carrière,
l’agriculture répond de moins en moins industrielles dont ils n’ont pas les toujours plus puissants et plus et sans repreneur, ne mène pas à
à l’objectif de nourrir les populations manettes, ils ont perdu leur autonomie chers qui nécessitent de s’endetter une aggravation du phénomène de
locales et de plus en plus à celui d’être et sont devenus dépendants des pour répondre à des normes de concentration des fermes ?
concurrentielle à l’échelle mondiale, acteurs en amont et en aval de la production industrielle. Des filières de
quelles qu’en soient les conséquences. production, qui ont tiré les marrons transformation alimentaire artisanales, Pour cela, il va falloir des fermiers !
du feu. Poussés à la spécialisation, libérées des additifs en tout genre. Historiquement, les transmissions
Or, les conséquences sont lourdes poussés à s’endetter pour répondre Des filières alimentaires relocalisées, de ferme ont été concentrées dans
pour la soutenabilité de nos systèmes aux nouvelles normes de production, dont le but premier est de nourrir les le giron familial. Les transmissions
alimentaires, d’un point de vue poussés à s’agrandir, poussés à se populations locales. Des filières de familiales se font aujourd’hui plus
environnemental, social et sanitaire. faire concurrence… Les drames commercialisation en circuit court, rares. Pour développer une agriculture
Les conséquences de l’agriculture économiques et humains se sont qui réduisent drastiquement le paysanne, il faudra créer les
intensive sur l’environnement ne sont multipliés dans le monde agricole, nombre d’intermédiaires. Des conditions qui redonnent confiance
plus à démontrer. Consommation qui connaît des taux de suicide paysans, travailleurs agricoles et aux enfants d’agriculteurs qui auraient
massive d’énergies fossiles pour faire anormalement élevés. Parallèlement, artisans dont l’importance sociale aimé se lancer dans le métier mais
tourner les machines et produire le socle familial des fermes s’est est reconnue, qui ne sont pas n’osent plus. Il faudra aussi compter
les engrais, déforestation, impact fragilisé. Entre 1980 et 2016, la main- réduits à être de simples facteurs sur des personnes non issues du
conséquent des élevages intensifs sur d’œuvre d’origine non familiale est de production. Voilà ce que monde agricole. Dans cette étude,
les émissions de gaz à effets de serre, passée de 3% à 19% en Wallonie2 . nous entendons par agriculture nous les nommons plus fréquemment
perte massive de la biodiversité liée Dans les secteurs demandeurs en agroécologique et paysanne. Par « néopaysans ».
à l’usage de pesticides, épuisement main-d’œuvre, comme le maraîchage, souci de facilité, nous engloberons
des sols à travers les pratiques de l’embauche de main-d’œuvre étrangère dans cette expression les activités Voici le panorama dressé. C’est dans
labour profond et de rotations ultra- sous condition précaire – salaires de transformation alimentaire ce contexte qu’il faut comprendre
simplifiées, pollution des eaux au planchers, risque sanitaire et faible artisanales et parlerons parfois l’intérêt que nous portons à ce que
nitrate due aux engrais de synthèse… protection sociale – est devenue juste d’agroécologie ou nous avons appelé « les fermes
la norme. d’agriculture paysanne. partagées ». Qu’entendons-nous
Les conséquences de l’agro-industrie par là ? Nous définissons la ferme
sur la santé ne manquent pas non L’un dans l’autre, c’est notre sécurité Cette agriculture agroécologique partagée comme un lieu commun de
plus. Taux de cancers élevés chez les alimentaire qui est mise en péril. Que demande plus de travail humain production rassemblant principalement
agriculteurs en raison d’une exposition ce soit à travers les risques sanitaires et un réancrage des fermes dans des activités de production agricole
directe aux pesticides, multiplication et les dommages environnementaux et le tissu social rural. Autrement et de transformation alimentaire,
des perturbateurs endocriniens sociaux, ou à travers notre dépendance dit, une transition des systèmes menées de manière autonome par
liés aux résidus de pesticide dans accrue aux produits importés et à la alimentaires vers un mieux écologique des personnes qui coopèrent à divers
l’alimentation, taux d’obésité, de main-d’œuvre étrangère. et social passe par le maintien et degrés et diverses intensités, à travers
cholestérol, de diabète et de cancer le redéploiement de fermes à taille notamment des mécanismes d’entraide
en hausse continue à cause du sucre Que peut-on proposer en alternative ? humaine ! Or, nous sommes à ce et de mutualisation.
et des additifs employés massivement Une production alimentaire titre à un tournant. Aujourd’hui, en
dans l’industrie de la transformation agroécologique et paysanne ! Wallonie, 69% des agriculteurs ont Les fermes partagées que nous avons
alimentaire, épidémies sanitaires Qu’entendons-nous par là ? plus de 50 ans. Seul un sur cinq a un rencontrées sont, à l’heure actuelle,
favorisées par les élevages intensifs… Une agriculture biologique, qui repreneur identifié pour sa ferme3. principalement portées par des
abandonne la chimie (pesticides et La transmission de ces fermes néopaysans. Profil type ? La trentaine,
Enfin, les conséquences sociales engrais de synthèse) et prend soin devrait être une question politique issu d’un milieu urbain, diplômé, pas
ne doivent pas être oubliées. Les de la vie des sols. Une agriculture majeure pour la politique agricole envie de passer sa vie derrière un
agriculteurs sont bien souvent qui préserve les apports les plus wallonne. Comment fait-on pour que écran. On retrouve dans ces initiatives

6 7
une volonté de faire de l’agriculture vue organisationnel que d’un point les constats qui ressortent de nos agricole et de leurs limites. Nous
paysanne de « taille familiale », qui de vue institutionnel, nous mettons rencontres, et nous y proposons dressons le portrait de la précarité
reprend à l’agriculture familiale une le doigt sur certains leviers d’action, quelques questions clés à se poser financière de ces derniers en phase
idée de solidarité sans pour autant nous nous essayons à la proposition. pour penser la gestion collective de de lancement, et des limites des
le faire dans des schémas familiaux Celles qui touchent à des politiques tels projets. systèmes de « test d’activité » sous
traditionnels. publiques sont reprises en bref dans couveuse d’entreprise pour les
la conclusion de cette étude. Le quatrième et dernier chapitre activités de production alimentaire.
Le cœur de la ferme partagée, c’est revient sur une série d’obstacles Nous discutons, enfin, dans ce
l’idée d’entraide et de mutualisation. Le premier chapitre a pour but de institutionnels aux installations hors chapitre, de l’accès aux aides
C’est à la fois une manière d’éviter mieux comprendre ce que sont les cadre familial. Nous y discutons agricoles et de leur décalage avec
l’isolement et un moyen d’efficacité fermes partagées, et les différentes des parcours de formation pour des les réalités des projets d’installation
économique. L’agriculture paysanne formes qu’elles peuvent prendre. personnes non issues du monde paysans et hors cadre familial.
va à contre-courant des filières de Nous y approfondissons, d’abord, la
production majoritaires. Si bien qu’il définition donnée ci-dessus. Nous
n’est pas facile de s’y lancer seul. y discutons, ensuite, des différentes
Mais, ensemble, on est plus fort ! formes de configurations qui peuvent
C’est la logique des fermes partagées. s’observer au sein d’une ferme
C’est une logique d’économie sociale : partagée. Nous y abordons ainsi
répondre collectivement à des les différents aspects possibles de
besoins sociaux identifiés, au moyen la mutualisation et les différents
d’un projet économique et social. modèles de structuration juridique
Les fermes partagées peuvent observés.
contribuer à répondre au besoin
social de transmission des fermes Le second chapitre s’intéresse à
et de repaysannisation des filières l’accès aux moyens de production.
alimentaires. Nous y traitons en long et en large
de l’épineuse question de l’accès au
Dans cette étude, nous souhaitons foncier agricole. Nous proposons
profiter de l’occasion du regard croisé une lecture des verrous actuels
que nous ont permis nos rencontres concernant l’accès à la terre et de leur
de terrain pour partager les enjeux implication sur la forme que prennent
transversaux qui se dégagent pour le aujourd’hui les fermes partagées.
développement des fermes partagées Nous y proposons également
aujourd’hui. Quels sont les obstacles ? quelques leviers politiques à actionner
Quels sont les leviers ? en la matière. Enfin, nous discutons
dans ce chapitre des modes de
Nous nous préoccupons de deux financement des outils de production
types d’enjeux. D’une part, les enjeux des fermes partagées, et de ce que
endogènes aux fermes partagées, ceux-ci impliquent sur la structuration
c’est-à-dire les défis organisationnels des projets.
internes. D’autre part, les enjeux
exogènes, c’est-à-dire les défis posés Dans le troisième chapitre, nous
par l’environnement institutionnel. investiguons la question des
Parmi ces enjeux, beaucoup ont une dynamiques collectives au sein
portée plus générale que les simples des fermes partagées, les défis du
fermes partagées. Tant d’un point de « faire collectif ». Nous y dressons

8 9
Pa rtag er Accé der à l’outi l Fa i r e C ol l ecti f D ev eni r Paysa n

Partager…
mais partager quoi ?

1
Qu’est-ce qu’une « ferme partagée » ?.. . . . . . . . . . . . 12

À ancrages différents, modèles différents. . . . . . . . 15


Qui a créé la ferme ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Où s’est implantée la ferme ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Des formules qui se cherchent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

Que mutualise-t-on sur une ferme partagée ?. . . . . 19


Un lieu commun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Partager le travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Un réseau de sympathisants .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Partager les savoir-faire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Se prêter du matériel et des outils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Commercialiser ensemble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Le support à la production . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Des synergies entre activités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
L’investissement dans les outils de production . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Partager les revenus ? .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Tâches partagées et coordination :


qui fait quoi ?.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Se répartir le travail ou le déléguer ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Financer le travail de coordination et de développement . . . . . . . 31

Des structurations juridiques variées. . . . . . . . . . . . . 33


Une unique structure juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Pluralités d’entités juridiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

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Qu’est-ce que qu’on fait sur une ferme fondatrices de la ferme impactent > P
 rincipalement de la production dernières, nous les appelons plus
partagée ? Qu’est-ce qu’on y partage ? sa configuration. On profitera de cette agricole et de la transformation volontiers « fermes collectives ».
Dans quel cadre juridique les activités section pour introduire brièvement alimentaire. Ceci souligne ce qu’est
de la ferme s’opèrent-elles ? la diversité des collectifs rencontrés. le cœur économique de la ferme > U
 n lieu commun. Les différentes
L’ampleur des possibles est partagée, mais ne ferme pas la porte activités sont menées au sein d’une
conséquente : l’objectif de Par la suite, selon une analyse à d’autres activités. On y trouve ferme commune. Il ne s’agit pas de
ce chapitre est de permettre à davantage transversale et anonymisée, parfois des activités d’accueil de « coopérations territoriales » entre
chacun de s’approprier cette nous parcourons les multiples aspects vacanciers ou de groupes, d’artisanat fermes distinctes. Ici aussi, la frontière
multiplicité des réalités. que les fermes partagées peuvent non alimentaire, de formation, ou peut s’avérer plus ou moins épaisse.
choisir de mutualiser : en passant encore des animations festives, Des coopérations territoriales de forte
Avant toute chose, nous vous par des formes de mutualisations un lieu de rencontre citoyen. proximité et entretenant des rapports
proposons de spécifier davantage ce légères, tel le partage d’un réseau de Toutes sortes d’activités qui sont assez denses peuvent s’approcher de
que nous entendons, et n’entendons bénévoles, à des mutualisations bien historiquement présentes dans les ce que nous essayons de décrire.
pas, par ferme partagée. Nous plus conséquentes, tel un financement fermes et sont partie intégrante d’une
soulignons ensuite la diversité des partagé d’investissements. paysannerie au sens large. Nous > D
 es mécanismes d’entraide et de
configurations de fermes rencontrées. n’étudions toutefois pas des projets mutualisation. Ce dernier élément est
Dans les champs, les collectifs des Toutes ces mutualisations et formules où la production alimentaire constitue probablement le cœur du sens de ces
fermes partagées rassemblent des d’entraides ne sont possibles que une dimension purement annexe projets. C’est ce que doit permettre,
producteurs et parfois également l’une parce que l’une ou l’autre personne à ces autres dimensions, aussi fondamentalement, le collectif. D’une
ou l’autre personne spécifiquement les coordonne au quotidien. Nous intéressantes soient-elles. part, les divers objets de mutualisation
en charge de la coordination des verrons les choix posés par les fermes sont vus comme un moyen d’efficacité
différentes activités de la ferme. rencontrées pour assurer ce travail de > D
 es productions portées par des économique pour des projets qui se
Bien d’autres parties prenantes coordination et les difficultés qu’elles personnes distinctes et autonomes. veulent socialement et écologique-
gravitent toutefois autour de ces rencontrent pour le rémunérer. Coexistent donc plusieurs projets ment irréprochables et qui, étant
fermes : propriétaires, citoyens- économiques distincts qui forment un donné les conditions de marché dans
sympathisants, investisseurs, etc. Le chapitre se clôture sur la diversité ensemble cohérent, portés par des lesquelles ils opèrent, ont tout intérêt à
Nous verrons combien l’identité et des structurations juridiques que personnes qui pensent leur activité, partager des coûts pour solidifier leur
la volonté des parties prenantes nous avons rencontrées. la mènent et en tirent leurs revenus viabilité économique. D’autre part, le
de manière relativement autonome. collectif est vu comme un moyen d’évi-
Même si la frontière n’est pas rigide, ter l’isolement et plus généralement

Qu’est-ce qu’une « ferme partagée » ? il ne s’agit pas de fermes communau-


taires où l’entièreté des productions
d’améliorer ses conditions de travail.
Les fermes partagées permettent un
et des revenus est intégrée et où travail davantage compatible avec une
l’ambition de vie communautaire sur vie familiale et sociale, des tâches phy-
Avant toute chose, il est important de les lieux est pensée comme insépa- siques allégées grâce à l’entraide, un
bien cadrer ce que nous allons analyser rable de l’activité économique. Ces
dans cette étude, pour en délimiter le « On a une activité
périmètre. Qu’entendons-nous exacte-
rmes partagées
maraîchère à deux.
ment par « ferme partagée » ? Commen- On est un collectif, au sein
Fermes collectives, fe rritoriale :
et coopération te
çons par étayer les différents aspects qui d’un collectif. On monte un
la caractérisent : projet entrepreneurial à deux. Mais
> P
 lusieurs activités de production.
derrière on fait partie d’un collectif quelques différences
au sein duquel on peut partager des
Nous n’analysons pas ici des activités
choses, s’entraider. Pour nous, c’est
de production menées à plusieurs,
comme, par exemple, trois maraîchers important : au-delà du maraîchage, Fermes Fermes Coopération
qui décident d’entreprendre une il y a d’autres perspectives, il y a collectives partagées territoriale
activité commune et intégrée4. Nous une vision plus large qui offre plein
analysons plutôt des projets où une de possibilités, tant sur l’aspect un même lieu un même lieu des lieux différents
activité de maraîchage coexiste avec humain que dans le matériel, avec
une activité de bergerie, de fromage- un engagement politique, social,  ntièreté de
e  roduction portée
p  roduction portée
p
rie, d’élevage de poulets, de boulan- éducatif… Moi, c’est surtout ça qui la production par des personnes par des personnes
gerie… Ce qui n’empêche pas que, m’anime, au-delà du fait que j’adore portée distinctes et distinctes et
au sein de ces dernières, on puisse collectivement autonomes autonomes
cultiver, que j’adore travailler la
avoir des projets menés à plusieurs et terre. » Alice*, productrice
tombants sous ce double registre.
12 * Tous les prénoms avec astérisque sont des prénoms d’emprunts 13
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soutien moral considérable, un accès


facilité aux savoirs et aux possibilités À ancrages différents,
d’innovation, etc. Des conditions de
travail précaires, en particulier lorsque modèles différents
celles-ci s’accompagnent de faibles
revenus, sont un motif fréquent de
souffrance et in fine d’abandon. On Ressort de nos rencontres le constat un cadre propice pour des installations
retrouve dans ces initiatives de fermes d’une hétérogénéité assez marquée paysannes. Ce genre de démarche peut
partagées une volonté de faire de des configurations de fermes parta- tantôt être le fait de propriétaires qui sou-
l’agriculture de « taille familiale », d’y gées. C’est sans doute le propre d’un haitent mettre à disposition leurs terres et
reprendre une idée de solidarité sans phénomène émergent, fait d’initiatives infrastructures (voir chap.2, « Les proprié-
pour autant le faire dans des schémas sans cadre « tout fait », qui se testent taires qui veulent changer le monde : la
familiaux traditionnels. et s’adaptent au fil des expériences. solution ? », p.54), comme c’est le cas pour
Chaque ferme partagée a son histoire, la Ferme de Froidefontaine ou de Perma-
faite de développements progressifs qui projects ; tantôt être le fait d’un réseau local
Nous proposons ainsi de définir la mènent aux formules respectives telles de citoyens engagés comme c’est le cas du
« ferme partagée » comme un lieu qu’elles sont aujourd’hui et dont il y a fort projet Espaces’Ter impulsé par la coopéra-
commun de production rassemblant à parier qu’elles évolueront encore dans tive Invent’terre, pépinière de projets elle-
principalement des activités de les années à venir. Sans s’essayer à la même issue de la dynamique citoyenne
production agricole et de transformation typologie – un exercice qui nous semble territoriale du Réseau Aliment-Terre de
alimentaire, menées de manière prématuré étant donné l’échantillon res- l’arrondissement de Verviers (RATaV).
autonome par des personnes qui treint et la relative jeunesse des collectifs
coopèrent à divers degrés et diverses rencontrés –, nous aimerions dans ces Dans d’autres situations encore, la
intensités, à travers notamment quelques paragraphes mettre des mots dimension « ferme partagée » vient
des mécanismes d’entraide et de sur l’hétérogénéité des configurations s’adosser à un projet plus large d’habitat
mutualisation. rencontrées et pointer deux facteurs qui groupé, qui souhaite permettre en son
nous sont apparus tout particulièrement sein des activités de production, comme
structurants: l’identité et la volonté initiale c’est le cas de la Ferme de Vevy Wéron
des fondateurs, et le contexte socioéco- ou de L’Arbre qui pousse.
nomique et territorial de la ferme.
Souvent, on observe des configurations
« Depuis que je suis Qui a créé la ferme ? hybrides entre ces différents pôles. Une
gosse, je suis passionné par dynamique citoyenne d’exploitation d’un
le milieu agricole. Mon grand-père Comparées au standard de la « ferme terrain en friche au sein de laquelle se
était agriculteur, un petit agriculteur familiale », les fermes partagées sont dégagent des projets professionnels
souvent le fait d’une pluralité de parties autonomes, par exemple, dans le cas de
de village. Mon père n’a pas repris
prenantes, aux motivations variées, ce qui la Ferme du Chant des Cailles. Ou, comme
parce que ça n’avait pas de sens à
influence leurs développements respectifs. pour Graines de Vie, une coopérative
l’époque de reprendre une petite qui naît d’une rencontre d’un groupe
exploitation. De mon côté, j’ai gardé Cela peut d’abord être l’initiative des pro- de « Villes en transition » menant déjà
le virus, j’ai toujours eu envie de ducteurs eux-mêmes, qui forment un col- d’autres activités dans le champ de la
travailler là-dedans. J’ai essayé de lectif et cherchent du foncier agricole et transition alimentaire et d’un propriétaire
reprendre une ferme quand je suis des moyens de financement pour mener terrien, impliqué dans la dynamique locale.
sorti de mes études. Puis quand j’ai à bien leur idée de ferme partagée. C’est Ou encore, pour la Ferme des Coquelicots,
vu la somme astronomique qu’il fallait par exemple le cas de La Finca, dans une de la rencontre entre deux producteurs
pour se lancer, j’ai dit : laisse tomber ! certaine mesure de Cycle Farm, ou – à sa cherchant un lieu d’installation, et qui
Quand j’ai reçu la newsletter d’une création il y a une trentaine d’années – de croisent le chemin d’un agriculteur installé
ferme qui recherchait des projets et la Ferme du Hayon. en fin de carrière, avec lequel se lance une
garantissait un accès à la terre, je dynamique de ferme partagée, dans une
me suis dit que c’était l’occasion de Dans d’autres configurations, la dynamique optique de possible transmission de ferme.
foncer ! » Aurélien*, producteur est inverse. Des personnes n’ont pas la
perspective d’elles-mêmes se lancer dans L’identité des parties prenantes à la créa-
un métier de production, mais identifient tion de la ferme partagée a forcément un
les nombreux verrous qui se présentent impact sur le modèle qui s’y développe.
On retrouve sur les fermes partagées, comme ici à la Ferme des aux personnes qui souhaitent se lancer. Identifions quelques tendances – des
Coquelicots, une diversité d’activités de production qui se côtoient. Elles souhaitent alors mettre en place tendances observées qui ne sont donc

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ni des vérités absolues, ni une typologie. voire dans certains cas une mutualisation
Dans le configuration de producteurs plus poussée du travail et des revenus. Ou
qui s’adossent à un habitat groupé par encore, quand des producteurs s’ins-
Repas de midi à L’Arbre exemple, les mutualisations ont tendance tallent sur une ferme existante aux côtés
qui pousse, partagé entre à se concentrer sur les partages informels d’un agriculteur de métier avec 30 ans
le collectif et un groupe que permet la cohabitation de plusieurs d’expérience, les échanges sont assuré-
de demandeurs d’asile en activités sur un même lieu, et les activités ment différents de ceux observés auprès
séjour immersif à être pleinement autonomes dans leurs de collectifs de producteurs avec peu ou
à la ferme. investissements, leurs revenus, et à ne pas pas d’expérience.
avoir de coupole juridique commune. Une
ferme partagée pensée pour les produc- Où s’est implantée
teurs mutualise des choses différentes, la ferme ?
et de manière différente, qu’une ferme
pensée par les producteurs. Les projets L’ancrage socioéconomique et géogra-
qui se veulent pensés pour lever les freins phique de la ferme, son écosystème
à l’installation de jeunes producteurs – territorial, a également son lot de consé-
mais gérés par des personnes n’ayant pas quences sur les configurations possibles.
de projet propre d’activité de production Si le territoire regroupe de nombreux
– ont plus souvent pensé des régimes citoyens déjà fortement sensibilisés aux
de mutualisation plus formels (tels que enjeux de transition alimentaire, la ferme
l’investissement ou le support administra- peut plus facilement constituer un réseau
tif et comptable), des structurations juri- partagé de consommateurs, par exemple,
diques plus complexes, et ont tendance à et donc développer des circuits partagés
avoir un coordinateur qui gère les tâches de commercialisation directe, ou encore
de support et les missions de coordination bénéficier de coups de main bénévoles.
de la ferme. Quand le collectif préexiste à L’ancrage dans une communauté locale
la création de la ferme et que les produc- peut par ailleurs donner des opportunités
teurs sont aux fondements du modèle de en termes d’accès à des infrastructures
ferme partagée, émergent plus facilement (un sympathisant qui loue un local à prix
des formes plus communes de coordina- réduit, par exemple), ou parfois carré-
tion et de gestion des tâches de support ment en termes d’acquisition foncière
à la production et à la commercialisation,

en tit é et m ot iv at io n des parties prenantes


Id e partagée…
à la création de la ferm
quelques tendances
Fermes partagées
Fermes partagées créées par d’autres parties prenantes
créées par les producteurs (propriétaires, fonciers, réseaux de citoyens,...)
et pour les producteurs et pour les producteurs

Mutualisation formelle et informelle Mutualisation formelle

Structuration juridique simplifiée Structuration juridique complexe

Autonomie des activités partielles Autonomie forte des activités

Coordination partagée Coordination déléguée

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ferme d’un agriculteur de métier. Ou imaginé un type de structuration


encore La Finca, initialement développée juridique robuste, mais complexe,
par un couple de maraîchers, qui a avant de l’assouplir face aux besoins de
accueilli de nouveaux producteurs certaines des activités se développant
salariés, et qui a maintenant opéré un sur la ferme. Ou, enfin, la Ferme du
basculement en société coopérative Hayon qui s’était lancée il y a une
afin de pleinement intégrer ces derniers trentaine d’années sur les bases d’une
dans la gouvernance formelle de la ferme collective très communautaire,
ferme partagée. Citons aussi la Ferme que des enjeux de relations humaines
de Froidefontaine, qui, dans un objectif a fait exploser, et qui a évolué vers la
de réplicabilité de son modèle, avait coexistence de deux activités agricoles
aux mutualisations plus distantes, avant
d’aujourd’hui penser l’intégration de
rtagées nouveaux projets avec des
Les fermes paées formes de mutualisation
rencontr renforcées.

La Finca
Ferme du Chant
des Cailles Graines de Vie
Espaces’Ter

Sur La Finca à Wezembeek-Oppem, Cycle Farm


des bénévoles effectuent leur ‘Minga’ :
ils partagent le travail du collectif 4h site de la
par mois et bénéficient en échange de Papelotte,
Ferme des Permaprojects Jardins d’Arthey
25% de réduction dans les magasins Coquelicots
de La Finca.
et d’investissements quand les citoyens
locaux participent directement au finan- L’Arbre qui pousse
cement de la ferme partagée. La situation
Ferme de
géographique de la ferme a également un Elles testent. Et, pour beaucoup, elles Ferme de Vevy Wéron
Froidefontaine
impact sur son développement. En milieu évoluent avec le temps. La plupart des
urbain, il est par exemple difficile de fermes partagées rencontrées nous a
développer une ferme incluant un projet témoigné d’évolutions plus ou moins
céréalier ou d’élevage. Si, à l’extrême site de la Préale, Permaprojects
marquées dans leur modèle au cours
inverse, on s’établit dans un milieu rural de leur courte histoire. La coopérative
relativement isolé des villes, il est par Jardins d’Arthey, par exemple, est
exemple plus compliqué de développer passée d’un modèle de développement
certaines voies de commercialisation di-
recte ou de recevoir l’appui de bénévoles
bénévole d’activités en espérant les Que mutualise-t-on Ferme du Hayon

et autres stagiaires, que ce qui s’observe


en milieu urbain ou périurbain.
voir un jour se professionnaliser, à un
modèle d’installation de producteurs
professionnels dans un cadre collectif
sur une ferme partagée ?
aux mutualisations soutenues par un
Des formules travail de coordination rémunéré. Autre Que peut-on bien mutualiser au sein l’on s’échange, et une présence réci-
qui se cherchent exemple, la Ferme des Coquelicots, dont d’une ferme partagée ? Énormément de proque qui endigue l’isolement. Troisiè-
l’actuelle dynamique collective est née choses ! Premièrement, c’est le principe mement, une série de tâches de support :
La pluralité des configurations renvoie, de l’arrivée de deux néopaysans qui même de la ferme partagée, le lieu : les la comptabilité et la communication,
au-delà des contextes spécifiques, à sortaient d’une mauvaise expérience de terres et les bâtiments. Deuxièmement, par exemple. Quatrièmement, en aval de
la réalité d’un phénomène émergent deux années au sein d’un autre projet ce qui découle le plus mécaniquement du la production, des canaux de commercia-
fait de collectifs qui cherchent la d’installation dans un cadre partagé, fait de travailler sur un lieu commun : les lisation. Cinquièmement, des formes
formule adéquate sans énormément de et qui ont trouvé une formule bien plus outils qu’on se partage, les coups de main plus engageantes de mutualisation :
références auxquelles se raccrocher. appropriée dans l’installation sur la que l’on se donne, les connaissances que les investissements et les revenus.
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Afin de mieux saisir ce que sont les souhaitant s’installer. Pourquoi ? Le Partager le travail « Philippe*, comme
fermes partagées, et les différentes marché des acquisitions de foncier il avait un élevage
configurations qu’elles peuvent prendre, agricole est hors de prix, déconnecté Partager une ferme, on imagine assez avant, il sait traire les chèvres.
nous proposons de parcourir les de la production. Et les opportunités aisément que cela passe par se donner Du coup, on peut partir en vacances
différentes formes de mutualisation de louer des terres dans de bonnes des coups de main. Le maraîcher qui 15 jours, ce qu’on n’a pas fait pendant
observées sur les fermes partagées. conditions (celles d’un « bail à ferme », nourrit les brebis quand le berger prend des années. » Bertrand*, producteur
Ce sont les briques à disposition pour qui s’envisage sur le long terme) sont de des vacances, ou réciproquement le ber-
construire l’édifice commun. Ce sera moins en moins fréquentes. C’est, à vrai ger qui arrose les légumes du maraîcher
l’occasion, aussi, de relever quelques dire, un verrou absolument central pour quand celui-ci est de sortie. Ou encore Une organisation plus collective du
pratiques intéressantes, mais aussi l’émergence de nouvelles générations l’organisation par les producteurs d’un travail, qui va au-delà des coups de
quelques pièges spécifiques à l’une ou de producteurs. Nous revenons en chantier collectif pour aider l’un d’entre main ponctuels, est par contre peu
l’autre de ces formes. long et en large sur cette épineuse eux qui rencontre des difficultés. Ce fréquente. Une activité autonome de
question dans le chapitre 2, qui lui est sont des arrangements très fréquents, la ferme peut parfois être portée par
Dans la pratique, comme nous allons le entièrement consacré. souvent informels. Si cela peut paraître plusieurs personnes (et non une per-
voir, chaque type de mutualisation peut bien peu, les coups de main ponctuels sonne unique), mais le partage du travail
aller plus ou moins loin, et chaque ferme Pour l’heure, gardons en tête que et autres échanges de bons procédés s’arrête à l’activité en question. Au sein
élabore sa propre recette, sa propre le résultat de cet accès verrouillé sont, selon nous, un atout majeur des des fermes partagées, le travail com-
combinaison de ce qu’elle souhaite faire est la multiplication des bricolages. fermes partagées par rapport à une ins- mun se concentre plutôt sur les choses
en commun. On observe à peu près autant de tallation seul. Dans le cadre de métiers qui concernent l’ensemble du collectif.
configurations d’accès au foncier (et très prenants, cela permet de s’octroyer Ranger et nettoyer un espace partagé
Un lieu commun de propriété du foncier) que de fermes plus facilement des moments de répit. qui sert à tous, par exemple. Les pro-
rencontrées. Quelle que soit la solution Cela participe par ailleurs à endiguer la ducteurs mènent parfois ensemble des
Par définition, la ferme partagée trouvée, l’accès à un lieu commun est au problématique de l’isolement. Si chaque chantiers d’animation : une journée porte
partage un lieu commun. L’accès à une fondement même de la ferme partagée. producteur est autonome et responsable ouverte, un festival, etc. Ce que nous
ferme et à des terres est loin d’être C’est toujours le premier objet de de son activité, il sait qu’il peut compter n’avons pas observé au sein des fermes
évident pour des jeunes producteurs mutualisation : l’espace. sur les autres en cas de besoin. partagées, c’est du travail collectif entre

Le site de la Préale, dans le Condroz,


de Permaprojects.

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les différentes activités autonomes de la il est parfois plus simple de faire appel à
ferme. C’est une spécificité de la ferme des bénévoles qui ont un peu de temps
« partagée », où l’autonomie des diffé- à donner. À l’inverse, sur une autre ferme
rentes activités est généralement assez rencontrée, les producteurs en sont
marquée, par rapport à la ferme « col- venus à avoir des échanges récurrents
lective » (selon la terminologie que nous qu’ils n’avaient pas imaginés au préa-
avons décidé d’employer ; voir chap.1, lable, et ont décidé de fonctionner via un
« Qu’est-ce qu’une ferme partagée ? », système de facturation des prestations
p.12), où le travail sera plus globale- de services entre eux.
ment pensé en collectif, l’ensemble des
producteurs s’identifiant et participant Un réseau de
davantage à l’ensemble des activités de sympathisants
la ferme.
Les fermes partagées mutualisent
souvent un réseau. Un réseau de
consommateurs, mais aussi parfois
« Avec l’ensemble un réseau de personnes prêtes à venir
des producteurs ici, on complète donner un coup de main quand néces-
nos pratiques. Moi, par exemple, je saire. L’effervescence qui encadre une
peux aider les maraîchers en travaillant ferme partagée peut parfois mener à
leurs parcelles. Ils travaillent sur de pe- la création d’une réelle dynamique de
tites surfaces. S’ils doivent commencer citoyens locaux qui soutiennent acti-
à tout préparer à la main ou avec leurs vement la ferme. Parfois, à l’inverse, le
petits outils, ça leur prend une journée. réseau commun est surplombé par le
Avec mes outils qui sont prévus pour fait que chaque producteur a son réseau
les plus grandes surfaces, je peux faire déjà bien établi de fidèles (ses amis, sa
le travail de préparation des sols en une famille, etc.) et l’énergie collective néces-
saire à faire émerger un réseau partagé
heure. » Naël*, producteur
apparaît redondante.

L’engagement collectif d’un ouvrier agri-


cole pour travailler sur plusieurs activités « Ces bénévoles, ce sont vraiment
de la ferme n’a pas non plus été observé des gens qui sont corps et âme Chantier partagé avec des bénévoles
dans les fermes rencontrées. L’intérêt dans le projet. Cette année-ci, deux à L’Arbre qui pousse.
de mutualiser du travail saisonnier personnes se disputaient presque
nécessite une complémentarité dans les pour savoir qui allait nous aider
besoins spécifiques des différentes acti-
à nourrir les animaux pendant
vités. Ce genre de mécanisme s’observe le producteur en fin de carrière avait « Le maraîcher de la ferme teste
l’hiver ! » Augustin*, producteur
plus facilement sur des échelles territo- vendu son troupeau et drastiquement des légumes sur une petite surface.
riales plus larges. Des « groupements réduit ses activités sur la ferme. Sous On considère ça comme un petit
d’employeurs » commencent ainsi à l’impulsion collective nouvelle, il a laboratoire et on se partage les
s’envisager au sein de ceintures alimen- Partager repris du plaisir à mener des activités frais. Je vois du coup comment
taires, comme c’est par exemple déjà le les savoir-faire agricoles, converti une partie de ses se comporte la culture et, si ça
cas chez Paysans Artisans, en région terres en bio, diversifié ses activités de
Parmi les nombreuses mutualisations
fonctionne, je peux la faire sur
namuroise5. production, et a pu redévelopper une
informelles, on observe des échanges une surface un peu plus grande. »
dynamique sociale autour de la ferme.
Les modalités de l’entraide dans la de savoirs, de techniques, de trucs et Nadège*, productrice
production ne sont pas toujours évi- ficelles. Parmi les fermes rencontrées, un Les échanges de savoirs passent aussi
dentes à penser en amont du lancement exemple marquant est celui d’une ferme par des expérimentations partagées sur Plus rarement, les échanges de savoirs
d’une ferme partagée. Nous avons ainsi rassemblant des producteurs non issus la ferme. Par exemple, un maraîcher et et pratiques se font de manière formelle,
rencontré plusieurs collectifs qui souhai- du monde agricole et un producteur en un producteur de légumes de grandes via de la prestation de services. Dans
taient initialement instituer des chantiers fin de carrière. Ce dernier partage ses cultures (pommes de terre, oignons) une des fermes rencontrées, les
collectifs fréquents entre producteurs, compétences précieuses pour les pre- testent ensemble de nouvelles cultures producteurs font appel ensemble à
mais qui ont laissé tomber cette idée au miers. Mais l’apport va également dans et se répartissent ensuite la production des experts techniques qui viennent
fil du temps. Chaque producteur étant l’autre sens. Avant l’arrivée sur la ferme en fonction des spécificités techniques régulièrement faire un tour des
déjà bien occupé avec sa propre activité, de deux jeunes pleins de projets, de leurs activités respectives. différentes activités de la ferme.
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Se prêter du matériel situations où il est nécessaire que la tâche


et des outils soit réalisée directement par la personne « On a le projet d’aménager une halle
qui maîtrise l’outil. « Les légumes de rurale. Le concept de halle, qu’on voit
Il est fréquent que les producteurs se l’épicerie ne sont pas ceux des partout dans les villages français, on
prêtent du matériel. Le partage de « petit Commercialiser maraîchers de la ferme ! C’est trop en a extrêmement peu en Belgique. On
matériel » (une remorque ou une scie ensemble de boulot pour eux de faire toutes des n’a pas cette tradition. Mais si on veut
circulaire, par exemple) fait partie des petites factures et ils préfèrent vendre favoriser les circuits courts, il faut
nombreuses solidarités naturelles que l’on Partager des canaux de commercialisa- en direct. Tout part au marché où ils avoir des lieux à la fois conviviaux où
retrouve sur les fermes partagées. Cela tion est quelque chose de courant quand vendent très bien. » Henri*, fondateur les gens viennent parce qu’ils ont accès
s’organise la plupart du temps de manière on partage une ferme. Il peut s’agir aux produits locaux, mais surtout
complètement informelle. Toutefois, le prêt d’un magasin à la ferme, mais aussi de
parce que c’est sympa. L’idée, c’est de
de matériel peut vite devenir source de marchés ou de groupements d’achat....
faire une halle polyvalente, où il y a
tension quand les manières d’en prendre Dans des modèles économiques qui
« Le jour où on change notre de la commercialisation, mais aussi
soin ne sont pas les mêmes pour tous. Du reposent en partie sur une commer-
cialisation directe du producteur au camionnette partagée, il faudra accueillir d’autres types d’événements.
partage de matériel plus professionnel
consommateur, le temps consacré aux bien la choisir pour réussir à On voudrait monter ça sous la forme
et coûteux existe aussi et peut permettre
des économies d’échelle appréciables. activités de vente est conséquent et peut combiner les transports. d’un projet coopératif avec d’autres
Une cuisine professionnelle peut servir à efficacement être partagé et, ainsi, réduit C’est un peu technique, parce gens dans la région. On a l’air isolé
plusieurs producteurs, par exemple. Autre pour chaque producteur. Se relayer pour qu’on ne transporte pas de la comme ça… mais dans un rayon de
exemple, un producteur de céréales a des tenir un magasin à la ferme permet par viande dans la même camionnette 10 kilomètres autour de la ferme, il
machines agricoles qui s’avèrent utiles exemple d’écouler ses produits sans se que les légumes, que du pain… y a pratiquement 30.000 habitants !
au maraîcher pour la préparation de son tuer à la tâche. On observe également ça demande des aménagements On est donc très accessible en fait. »
sol. Pour le partage ou le prêt de matériel des synergies dans la logistique liée à particuliers. » Olivier*, producteur Nadia*, propriétaire, fondatrice
professionnel et coûteux, il est souhaitable la commercialisation : une camionnette et coordinateur et coordinatrice
de davantage formaliser les choses. partagée, un producteur qui embarque
Un problème est vite arrivé (mauvaise les produits d’un autre pour une livraison
utilisation par manque de formation, casse commune, etc.
liée à l’usure ou à un mauvais usage/
entretien) et peut mettre dans l’embarras Si des synergies dans la commerciali-
les producteurs concernés, voire abîmer sation sont possibles, il ne faut pas non
plus les idéaliser. Dans la plupart des Le magasin des
leur relation. Sur une ferme rencontrée,
fermes interrogées, les producteurs Jardins d’Arthey.
le prêt informel de matériel coûteux a
généré des tensions. Pour pallier ce genre restent responsables d’une grande
de difficultés, l’équipe a mis sur pied une partie de leur commercialisation et
convention pour encadrer l’utilisation de développent leurs canaux propres.
matériel et s’est mise d’accord sur les Pour toutes sortes de raisons pra-
tiques, la commercialisation est parfois
partagée par quelques activités de la
ferme uniquement. Le potentiel de la
Savoir commercialisation en vente directe en
faire commun dépend fort de la complémen-
tarité des produits. Les différences dans
les volumes de production impactent
par ailleurs les possibilités d’écouler
... Matériel ensemble : si, par exemple, un produc-
et outils teur produit des tonnes de pommes de
Lieu terres, certaines pourront compléter les
paniers de légumes du maraîcher, mais
commun l’essentiel devra être écoulé par d’autres
voies. Enfin, la logistique commune de
livraison n’est pas aussi aisée que ce
que l’on pourrait penser en raison des
contraintes différentes (modalités de
Revenu Commerce conservation, volumes, respect des
règles de sécurité alimentaire imposé
par l’AFSCA, etc.).
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Le support à tant pour des modèles qui privilégient L’investissement


la production autant que possible la vente directe. « Ce qu’on veut, à un moment donné, dans les outils
C’est une tâche qui demande des c’est avoir des produits qui impliquent de production
Gestion administrative, comptabi- compétences spécifiques et qui peut plusieurs ateliers. Le boulanger utilise
lité, communication… Les tâches de s’avérer chronophage, à l’heure de la les œufs de mes poules pour faire ses
multiplication des médias de commu- Partage-t-on le financement de
support à la production et à la com- cramiques et ses craquelins. Là, on l’outil de production dans une ferme
mercialisation au sein des fermes ne nication. Avoir une communication fait des tests de pizzas. Le jour où on
commune permet de renforcer l’image partagée ? Par « outil de production »,
manquent pas. Ce ne sont pas toujours l’on fera la pizza avec la pancetta de nous entendons, selon les activités :
les tâches les plus appréciées des de la ferme, et donc la visibilité des
l’élevage, les épices de l’herboristerie, des serres, un tracteur, un four à
producteurs. Les mutualiser, en se les différentes activités en son sein. Le
revers de la médaille, c’est que les la sauce tomate de l’atelier de transfo pain, un quai de traite, une cuve à
répartissant ou en les déléguant (nous qui valorise directement les tomates du fromage, l’aménagement d’une cuisine
reviendrons sur les différentes modali- producteurs peuvent y perdre un peu
en autonomie. Le tout semble être maraîchage… là ça prendra tout son professionnelle, etc. La mutualisation
tés possibles, voir infra « Tâches parta- des investissements n’est pas du tout
de trouver un bon équilibre entre sens ! Comme la valeur ajoutée s’accu-
gées et coordination : qui fait quoi ? », systématique. Dans certains cas, le
p.30), est un atout de nombreuses les avantages d’une communication mule très rapidement dans les premières
intégrée et ceux d’une communica- étapes de la transformation, ce sera financement des outils de production
fermes partagées. La gestion comp- est laissé aux producteurs eux-mêmes.
table englobe une série de tâches, tion autonome des différents projets bénéfique pour tout le monde ! »
présents sur la ferme. Ainsi, même Dans d’autres cas, la coopérative
qui sont le plus souvent mutualisées Sylvain*, producteur et coordinateur
au sein des fermes partagées qui investit, l’investissement est
lorsque l’on a affaire à une structure entièrement mutualisé et le poids des
juridique unique pour la ferme (voir partagent une bonne partie de leur
communication (un unique nom amortissements pèse sur l’ensemble
infra « Des structurations juridiques Il est par contre fréquent que les pro-
pour toutes les activités agricoles du collectif (fermes qui s’approchent
variées », p.33) : encodages et émis- ducteurs s’échangent des sous-produits
de la ferme, un site web, une page plus de ce que nous avons appelé
sion de factures, suivi d’une compta- de leur activité. Les cochons de l’éleveur
Facebook/instagram, une newsletter « ferme collective »). Dans d’autres cas
bilité analytique (projet par projet), qui mangent les invendus du maraîcher,
commune, etc.), on note souvent des encore, c’est la société coopérative
gestion des rapports avec l’expert- par exemple. Ou encore le céréalier
pratiques hybrides dans lesquelles les commune – hébergeant des activités
comptable et avec le secrétariat social, qui récupère les litières du producteur
producteurs développent des canaux financièrement autonomes – qui lève
etc. La mutualisation de tâches admi- de volailles, un mélange de fientes et
de communication propres, en plus les fonds qui permettent de procéder
nistratives ne s’arrête toutefois pas à la de sciures de bois qui fait un très bon
des canaux communs. aux investissements nécessaires, ce
comptabilité, elle recouvre également engrais, pour fertiliser ses sols. Les bien-
qui permet au producteur de ne pas
une panoplie d’autres choses qui, en faits de combiner élevage et cultures (on
devoir s’endetter à titre personnel ou
fonction des cas, seront mises ou non parle de « polyculture-élevage ») ne sont
Des synergies plus à démontrer6.
engager son épargne. D’ordinaire, le
en commun : mise en ordre et suivi entre activités producteur paie alors à la coopérative
des diverses certifications (label bio, une sorte de loyer permettant d’amortir
AFSCA...), gestion des levées de fonds, au fil du temps l’investissement.
rédaction de demandes de subsides, La plupart des fermes rencontrées
nous ont fait part d’une volonté de Livrons quelques observations par
gestion de la relation avec le proprié- « Après la récolte des tulipes, au mois de
mieux penser l’intégration des valeurs rapport à ce type de mutualisation de
taire des lieux, etc. mai, la même parcelle sert à faire pâturer l’investissement.
ajoutées des différentes activités pré- les agneaux. C’est le genre de synergies
sentes sur la ferme. C’est-à-dire que la
qu’on développe en termes d’utilisation Il arrive que le montant de
production des uns puisse servir celle
de l’espace. » Clémence*, productrice l’amortissement dont s’acquitte
des autres. Que le boulanger utilise la
« Certification bio, le producteur ne corresponde
farine issue des céréales du céréalier,
AFSCA, la compta… pas au montant comptable de
par exemple, ou qu’une conserverie
tous les trucs emmerdants sont puisse valoriser les légumes du maraî- Enfin, on observe une série de synergies l’amortissement mais se calcule selon
assurés par la société, de manière cher... Même si l’envie et l’ambition positives avec des projets autres que de une durée d’amortissement plus réaliste
à ce que les producteurs puissent sont présentes, nous avons observé la production alimentaire, que comptent (l’amortissement comptable requis
se concentrer sur le maraîchage, peu d’intégration de ce type à ce jour. de nombreuses fermes partagées. Des étant bien souvent plus rapide que
la production de semences, la C’est dû au manque actuel de complé- activités d’accueil, qui valorisent en la durée de vie à anticiper de l’actif).
commercialisation. » Antoine*, mentarité entre les activités et, plus direct les produits de la ferme en les Dans une autre configuration observée,
propriétaire, fondateur et généralement, à la relative jeunesse servant aux hôtes ou encore des acti- le paiement de l’amortissement du
coordinateur de ces fermes. Nous pensons que la vités pédagogiques qui s’appuient sur matériel ne débute qu’en deuxième ou
possibilité de s’appuyer sur la pluralité les activités présentes sur les lieux pour troisième année. Ce sont des manières
d’activités pour intégrer des filières proposer diverses formations. Dans un de procéder intéressantes afin de
L’autre grande tâche de support qui au sein même de la ferme pourrait à des projets rencontrés, c’est carrément diminuer la pression financière sur le
est fréquemment mutualisée, c’est la l’avenir être un réel atout des fermes un restaurant qui a été développé et se producteur en lancement, limitant ainsi
communication. C’est un enjeu impor- partagées. fournit en droite ligne auprès de la ferme. les risques d’échec.

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Notons que nous avons aussi observé Il peut y avoir de grandes disparités ont néanmoins décidé de se verser un
« Qu’est-ce qui se passe des formules hybrides de mutualisa- dans les résultats financiers dégagés même salaire horaire. C’est un équilibre
si ça ne marche pas ? Si ça tion des investissements. Par exemple, par les différentes activités de la ferme. délicat qui est conditionné par l’atteinte
ne marche pas, on se dit au revoir, et le la coopérative qui héberge l’activité Les activités de petit élevage sont par de seuils de rentabilité et qui est remis
producteur s’en va. L’avantage pour lui procède à une partie de l’investisse- exemple particulièrement complexes sur la table à échéances régulières. Dans
c’est qu’il n’a pas de crédit bancaire, il ne ment et laisse l’autre partie au pro- à rendre viables, alors que d’autres une autre ferme encore, où le partage
ducteur. Ce genre de mécanisme peut activités atteignent plus rapidement des du travail est plus marqué, on observe
doit rien à personne. Nous on se retrouve
être justifié par le manque de capacité équilibres financiers qui permettent des cette fois un régime de salariat, où les
avec une infrastructure et on doit voir
financière propre de la coopérative. niveaux de rémunération décents. Par revenus sont entièrement mutualisés.
comment la redémarrer, la redynamiser. Cela peut également être le fruit d’un ailleurs, il peut également exister au sein Ces exemples sont plutôt l’exception que
La prise de risque de départ est vraiment choix. Le montant que le producteur des fermes des activités hors production la règle, au sein des fermes partagées.
très différente par rapport à un gars qui doit compléter est vu comme une forme (accueil et hébergement, formations,
se lance tout seul, la fleur au fusil… de garantie du producteur auprès de espaces pédagogiques, conseils), dont Dans la majorité des collectifs
C’est ça qu’on a voulu. C’est peut-être la coopérative, pour laquelle l’investis- certaines peuvent s’avérer nettement rencontrés, l’autonomie des activités
inconscient de notre part, peut-être que, sement comporte un risque : celui de plus rentables. On voit poindre une se traduit par une autonomie des
dans trois ans, je te dirai que ça nous se retrouver, si l’activité en question tension potentielle entre un idéal éga- revenus. Le producteur se rémunère
a coûté un pont. Mais bon, ça, c’est le s’arrête, avec du matériel spécifique non litaire qui peut animer un collectif et la en fonction des résultats financiers de
risque qu’on a décidé de prendre très directement utilisable et potentiellement difficulté à envisager des mécanismes sa propre activité. On y observe tout
consciemment. » Loïc*, propriétaire, difficile à revendre. Autre exemple de de mutualisation forte des revenus alors de même souvent des mécanismes
fondateur et coordinateur formule hybride : la coopérative réalise même que chacun a choisi son activité de redistribution interne plus discrets,
elle-même les investissements géné- et la mène de manière autonome. Une qui ne sont parfois pas perçus comme
riques – systèmes d’irrigation, tracteurs, difficulté qui peut être renforcée par le du partage des revenus même si c’en
Quand l’investissement est effectué par tunnels – tandis que les investissements fait que même les activités les plus ren- est. C’est typiquement la situation des
la coopérative, l’actif est au bilan de la plus spécifiques à chaque activité (un tables sont généralement très loin de collectifs qui financent les frais généraux
coopérative. Il est donc formellement la séchoir de semences, un pasteurisateur, rouler sur l’or. de la ferme – dont parfois du temps
propriété de la coopérative. Cela soulève etc.) sont laissés aux producteurs. Cela de travail de coordination rémunéré
une question qui semble importante à permet de limiter l’engagement financier Dans une ferme rencontrée le modèle (voir infra « Tâches partagées et
poser en amont : quelles sont les pos- du producteur, tout en limitant égale- initial était celui d’une ferme collective coordination : qui fait quoi ? », p.30) sur
sibilités pour le producteur d’être in fine ment le risque pris par la coopérative. avec un idéal de vie communautaire as- base d’une contribution proportionnelle
propriétaire de son outil de production ? Enfin, dans un dernier cas observé, la sez fort, si bien que les revenus étaient aux revenus des activités. En d’autres
Il est parfois prévu que le producteur structure coopérative faîtière ne lève pas entièrement mutualisés sous une forme termes, si tout le monde verse, par
ait, s’il quitte la ferme partagée pour directement des fonds elle-même mais « familiale », les revenus de la ferme exemple, 15% de sa marge brute
poursuivre son activité ailleurs, la possi- crée une société propre avec le produc- servant à assurer les besoins quotidiens d’exploitation7 pour financer les frais
bilité de racheter les investissements à teur et participe activement à l’organisa- du collectif, et un système d’argent de commun – la location des espaces
la valeur résiduelle de l’amortissement. tion de la levée de fonds, à la recherche poche ayant cours pour les quelques communs, les frais de comptable,
Une autre question qui se pose est celle d’investisseurs. dépenses personnelles. Le collectif a etc. – la personne dégageant 30.000€
de la propriété de l’outil de production éclaté après quelques années à cause de marge annuellement contribuera
une fois amorti : reste-t-il propriété de Partager les revenus ? du « facteur humain » et la ferme est à hauteur de 4.500€ tandis que celle
la coopérative ou le producteur qui l’a passée dans un registre qui s’apparente dégageant 12.000€ contribuera à hauteur
entièrement financé peut-il le considérer L’autonomie du travail et de la gestion plus à celui d’une ferme partagée, avec de 1.800€. Dans le cas d’une ferme
sien, selon une forme de leasing ? Et si d’une activité, telle qu’on l’observe dans autonomie de revenu des activités. partagée rencontrée, un mécanisme de
l’outil a été utilisé par deux ou trois pro- les fermes partagées, implique-t-elle « progressivité » du taux de contribution
ducteurs successifs, que se passe-t-il ? une autonomie financière des différentes – à partir de certains paliers de revenus,
Nous avons constaté que ces ques- activités ? Jusqu’où partage-t-on les On observe dans une série de fermes le taux de contribution augmente –
tions n’ont pas toujours été réfléchies revenus ? Jusqu’où les rémunérations partagées des mécanismes de vient renforcer le mécanisme de
en amont, ce qui peut potentiellement respectives dépendent strictement des redistribution interne.
résultats financiers des activités res-
redistribution interne plus discrets,
engendrer des tensions quand les situa-
tions viendront à se présenter. pectives ? Autrement dit : les collectifs qui ne sont parfois pas perçus comme du Pour clôturer cette discussion sur le
décident-ils que les revenus doivent partage des revenus même si c’en est. partage des revenus, soulignons un
dépendre des conditions de marché risque que nous avons identifié au
Se pose la question de la propriété de propres à chaque activité, ou, à l’inverse, fil de nos rencontres. Dans le cadre
l’outil de production une fois amorti : qu’ils doivent dépendre de la quantité Dans une autre ferme rencontrée, on d’activités trop peu rémunératrices
de travail qui y est injecté et que les a observé un alignement complet des – particulièrement en période de
reste-t-il propriété de la coopérative activités les plus rentables doivent dès niveaux de revenu. S’y déploient deux lancement (voir chap.4, « Se lancer en
ou le producteur qui l’a entièrement lors soutenir les activités les grands pôles d’activités, dont un est plus toute précarité ? », p.95) –, il est tentant
financé peut-il le considérer sien ? moins rentables ? rentable que l’autre. Les producteurs de vouloir garantir un « revenu juste » à
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des producteurs qui travaillent beaucoup Se répartir le travail tant au collectif de bénéficier du travail de
mais dont la production – et les prix « On a engagé un ou le déléguer ? quelqu’un au service du collectif et qui en
qu’ils peuvent en retirer – ne permet pas maraîcher comme employé. connaît parfaitement les réalités. De fait,
de dégager un niveau de rémunération C’était peut-être le maraîcher le mieux Le plus souvent, les tâches mutualisées dans les fermes rencontrées où il existe
jugé suffisant. Décorrélées de la valeur payé de Belgique, 2000€ net par mois. sont réparties entre producteurs, en un coordinateur identifié, ce dernier est
ajoutée financière effectivement Ce n’est pas que c’est un gros salaire, fonction des compétences et des toujours impliqué dans la ferme partagée
créée, ces rémunérations sont alors mais par rapport à ce que rapportait la disponibilités des uns et des autres. depuis ses débuts (ou presque), et en est
puisées dans les fonds propres de la Un producteur s’occupe de la comptabilité, souvent même un des fondateurs.
production, c’était beaucoup trop. Ça
structure collective. Le risque est d’ainsi l’autre de la communication, le troisième
a grevé le budget de l’organisation. À
« brûler » les réserves et mettre en péril
l’époque, ça a drainé tous les moyens. d’animer la dynamique citoyenne autour Financer le travail
la pérennité financière de la structure
Maintenant, après plus de quatre ans, de la ferme, par exemple. Dans certaines de coordination et
collective à terme. C’est ce qu’a fait configurations, une partie déterminée de de développement
une ferme partagée rencontrée, qui on commence à sortir de la dette qu’on
ces tâches collectives est à charge d’une
nous a avoué avoir, de cette manière, s’est créée. » André*, producteur et
personne (voire de plusieurs personnes) Qu’elle soit répartie ou déléguée, la
réduit à peau de chagrin en quelques coordinateur qui fait partie intégrante de l’équipe mais coordination de la ferme partagée prend
années le capital de départ de la n’est pas elle-même productrice. Dans ces du temps ! Une des raisons qui peut
coopérative, la mettant aujourd’hui configurations-là, cette personne cumule expliquer que des collectifs n’optent pas
dans une situation financière délicate, « Pour l’instant, les marges alors la prise en charge de ces tâches pour la formule du « coordinateur », c’est
ce qui fait peser sur les producteurs dégagées par les producteurs collectives – souvent les tâches de sup- le manque de capacité à rémunérer ce
actuels les approximations du passé ne sont pas encore suffisantes, donc ils port, telles que la gestion administrative travail. Aucune des fermes rencontrées
et ce qui empêche la coopérative facturent plus que ce qu’ils dégagent et et comptable ou la communication – avec où la coordination est déléguée à une
d’investir dans de nouveaux outils de la structure assume la différence… On une mission de coordination générale de personne rémunérée n’est aujourd’hui
production. Puiser dans les réserves fait en sorte qu’ils puissent vivre, payer la ferme. La coordination peut donc tantôt « économiquement viable », c’est-à-dire
un temps peut s’avérer désirable, mais leur loyer, etc. Mais l’objectif est d’arri- être collective, tantôt être plus spécifique- que les contributions financières des
cela nécessite organisation et rigueur ment portée par une personne identifiée. producteurs destinées à financer les
ver non seulement à ce que cette marge
dans le suivi financier. Dans une autre Bien sûr, entre ces différents cas de figure, frais collectifs ne sont pas suffisantes
soit suffisante pour qu’ils se rémunèrent
ferme partagée rencontrée, une logique on observe toutes sortes d’hybridations. pour rémunérer le travail consacré à la
de rémunération de base – qui, pour
mais aussi pour progressivement rem-
bourser le fonds de roulement initial et La présence d’un coordinateur n’empêche coordination de la ferme. Cela étant dit,
un temps, est supérieure aux revenus pas, par exemple, qu’une série de tâches les fermes partagées en Belgique sont
effectivement dégagés par les activités amortir les investissements physiques
de coordination continuent à être assu- encore très jeunes et les formules à
– a été observée, mais cette fois dans qui ont été faits. À terme, l’objectif est
mées par le reste de l’équipe. inventer. Leur pari est que, à long terme,
une stratégie consciente de permettre, qu’ils puissent se rémunérer au moins
une coordination rémunérée puisse être
à court terme, aux producteurs de se l’équivalent de 1580€ net par mois, ce finançable. D’une part, les projets sont le
lancer dans des conditions matérielles qui est à peu près le salaire minimum « Les tâches générales, on se les répartit. plus souvent encore en démarrage, ce qui
d’existence sereines, avec un suivi en Belgique. C’est déjà ambitieux. Cet Pendant un temps, j’avais un rôle de limite les contributions possibles. D’autre
rigoureux des chiffres et une perspective objectif, on s’est donné quatre saisons part, les fermes partagées qui misent sur
coordinatrice, qui était financé par le
de lissage dans le temps de la pour y arriver. » Sébastien*, proprié- un modèle de coordination rémunérée
« cœur », c’est-à-dire via les contributions
rémunération. taire, fondateur et coordinateur visent généralement à s’agrandir – aug-
des différents projets. Maintenant, on
ne fait plus comme ça. Pour comprimer menter le nombre de projets au sein de
les coûts, et en même temps pour plus la ferme – afin d’atteindre un nombre
« d’équilibre » d’activités. Ce nombre
Tâches partagées impliquer chaque porteur de projet,
chacun prend en charge une partie. On
« d’équilibre » doit d’un côté être suffi-

et coordination : qui fait quoi ? ne se rémunère pas pour ces choses-là,


vu que tout le monde en assume une
samment élevé pour permettre de réelles
économies d’échelle, et, de l’autre côté,
ne pas être trop élevé au risque que le
partie. Nos contributions servent du coup nombre élevé d’activités entrave la fluidité
L’ensemble des volets de mutualisation pouvoirs locaux quand c’est nécessaire ? principalement à payer des frais externes : du fonctionnement collectif. Deux fermes
présentés génère en soi du travail. Qui prépare les questions de fond qui la comptabilité qui revient assez chère, interrogées mentionnent qu’elles évaluent
Qui encode les factures ? Qui est doivent être débattues en équipe ? les assurances, et une partie des loyers. » ce nombre « d’équilibre » entre 10 et
en contact avec le comptable et le Et, au-delà des tâches particulières, qui Laurie*, coordinatrice et productrice 15 activités à temps plein. Mais attirer
secrétariat social ? Qui gère la page coordonne leur harmonie ? S’assurer du et accueillir de nouveaux producteurs
Facebook et envoie les newsletters ? fonctionnement quotidien de la structure n’est pas aussi évident qu’il n’en a l’air
Qui répond aux mails reçus sur la boîte collective demande de la coordination. Quand il y a un coordinateur, cela doit (voir chap.4, « Le paradoxe des fermes
commune ? Qui fixe les dates et prépare Pour faire fonctionner la machine permettre aux producteurs d’alléger partagées : un besoin social fantasmé ? »,
les chantiers collectifs ? Qui organise collective, il faut mettre de l’huile dans leur temps de travail et de se consacrer p.91). Aussi, il est trop tôt pour tirer des
les levées de fonds ? Qui rencontre les les rouages. Comment faire ? pleinement à leur métier, tout en permet- conclusions sur la viabilité à terme de ce
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genre de modèle. Mais il s’agit d’un réel la chute de la valeur de leur part, c’est donner un peu d’air à travers un soutien « On a touché un subside
défi pour ceux qui souhaitent se lancer surtout problématique pour la capa- financier ponctuel par subvention, pour deux ans, qui permet d’avoir
dans la formule. Le relever implique une cité de la coopérative à se refinancer afin qu’elles puissent se développer deux personnes à mi-temps pour la
réflexion sur le niveau de rentabilité à (trouver de nouveaux coopérateurs prêts sereinement. On peut à ce titre saluer coordination et la communication.
atteindre par activité sur la ferme et le à y investir, ou contracter un emprunt le fait que deux coopératives Penser que des maraîchers pourraient
niveau de rémunération possible pour de bancaire) au moment où il faut procéder rencontrées ont très récemment reçu financer une telle coordination, c’est
la coordination. à de nouveaux investissements. un financement public de la Région
un leurre, ils n’arrivent même pas à se
wallonne – de trois ans chacun, via deux
payer eux-mêmes. » Sarah, initiatrice
Deuxième option : compter sur un appels à projets distincts – pour financer
travail de coordination en partie non leur développement.
d’une ferme partagée
« Gérer les liens avec les
rémunéré. C’est quelque chose observé
propriétaires, avec les habitants du
dans toutes les fermes où une ou
coin, participer au Conseil d’Adminis-
plusieurs personnes concentrent le
tration... Tout cela prend du temps ! travail de coordination. Ces dernières
La coordination sur les lieux, elle est
fondamentale, c’est le noyau de la ferme.
ne se rémunèrent pas à hauteur du
travail engagé, mêlant travail rémunéré
Des structurations juridiques variées
Mais ça ne génère pas directement de et engagement bénévole. L’énergie
chiffre d’affaires et ce n’est pas facile bénévole a toutefois ses limites, Dans quel cadre juridique ces ferme, ressenti par rapport à la répar-
de savoir comment la rémunérer. » notamment s’il perdure dans le temps. mutualisations qui font le sel des fermes tition des revenus, etc.), et les aborder
Bruno*, producteur partagées s’opèrent-elles ? Au fil de nos en connaissance de cause. C’est le
Face à l’échec d’un financement par les rencontres, nous avons constaté une modèle adopté, par exemple, au sein
ressources de marché (les bénéfices des grande hétérogénéité en la matière, qui des Jardins d’Arthey. C’est également le
En attendant l’équilibre financier, quelles activités de production), deux logiques répond à l’hétérogénéité des modèles modèle vers lequel a progressivement
sont les options observées ? Quelques économiques alternatives peuvent de mutualisation et de l’ancrage évolué Graines de Vie.
coopératives rencontrées ont choisi de aider. D’un côté, la « réciprocité » : c’est historique particulier de chaque ferme
financer la coordination sur les fonds le bénévolat que nous mentionnions, partagée (voir supra « À ancrages
propres de la coopérative. Cela entraîne l’engagement à travers le lien social. De différents, modèles différents », p.15). « Avant, on avait un manque de
des résultats financiers négatifs pour l’autre côté, la « redistribution 8. Si les Sans pouvoir rendre justice au détail des maîtrise par rapport aux outils, dans
la structure commune et, si la situation pouvoirs publics voient, comme nous, constructions observées, cette section la gestion. Les porteurs de projet
dure, c’est susceptible de grever le capi- dans les fermes partagées un intérêt vise à identifier quelques tendances.
tal de la coopérative. Au-delà du manque
n’avaient pas une vue concrète et
et souhaitent les voir se développer, il
réelle des revenus et des coûts. Chaque
à gagner pour les coopérateurs à travers semble aujourd’hui nécessaire de leur Une unique année, il y avait des pertes, dont on
structure juridique n’arrivait pas vraiment à identifier
l’origine. Les factures tombaient et
On retrouve d’abord des fermes par-
les ventes se faisaient, et on voyait ce
John, éleveur de la Ferme tagées qui ont opté pour une seule
du Chant des Cailles. structure juridique. Dans tous les cas que ça donnait au bout du compte.
rencontrés, c’est la société coopérative On a mis en place une comptabilité
qui a été choisie. La ferme coopérative analytique par projet, pour avoir une
a alors un unique numéro d’entreprise. vue plus distincte des activités. Si ça
Les producteurs en sont associés actifs, permet d’avoir une vue plus claire, ça
n’ont pas de numéro de TVA propre et nous a demandé pas mal de travail, de
facturent via la coopérative, qui tient changer de fonctionnement. C’est pas
une comptabilité intégrée. Générale- ce qui est le plus amusant, mais ça fait
ment, la ferme tient en outre une comp- partie du job et ça te permet de mieux
tabilité analytique, afin de connaître les gérer ton outil. » Colin*, producteur
chiffres d’affaires, coûts et bénéfices de
chaque activité, et calculer les rémuné-
rations des uns et des autres. Tenir une Ces modèles à structure unique sont
comptabilité analytique est de notre une forme d’entreprise partagée où des
point de vue essentiel, quel que soit le travailleurs exercent leur métier en toute
niveau de mutualisation. Si une activité autonomie au sein d’une entreprise
agricole est à elle seule non viable, il qu’ils partagent avec d’autres9. Aucune
vaut mieux le savoir pour anticiper les ne va toutefois jusqu’à épouser les
tensions qui pourraient en découler formes d’une coopérative d’emploi, qui
(viabilité financière de l’ensemble de la permettrait d’offrir aux producteurs
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ue
ne entité juridiq
rencontré cette configuration lorsque Des constructions plus complexes
rme partagée, u les mutualisations sont essentiellement Dans le cas de la Ferme de
Une fe informelles et ne comprennent pas les Froidefontaine, chaque activité est
investissements. C’est par exemple juridiquement indépendante. La
le cas de L’Arbre qui pousse ou de la particularité est que les activités
COOP. Ferme de Vevy Wéron où les activités agricoles nécessitant des terres et
de production sont accueillies au sein des investissements conséquents
d’un habitat groupé qui met avant s’exercent chacune dans le cadre
tout à disposition des terres ou des d’une société propre dont les
locaux et où ce qui est mutualisé fondateurs sont, à parts égales, le
Producteur autre partie entité découle essentiellement des synergies producteur et la société coopérative
prenante juridique entraînées par la cohabitation sur un faîtière Froidefontaine. Un bail à ferme
(citoyens, fondateurs,...) même lieu. est conclu avec la société ainsi créée.
Ce type de structuration s’explique par
On retrouve également une telle une série de raisons. Premièrement,
COOP. COOP. structuration dans les modèles qui en partageant les investissements et
tirent plus vers la coopération territoriale les risques de l’activité, la coopérative
de production que vers la ferme peut formellement convenir avec le
partagée stricto sensu (voir chap.1, producteur de normes écologiques de
« Qu’est-ce qu’une ferme partagée ? », production à respecter (ce qui n’est
p.12). C’est par exemple le cas de Cycle pas possible sinon, le bail à ferme
Farm, où différentes activités agricoles n’autorisant pas l’inclusion de normes
opèrent sur des lieux différents au environnementales contraignantes38).
sein d’un territoire assez restreint et Deuxièmement, compartimenter
mutualisent certaines choses, telle les activités dans des sociétés
la communication, au moyen d’une indépendantes vise à ce que les
société coopérative commune. difficultés financières d’une activité
n’aient pas d’impact sur les autres, ce
Une structure juridique par projet, c’est qui est un risque dans les structures
également la configuration retenue au plus intégrées. Capitaliser chaque
sein de la Ferme des Coquelicots. Dans activité indépendamment permet
indépendants associés de la coopérative dans les organes de gouvernance de ce cas, deux producteurs non issus du également de lancer des appels à
un contrat de travail salarié (et le régime la ferme. Plus rarement, les fermes monde agricole, aux activités distinctes, épargne ciblés sur une activité, au
de sécurité sociale qui l’accompagne). montées en coopérative se sont ont rejoint un producteur en fin de moment de son lancement, et que
La salarisation des indépendants est inspirées d’un modèle de « coopérative carrière désireux de transmettre petit à cette dernière puisse à ce titre jouir du
difficile à mettre en place dans le cadre de travailleurs associés », où les petit son activité. Une configuration qui tax shelter, mesure de réduction fiscale
des fermes partagées, en raison des producteurs sont associés majoritaires, peut s’avérer intéressante – mais qui pour les épargnants qui investissent
faibles conditions de revenus dans les cogérants de leur ferme. C’est par est encore peu développée en Belgique au sein d’une PME en lancement, ce
secteurs ici concernés (voir chap.4, exemple le cas de La Finca. – pour faciliter l’accès à la terre des qui permet d’attirer des investisseurs
« Difficiles conditions de marché », p.92), jeunes producteurs ainsi que la reprise dans la mesure où cela leur assure un
qui ne permettent pas de garantir le Pluralités d’entités progressive des fermes des producteurs retour sur investissement sans que
salaire minimum légal. juridiques en fin de carrière (voir chap.2, « L’accès celui-ci pèse sur le producteur.
à la terre, l’éléphant dans la pièce »,
Au sein des fermes partagées La plupart des fermes partagées ren- p.41). Les deux néopaysans ont Nous avons également rencontré
répondant à ce modèle, nous avons contrées reposent sur plusieurs entités chacun leurs numéros de TVA et de des fermes qui combinent plusieurs
rencontré des situations où les juridiquement distinctes. producteur ; le fermier qui les accueille aspects des configurations explicitées
producteurs sont tous associés de la garde de son côté également les siens. précédemment. C’est par exemple
coopérative, mais aux côtés d’autres A chaque activité sa structure Dans cette configuration, il semblait le cas de Permaprojects. Lancée par
personnes non productrices. Les On trouve des fermes partagées où naturel que chacun puisse avoir sa quatre associés, propriétaires des
producteurs ont des parts dans la chaque activité de la ferme a sa propre propre gestion et vision de son activité terres et du bâti, la structure appuie
coopérative sans être pour autant « structure ». En tant que personne agricole, le temps que chacun s’essaye l’installation et le développement
majoritaires au sein du Conseil physique (indépendant) ou personne l’un à l’autre. Des évolutions dans cette d’activités paysannes. D’une part,
d’Administration (CA) et de l’Assemblée morale (société), chaque activité a articulation juridique peuvent s’avérer elle accompagne des producteurs
Générale (AG). Les apports en capitaux son propre numéro de TVA, sa propre pertinentes après quelques années de qui ont déjà leur propre structure
sont partagés avec d’autres parties comptabilité, son propre numéro test, en particulier si le test évolue vers juridique. L’apport de Permaprojects
prenantes, qui ont également une place d’exploitant agricole. Nous avons une transmission de ferme. consiste alors à louer des espaces
34 35
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rtagée,
aux producteurs, les appuyer dans autre exemple où l’on retrouve plusieurs
Une ferme pa juridiques l’acquisition de matériel générique, structures juridiques propres à des
tés
plusieurs enti
réaliser une série de leurs tâches usages spécifiques. Ici, il s’agit de
administratives, etc. D’autre deux structures, une au statut d’ASBL
part, Permaprojects héberge des et l’autre de coopérative. L’ASBL est
producteurs au statut d’indépendant la structure qui concerne l’ensemble
dans un modèle beaucoup plus des activités ayant cours à la Ferme
intégré, comprenant l’entièreté des du Chant des Cailles, qui comptent des
investissements, la gestion comptable activités non professionnelles menées
et administrative, ou encore une par des groupes citoyens (un jardin
avance sur les revenus futurs anticipés partagé, un projet pédagogique…),
qui permet de se lancer sans pression en plus des activités professionnelles
Producteur autre partie entité financière excessive. Les producteurs de production. L’ASBL réunit dès lors
prenante juridique ne sont pour l’heure pas associés au un grand nombre de membres, dont
(citoyens, fondateurs,...) sein de la structure faîtière. C’est que les producteurs de la ferme, aux côtés
celle-ci est avant tout une coopérative de citoyens de la commune impliqués
axée « services », dont l’objectif dans le développement de la ferme.
affiché est que, après leur phase de C’est l’ASBL qui porte les valeurs et la
lancement, les producteurs puissent vision du Chant des Cailles. Le CA a un
s’en autonomiser et créer leur structure mandat limité et très clair, la plupart des
propre tout en continuant à passer par décisions sont prises en AG afin que
Permaprojects pour certains services l’ensemble des citoyens soit activement
s’ils le souhaitent. inclus dans la prise de décision. Le
Coopérative rythme des prises de décision dans ce
Indépendant Société
Plusieurs structures pour cadre était trop lent pour les besoins
plusieurs usages des activités professionnelles. Aussi,
Enfin, d’autres fermes ont opté pour à côté de l’ASBL, a été créée une
une pluralité de structures juridiques coopérative. Elle héberge les activités
spécifiques à un usage plutôt qu’à professionnelles de la ferme, et son
Société une activité. C’est par exemple le équipe est constituée uniquement
cas de la Ferme du Hayon, dont des producteurs. Elle permet aux
les fondateurs ont choisi de créer producteurs de prendre des décisions
Société Indépendant deux structures coopératives, à beaucoup plus rapidement, en ce
sa création dans les années 1990. compris des décisions stratégiques
D’un côté, une coopérative foncière, pour leurs activités mais n’impactant
Société Indépendant Terres du Hayon, pour l’acquisition du pas les valeurs et la vision de la Ferme
patrimoine foncier, financée par les du Chant des Cailles. La coopérative
citoyens locaux désireux de soutenir le permet par ailleurs de faciliter les
maintien d’une agriculture paysanne, mutualisations entre les différentes
dans l’optique de faire sortir la terre activités professionnelles, tel que le
du régime de propriété privée (une partage de la gestion comptable. Ce
démarche qui rappelle ce que Terre-en- genre de configuration demande une
vue fait désormais à plus large échelle, bonne coordination entre la coopérative
voir chap.2, « Que peut-on faire ? », et l’ASBL.
p.57). De l’autre côté, une coopérative  
COOP. COOP. agricole, Ferme du Hayon, propriété
des producteurs, pour l’acquisition des
actifs de production amortissables
dans le temps (bâtiments agricoles,
machines, outillage agricole).

La Ferme du Chant des Cailles est un


Coop. Coop.
Foncière de production

36 37
Pa rtaG er Accé der à l’outi l Fa i r e C ol l ecti f D ev eni r Paysa n

Accéder à l’outil
de production :

2
le parcours du
combattaNt !

L’accès à la terre, l’éléphant dans la pièce. . . . . . . . . . . 41


Une féroce concurrence .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
Acheter la terre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
Louer la terre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

Pas qu’un problème de terres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49


Où disparaissent les fermes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Financer tout le reste : avec quels capitaux ? .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

Quel impact pour les fermes partagées ?. . . . . . . 52


Du maraîchage ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Les propriétaires qui veulent changer le monde : la solution ? . . . . . . . 54

Que peut-on faire ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57


Sortir les terres du marché grâce à l’épargne citoyenne .. . . . . . . 57
Les terres de l’État : une question d’intérêt général ! . . . . . . . . . . . . . 58

Des fermes comme « biens communs » ?. . . . . . . . 63

39
Pa rta g e r A ccé de r à l’ ou t il Faire Coll e ctif Dev eni r Pay san Pa rta g er Acc éd er à l’ ou til Fai re C oll ec tif Dev eni r Pay san

Que faut-il pour produire ? Pour les


secteurs qui nous occupent, il faut des
terres, bien sûr. Il faut aussi du bâti,
et des outils, c’est-à-dire du capital.
L’accès à ces éléments est loin d’être
évident. La problématique concerne
l’ensemble du secteur agricole. Elle
touche tout particulièrement les
jeunes qui souhaitent s’installer. C’est
extrêmement inquiétant alors que l’enjeu
de la transmission des fermes existantes
est un enjeu majeur pour l’agriculture
de demain (voir « Introduction », p.5).
Quand ces jeunes producteurs ne
sont pas issus du monde agricole,
les difficultés d’accès à la terre et aux
financements tendent à s’amplifier.
La dimension collective des fermes
partagées, réunissant plusieurs activités
différentes, rajoute une couche de
complexité. Si bien que cela finit par
influer sur la forme que prennent
aujourd’hui ces projets.

C’est de ces questions que nous


allons discuter dans ce chapitre, avec,
en filigrane, une interrogation sur
la propriété privée des moyens de
production dans un secteur essentiel
à la transition écologique et sociale.
Pourrions-nous y substituer une forme
de « biens communs », notamment
à travers des fermes partagées dans
lesquelles investiraient citoyens et
pouvoirs publics ? Au fil de ce chapitre,
quelques propositions dans ce sens
seront mises en avant.

L’inaccessibilité de la terre bloque


la relève à l’heure où l’agriculture
wallonne en a besoin : 69% des
agriculteurs installés ont plus de
50 ans et seulement un sur cinq a
un repreneur12. Le gouvernement
wallon affirme avoir pour
ambition le maintien d’une
agriculture familiale, socialement
Les terres cultivées par Benjamin
à la Ferme de Froidefontaine. et écologiquement soutenable.
Dans les faits, pour ne pas en rester
aux bonnes intentions, il faut agir
sur l’accès à la terre.
40 41
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L’accès à la terre, dans les champs, ce sont des ouvriers


agricoles qui assurent la production. C’est
En Ardenne, on gaspille des terres
agricoles pour faire pousser des…
l’éléphant dans la pièce le cas de propriétaires qui louaient histori-
quement leurs terres sous bail à ferme et sapins de Noël ! La majorité est
qui décident de « récupérer » la gestion destinée à l’exportation, la Wallonie
de leur bien. Parmi les gros propriétaires étant devenue le second producteur
Pas d’agriculture sans terre, c’est évident. Une concurrence entre agriculteurs terriens, on retrouve également de plus
Or, l’accès à celle-ci s’avère de plus en Si la concurrence entre agriculteurs pour en plus de personnes qui, incertaines européen en la matière.
plus délicat. Derrière cette difficulté, une les terres existe de longue date, elle s’est de l’évolution des marchés financiers et
tension entre, d’un côté, l’intérêt commun accrue ces dernières décennies. C’est le animées par une volonté de diversification
d’activités nourricières durables et, de fruit d’une course à l’agrandissement. À de leur patrimoine, acquièrent une terre Deuxièmement, les terres agricoles
l’autre, des intérêts financiers particuliers. force de mécanisation et de baisse des qu’ils voient comme une valeur refuge peuvent en toute légalité accueillir du
prix des denrées sous pression de la mon- (voir infra « Acheter la terre ? », p.44). Deu- loisir plutôt que des céréales ou des
L’inaccessibilité de la terre bloque la dialisation, les agriculteurs sont poussés à xièmement, de plus en plus, les industries légumes. Du golf ou du motocross, par
relève à l’heure où l’agriculture wallonne adopter des stratégies de développement de l’agroalimentaire et de la distribution exemple. Mais aussi des chevaux. Les
en a besoin : 69% des agriculteurs privilégiant de gros volumes. On observe lorgnent directement sur des terres pour chevaux wallons nécessitent quelque
installés ont plus de 50 ans et seulement alors un phénomène de concentration15. y installer « leurs » agriculteurs (et leurs 100.000 hectares de prairies, soit 15%
un sur cinq a un repreneur10. Le Les plus petits mettent la clé sous le méthodes de production industrielles), des surfaces agricoles disponibles ! Et
gouvernement wallon affirme avoir pour paillasson, les plus gros s’agrandissent. afin de sécuriser leur production. On peut les manèges ont davantage les moyens
ambition le maintien d’une agriculture Ces quarante dernières années, le nombre parler d’agriculture franchisée. C’est typi- de payer ces terres au prix fort : ils
familiale, socialement et écologiquement de fermes a été divisé par trois et leur taille quement le cas de l’industrie de la pomme louent les prairies pour trois à quatre fois
soutenable11. Dans les faits, pour ne pas moyenne a triplé16. Une dynamique que de terre, production la plus rentable en le montant légal du fermage20. Ensuite,
en rester aux bonnes intentions, il faut la Politique Agricole Commune (PAC) ne Belgique, et fleuron de nos exportations on consacre une part croissante des
agir sur l’accès à la terre. permet pas d’endiguer dans les propor- alimentaires (on retrouve nos frites surge- cultures à la production des agrocar-
tions qu’il faudrait, malgré des disposi- lées aux quatre coins de la planète). Autre burants : froment, betterave ou colza
Il existe deux moyens d’accéder à la tions qui freinent la démesure observée à exemple, en octobre 2020, l’annonce du finissent dans les réservoirs de nos
terre : l’acheter ou la louer. Les deux d’autres endroits du monde en matière de groupe Colruyt, qui lançait une politique voitures. Un non-sens total qui se pare
options sont aujourd’hui compliquées concentration. Le régime des aides euro- d’acquisition foncière, a fait grand bruit17. des habits de la transition écologique21.
(voir infra « Acheter la terre ? », p.44 et péennes amplifie même, à certains égards, Difficile de faire le poids quand on est un Enfin, en Ardenne, on gaspille des terres
« Louer la terre ? », p.46). Mais, d’abord, la course aux terres entre agriculteurs. petit agriculteur. agricoles pour faire pousser des… sapins
penchons-nous sur la toile de fond : Depuis 2003, les aides européennes ont de Noël ! Dont la majorité (80%) est
la concurrence pour les terres. Une en effet été attribuées principalement sur La pression des activités destinée à l’exportation, la Wallonie étant
question d’offre en berne et de demande base des surfaces exploitées (mécanisme non nourricières devenue le second producteur européen
qui explose, ce qui fait monter les prix. de « prime à l’hectare ») plutôt que sur La concurrence pour les terres agricoles en la matière22.
base de la production. Une fois les aides s’exerce aussi avec des activités non nour-
Une féroce découplées de la production, l’agrandisse- ricières18. Premièrement, on bétonise. De- L’inaccessible terre !
concurrence ment peut devenir une fin en soi. puis 1985, chaque année ce sont quelque Ces différents éléments tirent à la hausse
1.800 hectares de terres agricoles qui sont les moyens financiers requis pour accé-
La Belgique est un territoire assez Les nouveaux acteurs : artificialisées. Pourquoi ? Pour construire der à des terres. Il convient d’y ajouter un
densément peuplé. Sans mécanismes sociétés de gestion et des logements, des zonings industriels et facteur non financier : l’opacité qui en-
de régulation, la concurrence pour les industrie agroalimentaire des infrastructures routières. Aujourd’hui, toure les ventes et les vacances de terre.
terres y est particulièrement forte. Le Dans le même temps, la pression sur 10% de la surface agricole utile wallonne L’essentiel passe par le bouche-à-oreille.
prix de la terre agricole en Belgique la demande de terres est renforcée par se situe en zone urbanisable ou potentiel- Aux difficultés financières de l’accès à
est près de deux fois plus élevé que la l’apparition de nouveaux acteurs dans le lement urbanisable, et est donc menacée la terre peut donc s’ajouter un manque
moyenne européenne. Les frontières jeu de Monopoly des campagnes. Premiè- d’être artificialisée. Depuis 1980, l’urbani- d’accès à l’information. Celui-ci est parti-
ne sont pas extensibles, la quantité de rement, il s’agit des sociétés de gestion de sation a grignoté 6% de la surface agricole culièrement marqué pour les personnes
terres agricoles est une donnée avec terres venant jouer un rôle d’intermédiaire utile wallonne. Cette lente évolution pose non issues du milieu agricole, auxquelles
laquelle il faut composer. En Wallonie, il entre propriétaires et agriculteurs (voir question pour la résilience alimentaire de manque une connaissance des réseaux
y a 730.000 hectares à se partager13. infra « Louer la terre ? », p.46). On voit ap- la Wallonie, et est d’autant plus regrettable et des pratiques, en plus du reste.
paraître des « faux agriculteurs », c’est-à- qu’elle est le fruit de politiques publiques19.
La lutte pour les terres est issue à la fois dire des propriétaires qui ont officiellement Les propriétaires des terres agricoles qui Voyons maintenant en quoi les deux
d’une concurrence entre agriculteurs, le statut d’agriculteur mais qui ne portent pourraient changer d’affectation urbanis- moyens d’accéder à la terre – achat
d’une concurrence avec de nouveaux pas les bottes. Avec l’aide des sociétés tique, quant à eux, se garderont bien de et location – sont verrouillés pour les
acteurs du paysage agricole et d’une de gestion, les propriétaires créent des les mettre sur le marché, car un terrain fermes partagées, et de manière plus
concurrence avec d’autres activités, non sociétés d’exploitation agricole dont ils qui devient constructible, c’est la garantie générale pour l’essentiel des nouveaux
nourricières14. sont officiellement gestionnaires, mais, d’une plus-value colossale. arrivants.
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Le calcul est vite fait : pour amortir L’urgence est à encadrer le marché du
Acheter la terre ? l’achat de la terre, il faut 100 ans. foncier agricole, avec une considération
pour ce à quoi doit servir la terre : nourrir
les populations locales ! Il n’existe en
Disons-le d’emblée : pour acheter des Trois ou quatre générations. réelle pour ce à quoi doit servir Wallonie aucune régulation du marché
terres aujourd’hui, il faut avoir les reins la terre : nourrir les populations du foncier agricole. Aucune institution
solides ! Le prix du foncier agricole est disposant en amont d’une vue sur les
cialisé du monde rural, Gaëtan Goisse, locales ! Le législateur pourrait à ce terres en vente. Avant 2017 et la mise
complètement décorrélé des revenus que les chiffres obtenus par le très récent
l’on peut attendre d’une activité agricole. titre s’inspirer du système français en place de l’observatoire du foncier
Observatoire du foncier agricole wallon
sont incomplets, et ne permettent pas de
des Sociétés d’aménagement foncier et agricole, il n’y avait carrément aucune
information statistique sur les ventes.
L’envolée des prix rendre compte de la diversité des opéra- d’établissement rural (SAFER). Comment, maintenant, ne pas être
Voyons plutôt. Depuis 2017, la Wallonie tions de vente et des montages particu- simple observateur du marché mais
dispose d’un Observatoire du foncier liers qui les entourent26. Cela mène à des La morale de l’histoire ? Pour acheter, il acteur de l’aménagement rural ?
agricole wallon qui récolte des informa- prix officiels moyens n’ayant parfois rien faut être initialement bien doté financiè-
tions et établit un rapport annuel sur les à voir avec le prix réel. « Comment peut- rement, puisque ce qui compte c’est la Le législateur pourrait, par exemple,
ventes passées23. Son dernier rapport on arriver à la conclusion que l’hectare se valeur de la terre comme actif financier s’inspirer du système français des
précise qu’en 2019 le prix moyen d’un vend à 45.000€ en Brabant wallon alors et non la valeur de ce que l’on y cultivera. Sociétés d’Aménagement Foncier
hectare de terre agricole24 (sans bâti que n’importe quel observateur sait que De ce fait, elle est inaccessible pour la et d’établissement rural (SAFER).
et entièrement situé en zone agricole) l’on est aujourd’hui à 80.000€ ? » nous majorité des nouveaux entrants dans le Sociétés sans but lucratif à mission
s’élevait à 28.700€. Pour visualiser confie ainsi Gaëtan Goisse. métier agricole. À moins d’avoir soi- de service public, elles permettent de
ce que ça représente, comparons ce
même hérité de foncier agricole. réguler le marché des terres agricoles
montant au fermage (montant légal de Alors, sur combien de générations l’achat
en France depuis 1962 en vue d’un
location de la terre) qui, lui, se veut fixé de terres s’amortit-il ? Trois, cinq, dix
Réguler le marché ! maintien d’une agriculture à taille
en fonction des réalités économiques générations ? On peut comprendre de
Aujourd’hui, l’urgence est à encadrer ce humaine. Elles sont pour ce faire sous
de l’activité agricole. Ce dernier s’établit tout cela que la terre est, aujourd’hui,
marché avec une considération réelle la tutelle des ministères de l’agriculture
aux alentours de 250€ par hectare avant tout un actif financier. C’est devenu
et des finances, et regroupent une
et par an25. Le calcul est vite fait : une réalité béante à partir de la crise
pour amortir l’achat de la terre, il faut financière de 2008. La terre s’est muée en
Production de semences de fleurs
100 ans. Trois ou quatre générations. ce qui est communément appelé « une
par le collectif Anthésis de la ferme
valeur refuge ». Des personnes fortunées,
partagée Permaprojects.
Pour acheter des terres aujourd’hui, de plus en plus incertaines de la stabi-
il faut avoir les reins solides ! Le prix lité et des perspectives de rendement
des marchés financiers, se sont mises
du foncier agricole est complètement à acheter des terres pour diversifier
décorrélé des revenus que l’on peut leurs portefeuilles d’actifs27. Quand Wall
attendre d’une activité agricole. Street tremble, les terres ne bougent pas.
Acheter des terres et établir une société
Il faut en dire un peu plus sur ce prix moyen agricole pour leur exploitation permettra
de 28.700€. C’est une moyenne. Le prix par ailleurs de léguer du patrimoine à ses
du foncier agricole dépend d’une série de héritiers sans que ceux-ci n’aient à payer
variables. Les terres cultivables sont plus de droits de succession. Quand on sait
chères que les prairies (+31%). La qualité que, annuellement, un peu moins de 1%
du sol fait grimper les prix : les bonnes seulement des terres agricoles sont à
terres limoneuses de Hesbaye se vendent vendre, on peut penser que ces pratiques
quatre fois plus cher que les terres arden- ont une influence significative sur l’aug-
naises. Aussi, le statut de la terre : est-elle mentation des prix.
sous bail à ferme (c’est-à-dire occupée)
ou est-elle libre d’occupation ? Et dans le
premier cas, pour quelle durée résiduelle ? La terre s’est muée en ce qui est
En moyenne, la terre libre se vend de l’ordre communément appelé « une valeur
de 35% plus cher que la terre sous bail
à ferme. L’un dans l’autre, pour une terre
refuge ». Des personnes fortunées, de
cultivable et libre, il faut aujourd’hui non pas plus en plus incertaines de la stabilité
28.700€ mais environ le double. et des perspectives de rendement des
marchés financiers, se sont mises à
En outre, il semblerait que ces chiffres
soient globalement sous-évalués. acheter des terres pour diversifier
Comme nous l’explique un avocat spé- leurs portefeuilles d’actifs.
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pluralité de parties prenantes sur leur Louer la terre ? Ce régime de location, fruit de luttes, La plupart des propriétaires ne
territoire d’action (syndicats agricoles, s’est historiquement et progressivement
collectivités locales, associations construit en vue de protéger l’agriculteur
souhaitent plus mettre leurs terres
À défaut de pouvoir acquérir des terres,
environnementales…). Elles doivent on peut en louer. En Wallonie, 68% des contre le droit de propriété et les pra- sous le régime du bail à ferme. Pour
permettre une transparence du terres agricoles sont exploitées sous le tiques anciennes de métayage31. contourner ce dernier, ils sont de
marché (tout projet de vente doit mode de la location30. plus en plus nombreux à s’adresser
leur être signifié) et d’opposer à la Alors, ne tient-on pas là la clé : louer plu-
pure logique de marché des objectifs Le bail à ferme : tôt qu’acheter ? Les terres à louer dans à des sociétés de gestion, qui se placent
qualitatifs d’aménagement rural et de sécurité et autonomie les conditions exposées ci-dessus ne en intermédiaires entre le propriétaire
renouvellement des générations. Pour Ici, changement de décor : on est courent malheureusement pas les rues ! et le locataire.
ce faire, elles disposent d’un droit de dans un cadre très régulé. La location
préemption sur les terres (c’est-à-dire est encadrée par la loi sur le bail à ferme, Les contournements
une priorité sur les autres acheteurs), et qui protège l’agriculteur. Et, ce, à trois du bail à ferme qui se placent en intermédiaires
même des moyens d’en revoir les prix niveaux. Bien entendu, lorsque l’offre est entre le propriétaire et le locataire.
à la baisse sous certaines conditions. inférieure à la demande, les forces de Sous leur houlette, trois méthodes de
Cela permet, en partenariat avec les 1. La durée. On ne rompt pas facilement marché reviennent par des voies détour- contournement du bail à ferme ont fait
collectivités locales – qui se portent un bail à ferme, une projection de long nées. Ainsi en va-t-il de la pratique du florès. La plus courante est le contrat de
garantes –, de s’arroger une période terme est nécessaire pour l’agriculteur « chapeau », monnaie courante dans le culture. Le principe ? La terre est louée
tampon entre la vente d’une ferme et dans son activité. La durée standard monde agricole quand il s’agit de louer pour 10 mois, de janvier à octobre. Cette
l’installation en son sein d’un projet est de 36 ans, divisée en quatre pé- des terres. Il s’agit d’un rachat de bail, un exception au bail à ferme, initialement
agricole. De fait, les SAFER riodes de neuf ans à l’issue desquelles montant dont le futur locataire s’acquitte prévue pour favoriser la rotation de
peuvent acheter des terres et puis le bail ne peut être rompu que sous initialement pour pouvoir signer le bail certaines cultures, est devenue très
les revendre à un projet agricole, en des conditions assez strictes (instal- à ferme. Soit auprès de l’agriculteur courante. Elle est pratiquée par les
donnant le temps aux producteurs de lation comme agriculteur du proprié- cédant, soit parfois directement auprès sociétés de gestion mais également par
monter leur projet et d’accumuler les taire ou d’une personne apparentée). du propriétaire. À la limite de la légalité les agriculteurs qui sous-louent leurs
capitaux nécessaires pour l’achat de Existent aussi le « bail de longue dans le premier cas et carrément illégal terres. Hors cadre du bail à ferme, le
la terre et du bâti. En près de 60 ans durée » (27 ans minimum) et le « bail dans le second, ces montants se règlent contrat de culture permet de louer la
d’existence, les SAFER ont connu des carrière » (jusqu’à la pension). pour bonne partie sous la table. Tarif ? terre à des prix dépassant largement
évolutions et essuyé quelques critiques. De l’ordre de 8.000€32. le montant légal du fermage. Comptez
Il ne s’agit pas de les imiter à 100%, 2. Le prix : il est administré et fixé en environ le double, soit 500€. Ces
mais on peut s’en inspirer, notamment fonction de l’évolution des revenus Plus problématique : le bail à ferme est contrats ne fournissent pas de garantie
en prenant compte des limites et défis des activités agricoles et du coût une espèce en voie de disparition. Les sur la durée : la location est annuelle.
qu’elles ont pu rencontrer28. de la vie. Il gravite entre 250€ et propriétaires ne veulent plus en signer. Pour l’agriculteur locataire, pas question
300€ l’hectare (majoré de 50% C’est l’effet secondaire, non désiré, d’un de faire la fine bouche, les prétendants
C’était la volonté affichée par la Région pour les baux de longue durée bail protecteur que de plus en plus de se pressent au portillon. Les sociétés
wallonne dans son programme-cadre et le bail carrière). propriétaires ont perçu comme une de gestion peuvent s’engraisser sur les
adopté en 2014 : le Code wallon de confiscation de leur bien. Avant la der- marges réalisées et ainsi augmenter leur
l’agriculture29. Outre la création de 3. L’autonomie : l’agriculteur est libre nière réforme du bail à ferme – d’applica- force de frappe. Quant aux propriétaires,
l’observatoire du foncier agricole, elle d’exploiter les terres comme il l’entend, tion depuis le 1er janvier 2020, c’est donc cela leur permet de récupérer leur bien
y prévoyait la création d’une « banque le propriétaire n’a pas de droit de très récent – qui limite le bail à quatre en des temps record. Deuxièmement,
foncière », qui, comme les SAFER en regard. On parle de « liberté de fois neuf ans, aucune limite de durée quand elles ne passent pas par des
France, serait dotée d’une capacité culture ». Enfin, une série de clauses n’existait sur le bail à ferme classique, contrats de cultures, les sociétés de
d’action sur les marchés (acheter telles que le droit de préemption (prio- qui pouvait se renouveler indéfiniment gestion peuvent exploiter directement
et vendre des terres agricoles) pour rité donnée à l’agriculteur si la terre est de neuf ans en neuf ans. On parle de la terre – en recourant aux services
poursuivre des objectifs stratégiques de en vente) ou la cession privilégiée du bail « quasi perpétuel ». Les agriculteurs d’entreprises agricoles – pour le
développement rural et de transmission bail (inopposabilité de la cession à un ayant la chance d’avoir un bail à ferme compte du propriétaire qui se mue en
des fermes pour le maintien d’une enfant de l’agriculteur, pour permettre s’y sont accrochés, préservant la terre « faux agriculteur », et se pare d’un
agriculture de taille familiale. On la transmission des fermes). bien après leur pension, la sous-louant numéro de producteur sans jamais
pouvait regretter en 2014 que le droit ou monnayant sa cession. avoir enfilé de bottes. Pratique pour
de préemption prévu pour les rachats récupérer des terres qui étaient sous
publics soit très limité (activable Ce régime de location, fruit de luttes, La plupart des propriétaires qui régime de bail à ferme, dans la mesure
uniquement dans certaines zones, et s’est historiquement et progressivement récupèrent leurs terres ne souhaitent où cela exige de reprendre soi-même
sans possibilité de révision du prix). plus les mettre sous le régime du bail l’exploitation. Dernière option : le « bail
construit en vue de protéger l’agricul-
Aujourd’hui, ce que l’on peut déplorer, à ferme. Pour contourner ce dernier, en cascade ». En cas de sous-location,
c’est que cette banque foncière n’a teur contre le droit de propriété et les ils sont de plus en plus nombreux à si le bail principal prend fin, le bail
tout simplement pas vu le jour. pratiques anciennes de métayage. s’adresser à des sociétés de gestion, secondaire est automatiquement rompu.
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L’intermédiation de la société de gestion risé à la terre. Il serait toutefois inappro-


La Ferme de
protège alors le propriétaire : ces deux-là prié de se borner à pointer les éthiques
Froidefontaine.
n’ont qu’à rompre leur contrat pour que individuelles : souvent, ces agriculteurs
© Isabelle Stojka
l’agriculteur soit mis dehors. Dans tous ont dû attendre la pension pour se
les cas, ce qui est observé à travers ces mettre à mieux vivre, et la location ou
contournements du bail à ferme, c’est la sous-location de terres y contribue.
une précarisation du travail agricole. Il faut donc absolument se poser la
Dans un contexte de constructions question politique suivante : comment
juridiques complexes et de statistiques garantit-on des revenus décents aux
inexistantes, il est difficile de savoir le agriculteurs, une pension suffisante, et
volume que ces sociétés de gestion une meilleure répartition des revenus
représentent aujourd’hui. Ce qui est sur l’ensemble de la carrière ? Reste
inquiétant, c’est la tendance, qui est que, dans un contexte inquiétant de
appelée à s’amplifier. vieillissement de la profession, une
révision du bail à ferme était assuré-
La réforme du bail à ferme ment nécessaire pour le dépoussiérer
et ses limites et favoriser la transmission de baux vers
C’est dans ce contexte qu’intervient la les nouvelles générations.
dernière réforme du bail à ferme, entrée
en vigueur début 2020. Au programme : Le nouveau bail à ferme risque malheu-
limitation du bail standard à 36 ans (avec reusement de ne pas vraiment régler le
possibilité de conclure à la suite un bail problème. En mettant fin au bail quasi
de fin de carrière), majoration progres- perpétuel, on retransfère en réalité la
sive du fermage, obligation de sceller rente de situation vers les propriétaires
le bail par un écrit, limitation du droit et leurs intermédiaires. La réforme du
de préemption lorsque l’agriculteur est bail à ferme va permettre de mettre fin à
retraité, interdiction de la sous-location quantité de baux. Notamment en vertu
sans notification au propriétaire… Cette
réforme intervient pour encadrer des
de la disposition qui veut qu’il pourra
valablement être mis fin aux baux écrits Pas qu’un problème de terres
pratiques que l’ancien bail à ferme per- ayant déjà fait l’objet de trois prolonga-
mettait et dont certains agriculteurs ont tions. Que feront les grands propriétaires
abusé : des agriculteurs qui restaient en fonciers une fois la terre récupérée ? Il y Où disparaissent sonnes exerçant des activités de pro-
exercice sur le papier après la pension, a tout à parier qu’une très large majorité les fermes ? duction paysanne ou artisanale de petite
et préservaient donc leurs terres comme se tournera vers les sociétés de ges- taille, éloignées des standards industriels
pure rente ; des cessions de bail sans tion, qui leur garantiront rendement et Pour les fermes partagées, la question de de production, et aux perspectives de
que le propriétaire soit au courant ; des flexibilité. Ces dernières sont prêtes, la l’accès à l’outil de production ne se limite revenus assez modérées. Quand on vit de
sous-locations non notifiées ; des droits réforme va booster leur chiffre d’affaires. pas aux terres. Dans un premier temps, peu, il n’est pas facile de se loger aux prix
de cession privilégiée activés quand le Les propriétaires qui ne souhaiteront pas comme tout projet d’installation, elles standards du marché du logement. Dans
propriétaire souhaitait vendre pour l’en mettre leurs terres en gestion pourront, n’ont pas « juste » besoin de terres, elles les collectifs rencontrés, il n’est pas rare
empêcher, etc. Le tout dans un cadre eux, profiter d’un marché du foncier affo- ont besoin d’un lieu. D’une ferme. De bâti. de voir des producteurs privilégier des
assez opaque dans lequel il n’est pas lant pour vendre à haut prix des terres D’abord car elles hébergent une pluralité solutions d’habitat léger (yourtes, rou-
simple de se retrouver. Le bail ne devant libres de bail, inaccessibles à l’achat d’activités, dont des activités de trans- lottes…), pour s’enlever la pression d’un
pas faire l’objet d’un écrit, beaucoup de pour les nouveaux entrants (voir supra formation qui nécessitent des espaces. loyer à payer ou d’un prêt à rembourser.
baux étaient oraux (ce ne sera désormais « Acheter la terre ? », p.44). Si l’objectif Il ne s’agit pas seulement de cultiver des
plus possible), et les arrangements offi- était le maintien d’une agriculture à taille légumes ou faire paître des brebis. Mais Acquérir une vieille ferme : facile ?
cieux étaient fréquents. Cela engendre humaine et le renouvellement des géné- aussi de faire du pain, du fromage, des L’accès au bâti est-il plus aisé que
un flou qui ne permet parfois plus de rations, il eut à ce titre été souhaitable de bocaux, éventuellement de la restauration l’accès aux terres ? En même temps
savoir qui exploite quelle terre, sous quel légiférer sur l’encadrement du marché et de l’hébergement… que la concentration des fermes, on
régime et depuis quand. du foncier avant de réformer le bail. observe une forme d’industrialisation de
Ensuite, il faut des fermes car les pro- la production. Les anciennes fermes ne
Les premières victimes de tout cela, ce Tout laisse à penser que la précarité ducteurs ont besoin de se loger. Se loger sont dès lors souvent plus adaptées aux
sont les jeunes souhaitant s’installer. En pour les sans terres restera présente. sur les lieux de production peut s’avérer normes actuelles de production. Poussent
s’accrochant à leurs baux à ferme, des Le prix excessif des terres louées, ils le crucial pour une série d’activités (une des hangars agricoles et autres bâtiments
agriculteurs de la génération précé- paieront tout simplement à des per- nécessité pour les projets d’élevage par d’élevage modernes de tailles adaptées
dente bloquent la nouvelle génération sonnes en ayant souvent encore moins exemple). La question de l’habitat peut aux nouveaux standards de production.
en la précarisant dans son accès sécu- besoin que les précédents. vite s’avérer épineuse pour des per- Les anciennes fermes n’intéressent pas
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l’agriculture « moderne ». Une aubaine L’accès au crédit bancaire s’avérera Comment se financent les fermes ront jamais des rendements financiers
pour les fermes partagées ? De fait, ces
d’autant plus compliqué que ces partagées ? compensant le risque de perte dans le
dernières misent plutôt sur des produc- Des fonds, habituellement, cela se trouve cas contraire35. La plus-value est avant
tions de taille réduite, qu’elles écoulent installations hors cadre familial auprès des banques. La chose peut tout sociale et environnementale. Si l’on y
en circuit court. Bref, un autre modèle, se superposent avec des modèles de devenir plus délicate lorsque l’on n’est pas investit, ce n’est pas en vue de rendements
qui peut trouver à faire dans les anciens production et de commercialisation issu du milieu agricole. Un témoignage intéressants, c’est parce que l’on croit dans
bâtiments de fermes. d’un banquier rural nous est par exemple la finalité sociale du projet. Ces investis-
alternatifs avec lesquels les banques parvenu via une des fermes partagées seurs altruistes, encore faut-il les trouver.
Les rénovations nécessaires peuvent n’ont pas l’habitude de traiter, rencontrées : « de toute ma carrière, je n’ai
être conséquentes et coûteuses. Outre et dont elles ont dès lors du mal à jamais accordé un emprunt à un agriculteur
cela, les fermes en vente ne sont pas bon dont les parents n’étaient pas eux-mêmes
marché. Une ferme en vente, c’est une évaluer le risque financier. agriculteurs ». L’accès au crédit bancaire « Ça fait trois ans
ferme que l’on démembre. Les terres sont s’avérera d’autant plus compliqué que ces que je travaille ici, et je
vendues en lots et trouveront preneurs. à-dire de très longue durée) aux occu- installations hors cadre familial se super- ne me suis toujours pas payée
Les fermes, elles, peuvent faire de belles pants, de celle du bâti, qui est la propriété posent avec des modèles de production une seule fois. Même quand je peux
habitations rurales. Sur ce marché-là, la des occupants (mais dont la plus-value et de commercialisation alternatifs avec me verser un petit quelque chose en fin
concurrence ne vient pas du monde agri- à la revente est encadrée). Pourrait-on lesquels les banques n’ont pas l’habitude d’année, pour l’instant je le réinvestis,
cole, mais d’ailleurs. D’urbains fortunés imaginer des dispositifs similaires, mais ici de traiter, et dont elles ont dès lors du mal
appliqués au monde rural, afin de favoriser
parce que je suis en manque cruel de
en mal de campagne, par exemple, qui à évaluer le risque financier.
le maintien de paysans dans les fermes ? matériel. Je dois trouver du matériel
peuvent en faire d’agréables résidences
secondaires. Ou de jeunes travailleurs Aux États-Unis, le tout premier Commu- adapté, souvent en récup’, et pouvoir le
Sans doute pour cette raison, l’emprunt
du tertiaire souhaitant monter un habitat nity Land Trust, New Communities, qui bancaire n’a pas été une piste investiguée
financer. Heureusement, je suis plutôt
groupé. Ou tout simplement de socié- émerge du mouvement afro-américain par beaucoup des fermes partagées bricoleuse, j’aime assez bien ça. Par
tés immobilières. Ce faisant, les fermes des droits civiques dans les années 1960, rencontrées. Les investissements pour exemple, tu vois les deux machines là-
perdent non seulement leurs terres, mais était en réalité une ferme collective33 ! Le une activité sont généralement réalisés bas ? C’est des trucs que j’ai conçus et
aussi leur affectation, leur rôle de ferme. principe ? Que la communauté rachète soit par le producteur qui la porte, soit par fabriqués moi-même. Oui, il y a beaucoup
Les personnes qui souhaitent s’installer une ferme et ses terres pour en faire un le collectif, soit encore par les deux (voir de débrouille ! » Béatrice*, productrice
dans des activités de production pay- « bien commun », qui – libéré du principe chap.1, « L’investissement dans les outils
sanne ont, elles, du mal à faire le poids de propriété privée – garde son statut de de production », p.27). Quand les inves-
pour acquérir ces biens sur base de leurs ferme à travers le temps (voir infra « Des tissements pour une activité sont réalisés En fonction du réseau des fondateurs et
revenus anticipés, d’autant plus s’ils sont fermes comme « biens communs » ? », directement par le producteur qui la porte, producteurs de la ferme, trouver ce capital
jeunes et n’ont pas derrière eux dix ou p.63). En France, la coopérative foncière ce dernier peut engager son épargne nécessaire pour les investissements sera
vingt ans de carrière dans un métier bien Terre de Liens a selon ce principe acquis personnelle ou, parfois, compter sur un un problème plus ou moins conséquent.
rémunéré qui leur auraient permis d’accu- 223 fermes et 6.400 hectares34, et favorise prêt familial. Quand ces options ne sont Certaines initiatives rencontrées ont pu
muler quelques réserves. ainsi les projets d’installation paysanne et pas à l’ordre du jour, et que le producteur compter sur quelques apports privés
la transmission des fermes à long terme. préserve un revenu professionnel à côté conséquents pour constituer un capital
Faire des fermes des « communs » ? En Belgique, la coopérative citoyenne de son activité de production, il n’est pas de départ. D’autres ont pu compter sur
Si l’on souhaite effectivement préserver Terre-en-vue agit selon cette même rare d’observer une dynamique d’investis- des apports plus épars, notamment en
une agriculture « familiale » – de taille logique, mais se limite pour l’heure aux sement très progressive où les bénéfices mobilisant un soutien citoyen important.
familiale, dirons-nous ici –, comme semble terres et n’achète pas de bâti (voir infra des premières années servent à acheter Cela peut également être un mixte des
le souhaiter la Région wallonne, il y assu- « Que peut-on faire ? », p.57). du matériel plutôt qu’à se verser un salaire. deux. Notons que le dispositif du tax
rément une réflexion à mener sur le main- shelter (réduction d’impôt à hauteur de
tien des fermes comme fermes. Pourrait-on Financer tout le reste : Quand les investissements sont plus 45% de l’apport consenti auprès d’une
imaginer des dispositifs de Community avec quels capitaux ? intégrés, ces collectifs ont tendance à se PME en lancement, dispositif par ailleurs
Land Trust spécifiques au monde rural ? tourner vers un financement par capita- politiquement questionnable36) permet
Ces dispositifs se développent depuis Aux côtés de l’accès à la terre et au bâti, lisation. C’est-à-dire solliciter du finance- d’attirer, au lancement, certains capitaux
quelques années dans certaines agglo- se pose la question de l’accès au finan- ment direct non pas sous forme de prêts qui ne seraient sinon pas venus.
mérations urbaines. Au sein de villes où cement des activités en tant que telles. mais sous forme d’entrée dans le capital
la spéculation immobilière fait exploser le Pour produire, il faut pouvoir investir dans de la société. Ce capital est du capital à
prix des logements, on tente de préserver du matériel : un motoculteur, un tracteur, risque : difficile de garantir des retours
Les projets de fermes partagées, même
l’accès à la propriété de leur logement des serres, un four à pain, un pasteuri- financiers. Il ne s’agit pas de startups qui s’ils rencontrent leurs objectifs, ne
par les classes moyennes et les classes sateur, une cuve à fromage, une cuisine pourraient soit décoller (et donc avoir garantiront jamais des rendements
populaires. Pour ce faire, les Community professionnelle, etc. Tout ceci demande des rendements importants), soit s’affaler
Land Trusts séparent la propriété du des fonds. Et ces fonds, les néopaysans
financiers compensant le risque de perte
(et donc enregistrer des pertes impor-
terrain (la variable qui fait monter les prix), relativement jeunes qui composent nos tantes). Il s’agit de projets qui, même s’ils dans le cas contraire. La plus-value est
donné pour un bail emphytéotique (c’est- fermes partagées les ont rarement. rencontrent leurs objectifs, ne garanti- avant tout sociale et environnementale.
50 * Tous les prénoms avec astérisque sont des prénoms d’emprunts 51
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Qui est aux manettes de la ferme ses activités » – cas idéal-typique –, la tion en circuit court) nécessitant relati- par des pouvoirs publics locaux à travers la
partagée ? réalité des configurations observées est vement peu de prairies. Pour le reste des mise à disposition de terrains. Ces derniers
Ouvrir son capital n’est toutefois pas une plus complexe et propre à chaque projet. activités de production, la question des semblent prêts à libérer des bouts de par-
opération anodine. Cela a un impact sur On peut aussi bien se trouver dans une terres ne se pose pas dans la mesure celles de un ou deux hectares… mais pas
les organes de gouvernance de la ferme situation de détenteurs de terres et de où l’on sort de la production primaire : il des terres plus conséquentes (voir infra
partagée, souvent montée en société capitaux qui cherchent des producteurs s’agit d’activités de transformation (bou- « Les terres de l’État : une question d’inté-
coopérative. La vision du projet peut en pour constituer un collectif (voir chap.1, langerie, fromagerie, tisanerie, bocale- rêt général », p.58). Or, réduire l’agriculture
être affectée. Quelle est la dynamique de « À ancrages différents, modèles diffé- rie…), d’artisanat ou encore d’accueil. hors cadre familial aux activités maraî-
l’Assemblée Générale ? Qui compose le rents », p.15). Collectif qui, en grandissant, chères – tout aussi intéressantes soient-
Conseil d’Administration ? Quelle place a besoin à son tour de trouver plus de Cette prédominance du maraîchage dans elles ! – pose question. Nous ne pouvons
revient aux producteurs, quelle place capital pour financer ses nouvelles activi- la production agricole primaire chez les malheureusement pas penser la souve-
revient aux coopérateurs-investisseurs tés. La difficulté d’accès au capital par les néopaysans s’explique aussi par d’autres raineté alimentaire qu’avec des légumes.
dans la définition des lignes stratégiques jeunes producteurs aspirant à développer facteurs : filières d’écoulement en circuit Le maraîchage dépend d’autres formes
de développement de la ferme ? Ces des activités paysannes, et les stratégies, direct plus faciles, filières de formation d’agriculture. Il faut de la paille pour couvrir
questions se posent particulièrement mises en place par les différentes fermes alternatives davantage développées les sols. Il faut des excréments d’élevage
quand l’initiative de la ferme partagée partagées pour y pallier, influencent la en Région wallonne, exemples plus pour faire du fumier… Plus fondamentale-
est le fait d’un groupe plus large que les composition des structures de gouver- fréquents qui favorisent un mimétisme ment, c’est aussi une question de calories
personnes qui s’y impliquent par leur nance. Cela peut typiquement jouer un sociologique… Mais force est de consta- et de nutriments. Toute satisfaisante soient
travail. Le collectif de travailleurs-produc- rôle dans une tension qui traverse les ter que, étant donné la problématique de la diversité et le goût que fruits et légumes
teurs ne vient pas forcément en amont, fermes partagées et dont nous discutons l’accès à la terre, il est d’autant moins aisé apportent à notre alimentation, les apports
il part souvent d’un noyau réduit appuyé plus amplement dans le chapitre 3 : la de se projeter dans d’autres activités de énergétiques principaux viennent du reste
par différentes parties prenantes et ne ferme partagée se pense-t-elle comme production agricole. de l’assiette : des céréales, des légumi-
s’étoffe qu’avec le temps. Si pour la facilité l’outil commun d’un collectif de travail- neuses, des matières grasses (carnées ou
de l’exposé, nous avons défini la question leurs en autogestion ? Ou se pense-t-elle Cette limitation de la néopaysannerie au végétales). Tant de choses qui nécessitent
comme « un collectif en recherche de comme une société de service à des maraîchage s’observe également dans les des grandes cultures et des prairies. Et
terres et de capital pour mener à bien producteurs qui s’y installent ? quelques soutiens de projets néopaysans donc des terres. Pour reprendre les mots

Quel impact
pour les fermes partagées ?
Ce dont nous avons jusqu’à présent moins de terres. Parmi les fermes parta-
discuté dans ce chapitre n’est pas qu’un gées rencontrées, toutes comptent une
propos théorique qui permettrait de ou plusieurs activités maraîchères. Seu-
décrire les obstacles d’accès à l’outil de lement deux d’entre elles comprennent
production auxquels peut se heurter une activité de « grandes cultures »,
un collectif en lancement. C’est aussi le c’est-à-dire de production céréalière.
contexte qui permet de mieux com- Cinq d’entre elles comptent par contre
prendre les formes qu’ont prises les une activité de petit élevage (brebis,
fermes partagées existantes : le type cochons, volailles). Celles-ci s’exercent le
d’activités qui s’y développent, les lieux plus souvent selon un modèle de petite
où elles se développent, leur sécurité et taille (cheptels relativement réduits,
leur autonomie. transformation à la ferme, haute valeur
ajoutée du produit final, commercialisa-
Du maraîchage !
L’inaccessibilité des terres joue assu- Réduire l’agriculture hors cadre familial
rément un rôle dans une tendance aux activités maraîchères – tout aussi
aujourd’hui observable au sein de la intéressantes soient-elles ! – pose question.
néopaysannerie : la réduction des acti-
vités agricoles au maraîchage. C’est que
Nous ne pouvons malheureusement pas
la problématique est moins criante pour penser la souveraineté alimentaire
Les légumes de la Ferme
la production maraîchère, qui nécessite qu’avec des légumes. des Coquelicots.
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d’un article éclairant sur cette question37 : pour des producteurs en collectif (voir Alors, les propriétaires en quête de sens : vités ont besoin de pouvoir se projeter dans
« On entrevoit ici le ‘’paradoxe de la petite supra « Où disparaissent les fermes ? », le temps et s’exercer en relative indépen-
salade de tomates’’ qui touche beaucoup p.49). Ces propriétaires veulent que
opportunité rêvée ou sorte de retour déguisé dance. Tout cela pointe vers une question
de jardiniers. (…) La plupart des gens vous soient installés chez eux des projets au métayage ? Il est nécessaire d’obtenir des fondamentale, à poser aux propriétaires en
diront ‘’en ce moment je ne mange que des qui s’inscrivent dans une perspective garanties en termes de sécurité (dans le temps) question : dans leur bienveillance et leur
tomates de mon jardin’’ (…) Mais elles ne d’agroécologie, d’une agriculture et d’autonomie (dans la gestion). C’est à ces désir de contribuer à une autre société,
vous nourrissent pas. Ce qui vous nourrit, paysanne respectueuse des humains jusqu’où sont-ils prêts à aller dans le renon-
c’est le filet d’huile et la petite tranche de et de la planète. Aujourd’hui, au nom de niveaux-là que s’observent les risques de cement à leurs privilèges ? Cette question
pain que vous ajoutez sans y penser, après la « liberté de culture » (ce qui garantit dérives dans la relation avec le propriétaire. est tout sauf anodine. Mais dans le rapport
avoir consacré votre temps au jardin l’autonomie à l’agriculteur dans le bail à que notre société entretient à la propriété
à la tomate. » ferme), impossible pour un propriétaire privée, elle fait froncer des sourcils.
d’inclure dans le bail à ferme des clauses
« Après avoir vu
Les propriétaires qui environnementales contraignantes. C’est
l’exemple de la ferme
Des risques de dérive ou des dérives avé-
veulent changer le une dimension sur laquelle la réforme du
du Bec Hellouin, qui nous a vraiment
rées dans la relation avec le propriétaire,
monde : la solution ? bail à ferme était attendue et a livré un nous en avons identifiés plusieurs au fil de
résultat très décevant38. touché émotionnellement, on s’est dit: nos entretiens, alors même que l’échan-
Dans un contexte d’accès aux terres on va faire quelque chose de ce genre-là. tillon n’était pas gigantesque.
verrouillé, les fermes partagées rencon- Ce qui semble à première vue compter Nous, on n’a plus l’âge et la colonne
trées sont le fruit d’opportunités saisies : pour les propriétaires en question, c’est vertébrale de le faire nous-mêmes. Mais Concernant la sécurité, d’abord. Prenons
occupation précaire de terrains en friche l’alignement sur le sens du projet, la on peut essayer de créer les meilleures le cas d’une ferme partagée rencontrée,
d’une société de logement sociaux, mise satisfaction personnelle de permettre un conditions possibles pour que des jeunes qui n’a aucun contrat formel avec le
à disposition par une institution paramé- projet dans lequel ils trouvent du sens. puissent se lancer. » Quentin*, pro- propriétaire qui met à sa disposition des
dicale privée, rachat d’une ferme financée Sur la question du prix, les arrangements priétaire, fondateur et coordinateur terres et est impliqué dans la gestion de
par une fondation, inclusion au sein d’une observés sont en général financièrement la coopérative faîtière depuis ses débuts.
ferme en exercice sans repreneur… ou avantageux pour les producteurs. Si le Que se passe-t-il si ce dernier change
encore, installation sur les terres de pro- propriétaire en tire un bénéfice propre, Foncer tête baissée ? d’avis, ou que sa famille – qui a son mot
priétaires privés qui souhaitent accueillir celui-ci est d’ordre symbolique, c’est- La question des compensations financières à dire dans l’affaire – change d’avis ? Ce
un projet porteur de sens. Cette dernière à-dire qu’il touche à des enjeux de ne fait pas tout. Souvenons-nous de ce genre de chose arrive. C’est par exemple
catégorie comprend la moitié des fermes reconnaissance sociale bien plus qu’à que nous mentionnions précédemment arrivé à une autre coopérative rencontrée,
partagées rencontrées ! des questions pécuniaires. concernant le statut protecteur du bail à qui s’est vue retirer par le propriétaire des
ferme (voir supra « Louer la terre ? », p.46). lieux un bâtiment dont elle avait la gestion
Des propriétaires en quête de sens Alors, les propriétaires en quête de En plus d’un prix ajusté sur les revenus et qu’elle employait pour certaines de ses
Être bien loti n’empêche pas forcément sens : opportunité rêvée ou sorte de de l’activité, il est nécessaire d’obtenir des activités. La relation de confiance ne peut
de se poser des questions sur l’état de retour déguisé au métayage, comme garanties en termes de sécurité (dans le pas tout, il est important de sceller des
désolation de la planète que l’évolution le redoute Lou Plateau, chercheur temps) et d’autonomie (dans la gestion). contrats protecteurs. Ceci dit, on note que
industrielle de l’agriculture participe spécialiste des organisations collectives C’est à ces niveaux-là que s’observent les les contrats ne font malheureusement pas
à renforcer. Il existe des propriétaires de production agricole que nous risques de dérives dans la relation avec le tout non plus : quand on est installé chez
souhaitant faire quelque chose d’utile avons interrogé ? Le métayage est une propriétaire. Or, nous avons constaté que quelqu’un, même protégé par des contrats
de leurs terres. Un collectif en formation pratique ancienne dans laquelle des ces aspects peuvent s’avérer délicats à – ce qui était le cas de notre second
nous a par exemple témoigné du « métayers » cultivent la terre pour le aborder en amont et sans détour. D’une exemple –, il n’est pas évident de revendi-
fait que, après avoir lancé un appel propriétaire en échange d’une partie part parce que les rapports entretenus quer son bon droit sur une partie quand
à candidatures à destination de de la récolte. C’est une pratique qui entre producteurs et propriétaires sont sup- cela peut mettre en péril le tout. Il est avant
producteurs souhaitant les rejoindre s’est observée, historiquement, dans posés reposer sur une relation de confiance tout nécessaire que les propriétaires com-
dans leur démarche, il a reçu plusieurs des régimes de servage – les métayers nourrie par une volonté commune de prennent, avant de s’engager, l’importance
réponses de propriétaires leur proposant cultivant les terres du seigneur – et qui favoriser d’autres modes de production : de garantir une sécurité dans le temps.
non pas de planter des choux, mais a progressivement disparu aux 19ème pourquoi douter si on poursuit le même Les contrats doivent alors être vus comme
bien de mettre un lieu à disposition. et 20ème siècles, notamment sous la idéal de changement ? D’autre part, parce une manière de sceller cet engagement.
Tendance confirmée par Terre-en-vue pression de luttes paysannes39. que les producteurs peuvent se sentir privi-
(coopérative citoyenne qui achète des légiés d’avoir accès à un lieu qu’ils auraient
terres pour les mettre à disposition d’une On peut saluer ces démarches privées eu beaucoup de mal à avoir autrement, « Le propriétaire des lieux, il découvrait
agriculture soutenable ; voir infra « Que qui renoncent à des usages plus lucratifs et n’osent pas forcément demander plus. ce qu’était une coopérative. Il était un
peut-on faire ? », p.57) qui nous explique de leurs biens. Elles permettent que Pourtant, il est absolument essentiel de peu craintif au départ. Mais on avait
être de plus en plus contactée pour le des fermes partagées existent dans un cadrer formellement ces aspects, sans quoi évolué positivement avec le temps alors
même genre de démarche. Ce genre contexte verrouillé. Néanmoins, il faut les activités hébergées au sein des fermes qu’on ne vient pas du tout du même
d’offre peut comprendre un accès à du aussi en souligner les limites et les réels partagées resteront marquées de précarité. monde. Ça, c’est ce que l’on pensait. »
bâti, ce qui est d’autant plus alléchant risques de dérive. Pour se développer sereinement, ces acti- Ivan*, coordinateur
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C’est pour faciliter l’accès à la terre


Que se passe-t-il quand le propriétaire qu’est née la coopérative Terre-en-vue en
« Le rapport à la ne cautionne pas une pratique
agricole ? Le producteur sera-t-il en
Que peut-on faire ? 2012. Programme ? Refaire de la terre un
propriété et l’implication
du propriétaire à l’intérieur de la mesure de faire valoir son autonomie « bien commun ». On y mobilise l’épargne
coopérative, c’est un point de bascule dans la gestion de son activité ? Que Sortir les terres citoyenne pour acheter des terres
d’énormément de projets, j’en ai bien se passe-t-il si les visions stratégiques du marché grâce à agricoles et les placer définitivement
conscience. Ici, on est sur une sorte pour le développement de la ferme l’épargne citoyenne hors du marché. Les terres acquises sont
viennent à diverger ? Est-ce que cela
d’occupation précaire. ça fait quatre
remet en question la sécurité du projet Les problématiques soulevées tout louées à des paysans qui exercent une
ans qu’on sait qu’il faut rédiger une collectif sur les lieux ? Si la relation
convention d’usage des terres, parce le long de ce chapitre, elles sont bien activité nourricière écologiquement et
asymétrique ne pose pas problème connues d’un acteur wallon de l’écono-
qu’on fait du travail qui n’est pas quand tout va bien, elle peut devenir
socialement soutenable.
mie sociale et solidaire : Terre-en-vue.
rien en termes d’investissement dans toxique quand ça va moins bien et C’est pour faciliter l’accès à la terre
le temps, et que ces efforts n’ont pas mener à d’intenses tensions, le départ qu’est née cette coopérative en 2012. Notons que des démarches similaires
de sens si on n’a pas de garantie de certains producteurs, ou même la d’acquisition via l’épargne citoyenne lo-
qu’on ne se fera pas mettre à la fin pure et simple du projet de ferme Programme ? Refaire de la terre un cale peuvent également exister indépen-
porte à un moment… Mais les partagée. Le danger est un danger « bien commun ». Terre-en-vue mobilise damment de Terre-en-vue, dans le cadre
choses n’avancent pas vraiment, d’omnipotence du propriétaire des l’épargne citoyenne afin de collecter des de mouvements citoyens localisés qui
c’est un point sensible. » Nathalie*, lieux, qu’elle soit explicite ou implicite. fonds pour acheter des terres agricoles voient un intérêt à racheter une ferme et
productrice et coordinatrice Une relation toxique de ce type, nous et les placer définitivement hors du mar- ses terres pour que puisse s’y installer
en avons eu un témoignage. Deux ché. Les terres acquises sont mises en un projet collectif qui bénéficiera à la
producteurs qui ont fini par quitter ce location auprès de paysans qui exercent collectivité.
Le manque de sécurité pointé ci-dessus qui se présentait comme un projet de une activité nourricière écologiquement
affecte également l’autonomie. En ferme partagée mais s’est avéré être et socialement soutenable. Terre-en-vue Tient-on là une « solution »? Terre-en-vue
l’absence de clarté sur qui a la gestion le projet personnel d’un propriétaire est un acteur particulier du marché des a, à ce jour, acquis une petite centaine
de quoi, on observe des situations où qui ne souhaitait pas un collectif acquisitions. Son action répond à l’intérêt d’hectares de terres agricoles, grâce aux
les producteurs n’ont pas les coudées avec lui, mais un collectif pour et collectif plutôt qu’à des intérêts privés. apports de 1900 coopérateurs ayant per-
franches dans les aspects de leur autour de lui. Notons qu’un autre Pour le coup, la terre n’y est pas pensée mis de réunir 2,3 millions d’euros. C’est
activité qui touche à la gestion des témoignage de relation compliquée comme un actif, puisque la revente est autant d’hectares mis à profit d’une agri-
lieux, et doivent trop fréquemment nous permet de comprendre qu’il ne interdite. Cela permet de fixer la fonction culture paysanne et qui ont ainsi poten-
demander des autorisations au faut pas que le propriétaire soit fortuné nourricière des terres acquises. tiellement échappé à des usages moins
propriétaire. Par ailleurs, quand on ne pour que les risques d’omnipotence vertueux. Mais, face à l’importance de la
sait pas vraiment combien de temps on se matérialisent. C’est le régime de Dans le contexte verrouillé que nous transition de nos systèmes alimentaires,
pourra rester sur les lieux, il est difficile propriété privée qui, quand elle est aux avons décrit, Terre-en-vue est un moyen il faudrait pouvoir décupler les échelles.
de procéder à des investissements mains de l’un et pas des autres, tend à d’accès pour des paysans en manque
nécessaires mais qui doivent induire des privilèges qui nécessitent de terres et répondant aux valeurs et
s’envisager sur le long terme. d’être encadrés. À nouveau, le aux pratiques de l’agroécologie. La
propriétaire qui souhaite accueillir Les terres de la Ferme du Chant
coopérative acquiert des terres sur base des Cailles sont situées au cœur de
Il n’est pas rare que le désir du un projet collectif doit se poser la de besoins exprimés par des paysans
question en amont : jusqu’où suis-je Watermael-Boitsfort. Leur affectation
propriétaire ne se limite pas à la installés qui ont besoin de terres supplé- est régulièrement redébattue : vaut-il
mise à disposition de terres et de prêt à ce que ma volonté propre ne mentaires, ou de paysans qui souhaitent
prime pas sur celle du collectif ? mieux mobiliser ces terres pour de
bâtiments. Celui-ci peut au contraire se lancer, qu’ils soient issus ou non du l’agriculture ou pour la construction
souhaiter s’impliquer dans le projet, milieu agricole. Au-delà de l’accès à la de logements sociaux ?
de manière plus ou moins active. On Pour finir, reprenons une vision plus terre, c’est un réseau qui se crée. Les
peut aisément le comprendre. Dans macrosociétale de la problématique fonds nécessaires pour l’acquisition sont
plusieurs configurations rencontrées, pour souligner une limite générale du collectés de manière privilégiée dans la
les propriétaires sont à l’initiative modèle du « propriétaire généreux » : région avoisinante pour créer du lien.
du projet de ferme partagée et y ces derniers sont l’exception, pas la Pour les fermes partagées, Terre-en-vue
assument un rôle dans la gestion. Si norme. Assurément pas de quoi faire le est sans aucun doute un interlocuteur
ce n’est pas forcément quelque chose balancier des 12 fermes disparues par à prendre en compte. Pour l’heure, ceci
de problématique, c’est toujours une semaine, en moyenne, depuis 1980 en dit, Terre-en-vue ne procède pas à des
situation particulière qu’il faut pouvoir Wallonie. On ne peut pas sérieusement acquisitions de bâti. Ou du moins pas
penser comme telle. C’est-à-dire baser une politique agricole encore. C’est une limite évidente pour
reconnaître que le propriétaire a une soutenable ambitieuse sur le pari d’une les fermes partagées en création, pour
double casquette, ce qui ne manquera moralisation des propriétaires. Il va lesquelles l’accès à des infrastructures
pas d’engendrer des conflits d’intérêts. falloir être plus imaginatifs. est souvent un prérequis.
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La stratégie d’acquisition des terres par neur identifié a eu le temps de récolter projets de reprise fermement engagés une base commune au cahier des
les fonds, aurait été particulièrement pour une agriculture agroécologique charges de la procédure d’attribution de
Terre-en-vue souffre du niveau des prix intéressant pour soutenir les reprises et une relocalisation des circuits terres publiques pour location sous bail
du foncier agricole: comment éviter d’ali- de ferme. L’expérience française nous alimentaires ? Et si la mise à disposition à ferme. En plus d’imposer le caractère
menter la bulle ? L’énergie et les finances enseigne que ce genre de mécanisme, de terres publiques était la solution écrit du bail et le fait que le soumission-
citoyennes ne pourront pas tout. Elle doit en parant l’inadéquation entre l’agenda d’avenir pour les fermes partagées ? naire ait un diplôme agricole, certains
d’un cédant qui peut être pressé de critères doivent se trouver dans le cahier
être accompagnée d’une régulation du vendre et une reprise qui peut prendre Ces terres publiques sont aux mains des charges et valoir pour minimum 50%
marché du foncier agricole. du temps, rencontre particulièrement d’une grande hétérogénéité d’acteurs, dans la pondération. Ils concernent l’âge
bien les besoins de projets d’installation essentiellement locaux. Seuls 6.300 du soumissionnaire, la surface agricole
hors cadre familial. Une organisation hectares appartiennent aux institutions qu’il exploite, la proportion de terres
Or, la stratégie d’acquisition souffre du comme Terre-en-vue pourrait travailler de la Région wallonne. L’essentiel de ces publiques au sein de cette surface totale
niveau des prix du foncier agricole, ce qui avec le gestionnaire public dans ces terres est aux mains des communes, d’exploitation, ainsi que la proximité de
pose forcément question à la coopérative cas de figure, pour identifier les repre- des CPAS et des fabriques d’Église. son exploitation par rapport à la terre
elle-même : comment éviter d’alimen- neurs potentiels et récolter les fonds Certains CPAS et fabriques d’Église ont sollicitée. Ces critères sont définis de telle
ter la bulle ? L’énergie et les finances nécessaires pour un rachat. En France, en effet accumulé une quantité tout à sorte qu’ils favorisent l’accès à la terre aux
citoyennes ne pourront pas tout. Elle doit des partenariats de ce type se sont fait significative de terres, fruit historique jeunes agriculteurs, ce qui est à saluer !
être accompagnée d’une régulation du multipliés ces dernières années entre les de dons et legs. Aujourd’hui, le premier Mais, paradoxalement, en restreignant
marché du foncier agricole, pour laquelle SAFER et Terre de liens (la grande sœur propriétaire terrien de Wallonie est… l’autonomie des communes, le cahier des
Terre-en-vue plaide depuis ses débuts. française de Terre-en-vue)41. le CPAS de Bruxelles, qui dispose de charges imposé par la Région pourrait
Un acteur comme Terre-en-vue pourrait quelque 3.000 hectares de terres ! Ces restreindre celles qui souhaitent aller plus
ceci dit être un acteur pivot dans d’autres Ce que nous souhaitons toutefois pointer terres publiques ont le désavantage de loin dans le soutien à d’autres modèles
stratégies de facilitation de l’accès à la dans les paragraphes qui suivent, c’est souvent être relativement morcelées. agricoles sur leur territoire. Or, si elles
terre, s’appuyant sur les terres publiques. la politique publique de location de Elles sont généralement louées sous le souhaitent se servir de leurs terres pour
Nous y revenons dans la section suivante. terres. Dans les conditions actuelles du régime du bail à ferme, même s’il nous enclencher une politique communale
marché des acquisitions, louer les terres revient de témoignages que la tentation volontariste de transition, les communes
Les terres de l’État : peut s’avérer plus intéressant (en tout d’éviter le bail à ferme touche aussi des devront aller plus loin. Si les communes
une question cas plus accessible), à condition que communes44. Ce qui nous revient, sur- peuvent introduire des clauses environ-
d’intérêt général ! ce soit dans le cadre sécurisant d’un tout, c’est que ces pouvoirs locaux ont nementales que ne peuvent pas inclure
bail à ferme. À défaut d’une politique généralement très peu de vision sur la les bailleurs privés (hormis quelques
Quand le marché déraille, il faut que la ambitieuse d’intervention sur le marché, gestion de leurs terres. Les baux courent associations environnementales), elles ne
politique s’en mêle. Que fait l’État ? une question nous taraude : que font depuis plusieurs dizaines d’années, par- le peuvent malheureusement que pour
les pouvoirs publics des terres qu’ils fois depuis plus d’un demi-siècle, parfois des zones très spécifiques, ce qui en
La réforme du bail à ferme, en vigueur possèdent déjà ? sans trace écrite, et, à force d’arran- limite la portée. Un manque d’ambition
depuis 2020, avait pour ambition de gements (échanges de terres, sous- regretté par l’Union des villes et com-
rendre des terres à nouveau disponibles Les terres de l’État locations, cessions…), le propriétaire munes de Wallonie et par les associa-
sous bail à ferme. Nous avons expliqué Les pouvoirs publics possèdent des public peut finir par ne plus savoir quelle tions environnementalistes46. Par ailleurs,
les limites anticipables de cette réforme, terres agricoles. Combien ? Quelque parcelle est à qui, qui paie le fermage, le cahier des charges de la Région n’est
en l’absence de mécanismes de régu- 57.000 hectares ! Soit un peu moins de qui cultive quoi sur quelle parcelle, selon pas formulé pour favoriser des projets
lation complémentaires (voir supra 8% de la surface agricole utile wallonne. quel type d’agriculture, depuis quand agricoles collectifs.
« Réguler le marché ! », p45). Nous Interpellés par ce chiffre publié fin 2017 court le bail, qui exploite vraiment ou
ne développerons pas ici les multiples par le Centre d’étude en aménagement non… Chaque commune a par ailleurs
politiques à mener pour une gouver- du territoire de l’Université catholique ses propres particularités, son propre Les pouvoirs publics possèdent des
nance foncière responsable40. Nous de Louvain42, et passé un peu inaperçu, contexte, ses propres majorités, rapports
avons eu l’occasion de pointer l’opportu- nous avons interrogé des observateurs de force et autres baronnies locales.
terres agricoles. 57.000 hectares, soit un
nité manquée de la politique de gestion de ces questions. N’y a-t-il pas là une Autant de choses qui ne permettent pas peu moins de 8% de la surface agricole
foncière – ou « banque foncière », qui manne significative entre les mains de de parler de ces acteurs locaux « en utile wallonne. L’essentiel de ces terres
aurait permis une capacité d’interven- l’État pour activer l’ambition politique général ». Beaucoup de ces communes, publiques est aux mains des communes,
tion publique sur le marché du foncier affirmée dans l’article premier du Code CPAS et fabriques d’Église sont en outre
agricole – prévue en 2014 par le Code wallon de l’agriculture, et réaffirmée dans assez mal documentées sur la législation des CPAS et des fabriques d’Église.
wallon de l’agriculture, mais non mise la déclaration de politique régionale du et on observe des pratiques hétérogènes Pourquoi n’observe-t-on pas plus de
en œuvre. Un système de « portage gouvernement actuel43 : œuvrer pour le dans la gestion du foncier public. partenariats avec des projets de reprise
foncier », qui permet grâce aux liquidités maintien d’une agriculture soutenable,
publiques d’acheter une ferme pour ne à taille humaine, nourricière des La récente réforme du bail à ferme essaie fermement engagés pour une agricul-
la revendre que plus tard une fois qu’un populations locales ? Pourquoi n’observe- de mettre un peu d’harmonie dans la ture paysanne et une relocalisation des
repreneur est identifié ou que le repre- t-on pas plus de partenariats avec des gestion du foncier public45. Elle impose circuits alimentaires ?
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Un levier pour des politiques Les acteurs publics locaux sont assez
locales de transition ? mal outillés pour gérer leurs terres.
Certaines communes semblent pourtant Caroline et Ann, maraîchères de
vouloir aujourd’hui engager une politique Ils ne peuvent pas forcément dégager
la Ferme du Chant des Cailles.
volontariste en matière de transition les moyens nécessaires pour gagner
agricole et alimentaire sur leur territoire. en compétence sur ces enjeux, qui sont
Les terres communales sont un levier
identifié. Tant Terre-en-vue que des rarement les préoccupations les plus
ceintures alimentaires nous ont témoi- urgentes des communes.
gné d’une multiplication des contacts
allant dans ce sens. C’est néanmoins est unanime : la première chose à faire,
un phénomène très émergent et encore c’est établir un cadastre rigoureux, étant
hésitant. Dans bien des cas, on n’en est donné le flou qui règne en la matière.
qu’aux prémices, portées par des indivi- C’est un travail conséquent, qui se place
dualités qui viennent glaner des informa- rarement au sommet de la liste des
tions sur les possibles. priorités d’une majorité communale. Or,
si l’on veut se servir de ces terres, il faut
Les freins pour les communes sont anticiper. La question de ce qu’on peut
nombreux. Il n’est pas aisé de mettre faire d’une terre ne se pose bien entendu
la question des terres publiques sur la que quand celle-ci se libère. Si, à ce
table sans contrevenir à certains intérêts moment, on n’a pas déjà pensé la chose,
particuliers, ce qui rend le dossier l’opportunité file. Par ailleurs, nous avons
sensible. Des initiatives communales mentionné que les terres publiques ont
de mise à disposition de terres tendance à être relativement éclatées.
s’observent déjà par-ci par-là. Elles sont Cela nécessite d’oser ouvrir la question
intéressantes et il faut les saluer. Mais du « remembrement » agricole, afin de la tutelle ? D’autant plus que, paradoxa- Aliment-Terre de l’arrondissement de Ver-
il faut constater qu’il s’agit toujours de rassembler les terres agricoles d’une ferme lement, la Ville de Liège a été pionnière viers), qui a interpellé en automne 2020
petites parcelles, à destination d’activités autour de celle-ci. S’il faut envisager du dans la mise à disposition de terrains les vingt communes de l’arrondissement
de maraîchage uniquement. Quand il remembrement, pour accueillir un projet communaux à travers l’appel à projets pour obtenir un état des lieux des terres
s’agit de surfaces plus importantes, la cohérent, il faut également l’anticiper. CREaFARM, lancé en 2018 en partenariat publiques. Bien accueillie par certains,
question est plus épineuse, et souvent avec la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise la démarche a également fait grincer
déjà réglée en sous-main. Or, une Cette gestion demande des compétences (CATL), visant au soutien d’un projet quelques dents.
politique englobante ne peut pas se non négligeables, que les administrations d’agriculture urbaine. De la main gauche,
contenter de livrer au compte-goutte communales ont rarement en interne. La deux hectares pour un projet de maraî- Ces acteurs publics locaux sont donc en
un demi-hectare par ci, un hectare problématique est encore plus criante chage ; de la main droite, 1.500 hectares général assez mal outillés, et ne peuvent
et demi par là. Comme nous l’avons pour les CPAS, dont l’objet social est très qu’on laisse filer. Il est urgent de sensibi- pas forcément dégager les moyens
déjà souligné, si l’on veut penser une éloigné de la gestion de terres. Il est dès liser les pouvoirs publics locaux à l’enjeu nécessaires pour gagner en compé-
transition des filières alimentaires, on ne lors tentant de se limiter à percevoir les majeur que constitue l’accès à la terre. La tence sur ces enjeux, qui demandent du
peut réduire l’agriculture au maraîchage fermages sans trop se poser de questions, pression citoyenne peut jouer un rôle, en temps de travail et qui sont rarement les
(voir supra « Du maraîchage ! », p.52). ou même de profiter de l’explosion des rappelant aux élus locaux que la question préoccupations les plus urgentes des
prix du foncier pour dégager des liquidités de la gestion des terres communales communes. C’est d’autant plus le cas
en revendant. En décembre 2020, le CPAS devrait être une question ouverte au débat qu’elles agissent seules, chaque com-
L’avis des spécialistes interrogés est de Liège annonçait qu’il allait vendre 1.500 démocratique local. C’est par exemple la mune devant donc réinventer la roue de
unanime : la première chose à faire, c’est hectares de terres agricoles47. Mille-cinq- démarche entreprise par le RATaV (Réseau son côté. On peut à ce titre regretter le
établir un cadastre rigoureux, étant cents hectares ! Le CPAS veut dégager manque d’action de la Région wallonne
donné le flou qui règne en la matière. des moyens financiers nécessaires pour pour coordonner les efforts afin d’outil-
remplir ses missions sociales. Comment Il est urgent de sensibiliser les pouvoirs ler les communes qui le souhaitent et
L’action communale est entravée par lui en vouloir ? L’asphyxie des moyens de sensibiliser celles qui ne se posent pas la
publics locaux à l’enjeu majeur que
l’opacité et l’inertie de la gestion des terres l’État engendrée par des décennies de question. Un moyen de le faire serait de
communales, ainsi que par un manque néolibéralisme pousse à vendre les actifs constitue l’accès à la terre. La pression financer des acteurs associatifs spéciali-
d’information, de compétences et de publics, d’autant plus que leur location citoyenne peut jouer comme un facteur sés pour agir en ce sens.
moyens pour faire en sorte que ça change. rapporte peu comparé à ce que peut facilitant, en rappelant aux élus locaux
La première étape est de réussir à ce rapporter la vente. Qu’un CPAS n’ait pas Vers une prise en gestion
que la préoccupation s’invite réellement vocation à gérer des terres, on peut le que la question de la gestion des terres
citoyenne de terres publiques ?
à l’agenda politique de la commune. comprendre. Mais n’y a-t-il pas matière communales devrait être une question Un acteur comme Terre-en-vue est
Ensuite, l’avis des spécialistes interrogés à échanges avec la Commune, qui en a ouverte au débat démocratique local. déjà sollicité par des communes pour
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les appuyer dans ces matières. Cette


coopérative citoyenne peut en effet jouer
s’intéresser aux clauses nécessaires dans
les appels d’offres pour éviter que les Des fermes
un rôle intéressant dans l’accompagne-
ment des communes : sensibilisation
sociétés de gestion de terres puissent
prétendre à de tels marchés étant comme « biens communs » ?
des élus aux enjeux de l’accès à la terre, donné les principes généraux de mise
facilitation de la réflexion entamée, en concurrence à laquelle les pouvoirs
appui à l’identification et la sélection publics doivent se plier. Interrogés sur la Le régime capitaliste qui organise nos Il faudrait sortir les terres du régime de
de projets d’installation écologique- question, Terre-en-vue nous confirmait sociétés fait de chaque chose une propriété privée. Précisons. Plusieurs
ment et économiquement soutenables, son intérêt pour ces pistes d’action, mais marchandise. La terre ne devrait pas être droits sont traditionnellement associés
consultance pour cadastrer les biens nous avouait manquer de moyens pour une marchandise ! à la propriété privée d’un bien : le droit
communaux, etc. Et, un pas plus loin, le faire. On peut se réjouir du fait que, d’utiliser le bien (usus), le droit de
pourquoi ne pas donner des terres quelques mois plus tard, dans le cadre de Ce que nous avons discuté dans percevoir les fruits et revenus du bien
communales en gestion à Terre-en- l’appel à projets de la Région wallonne ce chapitre pointe le fait que gérer (fructus) et le droit de « disposer » du
vue ? Contre la marchandisation des Soutenir la relocalisation de l’alimenta- l’affectation du foncier agricole par bien (abusus), c’est-à-dire le droit de
terres, une socialisation des terres. tion en Wallonie – lancé conjointement le principe de la propriété privée le consommer, de le détruire, ou de le
Une coopérative citoyenne prenant en par les ministres de l’environnement, de mène à ce que la logique de l’intérêt vendre. C’est à cette dernière dimension
gestion des terres de propriété publique l’agriculture et de l’économie sociale – un privé prenne le pas sur celle de qu’il faut s’attaquer. C’est-à-dire au
dans un objectif de bénéfices sociaux et financement de trois ans ait été accordé l’intérêt collectif. En rendant la terre droit de revendre les terres, de les
environnementaux, pour contrebalancer à Terre-en-vue et Crédal pour développer inaccessible, elle échoue à faire considérer comme une marchandise.
les sociétés de gestion privées prenant un tel programme. émerger l’agriculture paysanne Cela n’empêche pas que les autres
en gestion les terres de propriétaires dont nous avons besoin (voir dimensions puissent être préservées.
privés dans un objectif de bénéfices Une opportunité à double sens « Introduction », p.5). Elles doivent l’être pour donner aux
financiers. Pour les communes, CPAS et L’un dans l’autre, les terres d’institutions agriculteurs une sécurité dans le temps.
fabriques d’Église, qui ont des moyens publiques locales pourraient constituer Que peut-on opposer à la propriété Nous avons discuté dans ce chapitre du
et une expertise limités, une telle prise une réelle opportunité pour les fermes privée ? Aujourd’hui, la notion de bail à ferme et de son statut protecteur.
en gestion pourrait répondre à un réel partagées, et plus généralement pour « biens communs » est remobilisée. Nous pourrions reformuler ainsi : le bail
besoin. Terre-en-vue expérimente déjà les installations hors cadre familial. Un bien commun peut se définir très à ferme protège (dans son usus et son
ce genre de mécanismes sur quelques Une dynamique naissante allant en ce sommairement via trois éléments clés : fructus) l’agriculteur locataire, et limite
parcelles à Bruxelles, en partenariat sens semble s’installer dans quelques une ressource gérée par une communauté le droit du propriétaire de disposer de
avec des communes avec lesquelles communes. Il est difficile de prédire selon des règles collectives et évolutives. sa terre (abusus). Nous avons expliqué
sont conclus des baux emphytéotiques aujourd’hui sur quoi cela pourra – ou non Le bien commun combine deux aspects que de moins en moins de propriétaires
ou des conventions de long terme, qui – déboucher dans les années à venir. Pour cruciaux. Premièrement, une absence sont prêts à louer leurs terres sous bail
permettent ensuite que la terre soit louée une commune, soutenir le développement de propriété : la ressource n’est pas à ferme et qu’ont émergé des moyens
par la coopérative à des projets paysans. d’une ferme partagée sur son territoire appropriable, elle « appartient » à la de le contourner. C’est une réaffirmation
peut constituer un formidable outil dans communauté, mais pas dans un sens de la propriété privée des terres, qui
La piste de la prise en gestion des terres une politique plus générale d’alimentation classique de la propriété. Deuxièmement, consacre la primauté de la propriété
communales par Terre-en-vue nous durable. D’une part pour la capacité un approfondissement démocratique : sur l’usage.
semble extrêmement porteuse. Elle né- d’approvisionnement de ses habitants la ressource est gérée de manière
cessite d’être creusée sur le plan juridique en denrées alimentaires locales et commune, selon des règles collectives Comment refait-on des terres des
pour devenir une solution robuste. Il faut saines, mais aussi potentiellement de ses qui assurent sa pérennité. communs ? Nous avons souligné
identifier les éventuelles incompatibilités cantines scolaires (une question à laquelle qu’émergent des initiatives citoyennes
avec le nouveau cadre wallon de soumis- les communes portent une attention La terre devrait être un bien commun ! de rachat de terres pour les sortir une
sion de terres publiques. Il faut également croissante). D’autre part, à travers les Ou plutôt le redevenir. Peut-être avez- bonne fois pour toutes du marché – leur
rencontres qu’elles permettent – via vous entendu parler du « mouvement ôter leur caractère de marchandise –,
l’écoulement en circuit direct, mais aussi, des enclosures » ? Celui-ci désigne la les remettre dans les mains d’une
Pourquoi ne pas donner des terres souvent, l’organisation d’événements vague de privatisation des terres qui a communauté et garantir qu’elles servent
communales en gestion à Terre- festifs –, de telles fermes peuvent jouer frappé l’Europe à partir du 17ème siècle et de manière pérenne à des activités
en-vue ? Contre la marchandisation un rôle de renforcement du lien social qui a progressivement mis fin aux droits nourricières paysannes. La difficulté
et favoriser la sensibilisation citoyenne d’usage qui prévalaient jusqu’alors et à laquelle se heurtent ces démarches
des terres, une socialisation des aux enjeux de transformation des dont beaucoup de paysans dépendaient. est qu’elles doivent initialement
terres. Pour les communes, systèmes alimentaires. À cet égard, il accepter le caractère de marchandise
CPAS et fabriques d’Église, qui ont faut souligner que le cumul d’activités de Le régime capitaliste qui organise de la terre avant de pouvoir la leur ôter.
production diversifiées sur un même lieu C’est-à-dire qu’elles doivent acheter la
des moyens et une expertise limités, nos sociétés fait de chaque chose une terre. Cela rend la chose difficilement
peut constituer un espace pédagogique
une telle prise en gestion pourrait grandeur nature qui pourrait intéresser marchandise. La terre ne devrait pas généralisable étant donné l’explosion
répondre à un réel besoin. les communes. être une marchandise ! des prix du foncier agricole. Si cette

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pratique devait se généraliser, cela d’entreprise tend à se diluer quand on Les fermes partagées se prêtent suppose pas que les producteurs
induirait même une pression à la la pense comme un commun. Faire des bien à cette idée. Premièrement, perdent leur autonomie et se
hausse sur les prix, par le jeu de l’offre entreprises des « communs », c’est les nous avons vu que certaines d’entre voient dicter leurs choix par une
et de la demande. C’est à ce titre qu’il penser selon le registre de l’association, elles impliquent déjà une variété de communauté surplombante. Pour
nous semble intéressant d’investiguer c’est penser la socialisation des moyens parties prenantes, dont souvent des penser l’articulation de telles fermes,
la possibilité de mobiliser les terres de production. citoyens locaux qui consomment les on pourrait par exemple s’inspirer
publiques pour en faire des communs. produits de la ferme, qui financent la de la forme française des Sociétés
Premièrement, empêcher que ces terres Pourrions-nous dès lors, un pas plus ferme et en deviennent coopérateurs. Coopératives d’Intérêt Collectif (SCIC)
soient vendues. Ensuite, démocratiser loin, plus généralement envisager les Deuxièmement, ces initiatives (voir aussi chap.4, « S’inspirer de
leur gestion en la remettant à une fermes comme des biens communs ? collectives qui ne s’inscrivent pas dans nos voisins français ? », p.107).
communauté veillant à son bon usage Penser une ferme comme un commun, un cadre familial peuvent s’avérer plus Dans celles-ci, minimum trois types
(un usage nourricier, à destination des c’est reconnaître sa finalité sociale sujettes à imaginer des formes « dé- de parties prenantes doivent être
populations locales) et à leur pérennité. de nourrir la communauté locale patrimonialisées » d’agriculture. associées : les travailleurs, les usagers
La proposition de mise en gestion de et, en ce sens, accepter un principe et une tierce partie prenante (les
long terme de foncier agricole public d’implication de la communauté dans fournisseurs, la municipalité locale,
auprès d’une coopérative citoyenne la gestion de celle-ci. Dans le cadre les investisseurs…). Ces parties
comme Terre-en-vue va dans ce sens. d’une agriculture mondialisée, cette « Un problème de prenantes sont formellement associées
idée semble farfelue. Dans le cadre notre coopérative, c’est à la gouvernance de la ferme et,
Envisager de gérer la terre comme d’une agriculture relocalisée, elle mérite sur les sujets importants, aucune
que nos coopérateurs ne mangent
un bien commun nécessite toutefois réflexion. Les lieux de production ne peut décider unilatéralement.
pas ! Dans les coopérateurs, on a
de travailler nos représentations alimentaire au sein d’un territoire, qui À quoi cela pourrait ressembler,
courantes. Une série de producteurs lui fournissent une sécurité alimentaire, surtout les familles des porteurs concrètement ? Une commune met
ne conçoivent pas de ne pas être eux- doivent-ils être des biens privés ? Si de projet qui veulent les soutenir, à disposition du foncier agricole
mêmes propriétaires de leurs terres, ou une ferme est au contraire pensée quelques personnes fortunées, et (voire investit également dans l’outil
au moins d’une partie de leurs terres. comme un commun territorial, c’est quelques mangeurs. Je trouve que, de production). La communauté de
C’est en partie dû à l’attachement à la alors également aux acteurs du dans ce genre de projet, avoir des citoyens-consommateurs investit dans
propriété privée qui régit notre société. territoire que pourrait revenir le devoir coopérateurs-mangeurs aurait l’outil de production (voire également
Mais c’est aussi dû à des aspects plus de financer l’outil de production. C’est beaucoup plus de sens ! » dans l’acquisition foncière). Les
matériels. L’acquisition foncière joue un moyen de faciliter les installations. Michaël*, producteur producteurs associés garantissent
bien souvent un rôle supplémentaire Mais c’est aussi un moyen de faciliter une production de qualité. Ils assurent
d’assurance pension. S’y ajoute une les sorties, les transmissions d’activité, la gestion quotidienne de la ferme.
question de logement : un agriculteur et d’ainsi favoriser une forme de Penser non seulement la ferme en Les deux autres parties prenantes
actif peut se construire un logement sur réversibilité du métier d’agriculteur. commun mais aussi la ferme comme sont présentes dans les instances de
ses terres – une manière de répondre à L’outil de production n’appartient pas commun, c’est une perspective gouvernance de la ferme et sont ainsi
la difficulté pour bien des producteurs au producteur : s’il décide d’arrêter possible pour les fermes partagées. associées aux orientations stratégiques
de se loger au prix du marché du son activité, l’outil de production reste Comme pour les terres, cela ne de la ferme.
logement (voir chap.4, « Se lancer en aux mains de la collectivité, et un
toute précarité ? », p.95) –, ce qui est successeur en aura usage.
une opportunité plus difficile à saisir
quand la terre ne lui appartient pas (que
se passe-t-il à la fin du bail ?). Pour
penser la terre comme un commun, il Pourrions-nous, un pas plus
faut en même temps penser la question loin, faire des fermes des biens
des revenus des agriculteurs au cours de communs ? Les lieux de production
leur carrière et à la fin de celle-ci !
alimentaire au sein d’un territoire,
La notion de bien commun est le qui lui fournissent une sécurité
plus souvent abordée sous l’angle alimentaire, doivent-ils être
de la ressource naturelle à préserver
(la gestion commune de l’eau, par
des biens privés ? Si une ferme
exemple, mais aussi celle des terres!) est pensée comme un commun
ou de la ressource culturelle (Wikipedia, territorial, c’est alors également
par exemple). Or, les « communs » aux acteurs du territoire que
gagneraient à être également mobilisés
dans le champ de l’entreprise, des pourrait revenir le devoir de
outils de production. La notion même financer l’outil de production.
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Faire collectif
ne s’improvise pas !

3
Se doter d’un référentiel commun. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
La vision. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
Les valeurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
L’horizon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
Des modèles en mouvement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

Fixer le cadre de la participation :


cinq questions à se poser avant de participer. . . . 72
Pourquoi ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Qui participe ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Sur quels sujets ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
Avec quel degré d’implication ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
Où se prennent les décisions ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Des questions faites pour se croiser.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

Comment fait-on au quotidien ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

Coopératives de services ou
coopératives autogérées ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
De quoi parlons-nous ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
Une question impensée ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

Comment penser l’inclusion future


de nouvelles activités ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

Soutenir l’accompagnement des collectifs. . . . . . . 86

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Penser la dynamique collective de


sa ferme partagée peut sembler bien
Comment donner un cadre aux
questions de décision collective sur la Se doter d’un référentiel commun
aisé à côté des nombreux autres défis ferme ? Comment, ensuite, le mettre
auxquels il faut faire face. On s’entend en œuvre ? Nous abordons ensuite
bien, on pioche un peu dans les plus spécifiquement deux sujets Pour faire collectif, il est essentiel de chir risque juste d’entraîner de longues
modèles de gouvernance horizontale qui traversent la plupart des fermes partager un référentiel commun. Il discussions interminables. Ce n’est pas
et d’outils d’intelligence collective à la rencontrées. Le premier est la tension constitue les fondations indispensables le but ! L’enjeu est de se mettre d’accord
mode, on se fait accompagner pour que l’on constate entre deux modèles sans lesquelles la dynamique collective sur ce qui fonde la raison d’être de son
écrire ses statuts juridiques, et l’affaire de ferme : coopérative de services aux ne pourra pas s’opérer sereinement. organisation. La vision peut se traduire
est réglée ! Une fois sur le terrain, il producteurs ou ferme autogérée ? Le Trois éléments nous semblent devoir efficacement en une ou deux phrases.
ne faut toutefois pas longtemps pour second, c’est la question de l’inclusion constituer ce référentiel48.
se rendre compte que cela n’est pas de nouveaux producteurs associés au Les fermes partagées rencontrées sont
suffisant. sein de la ferme. Le chapitre se clôture La vision toutes constituées de personnes qui n’ont
en soulignant l’importance de déployer pas pour eux que l’amour de leur métier,
Ce qui ressort de nos rencontres, en un soutien à l’accompagnement des La manière de voir et concevoir le monde mais aussi des représentations politiques
matière de gestion des dynamiques dynamiques collectives pour les dans lequel la ferme partagée souhaite se sur l’état de nos systèmes alimentaires et
collectives, c’est que les collectifs en fermes partagées. déployer et le rôle que la ferme souhaite y de leur nécessaire transition. Certains col-
viennent souvent à se poser les bonnes prendre vont définir la vision de la ferme. lectifs ont une vision davantage militante
questions, mais malheureusement trop C’est en quelque sorte la dimension poli- de leur ferme que d’autres. Et la vision ne
tard : c’est-à-dire après l’émergence tique de la ferme. Quelle est notre finalité se limite pas aux questions de transition
de tensions, parfois sources de réelles « L’agriculture, c’est sociale ? À quel monde souhaitons-nous agricole. Elle se complète souvent d’idéaux
souffrances. Il faut donc pouvoir penser fragile par définition. participer et comment ? C’est une large de démocratie en entreprise, principe cher
ces questions en amont. C’est vrai Les difficultés humaines peuvent question ! D’aucuns se diront qu’y réflé- à l’économie sociale et solidaire.
pour tout projet collectif. Cela semble être vachement impactantes. La
toutefois assez marqué dans le cas production, la commercialisation,
des fermes partagées, qui cumulent la transformation, tout ça est déjà
une série d’impératifs en période de L’équipe du bercail, le pôle élevage
tellement en tension, si tu dois
lancement : des aménagements à de la Ferme du Chant des Cailles.
rajouter là-dedans une dose de tension
réaliser sur le terrain, des démarches
administratives à effectuer, des capitaux
humaine… » Valérie*, productrice
à lever, des canaux de commercialisation
à développer, etc. Il en découle que
beaucoup sont le nez dans le guidon et
peuvent, in fine, laisser filer la gestion
collective du projet. « Ce sur quoi on insiste le plus, c’est
le fait de ne pas se retrouver seul. Le
Les dynamiques participatives au sein maraîcher qui est tout seul sur son
d’organisations d’économie sociale champ, on commence à avoir le recul
et solidaire sont une préoccupation pour savoir que c’est très rare qu’il
de longue date chez SAW-B. Ainsi, tienne le coup. Après, l’inconvénient
nous avons choisi d’écrire ce du projet collectif, évidemment,
chapitre davantage sous la forme de c’est le facteur humain. Et ça, c’est
recommandations générales, que nous ce qu’il y a de plus touchy, de plus
croisons avec nos observations auprès compliqué… et en même temps de
des fermes partagées rencontrées. Nous plus vivant et de plus chouette. C’est
espérons que ce chapitre puisse ainsi une tension inéluctable ! » Daniel*,
servir les collectifs installés pour penser
initiateur d’une ferme partagée
leurs propres pratiques, mais aussi les
collectifs en création !

Les trois premières sections de ce


chapitre abordent des étapes qui nous « La raison d’être de notre collectif est de
semblent nécessaires à l’instauration nourrir les habitant•e•s d’un territoire au
d’une bonne dynamique collective. travers d’une ferme paysanne vivante et
Pourquoi se doter d’un référentiel * Tous les prénoms avec astérisque engagée ! » Vision établie par une ferme
commun est-il fondamental ? sont des prénoms d’emprunts partagée en cours de construction
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Les valeurs L’horizon et une vie communautaire sur les lieux. C’est en ayant pris la peine de discuter
Alors que d’autres peuvent voir dans l’horizon long terme que le collectif peut
Le terme de « valeurs » peut, ici, être Les ambitions et défis que la ferme le collectif l’opportunité de solidarités, le mieux, ensuite, s’interroger sur ses
compris dans un sens assez large. Il souhaite relever à court, moyen et long bornées toutefois par une grande ambitions et défis de court et moyen
s’agit de définir quelques valeurs, ou terme constituent son horizon. À long autonomie des activités respectives, termes. Par exemple, qu’est-ce que le
principes, auxquels adhère la ferme terme, l’horizon, c’est notamment se des mutualisations qui visent avant collectif souhaite mutualiser à l’échelle
partagée. Les valeurs constituent un poser la question : quel type de ferme en tout l’efficacité, et une segmentation de deux ou trois ans ?
socle qui doit être mis en tout temps en collectif souhaitons-nous développer ? entre vie privée et vie professionnelle.
application, et ce dès le départ. Sans encore entrer dans tous les détails Si ces choses ne sont pas explicitées Vision, valeur et horizon constituent
de l’organisation pratique et de la en amont, cela mène forcément à des la raison d’être de l’organisation, son
C’est notamment à cette étape qu’il structuration technique et juridique, il est attentes contradictoires qui fragilisent référentiel commun. Il nous semble utile
importe de questionner si le collectif important d’être d’accord sur les grandes le collectif. que ces différents aspects se retrouvent
partage un ou plusieurs modèles lignes de ce qu’on veut faire ensemble. au sein d’une charte commune, bien
agricoles inspirants. Pour ne pas Dit comme ça, cela peut paraître évident. Et si nous voulons une ferme connue de toutes et tous.
en rester à des mots creux, qui Mais, au fil de nos rencontres, nous « partagée », souhaitons-nous
renverraient à des idéaux interprétés nous sommes rendu compte que ce développer une coopérative de services Des modèles en
différemment par les uns et les autres, n’était pas toujours clair. Cela engendre ou une coopérative autogérée par les mouvement
il est intéressant pour le collectif alors des attentes hétérogènes sur la producteurs ? Certains fondateurs de
de traduire les valeurs en actions dimension collective de la ferme, ce fermes partagées peuvent souhaiter Discuter de l’horizon de la ferme est
concrètes, en pratiques de production qui ne manque pas de poser problème concevoir la ferme comme une offre utile. Les représentations du futur,
spécifiques. Notons qu’au moment à terme. Il n’y a pas un unique bon de services, qui facilite l’installation ceci dit, c’est fait pour bouger avec le
où cela se discute, les producteurs modèle de ferme en collectif. Plusieurs d’activités paysannes (donner un temps et la pratique. Nous avons croisé
sont parfois encore peu expérimentés. modèles se défendent et répondent accès à un lieu, offrir des facilités plus d’une ferme partagée qui ont, en
Ils peuvent par exemple être attirés à des aspirations différentes. Il faut, d’investissement, gérer les aspects quelques années seulement, apporté
par des expériences de non-labour par contre, pouvoir clarifier le modèle administratifs et comptables, fournir un des modifications substantielles à leur
ou de rejet total de la mécanisation choisi, sans quoi la dynamique collective appui à la commercialisation…), et où la modèle, au point parfois d’en changer
en maraîchage, dont ils ne mesurent risque bien de buter sur des attentes ferme est gérée par des coordinateurs l’horizon de long terme. C’est le cas, par
pas encore toutes les implications irréconciliables. dont le rôle est central pour le exemple, d’un collectif rencontré qui,
pratiques. Mais que penser d’un labour développement stratégique de la ferme. initialement, pensait ses activités comme
superficiel ? Ou de l’usage ponctuel Voulons-nous, par exemple, une ferme D’autres, par contre, veulent concevoir bénévoles et collectives en espérant leur
d’un motoculteur ? Il s’agit donc bien « collective » ou une ferme « partagée » leur ferme partagée comme un outil professionnalisation progressive, avant
de pousser la discussion. Si le collectif (voir chap.1, « Qu’est-ce qu’une ferme commun aux mains des producteurs, de passer sur un modèle de producteurs
adhère à la valeur « agroécologie », partagée ? », p.12) ? Certains peuvent qui sont au centre des décisions associés autonomes qui font d’emblée
quelles pratiques, en accord avec voir dans le collectif une opportunité de stratégiques pour la ferme, dans un de leur activité menée sur la ferme leur
l’agroécologie, le collectif est-il prêt à travail partagé, au sein d’une structure idéal autogestionnaire. Ici aussi, les activité professionnelle. Autre exemple,
mettre en application ? Et quels niveaux très intégrée, avec une mutualisation représentations et attentes doivent une ferme partagée que ses fondateurs
d’autonomie gardent les producteurs en forte à tous les niveaux – notamment pouvoir être explicitées. Nous avons pensaient initialement sous la forme
cas de difficultés ? celui des revenus – constaté que ce n’est pas toujours d’une coopérative de services assez
le cas. Cette tension entre ces deux codifiée, avant qu’y soit progressivement
modèles est d’ailleurs un enjeu pour injectée une plus forte dose de flexibilité
l’essentiel des fermes partagées. Nous y et d’implication des producteurs dans
consacrons une section spécifique dans les orientations de la ferme. Dans une
« On a établi une charte de valeurs. On retrouve les trois valeurs de ce chapitre (voir infra « Coopératives autre ferme partagée encore, on avait
la permaculture : prendre soin de la terre, prendre soin des personnes et de services ou coopératives adopté le modèle d’une coordination
partager équitablement ce qui est produit. Mais on a voulu rajouter quatre autres autogérées ? », p.80). rémunérée avant de se raviser – faute de
valeurs. La bienveillance : on n’est pas là pour juger les autres, notamment les autres soutenabilité financière – et se partager
L’horizon à long terme, c’est aussi se les tâches communes entre producteurs.
modèles agricoles ! L’intelligence, dans le sens d’une capacité à l’autocritique. C’est pour ça
demander : où nous voyons-nous dans
qu’on a à cœur d’avoir un appui scientifique. On n’est pas des gourous avec des idées toutes dix ans ? Quelles sont les variables Se doter d’un référentiel commun, ce
faites. La troisième, c’est la transparence : on est complètement ‘open source’, on n’a pas de qui pourraient bouger avec le temps ? n’est donc rien graver dans le marbre
cachotterie à faire, que ce soit au niveau économique ou des plans de culture. On n’est pas Les activités de la ferme ? Les formes mais se donner les moyens d’évoluer
dans des logiques de concurrence, chacun pour soi. On est dans des logiques où le monde de mutualisations ? La taille et la ensemble. Autrement dit, il s’agit d’établir
est en train de changer, et plus on sera capable d’y contribuer, mieux ce sera. La dernière, composition de l’équipe ? Le lieu ? L’idée une feuille de route commune, faite pour
c’est la gratitude. La capacité à dire merci, et à ne pas tirer la couverture à soi. » Noam*, n’est pas de poser des carcans, mais pouvoir être revue de temps en temps
propriétaire, fondateur et coordinateur bien de se donner un horizon, qui peut (mais pas trop souvent quand même, au
évoluer avec le temps. risque de s’épuiser !).
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Journée porte ouverte à La Finca,


où sont accueillis de nombreux
citoyens-sympathisants, dont
certains coopérateurs.

Fixer le cadre de la participation : une précédente publication de SAW-B49.


Nous les croisons ici avec les constats
Qui participe ?

cinq questions à se poser avant de terrain, issus des témoignages de


fermes partagées.
Toute organisation jugule une série de
parties prenantes. Pour penser la partici-
de participer Ce genre de questions est essentiel. Pourquoi ?
pation, il est nécessaire de commencer par
bien les identifier, avant de se demander
Y répondre est nécessaire pour bien qui doit être impliqué dans quelle décision.
Aux côtés de l’établissement d’un référen- cadrer le mode de fonctionnement de Faire participer tout le monde, à tout,
tiel commun, il nous semble utile de se la ferme. Ne pas se les poser à temps tout le temps, n’est ni possible ni Quelles sont les parties prenantes
poser une série de questions plus spéci- peut mener à ce que s’établissent, souhaitable. Avant de se demander qui fréquemment citées par les fermes
fiques au cadre de la dynamique collec- par l’habitude, des pratiques qui ne participe à quoi, il faut se demander... partagées rencontrées ? Il y a bien sûr
tive de la ferme. Qui participe à quelles conviennent pas à tous et susceptibles pourquoi ? Quel est le sens que l’on met les travailleurs, c’est-à-dire ici les pro-
décisions ? C’est qui le « collectif », de mener à des tensions. Parcourons derrière le fait de vouloir instaurer une ducteurs. On retrouve fréquemment des
exactement ? Y sont inclus les stagiaires, dès lors cinq questions générales que dynamique participative au sein de la fondateurs, autres que les producteurs,
par exemple ? Qui gère les problèmes nous invitons tout collectif à se poser ferme ? Est-ce une question de principe, et qui endossent parfois un rôle
opérationnels du quotidien ? Quelle est en amont : Pourquoi participer ? Qui une volonté d’expérimenter la démocra- de garants des valeurs de la ferme.
la marge de manœuvre du coordinateur participe ? Sur quels sujets ? Avec quel tie à petite échelle ? Est-ce une question Dans certains cas, le propriétaire des
pour prendre des décisions de manière niveau de participation ? et Où partici- de renforcer l’adhésion collective au lieux est un acteur particulier de la
non concertée ? Parmi les multiples par- per ? Ces cinq questions générales, nous développement de la ferme ? Est-ce une ferme, qui peut avoir une double cas-
ties prenantes de la ferme, qui est associé les utilisons fréquemment pour tout question d’efficacité, de bonne organisa- quette quand il est également fondateur
aux grandes décisions stratégiques ? projet collectif. Elles sont détaillées dans tion de ce qui est partagé ? et/ou producteur au sein du projet.
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Ensuite, les citoyens usagers ou sympa- favoriser le développement de nou- est prise. Prenons par exemple le Où se prennent
thisants de la ferme : mangeurs/clients, velles activités sur la ferme partagée ? cas d’une équipe de producteurs qui les décisions ?
voisins, amis et famille, citoyens mus par Lève-t-on du capital ou souscrit-on un souhaitent accueillir un nouveau projet
les valeurs de la ferme, etc. S’ajoutent emprunt bancaire ? Rémunère-t-on au sein de la ferme et qui conviennent La participation recouvre un large
également parfois des partenaires finan- quelqu’un pour faire des tâches de de collectivement discuter des critères spectre de décisions et de pratiques.
ciers qui ont aidé à l’accumulation d’un coordination ? Nous obligeons-nous à de sélection du projet et de choisir Dès lors, elle se déroule dans une
capital suffisant pour lancer la ferme ou prendre le label bio ou non ? ensemble le projet qui intégrera in fine multitude de lieux. La participation peut
pour y développer de nouveaux projets. la ferme. Autre exemple, un Conseil s’exercer dans des lieux formels : en
Ensuite, des partenaires économiques Avec quel degré d’Administration où se côtoient des Assemblée Générale (AG) ou au Conseil
territoriaux, qui collaborent avec la ferme d’implication ? producteurs et des fondateurs, qui d’Administration (CA), par exemple. À
dans ses activités : magasins qui distri- discutent et décident ensemble de l’opposé, elle peut s’exercer aussi dans
buent les produits de la ferme en circuit racheter des terres ou un bâtiment. des lieux informels. Combien de déci-
Pour chaque sujet, les parties prenantes
court, autres producteurs-fournisseurs,… sions ne se prennent pas à la machine
impliquées dans la prise de décision
Enfin, parfois, des acteurs territoriaux Lucidité et clarté : à café en entreprises ? Dans les cas qui
peuvent l’être à des niveaux différents.
comme une ceinture alimentaire. les deux éléments essentiels nous occupent, c’est plutôt entre deux
La participation demande a minima de
la transparence, ou autrement dit, un Il n’y a pas un niveau de participation champs, mais le principe est le même !
Sur quels sujets ? par essence meilleur que les autres. En Entre ces deux pôles (très formel et
partage de l’information. La communica-
tion et la compréhension de l’information fonction du pourquoi de la participation, très informel), il existe toute une série
Une décision n’est pas une autre. On du temps et des moyens de chacun, de lieux intermédiaires plus ou moins
comprend aisément que décider de à toutes les personnes concernées par
la prise de décision sont les conditions et en fonction, surtout, du type de formalisés : une réunion d’équipe, un
la couleur de la brouette ou décider décision à prendre, on peut décider groupe de travail, etc. Plus on est dans
d’acheter cinq hectares, ce n’est pas le sine qua non de la participation. On peut
ensuite distinguer trois niveaux d’impli- d’opter plutôt pour de la consultation, un lieu formel, moins on aura de sou-
même type de décision. Plus générale- de la concertation ou de la codécision. plesse, mais plus la décision prise sera
ment, on peut distinguer : cation dans une prise de décision.
Il nous semble entre autres important légitime et connue de tous. À l’inverse,
Les niveaux de participation d’être attentif à ne pas faire de la plus on est dans l’informel, plus la parole
> les choix opérationnels, c’est-à-dire codécision un graal absolu, mais se libère, plus les décisions seront faciles
ceux qui concernent les tâches Premièrement, la consultation, où l’on
donne à une partie prenante la possibilité plutôt à cibler les moments où elle et les aspects délicats plus aisés à abor-
quotidiennes que les uns et les autres est essentielle. Par ailleurs, en ce der. Réfléchir à « où participer », c’est
doivent effectuer pour mener à bien de donner son avis. C’est, par exemple,
l’éleveur de volailles qui, avant de s’enga- qui concerne l’implication de parties donc réfléchir à quel lieu se prête au
leur activité et les tâches partagées prenantes externes, il nous semble mieux à quel sujet. C’est aussi, comme
collectivement. Où est-ce que je me ger dans un partenariat commercial,
demande l’avis du reste de l’équipe pour important de considérer leur possible nous allons l’illustrer, réfléchir à la bonne
fournis en farine ? Je fais plutôt du implication avec pragmatisme. Par circulation de l’information, et au rythme
fromage à pâte dure ou à pâte molle ? le guider ou valider que son choix n’a
pas de répercussions négatives sur les exemple, impliquer des citoyens d’avancement du collectif.
Je plante des tomates ou des auber- sympathisants dans des mécanismes
gines ? Qui rentre les poules ? Qui autres activités de la ferme, etc. Ou, autre
exemple, le collectif qui demande à son poussés de concertation peut être une Réfléchir à « où participer », c’est
nettoie le magasin à la ferme et sort noble intention mais repose sur une
les poubelles ? réseau de consommateurs son avis sur réfléchir à quel lieu se prête au mieux
les horaires du magasin à la ferme afin de disponibilité en temps de leur part qu’il
faut évaluer avant de leur prêter un rôle à quel sujet. C’est aussi réfléchir à la
> les choix managériaux, qui concernent les modifier en connaissance de cause.
typiquement l’affectation des res-
qu’ils ne veulent peut-être pas prendre. bonne circulation de l’information, et
sources matérielles et financières, l’or- Deuxièmement, la concertation, où une au rythme d’avancement du collectif.
partie prenante participe à co-construire Plus fondamentalement, ce qui nous
ganisation du travail, et les questions
de ressources humaines. Investit-on une proposition sans toutefois que la semble crucial, c’est d’être transparent L’importance des
dans une nouvelle serre ? Revoit-on la décision finale ne lui appartienne. Par sur le niveau de participation des uns réunions collectives
exemple, les producteurs peuvent réflé- et des autres. Par exemple, si des Prendre du temps régulièrement en
contribution financière des différentes
chir ensemble un positionnement sur le producteurs rejoignent une ferme équipe apparaît fort compliqué aux yeux
activités autonomes au pot commun ?
fait de prendre ou non le label bio mais partagée et pensent devenir codécideurs de plusieurs producteurs rencontrés,
Comment organise-t-on la tournante
laisser à chacun la liberté finale de son des orientations stratégiques, mais leur métier étant déjà très prenant. Les
pour tenir le magasin à la ferme ? Est-
choix. Autre exemple, le propriétaire de se rendent comptent que, in fine, ils contraintes horaires des uns et des
ce qu’on accepte de travailler avec des
la ferme peut vouloir faire des travaux à sont simplement consultés, cela finira autres sont aussi parfois compliquées à
stagiaires ? Comment organise-t-on
ses frais pour améliorer les lieux, mais se inévitablement par poser problème. goupiller : un tel ne travaille qu’à temps
la sélection de nouveaux candidats
concerter avec l’équipe avant ça pour que Autre exemple, si un collectif attend partiel sur la ferme et n’est pas dispo-
producteurs ?
les travaux gênent le moins possible le d’un producteur qu’il se concerte avec le nible la moitié de la semaine (et d’autant
> les choix stratégiques, qui renvoient déroulement des activités de la ferme. reste de l’équipe sur certains choix qui plus occupé quand il est présent sur les
aux orientations et positionnements touchent à son activité mais qu’il ne fait lieux), un autre vend ses légumes sur un
de la ferme partagée à moyen et long Troisièmement, la codécision, où l’on que les informer de décisions déjà prises, marché précisément le seul soir de la se-
terme. On achète des terres ? Faut-il est coresponsable de la décision qui cela posera problème. maine qui convient à tous les autres, un
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troisième ne pourra pas s’accommoder « Normalement, on avait des réunions Des questions de ce genre de question ? Quand on
d’une réunion qui dure plus longtemps hebdomadaires entre producteurs. faites pour se croise sur la ferme ? En réunion
que prévu car il doit traire à telle heure, Elles n’ont pas tenu, parce qu’on est se croiser d’équipe ? Dans un moment ad hoc
ce qui se combine mal avec le quatrième tous le nez dans le guidon. Beaucoup avec uniquement les personnes qui y
pour qui la réunion ne peut commencer Ces cinq questions sont faites pour voient un intérêt ?
de choses passent par Whatsapp. On
plus tôt parce qu’il doit livrer ses pains se croiser et se penser en interaction.
avant… Bref, il peut être compliqué de
fait quand même des réunions, mais L’exercice est déclinable à toute
Un bon exercice pour un collectif
réunir tout le monde en même temps très peu au final. Du coup, parfois, le peut consister à partir d’une série de situation qui nécessite une prise
autour d’une table, ce qui renforce la Conseil d’Administration, auquel on situations concrètes et les soumettre de décision. Mixer toutes sortes de
tendance aux organisations informelles. participe tous, prend un peu la place aux différentes questions. « La ferme sujets, des plus opérationnels aux plus
Laisser la place à une organisation de la réunion d’équipe. Mais, a l’opportunité de louer deux hectares stratégiques, permettra de brosser un
informelle est d’autant plus tentant que, clairement, il manque le niveau à un agriculteur voisin. Cette nouvelle large panel. Se poser ces questions
travaillant sur un même lieu – et habitant intermédiaire de la réunion d’équipe. » location de terre permettrait d’agrandir « en théorie » n’a pas vocation à
parfois ce même lieu –, les producteurs David*, producteur le cheptel du producteur éleveur de régler la chaîne de décisions de
se croisent généralement beaucoup. chèvres ». Qui doit-on associer à la toute situation qui pourrait venir
Prévoir des moments d’équipe consa- réflexion ? En interne, faut-il que tous à se présenter. Il s’agit plutôt de
crés nous semble pourtant crucial pour Nous constatons que l’absence de les producteurs se concertent ? Faut-il tester collectivement sa dynamique
éviter les dérives. Selon la configuration réunions d’équipe, ou leur abandon informer le réseau de coopérateurs- participative, mieux appréhender les
de la ferme et les affinités de chacun, par manque de temps a tendance à sympathisants des avancées en manières de répondre à quelques
certains membres de l’équipe sont s’accompagner de l’apparition d’un la matière ? En externe, faut-il se situations types. La manière d’y
amenés à se croiser beaucoup plus leader (généralement une personne concerter avec les autres agriculteurs répondre dépendra bien entendu
souvent que d’autres. Les réunions au rôle particulier : le coordinateur, un du coin qui ont des yeux sur la même des spécificités et souhaits propres
d’équipe peuvent servir à éviter que des producteur fondateur, un producteur parcelle ? Cette question est-elle à chaque collectif. Le tout, c’est
sous-groupes avancent en excluant les propriétaire) avec lequel les autres considérée comme managériale (simple d’expliciter la dynamique collective de
autres, souvent sans même s’en rendre membres de l’équipe entretiennent allocation de ressources) ou comme la ferme afin d’éviter que l’implicite et
compte. Des réunions d’équipe régu- des relations bilatérales. Ces dernières stratégique (enjeux de développement l’informel ne mènent progressivement
lières permettent également de s’assurer traitent parfois de sujets qui pourraient pour la ferme) ? En quels lieux discuter à des malentendus et des tensions.
que chacun comprend bien le pourquoi plus efficacement être traités dans le
de la ferme partagée, de travailler les cadre multilatéral plus formel d’une
représentations communes du collectif. réunion d’équipe. Par ailleurs, le leader
Aussi, nous pensons qu’il est utile d’ins- concentre ainsi beaucoup d’informations
titutionnaliser les moments de réunion,
sans quoi ils risquent de tomber. C’est
et se retrouve dans une situation
particulière d’ultra-responsabilité. Même
Comment fait-on au quotidien ?
par exemple ce que fait l’une des fermes si la personne est bienveillante, elle peut,
rencontrées qui a décidé d’un moment sans forcément s’en rendre compte, se Nous avons souligné dans les sections discussion et de prises de décision que
collectif récurrent, tous les lundis à 10h. retrouver à poser des choix stratégiques précédentes de ce chapitre qu’il le collectif souhaite adopter ? Prise de
C’est une manière de sacraliser ce genre qui mériteraient une réflexion commune. nous paraît essentiel de réfléchir au parole circulaire en réunion ? Prise de
de moment, et que s’installe une forme À travers le rôle pivot qu’elle occupe, référentiel commun et au cadre général décision à l’unanimité, au consentement,
de rituel. Même s’il peut parfois contre- et l’information qu’elle centralise, cette de la gestion collective de la ferme. à la majorité ?
venir aux contraintes de court terme des personne peut rapidement devenir Ce sont selon nous des choses à
uns ou des autres, il servira sans aucun indispensable pour la ferme partagée. penser pour mieux vivre le collectif au « Comment fait-on au quotidien »,
doute la cohésion de long terme. Que se passe-t-il si elle jette l’éponge ? quotidien. Mais elles ne nous disent pas c’est donc aussi choisir comment on
comment faire au quotidien. discute ensemble de sujets, parfois
délicats. C’est sur cet aspect que nous
« Pour moi, la coopérative, c’est fort Quelles sont les modalités d’organisation aimerions ici insister : des méthodes et
« Une fois Axel*. C’est quelqu’un qui est plein de des réunions d’équipe (niveau de outils d’intelligence collective peuvent
par mois, on a une convictions, plein de valeurs… C’est formalité, facilitation et animation, aider mais ce ne sont pas des solutions
réunion « cocréation ». une des plus belles rencontres que j’ai modalités de construction d’un ordre miracles pour régler des problèmes plus
Ce sont des réunions où on pu faire depuis que je me suis lancé. du jour et d’un PV, etc.) ? Quels règles profonds. Si les visions sur les objectifs
fait le point sur la manière C’est la pierre angulaire. Il y consacre et outils se donne-t-on pour assurer que l’on poursuit à travers la ferme
dont se passent les choses. un temps dingue, et ce qu’il fait est un fonctionnement fluide de la ferme ? partagée ne sont pas suffisamment
On peut mettre à l’ordre Par exemple, comment calcule-t-on alignées, les « tours de paroles »
extrêmement généreux. Par contre, je
nos temps de travail le cas échéant, ou risquent bien de surtout mener à tourner
du jour absolument tout pense que s’il quitte, c’est pas sûr que
établit-on une procédure formelle pour en rond. Si la légitimité des uns et des
ce qu’on veut ! » Maïté*, le cadre collectif continue. » François*, le partage et le prêt de matériel ? Ou autres à décider de ceci ou cela n’est
productrice producteur encore, quelles sont les procédures de pas suffisamment claire, les post-its,
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n collectif
Faire pousser so
bien aplanis. Les outils d’intelligence
collective doivent donc être utilisés à
bon escient. Quel que soit l’usage que « J’ai tendance à ne pas dire les
l’on souhaite en faire, il est en tous les choses, ce qui n’est pas bien.
cas nécessaire de soigner les manières Mais j’avais l’impression que j’allais
Mo de discuter collectivement, car les me faire un peu bouffer, que ce que
dèles dé j’allais dire est futile, et en fait, non,
cision pathologies de la discussion collective
n els peuvent entraîner des cercles vicieux : il faut arriver à le dire. » Dimitri*,
s
gle
Rè La mise les réunions donnent une impression
d’inefficacité, voire de malaise, ce qui
producteur

en pratique

ons
mène à en faire moins, ce qui mène à

réuni
renforcer une dynamique implicite où
Outils
d’intelligence collective certains trouvent mieux leur place que
d’autres, etc.

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la participation
Visio
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Hor aleur
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les « chapeaux de bono » ou les « moi soient pas au même niveau dans
à ta place » risquent de surtout pointer cet apprentissage. Certains ont une
des problèmes de gestion collective plus expérience marquée de projets menés
généraux que d’aider à répondre à la en collectifs, tandis que d’autres pas du
question posée. tout. Cela peut engendrer des rapports
inégaux au processus participatif,
les uns attendant des autres qu’ils
prennent plus de place dans la gestion
« Il faut pouvoir se collective, les autres ne se sentant
dire les choses. Fatalement, pas légitime ou pas compétent pour.
à un moment, il y aura un clash. Apprendre à fonctionner en collectif est
Mais un clash n’est pas forcément une moins un apprentissage d’outils qu’un
apprentissage de choses plus générales.
séparation. C’est un moment de forte
Apprendre à s’écouter, apprendre à se
remise en question de l’organisation
taire pour laisser de la place aux autres,
interne, ce dont il y a parfois besoin ! » apprendre à oser prendre sa place,
Ludovic*, producteur apprendre à dire non et à dire quand
les choses ne nous conviennent pas,
etc. Des outils d’intelligence collective
Fonctionner en collectif, discuter et pourront servir à faciliter les pratiques
prendre des décisions ensemble, de respect et d’écoute, et endiguer les
n’est pas quelque chose de facile. phénomènes de domination – souvent
C’est un apprentissage pratique. Or, il implicites – de la parole des uns sur
ressort des témoignages récoltés qu’il celle des autres. D’autres outils, au
arrive fréquemment que les différents contraire, ne peuvent être utilisés tant
membres de la ferme partagée ne que les rapports de force ne sont pas
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Coopératives de services ou
coopératives autogérées ? Jérémy et Sarah,
producteurs et
fondateurs de
Nous avons souligné précédemment que De quoi parlons-nous ? la ferme La Finca.
les fermes partagées émergent dans des
conditions et des contextes variés, avec En grossissant les traits, nous pourrions
notamment des parties prenantes à la qualifier les deux idéaux-types comme
création de la ferme qui diffèrent d’un suit. La coopérative de services est une
cas à l’autre (voir chap.1, « À ancrages coopérative où les producteurs sont des
différents, modèles différents », p.15). bénéficiaires de services qui leur sont
Cette pluralité de parties prenantes proposés par une coopérative dont ils
peut créer des malentendus sur la ne sont pas formellement associés. Ils
dynamique collective attendue par les attendent de recevoir des services à la
uns et les autres. hauteur de la compensation financière
dont ils s’acquittent pour en bénéficier.
Lorsque les fondateurs se penchent Les services proposés peuvent être plus
sur la raison d’être de la ferme qu’ils ou moins poussés, allant d’une simple
sont en train de créer (voir supra location du lieu à un ensemble plus
« Se doter d’un référentiel commun », étoffé de services (gestion administrative
p.69), il nous semble essentiel qu’ils et comptable, investissements, expertise,
se posent d’emblée une question : que etc.). Les producteurs qui s’installent
souhaitons-nous créer au juste ? Une dans ces fermes ont une très grande
coopérative de services qui permet autonomie pour gérer leur activité.
d’installer des producteurs dans une Cette autonomie se traduit généralement
ferme partagée, qui leur fournit une par une pluralité d’entités juridiques. lesquels ils veulent réaliser eux-mêmes, les fondateurs, non producteurs, restent
série de services concrets, mais dont Mais toutes les activités partagent un avec l’appui d’un coordinateur intégré à à la manœuvre et assument les tâches
les fondateurs gardent le contrôle de référentiel commun, dont des valeurs l’équipe ou en les déléguant. Les fermes mutualisées de gestion, mais où les pro-
l’évolution ? Ou une ferme partagée communes concernant les modes de autogérées constituent plus souvent une ducteurs, même sans être formellement
autogérée par les producteurs, qui production. seule entité juridique. Les producteurs associés de la structure faîtière, sont
considèrent la coopérative comme leur y mutualisent davantage une part du activement intégrés aux processus de
outil commun à gérer ensemble, plutôt risque de chaque activité ainsi qu’une développement de la ferme. Ou encore,
que comme prestataire de services ? partie des revenus. des fermes dans lesquelles les produc-
Nous avons introduit cette question « Les causes d’échecs teurs sont associés dans le capital de
plus en amont dans ce chapitre (voir sont nombreuses dans le la ferme aux côtés d’autres parties pre-
supra « l’horizon », p.70). Il nous semble « Les travailleurs, c’est eux qui pilotent nantes, et où ils ont un collège propre en
secteur : la solitude des gens, le
important d’y revenir, plus en détail, la société. Ça ne doit pas être les inves- AG et au CA qui leur permet une forme
financement, l’accès à la terre... Donc on
tant il s’agit d’une tension structurante tisseurs qui siègent au Conseil d’Admi- de contrôle sans pour autant être seuls
pour les fermes partagées.
s’est dit: on va créer une structure dans à bord. Des fermes où c’est seulement
laquelle on peut essayer de couvrir ces nistration, ça doit être principalement
le lieu qui est initialement partagé mais
problèmes-là pour améliorer les chances ceux qui travaillent. Ce qui n’empêche
Le positionnement entre ces deux où les producteurs mettent en place
idéaux-types n’est pas toujours clair de succès des entrepreneurs qui veulent pas d’être aidés, nourris, par d’autres entre eux des formes de mutualisation
au sein des fermes rencontrées, se lancer. » Nora*, propriétaire, personnes apportant des réflexions qu’on qu’ils gèrent de manière autonome. Mais
et parfois variable en fonction de fondatrice et coordinatrice n’a pas entre nous. » Adèle*, proprié- aussi des fermes qui évoluent, passant
l’interlocuteur. C’est que si la question taire, fondatrice, et productrice progressivement d’un modèle orienté
a l’air binaire – coopérative de services services à un modèle plus autogéré, par
ou coopérative autogérée ? –, elle ne La ferme partagée autogérée, quant à exemple.
l’est en réalité pas tout à fait. Il s’agit elle, appartient à ses producteurs, et ces Ces deux idéaux-types sont, par défini-
plutôt d’un continuum entre deux derniers sont à la manœuvre pour en tion, des caricatures de la réalité. Nous Une question impensée ?
idéaux-types. La diversité des contextes impulser les orientations stratégiques. n’avons observé aucune ferme partagée
et conditions d’émergence des fermes, Tout en préservant une autonomie dans répondant strictement à l’un ou l’autre, La question qu’il importe de se poser
dont la diversité des parties prenantes leur activité respective, les producteurs mais bien une multitude de cas se si- quand on crée une ferme partagée –
fondatrices de la ferme, donne une décident de ce qu’ils veulent mutuali- tuant plus ou moins proche de l’un d’eux. particulièrement lorsque le processus de
multitude de configurations hybrides. ser ; et parmi les tâches mutualisées, Par exemple, des fermes partagées où création est porté (en partie) par d’autres

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que les producteurs – est la suivante. d’un modèle ou de l’autre – les deux se les nuances de la réalité. C’est en par-
Dans quel état d’esprit les fondateurs de défendent et répondent à des aspira- ticulier vrai pour les fermes partagées
la ferme souhaitent que les producteurs tions différentes –, il nous semble surtout qui sont en recherche de nouveaux
se sentent et, par conséquent, agissent ? important que le modèle de la ferme « On n’est pas producteurs, mettant plus aisément
En tant que récipiendaires de services partagée soit clair pour tout le monde, dans une relation classique en avant les différents services pro-
ou en tant que coresponsables d’un outil afin d’éviter les mécompréhensions sur de propriétaire-locataire, où tout posés que l’inclusion dans un collectif
partagé qu’est la ferme ? La question ce que chacun attend de l’autre et, in fine, ce qui compte c’est le contrat. Mais, à proprement parler. Cela peut être
nous est apparue parfois impensée. Or, les espoirs déçus. même s’il participe au Conseil renforcé lorsque la gestion des services
elle nous semble essentielle. En effet, d’Administration, on n’est pas non mutualisés (dont souvent, de surcroît,
c’est toute la dynamique sur la ferme Comment expliquer que, dans une ferme plus dans un truc où le propriétaire la communication) est portée par un
qui peut changer en fonction de la partagée, tous puissent ne pas conce- est complètement intégré au projet, et coordinateur bien identifié, auquel les
perception que l’on s’en fait. Dans une voir la ferme de la même manière ? Au je ne me verrais pas aller vers ça ! » nouveaux producteurs auront tendance
coopérative de services, les producteurs risque de nous répéter, rappelons que Gwénaël*, producteur à associer la coopérative, plutôt que de
peuvent davantage considérer ne pas créer un référentiel commun a notam- le voir comme une personne membre
être coresponsables de la qualité de la ment pour but de bien clarifier les inten- de l’équipe.
dynamique collective (moins voir l’intérêt tions et attentes de chacun (voir supra
de participer à des réunions collectives « Se doter d’un référentiel commun », créée pour les accueillir – ils en sont
régulières, par exemple, ou prendre des p.69). Sur certaines fermes, ce travail bénéficiaires – plutôt que dans une
postures plus revendicatives) et des peut avoir manqué. Mais ce travail nous structure dont ils peuvent déterminer « On ne veut pas être une entreprise
enjeux stratégiques de la structure de est aussi apparu d’autant plus complexe l’évolution. La coopérative et ses fonda- de services, et c’est ça dont on s’est
service, dont dépend pourtant leur acti- à réaliser, et à partager avec les nou- teurs doivent donc être particulièrement rendu compte ces deux dernières
vité (ne pas du tout s’intéresser au bilan veaux venus, que les fermes partagées clairs vis-à-vis des producteurs : quelle années. On mène ensemble un projet
financier par exemple). sont régulièrement confrontées aux trois place peuvent-ils prendre ? Quelle place collectif, au sein duquel il y a un
particularités suivantes. attend-on qu’ils prennent ? esprit de partage. C’est ça que le por-
Nous avons perçu le manque de clarté
teur de projet doit comprendre qu’il
sur cette question et les tensions que cela Premièrement, on observe dans des Enfin, la ferme partagée est parfois intègre. » Aurélie*, productrice
peut engendrer dans plusieurs témoi- fermes partagées des statuts différents amenée à « se vendre » à l’extérieur et
gnages. Un producteur nouvellement entre les producteurs. Certains sont peine alors à le faire en reflétant toutes
inséré au sein d’une ferme partagée, par salariés, d’autres indépendants, et tous
exemple, nous expliquait avoir perdu ne sont pas associés de la coopéra-
une partie de sa production suite à une tive. Dans bien des cas, c’est le fruit
erreur de manipulation involontaire d’un
autre producteur. Il aurait trouvé normal
d’évolutions historiques particulières
à recontextualiser. Dans d’autres cas, Comment penser l’inclusion future
que « la coopérative le rembourse ».
Mais qui est la coopérative ? Ça veut
c’est un choix consciemment posé. Le
choix d’une intégration progressive d’un de nouvelles activités ?
dire quoi « la coopérative rembourse », producteur, d’abord sous statut d’ouvrier
dans ce contexte où les frais courants agricole avant de devenir associé, par
de la coopérative sont financés par les exemple. Ou encore le choix collectif de Accueillir de nouvelles activités de pour renforcer ces synergies ou en faire
producteurs eux-mêmes, de manière par- développer des activités potentiellement production est un enjeu pour de nom- croître de nouvelles. Troisièmement, une
tagée ? Ainsi, le producteur considérait la rémunératrices – telles que des activités breuses fermes partagées. Les causes ferme partagée peut être créée spécifi-
coopérative de la ferme partagée comme d’hébergement ou d’accueil de groupes, de ce désir peuvent être multiples. quement dans un objectif de transmis-
complètement extérieure à lui et en atten- par exemple – et d’employer quelqu’un Premièrement, les fermes partagées sion de ferme, et un agriculteur installé
dait avant tout des retours de services. pour s’en charger plutôt que d’en faire qui souhaitent pouvoir rémunérer une peut donc rechercher une relève non
Qui s’avéraient ne pas être à la hauteur une activité autonome comme les autres. personne pour la coordination semblent familiale avec laquelle travailler pen-
de ses espérances. De son côté, le reste Dans tous les cas, les différences de devoir atteindre un certain nombre d’ac- dant un temps. Enfin, il peut y avoir du
de l’équipe attendait de ce producteur statuts ont tendance à créer des rapports tivités de production sur la ferme, afin mouvement dans les fermes partagées :
une implication plus marquée dans le différenciés au collectif, en particulier si que le modèle soit viable (voir chap.1, des producteurs s’en vont vers d’autres
développement collectif de la ferme en les porteurs de projet ne sont pas tous au « Tâches partagées et coordination : qui horizons et le collectif souhaite trouver
tant que telle. Sur une autre ferme, un clair sur les raisons de ces différences. fait quoi ? », p.30). Deuxièmement, nous un remplaçant pour maintenir l’activité
producteur arrivait au contraire dans une avons vu combien les synergies agroé- sur la ferme.
ferme partagée en la pensant comme Deuxièmement, la fréquente pluralité des cologiques et socioéconomiques entre
un outil collectif des producteurs, et se parties prenantes fondatrices de la ferme activités de production peuvent être Réfléchir aux étapes d’intégration des
heurtait fréquemment à une segmenta- partagée peut mener les producteurs, bénéfiques pour le collectif (voir chap.1, nouvelles personnes nous semble
tion entre ce dont il pouvait faire partie en particulier si eux-mêmes ne font pas « Que mutualise-t-on sur une ferme primordial. À quelle vitesse le nouveau
et ce pour quoi on ne lui demandait pas partie des fondateurs de la ferme, à avoir partagée ? », p.19). Un collectif peut sou- producteur acquiert-il le même statut
son avis. Que l’on se situe plus proche l’impression d’être dans une structure haiter développer de nouvelles activités que les producteurs en place ? Dès son
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entrée ? À partir de quand l’avis des


nouveaux venus sur le développement
de la ferme est-il formellement aussi
Benoit, du projet Anthésis, récoltant engageant que celui des producteurs qui
des semences de laitues, sur la ferme la font vivre depuis plusieurs années ?
partagée Permaprojects. Imagine-t-on une période de test avant
de devenir formellement associé ? Nos
observations nous montrent que ces
questions s’avèrent particulièrement
importantes dans les configurations où
une partie conséquente des revenus
est mutualisée. Jusqu’où est-ce que le
collectif doit aider les producteurs en
lancement qui les rejoignent, et dont
les revenus sont alors généralement
très faibles ? Il est utile que ce genre
de questions puissent être débattues
ouvertement, au risque sinon de créer
des sources de tensions implicites, voire
de menacer la viabilité économique des
autres activités de la ferme.

Certains collectifs rencontrés ont


creusé cette question dans des voies
qui nous semblent intéressantes et
qui vont dans le sens d’une intégration
progressive. C’est par exemple le cas
d’une ferme partagée où l’entièreté des
revenus est mutualisée (les activités
sont autonomes, mais tout le monde
se verse un même salaire horaire) et
qui a décidé d’accueillir un nouveau
producteur d’abord en tant que stagiaire,
puis en tant que travailleur saisonnier,
puis comme ouvrier agricole et, enfin,
l’accueillir en tant qu’associé à part
entière. Le passage d’un statut à un
autre se fait en fonction de différents
critères choisis par le collectif : niveau de
compétence, durée minimale d’essai, ou
encore atteinte d’objectifs économiques.
Quels que soient les critères choisis, il
nous semble important que les étapes
de ce processus soient bien clarifiées
avec le nouvel arrivant en amont.

Pour ce dernier, il peut en réalité être


confortable de démarrer avec une
asymétrie de statut, dans la mesure
où cela peut lui permettre de ne pas
devoir d’emblée s’investir à la hauteur
des producteurs associés (niveau de
responsabilité, temps de travail, etc.).
Le cas échéant, il nous semble toutefois
important de faire attention à ce que la
différence temporaire de statut ne mène
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pas à un rapport différencié au collectif horizontale. Pour ces raisons, il nous dans l’accompagnement des projets chercheuse française de l’Institut
qui se maintiendrait dans le temps. Un semble important de penser l’intégration agricoles et de l’alimentation n’ont pas National de Recherche Agronomique,
risque est que ces différences, bien que progressive des nouveaux producteurs de programme d’accompagnement Véronique Lucas, c’est l’importance de
temporaires, soient sources de tensions dans les organes de gestion de la ferme spécifique aux projets collectifs dans dégager des financements structurels
ou soient vécues comme une contra- partagée selon un agenda réfléchi en ces secteurs. C’est compréhensible, en la matière : les associations
diction avec un souhait de gouvernance amont et clair pour tous. les projets de fermes partagées bénéficiant de moyens structurels
représentent un phénomène voient les accompagnateurs gagner
émergent, mais il y a à présent un en compétence au fil du temps et
trou à combler. Il faudrait s’inspirer ont dès lors la capacité d’offrir un
Soutenir l’accompagnement de nos voisins français, où une série
d’organisations croisent aujourd’hui
accompagnement de qualité, tandis
que les structures financées à court
des collectifs les deux dimensions pour un service
d’accompagnement spécialisé. C’est
terme – typiquement par des appels
à projets ponctuels – ont un turnover
par exemple le cas de l’Association important dans leurs effectifs ce dont
Au fil de ce chapitre, nous avons à retenir de ce chapitre, c’est que, au Tarnaise pour le Développement de pâtit la qualité des accompagnements.
souligné l’importance de construire contraire, le collectif, ça se prépare et l’Agriculture de Groupe (ATAG) qui, Nos pouvoirs publics pourraient ainsi
une ferme partagée où chaque se travaille ! depuis 1993, propose différents services décider de soutenir l’accompagnement
personne comprenne bien l’autre – son utiles : conseil et accompagnement de l’agriculture en collectif si, comme
apport, ses limites à la participation Nous pensons qu’il peut être utile pour personnalisé des projets collectifs, nous, ils identifient dans cette dernière
et son niveau de responsabilité – et les collectifs de se faire accompagner prévention et gestion des conflits, un réel potentiel pour répondre à des
comprenne ce qu’il peut attendre dans la gestion de leur dynamique appuis à la vie et au fonctionnement de enjeux politiques de transition des
comme soutien et ce qu’il doit fournir collective. Qu’une personne externe groupes, représentation et défense des systèmes alimentaires.
lui-même à la collectivité. Nous nous spécialisée puisse, à des moments agriculteurs en groupe50.
sommes prêtés à établir quelques clés, animer et faciliter la discussion,
recommandations, quelques questions accompagner le collectif sur comment Ensuite, il y a une question financière
générales à se poser, sur base de nos gérer une dynamique collective dans évidente. Les conditions de revenu « Souvent, les
observations. Comme nous avons tenté la pratique (et non uniquement en des producteurs sont souvent très projets en groupe,
de le montrer, si tout cela peut paraître théorie comme nous le faisons ici), modestes, et la viabilité économique ils se lancent. Ils sont dans le feu
relativement évident à première vue, sur d’ouvrir des questions délicates que le des structures collectives souvent de l’action. Il y a plein de problèmes
le terrain, faire collectif n’est pas chose collectif pourrait avoir du mal à aborder sur un fil. Dans ce contexte, il est
à résoudre, de type urbanistique,
aisée. Penser la dynamique collective sans facilitateur, d’aider les uns et les tout bonnement impensable pour
où trouver des locaux, faire des
est trop peu souvent vu comme une autres à se mettre en réelle capacité la plupart de s’offrir les services
d’un prestataire externe à des tarifs travaux, etc. Et c’est une fois
priorité, dans un contexte où il y a d’interroger ses propres besoins et celui
déjà un grand nombre d’autres choses du collectif, etc. Parmi les collectifs standards de marché. Autrement qu’ils sont lancés que se posent les
à régler, à commencer par assurer interrogés sur ces dimensions, tous dit, si de tels accompagnements ne questions, après un an ou deux :
la production, et où les situations partagent ce constat de l’utilité d’un sont pas financièrement soutenus « OK, maintenant, comment on va
économiques personnelles sont le accompagnement. Pourtant, aucun n’a par de la subvention, ils ne risquent faire vraiment pour gérer un conflit ?
plus souvent relativement précaires sollicité un accompagnement spécialisé, pas d’émerger. C’est également un Comment on va se mettre d’accord ?
(voir chap.4, « Difficiles conditions ou du moins pas un accompagnement constat qui a été posé en France. À Comment on va fonctionner en
de marché », p.92). Les producteurs dans la durée. Nous identifions deux titre illustratif, l’ATAG est suffisamment somme ? ». Il y a certains groupes où
manquent de temps à y consacrer et, facteurs d’explication. soutenue – via un fonds de formation on arrive à travailler ça à l’avance,
parfois, pensent que ce ne sera pas de syndicats agricoles ainsi que des ou relativement tôt. Mais pour la
l’aspect le plus complexe à gérer. Or, D’abord, il n’y a à ce jour pas vraiment subsides structurels du département majorité, on travaille ça après. Et là, il
mener un projet collectif ne devrait pas d’offre, pas vraiment de prestataire – pour pouvoir offrir des formations faut facturer au prix d’un consultant.
s’improviser. S’il y a bien quelque chose clairement identifié pour ce genre gratuites pour les producteurs et Entre 55 et 80€ de l’heure. C’est un
d’accompagnement spécifique. D’une des accompagnements collectifs
sacré frein. » Lucie*, conseillère et
part, les structures qui proposent au tarif de 100€ par journée. Ce
ancienne productrice
Nos pouvoirs publics pourraient facilitation et accompagnement des dont nous témoigne par ailleurs une
dynamiques collectives ne sont pas
ainsi décider de soutenir spécialisées dans les secteurs de la
l’accompagnement de l’agriculture en production alimentaire paysanne. Or,
collectif si, comme nous, ils identifient passés certains stades de généralités,
dans cette dernière un réel potentiel il nous semble important que
l’accompagnant ait conscience des
pour répondre à des enjeux politiques de réalités propres à ce milieu. D’autre
transition des systèmes alimentaires. part, les organisations spécialisées
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Pa rtag er Accé der à l’outi l Fa i r e C ol l ecti f D ev eni r Paysa n

Devenir paysan :
un chemin précaire

4
Le paradoxe des fermes partagées :
un besoin social fantasmé ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

Difficiles conditions de marché. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92


Payons mieux les paysans !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
Se lancer en toute précarité ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

La formation : un enjeu de taille. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96


Quelles possibilités pour se former ?.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Garantissons un revenu de remplacement
aux paysans en formation !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

Comment se lancer sans couler ?


Le rôle possible des coopératives d’activité. . . . 102
Tester son activité sans risque avec
une coopérative d’activités ?.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
Fermes partagées et coopératives d’activités :
faites pour s’entendre ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
S’inspirer de nos voisins français ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

L’accès aux aides agricoles.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109


Néopaysans en mal de reconnaissance institutionnelle. . . . . . . 109
La ferme à plusieurs, mais pas en famille : l’anomalie.. . . . . . . . . . . 112

89
Pa rtag e r Ac c éd er à l’o u t i l Faire C olle ctif De v e nir Pay s an Pa rtag er Accé der à l’outi l Fa i r e C ol l ecti f D ev eni r Paysa n

Sébastien, Une transition ambitieuse des systèmes se concrétiser dans les faits. Il faut dès
maraîcher des alimentaires vers un mieux écologique, lors identifier les freins et les leviers en
Jardins d’Arthey. social et sanitaire, passe par une agricul- présence. Au chapitre 2, nous avons déjà
ture relocalisée, désindustrialisée, et donc évoqué les nombreuses difficultés d’accès
plus intensive en travail (voir « Intro- à la terre, aux infrastructures, et au capital.
duction », p.5). C’est-à-dire, sur certains Dans ce chapitre-ci, nous traitons des
aspects, rebrousser chemin par rapport autres freins institutionnels spécifiques
à la tendance actuelle. Réfléchir à ce que aux installations hors cadre familial. Nous
l’on garde de mécanisation, par exemple, y discutons des parcours de formation
pour alléger la condition paysanne, mais et des difficultés liées à la période de
aussi aux pratiques que l’on change réso- lancement de l’activité. En filigrane de ces
lument pour stopper le désastre environ- questions, la question fondamentale de la
nemental, sanitaire et social qui entoure sécurité de revenu en période de tran-
les formes d’agriculture les plus industria- sition professionnelle nous semble être
lisées et mondialisées. En 2016, selon les un verrou central aux installations. Pour
dernières statistiques en vigueur, 22.000 bien comprendre le contexte global dans
personnes vivaient de l’agriculture, soit lequel ces freins spécifiques s’inscrivent,
1,5% de la population active. En 1980, ce il nous faudra toutefois d’abord revenir sur
chiffre s’établissait à 60.000, soit 5% de la un frein majeur d’ordre plus général : les
population active51. En 1950, l’agriculture « conditions de marché » ou, dit autre-
occupait 14% de la population active ment, les conditions de revenu des pro-
en Belgique52. Rebrousser chemin, c’est ducteurs. Cet obstacle est si évident pour
donc organiser et planifier politiquement quiconque s’intéresse à la question que
une forme de « re-paysanisation » des l’on oublierait presque de le mentionner.
campagnes ! Si les pouvoirs publics C’est pourtant le frein le plus prégnant, car
souhaitent effectivement aller dans ce il amplifie l’ensemble des autres obstacles,
sens, il faut mettre en œuvre des mesures si bien qu’il nous semble essentiel d’en
politiques fortes qui favorisent les tran- toucher un mot. Le chapitre se termine par
sitions professionnelles vers des métiers une discussion sur les difficultés d’accès
de production agricole paysanne et de aux aides agricoles pour les projets de
transformation alimentaire artisanale ! petite production paysanne. Nous discu-
tons également dans cette dernière partie
Dans ce chapitre, nous verrons que nous du chapitre des freins supplémentaires
en sommes assez loin. Nous commençons que peut engendrer le cadre collectif des
par poser le constat que, contrairement fermes partagées sur la reconnaissance
à une idée reçue, les projets d’instal- institutionnelle des activités qui y prennent
lation néopaysanne ne semblent pas cours. C’est un problème assez caractéris-
si nombreux. Il semble y avoir du désir tique des projets d’innovation sociale : les
en la matière auprès de personnes non cases administratives établies n’ont pas
issues du milieu agricole, mais il peine à été « pensées pour ».

Le paradoxe des fermes partagées :


un besoin social fantasmé ?
On ne compte plus les articles de presse C’est notamment le constat que font
ou les reportages de télévision sur les trois fermes partagées qui, souhaitant
exemples de reconversion profession- agrandir leurs équipes respectives, ont
nelle vers un métier de paysan ou d’arti- lancé à l’été 2020 un appel à projets
san. À première vue, on pourrait penser commun. Lors de six séances d’infor-
que les fermes partagées devraient mation, elles expliquaient leurs modèles
attirer des hordes de néopaysans. Mais de ferme partagée et appelaient les
est-ce le cas ? Pas vraiment. intéressés à soumettre un dossier dans
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Pa rtag e r Ac c éd er à l’o u t i l Faire C olle ctif De v e nir Pay s an Pa rtag er Accé der à l’outi l Fa i r e C ol l ecti f D ev eni r Paysa n

l’objectif de rejoindre les collectifs une série d’observateurs rencontrés, ou encore de la localisation de la ferme tiel. Ces dynamiques territorialement an-
en place, comme porteurs de projet comme Terre-en-vue, qui nous relate et des filières possibles de commer- crées rassemblent des personnes prêtes
associés. Les séances d’information ont avoir nettement moins de demandes de cialisation (dont dépendent les prix de à soutenir, à travers leur consommation,
rassemblé au total 300 personnes. Dont projets néopaysans que ce qui avait été vente). L’essentiel des producteurs vit les producteurs locaux. Sans circuits
n’ont découlé qu’une petite vingtaine de anticipé au lancement de la coopérative. cependant de peu. Ils sont nombreux courts, la production paysanne et arti-
dossiers de candidature, dont moins de à retirer un salaire de leurs activités de sanale ne pourrait tout simplement pas
la moitié étaient des dossiers « sérieux ». Les projets néopaysans suscitent production qui les place proche du seuil exister, et les fermes partagées n’auraient
À ce jour, de ce vaste appel à projets, ne l’intérêt. Et, à ce titre, ils sont probable- de pauvreté (environ 1000€ net par mois, pas d’avenir. Il est crucial de continuer à
restent que trois personnes en discus- ment surmédiatisés. Il n’y a pourtant en Belgique). Et au prix d’une quantité de soutenir le développement des circuits
sion avec une des fermes pour un projet visiblement pas lieu de croire qu’une travail engagée souvent très importante courts alimentaires, notamment à travers
d’installation. Si la masse de personnes forme d’exode urbain est en cours. Les – par le producteur lui-même, mais aussi, un soutien financier public.
attirée par ces métiers est conséquente, articles de presse et autres reportages régulièrement, par de l’aide bénévole d’un
très peu d’entre elles semblent tenter télévisés tendent à adopter une approche conjoint, d’amis ou de stagiaires… –, si Pour autant, si l’essor des circuits courts
l’aventure. Comment l’expliquer ? de story telling – « Judith, 30 ans, a tout bien que, en termes de salaire horaire, la alimentaires permet à la paysannerie de
lâché, sa vie bruxelloise et son emploi situation est encore plus préoccupante. subsister, et si ces démarches ont souvent
Il n’est bien sûr pas à exclure que, dans de consultante, pour élever des chèvres à cœur la question de la rémunération des
cet exemple précis, les modèles parti- en Gaume » – qui insiste sur les aspects Le constat est connu : si nous sou- producteurs, elles ne permettent qu’impar-
culiers de ces fermes aient pu repous- enviables mais taisent trop souvent les haitons une production alimentaire faitement de lever l’obstacle majeur des
ser des candidats potentiels. Mais, de multiples obstacles qui sont pourtant le saine, écologiquement soutenable et conditions de marché. La pression de
manière générale, le constat semble lot quotidien des projets d’installation qui permette aux producteurs de se marché s’exerce : même en circuits courts,
surtout être que les candidats à l’instal- paysanne. On peut se prendre à rêver rémunérer dignement, nous ne payons les producteurs ne sont, en réalité, que
lation ne courent pas les rues. Il n’existe d’une autre vie, rythmée par une activité tout simplement pas assez cher notre partiellement libres d’eux-mêmes détermi-
pas de statistiques formelles, que des de production derrière laquelle on met du nourriture. La part de l’alimentation dans ner leurs prix. De fait, pour que les circuits
impressions. Mais les impressions sens. Assister à une séance d’information le revenu des ménages a drastiquement courts existent, il faut qu’existe une de-
convergent. Le constat est partagé par pour rejoindre une ferme partagée, c’est chuté en quelques décennies, passant mande. Jusqu’où est-on prêt à payer notre
assurément un moyen peu engageant en moyenne de 28% en 1960 à 11% en chou-fleur, notre pain ou notre yaourt
de rêver un peu. Être paysan ou artisan 2000 (stabilisées à 11% depuis)53. nature plus cher parce qu’ils sont produits
Les projets néopaysans suscitent l’intérêt. semble aujourd’hui valorisé, bien plus dans des conditions environnementales et
Et, à ce titre, ils sont probablement qu’hier, dans une série de milieux sociaux. sociales vertueuses ? Si de plus en plus de
surmédiatisés. Il n’y a pourtant Un désir existe manifestement. Mais, Si nous souhaitons une production citoyens sont prêts à augmenter – quand
entre le désir et la projection réelle, il y a alimentaire saine, écologiquement ils en ont les moyens – leur budget dédié
visiblement pas lieu de croire qu’une un environnement trop peu porteur, il y a
soutenable et qui permette aux à des produits locaux de qualité, on ne
forme d’exode urbain est en cours. quelques sérieux freins. peut toutefois monter les prix que jusqu’à
producteurs de se rémunérer dignement, un certain niveau avant d’être trop cher
nous ne payons tout simplement pas quand même, par rapport aux standards

Difficiles conditions de marché assez cher notre nourriture. de marché, c’est-à-dire par rapport au prix
du chou-fleur, du pain ou du yaourt nature
Les circuits courts vendu en supermarché. Le problème,
ne peuvent pas tout c’est celui de la concurrence exercée par
Payons mieux lors des modèles économiques propres, De plus en plus, des circuits courts les filières industrielles. Cette concur-
les paysans ! qui prennent le contrepied des filières alimentaires se développent. Via la vente rence, on peut la qualifier de déloyale : les
conventionnelles de production et de directe, via des groupements d’achats dérives environnementales, sociales et
Les projets de production paysanne commercialisation. Des volumes de solidaires de l’agriculture paysanne, via sanitaires des pratiques de l’agro-industrie
ou artisanale ont le plus souvent de production limités, peu d’endettement, des ceintures alimentaires qui tentent représentent un coût important qu’elles
très hauts standards de production en des produits à hautes valeurs ajoutées, d’organiser les filières à l’échelle d’un n’assument pas – mais qui pèse pourtant
termes de qualité nutritive et de respect écoulés en circuits courts. territoire, via des magasins spécialisés sur l’ensemble de la société – et qui ne se
de l’environnement. Les filières d’appro- qui font l’intermédiaire entre producteurs reflète dès lors pas dans les prix de leur
visionnement locales et de qualité sont Malgré tout, les équilibres économiques et consommateurs (unique intermédiaire marchandise. Or, ce sont ces prix biaisés
privilégiées et la mécanisation y est relati- restent difficiles à atteindre. Si nous si l’on est bien en circuit court)54. Cette qui fixent les références dans les têtes de
vement limitée. Tout ceci induit générale- n’avons pas établi un recueil précis des dynamique de circuits courts est extrê- ce qui est cher et de ce qui ne l’est pas.
ment plus de travail humain. La concur- revenus de l’ensemble des activités des mement importante pour des produc-
rence avec les standards actuels de la fermes partagées rencontrées, nous pou- teurs dont le modèle économique repose Que faire face à la pression de marché ?
production agroalimentaire – industria- vons témoigner d’une relative précarité. sur la vente directe ou la vente avec un D’abord, au sein des filières en circuits
lisée, fortement mécanisée, mondialisée Les réalités financières dépendent bien seul intermédiaire. À faibles volumes de courts existantes, il est nécessaire
– est difficilement tenable. Ces activités entendu du type d’activité, de l’expé- production, capter la majeure partie de la qu’émergent des mécanismes de
de petite production développent dès rience du producteur, de son efficacité, valeur ajoutée de la production est essen- concertation sur les prix, entre
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producteurs, sans quoi ils finiront par production ne soit accessible qu’à un « Quel prix sommes-nous prêts à payer ? » en reconversion doivent le plus souvent
se faire concurrence entre eux, ce qui marché de niche constitué de personnes compter sur leurs propres ressources.
ne manquera pas de tirer les prix vers le économiquement aisées. En résulte
La question est mal posée, car elle sous-
bas55. Ensuite, dans le chef des pouvoirs une tension complexe à gérer entre la entend que c’est une question de choix Pour certains, ce sera une épargne
publics, il est insuffisant de soutenir volonté de rester accessible et le besoin individuel. Or, ce devrait précisément personnelle permise par une précé-
les dynamiques de circuits courts… il d’atteindre certains seuils de rémunéra- être une question de choix collectif. dente carrière. Pour d’autres ce sera une
faudrait, dans le même temps, s’appliquer tion. Ces questions de prix – et donc de sécurité familiale, la possibilité d’être aidé
à entraver sérieusement l’agro-business revenus – traversent à un moment ou un par des parents si l’initiative tourne au
qui tire les prix vers le bas grâce à la non- autre toutes les fermes partagées. L’une institutionnel. Et pas des moindres : c’est vinaigre. Pour beaucoup, il est néanmoins
prise en charge des externalités négatives d’entre elles en particulier – qui a fait le le premier facteur d’échec ou d’abandon, nécessaire de trouver des stratégies
qu’elles dégagent. Rediriger les aides choix du contrat salarié pour l’ensemble et le premier verrou aux vocations. alternatives ou complémentaires. Res-
vers les modèles les plus soutenables. des producteurs – nous a témoigné sa sortent ainsi deux pratiques fréquentes.
C’est une question qui nécessite de jeter, lassitude de se voir systématiquement Se lancer en La première agit sur les ressources : c’est
au niveau européen, des pavés dans la renvoyer l’image de faire de la production toute précarité ? la pluriactivité. C’est-à-dire préserver, au
mare de nos accords internationaux : la de qualité mais « trop chère ». Pourquoi moins pour un temps, un autre travail à
Politique Agricole Commune (PAC) en les paysans devraient-il systématique- Nous venons de voir que, même en régime côté, qui permet de subvenir à ses be-
tant que telle, mais aussi les accords ment s’auto-exploiter ? Ce qui se joue de croisière, les paysans et artisans qui soins pendant que l’activité de production
commerciaux bilatéraux de plus en plus ici, en réalité, c’est la précarité des uns s’en sortent ne vivent généralement pas se lance et génère trop peu de revenus
nombreux signés par l’Union européenne contre celle des autres. L’équation d’un dans le luxe. Or, pour en arriver à une propres. Cela peut avoir l’avantage de se
avec d’autres régions du monde – tel que « prix juste » à la fois pour les produc- activité qui tourne, il faut un peu de temps. lancer progressivement. Deux risques
le CETA ou l’accord en négociation avec teurs et pour tous les consommateurs Le temps de se former, ensuite de « se lan- existent toutefois à cet égard. Le premier
les pays du MERCOSUR –, qui, en ouvrant est insoluble sans toucher à la question cer » et enfin d’atteindre un certain régime est de ne dès lors pas réussir à dévelop-
le marché européen à la concurrence politique des inégalités croissantes de d’activité, un certain équilibre financier. per l’activité de production, par manque
internationale, renforce la pression sur revenus au sein de la population. La Durant cette période, les revenus générés de temps. Le second est de se retrouver
les prix tout en nivelant les normes responsabilité d’éviter que les personnes sont très maigres, voire inexistants. C’est en surrégime de travail, ce qui peut avoir
écologiques et sociales par le bas. précarisées soient « la poubelle de une chose assez commune pour tout des conséquences lourdes sur l’équilibre
l’agro-industrie »56 ne peut être portée entrepreneur. Les revenus futurs doivent de vie si l’intensité du travail se maintient
seule par des producteurs eux-mêmes généralement permettre d’amortir ce sur un temps long. La deuxième pratique
souvent précaires. C’est une question temps de lancement. Mais, pour les activi- fréquemment observée pour surmonter la
« Le fait que politique de redistribution des revenus à tés qui nous intéressent ici, cette période précarité des revenus en période de lan-
beaucoup de maraîchers l’échelle de la société tout entière. de vaches maigres est difficile à éponger cement agit, elle, sur les dépenses. Elle
acceptent de produire en ne par les revenus futurs, dans la mesure où consiste à couper dans le premier poste
gagnant pratiquement rien, ça ne ces derniers risquent eux-mêmes d’être budgétaire des ménages : le logement.
marche pas. On tue la profession « Dans la coopérative, tout le monde assez modestes. Ainsi, de nombreux jeunes producteurs
en faisant ça ! » Joëlle*, productrice veut vendre au prix le plus bas possible. font le choix de l’habitat léger (roulotte,
On est gêné d’annoncer un prix qui La problématique que nous pointons ici yourte, etc.), afin de se libérer du poids
correspond aux coûts réels. » Luc*, est celle de la sécurisation d’un revenu en financier du logement. Mais, compre-
producteur et coordinateur période de lancement dans un métier de nons-le, ce n’est pas un choix que tout le
Une question politique !
paysan ou d’artisan. La problématique s’ap- monde est prêt à faire.
« Quel prix sommes-nous prêts à
payer ? » La question est, dans un sens, plique à tout projet d’installation, mais est
assez mal posée, car elle sous-entend En attendant, la plupart des paysans et renforcée pour les personnes non issues
que c’est une question de choix indi- artisans peine à se rémunérer digne- du monde agricole, qui, ayant bien souvent « J’ai gardé un job sur le côté dans
viduel. Or, ce devrait précisément être ment. Vivre de passion ne peut suffire. tout à apprendre du métier, auront besoin lequel je passe deux à trois jours par
une question de choix collectif. Mais, Et la seule reconnaissance sociale ne d’une période de lancement conséquente. semaine, et je fais deux journées de
aujourd’hui, en l’absence de politique vo- suffit pas à payer les factures. Dans les boulangerie. Avec un atelier à 50 kilo-
lontariste forte en faveur de la production conditions de marché telles qu’elles Au temps et à l’énergie nécessaires pour mètres de chez moi et des journées en
paysanne, « consommer responsable » sont, les producteurs n’ont pas droit à se former et se lancer, il faut donc ajouter boulangerie qui sont très intenses, c’est
reste une question d’éthique individuelle. l’erreur : il s’agira d’être efficace à tout des revenus immédiats faibles ou inexis- un rythme de fou. On cherche à acheter
Plus exactement une question d’éthique moment, sans quoi la viabilité financière tants et de revenus futurs modestes et dans le coin, mais on ne trouve pas.
individuelle sous contrainte de revenus : de l’activité sera menacée. incertains. Une réalité lourde à assumer si J’aimerais pouvoir trouver un meilleur
si l’on a déjà du mal à boucler ses fins de l’on a, par exemple, une charge de famille équilibre pour ma vie de famille, mais
mois, le soutien de l’agriculture paysanne Ne nous y méprenons pas : les conditions et le couperet mensuel d’un loyer ou d’un les étapes de transition prennent du
ne sera forcément pas le premier de de marché n’ont rien de spontané ou emprunt hypothécaire à rembourser.
temps, et je n’y suis pas encore ! »
nos soucis. Cette question sociale, les de naturel. Elles sont sous-tendues par Les reconversions nécessitent dès lors
Valentin*, producteur
paysans et artisans y sont généralement des choix politiques tangibles, qu’il faut d’avoir, d’une manière ou d’une autre, un
sensibles et n’ont pas envie que leur interroger. Il s’agit donc bien d’un verrou filet de sécurité. Pour cela, les personnes
94 * Tous les prénoms avec astérisque sont des prénoms d’emprunts 95
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La formation : un enjeu de taille Cette dernière manière de faire semble


être une pratique courante. Si elle est « À la base, j’ai fait un baccalauréat
assurément très intéressante d’un en coopération internationale. J’ai
point de vue formatif, elle pose ques- pris conscience plus tard que j’avais
Quelles possibilités tion dans la mesure où, souvent, cela un intérêt pour l’aménagement du
pour se former ? « Personne ne se dit que se fait hors de tout cadre et de tout territoire, et des envies de potager. J’ai
pour devenir électricien, statut. Typiquement, des personnes en pris une année sabbatique, pendant
La formation est un enjeu central pour il n’y a qu’à se lancer. Je ne sais pas transition professionnelle profitent d’une
laquelle j’ai travaillé comme saisonnière
les néopaysans. Traditionnellement, pourquoi, les gens s’autorisent ça avec période de chômage – ou simplement
en maraîchage. J’ai ensuite travaillé
agriculteur est un métier dont l’on hérite. le maraîchage. Mais ce sont des métiers de non-emploi, sans revenu de rempla-
cement – pour se former dans le métier
comme bénévole dans des projets de
Il en est de même pour une série de super compliqués, qui demandent gestion d’espaces verts, suite à quoi j’ai
métiers artisanaux. L’enjeu de formation envisagé. L’absence de statut engendre
de la connaissance et du temps. repris une formation de trois ans en
des nouvelles générations était dès lors une insécurité juridique, qui n’est pas
Moi, je n’ai jamais fait de métiers toujours bien perçue par les personnes entrepreneur de jardins à l’IFAPME.
à comprendre dans le cadre spécifique aussi demandeurs intellectuellement impliquées. Pour l’apprenti, d’abord : que J’ai ensuite travaillé trois ans comme
de personnes ayant baigné depuis qu’agriculteur. Quand t’as un tracteur
toujours dans le milieu, et ayant appris se passe-t-il si un accident de travail maraîchère via le groupement
qui est cassé et que tu dois le réparer, survient alors que le travail se fait hors d’employeurs de Paysans-Artisans.
en faisant. Mais les reprises familiales
c’est pas juste dévisser quelques cadre et sans assurance ? Il y a plutôt Donc, oui, c’est petit à petit que j’ai
de fermes deviennent peu courantes.
Rappelons que, aujourd’hui en Wallonie, boulons… Les porteurs de projet qui intérêt à ne pas laisser traîner les pieds pris la direction de m’installer pour
69% des agriculteurs ont plus de 50 ans arrivent sans aucune expérience, trop près des roues du tracteur, ou les mon compte. M’installer ici est apparu
et, parmi cette catégorie, seule une ferme ils sont d’un coup confrontés à une mains trop profondément dans le pétrin comme une évidence. J’habitais dans le
sur cinq a un repreneur identifié. Si, réalité violente. Aujourd’hui, le mécanique. Pour le producteur qui prend coin, j’étais prête, mais j’avais pas envie
contre le phénomène de concentration problème de l’accompagnement, c’est l’apprenti sous son aile, ensuite : en cas d’y aller seul. » Solange*, productrice
des fermes qui voit chaque année que si t’as pas toutes les compétences de contrôle de l’inspection du travail,
plusieurs centaines de fermes wallonnes « métier », en fait tu n’as pas vraiment les implications peuvent être graves, ce
disparaître, on reconnaît l’importance d’accompagnement possible. Il faudrait genre de situation étant assimilable à du Les filières de formation
de maintenir et redévelopper des travail non déclaré. Que ces producteurs existantes
qu’on puisse former les gens, et les
fermes à taille humaine, et que l’on ne trouvent-ils donc pas dans les canaux En matière d’agriculture, une série
accompagner sur le long terme. » Fabrice*,
identifie qu’il faudra pour ce faire entre officiels de formation ? Cela rejoint une d’organismes sont agréés centre de
conseiller et ancien producteur autre question qui est aussi importante
autres compter sur l’installation de formation agricole par la Région wallonne
personnes non directement issues que de savoir comment les personnes et dispensent des formations courtes sur
du milieu, l’enjeu de la formation des qui sont lancées se sont formées : que une série de sujets agricoles. Certaines
Quels parcours de formation manque-t-il en termes de formations aux
nouvelles générations devient tout quand on n’a pas grandi d’entre elles – la FJA57, la FUGEA58 ou
autre ! Les décennies d’abandon de personnes qui voudraient se lancer mais encore le Crabe ASBL (pour les aspirants
à la ferme ? ne le font pas ?
la vie rurale pour une vie urbaine et Comment se forment, dès lors, les maraîchers bio) – dispensent une
d’évolution de l’agriculture vers plus de producteurs qui composent les fermes formation professionnalisante, nécessaire
standardisation et d’industrialisation, ont partagées, et qui pour la plupart ne sont pour pouvoir avoir accès à une série
fait perdre une connaissance paysanne, « J’ai travaillé pendant 10 ans dans la d’aides (aides à l’installation, aides à
pas issus du monde agricole ? Différem-
autrefois intimement liée à la vie rurale, ment, en fonction des cas. Certains ont
ferme céréalière d’un ami. J’étais aidant l’investissement, possibilité de prendre
qui réunissait un panel de savoirs un bagage lié à un lien plus éloigné avec agricole saisonnier, c’est-à-dire que je en bail des terres publiques…). Le socle
pratiques complexes, remobilisés par le monde agricole (des grands-parents venais aider à la ferme pendant mes de base de cette formation est composé
l’agroécologie, et mêlant production et agriculteurs, par exemple). D’autres congés. Là, c’était vraiment le modèle d’un cursus théorique, le plus souvent
transformation. La paysannerie à laquelle ont une expérience professionnelle agro-industriel type. Il y a des villageois donné en cours du soir, composé de
aspirent les néopaysans nécessite d’ouvriers agricoles ou de saisonniers. qui venaient nous voir en disant : vous cours de techniques agricoles (cours A,
de réapprendre ces savoirs D’autres encore ont des années de pra- faites des patates, est-ce qu’on peut 75 heures minimum) et de cours de
pratiques oubliés. tique à titre de hobby et ont ainsi acquis en avoir? Mais les pommes de terre gestion et d’économie agricole (cours B,
avec le temps une forme de savoir-faire. partaient du côté d’Israël, et les céréales 90 heures minimum). La FUGEA, syndicat
Les décennies d’abandon de la vie rurale Certains ajoutent à cela un diplôme vers l’Égypte. Puis, ils ne voulaient agricole membre du mouvement paysan
d’agronome. D’autres ont suivi des for- international Via Campesina, nous
pour une vie urbaine et d’évolution pas les vendre aux locaux parce qu’il y
mations professionnalisantes reconnues. explique observer, depuis quelques
avait trop de produits [phytosanitaires]
de l’agriculture vers plus de D’autres encore sont passés par du années, une hausse très forte dans son
dessus. La ferme, c’était ma passion programme de formation de candidats
standardisation et d’industrialisation, wwoofing et ont complété leur formation depuis tout petit. Je me suis dit que si
sur le tas. Enfin, certains se sont formés néopaysans (le plus souvent avec des
ont fait perdre une connaissance un jour je me lançais, je voudrais faire projets soit de maraîchage, soit de petit
en accompagnant à titre bénévole des
paysanne autrefois intimement producteurs installés, dans une forme de
un truc qui ait du sens ! » Stéphane*, élevage (voir chap.2, « Du maraîchage ! »,
liée à la vie rurale. compagnonnage informel. producteur p.52). Si bien que les places commencent
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Camille, boulangère
des Jardins d’Arthey. déjà entrepris par d’autres voies une quelqu’un aux pratiques plus proches de
démarche de formation pratique. Le leurs aspirations.
programme de formation dispensé
comprend toutefois bien un volet
pratique : un stage en ferme. Celui-ci est
officiel et cadré. Sa durée est limitée à « J’avais envie que ce
20 jours minimum et 60 jours maximum. soit rapide. J’avais pas
20 jours, c’est parfois perçu comme envie de refaire une formation de
beaucoup pour des jeunes agriculteurs trois ans. M’asseoir sur un banc pour
qui ont avant tout besoin d’une suivre un cours : j’en voulais plus.
certification. 60 jours c’est par contre Pour me former, j’ai été chez plusieurs
assez peu – même s’ils peuvent être
paysans-boulangers pour voir ce qu’ils
étalés sur une année complète – pour
faisaient, travailler avec eux, m’en
des personnes non issues du monde
agricole qui ont des besoins extensifs
inspirer. Puis, j’ai eu l’opportunité d’un
en termes de formation pratique. Si atelier à remettre au sein d’un collectif.
l’expérience doit se poursuivre, ce ne Entre le moment où j’ai commencé à
sera pas dans le cadre officiel du stage. côtoyer des paysans-boulangers et le
Il peut arriver que, quand le stage s’est moment où je me suis lancé et que je me
bien passé – et que la ferme d’accueil en suis retrouvé seul en boulangerie, mais
a le besoin et la possibilité –, le stagiaire pas encore complètement autonome,
puisse y poursuivre son apprentissage il y a eu un an et demi. J’étais passé
en étant embauché comme ouvrier de 4/5ème à un mi-temps dans mon
agricole ou comme saisonnier. Pour le emploi. » Justin*, producteur
reste, s’il faut poursuivre l’apprentissage
pratique, il faudra trouver d’autres voies.
Soutenir des programmes
Dans les métiers de transformation, de compagnonnage paysan !
en fonction des métiers, il existe des Que ce soit dans les métiers
formations professionnalisantes. de production agricole ou de
Notamment dans les centres de transformation alimentaire, les avis
formation de l’IFAPME, qui forment à une des témoins interrogés – au sein de
série de métiers indépendants. Dans le fermes partagées et de structures
catalogue des formations disponibles, d’accompagnement – convergent :
on retrouve ainsi des formations de il faudrait favoriser l’apprentissage
boulanger-pâtissier, de micro-brasseur, par compagnonnage, qui se prête
de boucher et même, plus récemment, particulièrement aux besoins des
de maraîcher bio. Celles-ci ont un volet néoruraux. Cette idée d’apprentissage
pratique, puisqu’elles comprennent le par compagnonnage n’est pas sans
plus souvent un stage en entreprise. rappeler un programme déjà existant :
On constate cependant une forme de les « fermes écoles » proposées par
décalage entre l’offre de ce genre de l’École Paysanne Indépendante du MAP
à se faire chères. Dans l’un des quatre cours de programme sont apparemment programmes – des formations longues, (Mouvement d’Action Paysanne)59. Le
centres de formation régionaux de la fréquents. Les cours mentionnés sont de un, deux ou trois ans, et avec une principe ? Une immersion longue – sur
FUGEA, il n’y avait parmi les inscrits de des cours théoriques, assez généralistes approche relativement conventionnelle une saison complète – au sein d’une
la promotion 2020 que des personnes (le programme est fixé par la Région des métiers enseignés – et les ferme en agroécologie, lors de laquelle
non issues du milieu agricole. Une wallonne), qui ne conviennent pas aspirations de personnes qui n’ont pas l’apprenti paysan apprend aux côtés
réalité connue depuis plusieurs années toujours à ce que les inscrits pensaient forcément envie de se lancer dans une d’un paysan installé, jusqu’à trois jours
par le Crabe ASBL, qui doit opérer y trouver, en particulier les personnes formation assez scolaire de plusieurs
chaque année une sélection parmi une pour qui participer à cette formation est années, et qui sont la plupart du temps
soixantaine de candidats pour quinze la première étape d’un cheminement de dans une démarche forte d’artisanat Une mesure politique utile de
places disponibles. reconversion. La FUGEA nous explique écologiquement engagé. C’est ainsi soutien aux installations
ainsi constater que les personnes que deux boulangers interviewés ont
néopaysannes serait de développer
À cette difficulté d’accès à la formation, qui accrochent sont le plus souvent par exemple préféré passer par le
s’ajoute une difficulté d’accès à un les personnes qui ont déjà un projet jury central pour glaner l’accès à la des formes reconnues et subventionnées
contenu adéquat. Les abandons en d’installation, et qui, bien souvent, ont profession, et apprendre le métier avec de compagnonnage paysan.
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par semaine, et peut ainsi développer Garantissons lesquels il ne faut alors pas justifier d’une vision politique des emplois que l’on veut
des compétences et savoirs pratiques un revenu de durée de chômage suffisante. Mais à voir émerger – parce qu’ils répondent à
et affiner un projet d’installation. remplacement aux part la boulangerie et la boucherie (dans des ambitions politiques pour la société
Aujourd’hui, l’offre est malheureusement paysans en formation ! lesquels certains pourraient trouver un tout entière – et non par le courant
limitée (six fermes écoles) et se fait intérêt – dans les limites des filières de confortable des besoins du marché
sans aucune aide. Une mesure politique Acquérir les compétences nécessaires formation proposées, voir supra « Les tel qu’il est.
utile de soutien aux installations au métier peut prendre du temps. filières de formation existantes », p.97),
néopaysannes serait de développer des Quel revenu, pendant ce temps-là ? la liste des métiers en pénurie61 est plutôt Osons rêver un peu et imaginer ce qui
formes reconnues et subventionnées Il est tentant – et fréquent – d’utiliser décevante pour nos candidats paysans : pourrait créer des vocations paysannes.
de compagnonnage paysan. Imaginer les allocations de chômage comme ouvrier en horticulture ornementale, Premièrement, subventionner des
des formes de compagnonnage tampon, le temps d’être en mesure de découpeur-désosseur, conducteur filières de formation en production
qui pourraient s’exercer auprès se lancer. Une solution somme toute de machines agricoles, conducteur paysanne et en transformation
d’un producteur installé choisi précaire. D’abord, rappelons que le de lignes de production en industrie artisanale, notamment par
par l’apprenti, en accord avec les chômage est pensé comme assurance alimentaire, pilote des installations en compagnonnage. Deuxièmement,
pratiques de production paysannes socialisée contre le risque de la perte industrie alimentaire… Pas vraiment permettre aux personnes
auxquelles il aspire, pour une durée d’emploi. Quand on a un emploi – fut-il dans le thème de la production souhaitant opérer une reconversion
suffisante – un accompagnement sur socialement nuisible –, on se doit de paysanne et artisanale ! professionnelle vers ces domaines de
une ou deux saisons complètes de le garder... Quitter son emploi de son quitter leur emploi sans purgatoire (la
production, par exemple –, dans un propre chef – fût-ce pour se projeter Ce dernier point illustre assez bien période de sanction avant de bénéficier
cadre formel et sécurisant qui reconnaît dans une activité socialement utile, telle la réalité d’une politique de l’emploi d’un revenu de remplacement).
l’importance de donner un statut aux qu’une activité de production paysanne complètement dénuée de visées Troisièmement, le temps de la
aspirants néopaysans, appuyé par un – entraîne une période de « sanction », politiques de transformation de la formation, ne pas conditionner
financement public qui pourrait passer variable en fonction des cas (le plus société, mais au contraire guidée par les ce revenu de remplacement aux
par l’indemnisation des producteurs qui souvent de trois mois), durant laquelle exigences du marché. Quand sortirons- obligations courantes de disponibilité
accueillent et par le gel des éventuelles le travailleur n’est pas indemnisé. Les nous de la logique de l’emploi pour sur le marché de l’emploi, et geler la
allocations de chômage de l’apprenti. personnes qui souhaitent opérer une l’emploi, sans considération d’objectifs dégressivité des allocations. Certes,
reconversion qui nécessite un peu de de transition sociale et écologique ? Si ce genre de programme générerait
temps devront donc être en mesure de la volonté politique affichée de favoriser quelques effets d’aubaine de formations
vivre sur fonds propres quelques mois. une transition des systèmes alimentaires qui ne débouchent pas sur des
qui fait la part belle à la relocalisation installations… mais si l’on veut se
« Moi je crois dans Ensuite, un chômeur indemnisé est et la production à taille humaine est donner les moyens du changement, il
le compagnonnage. C’est censé être disponible sur le marché de réelle, il faut poser des actes politiques faut créer des appels d’air, il faut faire
ça qui marche et qu’il faut favoriser l’emploi et n’est pas supposé passer son forts allant dans ce sens, guidés par une des choix politiques !
et valoriser ! Alors que nous, temps à autre chose que de chercher
accompagnateurs, on va dire : un nouvel emploi. En réalité, il existe des
« allez faire les cours du soir ici ou là ». mécanismes formels de dispense des
Mais il faut arrêter avec ça, c’est pas obligations courantes du chômeur et
comme ça qu’on apprend le métier ! même, parfois, de gel de la dégressivité
Après, il y a des filières qui existent, des allocations le temps de la
les formations IFAPME etc., mais elles formation60. Mais force est de constater
que ces mécanismes ne concernent pas
ne sont pas crédibles. Moi, tous les
les producteurs des fermes partagées.
boulangers à qui je parle, ils disent :
« non, on va pas faire ça quoi ! ». La dispense pour formation est d’abord
Pareil pour d’autres productions. à La Finca,
prévue pour les chômeurs de longue Jérémy, producteur,
J’ai personnellement suivi des cours durée, puisqu’elle n’est la plupart du
officiels. Ça a validé le fait que j’étais et Simon, ouvrier
temps accessible qu’à condition d’avoir agricole qui souhaite
producteur plutôt que de m’apprendre été au chômage une année complète se former avant de
quoi que ce soit. Niveau formation, il sur les deux ans qui précèdent, ou deux lancer sa propre
n’y a tout simplement pas les filières années complètes sur les quatre ans ferme.
adaptées aujourd’hui, et certainement qui précèdent. Les dispenses s’évaluent
pas pour les personnes en réorientation sur dossier, sur base de la probabilité
professionnelle. » Thibault*, conseiller que la formation mène bien, en bout
et ancien producteur de course, à un emploi. La dispense
pour formation est prévue pour toute
une série de métiers en pénurie, pour
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Comment se lancer sans couler ? dégressivité est gelée (à partir de la deu-


xième période de dégressivité). Selon
s’adressent à des personnes qui ont
déjà une connaissance du métier et

Le rôle possible des coopératives les cas, les revenus générés par l’activité
soit permettront de progressivement
cherchent à l’exercer en indépendant. Un
électricien ou un graphiste qui travaille en
d’activité substituer le revenu de remplacement,
soit seront versés à l’entrepreneur à la
entreprise et qui souhaite s’installer à son
compte, par exemple. L’accompagnement
fin du test d’activité, déduction faite d’un est un accompagnement à la gestion,
pourcentage de contribution aux frais de à l’entrepreneuriat. Or beaucoup
Au-delà de la période de formation, Tester son activité gestion de la structure couveuse. Notons de porteurs de projets néopaysans
la phase de lancement d’une activité sans risque avec que l’accès à cette dispense est cepen- sont des personnes en transition
peut s’avérer délicate. Celle-ci voit se une coopérative dant soumis à conditions64, notamment professionnelle, diplômées dans des
cumuler une série d’impératifs. Lancer d’activités ? en termes de temps passé au chômage : filières menant à des emplois dans
une activité de production, c’est lan-
pour les moins de 50 ans, il faut une le tertiaire et ainsi déjà dotées des
cer une activité entrepreneuriale, ce Il existe en réalité un dispositif qui sou- demi-année de chômage cumulé sur les compétences génériques de gestion
qui n’est pas évident et requiert pour tient les entrepreneurs en lancement : derniers 18 mois pour pouvoir en bénéfi- nécessaires. Ces personnes auraient
certains un apprentissage en termes de les Structures d’Accompagnement à cier. Une contrainte qui, comme pour les surtout besoin d’accompagnement
gestion. Ensuite, l’installation, c’est une l’Auto-Création d’Emploi (SAACE). On formations, mériterait d’être interrogée, spécialisé sur les enjeux propres aux
installation physique, qui prend temps les connaît généralement mieux sous le si l’on souhaite susciter les vocations secteurs de la production alimentaire
et énergie : monter des serres, trouver nom de « coopératives d’activités » et de paysannes (voir supra, « Garantissons paysanne, notamment de soutien
les bonnes opportunités pour l’achat de « couveuses d’entreprises »63. Agréées un revenu de remplacement aux pay- dans le projet d’installation. Cela
matériel, parfois construire ses propres et financées par les pouvoirs publics, sans en formation ! », p.100). Toujours nécessite une expertise spécifique des
outils, mettre un local aux normes, ces structures proposent une série de est-il que ce dispositif est un luxe pour accompagnateurs et une connaissance
voire parfois carrément construire un services aux personnes souhaitant se les entrepreneurs en lancement, dans des réalités du secteur, que la plupart
atelier de toutes pièces62, etc. Il faut lancer dans un métier indépendant. la mesure où il leur permet de se lancer de ces structures n’a pas (encore). Il
également peaufiner sa pratique du Premièrement, un accompagnement à sans risque, en se libérant de la pression faudrait donc imaginer des programmes
métier. Quand on fait les choses pour la l’entrepreneuriat sur les dimensions de financière particulière de la phase de d’accompagnement spécifiques, sur
première fois – ou pour la première fois gestion. Deuxièmement, un service de lancement d’activité. lesquels travailleraient des spécialistes
seul –, tout prend plus de temps. Enfin, « couveuse » ou « portage » d’activité. ayant ou développant une expertise
il faut développer les canaux de vente, Qu’est-ce ? Pendant 18 mois maximum,
Un dispositif peu adapté propre. De tels programmes spécifiques
trouver ses clients. L’un dans l’autre, le l’entrepreneur peut opérer un « test
aux métiers de la production commencent à se mettre en place, à
tout prendra au mieux plusieurs mois, et d’activité ». Il se lance en hébergeant
Alors, tient-on une solution à la pré- mesure que la demande grandit65.
parfois plusieurs années. La « phase de son activité au sein de la coopérative
lancement », c’est le fait que la produc- carité de la phase de lancement des
d’activités. Il ne doit donc pas s’enregis-
tion se consolide progressivement, que projets de production ? Les structures
trer comme indépendant : sa facturation
les volumes de production augmentent d’accompagnement interrogées nous
passe entièrement par la coopérative
progressivement, à mesure que l’on est ont témoigné avoir de plus en plus de « On constate qu’il
d’activités, tant pour les dépenses
de mieux en mieux installé, de plus en candidats souhaitant se lancer dans un y a des accompagne-
courantes que pour les recettes liées
plus à l’aise dans son métier, avec de métier lié à l’alimentation, notamment des ments possibles en amont des
aux ventes. La coopérative d’activi-
plus en plus d’opportunités de commer- projets de production primaire (tous des projets et pour le lancement des
tés s’occupe pour l’entrepreneur de la
cialisation, etc. Le tout doit permettre projets maraîchers) et de transformation projets... mais une fois que t’as
gestion administrative et comptable de
d’arriver progressivement à un équilibre artisanale. C’est un phénomène relative- démarré, t’es tout seul. On aimerait
l’activité. Un atout central de ce dispositif
financier permettant de se rémunérer. ment récent, qui confirme l’effervescence réfléchir, avec les structures
pour les entrepreneurs en lancement est
Mais, durant cette phase de lancement, naissante dans les transitions profession-
que, sur cette période de test d’activité d’accompagnement impliquées
il est souvent difficile de se dégager un nelles vers des métiers de production
de 18 mois, si l’entrepreneur est chômeur dans le projet dès ses débuts, à de
salaire décent. La situation financière alimentaire soutenable. Si les coopéra-
indemnisé, il est dispensé de l’obliga- l’accompagnement sur les cinq
des producteurs en lancement peut être tives d’activités accueillent ces projets
tion de disponibilité à l’emploi et de premières années du projet. Sur
très précaire et éventuellement mener entrepreneuriaux comme tout autre, elles
recherche d’emploi et continue à toucher l’accompagnement technique aussi
à un abandon de l’activité. Le manque le font aujourd’hui avec leur outil standard
ses allocations de chômage, dont la bien que sur l’accompagnement dans
de revenu en période de lancement est de portage d’activités. Or, ces activités
une difficulté qui touche toute activité ont des spécificités qui peuvent rendre ce la gestion. » Delphine*, initiatrice
entrepreneuriale. Nous avons cependant La phase de lancement d’une activité dernier insuffisant. Voyons en quoi, avant d’une ferme partagée
expliqué pourquoi c’est probablement voit se cumuler une série d’impératifs. de livrer quelques pistes à poursuivre.
encore plus vrai pour les métiers de Elle prendra au mieux plusieurs mois, et
production paysanne et artisanale, qui Premièrement, l’accompagnement des Deuxièmement, ces structures sont initia-
souffrent de conditions de marché com-
parfois plusieurs années. Durant cette SAACE est généraliste. Il est focalisé sur lement destinées à des créations d’acti-
pliquées (voir supra « Difficiles condi- phase de lancement, il est souvent diffi- la dimension entrepreneuriale commune vités indépendantes au sens strict. Les
tions de marché », p.92). cile de se dégager un salaire décent. aux différentes activités. Ces structures projets autonomes exercés dans un cadre
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collectif – celui d’une ferme partagée – Troisièmement, la durée limitée – essence du test. C’est assez logique. Pas de prise des solutions ». Un exemple ? Pour des
sont des configurations qui sortent un peu même du « test d’activité » – a des impli- de bail commercial, par exemple. Pas non activités de transformation alimentaire,
des cases établies. Si les coopératives cations sur ce que peuvent et ne peuvent plus d’investissements qui ne seraient cette coopérative d’activités trouve des
d’activités sont, sur le principe, enclines pas ces structures de portage juridique pas amortissables en 18 mois : le principe arrangements avec des restaurants
à également soutenir des projets collec- d’activités en lancement. D’une part, du non-endettement est un principe pour que les producteurs en test d’acti-
tifs, les spécificités de fermes partagées l’accompagnement est limité à 18 mois fondamental des coopératives d’activités. vité puissent employer leurs cuisines la
aux modèles variés et hors des normes (24 mois en prenant en compte la phase Conséquence ? Le test sous couveuse se nuit… Et pour les activités de production
peuvent parfois poser souci, en fonction de préparation de projet qui précède le prête davantage à des métiers indépen- agricole ? Il est plus difficile de louer un
de l’activité envisagée et de la capacité du test d’activité à proprement parler). Or, dants itinérants ou pouvant s’exercer champ une partie de la journée. Une
conseiller de prendre en charge un cas de l’aveu de personnes spécialisées dans depuis chez soi, et demandant très peu pratique courante est de travailler main
plus compliqué que la moyenne. Nous l’accompagnement de ce type de projets, d’investissements, hors du matériel dont dans la main avec des « espaces tests ».
avons recueilli deux témoignages faisant il faudrait que ceux-ci puissent être suivis dispose déjà l’entrepreneur. Pour les Le réseau des Espaces-test regroupe six
état de difficultés à cet égard : l’un d’une sur un plus long terme, dans la mesure métiers de production qui nous occupent espaces tests en Wallonie et à Bruxelles.
productrice ayant fini par abandonner les où ils prennent du temps à se mettre en dans cette étude, c’est plus délicat : il Dans un espace test, le producteur se
démarches ; l’autre d’un producteur voyant place. D’autre part, et plus fondamentale- faut trouver des infrastructures qu’il est voit mettre à disposition la terre et les
sa structure d’accompagnement remettre ment, le principe central du test d’activité possible de louer sur du court terme, infrastructures nécessaires pour pratiquer
systématiquement en question le bien- sous couveuse est que les porteurs de le temps du test. Comme nous l’expli- le métier (des serres, une chambre froide,
fondé de l’inscription de son activité dans projet ne peuvent pas prendre d’engage- quait la directrice d’une coopérative un motoculteur, un dispositif d’irrigation,
une ferme partagée. ments qui porteraient au-delà de la durée d’activités, cela demande de « bricoler etc.), et bénéficie d’un accompagne-
ment technique et d’une inscription
dans un cadre collectif, les espaces tests
accueillant simultanément plusieurs
porteurs de projet. L’activité est fréquem-
ment hébergée au sein d’une coopérative
d’activités. Cela permet de tester l’activité
dans des conditions réelles puisque le
producteur gère en autonomie toutes les
facettes du métier, et sans risque puisque
l’activité est sous couveuse. Les espaces
tests existants concernent des surfaces
assez réduites, et cette opportunité se
limite dès lors pour l’essentiel à des acti-
vités de maraîchage et autres activités
horticoles (tisanerie et culture d’herbes
médicinales, pépinière, production de
semences, production de fleurs). Pour les
autres activités de production – élevage,
grandes cultures –, qui demandent à la
fois plus de surface et des infrastruc-
tures plus coûteuses, lancer son activité
sous couveuse n’est aujourd’hui pas une
option. Par ailleurs, la principale limite
des espaces tests consiste en la sortie de
test. Si, à la suite de cette période de test,
le producteur décide de franchir le pas et
de s’installer, c’est ailleurs qu’il le fera, ce
qui implique de recommencer une série
de choses à zéro sur le lieu d’installation
définitif (travail du sol, développement de
canaux de commercialisation, etc.). L’es-
pace test reste un espace test, d’autres
viendront s’y tester. À ce titre, ce dispositif
est à placer entre une démarche de for-
mation – par mise en situation réelle – et
une démarche de lancement d’activité.
Les serres de la Ferme
des Coquelicots.
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difficilement leur fournir une sécurité S’inspirer de Ces structures proposent plusieurs
« Le problème de financière en période de lancement. À nos voisins français ? niveaux d’accompagnement pour les
l’espace test, c’est que l’inverse, les coopératives d’activités personnes ayant un projet d’installation
tu travailles dessus pendant peuvent sécuriser le parcours de On se pose en France le même genre paysanne (seules ou en collectif).
deux ans, puis tu dois dégager. lancement d’activité d’un producteur de questions que celles qui traversent
C’est juste l’enfer. Tu te retrouves et l’accompagner dans les dimensions cette étude. Dans un contexte diffé- Premièrement, elles proposent une
sans rien, tout nu, et toute l’énergie entrepreneuriales et de gestion, mais rent, certes : la France a pour elle une formule qui combine test d’activité et
peuvent difficilement accueillir des moindre pression sur le foncier agricole, formation en immersion. Le porteur de
que tu as mise, tu l’as perdue. Il faut
activités exigeantes en infrastructures. une plus grande tradition rurale, et une projet teste son activité au sein d’une
trouver une formule plus complète.
plus grande tradition d’agriculture de ferme, sous le tutorat d’un producteur
C’est l’espace test qui doit se déplacer, Des fermes partagées pourraient ainsi installé, qui aide le futur producteur dans
groupe66. Y a émergé il y a une dizaine
pas les producteurs. C’est ça qu’on accueillir un producteur en test d’acti- son apprentissage du métier. Dans le
d’années un type d’initiative qui, dans le
a tenté de faire. Mais tout ça vient vité, dont l’activité est temporairement cadre de ce chapitre, doit retenir notre même temps, ce dernier bénéficie de
progressivement. Les espaces tests eux- hébergée au sein d’une coopérative attention : les Coopératives d’Activités formations théoriques, de moments de
mêmes sont en réflexion pour réussir d’activité, avec une perspective de et d’Emploi (CAE) agricoles. En France, mise en réseau et d’accompagnement
à trouver des moyens de laisser les pérennisation de l’activité au sein de les CAE combinent ce qui est chez nous pour avancer sur son projet d’installa-
producteurs poursuivre sur le terrain la ferme si le test s’avère positif. La segmenté : la coopérative d’activité tion. Cette formule n’est pas sans lien
où ils se sont testés. Je veux dire qu’on complémentarité semble évidente. On (qui permet un test d’activité couvé) avec l’idée de compagnonnage (voir
n’a pas inventé la roue non plus, on peut y voir une piste de solution pour et coopérative d’emploi (qui permet supra « Soutenir des programmes de
a bénéficié de l’expérience des espaces faciliter la reprise des fermes, qu’elles d’avoir un statut d’indépendant salarié, compagnonnage paysan ! », p.86). Elle
tests pour se dire qu’on voulait aller soient partagées ou non. Il est surpre- en hébergeant son activité dans une s’effectue sur une saison complète, lors
plus loin. C’est grâce à l’existence nant que les partenariats ne soient pas entreprise partagée). Pour les dévelop- de laquelle le porteur de projet exerce
d’espaces tests par ailleurs qu’on a déjà plus nombreux. Une limite pour les pements futurs des fermes partagées, et sous statut de stagiaire et est indemnisé.
fermes partagées est que cela suppose plus généralement des installations de
réfléchi à tout ça. » Emmanuel*,
d’accueillir des producteurs encore en personnes non issues du milieu agricole, Deuxièmement, les CAE agricoles pro-
initiateur d’une ferme partagée
phase de formation, et qui pourraient ne les CAE agricoles peuvent constituer posent une formule de test d’activité en
pas donner suite, à l’issue de la période une source d’inspiration intéressante. autonomie – pour les personnes ayant
de test d’activité. C’est un frein potentiel Les plus abouties sont à la fois des déjà une connaissance du métier –, dans
Fermes partagées pour l’accueil de nouvelles activités qui une logique d’espace test. La CAE met
fermes partagées, des coopératives
et coopératives demanderaient des investissements trop à disposition du porteur de projet terres
d’activités, des coopératives d’emploi,
d’activités : faites spécifiques, difficilement valorisables et des centres de formation et d’accom- et infrastructures pour lui permettre de
pour s’entendre ? par la ferme en cas d’issue négative. pagnement ! Toutes ces dimensions tester en grandeur réelle l’activité envi-
sont intégrées. Des exemples ? Les plus sagée, tout en étant accompagné dans
Il y a assurément des liens à tisser Notons qu’un tel partenariat est toutefois son projet d’installation définitive. Si ces
emblématiques – sur lesquelles s’appuie
entre fermes partagées et coopératives formellement sur les rails dans le cadre formules de test d’activité ne se font pas
la suite du propos – sont Les Champs
d’activités. Nous avons vu que les du projet des Espaces’ter récemment sur le lieu définitif d’installation, l’idée
des possibles (île-de-France) et les
premières ont parfois du mal à trouver lancé par la coopérative Invent’terre est par contre que l’installation se fasse
Coopératives d’Installation en Agriculture
des nouveaux producteurs en capacité (première saison de production en sur le même territoire. L’emphase est dès
Paysanne (CIAP), dans les cinq départe-
de rejoindre la ferme (voir chap.1, 2021) et auquel sont associées, depuis lors mise sur l’insertion et l’ancrage pro-
ments des Pays de la Loire.
« Tâches partagées et coordination : le début, la coopérative d’activités Step gressif dans le territoire (développement
qui fait quoi ? », p.30, et voir supra « Le Entreprendre et la couveuse Job’in. La d’un réseau de consommateurs, mise en
Les CAE classiques – multisectorielles –
paradoxe des fermes partagées : un coopérative Invent’terre a trouvé des terres réseau avec les acteurs locaux, etc.), et
étaient soumises à une demande de plus
besoin social fantasmé ? », p.91). Si et a procédé, via un appel à l’épargne sur la préparation effective de l’instal-
en plus forte d’activités néopaysannes,
elles peuvent leur fournir un lieu, des citoyenne, à des investissements dans lation sur celui-ci (recherche de foncier
et n’étaient pas armées pour les spé-
infrastructures, un cadre collectif et les infrastructures nécessaires pour agricole ou d’un local de transformation,
cificités que ces dernières requéraient
éventuellement un accompagnement accueillir trois projets de maraîchage, (accès au foncier, nécessité d’investis-
de terrain, elles peuvent plus avec une perspective d’ouverture à sements, etc.). C’est ainsi que sont nées
d’autres activités de production agricole des CAE spécialisées dans les activités En France, des coopératives
dans le futur. Sur les dimensions de agricoles et d’artisanat alimentaire67. Ces
Il y a des liens à tisser entre gestion entrepreneuriale, les producteurs dernières sont pensées pour favoriser
d’activité spécialisées dans les activités
fermes partagées et coopératives seront donc accompagnés par Step l’installation de personnes non issues agricoles et d’artisanat alimentaire
d’activités, qui présentent des atouts si Entreprendre et Job’in, structures via du milieu agricole, afin de favoriser le re- ont émergé pour favoriser l’installation
lesquelles ils bénéficieront en outre du nouvellement des générations68. Et elles
complémentaires qu’il est surprenant régime de couveuse permettant de geler de personnes non issues du milieu
se donnent les moyens pour le faire, en
que les partenariats ne soient pas leurs revenus de remplacement pendant répondant à l’essentiel des freins que agricole, afin de favoriser
déjà plus nombreux. une période de lancement de 18 mois. nous avons identifiés dans cette étude. le renouvellement des générations.
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Pa rtag e r Ac c éd er à l’o u t i l Faire C olle ctif De v e nir Pay s an Pa rtag er Accé der à l’outi l Fa i r e C ol l ecti f D ev eni r Paysa n

apprentissage ou approfondissement
des connaissances métier, plan financier
de gestion administrative et comptable,
de formation, d’accompagnement… et L’accès aux aides agricoles
de l’activité future, etc.). jouir d’un statut d’entrepreneur salarié
de la CAE (et ses avantages en termes
Troisièmement, ces structures de couverture sociale). C’est ce que Il est communément admis que les fermes partagées sont principalement
proposent un mécanisme de couveuse proposent par exemple Les Champs activités agricoles sont bien souvent des activités de maraîchage et, moins
pour les producteurs en installation. des possibles. En 2016, cette CAE dépendantes des aides agricoles. fréquemment, de petit élevage. Ce sont
Concrètement, cela signifie que, comme initialement constituée en association On entend parfois dire que ce sont des activités peu mécanisées qui misent
pour les coopératives d’activités en s’est muée en Société Coopérative les aides européennes qui « paient » sur des volumes relativement réduits de
Belgique, la CAE héberge juridiquement d’Intérêt Collectif (SCIC), permettant les agriculteurs : alors que les ventes production, commercialisés en circuits
l’activité, prend en charge aspects ainsi que des producteurs prennent des permettent de rembourser tous les frais courts. Il s’agit donc d’activités qui,
administratifs et comptables et fournit parts dans la structure et en deviennent directs encourus au cours de la saison individuellement, utilisent peu de surface
accompagnement et formation, ainsi entrepreneurs salariés associés. Il de production, les aides, qui tombent en agricole. Ces activités sont par contre
pendant une période déterminée s’agit donc d’une entreprise partagée bout de course, sont perçues comme le intensives en travail. Le mécanisme des
durant laquelle le porteur de projet entre une série de producteurs, qui « salaire » de l’agriculteur. paiements directs de la PAC, qui sont
préserve son statut antérieur et, le cas n’est pas sans rappeler le principe de calculés en grande partie sur la base
échéant, ses allocations de chômage ou ferme partagée (ou plutôt une forme de Pourtant, pour la plupart, les projets de la surface agricole et non sur la base
d’insertion. Pensé spécifiquement pour coopération territoriale renforcée, dans agricoles hébergés dans les fermes de la production ou du travail engagé,
les activités de production agricole et la mesure où les producteurs associés partagées rencontrées ne touchent pas est dès lors défavorable à ce type
alimentaire, l’accompagnement est un n’exercent pas (tous) sur un même lieu). d’aides. Ni les aides européennes à la de production.
accompagnement spécialisé et chaque Nous avons mentionné que, en Belgique, production, ni les aides à l’installation
porteur de projet a un producteur la coopérative d’« indépendants et les aides à l’investissement octroyées Deuxièmement, la précarité foncière.
installé référent – qui joue un rôle de salariés » est dure à mettre en place par la Région wallonne. Souvent, ils ne Nous avons discuté dans le chapitre
tuteur – et un réseau vers lequel se étant donné les conditions de revenus les sollicitent même pas. 2 (voir « L’accès à la terre, l’éléphant
tourner. Les CAE aident, en outre, les des producteurs, qui peinent à dégager Comment l’expliquer ? dans la pièce », p.41) du manque criant
producteurs en lancement dans leur le salaire minimum légal, en moyenne d’accès sécurisé au foncier pour les
accès au foncier et au financement. sur l’année (voir supra « Difficiles Néopaysans en mal jeunes agriculteurs. La plupart des
La CIAP se porte par exemple en conditions de marché », p.92). Il existe de reconnaissance producteurs des projets agricoles
co-preneuse du bail agricole afin en France un régime dérogatoire qui institutionnelle que comptent les fermes partagées
de sécuriser le foncier, et accorde permet aux producteurs sous CAE rencontrées ne sont ni propriétaires
une avance financière d’un montant d’accéder au statut de salarié. Cette Les aides agricoles sont une matière des terres qu’ils travaillent, ni locataires
pouvant aller jusqu’à 40.000€ pour que possibilité de continuité dans une complexe, nébuleuse, qui implique une sous statut de bail à ferme. Cela impacte
le producteur puisse procéder à des structure collective – test d’activité, charge administrative conséquente. directement la capacité à solliciter les
investissements et ait des liquidités de en compagnonnage ou en autonomie, Ces difficultés ont été mises en avant paiements directs de la PAC.
trésorerie ! couveuse, indépendant salarié de la CAE et caractérisées dans une enquête
– peut donner une fluidité aux parcours, menée en 2016 auprès d’un peu plus de Troisièmement, les mécanismes d’aides
Enfin, coopératives d’activité et d’emploi, et permettre de s’appuyer sur des 1000 agriculteurs et coordonnées par à l’installation et à l’investissement sont
le portage de l’activité par la CAE ne réseaux et des régimes de mutualisation le Collège des producteurs70 : charge en conditionnés à une série de critères que
s’arrête pas automatiquement à la fin de durables dès le début du projet temps des démarches administratives, les néopaysans peinent bien des fois à
la période de couveuse. Le producteur d’activité. Par ailleurs, de cette manière, peur des sanctions, difficulté à rencontrer71. D’abord, il faut avoir une
peut vouloir continuer à y héberger son la CAE ne permet pas seulement de comprendre les diverses demandes, certification qualifiante d’agriculteur.
activité par la suite, sur la durée, et ainsi favoriser les lancements d’activités, mais difficultés à recevoir des réponses Soit être diplômé agronome, soit
mutualiser avec d’autres des services aussi de fluidifier les sorties d’activité69. claires et rapides… Ces difficultés sont avoir suivi la formation d’agriculteur
Le producteur est salarié et l’outil d’ordre général, pour tous les projets d’un centre de formation agréé (les
de production ne lui appartient pas agricoles. C’est cependant un facteur cours A et les cours B, ainsi qu’un
formellement. S’il décide d’arrêter son qui renforcera les autres facteurs qui stage de minimum 20 jours pour les
Le producteur est salarié et l’outil de activité, l’outil de production reste aux poussent à ne pas solliciter les aides. aides à l’installation). Si cette dernière
production ne lui appartient pas for- mains de la CAE-SCIC. Il y a une « dé- Quels sont ces autres facteurs, eux plus formation est assez accessible, tous
patrimonialisation » de l’agriculture. Cela spécifiques aux projets néopaysans les néopaysans qui s’installent n’en
mellement. Il y a une « dé-patrimoniali- fluidifie les transmissions d’activité et rencontrés notamment dans les font pas un prérequis à leur lancement
sation » de l’agriculture. Cela fluidifie favorise ainsi une forme de réversibilité fermes partagées ? d’activité (voir supra « Les filières de
les transmissions d’activité et favorise du métier d’agriculteur, ce qui répond à formation existantes », p.97). Ensuite, en
des parcours non linéaires où certains Premièrement, le type d’activités. ce qui concerne les aides à l’installation
ainsi une forme de réversibilité du (un montant forfaitaire de 70.000€), il
veulent se lancer sans forcément Nous l’avons vu dans le chapitre 2
métier d’agriculteur, ce qui répond à s’engager pour une vie entière (voir « Du maraîchage ! », p.52), les ne faut pas être âgé de plus de 40 ans :
des parcours non linéaires. dans le métier. projets agricoles présents au sein des une condition assez compréhensible,

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L’un dans l’autre, ces projets agricoles se anticipé après trois ans d’activité soit
de minimum 15.000€. On se retrouve in
retrouvent dans une sorte de no man’s fine dans une situation paradoxale : un
Pierre, éleveur land. D’un côté, les aides agricoles leur producteur préserve une autre source
de la Ferme
des Coquelicots.
sont difficilement accessibles. De l’autre, de revenus afin de pouvoir lancer une
ils ne peuvent pas non plus solliciter activité agricole peu rémunératrice
sans être la corde au cou, ce qui
les aides à l’entrepreneuriat et aux PME, l’empêche de prétendre aux aides, ce
puisqu’il est admis que le monde agricole qui renforce la difficulté financière de
a son propre régime d’aides. l’activité agricole, ce qui renforce le
besoin de préserver une autre source
de revenus. Enfin, notons que ces aides
900h (c’est-à-dire un mi-temps ; pour à l’installation et à l’investissement ne
les aides à l’installation) ou 1170h sont pas automatiques. Elles sont régies
(c’est-à-dire 2/3 temps ; pour les aides par un principe d’enveloppe fermée,
à l’investissement) à des activités et les dossiers sont donc évalués en
professionnelles autres que son qualité. À ce titre, on peut redouter que
activité agricole. la difficulté d’accès soit renforcée pour
les modèles les moins standards, dont
Si l’on peut comprendre la volonté de font partie les projets de paysans de
ne pas voir ces aides servir des activités petite production.
accessoires, il faut constater que
ces conditions sont particulièrement L’un dans l’autre, ces projets agricoles
contraignantes pour les néopaysans se retrouvent dans une sorte de no
qui, étant donné les difficultés à se man’s land en ce qui concerne les aides
dégager et sécuriser un revenu décent auxquelles ils ont accès. D’un côté, les
dans des délais courts, souhaitent aides agricoles leur sont difficilement
préserver – au moins pour un temps – accessibles. De l’autre, étant donné
une activité professionnelle rémunérée leur statut d’agriculteur, ils ne peuvent
à côté de leur activité agricole en pas non plus solliciter les aides à
lancement. C’est par exemple le cas l’entrepreneuriat et aux PME, puisqu’il
d’un producteur rencontré qui fait des est admis que le monde agricole a son
grandes cultures et a donc des besoins propre régime d’aides.
d’investissement assez conséquents.
Il a préservé son précédent emploi à
hauteur de trois jours ouvrables par
semaine mais passe tout le reste de son
temps (soirées et weekend compris) « Quand tu veux
à son activité agricole. Or garder une démarrer une activité
autre activité professionnelle à mi- agricole aujourd’hui, tu as besoin
temps (ou plus), c’est donc se couper d’aides à l’investissement. Mais au
automatiquement de la possibilité de moment où tu démarres, tu ne peux
On se retrouve in fine dans mais pas évidente pour des projets qui ces aides, même si l’activité agricole pas te lancer à temps plein non plus,
sont parfois le fruit d’une reconversion est tout sauf accessoire. Le critère
une situation paradoxale : sinon tu te vautres. Donc t’es obligé
professionnelle tardive. Enfin, et plus sur la part des revenus totaux qui
un producteur préserve une autre d’avoir un travail sur le côté. Mais, ça,
fondamentalement, il faut remplir des doit être issue des activités agricoles
source de revenus afin de pouvoir est encore plus contraignant : même
c’est une condition d’exclusion pour
conditions de revenu et de temps
de travail pour prétendre au statut sans y consacrer un mi-temps, le l’accès aux aides. Pour moi, c’est une
lancer une activité agricole peu ineptie. » Audrey*, productrice
d’agriculteur « à titre principal » auquel travail complémentaire préservé pour
rémunératrice sans être la corde sont conditionnées les aides. Ainsi, le sécuriser un revenu risque bien de
au cou, ce qui l’empêche de prétendre producteur ne devra pas tirer plus de peser pour plus de 50% des revenus
aux aides, ce qui renforce la difficulté 65% (pour les aides à l’investissement) du producteur étant donné les faibles
ou 50% (pour les aides à l’installation) revenus propres que peut dégager
financière de l’activité agricole, ce qui de ses revenus annuels totaux d’une l’activité agricole les premières années.
renforce le besoin de préserver une activité autre que son activité agricole, Pour les aides à l’installation, il faut
autre source de revenus. et ne devra pas consacrer plus de par ailleurs que le revenu annuel
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La ferme à plusieurs, le chef d’exploitation exclusif, ou interdiraient toute plus-value sur les problématique (plus répandue et mieux
mais pas en famille : pouvoir prouver qu’il a le contrôle parts, limiteraient la distribution de connue) des personnes en collocation
l’anomalie effectif et durable de l’exploitation72. dividendes à des taux plancher – voire dans l’activation de leurs droits sociaux
Pour ce qui concerne les aides à les interdiraient carrément –, et au sein individuels. C’est le même genre de
Le régime légal et administratif qui l’investissement, une personne desquelles les agriculteurs associés problème : des pratiques nouvelles qui
encadre l’agriculture – sa reconnais- morale ne peut y prétendre qu’à gérants disposeraient d’une catégorie ne collent pas au modèle historiquement
sance institutionnelle – a historiquement deux conditions. Premièrement, il propre de parts qui leur donnerait, même établi et aux cases administratives
été pensé pour une agriculture familiale. faut que 50% des associés gérants sans être majoritaire, des prérogatives afférentes, ce qui engendre dès lors une
Les initiatives collectives non familiales, répondent aux conditions d’accès aux telles qu’une proportion minimale des zone grise assez insécurisante pour les
parmi lesquelles les fermes partagées, aides à l’investissement en personne sièges au Conseil d’Administration de la concernés.
ne rentrent pas dans les cases établies. physique (en termes de temps de coopérative et une minorité de blocage.
travail, de revenus, de diplôme agricole, Les modèles de fermes partagées
voir supra « Néopaysans en mal de Dans ce contexte, aujourd’hui, si sortent des représentations standards
reconnaissance institutionnelle », p.109). une ferme partagée souhaite que de l’activité agricole en Belgique,
Cette condition n’est pas évidente pour les producteurs agricoles puissent et peuvent à ce titre éveiller de la
« Dans les démarches des structures qui combinent activités toucher les aides, elle sera amenée à suspicion. Le même agriculteur nous
administratives, il n’y a agricoles, activités de transformation imaginer des formes de structuration témoignait par exemple avoir failli ne
et parfois également d’autres activités juridique plurielle (voir chap.1, « Des pas recevoir les aides européennes qu’il
que la certification bio qui était facile.
(accueil et hébergement, animation structuration juridiques variées », p.33). avait sollicitées parce que, dans le jury
Sinon, toutes mes relations avec
pédagogique, formation…), et au sein Des difficultés liées à l’inclusion dans d’admission, un membre était persuadé,
l’administration, à chaque fois, c’est desquelles les porteurs des activités un cadre collectif peuvent néanmoins là face à la complexité du modèle dans
un casse-tête ! Il n’y a vraiment pas agricoles ne rentrent déjà pas aisément aussi se manifester. Il n’est pas commun lequel était inséré l’agriculteur en
de case pour les projets collaboratifs. » dans les critères d’éligibilité aux que plusieurs producteurs, chacun avec question, qu’il s’agissait d’une fraude
Alexandre*, producteur aides. Deuxièmement, il faut que ces leur numéro de producteur agricole et s’était dès lors mis en tête de « le
agriculteurs associés gérants détiennent propre, soient renseignés à la même coincer ». Ceci nous renvoie surtout au
ensemble plus de 50% des parts de la adresse. Un agriculteur installé au sein statut émergent des fermes partagées
Pour les fermes partagées qui font le société. Ce critère est en décalage avec d’une ferme partagée, mais avec sa – peu connues, et sans modèle unique
choix d’une structure juridique unique la réalité des fermes partagées qui se propre société agricole, nous témoignait auquel se raccrocher – qui vient se
(voir chap.1, « Des structurations financent par capitalisation précisément ainsi avoir rencontré des difficultés à heurter à une administration qui n’a ni
juridiques variées », p.33), l’accès pour permettre aux producteurs en cet égard – le refus du remboursement l’habitude, ni le temps d’évaluer ces
aux aides à l’installation et aux lancement de ne pas devoir procéder des accises sur le mazout auquel modèles en détails, tout en devant
investissements est assez compliqué. eux-mêmes aux investissements, et donc il avait droit, par exemple, au motif porter une attention particulière à éviter
S’il est possible de toucher ces aides de ne pas devoir s’endetter auprès d’une qu’un autre agriculteur renseigné à la les détournements des aides agricoles
en tant que personne morale, le cadre banque (voir chap.2, « Financer tout le même adresse y avait déjà eu droit. étant donné les nombreux scandales
n’est pas pensé pour les formes hybrides reste : avec quels capitaux ? », p.50). On peut dresser un parallèle avec la ayant éclaté en la matière73.
retrouvées dans les fermes partagées,
qui regroupent à la fois plusieurs types Ces exigences sont une construction
d’activités, dont des activités non historique qui répond à une
agricoles, et une pluralité de parties préoccupation légitime : éviter les
prenantes au capital de la société (et dérives, éviter que les aides finissent
donc pas uniquement les producteurs). par échapper aux agriculteurs. Donner
des aides à des sociétés qui ne sont
Pour les aides à l’installation, par pas aux mains des agriculteurs, c’est
exemple, l’agriculteur agissant via effectivement une voie royale vers
une personne morale doit en être la captation de ces aides par des
investisseurs financiers, ce qui n’est
en rien souhaitable. À ce titre, s’il faut
Le statut émergent des fermes partagées toucher à ces dispositions, il convient
de le faire prudemment. Comment se
vient se heurter à une administration diriger non pas vers une appropriation
qui n’a ni l’habitude, ni le temps des moyens de production par des
d’évaluer ces modèles en détails, investisseurs privés, mais bien vers
tout en devant porter une attention une socialisation des moyens de
production ? Nous pourrions par
particulière à éviter les détournements exemple imaginer que ces aides soient
des aides agricoles. accessibles à des coopératives qui
112 113
C onc l u s i on
Quelles perspectives notre analyse des des canaux de commercialisation, des
fermes partagées ouvre-t-elle ? tâches de support administratif… Ces
mutualisations sont un moyen efficace de
Si l’on veut évoluer vers des systèmes partager ce qui demande du temps et des
alimentaires socialement et écologique- compétences et qui serait nettement plus
ment soutenables, il faut opposer à la difficile à assumer seul.
dynamique de concentration et d’indus-
trialisation des fermes le déploiement Convaincus que les fermes partagées
d’une agriculture de taille humaine, ont un intérêt pour faciliter le dévelop-
agroécologique, et inscrite dans des pement de projets paysans, nous avons
filières alimentaires relocalisées. Une investigué les enjeux transversaux qui les
agriculture paysanne. À l’heure du traversent. Quels sont les obstacles à leur
vieillissement de la profession et du faible développement ? Quels sont les leviers ?
nombre de repreneurs, comment éviter Quelles sont les perspectives ?
que les retraites mènent à accélérer la
concentration des fermes ? La question Nous nous sommes penchés sur une
de la transmission des fermes familiales série d’enjeux endogènes au développe-
est un enjeu majeur pour la souveraineté ment des fermes partagées. Aux côtés
alimentaire de la Wallonie. des constats et des descriptions, nous
avons proposé quelques questions qui
C’est dans ce contexte politique particu- nous semblent structurantes pour le
lier qu’il faut considérer l’apport possible développement de celles-ci. Parmi ces
des fermes partagées. Il s’agit de « faire questions, l’une nous semble particuliè-
ferme » à plusieurs, dans un cadre non rement importante. Nous avons identifié
familial. Le collectif permet de se donner une tension qui traverse le concept de
du courage, d’éviter l’isolement et de se ferme partagée : s’agit-il de structures de
serrer les coudes dans le cadre d’acti- services aux producteurs, visant à faciliter
vités injustement peu rémunératrices, leur installation et l’exercice de leur métier
sous la pression qu’exercent les filières dans un cadre qui leur est proposé ? Où
agroalimentaires industrielles sur les s’agit-il de structures autogérées par les
prix. Cela permet également de faire de producteurs eux-mêmes, qui la pensent
la ferme un lieu vivant de polyactivité. comme un outil commun dont ils ont la
S’y côtoient des activités de production pleine responsabilité ? Les deux ten-
agricole et de transformation alimentaire dances existent et semblent s’opposer.
artisanale. S’y ajoutent parfois d’autres Sur le terrain, toutefois, la réalité est sou-
activités telles que de l’accueil et de vent plus nuancée. Si bien que, parfois, la
l’hébergement, des formations ou des question reste impensée et provoque des
activités pédagogiques. La particularité conceptions divergentes de la ferme par-
de la ferme « partagée », par rapport à tagée en son sein même. Clarifier cette
des modèles familiaux ou des modèles dimension nous semble important, que
de fermes collectives davantage commu- chacun sache dans quoi il s’implique.
nautaires, c’est qu’elle cumule collectif et
autonomie. Les activités de la ferme sont Aujourd’hui, les fermes partagées sont en
autonomes. Elles sont portées par des phase d’émergence. Elles se cherchent.
personnes indépendantes qui entre- Elles testent des possibles. Les confi-
tiennent entre elles des rapports de soli- gurations sont multiples. Si la sociodi-
darité et de collaboration. Cela passe par versité des modèles peut être fertile, la
la mutualisation d’une série de choses : consolidation de modèles réplicables est
un lieu, un réseau, des investissements, par contre un enjeu pour que les fermes
114 115
partagées puissent essaimer. À cet égard, enjeu également central. Pour créer une
les fermes partagées ont tout à gagner ferme partagée, il faut… une ferme ! Plus
à créer des espaces de rencontre entre
elles – un réseau, une plateforme –, afin
généralement, c’est la question de l’accès
à l’outil de production qui doit se poser.
Quelques suggestions politiques
d’échanger sur leurs pratiques et ainsi Les activités de production paysanne et
se permettre de bénéficier des retours artisanale ne rentrent pas bien dans les Au fil de cette étude, nous avons établi plusieurs suggestions politiques. Il ne s’agit pas
d’expériences des unes et des autres. cases préétablies du crédit bancaire agri- de propositions abouties de réformes, mais bien de suggestions d’orientations générales
Nous espérons que cette étude puisse cole. Pas plus qu’elles ne répondent aux en mesure de soutenir une agriculture agroécologique et paysanne et, en son sein, le
servir ce genre d’initiative. standards nécessaires pour prétendre développement de fermes partagées. Ces propositions sont disséminées dans le texte.
aux aides agricoles. Aussi, il nous semble utile de les reprendre ici afin de les référencer.
« Essaimage ». Le mot n’est pas pro-
noncé par hasard. Si nous nous sommes Nous avons également pointé, plus
intéressés aux fermes partagées, c’est spécifiquement, les verrous qui se posent Favoriser l’accès à la terre
parce que nous leur reconnaissons un aux installations néopaysannes. Les - Réguler le marché du foncier agricole
intérêt politique pour la transition de nos fermes partagées sont essentiellement (voir chap.2, « Réguler le marché ! », p.45):
systèmes alimentaires. Cela explique que portées aujourd’hui par des personnes - Activer la « banque foncière » publique prévue dans le Code wallon de
nous ayons eu à cœur d’également inves- qui ne sont pas issues du monde agri- l’agriculture permettant à la Région d’intervenir sur les marchés;
tiguer les enjeux exogènes aux fermes cole. Derrière ce focus, transparaît plus - S’inspirer du système français des SAFER pour : augmenter la transparence du
partagées, c’est-à-dire les obstacles et généralement l’idée que, dans un objectif marché (notification en amont des ventes), renforcer le droit de préemption de
leviers de l’environnement institutionnel. repaysannisation de nos systèmes la Région, développer un système de « portage foncier » (acquisition temporaire
Il ressort de nos observations que les alimentaires, il faudra pouvoir compter avec revente délayée) pour favoriser les reprises de fermes en accordant un délai
fermes partagées qui existent aujourd’hui sur des installations néopaysannes, aux aux projets d’installation dans leur acquisition foncière.
sont le fruit de beaucoup de volonté, côtés de celles et ceux qui baignent déjà
d’énergie bénévole investie par des dans le milieu. Cela nécessite de faire - Mobiliser les terres publiques
personnes qui agissent par passion et par émerger des parcours de formation adap- (voir chap.2, « Les terres de l’État : une question d’intérêt général ! », p.58):
conviction. Situés dans l’angle mort d’un tés, pour des personnes qui n’ont pas - Dans le chef des communes :
environnement institutionnel peu adapté pu acquérir les compétences requises à • Mettre à l’agenda politique la question de la gestion des terres de la commune
à leur réalité, les fermes partagées et les travers une vie à la ferme. Pour favoriser et du CPAS;
producteurs qui les composent doivent les transitions professionnelles, il est par • Établir un cadastre du foncier agricole communal;
bricoler. C’est-à-dire trouver des solutions ailleurs nécessaire d’ouvrir la question de • Envisager des mises en gestion des terres communales auprès de Terre-en-vue.
nouvelles à des problèmes complexes, la sécurité financière pendant les phases - Dans le chef de la Région :
par des voies qui sortent des cases pré- de formation et de lancement de l’activité. • Sensibiliser les communes à la question de l’accès au foncier agricole;
établies. C’est le sort de toute innovation Celles-ci demandent du temps, et les • Fournir une expertise technique aux communes pour la gestion de leurs
sociale. Pour que les fermes partagées ne conversions professionnelles peineront à terres, et favoriser les synergies entre communes.
restent pas un phénomène confidentiel émerger tant que les candidats paysans
et puissent effectivement essaimer, il est devront pouvoir compter sur leurs fonds
nécessaire d’agir sur l’environnement propres pour assumer cette période de Faciliter les conversions néopaysannes
institutionnel. vaches maigres. Les dispositifs existants
pour y pallier, tels que le « test d’activité »
- Agir sur les parcours de formation
(voir chap.4, « La formation : un enjeu de taille », p.96):
Nous avons pointé au fil de cette étude sous couveuse d’entreprise, ne se prêtent
- Soutenir des parcours de formation par compagnonnage;
les principaux obstacles rencontrés. Les pas bien aux spécificités des activités en
- Garantir un revenu de remplacement aux personnes en transition professionnelle
verrous. Pour la plupart, ceux-ci ont une question.
et qui suivent une formation paysanne en vue d’une installation.
portée plus large que les seules fermes
partagées. Les verrous sont nombreux. Ils peuvent - Soutenir les phases de lancement
paraître décourageants. Si nous avons (voir chap.4, « Comment se lancer sans couler ? Le rôle possible des coopératives
Le verrou le plus central est l’accès voulu les pointer, ce n’est pas pour d’activité », p.102):
au foncier agricole. La terre est deve- démobiliser. C’est tout le contraire. À - Soutenir le développement au sein des coopératives d’activités / couveuses
nue inaccessible. Les prix auxquels l’échelle des initiatives particulières, avoir d’entreprise des filières spécialisées dans les métiers de la production agricole
s’échangent les terres n’ont plus rien à conscience des obstacles nous semble paysanne et de la transformation alimentaire artisanale.
voir avec la valeur de ce qui pourra y important pour poser des bases solides
être cultivé, et la location de terres sous et ainsi maximiser les chances de succès. - Agir sur les aides agricoles
le régime protecteur du bail à ferme se Ensuite, et surtout, à une échelle macro- (voir chap.4, « L’accès aux aides agricoles », p.109):
fait de plus en plus rare. Pour favoriser politique, pointer les verrous doit per- - Agir pour une transition des aides européennes vers un système qui tient plus
le maintien d’une agriculture à taille mettre de mieux identifier les leviers pour compte du travail humain engagé (aide à l’actif) et moins de la surface exploitée
humaine, il est urgent de s’attaquer au les faire sauter. C’est en ce sens que vont (aide à l’hectare);
problème de l’accès à la terre. Au-delà de les multiples pistes de mesures politiques - Faire évoluer les aides à l’installation et à l’investissement pour tenir compte des

116
l’accès à la terre, l’accès au bâti (bâti-
ments agricoles et logements) est un
qui viennent en réponse aux verrous
identifiés. Puissent-elles servir !
installations progressives.
... 117
Soutenir les fermes partagées
N ot e s
- Accorder un soutien financier aux fermes partagées dans les
premières années de lancement pour soutenir le travail de développement et de
coordination, afin de leur permettre un développement serein vers un équilibre
financier et d’aboutir à des modèles robustes susceptibles d’être répliqués Nos rencontres
(voir chap.1, « Financer le travail de coordination et de développement », p.31).

- Soutenir des offres professionnelles spécialisées Collectifs Témoins spécialisés


d’accompagnement des dynamiques collectives pour
les projets collectifs en production agricole/artisanat alimentaire - David Herrera, Cycle Farm, - Lou Plateau, auteur d’une thèse sur les
(voir chap.3, « Soutenir l’accompagnement des collectifs », p.86). 8 juillet 2020. collectifs de production (ULB),
- Renaud Keutgen, Espaces’Ter, 16 juillet 2020.
- Rendre possible l’octroi d’aides agricoles à l’investissement à 16 décembre 2020. - Zoé Gallez, Terre-en-vue,
une personne morale non détenue majoritairement par les agriculteurs associés,
- Sophie Cailliau, Ferme des Coquelicots, 3 septembre 2020.
sous certaines conditions garantissant que ces aides ne soient pas détournées
de leur objectif de soutien aux producteurs 8 juillet 2020. - Alexandre Ponchaut, Union des villes et
(voir chap.4, « L’accès aux aides agricoles », p.109). - Antoine Sterling, Ferme du Chant des communes de Wallonie,
Cailles, 14 juillet 2020. 25 septembre 2020.
- Gaetan Seny, Ferme de Froidefontaine, - Fulgence Delleaux, historien spécialiste
19 mai 2020 et 6 novembre 2020. du monde rural (Université de Namur),
29 septembre 2020.
- Benjamin Biot, Ferme de
Froidefontaine, 26 août 2020. - Delphine Stévens, Step Entreprendre,
29 septembre 2020.
- Marc Vanoverschelde, Ferme du Hayon,
9 septembre 2020. - Sylvain Launoy et Jérôme Rassart,
Crédal, 7 octobre 2020.
- Georges Debaisieux, Ferme de Vevy
Wéron, 8 septembre 2020. - Pierre-Louis Gillet, Union des villes
et communes de Wallonie,
- Éric Luyckx, Graines de Vie,
15 octobre 2020.
21 mai 2020.
- Antoine Gérard, Terre-en-vue,
- Martin de Patoul, Graines de Vie,
30 novembre 2020.
3 septembre 2020.
- Gaëtan Goisse, avocat spécialisé du
- Camille Eickhoff et Floriane Heyden,
monde rural, 7 décembre 2020.
Jardins d’Arthey, 25 juin 2020.
- David Dupuis, Terre-en-vue,
- Valentine Givron, Jardins d’Arthey,
10 décembre 2020.
23 juillet 2020.
- Gaëtan Pascal, agronome français
- Sébastien Petit, Jardins d’Arthey,
auteur d’une étude sur les fermes
23 juillet 2020.
collectives en France, 6 janvier 2021.
- Pauline Steisel et Juan Thibaut,
- Chantal Tresserra, Association Tarnaise
L’Arbre qui pousse, 19 mai 2020.
pour le développement de l’Agriculture
- Jérémy Verhelst, La Finca, de Groupe (ATAG), 7 janvier 2021.
2 septembre 2020.
- Véronique Lucas, Chercheuse sur les
- Olivier Lefebvre, Permaprojects, collectifs agricoles (INRA-SAD),
15 juillet 2020. 15 janvier 2021.
- Xavier Fiasse et Thomas Riguelle, - Maëla Naël, Les Champs des Possibles,
Permaprojects, 27 août 2020. 16 janvier 2021.
- Barbara Garbarczyk, collectif agricole
- Claude Frederickx et Delphine Leroy,
en construction, 18 septembre 2020.
Le Forem, resp. directeur du Service à
Gestion Distincte Aides publiques et
incitants financiers et responsable du
service Parcours Clients,
28 janvier 2021.
118 119
Notes
1
 ar souci de lisibilité, nous nous
P 7
 alculer les contributions en proportion
C terres peuvent devenir agricoles, mais, dans nos voitures ! Évaluation de
permettons dans cette introduction de la marge brute d’exploitation des surtout, des terres agricoles peuvent la politique belge d’incorporation
d’arrondir les chiffres, l’important à activités est plus pertinent que le faire changer d’affectation. La tendance est d’agrocarburants », Septembre 2019,
nos yeux étant de donner les bons en proportion du chiffre d’affaires (cas à une lente réduction de la surface accessible sur link.infini.fr/xwoVkxTR.
ordres de grandeur. Sources : SPW, également observé). Pourquoi ? Car, agricole. La surface agricole utile Notons que nous ne produisons
« L’agriculture wallonne en chiffre », en fonction de l’activité, un gros chiffre wallonne était 783.000 hectares en que 3% de notre consommation
2020, accessible sur link.infini. d’affaires peut cacher une marge 1980. En 40 ans, elle a donc été réduite d’agrocarburants. Au-delà des terres
fr/1yM4MhhA ; Statbel, « Chiffres clés brute – c’est-à-dire une valeur ajoutée de 6%. Nous abordons brièvement, cultivées en Belgique à cet effet, le
de l’agriculture. L’agriculture belge en financière – en réalité très faible (le plus loin dans cette section (voir problème majeur des agrocarburants
chiffres », 2020, accessible sur link. producteur a un gros chiffre d’affaires « La pression des activités non est, et reste, qu’ils impliquent la
infini.fr/E7JVVx8. mais beaucoup de frais et ne se dégage nourricières », p.43), la question de destruction de l’agriculture des pays
2
 tatbel, « Chiffres clés de
S donc pas un revenu élevé), ou, au la pression de l’urbanisation et de du Sud !
l’agriculture », op. cit. contraire, un chiffre d’affaires modeste l’artificialisation des sols. 22
Sylvie La Spina, op. cit., p. 61.
peut cacher une marge brute élevée. 14
 our creuser et mieux se représenter
P
3
 PW, « L’agriculture wallonne en
S 23
 e dernier rapport en date et sur lequel
L
chiffre », op. cit.
8
 our creuser ces trois logiques
P cette question de la concurrence pour s’appuient les chiffres qui suivent :
économiques (marché, redistribution, les terres, nous vous recommandons
4
 our creuser les coopérations de ce
P « Rapport 2020 », Observatoire du
réciprocité) selon une grille de lecture chaleureusement l’enquête
type, voir le travail de Lou Plateau, foncier agricole wallon, septembre
empruntée à l’historien et économiste journalistique de Sang-Sang Wu et
auteur d’une thèse (à paraître) 2020, accessible sur link.infini.fr/
Karl Polanyi, voir Barbara Garbarczyk Yves Raisiere, « Accès à la terre, la loi
sur les modèles coopératifs de uoYPq2ut.
et Mathieu Vanwelde, Le prix juste : et des plus forts », Tchak!, n°1, Février
production agricole. Pour un aperçu, 24
 echniquement, ce que nous
T
si on prenait le problème à la racine ?, 2020.
voir Lou Plateau, Jérôme Rassart
SAW-B, 2018, accessible sur frama. regardons sont les « biens
et Margaux Denys, «Co-opérer au 15
 our aller plus loin, voir Jonathan
P
link/_7rkYuwR. immobiliers non bâtis et entièrement
stade la production. Enjeux et recueil Peuch, « Les processus européens
9
 our un aperçu de ce qu’est une
P situés en zone agricole ». La présence
d’expériences pour de nouveaux de concentration et d’accaparement
entreprise partagée, voir Barbara de bâti ou le fait d’être situé en zone
modèles agricoles », Rapport de des terres touchent les régimes
Garbarczyk, « L’entreprise partagée : potentiellement urbanisable a un
recherches, CEESE-ULB et Crédal, 2018, fonciers belges », FIAN Belgium, 2015,
vers une conciliation de l’autonomie impact à la hausse conséquent sur le
accessible sur link.infini.fr/_TcMT5Eh. accessible sur link.infini.fr/oNJyk9P7.
et de la solidarité ? », SAW-B, 2017, prix des terres. Pour de plus amples
Pour creuser plus loin, voir Lou Plateau 16
 PW, « L’agriculture wallonne en
S
et al., « Opening the organisational accessible sur link.infini.fr/sXEJjHbv. informations, voir le « Rapport 2020 »
chiffre », Op. cit. de l’Obervatoire, op. cit.
black box to grasp the difficulties of 10
 PW, « L’agriculture wallonne en
S
agroecological transition. An empirical
17
 hierry Vangulick, « Colruyt rachète
T 25
 tatbel, « Fermages dans
S
chiffre », Op. cit.
analysis of tensions in agroecological des terres agricoles, les agriculteurs l’agriculture », chiffres accessibles sur
11
 oir « Déclaration de politique
V sont inquiets : ‘C’est comme revenir au
production cooperatives », Ecological régionale pour la Wallonie, 2019- link.infini.fr/r22W2qsG. Le montant
Economics (à paraître). Moyen-Âge’ », Le Soir, 3 octobre 2020, exact du fermage dépend de la région
2024 », p.73 et suivantes, accessible accessible sur link.infini.fr/n_paaCn7.
5
 our un aperçu de ce que propose
P sur link.infini.fr/Z3XrotPs. et de l’usage de la terre (une terre
Paysans-Artisans, voir la page dédiée
18
 our aller plus loin, voir Sylvie La
P cultivable coûte plus cher qu’une
12
 PW, « L’agriculture wallonne en
S Spina, « Réflexions et pistes pour
de leur site web, accessible via le lien prairie). Notons aussi que, dans le bail
chiffre », Op. cit. favoriser l’accès à la terre de nos
suivant link.infini.fr/fxrHUgHD. de carrière et le bail de longue durée,
13
 a surface agricole utile wallonne était
L agriculteurs ‘modèles’ », Nature & le fermage peut être majoré de 50%.
6
Il existe des initiatives de coopération de 733.715 hectares en 2019 (Statbel, Progrès, 2015, accessible sur link.infini. Dans le bail classique, le fermage
territoriale pour favoriser ce genre « Chiffres clés de l’agriculture », fr/81Cswo5D. peut également être majoré de 20%
de synergies. Le Collège des 2020). Par souci de lisibilité, nous
Producteurs a, par exemple, mis en
19
 oir Astrid Bouchedor, « Pressions
V ou 35% quand le bail rentre dans sa
nous permettons dans ce chapitre sur nos terres agricoles. Face à troisième ou sa quatrième période de
place un programme pour favoriser d’arrondir les chiffres, l’important à
les échanges entre producteurs l’artificialisation des sols, quels leviers renouvellement.
nos yeux étant de donner les bons d’action ? », Fian Belgium, 2017,
céréaliers et éleveurs de moutons. ordres de grandeur. Par ailleurs, dire
26
 our plus d’informations, voir aussi
P
Voir notamment Cyril Régibeau, « Le accessible sur link.infini.fr/sFN9q3_Y. l’interview du même Gaëtan Goisse
que la surface agricole wallonne est
mouton comme outil agronomique une donnée exogène avec laquelle
20
Sylvie La Spina, op. cit., p. 61. par Sang-Sang Wu et Yves Raisiere,
au service des cultures », Assemblée il faut composer est également une 21
 oncernant la problématique des
C « Accès à la terre, la loi des plus
Sectorielle Grandes Cultures/pommes petite approximation : il s’agit des agrocarburants, voir la brochure éditée forts », op. cit., p.56-60.
de terre du Collège des Producteurs, terres labellisées « agricoles » d’un par un collectif d’ONG (CNCC, IEW, 27
 ang-Sang Wu et Yves Raisiere,
S
28 mai 2019, accessible sur point de vue cadastral. Le statut d’une 11.11.11, Oxfam, FIAN, Greenpeace, Bond « Accès à la terre, la loi des plus
link.infini.fr/X2HV9h6G. zone peut changer dans le temps. Des Beter Leefmilieu), « Pas de nourriture forts », op.cit., p.48-51.
120 121
28
 our aller plus loin, voir Yannick
P p.35-47, accessible sur link.infini.fr/ du sol. Ils ne peuvent par contre pas & Territoires, n°19, INRAE, 2016,
Sencebe, « La SAFER. De l’outil de pYLDrGto. introduire de clauses concernant accessible sur link.infini.fr/1mEkMAp7.
modernisation agricole à l’agent 36
 ’il est tout à fait normal et
S l’usage de produits phytosanitaires 42
Martin Grandjean et al., « Systèmes
polyvalent du foncier : hybridation compréhensible que ce dispositif ou de fertilisants de synthèse. Cette d’informations foncières et politiques
et fragmentation d’une institution », existant soit mobilisé par les fermes possibilité est donnée aux bailleurs publiques », Rapport de recherche,
Terrains & travaux, n°20, ENS Paris- partagées en création, on ne peut publics et à certaines associations CPDT, 2017, accessible sur link.infini.fr/
Saclay, 2012, p.105-120, accessible sur pas ne pas mentionner que le tax d’intérêt général (Natagora, Terre-en- LRZvpuBA.
link.infini.fr/f89ab5RF. shelter est politiquement hautement vue, sociétés de gestion de l’eau…), 43
  Déclaration de politique régionale
«
29
  Décret relatif au Code wallon de
« questionnable, pour deux raisons mais est malheureusement limitée à pour la Wallonie, 2019-2024 », p.73 et
l’Agriculture », Service public de complémentaires. Premièrement, certaines zones très spécifiques. Il faut suivantes, accessible sur link.infini.fr/
Wallonie, 27 mars 2014, Article D153 et il s’agit d’une « dépense fiscale », que la parcelle soit reconnue comme Z3XrotPs.
suivants. Accessible sur link.infini.fr/ c’est-à-dire une dépense publique prairie à haute valeur biologique et
qu’elle soit, en outre, située dans
44
 otamment quand il s’agit de terres
N
k1oje9s0. indirecte (l’État ne sort pas l’argent, en zone urbanisable que la commune
mais il se prive de rentrées fiscales une zone de prévention. L’un dans
30
 ’est un chiffre qu’il faut toutefois
C pourrait souhaiter affecter à d’autres
équivalentes, ce qui revient au même). l’autre, la portée potentielle des
prendre avec des pincettes, comme usages dans le futur, et pour lesquelles
Celle-ci bénéficie principalement aux clauses environnementale dans les
nous l’a fait remarquer l’avocat les communes multiplient alors les
personnes suffisamment riches pour beaux agricoles est extrêmement
spécialisé Gaëtan Goisse. De contrats de cultures ou contrats de
investir dans des petites sociétés en limitée. C’est un volet extrêmement
nombreuses constructions juridiques vente d’herbe annuels.
lancement, et qui, de la sorte, paient décevant de la réforme sur le bail à
complexes, dans lesquelles un 45
 our un aperçu plus complet de
P
moins d’impôts (on parle de « niche ferme. Il a été dénoncé aussi bien par
propriétaire se loue ses propres l’impact de la réforme du bail à ferme
fiscale »). C’est donc une mesure anti- l’Union des villes et communes de
terres par l’intermédiaire d’une sur les pouvoirs locaux, voir Pierre-
redistributive, puisqu’elle prive l’État Wallonie (voir Pierre-Louis Gillet, op.
société, brouillent la pertinence Louis Gillet, « La réforme du bail
de recettes pour tous et ne bénéficie cit.) que par une série d’associations
des statistiques. Ce chiffre de 68%, à ferme », Mouvement communal,
qu’aux plus aisés. Deuxièmement, ce environnementaliste et de défense
fréquemment repris, est donc n°944, Union des Villes et Communes
dispositif de tax shelter s’applique d’une agriculture paysanne (voir l’appel
probablement surévalué. de Wallonie, janvier 2020, p.30-37,
de manière indifférenciée à l’activité lancé par IEW, Nature & Progrès,
31
 e métayage est une pratique
L Terre-en-vue, Natagora, UNAB et accessible sur link.infini.fr/WPR7p-cs.
créée. C’est-à-dire que peuvent tout
ancienne dans laquelle des FIAN à la veille de l’adoption de la 46
 oir Pierre-Louis Gillet, « La réforme
V
aussi bien y prétendre les activités
« métayers » cultivent la terre pour le réforme : « Bail à ferme : un nécessaire du bail à ferme », op.cit., p.34 ; et
écologiquement et/ou socialement
propriétaire en échange d’une partie sursaut parlementaire », 29 avril 2019, « Bail à ferme : un nécessaire sursaut
nuisibles. C’est donc un dispositif
de la récolte. C’est une pratique qui disponible sur link.infini.fr/UgbedPNS). parlementaire », op. cit.
qui vise purement à créer de
s’est observée, historiquement, dans Notons qu’une source d’espoir est que 47
 arc Hildesheim, «Le CPAS de Liège
M
l’activité économique pour l’activité
des régimes de servage – les métayers ce volet de la réforme est modifiable va revendre des terrains pour financer
économique, sans réflexion politique
cultivant les terres du seigneur – et qui par « simple » arrêté ministériel, ce ses missions », rtbf.be, 5 janvier 2021,
sur les activités à soutenir.
a progressivement disparu aux 19ème qui rend les évolutions ultérieures plus accessible sur link.infini.fr/pyoq1uh0.
et 20ème siècles, notamment sous la
37
 téphane Audrand, « Ce qui nous
S
envisageables. 48
 es parties sur la vision, l’horizon
L
pression de luttes paysannes. nourrit principalement. L’autonomie
alimentaire et les limites du
39
 oir par exemple Jean Lespiau,
V et les valeurs ont été rédigées en
32
 ang-Sang Wu et Yves Raisiere,
S Regards historiques sur les luttes nous appuyant notamment sur
maraîchage », collaborativepeople.fr,
« Accès à la terre, la loi des plus paysannes landaises. Pour la fin du les enseignements de Martine
octobre 2020, accessible sur link.infini.
forts », op. cit., p.42-47. métayage, Ed. Jose Feijoo, 1995, 426p. Marenne et l’équipe de la Dynamique
fr/uWsUyV2Y.
33
 oir Stephanie Hiller, « Community
V 40
 our creuser cela, voir par exemple
P Participative : https://www.
38
 es bailleurs privés ne
L dynamiqueparticipative.be/
Land Trust : Gateway to Farmland », Astrid Bouchedor, « Pour un meilleur
peuvent introduire de clauses
Acres U.S.A. Magazine, Septembre accès à la terre en Belgique et en 49
 arbara Garbarczyk, « Cinq
B
environnementales au-delà de simples
2017, accessible sur link.infini.fr/ Europe. Difficultés et opportunités questions à se poser avant de (faire)
clauses pour la protection des éléments
tQQhE4cT. pour une gouvernance foncière participer ! », SAW-B, 2017, accessible
topographiques (haies, arbres, etc) et,
34
 hiffre de juillet 2020, voir page
C responsable », FIAN Belgium, 2014, sur link.infini.fr/xYt3f_sz.
sous certaines conditions, des clauses
« Chiffres Clefs » du site web de Terre visant à prévenir l’érosion des sols. accessible sur link.infini.fr/kd72TvkW. 50
ATAG, « Des compétences au
de Liens, link.infini.fr/-UHempWF. Ils peuvent dorénavant également 41
 our creuser cette question, voir
P service de votre groupe », http://
35
 our une discussion plus englobante
P prévoir des clauses concernant Tanguy Martin, « Nouvelles formes de atag.agriweb81.com/, consulté en
sur cette question, voir aussi Mathieu le maintien d’un taux de matière gouvernance foncière rurale au service décembre 2020.
Vanwelde, « Les verrous économiques organique suffisant ou encore sur le d’installations agricoles respectueuses 51
 tatbel, « Chiffres clés de l’agriculture.
S
de la transition », SAW-B, 2020, maintien d’une couverture permanente de l’environnement », Sciences Eaux L’agriculture belge en chiffres », op. cit.

122 123
52
 erge Pereboom et Natascha Köchli,
S 61
  Métiers en tension de recrutement
« 67
 our creuser, voir Gilles Maréchal,
P
« Rebaptisons l’AFSCA », Bulletin de en Wallonie : Liste des métiers/ «Les CAE, un modèle en phase avec
liaison des campagnes, n°36, Le MAP, fonctions critiques et en pénurie (Hors les mutations du monde agricole.
2011, p.8, accessible sur link.infini. métiers de l’enseignement - Liste Document de synthèse », Coopérer
fr/3LoMhN9j. 2020 », Le FOREM, Service Veille, pour Entreprendre, 2016, accessible
53
 hilippe Defeyt, « Les dépenses
P analyse et prospective du marché de sur link.infini.fr/VE65sUs8.
alimentaires des Belges », Institut l’emploi, accessible sur link.infini.fr/ 68
 oir à ce titre cet article de presse qui
V
pour un développement durable, yCvyD071. en dit un peu plus et résume très bien
2020, accessible sur sur link.infini.fr/ 62
 oir par exemple le récit de la
V l’ambition de ces structures, à partir
RjaXCL6f. construction de la boulangerie des du cas de CIAP en Pays de la Loire :
54
 our une discussion sur pourquoi il est
P Jardins d’Arthey, Camille Eickhoff, Céline Clément, « Donner davantage
important que ces nouveaux acteurs « Retour sur la construction de la leur chance à ceux qui ne sont pas
de la commercialisation prennent boulangerie », 5 mai 2020, accessible issus du monde agricole », Terre-net
des formes d’économie sociale, voir sur link.infini.fr/_mL8drj_. Média, 27 avril 2018, accessible sur
 n emploiera ici indifféremment les
O link.infini.fr/EJga6Ka9.
Mathieu Vanwelde, « Alimentation 63

durable : pourquoi consommer termes de « coopérative d’activité » 69


 oir notamment l’intervention de
V
« économie sociale » ? », SAW-B, et de « couveuse d’entreprise », Sylvain Pechoux (Les Champs
2020, accessible sur link.infini.fr/ même s’il existe quelques nuances des Possibles) dans « Des
n9YZzwtB. entre les deux. Parmi les structures formes d’installation agricole plus
agréées SAACE, existent aussi des coopératives et solidaires : une
55
 oir aussi Mathieu Vanwelde,
V
« guichets d’accompagnement ». pure utopie ? », Webconférence,
« Alimentation durable : pourquoi
Ces derniers proposent un service Mouvement Colibris, 32’-50’, accessible
consommer « économie sociale » ? »,
d’accompagnement, mais pas de sur link.infini.fr/utBKhp--.
op. cit. ; et Barbara Garbarczyk,
« Trafic de carottes. Se concerter tout couveuse d’activité. C’est par exemple 70
  Enquête sur la charge administrative
«
au long de la filière alimentaire », le cas de Crédal. en agriculture », Collège des
SAW-B, 2019, accessible sur link.infini. 64
 lus d’informations sur la page dédiée
P Producteurs, juin 2016, accessible sur
fr/MVvs8CCz. sur le site web du Forem : link.infini.fr/ link.infini.fr/_u8xc4bR.
56
 elon l’expression employée dans
S uBgNFPt4/ 71
 our cette partie, nous nous appuyons
P
l’émouvant témoignage d’une 65
 e programme « Food it » de Crédal,
L sur le document de synthèse proposé
militante au sein du Réseau wallon par exemple, ou le programme pour par le service public de Wallonie sur le
de Lutte contre la Pauvreté. Jeanne métiers manuels chez Job Yourself, qui Portail de l’Agriculture wallonne, « Aides
(prénom d’emprunt), « Les personnes comprend une filière « Métiers verts », au Développement et à l’Investissement
précarisées sont la poubelle de ou encore la filière « Agriculture et dans le Secteur Agricole », 2019,
l’agro-industrie », Tchak!, 29 avril 2020, tourisme » de Creajob. accessible sur link.infini.fr/y6jZhdvp.
accessible sur link.infini.fr/3GYY-9LV. Pour des informations complémentaires,
66
 oir entre autres : (1) Véronique
V
voir aussi Luc Servais, « Reprise
57
 édération des Jeunes Agriculteurs,
F Lucas, « L’agriculture en commun :
d’exploitation. Quelques clés pour la
syndicat agricole qui représente les Gagner en autonomie grâce à la
réussir », Association wallonne des
jeunes agriculteurs et propose des coopération de proximité. Expériences
éleveurs, 2016, accessible sur link.infini.
animations et des formations dans le d’agriculteurs français en CUMA à l’ère
fr/jh7UPo6q.
secteur agricole. de l’agroécologie », Thèse de doctorat
en sociologie, Université d’Angers,
72
 our le détail de ce que ça implique,
P
58
 édération Unie de Groupements
F voir Luc Servais, Op. Cit.
pp.16-61, accessible sur link.infini.
d’Éleveurs et d’Agriculteurs, syndicat
fr/9Yco6K7U ; (2) Serge Cordellier, 73
 oir par exemple Olivier Croughs,
V
agricole en défense d’une « agriculture
« Une histoire de la coopération « Les « étranges » subsides de la
durable », membre du mouvement
agricole de production en France », PAC décodés », Le Soir, 1er mai 2014,
paysan international Via Campesina.
Revue internationale de l’économie accessible sur link.infini.fr/Xret9u1- ;
59
 lus d’info sur la page dédiée du
P sociale, n°331, 2014, p. 45-58, accessible Bertrand Valiorgue et Xavier Hollandts,
site web du MAP, lemap.be/-Les- sur link.infini.fr/oNdU4nb5 ; (3) Alice « Des millions d’euros d’aides agricoles
formations-en-fermes-ecoles- Barthez, « Un acte de liberté de détournés, décryptaged’un scandale
60
 lus d’infos sur la page dédiée du
P pensée en agriculture. La création du européen », The Conversation,
site web du FOREM, leforem.be/ GAEC », Économie rurale, n°300, 2007, 16 janvier 2020, accessible sur link.
particuliers/dispenses.html accessible sur link.infini.fr/SrGVcdtE. infini.fr/1VLbhJrR.

124 125
Qui est SAW-B ?
Créée en 1981, Solidarité des Alternatives Wallonnes
et Bruxelloises (SAW-B) est une association qui a pour
mission de défendre et de déployer l’économie sociale
comme alternative crédible et concrète au capitalisme
néolibéral mondialisé.

à la fois fédération d’associations et d’entreprises


d’économie sociale, agence-conseil pour le
développement d’entreprises sociales et organisme
d’éducation permanente, SAW-B est composée d’une
vingtaine de travailleurs passionnés qui :

• interpellent en étant force de critiques et de


propositions ;
• soutiennent les acteurs de l’économie sociale en
renforçant l’impact et la viabilité des entreprises
sociales ;
• innovent en étant un labo de recherche et
d’expérimentation par la mise en œuvre de projets
de terrain.

Auteurs : Mathieu Vanwelde et Antoinette Dumont


Relecteurs : Joanne Clotuche, Hugues de Bolster, Marian de
Foy, Jean-François Herz, Mathilde Leboeuf, Stéphane Lejoly,
Emmanuel Massart, Quentin Mortier, Pierre Smet.
Graphisme : Studio idbi
Éditeur responsable : Solidarité des Alternatives Wallonnes
et Bruxelloises ASBL. 42/6 rue de Monceau-Fontaine,
6031 Monceau-sur-Sambre
Numéro d’entreprise : BE 0422 621 674
Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
N° ISBN : 978-2-9602095-1-8

Continuer
la réflexion
avec vous
Cette étude sur les fermes partagées est aussi une
invitation à poursuivre et appronfondir la réflexion
avec vous. Si vous voulez réagir ou en discuter avec
nous au sein de votre collectif, de votre espace, de
votre entreprise, prenons contact. Ensemble, faisons
mouvement pour une alternative sociale et économique !
N’hésitez pas à nous contacter :
info@saw-b.be ou 071/53 28 30
L es fe r mes p a r t a g é e s

Depuis 1980, douze fermes ont disparu par semaine en Wallonie.


La taille moyenne de celles qui subsistent a été multipliée par
trois. Ce phénomène de “concentration” est directement lié à
l’industrialisation et la mondialisation de notre alimentation.
Aujourd’hui, une transition de nos systèmes alimentaires vers un
mieux écologique, social et sanitaire passe pourtant par le maintien
de fermes à taille humaine.

Et si on reprenait une ferme à plusieurs ?! C’est l’idée qui anime les


“fermes partagées”. En leur sein, se déploient plusieurs activités de
production agricole et de transformation alimentaire. On y cultive
des légumes, on y élève des brebis, des poules ou des cochons, on y
transforme le lait en fromage, on y fait du pain ou encore de la bière...
Et on écoule ces produits en circuit court ! Ces activités diversifiées de
production sont portées par des producteurs autonomes les uns par
rapport aux autres. Mais elles s’exercent au sein d’une même ferme,
dans un cadre collectif qui favorise des formes d’entraide et de partage.

Depuis quelques années, on observe l’émergence d’initiatives de


ce type. En s’appuyant sur de nombreux témoignages, cette étude
dresse un panorama des enjeux organisationnels qui se posent aux
fermes partagées, mais aussi des défis institutionnels à relever pour
favoriser leur développement.

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