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Montessori Freinet Extrait
Montessori Freinet Extrait
Henri Louis Go
EXEMPLAIRE DE LECTURE
Maria Montessori
et Célestin Freinet :
voix et voies
pour notre école
www.esf-scienceshumaines.fr
ISBN : 978-2-7101-4261-4
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tation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2
et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Philippe Meirieu
EXEMPLAIRE DE LECTURE
Une prise sur le temps. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Discontinuités, ruptures, répétitions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
La suspension de l’action. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
L e livre que nous présentons s’adresse aux professeurs pris dans une
actualité pédagogique qu’ils subissent, dont ils souffrent, et qu’ils
souhaitent peut-être interroger1. Mais nous nous adressons tout
EXEMPLAIRE DE LECTURE
L’actualité pédagogique
La grande institution de l’Éducation Nationale est plus que jamais exposée
aux controverses sur le métier de professeur, sur ses finalités et sur ses condi-
tions d’exercice. Dans ce contexte, les voix divergentes dans les conceptions
de l’éducation méritent d’être examinées. Entre le durcissement du gouverne-
ment des professeurs, le dogmatisme autoritaire des références à « la science »,
1. Le masculin est utilisé dans cet ouvrage à titre épicène en vue d’alléger le texte et sa lecture.
2. Voir Go H. L., Prot F., Kolly B., Bouchet-Gimenez T. (2020).
3. (1870-1952).
4. Élise Lagier-Bruno, épouse Freinet (1898-1983).
5. (1896-1966).
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et des revues par lesquelles ils peuvent en témoigner. Mais le problème de la
formation à de telles pratiques reste posé, tant les différences de mise en œuvre
peuvent être grandes entre un enseignant et un autre à l’intérieur même du
Mouvement Freinet ou du Mouvement Montessori.
Or, ces pédagogies ne prennent leur sens que dans les pratiques. Chacune
d’elles constitue un véritable système d’action, soutenu par des techniques
précises, un matériel pédagogique spécifique, un art de faire qu’il importe
de pouvoir décrire, et un désir professoral qui doit être questionné. Car cet
art professoral ne se limite pas à des enjeux didactiques, même s’ils sont évi-
demment essentiels. Nous entendons soutenir, en cette période difficile pour
l’école, une conception complexe et éthique de la pédagogie, c’est-à-dire de la
manière de prendre en charge l’enfance comme telle. Celle-ci réaffirme la part
inaliénable de la relation humaine concrète et de la « vie » dans l’éducation et
à l’école, dans un contexte où on laisse de plus en plus croire aux enfants qu’ils
pourraient échapper à toute contrainte pour grandir.
La méthode du dialogue
Cet ouvrage se présente sous la forme d’un dialogue entre deux auteurs,
découpé en chapitres thématiques. Dans chacun de ces chapitres, le dialogue
évolue par mouvements qui correspondent à des questions. L’organisation du
dialogue, en suivant un ordre thématique, vise à produire un effet de progres-
sivité dans la compréhension des enjeux de la discussion. Le dialogue n’est pas
qu’une forme de communication, c’est un travail de la pensée qui passe d’un
milieu à l’autre – et ici du milieu montessorien au milieu freinetien. Nous
avons essayé de maintenir un relatif équilibre entre les chapitres, même si cer-
taines discussions ont été plus développées que d’autres – le dialogue n’ayant
pas la rigueur d’un traité écrit et organisé selon un déploiement logique. Au
cours du dialogue, des notions sont abordées qui réapparaissent à un autre
moment, dans un autre contexte.
6. Les auteurs sont tous deux universitaires et philosophes, spécialistes des questions d’édu-
cation scolaire. Ils produisent également des analyses didactiques sur les pratiques de la
pédagogie montessorienne (Bérengère Kolly), et sur les pratiques de la pédagogie freinetienne
(Henri Louis Go).
temps. L’entretien, plus vivant que les traités scientifiques, permet aussi de
s’adresser en langage ordinaire, avec le moins de jargon possible, à des lecteurs
non spécialistes. Nous espérons que chacun trouvera ici matière à alimenter
sa propre réflexion.
EXEMPLAIRE DE LECTURE
N
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HLG – Nous pourrions déjà faire le point sur la nature de ces accusations ?
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méthodes et aux outils : elle les jugeait incapables de considérer que l’enfant
possède suffisamment de puissance pour croître et s’éduquer lui-même. Pour
cette raison, ces « techniciens » ne s’intéressent qu’à des recettes, des trucs et
astuces. On ne peut que penser, bien sûr, à l’offre commerciale actuelle autour
du matériel Montessori : c’est une déviation qui avait été dénoncée en son
temps par la pédagogue elle-même.
BK – Mais l’un comme l’autre étaient aussi très lucides sur les utilisations
dévoyées que l’on pouvait faire de leur pédagogie… Si nous prenons
maintenant la science, Maria Montessori, qui était médecin et scientifique,
affirma très tôt, dès ses premières interventions publiques, l’importance de
« l’esprit scientifique » pour les enseignants, c’est-à-dire la capacité d’observer
l’enfant, l’enfant « réel » qu’elle opposait aux abstractions faites par les
philosophes. Pourtant, à la fin de sa vie, elle constata que les scientifiques (elle
pensait surtout aux psychologues) s’étaient totalement désintéressés de son
travail, ce qui est vrai. Je ne peux m’empêcher de penser que l’attachement
de certains montessoriens à prouver « scientifiquement » la validité de la
pédagogie répond, par-delà les années, à la tristesse et à la déception que
Maria Montessori exprimait de voir ses expérimentations négligées par les
scientifiques de son temps, ses collègues. De fait, les textes montessoriens
2. (1929-2012). L’une des petites-filles de la pédagogue. Engagée dans la formation des éducateurs
montessoriens (elle créa un cours de formation de formateurs à Toronto au Canada), elle fut
secrétaire générale de l’Association Montessori Internationale entre 1995 et 2000, et présidente
de cette même organisation entre 2000 et 2005. Elle a notamment écrit Éducateurs sans fron-
tières (Desclée de Brouwer, 2000) et réactivé la dimension « sociale » de la pédagogie au plan
international.
3. Freinet C. (1969), Pour l’école du peuple, p. 27.
sont loin d’être des traités scientifiques, même s’ils font aussi référence
aux recherches psychologiques ; ceci est d’ailleurs bien plus le cas pour les
derniers ouvrages que pour le premier, dont le titre était pourtant Pédagogie
scientifique…
séparer la « pédagogie Freinet » de son histoire qui lui donne sens. Élise et
Célestin Freinet étaient tous deux clairement engagés dans le mouvement
révolutionnaire socialiste internationaliste, et ils furent membres du Parti
Communiste de 1926 à 1952. C’est pourquoi ils furent surveillés par la
Sûreté, attaqués dans la presse française de droite et catholique, contestés en
1932-1933 lorsque Freinet exerçait à l’école de Saint-Paul-de-Vence où éclata
une affaire qui les conduisit tous deux à quitter l’Éducation Nationale, jusqu’à
ce que finalement Freinet soit arrêté et interné en mars 1940…
HLG – Sans aucun doute, les liens entre les Freinet et le mouvement de
l’Éducation Nouvelle furent à la fois intenses (Freinet était ami avec Adolphe
Ferrière4, notamment) et conflictuels. Freinet reprochait aux pédagogues de
s’enfermer dans de petites communautés éducatives réservées à une élite, ou
d’adopter une approche intellectualiste de la pédagogie, ou encore de ne pas
aller assez loin dans la transformation des pratiques, en négligeant la dimension
politique de la question éducative. La « pédagogie Freinet » fut cependant
pratiquée par des enseignants de l’école publique, mais il faut reconnaître que
progressivement, après la mort de Freinet, cette pédagogie est devenue de plus
en plus compatible avec l’école du social-libéralisme européen.
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l’école »), Freinet s’est engagé dans une stratégie de formation à sa pédagogie.
Après la guerre, en 1947, il a encore intensifié sa stratégie de diffusion en
créant l’Institut Coopératif de l’École Moderne (ICEM) qui a rassemblé
des milliers d’institutrices et d’instituteurs, il a également créé en 1957 une
Fédération Internationale des Mouvements de l’École Moderne (FIMEM).
Mais si Freinet avait des détracteurs dans les milieux de droite, il en avait
aussi au sein du Parti Communiste français et, comme je le disais, même au
sein de son propre Mouvement6. Finalement, la contestation de l’autorité de
Freinet a facilité, au fil du temps, les dérives dans les manières de pratiquer la
« pédagogie Freinet ». C’est une réalité qui n’a pas été suffisamment examinée,
car il est fort difficile d’identifier aujourd’hui la moindre unité dans ce que l’on
appelle « pédagogie Freinet », et ces pratiques sont très faiblement subversives.
Je veux dire par là qu’elles n’offrent pas réellement de perspective pour sortir
du marasme technocratique et de la manie des exercices prescrits, fussent-ils
déguisés par le prestige très médiatique des neurosciences…
Montessori et l’Église
HLG – On voit à quel point l’histoire doit être revisitée, car on reproche
volontiers à Maria Montessori d’avoir eu des liens étroits avec l’Église
catholique. On avance même parfois l’idée que la pédagogie Montessori serait
incompatible avec la laïcité française.
HLG – Au sens où ces classes seraient réservées à une élite d’enfants ? Ou bien
au sens d’une utopie selon laquelle chaque enfant doit pouvoir y faire ce qu’il
veut ?
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BK – Très clairement, au sens de la liberté. Je prends le temps de lire un
extrait d’un article de L’éducation enfantine (où écrivaient des instituteurs
et inspecteurs), daté de 1914. La pédagogie Montessori commençait alors
seulement à se diffuser en France. L’auteur s’exprime ainsi :
« J’avoue sans difficulté que nos maîtresses d’école maternelle ne
peuvent pas, comme dans l’abbaye de Thélème de Mme Montessori, laisser
les enfants agir à leur fantaisie, quitter leur place ou même quitter la
classe, si tel est leur bon plaisir, pour aller jouer dans la cour. […] Quant à
pâmer d’admiration devant une méthode qui ne comporte en aucun cas
ni réprimande ni rectification ; quant à saluer en elle la vraie méthode
de formation des “hommes libres”, laissez-moi sourire ! Je n’ai jamais vu
qu’on préparât à la liberté vraie des enfants, voire même des hommes, en
répondant pieusement “Amen” à toutes leurs fantaisies13 ».
Finalement, le reproche de cléricalisme était assez peu répandu, même s’il était
très présent dans les propos d’Élise et Célestin Freinet. Il faut donc veiller à
deux choses : regarder l’œuvre en elle-même – il me semble que les références
chrétiennes ont le statut surtout d’illustrations, d’appuis de l’argumentation
pédagogique, et non de fondements ; et considérer que l’argumentaire,
aujourd’hui, se base principalement sur l’expérience française. Effectivement,
après la Seconde Guerre Mondiale, ces écoles se sont développées surtout dans
le milieu privé catholique. On oublie pourtant souvent que cette pédagogie
ne s’est pas diffusée seulement dans l’Occident chrétien, mais aussi en Asie, en
Inde notamment, qu’il existe aux États-Unis des écoles Montessori juives, et
qu’aujourd’hui des écoles musulmanes s’y intéressent également. Il existe aussi
beaucoup d’écoles Montessori laïques – y compris, en France, sous contrat avec
l’État. Pour revenir à Montessori elle-même, il est vrai qu’une part importante
d’éléments biographiques restent flous, même si les recherches avancent. En
conséquence, il faut rester prudent.
HLG – Qu’en est-il cependant des liens de Maria Montessori avec le Pape, par
exemple ? On soupçonne souvent une proximité, tout de même problématique,
entre Montessori et la papauté.
HLG – Il est très clair que ces questions doivent se traiter différemment selon
la période historique.
HLG – En tous les cas, on voit bien que le contexte italien au sein duquel
a émergé la pédagogie nouvelle est différent du contexte français. Il faut en
outre, pour comprendre la réception en France, souligner que Freinet était
français, et non Montessori : c’est un élément important. Élise et Célestin
Freinet maîtrisaient le contexte spécifique de l’école laïque (bien loin du
modèle italien), et ce d’autant plus qu’ils étaient instituteurs ; ils se trouvaient,
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de fait, au cœur des réseaux de réception de leur pédagogie.
HLG – On peut confirmer que les années 1930 constituent une période fort
importante pour Montessori. Freinet parle même de « la royauté de Madame
Montessori » à cette époque !