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Impact redistributif des aides au logement en Russie : une analyse de


‘propensity score matching'.

Article · February 2006


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1 author:

Matthieu Clément
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Document de travail

DT/132/2006

Impact redistributif des aides au logement


en Russie : une analyse
de ‘propensity score matching’

par

Matthieu Clément
Maître de Conférences – CED / IFReDE-GRES – Université Montesquieu Bordeaux IV

Avenue Léon Duguit - 33608 Pessac (France) - tél : 0556842938 - fax : 0556848506
ced@u-bordeaux4.fr
http://ced.u-bordeaux4.fr
Impact redistributif des aides au logement en Russie :
une analyse de ‘propensity score matching’
par

Matthieu Clément
Maître de Conférences – CED / IFReDE-GRES – Université Montesquieu Bordeaux IV

Résumé :

L’objectif de cet article est de questionner la capacité des aides au logement en Russie à venir en aide aux
familles vulnérables face au renchérissement des coûts du logement. Afin de mener cette étude d’impact, nous
recourons à une analyse de ‘propensity score matching’, à partir des données Russia Longitudinal Monitoring
Survey de 2003. L’idée est de construire un groupe de comparaison captant la situation des ménages
bénéficiaires avant l’allocation des aides, sur la base des caractéristiques observables des ménages non
bénéficiaires. Finalement, la comparaison entre les distributions pré-intervention et post-intervention indique que
l’aide publique au logement exerce un impact très limité sur le revenu des ménages et est incapable de réduire la
pauvreté, en raison notamment d’un ciblage défaillant.

Abstract : Distributive Impact of Housing Benefits in Russia:


An Analysis of “ Propensity Score Matching ”

The aim of this article is to discuss about the capacity of Russian housing benefits to help vulnerable
families who face an increase of their housing costs. In order to undertake this incidence analysis, we use
'propensity score matching' techniques and micro-data from the Russia Longitudinal Survey Monitoring of 2003.
The idea is to build a comparison group which describes the situation of beneficiaries households before they
receive housing benefits, on the basis of observable characteristics of non-beneficiaries households. Finally, the
comparison between the pre-intervention distribution and the post-intervention distribution indicate that public
housing benefits have a very limited impact on households income and are unable to reduce poverty, because of
a failing targeting.

Mots-clés : logement, pauvreté, protection sociale, propensity score matching, transition économique,
Russie
JEL classification : I32 ; I38 ; H53 ; P20
Sommaire

1. Introduction............................................................................................................................. 1

2. La question du logement en Russie : entre héritages et mutations................................2

1. Le Legs soviétique............................................................................................................................... 2
2. La réforme du secteur du logement .................................................................................................. 3
3. Les aides publiques au logement...................................................................................................... 4

3. Le choix d’une méthode d’évaluation : les techniques


de ‘propensity score matching’ ..........................................................................................5

1. Réflexions sur la robustesse d’une étude d’impact ........................................................................ 5


2. Présentation des techniques de ‘propensity score matching’ ....................................................... 6
A. Hypothèse d’indépendance conditionnelle et détermination des scores de propension.................... 6
B. Estimateur PSM et méthodes pondérations ...................................................................................... 7

4. Sources statistiques ............................................................................................................7

1. Données Russia Longitudinal Monitoring Survey et mesure de la pauvreté .............................. 7


2. Le poids des aides au logement en Russie ..................................................................................... 8

5. Résultats et interprétations .................................................................................................9

1. Estimation des scores de propension............................................................................................. 10


2. Impact redistributif des aides au logement .................................................................................... 10
A. Un impact positif mais limité sur le niveau de vie ......................................................................... 11
B. Un impact sur la pauvreté très incertain ......................................................................................... 12
3. Un ciblage défaillant .......................................................................................................................... 13

6. Conclusion....................................................................................................................................... 14

Références bibliographiques ...................................................................................................................15

Annexes......................................................................................................................................................17
1. Introduction
Sous le régime soviétique, la pénurie de logements et la promiscuité dans laquelle vivaient la
majorité des habitants constituaient un des aspects fondamentaux des conditions de vie des
soviétiques. Ces problèmes liés au logement étaient en partie compensés par la faiblesse des loyers
placés sous le contrôle des autorités. Durant la période de transition, le processus de libéralisation et de
privatisation dans le secteur de l'immobilier a profondément modifié la donne. S'il a eu le mérite
d'engendrer une amélioration significative des conditions de logement, il a également entraîné une
augmentation sensible et constante des coûts liés au logement. Afin de faire face à ce renchérissement,
dans un contexte d'explosion des inégalités et de la précarité, les autorités se sont efforcées de mettre
en place une politique d'aide au logement ambitieuse. En fait, les aides au logement en Russie reposent
sur un double volet. D'une part, elles comprennent tout un ensemble de privilèges catégoriels hérités
en partie du régime soviétique. D'autre part, en 1994, les autorités ont introduit une allocation
logement reposant sur un critère de ressources. Les aides au logement constituent l’un des pans du
système de protection sociale et ont pour objectif déclaré de venir en aide aux familles les plus
vulnérables. Dès lors, il semble justifié de s’interroger sur leur capacité à réduire la pauvreté.

L’objectif de ce papier est d’apprécier le caractère redistributif des aides au logement en Russie
sur la base de l’enquête auprès des ménages Russia Longitudinal Monitoring Survey menée en 2003.
L’évaluation de l’incidence des aides au logement sur le bien-être implique de mener une étude
d’impact, l’idée générale étant de comparer la situation en termes de niveau de vie avant et après
l’allocation des aides. Si l’on dispose dans le cadre des enquêtes RLMS d’informations sur la situation
des ménages bénéficiaires après l’attribution des aides au logement, aucune information sur la
situation qui était la leur avant l’intervention n’est disponible. Afin de palier ce déficit d’information,
les techniques de ‘propensity score matching’ (PSM)1 offrent un cadre intéressant afin de construire
un échantillon de comparaison, à partir des caractéristiques observables des ménages non
bénéficiaires. Ces techniques, relativement sophistiquées, ont été développées dans le cadre des
sciences médicales et offrent un support intéressant pour évaluer l’impact d’un transfert.

L’analyse présentée dans ce papier se décompose en quatre étapes. Une première partie dresse
un état des lieux de la question du logement en Russie. Après avoir spécifié les caractéristiques du
secteur du logement sous le régime soviétique, une revue de la littérature montre que l’augmentation
des coûts du logement liée à la libéralisation à partir de 1991, a incité les autorités à instaurer une
politique d’aide au logement visant à aider les familles les plus vulnérables. La seconde partie est
consacrée aux techniques de ‘propensity score matching’ et souligne en particulier le caractère décisif
de l’estimation des scores de propension et du choix de la méthode de pondération. Dans une troisième
partie, il s’agit de présenter les sources statistiques et éléments méthodologiques relatifs à la mesure de
la pauvreté, avant de proposer quelques éléments descriptifs concernant les aides au logement. La mise
en œuvre de l’analyse de ‘propensity score matching’, objet de la quatrième partie, permet d’évaluer la
contribution des aides au logement au niveau de vie des ménages et à la réduction de la pauvreté. Il
convient finalement de recadrer ces résultats dans une discussion plus générale ayant trait à la réforme
du système de protection sociale russe.

1
La traduction française étant un peu lourde (méthode d’appariement par les scores de propension), nous avons choisi de
conserver la terminologie anglo-saxonne.
2 DOCUMENT DE TRAVAIL N° 132

2. La question du logement en Russie :


entre héritages et mutations

Cette question ne saurait être appréhendée sans un retour sur la structure du secteur du logement
sous le régime soviétique et ses conséquences sociales. Il importe par la suite de préciser les enjeux
liés à la libéralisation de ce secteur depuis le début de la transition, et notamment de discuter de la
politique d’aide publique mise en place par les autorités russes visant à compenser l’augmentation des
coûts liés au logement.

1. Le legs soviétique

« Mettons-nous d’accord une bonne fois : le logement est la pierre angulaire de la vie
humaine. Prenons pour axiome que l’être humain ne peut exister sans logement. A
présent, pour étayer cette affirmation, je l’annonce à tous les habitants de Berlin,
Paris, Londres et d’ailleurs : il n’y a pas d’appartements à Moscou. Mais alors
comment y vit-on ? Et bien, on vit comme ça. Sans appartements. »
Boulgakov, « Le Moscou de Années 20 »2

Une analyse rigoureuse du niveau de vie sous le régime soviétique ne peut occulter la délicate
question du logement et ce d’autant plus que la situation prévalant dans les pays socialistes s’écartait
sensiblement de celle des pays occidentaux. L’URSS disposait du secteur du logement le plus régulé
au monde, c’est-à-dire d’un secteur quasi totalement coupé des mécanismes de marché [Kosareva et
al. (1995)]. La politique du logement soviétique s’articulait autour de trois grands principes : (i) une
distribution centralisée de toutes les ressources et une planification des constructions de logements ;
(ii) un monopole de l’Etat sur le secteur du bâtiment et sur les services maintenance dans le cadre du
Gosstroï, le Comité d’Etat pour la Construction3 ; (iii) des loyers placés sous le contrôle des autorités
et maintenus à un faible niveau. Ainsi, près de 80 % du parc de logements urbains appartenait à l’Etat,
aux municipalités ou aux entreprises publiques [Matthews (1986)]4. Les occupants de logements
publics avaient le droit d’y résider toute leur vie, et pouvaient le transmettre à leur descendance. Dans
les villes, les logements étaient attribués en fonction de quotas par les administrations, les entreprises
publiques et les municipalités contre un loyer très faible. Le prix du m² s’établissait ainsi entre 3 et 5
kopecks (soit environ trois roubles par mois pour un grand appartement) et les prix fixés en 1934 n’ont
pas vraiment évolué jusqu’à l’effondrement de l’URSS. Ceci explique que la part des dépenses
consacrées au logement représente seulement 5 % du seuil minimum de subsistance officiel [Matthews
(1986)]. En outre, la distribution des logements en URSS était plutôt égalitaire (notamment par rapport
aux pays occidentaux), et la politique d’allocation des logements avait un impact progressif sur la
distribution des revenus. Ainsi, Buckley et Gurenko (1997) estiment qu’en 1992 la prise en compte de
la valeur imputée des logements engendrait une diminution de l’indice de Gini sur le revenu par tête
de plus de 6 points, celui passant de 0,417 à 0,354. Toutefois, ce coût du logement modéré ne doit pas
occulter les multiples contraintes liées au secteur du logement et qui agissaient, la plupart du temps, au
détriment des familles modestes.

En premier lieu, les pénuries d’habitations dans les villes conduisaient à un problème de
saturation des logements, phénomène qui n’est toutefois pas né avec le régime soviétique. En effet, dès
1912, une enquête sur Moscou et Saint-Pétersbourg indiquait que le nombre moyen de personnes par
appartement atteignait 8 contre 2,7 à Paris [Buckley, Gurenko (1997)]. La politique d’industrialisation
et la forte urbanisation qui s’en sont suivies n’ont fait qu’accentuer ces problèmes de saturation et de

2
Extrait de La Locomotive Ivre, Ginkgo Editeur, pp. 178-179.
3
Le Gosstroï était l’organisme chargé de superviser toutes les opérations de construction et de maintenance des logements en
URSS. Il s’agit d’une administration tentaculaire occupant plus de 4 millions de personnes et regroupant plus de 50 000
entreprises.
4
Les citoyens se voyaient autoriser à posséder un logement en zones rurales ou dans les villes de moins de 100 000 habitants,
mais leur superficie au sol ne devait pas dépasser 40 m².
IMPACT REDISTRIBUTIF DES AIDES AU LOGEMENT EN RUSSIE 3

pénurie. Face à l’apparition de listes d’attente, les autorités soviétiques, dès les années 20, ont eu
tendance à favoriser le développement des appartements communautaires [Azarova (2001)]5. D’après
une estimation officielle, en 1980, 20 % des familles urbaines partageaient un appartement. Il a fallu
atteindre le régime de Khrouchtchev pour que les autorités soviétiques mettent en place une politique
de construction ambitieuse afin de réduire les problèmes liés au logement. De toute évidence cette
politique a permis une amélioration sensible des conditions de logement si l’on considère qu’entre la
fin de la deuxième guerre mondiale et la fin des années 70, la superficie par habitant a plus que doublé
[Buckley, Gurenko (1997)]6. Cependant, la pénurie de logements n’a pas été résolue si l’on considère
que la part des appartements communautaires dans les villes reste importante : en 1992, 10 % des
familles vivaient dans de ce type de logements. Et, en 1990, le Goskomstat estimait à 20 % la
proportion des familles en attente d’un logement7. A ces problèmes de saturation, il convient d’ajouter
les problèmes d’insalubrité et d’inaccessibilité aux équipements de base (eau courante, électricité,
tout-à-l’égout, etc.) qui concernaient essentiellement les zones rurales. En 1990, seuls 16 % des
logements dans les campagnes disposaient d’un accès à l’eau courante, et 3 % au tout-à-l’égout [Kahn
(2002)].

En second lieu, le système d’allocation des aides au logement a entraîné de nombreuses dérives
qui la plupart du temps interdisaient l’accès des familles pauvres aux meilleurs appartements. D’une
part, l’accès aux logements de qualité supérieure était utilisé par les entreprises comme vecteur de
subordination et comme une incitation à travailler dur. D’autre part, le système d’allocation a entraîné
la généralisation d’un certain nombre de comportements corruptifs qui distordaient les modalités
d’accès au logement, au détriment des familles les plus démunies : contournement des listes d’attente,
accès privilégié aux logements les plus spacieux, etc. Enfin, les ménages modestes n’avaient pas accès
aux logements du secteur privé, en raison de leur prix élevé. En conséquence, les meilleurs
appartements étaient réservés aux familles aisées, en témoigne une enquête de 1972 sur la région de
Novossibirsk qui faisait état d’une relation croissante entre la surface par habitant et le revenu des
ménages [Matthews (1986)]. Aussi, en 1992, au début de la transition, 31 % des familles disposaient-
elles d’une surface par personne inférieure à 9 m², le minimum sanitaire [Kosareva et al. (1995)].

2. La réforme du secteur du logement

Dès 1991, le processus de libéralisation et de privatisation du secteur du logement a été initié.


Une loi du 4 juillet 1991 prévoit le transfert de propriété du public au privé en autorisant les occupants
d’un logement à en devenir propriétaires, en échange d’une somme symbolique. La loi ne répond pas à
un objectif de justice sociale, mais cherche avant tout à créer les bases d’un marché du logement. Cette
loi a été renforcée par différents dispositifs dans les années qui suivent [Kosareva et al. (1995)]. En
décembre 1992, un texte autorise la copropriété et l’expulsion des mauvais payeurs. En juin 1993, un
programme d’Etat prévoit le développement de modes de financement privés de la construction :
crédits, comptes d’épargne logement, etc. Enfin, un nouveau système de loyers est instauré en
septembre 1993 et est accompagné par la mise en place d’une allocation logement attribuée en
fonction des ressources des familles. Plus récemment, les préoccupations des autorités se sont
davantage orientées vers la question du transfert des charges de maintenance de l’Etat (qui les
finançait jusqu’à présent par le biais du Gosstroï) vers les propriétaires et locataires [Kahn (2002)]. Si
ce transfert a été envisagé dans la loi de décembre 1992, le délai a été repoussé à plusieurs reprises
face aux nombreuses résistances de la population. Un texte de 2001 prévoit par exemple le report du
délai au 1er janvier 2005. Finalement, le transfert est effectivement mis en œuvre au 1er janvier 2006.

5
Cette forme de logement, typique du régime soviétique, est apparue pour palier temporairement le déficit de logements. En
dépit de la volonté des autorités soviétiques de supprimer cette forme d’habitat, il a vraiment fallu attendre le début de la
transition et la privatisation du secteur du logement pour voir la part des appartements communautaires se réduire [Azarova
(2001)].
6
Sous le régime de Khrouchtchev, une vague de constructions a permis de créer 20 millions d’appartements en 8 ans
[Morton (1980)].
7
Pour plus de précisions sur la question des listes d’attente, on pourra se référer Andrusz (1990).
4 DOCUMENT DE TRAVAIL N° 132

La réforme du secteur a modifié en profondeur sa structure et les conditions de logement des


russes. Premièrement, la part des logements privés est devenue prépondérante. Au début de l’année
2000, 65 % du stock de logements était privatisé [Kahn (2002)]. Deuxièmement, la libéralisation du
secteur a engendré une amélioration indiscutable des conditions de logement. Elle a en particulier
facilité une augmentation significative de la superficie par habitant. Ainsi, d’après les estimations du
Goskomstat, l’Institut National de la Statistique Russe, la superficie moyenne par tête est passée de
16,4 m² en 1990 à 19,3 m² en 2000. Néanmoins ce phénomène doit être relativisé dans la mesure où il
est imputable, pour l’essentiel, au développement des logements de luxe dans les grandes villes
[Azarova (2001), Kahn (2002)]. Parallèlement, on a assisté à une légère amélioration de la qualité des
logements (accès à l’eau, tout-à-l’égout, etc.), notamment dans les campagnes. Mais les problèmes
perdurent. A titre d’illustration, en 2000, dans les campagnes, seuls 28 % des logements recevaient
l’eau courante (mais cette proportion était de 16 % en 1990) [Kahn (2002)]. Par ailleurs, la même
année, 2 millions de russes vivent dans des logements vétustes. Troisièmement, en dépit de ces
améliorations qualitatives, la phase de libéralisation et de privatisation a engendré un processus de
hausse des coûts du logement. Suite à la libéralisation et à la privatisation, les prix (à la vente et à la
location) tendent à se rapprocher des prix du marché. Par ailleurs, le dynamisme de la demande dans
les métropoles entretient cette augmentation. Il s’agit en fait d’une réelle volonté de l’Etat. En effet, la
mise en place du nouveau système de loyers en 1993 visait à rapprocher les prix à la location vers les
standards du marché, l’augmentation des loyers engendré par ce nouveau système devant être
compensé par la mise en place d’une politique d’aides au logement, pour les familles les plus
démunies notamment. Par ailleurs, le transfert des charges de maintenance vers les propriétaires et
locataires devrait encore accroître les coûts du logement. L’application de ce transfert au début de
l’année 2006 a donné lieu à d’importantes manifestations un peu partout dans le pays (début mars)8.
Parmi les principaux contestataires, on retrouve les groupes sociaux vulnérables tels que les étudiants,
les retraités, les enseignants, les personnels de santé, qui sont incapables de faire face à ce
renchérissement des coûts liés au logement.

3. Les aides publiques au logement

Ce sont les familles modestes qui ont le plus subi la hausse des coûts liés au logement durant la
période de transition. En effet, la part des dépenses de logement dans la dépense totale des 20 % de
familles les plus pauvres est passée de 5 % en 1995 à 13 % en 2002 [Hamilton et al. (2005)]. Les
autorités se sont efforcées de compenser ce renchérissement à travers la mise en place d’une politique
d’aide au logement, cofinancée par le budget fédéral et les autorités locales, et gérée par les
municipalités. Cette politique d’aide repose sur un double volet [World Bank (2004), Hamilton et al.
(2005)].

La première composante regroupe des privilèges catégoriels qui prennent la forme de réductions
ou d’exemptions pour tous les frais liés au logement. Sous le régime soviétique, ces aides étaient
attribuées aux citoyens méritants (les vétérans de guerre par exemple) ou à certaines catégories de
personnes vulnérables (invalides, handicapés, retraités, familles nombreuses, etc.). Pendant la
transition, le système s’est considérablement développé. De nombreux privilèges ont été introduits
après 1992, alloués en fonction de la catégorie socioprofessionnelle. Bénéficient notamment de ces
nouvelles aides les officiers de douane, les miliciens, les militaires, les policiers, les juges, etc. Les
critères tels que le mérite ou le niveau de vie ne sont pas pris en compte dans l’allocation de ces
nouveaux privilèges. Finalement, on a assisté à une multiplication des aides puisque entre 1991 et
2002, pas moins de 10 lois et 30 amendements ont intégré de nouveaux dispositifs [World Bank
(2004)]. De plus, même si ces aides sont avant tout mandatées par les autorités fédérales, les autorités
municipalités ont développé leurs propres mécanismes, conduisant à un réel manque de lisibilité.

8
Au sujet de ces manifestations, voir l’extrait du Moscow Times du 6 mars 2006,
http://www.themoscowtimes.com/stories/2006/03/06/001.html.
IMPACT REDISTRIBUTIF DES AIDES AU LOGEMENT EN RUSSIE 5

La deuxième composante des aides publiques au logement est l’allocation logement introduite
en 1994. Elle a pour objectif d’aider les familles vulnérables à faire face à la hausse des coûts du
logement. Il s’agit du premier transfert attribué sous condition de ressources en Russie. Après
plusieurs révisions, elle est aujourd’hui attribuée aux familles consacrant plus de 22 % (ou moins dans
certaines régions) de leur revenu au logement. Une fois l’éligibilité déterminée, le montant perçu
dépend de la position du revenu du ménage par rapport au seuil minimum de subsistance régional, le
principe étant d’attribuer des montants plus élevés aux familles les plus pauvres [World Bank (2004),
Hamilton et al. (2005]9. Ainsi, si le revenu du ménage est supérieur à ce seuil, le montant de
l’allocation logement est donné par :
AL = deplog – 0,22revmen
Avec AL le montant de l’allocation logement, deplog les dépenses du ménage consacrées au logement,
revmen le revenu du ménage. Si le revenu du ménage est inférieur au seuil de subsistance, le montant de
l’allocation est déterminé selon l’une des deux options suivantes :
Option 1 : AL = deplog – [(0,22revmen / SMS) * revmen]
Option 2 : AL = deplog – 0,5salmin * taille
Avec SMS le seuil minimum de subsistance régional, salmin le salaire minimum officiel et taille le
nombre de personnes dans le ménage.

3. Le choix d’une méthode d’évaluation :


les techniques de ‘propensity score matching’
La mise en œuvre d’une étude d’impact suppose de pouvoir comparer la situation des individus
avant et après l’intervention. Lorsque les données dont l’on dispose ne permettent d’observer la
situation pré-intervention, les techniques de ‘propensity score matching’ constituent une option
intéressante afin de pallier ce déficit informationnel.

1. Réflexions sur la robustesse d’une étude d’impact

La question de la pertinence des études d’impact trouve son origine dans des disciplines
médicales telles que l’épidémiologie, la problématique de telles analyses étant d’évaluer l’impact d’un
traitement particulier sur la santé des individus. De manière générale, l’une des difficultés inhérentes
aux études d’impact est de disposer d’un groupe ou échantillon de contrôle qui permette de décrire la
situation des individus traités avant qu’ils aient reçu le traitement. Afin de fixer les idées, il convient
de présenter quelques éléments de formalisation.

Soit D une variable binaire égale à 1 si l’individu reçoit le traitement et 0 sinon et Y la variable
sur laquelle est censée agir le traitement. Y0 capte l’état des individus avant l’administration du
traitement et Y1 traduit leur état après qu’ils aient été traités. L’effet du traitement s’exprime comme
suit :

∆Y = E (Y1 − Y0 D = 1) (1)

Et donc en décomposant, on obtient :

∆Y = E (Y1 D = 1) − E (Y0 D = 1) (2)

Le deuxième terme du membre de droite représente l’échantillon contrefactuel ou le groupe de


comparaison et décrit l’état des individus traités avant qu’ils reçoivent le traitement. Dans le cadre des
sciences médicales, il est parfois possible d’observer la situation des patients avant l’application du
traitement, on dispose alors d’un groupe de comparaison pur. En revanche, il est plus complexe de
disposer d’un groupe témoin lorsque l’on s’intéresse à l’effet d’un transfert ou d’un programme social

9
Voir également OCDE (2001) et Struyck et al. (2001).
6 DOCUMENT DE TRAVAIL N° 132

sur le bien-être des individus. En effet, la plupart du temps, les enquêtes auprès des ménages donnent
une image de la situation des ménages en un point du temps (coupe transversale) et ne permettent donc
pas d’observer la situation des ménages bénéficiant d’une aide avant qu’il la reçoive10. Autrement dit,
la composante E(Y0 / D =1) est inobservée. L’objectif des techniques de ‘propensity score matching’
est de construire artificiellement un groupe de comparaison en utilisant les caractéristiques observées
des ménages ne recevant pas le transfert11.

2. Présentation des techniques de ‘propensity score matching’

L’article de Rosenbaum et Rubin (1983) présente les éléments fondateurs des techniques de
‘propensity score matching’12. L’idée générale sous-jacente à cette méthode d’analyse est de
déterminer un groupe de comparaison à partir d’un échantillon de non participants qui « ressemblent »
aux participants, sur la base des caractéristiques observables13.

A. Hypothèse d’indépendance conditionnelle

Les techniques de ‘propensity score matching’ reposent sur l’hypothèse d’indépendance


conditionnelle, selon laquelle les résultats observés sont indépendants de la participation à un
traitement, participation conditionnelle à certaines caractéristiques observables. Formellement, cette
hypothèse s’exprime ainsi :

(Y0 , Y1 ) ⊥ D X (3)

En conditionnant le fait de recevoir ou de ne pas recevoir un traitement à un vecteur de


caractéristiques observables X, il est possible d’obtenir une estimation de la composante non
observée :

E (Y0 D = 1, X ) = E (Y0 D = 0, X ) (4)

On en déduit alors l’impact du traitement :

∆Y = E (Y1 / D = 1, X ) − E (Y0 D = 0, X ) (5)

Rosembaum et Rubin (1983) ont par ailleurs montré que si l’hypothèse d’indépendance conditionnelle
était valable, alors plutôt que de conditionner sur les caractéristiques observables, il est possible de
conditionner sur le score de propension P(X) avec :

P( X ) = Pr {D = 1 X } (6)

P(X) représente la probabilité de recevoir le traitement, probabilité conditionnelle à un ensemble de


caractéristiques observables X. Le score de propension est en fait le résumé unidimensionnel de
l’ensemble des caractéristiques observées. L’hypothèse d’indépendance conditionnelle est donc
reformulée comme suit :

(Y0 , Y1 ) ⊥ D P ( X ) (7)

10
Lorsque l’on dispose de données de panel, il est parfois possible d’observer la situation qui était la leur avant qu’ils
reçoivent le transfert, mais il est difficile d’isoler la part de l’évolution du bien-être entre deux dates qui est réellement
imputable au transfert.
11
Pour une synthèse des techniques d’évaluation, on pourra se reporter à Bourguignon, Pereira da Silva (2003).
12
Citons également la contribution de Heckman et Robb (1985).
13
La différence entre un échantillon de comparaison pur et un échantillon de comparaison déterminé à partir des techniques
de ‘propensity score matching’ est que dans le premier cas, l’échantillon d’individus traités et l’échantillon de contrôle sont
comparables en termes de caractéristiques observables mais également en termes de caractéristiques non observables.
IMPACT REDISTRIBUTIF DES AIDES AU LOGEMENT EN RUSSIE 7

On en déduit une estimation de la composante non observée :

E [Y0 / D = 1, P ( X )] = E [Y0 D = 0, P( X )] (8)

Finalement, l’impact du traitement est mesurée par :

[ ]
∆Y = E Y1 D = 1, P( X ) − E [Y0 D = 0, P( X )] (9)

Dans la pratique, l’estimation des scores de propension est obtenue par les probabilités prédites
par un modèle à choix qualitatif binaire (Logit ou Probit), expliquant le fait de participer à un
traitement ou à un programme par un grand nombre de caractéristiques observables. Dans notre cas, il
s’agit d’un modèle Logit binaire, avec une variable dépendante égale à 1 si l’individu reçoit une aide
au logement et 0 s’il n’en reçoit pas. La qualité de l’analyse de ‘propensity score matching’ dépend
bien sur de la robustesse des estimations des scores de propension, c'est-à-dire de la capacité du
modèle à prendre en compte l’ensemble des facteurs déterminants l’éligibilité.

B. Estimateurs PSM et méthodes de pondérations

Une fois les scores de propension déterminés, il convient d’associer les cas traités aux cas non
traités les plus proches en termes de scores de propension (et donc de caractéristiques observables).
L’expression générale de l’estimateur PSM est donnée par :

T C
∆Y = 1 ∑ (Y j1 −∑ wij Yij0) (10)
T j =1 i =1

Avec Yj1 la variable d’intérêt après le traitement, Yij0 la variable d’intérêt pour le ième cas non traité
joint au jème cas traité, T le nombre de cas traités, C le nombre de cas non traités et wij les pondérations
ou la fonction de pondération retenues.

Le choix de la méthode de pondération est une étape décisive dans la mise en œuvre des
techniques de ‘propensity score matching’. La méthode du « voisin le plus proche » (nearest neighbor
estimator) est la plus courante. Elle attribue une pondération égale à 1 pour l’observation la plus
proche en termes de score et à 0 pour toutes les autres. Il s’agit donc d’associer à chaque cas traité le
cas non traité le plus proche, sur la base du score de propension. Elle peut être complétée en
introduisant un calibrage (caliper method). La différence entre le score du cas traité et celui du cas non
traité ne doit alors pas excéder un certain seuil. Il est possible de généraliser la méthode du voisin le
plus proche en se référant à la moyenne des deux ou cinq voisins les plus proches (two or five nearest
neighbor estimator). Dans le présent article, nous avons choisi de retenir trois estimateurs, à savoir
l’estimateur selon le voisin le plus proche, l’estimateur selon les deux voisins les plus proches et
l’estimateur selon les cinq voisins les plus proches14. A chaque fois, l’appariement n’est réalisé que si
la différence en termes de scores entre le cas traité et les cas non traités n’excède pas 0,01.

4. Sources statistiques
Dans un premier temps, il convient de présenter les données et les éléments méthodologiques
relatifs à la mesure du niveau de vie et de la pauvreté. Dans un second temps, quelques éléments
descriptifs concernant les aides au logement en Russie sont proposés.

14
Il existe des méthodes de pondération alternatives qui ne sont pas évoquées ici. Parmi elles, citons la méthode
d’appariement avec une fonction Kernel [Heckman et al. (1998)]. Chaque individu non traité participe à la construction du
contrefactuel de l’individu i, avec une importance qui varie selon la distance entre son score et celui de l’individu considéré.
8 DOCUMENT DE TRAVAIL N° 132

1. Données Russia Longitudinal Monitoring Survey et mesure de la pauvreté

Les données utilisées dans la présente étude sont issues du round XII (novembre 2003) des
enquêtes Russia Longitudinal Monitoring Survey (RLMS) et concernent plus de 4100 ménages. Les
données collectées au niveau des ménages fournissent des informations détaillées sur les conditions de
vie (revenus, dépenses, composition démographique, conditions de logement, accès à la terre), alors
que les données portant sur les individus concernent l’emploi, la santé et la migration.

Les définitions utilisées pour l’analyse du niveau de vie et de la pauvreté sont standards. Dans le
cadre de cette étude, le bien-être est appréhendé par le revenu des ménages, exprimé en termes réels.
Celui-ci intègre en particulier les revenus salariaux (monétaires ou non monétaires), les transferts
publics (pensions, prestations familiales, assistance sociale, aides au logement, indemnités chômage),
les transferts privés en provenance des proches, les produits de la vente, etc. Le seuil de pauvreté
retenu est celui proposé dans les données RLMS. Construit à partir du seuil minimum de subsistance,
la ligne de pauvreté officielle, il représente le montant monétaire nécessaire pour assurer le minimum
nutritionnel et les besoins quotidiens d’un individu (fuel, loyer, énergie, etc.). Dans le cadre des
données RLMS, ce seuil est spécifique aux ménages en fonction de leur composition démographique
et tient compte des différences de prix entre régions15. Finalement, l’ampleur de la pauvreté est
mesurée par les traditionnels indices FGT dont l’expression générale est donnée par :

q
zi − yi α
Pα = 1
n ∑(
i =1 zi
) (11)

Avec n le nombre de ménages, q le nombre de ménages pauvres, yi la dépense en équivalent adulte du


ménage i, zi le seuil de pauvreté spécifique à chaque ménage et α un paramètre d’aversion pour la
pauvreté. En fonction de la valeur du paramètre α on peut distinguer plusieurs indices caractéristiques,
les « trois ‘i’ de la pauvreté » : l’incidence P0, l’intensité P1 et l’inégalité P2 [Foster et al. (1984)].

Pour ce qui concerne les aides au logement, les informations collectées dans le cadre des
données RLMS ne sont pas désagrégées. Autrement dit, aucune distinction n’est établie entre les
privilèges catégoriels et l’allocation logement. Toutefois, une enquête menée en 2003, l’enquête
NOBUS16, indique que les privilèges catégoriels constituent l’essentiel des aides au logement. En
effet, l’allocation est perçue par seulement 6 % des ménages alors que les aides catégorielles
bénéficient à 32 % d’entres eux [World Bank (2004)].

2. Le poids des aides au logement en Russie

Le tableau 1 présente la part de la dépense des ménages consacrée au logement ainsi que le
pourcentage de ménages recevant des aides au logement et le montant moyen de ces aides parmi les
familles bénéficiaires en fonction du milieu, de la localisation géographique et de la composition
démographique du ménage. Ces résultats appellent plusieurs commentaires.

En premier lieu, les dépenses consacrées au logement représentent en moyenne 13,2 % de la


dépense totale des ménages et les disparités socio-économiques et géographiques sont relativement
modérées. Cependant, il convient de remarquer que cette part est sensiblement plus élevée en zones
rurales (17,3 %) et surtout parmi les retraités vivant seuls (30,7 %). On comprend dès lors toute

15
Un panier de biens de première nécessité est déterminé pour chaque catégorie d’âge (enfants de 0 à 6 ans, enfants de 7 à 17
ans, adultes hommes et femmes, hommes retraités de plus de 60 ans et femmes retraitées de plus de 55 ans). Puis des prix
spécifiques aux régions sont appliqués pour déterminer le coût des différents paniers. Autrement dit, chaque individu, en
fonction de son âge, de son sexe et de sa région a un seuil de pauvreté spécifique. La ligne de pauvreté du ménage est la
somme des lignes individuelles corrigée en fonction de la taille du ménage. Voir Popkin et al. (1992) et Kalugina, Najman
(2003).
16
L’enquête NOBUS (Survey of Household Welfare and Participation in Federal Programs) a été mise en place par le
ministère du travail et du développement social et le Goskomstat, avec l’assistance technique de la Banque Mondiale et vise
en particulier à évaluer l’impact des politiques sociales mises en œuvre par les autorités russes.
IMPACT REDISTRIBUTIF DES AIDES AU LOGEMENT EN RUSSIE 9

Tableau 1 : Part de la dépense des ménages consacrée au logement, pourcentage de ménages recevant une
aide au logement et montant moyen de ces aides parmi les ménages bénéficiaires en fonction du milieu, de
la localisation géographique et de la composition démographique du ménage. Russie, 2003.

Part des dépenses Proportion de Montant moyen


consacrées ménages parmi les ménages
au logement bénéficiaires bénéficiaires
(%) (%) (Roubles)

Milieu
Urbain 0,118 0,377 318,1
Métropoles 0,130 0,297 296,3
Zones urbaines intermédiaires 0,117 0,384 319,6
Rural 0,173 0,168 309,3

Localisation géographique
Moscou - Saint-Pétersbourg 0,109 0,444 320,8
Nord, Nord-Ouest 0,070 0,369 457,0
Centre 0,140 0,350 274,2
Bassin de la Volga 0,132 0,288 269,1
Caucase Nord 0,103 0,251 270,2
Oural 0,171 0,303 255,4
Sibérie de l'Ouest 0,132 0,304 360,8
Sibérie de l'Est, Extrême Est 0,163 0,305 479,8

Composition démographique
Célibataire adulte 0,152 0,109 275,6
Célibataire retraité 0,307 0,608 233,0
Couple d'adultes 0,125 0,286 295,2
Couple de retraités 0,134 0,591 320,4
Famille nucléaire 0,077 0,176 394,3
Famille monoparentale 0,147 0,312 451,2
Famille élargie 0,081 0,285 357,9

Total 0,132 0,324 317,0

Source : RLMS 2003.

l’importance des privilèges catégoriels pour ce dernier groupe. Intéressons nous en second lieu à la
répartition des aides au logement. Au niveau national, tout d’abord, 32 % des ménages reçoivent une
aide au logement dont le montant moyen parmi ces familles bénéficiaires atteint 317 roubles.
Néanmoins l’accès à ces aides met en évidence d’importantes disparités géographiques et
socioéconomiques. S’il n’y a pas de différence significative dans le montant perçu en milieu rural et
en milieu urbain, en revanche, la part des ménages bénéficiaires est sensiblement plus élevée dans les
villes (près de 38 % contre 17 %), alors même que la part des dépenses consacrées au logement y est
moins importante. Un tel écart se justifie vraisemblablement par les contraintes administratives et le
manque d’information quant aux modalités d’accès à ces aides dans les campagnes. En termes de
régions socioéconomiques, ce sont dans les régions de l’Ouest que se concentrent la plus grande partie
des ménages bénéficiaires. De toute évidence, ceci confirme l’existence de contraintes d’accès
spatiales dans les régions les plus reculées. Il est intéressant de noter que ces contraintes d’accès sont
particulièrement saillantes dans le Caucase Nord. Probablement faut-il y voir les conséquences de la
guerre en Tchétchénie et des tensions ethniques qui s’étendent à toute la région. Enfin, la stratification
selon la composition démographique des ménages confirme le poids des retraités dans l’attribution des
aides au logement. A titre d’illustration, environ 60 % des retraités vivant seuls ou en couple reçoivent
une aide au logement, alors que toutes les autres catégories sont en dessous de la moyenne nationale.
Les montants moyens reçus sont beaucoup moins discriminants. Néanmoins, les familles
monoparentales reçoivent des aides sensiblement plus élevées que les autres catégories.
10 DOCUMENT DE TRAVAIL N° 132

5. Résultats et interprétations
La mise en œuvre de l’analyse de ‘propensity score matching’ exige de discuter de l’estimation
des scores de propension à partir d’un modèle à choix qualitatif binaire, puis, une fois le groupe de
comparaison construit, d’identifier l’impact des aides au logement sur le niveau de vie et sur l’ampleur
de la pauvreté.

1. Estimation des scores de propension

Le modèle logistique binaire à partir duquel sont estimés les scores de propension est reporté
dans le tableau A1 en annexes. Les variables déterminant le fait de recevoir les aides au logement ou
non ont trait à la localisation géographique (urbain, rural), à la composition démographique du ménage
(nombre d’enfants et de retraités), aux caractéristiques économiques du ménage (part de la dépense
des ménages consacrée au logement, accès à la terre, au crédit, aux transferts privés), aux
caractéristiques du chef (sexe, age, nationalité, éducation), à sa catégorie socioprofessionnelle et enfin
aux caractéristiques du logement (nombre de pièces, type d’habitation).

De manière générale le modèle est correctement spécifié. Le pseudo R² de McFadden, captant le


pouvoir explicatif du modèle, atteint près de 0,2 et le pourcentage de cas bien prédits par le modèle
s’élève à 77 %. Par ailleurs, la plupart des variables censées déterminer l’éligibilité agissent
significativement sur la probabilité de recevoir des aides au logement. Par exemple, il apparaît que le
fait de résider en milieu urbain par rapport au milieu rural, accroît significativement cette probabilité.
En termes de composition démographique, la probabilité d’accès augmente en fonction du nombre de
retraités présents dans le ménage. Ce résultat est peu surprenant si l’on considère que les retraités
bénéficient en masse des privilèges catégoriels. De même, le fait d’avoir accès à un certain nombre de
dotations en actifs (terre, crédit, transferts privés) renforce la probabilité de recevoir une aide au
logement. En d’autres termes, les ménages insérés économiquement et disposant d’un réseau social
semblent plus à même de bénéficier de ces aides. Par contre, la part de la dépense des ménages
consacrée au logement, qui conditionne pourtant l’allocation logement, n’exerce aucun effet
significatif17. Ceci s’explique probablement par le faible nombre de familles recevant une allocation
logement par rapport à celles bénéficiant de privilèges catégoriels. Les estimations suggèrent
également que les ménages bénéficiaires ont plus de chances d’être géré par une femme. Enfin, les
caractéristiques du logement jouent un rôle important. Les ménages résidant dans un appartement
(privatif ou communautaire) profitent davantage des aides publiques que les ménages habitant une
maison. Et la probabilité d’accès est d’autant plus importante que le logement est spacieux.
Finalement, les scores de propension moyens estimés à partir du modèle s’élèvent à 0,25 et 0,49,
respectivement pour les familles non bénéficiaires et les familles bénéficiaires. Le modèle capte donc
de manière satisfaisante les différences d’accessibilité à l’aide publique au logement.

La pertinence d’une analyse de ‘propensity score matching’ suppose bien évidemment que le
groupe de comparaison présente des caractéristiques similaires aux familles recevant des aides au
logement. La mise en œuvre des trois méthodes de pondération évoquées précédemment aboutit à des
résultats tout à fait satisfaisants. Le score de propension moyen au sein du groupe de comparaison
atteint environ 0,48, et ce quelle que soit la méthode de pondération retenue (voisin le plus proche,
deux voisins les plus proches ou cinq voisins les plus proches). Par conséquent, les scores de
propension après application de la pondération pour l’échantillon des bénéficiaires et pour le groupe
de contrôle sont très proches, validant ainsi le recours à une analyse de ‘propensity score matching’.

17
Afin de tester une éventuelle corrélation entre la part de la dépense des ménages consacrée au logement et les dotations en
actifs, le modèle a été estimé sans les variables de dotations. Ceci ne modifie pas les résultats en profondeur et ne rend pas
significative la variable captant le poids du logement dans le budget des ménages.
IMPACT REDISTRIBUTIF DES AIDES AU LOGEMENT EN RUSSIE 11

2. Impact redistributif des aides au logement

L’étude de l’impact redistributif des aides au logement en Russie se décompose en trois étapes.
Dans un premier temps, il s’agit d’évaluer l’incidence des aides sur le revenu des ménages. Dans un
deuxième temps, plusieurs investigations visent à identifier la contribution de ces prestations à la
réduction de la pauvreté. Finalement, ces éléments nous permettent de discuter de la qualité du ciblage
et du mécanisme d’allocation à la base des aides au logement.

A. Un impact positif mais limité sur le niveau de vie

Le gain net en termes de revenu suite à l’allocation des aides pour les ménages bénéficiaires est
reporté dans le tableau 2. Une distinction est opérée entre revenu des ménages et revenu par tête. Au
niveau national, les estimations indiquent que les aides au logement agissent à la hausse sur le niveau
de vie, et ce quelle que soit la méthode de pondération retenue. L’augmentation du revenu des
ménages bénéficiaires consécutive à l’allocation des aides au logement varie entre 7,8 % et 10,1 %,
selon le nombre de voisins retenus pour l’estimation du groupe de comparaison. En termes de revenu
par tête, la hausse est plus modérée et comprise entre 4,7 % et 7,4 %. Néanmoins, si l’on se réfère aux
intervalles de confiance, cet impact favorable n’est jamais significatif. En fait, il y a à la fois des
ménages perdants et gagnants. Si l’on se réfère par exemple au voisin le plus proche,
53 % de ménages connaissent une augmentation de leur revenu suite à l’allocation des aides au
logement et 47 % une baisse de leur revenu18.

L’analyse en fonction du milieu de résidence permet d’apporter un éclairage supplémentaire sur


l’incidence des aides au logement sur le niveau de vie. Dans les villes, l’impact est positif et en termes
relatifs, le gain net est plus élevé qu’au niveau national : la hausse du revenu des ménages s’étale ainsi
entre 12,4 % et 14,1 % (entre 8,4 et 10,3 % pour le revenu par tête). Mais là aussi, cet effet n’est pas
significatif d’un point de vue statistique. En revanche, dans les zones rurales, l’allocation des aides est
synonyme de diminution du revenu moyen, diminution comprise entre 13,4 et 18,3 % (entre 11,4 et
18,1 % pour le revenu par tête). En fait, il y plus de ménages qui connaissent une baisse de leur niveau
de vie (56 %) que de ménages présentant un gain net positif (44 %). Sur un plan économique, ce
résultat surprenant peut se justifier en suggérant que l’attribution des aides au logement entraîne des
réponses comportementales de la part des ménages. En d’autres termes, suite au versement des aides,
les ménages peuvent choisir de modifier leurs comportements. Par exemple, dans les zones rurales,
l’attribution d’aides publiques peut inciter les ménages à réduire leur production domestique à partir
des lopins de terre ou à moins se reposer sur les aides privées en provenance de la famille ou des
proches (éviction des transferts privés par les transferts publics). Lorsque la baisse du revenu induite
par la réponse comportementale est supérieure au gain lié à l’allocation du transfert, alors le revenu du
ménage diminue. Si l’importance des réponses comportementales suite à l’allocation des prestations
sociales est un phénomène non négligeable en Russie19, la baisse du revenu imputable à l’allocation
des transferts se justifie probablement plus par la nature des techniques de ‘propensity score
matching’. En effet, aussi robuste soit l’analyse de ‘propensity score matching’, elle ne peut prétendre
représenter fidèlement la situation des ménages bénéficiaires avant qu’ils reçoivent les aides. La
détermination du groupe de comparaison ne repose que sur les caractéristiques observées et il est donc
vraisemblable que, du fait de caractéristiques non observées (concernant par exemple les contraintes
d’accès, la gestion administrative des aides, etc.), l’appariement entre ménages bénéficiaires et
ménages non bénéficiaires conduisent à des résultats biaisés. En dépit de cette limite méthodologique,
il ne fait aucun doute quant à l’absence d’impact des aides au logement dans les campagnes.
L’intervalle de confiance à 5 % indique en effet que celles-ci n’exercent aucun effet significatif (qu’il
soit positif ou négatif) sur le revenu en zones rurales.

18
A titre de comparaison, on pourra se reporter à la contribution de Galasso, Ravallion (2003) concernant un programme
visant à venir en aides aux familles vulnérables pendant la crise de 2002 en Argentine.
19
Voir Clément (2005).
12 DOCUMENT DE TRAVAIL N° 132

Tableau 2 : Gain net en termes de revenu suite à l’allocation des aides au logement. Russie, 2003.
,
Voisin Deux voisins Cinq voisins
le plus proche les plus proches les plus proches

Revenu des Revenu par Revenu des Revenu par Revenu des Revenu par
ménages tête ménages tête ménages tête

National
Gain (Roubles) 528,0 134,1 671,3 205,0 563,7 154,1
Intervalle de confiance 5% [-663 ; 1719] [-193 ; 462] [-457 ; 1800] [-92 ; 502] [-535 ; 1662] [-131 ; 439]
Gain relatif (%) 7,8 4,7 10,1 7,4 8,4 5,5

Urbain
Gain (Roubles) 822,2 237,9 922,1 284,7 854,0 252,9
Intervalle de confiance 5% [503 ; 2148] [-119 ; 595] [-353 ; 2198] [-47 ; 617] [-391 ; 2099] [-67 ; 572]
Gain relatif (%) 12,4 8,4 14,1 10,3 12,9 9,0

Rural
Gain (Roubles) -1398,9 -545,5 -970,8 -316,8 -1337,3 -493,1
Intervalle de confiance 5% [-3749 ; 951] [-1348 ; 257] [-2647 ; 705] [-879 ; 246] [-2825 ; 150] [-992 ; 6]
Gain relatif (%) -18,3 -18,1 -13,4 -11,4 -17,6 -16,7

Source : RLMS 2003.

B. Un impact sur la pauvreté très incertain

Le tableau 3 présente la valeur des indices FGT avant et après l’allocation des aides au
logement. Au regard de ces estimations, l’impact des aides au logement sur la pauvreté semble
particulièrement incertain. En effet, si l’on se réfère aux estimateurs selon le voisin le plus proche ou
les deux voisins les plus proches, les aides au logement exercent un effet réducteur de la pauvreté,
l’incidence de la pauvreté diminuant respectivement de 3,2 points et de 1 point. Et cet effet est
significatif pour les trois dimensions de la pauvreté (exception faite de l’intensité et de l’inégalité de la
pauvreté dans le cas des deux voisins les plus proches). D’ailleurs, si l’on se réfère à la figure A1
présentant les courbes TIP associées au revenu pré-intervention et post-intervention, il apparaît que la
courbe TIP pré-transferts domine nettement la courbe post-transferts dans le cas du voisin le plus
proche20. Autrement dit, l’allocation des aides réduit la pauvreté évaluée par ses trois dimensions. La
dominance est moins claire dans le cas des deux voisins le plus proche (figure A2).

Par contre, dès lors que l’on raisonne sur l’estimateur des cinq voisins les plus proches,
l’analyse de ‘propensity score matching’ fait état d’une augmentation de la pauvreté suite à
l’allocation des aides, augmentation certes légère (0,9 point en termes d’incidence) mais significative
pour les trois indices de pauvreté. Et cette augmentation est robuste si l’on se réfère au test de
dominance de second ordre, la courbe TIP associée au revenu post-transferts dominant celle associée
au revenu pré-transferts (figure A3). En d’autres termes, la pauvreté évaluée selon ses trois
dimensions, est plus importante après l’allocation des aides au logement. En fait, il apparaît que
l’impact des aides sur la pauvreté se réduit lorsque le nombre de cas non traités servant de référence à
l’estimateur PSM augmente. Or, si l’on se réfère à Ravallion (2003), la qualité de l’analyse de
‘propensity score matching’ est censée s’accroître dans ce cas. Par conséquent, il convient d’accorder
davantage de robustesse aux estimations basées sur les cinq voisins les plus proches et donc de
conclure sur une absence d’impact des aides au logement sur l’ampleur de la pauvreté.

L’analyse en fonction du milieu confirme l’écart urbain / rural. Dans les campagnes, on peut
considérer que l’allocation des aides provoque un accroissement de la pauvreté (et ce même si on
observe une baisse dans le cas du voisin le plus proche). Et cette hausse est significative dans le cas

20
Les courbes TIP (trois ‘i’ de la pauvreté) sont représentées dans un graphique affichant en ordonnées la somme cumulée
des écarts de pauvreté par tête et en abscisses la proportion cumulée de ménages. Elles résument les trois dimensions de la
pauvreté (incidence, intensité et inégalité) et permettent à ce titre de classer deux distributions données sur la base de ces trois
dimensions. Ainsi, la dominance de la courbe associée à une distribution x par rapport à la courbe associée à une distribution
y, marquée par l’absence de point d’intersection, est une condition nécessaire et suffisante pour affirmer sans ambiguïté que
la pauvreté (appréhendée selon ses trois dimensions) est plus importante en x qu’en y. Voir Jenkins, Lambert (1998).
IMPACT REDISTRIBUTIF DES AIDES AU LOGEMENT EN RUSSIE 13

Tableau 3 : Ampleur de la pauvreté1 pré-intervention et post-intervention selon le milieu. Russie, 2003.

Pauvreté post-transferts Pauvreté pré-transferts

Voisin le plus Deux voisins Cinq voisins


proche2 les plus proches2 les plus proches2

National
Incidence P0 0,119 0,151 0,129 0,108
-8,14* -2,66* 4,09*
Intensité P1 0,045 0,060 0,048 0,041
-8,14* -2,38 4,18*
Inégalité P2 0,026 0,034 0,027 0,023
-6,84* -1,52 4,21*

Urbain
Incidence P0 0,083 0,123 0,096 0,073
-8,53* -3,28* 2,94*
Intensité P1 0,029 0,046 0,034 0,026
-7,96* -2,96* 2,88*
Inégalité P2 0,016 0,025 0,018 0,014
-6,33* -1,79 3,10*

Rural
Incidence P0 0,227 0,234 0,224 0,210
-1,02 0,67 3,10*
Intensité P1 0,093 0,101 0,091 0,086
-2,38* 0,65 3,37*
Inégalité P2 0,054 0,061 0,053 0,051
-2,72* 0,17 3,21*

Notes : (1) Indices de la classe FGT. (2) Les chiffres en italique permettent de tester la significativité de la différence entre la
pauvreté post-transferts et la pauvreté pré-transferts. Une * indique que l’écart est significatif à 5 %.
Source : RLMS 2003.

des cinq voisins les plus proches. En milieu urbain, les résultats sont similaires à ceux prévalant au
niveau national, à savoir qu’on observe une diminution de la pauvreté pour les deux premières
méthodes de pondération et une augmentation pour la troisième. En définitive, si l’on met de côté les
incertitudes relatives à la méthode de pondération, les aides au logement exercent un effet sur la
pauvreté négligeable et ne peuvent donc prétendre, sous leur forme actuelle, être un instrument
efficace dans la lutte contre la pauvreté.

3. Un ciblage défaillant

De toute évidence, les aides au logement ne sont pas particulièrement « pro-pauvres » en ce sens
qu’elles ne bénéficient pas plus aux familles démunies qu’aux autres. Le tableau 4, qui présente le
pourcentage de bénéficiaires et le montant moyen des aides parmi ces bénéficiaires en fonction du
statut de pauvreté pré-intervention, corrobore cette idée. En effet, 11,4 % des ménages pauvres sur la
base du revenu pré-intervention reçoivent une aide au logement. Et cette proportion n’est que de 5,4 %
en milieu rural. Par conséquent, alors qu’ils subissent de plein fouet l’augmentation des coûts liés au
logement, les ménages les plus modestes sont en partie exclus de l’aide publique visant à compenser
ce renchérissement. Il y a incontestablement un problème de ciblage des transferts publics liés au
logement, résultat déjà mis en évidence par World Bank (2004) et Hamilton et al. (2005). Précisons
que cette défaillance dans le mécanisme de ciblage prend la forme d’erreurs d’exclusion (des ménages
pauvres ne reçoivent pas d’aides), mais également d’erreurs d’inclusion (des ménages non pauvres
reçoivent des aides). Premièrement, comme nous l’avons précisé précédemment, les privilèges
catégoriels, même s’ils couvrent une partie relativement importante de la population, ne sont pas
spécifiquement ciblés sur les pauvres, mais sont réservés à des catégories particulières. Il est évident
que l’absence de reconnaissance sociale par le travail ou par les services rendus à la nation est
rédhibitoire pour l’accès à ces privilèges, justifiant par là même la piètre capacité des aides à cibler les
ménages pauvres. Deuxièmement, même l’allocation logement, qui intègre pourtant une condition de
14 DOCUMENT DE TRAVAIL N° 132

Tableau 4 : Pourcentage de ménages bénéficiaires et montant moyen des aides parmi les ménages
bénéficiaires selon le statut de pauvreté pré-intervention (cinq voisins les plus proches). Russie, 2003.
National Urbain Rural

% de bé- Montant % de bé- Montant % de bé- Montant


-néficiaires moyen -néficiaires moyen -néficiaires moyen

Pauvres 11,4 429,3 17,3 356,4 5,4 666,3


Non pauvres 35,0 312,5 39,4 316,8 19,9 283,4
Ensemble 32,4 317,0 37,7 318,1 16,8 309,3

Source : RLMS 2003.

ressources, est mal ciblée [World Bank (2004)]. Il existe probablement des problèmes d’accessibilité
qui concernent avant tout les familles les plus pauvres : (i) complexité des formalités administratives
qui décourage les éventuels bénéficiaires ; (ii) manque d’information liée à la déconnexion entre la
gestion des différentes prestations sociales (pensions, prestations familiales, indemnités chômage). Par
ailleurs, l’éligibilité est déterminée en fonction de la part du revenu que les familles consacrent au
logement, le fait d’être pauvre ou non pauvre n’intervenant que pour la détermination du montant
perçu.

Si les aides au logement sont caractérisées par un ciblage défaillant, le mécanisme d’allocation
semble plus favorable aux pauvres dans la mesure où le montant moyen des aides reçues par ceux-ci
représente près de 140 % du montant moyen parmi les ménages non pauvres bénéficiaires. Par
ailleurs, le montant moyen des aides parmi les ménages pauvres recevant une aide au logement
représente plus de 1,5 fois l’écart de pauvreté pré-intervention moyen, témoignant de la capacité de
ces aides à combler l’écart de pauvreté.

Finalement, le problème le plus saillant relatif aux aides au logement a trait au ciblage.
L’exclusion d’un certain nombre de familles pauvres (et donc en théorie au moins éligibles à
l’allocation logement) des aides au logement fait référence à une dimension du concept d’exclusion
sociale. En effet, dans son acceptation originelle, le concept d’exclusion sociale se référait aux
individus qui étaient exclus du système de protection sociale21. Manifestement, l’existence de
contraintes administratives et l’incapacité de ces familles à s’insérer économiquement (sur le marché
du travail en particulier) permettent d’expliquer un tel phénomène. En tout cas, sous leur forme
actuelle, les aides publiques au logement sont inappropriées pour venir en aide aux ménages
vulnérables. On comprend dès lors les enjeux inhérents aux contestations contre la hausse des coûts du
logement du début de l’année 2006.

6. Conclusion
Cet article avait pour ambition de questionner l’impact redistributif des aides au logement en
Russie. L’idée était de construire un groupe de comparaison représentant la situation des ménages
recevant des aides au logement avant l’allocation de ces aides, sur la base d’une analyse de ‘propensity
score matching’. Sur un plan méthodologique, l’application de ces techniques à l’étude de l’incidence
des transferts sur le niveau de vie des ménages semble intéressante. Néanmoins, une telle analyse ne
peut prétendre capter parfaitement la situation des ménages bénéficiaires avant l’intervention dans la
mesure où la détermination du groupe de comparaison repose exclusivement sur les caractéristiques
observables et reste entièrement dépendante des ménages non bénéficiaires présents dans l’échantillon.
Par ailleurs, les résultats générés sont particulièrement sensibles à la méthode de pondération retenue.
En dépit de ces limites méthodologiques, nos investigations ont permis de mettre en évidence deux

21
L’apparition du concept d’exclusion sociale remonte aux années 70 et aux travaux du français Paul Lenoir. Dans son
ouvrage paru en 1974, « Les exclus », celui-ci identifie dix catégories d’exclus: les handicapés physiques et mentaux, les
suicidaires, les délinquants, les enfants abusés, les toxicomanes, les marginaux, les familles monoparentales, etc. En fait, dans
cette acceptation, le concept d’exclusion sociale se rapportait aux « cas sociaux » qui ne bénéficiaient d’aucune protection
sociale.
IMPACT REDISTRIBUTIF DES AIDES AU LOGEMENT EN RUSSIE 15

faits marquants. D’une part, l’aide au logement en Russie a un impact très limité sur le revenu des
ménages, voire un impact nul en milieu rural. D’autre part, l’attribution des aides au logement
n’exerce aucun effet réducteur de la pauvreté, essentiellement du fait d’un ciblage déficient.

Incontestablement, l’amélioration des performances redistributives des aides au logement


suppose de la part des autorités fédérales une réelle volonté de réforme. En premier lieu, il importe de
réfléchir au rééquilibrage des dépenses consacrées aux privilèges catégoriels et à l’allocation
logement. En effet, en 2002, les fonds attribués au paiement des privilèges représentaient 2,3 % du
PIB alors que ceux consacrés à l’allocation logement s’élevaient à 0,1 % du PIB [World Bank (2004)].
L’amélioration du ciblage des aides au logement passe par conséquent par un transfert de fonds des
privilèges, non spécifiquement ciblés sur les pauvres, vers l’allocation logement, attribuée sous
condition de ressources. En deuxième lieu, les autorités se doivent de repenser le mécanisme de
ciblage à la base de l’allocation logement. Le test de ressources serait vraisemblablement plus
performant s’il était fondé sur les dépenses de consommation plutôt que sur le revenu [Hamilton et al.
(2005)]. En effet, de nombreuses composantes du revenu restent difficiles à évaluer (revenus en
nature, production domestique, transferts privés, revenus de l’informel) et les individus ont souvent
tendance à sous-évaluer leurs gains de manière à être déclarés éligibles. En troisième lieu, la réduction
des erreurs de ciblage passe par une meilleure coordination des aides au logement à l’échelon fédéral,
même si leur gestion décentralisée ne doit pas être remise en cause. L’instauration d’un cadre
institutionnel structurant les différents bénéfices apparaît indispensable, non seulement pour en
améliorer la lisibilité, mais également pour éviter les inégalités de traitement d’une municipalité à
l’autre. En quatrième lieu, il semble indispensable de rationaliser la gestion administrative des aides au
logement, et plus généralement de tous les mécanises d’assistance sociale. En effet, un rapport de la
Banque Mondiale souligne la multiplicité des dysfonctionnements administratifs liés à la gestion des
aides sociales dans les pays en transition : manque de flexibilité, de transparence, de communication
avec le public, de mécanisme de contrôle de l’éligibilité, etc. [World Bank (1999)]22. Ce rapport insiste
sur le déficit de coordination entre les différents programmes, obligeant les postulants à faire une
démarche d’éligibilité pour chaque aide.

En définitive, cette question du pouvoir redistributif des aides au logement s’inscrit dans une
problématique plus large et renvoie aux débats portant sur la capacité du système de protection sociale
russe à participer activement à la réduction de la pauvreté. Comme le stipule le rapport de la Banque
Mondiale de 2004 sur les conditions de vie en Russie, la réforme de la politique sociale doit être un
des axes prioritaires des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale [World Bank
(2004)].

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22
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16 DOCUMENT DE TRAVAIL N° 132

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IMPACT REDISTRIBUTIF DES AIDES AU LOGEMENT EN RUSSIE 17

Annexes

Tableau A1 : Modèle logistique binomial pour les déterminants de l’accès aux aides au logement1. Russie,
2003.

Variables explicatives Coeff. t Effets marginaux2

Constante -3,8432 -8,970*** -0,7496***

Localisation géographique3
Métropoles 0,7509 4,080*** 0,1660***
Zones urbaines intermédiaires 0,9063 7,622*** 0,1619***
Caractéristiques démographiques du ménage
Nombre d'enfants 0,1242 2,217** 0,0242**
Nombres de retraités 0,8647 13,710*** 0,1686***
Caractéristiques économiques du ménage
Accès à la terre 0,3235 3,628*** 0,0626***
Accès aux transferts privés 0,1844 2,098** 0,0366**
Accès au crédit 0,2677 2,325** 0,0545**
Part de la dépense des ménages consacrée au logement 0,1477 1,209 0,0288
Caractéristiques du chef de ménage
Sexe -0,6498 -7,303*** -0,1345***
Age 0,0075 0,507 0,0014
Age² 0,0001 0,861 0,0000
Nationalité 0,0498 0,358 0,0096
Nombres d'années d'éducation 0,0386 1,597 0,0075
Catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage4
Cadres et professions intellectuelles supérieures -0,2996 -2,231** -0,0552**
Professions intermédiaires -0,5746 -3,332*** -0,0986***
Employés et ouvriers qualifiés -0,3504 -2,845*** -0,0649***
Employés et ouvriers non qualifiés -0,1459 -0,901 -0,0276
Artisans, agriculteurs et ouvriers assimilés -0,2789 -1,969** -0,0516**
Caractéristiques du logement
Type de logement5
Appartement 1,2795 10,228*** 0,2262***
Appartement communautaire 0,5018 2,458** 0,1066**
Nombre de pièces6
2 0,0519 0,508 0,0101
3 0,0867 0,742 0,0170
plus de 3 0,4798 2,677** 0,1017**

Log de vraisemblance -2087,928


Test Chi² 7 1024,2 (0,000)***
R² de Nagelkerke8 0,306
Pseudo R² de McFadden9 0,197
% de cas bien prédits 76,7
Nombre d'observations 4125

Notes : (1) La variable dépendante est codée 1 si le ménage a reçu une aide au logement et zéro sinon. (2) Variation des
chances d’avoir accès à l’aide au logement relativement aux chances de ne pas y avoir accès, due à une variation d’une unité
de la variable explicative considérée. (3) Base = zones rurales. (4) Base = Chômeurs et inactifs. (5) Base = maison. (6) Base
= une pièce. (7) Test de significativité simultanée de l’ensemble des coefficients du modèle. La statistique de test est égale à
– 2(log LC – log LNC) et suit une loi de Chi² à K degrés de liberté avec log LC le log de vraisemblance du modèle contraint
n’incluant que la constante, log LNC le log de vraisemblance du modèle non contraint et K le nombre de variables
explicatives. (8) R² Nagelkerke égal à [1 – (log LNC/log LC)2/n] / [1 – (log LNC)2/n]. (9) pseudo R² de McFadden égal à 1- (log
LNC / log LC).
* significatif à 10 % ; ** significatif à 5 % ; *** significatif à 1 %.
Source : RLMS 2003.
18 DOCUMENT DE TRAVAIL N° 132

Figure A1 : Courbes TIP en termes de revenu des ménages pré-transferts (voisin le plus proche) et post-
transferts. Russie, 2003.

Pauvreté des ménages


0,06
pré-transferts
Somme cumulée des écarts de pauvreté par tête

post-transferts

0,05

0,04

0,03

0,02

0,01

0,00

,0 ,0 ,0 ,0 ,0 ,0 ,0 ,0 ,0 ,0 ,1 ,1 ,1 ,1 ,1 ,1
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 0 1 2 3 4 5

Proportion cumulée de ménages


Source : RLMS 2003.

Figure A2 : Courbes TIP en termes de revenu des ménages pré-transferts (deux voisins les plus proches) et
post-transferts. Russie, 2003.

Pauvreté des ménages


pré-transferts
Somme cumulée des écarts de pauvreté par tête

post-transferts

0,04

0,02

0,00

, , , , , , , , , , , , , ,
00 01 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12

Proportion cumulée de ménages

Source : RLMS 2003.


IMPACT REDISTRIBUTIF DES AIDES AU LOGEMENT EN RUSSIE 19

Figure A3 : Courbes TIP en termes de revenu des ménages pré-transferts (cinq voisins les plus proches) et
post-transferts. Russie, 2003.

Pauvreté des ménages


pré-transferts
Somme cumulée des écarts de pauvreté par tête

post-transferts

0,04

0,02

0,00

, , , , , , , , , , , , ,
00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12

Proportion cumulée de ménages

Source : RLMS 2003.

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