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Angélique Palle
et le gestionnaire du réseau. Le but premier de cet échange Ces orientations politiques prises par l’Union européenne
d’information est de renseigner le gestionnaire de réseau sur affectent les réseaux de transport d’énergie puisque l’intégra-
son état, pour lui permettre une gestion plus fine dans un en- tion énergétique européenne implique une interconnexion
vironnement qui se complexifie (multiplication des sources de des réseaux des pays membres, conçus jusqu’à présent selon
production, intermittence, etc.). Il lui permet également d’agir des logiques essentiellement nationales. Si l’interconnexion
à distance sur certains ouvrages du réseau et d’économiser ses de deux pays voisins n’est pas nouvelle et existait déjà au dé-
interventions. Le développement des sources locales d’énergies but du XXe siècle, notamment pour des raisons d’optimisation
renouvelables (panneaux solaires sur les toits ou autres dispo- de la production lorsque des centrales (hydrauliques pour la
sitifs) fait de certains particuliers des consommateurs-produc- plupart) se situaient aux frontières (Lagendijk, 2008), l’Union
teurs, l’énergie circulant alors dans les deux sens, ce qui de- européenne en a fait l’un des objectifs clés de son projet d’in-
mande là aussi une adaptation du réseau. tégration d’un grand marché européen de l’énergie, en défi-
nissant en 2002 un objectif d’interconnexion pour chaque État
Le système d’approvisionnement électrique évolue alors
membre correspondant à 10 % de sa capacité de production
vers un réseau plus décentralisé et plus interactif, intégrant
installée (Conseil européen du 16 juin 2002, Barcelone). Cet
l’usage des NTIC (Nouvelles technologies de l’information et
objectif n’a jamais été atteint et l’Union européenne qui s’était
de la communication) qui le rendent plus communicant et
fixé comme objectif un achèvement du marché européen
flexible mais posent également des questions de vulnérabilité
de l’énergie en 2014 (Conseil européen du 4 février 2011,
(augmentation du nombre d’acteurs pouvant interagir avec le
Bruxelles) a revu ses objectifs. Considérant que l’intégration
réseau mais aussi malveillance).
des infrastructures était l’un des points majeurs de sa stratégie
Dans ce contexte général d’évolution interviennent égale- d’intégration énergétique, la Commission européenne a lan-
ment les orientations politiques prises par l’Union européenne cé en 2013 les « projets d’intérêt commun » (Règlement UE
qui poursuit un double objectif de transition et d’intégration n° 347/2013 du 17 avril 2013). Il s’agit d’infrastructures esti-
énergétiques. mées prioritaires pour l’intégration des réseaux et le fonction-
L’Union européenne s’est dotée avec le traité de Lisbonne, nement du marché de l’énergie et dont elle souhaite faciliter
ou accélérer la construction, par des financements (2) ou des
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s’orientent aujourd’hui vers plus de flexibilité et de dynamisme. janvier à juillet 2014 avec l’ENTSO-E (Réseau des gestionnaires
Il leur faut intégrer les technologies numériques, devenir des de réseau d’électricité européens) basé à Bruxelles. Cette col-
vecteurs et des sources d’information et permettre ainsi la ges- laboration, effectuée au sein du Comité de développement du
tion d’une production décentralisée ou intermittente. Deux système s’est inscrite dans le cadre de la préparation du plan de
logiques sont alors envisagées par les acteurs participant à la développement à dix ans des réseaux de transport d’électricité
conception de ces réseaux. Une logique locale et une logique 2014. Elle s’accompagne d’une journée d’étude et d’entretiens
supra-nationale, qui correspondent à deux échelles de réfé- au Joint Research Center – Institute of Energy and Transport
rence possibles pour leur évolution. de la Commission européenne situé à Petten (Pays-Bas), en
mai 2013. La liste des acteurs interrogés est fournie en fin d’ar-
La logique supra-nationale est actuellement une logique
ticle. Dans la majorité des cas les personnes interrogées n’ont
de croissance et d’intégration des réseaux de transport, qui
pas souhaité être citées nommément.
vise à réaliser des économies d’échelle et à mettre en œuvre
des logiques de complémentarité dans l’espace mais dans
laquelle les acteurs historiques gardent la main sur la ges-
À l’échelle européenne, une densification
tion et le développement des lignes dont le développement du réseau de transport ?
est souvent mal perçu et accepté par les populations locales. Envisagés à l’échelle européenne, les réseaux de transport
À l’échelle locale au contraire émergent progressivement des d’électricité des différents pays membres sont actuellement
logiques décentralisées d’indépendance des territoires, vis- dans une dynamique de croissance. Croissance du nombre de
à-vis notamment des acteurs historiques et de l’Union euro- lignes, de la puissance transportée mais également des inter-
péenne, qui impliquent une décroissance ou a minima un arrêt connexions entre les différents réseaux encore principalement
de la croissance des réseaux de transport et un renforcement gérés à échelle nationale.
des réseaux de distribution. Une combinaison optimale d’« au-
L’intégration de l’espace énergétique européen, sous l’im-
toroutes de l’électricité » et d’espaces de production locale
intégrée permettrait de réduire le nombre de lignes de trans- pulsion du Commissariat à l’énergie de la Commission euro-
port sur de grandes distances tandis que les réseaux locaux de péenne, s’est traduite par plusieurs vagues de législation du
Parlement européen (1996, 2003, 2006, 2009, 2013) visant
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Les prévisions actuelles (TYNDP 2014) tablent sur environ Figure 1. Carte de la répartition de la production
48 000 km de lignes (dont 4 000 seraient des mises à niveau ou d’énergies renouvelables en Europe telle
améliorations de lignes existantes) pour un montant estimé de qu’envisagée par le projet e-Highway 2050
150 milliards d’euros d’investissements à l’horizon 2030 (dont
50 milliards concernent la mise en place de câbles sous-ma-
rins, liés en grande partie à de l’éolien offshore). Ce chiffre est
fonction du niveau de croissance des renouvelables dans le mix
énergétique européen, il vaut pour les scénarios où la part de
renouvelable envisagée est la plus forte (5). Ceux envisageant
un développement moindre des renouvelables correspondent
à une diminution de 10 à 15 % du nombre de km de lignes
estimées nécessaires (soit environ une dizaine de projets). Il est
difficile d’obtenir un chiffrage très précis à ce sujet parce que :
1. la localisation des lieux de génération des énergies renouve-
lables envisagées n’est pas totalement connue, ce qui empêche
de planifier précisément le raccordement ; 2. comme il s’agit
de projets à long terme, le tracé exact des lignes (et donc le ki-
lométrage) n’est pas encore défini dans certains cas. On se situe
donc dans une fourchette, mais il est significatif de constater
que la croissance du réseau de transport d’électricité est direc-
tement liée à l’intégration du marché de l’électricité européen
ainsi qu’à la croissance des énergies renouvelables dans le mix
européen. Ce plan d’investissement européen est décliné en
Source : Sanchis, 2014.
plan d’investissements régionaux, publiés également à sa sor-
tie. Il est construit à partir des projets présents dans les différents
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européenne ou nationale et jouissant du soutien majoritaire de L’autre est maillée, plus flexible et top-down : les parcs sont in-
la population et, d’autre part, ses applications et implications terconnectés entre eux et avec ceux des pays riverains, ils mu-
pratiques à échelle locale en termes d’infrastructure n’est pas tualisent leur accès au réseau terrestre aux échelles nationales
toujours fait. et internationales, ce qui demande une planification du réseau
ex ante ainsi qu’une gestion davantage centralisée. Ces options
Le deuxième support de croissance des réseaux de transport
représentent deux extrêmes entre lesquels se déclinent plu-
d’électricité à l’échelle européenne provient des dynamiques
sieurs solutions intermédiaires (NSCOGI, 2012, voir Figure 2).
de transition énergétique, et particulièrement du développe-
Elles correspondent à une fourchette de 10 000 à 25 000 km
ment des EnR (énergies renouvelables). Les espaces à potentiel
de nouvelles lignes offshore, selon l’option et le scénario de
de production d’énergie solaire et éolienne (principales EnR
développement envisagé (Cole et alii, 2014). Le choix entre ces
en développement actuellement) sont situés en périphérie des
alternatives est à la fois financier – l’option maillée demande
bassins de production et de consommation traditionnels. Leur
un investissement initial conséquent mais elle est plus évolutive
raccordement au réseau demande de développer celui-ci, ainsi
et permet des économies à long terme par rapport à l’option
que de le renforcer par endroits, pour qu’il puisse supporter le
radiale, estimées à 14 milliards d’euros (Cole et alii, 2014) –, et
caractère intermittent de la production de ces sources d’éner-
politique – l’option maillée demande une gestion mutualisée à
gies renouvelables ainsi que de grandes variations de flux
la fois du projet, des lignes et de la répartition de l’énergie qui
d’électricité. L’un des exemples les plus parlants à cet égard est
pose des questions de gouvernance. Sont en effet impliqués
l’initiative des pays riverains de la mer du Nord. Associés pour
dans le projet à la fois les gouvernements des pays concernés,
développer le potentiel éolien offshore de cet espace, 10 pays
la Commission européenne, les régulateurs nationaux, le régu-
ont lancé en 2010 le North Sea Countries’ Offshore Grid Ini-
lateur européen, les gestionnaires de réseaux et leur association
tiative (NSCOGI, Initiative de réseau d’électricité offshore des
européenne l’ENTSO-E.
pays de la mer du Nord), à horizon 2020, afin d’étudier les
possibilités technologiques de développement du nouveau ré- La question de l’adaptation du réseau à la décentralisation
seau offshore et la planification du maillage de la zone. Deux des sources de production renouvelables se pose également.
options sont actuellement envisagées, l’une est radiale, relati- On a vu que dans le cas français le gestionnaire de réseau envi-
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- Gouvernance +
Source : The North Seas Countries’ Offshore Grid Initiative - Initial findings, 2012, Final report Working Group 1 Grid Configuration. Réalisation : A. Palle
un exemple extrême de l’impact sur les réseaux d’une transi- les objectifs de l’Union européenne en termes d’intégration
tion énergétique accélérée. Après avoir décidé en 2011 l’ar- et de développement des renouvelables, qui impliquent une
rêt de l’utilisation des sources d’énergies nucléaires, ce pays croissance du réseau, l’exigence de sécurité d’approvisionne-
se tourne massivement vers le renouvelable sans avoir adapté ment des gouvernements et acteurs économiques, qui implique
son réseau de transport d’électricité. La production nucléaire une marge de sécurité lors de son dimensionnement, et des en-
majoritairement concentrée au sud du pays, près des bassins jeux socio-économiques en cas de surdimensionnement de son
de consommation les plus importants, doit être compensée, développement. Ce développement est en effet financé en très
notamment par de l’éolien en provenance du nord du pays. large partie par les consommateurs qui, s’ils sont favorables à
Cela implique d’investir rapidement dans des corridors de la transition énergétique dans son ensemble, ne souhaitent pas
transport nord-sud, apparus dans la liste des projets d’inves- voir leur facture d’électricité augmenter et sont peu favorables à
tissements européens dès 2012 (ENTSO-E, 2012). Il s’agit de la construction de nouvelles lignes. Devant ces impératifs com-
la construction d’environ 2 800 km de nouvelles lignes et de binés, la modélisation par les gestionnaires de réseau de leurs
renforcements du même ordre de grandeur. C’est une question besoins en termes de développement est pour ces acteurs une
très politique puisque l’électricité est actuellement acheminée question stratégique. Cette modélisation est complexe parce
par les réseaux des pays frontaliers (Pologne ou République que la durée de planification puis de construction d’une ligne
Tchèque). Cela pose des problèmes de saturation et ces voi- implique d’envisager les évolutions du réseau à long terme, à
sins planifient le rétablissement de frontières techniques (6) aux dix ans au minimum.
points de connexion de leurs réseaux de transport d’électricité
avec le réseau allemand. Modéliser la croissance du réseau
Les réseaux de transport d’électricité européens sont donc
Comment modélise-t-on l’évolution et les besoins de crois-
aujourd’hui dans une dynamique de croissance liée aux effets
sance d’un tel réseau, soumis à ce type de contraintes ? Les
de l’intégration progressive du marché européen de l’électrici-
infrastructures électriques sont pérennes, longues et coûteuses
té et à ceux de la transition énergétique. Cette croissance est
à mettre en place (la construction d’une nouvelle ligne de
portée par les gestionnaires de ces réseaux, chargés d’assurer
transport d’électricité en France prend en moyenne une di-
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la modélisation effectuée pour le plan de développement des constitue un nœud (un peu plus lorsqu’il s’agit de modèles
réseaux européens de transport d’électricité publié en 2014, régionaux), à quelques exceptions près comme l’Italie, le
ces visions portent jusqu’en 2030. Il s’agit de quatre bornes, Danemark ou le Luxembourg. On calcule alors pour chacun
définies en fonction de l’avancée de deux grands éléments : des nœuds et par type de génération les écoulements de puis-
l’intégration du marché européen de l’électricité et la stratégie sance pour chaque heure de l’année. L’interaction de ces deux
énergétique de l’Union pour 2050 (Commission européenne, modèles, physique et de marché, du réseau permet de locali-
2011) qui a pour objectif principal de décarboner le mix éner- ser les besoins en renforcements ou en nouvelles lignes, qui
gétique européen (réduction des gaz à effet de serre de 80 à sont actuellement croissants si l’on raisonne avec le modèle
95 % par rapport au niveau de 1990). Elles prennent également actuel de structure du réseau à échelle paneuropéenne (voir Fi-
en compte le caractère top-down ou bottom-up de ces évolu- gure 3). Les gestionnaires de réseau (ainsi que certains acteurs
tions. La planification du futur réseau de transport d’énergie eu- tiers, pour des projets spécifiques) proposent alors des projets
ropéen est donc calibrée en fonction de l’avancement des deux qui sont évalués selon la méthode suivante : le réseau « futur »
grandes dynamiques d’évolution qui l’affectent actuellement et est modélisé (Figure 4) avec l’ensemble des projets proposés
développées dans la partie précédente. puis l’on retire chaque projet un par un du modèle, afin d’éva-
luer l’impact de son absence sur les équilibres généraux du
Ces visions ont été définies par les gestionnaires de ré-
réseau futur.
seau en lien avec les acteurs du secteur, elles visent notam-
ment à estimer la composition possible du mix européen à
terme et les flux d’échanges d’électricité qui en résultent. Les À l’échelle locale, l’émergence de dynamiques
acteurs – ONG comme Greenpeace ou Birdlife international, de décroissance ?
cabinets de conseil, industriels ou grands producteurs d’élec-
S’il est aujourd’hui dominant, ce modèle de croissance des
tricité – ont ainsi été consultés, lors de rencontres physiques
réseaux de transport d’électricité en réponse aux évolutions
ou numériques, sur les paramètres du modèle : quels éléments
du secteur est également très critiqué (Coutard, Ruther-
prendre en compte en priorité pour juger de la nécessité
ford, 2013), notamment par les acteurs locaux (popula-
du développement d’une ligne ? À partir de quel niveau de
tions des territoires traversés, instances politiques locales)
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Figure 3. Carte des points de congestion du réseau européen réalisée à partir des modèles du réseau
utilisés par les gestionnaires de réseau européens
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Y sont représentées les différentes « frontières » existant à l’intérieur du réseau et qui proviennent d’une situation
de congestion. La couleur de ces « frontières » correspond à la source de la congestion. En vert, celles qui sont
issues du raccordement de nouvelles unités de génération (principalement d’origine renouvelable) ; en bleu, celles
correspondant à la congestion du point de vue de l’intégration du marché (à l’intérieur ou entre deux zones de prix) ;
en rouge, celles correspondant à des problèmes de congestion liés à la sécurité d’approvisionnement.
Source : ENTSOE, 2014b, p. 61.
Figure 4. Illustration d’un load flow (flux de charge) sur une étude de réseau, dans cette situation,
le Royaume-Uni exporte vers le continent via des lignes sous-marines
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Réseau de transport
d’électricité
Frontières étatiques
Source : Entretiens au Joint Research Center on Energy and Transport, 21/05/2013, Petten. Réalisation : A.Palle
« extrêmes », sachant qu’il est possible qu’une combinaison les îles le long des côtes allemandes. Certaines comme l’île de
des deux dynamiques débouche, à terme, sur un intermé- Pellworm (1200 habitants) sont d’ores et déjà indépendantes en
diaire que le caractère récent du modèle de développement termes de génération vis-à-vis du réseau électrique côtier, grâce
local et de décroissance à l’échelle européenne ne permet à une combinaison de turbines éoliennes, de panneaux photo-
pas encore d’envisager. Les rythmes de transition vers le mo- voltaïques, de centrales au biogaz et d’un système de stockage
dèle européen et vers un possible modèle local sont en effet composé de batteries au Lithium-ion et redox dont une partie
décalés dans le temps. est intégrée aux habitations. L’équilibre de l’ensemble est as-
suré par un système de gestion des flux d’énergie directement
L’utilisation croissante des énergies renouvelables ne se
intégré au réseau d’électricité (voir Figure 6).
traduit pas uniquement par l’exploitation de champs éoliens
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Génération décentralisée
Pompes de chaleur
Photovoltaïque
Source : Schütt R. J., Oldekopa M., 2013, Future electrical energy supply for the Isle of Pellworm, International Journal of Smart Grid and Clean Energy Future.
Réalisation : A.Palle
Consommateur simple
Unités de génération centralisées Centre de contrôle et de dispatching demande peu flexible
Production renouvelable
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transport (et de distribution dans ce cas) d’électricité. Elles constitué de câbles HVDC (high voltage direct current : courant
souhaitent voir se développer des réseaux plus locaux et plus direct à haute tension), dont la technologie permet par rapport
indépendants les uns des autres (appuyés notamment sur des aux lignes en courant alternatif traditionnel une diminution des
systèmes de stockage par batterie), plutôt qu’un grand réseau pertes lors du transport sur grande distance ainsi qu’un certain
paneuropéen intégré. Quitte à relier ces réseaux locaux entre contrôle des flux transitant par la ligne (10). Greenpeace a ainsi
eux par la superposition d’un « super réseau » (supergrid) proposé son propre plan d’investissement européen dans les
réseaux de transport d’électricité, en réponse au TYNDP des l’Union européenne, dans un contexte de libéralisation du mar-
gestionnaires de réseaux de transport d’électricité européens. ché (bien que certains restent très liés au fournisseur national
Ce plan est paru pour la première fois en 2009 (Greenpeace, historique). Ceux-ci sont pour l’instant les seuls à posséder l’ex-
2009), sa dernière version, powE[R] 2030, a european grid for pertise, la compétence technique et surtout les données (com-
¾ renewable electricity by 2030, a été publiée en 2014, peu mercialement et stratégiquement sensibles) pour réaliser cette
avant la sortie du TYNDP publié tous les deux ans. Ce modèle planification, qui a lieu, certes, sous le contrôle croissant de
table sur une réduction de la croissance des lignes dans une la Commission et des agences de régulation nationales et eu-
fourchette de 40 % à 59 % (26 000 km de lignes pour le sce- ropéenne. Habitués à une gestion majoritairement technique
nario optimal souhaité), par rapport aux prévisions du TYNDP des réseaux, ces acteurs sont de plus en plus confrontés à une
des gestionnaires de réseaux, tout en atteignant une couverture gestion politique, sous les regards croisés de la Commission, de
des besoins électriques assurée à 77 % par des énergies renou- leurs gouvernements nationaux mais aussi des ONG et associa-
velables. Les besoins en investissement sont estimés à 61 mil- tions de consommateurs et à laquelle ils doivent aujourd’hui
liards d’euros, contre 150 milliards pour le TYNDP. Ce modèle s’adapter. Le modèle d’organisation et de développement des
s’appuie sur une double échelle de référence, locale et euro- infrastructures énergétiques ne peut plus simplement être la
péenne (pour le supergrid construit en courant continu), quand conséquence d’une décision d’ordre technique, prise par le
le modèle des gestionnaires de réseau reste encore largement seul gestionnaire de réseau. C’est un choix qui doit être lié aux
pensé aux échelles nationales (ensuite agrégées pour constituer modes de consommation, à des arbitrages en termes de coût,
le plan européen). d’investissements, de territoires, et qui reflète des évolutions so-
ciales sur le temps long.
Ce modèle d’évolution des réseaux de transport d’électri-
cité européens, appuyé sur les échelles locales et européennes
et visant à un arrêt de la croissance des lignes, est encore ré- Conclusion
cent et reste considéré comme une alternative marginale par Les réseaux de transport d’électricité européens sont en cours
les acteurs traditionnels du réseau (régulateurs, gestionnaires d’adaptation aux évolutions du secteur de l’énergie survenues
de réseaux, producteurs d’électricité (11)). Le succès de cer- durant les vingt dernières années. Prise en compte du renou-
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L’évolution des réseaux de transport d’électricité suit dans les évolutions des réseaux de transport d’électricité, il est si-
ce contexte une dialectique de croissance/décroissance suivant gnificatif que la croissance et l’intégration des réseaux, asso-
l’échelle spatiale et temporelle à laquelle elle est envisagée. La ciées à une idée de contrôle et de gestion centralisés, soient
tendance principale actuellement est à la croissance de ces ré- soutenues par l’Union européenne et portées par les gestion-
seaux de transport. Croissance parce que le raccordement des naires de réseaux, souvent d’anciens monopoles nationaux
nouvelles sources de production renouvelables et l’intégration dont les liens avec les États sont encore forts, tandis que la
des différents réseaux à l’échelle européenne génère un déve- décroissance de ces mêmes réseaux, associée à une idée d’in-
loppement du réseau soutenu par les institutions européennes. dépendance des territoires, est prônée par des ONG ou des
Ce modèle est pourtant remis en question aujourd’hui par cer- acteurs locaux.
tains acteurs, non traditionnellement impliqués dans la gestion
C’est donc la question du choix d’un modèle de dévelop-
des réseaux d’énergie, comme certaines grandes ONG. Ceux-ci
pement qui se pose pour les acteurs des réseaux de transport
prônent une échelle de référence principalement locale et euro-
d’électricité. Modèle européen, local ou hybride. Cette ques-
péenne pour envisager les évolutions du réseau. Cette nouvelle
tion technique et encore peu politisée a pourtant des impacts
échelle de référence amorcerait des dynamiques de décrois-
de long terme sur la gestion de l’approvisionnement en élec-
sance, une plus grande flexibilité du réseau et de nouveaux mo-
tricité et sa sécurité, sur les marchés européens de l’énergie et
des de gestion et de production permettant de plaider pour une
dans certains cas sur les politiques énergétiques des États, dont
réduction du nombre de lignes et à certains espaces de devenir
les réseaux se trouvent être l’un des supports techniques.
autonomes ou indépendants du réseau d’approvisionnement.
Il s’agit là d’une tendance encore en germe, dont le rythme est
moins soutenu que celui de la dynamique de croissance, et qui
Angélique Palle est doctorante en géographie à l’Université Paris 1
s’appuie sur des prototypes de réseaux et d’espaces. Panthéon-Sorbonne – UMR Prodig, sa thèse porte
sur la régionalisation de l’espace énergétique européen, sous la
La planification du développement du réseau se trouve direction du Pr. Yann Richard. Elle travaille sur les thématiques de
complexifiée par la nécessité d’articuler ces deux échelles et transition énergétique en Europe, sur les réseaux d’énergie et la
cette double dynamique, alors même qu’elle doit prendre en géopolitique interne de l’Union européenne.
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Notes
(1) La notion d’efficacité énergétique renvoie principale- aujourd’hui plusieurs initiatives régionales (rassemblant des
ment à des évolutions techniques permettant d’offrir un même pays voisins) au sein de l’Union européenne.
service en consommant moins d’énergie. (5) Les gestionnaires de réseau envisagent quatre scéna-
(2) Un budget de 5,35 milliards € est alloué au Mécanisme rios possibles en fonction du degré d’intégration du marché de
d’interconnexion pour l’Europe dont 650 millions € affectés l’électricité européen et de l’avancement vers les objectifs de
en 2014 aux projets d’intérêt commun, le même montant est transition énergétiques fixés pour 2050 (TYNDP 2014).
prévu pour 2015. (Règlement (UE) n° 1316/2013 du Parlement (6) Il s’agit de transformateurs-déphaseurs qui régulent la
européen et du Conseil du 11 décembre 2013 établissant le puissance électrique parcourant une ligne. Leur coût peut va-
mécanisme pour l’interconnexion en Europe). rier de plusieurs milliers à plusieurs millions d’euros selon l’en-
(3) Ces « network codes » en cours de rédaction doivent vironnement naturel et technique d’installation.
assurer une base règlementaire commune pour le fonctionne- (7) Le Monde, 28/01/2015, 17/11/2013, 09/11/2011,
ment des réseaux de transport d’électricité. 11/11/2011.
(4) Le couplage des marchés vise à l’obtention de prix (8) La notion de monopole naturel renvoie à une situation
convergents au sein d’un même espace par la fluidification dans laquelle des économies d’échelles fortes existent sur un
des échanges et l’application des mêmes normes. Il existe espace pour une activité donnée. C’est par exemple le cas
lorsqu’elle s’appuie sur un réseau dont le coût de création et (10) La technologie HVDC n’est cependant pas encore to-
d’entretien est élevé : il devient alors irrationnel économique- talement développée pour ce type d’usage et il semble dange-
ment d’investir dans plusieurs infrastructures concurrentes. reux de la considérer comme une « solution miracle ».
(9) Ces promoteurs de projets tiers n’ont pas de responsa- (11) Entretiens chez Ofgem, régulateur britannique,
bilité vis-à-vis de la stabilité du réseau et de son entretien mais 20/06/2013.
peuvent proposer ponctuellement des projets de ligne. (12) Au sens d’une « myriade de configurations infrastruc-
turelles émergentes » (Coutard, Rutherford, 2013).
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Entretiens
Coreso (Coreso est une initiative de coopération des gestion- ENTSO-E, Long term network development stakeholder group,
naires de réseau visant à améliorer la sécurité du système, Bruxelles, 01/07/2014.
elle dispose notamment d’une salle de contrôle permettant ENTSO-E, Market Committee, Bruxelles, 14/01/2014.
de surveiller l’état du réseau des pays membres de l’initia- ENTSO-E, Project e-highway2050, Bruxelles, 23/01/2014.
tive), Bruxelles, 02/07/2014.
ENTSO-E, Scenario Outlook and Adequacy Forecast, Bruxelles, Joint research Center – Institute for Energy and Transports,
03/07/2014. Security of supply unit. Journée d’étude et entretiens, Petten
ENTSO-E, Stakeholder workshop (TYNDP), Bruxelles, (Pays-Bas), 21/05/13.
31/03/2014. Office of Gas and Electricity Markets (OFGEM, régulateur an-
glais), Londres, 20/06/13.
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