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CHAPITRE 6

Les mobilités spatiales dans des contextes en évolution :


analyse croisée des deux dynamiques
Françoise DUREAU, Cris BEAUCHEMIN, Marie-Laure COUBÈS et Daniel
DELAUNAY

Ce chapitre réexamine le traitement biographique des mobilités spatiales pour le


replacer dans le cadre d'une analyse dynamique des contextes. La localisation
est décisive pour l'analyse biographique, car elle définit le contexte spatial ou
social qui influence les autres événements de la trajectoire individuelle.
Depuis le début des années 1980, plusieurs auteurs ont souligné
l'importance des facteurs contextuels dans l'explication de la migration
(Bilsborrow et el., 1984 ; Findley, 1987 ; Gardner, 1981 ; Hugo, 1985 ;
Lindstrom, 1996). Les caractéristiques des localités de résidence sont ainsi
supposées jouer un rôle important parmi les déterminants de la migration
dans la mesure où c'est à cette échelle que se jouent la plupart des
interactions sociales et que s'appliquent les opportunités et les contraintes qui
pèsent sur les décisions individuelles ou familiales.
Mais, dans le cadre d'une conception dynamique des biographies,
l'analyse contextuelle devient d'une complexité particulière, car à la
dynamique biographique doit être associée la dynamique des lieux. La notion
d'espace de vie est replacée dans le temps biographique avec un système
individuel de lieux successifs. Pour les migrations, la complexité des
influences contextuelles augmente avec la mobilité de l'individu. Elle est de
surcroît (de même que la décision de migrer) prise entre l'influence des lieux
passés et les anticipations concernant les lieux futurs. À cela, il faut ajouter
que les contextes eux-mêmes changent pour les sédentaires en raison de la
mobilité des autres. Chaque contexte, comme le rappelle Daniel Courgeau
(2003), a évolué à son propre rythme, selon des échelles temporelles presque
toujours différentes de celle des trajectoires individuelles. Si les analyses
contextuelles transversales sont désormais courantes, il faut bien reconnaître
qu'il n'existe pas de véritable analyse contextuelle dynamique.
Le rapprochement analytique des transitions biographiques et de
l'évolution des contextes est une façon de poser, en partant de l'individu, la
question des relations réciproques entre les mobilités et les recompositions
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

territoriales, le peuplement. Les analyses de la mobilité individuelle peuvent être


enrichies par la prise en compte de variables de contexte qui, elles-mêmes,
évoluent dans le temps selon un calendrier qui n'est pas nécessairement le
calendrier biographique. Cependant, on ne saurait se suffire de cette
modélisation de la mobilité comme une variable dépendante à expliquer, car
elle est aussi une variable endogène qui redistribue les populations, change les
conditions et les causes des déplacements. On est donc amené à envisager la
dynamique propre des lieux et donc la transition des contextes, même pour les
sédentaires. Ces considérations ne sont pas nouvelles. Elles ont été
formalisées par l'École de Chicago sous le concept de filtering pour rendre
compte du processus de dégradation des quartiers centraux des villes
américaines en rapport avec les pratiques de mobilité des ménages (Park et al.,
1925). Néanmoins, les interactions entre les deux dynamiques biographiques et
contextuelles qui sont abordées dans les études du filtering ne le sont pas à
partir de la modélisation des trajectoires individuelles.
Ce chapitre propose différentes pistes méthodologiques pour considérer
les changements de contexte dans l'analyse des biographies individuelles.
Après une première section s'interrogeant sur la qualification des lieux et la
définition des transitions contextuelles des individus, mobiles ou sédentaires,
on se placera successivement dans deux perspectives complémentaires,
correspondant aux deux grands types d'utilisation de l'information sur les
lieux habités au cours de la vie de l'individu : le contexte des transitions
individuelles, puis les trajectoires spatiales individuelles (transitions des
contextes individuels). L.:argumentation aura recours aux résultats de deux
séries de travaux témoignant de la diversité des études en cours sur les
mobilités spatiales et les recompositions territoriales : l'une porte sur les
migrations entre localités au Burkina Faso, l'autre sur la mobilité résidentielle
intra-urbaine à Bogota. Elle fera aussi appel à différents types d'analyses et
d'outils statistiques: les modèles multiniveaux et une analyse des trajectoires
qui intègre l'analyse spatiale.

1. TRANSITIONS BIOGRAPHIQUES DES INDIVIDUS, HISTOIRE DES LIEUX

Les enquêtes démographiques ont longtemps considéré les lieux comme des
catégories simples et inertes. Dès que l'on suppose une influence
contextuelle de l'environnement proche des individus, il faut envisager les
lieux comme des catégories complexes et dynamiques. Les échelles spatiales
et temporelles à considérer sont multiples. Pour n'en donner qu'un exemple,
le rattachement à un lieu de résidence à une date donnée peut se concevoir
à partir du logement ou en envisageant tous les lieux de la fréquentation
habituelle des habitants. Cette notion d'espace de vie est tout aussi
concevable au cours d'un suivi longitudinal, comme la succession des lieux
pratiqués par les individus au long de leur existence. La biographie de mobilité
est alors vue comme un système individuel de lieux successifs.

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MOBILITÉS SPATIALES

1.1. Caractère polysémique des lieux

La localisation est une donnée potentielle qui peut néanmoins être vide si elle
ne s'accompagne pas de la description du lieu qui est virtuellement infinie.
Les autres chapitres de l'ouvrage démontrent que les événements définissant
les statuts habituels de l'analyse biographique, comme l'union, la naissance
ou l'activité, sont en réalité très complexes. Cependant, cette complexité
devient extrême lorsqu'il s'agit du lieu.
À l'exception d'analyses proprement morphologiques sur la géométrie
des lieux, le lieu ne prend de sens que par sa qualification. Or les qualifications
possibles sont multiples. Un premier registre de catégorisation des lieux a trait
à la position relative de ceux-ci dans des unités géographiques particulières.
Dans un contexte urbain, seront ainsi déclinées les catégories de centre,
péricentre, périphérie, périurbain. Les lieux peuvent aussi être qualifiés en
fonction de certaines caractéristiques « objectives " : milieu d'habitat
(catégories morphologiques du type rural, petite ville, ville moyenne, grande
ville; ou classes de densités démographiques), présence ou absence de
certaines ressources (équipements, infrastructures, services, emplois,
segments particuliers du parc de logements, etc.) ou encore la composition de
la population (description du peuplement selon des catégories sociales). Les
lieux peuvent, enfin, être décrits selon des qualificatifs subjectifs, propres aux
individus: ces qualificatifs sont liés aux fonctions des lieux pour les individus,
aux relations que les individus entretiennent avec ces lieux et les personnes
qui y habitent. Dans ce registre, on peut évoquer: la présence ou absence de
membres de la famille ou d'amis ou la pratique antérieure du lieu par l'individu
pendant sa jeunesse ou à l'âge adulte.
Les lieux recueillis dans les biographies migratoires et résidentielles
sont d'abord les supports d'une information qui sera introduite lors de
l'analyse: la localisation sert de vecteur (variable intermédiaire) pour accéder
aux caractéristiques du milieu de résidence. Il serait donc contre-productif de
vouloir préétablir des catégories au moment de la collecte. En revanche, une
localisation précise est indispensable pour décrire l'ensemble des lieux (Grab,
1999). Se laisser la possibilité ultérieure d'une délimitation pertinente de
l'espace et le soin apporté au choix des descriptions contextuelles sont deux
considérations qui doivent garantir la description des dynamiques
sociospatiales du peuplement. Le territoire est alors conçu comme un
système de lieux structuré par les pratiques des habitants, notamment leurs
mobilités et leurs systèmes de relations.
Les méthodes d'analyse démographique des biographies se sont
traditionnellement concentrées sur l'événement « changement de
résidence ", en le qualifiant - au mieux - selon un référentiel spatial limité
à sa dimension administrative (migrations intercommunales, inter-
départementales ou internationales). Or, tous les qualificatifs de l'espace
venant d'être évoqués peuvent donner lieu à autant de transitions entre états,
qu'il y ait ou non changement de résidence de l'individu : non réductible au

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ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

franchissement de limite administrative, la mobilité peut être appréhendée


comme un changement de position relative dans un espace décrit dans de
multiples dimensions.
~objectif est d'utiliser tout le potentiel d'une analyse spatiale dans
l'étude d'une biographie de l'individu. ~étude de l'histoire de résidence
correspond non pas à la construction d'une trajectoire, mais de trajectoires de
résidence, selon que la résidence sera qualifiée en fonction de
l'environnement (disponibilité de services publics, etc.), de l'entourage ou de
l'histoire même de l'individu. Les modifications des caractéristiques du lieu où
vit la personne déterminent ainsi autant de « transitions contextuelles »,
lesquelles forment une « trajectoire contextuelle ». La trajectoire spatiale des
individus est le fait, d'une part, de l'espace qui change et, d'autre part, de la
mobilité de l'individu. La comparaison des deux composantes est
particulièrement instructive.

1.2. Des biographies résidentielles individuelles aux transitions contextuelles

Dès que l'on considère l'ensemble de la biographie résidentielle d'un individu,


l'attention doit se porter sur l'histoire des lieux habités. Cela implique que
chaque lieu de l'espace parcouru soit décrit au moment de la présence de
l'individu (et pas seulement au moment de l'enquête) et que son rôle soit
évalué en référence à l'ensemble de la trajectoire spatiale de la personne. La
biographie et le contexte interagissent dans la durée de transitions qui,
néanmoins, possèdent un certain degré d'autonomie. Les contextes sont
susceptibles d'évoluer rapidement, inégalement d'un lieu à l'autre, pas
seulement du fait de la mobilité des individus qui recomposent l'espace, mais
aussi sous l'influence de facteurs structurels. ~individu, quant à lui, n'est pas
seul maître - par ses déplacements - des changements de son
environnement. Les contextes changent « sous ses pieds» sans même qu'il
change de résidence'. Il se peut même que les sédentaires bénéficient
d'évolutions plus favorables que les migrants, ce qui peut sembler paradoxal
au regard de la finalité de certaines mobilités qui expriment le choix en faveur
d'un lieu offrant de meilleures opportunités.

1.2.1. Systèmes d'information des dynamiques sociospatiales

La description du contexte de vie des individus au long de leur trajectoire


biographique suppose de mobiliser et de mettre en relation différentes sources
d'information. ~évolution des lieux est potentiellement complexe, car aux
descriptions classiques de leur géographie (position dans l'espace,
peuplement, ressources) s'ajoutent la pratique qu'en a chaque individu

(1) Ce cas particulier de mobilité est discuté dans le paragraphe 1.3.

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MOBILITÉS SPATIALES

(présence ou absence des parents et fonction des lieux), de même que la


représentation que celui-ci en a, c'est-à-dire l'idée qu'il s'en fait en fonction de
ses propres valeurs personnelles ou sociales, et de l'étape de son cycle de vie.
Les qualificatifs subjectifs des lieux seront issus de l'enquête
biographique elle-même en élargissant le champ des questions sur la
résidence et l'entourage. Seule l'enquête peut permettre de qualifier les lieux
selon les caractéristiques propres aux individus : qualificatifs liés à la
trajectoire résidentielle de l'individu (comme le lieu déjà habité pendant
l'enfance) ou à son entourage (présence ou non de membres de la famille
dans le lieu). Mais l'enquête biographique ne décrit qu'une partie de la
population qui compose l'espace à chaque moment. Sauf à considérer
l'univers de l'enquête biographique comme une population fermée (hypothèse
totalement irréaliste dans le cas d'une enquête portant sur une ville, mais tout
aussi irréaliste pour beaucoup de pays dans le cas d'enquêtes nationales), ce
type d'enquête n'apporte qu'une information biaisée sur le peuplement des
lieux de résidence des individus interrogés. Les caractéristiques « objectives»
des lieux seront donc documentées à partir de l'information secondaire
disponible: recensements, enquêtes nationales, indicateurs statistiques, etc.
Pour pallier le manque d'information secondaire, on peut aussi envisager de
procéder à un recueil d'information particulier: enquêtes communautaires en
milieu rural ou recueils de l'histoire des quartiers en ville.
Mettre en relation les histoires migratoires des individus et les histoires
des lieux dans lesquels ils ont résidé (ou résident encore) constitue un objectif
plus ou moins facile à atteindre selon le type de mobilité analysée et le niveau
d'information disponible. Les trajectoires se déroulant dans des espaces
faisant l'objet de descriptions régulières par la statistique représentent la
situation la plus simple. Ainsi, la documentation des lieux des trajectoires
résidentielles intra-urbaines ne pose généralement pas de problèmes
majeurs. En revanche, pour la migration internationale, la qualification des
lieux soulève des problèmes spécifiques liés à l'hétérogénéité de l'information
selon les pays. Deux exemples, tirés d'études évoquées dans la suite de ce
chapitre, permettront d'illustrer de façon concrète cette mobilisation de
l'information sur les lieux dans des contextes de disponibilité d'information
distincts.
Le premier exemple correspond aux études de la migration entre
localités au Burkina Faso : l'information contextuelle issue des bases de
données existantes a été complétée par des enquêtes communautaires. Pour
étudier l'influence des conditions climatiques sur la migration, l'histoire
pluviométrique des villages concernés sur la période 1970-1998 a été
reconstituée à partir des données pluviométriques mensuelles de l'université
d'East Anglia (New, Hulme and Jones, 2000, p. 204). Ces données
pluviométriques sont disponibles à l'échelle d'un demi-degré de latitude et de
longitude (soit approximativement des carrés de 55 km de côté), de sorte que,
en utilisant un SIG (système d'information géographique), des valeurs ont pu
être imputées à tous les villages cités dans l'enquête biographique (Henry et
al., 2004). Évaluer l'impact des variations de la conjoncture économique sur

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ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

l'émigration urbaine a aussi conduit les auteurs à recourir à plusieurs séries


chronologiques publiées: le PNB par habitant, l'apport calorique par tête, les
indicateurs de capital humain (Beauchemin et Schoumaker, 2004).
L:analyse de l'influence du niveau local de développement sur les
migrations depuis les villages vers les grandes villes du Burkina Faso
impliquait de procéder à un recueil d'information spécifique, l'information
n'étant pas disponible. C'est pourquoi une enquête communautaire
rétrospective conçue pour être reliée à l'enquête biographique individuelle a
été réalisée en 2002 (Schoumaker et Dabiré, 2004). Ces deux volets,
individuel et communautaire, constituent l'enquête Dynamique migratoire,
insertion urbaine et environnement au Burkina Faso (EmiubY. Si l'on
comptabilise l'ensemble des localités habitées dans les cinquante années
précédant l'enquête par les 8 644 individus ayant fait l'objet de l'enquête
biographique, on arrive à 1 703 villes et villages burkinabès. Seules
600 localités ont fait l'objet de l'enquête communautaire. Elles représentent
35 % de toutes les localités citées, mais 90 % des épisodes de résidence en
dehors de Ouagadougou (Schoumaker et Dabiré, 2004). Le questionnaire
communautaire aborde à l'échelle locale tous les domaines qui, d'après la
littérature, peuvent avoir un effet sur la migration : histoire administrative et
démographique, ressources naturelles, services scolaires et sanitaires,
activités économiques, accès au sol, projets ou associations de
développement, etc. Pour tous ces thèmes, une information datée était
recherchée: on sait ainsi en quelle année ont été ouverts l'école primaire ou
le dispensaire, les périodes d'interruption des services sont également
connues. En définitive, on dispose d'histoires de villes et de villages qui
peuvent être mises en relation avec les biographies individuelles afin de
rechercher l'influence des facteurs contextuels, au lieu de résidence, sur les
probabilités d'émigrer vers une autre localité du pays, voire vers l'étranger.
De telles enquêtes communautaires destinées à étudier les
comportements migratoires dans une perspective à la fois biographique et
contextuelle sont rares. Sans doute est-ce dû aux exigences de telles
enquêtes : elles nécessitent d'obtenir de l'information à tout moment, sur
toutes les localités dans lesquelles ont résidé les individus pour lesquels on
dispose de biographies migratoires. Des enquêtes communautaires ne
peuvent pallier les manques d'information secondaire que si les trajectoires
migratoires n'impliquent pas un nombre trop important de lieux. La
diversification des directions de la migration et la complexification des
trajectoires migratoires, caractéristiques de la situation contemporaine,
compliquent incontestablement l'exercice.
Le deuxième exemple, celui de l'étude des mobilités résidentielles intra-
urbaines à Bogota, nous place dans une perspective bien distincte de la

(2)Conjointement réalisée par le Département de démographie de l'université de Montréal,


l'Unité d'enseignement et de recherche en démographie de l'université de Ouagadougou
(UERD) et le Programme majeur en population et développement de Bamako (Cerpod).

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MOBILITÉS SPATIALES

précédente. L.:ensemble des lieux habités par les individus interrogés dans
l'enquête biographique appartient à une même entité géographique (le
district) qui fait l'objet d'une observation régulière par les recensements de
population. En outre, les microdonnées du recensement sont accessibles aux
chercheurs et géoréférencées selon une division fine de la ville, celle des
secteurs de recensement (au nombre de 600 en 1973). Les conditions sont
donc réunies pour une qualification aisée des lieux habités au cours des
trajectoires résidentielles: l'environnement social et urbain des individus peut
être décrit pendant toutes les années de leurs parcours au sein de la ville.
Pour les analyses présentées dans le paragraphe 3, l'information censitaire a
permis d'élaborer des variables témoignant de la composition sociale du
secteur de résidence (en termes de niveau moyen et d'hétérogénéité). Il ne
s'agit que d'un type de description du contexte parmi la multitude de
possibilités offertes par les variables décrivant la population et les logements.
Le recours aux SIG a déjà été mentionné à propos du traitement des
données pluviométriques au Burkina Faso. L.:intégration des données des
recensements dans des SIG est aussi de plus en plus fréquente. Les SIG
ouvrent de façon considérable le champ des utilisations possibles de
l'ensemble des informations: les statistiques géoréférencées (recensements
ou autres) ou les données localisées issues de la collecte biographique
(séries des lieux où l'individu et sa famille ont habité ou habitent). La
localisation, absolue ou en termes de position relative par rapport au centre-
ville ou à des ressources urbaines localisées (emplois, équipements, etc.)
peut être intégrée dans l'analyse. Des unités spatiales plus pertinentes que
les divisions issues de la statistique démographique peuvent être élaborées.
Enfin, les SIG offrent des possibilités de cartographie et d'analyse spatiale,
dont la section 3.1.2 donne un bref aperçu. Dans un SIG, l'enquête
biographique devient véritablement une composante d'un système
d'information des dynamiques sociospatiales.

1.2.2. Défis analytiques

Le contexte varie avec le temps, son influence est dynamique. Elle doit être
mise en correspondance avec les modalités ou les composantes de la
dynamique démographique. Sinon, comment comprendre la nature d'une
transition complexe, comment définir le seuil ou l'importance de tel événement,
comment examiner la stabilité d'un état sans référer à celle du contexte?
Pour l'individu, le changement de résidence ne se résume pas au
passage d'une limite administrative. Tout déménagement implique une
transition de chacune des caractéristiques locales déjà évoquées. La
trajectoire spatiale s'inscrit en termes de succession de lieux qualifiés, la
dynamique individuelle contextuelle étant multidimensionnelle. Elle est
« tracée .. grâce à la biographie résidentielle et décrite par l'observation des
lieux, laquelle puise à diverses sources. Cette complexité contient plusieurs
défis analytiques.

163
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

Quelles mesures sont possibles et pertinentes pour comprendre les


trajectoires résidentielles ? Le marché de l'emploi est probablement
déterminant pour les migrations à longue distance, le marché du logement
pour les mobilités intra-urbaines, la qualité sociale du quartier importe dans
une optique de mobilité ascendante... Opter pour de telles caractéristiques
sera souvent contraint par la disponibilité des données en chaque lieu et
chaque instant.
Ensuite, quel traitement statistique ou analytique s'applique à ces
trajectoires complexes? Quelques pistes élémentaires sont proposées dans
ce travail, d'autres plus élaborées doivent être envisagées. Notre
questionnement focalisé sur la longue durée biographique oblige à privilégier
les indicateurs qui rendent compte de la tendance sur la durée biographique,
tout en témoignant de ses variations à la manière de l'analyse des séries
temporelles. Mais il est aussi nécessaire de chercher à entrer dans le détail
des étapes résidentielles tout en conservant les caractéristiques stables de
l'individu, par une analyse multiniveau notamment. Des méthodes robustes
de classification devraient permettre de dégager des typologies de
trajectoires, à l'aide des cartes de Kohonen utilisées dans le chapitre 8 de
l'ouvrage. Enfin, les ressources de la cartographie (des exemples sont
proposés dans le paragraphe 3) et de l'analyse spatiale doivent être
mobilisées pour comprendre la géographie des trajectoires individuelles,
examiner l'évolution des compositions territoriales, de l'environnement, du
peuplement et du développement régional.

1.3. Transitions contextuelles des sédentaires : une mobilité cc passive »

Dans le cadre général des transitions contextuelles, une attention particulière


doit être portée à celles que connaissent les sédentaires, forme de mobilité
parfois qualifiée de « passive » (Lévy, 2003a). Elle rappelle que la
permanence dans un lieu, souvent associée à la passivité et au refus de
changement, comporte une connotation d'immobilisme rapidement étendue
au contexte. Il est éminemment discutable de négliger les changements qui
affectent les personnes immobiles, également exposées à l'évolution de leur
quartier même sans bouger. Une telle immobilité n'est pas nécessairement
passive si elle résulte d'une préférence pour le lieu actuel de résidence dont
l'évolution apporte plus de satisfaction que d'autres opportunités.
Sans doute parce que les transformations spatiales sont diluées dans
l'espace et le temps, et donc difficilement perceptibles, certaines analyses
inclinent à considérer que l'espace est stable. C'est ignorer bien sûr les
dynamiques territoriales de certains milieux, urbains notamment, dans les
pays où les évolutions démographiques et le développement économique se
produisent à des rythmes soutenus. La plus forte expansion de la ville de
Bogota s'est fait le temps d'une génération: le temps biographique et le temps
de la ville sont à la même échelle. Une vague d'immigration, des inflexions de
la politique urbaine peuvent conduire au sentiment de « déplacement» des

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MOBILITÉS SPATIALES

habitants sédentaires durant la période. Rester dans un quartier en pleine


régénération suppose un capital économique et social. De même, la
dégradation d'un quartier peut devenir inacceptable à ses habitants, même
s'ils ne connaissent pas d'ascension sociale.
Dans les modèles analysant le filtering, les quartiers centraux, qui sont
aussi les plus anciens, sont soumis à une dégradation physique du fait de leur
simple vieillissement. Cette dégradation pousse les ménages les plus aisés à
se déplacer vers les nouveaux quartiers périphériques où ils trouvent des
logements et un environnement correspondant à leurs aspirations. Au
contraire, les ménages les plus pauvres restent dans les quartiers centraux
qui accueillent éventuellement de nouveaux arrivants peu fortunés. Pour
désigner le processus de dégradation à la fois physique et sociale des
quartiers centraux, Park et al. (1925) parlent de filtering down. Par la suite,
cette notion de filtering a été appliquée non plus à l'échelle des quartiers,
mais à celle des logements (Grisgsby, 1963). On parle maintenant de filtering
dès lors qu'un ménage, dont les revenus ou les aspirations résidentielles
restent inchangés, voit son logement et son environnement immédiat changer
de position dans l'échelle de ses préférences (Leven, 1976) ou, plus
généralement, dans la hiérarchie des positions résidentielles (Boume, 1981).
Ce changement peut se produire quand le ménage se relocalise. Le ménage
participe alors à un processus d'active filtering (ou mobilité active selon la
formulation de Lévy, 2003a, p. 43). Il peut également se produire in situ,
comme dans le cas déjà évoqué des ménages qui demeurent dans les
quartiers centraux en voie de dégradation. ~on parle alors de passive filtering
ou, dans le contexte urbain français, de mobilité passive, observée par Lévy
chez les ménages pris dans la nasse des grands ensembles de logements
sociaux construits après-guerre (2003a). Alors que leur quartier se dégrade
physiquement et socialement, ces ménages demeurent sur place tous
simplement parce qu'ils n'ont pas les moyens de changer de résidence
(Chamboredon et Lemaire, 1970). Au contraire, les ménages en voie
d'ascension sociale rejoignent des quartiers et des logements correspondant
mieux à leurs nouvelles aspirations (active filtering ou mobilité active).
Le phénomène ancien n'en est pas moins d'actualité dans les villes du
Sud qui font l'objet d'une politique de requalification des quartiers centraux
dotés d'une valeur historique (Paquette, 2004). La revalorisation qui en résulte
soumet les ménages les plus modestes à une pression immobilière qui les
pousse vers d'autres quartiers moins favorisés, faisant de la place à des
populations plus aisées, selon le processus bien connu de gentrification
(Glass, 1963). En définitive, seuls les ménages initialement résidents
capables de mobiliser un capital social, politique eVou financier sont en
mesure de se maintenir dans un contexte ascendant. ~immobilité est
volontaire, elle n'est pas dégradante. Le contexte filtre la population résidente
à la manière d'un tamis dont la maille se rétrécit. Le processus a touché les
grandes villes d'Amérique latine durant la dernière décennie (Dureau, Lulle et
Parias, 1998 ; Jones et Varley, 1999 ; Hiernaux-Nicolas, 2003 ; Rivière d'Arc,
2003 ; Paquette, 2004), mais il ne se limite pas au milieu urbain. Un

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ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

environnement rural s'urbanise par le développement de fonctions urbaines,


parce qu'il est absorbé par l'expansion d'une métropole, ou encore au
bénéfice d'une soudaine prospérité pétrolière, comme dans le cas du
Casanare, en Colombie. Dans cette région étudiée par Dureau et FI6rez
(2000), le contexte s'est emballé du fait de l'arrivée brutale d'immigrants et
par l'augmentation des ressources des collectivités locales, mais s'est
progressivement dégradé avec l'augmentation de la violence. Ici encore,
l'immobilité résidentielle n'est possible que grâce à une mobilité sociale ou
économique ascendante des habitants.
Ces dynamiques spatiales sont connues, de même que sont bien étudiées
les biographies résidentielles, mais peu d'études les rapprochent. Certaines ont
entrepris une analyse contextuelle de la migration (Delaunay, 1999 ; Bruce et
Wade, 2001 ; Shan, 2001), mais souvent faute de données, l'analyse demeure
transversale eVou agrégée à des unités spatiales. Dans le contexte français,
Lévy (2003b) souligne et prouve l'intérêt d'étudier conjointement les mutations
de l'habitat et l'itinéraire résidentiel des individus. Certes, dans la plupart des cas,
les données manquent, mais aussi les méthodes qui permettraient d'explorer
l'interaction entre les dynamiques biographiques et contextuelles, deux
dynamiques complexes prises dans leur continuité temporelle. Quand l'analyse
biographique de la mobilité résidentielle modélise le risque d'un déménagement,
elle ignore les changements éventuellement vécus par ceux qui ne changent pas
de résidence. L:observation devrait permettre d'identifier les caractéristiques de
ces non-migrants qui s'adaptent à leur contexte selon des stratégies
probablement aussi complexes que celles déployées par des migrants. À vanter
les qualités d'adaptation de l'homme mobile, ne risque-t-on pas d'occulter celles
des sédentaires?
L:attention due aux influences contextuelles est unanimement reconnue
comme nécessaire, mais on mesure mal, faute d'études empiriques, l'ampleur
des mutations de l'environnement des populations. Il est encore trop répandu
de modéliser la mobilité passée au regard de caractéristiques enregistrées au
moment de l'enquête. Lors de la reconstitution des trajectoires des contextes,
on est surpris de constater l'ampleur de leurs changements. À Bogota, même
à l'échelle du temps d'une vie, les indices de composition sociale des quartiers
évoluent de façon radicale sur les vingt années observées, au point de rendre
presque imperceptibles les gains redevables à la mobilité spatiale (section 3).
La constatation d'un développement radical des villages burkinabès en des
villes dotées d'infrastructures et d'opportunités nouvelles est peut-être encore
plus inattendue.

2. CONTEXTE DES TRANSITIONS INDIVIDUELLES

Cette partie porte sur les contextes des transitions individuelles, c'est-à-dire
l'effet des évolutions du contexte sur les trajectoires individuelles: l'enjeu est
de replacer les événements de mobilité des trajectoires individuelles dans le

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MOBILITÉS SPATIALES

faisceau de contraintes meso et macro qui les entourent. Les exemples qui
suivent visent à évaluer en quoi un contexte, et ses évolutions, influe sur la
probabilité de changer de localité au Burkina Faso et en Côte-d'Ivoire.
L.:ampleur des changements traversés par le Burkina Faso, dont témoigne
l'encadré 9, justifie pleinement une analyse contextuelle de la migration. Les
exemples déclinés dans cette section offrent l'opportunité d'évoquer deux
questions soulevées par l'analyse contextuelle des mobilités : l'échelle
temporelle de mesure des variations contextuelles, l'échelle spatiale de
description des contextes.

ENCADRÉ 9. ENQUÊTE DYNAMIQUE MIGRATOIRE, INSERTION URBAINE


ET ENVIRONNEMENT AU BURKINA FASO (CERPOD-UERD, 2002)
Les données communautaires de l'enquête Dynamique migratoire, insertion
urbaine et environnement au Burkina Faso (EMIUB, 2002) permettent
d'illustrer à quel point le milieu rural se transforme rapidement dans le
contexte burkinabè (Beauchemin et al., 2004b ; Schoumaker et Dabiré, 2004 ;
Schoumaker et al., 2006). Le changement est ici mesuré à l'aune de la
diffusion, entre 1960 et 1999, d'activités génératrices de revenus et
d'aménités en tous genres (services publics, infrastructures). Il faut souligner
que les 600 localités de l'enquête ne sont pas strictement représentatives de
tous les villages du pays: les localités a priori affectées par une forte mobilité,
qui sont généralement des grosses localités, sont surreprésentées.
Les écoles primaires, l'emploi salarié agricole ou les infrastructures d'eau
potable (forages notamment) se sont rapidement diffusés au cours de la
période observée. Cette diffusion était engagée avant la révolution sankariste
de 1984, souvent présentée comme l'initiatrice des efforts d'équipement et de
développement du milieu rural au Burkina Faso. Pour autant, les
transformations ont été rapides: il a fallu seulement 20 ans (1979-1999) pour
que la proportion de villages pourvus d'une école primaire passe de moins de
20 à plus de 60 % ; dans le même temps, la proportion des villages pourvus
d'un accès à l'eau potable est passée de moins de 10 à presque 90 %. Depuis
peu, les villages burkinabès accèdent même aux technologies modernes de
l'information et de la communication: les installations cinéma-vidéo ont connu
récemment un essor notable, et l'enquête a permis d'observer l'apparition des
cybercafés dans certains villages. De toute évidence, la diffusion de tels
équipements témoigne d'une transformation profonde du milieu rural, bien
éloignée de l'image convenue du village africain immuable.

Les résultats reposent sur l'application d'une même méthode: l'analyse


des données rétrospectives par des modèles biographiques en temps discret
estimés par régression logistique (Allison, 1995). Pour chacune des analyses,
les biographies individuelles sont découpées en trimestres. Pour chaque
trimestre, les modèles examinent les probabilités que survienne l'une ou

167
ÉTATS FLOUS ET TRA.JECTOIRES COMPLEXES

l'autre des migrations étudiées 3 • Dans tous les modèles, des variables
individuelles et contextuelles ont été introduites. Celles qui ne sont pas fixes
par nature (entre autres le sexe ou le groupe ethnique au niveau individuel;
la région agroclimatique pour les variables de contexte général) varient dans
le temps (le type d'activité, le niveau d'instruction, etc., au niveau individuel et
l'ensemble des variables communautaires relatives aux villages). Les écarts-
types ont été corrigés pour tenir compte de l'effet de grappe de l'échantillon
(cœfficient de Huber-White), et l'on n'a pas introduit par ailleurs de variable
aléatoire pour mesurer d'autres possibles effets de contexte (hétérogénéité
non observée au niveau contextuel)'.

2.1. Échelle temporelle de mesure des variations contextuelles

La mesure des variations contextuelles est complexe à prendre en compte.


Une première difficulté, triviale mais incontournable, réside dans le choix de
l'échelle de temps : avant même de chercher à mesurer l'influence d'un
changement de contexte, encore faut-il préciser par rapport à quoi il y a
changement. Pour illustrer cette question, nous prendrons deux exemples:
l'un porte sur l'impact du changement climatique sur l'émigration rurale au
Burkina Faso, l'autre sur l'impact des variations de la conjoncture économique
sur les migrations entre villes et campagnes au Burkina Faso et en Côte-
d'Ivoire. Ces deux analyses visent à tester l'hypothèse selon laquelle la
dégradation des conditions de la reproduction économique des ménages
favorise les départs en migration.

2.1.1. Impact des changements climatiques sur l'émigration rurale au


Burkina Faso

Dans le cadre d'une étude de l'influence des conditions environnementales


sur les migrations du milieu rural vers d'autres régions du Burkina Faso
(urbaines ou rurales) ou vers l'étranger (Henry et al., 2004), une analyse
biographique mettant en relation les histoires migratoires individuelles avec
l'histoire pluviométrique des villages sur la période 1970-1998 a été mise en
œuvre. L.:objectif était de rechercher l'effet de la sécheresse sur les
migrations5, question cruciale dans le contexte burkinabè marqué à la fois par

(3) La définition de la migration varie selon les analyses menées en fonction des
questionnements et en fonction de la disponibilité des données. On précisera la définition
retenue pour chacune des analyses lorsque celles-ci seront présentées de manière détaillée.
(4) La méthode logistique utilisée suppose les événements d'un trimestre indépendants des

trimestres voisins, ce qui revient à négliger dans l'analyse d'éventuels chocs inobservés qui
pourraient survenir de manière répétée (autrement dit, on ne tient pas compte de la
dépendance au niveau des inobservables).
(5) Dans cette analyse, il y a migration dès lors que "individu change de localité pour plus de

trois mois. On distingue les migrations durables des migrations temporaires de part et
d'autre du seuil temporel de deux ans. La méthode et les résultats sont exposés en détail
dans l'ouvrage de Henry, Schoumaker et Beauchemin paru en 2004.

168
MOBILITÉS SPATIALES

une prédominance de l'agriculture pluviale, un climat particulièrement sévère


et une longue tradition d'émigration (Cordell et al., 1996). La sécheresse a été
appréhendée de manière relative à la fois dans l'espace et dans le temps.
Deux variables ont été retenues :
- l'une, constante dans le temps, rend compte des variations spatiales : elle
indique pour chaque individu la zone climatique dans laquelle il habite
(variable en quatre modalités selon la moyenne annuelle des
précipitations établie sur la période 1960-1998). Cette variable permet de
distinguer les régions structurellement sèches (les plus septentrionales)
des régions mieux arrosées du sud du pays ;
- l'autre est une variable qui varie dans le temps et qui indique, pour chaque
année, si le département de résidence de l'individu s'est trouvé ou non en
situation de déficit pluviométrique. C'est cette dernière variable qui rend
compte, sur le court terme, du changement climatique et qui appelle une
réflexion sur l'échelle temporelle du changement de contexte. Quelle échelle
de temps faut-il considérer pour juger qu'une situation pluviométrique est
déficitaire? Quelle référence adopter pour définir la norme?
Pour mesurer la variation climatique, il a semblé logique de comparer à
tout moment la situation pluviométrique courante avec une tendance inscrite
dans le long terme, supposée rendre compte de la cc norme ». La variable a
donc été conçue comme un rapport entre les précipitations d'une période
courte donnée (numérateur restant à déterminer) et la moyenne annuelle des
précipitations établies sur la période 1960-1998 (dénominateur fixant la
norme). Pour le numérateur, l'année en cours est apparue comme une
période trop courte pour juger de l'impact des variations climatiques sur la
migration. Partant de l'hypothèse (fondée sur des travaux qualitatifs réalisés
au Burkina Faso : Lallemand, 1975) que les individus ont les moyens de
résister un moment à la sécheresse en ayant recours aux réserves agricoles
accumulées dans les greniers (pour 2-3 ans, en temps normal), la variable
pluviométrique a finalement été définie comme le rapport entre la moyenne
pluviométrique des trois années antérieures à l'année en cours et la moyenne
pluviométrique établie sur le long terme (1960-1998). D'autres seuils ont été
testés, mais ils donnaient, en définitive, de moins bons résultats.
Les résultats précisent que l'impact des variations pluviométriques sur
les migrations dépend largement du type de migration considérée (selon la
durée et la destination) et du sexe des migrants6 • De fait, les périodes de
déficit pluviométrique favorisent effectivement l'émigration vers d'autres
régions rurales, mais seulement chez les hommes et ce, pour de courtes
périodes (moins de deux ans). Au contraire, pour les destinations urbaines ou

(6)On présente ici les seuls résultats relatifs aux variables pluviométriques. Le modèle inclut
par ailleurs des variables individuelles (âge, niveau d'éducation, groupe ethnique, type
d'activité) et contextuelles locales (présence d'une route permanente, de terres encore non
défrichées, de techniques agricoles de rétention de l'eau pluviale).

169
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

étrangères, le déficit pluviométrique a un effet inhibiteur: il diminue le risque


de migration des hommes vers l'étranger, dans le court comme dans le long
terme, et celui des femmes d'effectuer une migration de long terme vers les
villes. Cette réduction des risques de migration s'explique sans doute par le
fait que le déficit pluviométrique diminue les ressources économiques des
ménages ruraux qui n'ont donc plus les moyens de financer une migration
coûteuse (Findley, 1994). Au total, on retiendra que les situations de
sécheresse relative n'engendrent donc pas l'abandon des régions
concernées. Les régions structurellement les plus sèches favorisent d'ailleurs
essentiellement des départs provisoires (pour une durée inférieure à deux
ans) et non pas durables. Autrement dit, les hommes et les femmes qui
résident dans la zone la plus sèche du Burkina Faso ont beaucoup plus de
chances de migrer pour une durée inférieure à deux ans que pour une plus
longue durée.

2.1.2. Impact des variations de la conjoncture économique sur l'émigration


urbaine au Burkina Faso et en Côte-d'Ivoire

La question de l'échelle temporelle du changement contextuel s'est


également posée dans le cadre d'une recherche visant l'étude de l'influence
du contexte économique sur les probabilités de migrer entre villes et
campagnes (Beauchemin et al., 2004a). Ce projet comparatif portant à la fois
sur le Burkina Faso et la Côte-d'Ivoire visait à expliquer par le recours à des
données macro-économiques les tendances à la baisse ou à la stagnation de
l'émigration rurale (du rural vers l'urbain) et à la hausse de l'émigration
urbaine (de l'urbain vers le rural) (Beauchemin, 2004)'. L.:influence du contexte
était recherchée à l'échelle nationale. Il s'agissait, entre autres hypothèses, de
tester l'idée selon laquelle la récession économique est un facteur explicatif
de l'essor de l'émigration urbaine.
La variable de contexte utilisée devait prendre la forme d'une série
économique annuelle suffisamment longue pour couvrir plusieurs décennies.
Idéalement, on aurait aimé disposer de variables distinctes pour les milieux
urbains et ruraux, mais de telles variables ne sont pas disponibles. Les
premières analyses ont exploité le PNB par habitant, mais l'apport calorique
par tête (fourni par la FAO) leur a finalement été préféré pour deux raisons.
Premièrement, dans un contexte où les activités informelles représentent une
large part de l'économie réelle du pays et une part essentielle des revenus
des ménages, les variations du PNB par habitant (qui mesure seulement les
résultats de l'économie moderne) rendent très imparfaitement compte des
variations conjoncturelles subies par les individus et les ménages (Becker et

(7) Dans cette analyse, il y a migration dès lors qu'un individu change de localité (à condition

de changer également de sous-préfecture en Côte-d'Ivoire et de département


au Burkina Faso) pour au moins six mois. Pour plus de détails sur la méthode ou
les résultats, voir : Beauchemin et Schoumaker, 2004b. Disponible en ligne :
http://paa2004.princeton.edu/download.asp?submissionld=40503 (lien vérifié le 10/10/2006)

170
MOBILITÉS SPATIALES

Morrison, 1995). Deuxièmement, il s'est avéré que cette variable donnait des
résultats plus significatifs que ceux obtenus avec la variable plus classique du
PNB par habitant. Les bases de données de la FAO disponibles en ligne
n'indiquent pas comment cette variable est construite et il est évident qu'elle
repose sur des artifices statistiques et de nombreuses hypothèses qu'il
conviendrait d'expliciter. Une autre limite de cette variable est que ces
variations peuvent résulter d'effets de composition (évolution des différents
groupes d'âges, du taux d'urbanisation, etc.). Il n'en demeure pas moins
qu'elle apparaît comme un bon indicateur des variations de la conjoncture
économique : sur la période 1960-1990, on retrouve bien les tendances
qu'indique habituellement le PNB par habitant, à cette différence près que les
fluctuations sont moins marquées. En tout état de cause, c'est bien comme
un proxy de la cOlljoncture économique que l'apport calorique par tête est
utilisé dans cette analyse, étant entendu par ailleurs que si l'on voulait
chercher à mesure l'impact des rations alimentaires sur les risques de migrer,
il faudrait disposer de données individuelles et non pas de données agrégées.
Ici, l'apport calorique par tête est pris comme une variable explicative
contextuelle dont les variations informent à l'échelle nationale de l'amélioration,
la récession ou la stagnation des conditions économiques des ménages.
Mais sur quelle échelle de temps cette variation devait-elle être
calculée? De nouveau, l'hypothèse qu'une dégradation accidentelle (sur une
seule année) du niveau de vie a moins d'effet sur les migrations qu'une
dégradation durable qui nécessite la mise en œuvre de stratégies de survie
peut être émise. Plutôt que de choisir arbitrairement le pas de temps à
considérer, plusieurs mesures ont été prises en compte. Pour chaque pays,
une première série de cinq modèles étudie ainsi le risque pour un citadin de
migrer vers le milieu rural. Tous ces modèles incluent deux variables
individuelles (l'âge et le sexe) et une variable contrôlant la période. Ils se
différencient par la variable utilisée pour rendre compte de l'évolution de la
conjoncture économique. Dans le premier modèle, cette variable correspond
au taux annuel de variation de l'apport calorique par individu (année
antérieure versus année courante). Dans le deuxième modèle, elle
correspond à la moyenne des taux de variation des deux années antérieures,
et dans le troisième, à la moyenne des taux des trois années antérieures.
Les résultats révèlent que l'influence des variations du contexte
économique sur l'émigration urbaine varie selon la durée considérée.
L.:hypothèse selon laquelle une dégradation mesurée sur plusieurs années a
davantage d'effet qu'une dégradation immédiate est partiellement vérifiée.
Elle l'est en Côte-d'Ivoire où la réduction de l'apport calorique a un impact
d'autant plus marqué et significatif qu'augmente le nombre d'années prises
en compte dans le calcul. Dans ce cas, l'idée que la récession économique
favorise l'émigration urbaine est vérifiée, même si l'effet multiplicateur est
faible. Les résultats sont beaucoup moins nets pour le Burkina Faso. Étudiant
la migration inverse, celle qui conduit les individus du milieu rural vers les
villes, on constate de nouveau que l'effet varie selon le nombre d'années

171
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

prises en compte. Dans les deux pays, il faut que la situation soit récessive
pendant deux années au minimum en moyenne, pour que l'effet de la
conjoncture se fasse sentir sur les migrations.
La difficulté à mesurer l'influence du changement contextuel sur les
comportements individuels transparaît dans ces deux exemples. Le facteur
temps, incontournable lorsqu'il s'agit de mesurer des transformations, nécessite
parfois d'être introduit dans l'analyse, afin de repérer de potentiels effets de
retard ou d'accumulation. Cette nécessité alourdit sensiblement les analyses
(ici, pour chaque type d'événement migratoire, il a fallu cinq modèles au lieu d'un
seul). En outre, d'autres indicateurs auraient pu être retenus. Le recours à la
moyenne des taux de variation a, entre autres, le défaut de lisser la volatilité
éventuelle des variables économiques. Or, cette volatilité introduit un facteur
d'incertitude qui favorise peut-être lui-même la mobilité, les ménages préférant
diversifier leurs ressources et multiplier les lieux de résidence pour mieux faire
face aux risques. Les mouvements cycliques ou saisonniers sont également
mal pris en compte dans les exemples qui précèdent. En somme, il n'y a pas de
solution idéale pour mesurer l'impact des transformations contextuelles, mais
plutôt un inévitable recours au tâtonnement.
Enfin, à travers ces deux exemples, nous n'avons pas épuisé toutes les
interrogations soulevées par la question de l'échelle de temps retenue pour la
mesure des évolutions contextuelles. Il n'a été considéré que le choix du
temps de réaction après l'événement climatique ou économique. Or, la
grande difficulté des analyses contextuelles dynamiques réside de fait dans la
multiplicité des échelles de temps : le cycle de vie, le cycle saisonnier de
certaines mobilités (biannuel), les cycles migratoires différents (travail,
mariage, etc.), le rythme à moyen terme des prospérités économiques, du
climat. .. Toutes ces temporalités sont imbriquées.

2.2. Échelle spatiale de description de contextes : influence du niveau


local de développement sur les migrations vers les grandes villes du
Burkina Faso

Une deuxième difficulté posée par l'analyse contextuelle des biographies


réside dans l'échelle spatiale de description des contextes. Quel contexte
prendre en considération ? La discussion s'appuiera ici sur une analyse
cherchant à évaluer l'influence du niveau local de développement sur la
probabilité de migrer vers les grandes villes du Burkina Faso (Ouagadougou
et Bobo-Dioulasso) à partir du milieu rural ou des villes secondaires
(Beauchemin et al., 2DD4b). Il s'agit de tester l'idée communément admise
parmi les décideurs politiques du Sud, qui veut que les migrations vers les
grandes villes doivent et peuvent être freinées par des efforts de
développement local aux lieux d'origine des migrants potentiels (Burkina
Faso, 1991 ; United Nation, 1998). Dans les analyses entreprises, le niveau
de développement des localités a été appréhendé à travers la disponibilité
d'activités génératrices de revenus (agricoles ou non), de services
commerciaux, d'équipements publics et d'infrastructures.

172
MOBILITÉS SPATIALES

Les transformations du contexte local sont mesurées en termes de


changement d'état des villages de résidence des individus. Grâce aux
données communautaires rétrospectives recueillies selon la procédure
décrite en 1.2.1, on dispose de variables dichotomiques qui indiquent à tout
moment si un équipement est ou n'est pas disponible dans le village.
L.:analyse tient compte du fait qu'un village peut ne pas avoir d'école à une
date t et bénéficier de cet équipement à la date t+ 1. On est ainsi en mesure,
à tout moment, d'analyser si la disponibilité de différents types d'aménités
favorise ou non l'émigration des individus.
Le fait frappant des résultats est que, pour l'essentiel, l'effet des
différentes composantes du développement rural est contraire à l'effet attendu
par les politiques8 • Parmi les résultats significatifs, on retiendra que la
présence d'emplois agricoles salariés, d'un centre de santé ou d'une route
permanente dans un village augmentent notablement les risques de partir
vers Ouagadougou ou Bobo-Dioulasso, toutes choses égales par ailleurs. Le
cumul des différentes composantes du développement rural tend même à
favoriser l'émigration : ainsi, quand un village possède deux types
d'infrastructure, les chances d'émigrer sont deux fois plus importantes que
lorsqu'il ne dispose d'aucun type d'infrastructure. La présence des quatre
types d'infrastructure considérés dans le modèle (route permanente,
électricité, téléphone, eau potable) fait plus que tripler le risque de migration.
En définitive, seuls les marchés, permanents ou non, ont un effet net de
rétention sur les villageois (Beauchemin et al., 2004b).
S'ils contredisent globalement les attentes politiques, ces résultats ne
sont cependant pas tout à fait surprenants. Ils viennent en effet confirmer les
résultats d'observations issus d'autres méthodes et dans de nouveaux
contextes sur le même thème (Grosse, 1986 ; Rhoda, 1983 ; Rondinelli,
1994). Augmentant les opportunités de déplacement, la présence d'une route
favorise l'émigration (Bilsborrow et al., 1985 ; Lucas, 1997). L.:existence d'un
salariat agricole offre aux familles qui en bénéficient les moyens de financer
un ou des départs en migration (Findley, 1987). Les centres de santé, quant
à eux, assurent une meilleure condition physique aux actifs et permettent
ainsi de libérer de la main-d'œuvre familiale, éventuellement disposée à partir
(Marcoux, 1990). Il est aussi probable que la présence des équipements
sanitaires dans les villages burkinabès soit liée, comme c'est le cas dans la
vallée du fleuve Sénégal, à l'action des associations de migrants (Libercier et
Schneider, 1996). L.:émigration multiplie les réalisations communautaires :
démontrant l'intérêt de la migration, ces équipements entretiennent
l'émigration.

Sont présentés ici les seuls résultats relatifs au milieu rural. Pour plus de détails, voir:
(a)

Beauchemin et Schoumaker, 2004b.

173
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

L:approche en termes d'influence des contextes sur la probabilité d'un


changement d'état ou de survenue d'un événement, renvoie à la question de
la définition du contexte à prendre en considération. L:exemple qui précède
correspond à une situation particulière : les contextes considérés
correspondent exclusivement à des villages. Implicitement, on a donc
supposé que tous les habitants de chaque village ont accès aux équipements,
activités, infrastructures, etc., du village où ils habitent. Comment procéder
dans un contexte urbain? L:accès aux ressources urbaines localisées n'est
jamais assuré de façon homogène sur l'ensemble de la ville pour toutes les
catégories de population. Cet accès dépend de la localisation des ressources
dans l'espace urbain, du système de transport, mais aussi de la mobilité des
différentes catégories de population (Asselin et al., 2005). Dans un tel cadre,
la définition du contexte à prendre en considération est éminemment
complexe : aucune réponse univoque ne peut être apportée et l'on est
nécessairement conduit à moduler les échelles spatiales à adopter pour
mener une analyse contextuelle dynamique.
En outre, le filtre de la résidence unique et permanente, selon lequel la
statistique opère traditionnellement le rattachement des hommes aux lieux,
introduit aussi une simplification abusive, en ville comme à la campagne.
L:individu est en relation, utilise, pratique des lieux correspondant à ses
différentes activités. Les pratiques spatiales des individus sont éminemment
complexes et variables au fil de leur vie. Comment prendre en compte ces
pratiques spatiales complexes, qui évoluent au cours de la vie, et les
caractéristiques des lieux dans lesquels s'inscrivent les comportements
démographiques saisis dans les collectes biographiques? Comment intégrer
cette variabilité des pratiques spatiales dans des modèles visant à analyser
l'influence de l'environnement sur les comportements individuels?
La prise en compte des changements de contexte est complexe et
nécessite un travail préalable de clarification et de définition des concepts.
Cependant, cette complexité renvoie à celle des espaces de vie individuels.
La formalisation des transitions individuelles passe aussi par une
simplification de la réalité complexe de la résidence: à l'échelle biographique
les transitions individuelles ne prennent pas nécessairement en compte tous
les espaces de vie. De la même façon, le contexte peut être pris en compte
par un certain nombre de mesures simples.

3. TRANSITIONS DES CONTEXTES INDIVIDUELS

Les lieux évoluent diversement, entraînant des dynamiques contextuelles


distinctes pour les habitants, qu'ils soient sédentaires ou migrants. Cela ne
semble pas digne d'intérêt sur le court terme puisqu'une même population
résidante partage la même transition du lieu. Mais, à l'échelle biographique,
l'individu vit les choses différemment: le lieu n'évolue pas forcément selon
son attente ou conformément à sa propre trajectoire sociale. L:évolution de

174
MOBILITÉS SPATIALES

son environnement change son appréciation du contexte présent et à venir, elle


intervient dans la décision d'un déménagement, la dynamique du contexte
dessine alors l'expérience de l'individu.Telle est la question qui va dès à présent
être analysé à partir des trajectoires vécues par les habitants de Bogota.
L.:évolution de la ville est d'abord décrite entre les deux recensements de
1973 et 1993, selon une division spatiale fine. L.:analyse est ensuite menée du
point de vue des individus qui fréquentent des espaces différenciés, aux
dynamiques singulières. Leur trajectoire dans la ville, recueillie dans le cadre
d'une enquête biographique réalisée en 1993 (encadré 10), est alors qualifiée
par les caractéristiques des quartiers habités, au gré de leurs mobilités
résidentielles au sein de l'espace de Bogota.

ENCADRÉ 10. RECUEIL DE TRA.IECTOIRES RÉSIDENTIELLES.


ENQUÊTE BOGOTA (CEDE-IRD, 1993)

Les données biographiques ont été recueillies en 1993, dans le cadre d'une
enquête par sondage auprès de 1 031 ménages sélectionnés dans onze
zones d'enquête: sept situées au sein du district de Bogota et quatre dans
les communes de la périphérie métropolitaine. L.:échantillon n'est donc pas
représentatif de l'ensemble de la population de la ville, ni de tous les espaces
habités (Dureau et Fl6rez, 1999). En revanche, ces zones d'enquête
représentent les types de peuplement présents en 1993. Le choix des zones
d'enquête a été effectué selon quatre catégories de critères : position
géographique, composition sociale de la population, forme de production des
logements et dynamique démographique et spatiale en cours. Dans chacune
des onze zones, un échantillon d'une centaine de ménages a été sélectionné
selon un plan de sondage aréolaire, stratifié, à 3 degrés (îlots, logements,
ménages). Dans chaque ménage de l'échantillon, un module biographique a
été appliqué à un adulte de plus de 18 ans sélectionné par un système de
quotas. Ainsi, 1 031 trajectoires résidentielles ont été recueillies: au sein de
Bogota, les étapes résidentielles sont localisées selon la division en secteurs
censitaires (pour plus d'informations, voir l'encadré 5 du chapitre 4).
Concernant les trois zones d'enquête évoquées en 3.1.2, la taille de
l'échantillon est la suivante: 95 biographies à Perseverancia, 83 à El Nogal,
100 à Soacha. Pour les traitements de la section 3.2. ne portant que sur les
générations déjà adultes en 1993 et ayant passé au moins 15 ans à Bogota
(soit 250 trajectoires résidentielles sur les 1 031 recueillies), nous ne
disposons plus que d'un échantillon très réduit sur chacune des zones
d'enquête: 39 à Perseverancia, 26 à El Nogal et 23 à Soacha.

Deux lectures sont ainsi proposées. La première décrit l'évolution socio-


économique du peuplement pour quelques indices synthétiques durant deux
décennies (1973-1993). Cette évolution donne une idée du contexte de l'espace
de vie de certaines populations (3.1.1). Par espace de vie, dans la perspective
dynamique qui est la nôtre, nous entendons l'ensemble des lieux de résidence

175
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

habités au cours de la vie, et non pas l'acception transversale généralement


donnée à ce concept. Cet espace d'une vie est cartographiable pour un groupe
de personnes. Il se compare alors directement aux cartes urbaines de
l'évolution du peuplement ou, plus précisément, de la dynamique contextuelle
liée au peuplement (3.1.2). La seconde lecture (3.2) se place du point de vue
de l'individu dont la trajectoire contextuelle est suivie, qu'elle soit apparemment
subie, s'il est sédentaire, ou active, s'il change de quartier dans la ville.

3.1. Évolutions des contextes urbains et trajectoires résidentielles intra-


urbaines

L.:espace urbain évolue de façon permanente sous l'impulsion de l'action


publique, des investissements privés et de la mobilité des citadins. Il ne s'agit
pas ici de procéder à une description fine de ces dynamiques et des
processus à l'œuvre9 • Il est en revanche instructif de comparer les cartes
censitaires d'évolution de la ville et celles des espaces fréquentés par
certaines populations.
L.:évolution socio-économique du peuplement de la ville entre 1973 et 1993
est décrite pour les 600 secteurs censitaires par un indice appelé CSM (médiane
de la condition sociale des ménages du secteur). Pour chaque ménage, la
condition sociale du ménage correspond au rapport du nombre moyen d'années
d'étude des personnes de plus de 15 ans, au nombre de personnes par pièce.
Sa corrélation prouvée avec le niveau de revenus indique une hiérarchie sociale
(Dureau, Barbary et Lulle, 2004). Le CSM et le taux moyen d'évolution du CSM
sur la période 1973-1993 sont calculés par régression linéaire sur les deux ou
trois observations disponibles ' °. Un deuxième indice, appelé indice
d'hétérogénéité sociale, est aussi calculé pour chacun des secteurs censitaires:
il correspond au rapport des 90· et 10" percentiles de l'indice de condition sociale
des ménages du secteur. Cette mesure classique de la distribution des revenus
rend compte de l'inégalité sociale des ménages du secteur censitaire, une valeur
élevée signalant une forte disparité socio-économique entre le dixième plus
pauvre et le dixième plus riche.

3.1.1. Transitions du contexte urbain: évolution de la composition sociale


des quartiers de Bogota entre 1973 et 1993

La géographie sociale de Bogota (figure 1) oppose en 1973 un nord riche à


un sud pauvre, les classes moyennes se concentrant principalement à l'ouest

(9) Pour une description plus précise des dynamiques de peuplement à Bogota, voir: Dureau

et Lulle, 1999 ; Dureau, Barbary et Lulle, 2004.


(10) Quelques rares secteurs étant de création plus récente, l'estimation porte uniquement

sur les deux derniers recensements de 1985 et 1993. L:usage d'une régression présente
l'avantage de gommer de possibles imperfections ponctuelles de l'inventaire censitaire pour
dégager une tendance générale.

176
MOBILITÉS SPATIALES

F,GURE 1- INDICE DE CONDITION SOCIALE F,GURE 2- VARIATION DE LA CONDITION

DES MÉNAGES EN 1973 SOCIALE DES MËNAGES ENTRE 1973 ET 1993

SOACHA

0<0
00-2,5
_ 2,5-5
_5-10
_ 10 et plus 0<0
(Valeurs ajustées par régression) 00-0,2
_ 0,2 - 0,3
_ 0,3 -0,45
_ 0,45 - 0,6
(Valeurs ajustées par régression)

F,GURE 3 - VARIATION DE L'INDICE


D'HËTËROGËNËITË SOCIALE (P90/P1 0)
ENTRE 1973 ET 1993

N
t=J -4,7 à -0,20 A
El -0,20 à -0,10
o -0,099 il 0,00
o 0,00045 à 0,015
_
_
0,015à0,060
0,061 à 3,00 ° 2 km

177
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

et en partie dans le péricentre sud. Ce modèle sectoriel se combine à une


organisation radioconcentrique, l'extrême périphérie étant surtout habitée par
les ménages les plus pauvres, avec des exceptions à l'ouest qui a connu une
production massive d'habitat collectif pour classes moyennes. Cette
distribution des groupes sociaux est issue d'une période de forte croissance
démographique et d'une expansion spatiale encore plus soutenue des
années 1940 aux années 1970. À partir de la fin des années 1970, l'accès à
la terre devient plus difficile, l'expansion spatiale est freinée par de nouvelles
contraintes: agriculture intensive sous serres à l'ouest, reliefs très pentus au
sud, distances devenues prohibitives dans un contexte de dysfonctionnement
du système de transport.
Le processus ségrégatif des décennies précédentes semble néanmoins
se poursuivre selon le même schéma. L.:évolution de l'indice de condition
sociale de 1973 à 1993 (figure 2) reproduit, de façon globale, le même
schéma: les quartiers les plus favorisés à l'origine bénéficient des acquis les
plus substantiels. Les secteurs du Nord aux compositions sociales les plus
favorisées en 1973 améliorent encore leur situation, tandis que ceux habités
par les familles les plus modestes (c'est le cas en particulier dans la
périphérie sud) continuent de ne recevoir que ce type de population. Une
lecture attentive des figures 1 et 2 indique néanmoins que certains secteurs
échappent à cette règle générale. Il en est ainsi dans certains secteurs
populaires du nord ou du nord-ouest colonisés progressivement par les
classes aisées, ou de la périphérie sud-ouest, où la consolidation des
quartiers et l'arrivée des classes moyennes entraînent une amélioration très
sensible de la composition sociale. Certains quartiers du centre historique,
très dégradés en 1973, font aussi l'objet dans les années 1980 d'opérations
de logement pour classes moyennes.
La figure 3 permet de compléter ce tableau, en offrant une image de
l'évolution de l'hétérogénéité sociale des secteurs censitaires entre 1973 et
1993. En 1973, plusieurs grandes zones à l'hétérogénéité bien différenciée se
dessinent: le péricentre nord à la composition sociale homogène, habité de
façon relativement exclusive par les familles aisées; les péricentres ouest et
sud à l'hétérogénéité moyenne correspondant aux secteurs de composition
sociale moyenne de la figure 1 ; des zones à l'hétérogénéité forte sur une
bande située le long des reliefs orientaux depuis le péricentre nord jusqu'à
l'extrémité sud de la ville et à l'extrême nord et nord-ouest de la ville. Ces
secteurs du nord et nord-ouest, en cours d'urbanisation en 1973, voient
s'installer ensuite des ménages de niveau social très divers. Au nord-ouest,
se multiplient simultanément les lotissements clandestins et les ensembles
résidentiels de standing, tandis que des ensembles résidentiels occupent au
nord les terrains laissés vacants par l'urbanisation, plus ancienne, par les
classes populaires.
Les secteurs socialement plus contrastés en 1973 correspondent en
grande partie aux quartiers encore peu denses à l'époque, où le processus
d'urbanisation est encore actif. À l'inverse, les situations d'homogénéité
sociale s'observent dans les secteurs plus anciennement urbanisés et plus
denses. Cela semble indiquer une évolution vers un nivellement des

178
MOBILITÉS SPATIALES

disparités ou, probablement, un changement d'échelle de la ségrégation. Des


contrastes plus fins s'ajoutent à la géographie par grandes zones héritées de
la période de formation de la ville. Les parties neuves périphériques
deviennent plus hétérogènes au fur et à mesure d'une compétition accrue
dans l'accès à la terre. Des espaces anciennement urbanisés laissent
s'immiscer une différenciation sociale en filigrane. Alors que la ville se
densifie, le processus ségrégatif se complexifie, avec des situations inédites
de coprésence de groupes sociaux bien distincts dans certaines zones de la
ville (Dureau, Barbary et Lulle, 2004).
L.:évolution de l'hétérogénéité sociale des secteurs entre 1973 et 1993
se manifeste selon une configuration spatiale assez nette (figure 3). Les
secteurs du péricentre nord, préférés par les classes aisées, perdent un peu
de leur homogénéité. À l'inverse, les fortes inégalités du nord et du nord-ouest
s'atténuent et semblent se reporter plus au nord. Le peuplement de cette
zone, où cohabitaient les « pionniers aisés » attirés par la qualité de
l'environnement aux alentours d'un noyau villageois et les habitants de
quartiers illégaux, cède le pas progressivement à la construction massive de
logements pour classes moyennes à la consolidation des quartiers illégaux.
L.:ensemble de ces évolutions contribue ainsi à une homogénéisation relative
de la zone. Le long des reliefs orientaux, les secteurs hétérogènes en 1973
connaissent des évolutions diverses. Les quartiers du péricentre nord
s'homogénéisent de façon intense avec la construction massive d'immeubles
pour classes aisées qui chasse progressivement les familles les moins
fortunées. Quelques secteurs illustrent parfaitement les différentes étapes
d'un processus de gentritication. D'autres quartiers, dans la zone d'enquête
Perseverancia, conservent leur forte hétérogénéité: des classes moyennes et
aisées continuent à cohabiter dans les Torres dei Parque construites au début
des années 1980, et les familles populaires se maintiennent dans le quartier
ouvrier de la Perseverancia. À l'extrême sud-est de la ville, on retrouve
l'évolution évoquée au nord, dans le sens d'une homogénéisation sociale du
peuplement.
La présente description est trop allusive pour une ville de la complexité
de Bogota, mais ces cartes fournissent néanmoins un exemple d'évolution
contextuelle, celle de la composition sociale des quartiers. Les changements
sont aussi considérables que les inégalités héritées de l'histoire de la ville en
cette période de fortes croissances spatiale et démographique. Par les
mobilités qu'ils stimulent, les contextes varient en valeur moyenne et en
composition interne selon la densité et l'ancienneté des quartiers. La diversité
des dynamiques contextuelles touche inégalement les résidents, question qui
sera abordée maintenant.

3.1.2. Trajectoires des contextes et trajectoires des individus : une


approche cartographique

Ces espaces intra-urbains changeants sont parcourus par des individus qui
les choisissent au cours de leur vie. Leurs caractéristiques, sociales

179
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

notamment, interviennent dans ces choix résidentiels en même temps


qu'elles modifient les lieux habités.
Les parcours des habitants suivent des logiques de localisation révélées
par les cartes de densité résidentielle déduites de l'enquête biographique qui
donne la date et le lieu de chaque séjour résidentiel. Les trajectoires
résidentielles recueillies en 1993 auprès des habitants d'un quartier donné
(encadré 10) peuvent donner lieu à une représentation cartographique de
l'espace vécu à Bogota en termes de densité résidentielle dynamique.
L.:information biographique se prête au calcul du nombre d'années/personnes
vécues dans chacun des 600 secteurs censitaires de la ville pour le groupe de
population considéré. Une première façon, globale, de comparer la
transformation des contextes urbains et les transitions résidentielles des
individus est de confronter les cartes des compositions sociales (figures 1 à 3)
aux cartographies des espaces parcourus par certains groupes (figures 4 à 6).
À titre d'illustration, trois groupes d'individus ont été choisis en fonction
de leur zone de résidence au moment de l'enquête. Perseverancia, situé juste
au nord du centre historique, est composé de trois quartiers : le quartier
ouvrier de la Perseverancia construit dans les années 1950 pour loger les
ouvriers d'une brasserie industrielle dans de petits logements avec
maintenant une forte composante locative ; La Macarena, composé de
quelques maisons bourgeoises des années 1940 toujours habitées par des
populations aisées ; Las Torres dei Parque, des immeubles d'appartements
occupés par des classes moyennes « intellectuelles », attirées par la
proximité du centre, des universités, de l'offre culturelle. El Nogal, quartier
typique du péricentre nord, correspond au territoire des familles aisées de
Bogota. La première urbanisation date des années 1940, sous forme de
grandes maisons dont certains de leurs occupants, retraités, sont toujours en
place. À partir des années 1980, on assiste au remplacement de ces maisons
par des immeubles de haut standing. Quant à Soacha, il s'agit d'un quartier
situé à l'extrême sud-ouest de l'espace métropolitain, au-delà de la limite du
District. Dans ce territoire traditionnel des quartiers populaires illégaux
(lotissements clandestins sur les parties planes inondables, invasions sur les
reliefs du sud), des ensembles résidentiels fermés pour classes moyennes
(conjuntos cerrados) voient le jour à partir de la fin des années 1980.
Ces quartiers sont exemplaires de l'espace métropolitain, de
l'ancienneté de l'urbanisation, de la composition sociale du peuplement et des
transformations entre 1973 et 1993. L.:analyse simultanée des cartes décrivant
la composition sociale des secteurs et les parcours individuels autorise une
première approche des relations entre trajectoires des contextes et
trajectoires des individus.
Commençons par les habitants de Perseverancia, aux parcours
résidentiels peu dispersés (figure 4). Les quelques habitants ayant résidé
ailleurs sont restés au nord du centre historique, jamais au sud, confirmant le
clivage péricentre nord / péricentre sud déjà mis en évidence dans d'autres
analyses (Dureau, Barbary et Lulle, 2004). Ce « confinement » au quartier ne
signifie pas pour autant une immobilité résidentielle: le nomadisme entre des

180
MOBILITÉS SPATIALES

F,GURE 5 - ESPACES HABITÉS


PAR LES INDIVIDUS ENOUÉTÉS
A EL NOGAL EN 1993

F,GURE 6 - ESPACES HABITÉS


PAR LES INDIVIDUS ENOUÉTÉS
A SOACHA EN 1993

N
A

L2km

181
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

logements en location du quartier ouvrier y est la règle. Ceci montre la force


de rétention de la Perseverancia (Dureau, 2002) qui à son tour n'est pas un
quartier figé. Les transformations y ont été bien plus nombreuses que dans le
centre historique : construction de maisons bourgeoises au bénéfice de
familles aisées quittant le centre à partir des années 1940, création du
lotissement ouvrier, construction des Torres dei Parque. Tout au long de son
histoire, cette zone a connu des interventions urbanistiques fortes.
Globalement, les trois quartiers de la Perseverancia connaissent une
amélioration de leur composition sociale entre 1973 et 1993 ; l'hétérogénéité
sociale tend à s'atténuer, mais elle reste forte au sein des secteurs comme
entre secteurs voisins (figure 3).
Avec la zone du Nogal, le schéma précédent d'un quartier habité par ses
habitants historiques change. Le peuplement y est plus récent. Les habitants
de 1993 ont connu des trajectoires résidentielles spatialement plus
diversifiées, incluant des séjours dans des localisations nettement plus
méridionales (avant 1973) ou plus septentrionales ou nord-occidentales
(entre 1973 et 1993) (figure 5). La majorité d'entre eux ont fréquenté des
quartiers de niveau social élevé. Leur mobilité géographique s'est toujours
accompagnée d'un maintien de la qualité sociale de leur contexte. Leur
espace résidentiel biographique est représentatif du mouvement continu des
classes aisées vers le nord depuis les années 1940. Contrairement à La
Perseverancia où l'immobilité géographique s'articulait à une évolution
sociale du contexte résidentiel, la zone du Nogal évolue par des mobilités
spatiales sélectives qui renforcent son caractère bourgeois.
Enfin, la zone de Soacha offre l'exemple d'une zone périphérique de
peuplement récent (pour l'essentiel à partir du milieu des années 1980). Les
parcours résidentiels se sont surtout déroulés à l'extérieur de la commune
(figure 6). On retrouve les étapes d'expansion de 80gota : avant 1973, les
étapes sont concentrées dans le péricentre sud, entre 1973 et 1993, les
étapes résidentielles se diffusent le long d'un axe qui part du péricentre sud
jusqu'à Soacha. Les trajectoires observées par l'échantillon se sont pour
l'essentiel déroulées dans des quartiers sud, socialement modestes, voire
pauvres pour les étapes les plus périphériques et récentes, et assez
homogènes socialement. Les étapes les plus périphériques des parcours
résidentiels sont l'occasion de mixités sociales plus contrastées, bien que
souvent temporaires, dans des quartiers en début d'urbanisation ou en cours
de peuplement. Des inégalités sociales plus durables s'observent là où
s'installe massivement une population socialement décalée par rapport au
secteur traditionnel d'habitat populaire, comme c'est le cas dans les conjuntos
cerrados pour classes moyennes qui voient le jour à Soacha en fin de période.
Ces trois exemples rappellent qu'immobilité résidentielle ne signifie pas
nécessairement stagnation des caractéristiques du peuplement. Au-delà de cette
remarque, émerge l'hypothèse plus intéressante que la sédentarité résidentielle
dans une ville en forte mutation offre l'opportunité de certains changements que
ne permettrait pas la mobilité. Rappelons d'abord qu'un individu souhaitant
changer de logement est limité par ses ressources qui réduisent l'espace qui lui

182
MOBILITÉS SPATIALES

est financièrement accessible (avec souvent des contraintes de proximité


familiale). Il peut éventuellement s'installer, pour des raisons particulières, dans un
quartier qu'il juge déclassé par rapport à sa propre condition sociale: ce fut le cas
des « pionniers aisés » qui s'installent dans le centre ou le péricentre à partir des
années 1980. Le marché immobilier créant de fortes discriminations, le
déménagement en direction d'un quartier socialement supérieur demeure
exceptionnel. En revanche, les résidents sédentaires peuvent bénéficier sans
investissement personnel des transformations de leur contexte social: c'est le cas
des habitants du centre et surtout du péricentre de Sogota. La problématique de
la mobilité résidentielle s'élabore alors a contrario : quelles stratégies ces
résidents qui anticipent une évolution favorable développent-ils pour rester dans
leur logement? Comment participent-ils, en les redéfinissant, aux projets des
urbanistes et des promoteurs générant ces changements de composition sociale
de leur quartier? Ce questionnement a une portée générale, mais il revêt une
acuité toute particulière dans le Sogota des deux décennies étudiées, riches de
transformations très intenses.

3.2. Trajectoires contextuelles individuelles

La perspective métropolitaine menée précédemment offre une lecture


d'ensemble des parcours individuels, mais les interprétations sont avancées
sans validation statistique. Surtout, elle pose le problème de rester au niveau
macro et non pas individuel. Pour affirmer que les classes aisées se
maintiennent dans un contexte favorable, sans mobilité par exemple, il
convient de se placer du point de vue des individus et d'évaluer, pour chacun,
l'évolution de son environnement, en l'occurrence le secteur où il réside.
Précédemment, il a été démontré comment l'évolution sociale des secteurs
pouvait être décrite par l'indice de condition sociale et celui d'hétérogénéité
sociale, pour chaque année entre 1973 et 1993. Les résidences successives
des individus au sein de Bogota, également observées année par année, sont
aussi localisées selon cette division en secteurs. Il est donc possible de
rapprocher ces deux informations et mesurer ainsi les trajectoires
contextuelles des individus, même pendant les séjours stables (sans
déplacements géographiques).
Concrètement, il en résulte que dans cette analyse biographique le
séjour résidentiel n'est plus défini par une date de début et de fin, et est
considéré comme stable pendant cet intervalle.' Les changements du contexte
sont intégrés dans l'histoire résidentielle de la personne, dont la situation
contextuelle n'est plus conditionnée par la seule mobilité spatiale. Un
sédentaire peut connaître une trajectoire ascendante de son environnement
social, éventuellement plus positive que celle du migrant contraint de choisir
un environnement déprécié pour accéder à la propriété.
La figure 7 illustre ce raisonnement pour quatre individus voisins en
1993, en reprenant les deux mesures du niveau social du quartier de
résidence présentées dans le paragraphe 3.1 : l'indice de condition sociale

183
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

(CSM médian) et l'indice d'hétérogénéité sociale (rapport des 90" et 10" percentiles
du CSM) pour décrire le quartier de résidence de chaque individu tout au long
de sa biographie. À chaque date, la valeur de l'indice est celle du secteur
censitaire où habitait alors la personne. La trajectoire contextuelle de l'individu
(b) correspond ainsi à un individu dont l'environnement social, déjà favorable
en début de période, s'est en moyenne amélioré sur la vingtaine d'années
couvertes par le graphique, mais sans changements en termes
d'hétérogénéité sociale, toujours faible. Trajectoire donc bien distincte de celle
de l'individu (d) qui a connu simultanément une nette amélioration et une très
forte homogénéisation de son environnement social.

FIGURE 7. EXEMPLES DE PROFILS INDIVIDUELS DE TRAJECTOIRES CONTEXTUELLES

20
(a) (b)
15

,- --- -- -- ---
~
10
," "
5

o
----
----
20
(c) (d)
15

10

~
-- -- ---- -- -- -- -- ---
---
5

o ----
1975 1980 1985 1990 1995 1975 1980 1985 1990 1995

- - - - - Condition sociale moyenne du secteur


- - - Rapport du 90e percentile avec le 10e percentile

Source: enquêtes Mobilité spatiale à Bogota (1993).

À ce stade exploratoire, sont proposés des choix de traitements, qui


pourraient être revus et approfondis. Il a semblé préférable de se limiter à des
trajectoires complètes pour couvrir la période 1973-1993. Ceci suppose de
s'appuyer sur les générations anciennes (nées avant 1955) et de ne garder
que les séjours quasiment complets (plus de 15 ans) dans la capitale durant la
période. Par cette sélection, l'analyse s'applique à une petite portion des
individus enquêtés (250 sur les 1 031 biographies recueillies) ; l'argumentation
sur les trajectoires contextuelles individuelles y gagne en clarté, mais perd en
représentativité. Un éventail assez large de traitements statistiques se
présente. Le plus simple consiste à calculer des paramètres résumant chaque
trajectoire contextuelle qualifiée par un des deux indicateurs de
l'environnement social évoqués, pour la décrire en fonction des autres
caractéristiques de l'individu (principalement sexe, éducation et intensité de la
migration), ainsi que la zone de résidence en 1993 (zone d'enquête).

184
MOBILITÉS SPATIALES

La comparaison des deux indices considérés, indice de condition sociale et


indice d'hétérogénéité sociale, avec le nombre moyen de personnes par pièce est
instructive. Nous ne nous attarderons pas sur les similitudes liées aux modes de
construction des indices: le nombre moyen de personnes par pièce intervient au
dénominateur du calcul du CSM des ménages. En revanche, un point notable de
cette comparaison est que les individus qui vivent moins entassés dans leur
logement bénéficient également d'un environnement social plus homogène
(corrélation de 0,67). Autrement dit, le confort du logement s'accompagnerait d'un
« confort social », avec moins de tensions entre les extrêmes de l'échelle sociale.
Cela est un peu moins vrai pour le niveau social moyen du quartier (corrélation de
- 0,52). Ces ressemblances entre les trajectoires contextuelles des individus
paraissent à première vue traduire les ressemblances entre les quartiers,
évoquées en 3.1.1. En termes statistiques, il est parfaitement légitime de le
penser, si les individus se distribuaient au hasard dans l'espace intra-urbain. Dans
ce cas, leurs trajectoires contextuelles refléteraient, à un facteur aléatoire près, la
géographie de la ville. Or, la même comparaison pour les quartiers de la ville, et
non plus pour les trajectoires individuelles, donne une faible corrélation (0,25)
entre l'indice d'hétérogénéité et le nombre moyen de personnes par pièce. Avec
précaution", cet écart entre la trajectoire contextuelle individuelle et la
composition des secteurs urbains peut s'interpréter comme le résultat des
préférences de l'individu : l'exemple examiné montrerait ainsi que les habitants
seraient soucieux, à confort égal du logement, d'habiter dans un quartier
homogène, c'est-à-dire avec un environnement social qui leur ressemble.

3.2.1. Trajectoires contextuelles différenciées selon les caractéristiques


des individus

Les individus qui bénéficient de la meilleure amélioration de leur


environnement social sont les femmes, les veufs et les célibataires par rapport
aux personnes en union (dans la moyenne générale). Les séparations
pénalisent nettement les individus en termes d'évolution sociale de leur
environnement (figure 8a). L.:éducation est fortement discriminante, les études
favorisant nettement une amélioration du contexte social du quartier de
résidence. Les différences de genre se creusent pour ce qui est de l'évolution
de l'hétérogénéité sociale de l'environnement (figure 8b). Les femmes, les
veufs et les célibataires traversent les deux décennies sans voir les contrastes
sociaux de leur quartier s'atténuer de manière importante. En revanche, les
personnes en union et celles avec une formation universitaire se dirigent ou
peuvent se maintenir dans des quartiers socialement plus homogènes.

(11) Les corrélations des valeurs agrégées par unités spatiales ne sont pas interprétables
sans s'assurer de la perturbation des valeurs extrêmes, assez nombreuses, et de l'influence
de la taille démographique de l'unité spatiale. Celle-ci tend à introduire une forte
hétéroscédasticité, laquelle fragilise le calcul des covariances. De plus, les 250 personnes
dont on suit la trajectoire contextuelle représentent imparfaitement la population bogotaine.

185
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

FIGURE 8. TRAJECTOIRES CONTEXTUELLES INDIVIDUELLES SELON LE SEXE,


LA SITUATION MATRIMONIALE ET LE NIVEAU D'ÉDUCATION: (a) VARIATIONS DE
L.:INDICE DE CONDITION SOCIALE ET (b) DE L.:INDICE D'HÉTÉROGÉNÉITÉ SOCIALE

(a) Universitaire
complet

0,40
Autre
Universitaire
incomplet

0,35
Secondaire
complet

Veuf(ve)
Secondaire
0,30 Célibataire incomplet
Femme
Union libre
ou marié(e)

Homme
0,25
Sans éducation
Divorcé(e)
Séparé(e)
Primaire complet
Primaire incomplet
O20
, '-----------,------------,-----------,-----
Sexe État civil Niveau scolaire

Célibataire
0,02

(b)
0,00
Secondaire
complet
Veuf(ve)

-0,02 Autre
Femme Divorcé(e)
Séparé(e) Secondaire
Incomplet
Primaire
complet
-0,04 l - - - - - - - j - - - - - - - - t - - - - - - - - + - - - - -
Sans Primaire
éducation incomplet
Union libre Universitaire
ou marié(e) incomplet
-0,06
Homme

Universitaire
complet
-0,08

Sexe État civil Scolarité

Source: enquêtes Mobilité spatiale à 80gota (1993).

Parce que leurs habitants y ont passé une bonne partie des deux
décennies précédant l'enquête de 1993, on doit s'attendre à ce que les zones
d'enquête, précisément choisies pour illustrer la diversité des quartiers de
Bogota, expliquent l'essentiel des variations du niveau social des espaces

186
C) MOBILITÉS SPATIALES

o fréquentés par les groupes d'individus interrogés dans chacune des zones :
effectivement presque les deux tiers de la variance du niveau social du contexte
de résidence des individus sont attribuables aux différences entre les zones de

o résidence en 1993. La figure 9a met en évidence la différence des variations de


la condition sociale des contextes pour les habitants de dix quartiers enquêtés
en 1993. Les écarts sont considérables: les habitants de El Nogal (et de Chia
dans une moindre mesure) ont bénéficié d'un environnement social en forte
o croissance (0,65 et 0,53 point par an), alors que pour ceux de Soacha la
croissance n'est que de 0,07 point. Les habitants des périphéries populaires,
Soacha et surtout Bosa, voient leur environnement social stagné.

3.2.2. Mobilité résidentielle et trajectoires contextuelles individuelles :


des relations complexes

La mobilité résidentielle contribue-t-elle aux dynamiques contextuelles des

o individus? La question se pose naturellement: un changement de lieu peut


être motivé par la recherche d'un meilleur environnement, parce qu'un
ménage ou un individu anticipe une évolution de son quartier peu conforme à
celle de sa condition sociale. En même temps, le candidat à l'acquisition d'un
o logement risque d'être amené à accepter un quartier qu'il considère comme
moins bien habité, pour bénéficier d'un bonus sur le marché immobilier. A
contrario, un sédentaire peut profiter de l'embourgeoisement de son quartier,
o y contribuer par son ascension sociale. À ces relations complexes, ajoutons
que la qualité du voisinage n'est pas la seule motivation à un déménagement.
Quel sens à la relation trouve-t-on dans les chiffres ? Pour les
o trajectoires contextuelles examinées, observe-t-on de meilleurs résultats chez
les personnes les plus mobiles? La figure 9b compare les « performances»
des itinéraires des sédentaires et des individus qui ont effectué 1, 2, 3,
o 4, 5 déménagements ou plus, et ce, pour les deux indices de variation des
contextes considérés auparavant. La tendance à une sensible réduction des
progrès en termes de composition sociale du quartier de résidence pour les
personnes les plus mobiles n'est pas exactement régulière. Elle est
statistiquement vraisemblable, mais trop faible pour écarter l'hypothèse d'une
valeur nulle. La même conclusion vaut pour le niveau moyen estimé des
contextes parcourus (la valeur en 1985, non présentée sur le graphique).
Enfin, de façon globale, les résidents les plus mobiles habitent des quartiers
socialement plus hétérogènes (l'indice d'hétérogénéité sociale augmente

o sensiblement avec la mobilité).


Si on garde en mémoire les cartes de l'évolution de ces indices dans les
quartiers de Bogota (figures 1 à 3), on conçoit bien que ce n'est pas tant

o l'intensité de la mobilité résidentielle que les caractéristiques spatiales des


déménagements qui importent. Or, celles-ci varient de manière importante
selon les zones d'enquête (figures 4 à 6). Les paramètres de la régression

o linéaire entre la mobilité spatiale et le contexte social changent donc d'une


zone d'enquête à l'autre, mais ils sont rarement significatifs du fait du nombre
réduit d'observations (figure 9a). Pour les habitants des quartiers centraux

('\
187
ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

FIGURE 9. TRAJECTOIRES CONTEXTUELLES INDIVIDUELLES· SELON


(a) LA ZONE D'ENQUÊTE (LIEU DE RÉSIDENCE EN 1993) ET (b) L.:INTENSITÉ
DE LA MOBILITÉ RÉSIDENTIELLE

La Perseverancia

La Candelaria

El Nogal

Normandia

Gustavo Restrepo
1 :tll--_~t--------+I
I :----l

San Cristobal '-'-__


rT '._1---+1 11

. - - - 1l,

!
\~i ,
1 1

Bosa

Chia
1 1

~
Madrid

Soacha

(a)
-0,2 0,0 0,2 ,4 0,6 0,8
Variation de la condition sociale moyenne
(valeurs extrêmes exclues)

Sédentaire
Changements
de résidence :
......................................... ,. . ....
..... .. , ,.,., , .

2 ............•.....................................................................•..

3·····.· ,., , ,' . . ...•..


4' .......•......................................•.............

5 et + ' " .......................•..

-0,1 0,0 0,1 0,2 0,3


• Variation de la condition sociale moyenne
(b) • Variation de l'indice P90/P10 d'hétérogénéité

• Dans les deux figures, il s'agit de la pente de la régression linéaire des mesures
individuelles des contextes.
Source: enquêtes Mobilité spatiale à Bogota (1993).

188
o MOBILITÉS SPATIALES

o comme Perseverancia, les cartes de l'espace parcouru montrent que leurs


trajectoires résidentielles se sont limitées à un espace concentré, socialement
peu différencié : la mobilité spatiale n'a donc pas d'influence décisive sur

o l'évolution de leur contexte. L.:espace de mobilité résidentielle des habitants


d'El Nogal est plus étendu et l'impact de la mobilité plus significatif, mais
négatif. En effet, ce quartier bénéficie d'une des croissances les plus fortes de
la condition sociale des ménages: les sédentaires d'El Nogal sont nettement
o privilégiés par rapport aux habitants ayant effectué une mobilité résidentielle.
Le même questionnement peut s'inverser dans la perspective
dynamique qui est la nôtre. Une amélioration importante de l'environnement
e social du quartier favorise-t-elle alors la sédentarité ou la mobilité? L.:analyse
biographique des modèles de durée s'y prête en examinant, dans une
régression semi-paramétrique de Cox, la covariation de la durée de séjour et
o de la variation du contexte social. La variation de l'indice CSM est alors posée
en variable indépendante de la durée du séjour ou du risque de migrer.
Précédemment, seules les générations adultes en 1973 et présentes à
Bogota pendant au moins quinze ans avaient été retenues. L.:ensemble de
l'échantillon biographique est maintenant considéré, c'est-à-dire qu'il intègre
tous les séjours résidentiels dans la zone métropolitaine. Selon l'expression
élémentaire du modèle, un changement d'une unité de la variation de l'indice
de condition sociale des ménages (ce qui est trois fois la valeur moyenne !)
augmente de 30 % le risque d'un déménagement. Cette conclusion
(statistiquement incertaine) va dans le sens inverse de celle établie
précédemment à propos de l'effet de la mobilité spatiale sur les trajectoires
contextuelles moyennes. Mais cette contradiction s'estompe quand on teste la
régression sur les seules générations anciennes : une association négative
entre la mobilité spatiale et l'évolution sociale de la trajectoire contextuelle est
alors retrouvée.
D'autres méthodes que celle qui vient d'être exposée pourraient être
envisagées. Une première option consisterait à qualifier les séjours
résidentiels relevés par l'enquête biographique par une mesure de l'évolution
du lieu. Le traitement se fait à l'aide de modèles de durée, pour voir si les
déménagements sont précipités par des évolutions défavorables du contexte
(pas seulement sa qualité moyenne). L.:hypothèse d'un effet favorable de la

o gentrification sur l'ancrage des populations serait ainsi vérifiable. Cette


solution serait sans doute préférable à celle exposée ici, dans la mesure où
elle échappe à la nécessité d'une sélection de trajectoires longues dans
l'espace intra-urbain. La structure hiérarchique de l'information (les années de
la trajectoire individuelle) suggère aussi d'entreprendre une analyse
multiniveau, capable de modéliser autant les tendances temporelles que les
caractéristiques individuelles.

o
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ÉTATS FLOUS ET TRAJECTOIRES COMPLEXES

CONCLUSION

Les quelques pistes évoquées incitent à poursuivre l'étude de l'interaction des


transitions contextuelles et des transitions individuelles : elle renouvelle
profondément l'analyse des relations réciproques entre les mobilités et les
recompositions territoriales. Notre démonstration de la nécessaire prise en
compte du contexte et de ses transformations dans l'analyse biographique
s'est appuyée sur des travaux portant sur la migration entre localités du
Burkina Faso et les mobilités résidentielles au sein de Bogota. Ce choix n'est
pas fortuit : dans ces territoires en développement, aux histoires courtes et
souvent chahutées, la question des temporalités des lieux et des individus se
pose de manière particulière. L.:histoire des lieux et la vie des individus
s'inscrivent souvent dans des échelles de temps comparables. Ces exemples
pris dans des pays du Sud ont une valeur heuristique indéniable. Ils sont
riches d'enseignements pour déchiffrer des dynamiques territoriales au Nord.
Pays du Sud et du Nord sont tous en train d'évoluer sous l'effet d'un
phénomène général de contraction de l'espace-temps. Cette contraction y
pose en des termes nouveaux les relations entre les individus et leurs
contextes et justifie d'autant plus une analyse précise des interactions entre
les dynamiques biographiques et les dynamiques contextuelles.

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