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La Théorie de la Formation Interstitielle Urbaine : un outil d’appropriation,

de décryptage et d’analyse des territoires urbains d’entre-deux

Dominique MEVA’A ABOMO (HDR), Maître de Conférences en Géographie, Société


Savante Cheikh Anta Diop, Université de Douala (Cameroun)
Résume :
La Formation Interstitielle Urbaine est un territoire d’entre-deux de contingence ; un
espace marginal approprié par l’homme et porteur d’enjeux en milieu urbain ; une étendue de
discontinuité territoriale régie par une contingence socio-spatiale en milieu urbain. Elle
constitue un nouvel ordre socio-spatial de l’architectonique urbaine ; l’ordre de la francité, de
l’hybridité et de l’intermédiarité urbaine ; l’ordre des incertitudes socio-spatiales et des
antagonismes spatio-fonctionnels urbaines ; l’ordre des incrustations territoriales urbaines ;
l’ordre des ruptures de l’homogénéité morphologique et fonctionnelle du tissu corporalisé de
la ville…Il s’agit donc d’un nouveau paradigme de formation urbaine et de l’urbanisme qui
est l’expression des luttes de territoire en milieu urbain ; un nouvel instrument théorique et
d’action qui renchérit le corpus de dispositifs paradigmatiques visant à mieux saisir,
comprendre et expliquer l’urbanocène1 dans sa complexité et les enjeux inhérents. Sa
théorisation montre qu’il s’agit d’un micro-géo-système urbain composé de deux appareils.
L’appareil structurel comprend l’armature socio-spatiale interstitielle et l’armature de la
contingence socio-spatiale, puis, l’appareil fonctionnel composé des armatures des
dynamiques spatio-fonctionnelles intra-interstitielles et extra-interstitielles. La Théorie de la
Formation Interstitielle Urbaine établit que ce micro-géo-système urbain complexe est régi
par trois lois scientifiques et un cycle de vie constitué de plusieurs phases de vie. En
définitive, la Th-FIU se révèle comme un pertinent outil d’observation, de description,
d’analyse et d’interprétation pluridisciplinaire et transdisciplinaire des territoires urbains
d’entre-deux.
Mots clés : Espace urbain interstitiel, contingence socio-spatiale, nouvel ordre socio-spatial,
Théorie de la Formation Interstitielle Urbaine (Th-FIU), outil d’analyse pluridisciplinaire et
transdisciplinaire.

Abstract:
The Urban Interstitial Formation is a contingency in-between territory; a marginal
space suitable for humans that has many challenges in urban areas; an extent of territorial
discontinuity governed by a socio-spatial contingency in an urban environment. It constitutes
a new socio-spatial order of urban architectonics; the order of Frenchness, hybridity and urban
intermediarity; the order of socio-spatial uncertainties and urban spatio-functional
antagonisms; the order of urban territorial inlays; the order of the ruptures of the
morphological and functional homogeneity of the corporalized fabric of the city ... It is
therefore a new paradigm of urban formation and urbanism which is the expression of
territorial struggles in urban areas; a new theoretical and action instrument that adds to the
corpus of paradigmatic devices aimed at better understanding and explaining of the
urbanocene in its complexity and the inherent challenges. His theorization shows that it is an
1
L’urbanocène est un néologisme qui désigne l’ère de la ruée vers l’urbanisation à l’échelle planétaire ; l’ère de
l’urbanisation mondiale ; la période de transformation de la planète terre en une planète urbaine.
L’urbanocène débute à la fin des années 2000 avec le passage du taux d’urbanisation mondiale à plus de 50
%.Chaix (2012) signale qu’en 2012, le taux d’urbanisation mondiale ou la proportion de personnes vivant en
milieu urbain était déjà de 53 % en moyenne.

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urban micro-geo-system made up of two devices. The structural apparatus comprises the
interstitial socio-spatial armature and the socio-spatial contingency armature, then the
functional apparatus composed of the armatures of intra-interstitial and extra-interstitial
spatio-functional dynamics. The Theory of Urban Interstitial Formation establishes that this
complex urban micro-geo-system is governed by three scientific laws and a life cycle made
up of several phases of life. In the ending, the Th-FIU proves to be a relevant tool for
multidisciplinary and transdisciplinary observation, description, analysis and interpretation of
the urban areas in between.
Keywords: Interstitial urban space, socio-spatial contingency, new socio-spatial order,
Theory of Urban Interstitial Formation (Th-FIU), multidisciplinary and transdisciplinary
analysis tool.

Introduction
L’urbanisation est l’ensemble des processus et mécanismes de création, de
construction, de déconstruction et de reconstruction perpétuelle de la ville. Cette signature
socio-spatiale s’inscrit dans un projet pensé et continuellement repensé dans des cadres
institutionnel et programmatique évolutifs et contingents. Le processus de production et de
reproduction de la ville se veut donc complexe, sensible et vulnérable. Ces caractéristiques
sont une réponse à la diversité des acteurs aux intérêts divergents. Ceux-ci interviennent dans
le processus avec des logiques différentes et des stratégies infra-diffuses, voire même
contrastantes. Il en résulte une armature urbaine généralement architectonique, hétéroclite,
fragmentaire et discontinue. Les espaces de discontinuité ou inter-fragmentaires sont qualifiés
d’interstices urbains (Hatzfeld et al., 2009 ; Petcou, Le-Strat et al., 2008). Ces espaces sont
généralement marginalisés dans les planifications et politiques de gestion urbaines. Ils
connaissent cependant une mise en valeur hétérogène et dense, porteuse de plusieurs enjeux
jusqu’ici peu maîtrisés scientifiquement.
Ce contexte d’enjeux est l’élément précurseur de cette recherche qui pose le problème
d’appropriation scientifique des espaces interstitiels. L’objectif ici est d’élaborer la Théorie de
la Formation Interstitielle Urbaine à la suite d’une caractérisation multidimensionnelle des
espaces urbains interstitielles. Cette recherche est initiée dans le but de contribuer à
l’amélioration des connaissances scientifiques sur les espaces urbains d’entre-deux, de
favoriser une meilleure maîtrise scientifique de l’urbanisme et du développement urbain, et
ainsi, appuyer plus efficacement à la prise de décision politique. La restitution de cette
recherche s’articule sur quatre points. Le premier, porte sur des précis notionnels en mettant
un accent sur l’évolution progressive de l’espace urbain d’entre-deux vers la formation
interstitielle urbaine en tant que paradigme de formation urbaine dont l’identité
remarquable est la matrice de contingence socio-spatiale. Le second caractérise la formation
interstitielle urbaine en tant que territoire d’entre-deux ou interstitiel ; un ordre socio-spatial
d’antagonisme fonctionnel et d’incertitude urbaine constituant un terreau d’expression des
luttes de territoire en proie à des mutations paysagères en continu. Le quatrième et dernier
point s’articule sur la théorisation de la formation interstitielle urbaine et la mise en évidence
l’opérationnalité de la théorie en tant qu’outil d’analyse pluridisciplinaire et transdisciplinaire
des territoires d’entre-deux ou interstitiel.

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1- De l’espace urbain d’entre-deux à la formation interstitielle urbaine

1.1- De l’espace d’entre-deux en urbanisme à l’interstice urbain

Le concept d’espace d’entre-deux a pendant longtemps été utilisé dans le jargon de


l’architecture, du bâtiment, et des arts en exclusivité (Le Gall, Rougé, 2014 ; Bonerandi, Roth,
2007 ; De Villanova, 2007). Il désigne une étendue vide entre deux choses, deux parties d’une
chose ; une étendue libre entre deux ensembles massifs, deux objets, deux parties d’un même
objet (Le Gall, Rougé, 2013). Dans ce contexte, l’espace d’entre-deux est parfois pensé et
programmé avec des dimensions bien définies au préalable. Il a une fonction prédéfinie
concourant à la stabilité d’un ensemble. Il peut être de nature à faciliter le libre mouvement
autour d’un axe. Il peut également être de nature à aérer un dispositif.
L’espace d’entre-deux est aussi appelé interstice (Hatzfeld, Hatzfeld, Ringart, 2009 ;
Petcou, Le-Strat et al.,2008 ; Tonnelat, 2003). Cette désignation cadre beaucoup plus lorsqu’il
s’agit d’un vide résultant d’une erreur d’incertitude. L’interstice sert parfois à réguler les
incertitudes métriques. Le recours à ce concept dans le jargon de l’aménagement du territoire
a substantiellement régulé les incomplétudes des sciences sociales. Les étendues terrestres
marginales dans les plans d’aménagement du territoire ont désormais une toponymie
d’exclusivité : espace d’entre-deux ou interstice ; il s’agit par exemple, selon Hatzfeld et
Ringart (2009) et Tonnelat (2003), des friches, des lopins de terre abandonnés, des espaces à
risque naturel et délaissés, des décharges de déchets, des espaces séparant deux maisons, deux
éléments de l’armature urbaine abandonnés…
Ces espaces de non-lieux en matière de planification de l’aménagement urbain, sont
mitigés dans la législation foncière. Ils souffrent généralement d’une crise de normalisation et
de réglementation sur le plan juridique. Ces espaces stigmatisés et abandonnés par le
législateur et le gestionnaire de la ville sont pourtant des cadres de vie et d’épanouissement de
la population humaine à travers diverses formes de mise en valeur (Petcou, Deck et al.,2008).
La ville contemporaine est le lieu par excellence où la valorisation de ces espaces dit
marginaux connait une importante recrudescence. Les interstices urbains comme les zones
marécageuses, les friches industrielles, les anciennes décharges de déchets…etc., font l’objet
d’une occupation spontanée et insalubre, puis de formes diverses de mise en valeur dans les
villes (Meva’a Abomo, 2017 ; Agier, Bouillon et al., 2011, Tadonki, 1999). Ils sont des lieux
de pratique de l’agriculture urbaine dans tous les pays ; des lieux de déversement des ordures
ou déchets urbains de toutes natures. En définitive, l’anthropisation de ces espèces de « zone
franche » révèle qu’elles ont une fonction d’utilité certaine dans l’appareil urbain : zone
d’habitation insalubre, agriculture urbaine, lieu de décharge des nuisances urbaines, refuge
des bandits, etc.

1.2- De l’interstice urbain à la Formation Interstitielle Urbaine : un paradigme de la


formation urbaine et de l’urbanisme

L’espace urbain est un ensemble de dispositifs démographique, social, économique,


culturel, écologique, etc. en interaction et en interdépendance sur un espace support. Chaque
dispositif n’est pas homogène dans toute l’étendue du dit espace support. La ville est donc une
armature morphologiquement fragmentaire, parcellaire et hétérogène sur les plans
géographique, sociologique, anthropologique, écologique, etc., conformément au constat déjà
fait par ONU-HABITAT (2014) et Merlin (1988). Elle présente un ensemble de discontinuités

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morphologiques en sens de Brunet, Grasland et François (1997), puis de Brunet (1968),
façonnant diverses formes urbaines et profilant différentes formations urbaines. Une forme
urbaine renvoie à une configuration morphologique du tissu urbain : forme concentrique, en
damier, longitudinale, etc. (ONU-HABITAT, 2014 ; Lévy 2005 ; Querrien, 2005 ; Mangin,
2004). Une formation urbaine par contre, désigne l’ensemble de fractions de l’armature
urbaine présentant des similitudes de caractéristiques socio-spatiales et de fonction dans
l’appareil urbain ; elle est aussi un représentant de cet ensemble.
L’ensemble des interstices urbains constitue donc un type de formation urbaine : la
Formation Interstitielle Urbaine ; et chaque interstice en est un exemple. Une formation
urbaine renvoie aussi à l’ensemble des structures du paysage urbain présentant une relative
homogénéité de caractéristiques en matière de configurations démographique, social,
économique, culturel, écologique, etc.; elle est aussi un représentant de cet ensemble (Castex,
Depaule et al., 2009 ; Merlin, 1988). Sa définition se fonde sur l’identification d’un ou de
plusieurs traits ou caractéristiques à une (des) portion (s) de l’espace urbain (exemple :
quartiers résidentiels, quartiers anarchiques, zones industrielles urbaines, etc.). L’ensemble
des espaces d’entre-deux du paysage urbain présentant des similitudes de caractéristiques
telles que la marginalité, l’abandon par les gestionnaires de la ville, la complexité des statuts
social, économique, culturel, écologique, etc., constitue un type de formation urbaine
spécifique en rapport avec l’intertistialité, et chaque espace d’entre-deux de cette nature en est
un exemple. La formation urbaine désigne entre autre l’ensemble des microcosmes socio-
spatiaux urbains présentant sensiblement les mêmes attributs et signatures d’anthropisation au
sein du macrocosme socio-spatial que constitue la ville ; elle est aussi l’un de ces
microcosmes. La formation interstitielle urbaine est, dans ce contexte, l’ensemble des
microcosmes socio-spatiaux d’entre-deux et de marginalité au sein du macrocosme socio-
spatial dit urbain.
En définitive, la formation interstitielle urbaine est un type de formation urbaine parmi
tant d’autres, une déclinaison ou un modèle de formation urbaine. Sous cet angle, elle est un
paradigme de la formation urbaine en tant qu’ensemble d’éléments nettement particuliers de
l’armature urbaine constituant un champ d’observation, d’analyse et d'interprétation ; un
paradigme de la formation urbaine en tant qu’objet d’étude scientifique en milieu urbain au
sens de Kuhn (1972) et de Hoyningen-Huene (1993). Comme la formation urbaine est un
paradigme de l’urbanisme, alors, la formation interstitielle urbaine est aussi un paradigme de
l’urbanisme ; un nouvel instrument théorique et d’action qui s’ajoute au corpus de dispositifs
paradigmatiques visant à mieux saisir, comprendre et expliquer l’urbanocène dans sa
complexité et les enjeux inhérents.

1.3- La matrice de contingence socio-spatiale : l’identité remarquable de la formation


interstitielle urbaine

Une formation interstitielle urbaine se construit, se déconstruit et se reconstruit


perpétuellement par l’entremise d’un ou de plusieurs facteurs. Il s’agit d’une matrice de
contingences écologiques, économiques, sociales, politiques et culturelles qui s’imbriquent les
unes les autres en continu. La terminologie « contingence socio-spatiale » globalise le mieux
cette matrice qui est à la base du délaissement ou de l’abandon de tout lopin de terre, aussi
petit soit-il, dans un contexte de tensions et de pressions foncières, de lutte et de conflits de
territoire. Cette matrice présente trois ordres de contingence. Le premier ordre est la
contingence naturelle. Il se fonde sur « un état de nature contingent » à l’exemple du
marécage. Cet espace résiduel de l’aménagement au sens de Tonnelat (2003) connait diverses

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formes d’appropriation et de mise en valeur généralement anarchiques qui en font un véritable
enjeu corporalisé à la fonctionnalité et à la productivité de l’appareil urbain. L’action de
l’homme non planifiée sur les espaces d’entre-deux sous contingence naturelle est précurseur
de sévères réactions du milieu naturel contingent entrainant des catastrophes écologiques. Les
inondations meurtrières constatées par Amanejieu, Feumba et Ngoufo (2018), puis Olinga et
Nnomo (2018) en sont une illustration.
Le second ordre est la contingence sociétale ou humaine. Il se fonde sur « un état de
fait » à l’exemple de la crise économique à l’origine de la fermeture des exploitations
industrielles et l’abandon des sites d’exploitation (les friches industrielles). Ce second ordre
de contingence présente deux variantes. La première est liée aux pratiques spatiales. Elle peut
être tributaire des dysfonctionnements des appareils économique, politique ou social qui
interfèrent en continu ou en discontinu. La faillite d’une unité de production économique
conduit par exemple à une friche industrielle. Cette première variante est foncièrement liée
aux activités humaines menées au sein de la formation. Ces activités ou pratiques spatiales
sont vectrices soit de la régulation soit de l’aggravation de la contingence. La deuxième
variante de la contingence humaine est liée à la matrice de perceptions, de représentations et
de considérations tributaires des registres socioculturels et des multiples contraintes urbaines.
La réappropriation et la réutilisation par l’homme des espaces d’entre-deux sous contingence
sociétale sont cependant déterminées et conditionnées par les caractéristiques écologiques ou
naturelles du site.
Le troisième ordre est la contingence mixte où un état de fait se combine à un état de
nature; une contingence combinant les aléas naturel et sociétal en toute simultanéité. Il s’agit
par exemple de l’habitat spontané et insalubre lié à l’occupation des espaces à risque naturel
comme le marécage (contingence naturelle) par une population en proie à la pauvreté
(contingence humaine). Il y a donc imbrication des deux premiers types de contingence
socio-spatiale (naturelle et sociétale). La formation interstitielle urbaine est en définitive le
produit articulé de l’anthropisation des interstices urbains sous contingence socio-spatiale ; un
véritable géo-système structurellement constitué et dynamique. Elle est nantie d’un mode de
fonctionnement spécifique à l’échelle in-situ, mais, reste soumise aux influences externes ou à
l’échelle ex-situ avec qui elle est en interaction permanente.

2- La formation interstitielle urbaine : un territoire d’entre-deux ou interstitiel

2.1- La formation interstitielle urbaine : un territoire en tant que conjecture des espaces
naturel / écologique, pratiqué / social et vécu / représenté de contingences

La formation interstitielle urbaine est l’agencement structurellement contingent de


trois entités structurelles du territoire : l’espace naturel/écologique, l’espace pratiqué/social
puis l’espace vécu/représenté. L’espace naturel en termes d’étendue terrestre est le support de
la formation interstitielle. Il a des caractéristiques pédologiques, topographiques, édaphiques,
climatiques, hydrologiques, biologiques, géomorphologiques…etc., qui déterminent la
fonctionnalité naturelle de la formation et les enjeux inhérents. Les marécages sont situés dans
les bas-fonds ; ils ont un excès d’eau et sont constitués de sols hydromorphes. Ces
écosystèmes sont ainsi prédisposés à un cycle de fonctionnement bien distinct du cycle des
écosystèmes de friches industrielles édifiées en zone de plateau. Les niveaux d’exposition et
de sensibilité environnementale sont également bien distincts. Ces caractéristiques
écologiques déterminent le niveau d’accessibilité géographique au site, les modes et les
moyens à mobiliser pour sa valorisation. L’hostilité écologique de certains sites urbains est

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donc à l’origine de leur délaissement, ou du développement des formes particulières de mise
en valeur insalubre en leur sein. En définitive, les caractéristiques du milieu naturel peuvent
être un facteur de contingence socio-spatiale du site. L’articulation structurelle et
fonctionnelle de ces caractéristiques constitue la contingence naturelle évoquée plus haut.
La formation interstitielle urbaine est un espace pratiqué ou socialisé ; un espace
pratiqué en tant que produit de l’action de l’homme, tout comme la ville elle-même. Elle peut
être le produit de l’échec d’un projet d’aménagement industriel. La crise économique des
décennies 1980-1990 a été à l’origine de l’abandon de plusieurs chantiers initiés dans le cadre
des plans d’ajustement structurel dans les pays sous-développés d’Afrique subsaharienne. Des
exploitations vivrières ont été développées dans ces friches par une population à la recherche
du mieux-être. D’autres friches sont devenues de gigantesques zones de recasement des
migrants et exondés ruraux. Les formations interstitielles urbaines peuvent aussi émerger à
l’issue de la réalisation d’un projet qui a eu du mal à s’inscrire dans la durabilité. Les camps
de travailleurs dans un chantier de construction d’une route ou d’un immeuble sont
généralement délaissés au terme des travaux. Ces camps font l’objet de nouvelles formes de
colonisation par l’homme marquées par de nouveaux modes de pratiques spatiales.
Ces pratiques spatiales tirent leur fondement dans l’environnement sociétal où elles se
conçoivent et se développent. Elles résultent de la cristallisation organique d’un ensemble de
perceptions, de représentations et de considérations d’un espace urbain contingent et
marginal. Déjà, la marginalité tout comme la contingence sont d’abord des constructions
mentales qui influencent et déterminent l’agir de l’homme. La formation interstitielle urbaine
est donc un espace perçu, vécu et représenté, avant d’être un espace pratiqué et socialisé en
toute contingence. Les logiques et modes de valorisation ou de socialisation du dit espace sont
précurseurs de l’évolution ou des changements de perceptions, considérations,
représentations… Ces changements résultent des variations, dans le temps, des configurations
factuelles de l’interaction Homme / Milieu construite dans un contexte de conditionnalité
socio-spatiale d’ordre écologique, économique, social, politique, culturel. L’évolution des
représentations de cette conditionnalité remodèle continuellement l’interaction homme/milieu
dans ces territoires interstitiels (Guillod, 2009). A l’inverse, l’évolution de cette interaction
reconfigure également ces représentations de manière perpétuelle. La résilience ou la
résignation face à la contingence socio-spatiale ne sont que des réponses logiques et
prévisibles de l’état de cette relation inverse entre les représentations de la conditionnalité
socio-spatiale d’une part et l’interaction homme/milieu dans une formation interstitielle
urbaine.
Au total, les trois composantes structurelles du Territoire au sens de Di méo (1987,
1991) (l’espace naturel/écologique, l’espace pratiqué/social puis l’espace vécu/représenté)
sont aussi les éléments structurant de toute formation interstitielle urbaine. Cette dernière
constitue dès lors ce qui peut être considéré de « territoire d’entre-deux » ou de « territoire
interstitiel » ; un nouveau paradigme du territoire en tant qu’espace d’entre-deux approprié
par un groupe social afin de satisfaire ses besoins au sens de Le Berre (1995).

2.2- La formation interstitielle urbaine : une formation socio-spatiale de conflictualité et


de contingence ?

Le territoire est un produit de l’appropriation de l’espace par l’homme ; une formation


socio-spatiale composée de deux hémisphères : la supra-structure et l’infra-structure (Di Méo,
1987, 1991). La supra-structure comprend deux instances : idéologique et politique.
L’instance idéologique se rapporte aux dimensions idéelle et socioculturelle de l’espace

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approprié. Elle se construit autour des imaginations, des croyances, des mœurs, des
représentations, des perceptions, des considérations, des sensibilités socioculturelles
dominantes, qui conditionnent et déterminent la fonctionnalité de l’espace approprié. Il s’agit
des éléments structurants de l’espace vécu et représenté, précurseurs et produits des processus
de marginalisation d’un quelconque espace. Ils sont également les précurseurs des logiques et
des types de réponses sociétales face à cette marginalité. Ces réponses sociétales ne sont
autres que les différentes activités de reconquête de l’espace marginal ou d’aggravation de sa
marginalité. La formation interstitielle urbaine présente donc une instance idéologique de
contingence forgée par des contraintes socio-spatiales in situ.
L’instance politique de la supra-structure s’articule sur les fondements institutionnels et
les articulations politico-managériales et de gouvernance d’un espace approprié par l’homme.
Le territoire urbain est le lieu d’implémentation d’une politique d’aménagement s’inscrivant
dans un cadre programmatique bien pensé et planifié. Les politiques de planification, les
stratégies d’acteurs, les dispositifs institutionnels et législatifs sont clairement prédéfinis.
Malheureusement, la formation interstitielle urbaine est un oublié des politiques
d’aménagement du territoire urbain. Les territoires marginaux des milieux urbains ne sont pas
intégrés dans les politiques d’aménagement et de développement territorial ; c’est d’ailleurs
en ce sens que leur marginalité trouve toute leur essence et leur significativité. L’ampleur des
contingences, des conflits d’intérêt et des enjeux politico-économique et social offre aux
décideurs publics une opportunité d’omission volontaire des interstices urbains dans leur
planification urbaine. Certains sites urbains dominés par les partis politiques d’opposition sont
volontairement délaissés en guise de punition pour le non alignement de ses riverains. Quel
que soit leur nature, les contingences socio-spatiales font de la formation interstitielle urbaine
un réel fardeau pour les politiques. Elle subsiste grâce aux politiques et se constitue même à
leur niveau selon le Stratcité par Guillaud (2009). Une instance politique de contingence
s’affirme en toute légitimité dans ces territoires urbains marginaux. Les instances idéologique
et politique ainsi reconstituées permettent d’affirmer l’existence d’une supra-structure dans
toute formation interstitielle urbaine.
L’infra-structure de la formation socio-spatiale est composée de deux instances :
géographique et économique. Elle se rapporte à la matérialité, au concret et au réel. L’instance
géographique conjecture les éléments de l’espace naturel et de l’espace pratiqué. Les
caractéristiques du milieu écologique, les modes d’organisation et d’occupation du sol, les
aménagements et réaménagements humains, la fonctionnalité et la production de l’espace, les
enjeux inhérents, etc., sont autant d’éléments structurants l’instance géographique. Ces
éléments structurent également toute formation interstitielle urbaine. A l’origine, ils sont
objets et sujets de marginalité et de contingence du site. Le passage d’un simple interstice
urbain à une formation interstitielle urbaine résulte de l’interprétation de la conjecture des
espaces naturels, pratiqué et représenté en toute exclusion territoriale, légitimée par les
planifications urbaines. La terminologie d’instance géographique de contingence exprime le
mieux cette conjecture au sens des particularismes propres aux espaces étudiés.
La dernière instance de la formation socio-spatiale se rapporte à la composante
économique d’un territoire. Cette composante se veut essentielle dans la dynamique et le
développement territorial. Les moyens et les modes de production économique, les
opportunités et les contraintes de développement de l’économie territoriale tant endogènes
qu’exogènes, etc., se présentent comme des variables de cette instance. Les incongruités de
l’appareil économique au travers des dysfonctionnements de ces variables sont globalement à
l’origine de la stigmatisation et de la banalisation d’un espace déjà approprié par l’homme. La
mal appropriation dudit espace entraine des échecs des projets économiques conduisant à leur

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abandon périodique ou définitif. La nécessité de lourds investissements contrastée par le
manque de capitaux peut induire la marginalisation d’un espace pourtant productif. La crise
foncière en vigueur dans les villes est justiciable de la transformation des espaces non
productifs en productifs, de la reconversion des espaces hostiles et contingents. La
surexistence des espaces marginaux dans ce contexte rend compte de la profondeur des
problèmes d’ordre économique.
Ces espaces sont, entre autre, le lieu par excellence d’émergence de plusieurs activités
économiques à connotation informelle (Roux, 2015 ; Deshusses, 2011). Ces activités
échappent aux contrôles des pouvoirs publics. Il s’agit par exemple de l’agriculture urbaine et
de bien d’autres activités qui se développent avec l’installation des populations dans un
espace marginal. Une prolifération des petits métiers et des espaces marchands non-
réglementaires est observée dans les quartiers spontanés et insalubres des zones
marécageuses, dans les friches, les emprises fluviales et ferroviaires, etc. ; ce sont aussi les
lieux d’évacuation et d’accumulation des déchets des activités économiques urbaines. Dans
les pays du sud, par exemple, très peu d’unités de production industrielles disposent de
stations d’épuration, de conservation ou de transformation des déchets. Les nuisances
déversées à l’air libre s’accumulent dans les espaces interstitielles. L’acteur économique se
trouve libéré d’un joug très embarrassant. La réticence des acteurs économiques en matière de
viabilisation des interstices urbains prend ainsi toute sa signification. La formation
interstitielle urbaine a donc une instance économique de contingence jusqu’ici non
suffisamment décryptée et interprétée. Au total, les instances géographique et économique
confèrent une infra-structure de contingence à la formation interstitielle urbaine en tant que
territoire urbain marginal.
L’approche structurelle d’analyse qui précède démontre que l’interstice urbain
présente une supra-structure de contingence composée des instances idéologique et politique.
Il présente également une infra-structure de contingence composée des instances
géographique et économique. Ces instances résultent de la conjecture des espaces naturels,
pratiqué et représenté contingents. La contingence socio-spatiale est l’invariant transversal à
tous les types d’espace conjecturé ainsi qu’à toutes les instances du territoire. Le passage du
simple interstice urbain en une formation interstitielle urbaine résulte de ces conjectures en
toute exclusion territoriale légitimée par les planifications urbaines. La formation interstitielle
urbaine est en définitive une formation socio-spatiale de contingence au sens de Guy Di Méo.
Elle est donc un territoire urbain de contingence où les éléments structuraux sont en
interdépendance.

2.3- La formation interstitielle urbaine : un terreau d’expression des luttes de territoire

La formation interstitielle urbaine est généralement objet et/ou sujet de conflits et de


luttes de territoires au sens de Dechezelles et Olive (2016) suivant trois dynamiques. Elle est
premièrement le lieu d’expression des compétitions ou des différences conflictuelles de
signature d’aménagement, de dynamisme économique, de statut social, d’enjeux politiques,
de risques écologiques, de vulnérabilité… entre des territoires non marginaux ; une espèce de
territoire tampon ou de coexistence pacifique territoriale. Elle accueille les acteurs urbains
marginalisés dans les deux territoires. Les quartiers spontanés et insalubres qui se développent
dans l’entre-deux quartiers résidentiels dans les villes du sud peuvent être évoqués en guise
d’illustration. L’usage du territoire d’entre-deux dans ce contexte est porteur d’empreintes
d’exutoire et de réceptacle des externalités des dites compétitions. Dans ce cas de figure, des
conflits d’usage de l’espace se cristallisent parfois entre les gestionnaires de la ville qui

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souhaitent un type d’aménagement (moderne) et les riverains qui généralement sont pauvres
et ne peuvent le réaliser. Les décideurs publics agissent très souvent en faveurs de leurs
intérêts électoralistes ou politiques par généralisation. La tolérance de l’incivisme public
relatif à l’occupation anarchique des zones non constructibles a même été érigée en
géostratégie de stabilisation sociopolitique et de lutte contre la pauvreté dans les espaces
urbains face à des risques de soulèvement populaire (Meva’a Abomo, 2019). La gouvernance
urbaine se trouve donc soumise à l’épreuve de la formation interstitielle urbaine.
Deuxièmement, la formation interstitielle urbaine est l’objet de luttes de constructions
psycho-mentales populaires en rapport avec la mise en valeur et l’usage de l’espace d’entre-
deux. Trois catégories d’acteurs se cristallisent généralement dans ce cas de figure. Une
première catégorie d’acteurs adhère à un type d’usage quelconque à l’exemple de la
transformation de l’espace d’entre-deux en dépotoir informel d’ordures. Il s’agit généralement
des acteurs urbains qui veulent satisfaire le besoin de se débarrasser de leur ordures ; des
personnes qui ne sont toujours pas exposés aux effets induits de cette forme d’usage du dit
espace d’entre-deux. Une seconde catégorie d’acteurs s’y oppose radicalement. Elle
comprend très souvent ceux qui sont exposés aux effets induits sus évoqués. Il s’y trouve
également des acteurs sensibles à protection de l’environnemental indépendamment de leur
exposition ou non aux dangers inhérents. La troisième et dernière catégorie d’acteurs se veut
neutre et est composée des acteurs insensibles aux causes prônées par les deux premières
catégories, ou qui n’y trouvent aucun inconvénient.
Troisièmement, la formation interstitielle urbaine est un terreau de conflits fonciers
internes en tant que portion de territoire résiduel de l’aménagement urbain qui n’a
généralement pas d’immatriculation foncière. Les spéculations foncières informelles
inhérentes se veulent très rentables dans les mégapoles où les enchères s’élèvent au quotidien.
Elles sont à l’origine d’une véritable psychose foncière dans les villes du sud où l’occupation
du sol précède la planification urbaine. Les conflits fonciers insécurisent les populations et ont
parfois des issues fatales chez les belligérants.
Au total, la formation interstitielle urbaine est porteuse de sens et d’enjeux en tant que
terreaux d’expression tangible de la conflictualité territoriale urbaine qui se construit autour
de l’usage de ces territoires d’entre-deux. Ces luttes de territoire se matérialisent suivant trois
dynamiques. La première est la dynamique de conflictualité entre acteurs institutionnels et
riverains des territoires d’entre-deux. La seconde est la dynamique de conflictualité entre les
populations externes et internes à la formation interstitielle. La troisième est la dynamique de
conflictualité interne aux riverains des formations interstitielles. Ce contexte belliqueux et de
prédation territoriale est précurseur de diverses formes de résilience à la contingence socio-
spatiale. Toutes ces formes s’articulent sur la conquête d’un espace contingent par des
processus d’adaptation ou de reconversion. Elles s’inscrivent toutes dans un inlassable
processus de remise en cause du paysage existant et de ses fonctions d’inutilité, telles que
perçues par les décideurs publics et municipaux.

13
3- La Formation Interstitielle Urbaine : un ordre socio-spatial d’antagonisme
fonctionnel et d’incertitude urbaine

3.1- La Formation Interstitielle Urbaine : un ordre socio-spatial d’antagonisme


fonctionnel

Chaque formation interstitielle urbaine a une fonction spécifique qui est l’expression
de la socialisation ou de l’appropriation territoriale de sa contingence socio-spatiale. Cette
fonction peut, dans certains cas, être précurseur, entretenir ou aggraver la dite contingence.
Deux types de fonction peuvent être identifiés en rapport avec la pratique socio-spatiale
prédominante : la fonction de résilience de la contingence socio-spatiale et la fonction
d’aggravation de la dite contingence. La fonction de résilience est imputable aux formations
dont l’activité dominante se rapporte à une exploitation utilitaire de l’espace marginal :
agriculture urbaine, zone de recasement. Certains sites marginaux font ainsi l’objet de
programmes de réhabilitation ou de rénovation. Ces initiatives sont des mesures régulatrices
des enjeux et risques liés à la surexistence des dits sites en toute marginalité. Le débosquage,
l’éclairage public, la viabilisation (création des aires de jeux et de divertissement, etc.) dans
les secteurs à risque potentiel, sont autant de stratégies de résilience de la contingence socio-
spatiale promues dans le cadre de la lutte contre l’insécurité urbaine.
La fonction d’aggravation de la contingence socio-spatiale d’une formation
Interstitielle Urbaine se caractérise par l’acceptation et la résignation face à la dite
contingence. Il s’agit par exemple des sites urbains réduits en réceptacles de toutes formes de
déchets urbains. Plusieurs sites marginaux s’affirmant comme des foyers d’insécurité urbaine
continuent à échapper au contrôle des forces de l’ordre dans les villes. La fonction
d’aggravation de la contingence socio-spatiale s’affirme également dans les sites marginaux
où se développe un habitat spontané et insalubre. Au lieu de résoudre le problème de
logement en milieu urbain, cet habitat expose et vulnérabilise davantage une population déjà
vulnérable. Les sites délaissés et échappant à la recolonisation populaire à l’exemple des
friches industrielles clôturées, connaissent le délabrement et le développement d’une intense
végétation. Ils se transforment en point focal des nuisances urbaines (insectes, reptiles,
délinquants, etc.). Il y a donc aggravation de la contingence socio-spatiale première, marquée
par des mutations et l’émergence de nouvelles contingences plus complexes. La marque
anthropique dans les espaces marginaux des villes en font donc des espaces pratiqués et
socialisés.
Au total, la formation interstitielle urbaine est un ordre socio-spatial bi-fonctionnel (les
fonctions de résilience et d’aggravation) antagonistes. Cet antagonisme traduit la
conflictualité d’usage des territoires d’entre-deux qui sont, au final, des supports d’une
dynamique sociétale impactant le reste de la ville, voire même, les villes environnantes et
même au-delà.

3.2- La formation interstitielle : un ordre socio-spatial d’incertitude urbaine

La formation interstitielle urbaine est une structure d’incongruité socio-spatiale de


l’aménagement urbain empiriquement mis en valeur par l’homme. Elle a pour support un
espace terrestre délimitable et délimité où se composent, se décomposent et se recomposent
perpétuellement diverses formes de signatures anthropiques non contrôlées. Cette structure

14
n’est donc pas vide comme l’entre-deux ou l’interstice des architectes et artistes. Elle est
porteuse de vitalité et de particularismes tant structurels que fonctionnels justiciables d’un
nouvel ordre de la hiérarchie territoriale urbaine. Il s’agit de l’ordre des formations socio-
spatiales contingentes, objets et sujets des malaises urbains ; de l’ordre des entités socio-
spatiales de fracture, de brisure et de rupture de l’homogénéité morphologique du tissu
corporalisé de l’armature urbaine ; de l’ordre des incrustations socio-spatiales urbaines ; et
enfin de l’ordre des espaces de francité urbaine non classifiables dans le catalogue de formes
urbaines jusqu’ici identifiées.
Par ailleurs, la complexité de l’ordre socio-spatiale que constitue la formation
interstitielle urbaine réside dans son incertitude multi-scalaire. L’incertitude du milieu
physique se fonde sur la très relative maîtrise des caractéristiques du substrat géo-
pédologique, des reliefs et des configurations géomorphologiques et morpho-métriques,
hydrologiques et hydro-dynamiques, etc., des sites abritant les formations interstitielles
urbaines. Le problème se pose aussi au niveau de la non-maitrise de la variabilité et de
l’évolution des dites caractéristiques face à la pression humaine. Leurs formes et tailles,
restent hétéroclites, indécises, dynamiques et leurs composantes physiques sont généralement
méconnues. Ces réalités exposent et vulnérabilisent les pratiques et formes de mise en valeur
qui s’y développent.
Les formations interstitielles urbaines présentent également une incertitude spatio-
fonctionnelle. Certaines sont monofonctionnelles et la plupart sont polyfonctionnelles avec
une ou deux fonctions dominantes. Les marécages urbains des villes du sud par exemple sont
simultanément des zones de recasement (l’habitat insalubre), des zones de production
économique (agriculture urbaine et siège de plusieurs activités informelles), des zones de
décharge de la pollution urbaine…etc. La dynamique spatio-fonctionnelle des formations
interstitielles est aussi à l’origine de l’évolution des caractéristiques du milieu physique
marginal. Cette évolution est un produit des formes de mise en valeur tout en les impactant.
Bref, une incertitude spatio-fonctionnelle aux implications multiples caractérise toute
formation interstitielle urbaine.
L’un des enjeux majeurs des incertitudes du milieu physique et spatio-fonctionnelles
est l’imprévisibilité des effets induits qui ne sauraient être maîtrisés dans un contexte où la
formation interstitielle urbaine elle-même échappe aux planificateurs de l’aménagement
urbain et aux gestionnaires des villes. La résilience de la contingence socio-spatiale à la base
de la marginalité du site urbain concerné se heurte dès lors à cet enjeu évolutif dans le temps.
Cet enjeu est d’autant plus pertinent avec l’incertitude temporelle qui caractérise les
formations interstitielles ; car, la temporalité est un attribut cardinal dans le fonctionnement
synchronisé des territoires marginaux dans la ville. Leur éphémérité ou leur durée plus ou
moins longue dépend de l’enjeu que représentent l’espace contingent et la temporalité
fonctionnelle associée. La dynamique polyfonctionnelle s’opère dès lors dans un cadre spatio-
temporel précis et délimité, qui reste malheureusement non maitrisé. Les formations
interstitielles urbaines ne sont donc pas seulement des espaces à risque urbain, mais aussi et
surtout, des espaces de vulnérabilité.

3.3- Mutations paysagères et cycle de vie d’une formation interstitielle urbaine

Les mutations paysagères enregistrées au sein d’une formation interstitielle urbaine


sont de deux natures : celles issues de la fonction de résilience et celles issues de la fonction
d’aggravation de la contingence socio-spatiale. Lorsque les mutations sont produites par les
actions de résilience de la contingence socio-spatiale, il y a atténuation de l’enjeu. La

15
succession des aménagements et réaménagements internes à la formation offre autant de
paysages distincts. Ces mutations peuvent être menées tout en conservant le caractère
marginal de l’espace ainsi anthropisé. Elles peuvent aussi affranchir le dit espace. Celle-ci
passe dès lors d’un espace de rupture en un espace de continuité urbaine. Dans la ville de
Douala (Cameroun) par exemple, une zone marécageuse (Mboppi) a été transformée en
décharge urbaine lors des travaux d’extension du port fluvial de la ville aux années 1960. En
1972, cette décharge a été délocalisée pour une autre zone marécageuse excentrée (au lieu-dit
Maképé Missoké). Un espace marchand à caractère sous régional (le marché de Mboppi) a été
construit sur ce site (Meva’a Abomo 2017, 2006). Cette formation interstitielle a ainsi été
affranchie et a connu une intégration urbaine. Dans d’autres cas de figure, c’est juste une
partie de la formation interstitielle urbaine qui peut connaitre une incorporation à l’ensemble
du tissu urbain suite à un aménagement intégrateur spécifique.
Par contre, les mutations liées à la fonction d’aggravation de cette contingence
accentuent plutôt la contingence socio-spatiale. Cette dernière forme de mutation est
entretenue par les incertitudes spatio-fonctionnelles, temporelles et écologiques du
milieu dans un contexte d’incertitude ou d’insuffisance normative et législative régissant les
espaces marginaux. Ce dernier type d’incertitude complexifie davantage l’intégration des
formations socio-spatiales marginales ainsi que leur gouvernance. La formation interstitielle
se décline dès lors en une espèce d’ordre socio-spatial d’incertitude urbaine ; une espèce
d’ordre de l’hybridité et de l’intermédiarité urbaine ; une formation socio-spatiale complexe
assujettie à une autogestion synonyme d’anarchie. Cette réalité rend compte de la faillibilité
de la légitimité publique en matière de gouvernance urbaine des territoires contingents ; des
territoires transformés en de véritables zones franches sensibles, à risque et vulnérables.
D’une manière générale, la complexité de la formation interstitielle urbaine est
également liée à sa pluralité de temporalités. Elle se construit sous l’impulsion d’une
contingence socio-spatiale particulière et peut se déconstruire totalement avec la régulation à
terme de ladite contingence. Elle prend dès lors un caractère existentiel dans le temps. Elle
s’inscrit donc dans une temporalité. Cette dernière se pluralise conformément aux différentes
mutations paysagères enregistrées dans le temps. Chaque configuration paysagère est le
produit de l’articulation harmonisée d’un profil d’armatures et de dynamiques socio-spatiales
spécifiques donnant lieu à des enjeux spécifiques. Cette configuration correspond à une
temporalité précise. Les formes de réappropriation et de remise en valeur qui s’y opèrent, sont
à l’origine de mutations paysagères correspondant à une autre temporalité existentielle
spécifique de la formation interstitielle urbaine. En somme, autant de phases différenciées de
réappropriation et de remise en valeur, autant de mutations paysagères, puis, autant de
temporalités existentielles. Toute formation interstitielle est donc régie par une pluralité de
temporalités. Les formations interstitielles peuvent subir des transformations socio-spatiales
au point d’annihiler l’entre-deux, et devenir un continuum territorial comme il a été signalé
plus haut. Dans ce cas de figure, il y a fin de vie de ladite formation interstitielle. Certaines
formations sont déconstruites facilement et à court terme. Ce processus de transformation
socio-spatiale s’avère complexe et très lent pour d’autres. Le cycle de vie d’une formation
interstitielle urbaine désigne l’ensemble des temporalités existentielles de cette dernière allant
de sa mise en place ou construction ou encore sa naissance, à sa déconstruction, à sa
disparition par intégration urbaine, ou à sa substitution par un continuum territorial. Le site de
Mboppi évoqué plus haut dans la ville de Douala, en est un exemple atypique. Il s’agit d’une
formation interstitielle urbaine qui a connu trois temporalités. Cette formation est passée d’un
marécage, à une décharge urbaine, puis de la décharge à un espace marchand de vente en
gros, et le plus important de la capitale économique du Cameroun (Meva’a Abomo, 2017,

16
2006). Cette dernière temporalité correspond à la phase d’intégration territoriale urbaine de la
formation interstitielle et à la consolidation d’un continuum territorial urbain.

4- Théorisation de la formation interstitielle urbaine et opérationnalisation de la théorie


en tant qu’outil d’analyse des territoires d’entre-deux ou interstitiel

4.1- La formation interstitielle urbaine : d’un objet d’étude à une théorie scientifique

Le décryptage et l’analyse de la formation interstitielle urbaine qui précèdent sont


révélateurs de trois acceptions cardinales. Premièrement, la formation interstitielle urbaine est
un construit de l’anthrope ; un produit des relations de causalité régissant les modes
d’appropriation et de mise en valeur de l’espace urbain ou régissant les rapports que la société
a avec l’espace urbain d’une part, puis, avec les espaces marginaux de son cadre de vie urbain
d’autre part. La formation interstitielle urbaine est donc un pertinent objet d’étude contribuant
à une meilleure maîtrise du fait urbain de l’urbanisme et de l’urbanocène dans leur
complexité. En tant qu’objet d’étude, elle est un pertinent dispositif d’observation, de
description, d’analyse, et d’interprétation des dis-continuums territoriaux en milieu urbain ; un
instrument de décryptage de l’encastrement de certaines entités territoriales résiduelles, aussi
petites soient-elles, entre des entités territoriales plus significatives en milieu urbain. Cet
encastrement territorial donne lieu à ce qui est qualifié « d’incrustation socio-spatiale ». Ce
dispositif ou cet instrument constitue une théorie au sens de Willett (1996) pour qui : « Une
théorie est une manière de concevoir et de percevoir les faits et d’organiser leur
représentation. Elle sert à conceptualiser et à expliquer un ensemble d’observations
systématiques relatives à des phénomènes et à des comportements complexes. Elle sert aussi à
découvrir un fait caché. Il s’agit donc d’une construction de l’esprit élaborée suite à des
observations systématiques de quelques aspects de la réalité… ; …Une théorie sert donc à
définir, décrire, comprendre, expliquer, représenter et prédire un phénomène particulier et un
ensemble de relations propres à ce phénomène suite à la vérification d’un certain nombre
d’hypothèses. ».Il s’agit de la Théorie de la Formation Interstitielle Urbaine (Th-FUI).
Cette première acception établissant que la formation interstitielle urbaine est une
construction à partir d’un ensemble de relations de causalité, amène infailliblement à conclure
deuxièmement que la formation interstitielle se fonde sur des lois scientifiques au sens
d’Aktouf (1987) pour qui, une loi scientifique est la mise en relation causale des faits
observés et analysés, et la généralisation de ces relations à toutes sortes de situations
équivalentes ; ou de Willett (1996) qui considère une loi scientifique comme un énoncé
théorique sur des relations de cause à effet entre des variables observables dans un grand
nombre de situations. Ces lois régissent donc les relations de causalité à la base de la
construction, de la déconstruction et de la reconstruction perpétuelle des formations
interstitielles en ville. L’ensemble de ces lois scientifiques constitue ce qui est
heuristiquement légitime d’appeler, une fois de plus, la Théorie de la Formation Interstitielle
Urbaine (Th-FIU).
En principe, une théorie scientifique est, d’après Parsons (1964), un système de lois
scientifique. Elle est, pour Aktouf (1987 : 24), « la réunion d'un ensemble de lois concernant
un phénomène donné en un corps explicatif global et synthétique. Par exemple, l'ensemble des
lois newtoniennes sur la mécanique constitue la théorie mécanique classique. L'ensemble des
lois du marché, offre-demande, rareté, avantages comparatifs, profit ... constitue la théorie
économique classique. Les lois de fonctionnement du psychisme inconscient forment la
théorie psychanalytique et ainsi de suite. ». Les lois scientifiques sont des systématisations

17
des relations de cause à effet par l’esprit humain à des fins de représentation, de
compréhension et d’explication d’une réalité donnée d’ordre factuel, phénoménal ou
nouménal. Sous cet angle, les lois scientifiques sont donc des hypothèses explicatives de
ladite réalité et constituent une fois de plus une théorie au sens de Galtung (1970 : 451) pour
qui « une théorie est un ensemble d’hypothèses structurées par une relation d’implication ou
de déduction. ». Ces capacités représentatives et explicatives d’une même réalité en toute
traçabilité, en toute reproductibilité et en toute universabilité qu’incarnent les lois scientifique
associées à leur capabilité prédictive en font, une fois de plus, une théorie scientifique au sens
de Littlejohn et de Willett. D’après Littlejohn, (1989 : 32-31), « Toute tentative d’explication
ou de représentation d’un aspect de la réalité constitue une théorie. Une théorie est à la fois
une abstraction et une construction de l’esprit. Le but d’une théorie est de découvrir, de
comprendre et de prédire les événements. ».

4.2- La Théorie de la Formation Interstitielle Urbaine (Th-FIU) : lois scientifiques de


base et énoncé général

La Th-FIU se fonde sur trois lois majeures :

La Loi existentielle selon laquelle, une entité territoriale urbaine, aussi petite soit-elle,
est une formation interstitielle urbaine si et seulement si elle est marginale dans entre-deux ou
l’entre-plusieurs territoires urbains plus significatifs, régie par une contrainte socio-spatiale,
mais exploitée ou mise en valeur positivement ou négativement par l’homme.

La Loi fonctionnelle : Si une entité territoriale urbaine, aussi petite ou apparemment


dérisoire soit-elle, est une formation interstitielle urbaine, alors elle a une fonction urbaine et
participe, de la fonctionnalité/dysfonctionnalité de l’appareil urbain, avec de possibles
répercussions extra-urbaines. La formation interstitielle urbaine est donc en interaction avec le
reste de l’espace urbain de manière continue.
La loi du cycle de vie : Si une entité territoriale urbaine, aussi petite ou apparemment
dérisoire soit-elle, est une formation interstitielle urbaine, alors, elle a un cycle de vie qui est
l’ensemble de ses états physiques et sociétaux produits par diverses mutations socio-spatiales
allant de sa mise en place à sa disparition. Cette entité territoire est, à la base, un espace
naturel donnant lieu à la phase primaire de la formation interstitielle. L’urbanisation va
entrainer l’anthropisation de cette entité territoriale primaire en lui concédant diverse
configurations socio-spatiales et fonctions dans le temps au sens de Chesnaux (2004). Chaque
configuration structurelle majeure résultant d’un type de modes d’appropriation et de mise en
valeur correspond à une phase du cycle de vie de la formation interstitielle. Chaque phase a
une fonction spécifique et participe aussi spécifiquement de la fonctionnalité /
dysfonctionnalité de l’appareil urbain. La formation interstitielle urbaine disparait à la suite de
son intégration territoriale urbaine marquée par la restauration d’un continuum territorial entre
les deux territoires significatifs qui en sont à la base. Elle a donc un début, une durée et une
fin. Ce continuum peut, cependant, être à nouveau brisé. Le territoire intégré peut ainsi
redevenir marginal, incrusté et le cycle recommence.
Ces lois sont à la base de la formulation de l’énoncé général de la Th-FIU qui stipule
que :
« L’entité territoriale, que constitue la formation interstitielle urbaine, et les territoires
significatifs dont elle est l’interstice, constituent un géo-système dynamique régi par trois lois
scientifiques : la Loi existentielle, la Loi fonctionnelle et la Loi du cycle de vie. Toute

18
formation interstitielle urbaine est composée de deux appareils cardinaux : un structurel et
l’autre fonctionnel, régis par un cycle de vie. La Loi existentielle est révélatrice de la présence
d’un appareil structurel qui renvoie à l’ensemble des dispositifs physiques, matériels, et
humains structurant et formalisant la formation interstitielle dans le géo-système dynamique.
Cet appareil comprend deux armatures structurelles :

(1)- L’armature socio-spatiale interstitielle qui s’articule sur les composantes


structurelle de la formation interstitielle. Il s’agit des composantes écologique, sociale,
économique, politique et culturelle de la formation interstitielle. L’appropriation de ces
composantes prédispose à une compréhension décente et à une meilleure maîtrise autant de la
contingence que de la formation interstitielle ;

(2)- L’armature de la contingence socio-spatiale qui s’articule sur l’(les) objet(s) de


marginalisation et de délaissement de ce territoire résiduel, en reconstituant sa genèse, sa
chaine de causalité, ses déterminants et traits caractéristiques particuliers, etc. La contingence
est un construit, un produit de l’agencement harmonieux d’un ensemble d’agrégats
élémentaires. Elle est en perpétuelle restructuration et reconfiguration en fonction de
l’évolution de l’armature socio-spatiale interstitielle, puis, des influences externes à la
formation interstitielle urbaine.

La Loi fonctionnelle est fondatrice de l’appareil fonctionnel qui renvoie à l’ensemble


des dispositifs non figés ou dynamiques qui régissent la fonctionnalité non pas de la formation
interstitielle en particulier, mais du géo-système multivalent où cette formation est immergée
en général. Cet appareil comprend également deux armatures fonctionnelles :

(1)- L’armature des dynamiques spatio-fonctionnelles intra-interstitielles qui


s’articule sur une grille d’activités et/ou de pratiques socio-spatiales internes à la formation
interstitielle, sur les formes d’exploitation et de mise en valeur de l’espace interstitiel, leurs
impacts plurielles sur le territoire incrusté, les répercussions desdits impacts, les effets induits
desdites répercussions…

(2)- L’armature des dynamiques spatio-fonctionnelles extra-interstitielles qui


s’articulent sur les échanges, ou plus globalement, les interactions entre la formation
interstitielle et le reste de la ville voire même tout le pays. Il s’agit des externalités territoriales
des dynamiques d’acteurs de la formation interstitielle. Cette armature structurelle intègre les
répercussions externe à la formation interstitielle urbaine ou relevant des territoires
juxtaposant ladite formation. Il établit des liens de causalité entre la formation interstitielle et
les composantes sociale, économique, politique, culturelle et écologique des territoires qui la
juxtaposent.

D’après la Loi du cycle de vie, chaque appareil, tout comme chaque composante
d’appareil, a un cycle de vie spécifique. Le cycle de vie global de la formation interstitielle est
la synthèse des cycles de vie spécifiques. Il ne se reconstitue qu’au terme de l’analyse de la
formation à travers ses deux appareils cardinaux. Il est structuré en phases de vie
correspondant à des temporalités précises marquées par des configurations socio-spatiales
spécifiques de la formation, le développement de types de mise en valeur et de fonction
également spécifiques Chesnaux (2007, 2004), comme il a été signalé plus haut.

19
Géo-système de la Formation Interstitielle
Urbaine
Appareil structurel

Armature Armature de
socio-spatiale contingence
interstitielle socio-spatiale

Armature de dynamiques
Armature de dynamiques
spatio-fonctionnels
spatio-fonctionnels
intra-interstitielles
intra-interstitielles

Appareil fonctionnel

Cycle de vie de la Formation Interstitielle


Urbaine

1èrePhase de vie 2ème Phase de vie 3ème Phase de vie ------- Nme Phase de vie

Caractéristiques : Caractéristiques : Caractéristiques : ------- Caractéristiques :


- Appareil structurel - Appareil structurel - Appareil structurel ------- - Appareil structurel
spécifique N°1, spécifique N°2, spécifique N°3, spécifiqueN°n,
- Appareil fonctionnel - Appareil fonctionnel - Appareil fonctionnel ------- - Appareil fonctionnel
spécifique N°1, spécifique N°2, spécifique N°3, spécifiqueN°n,
- Cycle de vie - Cycle de vie - Cycle de vie ------- - Cycle de vie
spécifique N°1. spécifique N°2. spécifique N°3. spécifiqueN°n.

Figure 1 : Schématisation de la Théorie de la Formation Interstitielle Urbaine

4.3- La Théorie de la Formation Interstitielle Urbaine (Th-FIU) : un outil de lecture, de


décryptage et d’analyse des territoires d’entre-deux de contingence

La Formation interstitielle urbaine est, par essence, un territoire complexe. Les outils
d’analyse des territoires existants à l’exemple de la théorie de la formation socio-spatiale se
heurtent à cette complexité entretenue par une contingence socio-spatiale et des dynamiques
d’interaction également complexe en perpétuelle recomposition. Cet outil approprié au
décryptage et à l’analyse des territoires classiques n’intègre structurellement pas les
dynamiques internes des espaces de brisure du continuum territorial en milieu urbain ; des
espaces d’entre-deux, d’entre-plusieurs, ou interstitiels qui sont de véritables micro-géo-
systèmes urbains. Aucun outil d’analyse existant ne traite de la question de la contrainte

20
socio-spatiale sous l’angle interstitielle, d’incrustation territoriale qui n’est porteur de sens et
de logique que grâce au macro-système urbain qui leur donnent naissance et qui participent de
leur fonctionnalité. Cet outil ne décrypte pas l’interdépendance et les interactions systémiques
entre l’interstice ou micro-géo-système urbain marginal et les territoires voisins (ou séparés
par l’interstice) ou le reste de la ville qui est le macro-géo-système urbain.
L’analyse du microsystème que constitue la formation interstitielle urbaine ne saurait
donc se passer du macrosystème, ou du moins, de ses territoires d’attaches ou géniteurs.
L’exercice exigerait, en toute logique, la mise en relation structurelle et synchronisée entre
différentes entités territoriales, contraintes socio-spatiales, fonctionnalité urbaine. Cette mise
en relation structurelle n’est malheureusement prévue dans aucun outil d’analyse des
territoires classiques. En définitive, L’interstice urbain échappe à l’ensemble des grilles
d’analyse des territoires existant.
La théorisation ci-dessus fait de la formation interstitielle urbaine un outil de
décryptage des territoires urbains d’entre-deux ou d’entre-plusieurs ; l’outil par excellence
d’observation, de description, d’analyse, d’interprétation et même de prédiction des
incrustations socio-spatiales urbaines, des formations socio-spatiales urbaines marginales.
Cette théorie est opérationnalisable suivant deux instances d’analyse : classique et
synthétique. L’instance classique s’articule sur l’analyse globale de la formation interstitielle
suivant une démarche en cinq étapes. La première porte sur l’analyse de l’appareil structurel
et la seconde sur l’appareil fonctionnel. La troisième s’articule sur l’interprétation des
résultats assortie de la reconstitution du cycle de vie de ladite formation. La quatrième renvoie
à l’élaboration d’un modèle explicatif et la cinquième s’inscrit dans la prédiction sur le
territoire urbain d’entre-deux à partir d’une simulation des différentes possibilités de son
devenir en fonction d’un profil de formes de sa mise en valeur.
L’instance synthétique porte sur l’analyse d’un fait, d’un phénomène ou d’un noumène
spécifique au sein de la formation interstitielle ou en rapport avec celle-ci suivant cinq étapes
également. La première s’articule sur l’analyse dudit fait, phénomène ou noumène à partir de
l’appareil structurel de la formation interstitielle urbaine. Il en résulte une caractérisation
structurelle dudit objet d’étude. La seconde décrypte ledit fait, phénomène ou noumène à
partir de l’appareil fonctionnel. Il en résulte une caractérisation fonctionnelle dudit objet
d’étude. La troisième s’investit sur l’interprétation des résultats obtenus accompagnée d’une
reconstitution du cycle de vie dudit fait, phénomène ou noumène. La quatrième porte sur
l’élaboration d’un modèle explicatif associé. Enfin, la cinquième s’intéresse à la prédiction
dudit fait, phénomène ou noumène à partir d’une simulation des différentes possibilités de
devenir de ladite réalité empirique. En définitive, l’analyse cohérente et logique d’une
formation interstitielle intègre de fait, les autres entités territoriales de par leur indissociabilité
et leur articulation systémique. Il y a donc mise en relation et synchronisation des différentes
composantes territoriales du géo-système dynamique.

Conclusion

Le territoire urbain d’entre-deux constitue un objet d’étude de plus en plus


préoccupant en sciences humaines et sociales au regard du glissement progressif vers une
planète urbaine et l’entrée, puis ce 21ème siècle dans l’ère de l’urbanocène. La présente étude
fait dudit territoire une formation urbaine véritable à savoir : la formation interstitielle
urbaine, suivant une double assertion. Cette formation est un processus dynamique d’une part,
et un état de fait d’autre part. Suivant la première assertion, la formation interstitielle urbaine
est une perpétuelle construction organique et mécanique des modes d’appropriation et de mise

21
en valeur de l’espace urbain par l’homme. Selon la deuxième, elle est un état de fait et non un
état de nature. Elle est un produit de l’agrégation de divers éléments structurels et
fonctionnels : la disponibilité d’un lopin de terre, la contingence socio-spatiale, l’homme, le
souci d’occupation et de mise en valeur de l’espace disponible. Déjà, il n’existe pas d’espace
libre au sens propre du terme en milieu urbain. Tout espace ignoré dans les plans
d’aménagement urbain ou délaissé par un quelconque acteur économique, par la
municipalité…etc., fait l’objet d’une autre forme de valorisation généralement anarchique et
difficilement classifiable. La transformation d’une friche industrielle en dépotoir d’ordures, le
développement de l’habitat spontané dans les marécages…, la pratique de l’agriculture
urbaine sur les lits de cours d’eau…, sont autant de formes d’appropriation des espaces
marginaux par l’homme en ville. Plusieurs sites urbains faisant partie des domaines étatiques
ou municipaux (emprise riveraine, ferroviaire, zone marécageuse ou à risque
écologique…etc.), bien qu’à risque, connaissent également des modes d’exploitation divers
dans les villes. Ces occupations anarchiques des espaces marginaux sont taxées d’insalubres.
Au total, la formation interstitielle urbaine est porteuse de sens et d’enjeux en urbanisme en
tant qu’expression tangible dans la matérialité, des modes d’appropriation et de valorisation
des sites urbains marginaux ; un microcosme complexe de l’appareil urbain. Ce constat
conduit à la troisième acception selon laquelle la formation interstitielle urbaine est un
paradigme de la formation urbaine au sens de Kuhn (1972) et de Hoyningen-Huene (1993).
Cette étude vient ainsi enrichir le patrimoine scientifique de paradigmes de formation urbaine.
Elle contribue modestement à une meilleure maîtrise de l’urbanisme et de l’urbanisation par la
science.
Cette contribution est davantage signification avec la théorisation de ce nouveau type
de formation urbaine régie par des lois scientifiques. Ces lois sont à la base de la formulation
de la Théorie de la Formation Interstitielle Urbaine (Th-FIU) qui stipule qu’une formation
interstitielle urbaine comprend deux appareils cardinaux. L’appareil structurel est composé de
l’armature socio-spatiale interstitielle et l’armature de la contrainte socio-spatiale. L’appareil
fonctionnel est composé de l’armature des dynamiques spatio-fonctionnelles intra-
interstitielles, puis, de l’armature des dynamiques spatio-fonctionnelles extra-interstitielles.
Cette théorie intègre la temporalité comme composante majeure d’une formation interstitielle
à partir de la notion de cycle de vie à plusieurs phases. Il s’agit donc d’un outil d’observation,
de description, d’analyse et d’interprétation pluridisciplinaire des territoires urbains d’entre-
deux. La Th-FIU tente ainsi de niveler le crucial déficit d’outil de lecture et de décryptage des
territoires marginaux d’entre-deux dans les villes.

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