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Bulletin de l'Association de

géographes français

Du symbole à l'image : analyse de l'espace urbain à Belfort (From


symbolism to the image : analysis of a french city, Belfort)
Antoine S. Bailly

Abstract
Abstract. - Each individual through the learning process, his personnal life, the symbolism of places has a complex image of his
city. In this paper we show through an analysis of litterary texts and a study of a French City, Belfort, the different meanings of
space and places.

Résumé
Résumé. - En fonction de son apprentissage, de son vécu individuel, des symboliques des lieux, le citadin se crée une image
riche et variée du milieu urbain. A travers l'étude de textes littéraires et des perceptions des citadins, la géographie «
behaviouriste » propose un renouvellement et un enrichissement de la connaissance de l'espace urbain.

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S. Bailly Antoine. Du symbole à l'image : analyse de l'espace urbain à Belfort (From symbolism to the image : analysis of a
french city, Belfort). In: Bulletin de l'Association de géographes français, N°479-480, 58e année, Mai-septembre 1981. pp. 239-
243;

doi : https://doi.org/10.3406/bagf.1981.5264

https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_1981_num_58_479_5264

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Bull. Assoc. Géogr. Franc., Paris, 1981, N° 479-480

Antoine S. BAILLY*

DU SYMBOLE A L'IMAGE :
ANALYSE DE L'ESPACE URBAIN A BELFORT
ANALYSIS
FROM SYMBOLISM
OF A FRENCH
TO CITY,
THE IMAGE:
BELFORT

RESUME. - En fonction de son apprentissage, de son vécu individuel, des


symboliques des lieux, le citadin se crée une image riche et variée du milieu urbain. A
travers l'étude de textes littéraires et des perceptions des citadins, la géographie
« behaviouriste » propose un renouvellement et un enrichissement de la
connaissance de l'espace urbain.
ABSTRACT. - Each individual through the learning process, his personnal life, the
symbolism of places has a complex image of his city. In this paper we show through
an analysis of litterary texts and a study of a French City, Belfort, the different
meanings of space and places.
Mots clés : perception de l'espace, ville, Be/fort.

1 . Une géographie des symboliques urbaines


Certes, «on ne saurait examiner les villes faites de mots, comme des
villes faites de pierre » (Tibert, 1 973, p. 3), mais ne faut-il pas dans
toutes les sciences sociales, approfondir nos points de vue sur la ville ?
Approche d'actualité puisque le phénomène urbain est devenu
envahissant dans la plupart des disciplines, de la littérature à la géographie;
villes de contrastes, villes symboliques, villes imaginaires, mais aussi villes
fonctionnelles vivantes, sont analysées sous de multiples aspects par de
nombreux chercheurs.
Ces travaux s'intègrent-ils dans nos préoccupations géographiques? Certainement;
l'exemple de l'image de la ville dans la littérature illustre l'imbrication profonde de toutes
les sciences humaines. Dans le roman, qu'il soit contemporain, du dix-neuvième siècle ou
bien encore policier, ne retrouve-t-on pas le souci de restituer l'échelle géographique de
la ville, par la vision à vol d'oiseau dans le roman balzacien, par la déambulation chez
d'autres écrivains ? L'auteur prend toujours soin de présenter et de disposer les repères,
symboliques ou physiques, dans le milieu urbain, pour orienter le lecteur - la tour Eiffel ou
les cafés de Paris -; puis il met en relief les schémas logiques qui guident le cheminement

* Professeur à l'Université de Genève, Département de Géographie, Route des Acacias, 1 8 ; 1227 Les
Acacias, Genève, Suisse.
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des héros dans la ville. A tous les niveaux, de l'ensemble urbain au quartier, l'auteur insiste
sur certains aspects de l'espace activité. Ainsi, par son discours, évoque-t-il cet ensemble
de représentations, cette variété des symboliques urbaines. Le choix des descripteurs, de
l'échelle d'analyse constituent à chaque instant un ensemble de signifiants, exprimant le
message urbain. La tâche du chercheur est donc, à travers ce message, de mieux
comprendre les pratiques spatiales urbaines et la manière dont la connaissance des hommes génère
ces pratiques.
Actualiser cette réflexion, au lieu de la mener uniquement sur des
œuvres littéraires, nous pousse alors à saisir la manière dont l'homme
habitant conçoit son milieu. Puisque la ville est à la fois production et
vécu humain, pourquoi ne pas rechercher à travers les images
individuel es les constantes à la fois physiques, sociales et symboliques qui
traduisent les valeurs individuelles et sociétales ? Rompant avec l'approche de
la géographie traditionnelle, l'analyse des processus cognitifs et des
représentations qui en découlent suppose des enquêtes au niveau des
individus et de leurs motivations. Cette nouvelle géographie
expérimentale a débuté avec la recherche sur la diffusion et les cartes mentales.
Elle se poursuit par l'étude des relations subjectives entre images,
connaissances et pratiques spatiales.

2. De la théorie aux études de cas


Pour comprendre ce qui est responsable des images spatiales, nous ne
pouvons nous contenter d'utiliser les résultats agrégés des
recensements qui ne reflètent que des moyennes pseudo-objectives.
Afin de dégager en milieu urbain la diversité des points de vue,
comprendre comment le cadre de la vie et les valeurs sociétales influencent
les attitudes, nous faisons appel au paradigme cognitif. Se pencher sur
le problème du passage de l'attitude au comportement exige du
géographe une révolution psychologique: plutôt que de chercher des
communautés dans les comportements, nous mettons l'accent sur la
multiplicité des attitudes qui permettent de saisir les forces antagonistes qui
modèlent les configurations spatiales.
Cette démarche s'oppose à la fois au positivisme, car nous mettons en
cause les régularités dégelées par la macrogéographie, et au marxisme,
car l'accent n'est pas mis sur le matérialisme historique, mais sur la
subjectivité de la connaissance humaine. Dans le premier cas, ne s'attache-
t-on pas trop aux comportements de groupe, sans refléter la variété des
motivations ? Dans le deuxième cas, ne néglige-t-on pas les invariants
spatiaux échappant au processus de production sociale ?
En cherchant à obtenir des données individuelles sur les attitudes dans
des quartiers de dimensions réduites, nous privilégions les logiques liées
à la perception et à l'expérience personnelle du milieu. En identifiant les
lieux mentionnés par certaines personnes, nous introduisons dans
l'analyse géographique les systèmes territoriaux et symboliques. On ne
s'interroge pas sur la façon dont la demande est créée par la société,
mais sur la manière dont l'individu vit le milieu urbain. Les relations entre
personnes forment la structure des échanges sociaux et par analyse des
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fréquences des réponses et des régularités dans les attitudes, nous


pouvons identifier la complexité des systèmes de significations.

3. Les concepts du paysage urbain belfortain


La ville de Belfort n'est pas choisie en raison de caractères particuliers de son paysage
et de ses habitants, mais plus simplement car, dans le cadre de l'élaboration du Plan
d'Occupation des Sols, il nous a été demandé d'étudier l'image du paysage urbain, et ainsi
il est devenu possible de tester nos hypothèses sur un cas concret. L'enquête, par
questions directes (ouvertes et fermées), complétées par le dessin de cartes mentales de la ville
(Bailly, 1 977), a été menée dans le cadre d'un contrat avec le Groupe d'Etude et de
Programmation du Ministère de l'Equipement. Donnons-en les principaux résultats.
Par suite des interprétations personnelles du paysage et des
apprentissages différents, l'expérience cognitive se traduit par une grande
variété des images. Dans les réponses, les relations à l'espace sont
explicitées à travers le vécu quotidien, et plus précisément par le biais des
aires d'activité et de résidence. Ce sont ces zones qui sont le mieux
représentées (en surface et en éléments), et c'est le long des axes de
déplacement habitat-travail que l'on note certains repères saillants. Ainsi
apparaît le rôle des propriétés topologiques dans la connaissance de la
ville, relations de proximité, d'identité, de symétrie traduisant le vécu
quotidien (vécu du quartier pour les ménagères, vécus plus éclatés pour
les personnes se déplaçant d'un secteur à l'autre en fonction de leurs
activités). Il ne peut exister de définition objective du paysage, valable
pour tous, car notre connaissance se forge à travers le moi dans le temps
et dans l'espace.
Parmi ces réponses se dégage donc une orientation égocentrique avec
des systèmes de références variables suivant les aires vécues. Le réseau
spatial connu constitue un prisme perceptif. L'analyse comparative des
perceptions des habitants de divers quartiers permet la vérification des
concepts de hiérarchie, de différenciation qualitative. L'espace perçu, loin
d'être euclidien, varie en liaison avec l'éloignement du centre et des
secteurs vécus : tout le «biais spatial» apparaît ici, en terme de distance-
durée subjective.
L'image n'est pourtant pas réduite aux stimuli du quotidien. L'homme
projette sa mémoire et son imagination dans le temps. Apparaissent
ainsi chez la plupart des personnes enquêtées des propriétés projecti-
ves et temporelles qui illustrent la perception de la durée : évolution
historique du cadre bâti, perspectives de tranformation (projection
d'éléments dynamiques), mythes historiques et religieux font partie
intégrante des images de Belfort. Quant aux propriétés symboliques liées à
la représentation de l'espace, elles traduisent le magnétisme du centre,
l'opposition centre-périphérie, les différenciations entre quartiers de
bonne et de mauvaise réputation (même si celles-ci ne correspondent
plus tout à fait à la situation actuelle). Le symbolisme se perpétue bien
au-delà du réel.
Nous avons donc classé, dans les répétitivités des réponses, trois
types de relations homme-paysage, qu'il faut compléter par un ensemble
de propriétés géographiques : apparaît à ce niveau le rôle des axes
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structurants, des relations d'axes (nœuds) et des repères, des volumes


marquants (bâtis et non bâtis), des coordonnées (orientation, axes forcés
comme les ponts) et des limites (visuelles et administratives), ce qui
confirme les hypothèses de K. Lynch. Les habitants organisent ainsi les
images du paysage belfortain en caractères topologiques, projectifs,
symboliques et géométriques.
Implicite dans ces images, nous pouvons également sentir la perception des continuités
et discontinuités : la distance vécue, les schémas logiques, les repères, les échelles, le
temps, les relations dialectiques centre-périphérie, tout un ensemble d'attributs, de
relations en deux ou trois dimensions (surface et volumes), reposant sur la perception
subjective et symbolique de la distance et de la durée. A partir de ces représentations
mentales, très conformes à celles présentées brièvement à travers l'étude des textes
littéraires, nous pouvons nous attacher aux relations entre les éléments du système de
référence en vue d'une problématique d'aménagement (ici pour l'élaboration du Plan
d'Occupation des Sols).
C'est en tenant compte des secteurs clefs dans l'évaluation
symbolique des distances (axes structurants - nœud central - lieux
symboliques...) qu'il est possible de prévoir le découpage (mesure) en secteurs
homogènes dans lesquels les règlements de P. O.S. seront établis. A
partir des concepts de distance subjective et de biais-spatial, nous
pouvons dresser la carte des cadres de référence signifiants et prévoir la
distribution des services et infrastructures communs.

Conclusions
Contrairement à ce qu'affirme Marcuse, le citadin n'est pas devenu
unidimensionnel; en fonction de son apprentissage, de son vécu
individuel, des symboliques des lieux, il se crée une image riche et variée de
la ville, certes égocentrique, mais chargée de significations. Le rôle du
géographe n'est-il pas alors de mieux comprendre comment les
pratiques spatiales influencent la connaissance et comment celle-ci à son
tour modifie l'utilisation de l'espace ? « Le plus important n'est pas tant
de multiplier les études fonctionnelles de la ville, que de multiplier les
lectures de la ville, dont malheureusement jusqu'à présent, seuls les
écrivains nous ont donné quelques exemples» (Barthes, 1971).

BIBLIOGRAPHIE
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TIBERT M., La ville, thèmes et parcours littéraires, Hachette, Paris, 1973.

DISCUSSION
M. GEORGE : Cet exposé débarrasse l'esprit des idéologies et des systèmes : c'est une
géographie réellement humaine. Vous avez également à juste raison introduit la notion de
durée dans la notion d'espace, l'une est relativisée par l'autre en fonction du temps passé.
M. BAILLY La durée est un élément fondamental de la perception de l'espace mais la
durée n'est pas réductible à la notion de temps.
:

M. CAILLEUX La persistance des images est grande et, par exemple, on retrouve dans
la perception de l'espace montréalais par des personnes âgées les traces des cadres
:

urbains à l'époque de leur jeunesse.


M. GEORGE La perception de l'espace par les immigrés doit être bien différente de celle
des autres personnes.
:

M. BAILLY La géographie de la perception peut être aussi une géographie de la


marginalité car elle permet par sa méthode de comprendre la perception des différents groupes
:

sociaux.
M. METTON : L'étude des marginalités ne conduit-elle pas parfois à l'étude de cas ?
Comment concilier l'analyse de la perception de l'espace et des perceptions d'espaces
urbains mettant en jeu les singularités des individus et de leur pratique de l'espace ?
M. BAILLY : II y a différents niveaux d'analyse et il faut bien expliciter les hypothèses de
départ. L'importance des pratiques peut être illustrée par l'exemple analysé par A. TURCO
dans un récent colloque tenu à Genève. A Venise, le phénomène de l'« acqua alta » n'est
pas dramatisé par les autochtones qui penchent vers des solutions douces alors que pour
les étrangers, le phénomène est frappant et incite à des solutions plus radicales.

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