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Christophe Bouneau
(université de Bordeaux-III, Michel-de-Montaigne)
Résumé
Abstract
The development of the electrical interconnection of Europe did not follow a cen-
tralized pattern. It gave, and still gives, precedence to national networks and to their
technical specificities. France played a leading role in the process. Its own network
developed by favouring regions over the centre, contrary to what happened with its
railways system. But if the European interconnection is decentralized, it nevertheless
gains more strength and unity with time. Its initial conception may be dated from the
1920s, with holdings like SOFINA and various international congresses relating to
electricity. However, it is only after 1945 that a real continental network comes to life,
notably through the influence of associations such as UCPTE and, more recently,
ETSO. It has been a complex process, if only because of the synchronisation of the
national networks. But it is a process that seems to know no boundaries. Nowadays,
it is reaching the countries of the ex-Soviet Empire and even those from the southern
shore of the Mediterranean Sea.
A
près une série de tâtonnements nationale, le dispatching était l’organisme
dans la mise au point du transport central de régulation du trafic ferroviaire.
triphasé à haute tension1, les Ainsi en termes de conception comme
concepts d’interconnexion et de réseau d’expérience et d’exploitation, les réseaux
d’interconnexion n’ont été véritablement de transport d’électricité s’appuient sur
posés en Europe occidentale qu’à partir une filiation étroite avec les réseaux ferro-
de la Grande Guerre2. Dans leur genèse viaires et continuent jusqu’à nos jours à
et leur développement, ils renvoient tous développer avec eux d’importantes syner-
deux à l’expérience depuis le milieu du gies5. Par rapport aux États-Unis,
XIXe siècle de la gestion du premier Large l’intensité de cette filiation et de cette
Technical System, ou macro-système tech- synergie a été beaucoup plus forte en
nique3, en l’occurrence le réseau ferro- Europe occidentale.
viaire, comme l’a montré à plusieurs repri- Notre étude, conformément à l’œuvre
ses François Caron4. Dès les années 1880, de Thomas Hughes au-delà même de Net-
donc au cœur de la dynamique de la works of Power et à la voie tracée en écho
seconde révolution industrielle, la gestion en Europe par François Caron, s’inscrit
d’un réseau de transport de plus en plus naturellement dans une perspective
complexe a été placée sous le signe de d’histoire des systèmes techniques croisant
l’interconnexion en exploitant les nou- histoire économique générale, histoire des
velles opportunités de la technologie élec- organisations et des entreprises, histoire de
trique. la formation d’une communauté profes-
Précisément l’interconnexion des sionnelle et étude des logiques spatiales de
réseaux ferroviaires au début du XXe siècle, l’innovation. Sur un long XXe siècle, des
alors que balbutie encore le transport de premières expériences d’interconnexion
force à haute tension, a déjà atteint un régionale qui relevaient du happening tech-
stade de maturité par la combinaison de nique dans les années 1890 en Allemagne
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1. O. von Miller et AEG réalisent en 1892 le premier transport en triphasé à grande distance (177 km) entre
Lauffen et Francfort. Il s’agit bien pour l’Europe de la première mise en œuvre du concept d’interconnexion
à grande échelle.
2. Voir, dans une perspective strictement française, Christophe Bouneau, « Le transport d’énergie et
l’interconnexion en France de 1919 à 1946 », chapitre de l’Histoire générale de l’électricité en France, tome II,
1919-1946, dirigé par Maurice Lévy-Leboyer et Henri Morsel, Paris, Fayard, 1994, pp. 777-902, en particulier
pp.778-781.
3. Voir Alain Gras, Les macro-systèmes techniques, Paris, PUF, 1997, 128 pages.
4. Voir notamment François Caron, dir., Histoire générale de l’électricité en France, t. I, Espoirs et conquê-
tes 1881-1918, Paris, Fayard, 1991, 999 pages et son Introduction supra à L’électricité en réseaux : Networks
of Power.
5. Voir C. Bouneau, Y. Machefert-Tassin et G. Ramunni dir., Electricité et chemins de fer, actes du colloque
organisé conjointement par l’AHICF et l’AHEF à Paris en mai 1995, Paris, PUF, Collection Histoire de l’électricité,
1997, 521 pages.
9. Voir C. Bouneau, « Le transport d’énergie et l’interconnexion en France de 1919 à 1946 », op. cit.
10. Voir C. Bouneau, Modernisation et territoire. L’électrification du grand Sud-Ouest de la fin du XIXe siècle
à 1946, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, décembre 1997, 736 pages.
11. Voir en particulier sur la manne industrielle régionale attendue par les élites aquitaines de la décou-
verte du gisement de Lacq J. R. Guyon, Sud-Ouest, creuset énergétique, Bordeaux, Delmas, 1955.
Ainsi, des ingénieurs aux théoriciens, la néenne pionnière12. Elle devint grâce à
notion de réseau régional de transport de ses deux pères fondateurs, Jean-Raoul Paul,
force s’imposa dans le champ industriel et directeur de la Compagnie du Midi, et
sémantique de l’organisation. Jean Maroger, président de l’Upepo, un
L’organisation des réseaux prit dans l’entre- modèle à l’échelle à la fois nationale et
deux-guerres les dimensions d’une vérita- internationale. Son pacte social de 1922
ble mystique et la région fut son espace pri- établissait les principes d’une nouvelle dis-
vilégié de développement. Cette période cipline industrielle et, en s’appuyant sur
a bien constitué l’âge d’or des réseaux élec- la Compagnie du Midi, elle mit en œuvre
triques régionaux, qui ont obtenu une une trilogie vertueuse combinant chemin
consécration technocratique durant le de fer, électricité et tourisme, largement
second conflit mondial avec la création inspirée d’ailleurs de l’expérience suisse
officielle en France des complexes élec- par le biais en particulier des Congrès de
triques régionaux. L’historien des systèmes la houille blanche. Au-delà de cette expé-
techniques, qui veut garder constamment rience pionnière, l’électrification et sa tra-
une perspective d’histoire économique, duction spatiale, la constitution de réseaux
doit adopter ici un jugement nuancé sur électriques, ont bien été un vecteur de
la stratification régionale du transport modernisation régionale, participant à la
d’énergie. genèse de l’aménagement du territoire
Malgré la recherche très progressive dans l’ensemble de l’Europe occidentale.
d’une interconnexion générale, cette orga-
nisation régionale a constitué la caracté- La diversité du mode de
ristique essentielle de l’économie élec- développement des réseaux
trique européenne durant la période et l’élaboration des politiques
1920-1950. Même si elle reste le fruit d’interconnexion
d’une évolution historique, c’est-à-dire d’un À l’échelle internationale, la France a
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12. Voir C. Bouneau, « L’Union des producteurs d’électricité des Pyrénées Occidentales (1922-1946) : genèse
et logiques de l’interconnexion », Bulletin d’histoire de l’électricité, n° 6, 1985, pp. 75-82.
13. Voir L. Hannah, Electricity before Nationalisation, Baltimore, John Hopkins University Press, 1979.
14. Voir R. Dautry « La formule anglaise des public trusts appliquée à la gestion des grands services
publics », Revue générale des chemins de fer, août-novembre 1936. Raoul Dautry fait l’éloge de ce système
et souhaite son application et son adaptation aux grands services publics français, réseau ferroviaire mais
aussi réseau électrique.
15. Voir Luciano Segreto, « Gli assetti proprietari » et « Aspetti e problemi dell’industria elettrica in Europa
tra le due guerre », in Giuseppe Galasso (sous la dir. de), Storia dell’industria elettrica in Italia. 3. Espansione
e oligopolo. 1926-1945, t. 1, Rome-Bari, Editori Laterza, 1993, pp. 89-173 et 325-398.
l’industrialisation des massifs alpin et pyré- mentarité poussée entre les régions ther-
néen et de leur piémont, et l’Italie, avec miques du Nord et les massifs hydrauliques
des résultats bien inférieurs et une disper- du Sud. Alors que les réseaux électriques
sion bien supérieure, se dotèrent ainsi de avaient atteint dans l’Hexagone un pre-
complexes d’industries nouvelles. Leur mier équilibre régional durant les années
croissance signifiait en quelque sorte la vingt comme nous l’avons vu, la polarisa-
revanche des espaces méridionaux, en par- tion du marché énergétique par la capi-
ticulier montagnards et sous-montagnards, tale commença à s’exercer durant les
sur les grands bassins de l’Europe du années trente. Ce fut cette polarisation qui
Nord-Ouest, héritiers de la première présida à la synchronisation des huit com-
industrialisation. plexes régionaux recherchée à partir de
En Italie l’aménagement du réseau élec- 1938, mais qui ne fut pleinement réalisée
trique et ses effets induits permirent aux qu’après la mise en place d’EDF en 1946.
aciéristes piémontais et lombards utilisant La mise au point d’un dispatching natio-
le four électrique d’augmenter considéra- nal s’affirma progressivement comme un
blement leur part de la production natio- enjeu stratégique. À partir du dispatching
nale d’acier, de 2,1 % en 1913, à 7,3 % en de l’Union d’électricité établi rue de Mes-
1918 et 27 % en 1938. Dans la péninsule sine fut ainsi constitué dans le cadre de
ibérique, l’électrification, grâce au l’économie dirigée de Vichy un bureau
transport d’énergie malgré les retards de central d’exploitation et de coordination,
l’interconnexion, a également joué un rôle chargé de régler en particulier les mou-
d’intégration régionale. Celui-ci a été mis vements d’énergie entre la zone libre et la
en évidence pour l’Andalousie par les France occupée. À partir de 1941, le
recherches de G. Nunez Romero-Bal- BCEC organisa chaque mois dans un
mas16, même si cette intégration fut loin dispatching régional différent la réunion
d’avoir toujours des effets positifs sur les des exploitants des complexes pour exa-
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18. J. d’Harcourt, « La coordination des moyens de production d’énergie électrique », Bulletin de la Société
française des électriciens, octobre 1937. J. d’Harcourt fut un des principaux négociateurs du partage hydrau-
lique/thermique du marché parisien dans les années trente.
19. Aujourd’hui le niveau maximal de tension est détenu par la ligne à 1 150 000 V reliant l’Oural à la Silé-
sie. Mise en service en 1989 il s’agit d’une des dernières réalisations industrielles spectaculaires de l’URSS.
20. Voir C. Bouneau, « Le transport d’énergie et l’interconnexion en France de 1919 à 1946 », op. cit.
21. Voir plus largement pour le développement des réseaux humains qui a accompagné la dynamique de
l’électrification européenne de la première moitié du XXe siècle, Dominique Barjot et Ginette Kurgan-van Hen-
tenryk, Les réseaux humains dans l’industrie électrique européenne, infra.
22. E. Genissieu, « L’interconnexion et l’aménagement de nos cours d’eau », L’Information, numéro spé-
cial sur l’électricité, 1930.
23. Voir notamment Hervé Joly, « Les ingénieurs du corps des Ponts et Chaussées dans les compagnies
électriques : la nationalisation avant la nationalisation ? », in Dominique Barjot, Henri Morsel, Sophie Coe-
uré (sous la dir. de), Stratégie, gestion, management. Les compagnies électriques et leurs patrons 1895-1945,
Paris, Fondation Électricité de France, 2001, pp. 455-473.
24. Voir pour une première approche C. Bouneau, « Les ingénieurs de production et les techniciens quali-
fiés de l’industrie électrique en France depuis la fin du XIXe siècle », Regards sur les classes moyennes XIXe-
XXe siècles, sous la direction de Pierre Guillaume, Bordeaux, Editions de la MSHA, 1995, pp.17-37.
25. Voir pour une perspective globale sur les solidarités internationales des ingénieurs de réseaux, éga-
lement ferroviaires et de télécommunications, C. Bouneau, « Les solidarités d’ingénieurs en Europe occi-
dentale du début du XIXe siècle au second conflit mondial : pour une histoire comparée des réseaux de soli-
darités », Les solidarités. Le lien social dans tous ses états, Bordeaux, Editions de la MSHA, 2001, pp. 461-474.
Voir plus précisément J. Barrère, La genèse de l’Europe électrique : les logiques de l’interconnexion trans-
nationale (début des années 1920-fin des années 1950), 2 vol., mémoire de maîtrise de l’université de Bor-
deaux-III réalisé sous la direction de Christophe Bouneau, dactylographié, Bordeaux, 2002, pp. 102-114.
réseaux électriques (Cigre), qui tint sa nal qui régulait à la marge l’économie
première réunion à Paris en 1921, et par électrique en facilitant le jeu des méca-
l’Union internationale des producteurs nismes de compensation28.
et distributeurs d’énergie électrique (Uni- L’entre-deux-guerres vit l’élaboration
pede), créée en 192526. des premiers grands projets de réseau
européen. Parmi eux, certainement le
Les balbutiements plus important émana de la Sofina, célè-
de l’interconnexion transnationale bre organisme multinational de
jusqu’aux années 1950 : à la marge l’industrie électrique. Aspirant à une
des systèmes électriques interconnexion essentiellement finan-
Avec la question stratégique de cière, l’interconnexion dessinée par la
l’interconnexion transnationale, Sofina prenait alors le visage de la déme-
l’économie électrique offre un excellent sure technique, celui d’un super-réseau
champ d’étude de l’imbrication des échel- européen à 400 kV29.
les spatiales d’un macro-système tech- En fin de compte, au-delà d’un dévelop-
nique. À première vue, celle-ci a joué un pement assez lent des flux énergétiques
rôle relativement secondaire jusqu’au transnationaux, les vingt-cinq années du pre-
second conflit mondial. La Suisse et le mier après-guerre à la Libération virent sur-
massif alpin ont bien été le berceau de tout l’élaboration d’un corpus théorique
l’interconnexion transnationale en complet des travaux sur l’interconnexion à
Europe27. Dans cette genèse la première longue distance et, donc, transfrontalière.
liaison transfrontalière fut inaugurée en Ces recherches occupèrent une grande
1906 par une ligne de 55 000 volts entre place dans les rapports présentés aux congrès
l’usine de Campocologno en Suisse et la de la Cigre, de la Conférence mondiale de
Société lombarde de distribution d’énergie l’énergie et de l’Unipede. D’autre part, les
électrique. Pour le massif alpin, dans son projets industriels précis de connexions trans-
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26. Voir Persoz H., « 40 ans d’interconnexion internationale en Europe : le rôle de l’Unipède », Électricité
et électrification dans le monde, Paris, PUF, 1992, pp. 293-303.
27. Voir C. Bouneau, « La genèse de l’interconnexion électrique internationale de la France du début du
siècle à 1946 », Les réseaux européens transnationaux, actes du Colloque international organisé par l’Institut
universitaire européen de Florence à San Miniato en mai 1993, Nantes, Ouest Editions, 1995, pp.76-98.
Voir également J. Barrère op. cit.
28. La question des transferts d’électricité de la France vers l’Allemagne durant le second conflit mondial
fut particulièrement controversée, alors qu’ils ne représentèrent en réalité que des flux très limités.
29. Voir notamment R. Brion, « Les interventions du groupe Sofina. dans le financement de l’industrie élec-
trique française », Le financement de l’industrie électrique en France 1880-1980. Actes du septième colloque
de l’AHF, Paris, 1991, Paris, PUF, 1994, pp. 217-232 et infra D. Barjot et G. Kurgan-van Hentenryk, op. cit.
30. Voir C. Bouneau, « L’interconnexion internationale de la France et la genèse du réseau électrique euro-
péen de 1945 à nos jours », European networks, 19th-20th centuries. New approaches to the formation of a
transnational transport and communications system, Proceedings of the Eleventh International Economic
History Congress, Milan, septembre 1994, pp. 61-72.
31. Voir J. Barrère, op. cit., pp. 278-282.
32. Voir notamment R. André et J. Ravel, Transport d'énergie et télécommunications, 40 ans d'histoire d'un
grand service d'EDF, Paris, AHEF, 1991, pp. 112-113.
33. Voir Michel Derdevet, « Les réseaux de transport d’électricité au cœur de la construction de l’Europe
électrique », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, n° 471, sept. 2003, pp. 519-525.
vis des producteurs, le bon fonctionne- la fois par l’UCTE, les GRT britanniques
ment du système électrique et et Nordel (association des GRT scandi-
l’acheminement de l’énergie dans des naves). Présidée actuellement par André
conditions non discriminatoires. Merlin, sa mission première consiste à
Une deuxième directive européenne élaborer les modalités économiques et
du 26 juin 2003 a approfondi ces objec- juridiques des transits internationaux
tifs en renforçant l’indépendance des d’électricité.
GRT vis-à-vis des autres acteurs du mar- En définitive, malgré les vertiges de la
ché de l’électricité : il s’agit désormais complexité, les limites de l’interconnexion
d’arriver à une véritable séparation juri- ne sont fixées que par les facteurs écono-
dique des activités de transport par rap- miques liés au coût du transport. À la dif-
port aux autres secteurs des entreprises férence d’autres types de réseaux techniques
autrefois intégrées34. Siégeant à Bruxelles où la complexité se marie aussi bien avec
les deux associations européennes des ges- le maintien de petites tailles36,
tionnaires de réseaux de transport coor- l’accroissement de l’échelle spatiale des sys-
donnent l’animation du marché de tèmes interconnectés semble toujours rele-
l’électricité35. Au rôle historique de ver d’une logique irréversible. Au-delà de
l’UCTE, dont la mission reste de définir l’intégration très progressive des réseaux de
les standards techniques de l’ancien bloc soviétique37, qui est en réalité
l’interconnexion, est venu s’ajouter celui très loin d’être achevée à cause des condi-
d’ETSO (European Transmission System tions très difficiles de recherche du syn-
Operators), qui vise à harmoniser en chronisme, l’horizon de l’interconnexion
Europe les règles d’accès au réseau et à européenne franchit aujourd’hui les fron-
réaliser un véritable marché intérieur de tières continentales pour s’intéresser au
l’électricité. L’UCPTE a perdu le P de Moyen-Orient et surtout au Maghreb.
production en 1999 pour devenir Union L’UCTE, l’Unipede et ETSO, chacune
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34. Voir L’Europe de l’électricité entre concurrence et service public, numéro spécial de la Revue politique
et parlementaire, sept.-déc. 2003, en particulier les contributions de Frédéric de Monicault, « L’Europe de
l’énergie : photographie d’une révolution », pp. 5-10 ; Jean Syrota, « La régulation de l’électricité en France
et dans l’Union Européenne », pp. 18-22 et André Merlin, « Le marché européen de l’électricité et son déve-
loppement : le rôle des gestionnaires de réseaux de transport », pp. 39-43.
35. Voir Pierre Bornard, « Les gestionnaires de réseaux de transport dans le monde : leur organisation »,
L’Europe de l’électricité entre concurrence et service public, op. cit. pp. 61-71.
36. Voir J.-M. Offner, “Are there such things as small networks?”, in O. Coutard (dir.), The Governance
of Large Technical Systems, London et New York, Routledge, 1999, pp. 217-238.
37. Ce système est toujours structuré par de grandes pénétrantes à 750 000 V de l’Ukraine vers les pays
d’Europe de l’Est, qui leur permettaient de bénéficier d’importations massives d’électricité. L’interconnexion
de l’UCTE avec les réseaux de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Russie n’est pas prévue avant 2011.
dre à rêver d’une prochaine Mare Nostrum moderne, élargissant ainsi considérable-
de l’électricité, en tissant la toile de ce nou- ment la problématique de Networks of
veau système électrique international, où Power. La main de leurs managers devient
les régions d’exploitation englobent désor- en quelque sorte de plus en plus visible.
mais plusieurs pays. Cette construction C’est toute la question de la régulation que
d’une grande Europe électrique, par inté- nous retrouvons ici en jeu, illustrée en par-
gration et modernisation des différents sys- ticulier en France par le tout nouveau par-
tèmes, constitue l’enjeu majeur actuel de tage des métiers entre EDF, dépossédée
la communauté internationale des opéra- de son monopole, et le gestionnaire de
teurs électriciens. réseau RTE : cette configuration amène
la gestation d’un nouveau modèle français
En conclusion, les pannes majeures des au sein de l’Europe électrique, au moins
systèmes électriques depuis le mois d’août pour l’interconnexion, incarnée en parti-
dernier, par un jeu de réactions en chaîne culier par le rôle européen du CNES
ou phénomène « d’écroulement de châ- (Centre national d’exploitation du sys-
teau de cartes », aux Etats-Unis, à Londres tème) de Saint-Denis39. En tout cas
et en Italie38, ont montré la place straté- l’histoire des réseaux de transport
gique des réseaux de transport d’électricité d’électricité en Europe occidentale depuis
dans le monde occidental. Après l’ère la fin du XIXe siècle a permis de voir à
d’une discrétion toute relative, le pouvoir l’œuvre à la fois les logiques spatiales de
des réseaux, face également à la question l’innovation et la structuration d’une com-
environnementale, s’affirme ouvertement munauté professionnelle autour d’une
sur la civilisation post-industrielle ou post- mystique de la modernisation.
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38. Voir André Merlin, « Les grandes pannes des réseaux électriques (Europe, Etats-Unis) sont-elles dues
à l’ouverture du marché de l’électricité ? », Revue de l’électricité et de l’électronique, mars 2004, pp. 78-85
et le dossier « L’ombre des black-out» in RTEmag, magazine interne du gestionnaire du Réseau de transport
d’électricité, n° 11, automne 2003, pp. 16-21.
39. Voir RTE, gestionnaire du Réseau de transport d’électricité, [Rapport d’activité 2002], direction de la
communication et des relations extérieures.