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Les lecteurs de cet ouvrage seront pardonnés d’une certaine surprise, voire
suspicion, en lisant les mots « État digital »� Les plus attentifs pourront même
nous rappeler à l’ordre en évoquant l’Académie française selon laquelle le
qualificatif « numérique », dérivé savant du latin numerus (nombre), doit
être préféré à l’anglais digital� Nous en sommes pleinement conscients
et nous n’oserions jamais contredire la sagesse de l’Académie française�
Toutefois, nous croyons aussi que la locution « État digital » se prête parti-
culièrement bien à l’identification de ce qui peut être dorénavant envisagé
comme une nouvelle forme d’État, caractérisée par une approche tech-
nologique radicalement différente de celles auxquelles nous avons été
accoutumés par les théories de l’État, du droit et des organisations� Dans
ce sens, le mot « numérique » se prête bien à la définition de ce qui existe
déjà� Nous souhaitons tenter de définir ce qui n’existe pas encore tout à fait
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en œuvre par les pays et les acteurs technologiques les plus avancés,
qui se disputent aujourd’hui le leadership en suivant prioritairement leur
dynamique propre d’expansion et d’écrémage�
Dans quelle mesure les pays qui aspirent à une transformation numérique
et, idéalement, à devenir des États digitaux comprennent-ils les nombreux
défis en place et la façon de structurer les éléments essentiels pour entre-
prendre des transformations numériques durables ? Dans quelle mesure les
États prédigitaux seront-ils protagonistes de leur transformation sans être
victimes de ce que Nick Couldry et Ulises Mejias appellent avec éloquence
le « colonialisme numérique »1 ?
Dans cette évolution, la numérisation de l’administration publique et
l’administration publique du numérique acquièrent une connotation qui
nous oblige à évaluer avec un regard critique les initiatives et processus
présentés indistinctement comme une transformation numérique� En effet,
seule une poignée d’États et d’acteurs privés à la pointe de la techno-
logie comprennent la complexité des infrastructures numériques qu’ils
utilisent et exportent, tout en gagnant une position de contrôle sur les
nouvelles ressources critiques – notamment l’information, la connaissance
et les données personnelles – au niveau global� Ainsi, de telles logiques
d’appropriation se mêlent souvent à des modèles commerciaux fondés sur
un « capitalisme de surveillance »2 dans le cadre duquel les technologies
numériques, utilisées en apparence pour numériser seulement les admi-
nistrations et les services, deviennent des outils de contrôle généralisé
et de capture de la décision démocratique, en réalité au service de la
concentration capitalistique�
La recherche, l’innovation et l’autonomisation sont donc des conditions
préalables essentielles afin de pouvoir engendrer des processus de transfor-
mation numérique durable, propres à concrétiser le concept d’État digital�
Dans ce sens, l’innovation joue un rôle particulièrement important en
tant que « processus par lequel la nouveauté est reprise et diffusée dans
la sphère publique »3, présenté comme essentiel au développement social
et économique� Il est important de souligner ici que l’innovation ne se
manifeste pas exclusivement par le biais de la technologie mais aussi en
tant qu’innovation normative, institutionnelle et administrative�
Toutefois, ce processus n’est pas forcément distribué et localisé afin de favo-
riser le développement d’une pluralité d’innovations compatibles avec les
cultures, notamment juridiques, de chaque pays� La dimension comparative
1� Couldry N� et Mejias U� A�, The Costs of Connection : How Data is Colonizing Human Life and Appropriating it for
Capitalism, 2019, Stanford, Stanford University Press�
2� Zuboff S�, L’âge du capitalisme de surveillance, 2020, Zulma�
3� De Saille S� et Medvecky F�, “Innovation for a Steady State : a Case for Responsible Stagnation”, Economy and
Society 2016, 45 : 1, p� 1-23�
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4� Par exemple : Jimenez A� et Roberts T�, “Decolonising Neo-Liberal Innovation : Using the Andean Philosophy of ‘Buen
Vivir’ to Reimagine Innovation Hubs”, in Nielsen P� et Kimaro H� (eds), Information and Communication Technologies for
Development. Strengthening Southern-Driven Cooperation as a Catalyst for ICT4D. ICT4D 2019. IFIP Advances in Information
and Communication Technology, vol� 552, 2019, Cham, Springer (https://doi.org/10.1007/978-3-030-19115-3_15).
5� Belli L�, “The Scramble for Data and the Need for Network Self-Determination”, in Open Democracy, 15 déc� 2017
(www.opendemocracy.net/en/scramble-for-data-and-need-for-network-self-determination/).
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8� https://cyberbrics.info/digital-state-etat-digital/
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