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Toute référence à des événements historiques, des personnages ou des lieux réels serait
utilisée de façon fictive. Les autres noms, personnages, lieux et événements sont issus de
l’imagination de l’auteur, et toute ressemblance avec des personnages vivants ou ayant
existé serait totalement fortuite.
Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de ce livre ou de quelque citation que
ce soit, sous n’importe quelle forme.
ISBN : 9782755669060
Titre
Copyright
À propos de ce livre
Dédicace
Chapitre I - Hadès
Chapitre II - Dionysos
Chapitre IV - Hadès
Chapitre V - Hadès
Chapitre VI - Hadès
Chapitre IX - Hadès
Chapitre X - Hadès
Chapitre XI - Hadès
Chapitre XX - Hadès
Chapitre XL - Hadès
Note de l'auteure
Remerciements
Chapitre I
HADÈS
*
* *
Le dieu de la Mort quitta le champ et se manifesta dans son
bureau à Nevernight. Dès qu’il apparut, un lourd silence se fit et il
regarda ceux qui étaient réunis dans la pièce : Ilias, Zofie, Dionysos
et… Hermès.
Hadès fixa le dieu de la Ruse qui était affalé sur son fauteuil, les
pieds sur son bureau. Leurs regards se croisèrent et un sourire gêné
s’étira sur le visage doré d’Hermès. Hadès fronça les sourcils et
montra les dents, poussant le dieu à se lever à la hâte.
— Je réchauffais ta place, se défendit Hermès.
Hadès le fusilla du regard et s’installa. Le siège était chaud, en
effet, et il grimaça de plus belle.
— Le roi des Morts mérite ce qu’il y a de meilleur, ajouta Hermès
en souriant joyeusement tout en s’approchant du bureau en
obsidienne pour s’y asseoir.
— Si l’une de tes fesses effleure ne serait-ce qu’un millimètre de
ce bureau, Hermès, je le transforme en lave, dit Hadès en le
foudroyant du regard.
— Ce n’est pas comme si j’étais nu ! Mais tu sais quoi ? Le
canapé est bien plus confortable, dit-il en se perchant sur l’accoudoir.
Hadès se concentra sur les autres, et en particulier sur Dionysos
qui se tenait en retrait, sans doute parce qu’il ne souhaitait pas faire
partie de ce groupe. Il était habillé de façon beaucoup plus
décontractée que d’habitude, en pantalon noir et pull beige. Ses
cheveux épais étaient attachés sur la nuque et il croisait les bras. Il
avait l’air contrarié, mais Hadès supposa que c’était moins parce qu’il
avait été convoqué à Nevernight qu’à cause d’Ariadne Alexiou, la
détective mortelle qu’il abritait dans son club.
Hadès était surpris qu’il soit venu, même si ce n’était que par
curiosité. Dionysos entretenait une relation compliquée avec les
Olympiens, notamment à cause de la haine qu’Héra lui vouait, et qui
était la raison pour laquelle le dieu de la Vigne avait enfin décidé de
choisir un camp. Pourtant, Hadès n’était pas dupe. Il savait que cela
n’impliquait pas que Dionysos soit loyal envers lui. Le dieu de la Folie
n’était loyal qu’envers lui-même.
— L’Ophiotauros a été ressuscité, dit Hadès. Sa constellation
n’est plus dans le ciel.
Une touche d’appréhension accompagnait ses propos maintenant
qu’il les exprimait à voix haute, et Hadès ne s’y attendait pas. Il était
responsable de la situation, ce qui signifiait qu’il serait également
responsable des conséquences si la créature tombait entre les
mauvaises mains.
— Ilias, dit-il en regardant le satyre dont les cornes dépassaient
de ses cheveux bouclés. Dis-nous ce que tu as découvert au sujet du
monstre.
— Pour l’instant, il n’a été vu qu’une fois. Un fermier près de
Thèbes a dit avoir entendu un cri étrange au milieu de la nuit. Il a cru
qu’une de ses vaches était blessée, mais quand il est sorti, il a trouvé
une créature mi-taureau mi-serpent enroulée autour de la bête. Elle a
disparu dans le champ quand elle a vu le fermier, expliqua Ilias avant
de marquer une pause et de regarder tous ceux qui étaient réunis. La
vache n’a pas survécu.
Il y eut un court silence.
— Le fermier non plus, dit Hadès.
La mâchoire d’Ilias se crispa.
— Il allait très bien hier.
— Et aujourd’hui, il est mort, répondit Hadès. Criblé de balles.
— Alors quelqu’un d’autre que nous veut la créature, dit
Dionysos. Ce n’est pas étonnant, mais qui est-ce ?
— C’est là toute la question.
Hadès dévisagea le dieu de la Vigne, même s’il ne le soupçonnait
pas d’être impliqué dans la mort du fermier, le dieu de la Mort savait
qu’il aimait collectionner les monstres autant que Poséidon. C’était
l’une des raisons pour lesquelles il préférait garder un œil sur lui,
malgré leur alliance nouvelle et fragile.
Dionysos plissa les yeux.
— Comment a-t-il pu être ressuscité, Hadès ? demanda-t-il.
Le dieu de la Mort n’aima pas le ton accusateur du dieu du Vin,
mais Hadès n’était pas comme lui, il ne fuirait devant pas ses
responsabilités.
— Parce que j’ai tué un immortel.
Les traits sévères de Dionysos s’adoucirent, mais ce n’était pas
par sympathie, il était choqué.
— C’est l’œuvre des Moires, dit Hadès.
— Alors tu nous as convoqués pour que l’on gère les
conséquences de tes actes, dit Dionysos d’un ton lourd de dédain.
Comme toujours.
— Ne fais pas mine d’être meilleur que nous, Dionysos, dit
Hadès. Je sais combien tu aimes les monstres.
Hadès aurait pu essayer de s’expliquer. Il savait que le dieu
détestait Héra et qu’il lui suffirait de lui parler de son implication pour
apaiser le jugement de Dionysos, mais en vérité, il lui semblait que
cela n’avait pas d’importance. Dionysos tenait à être là, et il voulait
l’Ophiotauros, ce qui signifiait qu’il le chercherait même s’il ne
souhaitait pas aider Hadès directement.
— Si c’est l’œuvre des Moires, dit Zofie, ne peux-tu pas leur
demander ce qu’elles ont tissé ?
— Les Moires sont des déesses comme moi, dit Hadès. Elles sont
aussi susceptibles de me faire part de leur plan que je le suis
d’admettre les miens.
— Mais ce sont les Moires. Est-ce qu’elles ne le savent pas déjà ?
Hadès ne répondit pas. Il lui arrivait de trouver la naïveté de Zofie
charmante, mais ce soir, il la trouvait agaçante.
Il était difficile d’expliquer comment les Moires opéraient.
Beaucoup de leurs décisions dépendaient de leur humeur. Il était
possible qu’elles aient orchestré la résurrection de l’Ophiotauros pour
agacer Hadès, mais peut-être aussi parce qu’elles voulaient voir la fin
du règne des Olympiens. Hadès ne savait laquelle de ces options
était juste ni si elles l’avaient elles-mêmes décidée. Il savait
seulement une chose : le destin ne pouvait pas être évité, seulement
repoussé.
— Quel que soit leur plan, nous devons en avoir un, nous aussi,
dit-il.
— Je ne comprends pas, dit Zofie. Les Moires ont déjà choisi une
fin. Alors que cherchons-nous ?
— À gagner, dit Hadès.
C’était tout ce qu’ils pouvaient faire, et espérer que si les Moires
n’avaient pas choisi de leur accorder leur Faveur, à lui et aux
Olympiens, elles pouvaient être influencées ; mais cela n’arriverait
jamais sans qu’ils agissent. Il savait mieux que quiconque que les
trois sœurs prenaient plaisir à jouer avec les dieux, surtout quand
cela se faisait dans la douleur.
Il y eut un silence, puis Dionysos prit la parole.
— Quelle est la prophétie qui rend cette créature aussi
dangereuse ?
Il ne pouvait pas le savoir, puisqu’il était né après la Titanomachie.
— Quiconque brûle ses entrailles obtiendra le pouvoir de vaincre
les dieux, dit Hermès.
— Tu es sûr que c’est ça ? demanda Dionysos en haussant un
sourcil.
— Peut-être que ce n’est qu’un seul dieu ? répondit Hermès avant
de hausser les épaules. J’ai peut-être mal compris un mot ou deux.
— Un mot ou deux ?
— Ce n’est pas comme si quatre mille ans s’étaient écoulés ! se
défendit Hermès. Essaie de te souvenir aussi longtemps de quelque
chose, toi !
— Pourtant, tu ne sembles avoir aucun mal à conserver des
rancœurs qui datent de cette époque.
— Tout à coup, je regrette d’avoir aidé Zeus à te sauver la vie, dit
Hermès.
Hadès oubliait parfois que les deux dieux avaient un passif.
Hermès avait aidé à sauver Dionysos à sa naissance en le confiant
aux Hyades, des nymphes océanides qui vivaient à Nysa, pour
qu’elles l’élèvent.
— Peut-être que tout le monde aurait gagné à ce que tu ne le
fasses pas, dit Dionysos.
Le dieu de la Ruse pâlit en entendant ces mots et Hadès intervint
avant qu’un silence tendu s’installe.
— C’est une prophétie, Hermès. Un mot ou deux peuvent
changer le sens tout entier.
Hermès leva les bras et les laissa retomber.
— Eh bien, je n’ai jamais prétendu être oracle !
— Alors nous devons en interroger un, dit Hadès.
Peut-être la prophétie avait-elle changé ou n’en était-elle plus
une ? Mais Hadès savait que ce serait trop beau pour être vrai. Les
Moires ne ramèneraient pas une créature à la vie si elles ne
souhaitaient pas que celle-ci représente un défi pour les dieux.
— Et nous devons trouver l’Ophiotauros avant que d’autres le
fassent.
— Contre qui faisons-nous la course ? demanda Dionysos.
— Je mise sur Poséidon et sa progéniture, dit Hermès. Cet
enfoiré a toujours couru après le pouvoir.
Hermès semblait partager l’avis d’Hadès. L’Ophiotauros pouvait
vivre sur terre, mais également dans l’eau. Poséidon sauterait sur la
première occasion de renverser Zeus, mais Thésée et Héra aussi.
Hadès savait déjà que le demi-dieu et la déesse du Mariage
travaillaient ensemble, mais il soupçonnait le dieu de la Mer de
nourrir le désir de Thésée de renverser les Olympiens. Restait à
savoir s’il pensait son fils capable d’y parvenir.
Parfois, Hadès se demandait qui tirait les ficelles et qui ne faisait
que jouer. Or il avait une certitude : s’il pouvait être le cerveau de
l’opération, il le serait.
— On ne peut pas se permettre que la créature se réfugie dans la
mer, dit Hadès.
Elle serait alors dans le territoire de son frère et donc hors de
portée. Même si Hadès proposait un marché, Poséidon n’accepterait
jamais de céder une telle arme.
— Dans ce cas, on perd un temps précieux à parler au lieu de
partir en chasse, dit Dionysos.
— Le problème, c’est que l’on ne sait pas par où commencer,
Dionysos, dit Hadès. À moins que tu aies des informations que nous
n’avons pas ?
Dionysos ne répondit rien.
— Nous devons faire très attention lors de nos recherches, dit
Ilias. La rumeur circule déjà sur le marché noir. Tous ceux qui
évoluent dans l’ombre s’attendront à ce que vous vous en mêliez.
Et ils avaient raison, même si Hadès savait que cela ne les
arrêterait pas. Dans les tréfonds du marché noir, peu étaient ceux qui
redoutaient sa colère, et Hadès ne prenait pas cela pour une insulte.
Il est difficile de craindre la mort quand on y fait face chaque jour.
Mais cela signifiait qu’il était piégé dans une compétition visant à
localiser l’une des armes les plus puissantes à avoir jamais été
créées contre les dieux.
— Dans ce cas, peut-être que mes Ménades devraient mener
l’enquête, proposa Dionysos, mais Hadès l’ignora et se tourna vers
Ilias.
— Mets Ptolémée sur le coup, mais garde un œil sur lui. Je ne
fais confiance à personne dans cette histoire.
— Même à moi, à l’évidence, dit Dionysos.
Hadès dévisagea le dieu de la Vigne.
— Tu vas prétendre que tu n’as pas déjà envoyé tes tueuses sur
le terrain ? Tu n’attends pas la permission, Dionysos, tu la prends.
Le dieu de la Folie ferma la bouche et détourna le regard. Hadès
ne sut s’il était amusé ou agacé.
— Et que fera-t-on si on trouve la créature ? demanda Zofie. Est-
ce que tu la tueras ?
Hadès ne répondit rien, car il ne savait pas. Il supposait que cela
dépendrait de ce que l’oracle dirait des pouvoirs de la bête, même s’il
doutait que tous ceux qui cherchaient l’Ophiotauros prendraient la
peine de vérifier la véracité de la prophétie.
La créature avait une prime sur la tête et un compte à rebours sur
le cœur.
— Vous êtes tous excusés, dit Hadès.
Il voulait retourner aux Enfers, auprès de Perséphone. Il aurait dû
y être toute la nuit, niché contre son corps chaud après qu’ils avaient
fait l’amour. Il était furieux de ne pas avoir pu rester à ses côtés.
Même la nuit suivant leurs fiançailles, il avait dû s’absenter pendant
qu’elle dormait pour rassembler des informations sur l’Ophiotauros et
chercher à découvrir où Déméter s’était réfugiée.
Il essayait de ne pas voir la situation comme un mauvais augure
de ce qui les attendait, mais il savait qu’une bataille se dessinait à
l’horizon. Il avait toujours su qu’il ne serait pas facile d’épouser
Perséphone, étant donné que sa mère était l’une de ses détractrices
les plus féroces. Pourtant, même si la neige tombait en plein été, il
s’inquiétait surtout à propos de Zeus.
Son frère aimait le contrôle, surtout lorsqu’il s’agissait de contrôler
les dieux, et il aimait avoir son mot à dire au sujet des mariages.
Hadès serra les poings en y pensant.
Il épouserait Perséphone, quelles que soient les conséquences.
Car en fin de compte, une vie sans elle n’était tout simplement pas
une vie.
Chapitre II
DIONYSOS
*
* *
Dionysos sortit de sa suite et prit l’ascenseur jusqu’au sous-sol,
qui était loin d’être une simple cave. Le mérite revenait aux Ménades,
qui l’avaient transformé en une mini-ville composée d’un vaste
réseau de tunnels les reliant à divers endroits de Nouvelle Athènes.
Là, elles espionnaient, tuaient et construisaient une nouvelle vie sur
les cendres de leur passé.
C’était tout le contraire de ce à quoi Ariadne s’était attendue,
c’est-à-dire que Dionysos dirigeait un réseau de trafic sexuel. Ce
n’était pas la première fois que quelqu’un accusait Dionysos d’un
comportement aussi affreux, mais le fait que cela vienne d’elle l’avait
vraiment agacé, en plus d’insulter le travail des Ménades qui
passaient la majorité de leur temps à sauver d’autres jeunes femmes
pour leur éviter des destins semblables à ceux auxquels elles avaient
échappé.
Le dieu de la Vigne ne savait pas pourquoi cela le dérangeait
autant.
Les Ménades seraient moins efficaces si leur secret était
divulgué, et le fait que le monde extérieur à son territoire le
soupçonne d’être impliqué dans un trafic de sexe était souvent à son
avantage. Cela signifiait que les gens qui cherchaient ce genre de
services venaient à lui pour établir les connexions, devenant ainsi
une cible pour ses tueuses.
C’était un travail laborieux et dangereux… et pour une raison qu’il
ignorait, le fait qu’Ariadne ait supposé le pire l’avait vexé. Pourtant, il
n’aurait pas dû en prendre ombrage. Cela ne faisait que quelques
semaines qu’il la connaissait, mais c’était comme s’il l’avait déjà dans
la peau et qu’elle cherchait à s’y enfoncer davantage encore.
Parfois, quand il était près d’elle, il avait l’impression qu’Héra
l’avait à nouveau frappé de folie.
Quand la porte de l’ascenseur s’ouvrit, il avança sur la plateforme
métallique qui surplombait la pièce de vie principale des Ménades.
Celle-ci était vaste, afin de pouvoir accueillir les nombreuses femmes
qui les avaient rejointes au fil du temps, même si toutes ces tueuses
n’habitaient pas ici. Il s’attendait à trouver la pièce vide à cette heure
avancée de la nuit, mais quelques Ménades étaient encore réveillées
et alertes, se tenant les bras croisés, les yeux levés vers le plafond
où de gros conduits en métal et des lumières vives étaient accrochés.
Certaines avaient l’air frustrées, d’autres agacées, et certaines autres
encore avaient l’air amusées. Dionysos savait qu’elles tendaient
l’oreille.
Le dieu du Vin soupira, car il savait ce qu’elles écoutaient :
Ariadne essayait encore de s’échapper. Il secoua la tête et avança
jusqu’au bord de la plateforme, se demandant depuis quand elle était
dans le conduit d’aération et quand elle avait arrêté de bouger ; sans
doute dès qu’il était arrivé. Elle devait probablement bougonner
contre lui en ce moment même, mais il était certain qu’elle le ferait
patienter aussi longtemps que possible.
Il entendit alors un petit éternuement et concentra son pouvoir à
cet endroit. Les vis sortirent de leurs trous et la structure se plia.
Ariadne poussa un cri aigu en tombant du conduit et elle atterrit par
terre. Dionysos s’inquiéta un instant qu’elle se soit fait mal en
tombant, mais elle roula sur les fesses et le fusilla du regard.
Elle était vêtue d’un jean troué et d’un tee-shirt moulant ainsi que
d’un blouson en cuir, et ses longs cheveux bruns tombaient sur ses
épaules. Elle était sublime, même quand elle était furieuse ; ce qui
était tout le temps le cas en ce qui concernait le dieu du Vin.
— Partez, ordonna-t-il, et les Ménades disparurent derrière l’une
des arches, le laissant seul avec Ariadne.
Il la dévisagea longuement avant de descendre l’escalier. Il se
dirigea vers elle, et elle se leva d’un bond et épousseta ses
vêtements en grimaçant.
— Où as-tu mal ? demanda-t-il.
Elle se figea et lui lança un regard assassin.
— Si tu t’inquiétais de me blesser, tu aurais dû réfléchir à deux
fois avant d’utiliser tes pouvoirs contre une mortelle.
— Je ne les ai pas utilisés contre toi.
— Alors on n’a pas la même définition de la chose.
— Si tu comptes essayer de t’échapper, tu pourrais au moins
accepter ma proposition de t’entraîner. Peut-être que comme ça, tu
réussiras.
— Je suis entraînée, rétorqua-t-elle.
— Ouais, pour interroger des suspects et tirer avec une arme, dit-
il. Quels talents utiles contre les dieux…
Elle arma son bras pour lui mettre un coup de poing. Le dieu se
demanda si elle voulait lui prouver ce dont elle était capable ou si
c’était une réaction instinctive de colère, il saisit son poing avant-
même qu’elle ne puisse le diriger sur lui.
Son cri de douleur le surprit et il la lâcha aussitôt. Elle prit son
poignet droit dans sa main et le tint contre sa poitrine.
— Laisse-moi voir ta main, ordonna-t-il.
— Ça va, ce n’est rien.
— Pour l’amour des dieux, Ariadne, laisse-moi regarder !
Elle contracta sa mâchoire et il soutint son regard quand elle
tendit le bras. Il n’avait pas l’air cassé, et lorsqu’il posa sa paume sur
son poignet, l’énergie qu’il y trouva confirma ses doutes.
— Tu t’es fait une entorse, dit-il.
— Tu veux dire que tu m’as fait une entorse, rétorqua-t-elle.
Sa culpabilité le frappa de plein fouet et il la regarda dans les
yeux.
— Je te demande pardon.
Ses excuses semblèrent la prendre de court car elle cligna
plusieurs fois des yeux. Au bout d’un moment, elle se rendit compte
qu’il lui tenait encore la main et elle la retira pour l’appuyer contre sa
poitrine.
— Il te faut de la glace, dit le dieu en se raclant la gorge. Viens.
Il traversa la pièce et partit dans un long couloir sombre qui
menait à la cuisine. Il pressa sur un interrupteur et des néons
blafards éclairèrent la cuisine en inox, faite pour nourrir des centaines
de personnes en même temps. Étant donné que le réseau souterrain
pouvait abriter des milliers de personnes si besoin, une telle cuisine
était nécessaire.
Il marcha vers une rangée d’étagères, trouva des sacs de
congélation dans une boîte, et en remplit un de glaçons. Quand il se
retourna, il trouva Ariadne plantée près de la porte, les yeux rivés sur
lui.
— Quoi ?
— Tu ne peux pas… faire apparaître un sachet de glaçons par
magie ?
Il pencha la tête sur le côté et esquissa un sourire en coin.
— Je ne crois pas que ce soit l’usage approprié de la magie.
— Tu vois ce que je veux dire, rouspéta-t-elle.
Elle voulut croiser les bras, mais la douleur lui rappela qu’elle ne
le pouvait pas.
Il lui tendit le sachet.
— Je suppose que j’aurais pu, mais je peux aussi le faire moi-
même.
En plus, il avait eu besoin de mettre de la distance entre eux,
même quelques secondes.
Elle prit la glace et la posa sur son poignet.
— Merci, dit-elle, si bas qu’il eut du mal à l’entendre.
En vérité, il ne méritait pas qu’elle le remercie. Il lui devait bien ça.
— Je ne plaisantais pas quand je proposais de t’entraîner, dit-il.
— Je ne veux pas devenir l’une de tes Ménades, répondit-elle.
— Alors ne le sois pas. Mais si tu dois rester dans ce monde, il va
falloir que tu saches faire autre chose que porter une arme.
— Arrête de supposer que je ne suis capable que de tirer avec un
pistolet.
— Tu sais utiliser d’autres armes ? demanda-t-il, mais elle resta
silencieuse. Un pistolet ne nous aidera en rien si l’on doit affronter
Thésée, dit-il.
Elle frissonna en entendant le nom de son beau-frère. D’ailleurs,
Dionysos savait qu’elle serait folle de rage si elle l’entendait un jour
désigner Thésée ainsi. Ariadne détestait le demi-dieu et, d’après ce
qu’il savait, elle avait raison de le haïr. Thésée l’avait maintenue sous
son emprise en gardant sa sœur, Phèdre, en otage.
— Où allais-tu ? demanda-t-il au bout d’un moment, mais elle ne
répondit pas. Tu allais essayer de le trouver ?
Il connaissait la réponse, et l’idée qu’elle veuille s’échapper pour
rejoindre Thésée, pour quelque raison que ce soit, le faisait bouillir de
jalousie.
— Non, rétorqua-t-elle. J’allais voir ma sœur.
— Voir ta sœur revient à voir Thésée, dit-il. Tu penses vraiment
qu’il te laissera la voir ?
— Non ! aboya-t-elle. Mais, au moins, elle saura que j’ai essayé !
Ses yeux se remplirent de larmes et la poitrine de Dionysos se
contracta. Il n’aimait pas ça, car cela lui donnait envie de faire des
choses idiotes pour elle.
— Est-ce que je n’ai pas accepté de t’aider à sauver ta sœur ?
demanda-t-il.
— Hadès a accepté. Pas toi, dit-elle.
Il grinça si fort des dents qu’il en eut mal à la mâchoire.
— Peut-être a-t-il accepté le deal, mais on sait tous les deux que
c’est moi qui vais devoir m’en occuper, répondit le dieu.
— Si je suis un tel fardeau, alors laisse-moi partir.
— Je n’ai jamais dit que tu étais un fardeau.
— Pas besoin, répondit-elle en regardant le sol.
Dionysos la dévisagea.
— Je n’ai aucune envie de ressasser comment on en est arrivés à
ce stade ni ce qu’on ressent à ce sujet, dit-il. Ce qui est fait est fait, et
on a du travail. Tu veux libérer ta sœur et arrêter Thésée, mais tu
refuses de comprendre que Thésée n’est pas qu’une seule personne
et que même s’il l’était, c’est un demi-dieu, un fils de Poséidon. Il est
fort comme mille hommes et, pour le vaincre, on aura besoin de plus.
— De plus de quoi ? demanda-t-elle.
— De plus de tout. Plus de temps, plus de planification, plus de
gens, plus d’armes.
— Je ne me prépare pas pour une bataille, Dionysos, dit-elle. Je
veux juste récupérer ma sœur.
— Dommage. Parce que tu ne la récupéreras pas sans partir en
guerre.
Elle gonfla ses poumons et il essaya de ne pas lorgner sa poitrine
trop longtemps. Il ne voulait pas qu’elle remarque que son attention
lui faisait défaut.
— Tu n’as pas idée de ce dans quoi tu t’es embarquée.
— Alors, qu’est-ce que tu attends de moi ?
Sa question prit le dieu par surprise, mais ce n’était pas à cause
de ce qu’elle lui demandait. C’était à cause de ce qu’il ressentait en
l’écoutant, une sensation de vide sans fin ainsi qu’un désir féroce de
remplir ce vide.
Il mit rapidement ses pensées de côté.
— On doit trouver Méduse, dit-il.
Méduse était une gorgone qui, d’après la rumeur, était capable de
changer les humains en pierre d’un simple regard. Si c’était vrai, cela
faisait d’elle une arme inestimable. Dès qu’il avait entendu les
murmures de son existence sur le marché noir, il avait engagé les
Grées pour l’aider à la trouver, mais son plan avait échoué quand la
détective Alexiou avait décidé d’aider Thésée et Héra à capturer les
trois sœurs.
Sans doute n’avait-elle pas su pourquoi elle devait se rendre à
Bakkheia. Thésée avait fait d’un loup un agneau et Dionysos
détestait voir qu’elle lui obéissait au doigt et à l’œil.
Il plissa les yeux.
— Et si elle ne souhaite pas t’aider ?
— Eh bien, ce sera à toi de la convaincre, répondit Dionysos.
— Je croyais que tu n’avais pas besoin de son pouvoir.
— Dans ce jeu, il ne s’agit pas d’avoir besoin de son pouvoir mais
de celui qui l’aura le premier, dit-il. Et crois-moi, il vaut mieux pour toi
que ce soit moi qui l’aie en premier.
— Pourquoi tu n’envoies pas tes tueuses ?
— Ce n’est pas une mission pour elles, dit-il. Il faut persuader
Méduse qu’il vaut mieux qu’elle soit dans notre camp.
— Et si je ne suis pas convaincue, moi ?
— Espérons que d’ici à ce qu’on la trouve, tu le seras.
Chapitre III
HADÈS
*
* *
Hadès emmena Perséphone à la salle blanche, l’une de ses
salles de torture les plus modernes qui servait à priver ses occupants
de leurs sens. Parfois, Hadès y laissait une âme en vie pendant
plusieurs semaines et, quand il revenait enfin, elle avait perdu toute
notion d’elle-même. Il aimait tout particulièrement accorder cette
punition à ceux qui s’étaient servis de leur statut et de leur pouvoir
pour blesser et tuer dans le royaume des mortels. C’était encore plus
satisfaisant de les voir enfin perdre leur contrôle.
C’était ici qu’Hadès avait laissé Pirithoos après avoir utilisé
d’autres méthodes de torture, à la fois anciennes et nouvelles. Il lui
avait brisé les os et les genoux, il lui avait coupé les testicules et le
pénis, il l’avait couvert de miel pour laisser les insectes et les rats
déchiqueter sa chair jusqu’à ce que ses os soient à vif.
Il avait fait tout cela et plus encore, et sa rage n’avait pas diminué.
Même maintenant, il la sentait enfler en lui alors qu’il regardait
Pirithoos, qui était avachi sur une chaise au milieu de la salle,
maintenu par la corde qui entourait ses bras, sa taille et ses jambes.
Sa peau était si pâle qu’elle semblait grise, et il était maculé de
couches de sang séché, après ces tortures précédentes. Ce n’était
pas beau à voir, et Hadès se demanda ce que Perséphone pensait,
maintenant qu’elle était face au demi-dieu.
Elle était immobile et silencieuse à ses côtés, les yeux rivés sur
son agresseur. Au bout d’un moment, elle prit une inspiration qui
sembla résonner dans le silence de la pièce.
— Il est mort ?
Hadès supposait qu’elle chuchotait de peur de le réveiller.
— Il respirera si je le lui ordonne.
Il réalisa soudain que la seule peur de Perséphone était que cet
homme puisse à nouveau lui faire du mal. Il serra les poings et elle
avança vers l’âme. Il dut lutter contre l’envie de la tirer en arrière, de
la garder près de lui et de l’autoriser seulement à l’observer de loin,
mais il savait qu’elle n’avancerait pas vers lui si elle ne s’en sentait
pas capable.
— Est-ce que ça t’aide ? demanda-t-elle en se tournant vers lui.
Pendant un instant, il fut choqué de constater combien il était
étrange de voir une chose si belle dans un tel lieu.
— La torture, précisa-t-elle.
Hadès étudia son visage.
Sa question paraissait innocente. Peut-être était-ce parce qu’elle
supposait qu’il se servait de la torture pour guérir ses blessures et
non pour les nourrir, comme c’était le cas avec Pirithoos. Peu
importait le nombre de fois qu’Hadès ferait souffrir le demi-dieu, cela
ne suffirait jamais.
— Je ne sais pas.
Elle l’étudia encore quelques secondes avant de se mettre à
tourner autour du prisonnier. Elle ne pouvait pas se douter de l’effet
que ça faisait à Hadès, de la voir occuper l’espace comme une reine,
sans même s’en rendre compte.
Elle s’arrêta derrière le demi-dieu pour le regarder et Hadès se dit
qu’elle n’avait jamais été aussi belle, malgré l’endroit où ils se
trouvaient.
— Alors, pourquoi tu le fais ?
Il chercha à savoir si elle lui posait la question parce qu’elle
désapprouvait, mais elle ne semblait horrifiée ni par lui ni par le demi-
dieu ligoté devant elle, et il répondit la vérité.
— Pour le contrôle.
C’était ce qu’il cherchait quotidiennement, parce que c’était la
première chose qui lui avait été enlevée quand son père l’avait avalé
tout entier, à sa naissance. Dès qu’il s’était cru libéré de cette horrible
prison, il avait dû affronter dix années de combat. Après cela, avoir le
contrôle avait donné lieu à une existence sinistre, car tout le monde
dans son royaume devait se sentir comme lui, misérable et torturé.
Après tout ce dont il avait été témoin, il s’était persuadé que
personne ne méritait un repos éternel paisible.
Avec le temps, sa notion de contrôle avait évolué et son empire
s’était étendu dans le monde des mortels. Il avait cherché à
s’emparer des parties les plus sombres, alimentant les bas-fonds de
la Nouvelle Grèce jusqu’à ce que le pouvoir et le statut ne puissent
être obtenus que grâce à lui, de sorte que tous ceux qui opéraient en
dehors de son règne ne tenaient pas longtemps. Il n’y avait que peu
d’exceptions, mais parmi elles se trouvaient Dionysos, et plus
récemment Thésée qui était surtout soutenu par son père.
Cependant, même ces deux-là ne le mettaient pas au défi comme
Perséphone le faisait. Elle avait déboulé dans sa vie et l’avait défié à
chaque tournant sans qu’il ait réussi à exercer le moindre contrôle
sur elle. Elle refusait d’être enfermée et limitée et, finalement, il ne
pouvait pas lui en vouloir. Elle venait à peine d’échapper à l’autorité
de sa mère quand elle était tombée nez à nez avec lui, un inconnu
qui avait essayé de lui imposer des règles. Il n’était pas étonnant
qu’elle ait tout fait pour lui résister.
En fin de compte, elle voulait simplement la même chose que lui.
— Je veux le contrôle aussi, chuchota-t-elle.
Hadès voulait le lui offrir.
— Je vais t’aider à t’en emparer, dit-il en lui tendant la main.
Elle n’hésita pas et vint à lui, elle plaça sa main dans la sienne et
se colla à lui. Il la fit tourner de sorte qu’elle soit adossée à son torse
et il plaqua ses mains sur ses hanches dans un geste possessif. Il
savait que Pirithoos se réveillerait bientôt, et il voulait que le demi-
dieu réalise immédiatement ce qu’il avait fait – qu’il sache qu’il avait
enlevé la mauvaise déesse et défié le mauvais dieu.
Maintenant qu’il la tenait en sécurité dans ses bras, il invoqua sa
magie et visualisa une lance, qu’il projeta sur Pirithoos. Le demi-dieu
inspira brusquement dans un cri aigu, comme si le pouvoir d’Hadès
était douloureux. Quand elle l’entendit, Perséphone se crispa. Hadès
se rapprocha encore d’elle, comme pour lui servir de rempart contre
sa peur. Il chuchota à son oreille, effleurant son lobe avec ses lèvres :
— Tu te souviens du jour où je t’ai appris à invoquer ta magie ?
Il le lui avait appris un soir, sous les branches argentées du bois
qu’il lui avait offert. Il se souvenait de cette soirée et de la façon dont
son corps avait enveloppé le sien, de la façon avec laquelle il l’avait
touchée, de la façon dont son désir l’avait peu à peu réchauffée sous
ses caresses. Hadès se sentit soudain excité et, même s’il avait aimé
réprimer la sensation pour se concentrer sur la raison de leur visite
au Tartare, Perséphone ne lui rendrait pas la tâche facile.
Elle tressauta et pressa ses fesses et ses épaules contre lui. Elle
n’avait pas besoin de lui répondre ; sa réaction lui disait qu’elle se
souvenait très bien de ce qui était arrivé ensuite.
Elle répondit quand même.
— Oui.
Hadès esquissa un sourire et effleura la gorge de Perséphone en
lui parlant.
— Ferme les yeux, chuchota-t-il, car le demi-dieu commençait à
remuer et Hadès ne voulait pas que sa déesse ait à le regarder.
Pirithoos ouvrit les yeux et fronça les sourcils, son regard endormi
se posa sur Perséphone, ce qui sembla finir de le réveiller. Il
prononça alors son nom et Hadès dut invoquer tout son self-control
pour ne pas se jeter sur lui et lui arracher la langue.
Instinctivement, il se colla davantage à elle et planta ses ongles
dans ses hanches. La toucher lui permettait de s’ancrer dans la
réalité et lui rappelait pourquoi ils étaient là : pour que Perséphone
reprenne le pouvoir et ainsi, peut-être, qu’elle puisse enfin dormir en
paix.
— Qu’est-ce que tu ressens ? demanda-t-il, concentré sur elle.
Il n’était question que d’elle.
Il parlait contre sa peau et la sentit inspirer profondément quand
Pirithoos se mit à la supplier.
— Perséphone, s’il te plaît, insista le demi-dieu d’une voix
tremblante.
Plus il passait de temps éveillé, plus il se souvenait de la torture
qu’il avait endurée aux mains d’Hadès, et plus il était désespéré.
— Je… je suis désolé.
Désolé.
Le mot brûla la peau d’Hadès, invoquant les ténèbres qui vivaient
juste sous la surface. Il ressentait…
— De la violence, déclara-t-elle.
Hadès sut que c’était vrai parce qu’il décela un aspect tranchant à
ses pouvoirs, qu’il n’avait jamais ressenti auparavant. Sous la chaleur
et son parfum floral se trouvait quelque chose d’aiguisé et de
désespéré. Il voulait y goûter, le suivre du bout de la langue.
— Concentre-toi dessus, dit Hadès en saisissant sa main.
Nourris-la.
Dans le silence qui suivit, Hadès resta immobile, savourant la
sensation de sa magie alors qu’elle se concentrait pour la rassembler
dans la paume de sa main. C’était une immense vague de pouvoirs
qui le frappa en plein dans le ventre.
— Où veux-tu lui faire mal ? demanda Hadès.
— Ce n’est pas toi, dit Pirithoos d’une voix geignarde et aiguë, et
Hadès aurait adoré le faire taire. Je te connais, je t’ai observée !
Oui, il l’avait observée.
Il l’avait ciblée et suivie. Il avait pris des photos d’elle chez elle, où
elle était censée être en sécurité. Il avait cru avoir tous les droits sur
son corps, pour la simple raison qu’elle existait.
Et il serait éternellement puni pour cela.
— Il voulait se servir de sa verge comme d’une arme, dit-elle. Je
veux qu’elle brûle.
Hadès esquissa un sourire machiavélique.
— Non ! S’il te plaît, Perséphone, cria Pirithoos en tirant sur les
cordes. Perséphone !
— Alors, fais-la brûler, dit Hadès.
Il la lâcha et elle leva la main, remplie d’une magie brûlante
qu’elle projeta droit sur le sexe de Pirithoos. Il sursauta et se débattit
contre les cordes qui le ligotaient de telle sorte qu’elles lui coupèrent
la peau. Il recula brusquement la tête et montra les crocs. Hadès
imaginait que sa magie lui donnait l’impression d’être électrocuté. Il
en sentait le courant, comme la chaleur résiduelle d’un feu, et ses
poils se hérissèrent sur sa nuque.
— Ce… n’est pas… toi, grogna Pirithoos.
Hadès sentit Perséphone se crisper et elle se tint plus droite,
haussant le menton en dévisageant le demi-dieu. S’il ne pouvait voir
son expression, il sut qu’elle devait ressembler à une reine, car
l’expression torturée de Pirithoos changea, comme s’il comprenait
soudain que ses implorations étaient inutiles.
— Je ne sais pas pour qui tu me prends, mais que ce soit bien
clair, dit Perséphone d’une voix cristalline et déterminée. Je suis
Perséphone, future reine des Enfers, Lady de ton destin. Puisses-tu
en venir à redouter ma présence !
Ses propos remplirent la poitrine d’Hadès et lui coupèrent le
souffle. Jamais il ne s’était senti aussi amoureux et prêt à protéger
quelqu’un dans sa vie. S’il avait longtemps attendu que Perséphone
accepte cette part d’elle ainsi que le titre et le pouvoir qu’il avait à lui
offrir, il aurait aimé que ce soit dans d’autres circonstances et que
cela soit le fruit de son amour pour les aspects les plus heureux des
Enfers, pas pour ses aspects les plus sombres.
Peu de personnes découvraient leur véritable pouvoir sans conflit.
Perséphone et lui n’étaient en rien différents.
— Combien de temps va-t-il rester comme ça ? demanda-t-elle.
Hadès regarda Pirithoos, qui convulsait encore.
— Jusqu’à ce qu’il meure, répondit-il.
Il se demanda un instant si cela la dérangeait de voir le demi-dieu
torturé, si elle lui demanderait d’y mettre fin. Mais au lieu de cela, elle
se tourna vers lui et pencha la tête pour le regarder dans les yeux. Il
devina en cet instant qu’elle avait changé. Il n’aurait su dire comment,
mais cela flottait entre eux, aussi tangible et palpable que la violence
qui avait transpercé sa magie.
Sa déesse n’était plus faite de choses innocentes, et une part de
lui ne savait quoi en penser ; il se demandait si cela aurait été le cas
si elle ne l’avait pas rencontré.
— Emmène-moi au lit, dit-elle.
Hadès effleura sa joue avant de plonger ses doigts dans ses
cheveux dorés. Il avait des questions à lui poser, des choses à lui
dire. Est-ce qu’elle l’aimait de la même façon qu’avant de venir ici ?
Le traumatisme de cette nuit rongerait-il son esprit jusqu’à ce qu’elle
réalise qu’elle était devenue quelqu’un qu’elle ne voulait pas être ?
Lui en voudrait-elle ?
Hadès ne dit rien de tout cela, se penchant plutôt pour
l’embrasser. Elle l’accueillit en ouvrant la bouche, et son désir se fit
plus fort que jamais. Il poussa un grognement et la serra contre lui,
scellant toutes les parties dures de son corps contre les parties
douces du sien, et il pensa un instant que la plus grande punition
pour Pirithoos serait peut-être qu’il soit forcé de les regarder faire
l’amour alors qu’il mourait pour la millième fois.
Mais c’était une envie qu’il ne pouvait formuler, et il recula pour la
regarder dans les yeux.
— Comme tu veux, ma chérie, dit-il en les transportant loin des
profondeurs du Tartare jusqu’à leur chambre, où il les guida jusqu’à
leur libération.
*
* *
Perséphone dormait.
Elle était allongée sur le côté, les mains jointes sous sa joue, le
souffle tranquille et régulier. Hadès était assis au bord du lit,
cherchant les signes d’un autre cauchemar qui aurait pris racine dans
ses rêves, mais elle était calme et immobile. Et si Pirithoos revenait ?
S’il n’était pas là pour la réconforter quand elle se réveillerait ?
Il sentit une violente tourmente tourbillonner en lui tout en se
demandant si son sommeil entraînerait une nouvelle horreur. Peut-
être ne serait-elle pas hantée par Pirithoos, mais par la torture qu’elle
lui avait infligée.
Hadès passa sa main dans ses cheveux lâches.
Il était agité et anxieux et il n’avait trouvé de répit qu’aux côtés de
Perséphone. Son réconfort venait avec elle, qu’elle soit à cheval ou
étendue sous lui. Il voulait être près d’elle, en elle. C’était un besoin
aigu et primitif et, dans les heures qui suivirent, il prit un plaisir
immense à savoir qu’une part de lui restait avec elle.
S’il l’avait pu, il se serait réfugié dans son corps à chaque minute
de la journée, mais c’était la preuve de son addiction. Ce n’était pas
sain. Pourtant, s’il devait avoir un vice, c’était bien le meilleur de tous.
Il soupira et se leva. Il faisait trop chaud et son corps était collant
de sueur. Contrairement à Perséphone, qui s’assoupissait après le
sexe, Hadès restait éveillé, comme électrifié.
Il se servit un verre et sortit sur le balcon, où la nuit était douce et
agitée d’une légère brise. Il y trouva du répit après la chaleur de la
chambre et il put se détendre en sachant qu’il n’était pas loin, au cas
où Perséphone sombrerait dans un nouveau cauchemar.
Il observait le jardin qui entourait son palais et baignait dans la
lumière argentée de la lune. C’était là que tout avait commencé.
C’était ici qu’il avait amené Perséphone pour qu’elle plante la
première graine de leur contrat. Crée de la vie aux Enfers, avait-il
décidé, ou sois mienne pour toujours.
Dieux, qu’il avait espéré qu’elle échoue ! À l’époque, il pensait
que ce serait le seul moyen de la garder auprès de lui. Elle avait été
furieuse, et ça n’avait fait qu’empirer quand il l’avait emmenée aux
Enfers.
Comme la plupart des gens, elle s’était attendue à trouver un
paysage de cendres et de feu. Or elle avait découvert une étendue
luxuriante, pleine de couleurs et de fleurs. Cela avait été la première
preuve que ce que sa mère lui avait dit au sujet d’Hadès pendant
vingt-quatre ans était faux, et elle avait été anéantie.
Elle s’était débattue contre lui. De toutes ses forces. Plus il avait
appris à la connaître, moins il avait été surpris. Perséphone avait été
traumatisée par le contrôle que sa mère exerçait sur elle et elle avait
résisté à l’idée d’appartenir à qui que ce soit. Plus ses sentiments
pour Hadès avaient crû, plus elle avait refusé de l’aimer – mais elle
ne pouvait les faire disparaître et quand elle avait fini par succomber,
elle avait libéré la partie la plus puissante d’elle-même.
Tout cela… allait bien au-delà de l’amour. C’était de la dévotion.
C’était de la vénération. C’était un pouvoir capable de donner
naissance et de mettre fin au monde, et s’il le devait, il le ferait en son
nom. Il savait que c’était vrai, car il le sentait de façon si profonde que
c’en était presque douloureux.
— Pourquoi tu es nu ?
Hadès revint à la réalité et regarda le jardin en contrebas, où se
tenait Hécate, presque invisible dans la nuit.
— Tu veux vraiment que je réponde ? demanda-t-il. Je peux te
donner des détails.
Elle grimaça d’un air faussement dégoûté.
— Je crois pouvoir le deviner. Après tout, ce n’est pas comme si
vous étiez discrets.
Hadès rit et Hécate haussa un sourcil. Il ne pouvait s’empêcher
de trouver amusant que les cris de plaisir de Perséphone résonnent
à travers les Enfers.
— Calme tes ardeurs, gronda-t-elle, ce n’est pas comme si tu
excellais à offrir du plaisir. Certains d’entre nous sont simplement
sensibles au bruit.
Hadès leva les yeux au ciel.
— Tu crains que je devienne arrogant, Hécate ?
— Je n’ai pas à le craindre, rétorqua-t-elle, c’est déjà le cas.
— L’arrogance ne rend pas un fait moins vrai, dit-il.
— Non, mais ça le rend agaçant.
Il ne put s’empêcher de rire.
— Personne ne t’a forcée à le subir, dit-il. Que fais-tu ici, de toute
façon ? N’y a-t-il pas quelques mortels pathétiques qui méritent ta
tourmente ?
— Personne ne mérite ma tourmente, répondit Hécate. Je suis un
fléau pour les hommes.
— Tu es un fléau, ça, c’est clair, marmonna-t-il.
— J’ai entendu ! rétorqua-t-elle.
— Je sais, dit Hadès.
— Et toi ? Pourquoi tu boudes sur ton balcon au lieu de dormir
avec ta bien-aimée ?
— Je ne boude pas.
— Tu boudes tout le temps, dit-elle.
Il la fusilla du regard, ne voulant pas se disputer avec elle.
— Si tu veux tout savoir, je n’arrive pas à dormir.
— Tu t’inquiètes trop ?
Il ne répondit pas.
— Peut-être que tu ne devrais pas t’inquiéter quand tu es avec
elle, suggéra Hécate.
— C’est justement dans ces moments-là que je m’inquiète le plus,
expliqua-t-il, puisque cela le confrontait à ce qu’il risquait de perdre si
quelqu’un s’opposait à lui.
— Tu dois avoir confiance dans le fait que votre amour est plus
fort que n’importe quel dieu, dit Hécate.
— Ce n’est pas notre amour qui m’inquiète. C’est ce que je suis
prêt à détruire pour le préserver.
— Depuis quand rechignes-tu face au carnage ? demanda-t-elle.
— Depuis que j’ai décidé d’épouser la déesse du Printemps.
— Que tu peux être bête, dit Hécate. Ce choix ne t’a jamais
appartenu.
Ses propos le mirent mal à l’aise. Il n’aimait pas beaucoup les
Moires et leurs fils. Il aimait penser qu’il aurait choisi Perséphone
même si elles n’avaient pas entremêlé leurs vies et qu’elle l’aurait
peut-être choisi aussi, car il savait qu’elle craignait que leur histoire
ne se résume qu’à ce que les Moires leur offraient.
Il se demanda si elle le pensait encore, ou si elle avait commencé
à croire que leur amour était peut-être plus grand qu’un fil invisible.
Une part de lui préférait ne pas le savoir.
— Ne fais pas comme si Perséphone ne savait pas qui elle a
choisi d’aimer, dit Hécate. Elle te voit tout entier. Après tout, elle est la
déesse du Printemps. Elle est accoutumée à la vie et à la mort.
Chapitre IV
HADÈS
*
* *
Les cris enjoués des enfants rappelaient à Hadès le Jardin
d’Enfants des Enfers, même si la comparaison lui était douloureuse.
Il était rarement endeuillé pour quiconque entrait aux Enfers, mais les
enfants étaient une exception. Il ne s’y était jamais fait, et ce ne serait
sans doute jamais le cas.
Il hésitait même à avancer dans ce parc, où des groupes
d’enfants jouaient sur de grands jeux colorés, malgré le froid et la
neige qui couvrait le sol, pendant que leurs parents participaient ou
les observaient. Il n’était pas invisible et sa présence leur ferait sans
doute peur.
Les mortels ne réalisaient pas toujours qu’il y avait une différence
entre Thanatos et lui ; l’un était le dieu des Morts, l’autre le dieu de la
Mort, et ils supposaient qu’Hadès venait faucher des âmes. Il était
venu voir une seule personne, et il ne comptait pas lui prendre son
âme.
En général, il ignorait sans problème le malaise qui accompagnait
ses arrivées dans le monde des mortels, mais le fait d’être dans ce
parc rendait la tâche plus difficile. Pourtant, il ne quitta pas des yeux
Katerina, qui était vêtue d’un blouson marron avec un col en fourrure.
Elle était l’une de ses employés, la directrice de la Fondation Cyprès.
Et elle était aussi Oracle.
— Elle a grandi, dit Hadès en arrivant à ses côtés.
Katerina se tenait près des jeux, observant sa fille, Imari. Elle
sursauta, puis éclata de rire.
— Oh, Hadès ! Tu m’as fait peur ! s’exclama-t-elle en lui donnant
une tape légère sur l’épaule.
Un nuage blanc s’échappa de sa bouche.
Elle gloussa avant de regarder à nouveau sa fille.
— C’est vrai qu’elle est grande, n’est-ce pas ? répondit-elle en
soupirant. Le temps passe tellement vite…
— Ça fait quoi ? Six ans ? demanda-t-il, même s’il connaissait la
réponse.
— Ouais. Tu es doué pour ce genre de choses.
— Doué pour quoi ?
— Te rappeler. À moins que ce soit un truc de dieu ?
— Que quoi soit un truc de dieu ?
— Est-ce qu’il te suffit de regarder quelqu’un pour connaître son
âge ?
— Je suppose, dit-il. Même si je n’ai jamais vraiment eu à le faire.
La mort était la mort, quel que soit l’âge.
— Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda Katerina au bout d’un
moment. C’est dimanche.
Hadès mit trop de temps à répondre et le sourire de son
employée s’effaça.
— J’ai besoin de ton aide, dit-il. Je ne te le demanderais pas si…
— Hadès !
Il tourna la tête alors qu’Imari sautait du haut des jeux, et il
s’accroupit en ouvrant les bras car, à présent, elle courait vers lui.
Si les gens l’avaient regardé avant, ce n’était rien, comparé à
maintenant.
— Viens jouer avec moi ! dit-elle en le tirant par la main.
— Imari, Lord Hadès est occupé, dit Katerina.
— Ce n’est rien, répondit-il.
La petite fille sourit jusqu’aux oreilles et elle tira Hadès vers les
jeux. Il se sentait bien trop grand et maladroit, mais Imari était trop
jeune pour le percevoir ainsi, trop jeune pour savoir pourquoi les
autres le craignaient.
Il regarda Imari gravir des marches jusqu’à une plateforme, puis
tendre les bras vers le ciel.
— Aide-moi à attraper les barreaux, Hadès !
— Et voilà, dit-il en lui prenant les jambes.
Katerina s’approcha.
— Qu’est-ce que tu n’oses pas me demander ? dit-elle.
Ils suivirent Imari qui avançait le long de l’échelle horizontale.
— J’ai besoin de ton don de prophétie, dit-il.
Katerina n’avait pas l’habitude d’employer ses talents d’Oracle en
dehors du travail qu’elle faisait pour sa fondation. Il pouvait lui arriver
de s’exprimer au sujet du potentiel succès ou échec d’un de ses
projets, ou d’organiser des calendriers afin de maximiser leur
réussite, mais il ne lui avait jamais demandé un tel service.
— Il y a… une créature qui s’appelle l’Ophiotauros, poursuivit
Hadès à voix basse. Il y a longtemps, une prophétie a prédit la mort
des dieux si l’on brûlait ses entrailles. J’ai besoin de savoir si la
prophétie existe encore.
Katerina dévisagea Hadès un long moment, puis elle tourna la
tête.
— L’Ophiotauros, murmura-t-elle avant de se taire.
Imari arrivait au bout de l’échelle.
— Attrape-moi, Hadès ! dit-elle avant de se lâcher.
Il l’empoigna par la taille et tourna sur lui-même en la serrant
contre lui. Ses éclats de rire résonnèrent dans le parc et firent sourire
le dieu des Morts. Il la reposa et elle courut à la balançoire.
— Hadès, pousse-moi !
Katerina reprit la parole.
— Si une personne tue la créature et brûle ses entrailles, alors la
victoire est assurée contre les dieux, dit-elle.
Un silence pesant suivit ses propos. C’était ce que craignait
Hadès ; la prophétie restait vraie.
Imari se mit à se balancer et Hadès la poussa. Elle gloussait en
allant de plus en plus haut, une mélodie joyeuse qui contrastait avec
leur conversation lugubre.
— Que vas-tu faire ? demanda Katerina.
— Je vais essayer de le trouver avant les autres.
Les grincements de la balançoire interrompaient le silence qui les
séparait.
— Et si ce n’est pas le cas ? finit-elle par demander.
— Alors je suppose qu’on mourra tous, répondit-il.
*
* *
En disparaissant du parc, Hadès réalisa qu’il avait laissé Katerina
avec une prédiction lugubre.
En vérité, il ne savait pas ce qui se passerait si quelqu’un trouvait
l’Ophiotauros avant lui. Il n’était pas impossible que quelqu’un le tue
de peur, sans réaliser la véritable importance de la créature ni le
danger qu’il encourrait en la trouvant.
Si l’Ophiotauros mourait, les conséquences seraient moins
graves que si son tueur mettait en œuvre la prophétie décrite par
Katerina. Quiconque le tuait devrait brûler ses entrailles. La victoire
serait alors assurée contre les dieux.
Les dieux.
Hadès savait qu’il ne servait à rien de chercher à comprendre qui
serait une victime de la prophétie. Les Moires ne divulgueraient pas
le futur qu’elles avaient tissé, et il était possible qu’elles ne l’aient fait
que pour se divertir. Durant la Titanomachie, l’Ophiotauros avait
provoqué une bataille sans nom car chaque camp avait essayé de
trouver la créature qui mettrait fin à la guerre ; mais en fin de compte,
cela n’avait servi à rien. Les Titans avaient réussi à la tuer, et les
aigles de Zeus avaient dérobé ses entrailles, gâchant la prophétie.
Le message des Moires avait été clair : il n’y avait pas de manière
simple de mettre fin à la guerre.
La situation était différente, cette fois, et les Moires cherchaient
peut-être à entamer une nouvelle ère plus vite. Cependant, Hadès ne
pouvait qu’essayer de deviner leurs motivations. Il serra les poings,
sentant qu’il perdait le contrôle de la situation. C’était le pire,
lorsqu’on traitait avec les Moires.
Leur futur était définitif.
Cependant, cela ne signifiait pas qu’Hadès n’essaierait pas de le
contrôler. Il protégerait les quelques personnes dont il était le plus
proche, et par-dessus tout Perséphone.
Si elle le laissait faire.
Hadès se manifesta dans une clairière entourée de bois et il fut
immédiatement assailli par l’odeur oppressante de la magie de
Déméter. Elle l’écrasait comme un poids immense sur son dos et il
sentit son corps se recroqueviller sur lui-même. Le seul répit
provenait de la magie de Perséphone, un effluve sucré qui appelait
son âme.
Quelque chose craqua sous ses pieds et, lorsqu’il baissa la tête, il
vit des éclats de verre au milieu des carex et des digitales en fleur,
poussant dans un parterre verdoyant qu’Hadès ne fut pas surpris de
trouver épargné par l’hiver qui ravageait Nouvelle Athènes.
Son regard se posa sur les ruines d’une orangerie d’où provenait
la magie de Perséphone. Sa magie primitive, d’ailleurs, car ce qui
sortait de terre ressemblait à un tronc noir étrange, avec de longues
branches qui s’enroulaient autour de la structure métallique de
l’orangerie et, sous elles, les fleurs de Déméter, des prisonnières qui
s’étaient trouvées à sa merci et n’en avaient trouvé aucune.
Il comprenait, maintenant, d’où venait le verre cassé.
Il se demanda à quel moment Perséphone était venue détruire sa
prison de cristal et il fut brièvement émerveillé par le chemin qu’elle
avait parcouru. Alors que la vie qu’elle créait à ses débuts imitait la
mort, les fleurs jaillissaient désormais sur son passage.
Hadès avança, faisant craquer les débris de verre qui
résonnèrent comme le tonnerre dans le silence de la clairière. Il était
parfaitement conscient de ne pas être seul et sentit des regards sur
lui. Il n’était pas surpris que les êtres vivants aient fui la clairière de
peur.
Il se tourna et étudia la lisière des arbres.
— Je sais que vous êtes, là, dit-il. Sortez !
Ses mots n’eurent aucun effet.
— Sortez, ou je viendrai vous chercher.
Ce n’était pas une menace en l’air. Il savait exactement où les
nymphes s’étaient réfugiées. Il y avait une rivière, derrière les arbres,
et elles l’observaient depuis les berges.
C’étaient des naïades, comme Leucé.
Il attendit, faisant preuve de bien plus de patience qu’elles ne
méritaient.
— Lady Déméter t’assassinera, dit l’une.
— Elle te changera en oiseau, comme elle a toujours menacé de
le faire, dit une autre. Et elle nous forcera à quitter notre maison et à
aller vers la mer.
— Il ne nous fera pas de mal, rétorqua une autre. Il aime Lady
Perséphone.
— Ce n’est pas sa colère que nous craignons, répondit une autre.
Hadès soupira et disparut de la clairière pour apparaître sur la
berge de la rivière, où cinq nymphes étaient rassemblées. Elles
étaient à moitié dans l’eau et elles grattaient la terre à main nue, le
visage caché dans l’herbe haute.
Quand elles virent Hadès, elles poussèrent un cri et auraient sans
doute fui s’il ne les avait pas maintenues en place grâce à son
pouvoir.
— L’une d’entre vous va me dire ce que vous savez de votre
maîtresse, dit-il.
Elles se mirent à trembler.
— On ne sait rien de notre maîtresse, Milord, dit celle avec des
cheveux de la couleur des reflets du soleil dans l’eau.
Elle ne mentait pas.
— Quand était-elle ici pour la dernière fois ? demanda-t-il.
— C’était il y a un moment, répondit une autre, dont les cheveux
étaient assortis à l’eau sombre de la rivière. Quand Perséphone est
partie.
— Partie pour le monde des mortels ?
— Non, quand l’orangerie a été détruite.
— Et vous n’avez aucune idée d’où peut être votre maîtresse ?
Toutes les cinq secouèrent la tête.
Hadès les étudia un moment.
— J’ai besoin que vous la trouviez.
Elles écarquillèrent les yeux et pâlirent brusquement.
— Milord, elle saura ! dit l’une, qui avait les cheveux rouges
comme les deux autres.
Toutes les cinq portaient des couronnes de lys.
— Nous serons toutes punies, dit celle aux cheveux noirs. Tu
nous demandes de mourir pour toi !
Hadès pencha la tête sur le côté et plissa les yeux.
— Tu mourras pour moi de toute façon, Hercyna, dit-il. La seule
incertitude est la façon dont tu mourras.
— Ne lui fais pas peur ! aboya la blonde en saisissant Hercyna
par le cou pour écraser sa tête contre sa poitrine.
— Je n’y peux rien si vous craignez la mort, dit Hadès. C’est
pourtant la vérité de toute existence.
— Lady Déméter avait raison à propos de toi, siffla la blonde. Tu
ne te soucies que de toi-même !
— Si tu savais ce qui m’a poussé à venir dans cette clairière, tu
ravalerais tes propos, répondit Hadès. Imaginez que je sois venu
avec Perséphone et qu’elle soit témoin de votre trahison au profit de
sa mère maltraitante.
— Tu ne sais pas ce que c’est ! dit Pisinoé, l’une des rousses.
Perséphone le savait ! Elle nous comprendrait !
— Peut-être, répondit Hadès. Mais je ne suis pas Perséphone, et
j’ai besoin de savoir où se cache Déméter.
Leur colère lui rappelait celle de Perséphone lors de leur
rencontre ; leur opinion de lui était noircie par ce que Déméter avait
dit de lui.
— Je vais vous donner une idée de ce que vous devrez affronter
si vous ne m’aidez pas, dit Hadès. Vos fontaines et vos puits, vos lacs
et vous sources, vos rivières et vos marais gèleront tous. Vous
devrez fuir vos maisons, vous et toutes vos sœurs et amies. Vous
chercherez à vous abriter du froid, mais vous découvrirez que le
monde entier a gelé et, plongées dans le désespoir, vous apprendrez
ce que c’est que de réclamer de mourir.
Il marqua une pause et laissa ses propos flotter dans l’air.
— Voilà votre destin, provoqué par nulle autre que la déesse que
vous protégez maintenant.
Les cinq nymphes se regardèrent, le visage déformé par une
toute nouvelle peur. C’était ce qu’il cherchait ; l’aveu que ce qu’il
disait se produisait déjà.
— Je vais le faire, dit Hercyna.
— Non ! ripostèrent les quatre autres.
— Nous le ferons ensemble, dit Cyané en regardant ses amies
puis Hadès, les yeux brillants de colère. Même si ce n’est que pour lui
dire que tu la cherches.
— Je présume qu’elle le sait déjà, répondit-il. J’attendrai.
*
* *
Hadès retourna aux Enfers, où il trouva Perséphone endormie. Il
se servit un whiskey, espérant calmer ainsi son angoisse.
La prophétie de Katerina occupait l’essentiel de ses pensées, tout
comme Déméter. Il repensa à la mission qu’il avait confiée aux
nymphes et ravala sa culpabilité. Il savait qu’il était dangereux de les
envoyer chercher Déméter. Les nymphes seraient probablement
punies de lui avoir parlé ; il était donc peu probable qu’elles
reviennent avec des nouvelles de la mère de Perséphone.
Il ne se pensait pas capable de lui faire entendre raison, mais il
voulait savoir où la trouver quand Zeus s’en mêlerait et exigerait la fin
de l’une de deux choses : le blizzard ou ses fiançailles avec
Perséphone.
Il sentit l’air remuer et regarda par-dessus son épaule, découvrant
que Perséphone était réveillée. Elle le regardait depuis leur lit,
ensommeillée, les joues roses, son corps sublime partiellement
recouvert par son peignoir. Il aurait aimé la réveiller en l’embrassant
entre les cuisses, mais cela ne lui paraissait plus possible ces
dernières semaines, alors il attendit.
— Tu es réveillée, murmura-t-il.
Il se tourna vers elle et elle baissa les yeux sur sa verge dure et
épaisse. Il avait besoin d’une forme de libération, car plus cela durait,
plus c’était inconfortable. Étant donné la façon dont Perséphone le
regardait, il ne pensait pas devoir agoniser encore longtemps.
Il vida ce qui lui restait de whiskey et marcha vers elle pour
s’asseoir sur le lit, prenant son visage dans ses mains pour
l’embrasser sur la bouche. Elle le laissa faire et il lui fit ouvrir la
bouche avec sa langue, fouillant sa bouche jusqu’à ne plus sentir le
goût du whiskey. Plus il l’embrassait, plus sa verge pulsait. Par le
passé, il aurait guidé sa main sur son sexe ou l’aurait allongée sur le
lit pour s’étendre sur elle, mais il craignait désormais de faire preuve
de trop d’initiative.
Quand il recula, la bouche de Perséphone était rougie et ses yeux
brillaient de désir.
— Comment s’est passée ta journée ? chuchota-t-il.
Il n’arrivait pas à parler plus fort, car il avait l’impression que cette
nuit requérait le silence.
— Difficile, répondit-elle en se mordillant la lèvre, un signe de son
angoisse.
Il ne s’était pas attendu à cette réponse, puisqu’elle avait passé la
journée aux Enfers. Mais peut-être que sa visite à Lexa ne s’était pas
bien passée. Il allait le lui demander quand elle reprit :
— Et la tienne ?
— Idem, répondit-il en coiffant une mèche derrière son oreille
avant de poser une main sur le matelas à côté d’elle. Allonge-toi avec
moi.
Ses paupières semblaient lourdes et sa bouche était enflée et
entrouverte.
— Tu n’as pas besoin de me le demander, chuchota-t-elle.
Il n’était pas d’accord, mais une part de lui devait admettre que le
fait de le lui demander servait peut-être davantage à apaiser ses
peurs que celles de Perséphone.
Maintenant qu’il avait sa permission, il n’hésita pas à la
débarrasser de son peignoir pour la mettre nue. Il voulait tant obtenir
d’elle en même temps, ses gémissements essoufflés et ses cris
désespérés. Il voulait l’embrasser et être en elle. Il voulait la prendre
lentement, puis la baiser brutalement, mais lorsqu’il baissa les yeux
sur ses seins, sur ses tétons dressés et roses, il décida de
commencer par là.
Il se baissa et prit chaque pointe dans sa bouche pour les sucer et
les lécher. Son souffle était lent et profond et elle plongea ses mains
dans ses cheveux. À ce stade, il ne pensait à rien en particulier, se
contentant d’observer les sensations, la façon dont elle promenait
ses ongles sur son crâne, la façon dont son souffle devenait plus
profond au fur et à mesure qu’il suçait ses seins, sa façon d’écarter
davantage les jambes pour se préparer à recevoir ce qu’il déciderait
de lui donner. Mais elle devint impatiente et saisit sa main pour la
guider sur son sexe et presser ses doigts contre sa chaleur.
Hadès poussa un grognement en sentant son excitation.
— Tu es tellement mouillée, murmura-t-il avant de plaquer ses
lèvres contre les siennes pour explorer sa bouche.
Il pourchassa son plaisir avec ses doigts. Il aimait tout du sexe
avec Perséphone, mais il appréciait particulièrement ces moments,
car il sentait combien elle avait envie de lui, et il ne put plus penser
qu’à la sensation qu’il éprouverait lorsqu’il glisserait sa verge dans
son sexe chaud, mouillé et étroit.
Il poussa un grognement quand Perséphone s’empara de sa
queue et qu’une vague de plaisir parcourut ses veines. Ses gestes
étaient lents et quand son pouce caressa son gland, tout son corps
se mit à trembler. Il n’en pouvait plus, il avait besoin d’être en elle.
Il retira ses doigts dégoulinants de désir et posa une main sur sa
hanche en rompant le baiser.
Perséphone le fusilla d’un regard brûlant et elle tendit la main
pour replacer la sienne entre ses cuisses.
Hadès esquissa un sourire narquois et étudia sa bouche.
— Tu ne me penses pas capable de te donner du plaisir ?
— Si, au bout d’un moment, dit-elle d’un ton frustré.
— Oh, chérie. Ça sonne comme un défi, répondit-il en l’allongeant
sur le dos.
Il la fit rouler sur le côté de sorte que son dos soit contre son
torse. C’était un angle étrange, mais il la voulait comme ça, ce qui lui
permettait de la voir gigoter tout en lui donnant du plaisir. La regarder
anticiper ses gestes lui procurait un sentiment de puissance.
Il était seul à lui offrir ces sensations. Il était seul à la toucher
ainsi.
Elle écarta les jambes et il plongea à nouveau ses doigts en elle.
Elle pencha la tête en arrière, poussant contre son bras, les lèvres
ouvertes pour pousser un gémissement qu’il captura avec sa bouche.
Il poursuivit son geste en l’embrassant langoureusement, sans
relâche, alors qu’il cherchait son plaisir. Sous lui, Perséphone
haletait, comme si son souffle était coincé dans ses poumons. Il
continua à faire croître son extase et, lorsqu’il rompit le baiser, il
chuchota près de son oreille dans un grognement :
— C’est du plaisir ?
Car cela lui plaisait.
Il retira ses doigts et sa seule réponse fut un cri guttural ; mais il
n’avait pas besoin qu’elle parle. Il savait ce qu’il provoquait en elle :
Perséphone semblait briller d’une lumière surnaturelle et sublime. Il
avait tant envie d’elle que c’en était douloureux.
Il se rapprocha et elle écarta les jambes. Il avait l’impression de
pénétrer une partie différente de son corps sous cet angle, de
toucher des parties différentes. Et à la façon dont elle bougeait, il
pensa que Perséphone ressentait peut-être la même chose.
— C’est du plaisir ? se moqua-t-il d’une voix grave.
Elle frissonna malgré la chaleur qui émanait de leurs corps. Il
bougea en elle, d’abord lentement, puis de plus en plus vite et fort,
savourant de sentir ses testicules frapper ses fesses.
Putain, il voulait que ça dure.
Il planta ses ongles dans sa peau.
— C’est du plaisir ? demanda-t-il en serrant les dents.
Il prenait un plaisir fou et il voulait savoir que Perséphone
ressentait la même chose.
Elle glissa sa main sur sa nuque et parvint à parler alors que son
corps tressautait sous lui.
— C’est de l’extase.
Leurs bouches se rencontrèrent dans un baiser maladroit, Hadès
souleva le genou de Perséphone pour le placer sur le sien afin
d’avoir une meilleure prise et de pouvoir accélérer. Il posa une main
sur son cou et saisit sa mâchoire pour la tenir en place. Il ne voulait
pas qu’elle tourne la tête. Ils ne parlaient plus, parvenant seulement à
pousser des gémissements et des cris, ponctués de quelques jurons
chuchotés.
Il savait que l’orgasme de Perséphone n’était pas loin. Il le sentait
à sa façon de s’agripper à lui, à la façon dont son corps se mit à
tressauter. Il serra la mâchoire et maintint le rythme alors qu’elle
explosait dans ses bras, et il la suivit de près. Son orgasme le vida et
parut ne jamais finir, mais il resta enfoui, éjaculant profondément en
elle.
C’était un geste possessif, mais il lui semblait qu’il la marquait au
fer rouge, et lorsqu’il y repenserait durant la journée, c’était l’une des
choses qui lui apporterait une joie sincère.
Ils restèrent l’un contre l’autre, le temps de retrouver leur souffle,
puis Hadès déposa de petits baisers sur sa peau avant de s’arrêter
pour la regarder dans les yeux.
— Tu vas bien ?
Perséphone hocha la tête, le visage luisant de sueur. Elle
semblait distraite, mais il savait qu’elle était fatiguée. Il le sentait dans
son corps, qui était relâché et lourd.
— Oui.
Il sourit, pris d’un étrange soulagement. Il ressentait toujours ça,
cet instant après le sexe, quand il craignait d’avoir été trop loin et,
Pirithoos n’étant jamais loin dans son esprit, son malaise n’avait fait
que croître.
S’il merdait, et que rien n’était plus jamais pareil ?
Ces pensées le privèrent de son bonheur et il se retira
délicatement de Perséphone pour rouler sur le dos. Il riva ses yeux
au plafond, une main sur son ventre. Il sentait Perséphone le
regarder et il savait qu’elle avait quelque chose à dire. Il se prépara
au pire.
— Est-ce que Zeus a approuvé notre mariage ?
Il ne s’attendait pas du tout à cela, et si c’était moins mauvais qu’il
ne le croyait, c’était un sujet qu’il n’était pas prêt à aborder. D’ailleurs,
il avait espéré l’éviter, tout simplement. Il ne voulait pas qu’elle y
pense ni qu’elle s’en inquiète, car il avait peur qu’elle décide de ne
pas l’épouser.
Il n’aimait pas le sentiment qui s’empara de lui en y pensant,
comme si on lui arrachait le cœur.
Il finit néanmoins par répondre.
— Il est au courant de nos fiançailles, dit-il.
— Ce n’est pas ce que je t’ai demandé.
Il le savait, mais c’était la seule réponse qu’il pouvait lui donner. Il
rencontra son regard déterminé et sombre. Ses yeux avaient perdu
l’éclat scintillant né de son désir, et il aurait tout fait pour le retrouver.
— Il ne me le refusera pas.
— Mais il n’a pas donné sa bénédiction ?
Il détestait la frustration qui l’envahit. Qui avait planté ce doute
dans son esprit ?
Hécate, se dit-il.
— Non.
Le silence qui s’abattit sur eux ne lui plaisait pas. Il savait qu’il la
décevait. Soudain, il repensa au sentiment qui l’avait saisi après le
sexe. Peut-être redoutait-il d’avoir à expliquer ce qu’épouser un dieu
impliquait.
— Tu allais me le dire quand ?
Sa voix avait beau être calme, il sentait sa frustration, mais il était
agacé aussi. Cette conversation ne les concernait qu’eux, et on aurait
dû lui laisser l’occasion d’en parler de lui-même.
Même si tu en avais eu l’occasion, tu ne l’aurais jamais fait,
espèce d’imbécile.
Il grinça des dents en entendant la voix d’Hécate dans sa tête.
Putain, alors tu ne pars jamais ? pensa-t-il.
Non, répondit-elle avant d’éclater d’un rire strident.
— Je ne sais pas, admit-il. Quand je n’aurais plus eu le choix.
— C’est ce que je constate, dit Perséphone d’un ton agacé.
— J’espérais m’en passer, dit-il.
— Te passer de me le dire ? demanda-t-elle, toujours aussi
agacée.
Une part de lui voulait l’embrasser, pour lui faire oublier sa colère,
mais également le sujet tout entier. Mais il savait qu’il devait affronter
la conversation maintenant.
— Non, me passer du consentement de Zeus. Il en fait toujours
tout un spectacle.
— Comment ça ?
Hadès se retint de grogner en repensant à toutes les fois où son
frère avait arrangé des mariages, dont la plupart étaient des échecs
retentissants, simplement parce que son Oracle avait prédit la
possibilité que son règne prenne fin, sur terre et dans le ciel.
Aphrodite et Héphaïstos était le premier mariage qui lui venait à
l’esprit, mais il y avait aussi Thétis, une nymphe que Zeus et
Poséidon avaient courtisée jusqu’à ce qu’une prophétie prédise
qu’elle donnerait naissance à un fils plus puissant que les deux dieux.
Zeus lui fit donc épouser Pélée, et leur union fut un élément
déclencheur de la guerre de Troie.
C’était souvent la méthode de Zeus : condamner la vie de milliers
de mortels pour protéger son trône.
Si Hadès savait qu’aucun enfant ne pouvait naître de leur union, il
craignait tout de même ce que l’Oracle dirait de la fusion de leurs
pouvoirs. Perséphone était la vie, et il était la mort. Ils formaient un
cycle qui pouvait donner et mettre fin à la vie, ce qui les rendait
puissants.
Restait à savoir à quel point.
— Il nous convoquera à Olympe pour une fête et un festin de
fiançailles, et il mettra des jours à annoncer sa décision. Je n’ai
aucune envie de m’y rendre ni de t’obliger à endurer cette souffrance.
— Et quand aura lieu cette fête ?
Il devina au ton de sa voix qu’elle était inquiète et il détestait cela.
— Dans quelques semaines, je présume.
Il essaya de parler d’une voix légère afin de minimiser sa peur,
mais il sut quand elle parla de nouveau que cela n’avait pas marché.
— Pourquoi tu ne voulais pas me le dire ? S’il y a un risque qu’on
ne puisse pas être ensemble, j’ai le droit de le savoir.
Sa poitrine se comprima en voyant combien elle avait peur. Elle
avait déjà culpabilisé de l’aimer en dépit de sa mère et, maintenant,
elle était confrontée au fait que Zeus pourrait tout gâcher.
— Perséphone, chuchota Hadès. Personne ne pourra nous
séparer : ni les Moires, ni ta mère, ni Zeus.
Elle déglutit et secoua la tête.
— Tu parles comme si tu en étais certain, mais même toi, tu te
refuses à défier les Moires.
— Oh, mais chérie, je te l’ai déjà dit, je réduirai ce monde en
cendres pour toi.
Il posa sur elle un regard déterminé. Il savait ce qu’elle y
cherchait : une preuve qu’il ne disait pas la vérité. Ne la trouvant pas,
elle prit une grande inspiration.
— Peut-être que c’est ce que je crains le plus.
Sa remarque le ramena à la conversation qu’il avait eue avec
Hécate.
« Depuis quand as-tu rechigné face au carnage ?
— Depuis que j’ai décidé d’épouser la déesse du Printemps. »
Peut-être s’inquiétait-il pour rien. Peut-être que le moment venu,
elle ne voudrait finalement plus de lui.
Pour l’instant, ce n’était pas le cas. Il ne savait pas ce qui avait
changé entre eux. Peut-être était-ce à cause de ce sentiment atroce
que tout le monde autour d’eux voulait les séparer, mais l’air se
chargea brusquement et, sans un mot, Perséphone écarta les
jambes tandis qu’Hadès s’étendait sur elle.
Elle l’excitait si facilement que sa verge était déjà dure alors que
cela ne faisait que quelques minutes qu’il avait joui. Il se sentait bête,
mais il était tellement amoureux ; et tout ce qui comptait vraiment,
c’était que cela ne gênait pas Perséphone et qu’elle ressentait la
même chose.
Il s’empara de sa bouche pour la centième fois de la soirée et
l’embrassa profondément, lentement, lui accordant toujours autant
d’attention.
Elle jouit bientôt en chuchotant son nom, puis elle le prit en elle
encore une fois.
Chapitre V
HADÈS
*
* *
Hadès et Ilias apparurent sur le trottoir désert et enneigé devant
le club d’Aphrodite. Comme il était tard et que la plupart des
magasins étaient fermés, rien n’éclairait la façade de miroirs de La
Rose, qui ressemblait ainsi à un amas de cristaux sortant de terre.
— Par ici, dit Ilias, emmenant Hadès vers la ruelle séparant le
club de l’immeuble voisin.
Elle était si étroite que les épaules d’Hadès effleuraient les murs
de chaque côté.
Quand ils arrivèrent derrière le bâtiment, ils trouvèrent quelques
personnes rassemblées, dont Zofie et des employés d’Aphrodite.
La déesse de l’Amour n’était pas encore arrivée.
— Ta déesse a-t-elle été informée ? demanda Hadès à Himéros,
qu’il reconnut comme étant le dieu du Désir sexuel, mais aussi un
ami proche de la déesse de l’Amour.
Il semblait très jeune, comme s’il avait tout juste vingt ans. Son
visage était imberbe, mais il avait d’épais cheveux noirs.
É
— Éros est parti l’informer, dit-il.
Himéros et Éros étaient les conseillers les plus proches
d’Aphrodite, ils étaient deux des Érotes, un groupe de dieux et de
déesses qui représentaient différents aspects de l’amour et du sexe.
Hadès se demanda comment la déesse allait réagir en apprenant
que l’un de ses amants mortels avait été assassiné. Il n’était jamais
sûr des sentiments d’Aphrodite à l’égard de ses favoris. Il savait
qu’elle tenait à certains d’entre eux mais, qu’elle veuille l’admettre ou
pas, son amour appartenait à son époux, Héphaïstos.
Il n’empêchait que prendre un mortel favori pour cible équivalait à
viser le dieu qui lui avait accordé sa préférence – et quand Hadès se
retourna et vit le corps d’Adonis, son sang se glaça.
Il semblait… brisé. C’était le seul moyen de le décrire. Son corps
avait l’air d’avoir été tellement frappé qu’il paraissait étalé sur le sol
comme une bouillie.
— C’était un acte sacrément osé, dit Hadès en s’avançant.
Car la victime n’était pas seulement un Favori, il avait été tué
devant le club de sa déesse.
— Et personne n’a rien entendu ?
— Rien, dit Himéros.
— Il y a des caméras ? demanda Hadès.
— Oui, mais les objectifs sont gelés. Il est impossible de voir ce
qui s’est vraiment passé.
Putain de Déméter et sa fichue tempête hivernale !
— Mais a priori, poursuivit le dieu, il semble avoir voulu venir au
club après la fermeture. Comme il n’a pas pu entrer par-devant, il est
venu ici. C’est là qu’il a été attaqué.
— Qui l’a trouvé ? demanda Hadès.
— Moi, dit une nouvelle voix.
É
C’était Éros et sa magie chaude et entêtante, qui semblait
déplacée dans cette situation. Il était apparu aux côtés d’Aphrodite.
Hadès se tourna et les regarda tous les deux, mais il ne put se
concentrer que sur Aphrodite, dont l’expression restait bizarrement
neutre. Il s’attendait à ce qu’elle change, qu’elle se rende compte de
ce qui s’était passé et qu’elle explose de rage ou qu’elle fonde en
larmes, mais elle n’en fit rien, même si son regard restait rivé sur le
mortel décédé.
— Quand je suis arrivé, il nous avait déjà quittés.
Hadès se pencha sur le corps. Un bon nombre de personnes
pouvaient être responsables de cette mort, mais c’était la gravité des
blessures qui inquiétait Hadès. C’était un crime de haine.
Il l’étudia longuement avant de tendre la main vers le cadavre.
— Ne le touche pas ! dit Aphrodite en s’avançant, retenue par
Éros.
Hadès lui jeta un œil, puis l’ignora. Il posa sa main à plat sur le
dos du mortel et, aussitôt, des filaments noirs sortirent du corps pour
s’enrouler autour du bras d’Hadès. Ils continuèrent de monter jusqu’à
ce qu’Hadès soit sûr de sa prise, et quand il tira dessus, il libéra l’âme
d’Adonis. Elle s’évanouit aussitôt, transportée sur les berges du Styx
où Charon l’accueillerait pour la traversée.
— Qu’est-ce que tu as fait ? demanda Aphrodite.
— Son âme n’avait pas encore quitté son corps, dit Hadès en se
redressant.
D’ailleurs, cela rendait le crime encore plus affreux. Il était
fréquent que les âmes abandonnent leur enveloppe corporelle lors
d’agressions violentes afin d’éviter le gros du traumatisme qu’elles
subiraient inéluctablement. Celle d’Adonis n’y avait pas échappé, ce
qui signifiait que son âme était aussi amochée que son corps. Cela
impliquait également qu’il ne leur apprendrait rien dans l’au-delà. Il
serait trop bouleversé pour les aider.
— Apollon ! appela Hadès en espérant que son appel aboutisse.
— Pourquoi tu l’appelles ? demanda Aphrodite.
Hadès regarda ses yeux rougis et remarqua sa colère.
— On doit savoir exactement comment il est mort, dit Hadès. Je
ne pense pas que ce soit l’œuvre d’une poignée de mortels jaloux.
— Qui d’autre ça pourrait être ?
— Je ne sais pas, admit Hadès.
Il ne savait expliquer pourquoi il tenait tant à résoudre cette
énigme. Il n’aimait pas Adonis, mais il aimait Aphrodite en dépit de
ses manigances, et il s’inquiétait qu’un de ses proches ait été tué.
C’était une violation.
— Qu’est-ce qu’il y a ? bâilla Apollon en apparaissant dans le froid
de la nuit, vêtu d’un peignoir fleuri.
Quand il eut terminé de se frotter les yeux et qu’il regarda par
terre, il leva le pied.
— Beurk, c’est quoi, ça ?
— Un cadavre, Apollon, répondit froidement Hadès.
— Dégoûtant, dit le dieu de la Lumière tout en s’approchant pour
se pencher et l’étudier de près.
— J’ai besoin que tu fasses une autopsie, dit Hadès. On doit
savoir comment il est mort.
— Eh bien, je peux te garantir que le fait qu’il ait été réduit en
bouillie ne l’a pas aidé.
— Apollon, gronda Hadès, agacé par son sarcasme. Cet homme
était un Favori d’Aphrodite.
Apollon se releva et regarda la déesse de l’Amour en pâlissant.
— Ah, dit-il. Merde.
— Oui, merde, ajouta Hadès.
Apollon fronça les sourcils et se concentra à nouveau sur le
corps. Il était pieds nus, mais ne semblait pas dérangé de marcher
dans une flaque de sang coagulé.
Hadès ne savait pas ce que le dieu faisait, mais au bout de
quelques secondes, celui-ci tendit la main et ramassa quelque chose
par terre, près du corps. Cela ressemblait à un manche de poignard.
— Je présume que je vais trouver pas mal de coups de couteau.
Hadès se tourna vers Aphrodite. Il était difficile de savoir quoi
faire, à présent. Devaient-ils informer ses mortels favoris de cette
attaque et risquer que cela fuite dans les médias ? Le meurtre d’un
Favori était une chose, ce genre d’attaque arrivait de temps en
temps, mais c’en était une autre que l’agression se soit produite aussi
près d’un établissement divin.
— Je ne pense pas qu’il soit exagéré de dire que c’est sans doute
l’œuvre des Impies, dit Hadès.
Quant à savoir s’ils étaient associés à la Triade, cela restait à voir.
Les Impies étaient des mortels qui ne vénéraient pas les dieux.
Certains vivaient tranquillement dans leur rejet du culte, mais
d’autres étaient bien plus extrêmes et choisissaient des méthodes
violentes pour attaquer les dieux. Certains s’étaient rassemblés sous
la bannière officielle de la Triade, un groupe qui préconisait l’équité,
le libre arbitre et la liberté tout en terrorisant de nombreux mortels
dans leur quête de cette prétendue liberté.
À présent, les membres de la Triade prétendaient être de
pacifiques manifestants, même si Hadès ne les croyait pas. Or il y
avait une chose qui plaidait en leur faveur, c’était le chaos causé par
quiconque avait tourné le dos aux dieux.
— Protège ton cercle proche, Aphrodite, dit Hadès. Je crois qu’ils
cherchent à attiser ta colère.
— Pourquoi quelqu’un chercherait à me mettre en colère ?
demanda-t-elle en serrant les poings.
— Pour illustrer un point.
— Quel point, Hadès ?
— Que la Faveur d’un dieu ne vaut rien, dit-il.
Chapitre VI
HADÈS
*
* *
Hadès retourna au palais.
Il lui faudrait informer Ilias de ce qu’il avait appris du fermier.
Hadès avait toujours perçu un sentiment d’urgence quant au fait
de capturer l’Ophiotauros, mais cela lui paraissait plus vrai que
jamais, maintenant que la tempête de Déméter s’aggravait et que
Perséphone commençait à douter que Zeus autorise leur mariage.
Trop d’obstacles empêchaient Hadès d’obtenir tout ce qu’il avait
toujours voulu. L’Ophiotauros faciliterait la tâche à quiconque voulait
renverser les Olympiens, et Hadès refusait de perdre sans même se
battre.
Il déambulait dans le jardin, prenant son temps pour rentrer au
château, quand il sentit la magie de Perséphone bourgeonner.
Elle était rentrée, ce qui était étrange ; quand elle travaillait au
royaume des mortels, elle y restait pendant des heures.
Il fronça les sourcils et disparut du jardin, suivant sa magie
jusqu’à leur chambre, où il la trouva nue. Elle était de dos, penchée
en avant à étudier ses jambes. Il en profita pour l’admirer en silence,
de loin, tout en imaginant tout ce qu’il pourrait lui faire dans cette
position. Au bout d’un moment, elle se redressa, ne l’ayant toujours
pas remarqué. Alors qu’elle se dirigeait vers la salle de bains, elle
sursauta.
— Hadès ! s’écria-t-elle.
Il aimait sa façon de dire son nom, cela lui rappelait ses cris
quand elle jouissait.
— Tu m’as fait peur !
Il baissa les yeux sur ses seins, qu’elle couvrait d’une main
comme pour calmer les battements de son cœur.
— Tu aurais dû te douter que je te rejoindrais dès que tu
enlèverais tes vêtements. C’est un sixième sens.
Il retira sa main de sa poitrine et embrassa ses doigts à la fois
délicats et forts. Il les revit quand elle les plongeait dans ses cheveux
et griffait son crâne, quand elle enroulait ses mèches autour de son
index et les tirait en le chevauchant jusqu’à l’orgasme.
Bon sang, je suis insatiable, pensa-t-il tout en baissant les yeux
sur son corps.
Il remarqua alors ses cuisses rouges et enflées. Sa peau était
parsemée de petites poches de liquide, presque transparentes, mais
impossibles à rater. C’était des ampoules.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en posant sa paume contre
sa peau brûlante.
Perséphone saisit son autre bras et y planta ses ongles pendant
qu’il essayait de guérir sa chair, d’apaiser ses brûlures.
C’est quoi, ce bordel ?
— Une femme a versé son café sur ma cuisse, répondit
Perséphone.
Il n’aimait pas le ton meurtri de sa voix.
— Versé ? demanda-t-il en la regardant dans les yeux.
— Si tu me demandes si c’était intentionnel, la réponse est oui.
Intentionnel.
C’était ce qu’Hadès craignait après la mort d’Adonis, et même
avant cela, dès que la nouvelle de sa relation avec Perséphone avait
atteint les médias. Il avait toujours redouté que quelqu’un la prenne
pour cible, conscient qu’il finirait par se passer quelque chose et que
Perséphone comprendrait qu’elle ne pouvait plus exister dans le
monde comme avant, comme une mortelle lambda.
Elle était bien plus que ça : une déesse, premièrement, mais elle
était aussi à lui, c’est ce qui mettait les gens en colère.
Il s’agenouilla devant elle, luttant contre ses émotions qui étaient
sens dessus dessous. Une pression s’accumulait dans son crâne et
sa poitrine et l’incitait à exploser et à se venger, mais sa culpabilité
l’en empêchait. Il aurait dû insister pour qu’elle ne sorte pas en public,
il aurait dû lui donner des bureaux à la Tour Alexandria plus tôt.
Il réprima sa frustration et se concentra pour guérir ses blessures.
Une fois certain qu’elle ne souffrait plus et qu’il ne restait plus de
traces visibles des brûlures, il posa ses mains derrière ses cuisses et
la maintint en place avant de lever les yeux vers elle sans se
redresser.
— Vas-tu me dire qui était cette femme ? demanda-t-il en
approchant sa tête pour effleurer l’intérieur de sa cuisse, soulagé de
l’entendre soupirer joyeusement.
— Non, répondit-elle en posant ses mains sur ses épaules, le
visage caché par ses cheveux dorés.
— Et… je ne peux pas te convaincre de me le dire ?
Elle soupira quand il tira la langue pour la goûter, se rapprochant
de son clitoris enflé qui le suppliait de le taquiner. Il poussa un
grognement en s’imaginant le prendre dans sa bouche pour le sucer
délicatement.
Sa verge durcit de plus belle et il était certain qu’elle empêchait
son sang de circuler vers son cerveau.
— Tu pourrais peut-être, chuchota-t-elle d’une voix qui envoya
une vague de chaleur au sommet de sa queue.
Hadès ne se souvenait déjà plus de ce qu’il lui avait demandé.
— Mais je ne connais pas son nom, donc ça ne servirait à rien.
— Rien de ce que je fais n’est jamais en vain.
Il n’en pouvait plus. Il prit son clitoris dans sa bouche et elle lâcha
un soupir guttural en plongeant ses mains dans ses cheveux. Hadès
adorait cela et aima encore plus qu’elle les tire trop fort.
— Hadès…
Il recula juste assez pour chuchoter contre sa chair brûlante, dont
le goût suffisait à le rendre fou. Si elle ne le laissait pas la mener à
l’orgasme, il serait obsédé toute la soirée par ce qu’ils n’avaient pas
pu finir.
— Ne me dis pas d’arrêter, supplia-t-il entre deux coups de
langue.
Un autre soupir de joie lui échappa, mais quand elle prit la parole,
sa voix était autoritaire et maîtrisée.
— Tu as trente minutes.
Cela suffit à le faire reculer pour la regarder dans les yeux. Bon
sang, elle était sublime et bien plus forte que lui. Ses yeux verts
scintillaient, comme si son Charme s’estompait, mais il savait que
c’était seulement le fait de son désir, la preuve qu’elle avait envie de
lui. Le problème, c’était qu’elle pouvait se contrôler et prendre son
temps pour jouir.
Hadès ne le pouvait pas.
— Trente seulement ?
Elle écarquilla les yeux et esquissa un sourire amusé.
— Tu as besoin de plus ? le provoqua-t-elle.
Il empoigna ses fesses en souriant.
— Chérie, on sait tous les deux que je peux te faire jouir en cinq
minutes, mais… si j’ai envie de prendre mon temps ?
Elle sourit de plus belle et effleura sa bouche du bout du doigt.
— Plus tard, dit-elle.
Hadès n’arrivait pas à savoir si c’était un ordre ou une promesse.
— On a une soirée et je dois préparer des cupcakes.
— N’est-ce pas une habitude à la mode chez les mortels, d’être
en retard ?
Est-ce qu’il n’avait pas entendu ça quelque part ? Il avait
l’impression de faire la moue, mais c’était important : le plaisir devait
suivre la douleur.
— C’est Hermès qui t’a dit ça ?
— Il a tort ?
Elle plissa les yeux.
— Je refuse d’être en retard à la soirée de Sybil, Hadès. Si tu
souhaites me donner du plaisir, tu me feras jouir dans les temps.
Hadès ricana, il appuya son menton sur ses cuisses en acceptant
ses ordres.
— Comme tu voudras, ma chérie, dit-il en reprenant ses gestes,
taquinant son clitoris jusqu’à ce qu’il le sente pulser dans sa bouche.
Il prit alors une de ses jambes pour la poser sur son épaule,
écartant ses cuisses pour la goûter, et elle s’appuya sur lui. Il avait
envie de la baiser avec autre chose que ses doigts et sa langue ; sa
queue le suppliait d’être en elle, surtout quand elle commença à se
frotter à sa bouche, mais elle lui avait donné une limite et s’il allait
passer le gros de son temps sur cette partie de son corps, il devait
s’appliquer. Il n’aurait qu’à se branler plus tard, pendant qu’elle
décorerait des putains de cupcakes au lieu de s’occuper de sa
queue.
Mais c’était bien.
C’était suffisant.
C’était Perséphone, et c’était tout ce qui comptait.
Satisfait quand elle jouit contre sa langue, il se leva, capturant sa
bouche avec la sienne en la serrant fort contre lui, saisi d’un vertige
en sentant son corps nu contre sa verge.
Il rompit le baiser quand elle voulut s’en emparer, mais ils étaient
trop près l’un de l’autre pour qu’elle y arrive.
— J’ai promis de te faire jouir et d’être à l’heure chez Sybil. Si tu
me touches, je romprai ma promesse.
Ses propos sonnaient presque comme une menace. Il était
parfaitement conscient de ce dont il était capable, et il savait
également qu’il suffisait qu’elle le touche pour qu’il lui saute dessus.
Elle avait clairement l’air de regretter de lui avoir soutiré cette
promesse. Elle ouvrit la bouche, mais il ne la laissa pas parler, il
l’embrassa de nouveau en prenant son visage dans ses mains.
Quand il recula, il appuya son front contre le sien.
— Va faire ces putains de cupcakes, Perséphone.
Il la lâcha et recula. Elle semblait légèrement confuse, ce qui était
bien mieux que ce qu’il ressentait. Hadès parvint tout juste à se
contrôler pendant qu’elle enfilait une robe. Elle se dirigea vers la
porte et se tourna vers lui.
— Est-ce que tu… vas me rejoindre dans la cuisine ?
— Dans un instant, dit-il.
Elle hocha la tête en zyeutant sa verge, qui luttait contre son
pantalon. Elle ne pouvait pas se douter de ce qu’il comptait faire, et
elle avait à peine refermé la porte qu’il avait déjà déboutonné son
pantalon, sorti sa verge et commencé à se branler.
Putain, pensa-t-il en se caressant.
Il jouit rapidement et maladroitement, mais son orgasme fit pâle
figure à côté de ce dont il avait vraiment besoin et, tout en effaçant
les preuves de son geste, il se demanda comment il tiendrait toute
une soirée sans prendre Perséphone dans le nouvel appartement de
Sybil.
Chapitre VII
HADÈS
À
Sybil les regarda d’un air désespéré. À l’évidence, elle avait
essayé de remettre le mortel à sa place. Le problème était qu’elle
pensait pouvoir lui accorder une place d’ami, alors qu’à l’évidence il
n’aurait jamais dû entrer dans sa vie.
Sa place était en prison.
Ou au Tartare.
L’une ou l’autre option aurait contenté Hadès.
Le silence fut interrompu quand quelqu’un frappa.
— Dieux merci, dit Sybil en se dirigeant vers la porte d’un pas
pressé.
Hadès supposait qu’elle avait hâte que sa maison soit remplie de
gens afin de couvrir la voix agaçante de Ben.
— Je sais qu’elle n’est pas encore convaincue, dit Ben quand ils
furent seuls, mais ce n’est qu’une question de temps.
— Comment tu peux en être aussi sûr ? demanda Perséphone.
Hadès entendit le dégoût dans sa voix, mais le mortel ne sembla
rien remarquer. Au lieu de ça, il sourit fièrement et se tint plus droit.
Hadès levait déjà les yeux au ciel.
— Je suis Oracle.
— Oh merde, grommela Hadès.
Perséphone lui mit un coup de coude, mais cela ne découragea
pas le mortel pour autant. Il n’était pas capable de percevoir les
émotions en dehors de la fierté qu’il ressentait pour lui-même.
Hadès ne le supporterait pas longtemps. Il avait besoin de
prendre ses distances avec cet enfoiré, qu’il refusait d’appeler par
son prénom.
— Si vous voulez bien m’excuser.
Il regarda Perséphone du coin de l’œil et sortit de la cuisine,
découvrant le salon en sirotant le whisky que Sybil lui avait gentiment
offert. Il aurait aimé pouvoir se saouler, ce soir ; il en avait vraiment
besoin.
Il entendait encore le mortel, de l’autre côté de la pièce, qui se
rapprochait de Perséphone, ce qui donna à Hadès l’envie de lui
arracher la tête. Il s’autorisa à le visualiser, à imaginer ce qu’il
ressentirait en le faisant, histoire de se calmer.
— Je crois qu’il ne m’aime pas, disait Ben.
Perséphone haussa un sourcil et répondit d’un ton dénué
d’enthousiasme.
— Qu’est-ce qui t’a donné cette impression ?
Hadès cessa de les écouter et étudia l’appartement de Sybil. Il
était douillet, mais un peu vide, preuve qu’elle repartait à zéro. Ils
avaient beau se réunir ce soir pour fêter le début d’un nouveau
chapitre, Hadès savait qu’aucun d’eux ne pouvait être vraiment
heureux, car la véritable raison pour laquelle ils étaient tous là était
que l’une d’entre eux était partie.
Le décès de Lexa avait tout changé.
Il s’en voulait encore de ne pas avoir été là pour Perséphone
pendant que Lexa était à l’hôpital, et de ne pas l’avoir préparée à sa
mort. Il ne s’était pas douté que son décès serait aussi dévastateur.
« Tu es le dieu des Enfers depuis tellement longtemps que tu as
oublié ce que c’est d’être sur le point de perdre quelqu’un. »
Quand elle avait prononcé ces mots, il avait eu l’impression qu’il
la perdait.
— Sephy !
La voix d’Hermès interrompit ses pensées et il se tourna vers le
dieu de la Ruse qui entrait dans la cuisine, deux bouteilles dans
chaque main. Il les posa sur le bar avant de prendre Perséphone
dans ses bras.
— Tu sens Hadès et… le sexe, déclara-t-il.
Si Hadès se sentit légèrement coupable, cela le fit rire.
— Ne sois pas grossier, Hermès ! siffla Perséphone.
Hermès lâcha la déesse, l’air amusé, puis il se tourna vers Ben,
intrigué. Hadès poussa un grognement inaudible. Pourquoi fallait-il
qu’Hermès soit attiré par tout le monde ? En même temps, cela
n’avait pas d’importance. Dès que cet imbécile ouvrirait la bouche,
l’intérêt d’Hermès disparaîtrait en fumée.
— Oh, et… qui est-ce ? demanda-t-il.
— Je te présente Ben. C’est un…
Perséphone hésitait, ne sachant comment décrire celui qui
s’accrochait à Sybil. Elle n’eut pas besoin de se décider, car ni
Hermès ni lui ne lui accordaient d’attention.
— Hermès, c’est ça ? demanda Ben.
Le dieu de la Ruse parut briller de fierté.
— Tu as entendu parler de moi ?
Hadès ricana sèchement et but une autre gorgée. Sa remarque
était absurde ; aucun mortel sur terre n’ignorait qui était Hermès.
— Bien sûr, répondit Ben. Tu es toujours le Messager des dieux
ou ils t’ont remplacé par les mails ?
Hadès s’efforça de cacher son sourire et se tourna vers la fenêtre,
ouvrant le rideau qui avait été punaisé au mur, tout en écoutant la
réponse vexée d’Hermès.
— Toi, tu m’appelleras Lord Hermès désormais, déclara-t-il.
Hadès n’entendit pas la suite, car il se concentra sur la météo. Il
neigeait encore plus fort et, de temps en temps, des grêlons
frappaient la vitre. La tempête empirait d’heure en heure.
— Bien, bien, bien, déclara Hermès, qui s’était rapproché.
Regardez qui a décidé d’assombrir la pièce !
Hadès tourna le dos à la fenêtre, le dieu de la Ruse pointait Ben
du doigt, dans son dos.
— Tu le crois, toi ? Quel culot ! Est-ce qu’ils m’ont remplacé par
les mails ? Enfoiré !
Hadès gloussa à nouveau, mais Hermès le fusilla du regard.
— Eh, ne fais pas mine de ne pas être ancien, toi aussi. On ne t’a
pas remplacé par le meurtre, toi ?
— C’est… non, Hermès, répondit Hadès.
— Mais sans rire, quelle impudence !
— Tu sais, si tu voulais vraiment te venger, tu ne lui montrerais
pas qu’il t’atteint.
— Tu dis ça seulement pour ne pas m’écouter râler.
Hadès haussa les épaules et but une gorgée.
— Cet imbécile pense qu’il est Oracle. Laisse-le offrir de fausses
prophéties, il se retrouvera vite à la merci d’Hécate.
Hadès ne savait pas pour quel dieu le mortel pensait parler ni s’il
ne faisait qu’inventer ses prétendues visions. Quoi qu’il en soit,
Hécate détestait les gens qui s’inventaient des pouvoirs.
— Invoque-la, dit Hermès d’une voix sombre. Je veux le voir
brûler.
Hadès ne dit rien, même s’il se plut à imaginer la scène que
causerait Hécate dans le petit appartement de Sybil s’il l’appelait
pour punir le faux prophète.
— Tu as parlé à Dionysos ? demanda-t-il.
— Non.
Hadès le fusilla du regard.
— Tu as dit rapidement, pas immédiatement, se défendit Hermès,
mais Hadès continuait de le dévisager. Bon, très bien, j’irai ce soir.
Hadès ne baissa pas les yeux.
— Si tu crois que je vais partir d’ici sans faire un jeu à boire, tu es
complètement fou. Ah, mais attends, tu l’es, en fait, répondit-il en
croisant les bras et en tournant la tête. Pourquoi tu ne vas pas lui
parler, toi ?
— Parce que je dois parler à Apollon, répondit Hadès. Tu veux
qu’on échange ?
— Hmmm, non. Il ne m’a toujours pas pardonné d’avoir volé ses
vaches.
— Tu as encore fait ça ?
— Non, je l’ai fait qu’une fois. Tu sais, quand j’étais bébé.
— Je croyais que vous aviez réglé ça depuis longtemps, dit
Hadès.
Si ses souvenirs étaient exacts, c’était comme ça qu’Apollon avait
eu sa première lyre, qui lui servait désormais de symbole de son
pouvoir.
— C’est le cas, admit Hermès. Mais bon, tu sais, il est rancunier.
On frappa à nouveau à la porte et, cette fois, c’est Hélène qui
entra.
Hadès ne connaissait pas la jeune mortelle, en dehors de ce que
Perséphone lui avait dit, c’est-à-dire qu’elle était sublime et qu’elle
travaillait dur.
— Cette météo ! dit-elle en entrant. C’est presque… surnaturel.
— Oui, c’est horrible, dit Perséphone.
La poitrine d’Hadès se resserra quand il vit le visage inquiet de
Perséphone.
Ça n’allait pas s’arranger. Le bruit de la grêle contre la vitre ne
faisait qu’augmenter.
Leucé et Zofie furent les dernières à arriver. Apparemment, elles
avaient décidé que vivre ensemble serait une bonne idée, mais
d’après ce qu’Ilias lui rapportait, c’était assez désastreux. Leucé
venait tout juste de retrouver sa forme physique après avoir été un
arbre pendant plusieurs siècles, et Zofie… Zofie était née et avait été
éduquée pour être une guerrière. Quand quelque chose n’allait pas
dans son sens, son réflexe était de tuer, elle passait donc beaucoup
de temps à détruire des choses sans raison.
Comme les distributeurs de snacks de la Tour Alexandria.
Elles avaient toutes les deux beaucoup à apprendre à propos de
la société moderne.
Des deux, Hadès pensait que Leucé serait la plus mal à l’aise en
sa présence. Après tout, c’était lui qui l’avait changée en arbre. Mais
ce fut Zofie qui se figea quand elle le vit.
— Milord ! s’exclama-t-elle avant d’esquisser une révérence.
— Tu n’as pas à faire ça ici, Zofie, dit Perséphone, même si
Hadès n’y était pas opposé.
Il trouvait étrange que l’Amazone insiste pour s’incliner devant lui
et pas devant Perséphone, alors que techniquement, c’était elle sa
maîtresse. Il savait que sa déesse serait mal à l’aise si elle le faisait,
puisqu’ils étaient avec des… amis.
— Mais… c’est le roi des Enfers, dit Zofie.
— On est au courant, ricana Hermès. Regarde-le, c’est le seul
gothique de la pièce.
Hadès le fusilla du regard, mais Hermès sourit en s’éloignant.
— Puisque tout le monde et là, faisons un jeu ! dit le dieu de la
Ruse.
— Quel jeu ? demanda Hélène. Un poker ?
— Non !
Le cri avait échappé à presque tout le monde dans la pièce, y
compris à Perséphone.
Hadès fronça les sourcils.
Il savait qu’il avait une réputation en matière de jeux de cartes, et
perdre contre lui coûtait cher aux mortels, mais il n’avait aucune
envie de conclure un marché ce soir, sauf peut-être avec le mortel
qui se faisait passer pour un Oracle. Il aimait l’idée de lui imposer un
défi impossible, du genre : cesse d’être un psychopathe. Il échouerait
de façon spectaculaire et Hadès pourrait débarrasser le monde de
son âme.
— Et si on jouait à « Jamais je n’ai » ? proposa Hermès.
Hadès grogna. Il détestait ce jeu.
Hermès sautilla jusqu’à la cuisine et se pencha sur le bar,
parvenant à prendre plusieurs bouteilles d’alcool dans chaque main.
— Avec des shots ! ajouta-t-il.
— OK, mais je n’ai pas de verres à shot, dit Sybil.
— Dans ce cas, tout le monde choisit une bouteille, répondit
Hermès en déposant les bouteilles sur la table basse.
— C’est quoi, « Jamais je n’ai » ? demanda Zofie.
— C’est exactement ce que tu penses, dit Hermès. Tu fais une
déclaration au sujet de quelque chose que tu n’as jamais fait, et tous
ceux qui l’ont fait doivent boire.
C’était précisément pour cela qu’Hadès détestait ce jeu. C’était
bien la dernière chose qu’il voulait faire en présence de Perséphone.
Il avait pratiquement tout fait puisqu’il existait depuis toujours, mais il
n’avait pas eu l’occasion de tout dire à Perséphone. Il envisagea de
mentir, mais il savait qu’Hermès s’empresserait de le dénoncer.
Eh merde.
Il ne le pardonnerait jamais au dieu de la Ruse.
Tout le monde se rassembla autour de la table du salon et dut
regarder Ben envahir l’espace personnel de Sybil pour se faufiler par
terre à côté d’elle.
— Moi d’abord ! s’écria Hermès. Jamais je n’ai… couché avec
Hadès.
Une bouffée de chaleur partit du sommet du crâne d’Hadès
jusqu’à la pointe de ses pieds. Inutile d’invoquer Hécate pour torturer
Ben. Hadès l’appellerait pour Hermès.
— Hermès ! gronda Perséphone.
Au diable Hécate. Peut-être que Perséphone le tuerait elle-même.
En tout cas, son regard assassin était impossible à louper.
— Quoi ? râla-t-il. Ce n’est pas facile pour quelqu’un de mon âge.
J’ai déjà tout fait !
Ce n’est que lorsque Leucé se racla la gorge qu’il comprit
pourquoi ce qu’il avait dit posait problème. Perséphone n’était pas la
seule personne dans la pièce à avoir couché avec Hadès, et le rappel
n’était agréable pour personne.
— Ah, dit-il. Aaah !
Un silence gênant suivit, Perséphone et Leucé burent une
gorgée, et si Hadès riva son regard sur sa déesse, il sentait déjà la
tension naître entre eux.
Ben décida que c’était son tour sans qu’on ne l’y invite.
— Jamais je n’ai harcelé une ex.
Hadès put goûter son mensonge, et personne ne but, car
personne d’autre n’était un psychopathe.
— Jamais je n’ai… eu de coup de foudre, dit Sybil.
Elle avait beau dire cela pour Ben en particulier, le mortel ne
sembla pas le remarquer, ou peut-être qu’il s’en fichait, car il but une
gorgée.
Hélène fut la suivante.
— Jamais je n’ai… eu de plan à trois.
Hadès sentit le regard insistant de Perséphone sur lui avant
même qu’Hélène ait terminé sa phrase, mais il évita de la regarder en
portant sa bouteille à sa bouche. Quand il plongea son regard dans le
sien, elle semblait pâle, excepté ses joues qui s’empourpraient.
Ce n’était pas comme s’ils n’en avaient jamais parlé, enfin, pas de
ça précisément, mais il lui avait expliqué qu’il avait eu une longue vie.
Il était donc normal qu’il ait eu de nombreuses partenaires et
expériences. Peut-être aurait-il dû être plus précis.
Ce n’était clairement pas le meilleur moyen de lui apprendre ce
qu’il avait fait, même si c’était dans le passé.
Il avait désespérément envie d’être à côté d’elle, de passer son
bras autour d’elle et de lui chuchoter à l’oreille combien il l’aimait, lui
dire qu’aucune expérience passée ne lui arrivait à la cheville.
Le jeu continuait, et cela ne fit qu’empirer.
— Jamais je n’ai… mangé sur le corps nu de quelqu’un, dit Ben,
et Hadès dut boire.
— Jamais je n’ai… baisé dans la cuisine, dit Hélène.
Encore une gorgée.
— Jamais je n’ai baisé dans un lieu public, dit Sybil.
Hadès but encore.
Il ne pensait pas dire cela un jour, mais il en avait assez de boire.
À chaque gorgée, il sentait l’énergie de Perséphone se transformer
pour devenir noire et colérique, et elle repoussait la sienne.
Il n’aimait pas du tout ça.
— Jamais je n’ai… baisé avec une prêtresse, dit Hermès.
— Tu mens, dit Hadès.
— Ah bon ? demanda Hermès d’un ton surpris avant de hausser
les épaules. Hmmm, d’accord.
Hadès ne but pas, cette fois.
— Jamais je n’ai simulé un orgasme, déclara Hélène.
Horrifié, Hadès regarda Perséphone porter son verre à sa bouche
parfaite pour boire une gorgée.
C’était un putain de mensonge.
Il plissa les yeux. Il était le seul avec qui elle avait couché, et il
savait parfaitement qu’il ne l’avait jamais laissée insatisfaite ou sur sa
faim.
— Si c’est vrai… commença-t-il en la transperçant du regard,
espérant qu’elle devinerait ce qu’il comptait lui faire.
Il la pousserait à le supplier de la faire jouir et lui donnerait tant de
plaisir qu’elle en ressentirait les effets pendant des jours.
— … je me ferai un plaisir de rectifier la situation.
— Oh ! fredonna Hermès. Y en a qui vont baiser, ce soir.
— Tais-toi, Hermès ! aboya Perséphone.
— Quoi ? râla-t-il. Tu as de la chance qu’il ne t’ait pas téléportée
aux Enfers au moment où tu as pris la bouteille.
Hadès l’avait envisagé, mais la récompense serait encore plus
grande s’il la prenait ici, où tout le monde l’entendrait jouir.
Elle n’avait pas idée de ce qu’elle avait fait.
— Jouons à autre chose, proposa Perséphone.
— Mais j’aime bien celui-là, se plaignit Hermès. Ça commençait
tout juste à être intéressant. Et puis, tu sais bien qu’Hadès est en
train de faire la liste de toutes les façons dont il va te prendre ce…
— Ça suffit ! siffla-t-elle.
Elle se leva d’un bond et disparut dans le couloir. Un silence
suivit, et au bout de quelques secondes, Hermès leva les yeux vers
lui.
— Eh bien ? Tu ne la suis pas ?
Hadès soupira et posa la bouteille de whisky sur la table basse
avant d’ajuster sa veste et de disparaître.
Il réapparut devant elle, posa les mains de part et d’autre de sa
tête, elle était adossée à la porte de la salle de bains. Elle avait les
yeux fermés et il se pencha vers elle, la bouche tout près de son
oreille.
— Tu savais ce que ton comportement allait provoquer chez moi,
dit-il.
Tout le corps d’Hadès lui semblait brûlant.
Il avait envie de la prendre, de la faire jouir si fort sur sa queue
qu’elle ne pourrait plus tenir debout ni marcher.
— Quand t’ai-je laissée sur ta faim ? demanda-t-il, effleurant son
oreille puis son cou avec sa bouche.
Perséphone frissonna.
— Tu ne réponds pas ?
Il recula et posa une main sur sa gorge, sentant son pouls battre
sous sa paume.
— J’aurais sincèrement préféré ne pas apprendre tes exploits
sexuels pendant un jeu, devant tous mes amis, dit-elle.
Il aurait aimé l’éviter, lui aussi.
— Et donc tu as pensé qu’il serait mieux de révéler que je ne te
satisfais pas ?
Elle fuit son regard et déglutit, et Hadès sentit sa gorge se
contracter dans sa main.
Il se pencha en avant, caressant le lobe de son oreille du bout de
sa langue.
— Devrais-je effacer leurs doutes quant au fait que je peux te
faire jouir ? chuchota-t-il en remontant ses mains le long de ses
cuisses, soulevant sa robe pour déchirer sa culotte.
— Hadès ! On est invités !
— Et alors ? demanda-t-il, libérant sa verge avant de la soulever
contre la porte.
— Ça ne se fait pas, de baiser dans la salle de bains de
quelqu’un.
Elle avait beau protester, elle le laissait faire. Il l’embrassa en
frottant son bassin au sien, appuyant sa verge entre ses cuisses
avant de la glisser sur sa fente trempée.
— Putain, chuchota-t-il.
Ou peut-être qu’il ne l’avait pas dit à voix haute, mais la sensation
était divine.
Il avait cru qu’il serait capable de prendre son temps, de la torturer
jusqu’à ce qu’elle le supplie, mais c’était impossible, pas quand elle
était à ce point prête pour lui. Il avait trop hâte de plonger dans sa
chaleur. Il glissa en elle et un gémissement guttural échappa de la
bouche de Perséphone, ouverte contre la sienne.
Elle était… tout.
Il la tint fort en s’enfonçant en elle. Il ne pouvait guère bouger,
mais c’était suffisant – cela suffisait à annihiler toutes ses pensées, à
faire tinter ses oreilles et à précipiter tout le sang depuis sa tête
jusqu’à sa verge.
Sa peau se couvrit de sueur et son souffle devint rauque et
laborieux, conscient que la porte branlait derrière Perséphone. Le
bruit était si fort qu’il faillit ne pas entendre le coup qui y fut porté, et
quand il entendit la voix d’Hermès de l’autre côté, il regretta d’avoir
perçu quoi que ce soit.
— Désolé de vous interrompre, quoi que vous fassiez, mais vous
devriez venir voir ça.
— Pas maintenant, aboya Hadès.
Il n’avait aucune envie d’arrêter. Il était tellement proche de
l’orgasme, et Perséphone aussi. Il sentait ses muscles se contracter
autour de lui, cherchant à le faire éjaculer.
Il enfouit sa tête dans le creux de son cou et respirait contre sa
peau quand il sentit qu’elle lui mordait et léchait l’oreille. Il se crispa et
la serra plus fort.
Putain, elle rendait ça impossible.
— OK, mais premièrement, c’est impoli de baiser dans la salle de
bains des autres, dit Hermès d’un ton aigu, comme s’il était agacé.
Deuxièmement, ça concerne la météo.
Merde, merde, putain de Déméter ! pensa-t-il. Nom de dieux,
comment cette fichue tempête pouvait-elle gâcher jusqu’à leurs
parties de jambes en l’air ?
— Un instant, Hermès, grogna-t-il.
— C’est long comment, un instant ?
— Hermès ! menaça Hadès.
Il espérait que le dieu comprendrait ce qu’il taisait : encore une
question, et je mettrai le feu à tes testicules.
— D’accord, d’accord !
Hadès prit une grande inspiration.
Quitter le corps de Perséphone était une torture. C’était encore
pire quand sa verge était prête à exploser.
— Merde.
— Je suis désolée, dit Perséphone, et il fronça les sourcils.
— Pourquoi tu t’excuses ?
Elle s’apprêtait à répondre, mais elle se ravisa.
— Je ne t’en veux pas, dit-il pour la rassurer avant de
l’embrasser. Mais ta mère va regretter de nous avoir interrompus.
C’était une promesse.
Ils se rhabillèrent et sortirent de la salle de bains. Depuis le
couloir, ils entendirent le journal télévisé parler de la météo.
« Toute la Nouvelle Grèce a été placée en alerte rouge pour
tempête de glace. »
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Perséphone en entrant
dans le salon, suivie d’Hadès.
— Il s’est mis à grêler, répondit Hélène depuis la fenêtre dont les
rideaux étaient ouverts.
Perséphone la rejoignit et regarda dehors, les bras croisés, signe
de son angoisse. Hadès avait entendu le début de la grêle, mais elle
tombait désormais comme de la pluie.
— C’est l’acte d’un dieu, commença le faux Oracle. Un dieu est
en train de nous maudire !
Un silence tendu s’abattit sur la pièce et même si personne n’allait
le contredire, dire cela dans une pièce où se tenaient de véritables
dieux était sacrément culotté.
Ben regarda Hadès dans les yeux.
— Tu vas le nier ? demanda-t-il comme pour le défier.
— Ce n’est pas malin de tirer des conclusions trop hâtives, mortel,
gronda Hadès.
Il détestait vraiment cet homme.
— Je ne tire pas de conclusions hâtives. Je l’ai prédit ! Les dieux
vont exercer un règne de terreur sur nous. Nous allons connaître le
désespoir et la destruction.
Hadès regarda Perséphone, qui semblait pâle et hésitante. Ce
que disait Ben n’était pas impossible, mais c’était également une
information que n’importe qui pourrait cracher, pour peu que l’on
connaisse un peu l’histoire de la Grèce.
— Mesure tes propos, Oracle ! lui lança Hermès.
Il se tenait bien droit, crispé, le menton levé et les poings serrés.
Les propos de Ben ne lui avaient vraiment pas plu.
— Je ne fais que répéter ce que…
— Ce que tu entends, l’interrompit Sybil. Et ce que tu entends
pourrait être la parole d’un dieu, ou pas. D’ailleurs, étant donné que
tu n’as pas de mécène, j’imagine que c’est une entité impie qui te file
tes prophéties. Si tu avais été formé, tu le saurais.
Une entité impie pouvait prendre de nombreuses formes ; ce
pouvait être un autre mortel, remplissant sa tête de pensées impies,
ou même une âme piégée sur terre, chuchotant dans la pénombre.
— Et qu’y a-t-il de mal à être une entité impie ? Parfois, ce sont
les seules qui disent la vérité.
— Tu devrais y aller, dit Sybil d’une voix rauque.
Enfin, pensa Hadès.
— Tu veux que je… parte ?
— Elle a été très claire, répondit Hermès en faisant un pas en
avant.
— Mais…
— Tu sembles avoir oublié où est la porte, dit le dieu de la Ruse.
Je t’accompagne.
— Sybil… commença Ben.
Oh, bon sang. Assez !
Hadès propulsa sa magie vers le mortel, qui s’évanouit.
Il y eut un moment de stupeur, puis tout le monde regarda
Hermès.
— Ce n’était pas moi, dit-il en regardant Hadès, qui n’avait pas
l’intention de s’expliquer.
Il n’avait fait qu’exécuter ce qu’il avait voulu faire dès le début de
la soirée : envoyer Ben sur une île déserte.
— Je crois qu’on devrait tous partir, dit Perséphone. Plus on
attend, plus la tempête va empirer, ajouta-t-elle en le regardant.
Hadès, j’aimerais m’assurer qu’Hélène, Leucé et Zofie rentrent en
sécurité.
— Je vais appeler Antoni, acquiesça-t-il.
Le cyclope arriva quelques minutes plus tard et ils s’installèrent
dans la limousine. Le bruit de la grêle était encore plus fort dans la
voiture, chargeant l’habitacle d’une atmosphère lugubre.
Hadès était à côté de Perséphone, un bras autour d’elle, Leucé,
Zofie et Hélène étaient assises en face d’eux.
— Est-ce que tout le monde a détesté ce Ben ? demanda Leucé.
Quelle question absurde ! pensa Hadès. Bien évidemment que
tout le monde l’avait détesté.
— Sybil devrait cacher un couteau sous son lit, au cas où il
reviendrait, dit Zofie pour se rendre utile.
— Ou elle pourrait simplement installer un verrou sur sa porte,
suggéra Hélène.
— Les verrous peuvent être crochetés. Un couteau, c’est plus sûr,
insista Zofie.
Hadès était d’accord avec elle. Quelqu’un comme Ben ne
laisserait pas un simple verrou l’empêcher de prendre ce qu’il voulait,
de la même façon qu’il ne laisserait pas un non l’arrêter.
Hadès profita du silence pour réfléchir, même si ce qu’il devait
faire ensuite était loin d’être excitant. Il devait aller voir Apollon pour
savoir ce qui avait tué Adonis, et il avait besoin de le savoir vite, avant
que d’autres attaques similaires n’aient lieu.
Il aurait largement préféré rentrer aux Enfers avec Perséphone et
terminer ce qu’ils avaient commencé dans la salle de bains, mais
cela attendrait qu’il ait accompli cette tâche.
Ça n’allait pas plaire à Perséphone.
Antoni déposa Leucé et Zofie et ils attendirent qu’elles soient en
sécurité avant de repartir pour ramener Hélène.
La jeune femme resta silencieuse un moment, mais elle finit par
parler, sans les regarder, ni lui ni Perséphone.
— Vous pensez que Ben a raison ? Que c’est l’œuvre des dieux ?
Hadès sentit Perséphone se crisper contre lui et il la serra plus
fort.
— On le saura bien assez vite, répondit-il.
Ils arrivèrent chez Hélène et Antoni l’aida à sortir de la voiture.
— Merci de m’avoir ramenée, dit-elle en partant.
Perséphone se blottit contre Hadès alors que le froid s’engouffrait
dans l’habitacle et il était heureux de la laisser faire.
Maintenant qu’ils se dirigeaient vers chez eux, Hadès redoutait
d’arriver. Il aurait aimé rester là avec Perséphone, au chaud dans sa
limousine.
Il sentit la déesse lever la tête vers lui puis, après quelques
secondes, elle lui parla d’une petite voix.
— Elle pense vraiment qu’une tempête va suffire à nous séparer ?
Sa question lui fit comprendre qu’elle ignorait combien la situation
allait s’aggraver.
— Tu as déjà vu de la neige, Perséphone ? demanda-t-il.
— De loin…
Hadès étudia son regard. Il ne savait pas comment lui expliquer
ce qui finirait par arriver.
— À quoi tu penses ? chuchota-t-elle, comme si elle avait peur de
le découvrir.
— Elle va continuer jusqu’à ce que les dieux n’aient d’autre choix
que d’intervenir.
— Et il se passera quoi ?
Je détruirai le monde entier, pensa-t-il.
Il choisit pourtant de ne pas répondre, et elle ne l’y força pas.
Quelques secondes plus tard, ils approchaient de Nevernight. Il
se redressa et Perséphone s’éloigna de lui.
Il détestait ça.
— Antoni, assure-toi que Lady Perséphone arrive à Nevernight en
sécurité.
— Quoi ?
Hadès se baissa pour l’embrasser avant qu’elle ne puisse dire
autre chose. Il glissa sa langue dans sa bouche et dut faire appel à
tout son self-control pour ne pas l’attirer sur ses genoux et faire
fusionner leurs corps en la baisant à l’arrière de la limousine.
Il se concentra donc sur sa bouche, plongeant ses doigts dans
ses cheveux, empoignant sa taille pour l’empêcher de bouger, et s’en
empêcher aussi.
Bon sang, pourquoi était-ce toujours aussi bon ?
Il rompit brusquement le baiser, ravi de voir ses yeux briller, signe
de sa passion et de sa frustration. Elle avait envie de lui. Il sourit et
effleura sa bouche du bout des doigts.
— Ne t’en fais pas, ma chérie. Tu jouiras avec moi ce soir.
Et il disparut avant de changer d’avis.
Chapitre VIII
DIONYSOS
HADÈS
*
* *
Hadès apparut dans un des temples sombres et froids d’Apollon.
Celui-ci n’était plus utilisé et se trouvait dans ce qu’on appelait
désormais la vieille agora de Nouvelle Athènes. Durant l’Antiquité,
c’était un lieu de vie où les citoyens se rassemblaient pour faire la
fête, vénérer les dieux, jouer et exposer leurs talents artistiques.
Aujourd’hui, après de nombreuses batailles et tempêtes mortelles, ce
n’étaient plus que des ruines.
Apollon apparut et bouscula Hadès pour avancer dans un coin de
la pièce où une table en métal était poussée contre le mur.
— Tu ne crois pas que tu devrais te changer ? demanda Hadès,
car le dieu était encore vêtu de son kimono préféré.
S’il pensait que l’eau l’avait ruiné, est-ce que le sang ne serait pas
pire ?
Apollon semblait s’en ficher. Il empoigna le drap blanc taché de
sang qui recouvrait le corps d’Adonis et le retira brusquement.
Hadès avait vu beaucoup de cadavres. Beaucoup. Il fut donc
surpris de ne pas être préparé à celui-ci.
Il avança lentement vers le corps. Maintenant qu’Adonis était
lavé, Hadès voyait bien les larges plaies sur son torse ainsi que sur
ses bras et ses jambes, et même sur son visage. Autour de chaque
lacération, des bleus brunâtres étaient apparus, comme si le tueur
avait enfoncé la lame jusqu’à la garde avec plus de force que
nécessaire. Hadès avait du mal à imaginer qu’on puisse causer de
tels dégâts avec un couteau lambda.
C’est alors qu’Hadès remarqua qu’une plaie sur le côté n’avait
pas cessé de saigner.
Bizarre.
— Apollon, commença-t-il. Tu es sûr qu’il ne reste rien dans ces
plaies ?
— J’ai fouillé dans chacune d’entre elles, dit Apollon.
— Alors pourquoi celle-là saigne encore ?
— Les cadavres ne saignent pas, Hadès… répondit Apollon,
s’arrêtant après avoir fait le tour du corps pour rejoindre Hadès. Je ne
crois pas que ce soit du sang, dit-il.
Il s’avança et enfonça son doigt dans la plaie.
— Tu ne veux pas des gants, ou quelque chose ? demanda
Hadès, qui grimaça en entendant le bruit de succion.
Apollon ne répondit rien, il inspectait la plaie.
— Aïe ! Putain de merde ! s’exclama-t-il en retirant soudain son
doigt.
Il secoua sa main, répandant du sang partout. Hadès se couvrit le
visage.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il.
Apollon resta silencieux et il se saisit d’une pince à épiler. Il
l’enfonça dans la plaie et, après quelques secondes, quelque chose
tinta sur la table métallique.
Apollon ramassa l’objet et frotta son pouce dessus.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.
— C’est la pointe d’une faux, répondit Hadès. La pointe de la faux
de Cronos.
Chapitre X
HADÈS
HADÈS
*
* *
Hadès les emmena dans leur chambre.
Quand ils furent arrivés, ils restèrent à quelques pas l’un de
l’autre, face à face, sans bouger.
Hadès essayait de comprendre ce qu’entraînerait l’implication de
Perséphone dans l’enquête sur les agresseurs d’Adonis et
d’Harmonie. Si elle pouvait le faire en sécurité depuis la Tour
Alexandria, son travail d’investigation serait utile, mais était-elle prête
à le faire ? Il lui semblait qu’elle était sur le point de craquer, et il
n’était pas certain qu’elle en soit consciente.
— Tu me tiendras au courant de chacune de tes initiatives et de
chaque information que tu obtiendras sur cette histoire, dit-il. Tu te
téléporteras au travail. Si tu pars du boulot pour une raison
quelconque, tu me le diras. Tu emmèneras Zofie partout avec toi,
gronda-t-il en se rapprochant d’elle. Et, Perséphone, si je dis non…
Il était on ne peut plus sérieux. Il n’osait verbaliser les
conséquences qu’il mettrait en place si elle lui désobéissait, mais
elles seraient terribles, et elle le détesterait.
— D’accord, dit-elle avec un regard et une voix si sincères qu’il
sentit sa poitrine se comprimer.
Il soupira longuement et pressa leurs fronts l’un contre l’autre.
— S’il t’arrivait quoi que ce soit…
Il ne pouvait imaginer qu’elle soit à la place d’Harmonie.
— Hadès… je suis ici. Je suis en sécurité. Tu ne laisseras rien
m’arriver.
— Mais je l’ai déjà fait, répondit-il.
Il avait laissé Pirithoos l’enlever, et il n’en avait rien su. Il l’avait
laissé agresser sa déesse.
À quoi ça sert d’être le dieu des Morts si tu ne peux rien faire ? lui
avait-elle demandé un jour quand Lexa était sur le point de mourir.
Aujourd’hui, il se posait cette même question. À quoi servaient ses
pouvoirs s’il ne pouvait même pas protéger Perséphone ?
— Hadès…
— Je ne veux pas en parler, dit-il en reculant. Tu as besoin de
repos.
Il mettait rarement de distance entre eux, mais là, il en avait
besoin. Il n’aima pas voir que cela choquait Perséphone. Elle l’étudia
un instant, comme si elle s’attendait à ce qu’il la rappelle à lui, mais
Hadès tourna les talons et se servit un verre. Elle s’éloigna aussi
pour aller se doucher.
Elle devait croire qu’il la rejetait, mais si elle savait ce qu’il pensait,
elle n’aurait pas envie de lui non plus.
Car il pensait qu’il ne la laisserait jamais quitter les Enfers. Il avait
déjà menacé de le faire par le passé, mais ces dernières agressions
étaient trop proches et Perséphone avait déjà été prise pour cible.
Ilias cherchait encore la femme qui lui avait renversé le café dessus.
Cela le rendait furieux de savoir que son royaume ne lui suffisait
pas. Il ne pourrait jamais reproduire le soleil chaud ni le ciel bleu du
royaume des mortels, et Perséphone ne se contenterait jamais de
régner seulement sur les morts.
Elle s’épanouissait grâce à un objectif : changer le monde.
Elle avait déjà changé son monde, et s’il se sentait parfois
meilleur grâce à elle, il lui arrivait également de se sentir plus violent
que jamais, capable de choses plus terribles encore.
Il n’aurait pas dû vouloir la retenir en otage, mais il était en colère.
Aphrodite l’avait fait entrer dans ce monde et l’exposait à tout ce
contre quoi il avait tant essayé de la protéger, et bien sûr, elle était
ravie d’aider. Perséphone se sentait responsable de tout le monde.
C’était une qualité qu’il admirait, normalement, mais pas dans ce
cas, car les victimes étaient des dieux.
— Tu viens te coucher ?
Sa voix douce et hésitante le tira de ses pensées.
Il n’aimait pas l’entendre ainsi.
Il se tourna vers elle et découvrit qu’elle avait mis un tee-shirt trop
large dont le tissu était collé à tous les endroits de son corps qui
étaient encore humides. Ses cheveux étaient lourds et mouillés, et
elle avait pleuré. Ses joues étaient trop roses et ses yeux un peu trop
rouges.
Hadès referma la bouche et posa son verre sur la table avant de
traverser la pièce jusqu’à elle. Il prit son visage dans ses mains et
caressa ses joues avec ses pouces.
Sa poitrine se comprima.
— Je te rejoins vite, chuchota-t-il, espérant que cela soulagerait
son angoisse.
Hadès avait surtout besoin de se débarrasser de sa frustration,
car il savait que cela ne ferait qu’empirer avant de s’améliorer, et il ne
souhaitait pas qu’elle soit la récipiendaire de son agressivité.
Elle se mit sur la pointe des pieds pour l’embrasser, mais il évita
sa bouche, déposant un baiser sur son front. Ce n’était pas le baiser
qu’elle espérait ni celui qu’Hadès aurait voulu lui donner, mais c’était
tout ce dont il était capable pour le moment. Il savait que s’il l’avait
laissée faire, elle l’aurait attiré contre elle pour le garder, mais il lui
aurait sauté dessus, et cela aurait été brutal et sans merci.
Il n’était pas certain qu’elle puisse encaisser.
Cependant, quand elle reposa les pieds à plat sur le sol, il se
demanda si elle pouvait supporter qu’il la rejette ainsi.
Elle déglutit et quand elle lui tourna le dos, il eut l’impression
qu’elle lui avait arraché le cœur et qu’elle l’emportait au lit avec elle.
Chapitre XII
HADÈS
*
* *
Hadès retourna dans sa chambre, où il trouva Perséphone
profondément endormie. Il la regarda longtemps, notant le
mouvement régulier de sa poitrine, la façon délicate dont ses longs
cils s’étendaient comme un éventail sur ses pommettes, sa bouche
légèrement entrouverte. Elle était sublime, et si une part de lui avait
envie de la réveiller pour s’excuser de la façon dont il l’avait quittée
plus tôt, il ne souhaitait pas la déranger. Elle avait réussi à trouver la
paix malgré les événements de la nuit, contrairement à lui, et il était
injuste qu’ils souffrent tous les deux.
Il but, lentement, repensant aux propos d’Hécate. Il se concentra
sur ce qu’il ressentait maintenant : il était épuisé, frustré, toujours
effrayé, et la tension dans son corps s’accumulait dans la pointe de
sa verge.
Merde.
Il remua, inconfortable, les yeux rivés sur Perséphone. Il pouvait
tout à fait rester assis là, en silence, et tenter de se procurer lui-
même du plaisir, mais il savait qu’il lui fallait quelque chose de plus
fort, de plus brusque.
Il avait besoin du corps de Perséphone. C’était la seule chose qui
pouvait le satisfaire, mais il ne pouvait lui demander cela, pas ce soir.
Il vida son verre avant de se déshabiller. Sa verge et ses
testicules lui paraissaient lourds entre ses cuisses. Il n’arrivait pas à
s’allonger à côté de Perséphone car il était trop tenté de la réveiller.
S’il commençait, il ne s’arrêterait jamais.
C’est alors qu’il sentit sa main sur son dos.
— Tu vas bien ? demanda-t-elle.
Il tourna la tête vers elle et l’étudia longtemps avant de se
pencher pour approcher sa bouche de ses lèvres, qu’il ne fit
qu’effleurer. Il devrait l’embrasser. Il ne l’avait pas fait depuis qu’ils
étaient rentrés, mais il se retint et caressa plutôt sa joue.
— Je vais bien, dit-il sans quitter ses lèvres des yeux.
Il avait envie de l’embrasser, et le fait qu’il s’en empêche était
sans doute ridicule, mais il se sentait tellement à cran et hors de
contrôle… Si elle ne pouvait l’encaisser ? Il recula et vit de la vexation
dans le regard de Perséphone.
— Dors. Je serai là quand tu te réveilleras.
— Et si je n’ai pas envie de dormir ?
Elle vint à lui, se dressant sur les genoux pour le chevaucher,
nichant son sexe contre son érection. Il prit une grande et brusque
inspiration et planta ses ongles dans sa peau pour l’empêcher de
bouger, incapable de supporter le mouvement de son corps contre le
sien.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu ne m’as pas embrassée tout à
l’heure et tu refuses de te coucher avec moi, dit-elle en cherchant son
regard.
Elle le serra plus fort, comme pour lui rappeler qu’elle était ici,
bien présente.
— Je ne peux pas dormir, dit-il. Parce que je ne peux pas faire
taire mes pensées.
— Je peux t’aider, chuchota-t-elle.
Elle était parfaitement capable de le distraire, c’était certain. Mais
ses pensées seraient toujours là, après.
— Et… pourquoi tu ne veux pas m’embrasser ?
Il déglutit et baissa les yeux en cherchant comment lui expliquer.
— Parce que j’ai trop de rage en moi et que si je me perdais en
toi… eh bien, j’ai peur de ce que je pourrais libérer.
— Tu es en colère contre moi ?
— Non, répondit-il aussitôt. Mais j’ai peur d’avoir accepté quelque
chose qui va te faire souffrir, et je ne peux déjà pas me le pardonner.
— Hadès…
Elle avait chuchoté son nom et elle prit son visage dans ses
mains pour l’étudier. Il voulait lui demander ce qu’elle y cherchait afin
de lui dire qu’elle ne le trouverait jamais, mais il avait conscience
d’être difficile, et qu’elle ne le croirait pas, de toute façon.
Elle survola sa bouche avec la sienne. Le moindre de ses
mouvements le rendait fou. Il était au bord d’un précipice et il perdait
le peu de contrôle qui lui restait. Il repensa à la conversation qu’il
avait eue avec Hécate et se dit qu’il n’avait peut-être pas besoin de
contrôle, dans cette situation.
Dans cet espace, il pouvait exister de façon authentique, et
Perséphone… accepterait.
Les lèvres contre les siennes, elle chuchota quelque chose qui lui
dit qu’elle avait lu dans ses pensées.
— Perds-toi en moi. Je peux encaisser.
C’était la permission dont il avait besoin. Il l’embrassa, ouvrant la
bouche pour plonger sa langue dans la sienne. Il poussa un
grognement et empoigna ses cheveux. Bon sang, elle était tellement
douce.
Elle se cambra et se colla à lui, et ouvrit davantage la bouche
pour l’accueillir. Même ses jambes s’ouvrirent, la verge d’Hadès
nichée au milieu, frottant contre sa chair nue et mouillée.
— Putain, siffla-t-il en rompant le baiser pour enlever son tee-
shirt.
Maintenant qu’elle était nue, il promena ses mains partout sur son
corps avant de s’occuper de ses seins, qu’il massa en les léchant
dans un geste affamé. Il aimait sa façon d’onduler contre lui, sa façon
de tenir sa tête en place jusqu’à ce qu’elle soit prête à ce qu’il passe
à l’autre. Sa bouche étant occupée, il plongea une main entre ses
cuisses pour titiller son sexe. Elle était tellement trempée. Il glissa un
doigt et chatouilla son clitoris. Il leva la tête au moment où elle
penchait la tête en arrière en gémissant. Hadès embrassa sa gorge
et suça sa peau, lui arrachant un autre cri. Il aimait ça, il en voulait
plus.
— Putain, souffla-t-elle.
Il continua à la caresser jusqu’à ce qu’elle perde la tête et ne
puisse plus que s’agripper à lui.
— S’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît, gémit-elle.
— S’il te plaît quoi ?
Ce n’était pas une question. C’était un ordre.
Son corps lui répondit en vibrant contre le sien. Il la poussa en
arrière sans délicatesse.
— Tu peux encaisser ? demanda-t-il.
Ses joues étaient rouges et elle semblait délirer de plaisir. Il
supposa qu’elle dirait presque oui à tout, en ce moment.
Elle hocha la tête, à bout de souffle.
— Oui.
Il saisit ses hanches et la ramena à lui en la soulevant pour que
ses fesses soient tout contre les siennes, puis il la pénétra.
Perséphone se cambra sur le lit et ses seins se mirent à rebondir
à chaque coup de bassin. Cela l’encouragea à accélérer et à aller
plus loin en elle. Elle était tellement belle, tellement érotique, et elle
n’en avait sans doute aucune idée, mais la regarder le prendre était
un putain de rêve.
— Oh putain, cria-t-elle en tressautant.
Elle ne savait quoi faire de ses mains, agrippant tantôt Hadès
tantôt ses seins puis ses cheveux, et à chaque va-et-vient, Hadès
sentait la pression augmenter. Il continua, déterminé à faire durer le
plaisir.
Leurs corps se couvrirent de sueur et Hadès ne fut bientôt plus
capable de la tenir. Il se pencha en avant, les avant-bras de part et
d’autre de son visage, et il jouit. Il sentait sa verge pulser et il
s’écroula sur elle.
Perséphone parla après un long silence.
— Tu es à moi, Hadès, dit-elle en coiffant ses cheveux qui
s’étaient détachés durant leur partie de jambes en l’air. Bien sûr que
je peux encaisser.
Hadès se dressa sur un coude pour la regarder dans les yeux. Il
ne savait pas pourquoi il s’attendait toujours à ce qu’elle craque, à ce
qu’elle le quitte, à ce qu’elle le fuie, quand elle parlait ainsi. Ça n’avait
pas de sens. Ça n’aurait jamais de sens.
Mais il était infiniment reconnaissant qu’elle l’aime.
— Je n’ai jamais pensé que je remercierais les Moires pour le
destin qu’elles m’ont offert, mais toi… tu vaux tout le reste.
— Quel reste ?
— La souffrance.
Chapitre XIII
THÉSÉE
DIONYSOS
HADÈS
*
* *
Hadès se rendit dans son bureau et saisit le combiné du
téléphone.
— Ivy.
— Milord ! répondit-elle d’un ton joyeux, ne percevant pas sa
colère. Je ne savais pas que vous étiez là !
— Faites monter Zofie, gronda-t-il.
— Tout de suite, Milord.
Il avait convoqué Zofie à la tour, ce matin, afin qu’elle assure la
protection de Perséphone, mais sa présence ne lui avait pas paru
essentielle puisqu’il était également là. Il s’était trompé.
Hadès fit les cent pas dans la nouvelle salle d’attente de
Perséphone, on ne peut plus énervé. Il avait beau lui offrir un lieu où
travailler, il ne pouvait pas la protéger de toutes les menaces, dont
l’une était Apollon.
Est-ce que le dieu savait le danger qu’encourait Perséphone ? Il
l’aurait dû, pourtant.
Après tout, c’était lui qui avait fait l’autopsie d’Adonis. C’était lui
qui avait revécu l’agression d’Harmonie. Il aurait dû comprendre
qu’emmener Perséphone pour lui tenir compagnie n’était pas dans
l’intérêt de la déesse, dans cette période trouble.
S’il était parfaitement capable de suivre la magie d’Apollon et
d’arracher sa déesse, Hadès savait qu’ils étaient liés par un contrat
que Perséphone se devait d’honorer.
Il détestait ça.
Elle aurait dû s’en extirper quand il lui en avait donné l’occasion,
et il ne comprenait pas qu’elle ne l’ait pas fait. Quand apprendrait-elle
qu’elle ne pouvait pas changer les gens ? Apollon finirait par la
décevoir, tôt ou tard, tout comme Hadès. Il en était certain.
L’ascenseur annonça son arrivée par un bip agaçant et Hadès
leva la tête quand Zofie en sortit. Il ne lui laissa pas faire un pas avant
de lui parler.
— Perséphone est à la Palestre de Delphes avec Apollon.
Il le savait, car il pouvait tracer les pierres de sa bague de
fiançailles. Chaque joyau avait une énergie unique qu’il pouvait
sentir, quelle que fût la distance qui les séparait.
— Je veux que tu y ailles pour garder un œil sur eux, même si
Perséphone n’est pas au courant de ta présence.
L’Amazone écarquilla les yeux.
— Je… je ne le savais pas. Je suis tellement dé…
— Ne sois pas désolée. Contente-toi d’y aller, ordonna-t-il.
Si Hadès avait engagé Zofie pour protéger Perséphone, il
commençait à penser qu’il lui fallait quelqu’un qui avait autre chose
que des talents de guerrière. En tant qu’Amazone, Zofie n’avait
aucun talent pour combattre la magie. Il n’était même pas certain
qu’elle le sache. Sans doute finirait-elle par mourir en essayant de
s’opposer à un dieu.
C’était là toute la loyauté et la dévotion d’une Amazone, même
celles qui avaient été bannies.
— Bien sûr, dit-elle, hésitant un instant avant d’appuyer sur le
bouton du rez-de-chaussée.
Il y eut une pause gênante, puis Hadès reprit :
— Téléporte-toi, Zofie, dit-il.
— Bien sûr, répondit-elle avant de disparaître.
Hadès soupira en prenant son visage dans ses mains.
— Nom d’une putain de pipe ! grommela-t-il.
— Ce serait un plaisir, dit Hermès en apparaissant dans un nuage
scintillant de magie.
Hadès laissa tomber ses mains et pencha la tête sur le côté.
— Pourquoi tant cinéma ? Tu n’es pas en public.
— Je voulais surprendre Perséphone, dit Hermès. Je ne crois pas
qu’elle ait déjà vu mon… effervescence.
Hadès haussa un sourcil et Hermès regarda autour de lui.
— Où est Perséphone, d’ailleurs ?
— Ton frère vient de l’emmener, dit Hadès. Peut-être que tu
devrais aller la chercher.
— Euh… non. J’ai dû ramper pour me faire pardonner après avoir
volé ses vaches. Tu crois que je veux recommencer si je vole
Perséphone ?
— Tu viens de comparer ma femme à des vaches ?
— Ta femme ? demanda Hermès en jouant des sourcils. Tu
t’entraînes ?
— Va te faire foutre, Hermès ! grogna Hadès.
Hadès se rendit dans son propre bureau. Du givre commençait à
coller aux vitres, obscurcissant sa vue sur Nouvelle Athènes, même
s’il n’y avait pas grand-chose à voir puisque la ville était étouffée par
un nuage de brouillard et de neige.
— Déméter est vraiment agitée du bocal, dit Hermès.
Hadès le regarda d’un air confus.
— Agitée du bocal ?
— Ben, tu sais, super folle, expliqua Hermès. Complètement
zinzin, quoi.
— Alors pourquoi tu n’as pas dit ça ?
— Parce que c’est moins drôle, Hadès. Moins cool. Si tu veux
t’intégrer, va falloir que t’apprennes le jargon.
— Le jargon ?
— La langue !
Hadès gloussa et Hermès plissa les yeux.
— Je te déteste, grommela-t-il en croisant les bras.
Ils restèrent silencieux quelques instants, à observer le monde.
Hadès s’attendait à ce que la météo empire, mais le voir de ses
propres yeux lui faisait vraiment redouter le pire.
— Tu sais qui je déteste plus que toi ? demanda Hermès.
— Je pense pouvoir le deviner, répondit Hadès.
Déméter.
— Je n’ai pas vu une telle catastrophe depuis les temps anciens,
dit Hermès.
Effectivement, la dernière fois remontait à la sécheresse que la
déesse de la Moisson avait provoquée après qu’un roi thessalien
avait brûlé un bois où poussaient ses arbres sacrés. Il avait fallu des
mois aux Olympiens pour la convaincre d’arrêter.
Hadès ne faisait pas partie de ceux qui l’avaient suppliée, car il
n’avait eu aucune envie de récompenser son comportement enfantin.
Cependant, cela lui donna une idée. Pourrait-il forcer la déesse à se
montrer en profanant quelque chose qui lui était sacré ?
— Je me demande ce que les autres en pensent, dit Hermès.
Il parlait des autres Olympiens.
— Je présume que les deux seules que ça dérange sont Athéna
et Hestia, dit Hadès. Les autres ne s’y intéresseront que lorsque leurs
fidèles commenceront à mourir.
En effet, moins de fidèles signifiait moins de pouvoirs. C’est à ce
moment-là qu’ils s’en prendraient à Hadès et Perséphone.
— Je doute que tu sois venu regarder la neige tomber, dit-il. Ni
même pour montrer à Perséphone ta magie… effervescente. Alors,
qu’est-ce qu’il y a ?
— J’ai besoin d’une raison pour rendre visite à ma meilleure
amie ?
— Je croyais que c’était moi, ton meilleur ami, répondit Hadès
d’un ton sec.
É
— Écoute, je peux être le meilleur ami de plusieurs personnes,
pas besoin de vous battre.
Hadès tourna la tête pour scruter Hermès, qui soupira.
— Bon, d’accord. Aphrodite m’a envoyé dire à Perséphone
qu’Harmonie était réveillée.
— Seulement à Perséphone ?
— Elle m’a demandé spécifiquement de ne pas t’impliquer, dit
Hermès en se massant la nuque. Et crois-moi, je devine déjà les
conséquences.
— Tu préfères subir ma colère ou la sienne ? demanda Hadès.
— La tienne, clairement, dit Hermès d’un ton agacé. Tu parles
d’un ami.
Hadès était soulagé d’entendre qu’Harmonie était réveillée, mais
pas qu’Aphrodite essayait de l’exclure des conversations qu’elle
aurait avec Perséphone. Ils étaient d’accord pour qu’elle enquête sur
l’agression, mais en retour, il exigeait la transparence, et il
n’appréciait pas que la déesse de l’Amour s’y oppose.
— Harmonie n’est que le début, dit Hadès. Il y aura d’autres
dieux.
Hermès se crispa à ses côtés.
— Tu crois vraiment qu’ils peuvent nous tuer ?
— Je crois que tout est possible, dit Hadès. Les mortels ont leur
propre magie.
Cela s’appelait la technologie et la science. Combinées au
pouvoir des dieux, elles les rendaient inarrêtables.
Adonis et Harmonie étaient des tests leur permettant de peaufiner
leurs attaques. Ce n’était qu’une question de temps avant que
quelqu’un meure, et pour le bien du monde entier, Hadès espérait
que ce ne serait pas Aphrodite. S’il y avait un dieu dont les pouvoirs
étaient sous-estimés, c’était Héphaïstos. S’il arrivait quoi que ce soit
à sa femme, le monde apprendrait combien il était terrible.
Chapitre XVI
HADÈS
*
* *
Ils retournèrent sur l’île de Lemnos, apparaissant cette fois devant
une grande villa moderne. Le fait qu’Hadès n’ait pas pu les téléporter
à l’intérieur en disait long sur l’humeur d’Aphrodite. Ils avaient
dépassé le stade de l’urgence et se trouvaient désormais sur le
chemin de la vengeance, mais il était hors de question qu’elle se
serve de Perséphone pour y parvenir.
— On ne pourrait pas se téléporter directement à l’intérieur la
prochaine fois ? demanda Perséphone en frissonnant à ses côtés.
— On pourrait, dit-il, si on y avait été invités.
— Comment ça ? Aphrodite ne t’a pas prévenu qu’Harmonie était
réveillée ?
Hadès ne voulait pas répondre parce qu’il avait l’impression de ne
pas pouvoir mentir.
— Hadès… gronda Perséphone d’un ton désapprobateur.
— Elle a envoyé Hermès te chercher. Et c’est moi qu’il a trouvé,
admit-il avant de la regarder dans les yeux. Tu ne feras pas ça sans
moi, ajouta-t-il.
La bouche de la déesse se pinça et elle fuit son regard, mais pas
avant qu’il comprenne que ses propos l’avaient vexée. Merde.
— Perséphone… l’implora-t-il, mais la porte s’ouvrit sur Lucy.
C’était l’une des créations d’Héphaïstos, une animatronique
presque humaine qui s’occupait de leur maison.
— Bienvenue, dit-elle. Milord et Milady n’attendent pas d’invités.
Veuillez me donner vos noms, s’il vous plaît.
Hadès entra dans la maison sans attendre.
— Excusez-moi ! cria-t-elle. Vous entrez dans la résidence privée
de Lord et Lady Héphaïstos !
Il avait déjà traversé le hall d’entrée quand il entendit Perséphone
parler.
— Je suis Lady Perséphone dit-elle. Et lui, c’est Lord Hadès,
ajouta-t-elle avec autant de dédain que possible.
Le dieu des Morts se tourna vers elle.
— Viens, Perséphone.
Elle croisa les bras et le fusilla du regard.
— Tu pourrais être plus poli. Tu n’as pas été invité, toi, tu as
oublié ?
Hadès contracta sa mâchoire. Dieux, était-elle vraiment obligée
d’être aussi têtue ?
— Lady Perséphone ! s’exclama Lucy d’une voix stridente qui
était censée ressembler à de la surprise. Vous êtes la bienvenue.
Suivez-moi, s’il vous plaît.
Elle laissa Perséphone entrer avant de se diriger vers Hadès,
haussant le menton en passant devant lui.
— Lord Hadès, vous n’êtes pas le bienvenu, dit le robot.
Elle était clairement à l’image d’Aphrodite.
Hadès emboîta le pas de Perséphone et lui prit la main, frustrée
qu’elle essaie de la retirer. En temps normal, il l’aurait laissée faire,
mais cette fois il ne le put pas, sans comprendre pourquoi. Il s’y
agrippa et dessina des cercles sur sa peau avec son pouce jusqu’à
ce qu’elle semble se détendre.
Hadès n’avait pas l’habitude de venir chez Aphrodite et
Héphaïstos. En général, lorsqu’il leur rendait visite, ils l’accueillaient
dehors. Pour un couple qui semblait rarement s’entendre, leur
espace paraissait être un équilibre parfait de leurs personnalités : le
côté luxueux d’Aphrodite et le côté pratique d’Héphaïstos.
Lucy les emmena au bout d’un couloir lumineux, jusqu’à la
bibliothèque, s’arrêtant pour annoncer leur arrivée avant de les
laisser entrer.
— Milady Aphrodite, Lady Harmonie… Lady Perséphone et Lord
Hadès sont là pour vous voir.
Aphrodite était assise à côté de sa sœur sur un petit canapé.
Harmonie faisait moins peur à voir que la veille, mais c’était
seulement parce qu’Apollon avait réussi à soigner ses plaies et ses
bleus et qu’elle avait débarrassé son corps et ses cheveux des traces
de terre. Elle était toujours pâle, presque grise, comme le teint des
âmes quand elles entraient aux Enfers pour la première fois. Quant à
ses cornes mutilées… elles portaient encore les traces de la scie qui
les avait coupées.
— Merci, Lucy, dit Aphrodite, et l’animatronique esquissa une
révérence avant de sortir.
La déesse de l’Amour riva un regard agacé sur Hadès.
— Je vois qu’Hermès n’a pas suivi mes instructions.
— Tu peux remercier Apollon pour ça, répondit Perséphone.
— Perséphone et moi sommes ensemble dans cette histoire,
Aphrodite, ajouta Hadès d’un ton sec.
Harmonie ne réagit pas en entendant leur échange. Elle garda
une main sur son chien, qui dormait sur ses cuisses.
— Perséphone, assieds-toi, je t’en prie, dit Aphrodite d’un ton
mielleux.
Sa gentillesse était fausse et Hadès espéra que Perséphone le
devine.
— Tu veux du thé ? poursuivit Aphrodite.
— Oui, répondit Perséphone en frissonnant.
Hadès fronça les sourcils. Avait-elle encore froid ?
— Du sucre ?
Hadès croisa les bras, perdant patience devant l’hospitalité
d’Aphrodite. Ce n’était qu’une ruse.
— Non merci.
— Un sandwich au concombre ?
— Non merci, répéta Perséphone.
Un silence s’ensuivit, pendant lequel Perséphone but son thé.
— Je suppose que tu es là pour me parler, dit Harmonie d’une
voix si faible qu’elle était presque inaudible.
— Si tu te sens assez bien pour le faire, répondit Perséphone.
Nous avons besoin de savoir ce qui s’est passé hier soir.
Harmonie regarda Hadès et Perséphone tour à tour.
— Par où je commence ?
— Où étais-tu quand tu as été agressée ? demanda Hadès.
— J’étais dans le Parc Concorida.
— Malgré la neige ? demanda Perséphone.
— J’y vais tous les après-midi avec Opale, expliqua-t-elle. On a
pris notre chemin habituel. Je n’ai rien senti d’étrange avant l’attaque,
ni violence ni animosité.
Le fait qu’Harmonie ait l’habitude de se promener dans le parc et
de suivre le même chemin signifiait que quelqu’un connaissait sa
routine et avait pu organiser l’attaque. Et à cause de la neige, il n’y
avait probablement pas de témoins.
— C’est arrivé comment ? demanda Hadès. Quel est ton premier
souvenir ?
— Quelque chose de lourd m’a ensevelie. Quoi que ça ait été,
cela m’a mise à terre. Je ne pouvais ni bouger ni invoquer mes
pouvoirs.
Elle marqua une pause et sa main se mit à trembler sur Opale.
— Après ça, ça a été facile pour eux. Ils sont sortis des bois,
masqués. Ce dont je me souviens le plus est la douleur dans mon
dos. Quelqu’un a planté son genou dans mon dos pour me maintenir
à terre, puis ils ont saisi mes cornes et les ont sciées.
— Personne n’est venu t’aider ? demanda Perséphone.
— Il n’y avait personne, répondit Harmonie. Il n’y avait que ces
gens qui me détestaient pour ce que je suis, alors que je ne peux rien
y faire.
Hadès était gêné de poser la prochaine question, mais il fallait
que quelqu’un le fasse.
— Après avoir pris tes cornes, qu’est-ce qu’ils ont fait ?
— Ils m’ont mis des coups de pied et des coups de poing, et ils
m’ont craché dessus, chuchota-t-elle.
— Est-ce qu’ils ont dit quelque chose pendant qu’ils…
t’attaquaient ?
— Ils ont dit toutes sortes de choses. Des choses atroces, dit
Harmonie avant de déglutir, les lèvres tremblantes. Ils m’ont traitée
de pute, de garce et d’abomination, et ils m’ont demandé où étaient
mes pouvoirs, maintenant, comme s’ils pensaient que j’étais une
déesse guerrière, comme si je leur avais causé des torts. La seule
chose à laquelle je pensais, c’était que j’aurais pu leur apporter la
paix et qu’au lieu de ça, ils me faisaient agoniser.
— Est-ce que tu te souviens de quoi que ce soit d’autre ?
N’importe quoi qui pourrait nous aider à trouver ces gens ?
Hadès se rendit compte que son interrogatoire pouvait paraître
agressif et il marqua une pause pour ajouter d’une voix plus douce :
— Prends ton temps.
Harmonie réfléchit longuement, puis elle regarda Hadès dans les
yeux.
— Ils ont prononcé le mot « lemming », dit-elle. Ils ont dit : « Toi et
tes lemmings, vous allez tous être détruits quand Renaissance
commencera. »
— Lemming, répéta Perséphone en levant la tête vers Hadès.
C’est ce que m’a dit cette femme, au Coffee House.
Harmonie toucha ses cornes brisées. C’était dur à voir, sachant
qu’elle avait été agressée d’une façon aussi horrible.
— Pourquoi vous pensez qu’ils ont fait ça ? chuchota-t-elle d’une
voix qui trahissait ses larmes.
— Pour prouver quelque chose, dit Hadès.
— Prouver quoi, Hadès ? aboya Aphrodite.
— Que les dieux sont remplaçables.
Il n’avait aucun doute quant au fait que quiconque était derrière
tout ça irait tôt ou tard voir les médias, ou à tout le moins se servirait
des cornes d’Harmonie comme d’un trophée afin de prouver qu’ils
pouvaient suffisamment s’approcher d’un dieu pour le blesser. Hélas,
cela ne ferait qu’inspirer d’autres personnes à tenter d’accomplir ce
qu’ils avaient craint un jour.
— Et ils en voulaient la preuve, ajouta-t-il. La nouvelle de ton
agression va bientôt circuler dans les médias, qu’on le veuille ou non.
— Tu n’es pas le dieu des Menaces et de la Violence ? demanda
Aphrodite. Sers-toi de tes accointances douteuses pour prendre les
devants.
— Tu oublies, Aphrodite, que l’on doit d’abord découvrir qui a fait
ça. Et d’ici là, la rumeur se sera répandue parmi ceux qui veulent
nous voir tomber, si ce n’est auprès du grand public. Mais nous
devons laisser faire, pour l’instant, dit Hadès.
— Pourquoi ? Tu veux que ça se reproduise ? demanda
Aphrodite. C’est déjà la deuxième fois !
Ses yeux brillaient de colère, et elle avait parfaitement le droit
d’être furieuse. Une personne proche d’elle avait été assassinée, et
l’autre avait été sévèrement blessée.
— Aphrodite… gronda Perséphone d’un ton qui attira l’attention
des déesses et d’Hadès.
C’était une mise en garde et elle l’avait dit comme une reine,
perchée sur le bord de son fauteuil, le dos bien droit, les mains
jointes sur ses cuisses, ne craignant en rien de remettre Aphrodite à
sa place, même dans sa propre maison.
Harmonie se racla la gorge.
— Je comprends ce que dit Lord Hadès, dit-elle. Quelqu’un va
forcément révéler ce qui m’est arrivé, et quand ce sera le cas, vous
serez prêts… n’est-ce pas, Hadès ?
Hadès hocha la tête.
— Oui, dit-il. On sera prêts.
Chapitre XVII
HADÈS
*
* *
Hadès étudiait son armoire, qui contenait précisément ce qu’avait
dit Hécate : plusieurs exemplaires des deux mêmes tenues ; un
costume noir pour tous les jours et des robes noires pour les
occasions spéciales. Pourtant, ces robes ne lui semblaient pas assez
distinguées.
Il soupira et contracta sa mâchoire avant de faire la seule chose
qu’il pouvait, il invoqua Hermès.
Le dieu des Voleurs apparut dans un nuage de fumée blanche
qui, cette fois, était bien trop épaisse. Elle remplit la pièce et Hadès
s’étouffa, aveuglé.
— Putain, Hermès, grogna-t-il entre deux quintes de toux.
Il dut fermer les yeux pour éviter de pleurer tout en allant jusqu’à
la porte pour l’ouvrir. La fumée se dissipa peu à peu et Hadès se
retrouva face à Hermès qui était vêtu d’un justaucorps bleu à sequins
avec un énorme décolleté qui révélait son torse et son ventre. Le pire
était sans doute la façon dont le tissu moulait son entrejambe,
trahissant ses testicules et sa verge à demi dure.
— Pourquoi tu es comme ça ? demanda Hadès.
— Quoi ? répondit le dieu en étudiant sa tenue. Tu n’aimes pas ?
— Je ne vais même pas répondre à cette question, gronda
Hadès. J’ai besoin d’aide. Les âmes ont organisé une fête de
fiançailles surprise et je… je veux avoir l’air…
— D’autre chose qu’un gothique ? proposa Hermès.
— Je veux surprendre Perséphone, dit Hadès.
— On peut échanger nos tenues, suggéra Hermès. Ça, ça la
surprendrait vraiment.
Hadès le fusilla du regard.
— D’accord… soupira Hermès. Ne bouge pas !
Il prit son menton dans sa main et tourna autour d’Hadès en le
reluquant de la tête aux pieds.
— Qu’est-ce que tu regardes ? demanda Hadès en
s’impatientant.
— Chhhut, ordonna Hermès en agitant la main. Tu interromps
mon génie.
Hadès leva les yeux au ciel.
— Eh, je t’ai vu faire, aboya Hermès. Tu veux mon aide ou pas ?
Hadès croisa les bras.
— Baisse les bras !
Hadès expira sa frustration et baissa les bras en serrant les
poings.
— Desserre les poings !
— Si t’oses me dire encore une fois quoi faire, je…
— Déshabille-toi ! déclara Hermès.
— Quoi ?
— Tu m’as demandé de t’habiller pour tes fiançailles, dit-il. Alors
déshabille-toi.
— Je ne t’ai pas demandé de m’habiller, dit Hadès. Je t’ai
demandé de m’aider à choisir quoi porter.
— Et la tenue requiert que je t’habille.
— Alors choisis une autre tenue.
— Non.
Ils se dévisagèrent un long moment, puis Hadès soupira de
nouveau. Cela lui arrivait souvent quand il était en présence
d’Hermès. Il se redressa et se débarrassa de sa veste.
— Ah, on fait ça de façon mortelle ? dit Hermès en souriant.
Hadès s’arrêta net de déboutonner sa chemise. Il avait pensé
qu’utiliser sa magie lui donnerait l’air trop pressé, mais dans cette
situation devant Hermès, il avait l’impression qu’il faisait un strip-
tease.
— Eh merde, gronda Hadès avant de claquer des doigts, se
retrouvant en sous-vêtements.
— Hmmm, dit Hermès au moment où un grand tissu apparaissait
dans ses mains. Un slip ? Qui l’eût cru ?
Hadès se crispa pendant qu’Hermès drapait le tissu sur son
épaule gauche avant de l’envelopper à la manière d’un himation
traditionnel, laissant une partie de son torse nu.
— J’aurais pu faire ça moi-même, remarqua Hadès alors
qu’Hermès lissait l’avant et l’arrière du vêtement.
— Sans doute, mais est-ce que ç’aurait été aussi beau ?
demanda le dieu de la Ruse avant de le pousser vers le miroir.
Quand Hadès vit son reflet, il dut admettre que le dieu avait
raison. Le tissu avait la couleur du ciel étoilé et les bords étaient
cousus de fil argenté, comme s’ils avaient été trempés dans la
lumière des étoiles.
— Alors ? demanda Hermès.
— Je… suppose que tu as raison, admit Hadès en croisant les
bras.
Hermès sourit jusqu’aux oreilles.
— Maintenant, occupons-nous de tes cheveux.
*
* *
Hermès passa bien une heure à brosser les cheveux d’Hadès,
puis il les attacha en demi-queue pour dégager son visage.
— Quitte ton Charme, dit-il.
Hadès haussa un sourcil et croisa le regard d’Hermès dans la
glace. Ce n’était pas que sa véritable forme le gênait, c’était plutôt
l’ordre d’Hermès qui le dérangeait.
— C’est plus canon, ajouta le dieu de la Ruse.
Hadès leva les yeux au ciel, mais se débarrassa néanmoins de sa
magie.
En général, il ne remarquait pas qu’il véhiculait une illusion toute
la journée, mais il arrivait qu’il se sente soulagé d’enlever le poids de
sa magie.
Et ce soir était l’une de ces occasions.
Assis devant le miroir de la salle de bains dans sa forme naturelle,
ses grandes cornes montant en spirale sur sa tête et ses yeux
étrangement bleus scintillant dans le reflet, il faillit ne pas se
reconnaître. Ou plutôt, il lui semblait que cette apparence appartenait
à un dieu qui n’existait plus. C’était celle qu’on lui avait donnée à la
naissance et qu’il avait utilisée lors de la guerre contre les Titans,
celle qui lui avait servi quand il avait accueilli des milliers d’âmes
sans couleur aux Enfers, ou encore quand lui et les autres Olympiens
étaient venus sur terre durant la Grande Guerre.
C’était ce visage que les gens redoutaient. Il se demandait s’il y
aurait des âmes qui le verraient ce soir et se souviendraient de leur
peur.
Il serra les poings sur la commode.
— Il te faut une couronne, dit Hermès.
Hadès se concentra sur le dieu, qui l’étudiait toujours à quelques
pas, telle une œuvre dans un musée. Il ne le contredit pas et invoqua
sa magie. Des volutes de fumée noire s’échappèrent de son corps et
glissèrent dans l’air avant de s’enrouler sur sa tête pour créer une
couronne de pointes en fer. Hadès se leva avant qu’elles n’aient fini
de se former et se tourna vers Hermès.
— Merci, dit-il. Puis en le reluquant des pieds à la tête, il ajouta :
Amuse-toi… quoi que tu fasses ce soir.
— C’est bon, Hadès, tu peux le dire. Je suis beau à croquer.
— Mais bien sûr, Hermès, répondit Hadès en souriant.
Sur ce, il se téléporta à Asphodèle, se matérialisant en bordure du
village.
— Lord Hadès !
Il sourit jusqu’aux oreilles lorsque plusieurs enfants coururent
vers lui, percutant ses jambes à toute vitesse. Il fit mine de tituber et
ils gloussèrent de voir leur force.
— Joue avec nous ! dit l’un d’entre eux, Dion, en le tirant par la
main.
— S’il te plaît, dis oui ! chantonnèrent deux autres enfants.
Hadès gloussa et se baissa pour prendre Lily, une fillette, dans
ses bras.
— À quoi on joue ? demanda-t-il.
Les enfants crièrent tous en même temps.
— À cache-cache !
— À colin-maillard !
— À ostrakinda !
Leurs réponses s’enchaînèrent, certains proposaient des jeux
datant de l’Antiquité, d’autres choisissaient des jeux plus modernes.
Cela lui rappela combien de temps certaines âmes avaient passé aux
Enfers. Un jour, elles remonteraient au royaume des vivants pour
naître auprès de nouveaux parents, dans un nouveau corps. Elles
oublieraient alors tout ce qu’elles avaient appris ici.
Hadès trouva étrange que l’idée de la vie lui apporte plus de
tristesse que celle de la mort.
— Eh bien, je suppose qu’il s’agit simplement de savoir à quoi l’on
jouera en premier.
Les enfants se remirent à crier, déduisant qu’ils devaient indiquer
à Hadès par quel jeu ils voulaient commencer, mais Hadès ne les
écoutait plus car il avait levé les yeux et croisé le regard
époustouflant de Perséphone.
Sa forme divine provoquait l’émerveillement, car elle luisait. Elle
était comme une étoile dans le ciel, faisant disparaître les ténèbres,
mettant le feu à toute l’horreur qu’il avait connue un jour.
C’est ça, sa forme véritable, pensa-t-il. Elle était sauvage, libre et
sublime. Ses cheveux étaient détachés et ses boucles épaisses
tombaient sur ses épaules et dans son dos, couronnés de fleurs
blanches desquelles semblaient jaillir ses cornes. Sa robe était rose
et légère, donnant l’illusion qu’elle ne touchait même pas le sol.
Hadès déglutit difficilement et grinça des dents, espérant réprimer
les flammes qui crépitaient dans son ventre. Certains enfants
semblèrent remarquer qu’il était distrait et se tournèrent vers
Perséphone avant de se précipiter vers elle.
— Lady Perséphone, joue avec nous, s’il te plaît !
Ils se jetèrent dans ses bras et saisirent ses mains, elle souriait
jusqu’aux oreilles. Hadès n’avait jamais vraiment envisagé le fait que
la beauté serait l’arme qui interromprait les battements de son cœur,
or, il peinait désormais à respirer. Avec Perséphone, il lui était facile
d’oublier le poids qu’il endossait : l’Ophiotauros, les agressions
d’Adonis et d’Harmonie, les reliques et les armes, l’angoisse causée
par la tempête de Déméter.
— Bien sûr, répondit-elle en levant à nouveau les yeux vers lui
avant de regarder par-dessus son épaule. Hécate ? Yuri ?
— Non, s’empressa de répondre Hécate. Mais je peux vous
regarder en buvant un verre de vin.
Les enfants les emmenaient déjà vers le pré et Hadès se retrouva
aux côtés de Perséphone, qui tourna la tête vers lui pour le regarder
dans les yeux.
— Salut, dit-elle.
— Salut, répondit-il en souriant.
Il voulait l’attirer dans ses bras pour l’embrasser, mais il se retint,
se concentrant plutôt sur la horde d’enfants rassemblés autour d’eux.
— On a de nombreux jeux à faire, dit-il. Par lequel allons-nous
commencer ?
Il dressa la liste des jeux et laissa les enfants décider. Cela
débuta par cache-cache, ce qui l’excita car il pensa qu’il pourrait
peut-être se retrouver seul avec Perséphone, mais cela s’avéra
impossible, car chaque fois qu’il la trouvait, elle était accompagnée
d’un enfant qui s’accrochait à sa jupe.
Il eut à nouveau de l’espoir quand ils jouèrent à colin-maillard. Il
aurait adoré la tripoter les yeux bandés, mais elle mit fin à ses rêves
avant même que le jeu n’ait commencé.
— Lord Hadès n’a pas le droit d’être le chasseur, dit-elle.
Il pencha la tête sur le côté.
— Et pourquoi donc, Lady Perséphone ?
— Parce que tu triches, répondit-elle en haussant un sourcil.
— Quelle accusation éhontée ! répondit-il.
— Vas-tu le nier, Lord Hadès ? Que tu as triché pendant le cache-
cache, disparaissant d’un lieu quand tu étais sur le point d’être
découvert ?
— Ça s’appelle utiliser ses ressources, répondit-il, mais sa
réponse ne parut pas amuser Perséphone.
Le dernier jeu était l’ostrakinda, qui datait de la Grèce antique et
qui était plus ou moins le jeu de chat le plus chaotique qui soit, mais
Hadès avait hâte d’y jouer. Ils formèrent deux équipes, jour et nuit,
respectivement menées par Perséphone et lui-même. Chacune était
représentée par un coquillage, peint d’un côté en blanc, de l’autre en
noir.
Les équipes se tenaient en rang, l’une face à l’autre, et Hadès ne
quitta pas Perséphone des yeux pendant qu’un des enfants jetait le
coquillage en l’air. Il atterrit avec la face blanche sur le dessus,
signifiant que la nuit devait poursuivre le jour.
Les enfants se mirent à hurler en s’éparpillant, mais Perséphone
n’avait toujours pas bougé, les yeux plongés dans ceux d’Hadès. Il se
demanda à quoi elle pensait, car il se demandait lui-même ce qu’il
ferait quand il l’attraperait. Il aimerait la tacler et les téléporter au lit
avant même qu’elle n’ait touché le sol, mais il avait le sentiment
qu’Hécate viendrait les ramener à Asphodèle par la peau des fesses.
Il devrait se contenter d’un baiser, même si cela rendrait la soirée
bien plus pénible.
Il sourit, et quelque chose dans son regard dut intimer à
Perséphone de courir, car elle tourna aussitôt les talons. Il tendit la
main et avait à peine effleuré son bras qu’elle lui échappa et courut à
travers champs. Il n’avait pas eu tort de penser qu’elle survolait le sol
car c’est ce qu’elle fit, bondissant devant lui comme une gazelle
gracieuse, laissant une nuée de fleurs sur son passage à chaque
endroit où elle posait le pied.
Il n’était même pas sûr qu’elle s’en rende compte, car elle ne se
retourna jamais pour le regarder. Hadès, lui, ne la quittait pas des
yeux. C’est ainsi qu’il fut témoin du brusque changement qui advint.
Les fleurs qui s’étaient épanouies dans sa foulée disparurent quand
elle ralentit puis s’arrêta brusquement.
Hadès la rejoignit et posa une main sur sa taille. Elle ne tourna
pas la tête vers lui, les yeux fixés sur un point de l’horizon.
— Tu vas bien ?
Elle prit une inspiration tremblotante.
— Je viens de me rappeler que Lexa n’est pas là, dit-elle en
regardant Hadès avec des yeux larmoyants.
Cela lui brisait le cœur de la voir ainsi, si… triste, après un
moment de bonheur pur.
— Comment j’ai pu oublier ?
— Oh, chérie…
Il la prit dans ses bras et l’embrassa sur le front. Il la tint contre lui
un moment, ne sachant quoi dire, parce qu’il avait conscience
qu’aucune parole ne la réconforterait. Elle était endeuillée et se
sentait coupable, et la seule chose qu’ils pouvaient faire, elle comme
lui, c’était d’attendre que ces émotions passent.
Il ne la lâcha que quand elle parut prête à bouger, et il lui prit la
main pour l’emmener à l’endroit où les âmes étaient réunies pour le
pique-nique. Yuri les guida jusqu’à leur couverture, placée en bordure
du champ, sous les branches du Bois de Perséphone. Il l’aida à
s’asseoir avant de la nourrir et de remplir son verre de vin, incapable
de la quitter des yeux en constatant que sa joie refaisait surface et
animait son visage alors qu’elle observait les âmes, son peuple.
— À quoi tu penses ? demanda Hadès, curieux.
Elle était assise en tailleur et émiettait un morceau de pain. Elle
sembla réaliser ce qu’elle faisait en l’entendant et elle posa le pain
avant de s’épousseter.
— Je pensais au fait de devenir reine.
— Et… tu es heureuse ?
— Oui, bien sûr, dit-elle avant de marquer une pause. J’imaginais
comment ça allait être, à ce qu’on ferait ensemble. Enfin, si Zeus
accepte.
Hadès se crispa, frustré qu’elle accorde la moindre attention à
Zeus. Il supposa plutôt qu’elle doutait de sa promesse, du fait qu’ils
se marieraient même si son frère n’était pas d’accord.
— Continue de te projeter, ma chérie.
Un minuscule sourire presque imperceptible se dessina sur ses
lèvres et elle tourna la tête en direction du pré d’Asphodèle et du
palais qui dominait l’horizon de son ombre lugubre.
— J’aimerais parler de tout à l’heure, dit Hadès. Avant qu’Hécate
nous interrompe, tu m’as demandé si je te faisais confiance.
Elle se crispa à son tour et il la vit hésiter avant de répondre.
— Tu as pensé que je ne viendrais pas te chercher, n’est-ce pas ?
Quand Hermès m’a invoquée à Lemnos. Dis-moi la vérité.
Hadès essaya de ravaler le nœud qui se formait dans sa gorge, et
un sentiment de honte l’envahit. Il baissa les yeux sur ses mains.
— En effet, admit-il avant de croiser son regard vexé. Mais je
m’inquiétais surtout au sujet d’Aphrodite. Je sais ce qu’elle attend de
toi. J’ai peur que tu essaies de mener l’enquête seule pour identifier
les agresseurs d’Adonis et d’Harmonie. Ce n’est pas parce que je ne
te fais pas confiance mais parce que je te connais. Tu veux réparer le
monde pour qu’il soit à nouveau sûr, tu veux réparer ce qui est cassé.
— Je t’ai dit que je ne ferais rien sans que tu le saches, dit
Perséphone. Je le pensais.
Son ton et son regard étaient déterminés. Hadès lui avait souvent
fait des promesses, et les paroles de Perséphone lui semblaient en
être une.
Il la croyait.
— Je suis désolé, dit-il.
Il s’en voulait énormément d’avoir douté d’elle, et pire encore, de
l’avoir laissée penser qu’il ne lui faisait pas confiance.
Elle ne lui répondit pas que ce n’était pas grave ni qu’elle
acceptait ses excuses. Elle préféra plutôt retourner ses mots contre
lui.
— Tu m’as dit un jour que les mots n’avaient aucune valeur. La
prochaine fois, laisse parler tes actes.
Il hocha la tête.
Pendant un instant, une tension étrange s’installa entre eux.
Hadès avait presque l’impression de devoir dire autre chose, de
s’excuser à nouveau, mais il savait également que de tels mots
n’auraient pas d’importance. Bientôt, le silence devint moins tendu, et
Hadès s’allongea sur le dos, la tête sur les cuisses de Perséphone.
Elle éclata de rire en le voyant faire, mais elle parut heureuse de
coiffer ses cheveux en arrière. Hadès aima cela et un sentiment de
tranquillité l’enveloppa bientôt.
— Hadès, chuchota-t-elle d’une voix hésitante, comme si elle
craignait qu’il se soit endormi.
— Hmm ?
Il ouvrit les yeux et la regarda. Il n’était pas du tout prêt pour la
question qu’elle lui posa.
— Contre quoi as-tu échangé ta capacité à avoir des enfants ?
Il se demanda ce qui avait suscité cette curiosité. Était-ce à cause
du temps qu’ils avaient passé avec les enfants à Asphodèle ? Sa
question en amena une deuxième. Avait-elle des doutes au sujet de
leur mariage ? Avait-elle décidé qu’elle voulait être mère ?
— J’ai permis à une femme mortelle de devenir divine, répondit-il.
À l’époque, cela lui avait paru puissant, mais c’était également
pour cela que Dionysos lui devait une Faveur et n’avait d’autre choix
que de se plier à sa volonté. Le dieu du Vin était venu le voir au sujet
de sa mère, Sémélé, qui avait été tuée par Zeus et dont la mort était
finalement le résultat de la jalousie d’Héra. Il avait supplié Hadès de
la libérer. Hadès aurait aimé dire qu’il était allé voir les Moires par
sympathie pour le dieu, mais ce qui l’intéressait surtout, c’était de lier
Dionysos dans un contrat qui l’obligerait à faire tout ce qu’il lui
demandait.
Les Moires avaient accepté d’accorder la divinité à Sémélé, mais
en retour, Hadès avait dû céder sa capacité à avoir des enfants.
À l’époque, il n’avait même pas eu à réfléchir à un tel échange.
C’était la décision la plus facile de sa vie. Il n’avait pas de grand
amour, seulement des maîtresses. Il s’était dit à l’époque que c’était
une vraie bénédiction.
Mais les Moires n’étaient pas dupes. Il n’aurait pas dû l’être.
À présent, sa tête reposait sur les cuisses de l’amour de sa vie, et
il ne pouvait pas faire d’elle une mère.
— Est-ce que tu l’aimais ? finit-elle par demander, se trompant sur
ses raisons.
— Non. J’aimerais pouvoir prétendre que c’était par amour ou
même par compassion, mais… je voulais obtenir une Faveur d’un
dieu, donc j’ai négocié avec les Moires.
— Et elles t’ont demandé tes… nos… enfants ?
Une douleur surprenante le saisit quand il l’entendit parler de
leurs enfants. Quel futur avait-il sacrifié en échange de la Faveur d’un
dieu qui le haïssait ? Il s’assit et se tourna vers elle.
— À quoi tu penses ?
Il avait besoin de savoir si c’était quelque chose qu’elle désirait
car, si c’était le cas, il trouverait un moyen.
— À rien. Je… j’essaie juste de comprendre le destin.
— Le destin n’a pas de logique. C’est pour cela qu’il est aussi
simple de l’accuser.
Elle soutint son regard quelques secondes avant de tourner la
tête, et il ne put s’empêcher de se demander si elle essayait vraiment
de décider si elle pouvait l’épouser.
Il tendit le bras et effleura sa peau du bout des doigts.
— Si j’avais su… si j’avais eu la moindre idée que… je n’aurais
jamais…
— Ne t’inquiète pas, Hadès, l’interrompit Perséphone. Je ne
cherchais pas à te rendre triste.
— Tu ne me rends pas triste, répondit-il. Je repense souvent à ce
moment et me rappelle la facilité avec laquelle j’ai abandonné
quelque chose que je viendrais un jour à désirer. Mais c’est la
conséquence de négocier avec les Moires. Inévitablement, on finit
toujours par souhaiter ce qu’elles prennent. Un jour, à mon avis, tu
m’en voudras pour ce que j’ai fait.
— Je ne t’en veux pas et je ne t’en voudrai jamais, déclara
Perséphone comme si ces propos l’insultaient. Est-ce que tu ne peux
pas te pardonner aussi facilement que tu m’as pardonné ? On fait
tous des erreurs, Hadès.
Il étudia son regard, ne sachant ce qu’il y cherchait, mais il n’y
trouva que son amour et sa gentillesse. Si cela avait été difficile de
s’habituer à sa vision confiante du monde, c’était également quelque
chose qu’il admirait chez elle. Elle lui rappelait le bon qui y existait,
même en quantité minuscule.
Il rapprocha sa bouche de la sienne et l’allongea sur le dos. Il
adorait la sentir sous lui et tout son corps se remplit d’une chaleur
délicieuse. Ses mains affamées cherchèrent à ouvrir sa robe. Il retint
son souffle quand elle trouva sa verge déjà pulsante de désir et le
branla. Hadès était pris d’un vertige, il l’embrassa plus fort et avança
le bassin pour s’enfoncer dans sa main jusqu’à ce qu’elle le libère et
relève sur ses hanches la quantité ridicule de tulle qui formait sa jupe
avant de le guider en elle. Quand il fut enfoui dans sa chaleur, il
s’appuya sur ses coudes, la tête à quelques millimètres de la sienne.
Elle tressauta lors de son premier coup de bassin et gémit au
second. Au troisième, elle pressa sa tête dans le sol et il plaqua sa
bouche sur la peau de son cou pour la dévorer.
Putain, elle était tellement délicieuse, et il lui fallut tout son self-
control pour maintenir un rythme lent plutôt que de l’empaler comme
il l’avait fait la veille au soir. Il avait été une personne différente, alors,
quelqu’un de plus primitif et possessif.
— Je t’offrirai le monde entier, chuchota-t-il.
— Je n’ai pas besoin du monde entier, dit-elle. Seulement de toi.
Il l’embrassa et lui fit l’amour, la faisant jouir sous le ciel étoilé.
Chapitre XVIII
DIONYSOS
HADÈS
*
* *
Hadès retourna auprès de Perséphone, qui se réveilla à son
arrivée. Elle se figea en le voyant.
Tout le corps d’Hadès vibrait encore de la violence qu’il avait
déversée sur Pirithoos et il détestait savoir qu’elle la sentait.
— Tu es allé au Tartare, dit-elle.
Il ne répondit rien et elle se leva pour prendre son visage dans
ses mains.
— Tu vas bien ? demanda-t-elle.
Il soutint son regard comme si c’était un flambeau éclairant son
âme.
— Non, admit-il, et ils se tinrent l’un contre l’autre, ne voulant plus
se lâcher.
— Ilias et Zofie ont trouvé la femme qui t’a agressée, dit-il dès
qu’il se sentit un peu plus lui-même.
— Zofie ? s’étonna Perséphone.
— Elle a aidé Ilias.
— Où est-elle ? demanda la déesse.
— Elle est retenue à L’Iniquité, répondit-il.
— Est-ce que tu peux m’emmener la voir ?
— Je préférerais que tu dormes, dit-il.
— Je n’ai pas envie de dormir.
— Même si je reste ?
— Il y a des gens dans la nature qui attaquent les déesses, dit
Perséphone. Je veux entendre ce que cette femme a à dire.
Hadès fronça les sourcils et plongea une main dans ses cheveux
dorés, craignant que ce soit trop pour elle, et trop tôt après son
cauchemar.
— Je vais bien, Hadès, jura-t-elle. Tu seras avec moi.
Il espérait seulement pouvoir répondre à ses besoins. Il
comprenait, désormais, que ça n’avait pas été le cas jusqu’à présent.
Il finit par céder.
— Alors nous ferons ce que tu veux.
*
* *
Ilias et Zofie avaient emmené la femme à L’Iniquité, où elle était
assise sous un faisceau de lumière jaune, maintenue en place par
des serpents venimeux. Malgré la haine qu’elle dégageait, elle restait
immobile comme une pierre, craignant trop une morsure et une mort
imminente.
Hadès se demanda ce qui l’avait poussée à se croire capable
d’attaquer sa maîtresse.
Bien qu’il ait très envie de prendre les rênes de cette entrevue, il
comprenait que ce n’était pas à lui d’en avoir le contrôle, et il laissa
Perséphone mener la danse, ce qu’elle fit sans peur, s’approchant au
bord du cercle lumineux.
— Je n’ai pas besoin de te dire pourquoi tu es ici, dit-elle.
— Tu vas me tuer ? demanda la femme.
— Je ne suis pas la déesse de la Vengeance, dit Perséphone.
— Tu n’as pas répondu à ma question.
— Ce n’est pas moi qui suis interrogée.
La bouche de la femme se pinça.
— Comment tu t’appelles ?
— Lara, répondit-elle en haussant le menton.
— Lara, pourquoi m’as-tu agressée au Coffee House ?
— Parce que tu étais là. Et je voulais que tu aies mal.
Hadès serra les poings. C’était elle qu’il voulait voir souffrir.
— Pourquoi ? lança-t-il.
Peu importait la raison, le fait qu’elle s’en soit prise à Perséphone
suffisait. Les serpents réagirent à la colère d’Hadès, sifflant
violemment en levant la tête pour montrer leurs crochets. Lara ferma
les yeux et se prépara à être mordue.
— Pas encore ! lança Perséphone, et les serpents
s’immobilisèrent.
La femme rouvrit les yeux et croisa le regard de Perséphone. La
déesse reprit :
— Je t’ai posé une question.
Il y eut un silence, puis la femme craqua.
— Parce que tu représentes tout ce qui va mal dans ce monde,
sanglota-t-elle. Tu prétends défendre la justice parce que tu as écrit
une critique dans un journal, mais tes mots sont creux ! Tes actes
sont bien plus parlants. Comme tant d’autres, tu es tombée dans leur
piège. Tu n’es qu’un mouton qui obéit bêtement au Charme
olympien.
Cette femme avait été blessée par un dieu. Hadès le savait, tout
comme Perséphone.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé ? demanda la déesse.
— J’ai été violée, siffla-t-elle à voix basse. Par Zeus.
Hadès aurait aimé dire qu’il était choqué par sa réponse, mais le
fait qu’il ne l’était pas le dégoûta de lui-même. Ses frères incarnaient
ce rôle depuis longtemps, utilisant leur pouvoir pour contraindre les
femmes à faire ce qu’ils voulaient. Et s’ils avaient affronté des
conséquences, ce n’était rien à côté de ce qu’ils méritaient :
l’emprisonnement et la torture au Tartare.
Hadès avait juré qu’il s’en chargerait, mais la victoire était un
chemin long et difficile qui était également parsemé de victimes.
— Je suis désolée que ça te soit arrivé, dit Perséphone en faisant
un pas en avant.
Hadès renvoya ses serpents.
— Arrête, cracha la jeune femme. Je ne veux pas de ta pitié.
— Je ne t’offre pas ma pitié, répondit-elle. Mais j’aimerais t’aider.
— Comment tu pourrais m’aider ? siffla-t-elle.
Hadès n’était même pas certain qu’ils le puissent. Sa haine était
profondément enracinée en elle, et personne ne pouvait lui en
vouloir.
— Je sais que tu n’as rien fait pour mériter ce qui t’est arrivé,
commença Perséphone, mais Lara secouait déjà la tête.
— Tes mots ne valent rien quand les dieux continuent de faire le
mal.
— Comment tu punirais Zeus ? demanda Hadès.
Perséphone et Lara le regardèrent, surprises, mais il attendit
qu’elle réponde.
— Je lui arracherais un membre après l’autre et je brûlerais ce qui
reste. Je briserais son âme en des millions de morceaux pour qu’il ne
reste plus que le chuchotement de ses cris dans le vent.
— Et tu crois que, toi, tu peux apporter cette justice ? demanda
Hadès.
Elle savait qu’elle n’était pas capable d’une telle vengeance, donc
elle devait avoir quelqu’un en tête pour la mener.
— Pas moi. Des dieux, dit-elle. De nouveaux dieux. Ce sera une
renaissance, chuchota-t-elle.
De nouveaux dieux. Renaissance.
C’étaient les mots que les agresseurs d’Harmonie avaient
employés.
— Non, dit Hadès, ce sera un massacre, poursuivit-il. Et ce n’est
pas nous qui mourrons. C’est vous.
— Ce qui t’est arrivé est terrible, dit Perséphone. Et tu as raison
de dire que Zeus devrait être puni. Est-ce que tu ne peux pas nous
laisser t’aider ?
— Il n’y a aucun espoir pour moi.
— Il y a toujours de l’espoir, dit Perséphone. C’est tout ce qu’on a.
Hadès regarda Perséphone.
— Ilias, emmène Mademoiselle Sotir au Bosquet de Ciguë. Elle y
sera en sécurité.
La jeune femme se crispa.
— Alors vous allez m’emprisonner ?
— Non, répondit-il. Le Bosquet de Ciguë est un refuge. La déesse
Hécate y accueille les femmes et les enfants victimes d’abus. Si tu le
souhaites, elle écoutera ton histoire. Après ça, tu pourras faire ce que
tu veux.
Hadès serra la main de Perséphone et la ramena aux Enfers.
Chapitre XX
HADÈS
*
* *
Hadès observait la ville gelée par la fenêtre de son bureau à
L’Iniquité. La neige tombait si lourdement que la ville était à peine
visible. Il en était venu à accepter l’appréhension qu’il ressentait
chaque fois qu’il venait au royaume des vivants et qu’il voyait les
progrès de la tempête. Mais cette journée était différente. Quelque
chose clochait. Il le sentait dans l’air autour de lui, comme une
tragédie imminente. Ce n’était pas la première fois qu’il avait un tel
sentiment, et c’est d’ailleurs ce qui l’inquiétait le plus. Il étudiait ce
monde devenu le champ de bataille de Déméter. Une chose terrible
se préparait.
— Hadès ?
Il se tourna vers Ilias, qui était entré dans son bureau sans qu’il
l’aperçoive, ce qui était tout aussi déroutant. Il était rarement distrait à
ce point. Cela parut déranger Ilias autant que lui, car il avait l’air
inquiet.
— Est-ce que ça va ?
Hadès ne répondit pas, préférant changer de sujet.
— Qu’as-tu trouvé sur Lara Sotir ?
Elle avait beau prétendre n’avoir aucun lien avec la Triade ni
aucune autre association anti-dieux, Hadès n’était pas certain de la
croire. De nouveaux dieux. Renaissance. Lemming.
C’étaient les mots que les agresseurs d’Harmonie avaient
employés. Un tel langage commun ne pouvait pas être une
coïncidence. Il les soupçonnait de faire partie du même groupe, ou
au minimum de consommer la même propagande. Quoi qu’il en soit,
leur but était clair : renverser les dieux qui régnaient.
Ce n’était pas inhabituel que des mortels ou d’autres dieux
complotent contre les Olympiens, mais cette fois semblait différente.
Le monde paraissait chaotique et instable. Avec la tempête
surnaturelle de Déméter, les attaques violentes sur les Favoris et le
Divin avec des armes qui pouvaient réellement les blesser, et
l’Ophiotauros tueur de dieux en liberté, Hadès s’inquiétait de ce qui
viendrait ensuite. La mort, assurément, mais il y avait pire que ça.
Ilias tendit à Hadès un dossier contenant une photo de Lara Sotir
et un homme marchant côte à côte dans une rue de Nouvelle
Athènes. Un autre cliché les montrait en train d’entrer dans un hôtel.
— L’homme qui accompagne Lara est un demi-dieu du nom de
Kaï, dit Ilias. C’est le fils de Triton et il est membre de la Triade.
Apparemment, renverser les dieux était une affaire de famille,
puisque Triton était également fils de Poséidon.
Il y avait d’autres photos dans le dossier, dont une de Lara dans
une manifestation récente pour la fin de la tempête, et une autre avec
Kaï.
Hadès étudia le demi-dieu. Il voyait des ressemblances avec
Thésée dans son visage, dans son expression plutôt que dans ses
traits. Il y avait un éclat de haine et de suffisance dans son regard.
C’était un homme qui pensait que le monde lui était dû, sans doute
pour compenser le fait qu’il n’avait pas autant de pouvoirs que son
père et que son grand-père. Poséidon pensait également que tout lui
était dû, et à l’évidence, il transmettait cette conviction à sa
progéniture.
Quelqu’un frappa à la porte et Hadès regarda Ilias avant de
hocher la tête. Le satyre traversa la pièce jusqu’à la porte, qui s’ouvrit
sur Thésée.
Hadès referma le dossier.
— Ilias, dit-il. Laisse-nous.
Le satyre s’inclina et passa à côté de Thésée en lui bousculant
l’épaule. Le demi-dieu ricana, mais Hadès n’était ni impressionné ni
surpris. Thésée traversait la vie sans être affecté par l’impact qu’il
avait sur les autres, ne se préoccupant que de lui-même.
Hadès fit le tour de son bureau, souhaitant que quelque chose le
sépare de son neveu corrompu.
— Tu arrives pile à temps, dit-il.
— J’avais les oreilles qui sifflaient.
— Alors tu as dû apprendre qu’Harmonie et Adonis avaient été
attaqués.
— Des rumeurs circulent à ce sujet, oui. Je présume que tu
supposes que je suis impliqué ?
— Tu es venu le nier ?
— En effet, répondit-il sans quitter Hadès des yeux. Ce n’était pas
la Triade.
— Si ce n’est la Triade, c’était quand même l’œuvre d’Impies.
— Je ne peux pas être responsable de tous les Impies ni de leurs
décisions impulsives.
— Je ne décrirais pas leur décision de tuer Adonis et d’agresser
Harmonie comme impulsive. Cela semblait plutôt organisé.
— Organisé, peut-être. Mais pas stratégique, dit Thésée. Tu crois
vraiment que je coordonnerais quelque chose d’aussi brouillon ?
Hadès le dévisagea.
— C’est pour ça que tu es venu ? Parce que tu es insulté que je te
pense responsable de ces attaques, parce qu’elles ne sont pas
assez sophistiquées à tes yeux ?
Thésée haussa les épaules.
— Tu peux le tourner comme tu veux, mais je n’ai pas ordonné
ces agressions.
— Tu ne les as pas ordonnées, mais les as-tu condamnées ?
Thésée ne répondit rien.
— Est-ce que tu espères que ça aura l’effet désiré et que ça
déclenchera la colère d’Aphrodite ?
Thésée regarda par la fenêtre avant de se concentrer à nouveau
sur Hadès.
— Je ne crois pas avoir besoin de sa rage pour prouver la colère
des dieux. Ta future belle-mère illustre parfaitement ce point à elle
seule.
Ils se dévisagèrent longuement et Hadès se crispa en sentant la
magie de Perséphone. La seconde suivante, elle apparut derrière
Thésée, l’air presque hébétée, jusqu’à ce qu’elle croise son regard et
qu’elle note la présence de Thésée.
Hadès se retint de se rapprocher d’elle pour la protéger du demi-
dieu. Si ça n’avait tenu qu’à lui, Thésée ne l’aurait jamais rencontrée.
— Chérie ? dit Hadès d’un ton interrogateur et inquiet.
Thésée se tourna vers elle et Hadès serra les poings.
— Alors, c’est vous, la charmante Lady Perséphone, dit-il, et un
éclat de rage parcourut les veines d’Hadès, le demi-dieu reluquait
Perséphone de haut en bas.
— Thésée, je crois que tu devrais partir, déclara Hadès en
peinant à cacher sa colère.
— Bien sûr, dit-il en hochant la tête en direction d’Hadès. Je suis
en retard à une réunion, de toute façon.
Il marcha vers la porte, mais s’arrêta devant Perséphone.
— Je suis ravie d’avoir fait votre connaissance, Milady.
Elle ne prit pas la main qu’il lui tendait, et Hadès lui en fut
reconnaissant. Il ne savait pas ce qu’il aurait fait, et il craignait la
raison pour laquelle Thésée souhaitait la toucher. Pouvait-il effacer
les pensées, les souvenirs, peut-être même les rêves d’un simple
toucher ? Ses pouvoirs étaient inconnus d’Hadès.
Thésée laissa tomber sa main en gloussant.
— Vous avez sans doute raison de ne pas la serrer. Bonne
journée à vous, Milady.
Dès qu’il fut parti, Hadès fit le tour du bureau.
— Tu vas bien ? demanda Hadès.
Perséphone regardait la porte et se tourna vers lui, cherchant son
regard.
— Tu connais cet homme ?
— Aussi bien que je connais tous mes ennemis.
— Un ennemi ?
— Cet homme est à la tête de la Triade, répondit-il, mais il n’avait
pas envie de parler de Thésée.
Perséphone avait clairement une raison de venir le voir. Dès
qu’elle était apparue dans son bureau, il avait su que quelque chose
n’allait pas. Il pencha la tête en arrière pour plonger son regard dans
le sien.
— Parle-moi, dit-il.
— Les infos, chuchota-t-elle. Il y a eu un horrible accident.
Hadès eut du mal à déglutir. Il s’attendait à ce que la tempête de
Déméter provoque une catastrophe qui pousserait Perséphone à
réaliser qu’elle ne pouvait pas rester avec lui.
Ce moment était-il venu ? Était-ce la fin ?
— Viens, dit-il en lui prenant la main, allons les accueillir aux
portes.
Chapitre XXI
HADÈS
HADÈS
*
* *
Hadès emmena Hypnos à son palais, dans la chambre qu’il
partageait avec Perséphone. Il ne savait pas si c’était nécessaire,
mais il lui semblait logique de lui montrer l’endroit où elle rêvait.
Dans la pièce sombre, Hypnos parut étincelant dans ses robes
blanches et dorées. Il fit quelques pas en regardant autour de lui.
— C’est comment pour toi, quand elle rêve ? demanda-t-il.
— Elle se débat à mes côtés. C’est comme ça que je sais qu’elle
affronte à nouveau son agresseur, et quand je la touche…
Hadès marqua une pause, un goût amer remplit sa bouche quand
il se remémora les épines qui avaient déchiré sa peau.
— … elle ne sait pas que c’est moi, dit-il.
« Est-ce que tu perçois la différence ? Entre mon toucher et le
sien ? avait-il demandé.
— Quand je suis réveillée, oui. »
Il déglutit. Il ne pensait pas oublier un jour cette nuit ni ses
paroles.
— Hmmm, dit Hypnos en étudiant la chambre. Il fait toujours aussi
sombre, ici ?
— Tu vis dans une grotte, rétorqua Hadès. Qui es-tu pour dire
qu’il fait sombre ici ?
La porte s’ouvrit et Hadès se tourna vers Perséphone qui entrait.
Elle se figea en écarquillant les yeux, étudiant Hypnos qui s’était
tourné vers elle.
— Bonjour, dit-elle d’un ton interrogateur. Est-ce que je…
dérange ?
Hypnos ricana.
— Perséphone, voici Hypnos, le dieu du Sommeil, dit Hadès.
C’est le frère de Thanatos. Ils ne se ressemblent en rien.
La bouche d’Hypnos se pinça et il plissa les yeux.
— Elle l’aurait constaté toute seule, tu n’étais pas obligé de lui
dire.
— Je ne voulais pas qu’elle se trompe en pensant que tu serais
aussi gentil.
— Je ne suis pas méchant, rétorqua Hypnos. Mais je n’aime pas
être en présence d’imbéciles. Tu n’es pas une imbécile, si, Lady
Perséphone ?
Hadès se crispa en entendant sa question.
— N… non, répondit-elle en hésitant, clairement surprise par la
question brutale du dieu du Sommeil.
Hadès soupira.
— J’ai demandé à Hypnos de venir pour qu’il t’aide à dormir,
expliqua Hadès.
— Je suis sûr qu’elle l’aura compris, cracha Hypnos.
— Et toi ? demanda-t-elle à Hadès. Tu lui as dit que tu ne dormais
pas ?
Hypnos éclata de rire.
— Le dieu des Morts, admettre qu’il ne dort pas ? Quelle
chimère !
Hadès fusilla Hypnos du regard, mais il fit de son mieux pour
réprimer son agacement en se concentrant sur Perséphone.
— Je l’ai appelé pour toi, dit Hadès en se tournant de nouveau
vers Hypnos. Elle ne dort pas, et quand elle y parvient, elle est
réveillée par des cauchemars. Parfois elle est en nage, parfois elle
crie.
— C’est… ce n’est rien, déclara Perséphone. Ce sont juste des
cauchemars.
— Et toi, tu es juste une splendide jardinière, c’est ça ? rétorqua
Hypnos.
— Hypnos ! grogna Hadès.
— Je comprends pourquoi tu vis en dehors des frontières des
Enfers, marmonna Perséphone.
Hypnos haussa les sourcils et esquissa un petit sourire.
— Pour info, je vis en dehors des Enfers parce que j’appartiens
encore au royaume des vivants, malgré ma sentence à vivre ici.
— Ta sentence ?
— On m’a condamné à vivre dans le monde d’en dessous parce
que j’ai endormi Zeus.
— Deux fois, précisa Hadès, sentant que le dieu du Sommeil lui
lançait un regard assassin.
— Deux fois ? Une fois ne t’avait pas suffi pour apprendre ?
demanda Perséphone.
— J’ai appris, mais il n’est pas facile d’ignorer la demande de la
reine des dieux. Rejeter Héra aurait rendu ma vie infernale, et
personne n’a envie de ça, hein, Hadès ?
Ce fut au tour d’Hadès de le fusiller du regard. Apparemment, le
dieu du Sommeil avait entendu parler des travaux qu’Héra lui avait
assignés. Il ne l’avait toujours pas dit à Perséphone, et il n’était pas
certain de le faire. Cela paraissait sans importance, maintenant qu’il
s’était assuré le soutien d’Héra.
— Parle-moi de ces cauchemars, dit Hypnos. J’ai besoin de
détails.
— Pourquoi as-tu besoin de les entendre ? Je t’ai dit qu’elle avait
du mal à dormir. Ça ne te suffit pas pour fabriquer une potion ?
— Peut-être, mais une potion ne résoudrait pas le problème. Je
suis plus âgé que toi, Milord, une divinité ancestrale, tu te souviens ?
Laisse-moi faire mon travail !
Ils se dévisagèrent, puis Hypnos se concentra de nouveau sur
Perséphone.
— Alors ? À quelle fréquence tu as ces cauchemars ?
— Pas toutes les nuits, dit-elle.
— Est-ce qu’il y a un schéma ? Est-ce qu’ils te viennent après une
journée particulièrement stressante ?
— Je ne crois pas. C’est en partie pour ça que je ne veux pas
m’endormir. J’ai peur de ce qui m’attend.
— Ces rêves… est-ce qu’ils sont survenus après un
traumatisme ?
Perséphone hocha la tête.
— J’ai été kidnappée, dit-elle. Par un demi-dieu. Il était obsédé
par moi et… il voulait me violer.
— Est-ce qu’il a réussi ?
Perséphone grimaça et Hadès faillit exploser. Des lames noires
jaillirent de la pointe de ses doigts.
— Hypnos !
— Lord Hadès ! aboya Hypnos. Si tu m’interromps encore une
fois, je m’en vais.
— Ce n’est rien, Hadès. Je sais qu’il essaie de m’aider.
Hypnos lui sourit chaleureusement.
— Écoute ta femme. Elle apprécie l’art d’interpréter les rêves.
— Non, continua Perséphone. Il n’a pas réussi, mais quand je
rêve, il s’en rapproche chaque fois un peu plus.
La poitrine d’Hadès se comprima en l’entendant parler.
— Les rêves, les cauchemars nous préparent à survivre, dit
Hypnos. Ils donnent vie à nos angoisses afin qu’on puisse les
combattre. Tu n’es en rien différente, déesse.
— Mais j’ai survécu, rétorqua-t-elle.
— Penses-tu que tu survivrais si cela se produisait à nouveau ?
Elle s’apprêtait à répondre quand il l’interrompit.
— Pas dans la même situation. Une situation différente : peut-être
si un dieu plus puissant te kidnappait.
Elle ne répondit rien.
— Tu n’as pas besoin d’une potion, dit-il. Tu as besoin de prévoir
comment tu te battras dans ton prochain rêve. Changes-en la fin, et
les cauchemars cesseront.
Sur ces mots, le dieu se leva.
— Et pour l’amour des dieux, dors, putain !
Il disparut sans prévenir et Perséphone regarda Hadès.
— Eh ben, il est sympa…
Hadès soutint son regard un moment avant de baisser les yeux
sur une tache rouge.
— Pourquoi est-ce que ta chemise est tachée de sang ?
Elle écarquilla les yeux et baissa la tête.
— Ah… je me suis entraînée avec Hécate, dit-elle.
— Entraînée à quoi ?
— À guérir.
Hadès fronça les sourcils.
— Il y a beaucoup de sang, dit Hadès.
— Ben… je ne pouvais pas me guérir sans être blessée, répondit-
elle.
— Elle veut que tu t’entraînes sur toi d’abord ?
— Oui… c’est mal ?
— Tu devrais t’entraîner sur des putains de… fleurs, pas sur toi-
même ! Qu’est-ce qu’elle t’a fait faire ?
— C’est vraiment si important ? Je me suis guérie. J’ai réussi. Et
puis, je n’ai pas beaucoup de temps. Tu sais ce qui est arrivé à
Adonis, et tu as vu ce qui est arrivé à Harmonie.
— Tu crois que je laisserais la même chose t’arriver ?
— Ce n’est pas ce que je dis. Je veux être capable de me
protéger toute seule.
Hadès ne pouvait quitter la tache des yeux et Perséphone finit par
croiser les bras.
— Je te jure que je vais bien, dit-elle. Embrasse-moi, si tu penses
que je mens.
— Je te crois, mais je vais t’embrasser quand même, dit-il en
pressant ses lèvres contre les siennes, trop inquiet pour l’embrasser
de la façon qu’il voulait, surtout après ce qu’elle avait dit à Hypnos à
propos de ses rêves.
— Pourquoi tu ne m’as pas dit que j’avais la capacité de me
guérir ? demanda-t-elle lorsqu’il recula.
— J’ai supposé qu’Hécate te le dirait, à un moment donné. Et en
attendant, je me faisais un plaisir de m’en occuper.
Elle riva ses yeux sur sa bouche et le bas-ventre d’Hadès se
réchauffa.
— Qu’aimerais-tu faire ce soir, chérie ?
Elle sourit.
— J’ai très envie de jouer aux cartes.
Chapitre XXIII
HADÈS
THÉSÉE
*
* *
Le Forum était désormais désert, à l’exception de Thésée et des
six Grands Lords.
Il attendait l’arrivée d’un groupe d’Impies qui se faisaient appeler
les tueurs de dieux. En temps normal, Thésée n’avait rien contre les
actes de violence isolés commis par les Impies, mais il mettait le holà
quand ceux-ci s’en vantaient trop. Or ces hommes ne cessaient de
s’applaudir d’avoir décorné une déesse.
— Où sont-ils ? demanda Thésée, ne s’adressant à personne en
particulier, car il savait qu’on lui répondrait.
— Ils sont en route, répondit Damian, le fils de Thétis, déesse de
l’Eau.
Il s’était tendu peu à peu après le départ d’Hélène, et ça n’avait
rien à voir avec du désir ou l’envie de baiser.
C’était un besoin différent, un besoin de violence.
Les portes s’ouvrirent et cinq hommes entrèrent.
Celui du milieu, gros et barbu, tenait une longue corne blanche
dans chaque main.
— Milord, dit-il en s’inclinant devant Thésée. Je suis venu
déposer ces offrandes à vos pieds.
L’homme posa les cornes par terre, Thésée les regarda d’un air
dédaigneux.
— Eh bien, vous n’êtes pas content ? demanda le mortel d’une
voix tonitruante. N’est-ce pas ce que vous aviez demandé ?
Thésée ne répondit rien, mais il se pencha pour ramasser une
des cornes et l’étudier. Elle était rêche et légère.
Il l’enfonça aussitôt dans le torse du mortel.
— Je suis content, dit Thésée alors qu’une giclée de sang
jaillissait de la bouche de l’homme.
— Putain ! cria un autre homme.
Thésée retira la corne et le mortel tomba à terre en gémissant.
Les quatre autres déguerpirent en criant, cherchant à s’enfuir.
Deux d’entre eux furent frappés par des courants électriques
envoyés par les jumeaux et un autre se mit à convulser avant de se
changer en un tas de cendres, comme s’il brûlait de l’intérieur. Le
dernier émit des gargouillis et vomit de l’eau avant de virevolter et de
tomber sur le dos, noyé.
— Hélas, dit Thésée quand ils furent tous morts, je ne peux vous
laisser vivre et raconter votre exploit.
Chapitre XXV
HADÈS
*
* *
Hadès se téléporta au mont Olympe, à la villa dorée de son frère,
qui s’élevait plus haut que toutes les autres. Au fil des années, Hadès
avait pris l’habitude d’éviter la ville des dieux, même s’il y possédait
également un palais. Sa réticence à passer du temps avec les
Olympiens avait été interprétée par les médias comme un rejet, et les
journalistes aimaient rédiger de gros titres aguicheurs qui laissaient
croire qu’il avait été banni d’Olympe à cause de son humeur lugubre.
Mais c’était Hadès qui avait rejeté Olympe, même quand son frère
lui ordonnait de s’y présenter.
Les cieux n’étaient pas son royaume et tant d’opulence le mettait
mal à l’aise, surtout dans des temps comme ceux-ci, quand le monde
souffrait sous leurs pieds. D’une certaine façon, Hadès ne pouvait en
vouloir à ceux qui étaient séduits par la Triade. Ils avaient raison de
se sentir abandonnés par les dieux. Même aujourd’hui, peu
d’Olympiens séjournaient sur terre, et ceux qui le faisaient refusaient
de défier Déméter.
Il entra dans le manoir de Zeus, grandiose et recouvert d’or, y
compris le sol. Mais ce qui le fit hésiter fut de trouver Héra en haut de
l’escalier, l’étudiant avec dédain, la tête légèrement penchée sur le
côté.
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Je suis venu parler à ton mari. Peut-être devrais-tu te joindre à
nous, c’est à propos de Perséphone.
Il sentit sa rancœur, mais elle s’était elle-même piégée dans ce
contrat, et elle n’avait d’autre choix que de tenir sa promesse si elle
ne voulait pas que Zeus apprenne ses manigances avec Thésée.
Cela dit, Hadès savait que son influence sur la déesse du Mariage
était limitée. Ce n’était qu’une question de temps avant que Thésée
soit prêt à affronter les Olympiens, avant que le plan qu’il avait
concocté avec Héra et sans doute son père, Poséidon, ne soit révélé.
C’était justement pour ça qu’Hadès devait obtenir la main de
Perséphone dès que possible.
— Plutôt m’asseoir sur un pieu, dit Héra.
— Peut-être que tu devrais, d’après la rumeur, Zeus risque d’être
hors d’usage pendant au moins deux ans.
Contrairement à son mari, qui était connu pour son infidélité, Héra
n’avait pas fauté une seule fois. Hadès ne comprenait pas pourquoi
elle lui restait fidèle.
La bouche de la déesse se pinça.
— Il ne te laissera pas l’épouser.
— C’est à toi de le convaincre, dit Hadès.
— Même si je plaide ta cause, il n’écoutera que son Oracle.
— Ce n’était pas une question, précisa Hadès.
Ils se défièrent du regard, puis elle descendit les marches.
— Il est par ici, dit-elle en l’escortant dans une pièce adjacente,
qui était tout aussi vaste et extravagante que le hall d’entrée.
Ils la traversèrent et arrivèrent devant Zeus, qui était allongé près
d’une grande baie vitrée.
— Ton frère est là, dit-elle.
Zeus ne tourna pas la tête, les yeux rivés sur deux cygnes qui
flottaient sur le lac. Il avait les jambes écartées et il était vêtu d’une
robe de chambre laissée grande ouverte. Il avait un gros sac de
glace sur les cuisses.
— Tu souffres, frangin ? demanda Hadès.
Lui rappeler ce qu’Hécate avait fait à ses testicules n’était sans
doute pas le meilleur moyen d’entamer la conversation, mais il l’avait
amplement mérité.
Héra, qui s’était postée derrière la méridienne de Zeus, le fusilla
du regard.
— Tu es venu témoigner de ma honte ? demande Zeus.
— J’espère que tu fais référence aux actes qui t’ont mis dans
cette situation, et pas au fait que tu n’as plus de couilles.
Son frère resta silencieux, ce qui était inhabituel, et Hadès se
demanda précisément ce qu’Hécate lui avait fait subir.
Zeus craignait peu de dieux, mais la déesse de la Sorcellerie en
faisait partie.
Son frère finit par parler.
— Pourquoi es-tu là ?
— J’ai demandé à Perséphone de m’épouser, dit Hadès.
— Le monde entier est au courant, dit Héra en posant une main
sur l’épaule de son mari. Et si ce n’était pas le cas avant, la tempête
de Déméter le leur aura appris.
Hadès plissa les yeux, ne comprenant pas ses intentions.
— Tu veux dire que tu n’approuves pas, Héra ? demanda-t-il en
serrant les dents, cachant à peine sa menace.
— Ce n’est pas à moi d’approuver, répondit-elle. C’est le rôle de
mon mari.
Ses propos dégoûtaient Hadès, surtout parce qu’il savait combien
elle détestait les prononcer. Tout le monde savait que le rôle de la
déesse du Mariage avait été affaibli par l’approbation obligatoire de
Zeus. Après sa dernière tentative de le renverser, il avait refusé
toutes les unions approuvées par Héra.
Tout ça n’était qu’un jeu.
Zeus saisit la main d’Héra et Hadès le dévisagea. Il était habitué
au rire bruyant de son frère, à sa voix tonitruante, à ses moqueries
insupportables, or Zeus restait horriblement silencieux.
Hadès n’était pas habitué à ce dieu calme, mais il le
reconnaissait. C’était la version de son frère qui aurait pu faire de
grandes choses. La version qui les avait sauvés, lui et Poséidon, du
ventre de leur père, la version qui avait noué des alliances et vaincu
les Titans.
— Il fut un temps où tu souhaitais mon bonheur, dit Hadès.
— C’était le cas, admit Zeus. Mais si je me souviens bien, tu ne
m’as jamais dit qui avait gagné ton affection.
— Ça ne t’a jamais dérangé, rétorqua Hadès. Tu sais ce qu’ont dit
les Moires.
— Les Moires t’ont donné une maîtresse, pas une femme,
rétorqua Zeus.
Hadès serra les poings, détestant combien les propos de son
frère étaient vrais.
— Allons, mon cher, ne sois pas si dur avec Hadès, dit Héra en se
baissant pour rapprocher sa tête de celle de son mari.
Hadès se demanda si elle ne supportait d’être à ses côtés que
parce qu’il avait été castré.
— Il est très amoureux de la fille de Déméter.
Zeus leva la tête vers sa femme. Leurs nez s’effleurèrent, mais
leurs lèvres ne se touchèrent pas.
— Vas-tu me dire non ? demanda Hadès, furieux.
— Je dis que si tu l’épouses, ce sera parce que je t’en ai offert la
possibilité.
— Alors tu veux faire de cette histoire une question de pouvoir ?
Hadès savait déjà, d’une certaine façon, que ce serait le cas.
C’était pour ça que Zeus consultait son Oracle avant d’approuver les
mariages, mais Hadès ne pensait pas que cela se déroulerait ainsi.
— Il a toujours été question de pouvoir, dit Zeus. Ta première
erreur a été de croire que ça ne l’a jamais été.
*
* *
Hadès était d’humeur assassine en rentrant aux Enfers, et cela ne
fit qu’empirer quand il trouva Hermès dans sa chambre avec
Perséphone. Il lui montrait deux robes très courtes, dont aucune
n’avait assez de tissu pour la couvrir entièrement.
— Tu devrais mettre celle-là. Ça ne plaira pas à Hadès, mais tu te
fondras dans la masse, disait le dieu de la Ruse.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Hadès.
Perséphone fit volte-face et fronça les sourcils en voyant Hadès.
— Tu vas bien ? demanda-t-elle en faisant un pas vers lui avant
de se figer. Que s’est-il passé avec Zeus ?
— Rien, aboya-t-il. Qu’est-ce qui se passe ici ?
— Je… euh… Hermès…
— Sephy doit aller dans un sex-club, dit Hermès.
— Mais non, gronda Perséphone en fusillant le dieu de la Ruse
du regard.
— Ben, pas encore, répondit-il. Elle doit d’abord te demander la
permission.
— Hermès, tais-toi, dirent-ils en même temps.
Le dieu ferma brusquement la bouche.
— D’accord. Je serai dans le dressing.
Une fois qu’ils furent seuls, Perséphone se tourna vers lui et lui
expliqua ce qui se passait.
— Après qu’Hélène a été mise dehors, Sybil, Leucé et Zofie ont
fouillé dans ses affaires. On a trouvé une date, un horaire et l’adresse
du Club Aphrodisia. On pense qu’elle va se rendre à une réunion en
lien avec la Triade.
— Et tu veux y aller ?
— Oui, nous tous. Zofie, Sybil, Leucé et Hermès, dit-elle. C’est
une affaire personnelle, Hadès.
— C’est peut-être personnel, mais ça ne t’oblige pas à être bête.
La bouche de Perséphone se pinça alors qu’Hermès grognait
depuis le dressing.
— Ouf ! Quel imbécile !
— On a peut-être l’occasion de découvrir ce qu’ils comptent faire,
dit Perséphone. Tu ne veux pas éviter une nouvelle attaque ?
— Bien sûr, dit Hadès. Mais ça ne veut pas dire que je veux que
tu y ailles. Hermès peut y aller.
Elle le dévisagea d’un air plus blessé qu’énervé, ce qui ne plut
pas à Hadès.
— Pourquoi tu ne me fais pas confiance ?
— Perséphone, ce n’est pas toi, c’est…
— Les autres, je sais, gronda-t-elle d’une voix frustrée. J’aimerais
respecter ton point de vue, mais il faudrait aussi que tu respectes le
mien.
Hadès l’étudia en silence, la mâchoire crispée. Une part de lui
avait envie de dire que ça n’avait pas d’importance, que le danger
l’emportait sur les raisons qu’elle avait d’aller dans ce club, mais il
savait que ce serait injuste.
Il fit de son mieux pour taire sa colère quand il reprit la parole.
— Quel est ton point de vue ?
— Je ne veux pas être une déesse passive ni un trophée à tes
côtés. J’ai mes propres batailles à mener. Hélène m’a trahie. Je veux
savoir à quel point.
Hadès la comprenait, mais il lui était difficile de la laisser faire, et
peut-être était-ce justement là qu’il échouait. Perséphone n’était pas
un de ses sujets ni une de ses âmes. Elle ne travaillait pas pour lui.
Elle était sa future épouse. Il avait juré de la traiter comme son égale,
et il se rendait bien compte que sa peur l’empêchait de le faire.
— C’est plus qu’une simple envie d’aider, Hadès, dit-elle d’une
voix calme. Tu dois me laisser me battre pour quelque chose.
Il tendit la main pour caresser sa joue.
— Hermès y va aussi ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête.
— Il a déjà accepté de prêter serment pour me protéger… si ça
peut te rassurer.
Rien ne pourra me rassurer dans cette situation, voulut-il dire,
mais il se tut, car il savait que ça ne les mènerait à rien.
— Je pense que l’autre robe est mieux, dit Hermès en sortant du
dressing.
Il portait l’une des tenues qu’il tenait dans la main quand Hadès
était arrivé. C’était une robe noire et courte avec un bustier brodé de
perles.
— Celle-ci est un peu trop… prends-moi, si tu vois ce que je veux
dire.
Hadès grinça des dents.
— Hermès… grogna Perséphone.
Hadès fit un pas vers le dieu.
— Tu as accepté de prêter serment ? demanda-t-il.
Le visage du dieu devint sérieux et il hocha la tête, tendu.
— Oui.
Hermès connaissait la gravité d’une telle promesse. Ce n’était
pas une chose qu’on proposait pour faire plaisir, même si
Perséphone l’avait fait dans ce but. Un tel serment impliquait que le
dieu jurait de protéger Perséphone pour l’éternité. Cela allait au-delà
d’un seul instant.
— Jure-le, dit Hadès. Jure que tu la protégeras à tout prix, même
au détriment de ta propre vie.
— Hadès, dit Perséphone d’une voix paniquée, mais il ne la
regarda pas.
— Je le jure, dit Hermès.
— Tu connais les conséquences, si tu échoues ?
Hermès hocha la tête, une seule fois, et Hadès baissa les yeux
sur sa tenue.
— Le noir n’est pas ta couleur, dit-il.
Hermès haussa un sourcil.
— Depuis quand tu as intégré la police du style, toi ?
— J’ai eu un prof… correct, répondit Hadès.
— Correct ? ricana Hermès.
Sa réponse fut interrompue par quelqu’un qui frappa à la porte. Ils
se tournèrent tous les trois et Perséphone dit à la personne d’entrer.
La porte s’ouvrit lentement et Ilias entra, hésitant en les trouvant
tous les trois dans la chambre.
— Pardon de vous interrompre… mais, Hadès, on a besoin de
vous, dit-il.
Il perçut le sentiment d’urgence du satyre et redoutait déjà ce qui
l’attendait.
Hadès se tourna vers Perséphone et la prit dans ses bras.
— Je t’aime, dit-il en l’embrassant fougueusement sur la bouche.
Mais un nouveau malaise s’empara de lui et il embrassa la
déesse avec encore plus de passion, car il avait l’impression de lui
dire adieu.
Cela ne lui plaisait pas et quand il recula, Perséphone paraissait
aussi troublée que lui, mais elle soutint son regard.
— Je t’aime, chuchota-t-elle.
Hadès recula et lança à Hermès un regard qui était une dernière
mise en garde, puis il sortit de sa chambre avec Ilias.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il.
Chapitre XXVI
DIONYSOS
*
* *
Dionysos faisait les cent pas dans le bureau d’Hadès à
Nevernight.
Il était fou de rage et tout son corps tremblait. Cela faisait
longtemps qu’il n’avait pas été hystérique à ce point. Il savait où
Ariadne était partie : confronter Poséidon au sujet de Méduse. Elle
avait menacé d’y aller elle-même, elle lui avait dit qu’il n’allait pas
assez vite.
Putain !
— Vous étiez censées la surveiller ! avait-il crié aux Ménades qu’il
avait postées devant son appartement.
Elles l’avaient fusillé du regard, aussi énervées que lui.
— C’est ce qu’on a fait, avait rétorqué Macaria.
— Alors comment est-elle partie ?
— Peut-être qu’elle est plus douée qu’on ne le pensait, dit Chora.
Il aurait dû aller la voir plus tôt, mais il avait voulu lui laisser son
espace et son intimité.
Au diable l’espace ! Au diable l’intimité !
Il fit volte-face quand Hadès apparut, ne lui laissant pas le temps
de l’interroger.
— Ariadne est partie confronter Poséidon, dit-il. Elle croit qu’il
détient Méduse.
— C’est le cas ? demanda Hadès.
— Ça change quelque chose ? rétorqua Dionysos.
Hadès plissa les yeux d’un air agacé.
— Non, Méduse n’est pas avec lui, répondit Dionysos. J’irais bien
la chercher, mais je ne peux pas me téléporter dans son royaume
sans y être invité. J’ai besoin de ton aide.
Hadès était l’un des trois qui détenaient le contrôle sur tous les
royaumes.
— Tu es sûr qu’elle est allée le voir ?
— Oui, siffla Dionysos. Hadès, il va lui faire du mal.
Quoi que le dieu des Morts ait vu dans ses yeux, il le crut.
— Putain de Moires, dit-il en invoquant sa magie.
Ils se téléportèrent au golfe de Poséidon, où Dionysos avait
attendu le dieu de la Mer. Le ciel était orageux, avec d’épais nuages
bas et un vent violent qui agitait les vagues et les faisait s’écraser sur
la jetée. Dionysos protégea ses yeux de la pluie battante.
Le yacht de Poséidon était à quelques dizaines de mètres du
rivage, agité par la houle.
— Tu as un plan ? cria Hadès pour se faire entendre.
— Non ! répondit Dionysos.
Comme s’il avait eu le temps d’y réfléchir !
La bouche d’Hadès se pinça et il soupira avant de se téléporter à
nouveau.
Cette fois, ils apparurent sur le yacht, nez à nez avec Poséidon,
qui se tenait debout et se servait d’Ariadne comme d’un bouclier.
Ses poignets étaient attachés. Une des mains de Poséidon lui
tenait le cou, l’autre était plaquée sur son ventre. Elle avait l’air
furieuse et effrayée et Dionysos angoissa à l’idée de ce que le dieu
lui avait fait jusque-là.
— C’est un coup bas, Poséidon, même pour toi, dit Hadès.
— Tu nierais mon droit à la justice divine, frangin ?
Le visage de Poséidon était pressé contre celui d’Ariadne, qui
essaya de reculer la tête.
— La justice divine ? demanda Poséidon. Au nom de quoi ?
— La mortelle m’a accusé d’avoir kidnappé une femme.
— C’était une question, cracha Ariadne. Et c’est loin d’être
impossible, étant donné tes antécédents.
Poséidon serra plus fort son cou, tirant sa tête en arrière.
— Elle a de la gueule, celle-ci, dit-il. Tu ne lui as pas appris à tenir
sa langue ?
— Tout le monde ne violente pas les femmes comme toi,
Poséidon, dit Hadès.
— Voilà qu’on m’accuse d’un autre crime, répondit le dieu de la
Mer.
— Ce n’est pas une accusation si c’est vrai, grogna Ariadne.
Poséidon la saisit par les joues et tourna sa tête vers lui. Dionysos
se précipita vers elle, mais Hadès l’arrêta. Ils se défièrent du regard,
mais celui d’Hadès était une mise en garde. S’ils s’en prenaient à
Poséidon dans son propre royaume, Ariadne serait coincée entre
deux feux.
— Je vais t’apprendre à te taire, siffla Poséidon.
— Si tu souhaites jouer au justicier, je le ferai aussi, si tu la
touches, dit Dionysos.
Poséidon lâcha le visage d’Ariadne et se concentra sur Dionysos
en ricanant.
— Tu tiens tellement à être chevaleresque. Tout ça pour une
chatte à laquelle tu n’as même pas goûté.
Le yacht tangua et Dionysos peina à rester debout, Poséidon ne
semblait même pas le remarquer.
— T’inquiète. Je te dirai si elle est sucrée.
Le regard d’Ariadne était rivé dans celui de Dionysos. Il tremblait,
désespéré de l’aider.
— N’aie pas l’air si triste, dit Poséidon à Ariadne. Je laisserai
Dionysos se joindre à nous si ça peut t’aider.
Les mains du dieu descendirent sur ses hanches.
— Ne la touche pas ! aboya Dionysos.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Les plans à trois ne te branchent plus ?
ricana Poséidon. Tu as vraiment changé. Et pas en mieux, si tu veux
mon avis.
La magie d’Hadès se manifesta sous la forme de rubans de
fumée dont l’un s’enroula autour du cou de Poséidon pour le tirer en
arrière. Ce geste soudain l’obligea à lâcher Ariadne, qui courut se
réfugier dans les bras de Dionysos.
— Non ! grogna Poséidon, et soudain le yacht tangua de
nouveau.
Ariadne tomba à genoux et roula plusieurs fois avant de percuter
le mur. Dionysos partait vers elle quand les vitres se brisèrent, les
recouvrant de verre alors que les vagues s’engouffraient par-dessus
bord.
— Tout ça à cause d’une mortelle qui t’a insulté ? demanda Hadès
d’une voix tonitruante.
— Je pourrais te dire la même chose, répondit Poséidon.
Dionysos devina qu’Hadès lui avait asséné un autre coup, car la
tempête perdit en intensité. Il resta concentré sur Ariadne, qui
rampait vers lui à quatre pattes.
Quand ils furent réunis, ils se mirent à genoux et il prit son visage
dans ses mains.
— Tu vas bien ?
Elle hocha la tête et Dionysos l’aida à se lever, même s’il était
presque impossible de rester debout, tant le yacht tanguait.
Ils tombèrent à nouveau et quand Dionysos atterrit sur le sol, il vit
qu’Hadès surplombait Poséidon, une main sur sa tête. Poséidon
tremblait, montrant les crocs, les veines de son cou étaient gonflées.
Il parvint alors à invoquer son trident, rompant l’emprise d’Hadès.
Poséidon se leva et voulut frapper son frère, qui se téléporta pour
réapparaître à quelques pas, mais Poséidon le suivit. Ils foncèrent
l’un sur l’autre et Dionysos tendait la main vers Ariadne quand ses
yeux se révulsèrent, et elle devint amorphe dans ses bras. Elle se mit
à convulser, de l’eau coulait de sa bouche.
— Non ! grogna-t-il. Hadès !
Mais quand il regarda les deux frères, Hadès avait cessé de se
battre. Il paraissait figé, comme si Poséidon l’avait frappé.
— Tu te bats pour une femme qui ne t’appartient même pas alors
que la tienne souffre aux mains de mes fils.
La voix tonitruante de Poséidon résonna dans toute la cabine,
malgré la tempête. Dionysos ne savait pas de quoi il parlait, mais il
avait clairement atteint Hadès, car sa respiration était rapide et il
tremblait de tout son corps.
C’est alors qu’il disparut.
Dionysos ne comprenait pas ce qui s’était passé, mais il était
désormais seul face à Poséidon. Il se leva et invoqua son thyrse, un
sceptre surmonté d’une grenade, même s’il savait qu’il affrontait un
dieu dans son propre royaume, l’un des trois, qui plus est, et qu’il ne
faisait pas le poids.
Néanmoins, il se rua sur le dieu de la Mer et fut propulsé en
arrière, atterrissant contre le mur. Il faillit tomber par-dessus bord,
mais il parvint à s’accrocher à la rambarde.
La pluie martelait son visage et le yacht tanguait sous lui, mais il
réussit à ramper jusqu’à la cabine. Quand il l’atteignit, il trouva
Ariadne dans les griffes de Poséidon. Il l’avait penchée sur la table,
les jambes écartées, son bassin contre ses fesses.
— Je ne t’aurais pas obligé à regarder, dit-il. Je me serais satisfait
de savoir que tu serais torturé de savoir que j’avais enfoncé ma
queue en elle, mais il a fallu que tu amènes Hadès dans mon
royaume, et rien que pour ça, tu dois être puni.
Dionysos bouillait de rage et il plongea les yeux dans ceux
d’Ariadne, qui étaient remplis de larmes. Il n’avait aucun pouvoir ici,
sauf un, et la seule chose qu’il put lui dire avant de la frapper avec sa
magie fut : « Pardonne-moi. »
Il sut que sa folie l’avait atteinte, car son regard changea. Ses
yeux devinrent bestiaux et sauvages et elle poussa un cri terrifiant
tout en trouvant la force de se redresser et de percuter le visage de
Poséidon avec l’arrière de sa tête. Un craquement retentit et le dieu
de la Mer la lâcha en titubant en arrière. Ariadne se jeta sur lui et se
mit à le griffer, plantant ses ongles dans sa peau comme si ce n’était
que de l’argile, et elle lui arracha plusieurs morceaux de chair sur
chaque bras avant qu’il parvienne à l’arrêter.
C’était horrible. C’était la nature de la magie de Dionysos.
En dépit de sa folie, Ariadne était consciente de ce qu’elle faisait,
même si elle n’avait aucun contrôle sur ses actions. Jamais elle ne lui
pardonnerait pour ça, et il ne pouvait pas lui en vouloir, mais il n’avait
pas d’autre choix.
Poséidon poussa un cri atroce et Dionysos se jeta en avant pour
serrer Ariadne contre lui, elle tenait encore des bouts de chair entre
ses mains. Elle grogna de façon surnaturelle et se débattit quand il la
tira en arrière, toujours possédée par sa magie. S’il la lâchait, elle
essaierait de démembrer le dieu de la Mer, et si Dionysos n’avait rien
contre ça, ce n’était qu’une question de temps avant que Poséidon
ne reprenne le dessus.
Dionysos avait profité de la surprise du dieu, mais ils restaient
dans son royaume.
Le dieu de la Mer était furieux et son regard brilla de malice. Il
étudia ses bras ensanglantés et déchiquetés en respirant fort, la
mâchoire contractée. Le yacht tangua de plus belle.
Dionysos faisait de son mieux pour retenir Ariadne. Elle était
encore sous son sort et elle était assoiffée du sang de Poséidon, car
c’était le premier qu’elle goûtait, et elle n’abandonnerait pas tant que
l’un des deux ne serait pas mort.
— Si elle survit à la mer, je la pourchasserai et la déchiquèterai
sous tes yeux, dit Poséidon alors que la chair de ses bras se
régénérait.
Il était désormais entier, mais couvert de sang.
— Et je te forcerai à manger chaque membre, chaque bout de
peau, chaque organe chaud, et à chaque bouchée, tu sauras qu’il
aurait été plus facile de me laisser la prendre devant toi.
Dionysos entendit alors un craquement terrible et tout le vaisseau
plongea dans la mer. L’eau s’y engouffra avec tant de force que la
seule chose dont il eut conscience, ce fut de ne pas pouvoir respirer,
puis tout devint sombre.
Chapitre XXVII
DIONYSOS
*
* *
— Dionysos.
Il tourna la tête vers la voix douce qui prononçait son nom. Des
doigts étaient plongés dans ses cheveux et des lèvres parcouraient
sa mâchoire.
— Ariadne ? murmura-t-il.
Il reconnut son odeur et la chaleur de son toucher.
— Dionysos, dit-elle à nouveau, et sa peau se couvrit de chair de
poule.
Il avait envie de capturer sa bouche et de la goûter, comme il
l’avait fait au quartier du Plaisir.
— Ari, chuchota-t-il.
Elle le serrait plus fort.
— Dionysos ! aboya-t-elle et il ouvrit brusquement les yeux.
Il la découvrit en train de le regarder et il cligna des yeux,
comprenant qu’il s’était endormi, la tête appuyée contre son lit.
— Tu es réveillée, dit-il en se redressant et en massant sa nuque
ankylosée.
— Où sommes-nous ? demanda-t-elle.
— Je ne sais pas trop, sur une île, quelque part en Méditerranée.
Elle fronça les sourcils et bougea sous les couvertures avant de
pousser un cri.
— Attention, dit-il en dégageant la couette pour inspecter sa
jambe. Je n’ai pas encore guéri ta plaie.
Il s’agenouilla et posa une main sur sa hanche et l’autre sur son
genou pour la tenir en place.
— Pourquoi pas ? siffla-t-elle.
— Je ne peux pas guérir une plaie infectée, Ariadne, rétorqua-t-il.
Il lui fallut quelques secondes pour se détendre et c’est à ce
moment-là qu’ils semblèrent tous deux réaliser qu’elle était nue. Il
retira brusquement ses mains et rabattit la couette sur elle.
— Je vais te donner le médicament, marmonna-t-il en se levant.
Il remplit une tasse avant de l’aider à la boire.
— C’est de la mélisse, expliqua-t-il en portant la tasse à ses
lèvres.
Elle posa ses mains sur les siennes en buvant le thé et grogna en
grimaçant.
— Je sais que ce n’est pas très bon, mais ça apaisera la douleur.
Dès qu’elle eut suffisamment bu, il l’aida à se rallonger et un
silence gênant remplit la maison.
— Est-ce que tu… te souviens de ce qui s’est passé ? finit-il par
demander.
Il lui fallut du temps pour répondre.
— À peu près, chuchota-t-elle d’une voix à peine audible.
Un nouveau silence s’installa entre eux.
— Est-ce qu’il t’a fait mal avant que j’arrive ? demanda-t-il.
Il avait besoin de le savoir.
— Pas vraiment, répondit-elle.
Il n’aimait pas que la réponse ne soit pas « non ». Il voulait lui
demander ce que Poséidon lui avait fait, mais il ne voulait pas
insister, non plus. La veille avait été suffisamment traumatisante
comme ça.
— Je suis désolée, murmura-t-elle.
Dionysos tourna la tête vers elle, mais le regard d’Ariadne était
rivé sur le plafond et une larme coulait sur sa joue.
Ses excuses portaient le poids de ses regrets et Dionysos
frissonna. Il réalisa, maintenant qu’elle les avait formulées, qu’il ne
voulait pas entendre ses excuses parce qu’il ne les méritait pas. Elle
avait affronté une horreur démesurée par rapport à son geste.
— Pourquoi t’excuses-tu ?
— Je n’aurais pas dû aller voir Poséidon toute seule.
Il resta silencieux un instant.
— J’étais allé le voir la veille. Je ne te l’ai pas dit parce que tu
étais en colère contre moi et je…
Il ne termina pas sa phrase. Il n’avait pas voulu la déranger, mais
cela n’avait plus d’importance. Ce qui était fait était fait. À présent, ils
devaient aller de l’avant.
— Poséidon ne retient pas Méduse. Je ne sais pas où elle est,
mais le pire pour elle, c’est que son pouvoir ne deviendra actif qu’une
fois qu’elle sera morte.
Ariadne le regarda dans les yeux.
— Quoi ?
Il n’y avait rien d’autre à dire.
— Dans ce cas, c’est peut-être mieux qu’on ne la trouve pas, dit
Ariadne au bout d’un moment.
Dionysos était d’accord, pour une fois.
Ils restèrent silencieux plusieurs minutes et Dionysos finit par
penser qu’elle s’était endormie.
— Je me sens coupable de ce qui arrive à ma sœur, chuchota-t-
elle enfin, les yeux rivés sur le plafond.
— Pourquoi ? demanda Dionysos, confus.
— Parce que c’est moi qui les ai présentés. Thésée était… avec
moi, d’abord.
Dionysos frissonna, surpris de se sentir aussi jaloux.
— Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? demanda-t-il, mais c’était une
question idiote.
Elle n’avait pas à le lui dire.
— Parce que j’ai honte, répondit-elle d’une voix tremblante.
Ses propos lui transpercèrent le cœur et il se rapprocha d’elle.
— Ari, chuchota-t-il en caressant sa joue, tu n’as aucune raison
d’avoir honte.
— Je me fiche qu’il ne m’ait jamais aimée, dit-elle. Mais je déteste
qu’il n’aime pas ma sœur et qu’elle lui soit aussi dévouée. Elle mérite
mieux. Elle mérite le meilleur.
Dionysos l’étudia un moment avant de parler.
— Et toi, que mérites-tu ?
Elle ne répondit pas.
— Ari ?
— Rien, dit-elle en tournant la tête vers lui.
Il fronça les sourcils et s’apprêtait à répondre, mais Ariadne
plaqua deux doigts contre sa bouche en secouant la tête. Ses yeux
se remplirent de larmes et ses lèvres se mirent à trembler. Il lui fallut
quelques secondes pour parler de nouveau.
— Bonne nuit, Dionysos, chuchota-t-elle.
Chapitre XXVIII
HADÈS
*
* *
Les mains d’Hadès tremblaient.
Elles n’avaient jamais tremblé auparavant. Peut-être était-ce à
cause de l’effroi qui le saisissait, maintenant qu’il avait emmené
Perséphone en sécurité. Elle était allongée dans le lit, de l’autre côté
de la pièce, immobile, mais elle respirait. Il avait beau l’avoir guérie, il
n’était pas certain de pouvoir la regarder sans la revoir ensanglantée,
brisée, mourante.
Une ombre le recouvrit et il reconnut la magie d’Hécate. La
déesse enveloppa ses mains d’une serviette pour nettoyer le sang
qui y avait séché. Elle disait quelque chose, mais il ne comprenait
pas les mots, tant le vrombissement dans ses oreilles était fort.
La déesse s’agenouilla devant lui dans un nuage de couleur. Il
fronça les sourcils, incapable de se concentrer sur elle.
Il sentit alors ses mains sur ses joues, puis une vague de magie.
— Hadès ?
Elle scruta son visage jusqu’à ce qu’il réussisse à se concentrer
sur elle.
— Hécate ? dit-il, et elle lui sourit timidement.
— Je suis là.
Il la dévisagea un moment, puis il tourna la tête vers Perséphone.
— Elle va bien, Hadès.
Il savait qu’elle cherchait à la réconforter, mais ses propos ne
firent que réveiller sa colère et sa culpabilité. Il n’aurait jamais dû la
laisser aller au Club Aphrodisia. Il n’aurait jamais dû confier sa
sécurité à quelqu’un d’autre.
— Tu n’aurais fait qu’encourager sa rancœur, dit Hécate, lisant
dans ses pensées.
— J’aurais préféré qu’elle m’en veuille pour le restant de nos jours
plutôt que de la voir comme ça.
— Prends garde à ce que tu dis, Hadès. La rancœur est une
blessure tout aussi fatale.
Hadès grinça des dents.
— Plus fatal que ce que je vois quand je la regarde ?
— La magie peut guérir les blessures de la chair, dit-elle. Pas les
blessures de l’âme.
— Tu n’as pas besoin de me le rappeler. J’en ai subi
suffisamment comme ça.
— Dans ce cas, tu ne devrais pas souhaiter la même chose à
Perséphone.
Peut-être serait-ce différent dans un jour ou deux, mais pour
l’instant, il était tenté de ne plus jamais quitter cet endroit.
— Tu devrais plutôt souhaiter qu’elle apprenne à contrôler son
pouvoir, dit Hécate en se relevant. Elle s’en serait très bien sortie si
elle avait su le canaliser correctement.
— N’est-ce pas ton travail, justement ? aboya Hadès.
— Attention, dieu des Morts, gronda Hécate en le fusillant du
regard. J’ai très peu de patience pour ton hubris.
Hadès prit son visage dans ses mains et le frotta.
— Je suis désolé, Hécate.
— Je sais, répondit-elle en posant une main sur sa tête.
Ils restèrent silencieux et Hadès sentit bientôt la magie d’Hermès.
Une colère noire jaillit en lui et tous ses muscles se raidirent. Il
serra les poings, sa magie assombrit la pièce et son Charme
disparut, et quand Hécate fit un pas de côté, il riva les yeux sur
Hermès.
Le dieu paraissait hanté et son visage était déformé par
l’angoisse. Sa chemise blanche était maculée de sang.
— Avant que tu ne dises quoi que ce soit, dit Hermès, conscient
de ce qui l’attendait, sache que Tyché est morte.
Hadès se redressa et Hécate retint son souffle.
Il ne s’attendait pas à cette nouvelle, mais cela expliquait en
partie le massacre dans lequel il avait déboulé, et pourquoi Aphrodite
avait été présente – elle avait voulu se venger de ceux qui avaient
blessé sa sœur.
— Comment ? demanda Hécate.
— On ne sait pas, dit Hermès. Je l’ai… emmenée à Apollon.
— Tu l’as abandonnée, dit Hadès d’un ton lugubre en faisant un
pas vers le dieu.
— Perséphone me l’a ordonné, répondit Hermès.
— Et moi, je t’ai ordonné de la protéger, répondit Hadès en
haussant le ton alors que des lames noires jaillissaient de la pointe
de ses doigts. Tu avais prêté serment.
— Je sais, chuchota Hermès d’un ton lourd de honte, les yeux
rivés sur le sol. J’ai failli.
Hadès tendit le bras et posa sa main sur son visage, lui penchant
suffisamment la tête pour que leurs regards se croisent. Il posa son
pouce sous l’œil d’Hermès et la pointe de sa lame fit couler son sang.
— C’est moi qui ai failli, corrigea Hadès.
Hermès grimaça. Les propos d’Hadès étaient bien plus
douloureux que n’importe quelle blessure qu’il pouvait lui infliger, or
ils ne suffisaient pas pour autant. Ce genre de magie entraînait une
obligation de dette physique, un rappel quotidien du serment qui avait
été brisé.
Hadès posa son autre main sur la tête d’Hermès.
— Je n’oublierai jamais cette nuit, dit Hadès. Et toi non plus.
Il planta son pouce dans la chair d’Hermès, qui hurla et sursauta,
mais Hadès le tint en place, faisant glisser la lame sur sa joue et sa
bouche avant de le pousser en arrière.
Hermès tituba et leva une main tremblante sur son visage
ensanglanté.
Une blessure normale aurait déjà guéri sur un dieu, mais celle-ci
prendrait du temps, et encore, elle laisserait une cicatrice. C’était le
prix à payer quand on rompait un serment.
— Ne t’inquiète pas, dit Hadès. Ce sera le dernier serment que tu
prendras.
Hadès ne lui ferait plus jamais confiance.
Le regard d’Hermès noircit, les yeux brillants, mais il ne dit pas un
mot avant de disparaître.
*
* *
Hadès était assis sur le balcon de la chambre où Perséphone
dormait. Il restait réveillé, conscient que ses rêves ne seraient pas
mieux que sa réalité, il continuerait d’y vivre ce qui le hantait en étant
éveillé.
Une part de lui avait envie d’applaudir la terreur qu’avait infligée la
magie de Perséphone, mais il savait qu’elle ne verrait pas toutes ces
morts comme une preuve de son pouvoir, même si ces mortels
avaient choisi de l’attaquer, de mettre leur vie en jeu, et tout ça pour
une cause qui avait fait mourir une autre déesse.
Hadès ne s’attendait pas du tout à ce que Tyché soit la prochaine
victime, même si en tant que déesse de la Fortune, elle était proche
des Moires. Peut-être était-ce pour ça qu’ils l’avaient prise pour cible.
La Triade et leurs fidèles, officiels et autres, étaient obsédés par le
libre arbitre, et des pouvoirs comme ceux de Tyché incarnaient une
menace puisqu’elle pouvait accorder la prospérité et l’abondance
avec autant de facilité qu’elle pouvait les retirer. Peut-être lui en
voulaient-ils pour la tempête de Déméter ?
Cela dit, Hadès savait qu’il était futile de chercher une raison à la
mort de Tyché. La raison pour laquelle elle avait été choisie n’avait
pas d’importance. Tout ce qui comptait, c’était qu’elle était morte.
Il sut que Perséphone était réveillée, car il entendit le bruissement
des draps et le bruit de ses pas.
Plus elle approchait, plus Hadès se tendait. Il avait beau vouloir la
regarder, il avait peur. Même maintenant, il était hanté par la vue de
son corps ensanglanté. Il craignait de ne plus jamais la voir de la
même façon.
— Hadès.
Sa voix était douce et sa présence chaude. Il ne put s’empêcher
de la regarder, même s’il sentait lui-même combien son regard était
froid.
— Tu vas bien ? demanda-t-elle d’une voix hésitante, comme si
elle connaissait déjà la réponse.
— Non, répondit-il en baissant à nouveau les yeux.
Il ne pouvait pas soutenir son regard plein de vie. Il avait tant
besoin de la réconforter. Or il savait ce qu’elle allait lui dire. Tous lui
disaient la même chose quand il était confronté à la mort de
Perséphone. Je suis là. Je vais bien. Elle est là. Elle va bien. Le corps
entier de Perséphone le lui criait et il désespérait de sentir sa chaleur.
Il serra les poings et sa main se referma sur son verre de
whiskey.
Il l’avait oublié, mais il fut soulagé d’avoir une distraction et il en
but une gorgée, fronçant les sourcils quand il découvrit un goût de
cendre.
Perséphone se rapprocha et lui prit le verre des mains.
— Hadès, répéta-t-elle.
Il ferma les yeux.
Il attendit d’avoir repris le contrôle de ses émotions avant de
croiser à nouveau son regard.
— Je t’aime, dit-elle.
Il contracta sa mâchoire et s’efforça de réprimer le sentiment qui
remontait dans sa gorge et lui brûlait les yeux. C’était la première fois
qu’il s’était autorisé à craindre la possibilité de ne plus jamais
entendre sa voix.
C’était la première fois qu’il comprenait pourquoi Perséphone
avait désespérément voulu garder Lexa en vie. Peu importait qu’il
soit le dieu des Morts et qu’elle vienne vivre dans son royaume pour
toujours. Ce qui comptait, c’était qu’elle soit chaude, qu’elle aille bien
et qu’elle soit entière – que son cœur puisse battre en rythme avec le
sien et qu’elle puisse aller d’un monde à l’autre, car c’était ce qui la
rendait heureuse.
Perséphone se rapprocha de lui et il recula dans le fauteuil. Elle
s’assit à cheval sur lui et prit son visage dans ses mains pour scruter
son regard.
— Tu peux me dire ce que tu ressens ?
Il agrippa les accoudoirs du fauteuil.
— Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit à dire.
Elle resta silencieuse, sans lâcher son visage.
— Tu es en colère contre moi ?
Sa question comprima sa poitrine. Il détestait que les
conséquences de son attitude soient qu’elle ait l’impression d’avoir
commis une faute.
— Je suis en colère contre moi, pour t’avoir laissée y aller, pour
avoir confié ta protection à un autre.
— J’ai ordonné à Hermès…
— Il avait prêté serment.
Il la sentit se crisper.
— Hadès, je me suis fait mal. C’est moi qui ai échoué. Je
n’arrivais pas à me guérir.
Peu importe. Hermès était tenu de la protéger. Si Hadès avait été
là, il l’aurait guérie plus vite.
Elle se rapprocha de lui et pencha sa tête en arrière pour qu’il la
regarde.
— Je vais bien, chuchota-t-elle. Je suis là.
— Tout juste, gronda-t-il.
Les paroles de Perséphone ne lui étaient d’aucun réconfort. Elle
n’avait pas été témoin de ce qu’il avait souffert.
Elle se leva et s’éloigna à reculons. Il reconnut l’expression dans
ses yeux, car il ressentait la même souffrance.
— Je ne sais pas quoi faire, dit-elle.
— Tu peux arrêter, déclara-t-il. Tu peux décider de ne pas t’en
mêler. Tu peux cesser d’essayer de changer l’opinion du monde et
de vouloir le sauver. Laisse les gens prendre leurs propres décisions
et en assumer les conséquences. C’est ainsi que fonctionnait le
monde avant toi, et c’est ainsi qu’il continuera de fonctionner.
Elle lui lança un regard assassin.
— C’est différent cette fois, Hadès, et tu le sais. On parle d’un
groupe de gens qui ont réussi à capturer et à neutraliser des dieux.
— Je sais parfaitement de quoi il s’agit, aboya-t-il en se levant à
son tour. J’ai déjà vécu ça et je peux t’en protéger.
— Je ne t’ai pas demandé de m’en protéger.
— Je ne peux pas te perdre, déclara-t-il en posant ses mains sur
la rambarde, de part et d’autre de sa taille. J’ai failli te perdre, tu le
sais, ça ? Parce que je n’arrivais pas à me ressaisir pour te guérir. J’ai
tenu des hommes, des femmes et des enfants dans mes bras, qui
saignaient comme toi. Mon visage a été couvert de leur sang. Je les
ai écoutés me supplier de les sauver, de leur rendre la vie, alors que
je ne pouvais ni la sauver ni la leur offrir, parce que je ne peux lutter
contre leur destin. Mais toi, tu ne m’as pas supplié de te sauver. Tu
n’étais même pas désespérée de vivre. Tu étais en paix.
— Parce que je pensais à toi ! siffla-t-elle, et le sang d’Hadès se
glaça. Je ne pensais pas à la vie ou à la mort, ni à quoi que ce soit en
dehors du fait que je t’aimais, et j’ai voulu te le dire, mais je n’ai pas
pu…
La gorge d’Hadès se noua et il sentit ses lèvres trembler. Il l’attira
dans ses bras et enfouit sa tête dans le creux de son cou, cachant
son visage et ses larmes. Il détestait le sentiment qui ravageait son
corps, il détestait ne pas avoir pu garder son sang-froid, mais c’était
trop. La blessure était trop grande.
Il puisa du réconfort en elle et quand il retrouva son calme, il se
redressa en la serrant contre lui.
Perséphone leva la tête vers lui, puis elle posa une main sur sa
joue.
— Tu viens au lit ?
Son estomac se noua et il se rapprocha encore, pressant son
bassin contre le sien.
— Non, je vais te faire jouir ici, dit-il.
Elle ouvrit la bouche et il en profita pour laper sa langue en collant
son corps au sien, prêt et désespéré.
Il poussa un grognement et rompit le baiser en mordillant sa lèvre
inférieure.
— Ensuite, je te prendrai sur le lit, dans la douche et sur la plage.
Je te prendrai sur toutes les surfaces de cette maison et dans tous
les recoins de cet endroit.
Il saisit ses hanches et retourna s’asseoir sur le fauteuil, elle lâcha
le drap avec lequel elle se couvrait. Elle se remit à cheval sur lui et il
s’empara de ses seins pour sucer ses tétons. Il aimait entendre son
souffle accélérer. Elle explorait son corps de façon tout aussi
affamée, ouvrant sa robe pour caresser son torse et son ventre tout
en frottant son sexe chaud contre lui.
Il se demanda un instant s’il devait faire ça, s’il devait se perdre
en elle de cette façon, mais c’était elle qui le lui avait demandé, et la
sentir contre lui, chaude et mouillée, lui rappelait qu’elle allait bien.
Il caressa ses fesses et écarta sa chair avec ses doigts. Elle était
chaude et enflée, et elle se déhancha contre lui, adoptant un rythme
régulier en se servant de lui pour son propre plaisir. Il sut qu’elle
jouissait quand ses muscles se contractèrent et que ses cuisses
serrèrent les siennes. Soudain, elle se redressa et empoigna sa
verge pour la glisser entièrement en elle.
Putain, elle est incroyable, pensa-t-il en reculant pour la regarder
le chevaucher. Ses seins rebondissaient, son corps tout entier
frémissait, et elle avait passé ses mains sous ses fesses pour masser
ses testicules. Quand elle se fatigua, il saisit ses hanches et alterna
entre l’aider à se frotter à lui et s’enfoncer en elle. De temps en
temps, il se redressait pour l’embrasser, pour explorer sa peau avec
sa bouche, jusqu’à ce qu’il sente Perséphone se contracter à
nouveau autour de lui.
Quand elle jouit, son orgasme frémit si fort que cela le fit éjaculer
à son tour.
Il la tint contre lui, Perséphone semblait épuisée et il se sentait
aussi rincé qu’elle.
— Tu es fatigué ? demanda-t-elle en reculant.
Il n’était pas fatigué, pas de la manière qu’elle l’entendait, en tout
cas.
— Je n’ai jamais été aussi vivant, répondit-il.
Sa réponse sembla lui plaire, car elle l’embrassa longuement
avant de se blottir contre lui.
— Où sommes-nous ? chuchota-t-elle d’une voix ensommeillée.
— Sur l’île de Lampri, notre île, dit-il en la serrant plus fort.
— Notre île ?
— Je l’ai depuis longtemps, mais j’y viens rarement. Quand je t’ai
trouvée dans le club, je n’ai pas voulu rentrer aux Enfers. Je voulais
être seul avec toi. Alors, je suis venu ici.
L’atmosphère se tendit quand il mentionna le club, elle devint
lourde de tristesse et de regrets. Elle lui posa alors la question qu’il
redoutait.
— Tu sais si Tyché a survécu ?
Hadès la serra plus fort.
— Non, elle n’a pas survécu.
Elle prit ensuite des nouvelles de Sybil, Leucé et Zofie.
— Elles sont en sécurité.
— Et Hermès ? demanda-t-elle.
En guise de réponse, il l’emmena dans la douche.
— J’ai tué combien de personnes ? chuchota-t-elle, un peu plus
tard.
Hadès avait espéré qu’elle attendrait plus longtemps avant de lui
poser cette question.
— De quoi te souviens-tu ?
— Hadès…
— Est-ce que ça va t’aider de le savoir ?
Cela la hanterait, mais il le lui dirait si elle insistait.
— Penses-y, dit-il. Je dis ça en tant que dieu qui connaît la
réponse.
*
* *
Hadès l’emmena sur la plage et ils marchèrent le long du rivage. Il
la regarda courir pour échapper aux vagues et éclater de rire lorsque
l’eau lui couvrait les pieds. Sa joie le rendait heureux. N’avait-elle pas
voulu des vacances avec lui ? Un week-end loin des Enfers ? Il
supposait qu’il avait exaucé son souhait, même si c’était seulement
parce qu’il avait voulu prendre des distances, reprendre un semblant
de contrôle. Il pensait qu’emmener Perséphone ici lui procurerait un
sentiment de paix, mais il l’attendait encore. En réalité, en dehors de
cette île perdue, une terrible tempête de neige continuait de ravager
la Nouvelle Grèce, l’Ophiotauros n’avait toujours pas été capturé et
Tyché était morte.
Le monde était plongé dans le chaos, et il lui semblait que
Perséphone et lui étaient au centre, chacun d’un côté du gouffre qui
allait les séparer.
— Ça fait combien de temps que tu n’es pas allé dans l’océan ?
— Pour le plaisir ?
Il lui semblait nécessaire de le clarifier, car à cause de son frère, il
s’y était rendu pour de nombreuses raisons désagréables.
— Je ne sais pas, dit-il.
— Alors je veux que ce soit mémorable.
Il avait envie de lui dire que ça l’était déjà, mais elle jeta ses bras
à son cou et sauta pour entourer sa taille avec ses jambes.
— Je t’aime, dit-elle, et Hadès l’embrassa jusqu’à oublier le
monde extérieur, jusqu’à ce qu’il ne puisse penser qu’à la sensation
de son corps contre le sien et à combien il voulait s’enfouir à nouveau
en elle.
— Je veux te montrer quelque chose, dit-il.
— Ta queue ?
Sa franchise le fit glousser.
— Ne t’en fais pas, ma chérie. Je te donnerai ce que tu veux, mais
pas ici.
Il la reposa et lui prit la main pour l’emmener à travers le bosquet
puis jusqu’à une grotte où l’eau miroitait sous les rayons du soleil.
Il observa Perséphone pour voir sa réaction.
— Ça te plaît ?
— C’est sublime.
Hadès sourit et se déshabilla avant de plonger dans l’eau. Quand
il ressortit la tête, Perséphone était encore au bord du bassin, les
yeux rivés sur lui.
— Tu me rejoins ?
Elle n’hésita pas une seconde et Hadès pensa qu’elle avait
attendu pour qu’il la regarde se dévêtir. C’est donc ce qu’il fit, avec
joie, et quand elle entra dans l’eau, il l’attira dans ses bras pour
l’embrasser.
— Je construirai des temples en l’honneur de notre amour, dit-il
en effleurant sa mâchoire puis son cou et son épaule de sa bouche.
Je te vénérerai jusqu’à la fin des temps. Il n’y a rien que je ne
sacrifierais pour toi. Tu comprends ?
— Oui, répondit-elle en plongeant son regard dans le sien.
Hadès savait qu’elle ne pouvait imaginer tout ce qu’il était prêt à
faire pour elle, mais elle lui fit à son tour une promesse.
— Je te donnerai tout ce que tu as toujours voulu, même les
choses sans lesquelles tu pensais vivre.
Perséphone était la seule chose sans laquelle il avait cru devoir
vivre, or elle était là, dans ses bras.
Il s’empara de sa bouche et l’embrassa langoureusement, la
serrant contre lui jusqu’à être prêt à sortir de l’eau. Il la fit reculer
contre la paroi et elle ne le quitta pas une seule fois des yeux, le
regard dénué de peur ou de gêne.
Hadès était fier de maintenir un équilibre dans leur couple, ne
souhaitant jamais être trop dominant, même si c’était ce qu’il désirait
en cet instant. Il voulait lui donner des ordres et la regarder lui obéir.
— Une chose noire vit en moi, dit-il. Tu l’as vue. Tu la reconnais à
présent, n’est-ce pas ?
Elle soutint son regard en hochant la tête.
— Cette noirceur te désire de façons qui t’effraieraient.
Il voulait essayer tant de choses : lui bander les yeux, l’attacher…
Il voulait sa soumission.
— Dis-moi.
— Cette part de moi veut te voir prier pour ma queue. Elle veut te
voir gigoter sous moi pendant que je te pénètre. Que tu supplies mon
sperme de te remplir.
Perséphone le regardait avec un regard si noir que ses iris
n’étaient plus qu’un minuscule anneau vert.
— Comment veux-tu recevoir ma prière, Milord ?
Son sang se précipita dans sa tête et il faillit oublier de répondre,
tant il était distrait par son regard et ses mots, tant elle était prête à lui
faire plaisir.
À
— À genoux.
Elle posa un genou à terre, puis l’autre, lentement, et quand elle
fut face à sa verge, il empoigna ses cheveux avec ses deux mains.
— Suce-moi, ordonna-t-il, et elle obéit.
Son souffle chaud était déjà sur sa queue et Hadès perdait déjà
patience. Il avait beau s’y attendre, il retint néanmoins son souffle
quand elle le lécha. Elle se mit à l’œuvre avec soin, l’embrassant
souvent, le titillant avec sa langue. Quand elle prit son gland dans sa
bouche, elle le suça délicatement et il poussa un grognement.
Putain.
Jamais il ne s’était senti aussi détendu, même s’il était à cran et
que ses muscles se bandaient de plus en plus.
Elle le prit plus profondément et plus vite et il tira plus fort ses
cheveux.
Elle ouvrit plus grand la bouche et le prit jusqu’au fond de sa
gorge, et s’il n’avait pas été enfoui en elle, il serait tombé à genoux.
Elle était partout sur lui – son gland dans sa gorge, sa verge dans
sa bouche, la base de son érection dans sa main.
C’était tout. C’était exquis. Il avait envie de jouir, mais il avait
également envie de la prendre.
Il posa ses mains sur ses joues et la fit reculer avant de la relever.
Il s’empara de sa bouche dans un baiser possessif pendant qu’elle le
branlait et le guidait entre ses cuisses.
— Hadès…
Il la souleva et la plaqua contre le mur avec plus de force qu’il ne
le voulait, mais elle sembla s’en ficher ou ne pas le remarquer, et un
cri étranglé lui échappa. Hadès grogna. Sa poitrine lui semblait
opprimée et la tension augmentait en lui à chaque coup de bassin.
— Je veux te sentir jouir, dit-elle en plantant ses ongles dans ses
épaules et en ondulant contre lui. Je veux sentir ton foutre en moi.
Sa peau se couvrit de sueur alors qu’il accélérait et l’empalait plus
fort, encouragé par ses paroles.
— Je veux le sentir couler sur mes cuisses, gémit-elle en
resserrant ses cuisses sur sa taille alors que son orgasme
approchait. Je veux être tellement pleine de toi que je n’aurai plus
que ton goût en moi pendant des jours.
Elle se raidit et tous ses muscles se contractèrent tandis qu’elle
jouissait. Son orgasme parut durer une éternité et son corps ne
cessait de frémir. Hadès continua ses va-et-vient, la percutant de
toutes ses forces, pourchassant son orgasme avec le sien. Ses
testicules se crispèrent et il jouit de façon aussi explosive que
Perséphone.
Les jambes d’Hadès tremblaient, il se décolla du mur et se
téléporta dans leur chambre, où il s’agenouilla entre ses jambes pour
la dévorer. Elle était enflée, chaude et trempée par leurs orgasmes,
mais il savait qu’il pouvait la faire jouir à nouveau et quand il trouva
ce point qui la poussait à planter ses ongles dans sa chair et à
contracter ses cuisses en se cambrant, il se concentra dessus pour la
faire chavirer encore une fois.
Après, il s’allongea à côté d’elle et s’endormit pour la première
fois depuis longtemps.
Quand il se réveilla, Perséphone était partie.
Il se leva et la trouva sur le balcon, face à la mer, le regard perdu
sur l’horizon.
Il étudia son profil et devina qu’elle était perturbée. Il savait
pourquoi. Ils avaient quitté Nouvelle Athènes en plein chaos pour se
réfugier sur cette île, et Perséphone se sentait coupable.
— Pourquoi fronces-tu les sourcils ?
Elle sursauta et se tourna vers lui. Elle avait l’air chaude, les joues
roses, les lèvres enflées par ses baisers, et son regard était
possessif.
— Tu sais qu’on ne peut pas rester ici. Pas après ce qu’on a
laissé derrière nous.
Il aurait aimé que sa possessivité prenne le pas sur sa culpabilité.
— Une nuit de plus, négocia-t-il.
— Et si c’est trop tard ?
C’était enfantin de sa part, de vouloir assouvir ses désirs, quand
tant de menaces planaient sur eux, mais il n’avait jamais fui,
auparavant. Il avait été présent pour chaque défi, même ceux qui
n’étaient pas les siens. Ici, au moins, il pouvait protéger la personne
qui comptait le plus pour lui.
Il marcha jusqu’à elle et prit son visage dans ses mains.
— Je ne peux pas te convaincre de rester ici ? Tu serais en
sécurité, et je reviendrais chaque fois que j’aurais un instant de libre.
— Hadès, tu sais bien que je ne peux pas. Quelle reine je serais
si j’abandonnais mon peuple ?
— Tu es la reine des Morts, pas celle des vivants.
Cela dit, il ne pouvait nier que c’était justement ce qu’il aimait
chez elle, elle tenait à tout le monde, même ceux qui ne le méritaient
pas.
Personne ne méritait Perséphone, pas même lui.
— Les vivants finissent par devenir les nôtres, Hadès. À quoi
servons-nous si nous les négligeons pendant leur vie ?
Hadès soupira et appuya son front contre le sien, presque triste.
— J’aimerais que tu sois aussi égoïste que moi.
— Tu n’es pas égoïste. Tu ne partirais que pour leur venir en aide.
Pour lui faire plaisir.
Il ferait n’importe quoi pour lui faire plaisir.
Il recula suffisamment la tête pour la regarder dans les yeux, puis
il l’embrassa. Il comptait profiter du peu de temps qui leur restait
avant leur retour. Il glissa les mains sous son peignoir, sur sa peau
douce puis entre ses cuisses.
— Hadès.
Il eut du mal à déchiffrer le ton de sa voix, il ne savait pas si elle le
mettait en garde ou l’invitait à continuer, mais elle ne s’éloigna pas.
— Si tu refuses de rester une autre nuit, accorde-moi au moins
une autre heure.
Elle scella leur accord en passant ses bras autour de son cou et il
la souleva sur la rambarde du balcon, écartant ses cuisses pour s’y
installer. Sa chair paraissait enflée par leurs ébats précédents, mais
elle était encore mouillée, encore affamée.
— Tu te trompes, dit-il. Je suis égoïste.
— Juste une heure.
Il ne savait pas si elle le rappelait à Hadès, ou à elle-même.
Il ricana en prenant son érection dans sa main. Il se branla
plusieurs fois et se préparait à la pénétrer à nouveau, mais
l’excitation qui enflait sa verge et le faisait frémir de désir disparut dès
qu’il sentit la magie d’Hermès.
— Putain !
Il fit descendre Perséphone de la rambarde au moment où le dieu
apparut, à quelques pas d’eux, ne leur laissant pas la moindre
intimité.
— Hermès ! grogna-t-il.
— J’adorerais me joindre à vous, merci, dit le dieu. Mais une autre
fois, peut-être.
Hadès espérait que son regard communique toute la violence
qu’il imaginait infliger au dieu et qui allait bien au-delà de la cicatrice
qu’il portait désormais comme preuve de son serment brisé.
— Hermès, qu’est-ce qui t’est arrivé ? demanda Perséphone.
Hermès eut le mérite de ne pas plaisanter, se contentant de lui
sourire tendrement.
— J’ai failli à mon serment.
— Qu’est-ce que tu veux, Hermès ? On était sur le point de
revenir.
— Ça veut dire combien de temps, « sur le point » ?
— Hermès… commença Hadès.
— Zeus vous convoque tous les deux à Olympe, expliqua-t-il. Il a
réuni le Conseil. Ils souhaitent discuter de votre séparation.
— Notre séparation ? répéta Perséphone, surprise. Il n’y a pas de
sujet plus pressant, comme le fait que la Triade a assassiné une
déesse et en a attaqué une autre ?
Il y avait clairement des sujets plus importants, mais Zeus ne
pensait pas que la Triade était une menace pour les Olympiens.
Alors que la tempête de Déméter l’était, elle.
Plus elle durait et causait de morts, plus les mortels remettaient
en question leur vénération des Olympiens. Or moins de fidèles
entraînait un changement de force, de pouvoir.
— Je vous dis seulement la raison que Zeus a donnée pour
rassembler le Conseil, dit Hermès. Ça ne veut pas dire que d’autres
sujets ne seront pas abordés.
— J’arrive bientôt, Hermès, dit Hadès.
Hermès hocha la tête et son regard déterminé s’adoucit quand il
regarda Perséphone.
— À tout de suite, Sephy, dit-il avant de disparaître.
Il ne fallut pas longtemps pour que Perséphone interpelle Hadès.
— C’est toi qui as fait ça à Hermès ?
— Tu me poses la question alors que tu connais déjà la réponse.
— Tu n’étais pas…
— Si, j’étais obligé, gronda-t-il.
Il n’avait pas voulu parler de façon aussi brusque, mais il n’y avait
pas de débat sur la question. Hermès et lui avaient conclu un accord
divin qui supposait des conséquences divines.
— Sa punition aurait pu être pire. Certaines de nos lois sont
sacrées, Perséphone, et avant de te sentir coupable de ce qui est
arrivé à Hermès, rappelle-toi qu’il était parfaitement au courant de ce
qu’impliquait son serment, même si toi, tu ne l’étais pas.
Ses épaules s’affaissèrent sous le poids de son reproche et cela
atteignit plus Hadès que sa colère au sujet du visage d’Hermès.
— Je ne savais pas.
Dieux. Hadès s’y prenait toujours mal.
Il prit sa main et l’attira dans ses bras pour l’étreindre. Ils
n’auraient pas dû se disputer ni se faire du mal quand Zeus venait de
le convoquer pour parler de leur avenir – ce qu’Hadès craignait
depuis longtemps. Au contraire, ils auraient dû plutôt savourer ces
derniers instants avant que tout ne bascule.
— Pardon. Je voulais te réconforter.
— Je sais. Ce doit être épuisant de… de constamment avoir à
tout m’apprendre.
— Je ne me lasse jamais de t’instruire, répondit-il. Ma frustration
vient d’ailleurs.
— Peut-être que je pourrais t’aider… si tu m’en disais plus ?
suggéra-t-elle.
En dire plus à Perséphone impliquait qu’il gère sa peur d’être trop
pour elle : trop en colère, trop vengeur, trop cruel.
— J’ai peur de dire ce qu’il ne faut pas, et que mes intentions te
semblent barbares.
— Je suis désolée. Je crois que je t’ai donné cette peur quand on
s’est rencontrés.
— Non. Je l’avais avant toi, mais ça n’a pris de l’importance qu’en
te rencontrant.
— Je comprends la punition d’Hermès, dit-elle. Et je suis
soulagée.
Hadès appréciait ses paroles, même s’il hésitait à les accepter.
Il l’embrassa sur le front, regrettant qu’il ne puisse profiter de
l’heure qu’ils s’étaient accordée – surtout maintenant, sachant ce
qu’ils allaient affronter.
— Tu veux m’accompagner au Conseil ?
— Sérieusement ? s’étonna-t-elle.
— J’ai des conditions, dit-il en haussant un sourcil comme pour
dire « bien évidemment ». Mais si les Olympiens doivent parler de
nous, je trouve normal que tu sois présente.
Elle eut l’air tellement reconnaissante qu’Hadès s’en voulut de
l’avoir exclue jusque-là. Elle avait besoin d’entendre le débat qui les
concernait, car cela la mettrait en colère. Et il avait besoin de sa rage.
— Viens, allons nous préparer, dit-il.
Et ils quittèrent l’île pour retourner aux Enfers.
Chapitre XXIX
DIONYSOS
*
* *
Ariadne marchait à quelques mètres devant lui.
— Tu ne sais même pas où tu vas ! cria Dionysos.
Il avait l’impression qu’elle fuyait autre chose que le sommet
vertigineux de la montagne. Elle fuyait ce qui s’était passé entre eux
et la vitesse à laquelle la situation avait dérapé.
Elle le fuyait, lui.
— Je t’emmène à ton cyclope, dit-elle.
Dionysos ricana. Cela faisait près d’une heure qu’il la laissait
mener. En arrivant au pied de la montagne, elle était partie en
direction du cyclope et du mouton. Le problème était que le cyclope
était énorme et que ses foulées se comptaient en centaines de
mètres.
— Tu crois que le cyclope sera encore là quand on aura traversé
cette forêt ?
— Je crois surtout que ce n’est pas mon problème, c’est toi qui as
une dette.
— Étant donné que c’est à cause de toi que je suis endetté, je
dirais que c’est ton problème aussi.
Il ne pensait pas ce qu’il disait et il sut qu’il l’avait blessée car elle
ralentit pour la première fois depuis qu’ils étaient redescendus.
— Je… ce n’est pas ce que je voulais dire, dit Dionysos.
Il ne voulait pas qu’Ariadne pense que ce qui lui était arrivé sur le
yacht de Poséidon était sa faute. Elle ne devrait pas avoir à craindre
que Poséidon l’agresse. Et à présent, parce que le monde respectait
son pouvoir depuis si longtemps, Ariadne ne serait jamais en sécurité
à cause de lui.
— Je crois qu’on sait tous les deux ce que tu voulais dire, dit-elle.
— Je ne…
Dionysos se tut, frustré.
— Pourquoi je merde tout le temps, bon sang ? râla-t-il.
Elle ralentit.
— Comment ça ? demanda-t-elle.
— Regarde où on est, dit-il en balayant l’espace d’un geste de la
main. Tout ça parce que je t’ai promis de retrouver Méduse, alors qu’il
s’avère que cela vaut sans doute mieux qu’on ne la trouve jamais.
J’aurais dû continuer à aider Hadès à chercher l’Ophiotauros.
Ç’aurait été un autre moyen de lutter contre Thésée.
Ariadne s’arrêta à la lisière d’une forêt et se tourna vers lui.
— L’Ophio… quoi ?
— L’Ophiotauros, dit-il. C’est une créature mi-taureau, mi-serpent,
qui nous fera sans doute tous mourir. Donc tout ce que j’aurai fait
sera en vain, de toute manière.
— Quelqu’un l’a trouvé ? demanda-t-elle. L’Ophiotauros ?
— Pas encore, dit-il.
Pour autant qu’il sache, en tout cas.
— Dans ce cas, rien n’est en vain, dit Ariadne.
Ils se regardèrent l’un l’autre pendant un moment et Dionysos se
sentit légèrement soulagé par ses propos. Elle lui tourna le dos et
entra dans la forêt avant de hurler.
— Ari !
Dionysos courut et fut surpris quand le sol disparut sous ses
pieds. Il tomba en avant et roula le long d’un petit ravin, s’arrêtant en
percutant un gros rocher. À quelques pas de lui, Ariadne s’assit en
tenant son bras contre sa poitrine.
Quand la douleur dans ses côtes eut disparu, Dionysos chercha
son regard.
— Est-ce que ça va ?
— Je crois que je… me suis fait mal au bras.
Dionysos pâlit, s’agenouilla et prit sa main pour palper son
poignet et son avant-bras. Elle grimaça, mais il ne paraissait pas
cassé. Il laissa son pouvoir se dissiper en elle, conscient qu’elle
venait de faire la même chute que lui et qu’elle aurait mal.
— Tu sais comment on aurait pu éviter ça ? demanda-t-il en la
regardant.
— Va te faire foutre, Dionysos, dit-elle en levant les yeux au ciel.
Il éclata de rire et l’aida à se lever, puis il regarda autour d’eux,
découvrant qu’ils étaient au bord d’un profond canyon. En contrebas,
sur les collines verdoyantes, paissaient plusieurs moutons.
— Eh bien, dit Ariadne. J’ai trouvé tes moutons.
Chapitre XXX
HADÈS
*
* *
Hadès serra plus fort Perséphone dans ses bras quand
Héphaïstos alluma le bûcher sur lequel reposait Tyché. Son énergie
était sombre, presque chaotique. Il ne savait pas à quoi elle pensait,
mais il supposait qu’elle s’en voulait pour la mort de Tyché. C’était
injuste, puisqu’elle n’avait aucun contrôle sur les actions de sa mère.
— La mort de Tyché n’est pas ta faute, dit Hadès.
Il lui semblait nécessaire de le dire.
Perséphone ne répondit rien et il sut que c’était parce qu’elle ne le
croyait pas. Le feu crépitait dans le silence, et l’odeur de lavande et
de chair brûlée remplit l’air.
— Où vont les dieux quand ils meurent ? demanda Perséphone.
— Auprès de moi, sans leurs pouvoirs. Et je leur attribue un rôle
aux Enfers.
— Quel genre de rôle ?
— Ça dépend des difficultés qu’ils ont rencontrées de leur vivant.
Mais Tyché a toujours voulu être mère. Donc je vais lui offrir le Jardin
des Enfants.
— Est-ce qu’on va pouvoir lui parler ? Au sujet de sa mort ?
— Pas tout de suite, répondit-il. Mais dans quelques jours, oui.
Mais Hadès craignait qu’il soit déjà trop tard.
Chapitre XXXI
DIONYSOS
*
* *
Quand Dionysos se réveilla, il avait un bras sur le ventre
d’Ariadne. L’autre était sous sa tête, et il ne le sentait plus. Après
leurs ébats, ils étaient restés assis dans un silence gênant et tendu. Il
était sincère quand il lui avait dit qu’il ne regretterait jamais ce qui
s’était passé entre eux, et si elle avait dit qu’elle non plus, aujourd’hui
était un nouveau jour, et il était possible qu’elle ait changé d’avis.
Malgré ses doutes, il s’émerveilla de sa beauté, peinant à croire
qu’il s’était réveillé à ses côtés.
Quand elle remua, son ventre se noua d’appréhension et il tenta
de se préparer à ce qu’elle le rejette. Mais quand elle ouvrit les yeux,
elle ne chercha pas à lui tourner le dos, au contraire. Il se surprit à
être aussi confus qu’il l’avait été hier soir après le sexe. Il ne savait
plus quoi faire de ses mains, même s’il était très conscient que l’une
d’elles était posée sur son bas-ventre.
— Bonjour, dit-il.
Elle esquissa un sourire et baissa les yeux sur sa bouche.
— Bonjour.
Il prit cela comme une invitation et l’embrassa tendrement. Il avait
l’intention de s’arrêter là, mais c’était compter sans l’enthousiasme
d’Ariadne.
Elle ouvrit plus grand la bouche et il y enfouit sa langue pour
caresser la sienne. Elle tira sur son tee-shirt pour l’inviter à s’allonger
sur elle et il obéit joyeusement, nichant ses hanches contre les
siennes, et les pensées de Dionysos s’emballèrent, ils allaient baiser
à nouveau.
C’était plus qu’il ne l’avait jamais imaginé.
Un bêlement les fit sursauter.
Sans savoir pourquoi, le cœur de Dionysos s’emporta, il leva la
tête et vit un mouton à l’entrée de la grotte, ses pupilles allongées
rivées sur eux.
Ariadne gloussa.
— Va-t’en ! dit Dionysos en jetant une petite pierre vers la bête.
Le mouton bêla de nouveau.
— Ne lui fais pas mal ! dit Ariadne en poussant Dionysos pour
s’asseoir.
Il avait envie de grogner, conscient qu’ils ne reprendraient pas là
où ils s’étaient arrêtés.
— Il a de la chance que ce ne soit qu’un caillou, dit Dionysos.
C’était la deuxième fois qu’un putain de mouton cassait son coup.
Il détestait cette île.
Il retomba sur le dos, les yeux rivés sur le plafond de la grotte.
Ariadne s’approcha lentement de l’animal. Celui-ci avait de la chance
qu’Ariadne soit gentille, parce que si Dionysos l’avait atteint en
premier, il l’aurait jeté à l’autre bout de l’île comme le cyclope l’avait
fait hier.
Pendant qu’il tentait de réprimer sa frustration, la grotte qui
baignait dans la lumière du matin s’assombrit brusquement. Il tourna
la tête à temps pour voir un gros œil bloquer l’entrée, puis une main
géante plongea dans la falaise.
— Ariadne ! cria Dionysos, et elle se mit à hurler en même temps,
emprisonnée dans la main du cyclope.
Quand la créature retira sa main, des morceaux de la grotte se
brisèrent et le sol trembla sous les pieds de Dionysos. Il invoqua son
thyrse et évita une pierre tombant du plafond, courant vers l’entrée de
la caverne, se jetant dans les airs pour sauver Ariadne, mais le
cyclope le saisit dans son autre main. Coincé entre ses doigts,
Dionysos planta son thyrse dans sa paume et le monstre hurla avant
de le jeter.
Le dieu fendit les airs et atterrit au sol en creusant la terre, comme
si ce n’était que de la poussière. Quand il sortit enfin du cratère qu’il
avait formé avec son corps, Ariadne et le cyclope avaient disparu.
Chapitre XXXII
HADÈS
*
* *
Hadès se déshabilla et s’allongea dans le lit avec Perséphone, la
regardant dormir en repensant aux propos d’Okéanos. La nouvelle
que Déméter était derrière les attaques contre Adonis, Harmonie et
Tyché allait la dévaster.
C’était une chose que de soupçonner l’implication de sa mère,
mais c’en était une autre qu’elle soit confirmée.
Hadès se demandait parfois comment quelqu’un pouvait à ce
point détester une autre personne, mais Déméter continuait de le haïr
– tout ça parce que les Moires avaient entremêlé son destin avec
celui de Perséphone. Ce qui était pour lui un cadeau était pour
Déméter la plus grande malédiction qui soit.
Perséphone remua et le cœur d’Hadès se mit à battre plus fort
quand elle se tourna vers lui. Il avait conscience d’avoir trop pris ces
moments pour acquis et se jura de ne plus jamais le faire. Une part
de lui était en colère de ne pas pouvoir vivre tranquillement, en
sachant qu’elle serait pour toujours à ses côtés.
— Tu es réveillée, dit-il d’une voix douce.
Elle lui sourit, comme si cela l’amusait.
— Oui. Tu as dormi ?
— Ça fait un moment que je suis réveillé, répondit-il alors qu’il
n’avait pas fermé l’œil.
Il tendit la main et caressa ses lèvres du bout des doigts.
— Te regarder dormir est une bénédiction, dit-il.
Elle se rapprocha et il la prit dans ses bras, elle posa sa tête sur
son torse.
— Est-ce que Tyché a traversé le Styx ? demanda-t-elle.
— Oui. Hécate l’a accueillie. Elles sont très bonnes amies.
Ils restèrent silencieux un moment, confortables dans leur chaleur
respective. Il aurait aimé rester comme ça pour toujours, coincé sous
le poids de Perséphone, mais il savait qu’ils manquaient de temps.
Les attaques contre le Divin s’aggravaient, et Perséphone n’arrivait
toujours pas à contrôler son pouvoir. Il repensa à ce qu’Hécate lui
avait dit après la catastrophe du club. Elle s’en serait très bien sortie
si elle l’avait canalisé correctement.
— J’aimerais m’entraîner avec toi, aujourd’hui, dit Hadès.
— Ça me plairait.
— J’en doute, dit-il en fronçant les sourcils, dubitatif.
Il n’avait pas l’intention de rendre ça amusant. Quand elle
l’affronterait, ils seraient comme des ennemis sur un champ de
bataille.
Elle ne le reconnaîtrait pas.
Perséphone leva la tête pour le regarder.
— Pourquoi tu dis ça ?
Il l’étudia un moment avant de s’attarder sur sa bouche.
— Souviens-toi seulement que je t’aime.
Elle s’installa à cheval sur lui et s’assit sur sa verge jusqu’à l’avoir
entièrement avalée. Aucun mot ne fut échangé tandis qu’ils
bougeaient ensemble et il n’y eut aucun bruit en dehors de leurs
souffles rapides. Il se perdit en elle, conscient que quand il
ressortirait, les choses ne seraient peut-être plus les mêmes.
*
* *
Le regard de Perséphone effleurait toutes les parties de son corps
et Hadès le sentit le transpercer jusqu’à son âme. Cela rendrait
l’entraînement plus difficile pour elle, et encore pire pour lui. Il voyait
déjà l’incertitude dans son regard. Elle ne savait comment réagir face
à sa froideur. Il ne s’était jamais montré indifférent avec elle, mais ils
avaient pénétré un espace où enseigner Perséphone impliquait de lui
montrer un pouvoir plus dur – la terrible vérité au sujet des dieux.
Perséphone avait peur de blesser les mortels.
Elle ne pouvait pas avoir peur de blesser le Divin.
— Je refuse de te regarder saigner à nouveau, dit-il.
C’était un serment qu’il lui prêtait, et une promesse qu’il se faisait
à lui-même.
— Apprends-moi.
Elle pensait savoir ce qu’elle lui demandait, tout comme elle l’avait
cru le soir où ils s’étaient rencontrés dans son club.
« Je ne t’ai pas encore appris à jouer, avait-il dit.
— Alors apprends-moi », avait-elle répondu.
Ces mots avaient scellé leur sort.
Ils étaient responsables de tous les hauts et de tous les bas qu’il
avait connus dans sa vie.
Mais même Hadès n’avait pas cru qu’ils le mèneraient à ce
moment, où il se tenait face à sa maîtresse, sa future femme et reine,
avec l’intention de devenir son ennemi.
Il détestait ça, cela lui semblait mal et donnait une noirceur à sa
magie qu’il n’aurait pas utilisée, en temps normal. Mais il fallait que
Perséphone en fasse l’expérience.
Quoi qu’elle vît sur son visage, elle fronça les sourcils.
— Tu m’aimes, chuchota-t-elle, et Hadès ne sut si elle lui posait la
question ou tâchait de se le rappeler.
— Oui, promit-il.
Le poids de sa culpabilité rivalisait avec celui de sa magie.
Elle rendait l’atmosphère pesante et réduisait les Enfers au
silence.
Perséphone regarda autour d’elle d’un air inquiet et son angoisse
réveilla sa propre magie. Pourtant, ce n’était pas suffisant, et il
regretta qu’elle n’ait pas dressé une meilleure barrière contre les
spectres qu’il avait invoqués.
Ces derniers se nourrissaient des ombres et étaient affamés
d’âmes. Ils chassaient tout ce qui en possédait une – même les
déesses. Ils se précipitèrent sur Perséphone, presque imperceptibles
jusqu’à ce qu’ils la frappent, lui coupant le souffle. Hadès souffrit de la
voir encaisser le coup et de voir son corps bouger de façon
surnaturelle alors que les spectres la traversaient. Elle tomba à terre,
cherchant désespérément à reprendre son souffle.
— Les spectres sont la mort et la magie de l’ombre, dit Hadès. Ils
essaient de voler ton âme.
Perséphone leva les yeux vers lui.
— Est-ce que… tu essaies de me tuer ?
Il rit d’un ton lugubre. Une part de lui n’en revenait pas de faire ça
et qu’elle le lui ait demandé.
— Les spectres ne peuvent s’emparer de ton âme que si ton fil a
été coupé, mais ils peuvent te rendre très malade.
Perséphone se leva lentement.
— Si tu affrontais n’importe quel Olympien, n’importe quel
ennemi, il ne t’aurait jamais laissée te relever.
— Comment puis-je me battre sans savoir quel pouvoir tu vas
utiliser contre moi ?
— Tu ne le sauras jamais, dit-il.
C’était ainsi qu’ils devraient affronter les demi-dieux. À l’aveugle.
Le but était d’être prêt à tout.
La main d’un cadavre jaillit du sol à ses pieds. Perséphone hurla
quand elle saisit sa cheville, la tirant par terre, la traînant dans son
abîme, déterminé à l’enterrer vivante.
— Hadès !
Il détesta sa façon de crier et encore plus qu’elle l’appelle à l’aide.
Il détesta la voir planter ses ongles dans le sol pour tenter d’échapper
à sa magie.
Mais il était également frustré.
Elle comptait sur lui parce qu’il était présent, alors qu’elle devait
compter sur elle-même. Elle était intelligente et capable d’agir. Un
immense pouvoir faisait rage en elle, capable de retourner sa propre
magie contre lui, mais elle continuait de se comporter comme une
mortelle prise dans une toile d’araignée.
Elle fit enfin quelque chose.
Elle roula sur le dos et tenta de se dégager, mais la magie
d’Hadès était défensive et dès qu’elle toucha la main, des lames en
jaillirent. Perséphone hurla et Hadès sentit sa colère augmenter.
Oui, chérie, c’est ça.
Sa magie surgit et une épine sortit de sa peau. Elle la planta sur la
main noire, qui la lâcha. Mais si elle s’était libérée d’un défi, il lui en
renvoya un autre, et un nouveau spectre se rua sur elle.
Elle se cambra quand il la traversa et Hadès eut l’impression que
ses cris lui dérobaient son âme, morceau par morceau.
Hadès ravala la bile qui remontait dans sa gorge, il la rejoignit,
elle cherchait à reprendre son souffle.
— C’est mieux, dit-il, mais tu m’as tourné le dos.
Il était penché sur elle, mourant d’envie de la prendre dans ses
bras, de lui dire qu’il la protégerait de tout ça. Mais en vérité, il ne le
pouvait pas. Il l’avait déjà prouvé, donc elle devait apprendre.
Les mains de Perséphone tremblaient, elle serrait les poings. Il
disparut, alors que sa magie surgissait et que des ronces sortaient de
terre tout autour d’elle. Elle essayait de se défendre, mais elle avait
échoué.
Elle se mit à quatre pattes et le fusilla du regard, les joues striées
de larmes.
— Ta main a trahi tes intentions. Invoque ta magie avec ton esprit,
sans bouger.
— Je croyais que tu avais dit que tu allais m’apprendre, siffla-t-
elle, et Hadès eut l’impression qu’elle lui disait « je croyais que tu
m’aimais ».
Hadès inspira difficilement.
— C’est ce que je fais. C’est ce qui t’arrivera si tu affrontes un
dieu au combat. Tu dois être prête à tout.
Elle avait l’air misérable et il se sentit responsable.
— Debout, Perséphone. Aucun autre dieu n’aurait attendu.
Elle plongea les yeux dans les siens, et son regard était différent,
cette fois. Différent, même, de la nuit où elle avait failli détruire son
royaume. Ce regard-là avait révélé la douleur d’avoir été trahie.
Celui-ci révélait sa rage.
Quand elle se leva, le sol se mit à trembler et la terre explosa.
Hadès envoya ses spectres et il regarda, à la fois choqué et
impressionné qu’ils se plient à la volonté de Perséphone et
remontent le long de son bras pour pénétrer sa peau.
Elle frémit quelques secondes, puis elle ouvrit la main, révélant
ses doigts couronnés de lames noires.
— Bien, dit-il.
Elle le regarda dans les yeux et lui sourit, mais ce ne fut que de
courte durée, car elle se retrouva à genoux. Sa tête tomba en arrière
et elle se mit à convulser pendant qu’Hadès la nourrissait d’illusions
qu’il avait façonnées en s’inspirant de ses plus grandes peurs.
C’était une véritable torture.
Il le savait, mais c’était une arme de guerre, et il n’était pas le seul
à en être doté. Elle devait apprendre à percevoir la différence, mais il
sut en voyant ses peurs se matérialiser qu’elle avait déjà perdu, elle
pensait que c’était vrai.
Peut-être qu’il n’aurait pas dû commencer avec Déméter, dont
l’expression dure et froide inspirait la peur même chez Hadès.
— Mère… sanglota Perséphone.
— Coré, dit Déméter, prononçant comme une malédiction ce
prénom que Perséphone détestait tant.
Elle essaya de se lever, mais Déméter la maintenait au sol.
— Je savais que ce jour viendrait. Tu seras mienne. Pour
toujours.
— Mais les Moires…
— Ont changé ton destin, déclara la déesse de la Moisson.
L’estomac d’Hadès se noua, c’était l’une de ses plus grandes
peurs, à lui aussi.
Déméter se téléporta avec Perséphone, ce qui ne fit que rendre
l’illusion plus réelle encore, car l’odeur de sa magie envahit les sens
de Perséphone. Hadès l’observa quand elle se retrouva dans
l’orangerie, sa première prison.
Elle se débattit à l’intérieur, frappant les murs de verre en hurlant,
déversant toute sa haine sur sa mère, qui se contentait de la regarder
d’un air moqueur.
Elle redevint silencieuse quand tout devint noir et qu’elle fut
forcée de voir les vies de ses amies défiler durant son absence. La
pire des visions fut quand elle vit Leucé reprendre sa place d’amante.
La mine horrifiée de Perséphone était insupportable à voir. Elle serra
les poings et sa poitrine se souleva, ses yeux se remplirent de
larmes, et elle hurla.
Elle hurla si fort qu’elle en tremblait.
— Perséphone, dit-il, mais sa réalité avait déjà changé et quand
Hadès la découvrit, un goût métallique remplit sa gorge.
Ils se trouvaient sur un champ de bataille et il était allongé aux
pieds de Perséphone, déchiré par sa magie.
Cela lui rappela la vision de Katerina, une vision qui deviendrait
vraie si l’Ophiotauros était tué.
— Hadès, dit-elle d’une voix tremblante.
Elle tomba à genoux à ses côtés, comme si elle avait été frappée.
— Je croyais… je ne croyais plus jamais te revoir, chuchota
Hadès en levant sa main tremblante vers son visage.
Elle pressa sa paume contre sa joue.
— Je suis là, murmura-t-elle en fermant les yeux pour savourer sa
caresse, jusqu’à ce que sa main retombe.
— Hadès !
— Hmmm ?
— Reste avec moi, supplia-t-elle en pleurant et en prenant son
visage dans ses mains.
— Je ne peux pas, dit-il.
— Comment ça ? Tu peux te guérir. Guéris-toi !
— Perséphone, chuchota-t-il. C’est fini.
— Non, répondit-elle en secouant la tête.
— Perséphone, regarde-moi, dit-il, tu étais mon seul amour, mon
cœur et mon âme. Mon monde a commencé et fini avec toi, mon
soleil, mes étoiles, mon ciel. Je ne t’oublierai jamais, mais je te
pardonne.
— Tu me pardonnes ?
C’est alors qu’elle comprit ce qu’Hadès savait déjà, qu’elle s’était
battue contre lui et qu’elle avait détruit les Enfers. Elle l’avait détruit,
lui.
Était-ce pour cette raison qu’elle refusait d’exploiter sa magie ?
Parce qu’elle en craignait le potentiel ? Elle craignait cette réalité ?
Hadès se devait d’être honnête, il le craignait aussi, et cela ne fit
qu’empirer quand Perséphone tenta de défaire sa magie en suppliant
Hadès de rester.
— Non, s’il te plaît, Hadès. Je ne voulais pas…
— Je sais, dit-il lentement. Je t’aime.
— Ne fais pas ça, supplia-t-elle. Tu avais dit que tu ne me
quitterais jamais. Tu avais promis.
Les cris de Perséphone lui transpercèrent les tympans alors que
ses visions prenaient fin et que tout devenait noir. Son corps se raidit,
et elle tomba au sol.
Hadès courut pour la rattraper et il la tint contre lui. Elle reprit
bientôt connaissance et cligna des yeux. Ils se remplirent de larmes.
— Tu t’en es bien sortie, dit-il.
Elle couvrit sa bouche, puis ses yeux, et fondit en larmes,
tremblant dans ses bras.
— Tout va bien, dit-il. Je suis là.
Mais Perséphone sanglotait de plus belle. Il détesta ne pas
pouvoir la calmer, et il s’en voulut encore plus quand elle recula pour
prendre ses distances.
— Perséphone…
— C’était cruel, dit-elle. Quoi que tu aies fait, c’était cruel.
— C’était nécessaire, dit Hadès. Tu dois apprendre…
— Tu aurais pu me prévenir. Est-ce que tu sais ce que j’ai vu ?
Elle se comportait comme si cela avait été facile à voir pour
Hadès.
— Et si les rôles avaient été inversés ?
— Mais ils ont été inversés, rétorqua-t-il.
Et cela avait été la réalité, pour lui.
Elle pâlit soudain et eut l’air horrifiée.
— Alors tu as voulu me punir, c’est ça ?
— Perséphone…
Ça n’était pas son intention. Putain. Il tendit la main, mais elle fit
un pas en arrière.
— Non ! gronda-t-elle en levant les mains. J’ai besoin de temps.
Seule.
— Je ne veux pas que tu partes, dit-il.
— Je ne crois pas que tu aies le choix, répondit-elle.
Elle prit une grande inspiration tremblante, comme si elle
rassemblait son courage pour partir, et quand elle eut disparu, Hadès
poussa un grognement guttural.
Chapitre XXXIII
DIONYSOS
*
* *
Un cri étranglé le réveilla.
Il roula sur le dos, invoquant son thyrse, mais il se retrouva nez à
nez avec un mouton.
— Tu viens d’où, toi ? aboya-t-il.
Le mouton bêla bruyamment et Dionysos grimaça.
Il avait mal à la tête et le soleil aggravait sa migraine. Il plissa les
yeux et regarda autour de lui. L’île du cyclope était vaste et boisée,
parsemée de hautes montagnes.
Si le cyclope s’y trouvait, Dionysos n’avait aucun moyen de le
savoir.
— Bèèèè !
Le cri du mouton le fit sursauter.
— Dieux, tu veux bien arrêter de faire ça ?!
Il fusilla le mouton du regard, mais celui-ci continuait de lui bêler
dessus.
— Qu’est-ce que tu veux ? aboya Dionysos en se levant.
L’animal recula, puis commença à se tourner en bêlant.
— Je ne vais pas te suivre, dit Dionysos.
Le mouton parut lui lancer un regard assassin, ce qui mit le dieu
mal à l’aise. Il lui rappelait le regard frustré d’Ariadne.
Merde. A-t-elle été changée en mouton ?
Et si ce mouton était Ariadne ?
Bon sang, tu n’es qu’un imbécile, se dit-il.
Pourtant, il se surprit à avancer vers le mouton, qui bêla à
nouveau avant de se diriger vers la forêt.
Dionysos le suivit, se sentant ridicule, mais en espérant
néanmoins que la bête le mènerait à d’autres et, enfin, au cyclope.
La végétation était dense et variée et le sol était couvert de lianes
dans lesquelles il se prenait les pieds. Après avoir trébuché une fois,
il perdit patience et utilisa sa magie pour se dégager un chemin
derrière le mouton. Ils arrivèrent bientôt à une rivière tranquille, que
l’animal longea pour remonter vers la partie montagneuse de l’île.
Au bout d’un moment, le mouton se retourna vers lui.
— Bèèè ! hurla-t-il.
Dieux, il détestait ce bruit. L’animal levait la tête vers une grotte où
d’autres bêtes étaient rassemblées.
Son cœur se mit à battre la chamade. Ce devait être le repaire du
cyclope.
Dionysos traversa la rivière et escalada la pente jusqu’à la
caverne où les animaux étaient parqués. Le sol était couvert d’os et
son estomac se souleva. Il se retint d’appeler Ariadne, ne sachant
pas ce qu’il trouverait dans la grotte. Elle paraissait plutôt bien
éclairée, car une partie du plafond s’était affaissée, permettant aux
rayons du soleil d’y pénétrer. L’entrée donnait sur une pente douce
au pied de laquelle se trouvait un lac vert.
Les moutons y étaient rassemblés et leurs bêlements résonnaient
dans la caverne, faisant grimacer Dionysos, même s’il espérait que
cela suffirait à étouffer le bruit de ses pas alors qu’il pénétrait dans les
parties plus sombres du gouffre, à la recherche d’une trace
d’Ariadne.
Soudain, il vit une main blanche dans la pénombre.
— Ari ! s’écria-t-il, ne pouvant s’en empêcher.
Il courut vers elle et il était à deux doigts de toucher sa main
quand elle disparut.
Dionysos écarquilla les yeux et leva la tête sur deux pupilles
cerclées de rouge.
— C’est quoi ce bordel ? dit-il en invoquant son thyrse.
L’arme parut énerver la créature tapie dans l’ombre, car ses yeux
scintillèrent et elle poussa un cri en fonçant sur lui.
Dionysos était nez à nez avec l’Ophiotauros. Son dos était voûté,
sa tête vers l’avant, et ses sabots frappaient le sol.
Il prit de l’élan et fonça à nouveau, s’avançant un peu plus dans la
lumière. Dionysos vit alors le reste de son corps, qui passait de celui
d’un taureau à celui d’un serpent, dont la queue était enroulée de
manière protectrice autour d’Ariadne, qui était inconsciente.
— Ari, répéta Dionysos en avançant vers elle, mais l’Ophiotauros
rugit et il se figea. Tout doux, dit le dieu en levant les mains. Je suis
venu la sauver.
La créature le dévisagea, immobile.
— Tu la protégeais ?
La bête souffla plusieurs fois et Dionysos en profita pour avancer
avec précaution.
Il ne quitta pas la créature des yeux jusqu’à ce qu’il puisse
s’agenouiller à côté d’Ariadne. Il voulait la prendre dans ses bras et
s’assurer qu’elle allait bien, mais il savait que s’il s’en allait trop vite,
la bête réagirait.
Au lieu de ça, il caressa son visage et marmonna son prénom, et
elle ouvrit les yeux.
Elle parut d’abord confuse, puis elle le reconnut et eut l’air
profondément soulagée. Elle lui sourit. Cet instant ne dura pas, car
l’Ophiotauros émit un meuglement sourd quand une ombre passa sur
eux.
Quelque chose n’allait pas.
Dionysos se figea, puis se tourna juste à temps pour voir la main
du cyclope foncer sur lui.
— Étranger, dit-il d’une voix tonitruante qui irrita les oreilles de
Dionysos.
La main du cyclope se referma sur lui, lui coupant le souffle. Il le
porta devant son œil plissé.
— Tu es venu voler mes moutons ?
— Non, dit Dionysos en se débattant.
Ses mains étaient coincées le long de son corps, de sorte qu’il ne
pouvait invoquer son thyrse. Même s’il l’avait pu, il n’avait pas la
place de s’en servir.
— Je ne suis pas venu pour tes moutons, dit-il.
— Alors tu es venu me tuer, gronda le cyclope d’un ton furieux.
— Ce sont tes seuls visiteurs ? demanda Dionysos. Ceux qui
veulent voler tes moutons et ceux qui veulent te tuer ?
— Visiteurs ? demanda le cyclope. Je ne connais pas ce mot. Je
connais voleur. Je connais assassin.
— Alors permets-moi de t’en apprendre un autre, dit Dionysos.
— Je connais aussi farce, dit le cyclope. C’en est une ?
— Non. Mais si ça peut te faire plaisir, je peux t’offrir quelque
chose pour te montrer ma bonne foi.
— Quel genre d’offrande, étranger ?
— Mon tout meilleur vin.
— Je ne connais pas vin, dit le cyclope.
— Eh bien, ça change aujourd’hui, dit le dieu. Pose-moi et je
partagerai ma boisson avec toi.
— Pas de farce ? demande le cyclope, sur ses gardes, mais
curieux.
— Aucune, promit Dionysos.
Le cyclope le dévisagea quelques instants – assez longtemps
pour que Dionysos se dise qu’il allait peut-être choisir de le broyer –,
mais il finit par le reposer.
Dionysos en profita pour regarder Ariadne et l’Ophiotauros, mais
il ne pouvait pas les voir, car ils étaient tapis dans l’ombre de la
grotte.
Il avança avec précaution vers le lac.
— Est-ce que tu bois cette eau ?
— Je bois, je nettoie, je lave.
Dionysos s’efforça de ne pas avoir l’air dégoûté en invoquant sa
magie et en changeant l’eau en vin rouge.
Il se tourna vers le cyclope.
— Bois, mon ami.
Le cyclope l’étudia d’un air suspicieux, mais il finit par former un
bol avec sa main et la plonger dans l’eau pour la remplir de vin. Il
porta sa main à sa bouche et s’arrêta un instant, découvrant le goût
sur sa langue.
— C’est bon, ronronna-t-il avant d’enfouir toute sa tête dans le
vin, vidant le lac.
Le cyclope s’assit au milieu de ses moutons, et Dionysos attendit
que le vin fasse son effet.
— Quel est ton nom, étranger ?
— Oh, je suis personne, dit Dionysos, préférant ne pas révéler
son nom, même s’il était un dieu.
— Personne ? dit le cyclope. Je suis Polyphème.
— Enchanté.
— Comment es-tu arrivé sur mon île ?
— Je me suis échoué ici, dit Dionysos. Je crains de ne pas savoir
où je suis.
— On est sur Thrinacie. Il faut que tu le saches si tu veux revenir
un jour.
Dionysos lui sourit. Au moins il savait à peu près où ils étaient.
— Tu veux plus de vin ? demanda Dionysos.
— Mais il n’y a plus d’eau à changer en vin, dit Polyphème.
— Je n’ai pas besoin d’eau pour faire du vin, dit Dionysos.
Soudain, le lac fut rempli, et Polyphème le vida à nouveau.
Cette fois, Dionysos le resservit sans demander.
— C’est une sacrée farce, dit Polyphème en clignant lentement
des yeux et en vacillant.
— Je suppose qu’on peut appeler ça une farce, oui.
— Je crois… je crois que j’ai été empoisonné, bafouilla le cyclope.
Il pencha dangereusement sur le côté, puis s’étala sur le sol,
inconscient.
Dès qu’il fut à terre, Dionysos se leva d’un bond et Ariadne sortit
de l’ombre en courant, elle se jeta dans ses bras.
— Dionysos, chuchota-t-elle.
Son nom ne lui avait jamais paru aussi doux.
Il l’embrassa et prit son visage dans ses mains.
— Est-ce que tu vas bien ?
— Oui, dit-elle en le regardant dans les yeux. Tu es venu me
chercher.
— Bien sûr.
L’Ophiotauros souffla, attirant leur attention, et Ariadne prit la
main de Dionysos pour se rapprocher de la créature.
— Je te présente Bully, dit-elle. C’est un ami.
— Bully ? répéta Dionysos.
Un ami ?
— Tu as baptisé l’Ophiotauros ?
— Il fallait bien que je lui donne un nom, il m’a protégée.
Dionysos sourit en secouant la tête.
— Putain, Ari. Je ne savais pas quoi penser. Je…
— Tout va bien, Dionysos, dit-elle en le regardant dans les yeux,
et il l’embrassa encore une fois.
Il était trop soulagé pour se poser des questions, trop
reconnaissant qu’elle aille bien pour se sentir mal à l’aise ou pour
hésiter.
— Trop chou, dit une voix, et l’Ophiotauros rugit.
Ils se tournèrent et se trouvèrent face à Thésée et à deux
hommes qui avaient immobilisé l’Ophiotauros. Bully était plaqué sur
le dos et son ventre lisse était exposé.
Ariadne n’eut même pas le temps de hurler avant que Thésée ne
plonge son couteau dans le ventre de la bête et le fende.
— Non ! cria Ariadne en se débattant dans les bras de Dionysos,
qui refusait de la lâcher.
Le cri de l’Ophiotauros se changea en un faible gémissement,
puis il ne fit plus aucun bruit.
— Va te faire foutre ! cracha Ariadne en sanglotant.
Dionysos la serra contre lui, les bras croisés sur sa poitrine.
— Alors ça, je ne m’y attendais pas, dit Thésée. Tu t’es attachée à
un autre monstre que Dionysos.
— C’est toi, le monstre ! siffla-t-elle.
Thésée posa sa main sur son cœur.
— Oh, comme tu me blesses, Ariadne, après tous les soins que je
prodigue à ta sœur.
— Ne le laisse pas te provoquer, Ari.
— Ah, c’est Ari, maintenant ? demanda Thésée en rivant son
regard sur Dionysos. Tu t’es mis à l’appeler comme ça avant ou
après que vous avez baisé ?
Dionysos le fusilla du regard. Il ne savait pas si le demi-dieu
faisait des suppositions, mais sa fixette sur Ariadne était évidente.
C’était plus que de la jalousie. C’était une obsession.
Les hommes de Thésée en finirent avec l’Ophiotauros, puis ils se
postèrent à ses côtés, les mains pleines d’intestins.
— C’est dommage, Ari, que tu ne voies pas mon potentiel alors
même que je le tiens entre mes mains.
— Tes mains à toi sont vides, dit-elle.
Dionysos gloussa, mais Thésée lui lança un regard assassin en
esquissant une moue furieuse, puis il leva la main dans laquelle il
tenait le couteau ensanglanté.
— Oh, regarde. Tu te trompes, dit-il.
Thésée apparut devant eux et voulut poignarder Ariadne, mais
Dionysos para le coup avec son bras. La lame se planta dans sa
chair, mais il invoqua son thyrse en même temps et le planta dans le
ventre du demi-dieu. Celui-ci écarquilla les yeux et Dionysos se
dégagea de lui. Thésée tituba en arrière, une main sur son ventre.
— Si tu la touches, je te tuerai, dit Dionysos.
— Va falloir faire la queue, répondit Thésée.
Il sourit, révélant ses dents couvertes de sang.
Apparemment, Thésée mettait du temps à se guérir. C’était une
faiblesse qui pouvait être fatale. Il en était clairement conscient, car il
décida de ne pas réattaquer. Au lieu de ça, ses deux hommes et lui
disparurent, emportant les intestins de l’Ophiotauros avec eux.
Une fois seuls, Dionysos lâcha Ariadne, qui se jeta à genoux
devant la créature. Elle poussa un cri atroce en tendant la main pour
la caresser, et la seule chose que Dionysos put faire fut de la tenir
dans ses bras.
— Je le déteste, dit Ariadne d’une voix tremblante.
— Je sais.
Il ne sut pas combien de temps ils restèrent là, mais il sentit la
magie d’Hermès surgir et il se redressa, sur ses gardes. Il savait que
c’était un réflexe après que le dieu de la Ruse avait hanté ses rêves
une ou deux fois. Tandis que sa magie les entourait, ils furent tirés de
la grotte et déposés sur le sol brillant du bureau d’Hadès, à
Nevernight.
— Je ne pensais pas te voir un jour agenouillé à mes pieds, dit
Hadès.
Dionysos ignora Hadès et se leva en aidant Ariadne à en faire de
même. Elle s’essuya le visage, essayant de se remettre de l’horreur
qu’ils venaient de vivre dans la grotte.
Quand Dionysos leva les yeux vers le dieu des Morts, il découvrit
un mélange de frustration et de confusion sur son visage.
— Peut-être devrais-tu t’entraîner à t’agenouiller, toi aussi, dit le
dieu de la Vigne. Il va falloir t’y faire. Thésée a tué l’Ophiotauros.
Chapitre XXXIV
HADÈS
Hadès était assis sur le canapé, les yeux rivés sur les flammes de
la cheminée. Il aurait dû réfléchir à ce qu’il allait faire maintenant que
l’Ophiotauros avait été tué, mais il ne pouvait s’empêcher de penser
à Perséphone. Ce n’était même pas la façon dont ils s’étaient quittés
qui le dérangeait mais leur avenir, qui serait sans doute inexistant
quand Zeus découvrirait tout ce qu’il lui cachait. Combien de temps
son frère mettrait-il avant d’apprendre non seulement que
l’Ophiotauros avait été tué mais qu’Hadès était responsable de sa
résurrection parce qu’il avait tué Briarée, l’un des amis et serviteurs
les plus proches du roi des dieux ?
Combien de temps avant que Zeus n’interdise son mariage avec
Perséphone, et pire encore, avant qu’il ne la marie à un autre ?
Hadès avait conscience que ses inquiétudes étaient égoïstes, et
que s’il était davantage comme Perséphone, il s’inquiéterait du sort
de l’humanité. Mais l’humanité se reconstruisait toujours, même
après les batailles les plus destructrices.
Il n’y aurait rien à reconstruire s’il la perdait, elle.
Quelqu’un frappa à la porte et il leva la tête vers Ilias.
— J’ai pensé que vous aimeriez voir la une du jour, dit-il en
tendant à Hadès un exemplaire du New Athens News, dont la une
était une terrible insulte :
ENTRETIEN AVEC THÉSÉE, LE DEMI-DIEU À LA TÊTE DE
LA TRIADE
Apparemment, Hélène avait tenu sa promesse. Hadès parcourut
l’article, et sa mâchoire se contracta peu à peu en découvrant ses
propos biaisés. Le problème était que les mortels ne verraient qu’un
homme qui était à moitié humain, quelqu’un qui pouvait combattre les
Olympiens et se battre pour les mortels.
Ils verraient leur réalité reflétée dans les paroles de Thésée.
« Pourquoi ne pas laisser les dieux parler d’eux-mêmes ? Je
savais qu’il ne faudrait pas longtemps pour qu’un dieu, ou plusieurs,
déversent leur colère sur le monde. »
Peut-être était-ce pour ça que la situation était aussi
exaspérante : il n’avait pas complètement tort.
Si quelque chose allait retourner les mortels contre les dieux, ce
serait leurs propres actions, et pour l’instant, la plus grande menace
était la tempête de Déméter.
— Son timing est parfait, dit Hadès en jetant le journal dans les
flammes.
— Je suppose qu’il doit se sentir sacrément puissant, à l’heure où
on parle, acquiesça Ilias.
Hadès supposait que c’était le cas, en effet. Que pouvaient-ils
faire pour lui rappeler combien il était insignifiant ? Au bout d’un
moment, il se leva et se tourna vers le satyre. En temps normal, il lui
donnait une marche à suivre ou un ordre, mais étant donné les
circonstances, il ne savait pas quoi faire.
Il avait réellement l’impression de n’avoir aucun contrôle sur rien.
*
* *
Hadès se manifesta dans la clairière d’Hécate. Il n’y était que
depuis une fraction de seconde quand il sentit la magie de la déesse
déferler sur lui. Elle le prit par surprise et il parvint à se téléporter
avant que le coup ne l’atteigne, mais elle avait un coup d’avance et
dès qu’il apparut, son pouvoir le percuta en plein torse.
La force de l’attaque le projeta en arrière et il sentit le sol céder
sous ses pieds quand il planta les talons dans la terre pour éviter de
heurter les parois montagneuses des Enfers.
Il sentit Hécate approcher. Il ne la voyait pas, mais sa magie
crépitait dans l’air et hérissait les poils de ses bras.
— Je ne sais pas ce que j’ai fait, grogna Hadès, mais tu pourrais
essayer de me parler avant de m’attaquer.
— Peut-être aurais-tu pu faire la même chose avant d’infliger une
telle torture à Perséphone.
Sa voix résonnait de tous les côtés, comme si des centaines
d’Hécate l’entouraient.
— Je sais, admit-il. Je suis un imbécile.
— Tu es plus que ça, répondit-elle en apparaissant devant lui, les
bras croisés.
— Tu as fini ?
— Peut-être, dit-elle d’un ton hésitant.
Hadès la fusilla du regard.
— Je sais, et je m’en voulais avant de venir te voir. Maintenant, je
me sens encore pire.
— Tant mieux. À quoi pensais-tu ? demanda-t-elle.
— Comment ça, à quoi je pensais ? Je l’entraînais ! Et ne critique
pas ma méthode. C’est toi qui l’as poignardée juste pour lui
apprendre à se guérir.
— Je la préparais, répondit la déesse. Était-ce gentil ? Non. Mais
tu as peut-être défait tous nos progrès !
— Quels progrès ? siffla-t-il. Elle a failli se déchiqueter elle-
même !
— Elle a peur de détruire le monde entier avec sa magie, et tu as
fait de cette peur une réalité.
Hadès détourna les yeux.
— Je ne sais pas quoi faire d’autre, Hécate. On s’apprête à
traverser une époque lugubre, et elle n’apprend pas assez vite.
— Tu ne peux pas forcer ses progrès juste parce que tu as peur,
Hadès.
Il grinça des dents.
— Le mieux que tu puisses faire pour elle est de lui offrir un
espace de sécurité. C’est auprès de toi qu’elle guérit de ses
traumatismes.
— Tu crois que c’est encore vrai ?
— Oui, dit Hécate. Alors va t’excuser auprès de ta reine.
*
* *
Hadès avait promis de ne jamais utiliser son pouvoir d’invisibilité
pour espionner Perséphone, et il n’avait pas prévu de se cacher,
mais Ivy l’avait prévenu qu’elle n’était pas de bonne humeur et qu’elle
avait jeté sa tablette contre le mur. Et maintenant, Leucé était là,
parlant de tout et de rien.
Dieux, il était tellement frustré.
La nymphe partit enfin et il en profita avant que quelqu’un d’autre
ne les interrompe.
Mais quand il se retrouva face à elle, il en perdit les mots. Sa
bouche était sèche et il ne savait pas quoi dire.
Peut-être était-ce à cause de sa façon de le regarder, d’un air
hésitant et hanté, ou peut-être était-ce à cause de l’atmosphère
gênante et tendue.
— Tu as besoin de quelque chose ? demanda-t-elle.
Besoin ? Comme s’il était venu lui demander un verre d’eau. Il
tendit le bras derrière lui et ferma la porte à clé.
— Il faut qu’on parle.
Perséphone le dévisagea un moment, puis elle croisa les bras.
— Alors parle !
Il la regarda dans les yeux en s’approchant d’elle. Il s’agenouilla
devant elle.
— Je suis désolé, dit-il en la regardant dans les yeux. J’ai été trop
loin.
Elle sembla avoir du mal à supporter ses excuses, car elle baissa
les yeux, regardant ses doigts qu’elle triturait nerveusement.
— Tu ne m’as jamais dit que tu avais le pouvoir d’invoquer les
peurs.
— Y a-t-il eu une occasion d’en parler ?
Perséphone ne répondit rien, mais Hadès avait l’impression que
d’une certaine manière il lui avait fait défaut. Ce n’était pas la
première fois qu’elle lui demandait de s’ouvrir davantage à elle, mais
il lui semblait que certaines choses se révélaient d’elles-mêmes, avec
le temps.
— Si tu m’y autorises, j’aimerais t’entraîner différemment, dit-il. Je
laisserai la magie à Hécate et je m’occuperai plutôt de t’aider à
étudier les pouvoirs des autres dieux.
Il commencerait par lui-même, même si ça le mettait mal à l’aise
d’y penser, ça lui semblait être le meilleur moyen de se faire
pardonner, puisqu’il avait utilisé contre elle des pouvoirs qu’elle ne
connaissait pas.
— Tu ferais ça ?
— Je ferais n’importe quoi pour te protéger, dit-il. Et comme tu
n’es pas d’accord pour rester enfermée aux Enfers, c’est la seule
solution.
Elle lui sourit timidement, et Hadès en voulut davantage.
— Je suis désolée d’être partie, dit-elle.
— Je ne t’en veux pas, répondit-il, même si ça ne lui avait pas plu.
J’ai plus ou moins fait la même chose en t’emmenant à Lampri.
Parfois, il est difficile d’exister dans le lieu où on a vécu une chose
horrible.
Elle baissa les yeux et se lécha les lèvres.
— Tu es en colère contre moi ? chuchota Hadès en se
rapprochant.
— Non, répondit-elle en cherchant son regard. Je sais ce que tu
cherchais à faire.
— J’aimerais te dire que je te protégerai de tout et de tout le
monde. Et je le ferai. Je te garderais en sécurité entre les murs de
mon royaume si je le pouvais, mais je sais que tu souhaites te
protéger toi-même.
— Merci.
Cette fois, c’est Hadès qui sourit. Il avait envie de l’embrasser,
mais elle ne se rapprocha pas de lui et son regard se posa sur son
bureau.
— Je suppose que tu l’as lu, dit-elle.
— Ilias me l’a donné ce matin. Thésée joue avec le feu, et il le
sait.
— Tu crois que Zeus va réagir ?
— Je ne sais pas, dit Hadès en fronçant les sourcils.
Une part de lui espérait qu’il ne ferait rien, étant donné que
Thésée avait tué l’Ophiotauros.
— Je ne crois pas que mon frère perçoive la Triade comme une
menace. En revanche, il voit bien que le fait que ta mère soit
associée avec eux est dangereux, et c’est pour ça qu’il se concentre
sur elle.
— Qu’est-ce qui lui arrivera si Zeus la trouve ?
— Si elle cesse d’attaquer le royaume des vivants… rien, sans
doute.
— Tu veux dire qu’elle va s’en tirer après le meurtre de Tyché ?
Étant donné que Zeus semblait croire en la survie des plus forts, il
pensait sans doute que Tyché n’avait simplement pas été assez
puissante.
— Elle doit être punie, Hadès.
— Elle le sera. Un jour.
— Je ne parle pas seulement du Tartare, Hadès, insista-t-elle.
— Elle le sera en temps voulu, Perséphone, dit-il en posant ses
mains sur les siennes. Personne parmi les dieux, et certainement pas
moi, ne t’empêchera de te venger.
C’était une promesse qu’il comptait tenir.
Ils se regardèrent un moment, puis Hadès se leva.
— Viens, dit-il en entrelaçant leurs doigts pour l’aider à se lever.
Elle hésita un instant.
— On va où ?
— Je voulais juste t’embrasser, dit-il en s’emparant de sa bouche.
Il se sentit profondément soulagé de la tenir à nouveau dans ses
bras.
Il invoqua sa magie et les téléporta à l’endroit où l’Alcyon était en
construction. Elle avait vu des maquettes et des plans du futur centre
de désintoxication, mais elle ne s’y était jamais rendue.
Le projet avait beaucoup avancé malgré la neige, et il l’entendit
retenir son souffle en le découvrant.
— Oh !
— Je ne voulais pas attendre le printemps pour te le montrer, dit
Hadès. Tu vas adorer les jardins.
Ce n’étaient encore que des dessins, mais ils allaient être
immenses et élaborés.
— Je l’adorerai tout entier. Je l’adore déjà, dit-elle avant de le
regarder. Je t’aime.
Il lui sourit et l’embrassa encore une fois, puis il l’emmena à
l’intérieur. Il était plus facile de visualiser le résultat final, car la plupart
des murs étaient construits, même s’il restait encore beaucoup de
travail.
Il lui fit visiter chaque partie du centre.
— Mon but est que cela ressemble moins à un hôpital qu’à… un
lieu où les gens peuvent vraiment guérir, expliqua-t-il.
Il fronça les sourcils, car il n’était pas certain que ce soit le
meilleur moyen de décrire son objectif. Il tenait à ce que ce lieu ne
soit ni stérile ni froid quand il accueillerait des patients.
— Ce sera parfait, Hadès, dit Perséphone.
Sa confiance apaisa l’angoisse qu’il avait commencé à ressentir à
propos du projet. C’était un peu ridicule, mais il s’était
personnellement investi dans son succès, car c’était Perséphone qui
l’avait inspiré et, d’une certaine manière, si le résultat final ne collait
pas à ses attentes, il aurait l’impression d’avoir échoué.
Il commençait à s’habituer à ce sentiment, et ça ne lui plaisait pas.
Il la guida à l’étage, dont le sol en bois brut craquait sous leurs
pieds, puis il l’emmena dans une vaste pièce avec des baies vitrées
allant du sol au plafond, comme le bureau d’Hadès à la Tour
Alexandria. Le but était de lui offrir une vue sur les jardins, et en
particulier sur le jardin de Lexa. Les fenêtres donnaient aussi sur les
bois qui entouraient la propriété et sur l’horizon brumeux et lugubre
de Nouvelle Athènes.
Hadès se posta dans l’embrasure de la porte et la regarda
traverser la pièce pour observer la vue. Elle inspira lentement,
comme si elle se sentait en paix.
— À quoi sert cette pièce ?
— C’est ton bureau.
Elle se tourna vers lui.
— Le mien ? Mais je…
— J’ai un bureau dans chaque entreprise que je possède,
pourquoi il n’en serait pas de même pour toi ? dit-il en souriant. Et
même si tu ne travailles pas souvent ici, on saura l’utiliser.
Perséphone éclata de rire. Ses yeux étaient si brillants qu’ils
contrastaient avec la météo grisâtre. Elle était sublime et, l’espace
d’un instant, il se sentit infiniment reconnaissant qu’elle continue à le
regarder de cette manière, comme si elle allait l’aimer quoi qu’il
arrive. Pourtant l’avenir était sombre. D’une certaine façon, cela
paraissait idiot de prévoir tout ça alors que Thésée avait tué
l’Ophiotauros, que Zeus n’avait pas encore approuvé leur union, que
la tempête de Déméter faisait encore des ravages.
Pourtant Hadès continuait d’espérer.
Perséphone frissonna. Il n’avait pas remarqué le froid.
— On devrait rentrer, dit Hadès.
Mais elle ne bougea pas et il n’invoqua pas sa magie.
Elle se lécha les lèvres et Hadès regarda sa bouche qui
chuchotait son nom.
— Hadès.
La seconde d’après, leurs bouches fusionnaient et il la plaqua
contre le mur en construction. Il était parfaitement conscient d’être
insatiable et que son désir pour elle était sans fin. Son besoin de
sexe n’était pas normal, et il s’en servait pour tout ; pour éviter, pour
méditer, pour guérir. Perséphone n’était en rien différente de lui.
— J’ai besoin de toi, susurra-t-il.
Il caressa son dos puis ses fesses. Perséphone se démenait déjà
contre les boutons de sa chemise et il envisagea un instant de les
déshabiller tous les deux avec sa magie, mais il y avait quelque
chose d’excitant à être mis à nu par elle, et il en avait envie,
aujourd’hui.
Hadès n’eut qu’une seconde de mise en garde avant qu’il ne
perçoive une odeur de laurier, et Apollon apparut devant eux.
— Arrêtez ! aboya-t-il.
— Sors d’ici, Apollon ! rétorqua Hadès.
Il n’était pas d’humeur à être interrompu ni à ce qu’il lui enlève
Perséphone à cause de ce fichu contrat.
— Hadès, dit Perséphone d’un ton de reproche.
Elle était bien plus pudique que lui et elle n’avait jamais très envie
de continuer en public. Si Hadès était possessif, il n’avait aucune
honte. Il pourrait la prendre sans problème dans une pièce bondée,
c’était à ça que servait l’illusion.
— Impossible, Lord des Enfers, répondit Apollon. Nous sommes
attendus pour un événement.
Hadès recula la tête en soupirant.
— Comment ça, on a un événement ? demanda Perséphone.
Hadès se posait la même question.
— C’est le premier jour des Jeux Panhelléniques, dit Apollon.
Hadès avait complètement oublié. Cela dit, pour être honnête, il
avait été très occupé, et pas uniquement par des choses agréables.
— Ce n’est pas avant ce soir, rétorqua Perséphone.
— Et alors ? J’ai besoin de toi maintenant.
— Pourquoi ? demanda la déesse.
Hadès observa l’échange, regardant tour à tour les deux dieux. Il
avait l’impression d’assister à une dispute entre frère et sœur.
— Qu’est-ce que ça peut bien faire ? demanda Apollon. On a un…
— Ça suffit, gronda Hadès. Elle t’a posé une question, Apollon.
Réponds !
Apollon eut un rictus agacé et il croisa les bras, comme s’il
boudait.
— J’ai merdé. J’ai besoin de ton aide, avoua-t-il en fusillant Hadès
du regard, comme pour lui demander s’il était content.
La réponse était non.
— Tu as besoin de son aide et tu veux l’obtenir en lui donnant des
ordres ? demanda le dieu des Enfers.
— Hadès… commença Perséphone, mais sa défense ne
l’intéressait pas.
— Il exige ton attention, Perséphone. Il n’a ton amitié que grâce
au contrat que tu as avec lui, et quand tu avais besoin de lui devant
les Olympiens, il est resté silencieux.
C’était sans doute ce dernier point qui l’agaçait le plus. La seule
personne qui les avait défendus était Hermès, même après avoir subi
les conséquences de son serment brisé. Où avait été Apollon ?
— Ça suffit, Hadès, dit Perséphone. Apollon est mon ami, contrat
ou pas. Je lui parlerai moi-même de ce qui m’agace.
Il la dévisagea longuement, regrettant qu’elle ne le fasse pas
maintenant, car il aurait adoré la voir réprimander Apollon.
Il ravala sa frustration et l’embrassa en plongeant sa langue dans
sa bouche. Il tint son visage dans ses mains et quand il recula, ses
joues étaient superbement rouges.
Elle déglutit et soutint son regard, et Hadès espéra qu’elle
passerait le reste de la journée à penser à ce baiser et à ce qu’ils
n’avaient pas pu finir à cause d’Apollon.
— Je te rejoins aux Jeux plus tard, dit-il avant de se téléporter.
Chapitre XXXV
DIONYSOS
*
* *
Antoni les emmena à l’Iniquité, où ils trouvèrent Hadès installé à
une table du bar réservé aux membres. Il avait un verre de whiskey à
la main, et dans l’autre, un objet doré qui brillait, c’était une obole,
une pièce de la monnaie des morts. Ilias était assis à quelques pas et
hocha la tête dans leur direction pour les saluer.
Hadès ne leva la tête que lorsqu’ils furent assis. Il paraissait
distrait.
— J’ai besoin que vous me racontiez tout ce qui s’est passé sur
l’île.
— Tout ? demanda Ariadne.
Hadès la regarda, puis se concentra sur Dionysos.
— Quand Thésée est arrivé, précisa-t-il. Même si vous semblez
avoir vécu de sacrées aventures.
— Il n’y a rien à dire, dit Dionysos. Thésée nous a trouvés sur
Thrinacie, il a tué l’Ophiotauros et il a pris ses intestins. Je présume
qu’il les a déjà brûlés.
Thésée n’était pas du genre à hésiter. Il l’avait prouvé en ne
perdant pas de temps pour poignarder la créature.
— Que se passera-t-il quand il les brûlera ? demanda Ariadne.
Dionysos et Hadès se regardèrent.
— On ne sait pas exactement, dit Hadès. C’est le problème,
justement.
— Que dit la prophétie ? demanda Dionysos.
La dernière chose dont il se souvenait, c’était qu’Hadès allait
vérifier si la créature s’était bien réincarnée avec une prophétie.
— Si une personne tue la créature et brûle ses entrailles, alors la
victoire est assurée contre les dieux, déclara Hadès, comme s’il
cherchait à déduire le sens des mots en même temps qu’il les
prononçait.
— C’est une terrible prophétie, dit Dionysos.
— Je préférais la version d’Hermès, dit Ilias.
— Je ne sais pas trop à quoi vous vous attendiez, dit Hadès. Les
prophéties sont rarement claires, et quand elles le sont, les enjeux
sont bien plus grands.
Dionysos comprenait ce que disait Hadès – celle-ci avait le mérite
d’être ambiguë. Parfois, les prophéties étaient tellement précises qu’il
était impossible d’éviter le destin qu’elles annonçaient, peu importait
comment les mortels tentaient de le déjouer.
— Davantage de contexte aurait été chouette, dit Ilias. À quels
dieux la prophétie fait-elle référence ?
— Peut-être à nous tous, dit Dionysos. Ou seulement à quelques-
uns. Je crois que nous devrions être soulagés qu’elle ne soit pas
précise. Savoir à quoi s’attendre entraîne du pouvoir. On peut s’en
servir contre Thésée, dit Dionysos en regardant Ariadne du coin de
l’œil. Thésée est suffisamment arrogant pour croire que la prophétie
signifie qu’il vaincra les dieux. Ça l’encourage à se sentir invincible
alors qu’il ne l’est pas.
Hadès fronça les sourcils.
— Comment ça ?
— Sur l’île, je l’ai poignardé avec mon thyrse. Il n’a pas guéri très
vite, pas comme toi et moi. C’est une faiblesse.
— Tu veux dire que pendant tout ce temps, on aurait pu se
contenter de le poignarder ? demanda Ilias.
— C’est plus compliqué que ça, et tu les sais, répondit Hadès. Il a
séduit le public. S’il meurt à cause de nous, on risque de perdre des
fidèles.
— Ok, donc on ne peut pas l’assassiner publiquement, dit Ilias.
Par où on commence ?
Tout le monde se tourna vers Ariadne, qui pâlit. Elle n’avait pas
besoin qu’ils verbalisent leur demande, ils voulaient tout savoir sur
Thésée.
— Non, dit-elle sèchement. Vous ne pouvez pas me demander
ça. Il tuera ma sœur.
— Je t’ai dit qu’on la sauverait, dit Dionysos.
— Comment ? rétorqua-t-elle. Tu as dit que c’était pour ça qu’on
avait besoin de Méduse. Mais peut-être était-ce seulement pour
agrandir ta collection d’armes ?
Dionysos grimaça, heurté par sa colère et son accusation.
— Crois-nous quand on te dit que sauver Phèdre sera notre
priorité, dit Hadès. Mais on ne peut rien faire sans information.
Ariadne secoua la tête.
— Il saura que je vous ai parlé.
— En fin de compte, quelle importance, si Phèdre est en
sécurité ?
— Ça compte, parce qu’elle retournera auprès de lui.
Il y eut un long silence pesant. Dionysos avait envie de répondre
quelque chose de parfaitement inutile, qui était que dans ce cas,
Phèdre n’avait peut-être pas besoin d’être sauvée. Ils mettaient
Ariadne dans une position difficile, mais elle menait une bataille
perdue d’avance.
— Alors, tu dis que tu ne vas pas nous aider ? demanda
Dionysos.
— Vous n’êtes pas des dieux ? Vous ne pouvez pas vous
débrouiller sans moi ?
Dionysos refusa de la regarder. Il ne pouvait faire semblant de
comprendre son raisonnement, tout comme il ne pouvait prétendre
comprendre le traumatisme qui l’empêchait de les aider.
Il prit une grande inspiration.
— Je vais dire aux Ménades de l’espionner, dit-il. Elles pourront
rassembler des informations sur tous ceux qui sont impliqués, sur
leurs armes et leurs caches.
Ils avaient besoin d’en savoir autant que possible pour pouvoir
mettre sur pied un plan d’attaque.
Hadès hocha la tête.
— La bataille a déjà commencé, dit-il. Maintenant, nous devons
nous préparer pour la guerre.
Chapitre XXXVI
HADÈS
*
* *
Hadès apparut en plein cœur du chaos qui ravageait le stade.
La magie des dieux pesait dans l’atmosphère. Ils se battaient
dans des cris horrifiés, des tintements métalliques et des coups de
feu.
— Perséphone ! cria Apollon quand une balle la toucha à
l’épaule.
Elle vacilla et Hadès la rattrapa avant qu’elle ne s’effondre.
— Je suis là, dit-il en se téléportant immédiatement aux Enfers,
laissant assumer aux autres Olympiens le chaos qui régnait au stade.
Putain de Moires !
Combien de fois cela allait-il arriver ?
Il la déposa sur le lit, ayant tout juste assez de patience pour
l’aider à enlever son blouson. Quand ce fut fait, il déchira sa robe
pour inspecter la plaie.
— Q… qu’est-ce que tu fais ? grogna-t-elle en serrant les dents.
— J’ai besoin de voir si la balle est ressortie, dit-il.
Il étudia son dos et vit une blessure par où la balle avait dû
ressortir.
— Laisse-moi la guérir, dit-elle.
— Perséphone…
— Il faut que j’essaie ! rétorqua-t-elle. Hadès…
Il se força à reculer, même s’il avait envie de le faire lui-même. Il
était plus rapide, et cela l’apaiserait. De toutes les fois où elle voulait
s’entraîner, pourquoi maintenant ?
— Fais-le, Perséphone, aboya-t-il.
Il ne voulait pas être aussi dur et il savait que ça ne pouvait pas
être facile pour elle. C’était elle qui était blessée, mais Hadès
paniquait.
Elle respira profondément et ferma les yeux. Hadès regardait la
plaie, attendant un signe que sa magie fonctionnait, de plus en plus
frustré de la voir continuer de saigner.
— Maintenant, grogna Hadès, impatient, mais il vit sa magie à
l’œuvre et la plaie se refermer.
— Je l’ai fait, dit-elle en souriant à Hadès en ouvrant les yeux.
— Tu l’as fait, acquiesça-t-il, même s’il avait envie de vérifier, au
cas où.
Il voulait retourner au stade et aider les Olympiens à tuer ceux qui
avaient attaqué les mortels. Il laisserait une nuée de cadavres
entremêlés en guise de mise en garde contre quiconque envisageait
de participer ou de poursuivre ces horribles assauts.
— Tu penses à quoi ? demanda Perséphone.
— Tu n’as pas envie de le savoir, répondit-il. Viens, on va te
nettoyer.
Il l’emmena dans la salle de bains, la portant même si elle était
parfaitement capable de marcher. Quand ils furent nus, il l’embrassa
et palpa son épaule pour s’assurer qu’elle était bien guérie, y
diffusant un peu de sa magie.
Elle recula, étudiant sa peau désormais bien lisse.
— Je n’ai pas bien fait ? demanda-t-elle.
— Bien sûr que si, Perséphone, répondit Hadès.
Il ne voulait pas qu’elle se sente incapable.
— Je suis simplement surprotecteur et j’ai peur pour toi. Et peut-
être qu’égoïstement, je veux retirer tout ce qui me rappelle que j’ai
échoué à te protéger.
— Hadès, tu n’as pas échoué, dit-elle.
— Soyons d’accord sur notre désaccord, grogna-t-il.
— Si tu es d’accord pour dire que j’ai bien fait, insista-t-elle, alors
accepte que toi aussi, Hadès.
Il espérait qu’un jour, il la croirait.
Elle promena ses mains sur son torse avant d’entourer son cou.
— Je suis désolée, dit-elle. Je ne voulais pas que tu souffres à
nouveau comme tu as souffert après la mort de Tyché.
— Tu n’as aucune raison de t’excuser, dit-il avant de l’embrasser.
Ils se douchèrent ensemble, se savonnant l’un l’autre jusqu’à être
bouillants et fiévreux, mais Hadès ne pouvait se convaincre
d’assouvir ses désirs. Il s’était passé trop de choses, ce soir. Au lieu
de ça, il compta sur les mots et lui dit qu’il l’aimait.
— Je t’aime aussi, répondit-elle à voix basse. Plus que tout.
Ses yeux se remplirent de larmes et il chuchota son nom et la prit
dans ses bras. Il les porta devant la cheminée et s’assit en la prenant
sur ses genoux, blottie contre son torse.
— Tous ces gens… partis, chuchota-t-elle.
Les morts massives n’étaient jamais faciles, et ils en avaient
connu beaucoup en très peu de temps.
— Tu ne pourras pas consoler tous ceux qui arrivent aux Enfers
sans s’y attendre, Perséphone. Il y a bien trop de victimes de ce
genre. Rassure-toi : les âmes d’Asphodèle y sont et elles te
représentent à merveille.
— Elles te représentent aussi, Hadès, lui rappela-t-elle avant de
rester silencieuse un moment. Et les agresseurs qui sont morts ce
soir ? demanda-t-elle
— Ils seront punis au Tartare, dit-il avant de marquer une pause
en la regardant dans les yeux. Tu souhaites y aller ?
Elle esquissa un petit sourire qui n’avait rien d’enjoué ; elle
reconnaissait simplement qu’il avait changé.
— Oui, répondit-elle. J’aimerais y aller.
*
* *
Hadès emmena Perséphone au Tartare, dans son antre de
monstres. Certaines des créatures ici étaient mortes, d’autres étaient
vivantes et retenues prisonnières, mais cela ne retirait rien à leur
utilité en matière de torture.
Perséphone regarda autour d’elle en se frottant les bras. La
magie était pesante, ici. Elle était différente et elle planait dans l’air
comme le froid glacial de l’hiver, opprimant les monstres qui
résidaient ici.
De temps en temps, l’écho lointain d’un grognement, d’un
hurlement ou d’un cri résonnait dans le donjon.
— Il y a des monstres ici, expliqua Hadès.
— Quel genre de monstres ?
— Ils sont nombreux, répondit-il en haussant les sourcils.
Certains sont ici parce qu’ils ont été tués, d’autres parce qu’ils ont été
capturés. Viens.
Il l’invita à passer les grilles et l’emmena dans le donjon, le long
du couloir sombre et des cellules obscurcies. Les cris bestiaux se
faisaient de plus en plus forts, ponctués d’une plainte atroce.
— Ce sont les harpies, dit Hadès.
C’était des créatures mi-humaines, mi-oiseaux qui étaient
souvent insatiables dans leur quête de nourriture et qui servaient de
châtiment aux mortels.
— Aellô, Ocypétès et Célaéno, poursuivit-il. Elles s’agitent,
surtout quand le monde est plongé dans le chaos.
— Pourquoi ?
— Parce qu’elles perçoivent le mal et souhaitent punir.
Ils passèrent devant d’autres cellules occupées par des chimères,
des griffons, des sirènes, et le sphinx. Perséphone ne s’arrêta pas
longtemps devant les cages et resta près d’Hadès. Ils avançaient
vers le fond de la salle, qui était barré par un immense portail.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Perséphone.
— C’est une hydre. Son sang, son venin et son souffle sont
toxiques.
Hadès l’avait tué quand Héra l’avait forcé à combattre le monstre
durant son célèbre soir de combat. Cela n’avait pas été facile. La
créature avait sept têtes qui repoussaient dès qu’elles étaient
coupées. Il avait seulement réussi à la vaincre avec le feu et,
finalement, elle était devenue résidente des Enfers.
— Et les mortels dans la mare ? Qu’est-ce qu’ils ont fait ?
Hadès baissa les yeux sur les hommes et les femmes aux pieds
de l’hydre. Ils gisaient dans une mare noire, formée par le venin qui
coulait des crocs du monstre, leurs corps couverts d’horribles plaies
et brûlures.
— Ce sont les terroristes qui ont attaqué le stade.
— Et c’est leur punition ?
— Non, répondit Hadès. Vois plutôt ça comme une garde à vue.
Elle se tut, puis elle leva les yeux vers lui.
— Et comment vas-tu les punir ?
— Peut-être que… tu veux décider ?
Il était un peu réticent à lui confier cette tâche, ne sachant ce
qu’elle pensait de la torture. Elle avait hésité quand il s’était agi de
Pirithoos et lui avait demandé si cela l’aidait. Il n’avait toujours pas la
réponse, mais il pouvait dire sans crainte que sur le moment, la
vengeance était agréable.
Perséphone se concentra à nouveau sur les âmes.
— Je veux qu’ils vivent en état de panique et de peur constante.
Je veux qu’ils vivent ce qu’ils ont infligé aux autres. Qu’ils existent
pour l’éternité dans la Forêt du Désespoir.
— Alors ce sera le cas, dit Hadès en lui offrant sa main.
Elle la prit et les âmes disparurent de la cage de l’hydre.
— Laisse-moi te montrer quelque chose, dit-il.
Il l’emmena dans la bibliothèque où se trouvait le bassin qui
servait à la fois de plan détaillé des Enfers et de portail.
— Montre la Forêt du Désespoir, dit-il, et l’eau frémit jusqu’à
montrer les âmes qui avaient baigné dans le venin de l’hydre et leur
châtiment dans la forêt.
La Forêt du Désespoir incarnait la plus grande peur des âmes.
Quand Perséphone y était entrée, elle avait trouvé Hadès dans
les bras de Leucé. Quand Hadès y pénétrait, il ne voyait rien.
Perséphone étudia un moment la scène avant de s’éloigner.
— J’en ai vu assez.
Hadès la suivit et lui prit la main, craignant d’avoir été trop loin en
lui montrant l’horreur de la forêt, même si elle la connaissait.
— Tu vas bien ? demanda-t-il.
— Je suis… satisfaite, répondit-elle. Allons nous coucher.
Il ne la contredit pas et ils retournèrent dans leur chambre, mais il
ne put s’empêcher de remarquer que son énergie avait changé. Elle
était noire et sensuelle et Hadès voulait y goûter avec la langue.
Il ralentit en entrant dans la pièce et regarda Perséphone le
devancer. Elle se déshabilla et se tourna vers lui, et le regard
d’Hadès s’attarda sur ses seins rebondis, son ventre et son sexe.
Quand il leva de nouveau les yeux vers elle, son regard était noir et
charnel.
Elle avait envie de baiser.
— Perséphone…
— Hadès… répondit-elle.
— Les derniers jours ont été difficiles. Tu es sûre que tu as envie
de ça ce soir ?
Jamais il n’avait pensé prononcer ces mots un jour. Ce n’était pas
comme si c’était exceptionnel, mais il voulait qu’elle soit sûre. La
journée avait été rude, chargée d’émotions et d’expériences
qu’aucun d’eux n’avait encore digérées.
— C’est tout ce dont j’ai envie.
Il ne la contredit pas davantage et marcha vers elle pour
s’emparer de sa bouche. Hadès se perdit aisément dans tout ce
qu’elle était, dans sa douceur, sa chaleur, sa fougue. Peut-être était-
ce ce qu’il aimait le plus chez elle, son désir évident. Il en ressentait si
souvent pour elle, et il adorait qu’elle ne puisse pas se retenir.
Il avait hâte de s’enfouir en elle, de la sentir se contracter autour
de lui quand il jouirait. C’était à ça qu’il était accro ; c’était cette
libération qu’il pourchassait sans cesse.
Elle l’embrassa sur le torse, sur le ventre, puis elle s’agenouilla.
Elle empoigna sa verge et la prit dans sa bouche.
— Ça ne te dérange pas ? demanda-t-elle en levant les yeux vers
lui.
Le fait qu’elle lui pose la question était presque drôle, il ne désirait
rien de plus que de la voir le sucer.
— Loin de là, répondit-il.
Elle le récompensa par un coup de langue. Elle prit son temps,
embrassant sa verge, léchant tous ses reliefs, puis elle l’avala et
déglutit sur son gland.
Hadès pencha la tête en arrière, les dents serrées, les muscles
bandés – son corps entier était sur le point d’exploser, mais il n’était
pas prêt à ce que ce soit déjà fini.
Quand il redescendit sur terre, il la regarda.
— Tu n’as pas idée de toutes les choses que je veux te faire.
La chose la plus folle au sujet de sa bouche, de sa magie et de
Perséphone, même, c’était qu’elles lui donnaient envie de tout faire
avec elle, des choses qui allaient au-delà de tout ce qu’il avait un jour
envisagé de faire avec quelqu’un.
Elle se leva en soutenant son regard.
— Montre-moi, chuchota-t-elle.
Hadès se retint de grogner. Putain. Elle était parfaite.
Il empoigna sa nuque et l’embrassa fermement sur la bouche en
la faisant reculer vers le lit, puis il l’allongea au milieu du matelas. Il
s’étendit sur elle, coinçant son corps entre ses cuisses, continuant de
l’embrasser. Plus il l’embrassait, plus elle gigotait sous lui, se
cambrant pour sentir le frottement de leurs bassins.
Il voulait que ça dure plus longtemps, mais elle ne lui facilitait pas
la tâche.
Il saisit ses poignets et les bloqua au-dessus de sa tête avant
qu’elle puisse s’emparer de sa queue, avant qu’elle mette fin aux
raisons qu’il avait de l’allonger dans le lit, et il invoqua sa magie pour
l’attacher.
Quand elle la sentit, elle rompit le baiser pour lever les yeux vers
les liens qui enserraient ses poignets.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-il d’une voix douce.
Il n’arrivait pas à déchiffrer son expression et il ressentit un
malaise, mais un mot suffirait pour qu’il retire immédiatement ses
menottes en tissu. Il souhaitait seulement explorer ça avec elle.
Elle hocha la tête et il en profita pour l’admirer. Perséphone était
une œuvre d’art et il voulait le lui faire sentir. C’était une sorte
d’hommage, un moyen pour qu’elle comprenne et ressente vraiment
comment il la voyait : comme le centre de son univers.
— Je vais te faire te tordre de plaisir, dit-il en s’étendant sur elle.
Je vais te faire hurler, jouir si fort que tu le sentiras pendant des jours.
Il s’empara de sa bouche, puis l’embrassa partout en
commençant par ses seins. Il prit chaque téton dans sa bouche et les
taquina du bout de la langue avant de les mordiller. Perséphone
remuait sous lui et il se demanda combien elle mouillerait lorsqu’il
arriverait enfin entre ses cuisses.
Il prit son temps, soutenant son regard en l’embrassant partout.
Son corps frémissait de frustration, sans doute parce que si ses
mains n’avaient pas été attachées, elle aurait agrippé ses cheveux
pour le forcer à enfouir sa tête entre ses jambes.
Il les lui fit ouvrir davantage et promena sa langue le long de sa
fente, et Perséphone se cambra sur le lit en empoignant les liens qui
la retenaient.
— Hadès, gémit-elle.
Il enfouit davantage sa langue et caressa son clitoris avec ses
doigts.
Il la tint plus fort quand elle commença à onduler contre sa
bouche, cherchant son orgasme. Elle était au bord du précipice, il le
sentait à la manière dont son corps se crispait et ses muscles se
bandaient. Son sang se précipitait au sommet de sa verge lourde et
dure qui était plaquée contre son ventre.
— Hadès !
Cette fois, sa façon de crier son nom lui dit que quelque chose
n’allait pas. Il recula alors qu’elle plantait ses talons dans le lit et
luttait contre les liens. Elle avait les yeux grands ouverts, mais elle ne
semblait pas voir, pas la réalité, en tout cas.
Merde. Il regrettait d’avoir eu cette idée.
Il la débarrassa de la magie qui la retenait, furieux de ne pas
l’avoir fait plus tôt.
Merde.
— Perséphone.
Il tendit la main vers elle, mais elle se débattit et le frappa au
visage, la main couverte d’épines. La douleur était vive et son sang
coula entre eux, sur la peau de Perséphone, qui semblait désormais
réveillée. Son visage était pâle et son horreur était flagrante. Elle
tendit le bras vers lui, mais s’arrêta quand elle réalisa que ses mains
étaient encore couvertes d’épines.
Elle éclata en sanglots, écartant ses bras de son corps.
L’espace de quelques secondes, Hadès fut trop choqué pour
bouger, trop perturbé par ce qui s’était passé. Il essayait de se
souvenir du moment précis où cela avait viré au pire. Comment était-
ce arrivé ? Il avait cru qu’elle aimait ça. Se pouvait-il que ce n’ait
jamais été le cas ?
Il parvint enfin à bouger et à la prendre dans ses bras, même s’il
ne savait pas si c’était ce qu’elle voulait ni ce dont elle avait besoin. Il
avait été trop concentré sur lui-même pour se rendre compte qu’elle
souffrait.
— Je ne savais pas, dit-il. Je ne savais pas. Pardon. Je t’aime.
Mais il arriva un moment où même Hadès ne put plus parler.
Chapitre XXXVII
HADÈS
*
* *
Hadès retourna aux Enfers, même s’il angoissait à l’idée de revoir
Perséphone. Il ne savait pas trop ce qu’il allait lui dire. Est-ce que l’un
des deux serait prêt à parler de ce qui s’était passé ? Il ne se pensait
pas capable de verbaliser autre chose que des excuses, qui
semblaient inutiles, dans ce cas. Il ne pouvait même pas lui promettre
que ça n’arriverait plus jamais, car il n’avait pas la moindre idée de la
façon d’y remédier. Peut-être que la seule chose à dire était qu’il
ferait mieux ; mais cela ne semblait pas suffisant non plus.
Son cœur battait bizarrement, ni fort, ni vite, mais de façon
irrégulière, et cela ne fit qu’empirer quand il trouva Perséphone dans
la bibliothèque, assise dans son fauteuil habituel, un livre entre les
mains. Elle sentit immédiatement sa présence et leva la tête quand il
entra. Hadès se sentit piégé par son regard, incapable de battre en
retraite ni même d’avancer. Peut-être était-ce parce qu’elle avait l’air
hantée et qu’il savait qu’il en était responsable.
Ils restèrent dans un silence tendu pendant un long moment et
Hadès chercha désespérément quoi dire, mais aucune parole ne lui
paraissait juste. C’est Perséphone qui finit par parler.
— J’ai vu Tyché aujourd’hui, dit-elle. Elle pense que la raison pour
laquelle elle n’a pas pu se guérir est que les Moires ont coupé son fil
de vie.
— Les Moires n’ont pas coupé son fil, dit-il simplement.
Les Moires n’avaient jamais coupé le fil de vie d’un dieu, à
l’exception de Pan. Même ceux qui étaient au Tartare n’étaient pas
morts, mais simplement emprisonnés.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— La Triade a réussi à trouver une arme qui peut tuer les dieux,
dit-il.
— Tu sais ce que c’est, c’est ça ?
— Je n’en suis pas sûr, répondit-il, hésitant à se prononcer tant
qu’ils n’avaient pas une flèche entre les mains pour le prouver.
Cependant, c’était une bonne piste.
— Dis-moi.
— Tu as vu l’hydre, dit-il. Par le passé, elle a été utilisée dans
plusieurs batailles et a perdu plusieurs têtes, mais elle se régénère.
Ses têtes ont une valeur inestimable, car son venin est utilisé comme
poison. Je crois que Tyché a été neutralisée par une nouvelle version
du filet d’Héphaïstos, et poignardée avec une flèche empoisonnée au
sang de l’hydre. Une relique, pour être plus précis.
— Une flèche empoisonnée ?
— C’étaient les armes biologiques de la Grèce antique. Ça fait
des années que j’essaie de retirer ce genre de relique de la
circulation, mais elles sont nombreuses et il existe des réseaux
entiers dédiés à les trouver et à les revendre. Je ne serais pas surpris
que la Triade ait réussi à mettre la main sur quelques-unes d’entre
elles.
— Tu m’avais dit que les dieux ne pouvaient mourir que s’ils
étaient jetés au Tartare et déchiquetés par les Titans.
— En général, oui, admit Hadès. Mais le venin de l’hydre est
puissant, même pour les dieux. Il ralentit notre guérison et il est
probable que si un dieu est poignardé suffisamment de fois…
— … il meure.
Hadès acquiesça.
— Je crois qu’Adonis a également été tué par une relique.
Il hésitait à lui faire part de cette information maintenant, alors
qu’il la détenait depuis si longtemps.
— Par la faux de mon père, ajouta-t-il.
— Qu’est-ce qui te fait croire ça ?
Il aurait dû lui dire qu’ils avaient trouvé un morceau de lame dans
le corps d’Adonis, mais Hadès ne voulait pas que l’on sache qu’il
l’avait donné à Héphaïstos pour qu’il forge une nouvelle arme. Non
pas qu’il croie que Perséphone le divulguerait, mais il craignait trop
que quelqu’un tente de lui soutirer l’information.
— Parce que son âme a été brisée.
— Pourquoi tu ne me l’as pas dit ?
— Je suppose que j’attendais d’être en état de t’en parler. Voir
une âme brisée n’est pas facile, et ça l’est encore moins de la porter
jusqu’aux Champs Élysées.
Hadès baissa les yeux sur son livre, gêné par leur conversation,
même si elle était préférable aux autres options.
— Qu’est-ce que tu lis ?
— Je cherchais des informations sur la Titanomachie.
— Pourquoi ?
— Parce que… je crois que ma mère a un objectif plus grand que
notre séparation.
Hadès le savait déjà, mais il devait admettre qu’il ne comprenait
pas trop ses raisons. Son objectif semblait aller au-delà de son
premier souhait de le séparer de Perséphone, en effet ; elle
paraissait vouloir mettre fin au monde.
Chapitre XXXVIII
HADÈS
*
* *
— Arrête de gigoter ! ordonna Hécate en serrant les aiguilles
entre ses lèvres.
Elle était agenouillée et trifouillait le bas de sa veste.
Hadès n’y pouvait rien. Il pensait que ce costume ressemblerait à
ceux qu’il portait tous les jours, mais quand il l’avait enfilé, il avait
découvert qu’il ne ressemblait en rien à ses vêtements habituels.
Cela dit, ce n’était pas pour ça qu’il gigotait. C’était parce qu’en
l’essayant, il réalisait qu’il allait vraiment se marier.
— C’est de la soie ? demanda-t-il.
— C’est de la laine, siffla Hécate. Si tu n’arrêtes pas de bouger, je
vais te geler sur place.
— De la laine ? Pourquoi il est si brillant ?
— Parce qu’il est doux, Hadès.
Il gloussa.
— Pourquoi tu es aussi énervée ?
— Je ne sais pas si tu es au courant, Hadès, mais ta simple
présence est agaçante.
— Tu ne peux pas utiliser ta magie pour l’ajuster ? Ce serait plus
facile.
— Plus facile, oui, dit-elle. Mais ce projet me tient à cœur, et je
préfère coudre à la main.
Hadès déglutit. Il avait beau la taquiner, il était reconnaissant
d’avoir l’amitié d’Hécate.
— Là, dit-elle en se levant et en reculant pour l’observer.
— C’est parfait, Hécate, dit Hadès en étudiant son reflet. Je ne te
remercierai jamais assez.
— Tu peux me remercier en te mariant vraiment, dit la déesse.
J’ai écrit un discours.
— Tu sais bien que ce n’est pas une question de volonté.
— Tu feras exactement ce que tu veux, dit-elle. Ça a toujours été
le cas, peu importe les conséquences. Ce qui compte, c’est que
Perséphone va avoir besoin de ta magie pour ce qui nous attend.
C’était ça, la véritable raison pour laquelle Zeus voulait avoir son
mot à dire au sujet de leur union, et pour laquelle il consulterait
l’Oracle à ce sujet. Que ressortirait de l’union de la vie et de la mort ?
Ils étaient le début et la fin, l’aube et la nuit. Ils étaient sans fin, et leur
magie le serait aussi.
— Qu’est-ce qui nous attend, Hécate ? demanda Hadès en
haussant un sourcil.
Hécate était la triple déesse, capable de voir le passé, le présent
et le futur – mais même avec cet immense pouvoir, Hadès ne
l’interrogeait jamais. Il faisait confiance à Hécate pour le guider, et
c’était ce qu’elle faisait. Mais maintenant qu’elle avait verbalisé
l’existence de cette menace, il ne pouvait se retenir de la
questionner.
— Tu sais ce qui nous attend, dit-elle en le regardant dans les
yeux. Tu le sens jusque dans tes os. C’est pourquoi, même si tu veux
te battre pour Perséphone, tu continues de la repousser.
Hadès réfléchit à ses propos.
Il était vrai qu’il s’efforçait d’enfouir une part de lui, une part qui
ressentait les choses de façon trop intense.
— Être froid dans cette guerre ne te servira à rien, Hadès, dit la
déesse. C’est une bataille qu’il vaut mieux mener par passion.
Hécate le dévisagea un moment, puis elle baissa les yeux sur son
costume.
— Ça me plaît… mais il manque quelque chose. Une
boutonnière, non ? Quelle fleur veux-tu, Hadès ?
Elle fit un pas de côté pour qu’il puisse se regarder dans le miroir,
mais il n’avait pas besoin de le faire. Il savait quelle fleur choisir, et
quand il toucha la poche de sa veste, une primevère rouge s’y
épanouit. C’était la fleur qu’il portait lors de sa première rencontre
avec Perséphone et qu’elle avait fait faner d’un simple toucher.
— Parfait, déclara Hécate.
*
* *
Après l’interruption d’Hécate, Hadès termina quelques tâches
sans grand intérêt, puis il se rendit dans les jardins des Enfers. Il
déambula jusqu’au Pré d’Asphodèle, où il fut rejoint par Cerbère,
Typhon et Orthos. Ils avaient tous les trois été très occupés, étant
donné le nombre d’âmes qui étaient arrivées aux Enfers, et ils
semblaient frémir d’énergie réprimée.
— Vous voulez jouer, les garçons ? demanda Hadès.
Il n’ordonna pas à Cerbère de lâcher sa balle rouge et quand il
voulut la lui prendre, le doberman planta ses crocs dedans, luttant
contre la poigne d’Hadès. Typhon et Orthos s’impatientèrent et se
mirent à aboyer.
Hadès attendit que Cerbère morde la balle assez fort pour la
lâcher. Surpris, le molosse la laissa tomber et Typhon et Orthos se
jetèrent dessus, heurtant la balle, qui roula aux pieds d’Hadès.
Ils se précipitèrent sur lui et foncèrent dans ses jambes. Hadès
tituba et tomba sur le dos, mais aucun ne parvint à récupérer le jouet.
— Assis ! ordonna-t-il en s’asseyant dans l’herbe.
Les trois chiens obéirent aussitôt.
Il se leva et ramassa la balle, et les trois molosses suivirent ses
gestes des yeux, les muscles bandés, prêts à foncer à travers les
Enfers pour récupérer leur jouet préféré. Hadès les comprenait ;
c’était le seul répit qu’ils avaient dans leurs devoirs.
— Pas bouger, dit-il en jetant la balle, qui fendit le ciel et disparut
quelque part dans la clairière de Perséphone.
Aucun des chiens ne bougea, sauf Orthos qui frétillait, car c’était
celui qui avait le plus de mal à se contrôler lorsqu’il s’agissait de
jouer.
— Go !
Il avait à peine ouvert la bouche que les bêtes s’enfuirent vers le
bois. Hadès rit en les observant courir, laissant un sillon d’herbe
aplatie sur leur passage. Parfois, il avait du mal à se rappeler que les
trois chiens étaient en fait des monstres redoutables.
Il les regarda courir vers le bois et remarqua que celui-ci était
différent. Les arbres, au feuillage habituellement si vert et aux troncs
argentés, étaient semblables à des squelettes et complètement nus,
comme si sa magie avait été vidée de cette partie des Enfers.
Bizarre.
Il se téléporta et eut l’impression d’atterrir dans un champ de
bataille. Des étendues de terre étaient striées de fissures profondes
et de gouffres. Des amas de ronces sortaient de terre, s’enroulant de
façon si épaisse autour des arbres qu’il était difficile de voir où un
arbre commençait et où un autre finissait, même si la plupart avaient
été réduits en cendres qui s’envolaient dans le vent.
Hadès sentait la magie d’Hécate, mais également celle de
Perséphone.
Elles paraissaient avoir eu un sacré entraînement.
Typhon bondit vers lui, la balle rouge dans la gueule, un fort
contraste avec le désert grisâtre qu’était devenu le Bois de
Perséphone.
Hadès prit son temps pour le remettre en ordre, invoquant son
Charme pour faire pousser les arbres et rendre leur feuillage plus
épais, couvrant le sol sec d’un tapis de pervenches et de phlox blanc,
les fleurs qu’il avait aidé Perséphone à faire pousser ici même quand
il lui avait appris à canaliser son énergie et sa magie. Ces souvenirs
en invoquèrent d’autres, plus passionnés. Il voulait revivre ce
moment.
Une fois terminé, il sortit du bois et retourna dans les champs.
Typhon avait conservé la balle et refusait de la céder, et les chiens
coururent en cercle autour de leur maître. Leur excitation le fit rire et il
suivit leurs mouvements jusqu’à ce que Cerbère se détache du
groupe, suivi par Typhon et Orthos, pour courir vers Perséphone.
Elle lui coupa le souffle. Elle marchait vers lui, enveloppée d’une
lumière douce comme la lune. Elle avait l’air sauvage et son énergie
était brute. Celle-ci se frotta à la sienne d’une façon qui n’était pas
inconfortable, mais qui embrasa son sang.
Elle parut hésiter tout en soutenant son regard et s’arrêta à
quelques pas de lui. Hadès avait l’impression qu’un fossé les
séparait.
— Je ne t’ai pas vu de la journée, dit-elle.
— Elle a été chargée, répondit-il. Tout comme la tienne. J’ai vu la
clairière.
— Tu n’as pas l’air impressionné.
— Je le suis, mais je mentirais si je disais que j’étais surpris. Je
connais tes capacités.
Hadès regarda Perséphone qui mordillait sa lèvre inférieure, et un
silence s’installa entre eux. Il voulait sentir sa bouche sur lui, sur tout
son corps.
— Tu es venue me dire bonne nuit ? demanda-t-il.
Elle soupira avant de répondre.
— Tu ne viens pas te coucher avec moi ?
Ce n’était pas qu’il ne le désirait pas, mais ils n’avaient toujours
pas parlé de l’autre soir. Il ravala le nœud dans sa gorge.
— Je te rejoins bientôt.
Il ne savait pas à quoi il s’attendait, mais Perséphone ne partit pas
et parut s’agacer.
— Je veux parler de l’autre soir.
La poitrine d’Hadès se comprima, il se demanda s’il était prêt à
affronter cette conversation.
— Je n’ai pas voulu te faire mal, dit-il sans pouvoir la regarder
dans les yeux.
Il se racla la gorge.
— Je sais, chuchota Perséphone.
— J’étais tellement perdu dans mon désir, dans ce que je
souhaitais te faire, que je n’ai pas vu ce qui se passait. J’ai été trop
loin. Ça ne se reproduira plus jamais.
Il y eut un bref silence.
— Et si c’est ce que je veux ?
Hadès la regarda dans les yeux et elle poursuivit.
— Je veux essayer tellement de choses avec toi, mais j’ai peur
que tu ne veuilles plus de moi.
Ses propos le prirent de court.
— Perséphone…
— Je sais que c’est faux, mais je ne peux pas m’empêcher de le
penser et je préfère dire ce que je pense plutôt que de le garder pour
moi. Je veux continuer d’apprendre avec toi.
Il effaça la distance qui les séparait et prit son visage dans ses
mains. Elle paraissait si fragile, tout en étant si forte.
— Je te voudrai toujours, chuchota-t-il avant de l’embrasser sur le
front.
Elle saisit ses avant-bras, comme si elle voulait l’empêcher de
bouger.
— Je sais que je t’ai fait du mal, mais j’ai besoin de toi.
— Je suis là.
Elle prit ses mains dans les siennes et les posa sur ses seins.
— Touche-moi, dit-elle. On peut y aller lentement.
Hadès déglutit, une bouffée de chaleur se précipitait dans sa tête,
et sa verge devenait lourde et dure. Il la toucha, appuyant son front
contre le sien, et ses tétons durcirent sous ses doigts.
— Quoi d’autre ?
— Embrasse-moi, dit-elle, à bout de souffle.
Il essaya de ne pas se précipiter, de l’embrasser tendrement et
délicatement, mais putain, c’était dur. Perséphone était tellement
douce et réceptive, et chaque coup de sa langue le faisait bander de
plus belle et lui rappelait combien il voulait être enfoui dans sa
chaleur.
Il se rapprocha d’elle et saisit sa nuque, la penchant en arrière
pour l’embrasser plus fermement et plus vite, envoûté par le feu qui
crépitait dans son bas-ventre, mais il finit par se figer et par reculer.
— Pardon, je ne t’ai pas demandé si je pouvais.
— Ce n’est rien, dit-elle en plongeant ses yeux scintillants dans
les siens. Je vais bien.
Cette fois, c’est Perséphone qui prit les rênes, et sa bouche devint
affamée et exigeante. Il aimait qu’elle prenne le contrôle, et dans ce
cas, cela le rassurait un peu.
Elle plongea ses mains dans ses cheveux et l’attira contre elle,
puis elle explora tout son corps jusqu’à sa verge. Il se colla à elle,
serrant les dents pour supporter la friction de leurs corps.
— Touche-moi, dit-il.
Elle l’aguicha encore quelques secondes à travers ses
vêtements, puis elle déboutonna son pantalon et prit son érection
dans sa main.
Dieux, que c’était bon.
Il l’embrassa plus fort, hypnotisé par sa main sur sa queue. Il lui
semblait que toutes les sensations de son corps provenaient de cet
endroit, et Perséphone détenait le contrôle ; elle pouvait le plier à sa
volonté et le briser, et il la laisserait faire.
— Agenouille-toi, chuchota-t-elle d’une voix suave.
Ils se retrouvèrent tous les deux à genoux.
Elle le poussa sur le dos et rampa sur lui, pressant sa chair
chaude et trempée à son érection en le chevauchant.
Hadès planta ses ongles dans ses cuisses. Perséphone se
souleva et le guida en elle. Il avait du mal à se contenir, quand elle
s’assit sur lui, il souleva son bassin. Leurs corps se percutèrent et se
mirent à se mouvoir tantôt à l’unisson, tantôt sans coordination. Peu
importait, du moment qu’ils étaient l’un dans l’autre, du moment qu’ils
se noyaient dans l’extase qui parcourait leurs veines.
— Oui, siffla-t-il. Putain.
Il s’assit, posant une main dans le creux de ses reins, l’autre se
glissa entre eux pour caresser son clitoris. Tout le corps de
Perséphone se contracta quand elle jouit, frémissant sur lui, et cela
suffit à déclencher l’orgasme d’Hadès. Il poussa un grognement et se
rallongea en l’emportant avec lui. Ils restèrent ensuite allongés au
milieu du champ, silencieux et heureux, jusqu’à ce que Perséphone
se lève sur ses jambes tremblantes.
— Tu vas bien ? demanda Hadès en lui tenant les mains pour
l’aider à trouver l’équilibre.
— Oui, acquiesça-t-elle en riant. Très bien.
Hadès se leva à son tour, reboutonna son pantalon, puis lui prit la
main.
— Tu es prête à te coucher, ma chérie ?
— Du moment que tu viens aussi, répondit-elle en haussant un
sourcil.
— Bien sûr, dit-il en souriant.
Ils traversèrent le jardin fleuri et Hadès se sentit heureux dans le
silence détendu qui les enveloppait. Toutefois, en approchant du
palais, il repensa à ce qu’elle lui avait dit dans le pré à propos du fait
qu’elle désirait plus et qu’elle craignait qu’il ne veuille pas d’elle.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle lorsqu’il ralentit.
— Quand tu dis que tu veux… essayer des choses avec moi.
Quelles choses, exactement ?
Il aimait qu’elle rougisse encore avec lui.
— Qu’est-ce que tu es prêt à m’apprendre ?
— Ce que tu veux, chuchota-t-il. Tout ce que tu voudras.
Elle l’étudia quelques secondes, la tête penchée sur le côté,
comme si elle envisageait la suite.
— Peut-être qu’on devrait commencer par là où on a échoué,
répondit-elle. Le… bondage.
Cette conversation et cet instant lui paraissaient irréels, comme si
tous les fantasmes qu’il avait eus un jour se réalisaient de la façon la
plus sensuelle qui soit.
Il n’avait jamais douté que Perséphone était faite pour lui, et elle
le lui prouvait chaque jour un peu plus.
— Tu es sûre ? demanda-t-il en coiffant une mèche qui tombait
sur son visage.
— Je te le dirai, si je ressens de l’angoisse.
Il était soulagé qu’ils puissent repartir à zéro, même si cela
impliquait de marcher sur les ruines d’un traumatisme. Il se
rapprocha d’elle et saisit sa nuque pour appuyer son front contre le
sien.
— Mon cœur est entre tes mains, Perséphone.
— Et ta queue aussi, apparemment, dit Hermès d’un ton enjoué.
Hadès recula brusquement en grognant le nom du dieu de la
Ruse, mais sa frustration se changea vite en appréhension quand il
le découvrit vêtu de robes dorées.
— J’ai préféré vous interrompre maintenant plutôt qu’il y a
quelques minutes, expliqua-t-il.
— Tu nous regardais ? demanda Perséphone en grimaçant.
— En même temps… vous baisiez au beau milieu des Enfers,
remarqua Hermès.
— Et je t’ai projeté au moins aussi loin, par le passé, répondit
Hadès. Tu veux que je te le remontre ?
— Euh… non. Si tu dois être énervé contre quelqu’un, sois-le
contre Zeus. C’est lui qui m’envoie.
— Pourquoi ? demanda Perséphone.
— Il exige un festin, dit Hermès.
— Un festin ? répéta-t-elle en se tournant vers Hadès, qui grinça
des dents. Ce soir ?
— Oui, dans une heure exactement, précisa le Messager des
dieux en regardant son poignet, dénué de montre.
— Et on est obligés d’y aller ? demanda la déesse.
— Ben, je ne vous ai pas regardés baiser pour rien, répondit
Hermès.
Hadès réfléchissait déjà à la manière dont il punirait le dieu pour
son voyeurisme.
— Pourquoi sommes-nous obligés ? Et pourquoi à la dernière
minute ? demanda Perséphone.
Hadès savait pourquoi ; parce que c’était censé être leur banquet
de fiançailles. Un terme particulièrement inapproprié, étant donné
qu’à la fin de la soirée, Zeus déciderait s’ils pouvaient se marier ou
pas.
— Il ne l’a pas dit, mais peut-être qu’il a enfin décidé de bénir
votre union ? répondit Hermès en gloussant. Après tout, pourquoi
organiserait-il un banquet s’il comptait dire non ?
— Tu as oublié qui est mon frère ? demanda Hadès.
— Hélas, non. C’est mon père, répondit Hermès avant de frapper
dans ses mains. Bon, ben, je vous vois bientôt.
Hermès partit, et Perséphone se tourna vers Hadès.
— Tu crois que c’est vrai ? Qu’il nous invoque pour nous donner
sa bénédiction ?
Bénédiction était un terme trop généreux.
— Je préfère ne pas m’avancer.
Elle fronça les sourcils et se tut un instant.
— Qu’est-ce que je dois mettre ? demanda-t-elle.
Hadès faillit éclater de rire, mais étant donné que c’était la
première fois qu’ils allaient se présenter ensemble à un festin
olympien, leurs tenues devraient être une déclaration ; prouver qu’ils
étaient déjà unis, même si Zeus leur disait non.
— Laisse-moi t’habiller.
Elle plissa les yeux, dubitative.
— Tu crois vraiment que c’est sage ?
— Oui, répondit-il en passant un bras dans son dos pour l’attirer
contre lui. Principalement parce que ce sera rapide, donc ça nous
laisse environ cinquante-neuf minutes pour faire tout ce que tu
désires.
— Tout ? demanda-t-elle en se mettant sur la pointe des pieds
pour approcher sa bouche de la sienne.
— Oui, chuchota-t-il alors que le regard de Perséphone embrasait
son sang.
— Alors je désire… un bain.
Hadès éclata de rire et sourit jusqu’aux oreilles. C’était bon de
rire, étant donné la soirée qu’il s’apprêtait à passer.
— Vos désirs sont des ordres, ma reine.
Chapitre XXXIX
HADÈS
*
* *
Ils entrèrent avec le reste de la foule dans la salle de banquet, où
plusieurs tables rondes étaient éparpillées. Hadès aurait aimé croire
qu’atteindre ce moment de la soirée signifiait qu’ils approchaient de
sa fin et que Zeus prendrait bientôt sa décision, mais il savait que ce
n’était que le début. Ils allaient devoir endurer cet horrible dîner ainsi
que les festivités qui suivraient. Il était possible, étant donné ce que
venait de faire Hadès, que Zeus repousse sa décision à un autre jour,
mais son frère avait mérité d’être embarrassé en public.
— Il semblerait qu’on ne soit pas assis ensemble, dit Perséphone
en le regardant.
— Comment ça ?
Elle désigna d’un hochement de tête la longue table placée sur
une estrade.
— Je ne suis pas olympienne.
— Tout cela est très surfait, répondit-il. Je m’assois avec toi. Où tu
veux.
— Ça ne va pas agacer Zeus ?
— Si.
— Tu veux m’épouser, ou pas ? demanda Perséphone en levant
les yeux vers lui.
— Chérie, je t’épouserai, quoi que dise Zeus.
Perséphone resta silencieuse quelques instants pendant qu’ils
déambulaient entre les tables.
— Qu’est-ce qu’il fait quand il est défavorable à une union ?
— Il arrange un mariage pour la femme, dit Hadès, mais cela ne
se produirait pas dans notre cas.
Il la guida vers l’une des tables au fond de la salle. Il préférait
s’asseoir aussi loin que possible des gens et avoir un œil sur l’entrée.
Il recula la chaise et aida Perséphone à s’y asseoir, puis il s’installa à
côté d’elle.
Perséphone sourit à l’homme et à la femme assis en face d’eux,
qui n’essayaient même pas de cacher leur terreur.
— Salut, je suis…
— Perséphone, dit l’homme. On sait qui tu es.
— Bien sûr, répondit la déesse d’un ton hésitant, et Hadès admira
qu’elle essaie d’être polie. Vous vous appelez comment ?
— Voici Thalès et Callista, dit Hadès. Ce sont les enfants
d’Apéliote.
— Apéliote ?
— Le dieu du Vent du Sud-Est, expliqua Hadès.
Il y avait un dieu pour chaque type de vent.
— V… vous nous connaissez ? demanda Callista.
Peut-être ai-je choisi la mauvaise table, pensa-t-il.
— Bien sûr.
— Hadès, qu’est-ce que tu fais ? demanda Aphrodite en s’arrêtant
devant leur table.
Héphaïstos se tenait derrière elle, comme une ombre.
— Je m’apprête à manger, répondit Hadès.
— Mais tu es à la mauvaise table, remarqua-t-elle, comme s’il ne
le savait pas.
— Tant que je suis avec Perséphone, je suis à ma place.
Aphrodite fronça les sourcils et Hadès se demanda pourquoi elle
s’intéressait à l’endroit où il était assis.
— Comment va Harmonie, Aphrodite ? demanda Perséphone.
— Bien, je suppose. Elle passe beaucoup de temps avec ta
copine Sybil.
— Je crois qu’elles sont devenues amies.
— Amies ? répéta Aphrodite avec un sourire pincé. Tu oublies que
je suis la déesse de l’Amour ?
Perséphone ne répondit rien et Aphrodite se tourna vers
Héphaïstos, qui lui tendit la main pour l’escorter à la table des
Olympiens.
— Tu crois qu’Aphrodite est… contre le choix de partenaire
d’Harmonie ?
— Tu me demandes si elle y est opposée parce que Sybil est une
femme ? Non. Aphrodite pense que l’amour est l’amour. Si Aphrodite
est agacée, c’est parce que la relation d’Harmonie implique qu’elle a
moins de temps pour elle.
Perséphone se tut quelques secondes et il la vit étudier la
déesse.
— Tu crois qu’Aphrodite et Héphaïstos se réconcilieront un jour ?
— On peut l’espérer, oui. Ils sont tous les deux parfaitement
insupportables.
Perséphone lui mit un coup de coude, mais Hadès avait
l’impression d’observer le désastre qu’était leur couple depuis le tout
début de leur mariage. Il ne savait pas ce qui avait mal tourné, mais il
s’était passé quelque chose le soir de leurs noces, et ni l’un ni l’autre
n’avaient plus jamais été pareils.
Le dîner apparut enfin quand Zeus daigna les rejoindre. Il avait
l’habitude de faire attendre les autres chaque fois qu’une occasion se
présentait pour leur rappeler son importance.
Hadès saisit une carafe argentée sur la table.
— De l’ambroisie ? proposa-t-il.
— Pure ? répondit Perséphone d’un ton surpris.
— Juste un peu, dit-il avant de lui en servir un fond et de remplir le
sien à ras bord.
Comme tous les alcools, il fallait développer une certaine
tolérance, et la sienne était élevée.
— Quoi ? dit-il quand il s’aperçut que Perséphone le dévisageait.
— Tu es alcoolique.
Techniquement, elle n’avait pas tort, mais l’alcool n’avait pas
d’effet sur lui.
— Fonctionnel, répondit-il.
Il regarda Perséphone siroter son ambroisie, puis se lécher les
lèvres.
— Ça te plaît ?
Il approcha son visage du sien, envisageant de l’embrasser pour
goûter l’alcool sur sa langue, mais il n’en fit rien.
Elle le regarda dans les yeux et répondit d’une voix suave.
— Oui.
Callista se racla la gorge et l’interruption agaça Hadès. Il l’aurait
ignorée, mais Perséphone était bien plus polie que lui.
— Vous vous êtes rencontrés comment ?
Un ricanement attira l’attention d’Hadès et il tourna la tête vers
Hermès, qui marchait vers eux, armé de son assiette et de ses
couverts.
— Tu es assise face à des dieux et c’est ça ta question ? se
moqua-t-il.
— Hermès, qu’est-ce que tu fais ? demanda Perséphone.
— Tu me manquais, répondit-il en s’installant à ses côtés.
Un mouvement poussa Hadès à tourner la tête vers la table des
Olympiens et il vit Apollon se lever pour aller s’asseoir à côté d’un
homme. Il supposa qu’il devait s’agir d’Ajax, le mortel au sujet duquel
le dieu de la Musique agonisait quand il l’avait vu pour connaître les
résultats de l’autopsie d’Adonis. Artémis avait l’air à la fois confuse et
agacée et Zeus avait un regard assassin. Ils n’aimaient pas voir des
Olympiens quitter leur place pour rejoindre la foule.
— Je crois que tu as lancé un mouvement, Hadès, dit
Perséphone.
Il la regarda dans les yeux et sourit en voyant son expression à la
fois amusée et admirative.
— J’ai une question, moi, demanda Thalès, et Hadès se
concentra sur le dieu mineur. Comment vais-je mourir ?
— D’une façon atroce, répondit Hadès sans hésiter.
Il n’était pas aussi franc, en temps normal, mais la réponse lui
semblait méritée, étant donné la question.
— Hadès ! gronda Perséphone.
Elle lui mit un coup de coude, mais cette fois, il l’intercepta et
caressa son bras pour lui prendre la main.
— C’est… c’est vrai ? demanda Thalès.
— Il plaisante, répondit Perséphone. N’est-ce pas, Hadès ? lui
demanda-t-elle avec un regard insistant et réprobateur.
— Non, répondit-il.
Hermès manqua s’étouffer en gloussant, mais une question idiote
méritait une réponse adaptée. Il envisagea d’ajouter que son destin
pouvait changer. Il était possible que les Moires n’apprécient pas que
le dieu des Morts ait fait part de leur plan à Thalès. Après tout, il ne
connaissait pas les détails ; il savait seulement que ce ne serait pas
une mort agréable.
Il y eut quelques minutes de silence bienvenues, jusqu’à ce que
Zeus recule sa chaise en la raclant bruyamment sur le sol afin
d’attirer l’attention de la salle, puis il fit tinter son verre si longtemps
qu’Hadès eut envie de le frapper.
Tous les regards se rivèrent sur lui, comme il le voulait.
— Nous sommes réunis ce soir pour célébrer mon frère, Hadès,
s’exclama-t-il, qui a trouvé une superbe jouvencelle qu’il souhaite
épouser. Perséphone, déesse du Printemps, fille de Déméter la
redoutable. Ce soir, nous célébrons l’amour et ceux qui l’ont trouvé.
Puissions-nous tous être aussi chanceux. Et Hadès…
Zeus leva son verre et tous les regards se dirigèrent sur
Perséphone et lui.
— Puisse l’Oracle bénir votre union.
Le discours de Zeus servit à rappeler à Hadès et Perséphone que
c’était lui qui décidait de leur destin, mais aussi à rappeler à tous les
autres que s’il refusait leur union, ce serait la faute de l’Oracle et non
la sienne.
Hadès s’obligea à lever son verre en regardant son frère, mais il
utilisa le geste pour transmettre sa promesse de vengeance plutôt
que pour accueillir ses propos.
Il porta son verre à sa bouche, Perséphone se tourna vers lui, et
son sourire attira son attention, comprimant sa poitrine. Il posa son
verre et se pencha pour l’embrasser.
Les applaudissements sans grand enthousiasme qui avaient suivi
le discours de Zeus devinrent voraces et joyeux, et Hermès siffla.
Hadès recula, Perséphone éclata d’un rire suave.
— Attention, Lord Hadès, chuchota-t-elle. Vous allez perdre votre
mauvaise réputation.
Il n’en était pas certain, mais il sourit tout de même.
Le reste du dîner se déroula dans un calme relatif, puis ils
retournèrent sous le porche, où Apollon avait choisi de jouer de la
lyre.
Sans doute voulait-il qu’on le félicite pour ses talents, tout en
impressionnant sa nouvelle conquête.
— On danse ? demanda Hadès en se tournant vers Perséphone.
— Rien ne me ferait plus plaisir.
Hadès la guida vers le milieu de la piste, l’attirant contre lui sans
la moindre intention de cacher son érection, qui avait surgi quand il
l’avait embrassée à table.
— Tu ne serais pas excité, mon amour ? demanda Perséphone
d’une voix sensuelle, les paupières lourdes.
Peut-être que l’ambroisie diminuait sa pudeur.
— Toujours, ma chérie, répondit-il d’un ton enjoué.
Elle glissa une main entre eux pour empoigner sa verge, et il
comprit que l’alcool avait clairement eu un effet désinhibant.
— Qu’est-ce que tu fais ? gronda-t-il à voix basse.
— Je ne crois pas avoir besoin de m’expliquer.
— Tu cherches à me provoquer devant ces Olympiens ?
— Te provoquer ? répondit Perséphone en riant. Je n’oserais
jamais.
Hadès l’attira contre lui en se demandant combien de temps il
supporterait qu’elle l’aguiche ainsi, car Perséphone lui rendait la
tâche très difficile.
— J’essaie juste de te faire plaisir, dit-elle en le regardant dans
les yeux.
— C’est le cas, dit-il.
Il s’empara de sa bouche dans un baiser langoureux qui devint de
plus en plus fiévreux parce qu’elle continuait à caresser son sexe, et
il vint un moment où il n’eut plus envie de réprimer son désir.
— Assez ! siffla-t-il en rompant le baiser.
Il avait suscité l’attention de toute la cour, mais il les couvrit de
Charme en empoignant les fesses de Perséphone pour la soulever.
— Hadès, tout le monde nous voit ! s’écria-t-elle.
— Écran de fumée, marmonna-t-il avant de se téléporter.
Il préférait rester à Olympe, puisque Zeus pouvait les invoquer à
tout moment pour consulter l’Oracle, alors il les emmena dans son
domaine qui n’était pratiquement jamais occupé.
— L’exhibitionnisme ne t’intéresse plus ? demanda-t-elle.
— Je ne peux pas me concentrer sur toi comme je veux tout en
maintenant l’illusion, répondit-il, ce qui était en partie vrai.
L’autre raison était que ses frères pouvaient voir à travers
l’illusion, mais il ne voulait pas parler d’eux maintenant.
Il la plaqua contre le mur et promena ses doigts sur sa fente
mouillée, sentant sa queue tressauter de plaisir.
Perséphone étouffa son cri et s’agrippa plus fort à lui en pressant
ses seins contre son torse.
— Tu es trempée, grogna-t-il. Je pourrais me gorger de toi, mais
pour l’instant, je me contenterai d’une dégustation.
Il retira ses doigts et les suça avant de l’embrasser à nouveau –
d’abord sur la bouche puis sur ses seins, même s’il dut se contenter
de les titiller à travers sa robe.
Perséphone gigotait sous ses caresses, s’arquant et se cambrant
tout en plantant ses ongles dans sa chair.
— Hadès, je veux te sentir en moi, dit-elle, les joues roses, les
yeux pétillants. Tu m’as demandé de m’habiller pour le sexe. Tu ne
peux pas faire pareil ?
Hadès rit.
— Peut-être que si tu étais moins pressée, ce ne serait pas si
difficile, dit-il en ouvrant sa robe, qui glissa sur son corps comme ses
spectres.
Il s’enfouit enfin en elle, et ils grognèrent tous les deux. Hadès
avait la bouche ouverte contre ses lèvres et il taquina sa langue avec
la sienne. Sa tête était pleine d’un désir si fort qu’il en avait le tournis
et il pouvait à peine penser à quoi que ce soit d’autre.
— Je t’aime, dit Hadès, à bout de souffle.
— Je t’aime aussi, répondit-elle en souriant.
Il avança le bassin en roulant des hanches.
— C’est tellement bon, dit-il en nichant son front dans le creux de
son cou alors que son corps se couvrait de sueur.
— Jouis pour moi, dit-il. Pour que je baigne dans ta chaleur.
En temps normal, il essayait de faire durer le plaisir, de l’emmener
au bord du précipice avant de l’en éloigner à nouveau, augmentant
son désir jusqu’à ce qu’elle le supplie de jouir. Mais cette fois, un
sentiment d’urgence parcourait son corps, exigeant un orgasme
immédiat.
Il glissa une main entre eux et chatouilla son clitoris enflé.
Perséphone contracta ses cuisses autour de lui, l’attirant contre elle,
frémissant de plaisir.
— Oui, ma chérie, grogna Hadès en amplifiant ses coups de
bassin, jusqu’à ce qu’il jouisse aussi.
Il reposa lentement Perséphone par terre en caressant ses
cheveux décoiffés.
— Tu vas bien ? demanda-t-il, à bout de souffle.
— Oui, bien sûr, répondit-elle en riant. Et toi ?
— Je vais bien.
Il allait mieux que bien.
Il l’embrassa sur le front et se rhabilla pendant que Perséphone
découvrait la pièce.
— Où sommes-nous ?
— Chez moi.
— Tu as une maison à Olympe ?
— Oui. Mais j’y viens rarement.
— Combien as-tu de maisons ?
Il y réfléchit un instant, comptant ses demeures dans sa tête. Il y
avait son palais des Enfers, sa villa sur l’île de Lampri, celle-ci à
Olympe, et une autre à Olympia, et il en avait également à Thesprotie
et une à Élis.
— Six… Je crois.
— Tu… crois ?
— Je ne les utilise pas toutes.
Perséphone croisa les bras en haussant les sourcils.
— Tu veux m’informer d’autre chose ?
— Là, maintenant ? dit-il en souriant. Non.
— Qui gère ton patrimoine ? demanda-t-elle.
— Ilias.
Ilias s’occupait de tout.
— Peut-être que je devrais l’interroger au sujet de ton empire.
— Tu pourrais, mais il ne te dirait rien.
— Je suis sûre que j’arriverai à le persuader, dit-elle.
— Fais attention, chérie, je n’ai rien contre castrer tous ceux que
tu décideras de draguer.
— Tu es jaloux ?
— Oui, déclara-t-il sans honte. Très.
Quelqu’un frappa à la porte. Hadès était le plus près et il l’ouvrit,
même s’il savait déjà que c’était Hermès.
— Le dîner n’a pas suffi à vous rassasier ? demanda-t-il.
— Tais-toi, Hermès, gronda Hadès.
Le dieu de la Ruse sourit, mais ce ne fut que de courte durée.
— On m’a envoyé pour vous ramener, dit-il.
Hadès ne s’était pas attardé sur ce qu’il ressentirait quand le
moment viendrait enfin d’écouter l’Oracle. Soudain, une terrible
appréhension le saisit.
— On était en route, dit-il.
— Mais bien sûr. Et moi, je suis un citoyen exemplaire, se moqua
le Messager des dieux.
Hadès leva les yeux au ciel.
Ils partirent tous trois de la résidence d’Hadès et se dirigèrent
vers le temple du Soleil, qui était tellement près qu’ils entendaient
encore la musique et le brouhaha de la fête. L’ironie de ce festin était
qu’il n’avait rien à voir avec une volonté de célébrer leur couple ; ça
n’avait rien à voir avec la fête que les âmes d’Asphodèle avaient
organisée pour eux. Celui-ci n’était qu’une question de tradition et de
contrôle.
— Pourquoi j’ai l’impression que Zeus ne veut pas qu’Hadès et
moi nous nous mariions ? demanda Perséphone à Hermès.
Hadès savait qu’elle cherchait à être rassurée.
— Sans doute parce qu’il est tordu, répondit le dieu de la Ruse. Et
qu’il aimerait t’avoir à lui tout seul.
— Je n’ai rien contre tuer un dieu, dit Hadès. Au diable les
Moires !
— Calme-toi, Hadès, répondit Hermès. Je ne fais que remarquer
ce qui est évident. Ne t’inquiète pas, Sephy. Attendons ce que dit
l’Oracle.
Le ventre d’Hadès se noua méchamment, mais il devait admettre
qu’il était content que tout ça soit bientôt fini. Quoi que dise l’Oracle, il
épouserait Perséphone. C’était ce qui arriverait ensuite qui était
incertain.
Hadès prit la main de Perséphone en arrivant au temple pour
retrouver Zeus, qui se tenait dans une bande de lumière dorée
provenant de l’intérieur.
— Maintenant que vous daignez nous rejoindre, peut-être êtes-
vous prêts à entendre ce que l’Oracle va dire à propos de vos noces.
— J’ai hâte, répondit Perséphone d’une voix mielleuse tout en le
fusillant du regard.
— Alors suis-moi, Lady Perséphone, dit Zeus.
Ils sortirent du temple et traversèrent une cour remplie de statues
d’enfants, puis ils empruntèrent un passage qui menait au temple de
Zeus. C’était un bâtiment rond, avec des portes en chêne qui
s’ouvraient sur la vasque d’huile qu’il utilisait pour invoquer Pyrrha,
son Oracle.
Hadès avait déjà été témoin de ce cinéma, mais comme membre
de ce que Zeus aimait appeler son conseil. Quant à savoir s’il
écoutait l’avis de ceux qu’il réunissait, rien n’était moins sûr. Ce soir,
son conseil était composé d’Héra et Poséidon. Aucun n’était un choix
favorable pour Hadès, mais c’était maintenant qu’Héra avait un rôle à
jouer. Allait-elle soutenir Hadès, comme elle l’avait promis ?
Perséphone marqua un temps d’arrêt en voyant les deux dieux et
Zeus balaya l’air du revers de la main pour les présenter.
— C’est mon conseil, expliqua-t-il.
— Je croyais que ton Oracle était ton conseil, répondit-elle.
— L’Oracle parle du futur, c’est vrai, mais j’existe depuis
longtemps et je suis conscient que les fils de ce futur changent sans
cesse. Ma femme et mon frère le savent aussi.
Hadès peina à déglutir. Il espérait vraiment que Zeus appliquerait
cette même réflexion à sa situation.
Zeus prit une torche au mur et parla en se tournant vers la
vasque.
— Une goutte de ton sang, si tu veux bien.
Hadès tenait encore la main de Perséphone, et ils approchèrent
ensemble. Il se lança le premier afin de lui montrer quoi faire,
appuyant son doigt sur l’aiguille qui dépassait du bord de la vasque. Il
tendit la main et attendit qu’une goutte de sang tombe dans l’huile.
— Hadès ! chuchota-t-elle quand il prit son doigt dans sa bouche
pour la guérir.
— Je ne veux pas te voir saigner.
Il le lui avait déjà dit, fallait-il vraiment qu’il se répète ?
— Ce n’était qu’une goutte.
Il ne dit rien, l’éloignant de la vasque alors que Zeus enflammait
l’huile.
Le liquide brûla furieusement et des flammes vertes s’en
élevèrent. La fumée était épaisse et s’échappait par l’ouverture au
milieu du plafond voûté. L’Oracle apparut bientôt ; une vieille femme
enveloppée par les flammes.
— Pyrrha, dit Zeus. Donne-nous la prophétie d’Hadès et
Perséphone.
— Hadès et Perséphone, répéta l’Oracle. Une union puissante,
un mariage qui produira un dieu plus puissant encore que Zeus lui-
même.
Hadès resta silencieux, confus et choqué, cherchant
désespérément à se répéter et à mémoriser chaque mot prononcé
par l’Oracle. En vérité, il ne savait pas ce qu’il avait cru que l’Oracle
dirait, mais dès qu’il entendit son message, il sut qu’ils étaient foutus.
Il était peu probable que Zeus permette à quiconque de se marier
si son règne était en jeu.
— Zeus… gronda Hadès, crispé de la tête aux pieds, prêt à
dégainer sa magie.
Mais Zeus, Héra et Poséidon l’étaient aussi.
— Hadès.
— Tu ne me la prendras pas, dit-il.
— Je suis roi, Hadès. Peut-être as-tu besoin que je te le rappelle.
— Si c’est ton souhait, je serai plus qu’heureux de mettre fin à ton
règne.
Un silence tendu suivit et la menace d’Hadès plana sur eux. Ils
savaient tous que ce n’était pas une menace en l’air.
— Tu es enceinte ? demanda brusquement Héra.
— Je te demande pardon ? s’étonna Perséphone, mais Hadès ne
réagit pas.
Il savait que c’était impossible.
— Dois-je me répéter ? insista Héra.
— La question est inappropriée, rétorqua Perséphone.
— Elle est pourtant importante, étant donné la prophétie, répondit
Héra.
— Et pourquoi donc ?
— La prophétie dit que votre mariage produira un dieu plus
puissant que Zeus, dit Héra. Un enfant né de cette union serait un
dieu très puissant, capable de donner la vie et la mort.
Hadès grinça des dents.
— Il n’y a pas d’enfant, dit Hadès. Il n’y aura aucun enfant.
Poséidon rit sèchement.
— Même les hommes les plus prudents ont des enfants, Hadès.
Comment peux-tu nous l’assurer, alors que vous ne pouvez même
pas tenir une danse sans partir pour baiser ?
— Je n’ai pas besoin de faire attention. Ce sont les Moires qui ont
ôté ma capacité à avoir des enfants. Ce sont les Moires qui ont tissé
Perséphone dans mon monde.
Héra pencha la tête sur le côté, comme si elle était curieuse, les
yeux rivés sur Perséphone.
— Souhaites-tu rester sans enfant ?
— Je veux épouser Hadès, répondit Perséphone. Si je dois rester
sans enfant, c’est ce que je ferai.
Hadès eut du mal à déglutir en notant qu’elle n’avait pas répondu
« non ». Soudain, il lui semblait qu’il privait Perséphone de quelque
chose.
Il y eut un nouveau silence, puis Zeus se tourna vers Hadès.
— Tu es sûr que tu ne peux pas avoir d’enfant, frère ?
— Certain.
Les Moires revenaient rarement sur leur décision. D’ailleurs,
Hadès n’avait pas un seul exemple en mémoire.
— Laisse-le se marier, Zeus, dit Poséidon d’un ton presque
dédaigneux, comme si tout ça l’ennuyait. Ils ont clairement envie de
baiser comme mari et femme.
— Et si le mariage produit un enfant ? dit Zeus. Je ne fais pas
confiance aux Moires. Leurs fils changent sans cesse.
— Alors nous prendrons l’enfant, déclara Héra, la voix dénuée
d’émotion.
C’était sans doute parce que ce n’était pas la première fois qu’elle
cherchait à résoudre un problème en enlevant ou en se débarrassant
d’un enfant.
Même s’ils avaient établi qu’Hadès ne pouvait pas avoir d’enfant,
Perséphone lui serra si fort la main que ses ongles se plantèrent
dans sa paume. Il la comprenait, les propos d’Héra lui faisaient
également l’effet d’une violation.
— Il n’y aura pas d’enfant, répéta Hadès, la mâchoire crispée.
Sa haine de tout ce que symbolisait cette réunion brûlait dans ses
veines et il espérait que Zeus le voyait dans son regard.
Après un silence interminable, son frère finit par parler.
— Alors je bénis cette union, dit enfin Zeus. Mais si la déesse
tombe un jour enceinte, ajouta-t-il en scrutant Perséphone, l’enfant
sera tué.
C’était assez.
Hadès invoqua sa magie et les téléporta aux Enfers. Ils s’étaient à
peine matérialisés que Perséphone tomba à genoux et vomit à ses
pieds.
Chapitre XL
HADÈS
*
* *
— Je ne vais pas te mentir, dit Hermès, je suis un peu vexé que tu
aies laissé Hécate t’habiller pour ce qui est sans doute l’occasion la
plus chic de ta vie.
— Je ne l’ai rien laissée faire du tout, dit Hadès. Elle l’a fait, c’est
tout.
Il ajusta sa veste pour la millième fois.
— Arrête de tirer dessus ! gronda Hermès. Laisse-moi faire.
Hermès dégagea les mains d’Hadès, puis il lissa son col et les
revers de sa veste. Quand il eut fini, il laissa retomber ses mains et
regarda Hadès dans les yeux.
— Je suis super content pour toi, Hadès, dit-il d’un ton si solennel
que c’était presque perturbant.
Hermès était rarement sentimental, sauf quand il était en colère.
— Merci, Hermès, dit Hadès. Tu es vraiment un très bon ami.
— Le meilleur, n’est-ce pas ? insista le dieu de la Ruse en
souriant.
— Calme-toi, répondit Hadès, et le dieu gloussa.
— Pour ma part, je ne sais pas si je devrais m’engager auprès
d’une seule personne. Je suis un dieu aux besoins multiples, si tu
vois ce que je veux dire.
Il joua des sourcils et Hadès leva les yeux au ciel.
— Tout le monde voit ce que tu veux dire, Hermès. Tu ne fais rien
pour le cacher.
Quelqu’un frappa à la porte et ils tournèrent la tête quand Hécate
apparut.
— Hadès, c’est l’heure. Tu dois prendre ta place !
Hermès le précéda et Cerbère, Typhon et Orthos le suivirent
jusqu’à la clairière d’Hécate. Plus ils en approchaient, plus Hadès
était nerveux. Il ne comprenait pas pourquoi. Peut-être était-ce à
cause de l’importance de cet événement. Hadès avait si
désespérément attendu ce moment, et voilà qu’il y était. Il avait du
mal à y croire, en fait.
Ils franchirent la lisière du bois et Hadès s’arrêta en réalisant qu’il
n’était pas du tout préparé pour ça. La clairière était superbement
décorée, pleine d’âmes et de divinités, toutes réunies pour célébrer
l’amour immense et passionnel qui s’était épanoui entre lui et
Perséphone, cette déesse incroyable qui avait créé la vie dans son
monde.
C’était presque bouleversant et sa poitrine et sa gorge se
nouèrent.
Il parcourut l’allée jusqu’à l’arche verdoyante placée au bout et il
prit sa place sur la droite. Cerbère, Typhon et Orthos s’installèrent à
ses pieds. Hermès et Apollon étaient assis côte à côte au premier
rang. Ils étaient tous deux partis du festin quand il les avait invoqués,
car il savait que Perséphone tiendrait à ce qu’ils soient présents.
Hermès se pencha en avant et chuchota à voix haute.
— Ne verrouille pas tes genoux, sinon tu vas t’évanouir.
— Ils ne sont pas verrouillés, répondit-il en chuchotant, sans
savoir pourquoi. Pourquoi tu me dis ça ?
— Je ne dis pas qu’ils le sont. Je te dis de ne pas les verrouiller.
Voilà qu’il s’inquiétait, maintenant. Et s’il s’évanouissait ? Il
s’entraîna à plier les genoux pour être sûr de sentir la différence.
— Tu as l’air d’un imbécile, dit Hermès.
Hadès le fusilla du regard, mais la musique retentit, jouée par un
groupe d’âmes installées sur le côté, et il riva son regard au bout de
l’allée.
Son cœur battait la chamade et pulsait dans tout son corps alors
qu’il attendait que Perséphone apparaisse. Quand enfin elle arriva,
elle était si belle qu’Hadès eut physiquement mal de la regarder. Sa
seule pensée était que tout ce qu’il avait fait et toutes les erreurs qu’il
avait commises dans sa vie en valaient la peine, rien que pour vivre
ce moment.
Il se força à le mémoriser, à graver dans sa mémoire chaque
détail de son avancée, depuis les gypsophiles dans ses cheveux
jusqu’à la coupe de sa robe et la façon dont son regard et son sourire
s’illuminèrent quand elle le vit.
Dieux, jamais il n’aurait pensé remercier les Moires un jour.
Fidèle à sa nature, Perséphone s’arrêta pour prendre ses amis
les plus proches dans ses bras, y compris Apollon et Hermès, et
quand elle fut enfin devant lui, Hadès ressentit une joie et une
euphorie pures.
Elle fit un pas vers lui, mais Lexa la tira en arrière pour prendre
son bouquet. Hadès sourit et toute la foule éclata de rire.
— Tu es pressée, chérie ? demanda-t-il.
— Toujours, répondit-elle.
Quand elle fut face à lui, il prit ses mains dans les siennes.
— Salut.
— Salut, répondit-il en souriant jusqu’aux oreilles. Tu es
magnifique.
— Toi aussi.
Hécate se racla la gorge et se plaça entre eux, les regardant tour
à tour.
— Je savais que ce moment viendrait, dit-elle. Un jour. J’ai vu
l’amour sous toutes ses formes et à des degrés divers, mais cet
amour, celui que vous partagez, est particulièrement précieux. Il est
désespéré, féroce et passionné, dit-elle avant de marquer une pause
pour rire, imitée par toutes les convives. Peut-être est-ce parce que je
vous connais, mais le vôtre est l’amour que je préfère voir. Il
s’épanouit et illumine, défie et provoque, il blesse et il guérit. Il
n’existe pas deux autres âmes qui soient mieux accordées.
Séparément, vous êtes la lumière et l’obscurité, la vie et la mort, un
début et une fin. Ensemble, vous êtes la fondation sur laquelle un
empire sera bâti, qui unira les gens et fusionnera les mondes. Vous
êtes un cycle qui ne finira jamais, éternel et infini. Hadès.
Hécate lui tendit la bague de Perséphone. La jeune déesse
écarquilla les yeux en la voyant, et il savait qu’elle réalisait qu’elle
n’en avait pas pour lui, mais elle n’avait pas à s’inquiéter. Hadès avait
préparé ce moment.
— Prends-tu Perséphone pour épouse ? demanda Hécate.
— Oui, déclara-t-il en glissant la bague à son doigt.
— Perséphone, dit Hécate en donnant à Perséphone un anneau
noir. Prends-tu Hadès pour époux ?
— Oui, répondit Perséphone et, alors qu’elle passait la bague à
son doigt, Hadès eut l’impression qu’elle lui faisait le plus beau des
cadeaux.
Il avait l’honneur d’être son époux.
— Tu peux embrasser la mariée, Hadès.
Il prit son visage dans ses mains et elle saisit ses poignets en lui
souriant.
— Je t’aime, dit-il en scellant ses mots d’un baiser.
Il l’embrassa en pensant qu’un baiser lui suffirait, mais ce n’était
pas le cas. Il l’attira dans ses bras et écarta ses lèvres avec sa
langue pour rendre le baiser plus profond. C’était étrange à dire, mais
les choses semblaient différentes, à présent. Peut-être était-ce parce
qu’il n’avait jamais été aussi heureux. Quoi qu’il en soit, il était on ne
peut plus conscient qu’il embrassait sa femme, sa déesse, sa reine.
— Trouvez-vous une chambre ! cria Hermès.
Hadès tint Perséphone dans ses bras quelques secondes de
plus, juste pour se venger du dieu de la Ruse. Puis il l’embrassa sur
le front et prit sa main pour se tourner vers les invités.
— J’ai l’honneur de vous présenter Hadès et Perséphone, roi et
reine des Enfers, déclara Hécate.
Toute la foule se mit à les applaudir et à crier, et ils longèrent à
nouveau l’allée, cette fois en tant que mari et femme. Quand ils
passèrent derrière les arbres, il s’arrêta pour embrasser à nouveau
sa déesse.
— Je n’ai jamais rien vu d’aussi sublime que toi, dit-il en
l’admirant, gravant dans sa mémoire le regard intense qu’elle lui
renvoyait.
Elle semblait aussi heureuse que lui.
— Je t’aime. Tellement, dit-elle.
— Venez, dit Hécate en les téléportant dans la bibliothèque. Vous
avez quelques minutes pour vous avant que je revienne vous
chercher pour la fête, dit-elle. Si j’étais vous, je garderais mes
vêtements… et les pieds par terre.
Une fois seuls, Hadès étudia Perséphone.
— Ça m’a tout l’air d’un défi, dit-il.
— Prêt à le relever, mon époux ?
Ce mot lui comprima la poitrine et il ferma les yeux pour réprimer
les larmes qui s’y formaient.
— Est-ce que ça va ?
— Redis-le. Que je suis ton époux.
— J’ai demandé à mon époux s’il était prêt à relever ce défi.
Quand il fut certain de ne pas craquer, il rouvrit les yeux et saisit
ses hanches pour l’attirer contre lui.
— J’ai beau mourir d’envie de te prendre, dit-il, j’ai prévu autre
chose pour ce soir.
— Est-ce que ça implique… une nouveauté ?
— Est-ce que… c’est ce que tu veux ?
— Oui, chuchota-t-elle.
— Et que souhaites-tu essayer ?
Il ne s’attendait pas à sa réponse.
— Je veux que tu m’attaches.
Chapitre XLI
HADÈS
*
* *
Hadès n’avait rien organisé en ce qui concernait le mariage, mais
cela ne signifiait pas qu’il n’avait rien prévu pour leur nuit de noces.
Sa seule obsession, quand il s’était demandé où emmener
Perséphone pour cette nuit, avait été de trouver un lieu au-delà de ce
monde, un lieu épargné par la terreur et le conflit.
Il voulait l’emmener dans les étoiles.
Il était satisfait de l’illusion qu’il avait créée. Ils se tenaient sur
l’estrade de leur lit de noces, les astres scintillaient tout autour d’eux.
— Est-ce qu’on est… au milieu d’un lac ? demanda Perséphone.
— Oui.
— C’est ta magie ?
— Oui. Ça te plaît ?
— C’est magnifique, dit-elle. Mais où sommes-nous ?
— Nous sommes aux Enfers, dit-il. Dans un lieu que j’ai créé.
— Depuis quand tu prévoyais ça ?
— Ça fait un moment que j’y réfléchissais, répondit-il.
Aussi longtemps qu’il avait réfléchi à l’alliance qu’il lui offrirait.
Perséphone sourit et s’approcha du lit, caressant les draps en
soie. Hadès se demanda ce qu’elle faisait – peut-être voulait-elle
s’assurer que le lit était bien réel ? Mais elle se redressa et le regarda
par-dessus son épaule.
— Aide-moi à me déshabiller, dit-elle.
Il ne se fit pas prier et fit glisser la fermeture Éclair, caressant en
même temps son dos du bout des doigts. Il baissa ensuite les
bretelles de sa robe et quand celle-ci tomba au sol, il découvrit qu’elle
était nue sous le vêtement.
Elle se tourna lentement vers lui et chercha son regard.
L’atmosphère était étrange et tendue. Hadès ne savait pas pourquoi,
ce n’était pas la première fois qu’ils allaient coucher ensemble, mais
peut-être était-ce dû à ce qu’elle lui avait demandé d’explorer.
Il l’attira dans ses bras et la tension devint palpable. Il la sentait
crépiter entre eux alors que la distance qui les séparait se refermait,
et même quand il l’embrassa et caressa sa peau douce. Il remonta
ses mains le long de sa taille, jusqu’à ses seins, puis il les posa à plat
sur son dos pour la serrer plus fort dans ses bras.
Il n’avait pas envie d’arrêter, mais il le fallait. Il s’écarta et sortit
une petite boîte noire de sa poche.
— Ce sont des Chaînes de Vérité, dit-il. C’est une arme puissante
contre n’importe quel dieu, à moins qu’il ait le mot de passe. Je te le
donne tout de suite. Si tu commences à avoir peur, tu pourras te
libérer immédiatement. Eleftherose ton. Dis-le.
Elle le dévisagea avant d’ouvrir la boîte.
— Eleftherose ton.
Il suivit des yeux le mouvement de ses lèvres tandis qu’elle
répétait les mots.
— Parfait.
— Pourquoi on les appelle les Chaînes de Vérité ?
— La seule vérité qu’elles tireront de tes lèvres est ton plaisir,
promit-il. Allonge-toi.
Elle lui tourna le dos, lui offrant ses fesses en rampant sur le lit. Il
dut se retenir d’empoigner ses hanches pour la ramener à lui et la
fesser avant de la prendre par-derrière – ils auraient tout le loisir de le
faire plus tard. Pour l’instant, il devait s’assurer qu’elle était
confortable et qu’elle se sentait en sécurité, et il ne ferait rien d’autre
tant que ce ne serait pas le cas.
Elle s’installa sur le dos et écarta les bras quand Hadès lui
demanda de le faire. Il la chevaucha, incapable de quitter des yeux
son superbe corps. La préparer pour l’acte était tout aussi érotique
que l’acte lui-même.
Il posa la boîte au-dessus de sa tête, et les chaînes apparurent
par magie. C’étaient d’abord d’épaisses menottes, faites pour
attacher un dieu, mais Hadès les effleura et elles se changèrent en
tissu.
— Pardonne-moi, chérie, dit Hadès en la regardant dans les yeux.
Tu es prête ?
— Pour toi ? Toujours.
— Toujours, répéta Hadès, frissonnant en entendant ce mot.
Il recula sur les talons pour l’admirer pendant qu’il enlèverait sa
veste et sa chemise. Il aimait la voir ainsi et il se dit qu’il en était
capable, maintenant qu’ils avaient un mot de sécurité.
Les yeux habituellement si verts de Perséphone étaient noirs, elle
scrutait chacun de ses gestes.
— À quoi tu penses ? demanda-t-il.
— Je veux que tu accélères, répondit-elle, et elle écarquilla les
yeux en s’entendant parler.
Elle leva les yeux vers les menottes et tira dessus avant de
regarder à nouveau Hadès.
— Tu crois que je pourrais te menotter, toi aussi ?
— Si tu le souhaites, répondit-il en enlevant sa chemise pour la
jeter par terre. Mais tu n’as pas besoin de chaînes pour obtenir la
vérité de moi.
— Je préfère ne pas entendre tes projets, dit Perséphone.
Hadès esquissa un sourire en coin. Il savait qu’elle voulait juste
qu’il commence.
— Que veux-tu, femme ?
— De l’action, déclara-t-elle en gigotant sous lui.
Bon sang, elle était sublime et tellement tentante…
Il éclata de rire avant de l’embrasser entre les seins, puis sur
chaque téton. Elle entoura sa taille avec ses jambes, frottant son
bassin contre son érection.
Il aimait la voir perdre patience. Il espérait que cela signifiait que
quand il arriverait entre ses cuisses, elle mouillerait tellement qu’il
pourrait s’y noyer. Il rampa le long de son corps et elle ouvrit les
jambes en papillon, offrant à sa bouche son sexe sublime.
Il la lécha et la suça, et elle gémit éhontément.
— Ça. J’adore ça, chuchota-t-elle.
Il glissa un doigt en elle et suça son clitoris, s’arrêtant juste assez
longtemps pour encourager ses paroles.
— C’est ça, chérie. Dis-moi ce que tu sens.
— C’est trop bon. Tellement bon.
Elle parvint à le regarder avant de laisser retomber sa tête sur
l’oreiller en poussant un gémissement guttural.
Quand elle jouit, elle le serra si fort qu’il sembla à Hadès qu’elle
voulait l’emprisonner pour toujours entre ses cuisses. Si cela
impliquait de la faire jouir ainsi pour l’éternité, rester là ne lui posait
aucun problème, mais son propre désir continuait de pulser entre ses
jambes.
— Tu vas où ? demanda-t-elle quand il se leva, les mains sur le
bouton de son pantalon.
— Je ne vais pas loin, répondit-il en finissant de se déshabiller.
Il se tint nu devant elle, sentant son regard de braise qui
enflammait sa peau et rendait sa verge et ses testicules encore plus
lourds. Il avait hâte d’être en elle, et qu’elle devienne sa femme de
cette manière. Même s’ils avaient déjà fait l’amour des dizaines de
fois, celle-ci était différente.
— Dis-moi ce que tu penses, dit-il, curieux de savoir ce que
cachait son regard brûlant.
— Que peu importe le nombre de fois que tu es en moi, je ne
peux pas… ce n’est jamais assez.
Hadès remonta sur elle, plaquant son corps contre le sien,
savourant la chaleur et l’énergie sauvage qui les enveloppaient.
— Je t’aime, dit-il en la regardant dans les yeux.
— Je t’aime.
Il ne se lasserait jamais d’entendre ces mots lui être retournés et,
pour la première fois de la soirée, il voulait que ses mains soient
libres de le toucher. Mais il attendrait.
— Tu vas bien ? demanda-t-il pour en être sûr.
— Oui, acquiesça-t-elle alors que sa voix tremblait légèrement. Je
pense juste à combien je t’aime vraiment.
Hadès ne doutait pas de son amour, mais il regrettait qu’elle ne
sache jamais combien cela comptait pour lui. Il l’avait attendue. Il
avait désespéré qu’elle soit à lui. Il avait rêvé d’elle, et elle était
désormais là, réelle, chaude, allongée sous lui.
Et maintenant, il voulait être en elle.
Il l’embrassa fougueusement et approcha sa verge de sa fente.
Elle plia les jambes et planta ses talons dans ses fesses, essayant en
vain de le forcer à la pénétrer plus fort et plus vite, mais il résista et se
glissa lentement en elle. Il prit ses jambes sur ses épaules avant
d’entamer ses allers-retours.
Il se concentra sur elle, sur sa façon de frémir sous lui. Elle
réagissait exactement comme il l’avait espéré et il eut de plus en plus
de mal à se concentrer et à maintenir le rythme.
— Tu es tellement bonne. Tu es tellement serrée, tellement
trempée, dit-il en accélérant le rythme, passant d’un mouvement lent
et maîtrisé à quelque chose de plus possessif et charnel.
Putain, il mourait d’envie de sentir ses mains sur lui.
— Eleftherose ton !
Il lâcha ses jambes et se pencha pour s’emparer de sa bouche
dans un baiser fiévreux et maladroit. Elle plongeait ses mains dans
ses cheveux, puis sur ses fesses pour les empoigner et les attirer
vers elle.
— Putain !
Il se retira et s’assit sur ses talons en l’entraînant avec lui, l’aidant
à s’asseoir sur sa queue. Ils se tinrent fort l’un l’autre en bougeant
tous les deux, se frottant l’un à l’autre, et il sut qu’il ne tiendrait plus
très longtemps. Sa façon de respirer le rendait fou, comme la
sensation de ses tétons contre son torse, la sensation d’elle autour
de lui.
Ils se raidirent tous les deux, intensifièrent leurs mouvements à la
recherche de l’extase. Quand son sexe se contracta autour de lui,
Hadès jouit à son tour et une décharge électrique lui monta à la tête.
Il fut saisi d’un vertige et se laissa tomber sur le lit avec
Perséphone dans les bras, leurs corps merveilleusement lourds.
La déesse se mit à rire.
— Je préfère ne pas penser que c’est ma performance qui te fait
rire, dit-il.
Cela la fit rire de plus belle, mais elle finit par s’arrêter et le
regarder.
— Non, répondit-elle enfin en levant la main pour caresser les
traits de son visage. Tu étais parfait.
Hadès les fit rouler sur le côté pour qu’ils soient face à face.
— Tu es tout pour moi, Perséphone, dit-il. Mon premier amour, ma
femme, la première et la dernière reine des Enfers.
Chapitre XLII
HADÈS
*
* *
— Elle est hors de contrôle, dit Hadès en regardant la
vidéosurveillance de la veille, quand les cinq nymphes étaient
apparues comme par magie, atterrissant devant l’entrée de son club.
— Cinq vies, dit Ilias d’une voix douce et triste. Tout ça pour quoi ?
Pour faire passer un message ?
— Non, dit Hadès. Le message avait déjà été envoyé. Ça, c’est
juste de la cruauté.
Avec sa tempête de neige, Déméter misait déjà sur le sentiment
de responsabilité que Perséphone avait envers le monde entier.
Comme ça n’avait pas marché, elle avait changé de stratégie et,
apparemment, elle comptait la blesser directement.
Hadès serra les poings et contracta sa mâchoire.
— Vous pensez que Déméter est au courant ? demanda Ilias.
Hadès savait qu’il parlait de leurs noces.
— Non, mais elle sait sans doute que Zeus nous a donné sa
bénédiction.
Putain.
Il ne doutait pas que malgré leur départ précipité, Zeus avait
annoncé leur union au public, sans se soucier des conséquences. Ce
n’était pas qu’il ne les connaissait pas, mais plutôt qu’il s’en fichait.
Toute action de la part de Déméter signifiait que Zeus pourrait rejeter
la faute sur elle quand Hadès et Perséphone seraient forcés de se
séparer.
Maintenant, Hadès devait trouver un moyen d’annoncer à
Perséphone que cinq des femmes avec qui elle avait grandi étaient
mortes à cause d’eux, quelques heures à peine après qu’ils étaient
devenus mari et femme.
Dieux, qu’il détestait Déméter !
Faire souffrir le monde avec sa magie était une chose. Ça ne
faisait que nourrir le pouvoir d’Hadès. Mais c’en était une autre de
blesser sa femme avec un acte aussi froid et cruel.
C’était impardonnable.
C’était de la folie, et Hadès se demanda – redouta, même – ce
qu’elle ferait ensuite.
— Que voulez-vous que je fasse ? demanda Ilias.
Hadès n’en savait rien. Il pouvait retenter de trouver Déméter,
mais la confronter ne servait à rien. Elle avait décidé de faire du mal à
Perséphone à cause de lui. Hadès aurait beau la supplier, elle ne
l’entendrait pas. D’ailleurs, le mal était fait. Quand sa femme
reviendrait chez eux, ce soir, elle aurait à enterrer cinq de ses amies.
Sa culpabilité lui noua l’estomac et sa gorge se remplit de bile.
Il n’aurait jamais dû ordonner à ses femmes de trouver Déméter,
mais il ne s’attendait vraiment pas à ce qu’elle les assassine toutes.
Merde.
— Je vais devoir le dire à leur père, dit-il d’une voix lointaine.
Cela dit, Nérée le savait sans doute déjà. Les dieux pouvaient
sentir ce genre de chose – la fin de la vie qu’ils avaient eux-mêmes
créée.
— Peut-être que je devrais le faire, proposa Ilias.
Hadès n’accepta pas sa proposition, mais il ne la refusa pas non
plus, car ses pensées étaient sens dessus dessous. Il n’avait pas pris
leur peur de mourir au sérieux, car il ne pensait pas qu’elles
mourraient. Il n’avait pas regardé leur âme ni leur fil de vie. Le fait que
Déméter mette fin à cinq vies immortelles aurait de grandes
conséquences. Il se demanda si les Moires prendraient une vie ou en
créeraient une nouvelle. Le sacrifice serait-il aussi dangereux que la
résurrection de l’Ophiotauros ?
— Prépare leurs funérailles, dit Hadès. Je… je suis sûr que
Perséphone voudra les voir.
Elle voudrait leur dire au revoir avant de déverser sa rage. Restait
à savoir si elle la déverserait sur lui ou sur Déméter.
*
* *
Une heure plus tard, quand Ilias revint, Hadès pensait encore aux
cinq nymphes. Il s’attendait à ce que le satyre l’informe qu’il avait
parlé à Nérée, mais son visage trahissait quelque chose de bien pire.
— Perséphone a été révélée en tant que déesse, dit-il.
Hadès haussa les sourcils.
— Quoi ?
— Le New Athens News, dit-il, incapable d’en dire plus. C’est leur
gros titre.
Cette fichue Hélène, pensa Hadès.
Il se leva et ils descendirent au rez-de-chaussée du club pour
allumer une des télévisions. La une concernait Perséphone.
LA FILLE DE DÉMÉTER DÉMASQUÉE
Le présentateur du journal expliquait : « La femme, Perséphone
Rossi, qui est fiancée à Hadès, le dieu des Morts, s’est fait passer
pour une journaliste mortelle. Elle avait fait la une plus tôt dans
l’année en rédigeant des articles critiques envers le Divin. »
— Tu crois qu’elle est prête pour ça ? demanda Ilias.
— À être dévoilée comme déesse au monde entier ? Non.
Perséphone avait à peine commencé à accepter sa divinité. Et
voilà que maintenant, le monde s’intéresserait encore plus à elle
qu’avant, quand il pensait qu’Hadès était tombé amoureux d’une
mortelle – même ceux qui lui en voulaient d’avoir caché son couple
au public. Perséphone allait devoir affronter l’obsession et la haine
des mortels. Tout ça se traduirait par de la vénération, ce qui
impliquait que son pouvoir deviendrait plus puissant. Un pouvoir
qu’elle peinait déjà à maîtriser.
Hadès et Ilias regardaient la télé, le présentateur du journal
annonça l’arrivée d’un flash info.
« On nous fait part d’une avalanche près de Spartes et de
Thèbes. Les villes sont ensevelies sous plusieurs mètres de neige.
Les secours sont en route. »
Merde. Merde. Merde.
Cela signifiait que des milliers d’âmes étaient sur le point d’entrer
aux Enfers, pas seulement des mortels mais aussi des animaux, et
tout ça à cause de la fichue tempête de Déméter.
Perséphone allait être dévastée. Hadès se demanda ce qu’elle
ferait quand elle découvrirait l’horreur que sa mère infligeait au
monde.
Il n’eut pas besoin d’attendre pour le savoir, car il sentit la magie
de Perséphone faire irruption, plus forte que jamais. Elle était
angoissée et en colère, et Hadès trembla de tout son corps.
Putain de Moires !
— Je dois retrouver Perséphone, dit-il.
Il savait de quoi elle était capable quand on la provoquait, et cette
fois, cela attirerait l’attention d’Olympe.
Hadès libéra sa magie, la laissant chercher l’énergie des pierres
de sa bague, et quand il s’y agrippa, il se téléporta jusqu’à elle, la
trouvant face à huit Olympiens. Apollon et Hermès étaient postés
légèrement devant Perséphone, pour la protéger.
Hadès posa une main possessive sur son ventre et l’attira contre
lui.
— Tu es en colère, chérie ? demanda-t-il tout contre son oreille.
— Un peu, répondit-elle.
Malgré leur échange détendu, le cœur d’Hadès battait la
chamade. Il fusilla Zeus du regard. Il se tenait pile en face d’elle, avec
Héra d’un côté et Poséidon de l’autre. Les autres Olympiens étaient
alignés à leurs côtés.
Déméter était remarquablement absente.
— Belle démonstration de pouvoir, petite déesse, dit Zeus.
— Ose m’appeler « petite » encore une fois, rétorqua Perséphone
en se crispant des pieds à la tête.
Zeus ricana.
— Je ne sais pas pourquoi tu ris, poursuivit-elle. Je t’ai déjà
demandé de me respecter. Je ne le répéterai pas.
— Tu menaces ton roi ? demanda Héra.
— Il n’est pas mon roi, répondit Perséphone d’un ton cinglant.
Les traits de Zeus se durcirent.
— Je n’aurais jamais dû te laisser sortir de ce temple. La
prophétie ne parlait pas de tes enfants. Elle parlait de toi.
— Arrête, Zeus, dit Hadès en serrant plus fort Perséphone. Ça ne
finira pas bien pour toi.
— Ta déesse est une menace pour tous les Olympiens, répondit
son frère.
— Elle est une menace pour toi, rectifia Hadès.
É
— Écarte-toi, Hadès, ordonna Zeus. Je n’hésiterai pas à t’éliminer
aussi.
Hadès s’attendait à ce moment. Il s’y était préparé, mais il ne
pensait pas qu’il arriverait si vite, et il réfléchissait désormais à vive
allure, essayant d’évaluer s’ils étaient prêts.
Si Perséphone était prête.
— Si tu leur déclares la guerre, tu seras en guerre contre moi,
déclara Apollon, son arc doré se matérialisant au même moment
dans ses mains.
— Et moi, ajouta Hermès en dégainant son épée.
Ses propos furent suivis d’un silence pesant.
— Vous commettriez une trahison ? demanda Zeus.
— Ce ne serait pas la première fois, dit Apollon.
— Vous protégeriez une déesse dont les pouvoirs pourraient vous
détruire ? demanda Héra.
— Avec ma vie, dit Hermès. Sephy est mon amie.
— Et la mienne, dit Apollon.
— Et la mienne, ajouta Aphrodite.
Elle rompit le rang des Olympiens et se posta à côté d’Apollon
avant d’invoquer le nom d’Héphaïstos. Le dieu du Feu apparut
immédiatement à ses côtés.
— Je ne me battrai pas, dit Hestia.
— Ni moi, ajouta Athéna.
— Lâches ! rétorqua Arès.
— Le combat doit servir un autre but que de faire couler le sang,
dit Athéna.
— L’Oracle a parlé et dénoncé cette déesse comme une menace,
rétorqua Arès. La guerre élimine les menaces.
— Tout comme la paix, dit Hestia.
Hadès n’était pas surpris par leur décision, et les deux déesses
disparurent, les laissant face à Zeus, Héra, Poséidon, Artémis et
Arès.
Quand le combat commencerait, Hadès se concentrerait sur ses
frères. Il espérait surtout éviter qu’ils s’en prennent à Perséphone.
— Tu es sûr que c’est ce que tu veux, Apollon ? demanda
Artémis.
— Seph m’a accordé une chance quand elle ne l’aurait pas dû.
J’ai une dette envers elle.
— Est-ce que cette chance mérite que tu risques ta vie ?
— En ce qui me concerne ? Oui, répondit-il.
— Tu vas le regretter, petite déesse, promit Zeus, et Hadès sentit
la magie de son frère électrifier l’atmosphère.
Ses poils se hérissèrent sur ses bras et sa nuque.
— Je t’ai dit de ne pas m’appeler petite.
Le pouvoir de Perséphone brisa la terre sous les pieds de Zeus et
des autres Olympiens. Ils sautèrent pour éviter de tomber dans
l’abîme et s’élevèrent dans les airs. Hadès resta posté derrière
Perséphone, attendant de voir comment elle se défendrait. Il avait
besoin de savoir qu’elle pouvait se débrouiller toute seule.
La magie de Zeus explosa entre ses mains quand il invoqua un
éclair qu’il jeta aux pieds de Perséphone, faisant trembler le sol. Il
l’avait fait pour lui faire peur, pensant qu’elle se dégonflerait face à
son pouvoir, mais Perséphone ne bougea pas d’un centimètre.
— Tu es aussi chiante que ta mère, cracha Zeus.
— Tu veux dire que je suis déterminée, corrigea Perséphone.
Zeus recula le bras pour frapper à nouveau, et Perséphone
invoqua un mur d’épines acérées pour le contrer. C’était assez.
Hadès fit un pas de côté et se débarrassa de son Charme,
ordonnant à ses spectres de foncer sur Zeus. L’un d’entre eux parvint
à transpercer son corps, lui coupant le souffle, mais Zeus s’en remit à
temps pour contrer les autres avec les manchettes dorées à ses
poignets.
— La règle en matière de femmes, Hadès, c’est qu’il ne faut
jamais leur donner son cœur, gronda Zeus en invoquant un nouvel
éclair.
— Je ne t’ai jamais demandé conseil, frangin. Pourquoi je
commencerais maintenant ? répondit Hadès en invoquant son bident.
— Peut-être que tu aurais dû. On n’en serait pas là aujourd’hui.
Pour une fois, son frère n’avait pas tort.
— J’aime bien où je suis, dit Hadès en regardant autour de lui
alors que les autres Olympiens se battaient. Je me sens chez moi.
Les deux frères n’hésitèrent pas une seconde et leurs armes
s’entrechoquèrent avec tant de force qu’ils furent tous les deux
secoués. Ils avancèrent les mains en même temps, Zeus envoyait
ses éclairs, Hadès envoyait ses ombres. Ils furent tous deux percutés
par leurs attaques, et leurs talons s’enfoncèrent dans le sol, créant de
profondes fissures. Ils s’arrêtèrent en même temps et chargèrent à
nouveau, se fonçant dessus avec tant de violence que le sol trembla.
Ils firent tous les deux usage de leurs poings.
— Tu me trahirais pour elle ? demanda Zeus en grinçant des
dents.
— Je te trahirais pour bien moins que ça, siffla Hadès.
Zeus grogna, et son énergie parut presque nucléaire quand elle
explosa autour de lui, projetant Hadès en arrière. La terre se souleva
et il atterrit dans un cratère formé par l’impact de son corps. Le nuage
de poussière ne s’était pas encore dissipé quand la silhouette de
Zeus apparut devant lui. Le dieu du Ciel fonçait sur lui et Hadès se
téléporta rapidement, mais Zeus le suivit et leurs corps se heurtèrent
à nouveau.
Hadès tendit la main et saisit son frère par le cou. Sa peau noircit,
pourrissant sous ses doigts. Zeus empoigna ses avant-bras, mais
Hadès invoqua ses lames et lui déchiqueta la gorge.
Zeus plaqua sa main sur son cou, ses yeux brûlants de rage
dévisageaient Hadès, le souffle rauque et rapide. Il rugit et se jeta si
fort sur Hadès que le dieu des Morts sentit ses os se briser et guérir,
encore et encore, une fois après l’autre. Il serra les poings et
contracta sa mâchoire, tendant le bras vers son frère pour envoyer
ses spectres. Son corps se mit à convulser sous l’effet de la magie et
Hadès disparut pour réapparaître derrière Zeus avec son bident. Il
abattit l’arme sur lui, mais son frère se tourna juste à temps pour le
parer avec son foudre.
Les ronces de Perséphone s’enroulèrent soudain autour des
chevilles de Zeus, et s’il les brisa sans difficulté, elles continuèrent de
s’élever. Zeus était suffisamment distrait pour qu’Hadès renvoie ses
ombres sur lui et il tomba. Le sol s’ouvrit sous lui avant de le
recouvrir, enterré vivant.
Hadès regardait Perséphone, la terre se mit à gronder et à
trembler, et Zeus en surgit, entouré de lumière, le regard fou de rage.
— Perséphone ! cria Hadès, mais il ne fut pas assez rapide, et un
éclair la frappa.
Elle convulsa et une odeur de cheveux et de chair brûlés remplit
les narines d’Hadès. Il se précipitait vers elle, mais une main agrippa
son épaule.
— Oh que non, frangin ! dit Poséidon. Ce sera ta punition.
Regarde-la brûler.
Hadès s’apprêtait à affronter son frère quand il remarqua quelque
chose d’étrange chez Perséphone. La magie de Zeus ne semblait
plus lui faire de mal. Elle ne tremblait plus sous l’effet de son pouvoir,
qui la faisait luire.
Elle se l’appropriait.
Oh, merde !
Elle renvoya l’éclair sur Zeus et le dieu du Ciel tomba au sol.
Hadès fit aussitôt volte-face et propulsa ses spectres sur
Poséidon, mais ils se brisèrent sur son trident. Hadès invoqua à
nouveau son bident et leurs armes s’entrechoquèrent rageusement.
Hadès se battait de toutes ses forces. La haine coulait dans ses
veines et nourrissait la colère avec laquelle il se défendait. Son bident
toucha Poséidon au visage, coupant sa joue de sorte qu’elle pendait
de son visage. Le coup étourdit son frère et alors qu’il vacillait en
arrière, Hadès planta son bident dans son torse et le poussa au sol
d’un coup de pied.
Il le surplomba et enchaîna les coups de bident, l’enfonçant
encore et encore dans le corps de son frère, et la seule chose qui
l’arrêta fut un cri de douleur.
Hadès se tourna et vit Aphrodite empalée sur la lance dorée
d’Arès.
C’était Héphaïstos qui hurlait. Il fonça vers elle, couvert de
flammes, et il retira la lance de son corps, posant ses mains sur la
plaie, le sang de la déesse coulait entre ses doigts.
Arès atterrit près d’eux.
— Aphrodite… Je ne voulais pas…
— Un pas de plus et je t’égorge, menaça Héphaïstos.
Perséphone était par terre, à quelques pas de la déesse de
l’Amour. Hadès se téléporta à ses côtés et l’aida à se relever.
— Perséphone, viens, dit-il.
Ils devaient partir de là. C’était la première de nombreuses
batailles qu’ils devraient affronter, et pour l’instant, celle-ci était finie.
— Aphrodite ! hurla Perséphone en voulant courir vers la déesse
de l’Amour, mais Hadès l’en empêcha.
— Nous devons partir, dit-il.
— Apollon ! Guéris-la ! sanglota-t-elle.
Hadès la prit dans ses bras et quand ils se téléportèrent elle criait
toujours.
Chapitre XLIII
HADÈS
THÉSÉE
HADÈS
Je n’ai que quelques ajouts à faire dans cette note, car la plupart
des éléments mentionnés dans A Game of Gods le sont aussi dans A
Touch of Malice. Si vous n’aviez pas lu la note de l’auteur à la fin de
ce dernier, je vous invite à y jeter un œil, car il explique brièvement
nombre des mythes qui m’ont servi de référence dans ces deux
romans.
L’OPHIOTAUROS
Il n’y a que peu d’informations au sujet de l’Ophiotauros, en
dehors du fait que c’était un monstre mi-taureau, mi-serpent,
probablement né de Gaïa. Son existence était accompagnée d’une
prophétie : « Celui qui aurait livré aux flammes du sacrifice les chairs
de ce taureau pourrait vaincre les dieux éternels. » Parfois, l’histoire
veut que les Titans aient tué le monstre, mais Ovide dit que c’est
Briarée. Il est sur le point de livrer ses intestins aux flammes quand
les aigles de Zeus les lui dérobent.
Après sa mort, l’Ophiotauros est placé dans les étoiles et forme la
constellation du Taureau.
Cette histoire ferait partie de Titanomachie, qui est un poème
épique grec perdu au sujet de la Guerre des Titans.
ARIADNE ET DIONYSOS
J’ai choisi d’inclure le point de vue de Dionysos dans A Game of
Gods car il est lié à Chaos. Par ailleurs, j’adore la juxtaposition de
l’histoire d’amour bien établie d’Hadès et de Perséphone et de
l’amour naissant d’Ariadne et Dionysos.
Pour cette histoire, je me suis référée à L’Odyssée. Les parallèles
sont peut-être flagrants, mais je vais quand même les passer en
revue. Tout d’abord, le fait que les deux sont emportés par les vagues
à cause de Poséidon est exactement comme pour Ulysse, qui essaie
de rentrer chez lui après la guerre de Troie.
Je souhaite mentionner ici qu’Ulysse, qui est considéré comme
un « héros » de la mythologie grecque, a également essayé d’éviter
de devoir se battre en faisant mine d’être fou, semant pour se faire du
sel dans ses champs. On pourrait répondre qu’il a fait cela parce que
la prophétie disait qu’en participant, il serait loin de chez lui pendant
vingt ans, mais… ça ne me paraît pas très héroïque.
On sait tous que la véritable héroïne de cette histoire est sa
femme, Pénélope.
Quoi qu’il en soit, Dionysos et Ariadne sont emportés par les
vagues et échouent sur une île qui est plus tard identifiée comme
Thrinacie, qui finit par être possédée par Hélios, dans la mythologie
(c’est là qu’il garde son bétail). Quand ils arrivent, ils rencontrent un
vieil homme que Dionysos soupçonne d’être un dieu. Il s’agit de
Nérée, auquel les textes font également référence comme « le vieil
homme de la mer ». Il est le père des Néréides (les nymphes
marines). Il dit qu’il aidera Dionysos s’il tue le cyclope qui vole ses
moutons.
Le cyclope est Polyphème, qui est l’un des ennemis d’Ulysse
dans L’Odyssée. Comme dans le poème épique, Dionysos propose
du vin au cyclope. (C’était juste parfait, étant donné que Dionysos est
le dieu du Vin). Quand le monstre demande à Dionysos comment il
s’appelle, il répond qu’il est « personne », comme Ulysse.
Lorsque Polyphème perd connaissance après avoir trop bu,
Ulysse l’aveugle. Lorsqu’on demande au cyclope qui l’a blessé, ce
dernier répond « personne ! ». Dans Dieux, Dionysos ne rembourse
jamais sa dette, ce qui reviendra sans doute le hanter… mais c’est
une autre histoire.
J’ai ADORÉ l’histoire d’Ariadne et Dionysos dans ce livre, et
c’était la partie la plus facile à écrire.