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Ce livre est une fiction.

Toute référence à des événements historiques, des personnages ou des lieux réels serait
utilisée de façon fictive. Les autres noms, personnages, lieux et événements sont issus de
l’imagination de l’auteur, et toute ressemblance avec des personnages vivants ou ayant
existé serait totalement fortuite.

Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de ce livre ou de quelque citation que
ce soit, sous n’importe quelle forme.

© 2023 by Scarlett St. Clair


Couverture : Emily Witting Designs
Images de couverture : Damon Lam/Unsplash, marinemynt/rawpixel,
atercorv.gmail.com/Depositphotos

Ouvrage dirigé par Bénita Rolland


Traduit par Robyn Stella Bligh

Pour la présente édition


© 2023, Hugo Publishing
34-36, rue la Pérouse
75116 – Paris
www.hugopublishing.fr

ISBN : 9782755669060

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


À PROPOS DE CE LIVRE

Veuillez noter que cette œuvre de fiction contient des


éléments explicites et sombres ainsi que des passages qui
sont susceptibles de heurter la sensibilité d’un public non
averti.
Ce livre est dédié à mes lecteurs.
Cette série est un soap-opéra.
Je suis heureuse que vous soyez présents pour le suivre.
« Tout est beaucoup plus beau car nous
sommes condamnés. »
Homère, L’Odyssée

« Nous, amants, nous craignons tout. »


Ovide, Les Métamorphoses

« Ma vengeance, c’est ma culpabilité. »


Ovide, Les Métamorphoses
SOMMAIRE

Titre

Copyright

À propos de ce livre

Dédicace

Chapitre I - Hadès

Chapitre II - Dionysos

Chapitre III - Hadès

Chapitre IV - Hadès

Chapitre V - Hadès

Chapitre VI - Hadès

Chapitre VII - Hadès

Chapitre VIII - Dionysos

Chapitre IX - Hadès

Chapitre X - Hadès

Chapitre XI - Hadès

Chapitre XII - Hadès

Chapitre XIII - Thésée

Chapitre XIV - Dionysos


Chapitre XV - Hadès

Chapitre XVI - Hadès

Chapitre XVII - Hadès

Chapitre XVIII - Dionysos

Chapitre XIX - Hadès

Chapitre XX - Hadès

Chapitre XXI - Hadès

Chapitre XXII - Hadès

Chapitre XXIII - Hadès

Chapitre XXIV - Thésée

Chapitre XXV - Hadès

Chapitre XXVI - Dionysos

Chapitre XXVII - Dionysos

Chapitre XXVIII - Hadès

Chapitre XXIX - Dionysos

Chapitre XXX - Hadès

Chapitre XXXI - Dionysos

Chapitre XXXII - Hadès

Chapitre XXXIII - Dionysos

Chapitre XXXIV - Hadès

Chapitre XXXV - Dionysos

Chapitre XXXVI - Hadès

Chapitre XXXVII - Hadès

Chapitre XXXVIII - Hadès


Chapitre XXXIX - Hadès

Chapitre XL - Hadès

Chapitre XLI - Hadès

Chapitre XLII - Hadès

Chapitre XLIII - Hadès

Chapitre XLIV - Thésée

Chapitre XLV - Hadès

Note de l'auteure

Découvrez en avant-première un extrait de A TOUCH OF CHAOS qui paraîtra chez Hugo


Publishing le 10 janvier 2024

Remerciements
Chapitre I

HADÈS

Hadès se tenait devant une ferme en proie aux flammes dont il ne


restait plus que la structure, le squelette de la maison qui se dressait
à cet endroit avant l’incendie. Les flammes continuaient de la
ravager, remplissant la nuit de fumée et de cendres. À ses pieds
s’étendait le corps sans vie d’un vieil homme, le fermier qui avait
vécu là. Son dos était criblé de balles et son âme flottait à quelques
pas, sans savoir qu’elle avait quitté son enveloppe physique, affairée
à ce qui devait être sa routine nocturne. C’était habituel pour tous les
humains qui mouraient de façon soudaine.
Le vieil homme ne l’avait pas vu venir.
Non pas qu’il aurait pu s’en douter. La seule chose dont ce
fermier était coupable était d’avoir vu l’Ophiotauros, un monstre mi-
taureau mi-serpent qui, d’après la prophétie, avait le pouvoir de tuer
les dieux. Quelqu’un en avait eu vent et avait rendu visite au fermier,
lui faisant croire que les autorités l’envoyaient. Quand cette personne
avait obtenu les renseignements qu’elle voulait, elle avait tué le
vieillard.
Hadès sentit la magie de Thanatos s’élever près de lui alors qu’il
se manifestait, telle un rai d’ombre qui se fondait dans la nuit. Même
ses cheveux et son visage pâles reflétaient les flammes.
Aucun d’eux ne parla, il n’y avait rien à dire. Ils ne pouvaient rien
faire à part guider l’âme du fermier aux Enfers. Quand il serait installé
à Asphodèle, il pourrait peut-être les informer sur l’identité de celui
qui l’avait tué, mais Hadès craignait qu’il soit trop tard. D’ici-là,
d’autres mortels auraient vu l’Ophiotauros et celui qui recherchait le
monstre laisserait une traînée de cadavres dans son sillage.
— Ce sont ces morts qui m’endeuillent le plus, dit le dieu de la
Mort.
— Les meurtres ? demanda Hadès.
— Il n’avait pas longtemps à vivre sur cette terre, et sa vie lui a
tout même été ôtée.
Hadès ne répondit rien, mais il était d’accord.
La mort du fermier n’était pas nécessaire. La seule information
utile qu’elle pouvait offrir était que l’Ophiotauros était bien vivant ; or il
y avait d’autres manières de vérifier cette rumeur, qui n’impliquaient
pas le meurtre.
Hadès trouverait le coupable, et son châtiment serait immédiat et
adéquat.
Il détourna les yeux de l’incendie et se concentra sur l’âme du
fermier, qui essayait désormais d’entrer dans la grange en flammes,
sans doute pour atteindre les animaux qui s’y trouvaient. Mais il était
déjà trop tard.
— Apporte-lui la paix, dit Hadès.
À ce stade de sa longue vie, il n’éprouvait pas souvent de
compassion pour les morts mais, dans des moments comme celui-ci,
quand la cruauté humaine était aussi flagrante, le fait d’accorder du
répit était un fardeau qui pesait lourd sur ses épaules.
Thanatos hocha la tête et étira ses ailes en se dirigeant vers
l’âme.
Hadès quitta les lieux et traversa le vaste champ qui s’étendait
au-delà de la ferme, loin des lueurs rougeoyantes des flammes.
Au-dessus de lui, les étoiles brillaient si fort qu’elles projetaient
des ombres, la sienne étant la plus grande parmi les brins d’herbe
enneigés. Il faisait un froid glacial, alors que c’était l’été. C’était un
cadeau inopportun de Déméter, déesse de la Moisson.
Les coïncidences n’existaient pas.
La tempête avait commencé quand il avait officiellement
demandé Perséphone en mariage et qu’elle avait accepté. C’était
une déclaration de guerre de la part de Déméter, et l’arme qu’elle
comptait employer pour les séparer. Si quelques gouttes gelées
pouvaient paraître insignifiantes, ce n’était que le début d’une
vengeance bien pire encore.
Il y aurait des morts. Ce n’était qu’une question de temps. Et
quand cela arriverait, Perséphone se battrait-elle pour leur amour ou
bien céderait-elle à sa mère pour sauver le monde ?
Il détestait pencher pour la deuxième option.
Il se rendit compte que c’était une situation horrible, impossible
même. Si Déméter aimait réellement sa fille, elle ne lui imposerait
pas ce choix.
Hadès pensait à tout cela en étudiant le ciel et les constellations.
Parmi les croquis qu’elles dessinaient, il vit le Cète, le monstre marin
tué par Héraclès, Érichthonios, le héros grec qui avait été élevé par
Athéna, Ariès, le bélier doré dont la laine pouvait guérir toutes les
créatures vivantes, et Orion, le chasseur qui avait osé défier Gaïa.
Cependant, le Taureau, la constellation placée au milieu des autres
lors de la mort de l’Ophiotauros durant la Titanomachie, avait disparu.
C’était la preuve qu’Hadès cherchait. Ce qu’Ilias avait dit était
vrai ; le monstre avait été ressuscité. Ce n’était pas qu’il ne l’avait pas
cru, mais les rumeurs n’étaient pas forcément vraies.
— Putain de Moires ! grommela-t-il.
Et il avait raison de les maudire car c’était Lachésis, Clotho et
Atropos qui avaient ressuscité le monstre, même si Hadès savait
qu’elles l’avaient fait après que lui-même avait tué Briarée, l’un des
Hécatonchires – ces géants aux cent mains qui avaient aidé les
Olympiens durant la Titanomachie. Héra, la déesse du Mariage, avait
saisi l’occasion de se venger du géant qui avait aidé Zeus à se libérer
quand elle, Apollon et Athéna avaient tenté de le renverser.
« Une âme contre une âme », disaient les Moires.
Sa poitrine se comprima en se rappelant la mort de Briarée.
Celui-ci n’avait exprimé ni tristesse ni colère, et ne l’avait pas supplié
de l’épargner, acceptant paisiblement sa mort. Peut-être était-ce le
pire, la confiance que le géant avait eue en Hadès, qui l’avait poussé
à croire que son heure était venue, et pas que sa mort avait été
ordonnée par un autre dieu.
Et même quand Hadès avait pris la main de Briarée pour extraire
son âme de son corps, comme une tranche d’ombre détachée des
ténèbres, il avait su que les conséquences iraient bien au-delà de ce
que les Moires étaient capables de tisser. Car dès que Zeus et les
frères de Briarée, Cottos et Gygès, apprendraient ce qu’Hadès avait
fait, le dieu des Morts perdrait leur soutien et leur allégeance – même
s’il n’avait jamais pensé que les frères géants le choisiraient plutôt
que Zeus. Ce n’était pas lui qui les avait sauvés des ténèbres du
Tartare. Ils avaient néanmoins été des alliés des Olympiens dans la
guerre contre les Titans et ils les avaient aidés à pourchasser les
dieux primordiaux dans les profondeurs du Tartare. Cela signifiait que
si Hadès se trouvait opposé à Zeus, ce qui arriverait forcément,
surtout maintenant qu’il était fiancé à Perséphone, il ne bénéficierait
pas de l’aide des deux géants restants, et il ne pouvait pas leur en
vouloir.
Hadès avait récompensé leur loyauté par une exécution.

*
* *
Le dieu de la Mort quitta le champ et se manifesta dans son
bureau à Nevernight. Dès qu’il apparut, un lourd silence se fit et il
regarda ceux qui étaient réunis dans la pièce : Ilias, Zofie, Dionysos
et… Hermès.
Hadès fixa le dieu de la Ruse qui était affalé sur son fauteuil, les
pieds sur son bureau. Leurs regards se croisèrent et un sourire gêné
s’étira sur le visage doré d’Hermès. Hadès fronça les sourcils et
montra les dents, poussant le dieu à se lever à la hâte.
— Je réchauffais ta place, se défendit Hermès.
Hadès le fusilla du regard et s’installa. Le siège était chaud, en
effet, et il grimaça de plus belle.
— Le roi des Morts mérite ce qu’il y a de meilleur, ajouta Hermès
en souriant joyeusement tout en s’approchant du bureau en
obsidienne pour s’y asseoir.
— Si l’une de tes fesses effleure ne serait-ce qu’un millimètre de
ce bureau, Hermès, je le transforme en lave, dit Hadès en le
foudroyant du regard.
— Ce n’est pas comme si j’étais nu ! Mais tu sais quoi ? Le
canapé est bien plus confortable, dit-il en se perchant sur l’accoudoir.
Hadès se concentra sur les autres, et en particulier sur Dionysos
qui se tenait en retrait, sans doute parce qu’il ne souhaitait pas faire
partie de ce groupe. Il était habillé de façon beaucoup plus
décontractée que d’habitude, en pantalon noir et pull beige. Ses
cheveux épais étaient attachés sur la nuque et il croisait les bras. Il
avait l’air contrarié, mais Hadès supposa que c’était moins parce qu’il
avait été convoqué à Nevernight qu’à cause d’Ariadne Alexiou, la
détective mortelle qu’il abritait dans son club.
Hadès était surpris qu’il soit venu, même si ce n’était que par
curiosité. Dionysos entretenait une relation compliquée avec les
Olympiens, notamment à cause de la haine qu’Héra lui vouait, et qui
était la raison pour laquelle le dieu de la Vigne avait enfin décidé de
choisir un camp. Pourtant, Hadès n’était pas dupe. Il savait que cela
n’impliquait pas que Dionysos soit loyal envers lui. Le dieu de la Folie
n’était loyal qu’envers lui-même.
— L’Ophiotauros a été ressuscité, dit Hadès. Sa constellation
n’est plus dans le ciel.
Une touche d’appréhension accompagnait ses propos maintenant
qu’il les exprimait à voix haute, et Hadès ne s’y attendait pas. Il était
responsable de la situation, ce qui signifiait qu’il serait également
responsable des conséquences si la créature tombait entre les
mauvaises mains.
— Ilias, dit-il en regardant le satyre dont les cornes dépassaient
de ses cheveux bouclés. Dis-nous ce que tu as découvert au sujet du
monstre.
— Pour l’instant, il n’a été vu qu’une fois. Un fermier près de
Thèbes a dit avoir entendu un cri étrange au milieu de la nuit. Il a cru
qu’une de ses vaches était blessée, mais quand il est sorti, il a trouvé
une créature mi-taureau mi-serpent enroulée autour de la bête. Elle a
disparu dans le champ quand elle a vu le fermier, expliqua Ilias avant
de marquer une pause et de regarder tous ceux qui étaient réunis. La
vache n’a pas survécu.
Il y eut un court silence.
— Le fermier non plus, dit Hadès.
La mâchoire d’Ilias se crispa.
— Il allait très bien hier.
— Et aujourd’hui, il est mort, répondit Hadès. Criblé de balles.
— Alors quelqu’un d’autre que nous veut la créature, dit
Dionysos. Ce n’est pas étonnant, mais qui est-ce ?
— C’est là toute la question.
Hadès dévisagea le dieu de la Vigne, même s’il ne le soupçonnait
pas d’être impliqué dans la mort du fermier, le dieu de la Mort savait
qu’il aimait collectionner les monstres autant que Poséidon. C’était
l’une des raisons pour lesquelles il préférait garder un œil sur lui,
malgré leur alliance nouvelle et fragile.
Dionysos plissa les yeux.
— Comment a-t-il pu être ressuscité, Hadès ? demanda-t-il.
Le dieu de la Mort n’aima pas le ton accusateur du dieu du Vin,
mais Hadès n’était pas comme lui, il ne fuirait devant pas ses
responsabilités.
— Parce que j’ai tué un immortel.
Les traits sévères de Dionysos s’adoucirent, mais ce n’était pas
par sympathie, il était choqué.
— C’est l’œuvre des Moires, dit Hadès.
— Alors tu nous as convoqués pour que l’on gère les
conséquences de tes actes, dit Dionysos d’un ton lourd de dédain.
Comme toujours.
— Ne fais pas mine d’être meilleur que nous, Dionysos, dit
Hadès. Je sais combien tu aimes les monstres.
Hadès aurait pu essayer de s’expliquer. Il savait que le dieu
détestait Héra et qu’il lui suffirait de lui parler de son implication pour
apaiser le jugement de Dionysos, mais en vérité, il lui semblait que
cela n’avait pas d’importance. Dionysos tenait à être là, et il voulait
l’Ophiotauros, ce qui signifiait qu’il le chercherait même s’il ne
souhaitait pas aider Hadès directement.
— Si c’est l’œuvre des Moires, dit Zofie, ne peux-tu pas leur
demander ce qu’elles ont tissé ?
— Les Moires sont des déesses comme moi, dit Hadès. Elles sont
aussi susceptibles de me faire part de leur plan que je le suis
d’admettre les miens.
— Mais ce sont les Moires. Est-ce qu’elles ne le savent pas déjà ?
Hadès ne répondit pas. Il lui arrivait de trouver la naïveté de Zofie
charmante, mais ce soir, il la trouvait agaçante.
Il était difficile d’expliquer comment les Moires opéraient.
Beaucoup de leurs décisions dépendaient de leur humeur. Il était
possible qu’elles aient orchestré la résurrection de l’Ophiotauros pour
agacer Hadès, mais peut-être aussi parce qu’elles voulaient voir la fin
du règne des Olympiens. Hadès ne savait laquelle de ces options
était juste ni si elles l’avaient elles-mêmes décidée. Il savait
seulement une chose : le destin ne pouvait pas être évité, seulement
repoussé.
— Quel que soit leur plan, nous devons en avoir un, nous aussi,
dit-il.
— Je ne comprends pas, dit Zofie. Les Moires ont déjà choisi une
fin. Alors que cherchons-nous ?
— À gagner, dit Hadès.
C’était tout ce qu’ils pouvaient faire, et espérer que si les Moires
n’avaient pas choisi de leur accorder leur Faveur, à lui et aux
Olympiens, elles pouvaient être influencées ; mais cela n’arriverait
jamais sans qu’ils agissent. Il savait mieux que quiconque que les
trois sœurs prenaient plaisir à jouer avec les dieux, surtout quand
cela se faisait dans la douleur.
Il y eut un silence, puis Dionysos prit la parole.
— Quelle est la prophétie qui rend cette créature aussi
dangereuse ?
Il ne pouvait pas le savoir, puisqu’il était né après la Titanomachie.
— Quiconque brûle ses entrailles obtiendra le pouvoir de vaincre
les dieux, dit Hermès.
— Tu es sûr que c’est ça ? demanda Dionysos en haussant un
sourcil.
— Peut-être que ce n’est qu’un seul dieu ? répondit Hermès avant
de hausser les épaules. J’ai peut-être mal compris un mot ou deux.
— Un mot ou deux ?
— Ce n’est pas comme si quatre mille ans s’étaient écoulés ! se
défendit Hermès. Essaie de te souvenir aussi longtemps de quelque
chose, toi !
— Pourtant, tu ne sembles avoir aucun mal à conserver des
rancœurs qui datent de cette époque.
— Tout à coup, je regrette d’avoir aidé Zeus à te sauver la vie, dit
Hermès.
Hadès oubliait parfois que les deux dieux avaient un passif.
Hermès avait aidé à sauver Dionysos à sa naissance en le confiant
aux Hyades, des nymphes océanides qui vivaient à Nysa, pour
qu’elles l’élèvent.
— Peut-être que tout le monde aurait gagné à ce que tu ne le
fasses pas, dit Dionysos.
Le dieu de la Ruse pâlit en entendant ces mots et Hadès intervint
avant qu’un silence tendu s’installe.
— C’est une prophétie, Hermès. Un mot ou deux peuvent
changer le sens tout entier.
Hermès leva les bras et les laissa retomber.
— Eh bien, je n’ai jamais prétendu être oracle !
— Alors nous devons en interroger un, dit Hadès.
Peut-être la prophétie avait-elle changé ou n’en était-elle plus
une ? Mais Hadès savait que ce serait trop beau pour être vrai. Les
Moires ne ramèneraient pas une créature à la vie si elles ne
souhaitaient pas que celle-ci représente un défi pour les dieux.
— Et nous devons trouver l’Ophiotauros avant que d’autres le
fassent.
— Contre qui faisons-nous la course ? demanda Dionysos.
— Je mise sur Poséidon et sa progéniture, dit Hermès. Cet
enfoiré a toujours couru après le pouvoir.
Hermès semblait partager l’avis d’Hadès. L’Ophiotauros pouvait
vivre sur terre, mais également dans l’eau. Poséidon sauterait sur la
première occasion de renverser Zeus, mais Thésée et Héra aussi.
Hadès savait déjà que le demi-dieu et la déesse du Mariage
travaillaient ensemble, mais il soupçonnait le dieu de la Mer de
nourrir le désir de Thésée de renverser les Olympiens. Restait à
savoir s’il pensait son fils capable d’y parvenir.
Parfois, Hadès se demandait qui tirait les ficelles et qui ne faisait
que jouer. Or il avait une certitude : s’il pouvait être le cerveau de
l’opération, il le serait.
— On ne peut pas se permettre que la créature se réfugie dans la
mer, dit Hadès.
Elle serait alors dans le territoire de son frère et donc hors de
portée. Même si Hadès proposait un marché, Poséidon n’accepterait
jamais de céder une telle arme.
— Dans ce cas, on perd un temps précieux à parler au lieu de
partir en chasse, dit Dionysos.
— Le problème, c’est que l’on ne sait pas par où commencer,
Dionysos, dit Hadès. À moins que tu aies des informations que nous
n’avons pas ?
Dionysos ne répondit rien.
— Nous devons faire très attention lors de nos recherches, dit
Ilias. La rumeur circule déjà sur le marché noir. Tous ceux qui
évoluent dans l’ombre s’attendront à ce que vous vous en mêliez.
Et ils avaient raison, même si Hadès savait que cela ne les
arrêterait pas. Dans les tréfonds du marché noir, peu étaient ceux qui
redoutaient sa colère, et Hadès ne prenait pas cela pour une insulte.
Il est difficile de craindre la mort quand on y fait face chaque jour.
Mais cela signifiait qu’il était piégé dans une compétition visant à
localiser l’une des armes les plus puissantes à avoir jamais été
créées contre les dieux.
— Dans ce cas, peut-être que mes Ménades devraient mener
l’enquête, proposa Dionysos, mais Hadès l’ignora et se tourna vers
Ilias.
— Mets Ptolémée sur le coup, mais garde un œil sur lui. Je ne
fais confiance à personne dans cette histoire.
— Même à moi, à l’évidence, dit Dionysos.
Hadès dévisagea le dieu de la Vigne.
— Tu vas prétendre que tu n’as pas déjà envoyé tes tueuses sur
le terrain ? Tu n’attends pas la permission, Dionysos, tu la prends.
Le dieu de la Folie ferma la bouche et détourna le regard. Hadès
ne sut s’il était amusé ou agacé.
— Et que fera-t-on si on trouve la créature ? demanda Zofie. Est-
ce que tu la tueras ?
Hadès ne répondit rien, car il ne savait pas. Il supposait que cela
dépendrait de ce que l’oracle dirait des pouvoirs de la bête, même s’il
doutait que tous ceux qui cherchaient l’Ophiotauros prendraient la
peine de vérifier la véracité de la prophétie.
La créature avait une prime sur la tête et un compte à rebours sur
le cœur.
— Vous êtes tous excusés, dit Hadès.
Il voulait retourner aux Enfers, auprès de Perséphone. Il aurait dû
y être toute la nuit, niché contre son corps chaud après qu’ils avaient
fait l’amour. Il était furieux de ne pas avoir pu rester à ses côtés.
Même la nuit suivant leurs fiançailles, il avait dû s’absenter pendant
qu’elle dormait pour rassembler des informations sur l’Ophiotauros et
chercher à découvrir où Déméter s’était réfugiée.
Il essayait de ne pas voir la situation comme un mauvais augure
de ce qui les attendait, mais il savait qu’une bataille se dessinait à
l’horizon. Il avait toujours su qu’il ne serait pas facile d’épouser
Perséphone, étant donné que sa mère était l’une de ses détractrices
les plus féroces. Pourtant, même si la neige tombait en plein été, il
s’inquiétait surtout à propos de Zeus.
Son frère aimait le contrôle, surtout lorsqu’il s’agissait de contrôler
les dieux, et il aimait avoir son mot à dire au sujet des mariages.
Hadès serra les poings en y pensant.
Il épouserait Perséphone, quelles que soient les conséquences.
Car en fin de compte, une vie sans elle n’était tout simplement pas
une vie.
Chapitre II

DIONYSOS

Dionysos quitta Nevernight et rentra à Bakkheia, dans la suite où


il avait l’habitude de séjourner malgré le domaine qu’il possédait près
de Thèbes. Ce n’était pas qu’il trouvait son club plus confortable que
sa villa, mais il ne supportait pas le silence de sa maison. La
tranquillité ne l’apaisait pas ; elle ne faisait que susciter chez lui des
pensées qui le minaient.
Même maintenant, il n’était pas complètement débarrassé de
cette voix incessante qui lui disait qu’il n’en avait pas assez fait, qu’il
n’était pas à la hauteur. Mais au moins, ici, il pouvait noyer la voix
dans le bruit, la fête et la folie.
Il observait tout cela depuis sa suite, qui avait été désertée par
ses fêtards habituels après qu’il avait été invoqué à Nevernight.
Même au petit matin, son club était bondé. La musique vibrait dans
son âme et faisait battre son cœur plus fort. Des lasers fendaient la
pénombre, éclairant les visages en sueur et empourprés, révélant les
couples pris dans des étreintes charnelles.
L’odeur musquée de sueur se mélangeait à celle de la drogue qui
pénétrait par les conduits d’aération, lui piquant le nez.
Il était habitué aux sons, aux odeurs, au sexe. Cela faisait partie
de la culture qui s’était formée autour du culte qu’il avait mené de ville
en ville avec les Ménades, laissant une traînée de sang sur leur
passage, et s’il avait désiré cette vie d’abandon, il ne serait jamais
réellement libéré de la folie dont Héra l’avait affligé.
De temps en temps, il la ressentait encore. C’était un
frémissement subtil et chaud qui envahissait son corps et lui donnait
l’impression d’être transpercé par des centaines d’aiguilles. Il lui était
alors impossible de rester en place et de trouver le repos.
Rien que d’y penser, ses doigts se mirent à trembler. Il serra les
poings et retint sa respiration, espérant dominer la sensation avant
qu’elle ne remonte dans son dos et pénètre ses veines, avant qu’elle
ne le consume à nouveau. Pendant qu’il se concentrait, il prit
conscience d’un bruit, quelque part dans sa suite.
C’était un gémissement essoufflé.
Il tourna le dos à la vitre qui surplombait la piste du club et scruta
la pénombre, mais il ne vit personne.
Le bruit augmenta, accompagné d’un autre, comme un coup
frappé contre un mur.
Dionysos traversa la pièce vers le placard derrière le bar. Il colla
son oreille à la porte recouverte du même velours noir que les murs.
Quand il fut certain que les bruits provenaient de là, il ouvrit la porte.
Il y trouva Silène, avec une femme qu’il ne reconnut pas. Le
satyre était adossé contre un mur, la femme le chevauchait, les
jambes autour de sa taille.
— Merde ! s’exclama Silène, et ils se figèrent.
— Nom de dieux, Papa ! cracha Dionysos.
Silène éclata de rire, à bout de souffle.
— Ah, Dionysos, ce n’est que toi.
Ce n’était pas la première fois qu’il surprenait Silène en plein acte
sexuel. Le satyre avait intégré son culte après avoir été condamné à
arpenter la terre. Ils avaient passé des journées entières dans des
orgies, donnant et recevant du plaisir dans un acte de vénération. Au
fil des années, cela avait dérangé Dionysos de voir cela chez celui
qu’il considérait comme une figure paternelle.
Il ferma brusquement la porte et saisit une bouteille de vin
derrière le bar pour se servir un verre. Alors qu’il buvait sa première
gorgée, la porte s’ouvrit de nouveau et la femme sortit en titubant.
Elle se racla la gorge et coiffa ses cheveux derrière son oreille.
— Pardon, Lord Dionysos, je ne voulais pas…
— Il n’y a aucune raison d’être désolée, s’empressa-t-il de
répondre en la regardant et en buvant une autre gorgée. Partez
maintenant.
Elle inclina la tête et s’en alla. Un rai de lumière vive provenant du
couloir fendit la pénombre quand elle sortit de la suite.
Silène apparut à son tour.
— Je ne savais pas que tu étais rentré, dit-il.
Dionysos lui tournait le dos et entendit le tintement de sa ceinture
alors qu’il se rhabillait.
— Depuis quand tu es dans ce placard ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas, en fait, admit le satyre après une courte pause.
Dionysos haussa un sourcil et étudia son père adoptif.
— Alors comment savais-tu que j’étais parti ?
— Je sais toujours que tu es parti, dit Silène, parce que j’ai enfin
l’impression de pouvoir respirer.
— Sympa, dis donc, grommela Dionysos pendant que Silène le
rejoignait au bar.
Le satyre faisait une tête de moins que lui, mais il était plus grand
que tous les satyres que Dionysos avait rencontrés. C’était sans
doute parce que Silène n’était pas seulement un esprit de la nature. Il
était un dieu de la nature. Il était même différent, physiquement, des
autres membres de son espèce. Dionysos avait vu des satyres avec
des pieds et des queues de cheval ou de chèvre, mais Silène avait
les longues oreilles d’un âne et une queue assortie. Cela dit, il cachait
cette forme derrière son Charme.
— Tu ne m’avais jamais reproché mon honnêteté, dit Silène en se
servant un verre de vin, qu’il but comme si c’était de l’eau.
C’était tout à fait lui ; il était le dieu de l’Ivresse et c’est pour cela
qu’ils avaient formé une si bonne paire pendant longtemps, quand
leurs vies ne tournaient qu’autour de la fête.
— Tu veux que je cesse d’être sincère ?
Silène termina son verre et le reposa bruyamment sur le bar.
— Dionysos, même toi, tu sais de quoi je parle, dit le satyre.
— Si tu comptes étaler ta sagesse, tu ferais mieux d’être bien plus
saoul que tu ne l’es.
— Ce n’est pas de la sagesse, c’est la vérité. Tu es devenu
insupportable.
— Pourquoi ? Parce que je ne fais plus la fête avec toi ?
— C’est l’une des raisons, c’est vrai, dit le satyre, mais c’est plus
que ça. Tu le sais parfaitement.
Dionysos s’éloigna du comptoir et se pencha vers son père
adoptif.
— Mais je t’en prie, dis-moi.
— Tu ne t’amuses pas, dit Silène. Du tout. Ça fait combien de
temps que tu ne t’es pas lâché ?
Dionysos grinça des dents.
— Je ne suis plus la même personne que j’étais par le passé,
Silène.
— Personne ne l’est, dit le satyre. Mais ça ne veut pas dire que tu
ne peux pas profiter de la vie, puisqu’on doit bien la vivre.
— Ce n’est pas toi qui disais qu’il valait mieux ne pas vivre du
tout, et que si l’on y était forcé, il valait mieux mourir rapidement ?
— Eh bien, tu n’es pas encore mort, alors pourquoi tu ne t’amuses
pas un peu ?
Dionysos leva les yeux au ciel et sortit de derrière le bar.
— Tu ne peux pas continuer comme ça, dit Silène. Tu la laisses
avoir trop de pouvoir sur toi.
Dionysos se tourna vers lui.
— Si tu comptes parler de ça, tu pourrais au moins dire son nom.
Silène le dévisagea.
— Cette quête de vengeance t’a… transformé.
— Tu n’as jamais envisagé que c’est peut-être comme ça que je
suis ? demanda Dionysos. Et que la personne que tu as rencontrée il
y a toutes ces années, celle qui te manque tant, avait été créée par
Héra ?
Silène se mit à secouer la tête.
— Non, je ne le crois pas.
— Tu ne le crois pas parce que tu ne veux pas le voir.
— Je refuse de le croire !
Ils parlaient en même temps, à voix haute, d’un ton véhément, et
quand ils finirent par se taire, un silence désagréable s’étira entre
eux. Silène fut le premier à le rompre.
— Je veux te voir trouver le bonheur, dit-il avant de soupirer en
caressant ses cheveux fins et grisonnants. Même si tu n’en trouves
qu’un tout petit peu.
— Peut-être que je ne suis pas fait pour le bonheur, dit le dieu de
la Vigne.
— C’est un choix, Dionysos, gronda Silène.
— Alors je choisis la vengeance, rétorqua Dionysos. Et je
continuerai de la choisir tant que je ne l’aurai pas obtenue.
— Et la fille ? demanda le satyre.
Dionysos se crispa en entendant parler d’Ariadne.
— C’est une femme, pas une fille. Et qu’est-ce qu’elle a ?
— Elle est jolie, dit Silène.
Sa remarque ne fit qu’agacer Dionysos de plus belle. Ariadne
n’était pas seulement jolie. Elle était sublime, et il était à nouveau
frappé par sa beauté chaque fois qu’il regardait son visage ; il la
sentait chaque fois qu’il entrait dans une pièce où elle se trouvait.
— Elle me déteste, dit Dionysos.
— Parce que, pour le moment, elle n’a rien trouvé à aimer, dit
Silène.
— Peut-être que je n’ai pas envie qu’elle m’aime.
— Ta queue dit l’inverse.
— Ne regarde pas ma queue, gronda Dionysos. C’est bizarre.
— Une queue ne ment jamais, dit son père adoptif. Elle te plaît.
— Je veux la baiser. Elle ne me plaît pas, rétorqua Dionysos.
— Ça m’a tout l’air d’être le début parfait d’une relation.
— Ouais, une relation malsaine.
— Tu as envisagé de… je ne sais pas… d’en faire autre chose
qu’une de tes Ménades ?
— Je ne peux rien faire d’elle du tout, Silène.
— Bien sûr que si. Tu as déjà fait d’elle une prisonnière.
— Pour la protéger.
Qu’elle en ait conscience ou pas, d’ailleurs. Au départ, il l’avait
kidnappée et emmenée à Bakkheia parce qu’il la soupçonnait de
servir de distraction pour qu’Héra et Thésée puissent lui prendre les
Grées. Or, si c’était bien le cas, elle lui avait également avoué qu’elle
avait seulement décidé de le faire une fois qu’elle l’avait rencontré et
qu’elle l’avait trouvé insupportable.
Il grinça des dents.
— Alors tu tiens à elle, dit le satyre.
— Elle n’est qu’un moyen d’arriver à mes fins, Silène.
— Eh bien, si c’est le cas, espérons que cette fin sera sur ta
queue.

*
* *
Dionysos sortit de sa suite et prit l’ascenseur jusqu’au sous-sol,
qui était loin d’être une simple cave. Le mérite revenait aux Ménades,
qui l’avaient transformé en une mini-ville composée d’un vaste
réseau de tunnels les reliant à divers endroits de Nouvelle Athènes.
Là, elles espionnaient, tuaient et construisaient une nouvelle vie sur
les cendres de leur passé.
C’était tout le contraire de ce à quoi Ariadne s’était attendue,
c’est-à-dire que Dionysos dirigeait un réseau de trafic sexuel. Ce
n’était pas la première fois que quelqu’un accusait Dionysos d’un
comportement aussi affreux, mais le fait que cela vienne d’elle l’avait
vraiment agacé, en plus d’insulter le travail des Ménades qui
passaient la majorité de leur temps à sauver d’autres jeunes femmes
pour leur éviter des destins semblables à ceux auxquels elles avaient
échappé.
Le dieu de la Vigne ne savait pas pourquoi cela le dérangeait
autant.
Les Ménades seraient moins efficaces si leur secret était
divulgué, et le fait que le monde extérieur à son territoire le
soupçonne d’être impliqué dans un trafic de sexe était souvent à son
avantage. Cela signifiait que les gens qui cherchaient ce genre de
services venaient à lui pour établir les connexions, devenant ainsi
une cible pour ses tueuses.
C’était un travail laborieux et dangereux… et pour une raison qu’il
ignorait, le fait qu’Ariadne ait supposé le pire l’avait vexé. Pourtant, il
n’aurait pas dû en prendre ombrage. Cela ne faisait que quelques
semaines qu’il la connaissait, mais c’était comme s’il l’avait déjà dans
la peau et qu’elle cherchait à s’y enfoncer davantage encore.
Parfois, quand il était près d’elle, il avait l’impression qu’Héra
l’avait à nouveau frappé de folie.
Quand la porte de l’ascenseur s’ouvrit, il avança sur la plateforme
métallique qui surplombait la pièce de vie principale des Ménades.
Celle-ci était vaste, afin de pouvoir accueillir les nombreuses femmes
qui les avaient rejointes au fil du temps, même si toutes ces tueuses
n’habitaient pas ici. Il s’attendait à trouver la pièce vide à cette heure
avancée de la nuit, mais quelques Ménades étaient encore réveillées
et alertes, se tenant les bras croisés, les yeux levés vers le plafond
où de gros conduits en métal et des lumières vives étaient accrochés.
Certaines avaient l’air frustrées, d’autres agacées, et certaines autres
encore avaient l’air amusées. Dionysos savait qu’elles tendaient
l’oreille.
Le dieu du Vin soupira, car il savait ce qu’elles écoutaient :
Ariadne essayait encore de s’échapper. Il secoua la tête et avança
jusqu’au bord de la plateforme, se demandant depuis quand elle était
dans le conduit d’aération et quand elle avait arrêté de bouger ; sans
doute dès qu’il était arrivé. Elle devait probablement bougonner
contre lui en ce moment même, mais il était certain qu’elle le ferait
patienter aussi longtemps que possible.
Il entendit alors un petit éternuement et concentra son pouvoir à
cet endroit. Les vis sortirent de leurs trous et la structure se plia.
Ariadne poussa un cri aigu en tombant du conduit et elle atterrit par
terre. Dionysos s’inquiéta un instant qu’elle se soit fait mal en
tombant, mais elle roula sur les fesses et le fusilla du regard.
Elle était vêtue d’un jean troué et d’un tee-shirt moulant ainsi que
d’un blouson en cuir, et ses longs cheveux bruns tombaient sur ses
épaules. Elle était sublime, même quand elle était furieuse ; ce qui
était tout le temps le cas en ce qui concernait le dieu du Vin.
— Partez, ordonna-t-il, et les Ménades disparurent derrière l’une
des arches, le laissant seul avec Ariadne.
Il la dévisagea longuement avant de descendre l’escalier. Il se
dirigea vers elle, et elle se leva d’un bond et épousseta ses
vêtements en grimaçant.
— Où as-tu mal ? demanda-t-il.
Elle se figea et lui lança un regard assassin.
— Si tu t’inquiétais de me blesser, tu aurais dû réfléchir à deux
fois avant d’utiliser tes pouvoirs contre une mortelle.
— Je ne les ai pas utilisés contre toi.
— Alors on n’a pas la même définition de la chose.
— Si tu comptes essayer de t’échapper, tu pourrais au moins
accepter ma proposition de t’entraîner. Peut-être que comme ça, tu
réussiras.
— Je suis entraînée, rétorqua-t-elle.
— Ouais, pour interroger des suspects et tirer avec une arme, dit-
il. Quels talents utiles contre les dieux…
Elle arma son bras pour lui mettre un coup de poing. Le dieu se
demanda si elle voulait lui prouver ce dont elle était capable ou si
c’était une réaction instinctive de colère, il saisit son poing avant-
même qu’elle ne puisse le diriger sur lui.
Son cri de douleur le surprit et il la lâcha aussitôt. Elle prit son
poignet droit dans sa main et le tint contre sa poitrine.
— Laisse-moi voir ta main, ordonna-t-il.
— Ça va, ce n’est rien.
— Pour l’amour des dieux, Ariadne, laisse-moi regarder !
Elle contracta sa mâchoire et il soutint son regard quand elle
tendit le bras. Il n’avait pas l’air cassé, et lorsqu’il posa sa paume sur
son poignet, l’énergie qu’il y trouva confirma ses doutes.
— Tu t’es fait une entorse, dit-il.
— Tu veux dire que tu m’as fait une entorse, rétorqua-t-elle.
Sa culpabilité le frappa de plein fouet et il la regarda dans les
yeux.
— Je te demande pardon.
Ses excuses semblèrent la prendre de court car elle cligna
plusieurs fois des yeux. Au bout d’un moment, elle se rendit compte
qu’il lui tenait encore la main et elle la retira pour l’appuyer contre sa
poitrine.
— Il te faut de la glace, dit le dieu en se raclant la gorge. Viens.
Il traversa la pièce et partit dans un long couloir sombre qui
menait à la cuisine. Il pressa sur un interrupteur et des néons
blafards éclairèrent la cuisine en inox, faite pour nourrir des centaines
de personnes en même temps. Étant donné que le réseau souterrain
pouvait abriter des milliers de personnes si besoin, une telle cuisine
était nécessaire.
Il marcha vers une rangée d’étagères, trouva des sacs de
congélation dans une boîte, et en remplit un de glaçons. Quand il se
retourna, il trouva Ariadne plantée près de la porte, les yeux rivés sur
lui.
— Quoi ?
— Tu ne peux pas… faire apparaître un sachet de glaçons par
magie ?
Il pencha la tête sur le côté et esquissa un sourire en coin.
— Je ne crois pas que ce soit l’usage approprié de la magie.
— Tu vois ce que je veux dire, rouspéta-t-elle.
Elle voulut croiser les bras, mais la douleur lui rappela qu’elle ne
le pouvait pas.
Il lui tendit le sachet.
— Je suppose que j’aurais pu, mais je peux aussi le faire moi-
même.
En plus, il avait eu besoin de mettre de la distance entre eux,
même quelques secondes.
Elle prit la glace et la posa sur son poignet.
— Merci, dit-elle, si bas qu’il eut du mal à l’entendre.
En vérité, il ne méritait pas qu’elle le remercie. Il lui devait bien ça.
— Je ne plaisantais pas quand je proposais de t’entraîner, dit-il.
— Je ne veux pas devenir l’une de tes Ménades, répondit-elle.
— Alors ne le sois pas. Mais si tu dois rester dans ce monde, il va
falloir que tu saches faire autre chose que porter une arme.
— Arrête de supposer que je ne suis capable que de tirer avec un
pistolet.
— Tu sais utiliser d’autres armes ? demanda-t-il, mais elle resta
silencieuse. Un pistolet ne nous aidera en rien si l’on doit affronter
Thésée, dit-il.
Elle frissonna en entendant le nom de son beau-frère. D’ailleurs,
Dionysos savait qu’elle serait folle de rage si elle l’entendait un jour
désigner Thésée ainsi. Ariadne détestait le demi-dieu et, d’après ce
qu’il savait, elle avait raison de le haïr. Thésée l’avait maintenue sous
son emprise en gardant sa sœur, Phèdre, en otage.
— Où allais-tu ? demanda-t-il au bout d’un moment, mais elle ne
répondit pas. Tu allais essayer de le trouver ?
Il connaissait la réponse, et l’idée qu’elle veuille s’échapper pour
rejoindre Thésée, pour quelque raison que ce soit, le faisait bouillir de
jalousie.
— Non, rétorqua-t-elle. J’allais voir ma sœur.
— Voir ta sœur revient à voir Thésée, dit-il. Tu penses vraiment
qu’il te laissera la voir ?
— Non ! aboya-t-elle. Mais, au moins, elle saura que j’ai essayé !
Ses yeux se remplirent de larmes et la poitrine de Dionysos se
contracta. Il n’aimait pas ça, car cela lui donnait envie de faire des
choses idiotes pour elle.
— Est-ce que je n’ai pas accepté de t’aider à sauver ta sœur ?
demanda-t-il.
— Hadès a accepté. Pas toi, dit-elle.
Il grinça si fort des dents qu’il en eut mal à la mâchoire.
— Peut-être a-t-il accepté le deal, mais on sait tous les deux que
c’est moi qui vais devoir m’en occuper, répondit le dieu.
— Si je suis un tel fardeau, alors laisse-moi partir.
— Je n’ai jamais dit que tu étais un fardeau.
— Pas besoin, répondit-elle en regardant le sol.
Dionysos la dévisagea.
— Je n’ai aucune envie de ressasser comment on en est arrivés à
ce stade ni ce qu’on ressent à ce sujet, dit-il. Ce qui est fait est fait, et
on a du travail. Tu veux libérer ta sœur et arrêter Thésée, mais tu
refuses de comprendre que Thésée n’est pas qu’une seule personne
et que même s’il l’était, c’est un demi-dieu, un fils de Poséidon. Il est
fort comme mille hommes et, pour le vaincre, on aura besoin de plus.
— De plus de quoi ? demanda-t-elle.
— De plus de tout. Plus de temps, plus de planification, plus de
gens, plus d’armes.
— Je ne me prépare pas pour une bataille, Dionysos, dit-elle. Je
veux juste récupérer ma sœur.
— Dommage. Parce que tu ne la récupéreras pas sans partir en
guerre.
Elle gonfla ses poumons et il essaya de ne pas lorgner sa poitrine
trop longtemps. Il ne voulait pas qu’elle remarque que son attention
lui faisait défaut.
— Tu n’as pas idée de ce dans quoi tu t’es embarquée.
— Alors, qu’est-ce que tu attends de moi ?
Sa question prit le dieu par surprise, mais ce n’était pas à cause
de ce qu’elle lui demandait. C’était à cause de ce qu’il ressentait en
l’écoutant, une sensation de vide sans fin ainsi qu’un désir féroce de
remplir ce vide.
Il mit rapidement ses pensées de côté.
— On doit trouver Méduse, dit-il.
Méduse était une gorgone qui, d’après la rumeur, était capable de
changer les humains en pierre d’un simple regard. Si c’était vrai, cela
faisait d’elle une arme inestimable. Dès qu’il avait entendu les
murmures de son existence sur le marché noir, il avait engagé les
Grées pour l’aider à la trouver, mais son plan avait échoué quand la
détective Alexiou avait décidé d’aider Thésée et Héra à capturer les
trois sœurs.
Sans doute n’avait-elle pas su pourquoi elle devait se rendre à
Bakkheia. Thésée avait fait d’un loup un agneau et Dionysos
détestait voir qu’elle lui obéissait au doigt et à l’œil.
Il plissa les yeux.
— Et si elle ne souhaite pas t’aider ?
— Eh bien, ce sera à toi de la convaincre, répondit Dionysos.
— Je croyais que tu n’avais pas besoin de son pouvoir.
— Dans ce jeu, il ne s’agit pas d’avoir besoin de son pouvoir mais
de celui qui l’aura le premier, dit-il. Et crois-moi, il vaut mieux pour toi
que ce soit moi qui l’aie en premier.
— Pourquoi tu n’envoies pas tes tueuses ?
— Ce n’est pas une mission pour elles, dit-il. Il faut persuader
Méduse qu’il vaut mieux qu’elle soit dans notre camp.
— Et si je ne suis pas convaincue, moi ?
— Espérons que d’ici à ce qu’on la trouve, tu le seras.
Chapitre III

HADÈS

Hadès apparut dans sa chambre, où seul le feu trop vif éclairait la


pièce, aussi aveuglant que les flammes du Phlégéthon. Il aurait
presque préféré que la cheminée ne soit pas allumée et qu’il n’ait pas
à affronter les flammes ce soir, car leur lueur lui rappelait que le
monde extérieur ne souhaitait pas son bonheur.
Cela lui donnait envie de redevenir ermite, de tourner le dos au
monde comme il l’avait fait au début de son règne de roi des Enfers,
mais lorsqu’il posa les yeux sur Perséphone, qui dormait dans un
océan de satin noir, il sut que c’était impossible. Elle était trop
sociable, trop aimante et trop investie pour laisser le royaume des
mortels derrière elle. Elle souhaitait sauver le monde, même les
aspects de celui-ci qui ne méritaient pas sa gentillesse, et c’est parce
qu’elle le voulait qu’Hadès y tenait aussi.
Il soupira et se passa la main dans les cheveux avant de retirer
l’élastique qui les retenait. Il traversa la pièce jusqu’au bar et se servit
un shot de whiskey, qu’il but rapidement avant de rejoindre
Perséphone au lit.
Il s’allongea sur le côté et la regarda. Il ne voulait pas perturber
son sommeil malgré son désir ardent pour elle. Même dans la
pénombre, il devinait sans mal son visage, car il l’avait gravé dans sa
mémoire ; ses sourcils arqués, la courbe de ses joues, la forme de
ses lèvres. Elle était sublime, et son cœur était infiniment bon. Il était
certain qu’une part de lui serait toujours incrédule quant au fait qu’elle
était à lui, qu’elle avait accepté de l’épouser, lui, malgré tout ce qu’il
avait été et qu’il continuait d’être. Son côté le plus sombre était
conscient que des fiançailles pouvaient être rompues et les mariages
brisés.
Ce n’était pas qu’il s’attendait à ce que Perséphone le quitte, mais
plutôt que le monde essaie de les séparer.
Perséphone soupira, tirant Hadès de ses pensées. Il se concentra
sur son visage et vit que ses yeux bougeaient derrière ses paupières.
Elle fronça les sourcils, son souffle accéléra et sa poitrine se souleva
de plus en plus vite.
— Perséphone ? chuchota-t-il, et elle gémit en pressant sa tête
dans l’oreiller tout en se cambrant.
Ses mains étaient jointes au-dessus de sa tête, les poings
fermés, comme si quelqu’un la maintenait au sol.
Soudain, elle se crispa et chuchota un prénom qui glaça le sang
d’Hadès.
— Pirithoos.
Hadès se dressa sur un coude, transi de peur. Cet homme. Ce
nom.
Poussé par Thésée, Pirithoos avait kidnappé Perséphone après
l’avoir surveillée pendant des semaines. Hadès se souvenait encore
des notes que le demi-dieu avait rédigées dans le journal qu’il gardait
à son bureau, décrivant les tenues de Perséphone, leurs interactions,
et tout ce qu’il voulait lui faire. Cette lecture avait été horrible et cela
n’avait fait que rendre encore plus horrifiant le cauchemar qu’avait
été son enlèvement.
Ces mêmes sentiments s’emparaient d’Hadès maintenant, lui
déchirant la poitrine.
Hélas, c’était une sensation familière. Le demi-dieu hantait son
sommeil depuis le jour où il l’avait kidnappée.
— Perséphone, dit Hadès en posant sa main sur son ventre, lui
arrachant un gémissement. Chhhut, murmura-t-il pour l’apaiser, mais
un sanglot jaillit de sa gorge.
Elle retira brusquement sa main et s’assit dans le lit, le souffle
court. Il lui laissa le temps de revenir à la réalité, craignant d’aggraver
son angoisse en la touchant trop vite après son cauchemar, même
s’il voulait désespérément la prendre dans ses bras pour l’aider à se
sentir en sécurité, pour ne jamais plus la laisser partir.
Elle tourna la tête et sembla se détendre en le voyant. Soudain, il
se sentit moins inutile. Il craignait parfois de n’avoir rien fait de bien
dans les jours qui avaient suivi son enlèvement, et qu’un jour, il
déclencherait sans le vouloir un souvenir de cette nuit horrible. Que
ferait-il, alors ? Comment se rachèterait-il ?
Il lui paraissait impossible de la garder en sécurité.
— Tu vas bien ? demanda-t-il.
Sa poitrine se souleva, elle respirait en l’étudiant avec la même
intensité que lui. Elle était au-delà de tout ce qu’il avait imaginé
posséder un jour : sublime et gracieuse, bien trop bonne, comparée
aux choses qu’il avait faites au cours de ses nombreuses vies.
Pourtant elle restait avec lui, comme une lumière fixe à ses côtés, un
phare qu’il pouvait suivre dans la nuit.
C’était dans ces moments de calme que l’amour qu’elle avait pour
lui l’accablait.
— Tu n’as pas dormi.
Le chuchotement de sa voix glissa sur sa peau, éveillant son
désir, ce qui lui parut mal.
— Non, répondit-il en s’asseyant et en se tournant vers elle pour
la regarder.
Ses joues rouges et ses yeux vifs révélaient qu’elle avait puisé
dans sa magie pendant qu’elle rêvait.
Hadès effleura sa joue avec son pouce et elle ferma les yeux,
comme si sa caresse la réconfortait. Son cœur se mit à battre la
chamade en y pensant. Les émotions qu’elle lui procurait lui
apportaient un sentiment de puissance qu’elle était seule à pouvoir
lui offrir.
— Parle-moi, dit-il, même s’il savait ce qu’elle répondrait.
— J’ai encore rêvé de Pirithoos.
Sa main retomba et il serra les poings. C’était une chose de le
savoir, une autre de l’entendre.
— Il te fait du mal, même dans ton sommeil, dit Hadès.
Pirithoos la hantait alors que son âme était emprisonnée au
Tartare ; elle hantait même Hadès, peu importait le nombre de fois
qu’il torturait le demi-dieu.
— Je t’ai fait défaut ce jour-là.
— Comment aurais-tu pu savoir qu’il allait me kidnapper ?
— J’aurais dû le savoir.
Hadès était fier de tout savoir et de tout anticiper. Il avait pris
toutes les précautions concernant Perséphone, s’assurant qu’Antoni
l’emmène et la ramène du travail, assignant à Zofie sa protection,
une Aegis qui assurait sa garde à chaque instant, même de loin. Il lui
avait offert autant de liberté qu’il le pouvait, sans doute trop, même,
étant donné qu’elle était une cible pour de nombreuses personnes,
des ennemis qu’elle ne pouvait même pas imaginer. Toutefois, il ne
pouvait pas l’enfermer dans une cage, même si cette cage était son
royaume.
— Tu n’es pas omniscient, Hadès, chuchota Perséphone.
Elle essayait d’apaiser sa souffrance, et elle ne pouvait se douter
qu’elle ne faisait que l’aggraver. Omniscient ou pas, il se sentait
quand même coupable de ce qui s’était passé. Il en voulait à Zofie,
aussi, et lorsqu’il avait voulu mettre fin à sa mission d’Aegis, la
déesse l’avait défendue.
Il n’était pas fier de ses actions. Il aurait dû réconforter
Perséphone. Elle souffrait. Il le savait, même quand il lui faisait
l’amour ; il le sentait dans les tensions de son corps et avait
parfaitement conscience du temps qu’il lui fallait pour la mettre à
l’aise.
Cet homme, ce demi-dieu, avait envahi l’espace qui leur était le
plus privé et le plus intime, et cela le rendait fou de rage.
Il savait pourtant que c’était justement le pouvoir des demi-divins.
Leur pouvoir était inconnu, tout comme leur nombre, et le fils
quelconque d’un Olympien avait réussi à kidnapper non seulement
une autre déesse mais sa déesse.
Il se concentra à nouveau sur Perséphone, à qui il aurait dû offrir
des paroles réconfortantes.
— Tu as raison, répondit-il. Peut-être devrais-je punir Hélios, dans
ce cas.
Elle lui accorda un regard blasé.
— Ça t’aiderait à te sentir mieux ?
— Non, mais ce serait drôle, admit Hadès.
Il ne lui dit pas, toutefois, qu’il avait déjà tellement agacé le dieu
du Soleil au cours des derniers mois qu’Hélios n’accepterait peut-être
plus jamais de l’aider. Si c’était davantage un soulagement qu’une
perte, il était presque certain que le dieu se rangerait dans le camp
d’Héra, si ce n’était déjà fait, pour renverser Zeus.
De son côté, Hadès avait réussi à forcer la reine des dieux à se
plier à sa volonté, s’assurant que lorsque Zeus protesterait contre
son mariage avec Perséphone, Héra prendrait sa défense. Elle avait
accepté, même si ça avait été à contrecœur. Si Hadès n’était pas
contre voir la fin du règne de Zeus, il voulait surtout que Perséphone
soit à ses côtés lorsque ce jour viendrait. Ils étaient bien plus
puissants ensemble que séparément, mais Zeus le saurait ; il
incarnait donc la plus grande menace à leur bonheur.
— J’aimerais le voir, dit Perséphone.
Il fallut un moment à Hadès pour comprendre ce qu’elle avait dit,
car il avait eu l’esprit complètement ailleurs. Il se sentait coupable
d’avoir pensé à Zeus et Héra alors qu’elle angoissait à propos de
Pirithoos.
Le ton déterminé de sa voix lui dit qu’il ne pouvait pas la
combattre – non pas qu’il refuserait sa demande. Il lui avait fait cette
promesse le soir où il l’avait sauvée et il comptait la tenir, même si ce
n’était pas tout à fait ce qu’elle lui avait demandé.
Quand tu le tortureras, je veux me joindre à toi, avait-elle dit, et s’il
avait accepté, cela ne l’avait pas empêché d’aller au Tartare dès cette
nuit-là pour tourmenter le demi-dieu seul, ni d’y retourner presque
tous les soirs depuis, pour faire la même chose. Ce n’était pas qu’il
ne voulait pas honorer la demande de Perséphone, mais il attendait
qu’elle la formule à nouveau, car il saurait alors qu’elle était prête.
Il hésitait, néanmoins, car lorsqu’elle aurait vu cette partie du
Tartare, elle connaîtrait sa part la plus sombre. Elle connaissait le but
de cette prison, mais c’était autre chose de la visiter, et Hadès avait
peur qu’elle comprenne enfin de qui elle était tombée amoureuse et
qu’elle réalise qu’elle ne l’aimait pas du tout, finalement.
Il la regarda droit dans les yeux pour lui répondre :
— Comme tu veux, ma chérie.

*
* *
Hadès emmena Perséphone à la salle blanche, l’une de ses
salles de torture les plus modernes qui servait à priver ses occupants
de leurs sens. Parfois, Hadès y laissait une âme en vie pendant
plusieurs semaines et, quand il revenait enfin, elle avait perdu toute
notion d’elle-même. Il aimait tout particulièrement accorder cette
punition à ceux qui s’étaient servis de leur statut et de leur pouvoir
pour blesser et tuer dans le royaume des mortels. C’était encore plus
satisfaisant de les voir enfin perdre leur contrôle.
C’était ici qu’Hadès avait laissé Pirithoos après avoir utilisé
d’autres méthodes de torture, à la fois anciennes et nouvelles. Il lui
avait brisé les os et les genoux, il lui avait coupé les testicules et le
pénis, il l’avait couvert de miel pour laisser les insectes et les rats
déchiqueter sa chair jusqu’à ce que ses os soient à vif.
Il avait fait tout cela et plus encore, et sa rage n’avait pas diminué.
Même maintenant, il la sentait enfler en lui alors qu’il regardait
Pirithoos, qui était avachi sur une chaise au milieu de la salle,
maintenu par la corde qui entourait ses bras, sa taille et ses jambes.
Sa peau était si pâle qu’elle semblait grise, et il était maculé de
couches de sang séché, après ces tortures précédentes. Ce n’était
pas beau à voir, et Hadès se demanda ce que Perséphone pensait,
maintenant qu’elle était face au demi-dieu.
Elle était immobile et silencieuse à ses côtés, les yeux rivés sur
son agresseur. Au bout d’un moment, elle prit une inspiration qui
sembla résonner dans le silence de la pièce.
— Il est mort ?
Hadès supposait qu’elle chuchotait de peur de le réveiller.
— Il respirera si je le lui ordonne.
Il réalisa soudain que la seule peur de Perséphone était que cet
homme puisse à nouveau lui faire du mal. Il serra les poings et elle
avança vers l’âme. Il dut lutter contre l’envie de la tirer en arrière, de
la garder près de lui et de l’autoriser seulement à l’observer de loin,
mais il savait qu’elle n’avancerait pas vers lui si elle ne s’en sentait
pas capable.
— Est-ce que ça t’aide ? demanda-t-elle en se tournant vers lui.
Pendant un instant, il fut choqué de constater combien il était
étrange de voir une chose si belle dans un tel lieu.
— La torture, précisa-t-elle.
Hadès étudia son visage.
Sa question paraissait innocente. Peut-être était-ce parce qu’elle
supposait qu’il se servait de la torture pour guérir ses blessures et
non pour les nourrir, comme c’était le cas avec Pirithoos. Peu
importait le nombre de fois qu’Hadès ferait souffrir le demi-dieu, cela
ne suffirait jamais.
— Je ne sais pas.
Elle l’étudia encore quelques secondes avant de se mettre à
tourner autour du prisonnier. Elle ne pouvait pas se douter de l’effet
que ça faisait à Hadès, de la voir occuper l’espace comme une reine,
sans même s’en rendre compte.
Elle s’arrêta derrière le demi-dieu pour le regarder et Hadès se dit
qu’elle n’avait jamais été aussi belle, malgré l’endroit où ils se
trouvaient.
— Alors, pourquoi tu le fais ?
Il chercha à savoir si elle lui posait la question parce qu’elle
désapprouvait, mais elle ne semblait horrifiée ni par lui ni par le demi-
dieu ligoté devant elle, et il répondit la vérité.
— Pour le contrôle.
C’était ce qu’il cherchait quotidiennement, parce que c’était la
première chose qui lui avait été enlevée quand son père l’avait avalé
tout entier, à sa naissance. Dès qu’il s’était cru libéré de cette horrible
prison, il avait dû affronter dix années de combat. Après cela, avoir le
contrôle avait donné lieu à une existence sinistre, car tout le monde
dans son royaume devait se sentir comme lui, misérable et torturé.
Après tout ce dont il avait été témoin, il s’était persuadé que
personne ne méritait un repos éternel paisible.
Avec le temps, sa notion de contrôle avait évolué et son empire
s’était étendu dans le monde des mortels. Il avait cherché à
s’emparer des parties les plus sombres, alimentant les bas-fonds de
la Nouvelle Grèce jusqu’à ce que le pouvoir et le statut ne puissent
être obtenus que grâce à lui, de sorte que tous ceux qui opéraient en
dehors de son règne ne tenaient pas longtemps. Il n’y avait que peu
d’exceptions, mais parmi elles se trouvaient Dionysos, et plus
récemment Thésée qui était surtout soutenu par son père.
Cependant, même ces deux-là ne le mettaient pas au défi comme
Perséphone le faisait. Elle avait déboulé dans sa vie et l’avait défié à
chaque tournant sans qu’il ait réussi à exercer le moindre contrôle
sur elle. Elle refusait d’être enfermée et limitée et, finalement, il ne
pouvait pas lui en vouloir. Elle venait à peine d’échapper à l’autorité
de sa mère quand elle était tombée nez à nez avec lui, un inconnu
qui avait essayé de lui imposer des règles. Il n’était pas étonnant
qu’elle ait tout fait pour lui résister.
En fin de compte, elle voulait simplement la même chose que lui.
— Je veux le contrôle aussi, chuchota-t-elle.
Hadès voulait le lui offrir.
— Je vais t’aider à t’en emparer, dit-il en lui tendant la main.
Elle n’hésita pas et vint à lui, elle plaça sa main dans la sienne et
se colla à lui. Il la fit tourner de sorte qu’elle soit adossée à son torse
et il plaqua ses mains sur ses hanches dans un geste possessif. Il
savait que Pirithoos se réveillerait bientôt, et il voulait que le demi-
dieu réalise immédiatement ce qu’il avait fait – qu’il sache qu’il avait
enlevé la mauvaise déesse et défié le mauvais dieu.
Maintenant qu’il la tenait en sécurité dans ses bras, il invoqua sa
magie et visualisa une lance, qu’il projeta sur Pirithoos. Le demi-dieu
inspira brusquement dans un cri aigu, comme si le pouvoir d’Hadès
était douloureux. Quand elle l’entendit, Perséphone se crispa. Hadès
se rapprocha encore d’elle, comme pour lui servir de rempart contre
sa peur. Il chuchota à son oreille, effleurant son lobe avec ses lèvres :
— Tu te souviens du jour où je t’ai appris à invoquer ta magie ?
Il le lui avait appris un soir, sous les branches argentées du bois
qu’il lui avait offert. Il se souvenait de cette soirée et de la façon dont
son corps avait enveloppé le sien, de la façon avec laquelle il l’avait
touchée, de la façon dont son désir l’avait peu à peu réchauffée sous
ses caresses. Hadès se sentit soudain excité et, même s’il avait aimé
réprimer la sensation pour se concentrer sur la raison de leur visite
au Tartare, Perséphone ne lui rendrait pas la tâche facile.
Elle tressauta et pressa ses fesses et ses épaules contre lui. Elle
n’avait pas besoin de lui répondre ; sa réaction lui disait qu’elle se
souvenait très bien de ce qui était arrivé ensuite.
Elle répondit quand même.
— Oui.
Hadès esquissa un sourire et effleura la gorge de Perséphone en
lui parlant.
— Ferme les yeux, chuchota-t-il, car le demi-dieu commençait à
remuer et Hadès ne voulait pas que sa déesse ait à le regarder.
Pirithoos ouvrit les yeux et fronça les sourcils, son regard endormi
se posa sur Perséphone, ce qui sembla finir de le réveiller. Il
prononça alors son nom et Hadès dut invoquer tout son self-control
pour ne pas se jeter sur lui et lui arracher la langue.
Instinctivement, il se colla davantage à elle et planta ses ongles
dans ses hanches. La toucher lui permettait de s’ancrer dans la
réalité et lui rappelait pourquoi ils étaient là : pour que Perséphone
reprenne le pouvoir et ainsi, peut-être, qu’elle puisse enfin dormir en
paix.
— Qu’est-ce que tu ressens ? demanda-t-il, concentré sur elle.
Il n’était question que d’elle.
Il parlait contre sa peau et la sentit inspirer profondément quand
Pirithoos se mit à la supplier.
— Perséphone, s’il te plaît, insista le demi-dieu d’une voix
tremblante.
Plus il passait de temps éveillé, plus il se souvenait de la torture
qu’il avait endurée aux mains d’Hadès, et plus il était désespéré.
— Je… je suis désolé.
Désolé.
Le mot brûla la peau d’Hadès, invoquant les ténèbres qui vivaient
juste sous la surface. Il ressentait…
— De la violence, déclara-t-elle.
Hadès sut que c’était vrai parce qu’il décela un aspect tranchant à
ses pouvoirs, qu’il n’avait jamais ressenti auparavant. Sous la chaleur
et son parfum floral se trouvait quelque chose d’aiguisé et de
désespéré. Il voulait y goûter, le suivre du bout de la langue.
— Concentre-toi dessus, dit Hadès en saisissant sa main.
Nourris-la.
Dans le silence qui suivit, Hadès resta immobile, savourant la
sensation de sa magie alors qu’elle se concentrait pour la rassembler
dans la paume de sa main. C’était une immense vague de pouvoirs
qui le frappa en plein dans le ventre.
— Où veux-tu lui faire mal ? demanda Hadès.
— Ce n’est pas toi, dit Pirithoos d’une voix geignarde et aiguë, et
Hadès aurait adoré le faire taire. Je te connais, je t’ai observée !
Oui, il l’avait observée.
Il l’avait ciblée et suivie. Il avait pris des photos d’elle chez elle, où
elle était censée être en sécurité. Il avait cru avoir tous les droits sur
son corps, pour la simple raison qu’elle existait.
Et il serait éternellement puni pour cela.
— Il voulait se servir de sa verge comme d’une arme, dit-elle. Je
veux qu’elle brûle.
Hadès esquissa un sourire machiavélique.
— Non ! S’il te plaît, Perséphone, cria Pirithoos en tirant sur les
cordes. Perséphone !
— Alors, fais-la brûler, dit Hadès.
Il la lâcha et elle leva la main, remplie d’une magie brûlante
qu’elle projeta droit sur le sexe de Pirithoos. Il sursauta et se débattit
contre les cordes qui le ligotaient de telle sorte qu’elles lui coupèrent
la peau. Il recula brusquement la tête et montra les crocs. Hadès
imaginait que sa magie lui donnait l’impression d’être électrocuté. Il
en sentait le courant, comme la chaleur résiduelle d’un feu, et ses
poils se hérissèrent sur sa nuque.
— Ce… n’est pas… toi, grogna Pirithoos.
Hadès sentit Perséphone se crisper et elle se tint plus droite,
haussant le menton en dévisageant le demi-dieu. S’il ne pouvait voir
son expression, il sut qu’elle devait ressembler à une reine, car
l’expression torturée de Pirithoos changea, comme s’il comprenait
soudain que ses implorations étaient inutiles.
— Je ne sais pas pour qui tu me prends, mais que ce soit bien
clair, dit Perséphone d’une voix cristalline et déterminée. Je suis
Perséphone, future reine des Enfers, Lady de ton destin. Puisses-tu
en venir à redouter ma présence !
Ses propos remplirent la poitrine d’Hadès et lui coupèrent le
souffle. Jamais il ne s’était senti aussi amoureux et prêt à protéger
quelqu’un dans sa vie. S’il avait longtemps attendu que Perséphone
accepte cette part d’elle ainsi que le titre et le pouvoir qu’il avait à lui
offrir, il aurait aimé que ce soit dans d’autres circonstances et que
cela soit le fruit de son amour pour les aspects les plus heureux des
Enfers, pas pour ses aspects les plus sombres.
Peu de personnes découvraient leur véritable pouvoir sans conflit.
Perséphone et lui n’étaient en rien différents.
— Combien de temps va-t-il rester comme ça ? demanda-t-elle.
Hadès regarda Pirithoos, qui convulsait encore.
— Jusqu’à ce qu’il meure, répondit-il.
Il se demanda un instant si cela la dérangeait de voir le demi-dieu
torturé, si elle lui demanderait d’y mettre fin. Mais au lieu de cela, elle
se tourna vers lui et pencha la tête pour le regarder dans les yeux. Il
devina en cet instant qu’elle avait changé. Il n’aurait su dire comment,
mais cela flottait entre eux, aussi tangible et palpable que la violence
qui avait transpercé sa magie.
Sa déesse n’était plus faite de choses innocentes, et une part de
lui ne savait quoi en penser ; il se demandait si cela aurait été le cas
si elle ne l’avait pas rencontré.
— Emmène-moi au lit, dit-elle.
Hadès effleura sa joue avant de plonger ses doigts dans ses
cheveux dorés. Il avait des questions à lui poser, des choses à lui
dire. Est-ce qu’elle l’aimait de la même façon qu’avant de venir ici ?
Le traumatisme de cette nuit rongerait-il son esprit jusqu’à ce qu’elle
réalise qu’elle était devenue quelqu’un qu’elle ne voulait pas être ?
Lui en voudrait-elle ?
Hadès ne dit rien de tout cela, se penchant plutôt pour
l’embrasser. Elle l’accueillit en ouvrant la bouche, et son désir se fit
plus fort que jamais. Il poussa un grognement et la serra contre lui,
scellant toutes les parties dures de son corps contre les parties
douces du sien, et il pensa un instant que la plus grande punition
pour Pirithoos serait peut-être qu’il soit forcé de les regarder faire
l’amour alors qu’il mourait pour la millième fois.
Mais c’était une envie qu’il ne pouvait formuler, et il recula pour la
regarder dans les yeux.
— Comme tu veux, ma chérie, dit-il en les transportant loin des
profondeurs du Tartare jusqu’à leur chambre, où il les guida jusqu’à
leur libération.

*
* *
Perséphone dormait.
Elle était allongée sur le côté, les mains jointes sous sa joue, le
souffle tranquille et régulier. Hadès était assis au bord du lit,
cherchant les signes d’un autre cauchemar qui aurait pris racine dans
ses rêves, mais elle était calme et immobile. Et si Pirithoos revenait ?
S’il n’était pas là pour la réconforter quand elle se réveillerait ?
Il sentit une violente tourmente tourbillonner en lui tout en se
demandant si son sommeil entraînerait une nouvelle horreur. Peut-
être ne serait-elle pas hantée par Pirithoos, mais par la torture qu’elle
lui avait infligée.
Hadès passa sa main dans ses cheveux lâches.
Il était agité et anxieux et il n’avait trouvé de répit qu’aux côtés de
Perséphone. Son réconfort venait avec elle, qu’elle soit à cheval ou
étendue sous lui. Il voulait être près d’elle, en elle. C’était un besoin
aigu et primitif et, dans les heures qui suivirent, il prit un plaisir
immense à savoir qu’une part de lui restait avec elle.
S’il l’avait pu, il se serait réfugié dans son corps à chaque minute
de la journée, mais c’était la preuve de son addiction. Ce n’était pas
sain. Pourtant, s’il devait avoir un vice, c’était bien le meilleur de tous.
Il soupira et se leva. Il faisait trop chaud et son corps était collant
de sueur. Contrairement à Perséphone, qui s’assoupissait après le
sexe, Hadès restait éveillé, comme électrifié.
Il se servit un verre et sortit sur le balcon, où la nuit était douce et
agitée d’une légère brise. Il y trouva du répit après la chaleur de la
chambre et il put se détendre en sachant qu’il n’était pas loin, au cas
où Perséphone sombrerait dans un nouveau cauchemar.
Il observait le jardin qui entourait son palais et baignait dans la
lumière argentée de la lune. C’était là que tout avait commencé.
C’était ici qu’il avait amené Perséphone pour qu’elle plante la
première graine de leur contrat. Crée de la vie aux Enfers, avait-il
décidé, ou sois mienne pour toujours.
Dieux, qu’il avait espéré qu’elle échoue ! À l’époque, il pensait
que ce serait le seul moyen de la garder auprès de lui. Elle avait été
furieuse, et ça n’avait fait qu’empirer quand il l’avait emmenée aux
Enfers.
Comme la plupart des gens, elle s’était attendue à trouver un
paysage de cendres et de feu. Or elle avait découvert une étendue
luxuriante, pleine de couleurs et de fleurs. Cela avait été la première
preuve que ce que sa mère lui avait dit au sujet d’Hadès pendant
vingt-quatre ans était faux, et elle avait été anéantie.
Elle s’était débattue contre lui. De toutes ses forces. Plus il avait
appris à la connaître, moins il avait été surpris. Perséphone avait été
traumatisée par le contrôle que sa mère exerçait sur elle et elle avait
résisté à l’idée d’appartenir à qui que ce soit. Plus ses sentiments
pour Hadès avaient crû, plus elle avait refusé de l’aimer – mais elle
ne pouvait les faire disparaître et quand elle avait fini par succomber,
elle avait libéré la partie la plus puissante d’elle-même.
Tout cela… allait bien au-delà de l’amour. C’était de la dévotion.
C’était de la vénération. C’était un pouvoir capable de donner
naissance et de mettre fin au monde, et s’il le devait, il le ferait en son
nom. Il savait que c’était vrai, car il le sentait de façon si profonde que
c’en était presque douloureux.
— Pourquoi tu es nu ?
Hadès revint à la réalité et regarda le jardin en contrebas, où se
tenait Hécate, presque invisible dans la nuit.
— Tu veux vraiment que je réponde ? demanda-t-il. Je peux te
donner des détails.
Elle grimaça d’un air faussement dégoûté.
— Je crois pouvoir le deviner. Après tout, ce n’est pas comme si
vous étiez discrets.
Hadès rit et Hécate haussa un sourcil. Il ne pouvait s’empêcher
de trouver amusant que les cris de plaisir de Perséphone résonnent
à travers les Enfers.
— Calme tes ardeurs, gronda-t-elle, ce n’est pas comme si tu
excellais à offrir du plaisir. Certains d’entre nous sont simplement
sensibles au bruit.
Hadès leva les yeux au ciel.
— Tu crains que je devienne arrogant, Hécate ?
— Je n’ai pas à le craindre, rétorqua-t-elle, c’est déjà le cas.
— L’arrogance ne rend pas un fait moins vrai, dit-il.
— Non, mais ça le rend agaçant.
Il ne put s’empêcher de rire.
— Personne ne t’a forcée à le subir, dit-il. Que fais-tu ici, de toute
façon ? N’y a-t-il pas quelques mortels pathétiques qui méritent ta
tourmente ?
— Personne ne mérite ma tourmente, répondit Hécate. Je suis un
fléau pour les hommes.
— Tu es un fléau, ça, c’est clair, marmonna-t-il.
— J’ai entendu ! rétorqua-t-elle.
— Je sais, dit Hadès.
— Et toi ? Pourquoi tu boudes sur ton balcon au lieu de dormir
avec ta bien-aimée ?
— Je ne boude pas.
— Tu boudes tout le temps, dit-elle.
Il la fusilla du regard, ne voulant pas se disputer avec elle.
— Si tu veux tout savoir, je n’arrive pas à dormir.
— Tu t’inquiètes trop ?
Il ne répondit pas.
— Peut-être que tu ne devrais pas t’inquiéter quand tu es avec
elle, suggéra Hécate.
— C’est justement dans ces moments-là que je m’inquiète le plus,
expliqua-t-il, puisque cela le confrontait à ce qu’il risquait de perdre si
quelqu’un s’opposait à lui.
— Tu dois avoir confiance dans le fait que votre amour est plus
fort que n’importe quel dieu, dit Hécate.
— Ce n’est pas notre amour qui m’inquiète. C’est ce que je suis
prêt à détruire pour le préserver.
— Depuis quand rechignes-tu face au carnage ? demanda-t-elle.
— Depuis que j’ai décidé d’épouser la déesse du Printemps.
— Que tu peux être bête, dit Hécate. Ce choix ne t’a jamais
appartenu.
Ses propos le mirent mal à l’aise. Il n’aimait pas beaucoup les
Moires et leurs fils. Il aimait penser qu’il aurait choisi Perséphone
même si elles n’avaient pas entremêlé leurs vies et qu’elle l’aurait
peut-être choisi aussi, car il savait qu’elle craignait que leur histoire
ne se résume qu’à ce que les Moires leur offraient.
Il se demanda si elle le pensait encore, ou si elle avait commencé
à croire que leur amour était peut-être plus grand qu’un fil invisible.
Une part de lui préférait ne pas le savoir.
— Ne fais pas comme si Perséphone ne savait pas qui elle a
choisi d’aimer, dit Hécate. Elle te voit tout entier. Après tout, elle est la
déesse du Printemps. Elle est accoutumée à la vie et à la mort.
Chapitre IV

HADÈS

Hadès rejoignit Perséphone, mais il ne dormit pas, ce qu’elle ne


manqua pas de remarquer. Elle se leva aux alentours de midi et
fronça les sourcils en le regardant, caressant sa pommette du bout
du doigt. Hadès lui prit la main et embrassa la pointe de ses doigts.
— Je vais bien, dit-il.
— Pourquoi mens-tu ?
Pour te protéger, voulut-il répondre.
— Que vas-tu faire aujourd’hui ? demanda-t-il plutôt.
Elle le regarda d’un air étrange.
— Je présume que tu me poses la question parce que tu ne
comptes pas rester…
— J’ai des affaires à gérer dans le royaume des mortels.
— Un dimanche ?
Elle ne lui posait pas la question par suspicion, mais plutôt parce
que c’était inhabituel.
En général, il passait ses week-ends reclus aux Enfers avec elle.
Parfois, ils ne sortaient même pas de la chambre ; d’autres fois, il
l’emmenait explorer des parties des Enfers qu’elle n’avait jamais
vues.
Quoi qu’ils fassent, Hadès tenait à ce temps avec elle et, s’il
détestait faire une croix dessus, il savait que sa mission ne pouvait
pas attendre.
Il fallait qu’il sache si l’Ophiotauros s’était réincarné avec une
prophétie.
— Je me rattraperai, dit-il.
Perséphone ne répondit rien et son silence le laissa penser qu’il
l’avait blessée. Elle s’assit et se tourna pour poser les pieds par terre,
Hadès ne quitta pas des yeux son dos nu, hypnotisé par la façon dont
ses cheveux reflétaient la lumière et brillaient comme des fils d’or.
— Je vais rendre visite à Lexa, dit-elle, répondant à sa question.
La poitrine d’Hadès se resserra douloureusement en entendant le
prénom de la meilleure amie de Perséphone. Il l’avait toujours
appréciée, mais il devait admettre qu’il n’avait compris l’ampleur de
leur amitié que lorsque Perséphone avait été confrontée à sa mort.
Cela allait au-delà d’une simple amitié ; elles étaient des âmes
sœurs, et il n’avait pas compris que Perséphone avait eu besoin qu’il
lui donne plus que ce qu’il avait fait à la mort de Lexa. Il ne se le
pardonnerait jamais, car son attitude avait poussé Perséphone à
chercher de l’aide ailleurs, auprès d’Apollon notamment, dont la
flèche avait guéri les blessures physiques de Lexa, mais pas sa
psyché, la condamnant à une existence différente aux Enfers, une
existence qui faisait souffrir Perséphone autant que Lexa.
Sa meilleure amie ne serait plus jamais la même, et Hadès ne
savait combien de fois Perséphone se rendrait aux Champs Élysées
avant de comprendre que Lexa ne reviendrait pas.
La version de Lexa qu’elle avait aimée était morte.
— Combien de temps ? demanda-t-il, faute de mieux.
— Jusqu’à ce qu’elle fatigue, répondit-elle d’un ton qui dit à
Hadès qu’elle s’efforçait de cacher sa tristesse. Mais ce ne sera pas
long… elle se fatigue vite. Est-ce que c’est normal, pour les âmes qui
sont aux Champs Élysées ?
— Oui, c’est normal.
Il ne souhaitait pas lui dire que Lexa se fatiguait sans doute très
vite parce que Perséphone la défiait. Même si elle savait qu’elle ne
devait pas lui parler de leur passé commun ni parler longtemps du
monde mortel, Perséphone ne pouvait sans doute pas s’en
empêcher, ce qui impliquait que l’esprit de Lexa travaillait dur pour
digérer et réapprendre ce qu’il avait oublié. Même les émotions
étaient une expérience nouvelle, aux Champs Élysées.
Perséphone resta silencieuse un moment, puis elle se leva, nue
et sublime, et se rendit dans la salle de bains. Le bruit de la douche
suivit et Hadès envisagea de la rejoindre, mais il avait la nette
impression qu’elle voulait être seule, donc il se leva et s’habilla à son
tour.
Cette journée lui paraissait étrange, contraire à sa routine
habituelle.
Il détestait ça.
Il envisagea de rester là avec Perséphone, mais des choses plus
importantes s’opéraient et l’idée de procrastiner l’angoissait.
L’Ophiotauros ne pouvait exister longtemps sans conséquence, or il
n’était pas seulement une menace pour Hadès, il en était une pour
tous les dieux, et si certains méritaient de mourir, il préférait que ce
pouvoir ne tombe pas entre les mauvaises mains.
Un nuage de vapeur s’échappa de la salle de bains quand
Perséphone en sortit, enveloppée dans une serviette.
— Tu es encore là ? s’étonna-t-elle.
Hadès fronça les sourcils.
— Depuis quand je pars sans dire au revoir ?
Elle ne répondit rien et il s’approcha d’elle, effleurant son menton
du bout du doigt.
— Je sais que tu m’en veux.
— Je ne t’en veux pas. Je pensais simplement que cette journée
serait différente, répondit-elle avant de prendre une grande
inspiration. Yuri et Hécate veulent me voir à propos du mariage.
— C’est une mauvaise chose ?
— Non, répondit-elle d’un ton hésitant. Mais je… je ne sais pas ce
que tu veux.
Il l’étudia et quand elle voulut tourner la tête, il prit son visage
dans ses mains pour l’en empêcher.
— Je te veux, toi. Tu es la seule chose qui compte.
Il n’aimait pas sa façon de le regarder, comme si elle cherchait la
véracité de ses propos dans ses yeux. Mais sans doute cette
impression venait-elle de ses propres peurs.
Bon sang, il avait vraiment de gros soucis.
— Je t’aime, dit-il avant de l’embrasser, reculant rapidement
avant de changer d’avis et de se recoucher avec elle.

*
* *
Les cris enjoués des enfants rappelaient à Hadès le Jardin
d’Enfants des Enfers, même si la comparaison lui était douloureuse.
Il était rarement endeuillé pour quiconque entrait aux Enfers, mais les
enfants étaient une exception. Il ne s’y était jamais fait, et ce ne serait
sans doute jamais le cas.
Il hésitait même à avancer dans ce parc, où des groupes
d’enfants jouaient sur de grands jeux colorés, malgré le froid et la
neige qui couvrait le sol, pendant que leurs parents participaient ou
les observaient. Il n’était pas invisible et sa présence leur ferait sans
doute peur.
Les mortels ne réalisaient pas toujours qu’il y avait une différence
entre Thanatos et lui ; l’un était le dieu des Morts, l’autre le dieu de la
Mort, et ils supposaient qu’Hadès venait faucher des âmes. Il était
venu voir une seule personne, et il ne comptait pas lui prendre son
âme.
En général, il ignorait sans problème le malaise qui accompagnait
ses arrivées dans le monde des mortels, mais le fait d’être dans ce
parc rendait la tâche plus difficile. Pourtant, il ne quitta pas des yeux
Katerina, qui était vêtue d’un blouson marron avec un col en fourrure.
Elle était l’une de ses employés, la directrice de la Fondation Cyprès.
Et elle était aussi Oracle.
— Elle a grandi, dit Hadès en arrivant à ses côtés.
Katerina se tenait près des jeux, observant sa fille, Imari. Elle
sursauta, puis éclata de rire.
— Oh, Hadès ! Tu m’as fait peur ! s’exclama-t-elle en lui donnant
une tape légère sur l’épaule.
Un nuage blanc s’échappa de sa bouche.
Elle gloussa avant de regarder à nouveau sa fille.
— C’est vrai qu’elle est grande, n’est-ce pas ? répondit-elle en
soupirant. Le temps passe tellement vite…
— Ça fait quoi ? Six ans ? demanda-t-il, même s’il connaissait la
réponse.
— Ouais. Tu es doué pour ce genre de choses.
— Doué pour quoi ?
— Te rappeler. À moins que ce soit un truc de dieu ?
— Que quoi soit un truc de dieu ?
— Est-ce qu’il te suffit de regarder quelqu’un pour connaître son
âge ?
— Je suppose, dit-il. Même si je n’ai jamais vraiment eu à le faire.
La mort était la mort, quel que soit l’âge.
— Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda Katerina au bout d’un
moment. C’est dimanche.
Hadès mit trop de temps à répondre et le sourire de son
employée s’effaça.
— J’ai besoin de ton aide, dit-il. Je ne te le demanderais pas si…
— Hadès !
Il tourna la tête alors qu’Imari sautait du haut des jeux, et il
s’accroupit en ouvrant les bras car, à présent, elle courait vers lui.
Si les gens l’avaient regardé avant, ce n’était rien, comparé à
maintenant.
— Viens jouer avec moi ! dit-elle en le tirant par la main.
— Imari, Lord Hadès est occupé, dit Katerina.
— Ce n’est rien, répondit-il.
La petite fille sourit jusqu’aux oreilles et elle tira Hadès vers les
jeux. Il se sentait bien trop grand et maladroit, mais Imari était trop
jeune pour le percevoir ainsi, trop jeune pour savoir pourquoi les
autres le craignaient.
Il regarda Imari gravir des marches jusqu’à une plateforme, puis
tendre les bras vers le ciel.
— Aide-moi à attraper les barreaux, Hadès !
— Et voilà, dit-il en lui prenant les jambes.
Katerina s’approcha.
— Qu’est-ce que tu n’oses pas me demander ? dit-elle.
Ils suivirent Imari qui avançait le long de l’échelle horizontale.
— J’ai besoin de ton don de prophétie, dit-il.
Katerina n’avait pas l’habitude d’employer ses talents d’Oracle en
dehors du travail qu’elle faisait pour sa fondation. Il pouvait lui arriver
de s’exprimer au sujet du potentiel succès ou échec d’un de ses
projets, ou d’organiser des calendriers afin de maximiser leur
réussite, mais il ne lui avait jamais demandé un tel service.
— Il y a… une créature qui s’appelle l’Ophiotauros, poursuivit
Hadès à voix basse. Il y a longtemps, une prophétie a prédit la mort
des dieux si l’on brûlait ses entrailles. J’ai besoin de savoir si la
prophétie existe encore.
Katerina dévisagea Hadès un long moment, puis elle tourna la
tête.
— L’Ophiotauros, murmura-t-elle avant de se taire.
Imari arrivait au bout de l’échelle.
— Attrape-moi, Hadès ! dit-elle avant de se lâcher.
Il l’empoigna par la taille et tourna sur lui-même en la serrant
contre lui. Ses éclats de rire résonnèrent dans le parc et firent sourire
le dieu des Morts. Il la reposa et elle courut à la balançoire.
— Hadès, pousse-moi !
Katerina reprit la parole.
— Si une personne tue la créature et brûle ses entrailles, alors la
victoire est assurée contre les dieux, dit-elle.
Un silence pesant suivit ses propos. C’était ce que craignait
Hadès ; la prophétie restait vraie.
Imari se mit à se balancer et Hadès la poussa. Elle gloussait en
allant de plus en plus haut, une mélodie joyeuse qui contrastait avec
leur conversation lugubre.
— Que vas-tu faire ? demanda Katerina.
— Je vais essayer de le trouver avant les autres.
Les grincements de la balançoire interrompaient le silence qui les
séparait.
— Et si ce n’est pas le cas ? finit-elle par demander.
— Alors je suppose qu’on mourra tous, répondit-il.

*
* *
En disparaissant du parc, Hadès réalisa qu’il avait laissé Katerina
avec une prédiction lugubre.
En vérité, il ne savait pas ce qui se passerait si quelqu’un trouvait
l’Ophiotauros avant lui. Il n’était pas impossible que quelqu’un le tue
de peur, sans réaliser la véritable importance de la créature ni le
danger qu’il encourrait en la trouvant.
Si l’Ophiotauros mourait, les conséquences seraient moins
graves que si son tueur mettait en œuvre la prophétie décrite par
Katerina. Quiconque le tuait devrait brûler ses entrailles. La victoire
serait alors assurée contre les dieux.
Les dieux.
Hadès savait qu’il ne servait à rien de chercher à comprendre qui
serait une victime de la prophétie. Les Moires ne divulgueraient pas
le futur qu’elles avaient tissé, et il était possible qu’elles ne l’aient fait
que pour se divertir. Durant la Titanomachie, l’Ophiotauros avait
provoqué une bataille sans nom car chaque camp avait essayé de
trouver la créature qui mettrait fin à la guerre ; mais en fin de compte,
cela n’avait servi à rien. Les Titans avaient réussi à la tuer, et les
aigles de Zeus avaient dérobé ses entrailles, gâchant la prophétie.
Le message des Moires avait été clair : il n’y avait pas de manière
simple de mettre fin à la guerre.
La situation était différente, cette fois, et les Moires cherchaient
peut-être à entamer une nouvelle ère plus vite. Cependant, Hadès ne
pouvait qu’essayer de deviner leurs motivations. Il serra les poings,
sentant qu’il perdait le contrôle de la situation. C’était le pire,
lorsqu’on traitait avec les Moires.
Leur futur était définitif.
Cependant, cela ne signifiait pas qu’Hadès n’essaierait pas de le
contrôler. Il protégerait les quelques personnes dont il était le plus
proche, et par-dessus tout Perséphone.
Si elle le laissait faire.
Hadès se manifesta dans une clairière entourée de bois et il fut
immédiatement assailli par l’odeur oppressante de la magie de
Déméter. Elle l’écrasait comme un poids immense sur son dos et il
sentit son corps se recroqueviller sur lui-même. Le seul répit
provenait de la magie de Perséphone, un effluve sucré qui appelait
son âme.
Quelque chose craqua sous ses pieds et, lorsqu’il baissa la tête, il
vit des éclats de verre au milieu des carex et des digitales en fleur,
poussant dans un parterre verdoyant qu’Hadès ne fut pas surpris de
trouver épargné par l’hiver qui ravageait Nouvelle Athènes.
Son regard se posa sur les ruines d’une orangerie d’où provenait
la magie de Perséphone. Sa magie primitive, d’ailleurs, car ce qui
sortait de terre ressemblait à un tronc noir étrange, avec de longues
branches qui s’enroulaient autour de la structure métallique de
l’orangerie et, sous elles, les fleurs de Déméter, des prisonnières qui
s’étaient trouvées à sa merci et n’en avaient trouvé aucune.
Il comprenait, maintenant, d’où venait le verre cassé.
Il se demanda à quel moment Perséphone était venue détruire sa
prison de cristal et il fut brièvement émerveillé par le chemin qu’elle
avait parcouru. Alors que la vie qu’elle créait à ses débuts imitait la
mort, les fleurs jaillissaient désormais sur son passage.
Hadès avança, faisant craquer les débris de verre qui
résonnèrent comme le tonnerre dans le silence de la clairière. Il était
parfaitement conscient de ne pas être seul et sentit des regards sur
lui. Il n’était pas surpris que les êtres vivants aient fui la clairière de
peur.
Il se tourna et étudia la lisière des arbres.
— Je sais que vous êtes, là, dit-il. Sortez !
Ses mots n’eurent aucun effet.
— Sortez, ou je viendrai vous chercher.
Ce n’était pas une menace en l’air. Il savait exactement où les
nymphes s’étaient réfugiées. Il y avait une rivière, derrière les arbres,
et elles l’observaient depuis les berges.
C’étaient des naïades, comme Leucé.
Il attendit, faisant preuve de bien plus de patience qu’elles ne
méritaient.
— Lady Déméter t’assassinera, dit l’une.
— Elle te changera en oiseau, comme elle a toujours menacé de
le faire, dit une autre. Et elle nous forcera à quitter notre maison et à
aller vers la mer.
— Il ne nous fera pas de mal, rétorqua une autre. Il aime Lady
Perséphone.
— Ce n’est pas sa colère que nous craignons, répondit une autre.
Hadès soupira et disparut de la clairière pour apparaître sur la
berge de la rivière, où cinq nymphes étaient rassemblées. Elles
étaient à moitié dans l’eau et elles grattaient la terre à main nue, le
visage caché dans l’herbe haute.
Quand elles virent Hadès, elles poussèrent un cri et auraient sans
doute fui s’il ne les avait pas maintenues en place grâce à son
pouvoir.
— L’une d’entre vous va me dire ce que vous savez de votre
maîtresse, dit-il.
Elles se mirent à trembler.
— On ne sait rien de notre maîtresse, Milord, dit celle avec des
cheveux de la couleur des reflets du soleil dans l’eau.
Elle ne mentait pas.
— Quand était-elle ici pour la dernière fois ? demanda-t-il.
— C’était il y a un moment, répondit une autre, dont les cheveux
étaient assortis à l’eau sombre de la rivière. Quand Perséphone est
partie.
— Partie pour le monde des mortels ?
— Non, quand l’orangerie a été détruite.
— Et vous n’avez aucune idée d’où peut être votre maîtresse ?
Toutes les cinq secouèrent la tête.
Hadès les étudia un moment.
— J’ai besoin que vous la trouviez.
Elles écarquillèrent les yeux et pâlirent brusquement.
— Milord, elle saura ! dit l’une, qui avait les cheveux rouges
comme les deux autres.
Toutes les cinq portaient des couronnes de lys.
— Nous serons toutes punies, dit celle aux cheveux noirs. Tu
nous demandes de mourir pour toi !
Hadès pencha la tête sur le côté et plissa les yeux.
— Tu mourras pour moi de toute façon, Hercyna, dit-il. La seule
incertitude est la façon dont tu mourras.
— Ne lui fais pas peur ! aboya la blonde en saisissant Hercyna
par le cou pour écraser sa tête contre sa poitrine.
— Je n’y peux rien si vous craignez la mort, dit Hadès. C’est
pourtant la vérité de toute existence.
— Lady Déméter avait raison à propos de toi, siffla la blonde. Tu
ne te soucies que de toi-même !
— Si tu savais ce qui m’a poussé à venir dans cette clairière, tu
ravalerais tes propos, répondit Hadès. Imaginez que je sois venu
avec Perséphone et qu’elle soit témoin de votre trahison au profit de
sa mère maltraitante.
— Tu ne sais pas ce que c’est ! dit Pisinoé, l’une des rousses.
Perséphone le savait ! Elle nous comprendrait !
— Peut-être, répondit Hadès. Mais je ne suis pas Perséphone, et
j’ai besoin de savoir où se cache Déméter.
Leur colère lui rappelait celle de Perséphone lors de leur
rencontre ; leur opinion de lui était noircie par ce que Déméter avait
dit de lui.
— Je vais vous donner une idée de ce que vous devrez affronter
si vous ne m’aidez pas, dit Hadès. Vos fontaines et vos puits, vos lacs
et vous sources, vos rivières et vos marais gèleront tous. Vous
devrez fuir vos maisons, vous et toutes vos sœurs et amies. Vous
chercherez à vous abriter du froid, mais vous découvrirez que le
monde entier a gelé et, plongées dans le désespoir, vous apprendrez
ce que c’est que de réclamer de mourir.
Il marqua une pause et laissa ses propos flotter dans l’air.
— Voilà votre destin, provoqué par nulle autre que la déesse que
vous protégez maintenant.
Les cinq nymphes se regardèrent, le visage déformé par une
toute nouvelle peur. C’était ce qu’il cherchait ; l’aveu que ce qu’il
disait se produisait déjà.
— Je vais le faire, dit Hercyna.
— Non ! ripostèrent les quatre autres.
— Nous le ferons ensemble, dit Cyané en regardant ses amies
puis Hadès, les yeux brillants de colère. Même si ce n’est que pour lui
dire que tu la cherches.
— Je présume qu’elle le sait déjà, répondit-il. J’attendrai.

*
* *
Hadès retourna aux Enfers, où il trouva Perséphone endormie. Il
se servit un whiskey, espérant calmer ainsi son angoisse.
La prophétie de Katerina occupait l’essentiel de ses pensées, tout
comme Déméter. Il repensa à la mission qu’il avait confiée aux
nymphes et ravala sa culpabilité. Il savait qu’il était dangereux de les
envoyer chercher Déméter. Les nymphes seraient probablement
punies de lui avoir parlé ; il était donc peu probable qu’elles
reviennent avec des nouvelles de la mère de Perséphone.
Il ne se pensait pas capable de lui faire entendre raison, mais il
voulait savoir où la trouver quand Zeus s’en mêlerait et exigerait la fin
de l’une de deux choses : le blizzard ou ses fiançailles avec
Perséphone.
Il sentit l’air remuer et regarda par-dessus son épaule, découvrant
que Perséphone était réveillée. Elle le regardait depuis leur lit,
ensommeillée, les joues roses, son corps sublime partiellement
recouvert par son peignoir. Il aurait aimé la réveiller en l’embrassant
entre les cuisses, mais cela ne lui paraissait plus possible ces
dernières semaines, alors il attendit.
— Tu es réveillée, murmura-t-il.
Il se tourna vers elle et elle baissa les yeux sur sa verge dure et
épaisse. Il avait besoin d’une forme de libération, car plus cela durait,
plus c’était inconfortable. Étant donné la façon dont Perséphone le
regardait, il ne pensait pas devoir agoniser encore longtemps.
Il vida ce qui lui restait de whiskey et marcha vers elle pour
s’asseoir sur le lit, prenant son visage dans ses mains pour
l’embrasser sur la bouche. Elle le laissa faire et il lui fit ouvrir la
bouche avec sa langue, fouillant sa bouche jusqu’à ne plus sentir le
goût du whiskey. Plus il l’embrassait, plus sa verge pulsait. Par le
passé, il aurait guidé sa main sur son sexe ou l’aurait allongée sur le
lit pour s’étendre sur elle, mais il craignait désormais de faire preuve
de trop d’initiative.
Quand il recula, la bouche de Perséphone était rougie et ses yeux
brillaient de désir.
— Comment s’est passée ta journée ? chuchota-t-il.
Il n’arrivait pas à parler plus fort, car il avait l’impression que cette
nuit requérait le silence.
— Difficile, répondit-elle en se mordillant la lèvre, un signe de son
angoisse.
Il ne s’était pas attendu à cette réponse, puisqu’elle avait passé la
journée aux Enfers. Mais peut-être que sa visite à Lexa ne s’était pas
bien passée. Il allait le lui demander quand elle reprit :
— Et la tienne ?
— Idem, répondit-il en coiffant une mèche derrière son oreille
avant de poser une main sur le matelas à côté d’elle. Allonge-toi avec
moi.
Ses paupières semblaient lourdes et sa bouche était enflée et
entrouverte.
— Tu n’as pas besoin de me le demander, chuchota-t-elle.
Il n’était pas d’accord, mais une part de lui devait admettre que le
fait de le lui demander servait peut-être davantage à apaiser ses
peurs que celles de Perséphone.
Maintenant qu’il avait sa permission, il n’hésita pas à la
débarrasser de son peignoir pour la mettre nue. Il voulait tant obtenir
d’elle en même temps, ses gémissements essoufflés et ses cris
désespérés. Il voulait l’embrasser et être en elle. Il voulait la prendre
lentement, puis la baiser brutalement, mais lorsqu’il baissa les yeux
sur ses seins, sur ses tétons dressés et roses, il décida de
commencer par là.
Il se baissa et prit chaque pointe dans sa bouche pour les sucer et
les lécher. Son souffle était lent et profond et elle plongea ses mains
dans ses cheveux. À ce stade, il ne pensait à rien en particulier, se
contentant d’observer les sensations, la façon dont elle promenait
ses ongles sur son crâne, la façon dont son souffle devenait plus
profond au fur et à mesure qu’il suçait ses seins, sa façon d’écarter
davantage les jambes pour se préparer à recevoir ce qu’il déciderait
de lui donner. Mais elle devint impatiente et saisit sa main pour la
guider sur son sexe et presser ses doigts contre sa chaleur.
Hadès poussa un grognement en sentant son excitation.
— Tu es tellement mouillée, murmura-t-il avant de plaquer ses
lèvres contre les siennes pour explorer sa bouche.
Il pourchassa son plaisir avec ses doigts. Il aimait tout du sexe
avec Perséphone, mais il appréciait particulièrement ces moments,
car il sentait combien elle avait envie de lui, et il ne put plus penser
qu’à la sensation qu’il éprouverait lorsqu’il glisserait sa verge dans
son sexe chaud, mouillé et étroit.
Il poussa un grognement quand Perséphone s’empara de sa
queue et qu’une vague de plaisir parcourut ses veines. Ses gestes
étaient lents et quand son pouce caressa son gland, tout son corps
se mit à trembler. Il n’en pouvait plus, il avait besoin d’être en elle.
Il retira ses doigts dégoulinants de désir et posa une main sur sa
hanche en rompant le baiser.
Perséphone le fusilla d’un regard brûlant et elle tendit la main
pour replacer la sienne entre ses cuisses.
Hadès esquissa un sourire narquois et étudia sa bouche.
— Tu ne me penses pas capable de te donner du plaisir ?
— Si, au bout d’un moment, dit-elle d’un ton frustré.
— Oh, chérie. Ça sonne comme un défi, répondit-il en l’allongeant
sur le dos.
Il la fit rouler sur le côté de sorte que son dos soit contre son
torse. C’était un angle étrange, mais il la voulait comme ça, ce qui lui
permettait de la voir gigoter tout en lui donnant du plaisir. La regarder
anticiper ses gestes lui procurait un sentiment de puissance.
Il était seul à lui offrir ces sensations. Il était seul à la toucher
ainsi.
Elle écarta les jambes et il plongea à nouveau ses doigts en elle.
Elle pencha la tête en arrière, poussant contre son bras, les lèvres
ouvertes pour pousser un gémissement qu’il captura avec sa bouche.
Il poursuivit son geste en l’embrassant langoureusement, sans
relâche, alors qu’il cherchait son plaisir. Sous lui, Perséphone
haletait, comme si son souffle était coincé dans ses poumons. Il
continua à faire croître son extase et, lorsqu’il rompit le baiser, il
chuchota près de son oreille dans un grognement :
— C’est du plaisir ?
Car cela lui plaisait.
Il retira ses doigts et sa seule réponse fut un cri guttural ; mais il
n’avait pas besoin qu’elle parle. Il savait ce qu’il provoquait en elle :
Perséphone semblait briller d’une lumière surnaturelle et sublime. Il
avait tant envie d’elle que c’en était douloureux.
Il se rapprocha et elle écarta les jambes. Il avait l’impression de
pénétrer une partie différente de son corps sous cet angle, de
toucher des parties différentes. Et à la façon dont elle bougeait, il
pensa que Perséphone ressentait peut-être la même chose.
— C’est du plaisir ? se moqua-t-il d’une voix grave.
Elle frissonna malgré la chaleur qui émanait de leurs corps. Il
bougea en elle, d’abord lentement, puis de plus en plus vite et fort,
savourant de sentir ses testicules frapper ses fesses.
Putain, il voulait que ça dure.
Il planta ses ongles dans sa peau.
— C’est du plaisir ? demanda-t-il en serrant les dents.
Il prenait un plaisir fou et il voulait savoir que Perséphone
ressentait la même chose.
Elle glissa sa main sur sa nuque et parvint à parler alors que son
corps tressautait sous lui.
— C’est de l’extase.
Leurs bouches se rencontrèrent dans un baiser maladroit, Hadès
souleva le genou de Perséphone pour le placer sur le sien afin
d’avoir une meilleure prise et de pouvoir accélérer. Il posa une main
sur son cou et saisit sa mâchoire pour la tenir en place. Il ne voulait
pas qu’elle tourne la tête. Ils ne parlaient plus, parvenant seulement à
pousser des gémissements et des cris, ponctués de quelques jurons
chuchotés.
Il savait que l’orgasme de Perséphone n’était pas loin. Il le sentait
à sa façon de s’agripper à lui, à la façon dont son corps se mit à
tressauter. Il serra la mâchoire et maintint le rythme alors qu’elle
explosait dans ses bras, et il la suivit de près. Son orgasme le vida et
parut ne jamais finir, mais il resta enfoui, éjaculant profondément en
elle.
C’était un geste possessif, mais il lui semblait qu’il la marquait au
fer rouge, et lorsqu’il y repenserait durant la journée, c’était l’une des
choses qui lui apporterait une joie sincère.
Ils restèrent l’un contre l’autre, le temps de retrouver leur souffle,
puis Hadès déposa de petits baisers sur sa peau avant de s’arrêter
pour la regarder dans les yeux.
— Tu vas bien ?
Perséphone hocha la tête, le visage luisant de sueur. Elle
semblait distraite, mais il savait qu’elle était fatiguée. Il le sentait dans
son corps, qui était relâché et lourd.
— Oui.
Il sourit, pris d’un étrange soulagement. Il ressentait toujours ça,
cet instant après le sexe, quand il craignait d’avoir été trop loin et,
Pirithoos n’étant jamais loin dans son esprit, son malaise n’avait fait
que croître.
S’il merdait, et que rien n’était plus jamais pareil ?
Ces pensées le privèrent de son bonheur et il se retira
délicatement de Perséphone pour rouler sur le dos. Il riva ses yeux
au plafond, une main sur son ventre. Il sentait Perséphone le
regarder et il savait qu’elle avait quelque chose à dire. Il se prépara
au pire.
— Est-ce que Zeus a approuvé notre mariage ?
Il ne s’attendait pas du tout à cela, et si c’était moins mauvais qu’il
ne le croyait, c’était un sujet qu’il n’était pas prêt à aborder. D’ailleurs,
il avait espéré l’éviter, tout simplement. Il ne voulait pas qu’elle y
pense ni qu’elle s’en inquiète, car il avait peur qu’elle décide de ne
pas l’épouser.
Il n’aimait pas le sentiment qui s’empara de lui en y pensant,
comme si on lui arrachait le cœur.
Il finit néanmoins par répondre.
— Il est au courant de nos fiançailles, dit-il.
— Ce n’est pas ce que je t’ai demandé.
Il le savait, mais c’était la seule réponse qu’il pouvait lui donner. Il
rencontra son regard déterminé et sombre. Ses yeux avaient perdu
l’éclat scintillant né de son désir, et il aurait tout fait pour le retrouver.
— Il ne me le refusera pas.
— Mais il n’a pas donné sa bénédiction ?
Il détestait la frustration qui l’envahit. Qui avait planté ce doute
dans son esprit ?
Hécate, se dit-il.
— Non.
Le silence qui s’abattit sur eux ne lui plaisait pas. Il savait qu’il la
décevait. Soudain, il repensa au sentiment qui l’avait saisi après le
sexe. Peut-être redoutait-il d’avoir à expliquer ce qu’épouser un dieu
impliquait.
— Tu allais me le dire quand ?
Sa voix avait beau être calme, il sentait sa frustration, mais il était
agacé aussi. Cette conversation ne les concernait qu’eux, et on aurait
dû lui laisser l’occasion d’en parler de lui-même.
Même si tu en avais eu l’occasion, tu ne l’aurais jamais fait,
espèce d’imbécile.
Il grinça des dents en entendant la voix d’Hécate dans sa tête.
Putain, alors tu ne pars jamais ? pensa-t-il.
Non, répondit-elle avant d’éclater d’un rire strident.
— Je ne sais pas, admit-il. Quand je n’aurais plus eu le choix.
— C’est ce que je constate, dit Perséphone d’un ton agacé.
— J’espérais m’en passer, dit-il.
— Te passer de me le dire ? demanda-t-elle, toujours aussi
agacée.
Une part de lui voulait l’embrasser, pour lui faire oublier sa colère,
mais également le sujet tout entier. Mais il savait qu’il devait affronter
la conversation maintenant.
— Non, me passer du consentement de Zeus. Il en fait toujours
tout un spectacle.
— Comment ça ?
Hadès se retint de grogner en repensant à toutes les fois où son
frère avait arrangé des mariages, dont la plupart étaient des échecs
retentissants, simplement parce que son Oracle avait prédit la
possibilité que son règne prenne fin, sur terre et dans le ciel.
Aphrodite et Héphaïstos était le premier mariage qui lui venait à
l’esprit, mais il y avait aussi Thétis, une nymphe que Zeus et
Poséidon avaient courtisée jusqu’à ce qu’une prophétie prédise
qu’elle donnerait naissance à un fils plus puissant que les deux dieux.
Zeus lui fit donc épouser Pélée, et leur union fut un élément
déclencheur de la guerre de Troie.
C’était souvent la méthode de Zeus : condamner la vie de milliers
de mortels pour protéger son trône.
Si Hadès savait qu’aucun enfant ne pouvait naître de leur union, il
craignait tout de même ce que l’Oracle dirait de la fusion de leurs
pouvoirs. Perséphone était la vie, et il était la mort. Ils formaient un
cycle qui pouvait donner et mettre fin à la vie, ce qui les rendait
puissants.
Restait à savoir à quel point.
— Il nous convoquera à Olympe pour une fête et un festin de
fiançailles, et il mettra des jours à annoncer sa décision. Je n’ai
aucune envie de m’y rendre ni de t’obliger à endurer cette souffrance.
— Et quand aura lieu cette fête ?
Il devina au ton de sa voix qu’elle était inquiète et il détestait cela.
— Dans quelques semaines, je présume.
Il essaya de parler d’une voix légère afin de minimiser sa peur,
mais il sut quand elle parla de nouveau que cela n’avait pas marché.
— Pourquoi tu ne voulais pas me le dire ? S’il y a un risque qu’on
ne puisse pas être ensemble, j’ai le droit de le savoir.
Sa poitrine se comprima en voyant combien elle avait peur. Elle
avait déjà culpabilisé de l’aimer en dépit de sa mère et, maintenant,
elle était confrontée au fait que Zeus pourrait tout gâcher.
— Perséphone, chuchota Hadès. Personne ne pourra nous
séparer : ni les Moires, ni ta mère, ni Zeus.
Elle déglutit et secoua la tête.
— Tu parles comme si tu en étais certain, mais même toi, tu te
refuses à défier les Moires.
— Oh, mais chérie, je te l’ai déjà dit, je réduirai ce monde en
cendres pour toi.
Il posa sur elle un regard déterminé. Il savait ce qu’elle y
cherchait : une preuve qu’il ne disait pas la vérité. Ne la trouvant pas,
elle prit une grande inspiration.
— Peut-être que c’est ce que je crains le plus.
Sa remarque le ramena à la conversation qu’il avait eue avec
Hécate.
« Depuis quand as-tu rechigné face au carnage ?
— Depuis que j’ai décidé d’épouser la déesse du Printemps. »
Peut-être s’inquiétait-il pour rien. Peut-être que le moment venu,
elle ne voudrait finalement plus de lui.
Pour l’instant, ce n’était pas le cas. Il ne savait pas ce qui avait
changé entre eux. Peut-être était-ce à cause de ce sentiment atroce
que tout le monde autour d’eux voulait les séparer, mais l’air se
chargea brusquement et, sans un mot, Perséphone écarta les
jambes tandis qu’Hadès s’étendait sur elle.
Elle l’excitait si facilement que sa verge était déjà dure alors que
cela ne faisait que quelques minutes qu’il avait joui. Il se sentait bête,
mais il était tellement amoureux ; et tout ce qui comptait vraiment,
c’était que cela ne gênait pas Perséphone et qu’elle ressentait la
même chose.
Il s’empara de sa bouche pour la centième fois de la soirée et
l’embrassa profondément, lentement, lui accordant toujours autant
d’attention.
Elle jouit bientôt en chuchotant son nom, puis elle le prit en elle
encore une fois.
Chapitre V

HADÈS

Hadès fixait le plafond. Perséphone dormait à côté de lui, la tête


sous son bras, la main sur son torse. Il sentait le poids de sa bague
de fiançailles sur sa peau et le froid du métal qui contrastait avec la
chaleur de sa main. Il se demandait si elle s’était habituée à la sentir
à son doigt ou si c’était encore nouveau pour elle.
Il avait hâte de porter une bague pour elle.
Il se sentit aussitôt bête de penser ça, même si c’était vrai.
Quelqu’un frappa doucement à la porte de leur chambre. En
temps normal, il aurait dit à la personne d’entrer, mais il ne voulait
surtout pas interrompre le sommeil de Perséphone.
— Merde, marmonna-t-il en regardant l’horloge.
Il était presque trois heures du matin. Quelque chose n’allait pas.
Il soupira en s’éloignant de Perséphone, priant pour qu’elle soit
suffisamment fatiguée pour ne pas se réveiller. Elle remua
légèrement avant de s’immobiliser de nouveau. Soulagé, il marcha
jusqu’à la porte pour l’ouvrir.
— Qu’y a-t-il ? chuchota-t-il d’un ton agacé.
Ilias se tenait de l’autre côté de la porte.
— Milord, nous avons un meurtre.
Hadès fronça les sourcils.
— L’Ophiotauros ?
C’était la première chose qui lui était venue à l’esprit, puisqu’ils
s’attendaient à ce que les morts s’enchaînent tant que le monstre ne
serait pas capturé.
Le satyre secoua la tête.
— C’est tout à fait autre chose.
Putain de génial, se dit Hadès.
— J’arrive dans un instant, dit-il en commençant à refermer la
porte.
— Hadès, insista Ilias en cherchant son regard. C’est Adonis.
C’était bien la dernière chose à laquelle il s’attendait. Adonis était
connu pour être le Favori d’Aphrodite. Ou, pour le dire moins
poliment, il était son gigolo.
Mais Hadès le connaissait pour une raison différente. Il l’avait
observé quand il agressait Perséphone dans la pénombre du club
d’Aphrodite, La Rose. Plus tard, Hadès avait confronté la déesse de
l’Amour pour menacer le mortel.
« Rien ne m’empêchera de déchiqueter l’âme d’Adonis », lui
avait-il dit.
Depuis cette nuit, Hadès n’avait plus eu vent du mortel et il avait
supposé que sa menace lui avait été transmise.
Or maintenant, il était mort.
Eh ben, merde.
— J’arrive, dit Hadès en fermant la porte.
Il soupira et se rapprocha du lit où Perséphone dormait
paisiblement. Il la regarda quelques secondes, notant les
frémissements de ses cils bruns sur sa joue, ses lèvres roses
entrouvertes, le soulèvement lent de sa poitrine. Il se baissa et
l’embrassa sur le front.
— Je t’aime, chuchota-t-il.
Elle ne se réveilla pas, mais prit une grande inspiration avant
d’enfouir sa tête dans le drap de satin qu’elle tenait tout près de son
visage.
Hadès se redressa et marcha jusqu’à la porte, invoquant son
Charme pour couvrir son corps nu. Il sortit dans le couloir où
l’attendait Ilias, vêtu comme toujours de son costume-cravate.
— Où allons-nous ? demanda-t-il.
— À La Rose, répondit le satyre.

*
* *
Hadès et Ilias apparurent sur le trottoir désert et enneigé devant
le club d’Aphrodite. Comme il était tard et que la plupart des
magasins étaient fermés, rien n’éclairait la façade de miroirs de La
Rose, qui ressemblait ainsi à un amas de cristaux sortant de terre.
— Par ici, dit Ilias, emmenant Hadès vers la ruelle séparant le
club de l’immeuble voisin.
Elle était si étroite que les épaules d’Hadès effleuraient les murs
de chaque côté.
Quand ils arrivèrent derrière le bâtiment, ils trouvèrent quelques
personnes rassemblées, dont Zofie et des employés d’Aphrodite.
La déesse de l’Amour n’était pas encore arrivée.
— Ta déesse a-t-elle été informée ? demanda Hadès à Himéros,
qu’il reconnut comme étant le dieu du Désir sexuel, mais aussi un
ami proche de la déesse de l’Amour.
Il semblait très jeune, comme s’il avait tout juste vingt ans. Son
visage était imberbe, mais il avait d’épais cheveux noirs.
É
— Éros est parti l’informer, dit-il.
Himéros et Éros étaient les conseillers les plus proches
d’Aphrodite, ils étaient deux des Érotes, un groupe de dieux et de
déesses qui représentaient différents aspects de l’amour et du sexe.
Hadès se demanda comment la déesse allait réagir en apprenant
que l’un de ses amants mortels avait été assassiné. Il n’était jamais
sûr des sentiments d’Aphrodite à l’égard de ses favoris. Il savait
qu’elle tenait à certains d’entre eux mais, qu’elle veuille l’admettre ou
pas, son amour appartenait à son époux, Héphaïstos.
Il n’empêchait que prendre un mortel favori pour cible équivalait à
viser le dieu qui lui avait accordé sa préférence – et quand Hadès se
retourna et vit le corps d’Adonis, son sang se glaça.
Il semblait… brisé. C’était le seul moyen de le décrire. Son corps
avait l’air d’avoir été tellement frappé qu’il paraissait étalé sur le sol
comme une bouillie.
— C’était un acte sacrément osé, dit Hadès en s’avançant.
Car la victime n’était pas seulement un Favori, il avait été tué
devant le club de sa déesse.
— Et personne n’a rien entendu ?
— Rien, dit Himéros.
— Il y a des caméras ? demanda Hadès.
— Oui, mais les objectifs sont gelés. Il est impossible de voir ce
qui s’est vraiment passé.
Putain de Déméter et sa fichue tempête hivernale !
— Mais a priori, poursuivit le dieu, il semble avoir voulu venir au
club après la fermeture. Comme il n’a pas pu entrer par-devant, il est
venu ici. C’est là qu’il a été attaqué.
— Qui l’a trouvé ? demanda Hadès.
— Moi, dit une nouvelle voix.

É
C’était Éros et sa magie chaude et entêtante, qui semblait
déplacée dans cette situation. Il était apparu aux côtés d’Aphrodite.
Hadès se tourna et les regarda tous les deux, mais il ne put se
concentrer que sur Aphrodite, dont l’expression restait bizarrement
neutre. Il s’attendait à ce qu’elle change, qu’elle se rende compte de
ce qui s’était passé et qu’elle explose de rage ou qu’elle fonde en
larmes, mais elle n’en fit rien, même si son regard restait rivé sur le
mortel décédé.
— Quand je suis arrivé, il nous avait déjà quittés.
Hadès se pencha sur le corps. Un bon nombre de personnes
pouvaient être responsables de cette mort, mais c’était la gravité des
blessures qui inquiétait Hadès. C’était un crime de haine.
Il l’étudia longuement avant de tendre la main vers le cadavre.
— Ne le touche pas ! dit Aphrodite en s’avançant, retenue par
Éros.
Hadès lui jeta un œil, puis l’ignora. Il posa sa main à plat sur le
dos du mortel et, aussitôt, des filaments noirs sortirent du corps pour
s’enrouler autour du bras d’Hadès. Ils continuèrent de monter jusqu’à
ce qu’Hadès soit sûr de sa prise, et quand il tira dessus, il libéra l’âme
d’Adonis. Elle s’évanouit aussitôt, transportée sur les berges du Styx
où Charon l’accueillerait pour la traversée.
— Qu’est-ce que tu as fait ? demanda Aphrodite.
— Son âme n’avait pas encore quitté son corps, dit Hadès en se
redressant.
D’ailleurs, cela rendait le crime encore plus affreux. Il était
fréquent que les âmes abandonnent leur enveloppe corporelle lors
d’agressions violentes afin d’éviter le gros du traumatisme qu’elles
subiraient inéluctablement. Celle d’Adonis n’y avait pas échappé, ce
qui signifiait que son âme était aussi amochée que son corps. Cela
impliquait également qu’il ne leur apprendrait rien dans l’au-delà. Il
serait trop bouleversé pour les aider.
— Apollon ! appela Hadès en espérant que son appel aboutisse.
— Pourquoi tu l’appelles ? demanda Aphrodite.
Hadès regarda ses yeux rougis et remarqua sa colère.
— On doit savoir exactement comment il est mort, dit Hadès. Je
ne pense pas que ce soit l’œuvre d’une poignée de mortels jaloux.
— Qui d’autre ça pourrait être ?
— Je ne sais pas, admit Hadès.
Il ne savait expliquer pourquoi il tenait tant à résoudre cette
énigme. Il n’aimait pas Adonis, mais il aimait Aphrodite en dépit de
ses manigances, et il s’inquiétait qu’un de ses proches ait été tué.
C’était une violation.
— Qu’est-ce qu’il y a ? bâilla Apollon en apparaissant dans le froid
de la nuit, vêtu d’un peignoir fleuri.
Quand il eut terminé de se frotter les yeux et qu’il regarda par
terre, il leva le pied.
— Beurk, c’est quoi, ça ?
— Un cadavre, Apollon, répondit froidement Hadès.
— Dégoûtant, dit le dieu de la Lumière tout en s’approchant pour
se pencher et l’étudier de près.
— J’ai besoin que tu fasses une autopsie, dit Hadès. On doit
savoir comment il est mort.
— Eh bien, je peux te garantir que le fait qu’il ait été réduit en
bouillie ne l’a pas aidé.
— Apollon, gronda Hadès, agacé par son sarcasme. Cet homme
était un Favori d’Aphrodite.
Apollon se releva et regarda la déesse de l’Amour en pâlissant.
— Ah, dit-il. Merde.
— Oui, merde, ajouta Hadès.
Apollon fronça les sourcils et se concentra à nouveau sur le
corps. Il était pieds nus, mais ne semblait pas dérangé de marcher
dans une flaque de sang coagulé.
Hadès ne savait pas ce que le dieu faisait, mais au bout de
quelques secondes, celui-ci tendit la main et ramassa quelque chose
par terre, près du corps. Cela ressemblait à un manche de poignard.
— Je présume que je vais trouver pas mal de coups de couteau.
Hadès se tourna vers Aphrodite. Il était difficile de savoir quoi
faire, à présent. Devaient-ils informer ses mortels favoris de cette
attaque et risquer que cela fuite dans les médias ? Le meurtre d’un
Favori était une chose, ce genre d’attaque arrivait de temps en
temps, mais c’en était une autre que l’agression se soit produite aussi
près d’un établissement divin.
— Je ne pense pas qu’il soit exagéré de dire que c’est sans doute
l’œuvre des Impies, dit Hadès.
Quant à savoir s’ils étaient associés à la Triade, cela restait à voir.
Les Impies étaient des mortels qui ne vénéraient pas les dieux.
Certains vivaient tranquillement dans leur rejet du culte, mais
d’autres étaient bien plus extrêmes et choisissaient des méthodes
violentes pour attaquer les dieux. Certains s’étaient rassemblés sous
la bannière officielle de la Triade, un groupe qui préconisait l’équité,
le libre arbitre et la liberté tout en terrorisant de nombreux mortels
dans leur quête de cette prétendue liberté.
À présent, les membres de la Triade prétendaient être de
pacifiques manifestants, même si Hadès ne les croyait pas. Or il y
avait une chose qui plaidait en leur faveur, c’était le chaos causé par
quiconque avait tourné le dos aux dieux.
— Protège ton cercle proche, Aphrodite, dit Hadès. Je crois qu’ils
cherchent à attiser ta colère.
— Pourquoi quelqu’un chercherait à me mettre en colère ?
demanda-t-elle en serrant les poings.
— Pour illustrer un point.
— Quel point, Hadès ?
— Que la Faveur d’un dieu ne vaut rien, dit-il.
Chapitre VI

HADÈS

Hadès souhaita une bonne journée à Perséphone, mais il avait


l’impression de la jeter dans l’océan de Poséidon. Elle ne travaillait
même pas dans un bureau. Mais au Coffee House, comme si elle
n’était pas sa fiancée, comme si elle n’avait pas attiré l’attention de
tous les dieux et mortels de la Nouvelle Grèce. Les vautours allaient
décrire des cercles autour d’elle, et la seule chose qui le rassurait un
peu, c’était qu’Antoni l’escortait à son lieu de travail et que Zofie ne
serait pas loin.
Dès qu’elle fut partie, Hadès chercha Thanatos et le fermier qu’il
avait amené aux Enfers. En dépit de sa fin affreuse, il s’était installé
au Pré d’Asphodèle, dans une maison en bordure du champ qui
servait aux cultures. Plusieurs hectares étaient prévus pour cultiver le
blé et l’orge, les vignes et les légumes ainsi que des oliviers et des
figuiers. Au-delà des champs, un grand pré était occupé par des
vaches et des chèvres. Des âmes vaquaient ici et là, occupées à
l’entretien des lieux, à la cueillette, et à nourrir et s’occuper du bétail.
Parmi ces âmes se trouvait le nouveau fermier, qui était assis sur
un tabouret et trayait une vache. Il portait les vêtements dans
lesquels il était mort, une chemise à carreaux et une salopette en
jean.
Leur ombre s’étendit sur lui quand ils s’approchèrent et il s’arrêta
pour se tourner vers eux.
— Georgios, dit Thanatos, voici Lord Hadès.
— Lord Hadès, dit le fermier en se levant d’un bond et en retirant
maladroitement son chapeau, révélant quelques cheveux fins qui
couvraient à peine sa calvitie. Eh bien, je… que puis-je faire pour
vous ?
Hadès fut amusé de voir le fermier bégayer.
— C’est un plaisir de vous rencontrer, Georgios, dit le dieu.
J’espère que vous vous êtes habitué au lieu ?
— Comme à la maison, dit l’âme.
C’était un mensonge. Hadès le vit au plissement de ses yeux et à
leur façon de s’assombrir quand il parlait.
— J’espère que ça le deviendra un peu plus chaque jour,
répondit-il.
C’était d’ailleurs ce qu’il souhaitait à tous ceux qui venaient
reposer dans son royaume.
— Georgios, dit Hadès, je suis venu vous interroger sur votre
mort.
Le fermier pâlit.
— Ben, je ne me rappelle pas vraiment…
— Ne pensez pas à cette nuit-là, dit Hadès. Avant ça, est-ce que
quelqu’un est venu chez vous pour vous interroger au sujet du
monstre que vous avez vu dans votre champ ?
— En fait, oui, dit Georgios. Deux hommes en costard.
Hadès hocha la tête.
— Ils étaient comment ?
— Je ne saurais pas vraiment les décrire, sauf pour dire qu’ils
détonnaient.
— À cause de leur tenue ?
Georgios fit non de la tête.
— C’était plus que ça. Ils étaient juste différents. Différents
comme vous.
— Différents comme moi ? demanda Hadès. C’est-à-dire ?
— Ils étaient divins, je suppose.
Des demi-dieux, peut-être ? Hadès se demandait bien de qui il
s’agissait, et s’ils avaient été envoyés par Thésée.
— Et que voulaient-ils ?
— Ils ont dit qu’ils étaient là parce qu’ils avaient appris que j’avais
vu un monstre. Je ne sais pas trop comment ils l’ont su… je l’avais
seulement dit à un voisin, mais les informations circulent vite dans les
villes qui entourent Thèbes. Quoi qu’il en soit, je leur ai montré
l’endroit. C’était facile à voir, parce que l’herbe était encore aplatie.
— Et qu’ont-ils dit ?
— Rien. Ils sont partis, c’est tout, répondit Georgios.
Il resta silencieux un moment avant de comprendre la raison pour
laquelle Hadès l’interrogeait au sujet des deux hommes et du
monstre.
— Je suppose que vous pensez qu’ils sont revenus me tuer ?
— On ne peut pas en être sûr… à moins que vous les ayez vus ?
L’âme secoua la tête.
— Plus tard dans la soirée, j’ai entendu un bruit dehors. J’ai cru
que le monstre était revenu, mais quand je suis sorti sur le porche,
j’ai reçu un coup sur la tête. Après ça, je ne me souviens de rien.
Hadès et Thanatos se regardèrent, et quand Hadès se tourna de
nouveau vers Georgios, il lui tendit la main.
— Je suis navré de vous avoir fait revivre ça, Georgios.
— Ne soyez pas désolé, répondit le fermier en serrant sa main.
Peut-être parviendrez-vous à me rendre justice.
— Ce sera le cas, dit Hadès. Je vous le promets.
Hadès et Thanatos laissèrent le fermier reprendre sa traite. Les
deux dieux s’en allèrent côte à côte et aucun ne parla avant d’être
suffisamment éloignés des âmes.
— Tu crois qu’il a été tué par des demi-dieux ? demanda
Thanatos.
Cela en avait tout l’air. Un véritable dieu ne se masquerait pas. Et
un mortel n’aurait jamais été décrit comme divin.
— S’ils n’ont pas pressé la détente, ils l’ont ordonné, dit Hadès,
même s’il restait encore à découvrir qui les avait envoyés à la ferme.
Hadès penchait pour Thésée, mais il savait qu’il était dangereux
de faire une fixette sur lui. De nombreux demi-dieux vivaient en
Nouvelle Grèce sans que personne ne le sache et leurs pouvoirs
étaient inconnus. N’importe lequel d’entre eux aurait pu entendre
parler de la résurrection de l’Ophiotauros et décider de le
pourchasser.
— Qui que ce soit, dit Thanatos, je redoute les vies qu’ils vont
prendre.
— Espérons qu’il n’y en ait pas d’autres.
— Ces fichues tueuses, bougonna Hermès en apparaissant à
quelques pas d’Hadès et Thanatos.
Il s’approcha en époussetant ses vêtements et ses bras comme
s’il était couvert de poussière.
— Eh bien, dit-il en croisant le regard d’Hadès, tu n’avais pas tort
au sujet de Dionysos.
Hadès haussa les sourcils, mais il fut distrait par une marque
rouge sur la peau d’Hermès.
— Est-ce que… tu as pris un coup de poing ?
— Attends, tu as déjà vu les Ménades se battre ? Elles sont
vicieuses. Je crois que je suis amoureux.
Hadès rit.
— On dirait que tu as eu une journée mouvementée, dit Thanatos
avec un sourire en coin.
— Et si tu nous en parlais ? demanda Hadès, tout en sachant qu’il
n’aurait pas besoin de supplier longtemps le dieu de la Ruse.
Il préparait clairement une performance théâtrale.
— Je traquais l’Ophiotauros. J’avais entendu des rumeurs selon
lesquelles quelqu’un avait repéré un grand serpent aux abords de
Sparte, ce qui semblait prometteur, et ça l’était puisque j’ai trouvé
une traînée de sang.
Hadès fronça les sourcils.
— Beaucoup de sang ?
— Pas assez pour laisser penser à un coup fatal, mais quelque
chose l’a clairement blessé. Quant à savoir quoi, je n’en sais rien,
parce que j’ai été interrompu par trois féroces… démons !
Les Ménades de Dionysos, pensa Hadès.
Ce n’était pas surprenant, mais Hadès se demanda si Dionysos le
lui dirait s’il capturait le monstre le premier.
— Et ensuite ? demanda Thanatos.
— Je suis venu ici, dit Hermès. Essaie de leur échapper, toi. Elles
ont des crocs !
— La plupart des gens ont des dents, dit Hadès.
— Ce n’est pas vrai, Hadès. Crois-moi, rétorqua Hermès.
À son regard, Hadès supposa qu’il avait vu bien des choses.
— Bref, j’y retournerais bien, mais je suis un peu excité, là, et je
ne crois pas que ces demoiselles soient intéressées par un plan à
quatre, alors…
Hadès soupira et Thanatos prit son visage entre ses mains.
— Tu es obligé d’être aussi direct, Hermès ? demanda Hadès, ce
à quoi le dieu de la Ruse sourit.
— C’est pour ça que tu me gardes avec toi.
Hadès leva les yeux au ciel en réfléchissant à la suite.
— Est-ce que le sang était frais ? demanda-t-il.
— Non, mais je ne saurais pas dire de quand il datait.
Ce n’était pas aussi prometteur qu’il le pensait. Néanmoins, il se
demanda s’il pouvait envoyer Zofie sur les traces de l’Ophiotauros.
C’était une Amazone formidable, et elle ne se laisserait pas distraire
comme Hermès qui, apparemment, était masochiste.
Le seul bémol, c’était que cela impliquait de l’enlever à
Perséphone.
— Tu sais, si tu voulais vraiment trouver cette créature, tu
pourrais demander de l’aide à Artémis, proposa Hermès.
Hadès frissonna en entendant le nom de la déesse de la Chasse,
même si Hermès n’avait pas tort. Il n’y avait pas de meilleure
chasseuse qu’elle, mais Artémis n’était pas du genre à aider qui que
ce soit en dehors de ceux qui l’adulaient. Si elle entendait parler de
l’Ophiotauros, il y avait de fortes chances qu’elle le tue et brûle ses
entrailles elle-même.
— Plutôt me faire croquer la queue, dit Hadès.
— Essaie de te la faire sucer par un édenté.
Hadès et Thanatos regardèrent Hermès d’un air horrifié.
— Je t’avais dit que tout le monde n’avait pas de dents, répondit
Hermès en haussant les épaules.
Hadès se jura sur-le-champ de ne plus jamais parler de dentition
avec Hermès.
— Je ne demanderai rien à Artémis, dit-il. Elle verrait ça comme
un moyen d’obtenir une Faveur.
Hadès en devait déjà une à son frère, Apollon, qui tenait encore
Perséphone dans un contrat qui lui permettait d’invoquer sa
présence quand cela lui plaisait, ce qui rendait le dieu des Morts plus
qu’amer.
— Parle à Dionysos, dit Hadès. Si ses Ménades trouvent
l’Ophiotauros en premier, je veux le savoir.
— Tu veux que je parle à Dionysos ?
Hadès haussa un sourcil.
— Oui, Hermès. Tu es officiellement son gardien.
— Tu sais s’il m’en veut encore pour ses testicules en feu ?
— Non, mais tu n’as qu’à lui poser la question.
— Ça peut attendre ? demanda Hermès. Je dois me préparer
pour la pendaison de crémaillère de Sybil. Toi aussi, d’ailleurs.
Merde. Il avait oublié.
— C’est quoi, une pendaison de crémaillère ? demanda Thanatos.
— C’est une fête où tout le monde apporte du bois pour allumer la
cheminée dans une nouvelle maison, dit Hadès.
— Ouais, dit Hermès, qui avait déjà fait un pas en arrière pour se
téléporter au royaume des vivants. Faisons comme ça. Apporte plein
de bois, Hadès.
— Hermès ! gronda Hadès. Parle à Dionysos. Rapidement.
— C’est quoi ta définition de rapidement ? demanda Hermès, et
Hadès le fusilla du regard.
Le dieu de la Ruse sourit jusqu’aux oreilles.
— À bientôt, BG de la mort !
Il disparut, et Hadès regarda Thanatos, qui l’interrogea d’un ton
très sérieux.
— Lequel de nous deux a-t-il appelé BG de la mort, à ton avis ?

*
* *
Hadès retourna au palais.
Il lui faudrait informer Ilias de ce qu’il avait appris du fermier.
Hadès avait toujours perçu un sentiment d’urgence quant au fait
de capturer l’Ophiotauros, mais cela lui paraissait plus vrai que
jamais, maintenant que la tempête de Déméter s’aggravait et que
Perséphone commençait à douter que Zeus autorise leur mariage.
Trop d’obstacles empêchaient Hadès d’obtenir tout ce qu’il avait
toujours voulu. L’Ophiotauros faciliterait la tâche à quiconque voulait
renverser les Olympiens, et Hadès refusait de perdre sans même se
battre.
Il déambulait dans le jardin, prenant son temps pour rentrer au
château, quand il sentit la magie de Perséphone bourgeonner.
Elle était rentrée, ce qui était étrange ; quand elle travaillait au
royaume des mortels, elle y restait pendant des heures.
Il fronça les sourcils et disparut du jardin, suivant sa magie
jusqu’à leur chambre, où il la trouva nue. Elle était de dos, penchée
en avant à étudier ses jambes. Il en profita pour l’admirer en silence,
de loin, tout en imaginant tout ce qu’il pourrait lui faire dans cette
position. Au bout d’un moment, elle se redressa, ne l’ayant toujours
pas remarqué. Alors qu’elle se dirigeait vers la salle de bains, elle
sursauta.
— Hadès ! s’écria-t-elle.
Il aimait sa façon de dire son nom, cela lui rappelait ses cris
quand elle jouissait.
— Tu m’as fait peur !
Il baissa les yeux sur ses seins, qu’elle couvrait d’une main
comme pour calmer les battements de son cœur.
— Tu aurais dû te douter que je te rejoindrais dès que tu
enlèverais tes vêtements. C’est un sixième sens.
Il retira sa main de sa poitrine et embrassa ses doigts à la fois
délicats et forts. Il les revit quand elle les plongeait dans ses cheveux
et griffait son crâne, quand elle enroulait ses mèches autour de son
index et les tirait en le chevauchant jusqu’à l’orgasme.
Bon sang, je suis insatiable, pensa-t-il tout en baissant les yeux
sur son corps.
Il remarqua alors ses cuisses rouges et enflées. Sa peau était
parsemée de petites poches de liquide, presque transparentes, mais
impossibles à rater. C’était des ampoules.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en posant sa paume contre
sa peau brûlante.
Perséphone saisit son autre bras et y planta ses ongles pendant
qu’il essayait de guérir sa chair, d’apaiser ses brûlures.
C’est quoi, ce bordel ?
— Une femme a versé son café sur ma cuisse, répondit
Perséphone.
Il n’aimait pas le ton meurtri de sa voix.
— Versé ? demanda-t-il en la regardant dans les yeux.
— Si tu me demandes si c’était intentionnel, la réponse est oui.
Intentionnel.
C’était ce qu’Hadès craignait après la mort d’Adonis, et même
avant cela, dès que la nouvelle de sa relation avec Perséphone avait
atteint les médias. Il avait toujours redouté que quelqu’un la prenne
pour cible, conscient qu’il finirait par se passer quelque chose et que
Perséphone comprendrait qu’elle ne pouvait plus exister dans le
monde comme avant, comme une mortelle lambda.
Elle était bien plus que ça : une déesse, premièrement, mais elle
était aussi à lui, c’est ce qui mettait les gens en colère.
Il s’agenouilla devant elle, luttant contre ses émotions qui étaient
sens dessus dessous. Une pression s’accumulait dans son crâne et
sa poitrine et l’incitait à exploser et à se venger, mais sa culpabilité
l’en empêchait. Il aurait dû insister pour qu’elle ne sorte pas en public,
il aurait dû lui donner des bureaux à la Tour Alexandria plus tôt.
Il réprima sa frustration et se concentra pour guérir ses blessures.
Une fois certain qu’elle ne souffrait plus et qu’il ne restait plus de
traces visibles des brûlures, il posa ses mains derrière ses cuisses et
la maintint en place avant de lever les yeux vers elle sans se
redresser.
— Vas-tu me dire qui était cette femme ? demanda-t-il en
approchant sa tête pour effleurer l’intérieur de sa cuisse, soulagé de
l’entendre soupirer joyeusement.
— Non, répondit-elle en posant ses mains sur ses épaules, le
visage caché par ses cheveux dorés.
— Et… je ne peux pas te convaincre de me le dire ?
Elle soupira quand il tira la langue pour la goûter, se rapprochant
de son clitoris enflé qui le suppliait de le taquiner. Il poussa un
grognement en s’imaginant le prendre dans sa bouche pour le sucer
délicatement.
Sa verge durcit de plus belle et il était certain qu’elle empêchait
son sang de circuler vers son cerveau.
— Tu pourrais peut-être, chuchota-t-elle d’une voix qui envoya
une vague de chaleur au sommet de sa queue.
Hadès ne se souvenait déjà plus de ce qu’il lui avait demandé.
— Mais je ne connais pas son nom, donc ça ne servirait à rien.
— Rien de ce que je fais n’est jamais en vain.
Il n’en pouvait plus. Il prit son clitoris dans sa bouche et elle lâcha
un soupir guttural en plongeant ses mains dans ses cheveux. Hadès
adorait cela et aima encore plus qu’elle les tire trop fort.
— Hadès…
Il recula juste assez pour chuchoter contre sa chair brûlante, dont
le goût suffisait à le rendre fou. Si elle ne le laissait pas la mener à
l’orgasme, il serait obsédé toute la soirée par ce qu’ils n’avaient pas
pu finir.
— Ne me dis pas d’arrêter, supplia-t-il entre deux coups de
langue.
Un autre soupir de joie lui échappa, mais quand elle prit la parole,
sa voix était autoritaire et maîtrisée.
— Tu as trente minutes.
Cela suffit à le faire reculer pour la regarder dans les yeux. Bon
sang, elle était sublime et bien plus forte que lui. Ses yeux verts
scintillaient, comme si son Charme s’estompait, mais il savait que
c’était seulement le fait de son désir, la preuve qu’elle avait envie de
lui. Le problème, c’était qu’elle pouvait se contrôler et prendre son
temps pour jouir.
Hadès ne le pouvait pas.
— Trente seulement ?
Elle écarquilla les yeux et esquissa un sourire amusé.
— Tu as besoin de plus ? le provoqua-t-elle.
Il empoigna ses fesses en souriant.
— Chérie, on sait tous les deux que je peux te faire jouir en cinq
minutes, mais… si j’ai envie de prendre mon temps ?
Elle sourit de plus belle et effleura sa bouche du bout du doigt.
— Plus tard, dit-elle.
Hadès n’arrivait pas à savoir si c’était un ordre ou une promesse.
— On a une soirée et je dois préparer des cupcakes.
— N’est-ce pas une habitude à la mode chez les mortels, d’être
en retard ?
Est-ce qu’il n’avait pas entendu ça quelque part ? Il avait
l’impression de faire la moue, mais c’était important : le plaisir devait
suivre la douleur.
— C’est Hermès qui t’a dit ça ?
— Il a tort ?
Elle plissa les yeux.
— Je refuse d’être en retard à la soirée de Sybil, Hadès. Si tu
souhaites me donner du plaisir, tu me feras jouir dans les temps.
Hadès ricana, il appuya son menton sur ses cuisses en acceptant
ses ordres.
— Comme tu voudras, ma chérie, dit-il en reprenant ses gestes,
taquinant son clitoris jusqu’à ce qu’il le sente pulser dans sa bouche.
Il prit alors une de ses jambes pour la poser sur son épaule,
écartant ses cuisses pour la goûter, et elle s’appuya sur lui. Il avait
envie de la baiser avec autre chose que ses doigts et sa langue ; sa
queue le suppliait d’être en elle, surtout quand elle commença à se
frotter à sa bouche, mais elle lui avait donné une limite et s’il allait
passer le gros de son temps sur cette partie de son corps, il devait
s’appliquer. Il n’aurait qu’à se branler plus tard, pendant qu’elle
décorerait des putains de cupcakes au lieu de s’occuper de sa
queue.
Mais c’était bien.
C’était suffisant.
C’était Perséphone, et c’était tout ce qui comptait.
Satisfait quand elle jouit contre sa langue, il se leva, capturant sa
bouche avec la sienne en la serrant fort contre lui, saisi d’un vertige
en sentant son corps nu contre sa verge.
Il rompit le baiser quand elle voulut s’en emparer, mais ils étaient
trop près l’un de l’autre pour qu’elle y arrive.
— J’ai promis de te faire jouir et d’être à l’heure chez Sybil. Si tu
me touches, je romprai ma promesse.
Ses propos sonnaient presque comme une menace. Il était
parfaitement conscient de ce dont il était capable, et il savait
également qu’il suffisait qu’elle le touche pour qu’il lui saute dessus.
Elle avait clairement l’air de regretter de lui avoir soutiré cette
promesse. Elle ouvrit la bouche, mais il ne la laissa pas parler, il
l’embrassa de nouveau en prenant son visage dans ses mains.
Quand il recula, il appuya son front contre le sien.
— Va faire ces putains de cupcakes, Perséphone.
Il la lâcha et recula. Elle semblait légèrement confuse, ce qui était
bien mieux que ce qu’il ressentait. Hadès parvint tout juste à se
contrôler pendant qu’elle enfilait une robe. Elle se dirigea vers la
porte et se tourna vers lui.
— Est-ce que tu… vas me rejoindre dans la cuisine ?
— Dans un instant, dit-il.
Elle hocha la tête en zyeutant sa verge, qui luttait contre son
pantalon. Elle ne pouvait pas se douter de ce qu’il comptait faire, et
elle avait à peine refermé la porte qu’il avait déjà déboutonné son
pantalon, sorti sa verge et commencé à se branler.
Putain, pensa-t-il en se caressant.
Il jouit rapidement et maladroitement, mais son orgasme fit pâle
figure à côté de ce dont il avait vraiment besoin et, tout en effaçant
les preuves de son geste, il se demanda comment il tiendrait toute
une soirée sans prendre Perséphone dans le nouvel appartement de
Sybil.
Chapitre VII

HADÈS

Hadès se laissa guider par la magie de Perséphone, puisqu’elle


s’était déjà rendue au nouvel appartement de Sybil. Ils se
manifestèrent devant une porte verte, dans une alcôve sous des
escaliers en béton et en métal. Hadès avait tout juste assez de place,
ses cheveux effleuraient les marches au-dessus d’eux.
Il recula pour se donner de l’espace et prit Perséphone par la
taille. Elle frissonna, mais cela n’avait rien à voir avec son geste. Il
faisait un froid glacial. Il n’était pas sorti depuis qu’il était allé à La
Rose et, s’il avait fait froid cette nuit-là, les températures avaient
clairement baissé depuis.
Il aurait dû attendre pour se branler, le froid aurait été plus
efficace contre son érection.
Fichue Déméter ! C’était ce qu’il craignait, la météo empirait.
Hadès sentit une poussée de magie contre ses mains. Elle était
chaude et venait de Perséphone. Il la serra plus fort et baissa la tête
pour chuchoter dans son oreille.
— Tu vas bien ?
Comme elle ne répondait pas, il fronça les sourcils et se redressa.
— Perséphone ?
Elle sembla réaliser qu’il lui parlait et leva la tête vers lui,
s’appuyant contre son torse. Elle était adorable et lui parut minuscule
entre ses bras. C’étaient ses moments préférés, quand tout
paraissait calme et intime.
— Je vais bien, dit-elle, mais il connaissait ce regard dans lequel
apparaissait une noirceur semblable à la sienne. Je vais bien, insista-
t-elle pour le rassurer. Je pensais juste à ma mère.
— Ne gâche pas cette soirée en pensant à elle, ma chérie.
Elle n’avait pas besoin de savoir qu’il pensait la même chose
qu’elle.
— Vu la météo, c’est un peu dur de l’ignorer, Hadès.
Il regarda à contrecœur le ciel et les nuages épais. Il n’aimait pas
savoir que Déméter la tourmentait. Il se doutait qu’elle avait lu les
nombreux articles dans les médias qui supposaient que la tempête
hivernale était une punition divine, et il savait qu’elle devait se sentir
responsable.
Elle avait beau ne pas savoir grand-chose au sujet de sa fille,
Déméter avait parfaitement conscience que le meilleur moyen
d’atteindre Perséphone était de la toucher en plein cœur.
Elle ferait en sorte que cette tempête soit dévastatrice pour le
peuple de Nouvelle Grèce. Est-ce que, à ce moment-là, Perséphone
regretterait d’avoir accepté de l’épouser ?
Il se demanda si elle y pensait aussi. Si ce n’était pas déjà le cas,
ça le serait bientôt.
Il grinça des dents et Perséphone quitta ses bras pour frapper à la
porte. Hadès n’aimait pas que la chaleur de son corps le quitte.
Et il aimait encore moins qu’un homme leur ouvre – non pas
parce qu’il représentait une menace mais à cause de l’impression
qu’il dégageait. Il avait l’air faux et trompeur.
Hadès reposa sa main sur la taille de Perséphone. Il ne savait pas
s’il devait être soulagé ou inquiet que Perséphone ait l’air aussi
confuse de découvrir l’homme blond aux yeux bleus.
— Euh, je crois qu’on s’est trompés de…
— Perséphone, c’est ça ? demanda l’homme.
Hadès se crispa. Il n’aimait pas sa façon de dire son nom. Il était
trop familier, trop à l’aise.
— Perséphone ! s’écria Sybil en courant vers eux.
L’homme ne bougea pas, obligeant l’Oracle à passer sous son
bras, qu’il appuyait contre la porte tel un garde.
Hadès n’aima pas ça, non plus.
Il lâcha Perséphone quand Sybil la prit dans ses bras.
— Je suis trop contente que tu sois là ! dit-elle d’une voix
soulagée.
Hadès lança un regard noir au mortel qui les regardait sans
bouger. Avait-il mis Sybil mal à l’aise dans sa nouvelle maison ?
Il serra les poings.
Si Sybil ne le présentait pas rapidement, Hadès était prêt à
l’envoyer sur une île déserte, quelque part au large de la Nouvelle
Grèce.
— Je suis contente que tu aies pu venir aussi, Hadès.
Surpris, Hadès regarda l’Oracle dans les yeux.
— J’apprécie l’invitation, répondit Hadès en toute sincérité.
Il était rarement invité à un événement qu’il n’organisait pas lui-
même.
— Tu ne vas pas me présenter ?
L’homme qui montait la garde avait fini par croiser les bras et
semblait désormais bouder. Sa voix était on ne peut plus irritante et il
parlait avec un ton suffisant qu’Hadès trouvait insupportable. Il avait
l’impression que le mortel parlait seulement pour attirer l’attention sur
lui-même. Or il avait celle d’Hadès.
Le dieu des Enfers le fusilla du regard.
Avait-il vraiment besoin d’être présenté à la mort ?
Sybil se tourna à moitié vers lui, comme si elle avait oublié qu’il
était là, puis elle adressa à Hadès et Perséphone un regard désolé,
comme pour les prier d’excuser son insolence.
— Perséphone, Hadès, je vous présente Ben.
— Salut, je suis le petit ami de…
— Ben est mon ami, s’empressa de préciser Sybil.
Hadès regarda Perséphone, qui ne parvenait pas à cacher son
étonnement.
— Enfin, je serai bientôt ton petit ami, insista Ben.
Hadès ne pouvait masquer son dégoût et il lança un regard
assassin au mortel ; un regard qui ne fit que s’assombrir quand
Perséphone accepta de lui serrer la main.
— C’est un… plaisir de te rencontrer, dit-elle.
Elle était bien trop gentille.
Ben se tourna vers Hadès, la main tendue.
— Mieux vaut que tu ne me serres pas la main, mortel.
Premièrement, il la lui broierait. Ensuite, il le forcerait à affronter
toutes les peurs qu’il avait pu un jour ressentir. Cela ne prendrait
qu’une fraction de seconde et cela le rendrait fou. Hadès aurait adoré
voir ça, mais il lui semblait que Perséphone n’aurait certainement pas
approuvé.
La réponse d’Hadès ne plut pas au mortel et un éclat de colère
brilla dans ses yeux. Cela fit presque sourire Hadès qui espérait qu’il
dise quelque chose, comme ça, il pourrait saisir l’occasion pour le
bannir de la fête. Pourtant, dans le silence qui suivit, l’homme parut
se ressaisir et retrouver sa façade joviale, bien que troublante.
Il sourit et bougea enfin.
— Eh bien, vous entrez ? demanda-t-il.
Hadès n’avait aucune envie de partager un espace aussi réduit
avec lui. La soirée commençait mal, mais il posa la main dans le
creux des reins de Perséphone et ils entrèrent dans l’appartement.
Il sentit son regard sur lui, à la fois curieuse et observatrice.
— Quoi ? demanda Hadès.
— Tu as promis d’être sage.
— Apaiser les mortels n’est pas dans ma nature, répondit-il.
Surtout ceux qui étaient suffisants face à la mort.
— Mais c’est dans ta nature de m’apaiser, moi, dit-elle.
Ses propos attirèrent son regard sur son visage alors qu’ils
arrivaient au bout du couloir et s’arrêtaient dans une petite cuisine,
éclairée par un néon blafard.
Il soutint son regard et lui offrit un sourire.
— Hélas, chuchota-t-il, tu es ma plus grande faiblesse.
Elle l’étudia d’un air plein de tendresse. Si elle continuait comme
ça, il allait vraiment la prendre dans cet appartement.
— Je vous sers du vin ? proposa Sybil en entrant dans la pièce et
en s’immisçant entre eux, pour atteindre le bar.
À l’évidence, elle savait ce dont ils avaient besoin pour endurer
cette soirée, puisque Ben insistait pour rester.
— Avec plaisir, répondit Perséphone.
— Et toi, Hadès ?
— Du whisky… peu importe la marque. Pur.
Il marqua une pause, car Perséphone le regardait en fronçant les
sourcils, mais il ne savait pas ce qui lui avait déplu.
— S’il te plaît ?
Peut-être aurait-il dû invoquer son propre alcool.
— Pur ?
Hadès grimaça en entendant la voix du mortel. Peut-être était-ce
parce qu’il ne pouvait ouvrir la bouche sans dire une ânerie.
— Les vrais amateurs de whisky ajoutent au minimum de l’eau.
Un silence atroce fondit sur eux, ce que tout le monde sembla
remarquer, excepté Ben. Perséphone et Sybil se figèrent et
écarquillèrent les yeux en attendant qu’Hadès réponde.
Il regarda le mortel et lui parla d’une voix lourde de dédain.
— Je préfère ajouter du sang de mortel.
C’était une blague, mais Hadès était bien tenté de tester sa
nouvelle recette en prenant Ben pour son premier sacrifice.
Merde, il avait rarement autant détesté quelqu’un de sa vie.
— Bien sûr, Hadès, dit Sybil en faisant mine de ne pas avoir
entendu l’échange entre Ben et Hadès.
Elle prit une des nombreuses bouteilles sur le bar et la lui tendit.
— Tu vas sans doute en avoir besoin, ajouta-t-elle.
Il lui sourit aussi chaleureusement que possible.
— Merci, Sybil, dit-il en ouvrant la bouteille pour boire à même le
goulot.
— Alors, comment as-tu rencontré Ben ? demanda Perséphone
pendant que Sybil lui servait un verre de vin.
Hadès faillit répondre à sa place, car cet enfoiré avait dû la suivre
de loin, mais Ben répondit avant lui.
— Aux Quatre Olives, où je travaille, dit-il. Pour moi, ça a été le
coup de foudre.
Perséphone avala de travers en grimaçant et Hadès fut satisfait
de voir qu’il ne s’était pas trompé.

À
Sybil les regarda d’un air désespéré. À l’évidence, elle avait
essayé de remettre le mortel à sa place. Le problème était qu’elle
pensait pouvoir lui accorder une place d’ami, alors qu’à l’évidence il
n’aurait jamais dû entrer dans sa vie.
Sa place était en prison.
Ou au Tartare.
L’une ou l’autre option aurait contenté Hadès.
Le silence fut interrompu quand quelqu’un frappa.
— Dieux merci, dit Sybil en se dirigeant vers la porte d’un pas
pressé.
Hadès supposait qu’elle avait hâte que sa maison soit remplie de
gens afin de couvrir la voix agaçante de Ben.
— Je sais qu’elle n’est pas encore convaincue, dit Ben quand ils
furent seuls, mais ce n’est qu’une question de temps.
— Comment tu peux en être aussi sûr ? demanda Perséphone.
Hadès entendit le dégoût dans sa voix, mais le mortel ne sembla
rien remarquer. Au lieu de ça, il sourit fièrement et se tint plus droit.
Hadès levait déjà les yeux au ciel.
— Je suis Oracle.
— Oh merde, grommela Hadès.
Perséphone lui mit un coup de coude, mais cela ne découragea
pas le mortel pour autant. Il n’était pas capable de percevoir les
émotions en dehors de la fierté qu’il ressentait pour lui-même.
Hadès ne le supporterait pas longtemps. Il avait besoin de
prendre ses distances avec cet enfoiré, qu’il refusait d’appeler par
son prénom.
— Si vous voulez bien m’excuser.
Il regarda Perséphone du coin de l’œil et sortit de la cuisine,
découvrant le salon en sirotant le whisky que Sybil lui avait gentiment
offert. Il aurait aimé pouvoir se saouler, ce soir ; il en avait vraiment
besoin.
Il entendait encore le mortel, de l’autre côté de la pièce, qui se
rapprochait de Perséphone, ce qui donna à Hadès l’envie de lui
arracher la tête. Il s’autorisa à le visualiser, à imaginer ce qu’il
ressentirait en le faisant, histoire de se calmer.
— Je crois qu’il ne m’aime pas, disait Ben.
Perséphone haussa un sourcil et répondit d’un ton dénué
d’enthousiasme.
— Qu’est-ce qui t’a donné cette impression ?
Hadès cessa de les écouter et étudia l’appartement de Sybil. Il
était douillet, mais un peu vide, preuve qu’elle repartait à zéro. Ils
avaient beau se réunir ce soir pour fêter le début d’un nouveau
chapitre, Hadès savait qu’aucun d’eux ne pouvait être vraiment
heureux, car la véritable raison pour laquelle ils étaient tous là était
que l’une d’entre eux était partie.
Le décès de Lexa avait tout changé.
Il s’en voulait encore de ne pas avoir été là pour Perséphone
pendant que Lexa était à l’hôpital, et de ne pas l’avoir préparée à sa
mort. Il ne s’était pas douté que son décès serait aussi dévastateur.
« Tu es le dieu des Enfers depuis tellement longtemps que tu as
oublié ce que c’est d’être sur le point de perdre quelqu’un. »
Quand elle avait prononcé ces mots, il avait eu l’impression qu’il
la perdait.
— Sephy !
La voix d’Hermès interrompit ses pensées et il se tourna vers le
dieu de la Ruse qui entrait dans la cuisine, deux bouteilles dans
chaque main. Il les posa sur le bar avant de prendre Perséphone
dans ses bras.
— Tu sens Hadès et… le sexe, déclara-t-il.
Si Hadès se sentit légèrement coupable, cela le fit rire.
— Ne sois pas grossier, Hermès ! siffla Perséphone.
Hermès lâcha la déesse, l’air amusé, puis il se tourna vers Ben,
intrigué. Hadès poussa un grognement inaudible. Pourquoi fallait-il
qu’Hermès soit attiré par tout le monde ? En même temps, cela
n’avait pas d’importance. Dès que cet imbécile ouvrirait la bouche,
l’intérêt d’Hermès disparaîtrait en fumée.
— Oh, et… qui est-ce ? demanda-t-il.
— Je te présente Ben. C’est un…
Perséphone hésitait, ne sachant comment décrire celui qui
s’accrochait à Sybil. Elle n’eut pas besoin de se décider, car ni
Hermès ni lui ne lui accordaient d’attention.
— Hermès, c’est ça ? demanda Ben.
Le dieu de la Ruse parut briller de fierté.
— Tu as entendu parler de moi ?
Hadès ricana sèchement et but une autre gorgée. Sa remarque
était absurde ; aucun mortel sur terre n’ignorait qui était Hermès.
— Bien sûr, répondit Ben. Tu es toujours le Messager des dieux
ou ils t’ont remplacé par les mails ?
Hadès s’efforça de cacher son sourire et se tourna vers la fenêtre,
ouvrant le rideau qui avait été punaisé au mur, tout en écoutant la
réponse vexée d’Hermès.
— Toi, tu m’appelleras Lord Hermès désormais, déclara-t-il.
Hadès n’entendit pas la suite, car il se concentra sur la météo. Il
neigeait encore plus fort et, de temps en temps, des grêlons
frappaient la vitre. La tempête empirait d’heure en heure.
— Bien, bien, bien, déclara Hermès, qui s’était rapproché.
Regardez qui a décidé d’assombrir la pièce !
Hadès tourna le dos à la fenêtre, le dieu de la Ruse pointait Ben
du doigt, dans son dos.
— Tu le crois, toi ? Quel culot ! Est-ce qu’ils m’ont remplacé par
les mails ? Enfoiré !
Hadès gloussa à nouveau, mais Hermès le fusilla du regard.
— Eh, ne fais pas mine de ne pas être ancien, toi aussi. On ne t’a
pas remplacé par le meurtre, toi ?
— C’est… non, Hermès, répondit Hadès.
— Mais sans rire, quelle impudence !
— Tu sais, si tu voulais vraiment te venger, tu ne lui montrerais
pas qu’il t’atteint.
— Tu dis ça seulement pour ne pas m’écouter râler.
Hadès haussa les épaules et but une gorgée.
— Cet imbécile pense qu’il est Oracle. Laisse-le offrir de fausses
prophéties, il se retrouvera vite à la merci d’Hécate.
Hadès ne savait pas pour quel dieu le mortel pensait parler ni s’il
ne faisait qu’inventer ses prétendues visions. Quoi qu’il en soit,
Hécate détestait les gens qui s’inventaient des pouvoirs.
— Invoque-la, dit Hermès d’une voix sombre. Je veux le voir
brûler.
Hadès ne dit rien, même s’il se plut à imaginer la scène que
causerait Hécate dans le petit appartement de Sybil s’il l’appelait
pour punir le faux prophète.
— Tu as parlé à Dionysos ? demanda-t-il.
— Non.
Hadès le fusilla du regard.
— Tu as dit rapidement, pas immédiatement, se défendit Hermès,
mais Hadès continuait de le dévisager. Bon, très bien, j’irai ce soir.
Hadès ne baissa pas les yeux.
— Si tu crois que je vais partir d’ici sans faire un jeu à boire, tu es
complètement fou. Ah, mais attends, tu l’es, en fait, répondit-il en
croisant les bras et en tournant la tête. Pourquoi tu ne vas pas lui
parler, toi ?
— Parce que je dois parler à Apollon, répondit Hadès. Tu veux
qu’on échange ?
— Hmmm, non. Il ne m’a toujours pas pardonné d’avoir volé ses
vaches.
— Tu as encore fait ça ?
— Non, je l’ai fait qu’une fois. Tu sais, quand j’étais bébé.
— Je croyais que vous aviez réglé ça depuis longtemps, dit
Hadès.
Si ses souvenirs étaient exacts, c’était comme ça qu’Apollon avait
eu sa première lyre, qui lui servait désormais de symbole de son
pouvoir.
— C’est le cas, admit Hermès. Mais bon, tu sais, il est rancunier.
On frappa à nouveau à la porte et, cette fois, c’est Hélène qui
entra.
Hadès ne connaissait pas la jeune mortelle, en dehors de ce que
Perséphone lui avait dit, c’est-à-dire qu’elle était sublime et qu’elle
travaillait dur.
— Cette météo ! dit-elle en entrant. C’est presque… surnaturel.
— Oui, c’est horrible, dit Perséphone.
La poitrine d’Hadès se resserra quand il vit le visage inquiet de
Perséphone.
Ça n’allait pas s’arranger. Le bruit de la grêle contre la vitre ne
faisait qu’augmenter.
Leucé et Zofie furent les dernières à arriver. Apparemment, elles
avaient décidé que vivre ensemble serait une bonne idée, mais
d’après ce qu’Ilias lui rapportait, c’était assez désastreux. Leucé
venait tout juste de retrouver sa forme physique après avoir été un
arbre pendant plusieurs siècles, et Zofie… Zofie était née et avait été
éduquée pour être une guerrière. Quand quelque chose n’allait pas
dans son sens, son réflexe était de tuer, elle passait donc beaucoup
de temps à détruire des choses sans raison.
Comme les distributeurs de snacks de la Tour Alexandria.
Elles avaient toutes les deux beaucoup à apprendre à propos de
la société moderne.
Des deux, Hadès pensait que Leucé serait la plus mal à l’aise en
sa présence. Après tout, c’était lui qui l’avait changée en arbre. Mais
ce fut Zofie qui se figea quand elle le vit.
— Milord ! s’exclama-t-elle avant d’esquisser une révérence.
— Tu n’as pas à faire ça ici, Zofie, dit Perséphone, même si
Hadès n’y était pas opposé.
Il trouvait étrange que l’Amazone insiste pour s’incliner devant lui
et pas devant Perséphone, alors que techniquement, c’était elle sa
maîtresse. Il savait que sa déesse serait mal à l’aise si elle le faisait,
puisqu’ils étaient avec des… amis.
— Mais… c’est le roi des Enfers, dit Zofie.
— On est au courant, ricana Hermès. Regarde-le, c’est le seul
gothique de la pièce.
Hadès le fusilla du regard, mais Hermès sourit en s’éloignant.
— Puisque tout le monde et là, faisons un jeu ! dit le dieu de la
Ruse.
— Quel jeu ? demanda Hélène. Un poker ?
— Non !
Le cri avait échappé à presque tout le monde dans la pièce, y
compris à Perséphone.
Hadès fronça les sourcils.
Il savait qu’il avait une réputation en matière de jeux de cartes, et
perdre contre lui coûtait cher aux mortels, mais il n’avait aucune
envie de conclure un marché ce soir, sauf peut-être avec le mortel
qui se faisait passer pour un Oracle. Il aimait l’idée de lui imposer un
défi impossible, du genre : cesse d’être un psychopathe. Il échouerait
de façon spectaculaire et Hadès pourrait débarrasser le monde de
son âme.
— Et si on jouait à « Jamais je n’ai » ? proposa Hermès.
Hadès grogna. Il détestait ce jeu.
Hermès sautilla jusqu’à la cuisine et se pencha sur le bar,
parvenant à prendre plusieurs bouteilles d’alcool dans chaque main.
— Avec des shots ! ajouta-t-il.
— OK, mais je n’ai pas de verres à shot, dit Sybil.
— Dans ce cas, tout le monde choisit une bouteille, répondit
Hermès en déposant les bouteilles sur la table basse.
— C’est quoi, « Jamais je n’ai » ? demanda Zofie.
— C’est exactement ce que tu penses, dit Hermès. Tu fais une
déclaration au sujet de quelque chose que tu n’as jamais fait, et tous
ceux qui l’ont fait doivent boire.
C’était précisément pour cela qu’Hadès détestait ce jeu. C’était
bien la dernière chose qu’il voulait faire en présence de Perséphone.
Il avait pratiquement tout fait puisqu’il existait depuis toujours, mais il
n’avait pas eu l’occasion de tout dire à Perséphone. Il envisagea de
mentir, mais il savait qu’Hermès s’empresserait de le dénoncer.
Eh merde.
Il ne le pardonnerait jamais au dieu de la Ruse.
Tout le monde se rassembla autour de la table du salon et dut
regarder Ben envahir l’espace personnel de Sybil pour se faufiler par
terre à côté d’elle.
— Moi d’abord ! s’écria Hermès. Jamais je n’ai… couché avec
Hadès.
Une bouffée de chaleur partit du sommet du crâne d’Hadès
jusqu’à la pointe de ses pieds. Inutile d’invoquer Hécate pour torturer
Ben. Hadès l’appellerait pour Hermès.
— Hermès ! gronda Perséphone.
Au diable Hécate. Peut-être que Perséphone le tuerait elle-même.
En tout cas, son regard assassin était impossible à louper.
— Quoi ? râla-t-il. Ce n’est pas facile pour quelqu’un de mon âge.
J’ai déjà tout fait !
Ce n’est que lorsque Leucé se racla la gorge qu’il comprit
pourquoi ce qu’il avait dit posait problème. Perséphone n’était pas la
seule personne dans la pièce à avoir couché avec Hadès, et le rappel
n’était agréable pour personne.
— Ah, dit-il. Aaah !
Un silence gênant suivit, Perséphone et Leucé burent une
gorgée, et si Hadès riva son regard sur sa déesse, il sentait déjà la
tension naître entre eux.
Ben décida que c’était son tour sans qu’on ne l’y invite.
— Jamais je n’ai harcelé une ex.
Hadès put goûter son mensonge, et personne ne but, car
personne d’autre n’était un psychopathe.
— Jamais je n’ai… eu de coup de foudre, dit Sybil.
Elle avait beau dire cela pour Ben en particulier, le mortel ne
sembla pas le remarquer, ou peut-être qu’il s’en fichait, car il but une
gorgée.
Hélène fut la suivante.
— Jamais je n’ai… eu de plan à trois.
Hadès sentit le regard insistant de Perséphone sur lui avant
même qu’Hélène ait terminé sa phrase, mais il évita de la regarder en
portant sa bouteille à sa bouche. Quand il plongea son regard dans le
sien, elle semblait pâle, excepté ses joues qui s’empourpraient.
Ce n’était pas comme s’ils n’en avaient jamais parlé, enfin, pas de
ça précisément, mais il lui avait expliqué qu’il avait eu une longue vie.
Il était donc normal qu’il ait eu de nombreuses partenaires et
expériences. Peut-être aurait-il dû être plus précis.
Ce n’était clairement pas le meilleur moyen de lui apprendre ce
qu’il avait fait, même si c’était dans le passé.
Il avait désespérément envie d’être à côté d’elle, de passer son
bras autour d’elle et de lui chuchoter à l’oreille combien il l’aimait, lui
dire qu’aucune expérience passée ne lui arrivait à la cheville.
Le jeu continuait, et cela ne fit qu’empirer.
— Jamais je n’ai… mangé sur le corps nu de quelqu’un, dit Ben,
et Hadès dut boire.
— Jamais je n’ai… baisé dans la cuisine, dit Hélène.
Encore une gorgée.
— Jamais je n’ai baisé dans un lieu public, dit Sybil.
Hadès but encore.
Il ne pensait pas dire cela un jour, mais il en avait assez de boire.
À chaque gorgée, il sentait l’énergie de Perséphone se transformer
pour devenir noire et colérique, et elle repoussait la sienne.
Il n’aimait pas du tout ça.
— Jamais je n’ai… baisé avec une prêtresse, dit Hermès.
— Tu mens, dit Hadès.
— Ah bon ? demanda Hermès d’un ton surpris avant de hausser
les épaules. Hmmm, d’accord.
Hadès ne but pas, cette fois.
— Jamais je n’ai simulé un orgasme, déclara Hélène.
Horrifié, Hadès regarda Perséphone porter son verre à sa bouche
parfaite pour boire une gorgée.
C’était un putain de mensonge.
Il plissa les yeux. Il était le seul avec qui elle avait couché, et il
savait parfaitement qu’il ne l’avait jamais laissée insatisfaite ou sur sa
faim.
— Si c’est vrai… commença-t-il en la transperçant du regard,
espérant qu’elle devinerait ce qu’il comptait lui faire.
Il la pousserait à le supplier de la faire jouir et lui donnerait tant de
plaisir qu’elle en ressentirait les effets pendant des jours.
— … je me ferai un plaisir de rectifier la situation.
— Oh ! fredonna Hermès. Y en a qui vont baiser, ce soir.
— Tais-toi, Hermès ! aboya Perséphone.
— Quoi ? râla-t-il. Tu as de la chance qu’il ne t’ait pas téléportée
aux Enfers au moment où tu as pris la bouteille.
Hadès l’avait envisagé, mais la récompense serait encore plus
grande s’il la prenait ici, où tout le monde l’entendrait jouir.
Elle n’avait pas idée de ce qu’elle avait fait.
— Jouons à autre chose, proposa Perséphone.
— Mais j’aime bien celui-là, se plaignit Hermès. Ça commençait
tout juste à être intéressant. Et puis, tu sais bien qu’Hadès est en
train de faire la liste de toutes les façons dont il va te prendre ce…
— Ça suffit ! siffla-t-elle.
Elle se leva d’un bond et disparut dans le couloir. Un silence
suivit, et au bout de quelques secondes, Hermès leva les yeux vers
lui.
— Eh bien ? Tu ne la suis pas ?
Hadès soupira et posa la bouteille de whisky sur la table basse
avant d’ajuster sa veste et de disparaître.
Il réapparut devant elle, posa les mains de part et d’autre de sa
tête, elle était adossée à la porte de la salle de bains. Elle avait les
yeux fermés et il se pencha vers elle, la bouche tout près de son
oreille.
— Tu savais ce que ton comportement allait provoquer chez moi,
dit-il.
Tout le corps d’Hadès lui semblait brûlant.
Il avait envie de la prendre, de la faire jouir si fort sur sa queue
qu’elle ne pourrait plus tenir debout ni marcher.
— Quand t’ai-je laissée sur ta faim ? demanda-t-il, effleurant son
oreille puis son cou avec sa bouche.
Perséphone frissonna.
— Tu ne réponds pas ?
Il recula et posa une main sur sa gorge, sentant son pouls battre
sous sa paume.
— J’aurais sincèrement préféré ne pas apprendre tes exploits
sexuels pendant un jeu, devant tous mes amis, dit-elle.
Il aurait aimé l’éviter, lui aussi.
— Et donc tu as pensé qu’il serait mieux de révéler que je ne te
satisfais pas ?
Elle fuit son regard et déglutit, et Hadès sentit sa gorge se
contracter dans sa main.
Il se pencha en avant, caressant le lobe de son oreille du bout de
sa langue.
— Devrais-je effacer leurs doutes quant au fait que je peux te
faire jouir ? chuchota-t-il en remontant ses mains le long de ses
cuisses, soulevant sa robe pour déchirer sa culotte.
— Hadès ! On est invités !
— Et alors ? demanda-t-il, libérant sa verge avant de la soulever
contre la porte.
— Ça ne se fait pas, de baiser dans la salle de bains de
quelqu’un.
Elle avait beau protester, elle le laissait faire. Il l’embrassa en
frottant son bassin au sien, appuyant sa verge entre ses cuisses
avant de la glisser sur sa fente trempée.
— Putain, chuchota-t-il.
Ou peut-être qu’il ne l’avait pas dit à voix haute, mais la sensation
était divine.
Il avait cru qu’il serait capable de prendre son temps, de la torturer
jusqu’à ce qu’elle le supplie, mais c’était impossible, pas quand elle
était à ce point prête pour lui. Il avait trop hâte de plonger dans sa
chaleur. Il glissa en elle et un gémissement guttural échappa de la
bouche de Perséphone, ouverte contre la sienne.
Elle était… tout.
Il la tint fort en s’enfonçant en elle. Il ne pouvait guère bouger,
mais c’était suffisant – cela suffisait à annihiler toutes ses pensées, à
faire tinter ses oreilles et à précipiter tout le sang depuis sa tête
jusqu’à sa verge.
Sa peau se couvrit de sueur et son souffle devint rauque et
laborieux, conscient que la porte branlait derrière Perséphone. Le
bruit était si fort qu’il faillit ne pas entendre le coup qui y fut porté, et
quand il entendit la voix d’Hermès de l’autre côté, il regretta d’avoir
perçu quoi que ce soit.
— Désolé de vous interrompre, quoi que vous fassiez, mais vous
devriez venir voir ça.
— Pas maintenant, aboya Hadès.
Il n’avait aucune envie d’arrêter. Il était tellement proche de
l’orgasme, et Perséphone aussi. Il sentait ses muscles se contracter
autour de lui, cherchant à le faire éjaculer.
Il enfouit sa tête dans le creux de son cou et respirait contre sa
peau quand il sentit qu’elle lui mordait et léchait l’oreille. Il se crispa et
la serra plus fort.
Putain, elle rendait ça impossible.
— OK, mais premièrement, c’est impoli de baiser dans la salle de
bains des autres, dit Hermès d’un ton aigu, comme s’il était agacé.
Deuxièmement, ça concerne la météo.
Merde, merde, putain de Déméter ! pensa-t-il. Nom de dieux,
comment cette fichue tempête pouvait-elle gâcher jusqu’à leurs
parties de jambes en l’air ?
— Un instant, Hermès, grogna-t-il.
— C’est long comment, un instant ?
— Hermès ! menaça Hadès.
Il espérait que le dieu comprendrait ce qu’il taisait : encore une
question, et je mettrai le feu à tes testicules.
— D’accord, d’accord !
Hadès prit une grande inspiration.
Quitter le corps de Perséphone était une torture. C’était encore
pire quand sa verge était prête à exploser.
— Merde.
— Je suis désolée, dit Perséphone, et il fronça les sourcils.
— Pourquoi tu t’excuses ?
Elle s’apprêtait à répondre, mais elle se ravisa.
— Je ne t’en veux pas, dit-il pour la rassurer avant de
l’embrasser. Mais ta mère va regretter de nous avoir interrompus.
C’était une promesse.
Ils se rhabillèrent et sortirent de la salle de bains. Depuis le
couloir, ils entendirent le journal télévisé parler de la météo.
« Toute la Nouvelle Grèce a été placée en alerte rouge pour
tempête de glace. »
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Perséphone en entrant
dans le salon, suivie d’Hadès.
— Il s’est mis à grêler, répondit Hélène depuis la fenêtre dont les
rideaux étaient ouverts.
Perséphone la rejoignit et regarda dehors, les bras croisés, signe
de son angoisse. Hadès avait entendu le début de la grêle, mais elle
tombait désormais comme de la pluie.
— C’est l’acte d’un dieu, commença le faux Oracle. Un dieu est
en train de nous maudire !
Un silence tendu s’abattit sur la pièce et même si personne n’allait
le contredire, dire cela dans une pièce où se tenaient de véritables
dieux était sacrément culotté.
Ben regarda Hadès dans les yeux.
— Tu vas le nier ? demanda-t-il comme pour le défier.
— Ce n’est pas malin de tirer des conclusions trop hâtives, mortel,
gronda Hadès.
Il détestait vraiment cet homme.
— Je ne tire pas de conclusions hâtives. Je l’ai prédit ! Les dieux
vont exercer un règne de terreur sur nous. Nous allons connaître le
désespoir et la destruction.
Hadès regarda Perséphone, qui semblait pâle et hésitante. Ce
que disait Ben n’était pas impossible, mais c’était également une
information que n’importe qui pourrait cracher, pour peu que l’on
connaisse un peu l’histoire de la Grèce.
— Mesure tes propos, Oracle ! lui lança Hermès.
Il se tenait bien droit, crispé, le menton levé et les poings serrés.
Les propos de Ben ne lui avaient vraiment pas plu.
— Je ne fais que répéter ce que…
— Ce que tu entends, l’interrompit Sybil. Et ce que tu entends
pourrait être la parole d’un dieu, ou pas. D’ailleurs, étant donné que
tu n’as pas de mécène, j’imagine que c’est une entité impie qui te file
tes prophéties. Si tu avais été formé, tu le saurais.
Une entité impie pouvait prendre de nombreuses formes ; ce
pouvait être un autre mortel, remplissant sa tête de pensées impies,
ou même une âme piégée sur terre, chuchotant dans la pénombre.
— Et qu’y a-t-il de mal à être une entité impie ? Parfois, ce sont
les seules qui disent la vérité.
— Tu devrais y aller, dit Sybil d’une voix rauque.
Enfin, pensa Hadès.
— Tu veux que je… parte ?
— Elle a été très claire, répondit Hermès en faisant un pas en
avant.
— Mais…
— Tu sembles avoir oublié où est la porte, dit le dieu de la Ruse.
Je t’accompagne.
— Sybil… commença Ben.
Oh, bon sang. Assez !
Hadès propulsa sa magie vers le mortel, qui s’évanouit.
Il y eut un moment de stupeur, puis tout le monde regarda
Hermès.
— Ce n’était pas moi, dit-il en regardant Hadès, qui n’avait pas
l’intention de s’expliquer.
Il n’avait fait qu’exécuter ce qu’il avait voulu faire dès le début de
la soirée : envoyer Ben sur une île déserte.
— Je crois qu’on devrait tous partir, dit Perséphone. Plus on
attend, plus la tempête va empirer, ajouta-t-elle en le regardant.
Hadès, j’aimerais m’assurer qu’Hélène, Leucé et Zofie rentrent en
sécurité.
— Je vais appeler Antoni, acquiesça-t-il.
Le cyclope arriva quelques minutes plus tard et ils s’installèrent
dans la limousine. Le bruit de la grêle était encore plus fort dans la
voiture, chargeant l’habitacle d’une atmosphère lugubre.
Hadès était à côté de Perséphone, un bras autour d’elle, Leucé,
Zofie et Hélène étaient assises en face d’eux.
— Est-ce que tout le monde a détesté ce Ben ? demanda Leucé.
Quelle question absurde ! pensa Hadès. Bien évidemment que
tout le monde l’avait détesté.
— Sybil devrait cacher un couteau sous son lit, au cas où il
reviendrait, dit Zofie pour se rendre utile.
— Ou elle pourrait simplement installer un verrou sur sa porte,
suggéra Hélène.
— Les verrous peuvent être crochetés. Un couteau, c’est plus sûr,
insista Zofie.
Hadès était d’accord avec elle. Quelqu’un comme Ben ne
laisserait pas un simple verrou l’empêcher de prendre ce qu’il voulait,
de la même façon qu’il ne laisserait pas un non l’arrêter.
Hadès profita du silence pour réfléchir, même si ce qu’il devait
faire ensuite était loin d’être excitant. Il devait aller voir Apollon pour
savoir ce qui avait tué Adonis, et il avait besoin de le savoir vite, avant
que d’autres attaques similaires n’aient lieu.
Il aurait largement préféré rentrer aux Enfers avec Perséphone et
terminer ce qu’ils avaient commencé dans la salle de bains, mais
cela attendrait qu’il ait accompli cette tâche.
Ça n’allait pas plaire à Perséphone.
Antoni déposa Leucé et Zofie et ils attendirent qu’elles soient en
sécurité avant de repartir pour ramener Hélène.
La jeune femme resta silencieuse un moment, mais elle finit par
parler, sans les regarder, ni lui ni Perséphone.
— Vous pensez que Ben a raison ? Que c’est l’œuvre des dieux ?
Hadès sentit Perséphone se crisper contre lui et il la serra plus
fort.
— On le saura bien assez vite, répondit-il.
Ils arrivèrent chez Hélène et Antoni l’aida à sortir de la voiture.
— Merci de m’avoir ramenée, dit-elle en partant.
Perséphone se blottit contre Hadès alors que le froid s’engouffrait
dans l’habitacle et il était heureux de la laisser faire.
Maintenant qu’ils se dirigeaient vers chez eux, Hadès redoutait
d’arriver. Il aurait aimé rester là avec Perséphone, au chaud dans sa
limousine.
Il sentit la déesse lever la tête vers lui puis, après quelques
secondes, elle lui parla d’une petite voix.
— Elle pense vraiment qu’une tempête va suffire à nous séparer ?
Sa question lui fit comprendre qu’elle ignorait combien la situation
allait s’aggraver.
— Tu as déjà vu de la neige, Perséphone ? demanda-t-il.
— De loin…
Hadès étudia son regard. Il ne savait pas comment lui expliquer
ce qui finirait par arriver.
— À quoi tu penses ? chuchota-t-elle, comme si elle avait peur de
le découvrir.
— Elle va continuer jusqu’à ce que les dieux n’aient d’autre choix
que d’intervenir.
— Et il se passera quoi ?
Je détruirai le monde entier, pensa-t-il.
Il choisit pourtant de ne pas répondre, et elle ne l’y força pas.
Quelques secondes plus tard, ils approchaient de Nevernight. Il
se redressa et Perséphone s’éloigna de lui.
Il détestait ça.
— Antoni, assure-toi que Lady Perséphone arrive à Nevernight en
sécurité.
— Quoi ?
Hadès se baissa pour l’embrasser avant qu’elle ne puisse dire
autre chose. Il glissa sa langue dans sa bouche et dut faire appel à
tout son self-control pour ne pas l’attirer sur ses genoux et faire
fusionner leurs corps en la baisant à l’arrière de la limousine.
Il se concentra donc sur sa bouche, plongeant ses doigts dans
ses cheveux, empoignant sa taille pour l’empêcher de bouger, et s’en
empêcher aussi.
Bon sang, pourquoi était-ce toujours aussi bon ?
Il rompit brusquement le baiser, ravi de voir ses yeux briller, signe
de sa passion et de sa frustration. Elle avait envie de lui. Il sourit et
effleura sa bouche du bout des doigts.
— Ne t’en fais pas, ma chérie. Tu jouiras avec moi ce soir.
Et il disparut avant de changer d’avis.
Chapitre VIII

DIONYSOS

Dionysos attendait Ariadne dans la salle commune.


Ils devaient se rendre dans le quartier du Plaisir où ils
commenceraient leurs recherches pour trouver Méduse. C’était le
dernier endroit où les Ménades avaient eu vent d’elle et, après cela,
elle semblait avoir disparu.
— C’est la cinquième fois que tu regardes ta montre en une
minute, dit Naïa. Je ne pense pas que ça la fera arriver plus vite.
Dionysos fronça les sourcils et fusilla la Ménade du regard. Elle
était assise dans un énorme fauteuil et faisait du crochet sans le
regarder.
— Elle est en retard, dit-il.
— Et toi, tu ne l’es jamais ? demanda Lilaïa qui était assise en
face de Naïa et était plongée dans un livre.
— Pas quand c’est important, non, répondit Dionysos.
Les deux femmes ricanèrent et levèrent les yeux au ciel.
— Vous devriez être dans mon camp, dit-il. Ariadne n’a fait que
vous causer des soucis depuis qu’elle est arrivée.
— Elle n’est peut-être pas facile, mais ce n’est pas sans
fondement, dit Naïa. Tu sais bien qu’on a toutes envie que sa sœur
soit débarrassée de son mari violent.
— J’ai promis de l’aider, dit Dionysos.
— Laisse-lui le temps de te faire confiance, comme tu l’as fait
pour nous, dit Lilaïa. Tu sais bien que ça n’arrive pas du jour au
lendemain.
Ses propos ravivèrent sa culpabilité, rendue encore plus
oppressante par sa frustration.
Il ne pouvait pas se permettre d’attendre qu’elle lui fasse
confiance. Ses doutes aggravaient la situation, car ils la rendaient
imprévisible, et cela mettait toutes ses Ménades en danger.
Le cliquetis de talons aiguilles attira son attention et il se tourna
quand Ariadne émergea de l’ombre, vêtue d’une petite robe noire qui
lui arrivait à peine sous les fesses et de cuissardes noires à talons.
Elle aurait été plus à sa place dans son lit – et c’est là qu’il aurait
aimé que cette tenue reste.
Sa queue tressauta et durcit quand il y pensa.
— C’est quoi cette tenue ? demanda Dionysos.
— Une robe, de quoi ça a l’air ? dit-elle en tirant sur sa veste pour
la fermer, mais c’était trop tard.
Dionysos avait déjà remarqué la dentelle qui couvrait ses seins. Il
ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Il essaya de nouveau et
peina à trouver ses mots.
— Tu ne peux pas mettre ça pour aller au quartier du Plaisir, dit-il.
— Et toi, tu ne peux pas me dire quoi mettre, répondit Ariadne.
— Je t’ai dit de te fondre dans la masse, rétorqua Dionysos.
— C’est justement ce que je fais !
— Tu ne vas pas passer inaperçue !
Elle croisa les bras.
— Je ne me changerai pas.
— Ariadne… gronda Dionysos d’un ton menaçant.
— Dionysos, rétorqua-t-elle sur le même ton, où est le problème
avec ma tenue ? Je suis déjà allée au quartier du Plaisir. Je sais
comment m’habiller.
— Tu y es déjà allée ? demanda-t-il, choqué.
— Je suis détective, imbécile. J’enquête sur les crimes sexuels.
Bien sûr que j’y suis allée !
Il se planta devant elle et resta silencieux. Il voulait lui dire
quelque chose et lui tenir tête, parce qu’il savait quel genre de
personnes arpentaient les rues de ce quartier, mais il ne savait pas
quoi dire.
— Ah, dit-il simplement.
Naïa et Lilaïa gloussèrent, il leur lança un regard assassin.
— Si on veut espérer apprendre quoi que ce soit au sujet de
Méduse, il faut que l’un de nous ait l’air crédible, dit Ariadne.
— Allons-y, répondit-il simplement en marchant vers l’ascenseur.
Dionysos appuya sur le bouton et s’adossa au mur en métal froid,
face à Ariadne. Elle gardait les bras croisés, sur la défensive. Ils se
défiaient ouvertement du regard et leur frustration était palpable.
C’était une erreur.
— Qu’est-ce qu’elle a, ma robe ? demanda-t-elle.
Dionysos sentit son sang s’embraser et vrombir dans ses oreilles.
— Tu sais combien d’hommes vont te regarder, ce soir ?
— Quelques-uns, j’imagine, dit-elle. Dont toi.
Il déglutit et fuit son regard.
— Je ne voulais pas te manquer de respect, dit-il d’une voix
rauque, pas parce qu’il ne voulait pas s’excuser mais parce qu’il avait
honte.
— Je sais me défendre, Dionysos, dit-elle.
Sa remarque attira son attention et il ne put s’empêcher de
lorgner son corps.
— Je suis armée.
— Avec cette robe ?
— Oui, avec cette robe.
Il haussa un sourcil.
— Tu ne me crois pas, dit-elle.
— Cette robe couvre à peine tes fesses, Ariadne.
— Elle descend bien en dessous de mes fesses, Dionysos. Peut-
être as-tu besoin d’une leçon d’anatomie humaine.
— Si tu te proposes…
Elle le fusilla du regard avant de soulever le bas de sa robe.
— Ça, c’est mon flingue, dit-elle en révélant une sangle fixée tout
en haut de sa cuisse. Et ça, c’est ma fesse.
Elle se tourna et lui montra une fesse bien ronde.
Bon sang, mais que se passe-t-il ?
— Ariadne… gronda Dionysos en saisissant si fort la barre
derrière lui qu’il en eut mal aux doigts.
Sa verge était dure et il ne se débarrasserait jamais de cette
érection si elle était habillée comme ça. Le fait qu’il ne pouvait cesser
d’imaginer comment la punir ne faisait rien pour arranger la situation.
Il avait envie de lui arracher un cri en lui mettant une fessée, avant
d’enfouir ses doigts dans sa chatte mouillée. Quand elle jouirait, il les
lui ferait sucer pendant qu’il la prendrait par-derrière, en rythme avec
ses cris étouffés.
Il ne pouvait pas faire ça avec elle. Elle le détestait, et elle
n’apprécierait clairement pas qu’il la domine.
Elle baissa sa robe et lui fit de nouveau face, un sourire satisfait
sur les lèvres.
— Oui, Dionysos ?
Elle le reluqua de haut en bas, s’arrêtant sur son érection. Son
sourire s’évanouit aussitôt. Il attendit qu’elle le regarde dans les yeux
et, quand elle le fit, il reprit d’une voix froide et délibérée :
— Ne me provoque pas, dit-il.
Elle frissonna et déglutit avant de fuir son regard.
La descente en ascenseur parut interminable et Dionysos avait
l’impression de ne pas pouvoir respirer. Car il ne ferait que sentir
Ariadne, et il ne se débarrasserait jamais de son érection atroce.
— Enfin, gronda-t-il quand les portes s’ouvrirent.
Il bondit hors de l’ascenseur et avança vers l’endroit où il garait
plusieurs véhicules reluisants.
Il n’attendit pas qu’Ariadne le suive, mais il savait qu’elle n’était
pas loin à cause du cliquetis de ses putains de cuissardes.
— Tu n’es pas un dieu ? demanda-t-elle.
— Tu me poses vraiment cette question ?
— Je croyais que tu te téléporterais, dit-elle.
— Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je ne suis pas comme
les autres dieux.
Il aimait les voitures, celles qui allaient vite, il préférait largement
ce mode de transport aux autres, y compris la téléportation.
— Je suis sûre que vous pensez tous ça, dit-elle.
Dionysos s’avança vers son bolide préféré : une moto black
chariot customisée. Il prit le casque accroché au guidon et le tendit à
Ariadne.
— Mets ça, dit-il.
— Mets ça ? s’exclama-t-elle. Je ne peux pas monter là-dessus !
— Mais si, dit-il en passant sa jambe sur le siège pour s’installer.
Et tu vas le faire.
Ariadne dut crier pour se faire entendre quand il démarra le
moteur et le fit vrombir.
— Je n’ai pas la tenue adaptée !
— J’ai essayé de te prévenir, répondit-il en haussant les épaules.
Elle le fusilla du regard et il la laissa faire le temps qu’elle le
voulait. Elle finit par lâcher l’affaire et s’approcha pour s’installer à
l’arrière de la moto, coiffée du casque qu’il lui avait donné.
Il tourna la tête vers elle.
— Accroche-toi, dit-il.
Ariadne lui serra fort la taille, pressant ses cuisses contre ses
hanches, ce qui l’amusa d’abord. Mais bientôt, il ne put penser à rien
d’autre en sortant du garage et en traversant Nouvelle Athènes en
direction du quartier du Plaisir.
Il se pencha en avant sur la moto et Ariadne en fit de même,
appuyant sa tête contre son dos, ses mains à plat sur son torse. Son
corps se réchauffa à l’endroit où elle le touchait, malgré le froid qui le
fouettait tandis qu’il zigzaguait dans la circulation, filant vers la côte.
En arrivant en haut d’une colline, il vit le quartier scintiller de ses
lumières rouges et ses symboles phalliques, il fut pris d’angoisse en
pensant à la situation dans laquelle il s’apprêtait à plonger Ariadne.
Ce n’était pas le quartier lui-même qui le gênait ; c’était l’endroit où ils
se rendaient dans ce quartier. C’était une chose de choisir de se
prostituer, c’en était une autre d’y être forcé.
Michail, l’homme qu’ils allaient voir, forçait les hommes, les
femmes et les enfants.
Dionysos et les Ménades travaillaient depuis plusieurs années à
démanteler certains aspects de son organisation, et pour ce faire, il
avait fallu établir un lien avec le mortel. À ce stade, Dionysos le
connaissait plutôt bien et le détestait violemment, mais s’il comptait
sauver les nombreuses femmes que le mortel avait envoyées aux
quatre coins de la Nouvelle Grèce et dans les îles au-delà, il devait le
supporter.
Il se gara à un kilomètre du quartier qui s’étendait sur une colline.
Ariadne descendit de la moto et enleva son casque avant d’agiter ses
cheveux. Dionysos se dépêcha de détourner les yeux, souffrant
encore d’une douloureuse érection.
— C’est quoi, le plan ? demanda-t-elle.
— Les Ménades m’ont dit que Méduse avait séjourné à la Maison
Jouvencelle. On ne sait pas où elle est partie, car ce maquereau ne
tient aucun registre de ceux qui entrent et sortent de chez lui, y
compris de ses travailleurs.
— Ce n’est pas légal, dit Ariadne.
— Je sais.
La prostitution n’était pas illégale ni mal vue à Nouvelle Athènes,
et de nombreuses initiatives avaient permis de protéger les droits des
travailleurs du sexe. Hélas, le combat pour leurs droits avait fait
augmenter le trafic du sexe ainsi que le nombre de bordels du même
genre que la Maison Jouvencelle.
La bouche d’Ariadne se pinça.
— Comment elle a atterri dans ce bordel ? demanda-t-elle. Est-ce
qu’on le sait ?
— On pense qu’elle a dû être ramassée dans la rue.
Ça n’avait pas dû être simple. Quelqu’un avait dû apprendre à la
connaître et obtenir sa confiance avant de la trahir.
Ariadne ne répondit rien, sans doute parce qu’elle savait très bien
comment fonctionnait ce milieu.
Ils avancèrent dans le quartier bondé et se mêlèrent à la foule.
Dionysos ne s’inquiétait pas de se fondre dans la masse, car on le
voyait souvent ici, et c’était un dieu adulé par ce public. Chaque
année durant les Apokries et les Dionysies, il organisait une fête sur
la place du quartier, où des gens de toute la Nouvelle Grèce venaient
baiser les uns avec les autres en public.
Ce qui l’inquiétait le plus, c’était Ariadne qui connaissait
également ces fêtes et la folie qu’elles encourageaient.
Ils arrivèrent sur la place, où était érigé un pilier doré sur lequel
étaient gravées des scènes érotiques. À son pied se trouvait le trône
sur lequel il s’asseyait pour propager sa magie.
— Je ne comprends pas, dit-elle. Tu utilises ta magie pour
organiser des orgies sur cette place, mais en dehors de ça, tu…
Dionysos la fusilla du regard, la prévenant de ne pas finir sa
phrase. Il n’avait vraiment pas besoin que cette détective loquace
foute en l’air tout ce qu’il s’était acharné à accomplir ici.
— Pourquoi ? demanda-t-elle.
— Le sexe consensuel n’est pas forcé. Tu devrais le savoir mieux
que quiconque. Ceux qui viennent sur cette place veulent baiser, et
ils se fichent de savoir avec qui.
— Je ne viens pas pour baiser, dit-elle.
— Peut-être que tu devrais, répondit-il. Tu serais peut-être un peu
moins insupportable.
Elle lui lança un regard assassin et se pinça la bouche, mais son
silence ne dura pas longtemps.
— Est-ce que tu y participes ? demanda-t-elle.
— Pourquoi ?
— Je me demandais, c’est tout, dit-elle en fuyant son regard.
— Je suppose que ça dépend de ce que tu entends par
« participer ».
— Quelle autre définition y a-t-il ?
— Quand on parle de ces fêtes, ça veut tout dire et rien dire à la
fois. Est-ce que je danse ? Est-ce que je chante ? Est-ce que je…
— Est-ce que tu baises avec des inconnus, Dionysos ? aboya
Ariadne, clairement agacée.
Il ricana d’un air triomphant, mais cela ne dura que quelques
instants, car il comprit combien elle était frustrée.
— Non, dit-il enfin. Du moins… pas depuis longtemps.
Un silence étrange et gênant s’abattit sur eux et ils ne se
parlèrent plus jusqu’à ce qu’ils arrivent à la Maison Jouvencelle, un
immeuble de deux étages sans fenêtres.
Avant d’entrer, Dionysos se tourna vers Ariadne.
— J’ai besoin de savoir si ça va aller, dit-il. Si… je peux te
toucher.
Elle l’étudia longuement.
— Si ça permet de trouver Méduse et de sauver ma sœur, je suis
prête à tout.
Il hocha la tête.
Ils entrèrent dans le bordel et se retrouvèrent aussitôt dans le
noir. Immédiatement, Dionysos tendit la main pour prendre Ariadne
par la taille et l’attirer contre lui afin de chuchoter dans son oreille.
— Même si tu en meurs d’envie, dit-il, je te demanderai de ne pas
ouvrir la bouche.
Il imaginait très bien le regard meurtrier qu’elle devait lui lancer. Il
pouvait sentir sa colère, mais il fut surpris qu’elle ne le repousse pas.
En revanche, elle planta ses ongles dans son bras.
— Dionysos ! Mon dieu préféré ! lança Michail en s’avançant vers
eux, impeccable comme toujours dans son costume.
C’était un homme plus âgé, aux cheveux clairsemés qu’il coiffait
en arrière pour cacher sa calvitie.
Dionysos lui serra la main et lui offrit une accolade.
— Et qui est cette… ravissante créature ? demanda Michail.
Dionysos se tourna vers Ariadne, s’attendant à la voir grimacer
d’être traitée de créature, mais elle s’était transformée et affichait un
sourire mielleux.
— Je te présente… Phèdre, dit-il, regrettant aussitôt d’avoir choisi
ce nom, surtout quand il vit le sourire d’Ariadne menacer de
disparaître.
— Phèdre, ronronna Michail. Comme tu es belle ! Je ne savais
pas que tu embauchais des hétaïres, Dionysos.
— Ce n’est pas le cas, répondit le dieu.
— Ah. Alors…
— Il n’a pas besoin de me payer, dit Ariadne. Je… j’aime sa
compagnie.
Michail sourit.
— Quel chanceux ! Venez, venez, le spectacle va commencer.
Dès que Michail leur eut tourné le dos, Dionysos regarda Ariadne
d’un air qui disait « qu’est-ce que je t’avais dit ? ». Mais elle lui
retourna un regard tout aussi assassin qui disait « je sais ce que je
fais ».
Michail les emmena dans la salle principale de son club, en
longeant les murs jusqu’à un escalier en spirale qui menait au balcon
du premier étage, où se trouvaient plusieurs box privés d’où les
occupants pouvaient regarder le spectacle en contrebas ou payer
pour des représentations privées. L’intérieur du box était luxueux et
sombre, la seule lumière provenait du faux feu situé dans le mur en
marbre et où dansaient des flammes. Il y avait deux fauteuils en cuir
séparés par une table.
La gorge de Dionysos se noua quand Michail s’assit, conscient
qu’Ariadne allait devoir s’asseoir sur ses genoux.
Il s’installa et leva la tête vers elle, croisant son regard avant de la
prendre par les hanches pour l’aider à s’asseoir. Si c’était pour le
bénéfice des yeux de Michail, cela avait également un côté pratique,
car s’il voulait éviter qu’elle sente sa verge dure, c’était impossible.
Elle avait déjà le regard rivé dessus et lorsqu’elle s’assit, la pression
de sa cuisse contre la sienne lui donna le vertige.
Merde.
— Ça fait quelques semaines que je ne t’ai pas vu, dit Michail.
Dionysos arrivait à peine à se concentrer, car Ariadne avait passé
son bras autour de ses épaules, appuyant son sein contre son torse.
— Hélas, le dieu des Morts m’a rendu visite, dit-il.
— Ah ? Quelqu’un est mort ? demanda Michail.
— Non. Hadès aime m’accuser de choses auxquelles il ne
connaît rien.
Dionysos sentait le regard d’Ariadne sur lui. Il se demanda si elle
était aussi consciente que lui de sa présence, de la façon dont il avait
posé les mains sur sa peau nue. Est-ce qu’elle sentait la chaleur
grimper entre eux ?
Michail gloussa tout en glissant un cigare entre ses lèvres.
— J’ai entendu qu’il était ici ce soir.
Le dieu de la Vigne crut d’abord avoir mal entendu, ce qui était
possible puisqu’Ariadne avait commencé à dessiner des cercles sur
sa nuque.
— Quoi ? demanda-t-il, surpris.
— Eh oui, acquiesça Michail en allumant son cigare, envoyant un
nuage de fumée épicée dans le box. On m’a dit qu’il était à Erotas. Je
me demande à qui il peut bien rendre visite.
Dionysos se posait la même question, car Hadès n’était
clairement pas là pour le sexe.
La porte du box s’ouvrit et un jeune homme entra avec un
plateau. Il était presque nu, couvert d’un simple pagne à sequins. Il
posa une bouteille de vin et deux verres sur la table, devant Dionysos
et Michail. Le dieu de la Vigne nota qu’il n’y avait pas de troisième
verre pour Ariadne, ce qui était typique de Michail. Il n’était pas du
genre à se préoccuper des femmes ou des hommes qui
accompagnaient ses invités. Pour lui, ceux-ci n’existaient que pour
divertir et apporter du plaisir.
Michail n’accorda aucune attention au jeune homme, qui partit
aussitôt. Le mortel se pencha pour remplir les deux verres.
— J’espère qu’il te plaira, dit-il. Il vient de mon vignoble privé.
Dionysos prit le verre.
— Tu veux goûter ? demanda-t-il à Ariadne.
Il lui semblait qu’il se devait de le lui proposer, mais il n’était pas
préparé pour ce qu’elle fit. Elle prit sa main dans la sienne et porta le
verre à sa bouche, puis elle l’embrassa pour lui faire goûter le vin.
Il essaya de ne pas réagir trop fort, mais il planta ses ongles dans
sa peau pour l’attirer vers lui et frotter son bassin au sien. Quand elle
recula, elle effleura son oreille avec sa bouche et suça son lobe.
Dionysos contracta sa mâchoire et Michail ricana.
— On dirait que tu as les mains bien pleines avec elle, dit-il en
tirant sur son cigare. Qu’est-ce que je peux faire pour toi, Dionysos ?
Il avait posé la question sur un ton suspicieux que Dionysos ne
manqua pas de remarquer.
— Tu ne me crois pas capable d’être seulement venu prendre des
nouvelles d’un vieil ami ?
Michail éclata de rire.
— Un vieil ami, certes. Mais prendre des nouvelles n’est pas dans
ton habitude. Tu es là parce que tu veux quelque chose, comme
toujours. Dis-moi. Peut-être que je peux aider.
— Peut-être, en effet, dit Dionysos.
Ariadne avait cessé de lui sucer l’oreille, ce qui était à la fois un
soulagement et une déception, et Dionysos ne pouvait penser qu’à la
sensation de ses seins contre son torse. Il se dit un instant qu’il
devrait sans doute la toucher davantage, mais il ne pouvait adopter
ce rôle aussi facilement qu’elle, car même si elle était d’accord, il ne
l’intéressait pas réellement, et cela lui paraissait mal.
— Et si tu nous divertissais de loin, chérie ? demanda Michail.
Dionysos ne savait pas pourquoi le mortel faisait cette demande.
Peut-être Dionysos lui semblait-il trop distrait ou bien il pensait, à tort,
que le dieu ne voulait pas qu’elle entende leur conversation.
— Non, répondit Dionysos en plantant ses ongles dans les
hanches d’Ariadne, comme si elle lui appartenait. Elle est très bien là
où elle est, ajouta-t-il.
— Je gère, bébé, dit-elle en effleurant sa bouche.
Il ne put se retenir de grogner. Elle était à fond dans son rôle et il
ne savait pas quoi en penser.
En fait, il détestait ça, mais il se sentait ridicule parce qu’ils
s’étaient mis d’accord sur ce qu’elle ferait.
Elle se leva et se tint bien droite.
— Tu as de la musique, chéri ? demanda-t-elle à Michail.
— J’ai tout ce que tu désires, ma biche, dit-il.
Elle sourit quand il attrapa une télécommande, appuya sur un
bouton, et le box tout entier se mit à vibrer au rythme de la musique.
— Ça te va, ma belle ? demanda-t-il.
— C’est parfait, répondit-elle en souriant jusqu’aux oreilles.
Dionysos la fusilla du regard, mais elle ne sembla pas le voir. Elle
avança vers la barre argentée qui scintillait à la lumière du feu et
Dionysos ne put la quitter des yeux quand elle enleva sa veste. Il
détestait être aussi curieux. Il se demandait ce qu’elle allait faire.
Jusqu’où avait-elle joué ce rôle en tant que flic ?
C’est alors qu’elle empoigna la barre et se souleva en tournant
tout autour, et Dionysos comprit que ce n’était pas sa première fois.
Elle bougeait de façon superbe et naturelle, presque comme si elle
voyait cela comme de l’art, pas comme une forme de divertissement.
Il ne put détourner son regard alors qu’elle se cambrait et se
déhanchait, et il se surprit à vouloir être la barre. La seule chose qui
le retenait et l’empêchait de se perdre dans ses fantasmes, c’était
l’idée que Michail était à ses côtés et regardait également Ariadne
danser en bandant. Cela l’énerva à un point qui le surprit. Il serra les
poings sur ses cuisses.
C’était une erreur.
— Alors, Dionysos ? demanda le mortel.
Le dieu se racla la gorge, parvenant tout juste à quitter Ariadne
des yeux.
— Je cherche une femme. Elle s’appelle Gorgo, dit-il en donnant
le nom que Méduse semblait utiliser. Je crois qu’elle a travaillé pour
toi quelque temps ?
— Ah ! dit Michail. Une créature superbe.
— Tu sais où elle est partie ?
— Pourquoi tu la cherches ?
Du coin de l’œil, Dionysos regardait Ariadne danser et il avait
désespérément envie de lui dire d’arrêter. Il avait désespérément
envie d’elle.
Putain.
Il se racla la gorge.
— Elle me doit de l’argent, dit-il.
— Comme s’il t’en fallait plus ! remarque Michail.
— C’est par principe, dit le dieu. Tu le sais bien.
— Je comprends, en effet, dit Michail d’une voix distante.
Dionysos remarqua qu’il tournait la tête vers Ariadne et il ne put
s’empêcher d’en faire de même.
Merde, merde, merde.
— Allons, chérie, dit Michail, ne sois pas timide. Montre-nous un
peu de peau.
— Elle en montre suffisamment, gronda Dionysos.
Michail esquissa un sourire.
— Dionysos, ne me dis pas que tu t’es entiché de cette hétaïre.
Tu sais mieux que quiconque qu’elles sont payées pour tenir
compagnie.
Dionysos avait bien fait de réagir ainsi, car Michail n’avait pas vu
la façon dont Ariadne s’était figée et avait pâli en entendant sa
requête.
Il fallait qu’ils sortent d’ici.
— Comme elle te l’a dit tout à l’heure, dit Dionysos, je ne la paie
pas.
Michail l’étudia un moment avant de tirer sur son cigare. Il cracha
la fumée et eut le même ricanement qu’il avait eu toute la soirée.
— D’accord, très bien, dit-il. Je serais mal placé pour te faire la
leçon, j’ai eu le béguin pour une ou deux putes, moi aussi.
C’est alors que quelqu’un frappa à la porte et le jeune homme en
pagne scintillant entra à nouveau.
— M. Calimeris, vous avez une minute ?
— Excuse-moi un instant, Dionysos, dit Michail en se levant.
Tendu et silencieux, Dionysos attendit que l’homme soit parti.
Ariadne s’apprêtait à parler, mais il lui coupa la parole.
— Phèdre, aboya-t-il si vite qu’elle tressaillit.
Il espérait qu’elle comprendrait pourquoi il lui parlait ainsi, car il
savait pertinemment ce que faisait Michail. On ne l’avait appelé pour
aucune raison, il souhaitait simplement les observer. Ils étaient filmés
et leurs voix étaient enregistrées.
— Viens.
Elle sembla comprendre que quelque chose clochait car, malgré
son hésitation, elle vint le rejoindre.
Dionysos se pencha en avant et écarta les jambes. Il voulait
qu’elle s’y installe, il avait besoin qu’elle soit tout près de lui.
— À genoux, ordonna-t-il.
Elle soutint son regard avant de poser ses mains sur ses genoux
pour se baisser. C’était la chose la plus érotique qu’il ait jamais vue,
sans doute parce qu’il n’avait jamais imaginé que cette femme lui
obéirait aussi facilement.
Il plongea une main dans ses cheveux et tira sa tête en arrière,
puis il se pencha pour rapprocher sa bouche de son oreille. Elle retint
son souffle et empoigna ses cuisses.
— Fais gaffe à ta bouche, dit-il.
C’était la meilleure mise en garde qu’il pouvait lui donner,
craignant que s’il en disait trop, Michail doute de ses actions.
Dionysos recula pour la regarder de nouveau dans les yeux.
Elle prit une grande inspiration. Elle avait beau jouer ce rôle à
merveille, elle peinait à ne pas le quitter.
— Je ne t’ai pas fait plaisir ?
— Tu parles ! aboya-t-il.
Elle soutint son regard tout en frottant ses paumes sur ses
cuisses, lentement, délibérément.
— Qu’est-ce que je peux faire ?
Dionysos se contenta de la dévisager, incapable de réfléchir – et
c’est pour cela, décida-t-il, qu’il l’embrassa. Bon sang, il en avait
tellement besoin… Il posa une main derrière sa tête, la tint en place,
et sa bouche s’empara de la sienne. Leur union n’avait rien de doux
ni de tendre, tous deux étaient poussés par un désespoir qui semblait
vivre dans leur moelle. Pourtant, aussi vite que cela s’était produit,
Ariadne recula.
Elle le fusilla du regard, toujours agenouillée devant lui, les lèvres
mouillées par leur baiser, les yeux animés par une tempête de haine
et de désir.
Il s’apprêtait à s’excuser, mais elle se redressa pour l’embrasser à
nouveau. Elle passa ses mains dans son cou et s’installa à cheval
sur lui. Il empoigna ses fesses avant de lui mettre une fessée avec
chaque main, puis il la saisit de nouveau pour l’aider à se frotter à sa
verge, grognant de la sentir ainsi contre lui.
— Putain, siffla-t-il en l’embrassant dans le cou. Quelqu’un t’a
déjà dit que tu étais parfaite ?
— Tu serais bien le premier, chuchota-t-elle.
— C’est bien dommage, dit-il alors que leurs bouches se
percutaient à nouveau.
Dionysos ne s’était jamais senti aussi frénétique, mais Ariadne
était comme une allumette et il voulait brûler sous elle.
Il retira une main de ses fesses pour s’emparer de son sein, qu’il
palpa et massa jusqu’à ce que son téton soit dur et que chaque
caresse de son pouce la fasse gémir.
Bon sang, il le voulait dans sa bouche. Il était sur le point de
baisser sa robe quand quelqu’un se racla la gorge et ils se figèrent
tous les deux.
— Désolé de vous interrompre, dit Michail, qui était revenu,
accompagné de deux colosses, vêtus de noir. Mais je viens
d’apprendre une mauvaise nouvelle.
— Putain, à quoi tu joues, Michail ?
— Ça n’a rien à voir avec toi, Dionysos, dit le mortel. C’est entre ta
nana et moi, n’est-ce pas, Phèdre ? Ou devrais-je dire Inspectrice
Alexiou.
— Quoi ? dit Dionysos en les regardant tour à tour.
— L’inspectrice Alexiou travaille pour la Police Hellénique,
expliqua Michail, qui pensait clairement que Dionysos n’était pas au
courant. Ça fait des mois qu’elle arpente nos rues en secret. On la
pistait depuis plusieurs semaines quand elle a disparu. Je supposais
qu’elle avait fini au fond de la mer Égée, mais il semblerait qu’elle ait
trouvé un autre moyen d’obtenir ce qu’elle voulait.
— Et qu’est-ce que tu cherches ? demanda Dionysos.
Il la regardait, à présent. Les mains étaient sur ses cuisses, juste
sous son arme. Elle soutint son regard.
— Je faisais juste mon travail, dit-elle. J’enquêtais sur la
disparition de plusieurs femmes.
Sa poitrine se contracta.
Ariadne avait donc arpenté les rues à la recherche des femmes
qu’elle avait finalement trouvées dans son club. Il était logique qu’elle
ait commencé ici ; elle avait supposé que les femmes avaient été
forcées à se prostituer.
— Désolé, ma biche, dit Michail, mais t’es pas aussi discrète que
tu le penses. Maintenant, tu veux bien donner un peu d’espace à mon
vénérable invité ?
Dionysos soutint le regard d’Ariadne, ne voulant pas la lâcher.
— Ariadne.
Il ne pouvait arrêter de dire son prénom.
— Je suis désolée, dit-elle en se levant.
— Ariadne !
Au moment où elle se levait, elle saisit son arme et tira deux fois :
une balle pour chaque homme placé à côté de Michail.
Dionysos se leva à son tour.
— Qu’est-ce que t’attends, Dionysos ? Tue-la, putain !
C’était bien la dernière chose qu’il avait envie de faire.
Dionysos invoqua sa magie et des lianes épaisses surgirent du
sol, s’enroulant autour des poignets de Michail pour le mettre à terre.
Il atterrit sur le visage, les bras en croix. Dionysos marcha jusqu’à lui
et lui souleva la tête par les cheveux, lui arrachant un cri de douleur.
Son visage était rouge et il saignait du nez.
— Ose poser la main sur elle et tu mourras, Michail, dit-il. À
présent, je t’ai posé une question, tout à l’heure.
— Va te faire foutre ! grogna Michail en crachant du sang.
Dionysos lui plaqua le visage par terre et, cette fois, lorsqu’il le tira
à nouveau, ce fut par ce qui lui restait de cheveux.
— Essayons à nouveau. La fille. Où est-elle ?
— Je ne sais pas, siffla Michail.
Dionysos s’apprêtait à le frapper de nouveau, mais le mortel en
avait assez.
— Attends ! Attends ! dit-il d’une voix rauque. Je… je l’ai
prévenue de ne pas aller sur la côte.
— Tu veux me faire croire que tu es une sorte de sauveur ?
— Tu ne comprends pas sa beauté. C’est comme l’appel d’une
sirène.
Dionysos était dégoûté de ce qu’insinuait Michail, que Méduse
était trop belle pour exister dans ce monde sans s’inquiéter des
prédateurs.
— Elle est partie sur la côte ? demanda Dionysos. Et ensuite ?
— Je ne sais pas ! Elle n’est jamais revenue ! cria Michail avant
de se calmer. Mais l’océan est le royaume de Poséidon, et tu sais ce
qu’il fait aux belles choses.
Ouais, Dionysos le savait parfaitement.
Il les brisait.
— Putain !
Dionysos frappa la tête de Michail contre le sol et, cette fois, le
mortel ne bougea plus.
Quand Dionysos se releva, il se tourna vers Ariadne qui le
regardait en silence.
— Range ton arme, dit-il avant de ramasser la veste d’Ariadne
par terre.
Il la saisit et la passa sur les épaules de la jeune femme en
l’attirant contre lui.
— Allons-y, dit-il.
Cette fois, il n’avait aucune envie de traverser Nouvelle Athènes.
Il les téléporta tous deux chez lui.
Chapitre IX

HADÈS

Hadès n’aimait pas particulièrement se rendre dans le quartier du


Plaisir. En général, il n’y allait que pour prendre des nouvelles de
Madelia Rella, qui s’était adressée à lui quand elle cherchait des
fonds pour ouvrir son premier bordel. Madelia était différente des
autres tenanciers du quartier, en ce sens qu’elle avait toujours
exprimé son souhait de protéger les droits des travailleurs du sexe.
Elle avait promis à Hadès que s’il lui confiait son pouvoir, elle s’en
servirait pour faire le bien, et elle avait tenu parole, même si cela
avait eu un coût élevé : le trafic du sexe.
Plus les propriétaires de bordel avaient de règles à respecter,
plus ils trouvaient de façons de les contourner. Les travailleurs du
sexe non déclarés ne pouvaient être tenus d’adhérer aux mêmes
normes, et cela avait pour résultat que de pauvres innocents vivant
dans la rue disparaissaient pour être forcés à se prostituer.
C’était un cercle vicieux, comme toute la vie au royaume des
vivants.
Ce soir, Hadès n’était pas venu voir Madelia, mais Apollon,
présumant qu’il serait à Érotas quand il avait trouvé son appartement
du quartier Chrysos vide. Il se demandait pourquoi Apollon y gardait
une résidence, car il n’y était presque jamais.
Hadès apparut à l’entrée d’Érotas dans un nuage de fumée noire.
Plusieurs personnes crièrent, mais Sélène, la maquerelle, les fit taire.
C’était une femme plus âgée, belle et raffinée. Hadès ne la
connaissait pas, mais il savait qu’elle dirigeait ce bordel depuis
longtemps et, d’après ce qu’on disait, elle prenait soin de ses
employés.
La maquerelle s’avança vers lui et esquissa une révérence, les
mains jointes devant elle.
— Lord Hadès, dit-elle en se redressant, que puis-je faire pour
vous ?
Il admira le fait qu’elle le regarde dans les yeux, contrairement
aux personnes derrière elle.
— Je suis venu voir Apollon.
Les filles gloussèrent dans son dos.
— Silence ! ordonna Madame Sélène en les fusillant du regard.
Bande d’imbéciles ! Ne vous moquez pas du dieu des Morts.
Un silence de plomb s’abattit sur la pièce, accompagné d’une
tension palpable. Hadès sentait l’angoisse et la peur dans l’air, même
s’il ne savait pas si c’était dû à sa présence ou à l’autorité de
Madame Sélène. Il avait l’impression que si la maquerelle gérait son
bordel de façon aussi efficace, c’était en partie parce que personne
ne voulait la décevoir.
Elle regarda Hadès dans les yeux.
— Bien sûr. Je vais vous escorter à ses appartements.
Elle tourna les talons et ses employées s’écartèrent, s’adossant
au mur pour laisser passer leur patronne et Hadès. Quand ils
arrivèrent dans le couloir, ils entrèrent dans un ascenseur couvert de
miroirs. La maquerelle sortit un trousseau de clés de la poche de sa
longue jupe et s’en servit pour accéder à l’étage d’Apollon. Hadès
remarqua qu’elle tenait la clé fermement dans sa main. Elle avait
beau se forcer à paraître détendue, il la rendait nerveuse – et à
raison.
Hadès l’étudia dans le miroir. Sa mâchoire était crispée, son
menton levé, et sa poitrine se soulevait et s’abaissait rapidement.
— C’est moi qui vous rends nerveuse, Madame Sélène ?
— N’importe qui le serait en présence d’un dieu tel que vous, dit-
elle.
Hadès gloussa et regarda ses pieds en répondant :
— Peut-être êtes-vous nerveuse parce que vous avez un jour
permis à ma fiancée d’être vendue aux enchères ?
Madame Sélène leva brusquement la tête.
— Elle m’avait promis de ne rien dire.
— Est-ce que vous insinuez que ma future épouse, reine des
Enfers, est une menteuse, Madame ?
— Non, bien sûr que non. Je…
— Elle ne m’a rien dit, précisa Hadès. C’est Apollon qui a parlé.
La maquerelle prit une inspiration tremblante.
— Êtes-vous venu me tuer, alors ?
Hadès ricana, mais elle parut vexée.
— Non, dit-il. Mais je vous demanderai de faire pénitence.
Elle déglutit.
— Sous quelle forme ?
— Une Faveur. À exiger ultérieurement.
— Je n’ai guère de valeur à offrir, Milord.
— Vous avez votre âme, répondit Hadès en la regardant dans les
yeux.
Elle le dévisagea, immobile et silencieuse, attendant sans doute
qu’il lui prenne son âme.
— Mais je peux la prendre quand je veux, dit-il. Laissez-moi
décider de ce qui a de la valeur, Madame, et croyez-moi quand je
vous dis que je me ferai rembourser.
Il la regarda à nouveau dans les yeux et elle hocha la tête.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent alors et Hadès entra dans la
suite d’Apollon. Contrairement à son appartement du Chrysos, celui-
ci était décoré de façon extravagante. Tout était couvert de motifs,
tous différents les uns des autres : un canapé fleuri, des coussins
rayés, des rideaux brodés de petits diamants… le tout cousu de fil
doré et dégoulinant de joyaux.
Ce devrait être une salle de torture, se dit Hadès. En tout cas,
cela le rendrait fou de passer du temps ici.
Il s’avança vers la pièce adjacente, où trônaient une baignoire à
pattes de lion et, au-delà, un immense lit dans lequel était étendu
Apollon, sur le dos, jambes et bras écartés. Il portait un peignoir qui
était ouvert, révélant son érection, et il ronflait.
Fort.
Hadès regarda le dieu un moment, puis son regard tomba sur la
bouteille de vodka vide sur la table de chevet. Il y en avait une autre
par terre.
Merde.
Apollon était difficile à gérer quand il était sobre, mais ivre…
Hadès soupira, agacé, puis il prit l’une des bouteilles vides et la
remplit d’eau à la baignoire, puis il s’empressa de la renverser sur le
visage d’Apollon.
Le dieu s’agita sous la douche froide.
— Putain de merde ! s’écria-t-il.
— Tu ronfles, lança Hadès à Apollon qui le fixait.
— Pas du tout ! aboya Apollon.
— Si, tu ronfles. Je viens de t’entendre.
Apollon l’ignora et souleva avec deux doigts le bas de son
peignoir.
— T’as ruiné mon kimono.
Il se leva, jeta son peignoir par terre et se dirigea, nu, jusqu’à
l’armoire située de l’autre côté de la pièce. Il en ouvrit les portes,
révélant plusieurs kimonos identiques au premier.
Hadès secoua la tête.
— Nom d’une Moire, sérieux ?
— Quoi, Hadès ? cracha Apollon en enlevant un peignoir d’un
cintre pour l’enfiler. C’est la mode, mais tu ne dois pas le savoir
puisque tu n’as qu’une seule couleur dans ta garde-robe, le noir. Je
suppose que c’est assorti à la couleur de ton âme.
Hadès haussa un sourcil en se disant que c’était davantage une
question de confort, pour Apollon, que de mode, mais il n’en dit rien.
— Tu te sens mieux ? demanda-t-il.
Apollon prit une grande inspiration.
— Eh bien, oui, en fait, répondit-il en claquant les portes de
l’armoire. Mais ce n’est pas grâce à toi. Qu’est-ce que tu fais ici, de
toute manière ?
— Tu étais censé faire l’autopsie d’Adonis, dit Hadès.
— Je l’ai faite, répondit Apollon. Il était plein de trous.
Ce n’était guère une surprise, puisqu’ils avaient trouvé le manche
d’un couteau près du corps d’Adonis.
— Tu as une idée de l’arme qui a servi à le poignarder ? demanda
Hadès.
— Une lame courbe, répondit Apollon en passant sa main dans
ses cheveux mouillés.
— Comment tu le sais ? demanda Hadès.
— Parce que quand j’ai enfoncé mon doigt dans la plaie, elle était
courbée, Hadès. Bon sang, tu m’as demandé de faire une autopsie.
Je l’ai faite, putain.
Hadès ne savait pas ce qui le dérangeait le plus ; la mauvaise
humeur d’Apollon ou le fait que c’était une larme courbe qui avait ôté
la vie d’Adonis.
Une lame en particulier lui venait à l’esprit : la faux de son père.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Hadès.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? répéta Apollon en tournant
brusquement la tête vers lui. Je ne sais pas, Hadès. Peut-être que je
suis énervé parce que tu m’as réveillé avec un seau d’eau !
Hadès leva les yeux au ciel et soupira, mais Apollon n’avait pas
fini.
— Ou peut-être parce que j’ai passé le gros de ma journée dans
un cadavre après avoir été invoqué sur une scène de crime à quatre
heures du putain de matin.
Hadès observa le dieu qui faisait les cent pas.
— Ou peut-être parce que ça fait un mois que je n’ai pas baisé,
mais tu ne comprendrais pas, toi, puisque tu baises toutes les nuits,
plusieurs fois par nuit.
— Je… ne sais plus trop de quoi on parle, Apollon, mais je crois
que tu as besoin de voir un psy.
— Ce dont j’ai besoin, c’est que tout le monde me laisse
tranquille !
Il y eut un silence, puis Hadès reprit :
— Apollon… tu es amoureux ?
— Quoi ? Non !
— C’est qui, cette fois ?
— Ne le dis pas ça comme si ce n’était rien, répondit Apollon.
Ce n’était pas l’intention d’Hadès, mais il connaissait Apollon
depuis très longtemps. Celui-ci enchaînait les amants, certains
étaient consentants, mais la plupart ne l’étaient pas, et pourtant, il
avait prétendu tous les aimer.
— D’accord, très bien, dit Hadès. Pourquoi celui-ci est-il différent ?
— Je ne sais pas, bougonna Apollon. C’est le problème,
justement. Je le veux, c’est tout.
— Et alors ? Il ne te veut pas, lui ?
Le dieu resta silencieux.
— Apollon ?
— Je n’ai pas envie de le savoir, marmonna-t-il.
— Quoi ?
— Je ne veux pas le savoir ! s’écria-t-il, le regard brillant. Tu ne
sais pas ce que c’est ; j’en ai tellement aimé, et ils ne m’ont jamais
aimé en retour.
— Apollon…
— Je ne veux pas désirer cet homme, dit-il. Ce serait mieux pour
nous deux.
Bon sang, tout ce qu’Hadès avait voulu savoir, c’était ce qui avait
tué Adonis. Pourquoi sa vie était-elle si compliquée ?
— Le problème, c’est que tu le désires, justement, dit Hadès.
Alors, qu’est-ce que tu vas faire ?
Apollon cligna des yeux.
— Comment ça ?
— Tu veux cet homme, qui qu’il soit…
— Ajax. Il s’appelle… Ajax.
— Tu désires Ajax. Donc : soit tu lui fais part de tes sentiments,
soit tu ne fais rien. Mais si tu ne fais rien, tu dois accepter qu’il finisse
par rencontrer quelqu’un d’autre.
— Et si c’était pour le mieux ?
— Tu ne peux pas comparer tous tes amants à Hyacinthe,
Apollon. Ce n’est juste ni pour toi ni pour celui que tu aimes.
— Est-ce que tu ne comparerais pas chacune de tes maîtresses à
Perséphone ? rétorqua Apollon.
Hadès contracta sa mâchoire et fusilla Apollon du regard. Il était
hors de question qu’il tolère sa mauvaise humeur.
— Je me souviens d’un Apollon qui était prêt à tout perdre
simplement pour regagner l’amour de sa vie, dit Hadès. Or te voici,
maintenant, trop froussard pour prendre un risque.
— L’Apollon dont tu parles est mort depuis longtemps. Dire que tu
aurais pu te débarrasser de moi si tu m’avais simplement jeté au
Tartare.
Hadès avait refusé la demande d’Apollon de mourir après la mort
de Hyacinthe, et cela pour de nombreuses raisons, notamment parce
qu’exaucer un tel souhait aurait été équivalent à prendre une vie, et
les Moires auraient exigé une âme en retour.
Hadès ne voulait pas savoir ce qu’elles auraient fait après un
sacrifice aussi grand que celui d’Apollon.
— S’il est vrai que tu m’agaces, dit Hadès, et que je pourrais te
tuer après le contrat que tu as conclu avec Perséphone… ça me
manquerait, ça.
— Qu’est-ce qui te manquerait ? demanda Apollon, confus.
— Ça, répondit Hadès en désignant le dieu de la Musique, cette
attitude pathétique…
— Pathétique ?
— … pitoyable…
— Pitoyable ?
— … misérable…
— Misérable ?
— On peut vraiment dire que ça transpire « dieu de la
Lumière »…
— Va te faire foutre ! dit Apollon.
Hadès ricana d’un ton lugubre.
— C’est toi qui m’as demandé ce qui n’allait pas, bougonna
Apollon.
— Je t’ai également demandé comment Adonis était mort, dit
Hadès. Et tout ce que tu m’as dit, c’est qu’il a été poignardé avec une
lame courbe.
— T’as raté le moment où j’ai dit « plusieurs fois » ? aboya
Apollon.
— Montre-moi le corps, dit Hadès. Montre-moi les plaies.
Apollon lâcha un soupir qui ressemblait à un grognement.
— D’accord, dit-il, la mâchoire crispée.

*
* *
Hadès apparut dans un des temples sombres et froids d’Apollon.
Celui-ci n’était plus utilisé et se trouvait dans ce qu’on appelait
désormais la vieille agora de Nouvelle Athènes. Durant l’Antiquité,
c’était un lieu de vie où les citoyens se rassemblaient pour faire la
fête, vénérer les dieux, jouer et exposer leurs talents artistiques.
Aujourd’hui, après de nombreuses batailles et tempêtes mortelles, ce
n’étaient plus que des ruines.
Apollon apparut et bouscula Hadès pour avancer dans un coin de
la pièce où une table en métal était poussée contre le mur.
— Tu ne crois pas que tu devrais te changer ? demanda Hadès,
car le dieu était encore vêtu de son kimono préféré.
S’il pensait que l’eau l’avait ruiné, est-ce que le sang ne serait pas
pire ?
Apollon semblait s’en ficher. Il empoigna le drap blanc taché de
sang qui recouvrait le corps d’Adonis et le retira brusquement.
Hadès avait vu beaucoup de cadavres. Beaucoup. Il fut donc
surpris de ne pas être préparé à celui-ci.
Il avança lentement vers le corps. Maintenant qu’Adonis était
lavé, Hadès voyait bien les larges plaies sur son torse ainsi que sur
ses bras et ses jambes, et même sur son visage. Autour de chaque
lacération, des bleus brunâtres étaient apparus, comme si le tueur
avait enfoncé la lame jusqu’à la garde avec plus de force que
nécessaire. Hadès avait du mal à imaginer qu’on puisse causer de
tels dégâts avec un couteau lambda.
C’est alors qu’Hadès remarqua qu’une plaie sur le côté n’avait
pas cessé de saigner.
Bizarre.
— Apollon, commença-t-il. Tu es sûr qu’il ne reste rien dans ces
plaies ?
— J’ai fouillé dans chacune d’entre elles, dit Apollon.
— Alors pourquoi celle-là saigne encore ?
— Les cadavres ne saignent pas, Hadès… répondit Apollon,
s’arrêtant après avoir fait le tour du corps pour rejoindre Hadès. Je ne
crois pas que ce soit du sang, dit-il.
Il s’avança et enfonça son doigt dans la plaie.
— Tu ne veux pas des gants, ou quelque chose ? demanda
Hadès, qui grimaça en entendant le bruit de succion.
Apollon ne répondit rien, il inspectait la plaie.
— Aïe ! Putain de merde ! s’exclama-t-il en retirant soudain son
doigt.
Il secoua sa main, répandant du sang partout. Hadès se couvrit le
visage.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il.
Apollon resta silencieux et il se saisit d’une pince à épiler. Il
l’enfonça dans la plaie et, après quelques secondes, quelque chose
tinta sur la table métallique.
Apollon ramassa l’objet et frotta son pouce dessus.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.
— C’est la pointe d’une faux, répondit Hadès. La pointe de la faux
de Cronos.
Chapitre X

HADÈS

Hadès conserva la pointe de la faux de Cronos.


Il détestait la sentir contre lui, elle était lourde et chaude, comme
si le métal pouvait brûler le tissu de sa poche et marquer la peau de
son torse. Quand il rentra chez lui, il mit sa main dans sa poche, mais
le métal était redevenu froid.
Il allait en avoir besoin quand il confronterait Poséidon pour lui
demander comment elle s’était retrouvée dans le corps d’un mortel,
loin des côtes de son océan.
La lame était en partie forgée en adamantine et avait été donnée
à son père par Gaïa. Elle avait la capacité de blesser le Divin. Cronos
l’avait utilisée pour castrer son père, et le sang qui avait coulé sur
terre avait donné naissance aux Furies, les déesses de la Vengeance
et du Châtiment.
Quand Zeus avait sauvé Hadès et Poséidon des entrailles de
Cronos, ils avaient pris sa faux, l’arme qui symbolisait son pouvoir et
provoquait la peur chez les autres dieux, et ils l’avaient jetée au fond
de l’océan. Poséidon était un dieu différent, à l’époque, tout comme
Hadès et Zeus, mais il n’était jamais trop tard pour avoir des regrets,
surtout en voyant le chaos que son frère provoquait désormais avec
tant de joie.
Adonis, qui était un mortel, ne pouvait pas survivre à un seul
coup, et encore moins aux quatorze qu’il avait reçus. Le plus
inquiétant restait que quelqu’un était encore en possession du reste
de la lame. Le fait qu’elle soit cassée ne la rendait pas moins
puissante.
Et si ces agresseurs s’en prenaient à un dieu ? Même un dieu
mineur ?
Quelles choses jailliraient de son sang ?
Les mortels ne comprenaient probablement pas les
conséquences du meurtre d’un dieu – Poséidon, si.
Une violente vague de haine noua l’estomac d’Hadès. Il ne
comprenait pas à qui elle s’adressait le plus : Cronos ou Poséidon.
Quel que soit son objectif, le jeu auquel s’adonnait son frère était
dangereux. Il se tramait quelque chose sous la surface du monde. Il
existait trop d’armes capables de blesser les dieux ; d’abord
l’Ophiotauros, maintenant la faux, et c’était sans parler de la tempête
de neige de Déméter, qui n’arrangeait pas l’opinion que les mortels
avaient des dieux. Quelle serait la suite ?
Plus il en savait, plus il avait peur pour Perséphone.
Il leva la tête, s’attendant à trouver la déesse endormie, ou même
réveillée à l’attendre, mais le lit était vide. Il paniqua un instant avant
de se calmer. Il sentait sa présence aux Enfers, caressant sa peau
comme si elle était à côté de lui.
Elle n’était pas loin.
Il sortit de leur chambre et partit à sa recherche dans le château,
la trouvant bientôt dans la cuisine. Elle se tenait devant l’îlot central,
occupée à mélanger une pâte dans un saladier.
Elle n’avait pas remarqué son arrivée et il en profita pour
l’observer librement, sans le masque qu’elle pourrait mettre pour se
cacher.
Il n’aurait pas dû être surpris de la trouver ici, elle aimait faire de la
pâtisserie quand elle ne trouvait pas le sommeil. Elle fredonnait
doucement en tamisant la farine dans le saladier, s’arrêtant de temps
à autre pour boire une gorgée de whisky à la bouteille, qui était
presque vide.
Il haussa les sourcils en la voyant boire sans grimacer, se
rappelant que la dernière fois qu’elle avait goûté du whisky, elle avait
détesté cela. Il se demanda si elle était saoule.
Quand Perséphone eut fini de mélanger sa préparation, elle la
versa dans un plat, puis elle la lissa avec une spatule, qu’elle porta
ensuite à sa bouche pour la lécher.
Elle fredonna en signe d’approbation et Hadès décida qu’il était
temps de lui signifier sa présence, parce qu’il voulait lui aussi savoir
si la pâte était bonne, mais il voulait la goûter sur sa langue.
— C’est bon ?
Il apparut derrière elle, sa verge pressée contre ses fesses. Il se
pencha et elle tourna la tête vers lui.
— Divin.
Elle se retourna dans le petit espace qu’il lui laissait et prit de la
pâte sur son doigt.
— Goûte, l’implora-t-elle.
Hadès prit sa main pour lécher la préparation, puis il referma sa
bouche sur son doigt et le suça lentement en soutenant son regard
jusqu’à ce qu’il ait fini. Sa façon de le regarder lui arracha un
grognement et il plaqua son bassin contre le sien, les yeux rivés sur
sa bouche.
— Exquis, dit-il à voix basse. Mais j’ai goûté à la divinité, et il n’y a
rien de meilleur.
Il essayait de décider comment poursuivre ce qu’ils avaient
commencé chez Sybil quand elle lui tourna brusquement le dos. Elle
posa la spatule dans le saladier et prit le plat de brownies. Il recula
quand elle ouvrit le four, dont il sentit la chaleur.
— Tu étais où ? demanda-t-elle.
— J’avais du boulot, dit-il en réalisant que ce n’était pas la
meilleure réponse, surtout quand elle claqua la porte du four.
Elle se tourna vers lui, le regard noir.
— Du boulot ? À cette heure-ci ?
Ses affaires étaient toujours à cette heure-ci, c’est-à-dire à
n’importe quelle heure de la nuit.
— Je conclus des marchés avec des monstres, Perséphone, dit-il.
Et toi, apparemment, tu fais des gâteaux.
Sa réponse ne dut pas lui plaire, parce qu’elle ne vint pas à ses
côtés comme il le voulait. Il repensa à sa façon d’être dans la
limousine, désespérée et excitée. Peut-être était-ce bête d’espérer
qu’elle serait prête à rallumer ce même désir sauvage à son retour.
Ou peut-être avait-elle pris les choses en main et elle n’avait plus
besoin de lui, mais elle paraissait moins rassasiée que fatiguée.
— Tu n’arrives pas à dormir ?
— Je n’ai pas essayé, dit-elle.
Il fronça les sourcils et hocha la tête en direction de la bouteille.
— C’est mon whiskey ?
Hadès ne comprit pas pourquoi elle regardait la bouteille – elle
savait parfaitement de quoi il parlait. Mais comme elle ne retournait
pas la tête vers lui, il se dit que c’était peut-être une excuse pour ne
plus avoir à le regarder.
— Ça l’était, oui, répondit-elle.
Il fit un pas vers elle et prit sa tête pour l’embrasser. Elle avait un
goût de chocolat et de whiskey, et c’était véritablement divin. Elle
empoigna sa veste et l’attira contre elle, scellant leurs corps.
— J’ai envie de toi, grogna-t-il contre sa bouche.
Il glissa ses mains dans son dos jusqu’à ses fesses et les palpa
d’une main pendant que l’autre cherchait son sexe chaud. Elle retint
brusquement son souffle et Hadès sut qu’elle était déjà trempée.
Peut-être que son désir n’avait pas cessé depuis qu’il était parti, et
que quand il la pénétrerait, il la trouverait mouillée.
Putain.
Sa verge tressauta en y pensant et il eut l’impression d’être sur le
point d’exploser.
Il continua de l’embrasser en la touchant, et même s’il aurait aimé
la soulever sur le plan de travail pour la goûter, il avait également
conscience que tout ça avait commencé après ce fichu jeu, et il avait
besoin de clarifier certaines choses avant de continuer.
Il retira sa main d’entre ses jambes et fit rouler ses hanches
contre les siennes.
— Faisons un jeu.
— Je crois que j’ai eu ma dose de jeux pour ce soir, dit-elle.
— Juste un, insista-t-il.
Il l’embrassa sur la mâchoire et saisit la cuillère couverte de pâte
qu’elle avait utilisée.
Elle la regarda, puis leva les yeux vers lui.
— Jamais je n’ai… murmura-t-il en étalant la pâte sur sa poitrine.
— Hadès… susurra-t-elle en tremblant contre lui.
— Chhhut.
Elle ferma la bouche d’un air frustré, il effleura ses lèvres avec la
cuillère. Elle commençait à la lécher, mais il plaqua l’ustensile contre
sa bouche, comme un doigt servant à la faire taire.
— Stop. C’est pour moi, ça.
Elle soutint son regard et il devina en elle un mélange de doute et
de curiosité. Elle ouvrit la bouche et attendit.
— Jamais je n’ai désiré quelqu’un d’autre que toi, poursuivit-il.
— Jamais ? demanda-t-elle d’un ton sceptique. Même avant de
savoir que j’existais ?
— Oui.
Il avait répondu dans un sifflement. Il saisit une de ses lèvres
entre ses dents. Elle avait un goût délicieux, sucré et parfait.
Il s’appuya contre elle tandis qu’elle s’adossait au plan de travail
et il promena sa bouche sur sa mâchoire en chuchotant des vérités
sur sa peau.
— Avant toi, je ne connaissais que la solitude, même dans une
salle pleine de gens. C’était un vide aigu, froid et constant, que je
désespérais de combler.
— Et maintenant ?
Elle semblait exiger une réponse, comme si elle se fichait du
passé et que seul le présent l’intéressait.
Hadès sourit et poursuivit son exploration de son corps, se
dirigeant vers sa poitrine.
— Maintenant, c’est toi que j’ai envie de combler, dit-il en léchant
la pâte sur sa peau.
Il empoigna ses seins et titilla ses tétons à travers le tissu soyeux
de sa nuisette. Elle prit cela pour une invitation à le déshabiller, mais
il voulait garder le contrôle parce qu’il avait encore des questions.
Il posa de nouveau les mains sur ses fesses et l’installa sur le
plan de travail, écartant ses jambes pour s’y placer.
— Parle-moi de ce soir.
Ce n’était pas une question, et il se contenta de caresser ses
cuisses sous sa nuisette. Perséphone gigota sous ses mains et il
imagina que s’il n’était pas entre ses jambes, elle les resserrerait
pour les frotter et soulager sa souffrance.
— Je n’ai pas envie de parler de ce soir, gémit-elle, à bout de
souffle.
Elle saisit sa main et la rapprocha de son sexe. S’il ne pouvait lui
donner ce qu’elle désirait tout de suite, il savourerait de la taquiner
jusqu’à ce qu’elle réponde à ses questions.
Il traça un cercle autour de sa fente et de son clitoris, mais il ne le
toucha pas, même s’il le sentait durcir et enfler.
— Moi si, dit-il. Tu étais énervée.
Perséphone ne le regardait pas. Ses yeux étaient fermés et elle
fronçait les sourcils.
— Je me sens… bête.
Eh bien, c’était quelque chose, au moins, même s’il n’aimait pas
qu’elle se sente ainsi.
— Jamais, dit-il en passant un bras autour de ses épaules tout en
plongeant un doigt en elle. Parle-moi.
Elle planta ses ongles dans ses biceps.
— J’étais jalouse que tu aies eu autant d’expériences avec autant
de partenaires avant moi, et je sais que tu n’y peux rien et que tu
existes depuis longtemps… mais je…
Elle retint son souffle et referma ses cuisses sur lui, Hadès
continuait d’utiliser ses doigts et son pouce pour lui procurer du
plaisir, mais cela n’avait pas d’importance. Il n’avait pas besoin d’en
entendre plus.
Il se pencha sur elle, effleurant sa bouche.
— J’aurais aimé t’avoir dès le début, dit-il. Mais les Moires sont
cruelles.
— Je n’existe que pour te punir, dit-elle.
Ses propos lui firent l’effet d’un coup de couteau dans le ventre.
Elle faisait référence au fait que si les Moires avaient exaucé le vœu
de Déméter d’avoir un enfant, cela s’accompagnait d’une
conséquence : sa vie serait imbriquée avec celle d’Hadès, un des
dieux que Déméter détestait le plus.
Si c’était une source de doute pour Perséphone, c’en était
également une pour Hadès.
Mais il refusait de trop y réfléchir, d’envisager le fait que si leur
avenir était tissé l’un avec l’autre, il pouvait aussi être démêlé.
— Non, répondit-il. Tu es le plaisir. Mon plaisir.
Il plaqua sa bouche contre la sienne sans cesser les allers-
retours de ses doigts et de son pouce jusqu’à ce qu’elle serre tant les
jambes sur lui qu’il crut exploser. C’était là qu’il voulait l’emmener,
encore et encore, de sorte que quand elle jouirait enfin, elle ne
pourrait plus douter de son obsession pour elle.
Il retira sa main et elle poussa un cri furieux. Il aimait ça. Il aimait
voir son regard assassin. Il l’allongea sur le plan de travail.
— C’est toi, maintenant. Toi pour toujours, dit-il.
Il posa ses mains sur ses cuisses et regarda son sexe rose. Il
était enflé et mouillé, il le goûta en le léchant avant de sucer son
clitoris et de le sentir gonfler dans sa bouche.
Il adorait ça, putain. Ça le faisait saliver. Elle se pliait à sa volonté,
ondulant comme jamais, comme si elle ne l’avait jamais senti comme
ça.
Quand enfin il la pénétra, elle aspira presque ses doigts tant sa
chair était enflée.
Il ne lui faudrait pas beaucoup de temps pour la faire jouir.
Elle retint son souffle entre deux gémissements, plongeant ses
mains dans ses cheveux pour s’y agripper et le tenir en place, de
peur qu’il arrête – or justement, il s’arrêta.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle quand il la força à se
relever et à descendre du plan de travail.
Elle le fusilla du regard.
— Quand j’aurai fini, la prochaine fois que tu joueras à ce fichu
jeu, tu finiras tellement saoule que je devrai te porter jusqu’à la
maison.
— Alors, quoi ? Tu comptes me prendre de toutes les manières
que je n’ai pas connues ? Ce soir ?
Oui, pensa-t-il alors que sa verge durcissait encore. Il voulait la
sentir autour de lui, sentir toute cette chaleur enflée aspirer son
essence en elle comme si elle était morte de faim.
— Techniquement, c’est le matin, ricana-t-il.
— Je dois bientôt aller travailler.
— Dommage, dit-il en la retournant et en la penchant sur le plan
de travail jusqu’à ce que sa joue soit plaquée contre la surface en
granit.
Elle le laissait faire, plus malléable que jamais, et quand il
s’enfonça en elle, elle retint son souffle et se cambra sous lui alors
qu’il la pénétrait par de petits coups de bassin maîtrisés. Il retira sa
main de derrière sa tête pour la poser sur sa bouche et y glisser les
doigts. Elle les suça aussitôt et sa verge se contracta en elle. Il la
releva, plaquant son dos contre son torse en roulant des hanches
dans un frottement délicieux.
— Je n’ai pas oublié ce que tu as prétendu tout à l’heure,
chuchota-t-il dans son oreille.
— J’ai menti, dit-elle, si bas qu’il l’entendit à peine.
— Je sais, et je compte te dissuader de proférer à nouveau de
tels mensonges.
Il posa ses lèvres sur sa peau, suçant tous les endroits qui lui
étaient accessibles.
— Je vais te prendre jusqu’à ce que tu sois désespérée de jouir,
encore et encore, pour que quand tu jouiras enfin, tu ne te rappelles
même plus ton prénom.
— Tu crois que tu vas pouvoir t’arrêter ? siffla-t-elle. Te priver de la
satisfaction de me faire jouir ?
Il sourit contre sa peau.
— Si ça implique de t’entendre me supplier, chérie, alors oui.
Il rapprocha sa tête et leurs bouches se percutèrent. Il avait
l’impression d’avoir perdu le contrôle, mais il refusait de le reprendre.
Son unique envie était de se perdre en elle.
Il se retira et la retourna face à lui avant de prendre sa jambe
sous son bras et de la pénétrer en l’embrassant de nouveau. Il se
fichait de la position dans laquelle il la prenait, du moment qu’il était
en elle, du moment qu’elle était délirante de plaisir. Et lorsque son
corps se mit à frémir, il la souleva et la plaqua contre le mur pour s’y
appuyer tout en continuant l’exploration affamée de son corps.
— Je t’aime. Je n’ai jamais aimé que toi.
La véracité de ces propos lui comprima le torse.
— Je sais, chuchota-t-elle.
— C’est vrai ?
Il n’était pas certain qu’elle comprendrait un jour la profondeur
des sentiments qu’il avait pour elle ni sa reconnaissance pour chaque
moment qu’il partageait avec elle.
En même temps, il ne pouvait pas prétendre la comprendre, non
plus. Il avait beau avoir espéré et prié de connaître un répit dans ce
monde, un unique point de lumière dans sa vie, Perséphone avait eu
le même souhait.
— Je le sais, insista-t-elle. Je t’aime. C’est juste que je veux tout.
Je veux plus. Je te veux tout entier.
— Tu l’as, dit-il, encouragé par sa déclaration.
Il s’empressa de l’embrasser et il la serra contre lui, pour
continuer de la marteler, enfin prêt à la faire jouir et à jouir à son tour.
Toutefois, la sensation particulière de la magie d’Hermès entrant aux
Enfers le fit s’arrêter.
— Putain ! aboya-t-il, crachant tout son venin.
C’était la deuxième fois que le dieu les interrompait, et il le lui
ferait payer. Il se retira du corps frémissant de Perséphone et souffrit
encore plus d’entendre son cri furieux. Elle devait penser qu’il
cherchait à la torturer davantage avant de la faire jouir, mais elle
comprendrait vite.
Il parvint tout juste à baisser la nuisette de Perséphone et à se
rhabiller quand Hermès apparut. S’il s’attendait à un commentaire sur
l’odeur de sexe et de brownies dans la pièce, ou à un reproche sur le
fait qu’ils baisaient dans la cuisine où les repas étaient préparés, il
découvrit un Hermès complètement… anéanti.
Merde. Une chose horrible s’était produite.
— Hadès, Perséphone. Aphrodite requiert votre présence. Tout
de suite.
Cela ne gênait pas Hadès d’y aller, mais… Perséphone.
— À cette heure-ci ?
— Hadès, insista Hermès d’un ton désespéré, de plus en plus
pâle. C’est… grave.
Le cœur d’Hadès cessa de battre un instant. Qui était-ce, cette
fois ? Héphaïstos ?
— Où ?
— Chez elle.
Chapitre XI

HADÈS

Hadès emmena Perséphone chez Aphrodite, sur l’île de Lemnos.


Il n’était jamais certain de l’endroit où il arriverait en se téléportant.
Les lieux avaient changé au fil du temps, en fonction de l’endroit dont
Héphaïstos et elle décidaient d’accorder l’accès.
Aujourd’hui, ce fut dans le bureau du dieu du Feu, ce qui surprit
Hadès car Héphaïstos ne lui accordait même pas l’accès à son
atelier. Mais Hadès en comprit la raison dès qu’ils se manifestèrent.
Aphrodite était assise sur une méridienne placée au centre de la
pièce, penchée sur une femme qui était étendue dans une position
impossible. Hadès reconnut Harmonie, mais il lui fallut un moment,
car elle était méchamment amochée.
Elle était la déesse de l’Harmonie et la sœur d’Aphrodite.
C’était précisément ce qu’il redoutait.
Chaque centimètre de sa peau était couvert de terre, de sang ou
de bleus, et deux os aplatis sortaient du sommet de son crâne.
C’étaient ses cornes, et on les lui avait coupées.
— Oh mes dieux, dit Perséphone d’une voix tremblante, quittant
Hadès pour rejoindre Aphrodite.
Il serra les poings pour s’empêcher de la ramener à lui,
s’empêcher de la protéger de ça. D’une certaine façon, elle avait
besoin de connaître la réalité du monde et la menace qui planait sur
eux autant que sur les mortels.
Néanmoins, la situation était inquiétante. C’était la deuxième
attaque, et cette fois sur une déesse ; et les deux victimes avaient un
lien avec Aphrodite.
Hadès leva la tête vers le coin sombre de la pièce où se trouvait
Héphaïstos. Hadès n’en fut pas surpris. Il n’était jamais loin quand
Aphrodite avait des soucis, telle une ombre qui ne la quittait jamais,
même si elle ne le voyait pas.
— Que s’est-il passé ? demanda Hadès.
Les yeux d’Héphaïstos brillaient dans la nuit, signe de la colère
qu’Hadès sentait tourbillonner en lui.
— Nous n’en sommes pas sûrs, répondit-il. Nous pensons qu’elle
promenait Opale, sa chienne, quand elle a été attaquée. Elle a eu
tout juste assez de force pour se téléporter ici. Elle n’était pas
consciente en arrivant et nous n’avons pas réussi à la réveiller.
Cela ressemblait à ce qui était arrivé à Adonis. Tous deux étaient
seuls quand ils avaient été agressés la nuit.
— Qui que soit le coupable, il va souffrir, dit Hermès d’un ton
rempli de colère.
Il y avait deux aspects problématiques avec cette nouvelle
attaque : non seulement Harmonie était une déesse, quelqu’un de
sang divin, mais elle était gentille.
Perséphone quitta Hermès des yeux pour s’adresser à Hadès.
— Qui est-ce ?
— C’est ma sœur, dit Aphrodite d’une voix chargée d’émotion.
Elle renifla et inspira avant de chuchoter son prénom.
— Harmonie.
— Tu peux la guérir ? demanda Perséphone en se tournant vers
Hadès.
Sa question lui brisa le cœur. Elle le lui demandait parce qu’il la
guérissait souvent, mais, cette fois, c’était au-delà de ses capacités.
Les blessures d’Harmonie étaient trop graves et nombreuses.
— Non, dit-il en ayant l’impression de la décevoir.
Malgré tous ses pouvoirs, il n’était pas tout-puissant.
— Pour ça, il va nous falloir Apollon.
— Je ne pensais jamais t’entendre dire ça, dit Apollon en
apparaissant, répondant à l’invocation d’Hadès.
Le dieu de la Musique s’était changé. Il était désormais revêtu
d’une armure, comme s’il s’apprêtait à s’entraîner, ce qui n’était pas
impossible étant donné que les Jeux Panhelléniques approchaient et
qu’Apollon supervisait les entraînements à la Palestre de Delphes.
Sa mine arrogante disparut dès qu’il vit Harmonie.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-il en s’agenouillant près
du canapé, entre Aphrodite et Perséphone.
— On ne sait pas, dit Hermès.
— C’est pour ça que nous t’avons invoqué, ajouta Hadès.
Perséphone fronça les sourcils.
— Je… je ne comprends pas, dit Perséphone. Comment Apollon
pourrait-il savoir ce qui est arrivé à Harmonie ?
Sa question montrait combien elle était ignorante des dieux et de
leurs pouvoirs. Ce n’était pas surprenant, mais cela inquiétait Hadès.
Il avait eu des siècles pour étudier leurs nombreux pouvoirs et
apprendre à les anticiper en cas de combat. Pas Perséphone.
Comme de nombreux mortels, elle supposait que leurs titres étaient
une indication de leurs capacités.
— Quand je guéris, je peux visualiser les souvenirs. Je devrais
pouvoir m’immiscer dans ses blessures pour savoir qui les lui a
infligées et comment.
En dépit de l’arrogance avec laquelle il parlait, la capacité à voir
les souvenirs pouvait s’avérer dangereuse. Il y avait toujours le
risque qu’il ne puisse faire la différence entre ce qu’il voyait et sa
propre réalité, et s’il pensait être attaqué, il pouvait subir les mêmes
conséquences qu’Harmonie.
— Douce Harmonie, qui t’a fait ça ?
Apollon se mit à luire, tout comme Harmonie, puis à trembler et à
convulser en découvrant les souvenirs de la déesse.
Perséphone ne put le supporter, elle se précipita sur lui pour le
faire reculer.
— Apollon, arrête !
Il tomba en arrière, se rattrapant tout juste avant d’atterrir sur le
sol.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-elle.
Il porta sa main sous son nez ensanglanté, mais il la regarda en
souriant.
— Oh, Seph, tu tiens à moi, dit-il.
Hadès avait beau ne pas apprécier qu’Apollon attribue un surnom
à sa maîtresse, il aima le voir essayer de la réconforter.
Perséphone était beaucoup trop attentionnée.
— Pourquoi ne se réveille-t-elle pas ? demanda Aphrodite d’une
voix aiguë et désespérée, transmettant sa peur à tous ceux qui
étaient présents.
Personne ne voulait qu’Harmonie meure.
— Je ne sais pas, admit Apollon. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour la
guérir. Le reste… est entre ses mains.
Une fois de plus, Hadès sentit Perséphone se tourner vers lui.
Combien de fois chercherait-elle une réponse en lui ? Combien de
fois la décevrait-il ?
— Hadès ? dit-elle.
Elle n’avait pas besoin d’en dire plus, elle voulait savoir si
Harmonie allait survivre.
— Je ne vois pas la fin de sa ligne de vie, dit-il. Apollon, la
question la plus importante est de savoir ce que tu as vu en la
guérissant.
Il était frustré que le dieu ne leur ait encore rien dit des souvenirs
d’Harmonie, même s’il savait que sa colère était déplacée. Le dieu se
remettait encore de ce qu’il avait vu.
— Rien, admit Apollon en se massant les tempes. Rien qui
pourrait nous aider, en tout cas, ajouta-t-il d’une voix désolée.
— Alors, tu n’as pas pu voir ses souvenirs ? demanda Hermès.
— Pas vraiment. Ils étaient sombres et flous. Je pense que c’est
une réaction au traumatisme. Elle essaie sans doute de les réprimer,
ce qui signifie qu’on n’aura peut-être pas plus d’informations quand
elle se réveillera. Il y avait plusieurs agresseurs et ils avaient des
masques blancs avec de grandes bouches ouvertes.
— Mais comment ont-ils pu lui faire du mal ? demanda Aphrodite.
C’est la déesse de l’Harmonie. Elle aurait dû pouvoir influencer ces…
monstres pour les calmer.
— Ils ont dû trouver un moyen d’annihiler son pouvoir, dit Hermès.
Hadès essaya de ravaler le nœud dans sa gorge, les dieux
échangèrent des regards inquiets.
— Mais comment ? demanda Perséphone.
— Tout est possible, répondit Apollon. Les reliques causent
souvent des problèmes.
Hadès les connaissait trop bien.
— Hadès ?
Encore une fois, Perséphone se tournait vers lui.
— Ce pourrait être une relique ou bien un dieu qui a soif de
pouvoir.
Il se garda de dire que ce pourrait être les deux. Il pensa à
Poséidon, qui avait donné le fuseau au mortel Sisyphe. Celui-ci aurait
pu s’en servir pour manipuler les lignes de vie des mortels, mais au
lieu de ça, il avait choisi de les tuer.
Et maintenant, Poséidon semblait avoir donné la faux de Cronos.
— Tu as une idée, Héphaïstos ? demanda Hadès.
Il eut beau secouer la tête, il sembla à Hadès que le dieu savait
quelque chose.
— J’aurais besoin d’en savoir plus, dit-il.
— Laissons-la se reposer. À son réveil, donnez-lui de l’ambroisie
et du miel, dit Apollon en se levant.
Perséphone se leva en même temps et saisit son bras quand il
trébucha.
— Tu es sûr que ça va ? demanda-t-elle.
Son inquiétude pour le dieu de la Musique était déplacée, et le
dieu le prouva en prenant la parole.
— Ouais, ricana-t-il. Reste à l’affût, Seph. Je t’invoquerai bientôt,
dit-il avant de disparaître.
Hadès fixa l’endroit où Apollon s’était tenu et fronça les sourcils.
Le contrat qu’il avait avec Perséphone continuait de le déranger, il
n’aimait pas qu’Apollon puisse invoquer sa fiancée quand l’envie le
prenait, et surtout dans cet environnement, alors que des déesses
étaient agressées.
Il croisa brièvement le regard de Perséphone avant de se tourner
vers Aphrodite.
— Pourquoi nous as-tu invoqués ?
C’était sans doute évident pour Perséphone, mais ce n’était pas
le cas d’Hadès. Aphrodite savait qu’il ne pouvait pas guérir sa sœur
ni voir ses souvenirs.
Aphrodite se tint plus droite en le regardant. Ses yeux étaient
rouges et gonflés. Il ne l’avait jamais vue aussi angoissée et cela le
mit mal à l’aise.
— C’est Perséphone que j’ai invoquée, pas toi, rétorqua-t-elle.
Ils fusillèrent tous deux Hermès du regard.
— Quoi ? s’offusqua le dieu. Tu sais bien qu’Hadès ne l’aurait pas
laissée venir seule !
— Moi ? demanda Perséphone. Pourquoi ?
Bonne question, se dit Hadès.
— J’aimerais que tu enquêtes sur les agressions d’Adonis et
d’Harmonie, dit-elle.
— Non ! gronda aussitôt Hadès.
C’était hors de question. Perséphone n’avait pas à être impliquée.
Il s’en occupait très bien tout seul.
— Tu demandes à ma fiancée de retrouver la trace des mortels
qui ont blessé ta sœur. Pourquoi je dirais oui ?
— C’est à moi qu’elle le demande, pas à toi, remarqua
Perséphone en le regardant, tout énervée.
Elle marqua une pause avant de s’adresser de nouveau à
Aphrodite.
— Mais pourquoi moi ? demanda Perséphone. Pourquoi ne pas
demander de l’aide à Hélios ?
Hadès secouait déjà la tête.
— Hélios est un enfoiré, cracha Aphrodite. Il pense qu’il ne nous
doit rien parce qu’il s’est battu pour nous pendant la Titanomachie. Je
préfère baiser ses vaches plutôt que lui demander de l’aide. Non, il
ne me donnerait pas ce que je veux.
— Et qu’est-ce que tu veux ? demanda Perséphone.
— Des noms, Perséphone. Je veux le nom de chaque personne
qui a posé la main sur ma sœur.
Et pas Adonis ? Hadès regarda Héphaïstos du coin de l’œil en se
demandant si elle se censurait à cause de lui.
— Je ne peux pas te promettre des noms, Aphrodite. Tu sais bien
que non.
— Tu le peux, insista-t-elle. Mais tu ne le feras pas à cause de lui,
ajouta-t-elle en regardant Hadès.
Hadès contracta sa mâchoire.
— Tu n’es pas la déesse de la Vengeance Divine, Aphrodite.
— Alors, promets-moi que tu enverras Némésis pour me venger.
— Je ne promettrai rien de la sorte.
Si Aphrodite décidait de tuer quelqu’un dont le destin ne la
regardait pas, elle serait punie. Il ne savait dire comment, mais les
Moires s’occuperaient d’elle tôt ou tard.
— Ceux qui ont blessé le mortel et Harmonie ont un plan, un but,
dit Héphaïstos. Faire souffrir ceux qui les ont agressés ne nous
obtiendra rien. Au contraire, cela pourrait servir leur cause sans qu’on
le veuille.
La remarque ne plut pas à Aphrodite. Cela dit, la suite de ses
propositions ne plut pas non plus à Hadès.
— Si c’est le cas, raison de plus pour que Perséphone enquête
sur l’agression d’Harmonie, poursuivit le dieu du Feu. Elle a le profil
parfait : elle est journaliste et mortelle. Étant donné la façon dont elle
a déjà critiqué les dieux, les agresseurs penseront sans doute qu’ils
peuvent lui faire confiance, voire la rallier à leur cause. Quoi qu’il en
soit, ce serait le meilleur moyen de comprendre notre ennemi,
d’établir un plan et d’agir.
— Je ne ferai rien sans que tu sois au courant, dit Perséphone en
soutenant le regard d’Hadès. Zofie sera avec moi.
— On discutera des détails plus tard.
Il n’avait pas dit non, mais il n’avait pas dit oui non plus. Il fut tout
de même récompensé par son sourire, et il eut l’impression d’avoir
conquis le monde entier.
— Mais, pour l’instant, tu dois te reposer, ajouta-t-il avant de
regarder Héphaïstos, car il ne faisait confiance ni à Aphrodite ni à
Hermès.
— Appelle-nous dès qu’Harmonie se réveille.

*
* *
Hadès les emmena dans leur chambre.
Quand ils furent arrivés, ils restèrent à quelques pas l’un de
l’autre, face à face, sans bouger.
Hadès essayait de comprendre ce qu’entraînerait l’implication de
Perséphone dans l’enquête sur les agresseurs d’Adonis et
d’Harmonie. Si elle pouvait le faire en sécurité depuis la Tour
Alexandria, son travail d’investigation serait utile, mais était-elle prête
à le faire ? Il lui semblait qu’elle était sur le point de craquer, et il
n’était pas certain qu’elle en soit consciente.
— Tu me tiendras au courant de chacune de tes initiatives et de
chaque information que tu obtiendras sur cette histoire, dit-il. Tu te
téléporteras au travail. Si tu pars du boulot pour une raison
quelconque, tu me le diras. Tu emmèneras Zofie partout avec toi,
gronda-t-il en se rapprochant d’elle. Et, Perséphone, si je dis non…
Il était on ne peut plus sérieux. Il n’osait verbaliser les
conséquences qu’il mettrait en place si elle lui désobéissait, mais
elles seraient terribles, et elle le détesterait.
— D’accord, dit-elle avec un regard et une voix si sincères qu’il
sentit sa poitrine se comprimer.
Il soupira longuement et pressa leurs fronts l’un contre l’autre.
— S’il t’arrivait quoi que ce soit…
Il ne pouvait imaginer qu’elle soit à la place d’Harmonie.
— Hadès… je suis ici. Je suis en sécurité. Tu ne laisseras rien
m’arriver.
— Mais je l’ai déjà fait, répondit-il.
Il avait laissé Pirithoos l’enlever, et il n’en avait rien su. Il l’avait
laissé agresser sa déesse.
À quoi ça sert d’être le dieu des Morts si tu ne peux rien faire ? lui
avait-elle demandé un jour quand Lexa était sur le point de mourir.
Aujourd’hui, il se posait cette même question. À quoi servaient ses
pouvoirs s’il ne pouvait même pas protéger Perséphone ?
— Hadès…
— Je ne veux pas en parler, dit-il en reculant. Tu as besoin de
repos.
Il mettait rarement de distance entre eux, mais là, il en avait
besoin. Il n’aima pas voir que cela choquait Perséphone. Elle l’étudia
un instant, comme si elle s’attendait à ce qu’il la rappelle à lui, mais
Hadès tourna les talons et se servit un verre. Elle s’éloigna aussi
pour aller se doucher.
Elle devait croire qu’il la rejetait, mais si elle savait ce qu’il pensait,
elle n’aurait pas envie de lui non plus.
Car il pensait qu’il ne la laisserait jamais quitter les Enfers. Il avait
déjà menacé de le faire par le passé, mais ces dernières agressions
étaient trop proches et Perséphone avait déjà été prise pour cible.
Ilias cherchait encore la femme qui lui avait renversé le café dessus.
Cela le rendait furieux de savoir que son royaume ne lui suffisait
pas. Il ne pourrait jamais reproduire le soleil chaud ni le ciel bleu du
royaume des mortels, et Perséphone ne se contenterait jamais de
régner seulement sur les morts.
Elle s’épanouissait grâce à un objectif : changer le monde.
Elle avait déjà changé son monde, et s’il se sentait parfois
meilleur grâce à elle, il lui arrivait également de se sentir plus violent
que jamais, capable de choses plus terribles encore.
Il n’aurait pas dû vouloir la retenir en otage, mais il était en colère.
Aphrodite l’avait fait entrer dans ce monde et l’exposait à tout ce
contre quoi il avait tant essayé de la protéger, et bien sûr, elle était
ravie d’aider. Perséphone se sentait responsable de tout le monde.
C’était une qualité qu’il admirait, normalement, mais pas dans ce
cas, car les victimes étaient des dieux.
— Tu viens te coucher ?
Sa voix douce et hésitante le tira de ses pensées.
Il n’aimait pas l’entendre ainsi.
Il se tourna vers elle et découvrit qu’elle avait mis un tee-shirt trop
large dont le tissu était collé à tous les endroits de son corps qui
étaient encore humides. Ses cheveux étaient lourds et mouillés, et
elle avait pleuré. Ses joues étaient trop roses et ses yeux un peu trop
rouges.
Hadès referma la bouche et posa son verre sur la table avant de
traverser la pièce jusqu’à elle. Il prit son visage dans ses mains et
caressa ses joues avec ses pouces.
Sa poitrine se comprima.
— Je te rejoins vite, chuchota-t-il, espérant que cela soulagerait
son angoisse.
Hadès avait surtout besoin de se débarrasser de sa frustration,
car il savait que cela ne ferait qu’empirer avant de s’améliorer, et il ne
souhaitait pas qu’elle soit la récipiendaire de son agressivité.
Elle se mit sur la pointe des pieds pour l’embrasser, mais il évita
sa bouche, déposant un baiser sur son front. Ce n’était pas le baiser
qu’elle espérait ni celui qu’Hadès aurait voulu lui donner, mais c’était
tout ce dont il était capable pour le moment. Il savait que s’il l’avait
laissée faire, elle l’aurait attiré contre elle pour le garder, mais il lui
aurait sauté dessus, et cela aurait été brutal et sans merci.
Il n’était pas certain qu’elle puisse encaisser.
Cependant, quand elle reposa les pieds à plat sur le sol, il se
demanda si elle pouvait supporter qu’il la rejette ainsi.
Elle déglutit et quand elle lui tourna le dos, il eut l’impression
qu’elle lui avait arraché le cœur et qu’elle l’emportait au lit avec elle.
Chapitre XII

HADÈS

Hadès retourna sur l’île de Lemnos, à la forge d’Héphaïstos qui


se trouvait sur une presqu’île volcanique. Quand il entra, quelque
chose craqua sous ses pieds. Il s’arrêta et baissa les yeux,
découvrant des bouts de pièces et de fils métalliques.
Des abeilles mécaniques.
Héphaïstos avait commencé à les fabriquer en réponse à
Déméter, dont l’humeur imprévisible avait souvent un impact sur la
terre – et étant donné la situation météorologique, il n’avait pas eu
tort. C’était sa manière d’entrer en guerre contre la magie ancienne,
et d’après Aphrodite, il y travaillait depuis longtemps, alors pourquoi
étaient-elles désormais en miettes ?
Hadès avança en regardant où il mettait les pieds. Il y avait autre
chose que des abeilles cassées sur le sol, des fragments de
boucliers en bois et des lances brisées, des bouts d’armures
déchiquetées comme si elles avaient été faites de papier, et une
panoplie de pièces de corps animatroniques appartenant à des
créations humaines et animales.
Hadès contourna l’angle de la pièce et trouva un bazar encore
plus grand. Presque tout ce que contenait l’atelier du dieu du Feu
était détruit. Même le bureau auquel il travaillait était fendu en son
milieu, et au centre de tout ça était assis Héphaïstos.
Hadès ne dit rien en avançant vers le dieu, qui ne sembla pas
remarquer sa présence. Tout comme son atelier, il faisait peur à voir.
Ses cheveux étaient détachés, et ses mains posées sur ses cuisses
étaient ensanglantées.
Il n’avait même pas cherché à se guérir.
— Est-ce que ça va ? demanda Hadès.
Héphaïstos ne répondit pas et ne le regarda pas. Certes, c’était
une question stupide, car la réponse était évidente. Mais il avait
trouvé nécessaire de la poser.
Hadès balaya de nouveau la pièce des yeux et vit un petit
tabouret retourné dans un coin. Il le saisit et s’assit devant
Héphaïstos.
C’était particulièrement inconfortable, mais c’était le seul moyen
d’obtenir l’attention du dieu du Feu.
— Dis-moi ce qui s’est passé.
— Il n’y a rien à raconter, répondit Héphaïstos.
— Ça m’a tout l’air du contraire.
Un long silence suivit. Hadès n’invita pas le dieu à répondre, mais
il ne partit pas non plus. Au bout d’un moment, le dieu parla.
— On s’est disputés, dit-il.
— Est-ce qu’Aphrodite va bien ? s’inquiéta Hadès.
— Oui, elle va très bien. Du moins, physiquement, ajouta-t-il. Je
ne l’ai même pas touchée. Je ne l’ai jamais… touchée.
Héphaïstos prit une grande inspiration et se passa les mains dans
les cheveux.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? insista Hadès.
— Elle… m’a accusé d’être la raison pour laquelle Harmonie a été
blessée, dit-il. Elle a dit que ce qui avait été utilisé contre sa sœur
devait être l’une de mes créations.
Tant de reliques avaient été volées et passées sur le marché noir
que ce n’était pas impossible, mais ce n’était pas pour autant la faute
d’Héphaïstos.
Après quelques secondes de silence, le dieu reprit :
— Je suis parti après qu’elle m’a dit combien je la rendais
malheureuse, et je suis venu ici. Tu peux deviner la suite.
Si Hadès avait toujours su que quelque chose bouillonnait sous la
façade calme et tranquille d’Héphaïstos, il devait admettre que c’était
autre chose de le voir de ses propres yeux. Il comprenait que le dieu
ait honte. D’ailleurs, il semblait encore plus anéanti de ne pas avoir
pu contrôler sa colère.
— Héphaïstos, tu ne crois pas vraiment que…
— Je crois ce qu’elle dit, Hadès, s’empressa de répondre le dieu.
Je n’ai rien d’autre.
Hadès ne savait pas quoi dire.
Les deux dieux s’aimaient presque depuis le début de leurs vies
immortelles, mais ils n’avaient jamais appris à parler le même
langage.
— Elle aurait dû me quitter depuis longtemps.
— Tu ne connais donc pas la femme que tu as épousée ?
demanda Hadès. Si elle voulait partir, elle l’aurait fait.
— Dans ce cas, sa seule source de plaisir doit être ma peine, dit
Héphaïstos.
C’était la deuxième fois de la soirée qu’Hadès ne savait quoi
répondre, et le plus difficile était qu’il ne pouvait contredire le dieu du
Feu. Il semblait en effet qu’Aphrodite aimait la tristesse, mais pas
pour la raison qu’imaginait Héphaïstos. C’était plutôt qu’elle
choisissait de se languir de lui – de l’aimer de loin.
Hadès n’ignorait pas l’ironie du sort pour la déesse de l’Amour.
— Est-elle au courant de ta colère ? demanda Hadès.
— Non. Non, elle ne peut pas le savoir. Et si… et si…
Il semblait incapable de terminer sa phrase.
— Tu crois que tu lui ferais du mal ?
— Je ne suis pas bon, Hadès, dit Héphaïstos. Je ne l’ai jamais
été.
Hadès ne savait pas à quoi le dieu faisait référence, mais quel
que fût le souvenir, il continuait de le hanter.
— Peut-être pas, dit Hadès, mais je ne le suis pas non plus. Et ce
soir, une autre personne chère à Aphrodite a été attaquée. La
première est morte.
— Si tu crois que je ne suis pas au courant… dit Héphaïstos en
serrant ses poings ensanglantés.
Il les serrait si fort que ses phalanges étaient blanches, mais
Hadès ne savait pas d’où venait sa colère ; du fait que la première
victime soit Adonis, l’amant favori d’Aphrodite, ou du fait qu’elle
semble être la cible.
— Adonis a été poignardé avec la faux de Cronos, dit Hadès en
sortant la pointe qu’il gardait dans la poche de sa veste.
Il la tendit au dieu du Feu qui la caressa avec son pouce. Elle
n’était pas lisse, la surface était finement gravée.
— D’abord ça, et maintenant les cornes d’Harmonie, dit Hadès.
Ces gens ont des armes capables de blesser les dieux, Héphaïstos.
Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils trouvent quelque
chose vraiment capable de nous tuer… et étant donné le schéma qui
se dessine, qui sera la première victime, d’après toi ?
Héphaïstos plongea son regard furieux dans celui d’Hadès.
— Tu n’as pas besoin de me rappeler la menace qui plane sur ma
femme pour me convaincre de t’aider, Hadès, dit Héphaïstos en
étudiant de nouveau la pointe en adamantine. Qui sont ces gens dont
tu parles ?
— Je soupçonne les Impies, répondit Hadès. Mais en vérité, je
n’en sais rien. Peut-être que quand Harmonie se réveillera, elle
pourra nous éclairer. Je suis sûr que maintenant qu’ils ont ses
cornes, ils se vanteront de leur victoire en public.
Lorsque les mortels favoris mouraient, les médias s’emparaient
souvent du sujet et de nombreux Impies étaient prêts à revendiquer
ces meurtres. C’était pour eux un moyen de prouver que les dieux
n’étaient pas aussi puissants qu’ils le prétendaient, ou à tout le moins
qu’ils se fichaient de leurs fidèles mortels.
Pourtant s’emparer des cornes d’Harmonie, la sœur d’une
Olympienne, était tout à fait différent. Cela prouvait qu’un mortel
lambda pouvait s’approcher au plus près d’un dieu relativement
puissant.
Cela prouvait que les dieux avaient des faiblesses.
— Et d’où elle vient ? demanda Héphaïstos en tenant la pointe de
la lame entre ses doigts.
— Je soupçonne Poséidon, dit Hadès, relativement sûr de lui. Il y
a un autre problème qui rend la menace qui pèse sur nous encore
plus compliquée, ajouta-t-il. L’Ophiotauros a été ressuscité.
Une fois de plus, Héphaïstos regarda le dieu des Morts dans les
yeux et referma le poing sur la lame. Il n’était pas encore né durant la
Titanomachie, mais il était parfaitement au courant de ce que cela
impliquait.
— Tu l’as trouvé ? demanda-t-il.
— Non.
— Quand ce sera le cas, laisse-moi le tuer, dit-il.
Hadès ne put s’empêcher de frissonner et il s’en voulut aussitôt.
— Si je le tue, expliqua Héphaïstos, je pourrai fabriquer une arme
avec ses cendres.
Hadès le dévisagea. Il lui semblait commettre un acte de traîtrise
en ayant cette conversation ; non pas vis-à-vis de Zeus mais d’eux-
mêmes. Il savait déjà que le dieu du feu menait des expériences. Il
l’avait surpris en train de fabriquer un trident en adamantine, une
tentative de recréer l’arme la plus puissante de Poséidon.
— C’est trop dangereux, Héphaïstos, dit-il.
— Pas plus que ton casque, répondit Héphaïstos, ou le trident de
Poséidon ou encore la foudre de Zeus.
— Sauf que ces armes n’ont pas pour prophétie de tuer les dieux,
rétorqua Hadès.
— Je ne vais pas insister, dit le dieu du Feu. Mais l’offre reste
valable, si besoin.
Héphaïstos tendit la main pour lui rendre la pointe de la faux, et
Hadès l’étudia. Même si ce n’était qu’un petit bout de la lame, elle
était tout aussi mortelle et contenait encore la magie de son père.
Il leva les yeux vers Héphaïstos.
— Est-ce que tu peux fabriquer une lame avec ce morceau ?
demanda-t-il.
— Je le peux. Si tu le souhaites.
Après tout, Héphaïstos avait déjà commencé à forger des armes.
La faux était puissante, et elle pouvait blesser sévèrement un dieu ;
suffisamment pour l’enfermer au Tartare si nécessaire.
— Je le souhaite, dit Hadès.
*
* *
Hadès pensait qu’après avoir rendu visite à Héphaïstos, il
reprendrait un peu le contrôle sur la violence qui faisait rage en lui,
mais ce n’était pas le cas. Elle continuait de bouillir dans ses veines,
menaçant d’exploser.
Il avait l’impression de partager les sentiments d’Héphaïstos, ce
soir, et de se sentir totalement inutile.
Il ne savait comment continuer, comment enfouir sa rage, mais
Perséphone ne pouvait pas la voir. Il ne supporterait pas qu’elle soit
témoin de cette horreur.
Il fit donc la seule chose qu’il savait faire ; il partit à la recherche
d’Hécate. Quand il apparut dans sa clairière, il devina qu’elle n’était
pas chez elle. Son chalet était plongé dans le noir, et tout était trop
calme. En temps normal, il aurait cherché à sentir si elle était encore
aux Enfers, puisqu’elle partait souvent au royaume des mortels pour
faire ce qui lui plaisait dans la nuit, mais c’était sans importance,
finalement.
Être ici l’éloignait du palais.
Il fit les cent pas devant son chalet, essayant de se débarrasser
de l’énergie électrique qui parcourait ses veines, cherchant à évaluer
les options qui se présentaient à lui.
Devait-il aller au Tartare et déverser sa rage sur Pirithoos, qui
était en partie responsable de la situation ? En général, cela lui
semblait être la bonne marche à suivre, mais pour une raison ou une
autre, ce n’était pas le cas ce soir.
Cette colère était différente. Elle n’était pas destructrice. Elle était
terrifiante.
Ce qui l’inquiétait le plus, c’était que d’habitude il savait quoi faire
de ce sentiment. Pas cette fois. Cette fois était différente, et il avait
besoin d’Hécate.
— Laisse-moi attraper mon calendrier, dit-elle. Je dois y noter
l’événement !
Hadès se retourna, elle sortait de la pénombre entourant la
clairière. Elle était vêtue d’une cape dont elle retira la capuche, mais il
ne voyait toujours pas son visage dans la nuit noire.
— Hécate, j’ai…
— Besoin de moi ? dit-elle en souriant et en haussant les sourcils.
Hadès ouvrit la bouche, mais il ne sut quoi répondre.
— Je suppose que tu n’as pas besoin de le verbaliser, j’ai déjà lu
dans tes pensées.
Hadès referma brusquement la bouche et resta silencieux
quelques instants.
— Je ne sais pas à qui d’autre m’adresser.
— Eh bien, il est vrai que je suis d’une sagesse infinie, dit-elle.
Qu’est-ce qui te perturbe ?
— Je croyais que tu lisais dans mes pensées ?
— Ne sois pas insolent, gronda-t-elle.
Hadès plissa les yeux. Il savait qu’elle avait parfaitement
conscience de ce qu’il ressentait. Elle souhaitait l’entendre le lui dire,
et s’il ne le faisait pas, ce serait la fin de cette conversation. Il finit par
soupirer et se frotter le visage.
— Je suis en colère, dit-il.
— Ce n’est pas nouveau.
— Cette fois, c’est différent, dit-il avant de marquer une pause,
cherchant les mots pour qu’elle comprenne. Je… je n’arrive pas à…
m’en débarrasser, et rien de ce que je fais d’habitude ne fonctionne.
— Qu’est-ce qui a provoqué cette colère ?
Il lui expliqua ce qui s’était passé ce soir. L’attaque violente sur
Harmonie et le lien qu’il soupçonnait avec Adonis, le fait qu’il craignait
que cela encourage d’autres Impies à attaquer les dieux en public,
comme ce qui était arrivé à Perséphone pendant qu’elle travaillait au
Coffee House.
— Peut-être que c’est moins de la colère que de la peur, dit-elle.
Ce n’est pas inhabituel de ne pas voir la différence.
La peur semblait… ridicule. C’était beaucoup plus simple d’être
en colère.
— C’est plus simple parce que c’est un sentiment familier, dit
Hécate, répondant encore une fois à ses pensées.
Hadès serra les poings.
— Si j’ai peur, cela veut dire que je… je suis… inutile.
Il lui fallut un moment pour croiser le regard d’Hécate après cet
aveu.
Il n’aimait pas ça… quoi que ça puisse être.
— Ça s’appelle simplement être vulnérable, dit-elle. Et bien
évidemment que tu détestes ça. Tu n’aimes pas ne pas avoir le
contrôle, or c’est souvent le cas, surtout en ce qui concerne
Perséphone.
— Tu ne m’aides pas vraiment, dit Hadès.
— Laisse-moi un peu de temps, on ne fait que commencer.
Hadès grogna. Que pouvait-elle encore avoir à dire ?
— Je… je ne sais pas quoi faire, dit-il.
S’il le pouvait, il emprisonnerait Perséphone aux Enfers et
affronterait sa colère, si cela permettait de la protéger. Tant de
choses œuvraient contre eux dans le royaume des mortels. Si elle n’y
allait jamais, au moins, elle serait en sécurité.
— Et elle en viendrait à te détester, tout comme elle déteste sa
mère, dit Hécate.
— Je sais, admit-il. Je ne veux pas la retenir prisonnière, mais
c’est la seule chose qui me permet de me sentir… en paix.
Cependant, ce n’était pas tout à fait vrai. Si cela permettait de
supprimer un sentiment, cela donnait naissance à d’autres, en
particulier l’appréhension et l’angoisse.
— Peut-être que tu dois simplement t’autoriser à ressentir ta peur,
dit Hécate. Il est normal de l’honorer et d’accepter qu’elle occupe une
place en toi, même si tu es un mâle alpha ténébreux.
Hadès la fusilla du regard.
— Ce n’est pas comme si tu ne prévoyais pas de protéger
Perséphone ou de trouver les coupables des agressions d’Adonis et
Harmonie. En ce qui concerne les actions, tu as fait tout ton possible.
— Mais est-ce que cela suffira ?
— Suffira à quoi ? demanda Hécate. À protéger Perséphone de
souffrir ou de vivre de nouveaux traumatismes ? Le seul monde dans
lequel c’est possible, c’est ici, aux Enfers. Et si elle est ici, cela veut
dire qu’elle est morte.
Hadès eut l’impression qu’on l’étranglait.
— Si tu veux partager sa vie, tu dois te contenter d’être la
personne dont elle a besoin dans les moments difficiles, peu importe
combien cela te fait souffrir. Et elle en fera de même pour toi.
Hadès ne pouvait regarder Hécate. Au lieu de ça, il fixa la forêt
sombre qui entourait la clairière. Il comprenait ce qu’elle disait, et
après tout ce que lui et Perséphone avaient traversé, il ne devrait pas
avoir de mal à partager son fardeau avec elle. Pourtant il n’y arrivait
pas.
Cela lui paraissait… injuste. Et si c’était trop pour elle ?
— Est-ce qu’elle s’est déjà trop appuyée sur toi ? demanda
Hécate.
— Non, dit Hadès. Elle ne pourrait jamais…
— Elle ressent la même chose à ton sujet, Hadès. Tu dois cesser
de penser que ton amour est plus grand que le sien simplement
parce que tu as vécu plus longtemps, désiré plus longtemps.
Hadès retint son souffle. D’une certaine façon, il avait l’impression
d’être agressé, même s’il savait qu’Hécate avait raison. Il pensait
justement de cette manière, et souvent.
Soudain, une vague de culpabilité prit le pas sur sa peur.
— Perséphone t’a choisi, et elle t’accepte, quelle que soit la
manière que tu as de t’offrir à elle. Mais est-ce juste de ne pas lui
montrer ta souffrance alors que tu es si souvent témoin de la sienne ?
— Je la protège, dit Hadès.
— C’est elle que tu protèges, ou toi ?
Hadès resta silencieux.
— Perséphone a grandi, parce qu’à un moment donné, tu lui as
permis de se sentir suffisamment en sécurité pour se montrer
vulnérable avec toi. Le résultat est qu’elle parvient désormais à
comprendre ta vision des choses et à respecter tes décisions. Si tu
ne lui offres pas la même chose, peux-tu vraiment la respecter ?
Hadès grinçait si fort des dents qu’il en eut mal à la mâchoire et
que la douleur se propagea dans sa nuque.
— Si tu t’attends à ce que le monde vous sépare, c’est ce qui
arrivera.
— Alors que devrais-je faire, d’après toi ?
— Je veux que tu cesses de te comporter comme un imbécile, dit
Hécate d’un ton dénué de reproche. Je veux que tu reconnaisses
l’importance de te montrer vulnérable avec Perséphone, parce que si
vous êtes tous les deux puissants chacun de votre côté, ensemble,
vous êtes inarrêtables.

*
* *
Hadès retourna dans sa chambre, où il trouva Perséphone
profondément endormie. Il la regarda longtemps, notant le
mouvement régulier de sa poitrine, la façon délicate dont ses longs
cils s’étendaient comme un éventail sur ses pommettes, sa bouche
légèrement entrouverte. Elle était sublime, et si une part de lui avait
envie de la réveiller pour s’excuser de la façon dont il l’avait quittée
plus tôt, il ne souhaitait pas la déranger. Elle avait réussi à trouver la
paix malgré les événements de la nuit, contrairement à lui, et il était
injuste qu’ils souffrent tous les deux.
Il but, lentement, repensant aux propos d’Hécate. Il se concentra
sur ce qu’il ressentait maintenant : il était épuisé, frustré, toujours
effrayé, et la tension dans son corps s’accumulait dans la pointe de
sa verge.
Merde.
Il remua, inconfortable, les yeux rivés sur Perséphone. Il pouvait
tout à fait rester assis là, en silence, et tenter de se procurer lui-
même du plaisir, mais il savait qu’il lui fallait quelque chose de plus
fort, de plus brusque.
Il avait besoin du corps de Perséphone. C’était la seule chose qui
pouvait le satisfaire, mais il ne pouvait lui demander cela, pas ce soir.
Il vida son verre avant de se déshabiller. Sa verge et ses
testicules lui paraissaient lourds entre ses cuisses. Il n’arrivait pas à
s’allonger à côté de Perséphone car il était trop tenté de la réveiller.
S’il commençait, il ne s’arrêterait jamais.
C’est alors qu’il sentit sa main sur son dos.
— Tu vas bien ? demanda-t-elle.
Il tourna la tête vers elle et l’étudia longtemps avant de se
pencher pour approcher sa bouche de ses lèvres, qu’il ne fit
qu’effleurer. Il devrait l’embrasser. Il ne l’avait pas fait depuis qu’ils
étaient rentrés, mais il se retint et caressa plutôt sa joue.
— Je vais bien, dit-il sans quitter ses lèvres des yeux.
Il avait envie de l’embrasser, et le fait qu’il s’en empêche était
sans doute ridicule, mais il se sentait tellement à cran et hors de
contrôle… Si elle ne pouvait l’encaisser ? Il recula et vit de la vexation
dans le regard de Perséphone.
— Dors. Je serai là quand tu te réveilleras.
— Et si je n’ai pas envie de dormir ?
Elle vint à lui, se dressant sur les genoux pour le chevaucher,
nichant son sexe contre son érection. Il prit une grande et brusque
inspiration et planta ses ongles dans sa peau pour l’empêcher de
bouger, incapable de supporter le mouvement de son corps contre le
sien.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu ne m’as pas embrassée tout à
l’heure et tu refuses de te coucher avec moi, dit-elle en cherchant son
regard.
Elle le serra plus fort, comme pour lui rappeler qu’elle était ici,
bien présente.
— Je ne peux pas dormir, dit-il. Parce que je ne peux pas faire
taire mes pensées.
— Je peux t’aider, chuchota-t-elle.
Elle était parfaitement capable de le distraire, c’était certain. Mais
ses pensées seraient toujours là, après.
— Et… pourquoi tu ne veux pas m’embrasser ?
Il déglutit et baissa les yeux en cherchant comment lui expliquer.
— Parce que j’ai trop de rage en moi et que si je me perdais en
toi… eh bien, j’ai peur de ce que je pourrais libérer.
— Tu es en colère contre moi ?
— Non, répondit-il aussitôt. Mais j’ai peur d’avoir accepté quelque
chose qui va te faire souffrir, et je ne peux déjà pas me le pardonner.
— Hadès…
Elle avait chuchoté son nom et elle prit son visage dans ses
mains pour l’étudier. Il voulait lui demander ce qu’elle y cherchait afin
de lui dire qu’elle ne le trouverait jamais, mais il avait conscience
d’être difficile, et qu’elle ne le croirait pas, de toute façon.
Elle survola sa bouche avec la sienne. Le moindre de ses
mouvements le rendait fou. Il était au bord d’un précipice et il perdait
le peu de contrôle qui lui restait. Il repensa à la conversation qu’il
avait eue avec Hécate et se dit qu’il n’avait peut-être pas besoin de
contrôle, dans cette situation.
Dans cet espace, il pouvait exister de façon authentique, et
Perséphone… accepterait.
Les lèvres contre les siennes, elle chuchota quelque chose qui lui
dit qu’elle avait lu dans ses pensées.
— Perds-toi en moi. Je peux encaisser.
C’était la permission dont il avait besoin. Il l’embrassa, ouvrant la
bouche pour plonger sa langue dans la sienne. Il poussa un
grognement et empoigna ses cheveux. Bon sang, elle était tellement
douce.
Elle se cambra et se colla à lui, et ouvrit davantage la bouche
pour l’accueillir. Même ses jambes s’ouvrirent, la verge d’Hadès
nichée au milieu, frottant contre sa chair nue et mouillée.
— Putain, siffla-t-il en rompant le baiser pour enlever son tee-
shirt.
Maintenant qu’elle était nue, il promena ses mains partout sur son
corps avant de s’occuper de ses seins, qu’il massa en les léchant
dans un geste affamé. Il aimait sa façon d’onduler contre lui, sa façon
de tenir sa tête en place jusqu’à ce qu’elle soit prête à ce qu’il passe
à l’autre. Sa bouche étant occupée, il plongea une main entre ses
cuisses pour titiller son sexe. Elle était tellement trempée. Il glissa un
doigt et chatouilla son clitoris. Il leva la tête au moment où elle
penchait la tête en arrière en gémissant. Hadès embrassa sa gorge
et suça sa peau, lui arrachant un autre cri. Il aimait ça, il en voulait
plus.
— Putain, souffla-t-elle.
Il continua à la caresser jusqu’à ce qu’elle perde la tête et ne
puisse plus que s’agripper à lui.
— S’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît, gémit-elle.
— S’il te plaît quoi ?
Ce n’était pas une question. C’était un ordre.
Son corps lui répondit en vibrant contre le sien. Il la poussa en
arrière sans délicatesse.
— Tu peux encaisser ? demanda-t-il.
Ses joues étaient rouges et elle semblait délirer de plaisir. Il
supposa qu’elle dirait presque oui à tout, en ce moment.
Elle hocha la tête, à bout de souffle.
— Oui.
Il saisit ses hanches et la ramena à lui en la soulevant pour que
ses fesses soient tout contre les siennes, puis il la pénétra.
Perséphone se cambra sur le lit et ses seins se mirent à rebondir
à chaque coup de bassin. Cela l’encouragea à accélérer et à aller
plus loin en elle. Elle était tellement belle, tellement érotique, et elle
n’en avait sans doute aucune idée, mais la regarder le prendre était
un putain de rêve.
— Oh putain, cria-t-elle en tressautant.
Elle ne savait quoi faire de ses mains, agrippant tantôt Hadès
tantôt ses seins puis ses cheveux, et à chaque va-et-vient, Hadès
sentait la pression augmenter. Il continua, déterminé à faire durer le
plaisir.
Leurs corps se couvrirent de sueur et Hadès ne fut bientôt plus
capable de la tenir. Il se pencha en avant, les avant-bras de part et
d’autre de son visage, et il jouit. Il sentait sa verge pulser et il
s’écroula sur elle.
Perséphone parla après un long silence.
— Tu es à moi, Hadès, dit-elle en coiffant ses cheveux qui
s’étaient détachés durant leur partie de jambes en l’air. Bien sûr que
je peux encaisser.
Hadès se dressa sur un coude pour la regarder dans les yeux. Il
ne savait pas pourquoi il s’attendait toujours à ce qu’elle craque, à ce
qu’elle le quitte, à ce qu’elle le fuie, quand elle parlait ainsi. Ça n’avait
pas de sens. Ça n’aurait jamais de sens.
Mais il était infiniment reconnaissant qu’elle l’aime.
— Je n’ai jamais pensé que je remercierais les Moires pour le
destin qu’elles m’ont offert, mais toi… tu vaux tout le reste.
— Quel reste ?
— La souffrance.
Chapitre XIII

THÉSÉE

Thésée était en train d’étudier une série de photos. Elles étaient


toutes du même homme, prises sous des angles différents ; il
s’appelait Adonis et c’était un Favori. Il avait été tabassé et poignardé
à mort avec la faux de Cronos, juste devant La Rose, le club
d’Aphrodite.
Si Thésée n’était pas directement impliqué dans l’agression, il
avait réussi à planter les graines qui l’avaient provoquée. Il se
demandait combien de temps il faudrait pour que la colère
d’Aphrodite prenne le pas sur sa raison, combien de temps avant que
l’honneur d’Hadès le mène à sa porte. Cela faisait longtemps que
Thésée vivait dans l’ombre des dieux. Il connaissait leurs forces et
leurs faiblesses, mais il connaissait également les mortels, et savait
comment leur faire peur.
Quand il s’était mis à neiger en plein été, il avait su que c’était le
moment d’inciter au chaos. Avec la tempête de Déméter en toile de
fond qui énerverait déjà les mortels et serait le sujet d’actualité
principal, il avait su qu’il pouvait nourrir les doutes et la colère des
mortels envers les dieux. Il savait que cela ne les affecterait guère,
mais que cela les diviserait. Et au centre de tout ça se trouvaient
deux dieux : Hadès et Perséphone.
Thésée ne s’attendait pas à ce qu’ils occupent une place centrale,
mais leur histoire d’amour jouait en sa faveur, et il comptait s’en
servir pour diviser davantage les dieux tout en continuant de semer le
doute parmi les mortels. Il avait à peine eu à lever le petit doigt que
les dieux s’étaient mis eux-mêmes des bâtons dans les roues. Il
devait simplement s’assurer que lorsque le chaos se répandrait, les
mortels aient quelqu’un vers qui se tourner, quelqu’un à vénérer au
lieu des Olympiens qui régnaient depuis trop longtemps.
Et cette personne, ce serait lui.
Thésée sentit son téléphone vibrer avant qu’il ne sonne. Il
décrocha, mais ne dit rien, attendant que l’autre personne parle.
— Je l’ai trouvée, dit la voix de Persée, un fils demi-dieu de Zeus.
Thésée ne répondit rien, attendant qu’il poursuive.
— Elle est avec Dionysos dans le quartier du Plaisir. Ils cherchent
Méduse.
Thésée n’était pas surpris. Il avait entendu les rumeurs au sujet
de cette femme, de sa beauté d’abord, puis de son supposé pouvoir.
Elle était capable de changer les hommes en pierre.
Il avait soupçonné Dionysos de la chercher quand il s’était adjoint
les services des Grées, mais il avait pensé qu’en les faisant
assassiner, il perdait le moyen le plus simple de trouver Méduse ; il y
avait d’autres moyens de trouver une femme effrayée.
Comme Persée, par exemple.
Une nouvelle série de photos arrivèrent sur sa tablette et il les fit
défiler. Ariadne portait une petite robe noire et des cuissardes. Elle
était hyper baisable, peut-être même qu’elle l’avait été.
— Est-ce qu’elle couche avec lui ? demanda Thésée.
Il voulait poser la question de façon nonchalante, mais une vague
de jalousie parcourut ses veines. Il avait beau être marié à Phèdre,
sa sœur, Ariadne lui appartenait aussi. Elle lui appartiendrait toujours,
même si elle avait trouvé un répit temporaire entre les mains de ce
dieu.
Quand elle reviendrait à lui, et elle reviendrait parce qu’il détenait
sa sœur, il la punirait d’être partie, d’avoir pensé ne serait-ce qu’une
seconde qu’elle pouvait le vaincre.
— Pas sûr, répondit Persée.
— Continue de la suivre, ordonna Thésée. Elle finira par nous
mener à Méduse, et quand le moment sera venu, je les prendrai
toutes les deux.
Il raccrocha et continua de parcourir les photos, sa verge devenait
de plus en plus dure. Avant d’être marié à Phèdre, il sortait avec
Ariadne. Il l’appréciait plus que sa sœur, car elle aimait baiser, et
baiser fort. Il n’y avait rien de doux chez elle, mais c’était bien là le
problème. Ariadne refusait d’être contrôlée. Or, à travers sa sœur, qui
était facilement influencée par de belles paroles, l’inspectrice était
parfaitement malléable.
Il banda de plus belle en y pensant et il s’autorisa à imaginer ce
qu’il lui ferait quand elle reviendrait à lui et demanderait à voir sa
sœur. Peut-être qu’il accepterait de la laisser regarder pendant qu’il
prendrait Phèdre. Sa mine horrifiée le ferait jouir et il enfoncerait alors
sa queue dans sa bouche pour remplir sa gorge.
Thésée leva la tête en percevant un mouvement et il trouva
Phèdre dans l’embrasure de la porte. Elle était vêtue d’une longue
nuisette en satin et d’une robe de chambre assortie qui n’avait
aucune chance de se fermer sur son ventre rond. Le contraste entre
sa tenue et celle de sa sœur était impossible à ignorer. Sa femme
n’avait presque jamais envie de se déshabiller pour le sexe alors
qu’Ariadne pouvait arpenter la maison à poil, comme si c’était son
état naturel.
— Phèdre, dit-il en verrouillant sa tablette et en la posant sur son
bureau, tu devrais te reposer.
— Je n’arrivais pas à dormir, dit-elle en l’observant depuis la
porte. Tu… n’es pas venu te coucher.
Malgré sa pudeur, Phèdre était sublime. Sa douceur faisait d’elle
l’épouse parfaite. Un trophée avec lequel il pouvait parader en public.
Et sa timidité lui assurait qu’elle ne communiquerait jamais ses
doutes ou ses peurs à son sujet. Elle était un choix sans risque.
— Tu sais que j’ai beaucoup à faire en ce moment.
— Bien sûr, dit-elle. Je voulais juste m’assurer que tu allais bien.
Il parvint à sourire, car il pensait que cela lui plairait, un signe qu’il
aimait qu’elle s’inquiète pour lui.
— Je vais bien, dit-il. J’ai du travail, c’est tout.
Pourtant, elle ne se comportait pas comme à son habitude quand
il la rassurait. En général, elle cédait et partait. Mais ce soir, elle
restait.
— Du travail avec Ariadne ? demanda-t-elle d’une petite voix.
Il se demanda pourquoi elle lui posait la question si elle avait
tellement peur de sa réponse.
Thésée grinça des dents. Cette défiance était nouvelle.
Phèdre hésita un instant avant d’ajouter dans un chuchotement.
— Je t’ai entendu.
Entendu ? Il était sûr de ne pas avoir prononcé son prénom.
— Est-ce que tu écoutais à ma porte, Phèdre ? demanda-t-il en
maîtrisant sa voix pour ne pas trahir sa colère.
Elle savait ce qui l’attendait si elle désobéissait.
— Non, je… je te le promets. J’ai cru entendre son prénom depuis
le couloir.
Elle mentait, et il devait y mettre fin immédiatement. Il se
demanda ce qui lui donnait tant de courage.
— Tu as cru entendre ? demanda-t-il.
Elle prit une grande inspiration.
— J’ai dû me tromper.
Thésée se leva et quand il se dirigea vers elle, elle posa sa main
sur son ventre. Avant sa grossesse, il l’aurait fait taire avec un baiser
ou du sexe, mais il n’avait plus envie d’elle depuis. Et ça n’avait pas
d’importance. Il avait utilisé le sexe pour la garder auprès de lui, et
c’était désormais le bébé qui s’en chargeait.
Cependant, il aima la voir se crisper quand il approcha, ça le fit
bander. C’était utile, d’ailleurs, car en le voyant, elle penserait que
c’était elle qui l’excitait et non sa peur.
Il effleura son menton.
— Qu’est-ce que je t’ai dit à propos d’Ariadne ?
Ses yeux se remplirent aussitôt de larmes.
— Thésée, chuchota-t-elle.
Il détestait sa façon de dire son nom, peut-être parce que cela lui
rappelait sa sœur et sa façon de le gémir.
— C’est ma sœur…
— Qu’est-ce que… aboya-t-il avant de se calmer, j’ai dit ?
Phèdre le dévisagea et déglutit, incapable de retenir ses larmes.
Thésée s’approcha autant que possible malgré son ventre rond.
— Oh, Phèdre, chuchota-t-il en penchant sa tête en arrière.
Elle grimaça quand il empoigna plus fort ses cheveux bruns.
— Que vais-je faire de toi ?
Il l’embrassa sur le front.
Il savait comment fonctionnait sa femme. Elle fondait à la
première démonstration d’affection, tout le contraire de sa sœur.
Ariadne n’était pas séduite par les mots doux et les caresses, elle
voulait que ce soit brusque et rapide et que ça laisse des bleus.
Il posa ses mains sur ses épaules et chuchota dans son oreille.
— Je voulais te protéger de ça, mais je suppose que je dois te le
dire, maintenant.
Il recula et retourna à son bureau pour prendre sa tablette. Il la lui
tendit et lui montra les photos que Persée avait envoyées.
— J’ai tenu ma promesse, dit-il. J’ai gardé un œil sur ta sœur et
malgré mes tentatives d’intervention, elle s’est tournée vers la
prostitution. Ce soir, elle a été vue dans le quartier du Plaisir avec
Dionysos.
Il regarda Phèdre qui étudiait les photos.
— Elle n’a pas l’air d’être elle-même, chuchota-t-elle.
— Oh, chérie, dit-il. C’est toujours le cas avec l’addiction.
Phèdre posa la tablette et prit son visage dans ses mains pour
pleurer. Thésée se mit derrière elle et l’attira contre lui, pressant sa
verge dure contre ses fesses. La seule chose qui maintenait son
érection était la souffrance de la jeune femme et il s’en délecta.
— Je suis navré, susurra-t-il en posant son front contre sa nuque.
Je ne voulais pas te le dire. Je pensais qu’il valait mieux vous
protéger, toi et le bébé.
— Non, dit-elle en baissant les mains pour prendre les siennes et
les poser sur son ventre.
Il grimaça en sentant ses paumes mouillées par ses larmes.
— Je n’aurais pas dû te poser la question. Je savais que je
n’aurais pas dû espérer qu’elle cherche à me voir.
Elle se tourna dans ses bras et appuya son front contre son torse,
ce qui soulagea Thésée. Il ne pensait pas pouvoir continuer d’avoir
l’air désolé, sa frustration était trop vive.
— Je sais que c’est dur, dit-il, mais je suis toujours là pour toi,
même quand tu n’as plus personne.
Il la laissa pleurer encore un peu avant de faire un pas en arrière
quand il en eut assez.
— Tu as besoin de repos, dit-il en caressant d’un doigt sa joue
mouillée.
Elle hocha bêtement la tête, mais tout ce qui comptait, c’était
qu’elle obéisse.
— Je t’aime, Thésée, dit-elle.
Il lui sourit et l’embrassa brièvement sur la bouche.
— Bonne nuit, mon amour, dit-il en la poussant délicatement dans
le couloir. J’arrive bientôt.
Il la regarda marcher jusqu’à ce qu’il ne puisse plus la voir, puis il
ferma la porte et essuya sa bouche mouillée par ses larmes.
Dégoûtant, pensa-t-il.
Il retourna à bureau et appuya sur le bouton de son interphone
pour appeler son assistante, qu’il savait prête et en attente.
— Maintenant, gronda-t-il.
Il déboutonna son pantalon et sortit sa verge, qu’il branla
plusieurs fois pour se préparer.
Après quelques secondes, la femme entra. Il avait oublié son
prénom. Elle était nouvelle, ayant récemment remplacé l’autre qui
était morte.
Elle posa sur sa verge un regard sans éclat. Elle ne faisait que
son travail. Elle avança jusqu’à lui et se mit à genoux.
— Tu t’appelles comment ? demanda-t-il.
— Rebecca.
— C’est ton vrai prénom ?
— Non, dit-elle.
Il aimait sa façon de le regarder, avec autant de méchanceté
qu’Ariadne. Il empoigna ses cheveux.
— Je vais baiser ta bouche, dit-il. Et tu vas tout prendre. Tout.
Elle se redressa légèrement, prête pour la transaction, toujours
défiante, toujours sans peur, et la poitrine de Thésée se gonfla face
au défi qui était de voir l’éclat disparaître de ses yeux.
Chapitre XIV

DIONYSOS

Quand Dionysos et Ariadne apparurent dans son salon, il la tenait


encore fermement par la taille, ses seins pressés contre son torse et
sa queue contre son bas-ventre. Il avait envie de mourir, et il se
fichait que ce soit une véritable mort. Il voulait simplement mettre fin
à cette fichue torture.
Il ne la lâcha pas tout de suite et elle ne chercha pas
immédiatement à s’éloigner, ce qui laissa Dionysos penser qu’elle
était bien plus secouée qu’elle ne le laissait paraître. N’empêche qu’il
admirait sa contenance.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-il.
Elle parut confuse et il ne comprit pas pourquoi. Peut-être était-
elle étonnée qu’il le lui demande.
— Je… je ne sais pas, admit-elle.
Il fronça les sourcils et dégagea une mèche sur sa joue.
— Je ne savais pas que ça arriverait.
— Tu parles de quoi ? demanda-t-elle en baissant les yeux sur sa
bouche. Du fait que tu m’as embrassée, ou que j’ai tué ces deux
hommes ?
Ils se dévisagèrent longuement. La seule pensée qui obsédait le
dieu était ce baiser, et plus encore sa façon de le chevaucher et
d’onduler contre lui, la sensation de son corps entre ses mains,
tellement brûlant et parfait.
Il savait qu’il était dans le pétrin, car il ne penserait plus qu’au fait
qu’ils avaient été interrompus, se demandant si elle avait répondu à
ses avances parce qu’elle avait cru cela nécessaire.
Elle recula et il la lâcha, détestant le manque qu’il ressentit
immédiatement.
Elle tourna sur elle-même en balayant l’appartement des yeux.
Il avait oublié combien il aimait être ici, combien il s’y sentait en
sécurité contrairement au club, qui était toujours bondé et bruyant.
Ce lieu était tranquille. Les murs étaient peints dans des tons chauds
et la plupart étaient couverts d’étagères remplies de livres. Il y avait
un canapé simple, en lin, et une table basse en verre devant une
cheminée, sur laquelle reposaient d’autres livres. Les fenêtres à
petits carreaux étaient couvertes par d’épais rideaux qu’il ouvrait
rarement, car il n’avait guère envie d’observer le monde qu’il voyait si
souvent.
— Où sommes-nous ? demanda Ariadne.
— Chez moi.
— Tu vis ici ?
— Oui, je vis ici, dit-il. Tu es surprise ?
— Ben, tu sembles toujours être à Bakkheia.
Il ne lui dit pas que cela faisait un mois qu’il n’était pas venu ici.
— Pourquoi sommes-nous ici ? demanda-t-elle en se tournant
vers lui ? Pourquoi on n’est pas rentrés au club ?
— Je n’avais pas envie d’être là-bas.
C’était trop – trop bruyant, trop lumineux, trop bondé.
Ariadne inspira et enleva la veste qu’il avait passée sur ses
épaules, puis elle s’assit au bord du canapé. Dionysos l’étudia, il ne
pouvait s’en empêcher. Il voulait savoir ce qu’elle pensait.
— Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? demanda-t-elle.
Avec un peu de chance, tu vas me prendre.
Bien évidemment, elle pensait à leur prochaine action.
Qu’allaient-ils faire maintenant qu’ils savaient que le dernier endroit
où Méduse avait été vue était près de l’océan, près du royaume de
Poséidon ?
— Je ne sais pas, admit-il.
Il avait besoin de temps pour réfléchir. Mais avaient-ils le temps,
justement ?
— Est-ce qu’on peut faire confiance à Michail pour ne pas dire qui
on cherche ?
— Non, répondit Dionysos.
Elle le dévisagea.
— Alors pourquoi tu ne l’as pas tué ?
Dionysos haussa un sourcil.
— Du calme, inspectrice, je croyais que tu étais contre le
meurtre ?
Elle le fusilla du regard.
— Ce n’est pas comme si Michail était quelqu’un de bien.
Il ne la contredit pas parce qu’il était d’accord, mais Dionysos
doutait qu’il y ait qui que ce soit de bon dans ce monde. Chacun était
capable de choses horribles.
— Peu importe que Michail vive ou meure, dit-il. Les gens
continueront de chercher Méduse.
— Mais ont-ils fait autant de progrès que nous ?
— C’est dur à dire, mais je peux t’assurer que personne ne doit
en avoir fait plus que nous.
— Pourquoi ? Comment ça ?
— Parce que tous ceux qui la cherchent laisseront tomber quand
ils découvriront que Poséidon est impliqué, ou alors ils finiront
empalés sur une fourche glorifiée.
— Y compris toi ?
— J’aime savoir que tu me crois capable d’affronter Poséidon.
— Je me fiche de savoir si tu peux, dit Ariadne. Je veux savoir si
tu le feras.
— Tu sembles penser que tout est simple et que tout se résume à
un oui ou un non, dit-il d’un ton frustré. Si Poséidon ne connaît pas
encore l’importance de Méduse, il l’apprendra quand je le
confronterai.
— Alors, ne le confronte pas, dit-elle.
— Et comment veux-tu qu’on la retrouve, dans ce cas ?
— Je vais le faire, dit-elle.
— Non, répondit-il aussitôt.
Il refusait de l’envisager. Poséidon était un enfoiré. Immense.
Surtout envers les femmes. Il était hors de question qu’il fasse subir
ça à Ariadne.
— Poséidon ne sait rien de moi, insista Ariadne en haussant les
épaules. Pour lui, je ne suis qu’une mortelle qui cherche… sa sœur.
— Tu crois que ça va l’intéresser ?
— Non. Mais peut-être qu’il sera intéressé par ce que j’ai à offrir.
— Et c’est quoi, au juste ?
Elle ne répondit rien et Dionysos fit un pas vers elle.
— Qu’as-tu à offrir, Ariadne ? Des informations sur mes
opérations ? Sur mes Ménades ? Vas-tu sacrifier cent vies pour en
sauver une seule ?
— Tu crois que je te trahirais ? demanda-t-elle.
— Ta fidélité repose avec ta sœur, dit-il. Et je ne t’en veux pas,
mais ça veut dire que je ne peux pas te faire confiance.
Elle ne répondit rien, mais sa colère était flagrante.
— Alors tu abandonnes ? dit-elle enfin.
— Je n’abandonne pas ! rétorqua-t-il. Mais j’ai besoin de réfléchir,
et tu ne me rends vraiment pas la tâche facile, ce soir.
Ils se regardèrent quelques secondes puis elle tourna la tête en
croisant les bras, comme pour prendre ses distances avec tout ce qui
s’était passé, y compris avec Dionysos.
Il n’aurait pas dû être surpris, et cela n’aurait pas dû l’affecter,
mais ce n’était pas le cas. Il le vivait comme un rejet, comme un coup
de poignard. Il savait que ce qui s’était passé ce soir était seulement
dû à la situation, et qu’avoir des sentiments à ce sujet impliquait qu’il
avait des attentes, ce qui était ridicule. Quoi qu’il y ait entre eux, ça ne
pouvait pas ne pas donner lieu à des regrets, pour elle comme pour
lui.
Comme ce soir.
— Il y a une chambre au bout du couloir où tu peux dormir, dit-il.
Une salle de bains, aussi. Je vais… euh… tu as besoin de te
changer ?
Il la regarda et elle finit par hocher la tête.
— S’il te plaît, oui, chuchota-t-elle.
— Je reviens, dit-il en empruntant l’autre couloir jusqu’à sa
chambre.
Quand il ouvrit la porte, l’air froid de sa chambre le frappa. Il avait
été absent depuis si longtemps qu’il n’avait pas allumé le chauffage,
ce qui était insensé. C’était l’été. Il aurait dû faire chaud, mais au lieu
de ça, la neige tombait un peu plus chaque jour.
Il attrapa un tee-shirt dans son tiroir et l’apporta à Ariadne.
— Il fait peut-être froid dans ta chambre, dit-il. Je vais… ajuster la
température.
Elle hocha simplement la tête. Il détestait ces moments de tension
silencieuse qui s’établissaient entre eux.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, je serai là-bas, dit-il en
tournant les talons et en ajustant le thermostat avant d’aller à sa
chambre.
Il enleva ses vêtements et se doucha, restant plus longtemps que
d’habitude sous le jet d’eau chaude. Il empoigna sa verge, désespéré
de se soulager, de ne plus sentir le poids qu’il traînait entre ses
cuisses depuis des jours.
Car cela faisait des jours. Cela faisait des semaines.
Il repensa à Ariadne dans sa robe, à la façon dont elle lui avait
obéi quand il lui avait dit de s’agenouiller devant lui, à ses yeux
brûlants quand elle l’avait regardé, peut-être était-ce de la haine,
mais il avait parfois du mal à la distinguer de la passion, et ça n’avait
pas d’importance, d’ailleurs, car ça nourrissait son fantasme.
Il se permit de s’attarder sur ce qui aurait pu se passer et il
imagina qu’il tenait son cul parfait pour l’aider à se glisser sur sa
verge. Elle serait chaude, trempée et étroite, et elle le chevaucherait
comme si elle connaissait son corps depuis toujours. Lorsqu’elle se
fatiguerait, il prendrait le relais et s’enfouirait en elle jusqu’à ce que
tout son corps se bande et qu’il ne puisse plus se concentrer que sur
la tension dans ses testicules, qui se propagerait dans tout son corps
lorsqu’il jouirait. Quand il ouvrit les yeux et vit sa main sur son gland,
les doigts couverts de sperme, il se sentit horriblement insatisfait.
Il se lava de nouveau et sortit de la douche, aussi frustré que
lorsqu’il y était entré.
— Je suis tellement en manque, grommela-t-il.
— Je t’aurais bien aidé, mais tu n’es pas mon genre.
— Va te faire foutre, Hermès !
Il avait senti la magie du dieu en sortant de la salle de bains. Il ne
le regarda même pas, marchant simplement jusqu’à sa commode.
— Pas la peine de t’énerver pour ça, dit Hermès.
Dionysos l’ignora et lâcha sa serviette pour enfiler un boxer.
Quand il se tourna vers le dieu de la Ruse, celui-ci avait l’air un peu
choqué.
— T’as pas de genre, Hermès, dit Dionysos. Tu baiserais un
caillou si tu le trouvais suffisamment beau.
Hermès retrouva l’usage de la parole.
— Eh, j’ai des standards !
— C’est pour ça que j’ai parlé d’un beau caillou, marmonna
Dionysos en soulevant sa couette.
Il se fichait qu’Hermès soit là et qu’il veuille parler. Il était fatigué.
— Tu n’es pas même un peu curieux de savoir pourquoi je suis
ici ?
— Non, puisque la dernière fois que tu m’as rendu visite, j’ai rêvé
pendant une semaine que mes couilles étaient en feu.
Hermès sourit jusqu’aux oreilles.
— Oh, allez, c’était drôle.
Dionysos le fusilla du regard.
— Qu’est-ce que tu veux, Hermès ?
Dionysos s’allongea, déterminé à dormir, quoi que le messager
des dieux soit venu lui dire. Il joignit ses mains sous sa tête et
dévisagea le dieu, mais il parut soudain inquiet et eut du mal à
déglutir.
— Eh bien, Hadès me dit que je suis ton gardien, dit Hermès.
Donc je suppose que je te garde.
— Tu fais toujours ce qu’Hadès te dit de faire ?
— Seulement quand c’est amusant.
— Et prendre de mes nouvelles, c’est amusant ?
— Ben, ça l’était quand je pouvais mettre le feu à tes couilles,
répondit Hermès avant de marquer une pause et de hausser un
sourcil. Cela dit, je suppose que c’est toujours le cas…
Hermès éclata de rire et Dionysos lui lança un regard assassin.
Le dieu de la Ruse se racla la gorge.
— Bref, en fait, je suis venu te dire qu’Harmonie a été agressée.
Dionysos fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Ben, ce que j’ai dit, répondit Hermès. Elle a été tabassée et on
lui a coupé les cornes.
Dionysos s’assit dans son lit. Cette nouvelle était choquante pour
de nombreuses raisons, notamment parce que de tous les dieux,
Harmonie était l’une des moins menaçantes, mais également parce
que quelqu’un avait réussi à s’approcher suffisamment pour blesser
un dieu.
— Tabassée ? répéta-t-il. Par qui ?
— On ne sait pas exactement, mais je voulais te prévenir. Ceux
qui prennent les dieux pour cible sont sans doute les mêmes
personnes qui cherchent l’Ophiotauros, ce qui veut dire qu’ils ont la
capacité de réprimer nos pouvoirs.
— Par « personnes », tu veux dire les Impies ? demanda-t-il. Ou
la Triade ?
Hermès haussa les épaules.
— Peut-être. C’est trop tôt pour le savoir.
— Est-ce qu’on a vraiment des doutes ? demanda Dionysos.
— Hadès préfère avoir des preuves avant de formuler une telle
accusation.
— On croirait qu’Hadès est ton roi, à voir ta façon de gober tout ce
qu’il dit.
Cette fois, Hermès plissa les yeux en le scrutant.
— Peut-être que si tu ne te sentais pas aussi menacé par son
autorité, tu verrais la valeur de son jugement.
— Quel jugement ? Au moment où on parle, c’est sa décision qui
nous menace d’être vaincus.
Hadès avait ouvertement avoué que c’était à cause de lui que
l’Ophiotauros avait été ressuscité.
— Il n’avait pas le choix, répondit Hermès.
— On a toujours le choix, dit Dionysos avant de se taire, réalisant
trop tard qu’il parlait comme son père adoptif.
— Et toi, tu n’as toujours pas l’air d’avoir fait le tien, dit Hermès.
— J’ai choisi un camp, rétorqua Dionysos.
— Tu n’as pas choisi de camp. Tu as choisi le meilleur moyen de
te venger.
Hermès parlait un peu trop comme Silène.
— Et alors ?
Hermès secoua la tête.
— Tu te bats pour rien.
Dionysos contracta sa mâchoire.
— C’est sans doute une bonne chose qu’Hadès n’ait pas
confiance en toi, ajouta Hermès. À t’entendre, je vois qu’il fait bien.
Sur ce, Hermès disparut.
Dionysos se laissa retomber sur le lit en soupirant, les yeux rivés
sur le plafond. Les propos du dieu l’agaçaient, et il se surprit à vouloir
répondre qu’il se battait pour quelque chose. C’était justement pour
ça qu’il avait commencé à sauver les femmes et à leur offrir un
refuge, à les entraîner pour qu’elles puissent se défendre, de sorte
qu’elles ne soient plus jamais des victimes. C’était pour ça qu’il avait
passé des années à infiltrer le quartier du Plaisir et ses nombreux
cercles de trafic du sexe.
Oui, il voulait se venger d’Héra. Elle avait fait de sa vie un enfer.
Elle avait assassiné sa mère et il voulait qu’elle souffre.
Mais cela ne l’empêchait pas de vouloir protéger d’autres
femmes, au contraire.
Incapable de dormir, Dionysos se leva et alla dans la cuisine.
Mais quand il arriva au bout du couloir, il y trouva Ariadne. Elle ne le
vit pas arriver, cherchant à attraper un verre sur l’étagère au-dessus
de sa tête. Elle était sur la pointe des pieds et son tee-shirt était
remonté au-dessus de ses fesses.
Putain.
— Besoin d’aide ? demanda-t-il.
Elle sursauta et se tourna vers lui.
— Ça fait combien de temps que tu es là ? demanda-t-elle.
— Pas longtemps, répondit-il en s’approchant.
Elle ne bougea pas, collée au plan de travail, il tendit la main pour
attraper un verre et le lui donner.
— Merci.
Elle alla à l’évier pour le remplir d’eau.
Il la regarda faire quelques secondes puis il prit un autre verre
pour faire de même, et ils restèrent côte à côte à boire.
— Hermès te rend souvent visite ?
Dionysos s’étouffa sur sa gorgée.
— Quoi ?
— Je… Vous n’étiez pas discrets.
Le dieu pencha la tête sur le côté et plissa les yeux.
— Tu as entendu quoi ?
— Des bruits, dit-elle. Des voix.
— Je n’ai pas baisé avec Hermès, Ariadne.
— Je… d’accord.
Il resta planté là, choqué et silencieux, les yeux rivés sur elle.
— Comment tu peux penser que…
— On peut laisser tomber ? demanda-t-elle.
Il n’avait pas envie de laisser tomber. Il voulait savoir pourquoi
elle pensait qu’il coucherait avec Hermès, surtout lorsqu’il avait
clairement eu envie de coucher avec elle.
Un silence s’étira entre eux et Ariadne vida son verre d’eau.
— Je devrais retourner me coucher, dit-elle en passant devant lui.
Dionysos ne voulait pas qu’elle parte.
— Où est-ce que tu as appris à danser comme ça ? demanda-t-il.
Elle se figea et se tourna vers lui.
— J’ai pris des cours, répondit-elle comme si ça n’avait rien
d’impressionnant ou de surprenant.
— Pour quoi faire ? demanda le dieu, supposant que c’était pour
le travail. Pour t’infiltrer ?
— Non, pour faire un peu d’exercice.
— Tu as appris le strip-tease pour faire de l’exercice ?
— Je ne me déshabille pas, dit-elle. Mais je danse. Tu devrais
essayer, un de ces quatre. C’est super pour le cardio.
— Ne me tente pas, marmonna-t-il en apercevant un petit sourire
sur ses lèvres.
Jamais il n’avait réussi à la faire sourire, avant. Elle gonfla ses
poumons et sembla trembler en même temps.
— Je voulais te dire… je suis désolée, pour tout à l’heure.
Il pensa d’abord qu’elle s’excusait pour le baiser, mais elle n’avait
pas fini.
— Je ne savais pas que Michail me reconnaîtrait.
— Tu ne pouvais pas le savoir.
— J’aurais dû, dit-elle. J’aurais dû être meilleure inspectrice.
— Tu es parfaite, Ariadne, dit-il.
Elle fit les gros yeux et les posa sur lui. Il ne savait pas pourquoi
elle avait l’air surprise ; c’était la seconde fois qu’il le lui disait, ce soir,
et cela le ramena à sa perte de contrôle quand elle l’avait chevauché,
dans le bordel. Il mourait d’envie d’en parler avec elle. Il avait envie
de savoir ce que cela signifiait, de savoir pourquoi ils avaient si bien
joué leurs rôles.
Il avait envie que cela signifie quelque chose.
— Ari… commença-t-il en faisant un pas vers elle.
— Bonne nuit, Dionysos, dit-elle.
Il la regarda un moment avant de réussir à sourire et à hocher la
tête.
— Bonne nuit, Ariadne.
Il la regarda tourner les talons et disparaître dans le couloir.
Chapitre XV

HADÈS

Hadès entendit Perséphone prendre une grande inspiration. Il


tourna la tête vers le lit où elle était assise, les yeux grands ouverts et
l’air confus. Elle croisa son regard et sembla se détendre.
Elle l’interrogea avant qu’il ait pu lui demander ce qui l’avait
secouée ainsi.
— Tu n’as pas du tout dormi ?
— Non, répondit-il.
Il s’était allongé à côté d’elle quelques heures après qu’ils avaient
fait l’amour, mais il n’avait pas trouvé le sommeil, il s’était donc
habillé et avait attendu qu’elle se réveille. Il avait hâte qu’elle se
prépare pour le travail car il voulait l’emmener à la Tour Alexandria
pour lui montrer l’étage où il espérait qu’elle accepterait de travailler
pour Le Porte-Parole. Il y avait suffisamment de bureaux pour toutes
ses employées, c’est-à-dire Hélène, Leucé et Sybil.
Il se sentait bête de ne pas l’avoir proposé plus tôt, mais
Perséphone était parfois tellement indépendante qu’il ne savait pas
comment ni quand l’aider. Ce qui était sûr, c’est qu’elle ne lui
demanderait jamais.
— Des cauchemars ? demanda-t-il, l’estomac noué.
Si elle avait rêvé de Pirithoos, il était certain que c’étaient ses
actions qui l’y avaient poussée. Il avait été trop intense, hier soir.
— Non, répondit-elle en secouant la tête. Je… je croyais avoir
raté mon réveil.
Il n’était pas sûr de la croire, mais peut-être était-ce sa propre
peur qui parlait ?
Il vida son verre et le posa pour la rejoindre. Elle soutint son
regard quand il approcha, telle une sirène dans une mer de satin noir,
il suffisait d’un regard, d’un appel pour qu’il se plie à sa volonté.
— Pourquoi tu n’as pas dormi ? demanda-t-elle en lui caressant la
joue.
— Je n’en avais pas envie.
Plus il vivait, moins il avait besoin de sommeil. Cela dit, le fait que
le gros de ses affaires ait lieu la nuit ne l’aidait pas.
— Je pensais que tu serais épuisé, dit-elle d’un ton légèrement
vexé, le regard brillant.
— Je n’ai pas dit que je n’étais pas fatigué, répondit-il en souriant.
Il caressa sa lèvre avec son pouce et elle le prit entre ses dents
avant de le sucer.
Putain.
Il essayait désespérément d’être sage, mais il ne put s’empêcher
de plonger sa main dans ses cheveux et d’approcher son visage de
sa verge. Il envisagea de lui ordonner de l’empoigner et de le sucer
jusqu’à ce qu’il jouisse dans sa bouche, mais cela lui paraissait mal
et il se contenta de la tenir là et de souffrir en silence.
Elle lâcha son pouce et fronça les sourcils.
— Pourquoi tu te retiens ? chuchota-t-elle.
— Oh chérie, si tu savais ! grogna-t-il.
— J’aimerais savoir, justement, dit-elle en lâchant le drap qui
couvrait ses seins.
Il avait envie de rugir, et peut-être le fit-il. Il n’en était pas certain
car ses oreilles bourdonnaient et il faisait de son mieux pour ne pas
la reprendre comme il l’avait fait hier soir.
Elle devait aller travailler, et si cela lui importait peu en temps
normal, cette journée était différente.
— Je le garde en tête, dit-il d’une voix calme.
Il aurait aimé qu’elle sache combien il était difficile pour lui de
parler face à tant de beauté, face à tant de tentation.
— Pour l’instant, j’aimerais que tu t’habilles. J’ai une surprise pour
toi.
— Que peut-il y avoir de plus surprenant que ce que tu caches
dans ta tête ?
Il éclata de rire et l’embrassa.
— Habille-toi. Je t’attends.
Il tourna les talons pour se diriger vers la porte.
— Tu n’es pas obligé d’attendre dehors, lui lança-t-elle.
Bien évidemment, c’était inhabituel pour lui. Mais ses habitudes
impliquaient de la suivre dans la douche pour la prendre contre le
mur.
C’était mieux ainsi. Elle pourrait se préparer tranquillement.
Il s’arrêta sur le pas de la porte et la regarda par-dessus son
épaule, espérant qu’elle verrait combien il était difficile pour lui de la
quitter et qu’elle ne le vivrait pas comme un rejet. Elle comprendrait
plus tard.
— Si, crois-moi, dit-il avant de sortir dans le couloir.
Il attendit là comme un idiot pendant qu’elle se douchait, ce qui
était un nouveau genre de torture. Il était adossé au mur en marbre,
cherchant à se rafraîchir tout en l’imaginant de l’autre côté de la
paroi.
— Est-ce que ça va, Milord ?
Hadès ouvrit les yeux pour découvrir un esprit qui se tenait au
bout du couloir. Il en embauchait plusieurs aux Enfers. Ils étaient
différents des âmes : ils n’étaient pas morts et ils possédaient de
petits pouvoirs, capables d’influencer légèrement certaines émotions
spécifiques. Alètheia, qui le dévisageait avec de grands yeux
presque terrorisés, était l’esprit de la vérité et de la sincérité. De tous
les esprits qui vivaient là, son influence était sans doute la moins
menaçante.
— Je vais bien, lui dit-il.
Elle hésita, comme si elle ne savait pas quoi dire.
— Vous avez besoin de quelque chose ? demanda-t-elle enfin.
D’un seau d’eau glacée, pensa-t-il.
— Non, Alètheia.
Elle écarquilla les yeux lorsqu’il dit son nom.
— Merci, ajouta-t-il.
L’esprit hocha la tête et s’éloigna, pâle comme un linge.
Hadès envisagea de se téléporter aux bains pour se jeter dans un
des bassins, mais il resta dans le couloir et attendit que Perséphone
sorte de leur chambre, vêtue de la tenue la plus complexe qu’il ait
jamais vue. Pourquoi y avait-il tant de couches ?
— Quoi ? demanda-t-elle, clairement mal à l’aise d’être scrutée de
la sorte.
— J’essaie d’évaluer combien de temps il va me falloir pour te
déshabiller.
Elle haussa un sourcil.
— Je croyais que c’était justement pour ne pas le faire que tu
étais sorti de la chambre.
— J’essaie juste d’établir un planning.
Pour plus tard… quand ça ne lui paraîtrait pas aussi mal de la
prendre.
Il lui prit la main et l’attira contre lui pour les téléporter à la Tour
Alexandria. Quand ils arrivèrent, il la lâcha, et elle regarda autour
d’elle en silence. C’est seulement quand elle se racla la gorge qu’il se
rendit compte qu’elle était émue de se retrouver ici.
— Qu’est-ce qu’on fait à la Tour Alexandria ?
Il paniqua soudain avant de réaliser pourquoi elle avait tant de
mal à être dans ce lieu. Il lui rappelait Lexa.
Merde, il aurait dû y penser. Il aurait au moins dû la préparer à
revenir ici, mais ça ne lui avait même pas traversé l’esprit. À présent,
il craignait qu’elle rejette d’emblée sa proposition, mais il devait
quand même essayer.
— J’aimerais que tu installes ton bureau ici, dit-il.
C’était l’endroit parfait. Il possédait le bâtiment ainsi que toutes les
entreprises qui y étaient installées, y compris la Fondation Cyprès,
dans laquelle il espérait que Perséphone s’implique davantage. Être
aussi près de Katerina permettrait une plus grande collaboration.
Mais le plus important, c’était que Perséphone ne le perçoive pas
comme une sorte de prison.
Perséphone tourna la tête vers lui. Elle avait l’air surprise, et il
n’arrivait pas à savoir si c’était une bonne chose.
— C’est à cause d’hier ?
— C’est une des raisons, oui. Ce sera pratique aussi. J’aimerais
ton avis sur l’avancée du Projet Alcyon et j’imagine que ton travail
avec Le Porte-Parole mènera à d’autres idées.
— Tu me demandes de travailler avec Katerina ?
— Oui, dit-il. Tu es la reine de mon royaume et de mon empire. Je
trouve logique que la Fondation nourrisse aussi tes passions.
Son silence l’inquiétait, il l’observa faire le tour de la pièce.
— Tu es contre ? demanda Hadès.
Il ne pouvait s’en empêcher. Il avait besoin de savoir ce qu’elle
pensait.
— Non, répondit-elle avant de se tourner vers lui. Merci. J’ai hâte
de le dire à Hélène et Leucé.
Il se sentit aussitôt apaisé.
— De façon tout à fait égoïste, je serai soulagé de t’avoir près de
moi.
— Tu travailles rarement ici, remarqua Perséphone.
— C’est vrai, mais à partir de maintenant, répondit-il en avançant
vers elle, c’est mon nouveau bureau préféré.
— Lord Hadès, je regrette de t’informer que je suis ici pour
travailler, chuchota-t-elle en regardant sa bouche.
Son parfum était enivrant.
— Bien sûr, répondit-il en coiffant une mèche derrière son oreille.
Mais tu auras besoin de faire des pauses et de manger, et j’ai hâte
d’en profiter.
— Le but des pauses n’est-il pas de ne rien faire ?
— Je n’ai pas dit que je te ferai travailler.
Il la tint contre lui et s’apprêtait à l’embrasser quand il sentit
Katerina approcher. Elle se racla la gorge pour signaler sa présence
et Hadès ne sut si c’était agaçant ou courtois. Il lâcha Perséphone
qui recula, ce qui irrita Hadès de plus belle.
Peut-être fallait-il qu’il rappelle à Katerina qu’ils n’avaient pas à
obéir aux mêmes règles que les autres ? Il comptait montrer à
Perséphone autant d’affection qu’il le souhaitait, y compris la prendre
dans son bureau au gré de ses envies.
— Lady Perséphone ! dit Katerina d’un ton aussi ensoleillé que sa
tenue.
Elle esquissa une révérence et Perséphone lui sourit.
— Katerina, c’est un plaisir, répondit-elle.
— Je suis navrée de vous déranger, commença la directrice en
regardant Hadès avant de revenir sur Perséphone.
Ce bref regard suffit à lui faire comprendre que, quoi que Katerina
ait à lui dire, ce n’était pas une bonne nouvelle. Merde. Il pensa
aussitôt à la prophétie dont elle lui avait fait part dans le Jardin
d’Enfants. Avait-elle changé ?
— Quand j’ai su qu’Hadès était arrivé, j’ai voulu l’intercepter avant
qu’il ne disparaisse à nouveau, conclut-elle.
— J’arrive dans un instant, Katerina, répondit le dieu.
Elle lui sourit, mais sa joie n’atteignit pas son regard, lui faisant
redouter davantage encore ce qu’elle s’apprêtait à lui dire.
— Bien sûr, répondit la mortelle avant de s’adresser à
Perséphone. C’est un honneur de vous avoir parmi nous, Milady.
Elle tourna les talons et Perséphone leva la tête vers Hadès.
— De quoi veut-elle te parler ?
— Je t’expliquerai plus tard, répondit-il.
Quand il le saurait lui-même.
— De la même façon que tu allais me dire où tu étais l’autre soir ?
insista-t-elle en haussant un sourcil.
Hadès plissa les yeux.
— Je te l’ai dit, je négociais avec des monstres.
— Tu parles d’une réponse évasive…
Hadès soupira.
— Je ne cherche pas à te cacher quoi que ce soit. C’est juste que
je ne veux pas t’accabler davantage pendant ton deuil.
Elle sembla hésiter avant de répondre.
— Je ne suis pas en colère contre toi, c’était presque une
plaisanterie.
— Presque, acquiesça-t-il en riant d’un ton incrédule.
Elle plaisantait presque, elle était presque heureuse, et presque
en colère. Sans doute devrait-il s’en contenter, car il était vrai qu’il ne
lui disait pas tout, mais presque.
Il lui caressa à nouveau la joue et la regarda tendrement.
— On en parlera ce soir, dit-il.
C’était la seule promesse qu’il pouvait lui faire, pour l’instant, car il
devait rejoindre Katerina pour savoir ce qu’elle souhaitait lui dire, et
Perséphone devait se mettre au travail.
Il soutint son regard quelques secondes de plus, l’estomac de
plus en plus noué. Il aurait aimé l’embrasser, faire autre chose que
d’être planté là comme un imbécile. Mais s’il commençait, il ne
s’arrêterait plus – alors il recula jusqu’au couloir. Il sentit son regard
sur lui jusqu’à ce qu’il atteigne le bureau de Katerina.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il en fermant la porte.
Katerina regarda autour d’elle, comme si elle avait peur de parler.
Personne ne pouvait les entendre, mais les murs étaient tous vitrés.
— J’ai rêvé de l’Ophiotauros, dit-elle.
Hadès resta silencieux quelques secondes avant de l’interroger.
— Et comment fonctionnent les rêves, pour toi ?
Tous les Oracles étaient différents. La croyance voulait que les
rêves soient le seul aperçu que les dieux et les mortels avaient des
esprits des Moires. Parfois, leurs rêves prédisaient l’avenir
exactement comme il se déroulerait, parfois ils n’étaient que des
mises en garde concernant ce qui allait arriver, mais les détails
restaient alors flous, et parfois, ce n’étaient que le reflet des peurs.
Un bon Oracle savait faire la différence, et comme Hadès savait que
Katerina l’était, il se doutait que ce n’était pas seulement une peur.
— Je n’ai jamais rêvé de quelque chose qui ne s’est pas produit,
répondit-elle.
Il sembla soudain à Hadès qu’un poids énorme s’enfonçait dans
son ventre.
— Raconte-moi, dit-il.
Katerina secoua la tête avant de parler.
— Cette créature, l’Ophiotauros. Sa mort est le catalyseur d’une
guerre qui durera des années, et à la fin, le monde sera divisé en
deux.
— Qu’as-tu vu d’autre ? demanda-t-il.
— Du feu partout et des corps calcinés, dit-elle. Il ne restait plus
rien de ce monde tel que nous le connaissons, comme si… nous
étions revenus aux origines de la terre.
— As-tu reconnu certains corps ?
Il savait que oui parce qu’elle ne lui donnait pas les informations
les plus importantes. Or ce qui comptait, c’était de savoir qui était
mort dans les flammes.
— Hadès… chuchota-t-elle, les yeux brillants.
— Tu as vu Perséphone ? demanda-t-il.
Elle secoua la tête et il put enfin respirer de nouveau,
contrairement à Katerina qui s’était figée.
— Je vous ai vu, vous.
Hadès n’avait jamais pensé à ce qu’il ressentirait lorsqu’il serait
confronté à sa propre mort, mais il supposa que cette situation l’en
rapprochait : un rêve prophétique offert à une Oracle qui ne se
trompait jamais.
— Il y avait d’autres corps ? demanda-t-il.
Elle déglutit en secouant la tête.
— Je… je n’ai pas pu vous quitter des yeux. Peut-être d’autres
Oracles ont-ils eu des rêves similaires.
Hadès hocha la tête, confus.
— Donc l’Ophiotauros est le catalyseur de cette fin ? demanda-t-il.
Tu veux dire que quiconque le tuera aura le pouvoir de provoquer
cette fin ?
— Vous savez comment ça fonctionne, Hadès, dit-elle.
Elle pouvait seulement lui faire part des mots et des visions.
C’était à lui de comprendre ce qu’ils voulaient dire.
Il détestait ce jeu.
— Putain de Moires ! gronda-t-il en frappant le mur en verre, qui
se fissura.
Katerina ne grimaça même pas. Elle resta silencieuse quelques
secondes avant de reprendre, d’un ton calme :
— Je vais en informer Ivy. Elle le fera réparer d’ici la fin de la
journée.
Hadès déglutit et hocha la tête.
— Merci pour l’information, Katerina.
Des larmes coulaient sur ses joues. À l’évidence, elle n’avait pas
plus aimé lui transmettre la nouvelle qu’il n’avait aimé la recevoir.
Hadès sortit de son bureau et retourna à l’étage de Perséphone.
Ce dont il avait besoin, tout de suite, c’était sa présence
réconfortante. Mais une odeur étrange envahit brusquement ses
narines et il s’arrêta. Elle était rafraîchissante et presque…
médicinale.
C’était du laurier.
Son sang se glaça.
Merde.
Il courut au bout du couloir, à l’endroit où il s’était manifesté avec
Perséphone, et découvrit l’odeur de la magie d’Apollon dans l’air.
Le dieu de la Musique l’avait emmenée.

*
* *
Hadès se rendit dans son bureau et saisit le combiné du
téléphone.
— Ivy.
— Milord ! répondit-elle d’un ton joyeux, ne percevant pas sa
colère. Je ne savais pas que vous étiez là !
— Faites monter Zofie, gronda-t-il.
— Tout de suite, Milord.
Il avait convoqué Zofie à la tour, ce matin, afin qu’elle assure la
protection de Perséphone, mais sa présence ne lui avait pas paru
essentielle puisqu’il était également là. Il s’était trompé.
Hadès fit les cent pas dans la nouvelle salle d’attente de
Perséphone, on ne peut plus énervé. Il avait beau lui offrir un lieu où
travailler, il ne pouvait pas la protéger de toutes les menaces, dont
l’une était Apollon.
Est-ce que le dieu savait le danger qu’encourait Perséphone ? Il
l’aurait dû, pourtant.
Après tout, c’était lui qui avait fait l’autopsie d’Adonis. C’était lui
qui avait revécu l’agression d’Harmonie. Il aurait dû comprendre
qu’emmener Perséphone pour lui tenir compagnie n’était pas dans
l’intérêt de la déesse, dans cette période trouble.
S’il était parfaitement capable de suivre la magie d’Apollon et
d’arracher sa déesse, Hadès savait qu’ils étaient liés par un contrat
que Perséphone se devait d’honorer.
Il détestait ça.
Elle aurait dû s’en extirper quand il lui en avait donné l’occasion,
et il ne comprenait pas qu’elle ne l’ait pas fait. Quand apprendrait-elle
qu’elle ne pouvait pas changer les gens ? Apollon finirait par la
décevoir, tôt ou tard, tout comme Hadès. Il en était certain.
L’ascenseur annonça son arrivée par un bip agaçant et Hadès
leva la tête quand Zofie en sortit. Il ne lui laissa pas faire un pas avant
de lui parler.
— Perséphone est à la Palestre de Delphes avec Apollon.
Il le savait, car il pouvait tracer les pierres de sa bague de
fiançailles. Chaque joyau avait une énergie unique qu’il pouvait
sentir, quelle que fût la distance qui les séparait.
— Je veux que tu y ailles pour garder un œil sur eux, même si
Perséphone n’est pas au courant de ta présence.
L’Amazone écarquilla les yeux.
— Je… je ne le savais pas. Je suis tellement dé…
— Ne sois pas désolée. Contente-toi d’y aller, ordonna-t-il.
Si Hadès avait engagé Zofie pour protéger Perséphone, il
commençait à penser qu’il lui fallait quelqu’un qui avait autre chose
que des talents de guerrière. En tant qu’Amazone, Zofie n’avait
aucun talent pour combattre la magie. Il n’était même pas certain
qu’elle le sache. Sans doute finirait-elle par mourir en essayant de
s’opposer à un dieu.
C’était là toute la loyauté et la dévotion d’une Amazone, même
celles qui avaient été bannies.
— Bien sûr, dit-elle, hésitant un instant avant d’appuyer sur le
bouton du rez-de-chaussée.
Il y eut une pause gênante, puis Hadès reprit :
— Téléporte-toi, Zofie, dit-il.
— Bien sûr, répondit-elle avant de disparaître.
Hadès soupira en prenant son visage dans ses mains.
— Nom d’une putain de pipe ! grommela-t-il.
— Ce serait un plaisir, dit Hermès en apparaissant dans un nuage
scintillant de magie.
Hadès laissa tomber ses mains et pencha la tête sur le côté.
— Pourquoi tant cinéma ? Tu n’es pas en public.
— Je voulais surprendre Perséphone, dit Hermès. Je ne crois pas
qu’elle ait déjà vu mon… effervescence.
Hadès haussa un sourcil et Hermès regarda autour de lui.
— Où est Perséphone, d’ailleurs ?
— Ton frère vient de l’emmener, dit Hadès. Peut-être que tu
devrais aller la chercher.
— Euh… non. J’ai dû ramper pour me faire pardonner après avoir
volé ses vaches. Tu crois que je veux recommencer si je vole
Perséphone ?
— Tu viens de comparer ma femme à des vaches ?
— Ta femme ? demanda Hermès en jouant des sourcils. Tu
t’entraînes ?
— Va te faire foutre, Hermès ! grogna Hadès.
Hadès se rendit dans son propre bureau. Du givre commençait à
coller aux vitres, obscurcissant sa vue sur Nouvelle Athènes, même
s’il n’y avait pas grand-chose à voir puisque la ville était étouffée par
un nuage de brouillard et de neige.
— Déméter est vraiment agitée du bocal, dit Hermès.
Hadès le regarda d’un air confus.
— Agitée du bocal ?
— Ben, tu sais, super folle, expliqua Hermès. Complètement
zinzin, quoi.
— Alors pourquoi tu n’as pas dit ça ?
— Parce que c’est moins drôle, Hadès. Moins cool. Si tu veux
t’intégrer, va falloir que t’apprennes le jargon.
— Le jargon ?
— La langue !
Hadès gloussa et Hermès plissa les yeux.
— Je te déteste, grommela-t-il en croisant les bras.
Ils restèrent silencieux quelques instants, à observer le monde.
Hadès s’attendait à ce que la météo empire, mais le voir de ses
propres yeux lui faisait vraiment redouter le pire.
— Tu sais qui je déteste plus que toi ? demanda Hermès.
— Je pense pouvoir le deviner, répondit Hadès.
Déméter.
— Je n’ai pas vu une telle catastrophe depuis les temps anciens,
dit Hermès.
Effectivement, la dernière fois remontait à la sécheresse que la
déesse de la Moisson avait provoquée après qu’un roi thessalien
avait brûlé un bois où poussaient ses arbres sacrés. Il avait fallu des
mois aux Olympiens pour la convaincre d’arrêter.
Hadès ne faisait pas partie de ceux qui l’avaient suppliée, car il
n’avait eu aucune envie de récompenser son comportement enfantin.
Cependant, cela lui donna une idée. Pourrait-il forcer la déesse à se
montrer en profanant quelque chose qui lui était sacré ?
— Je me demande ce que les autres en pensent, dit Hermès.
Il parlait des autres Olympiens.
— Je présume que les deux seules que ça dérange sont Athéna
et Hestia, dit Hadès. Les autres ne s’y intéresseront que lorsque leurs
fidèles commenceront à mourir.
En effet, moins de fidèles signifiait moins de pouvoirs. C’est à ce
moment-là qu’ils s’en prendraient à Hadès et Perséphone.
— Je doute que tu sois venu regarder la neige tomber, dit-il. Ni
même pour montrer à Perséphone ta magie… effervescente. Alors,
qu’est-ce qu’il y a ?
— J’ai besoin d’une raison pour rendre visite à ma meilleure
amie ?
— Je croyais que c’était moi, ton meilleur ami, répondit Hadès
d’un ton sec.

É
— Écoute, je peux être le meilleur ami de plusieurs personnes,
pas besoin de vous battre.
Hadès tourna la tête pour scruter Hermès, qui soupira.
— Bon, d’accord. Aphrodite m’a envoyé dire à Perséphone
qu’Harmonie était réveillée.
— Seulement à Perséphone ?
— Elle m’a demandé spécifiquement de ne pas t’impliquer, dit
Hermès en se massant la nuque. Et crois-moi, je devine déjà les
conséquences.
— Tu préfères subir ma colère ou la sienne ? demanda Hadès.
— La tienne, clairement, dit Hermès d’un ton agacé. Tu parles
d’un ami.
Hadès était soulagé d’entendre qu’Harmonie était réveillée, mais
pas qu’Aphrodite essayait de l’exclure des conversations qu’elle
aurait avec Perséphone. Ils étaient d’accord pour qu’elle enquête sur
l’agression, mais en retour, il exigeait la transparence, et il
n’appréciait pas que la déesse de l’Amour s’y oppose.
— Harmonie n’est que le début, dit Hadès. Il y aura d’autres
dieux.
Hermès se crispa à ses côtés.
— Tu crois vraiment qu’ils peuvent nous tuer ?
— Je crois que tout est possible, dit Hadès. Les mortels ont leur
propre magie.
Cela s’appelait la technologie et la science. Combinées au
pouvoir des dieux, elles les rendaient inarrêtables.
Adonis et Harmonie étaient des tests leur permettant de peaufiner
leurs attaques. Ce n’était qu’une question de temps avant que
quelqu’un meure, et pour le bien du monde entier, Hadès espérait
que ce ne serait pas Aphrodite. S’il y avait un dieu dont les pouvoirs
étaient sous-estimés, c’était Héphaïstos. S’il arrivait quoi que ce soit
à sa femme, le monde apprendrait combien il était terrible.
Chapitre XVI

HADÈS

Hadès s’installa derrière le nouveau bureau de Perséphone.


Cela faisait deux heures qu’Apollon l’avait emmenée et Hadès
perdait patience. Il eut un goût métallique sur la langue, et
Perséphone apparut.
Elle avait l’air… d’avoir pris son pied, mais il savait que ce n’était
pas le cas. Ses cheveux étaient décoiffés et ses joues ainsi que son
nez étaient rougis par le froid. Est-ce qu’Apollon l’avait gardée
dehors ? Par ce temps ? Son agacement crût de plus belle. Elle
sembla réaliser où elle était et leva la tête vers lui, l’air presque
timide.
— Salut, chuchota-t-elle.
— Salut, grogna-t-il, incapable de cacher sa frustration.
Elle le reluqua de haut en bas avant d’étudier son visage, le
regard pétillant et vif.
— Tu vas bien ?
— Harmonie est réveillée, répondit-il.
— Comment va-t-elle ?
— On est sur le point de le découvrir, dit-il en se levant.
Il fit le tour du bureau et s’arrêta à quelques centimètres d’elle. Se
retrouver aussi près ne fit rien pour apaiser la tension qui s’était
installée entre eux.
Au contraire, cela la rendit encore plus brûlante.
— Tu as passé un bon moment avec Apollon ?
— Sur une échelle de un à dix ? Je dirais six.
Hadès grimaça et Perséphone fronça les sourcils quand elle
comprit que son humour ne fonctionnait pas.
— Je suis désolée que tu ne sois pas content.
— Mon agacement n’est pas contre toi, répondit-il. Je préférerais
simplement qu’Apollon ne t’embarque pas à Delphes pendant que ta
mère fait des siennes et que les agresseurs d’Adonis et d’Harmonie
sont encore dans la nature.
— Est-ce que… tu m’as suivie ?
Il soutint son regard avant de tendre la main pour prendre sa main
gauche et la soulever pour désigner sa bague de fiançailles. Pour
Hadès, cette bague était bien plus qu’une promesse de leurs noces
imminentes. Elle symbolisait tout ce qu’ils avaient traversé jusqu’à ce
moment.
C’était une preuve de son espoir et un rappel de toutes les fois où
il l’avait perdu.
— Ces pierres, la tourmaline et la dioptase, dégagent une énergie
unique. La tienne. Tant que tu la porteras, je te trouverai n’importe où.
Ce n’était pas… intentionnel, ajouta Hadès.
Les pierres qu’il mettait dans sa bague n’avaient pas
d’importance. Il pouvait les traquer à cause de son pouvoir sur les
métaux précieux.
— Je n’avais pas prévu de te mettre un… émetteur.
— Je te crois, dit-elle d’une voix douce.
Elle le regarda derrière ses longs cils et cette étrange timidité refit
surface.
— C’est… rassurant, en fait.
— Viens, dit-il avant de prononcer des mots qu’il n’aurait jamais
pensé dire. Aphrodite nous attend.

*
* *
Ils retournèrent sur l’île de Lemnos, apparaissant cette fois devant
une grande villa moderne. Le fait qu’Hadès n’ait pas pu les téléporter
à l’intérieur en disait long sur l’humeur d’Aphrodite. Ils avaient
dépassé le stade de l’urgence et se trouvaient désormais sur le
chemin de la vengeance, mais il était hors de question qu’elle se
serve de Perséphone pour y parvenir.
— On ne pourrait pas se téléporter directement à l’intérieur la
prochaine fois ? demanda Perséphone en frissonnant à ses côtés.
— On pourrait, dit-il, si on y avait été invités.
— Comment ça ? Aphrodite ne t’a pas prévenu qu’Harmonie était
réveillée ?
Hadès ne voulait pas répondre parce qu’il avait l’impression de ne
pas pouvoir mentir.
— Hadès… gronda Perséphone d’un ton désapprobateur.
— Elle a envoyé Hermès te chercher. Et c’est moi qu’il a trouvé,
admit-il avant de la regarder dans les yeux. Tu ne feras pas ça sans
moi, ajouta-t-il.
La bouche de la déesse se pinça et elle fuit son regard, mais pas
avant qu’il comprenne que ses propos l’avaient vexée. Merde.
— Perséphone… l’implora-t-il, mais la porte s’ouvrit sur Lucy.
C’était l’une des créations d’Héphaïstos, une animatronique
presque humaine qui s’occupait de leur maison.
— Bienvenue, dit-elle. Milord et Milady n’attendent pas d’invités.
Veuillez me donner vos noms, s’il vous plaît.
Hadès entra dans la maison sans attendre.
— Excusez-moi ! cria-t-elle. Vous entrez dans la résidence privée
de Lord et Lady Héphaïstos !
Il avait déjà traversé le hall d’entrée quand il entendit Perséphone
parler.
— Je suis Lady Perséphone dit-elle. Et lui, c’est Lord Hadès,
ajouta-t-elle avec autant de dédain que possible.
Le dieu des Morts se tourna vers elle.
— Viens, Perséphone.
Elle croisa les bras et le fusilla du regard.
— Tu pourrais être plus poli. Tu n’as pas été invité, toi, tu as
oublié ?
Hadès contracta sa mâchoire. Dieux, était-elle vraiment obligée
d’être aussi têtue ?
— Lady Perséphone ! s’exclama Lucy d’une voix stridente qui
était censée ressembler à de la surprise. Vous êtes la bienvenue.
Suivez-moi, s’il vous plaît.
Elle laissa Perséphone entrer avant de se diriger vers Hadès,
haussant le menton en passant devant lui.
— Lord Hadès, vous n’êtes pas le bienvenu, dit le robot.
Elle était clairement à l’image d’Aphrodite.
Hadès emboîta le pas de Perséphone et lui prit la main, frustrée
qu’elle essaie de la retirer. En temps normal, il l’aurait laissée faire,
mais cette fois il ne le put pas, sans comprendre pourquoi. Il s’y
agrippa et dessina des cercles sur sa peau avec son pouce jusqu’à
ce qu’elle semble se détendre.
Hadès n’avait pas l’habitude de venir chez Aphrodite et
Héphaïstos. En général, lorsqu’il leur rendait visite, ils l’accueillaient
dehors. Pour un couple qui semblait rarement s’entendre, leur
espace paraissait être un équilibre parfait de leurs personnalités : le
côté luxueux d’Aphrodite et le côté pratique d’Héphaïstos.
Lucy les emmena au bout d’un couloir lumineux, jusqu’à la
bibliothèque, s’arrêtant pour annoncer leur arrivée avant de les
laisser entrer.
— Milady Aphrodite, Lady Harmonie… Lady Perséphone et Lord
Hadès sont là pour vous voir.
Aphrodite était assise à côté de sa sœur sur un petit canapé.
Harmonie faisait moins peur à voir que la veille, mais c’était
seulement parce qu’Apollon avait réussi à soigner ses plaies et ses
bleus et qu’elle avait débarrassé son corps et ses cheveux des traces
de terre. Elle était toujours pâle, presque grise, comme le teint des
âmes quand elles entraient aux Enfers pour la première fois. Quant à
ses cornes mutilées… elles portaient encore les traces de la scie qui
les avait coupées.
— Merci, Lucy, dit Aphrodite, et l’animatronique esquissa une
révérence avant de sortir.
La déesse de l’Amour riva un regard agacé sur Hadès.
— Je vois qu’Hermès n’a pas suivi mes instructions.
— Tu peux remercier Apollon pour ça, répondit Perséphone.
— Perséphone et moi sommes ensemble dans cette histoire,
Aphrodite, ajouta Hadès d’un ton sec.
Harmonie ne réagit pas en entendant leur échange. Elle garda
une main sur son chien, qui dormait sur ses cuisses.
— Perséphone, assieds-toi, je t’en prie, dit Aphrodite d’un ton
mielleux.
Sa gentillesse était fausse et Hadès espéra que Perséphone le
devine.
— Tu veux du thé ? poursuivit Aphrodite.
— Oui, répondit Perséphone en frissonnant.
Hadès fronça les sourcils. Avait-elle encore froid ?
— Du sucre ?
Hadès croisa les bras, perdant patience devant l’hospitalité
d’Aphrodite. Ce n’était qu’une ruse.
— Non merci.
— Un sandwich au concombre ?
— Non merci, répéta Perséphone.
Un silence s’ensuivit, pendant lequel Perséphone but son thé.
— Je suppose que tu es là pour me parler, dit Harmonie d’une
voix si faible qu’elle était presque inaudible.
— Si tu te sens assez bien pour le faire, répondit Perséphone.
Nous avons besoin de savoir ce qui s’est passé hier soir.
Harmonie regarda Hadès et Perséphone tour à tour.
— Par où je commence ?
— Où étais-tu quand tu as été agressée ? demanda Hadès.
— J’étais dans le Parc Concorida.
— Malgré la neige ? demanda Perséphone.
— J’y vais tous les après-midi avec Opale, expliqua-t-elle. On a
pris notre chemin habituel. Je n’ai rien senti d’étrange avant l’attaque,
ni violence ni animosité.
Le fait qu’Harmonie ait l’habitude de se promener dans le parc et
de suivre le même chemin signifiait que quelqu’un connaissait sa
routine et avait pu organiser l’attaque. Et à cause de la neige, il n’y
avait probablement pas de témoins.
— C’est arrivé comment ? demanda Hadès. Quel est ton premier
souvenir ?
— Quelque chose de lourd m’a ensevelie. Quoi que ça ait été,
cela m’a mise à terre. Je ne pouvais ni bouger ni invoquer mes
pouvoirs.
Elle marqua une pause et sa main se mit à trembler sur Opale.
— Après ça, ça a été facile pour eux. Ils sont sortis des bois,
masqués. Ce dont je me souviens le plus est la douleur dans mon
dos. Quelqu’un a planté son genou dans mon dos pour me maintenir
à terre, puis ils ont saisi mes cornes et les ont sciées.
— Personne n’est venu t’aider ? demanda Perséphone.
— Il n’y avait personne, répondit Harmonie. Il n’y avait que ces
gens qui me détestaient pour ce que je suis, alors que je ne peux rien
y faire.
Hadès était gêné de poser la prochaine question, mais il fallait
que quelqu’un le fasse.
— Après avoir pris tes cornes, qu’est-ce qu’ils ont fait ?
— Ils m’ont mis des coups de pied et des coups de poing, et ils
m’ont craché dessus, chuchota-t-elle.
— Est-ce qu’ils ont dit quelque chose pendant qu’ils…
t’attaquaient ?
— Ils ont dit toutes sortes de choses. Des choses atroces, dit
Harmonie avant de déglutir, les lèvres tremblantes. Ils m’ont traitée
de pute, de garce et d’abomination, et ils m’ont demandé où étaient
mes pouvoirs, maintenant, comme s’ils pensaient que j’étais une
déesse guerrière, comme si je leur avais causé des torts. La seule
chose à laquelle je pensais, c’était que j’aurais pu leur apporter la
paix et qu’au lieu de ça, ils me faisaient agoniser.
— Est-ce que tu te souviens de quoi que ce soit d’autre ?
N’importe quoi qui pourrait nous aider à trouver ces gens ?
Hadès se rendit compte que son interrogatoire pouvait paraître
agressif et il marqua une pause pour ajouter d’une voix plus douce :
— Prends ton temps.
Harmonie réfléchit longuement, puis elle regarda Hadès dans les
yeux.
— Ils ont prononcé le mot « lemming », dit-elle. Ils ont dit : « Toi et
tes lemmings, vous allez tous être détruits quand Renaissance
commencera. »
— Lemming, répéta Perséphone en levant la tête vers Hadès.
C’est ce que m’a dit cette femme, au Coffee House.
Harmonie toucha ses cornes brisées. C’était dur à voir, sachant
qu’elle avait été agressée d’une façon aussi horrible.
— Pourquoi vous pensez qu’ils ont fait ça ? chuchota-t-elle d’une
voix qui trahissait ses larmes.
— Pour prouver quelque chose, dit Hadès.
— Prouver quoi, Hadès ? aboya Aphrodite.
— Que les dieux sont remplaçables.
Il n’avait aucun doute quant au fait que quiconque était derrière
tout ça irait tôt ou tard voir les médias, ou à tout le moins se servirait
des cornes d’Harmonie comme d’un trophée afin de prouver qu’ils
pouvaient suffisamment s’approcher d’un dieu pour le blesser. Hélas,
cela ne ferait qu’inspirer d’autres personnes à tenter d’accomplir ce
qu’ils avaient craint un jour.
— Et ils en voulaient la preuve, ajouta-t-il. La nouvelle de ton
agression va bientôt circuler dans les médias, qu’on le veuille ou non.
— Tu n’es pas le dieu des Menaces et de la Violence ? demanda
Aphrodite. Sers-toi de tes accointances douteuses pour prendre les
devants.
— Tu oublies, Aphrodite, que l’on doit d’abord découvrir qui a fait
ça. Et d’ici là, la rumeur se sera répandue parmi ceux qui veulent
nous voir tomber, si ce n’est auprès du grand public. Mais nous
devons laisser faire, pour l’instant, dit Hadès.
— Pourquoi ? Tu veux que ça se reproduise ? demanda
Aphrodite. C’est déjà la deuxième fois !
Ses yeux brillaient de colère, et elle avait parfaitement le droit
d’être furieuse. Une personne proche d’elle avait été assassinée, et
l’autre avait été sévèrement blessée.
— Aphrodite… gronda Perséphone d’un ton qui attira l’attention
des déesses et d’Hadès.
C’était une mise en garde et elle l’avait dit comme une reine,
perchée sur le bord de son fauteuil, le dos bien droit, les mains
jointes sur ses cuisses, ne craignant en rien de remettre Aphrodite à
sa place, même dans sa propre maison.
Harmonie se racla la gorge.
— Je comprends ce que dit Lord Hadès, dit-elle. Quelqu’un va
forcément révéler ce qui m’est arrivé, et quand ce sera le cas, vous
serez prêts… n’est-ce pas, Hadès ?
Hadès hocha la tête.
— Oui, dit-il. On sera prêts.
Chapitre XVII

HADÈS

Ils quittèrent Lemnos. Ils étaient à peine apparus aux Enfers


qu’Hadès prit Perséphone dans ses bras pour l’embrasser. Elle avait
un goût divin et un parfum sucré et plus il l’embrassait, plus sa
poitrine se comprimait et plus il avait envie d’écarter ses cuisses
parfaites pour s’enfouir dans son corps parfait. Il prendrait son temps
et la réchaufferait lentement, lui procurant du plaisir au rythme des
battements de son cœur et de sa respiration, et quand il se glisserait
en elle, sa chaleur mettrait le feu à son corps tout entier.
Putain, ce serait tellement bon.
Il recula et la regarda dans les yeux.
— C’était en quel honneur ?
— Tu m’as défendu auprès d’Aphrodite, dit-il. Je t’en suis
reconnaissant.
Son sourire fit fondre Hadès, mais il se souvint alors de sa colère
juste avant qu’ils entrent chez Aphrodite, et il fronça les sourcils.
— Je t’ai vexée, dit-il.
Ses propos lui dérobèrent toute sa lumière. Elle fuit son regard,
comme pour faire le tri dans ses pensées, avant de le dévisager à
nouveau.
— Est-ce que tu me fais confiance ?
Sa question le prit par surprise car il ne se doutait pas que ses
pensées avaient pris cette direction.
— Perséphone…
— Quoi que vous vous apprêtiez à faire, arrêtez ! déclara Hécate
en se matérialisant dans leur chambre.
Une de ses mains était tendue vers l’avant, à plat, l’autre cachait
ses yeux.
— Est-ce qu’on se déshabille avant qu’elle ouvre les yeux ?
demanda Hadès en regardant Perséphone, qui lui sourit.
— Les âmes vous attendent, dit la déesse de la Magie en
baissant les mains. Vous êtes en retard !
— En retard pour quoi ? demanda Perséphone.
— Vos fiançailles ! s’exclama Hécate en saisissant sa main pour
la tirer vers la porte. Viens, on n’a pas beaucoup de temps pour te
préparer.
— Et moi ? demanda Hadès. Qu’est-ce je dois mettre pour cette
fête ?
Hécate le regarda par-dessus son épaule.
— Tu n’as que deux tenues, Hadès. Choisis-en une.

*
* *
Hadès étudiait son armoire, qui contenait précisément ce qu’avait
dit Hécate : plusieurs exemplaires des deux mêmes tenues ; un
costume noir pour tous les jours et des robes noires pour les
occasions spéciales. Pourtant, ces robes ne lui semblaient pas assez
distinguées.
Il soupira et contracta sa mâchoire avant de faire la seule chose
qu’il pouvait, il invoqua Hermès.
Le dieu des Voleurs apparut dans un nuage de fumée blanche
qui, cette fois, était bien trop épaisse. Elle remplit la pièce et Hadès
s’étouffa, aveuglé.
— Putain, Hermès, grogna-t-il entre deux quintes de toux.
Il dut fermer les yeux pour éviter de pleurer tout en allant jusqu’à
la porte pour l’ouvrir. La fumée se dissipa peu à peu et Hadès se
retrouva face à Hermès qui était vêtu d’un justaucorps bleu à sequins
avec un énorme décolleté qui révélait son torse et son ventre. Le pire
était sans doute la façon dont le tissu moulait son entrejambe,
trahissant ses testicules et sa verge à demi dure.
— Pourquoi tu es comme ça ? demanda Hadès.
— Quoi ? répondit le dieu en étudiant sa tenue. Tu n’aimes pas ?
— Je ne vais même pas répondre à cette question, gronda
Hadès. J’ai besoin d’aide. Les âmes ont organisé une fête de
fiançailles surprise et je… je veux avoir l’air…
— D’autre chose qu’un gothique ? proposa Hermès.
— Je veux surprendre Perséphone, dit Hadès.
— On peut échanger nos tenues, suggéra Hermès. Ça, ça la
surprendrait vraiment.
Hadès le fusilla du regard.
— D’accord… soupira Hermès. Ne bouge pas !
Il prit son menton dans sa main et tourna autour d’Hadès en le
reluquant de la tête aux pieds.
— Qu’est-ce que tu regardes ? demanda Hadès en
s’impatientant.
— Chhhut, ordonna Hermès en agitant la main. Tu interromps
mon génie.
Hadès leva les yeux au ciel.
— Eh, je t’ai vu faire, aboya Hermès. Tu veux mon aide ou pas ?
Hadès croisa les bras.
— Baisse les bras !
Hadès expira sa frustration et baissa les bras en serrant les
poings.
— Desserre les poings !
— Si t’oses me dire encore une fois quoi faire, je…
— Déshabille-toi ! déclara Hermès.
— Quoi ?
— Tu m’as demandé de t’habiller pour tes fiançailles, dit-il. Alors
déshabille-toi.
— Je ne t’ai pas demandé de m’habiller, dit Hadès. Je t’ai
demandé de m’aider à choisir quoi porter.
— Et la tenue requiert que je t’habille.
— Alors choisis une autre tenue.
— Non.
Ils se dévisagèrent un long moment, puis Hadès soupira de
nouveau. Cela lui arrivait souvent quand il était en présence
d’Hermès. Il se redressa et se débarrassa de sa veste.
— Ah, on fait ça de façon mortelle ? dit Hermès en souriant.
Hadès s’arrêta net de déboutonner sa chemise. Il avait pensé
qu’utiliser sa magie lui donnerait l’air trop pressé, mais dans cette
situation devant Hermès, il avait l’impression qu’il faisait un strip-
tease.
— Eh merde, gronda Hadès avant de claquer des doigts, se
retrouvant en sous-vêtements.
— Hmmm, dit Hermès au moment où un grand tissu apparaissait
dans ses mains. Un slip ? Qui l’eût cru ?
Hadès se crispa pendant qu’Hermès drapait le tissu sur son
épaule gauche avant de l’envelopper à la manière d’un himation
traditionnel, laissant une partie de son torse nu.
— J’aurais pu faire ça moi-même, remarqua Hadès alors
qu’Hermès lissait l’avant et l’arrière du vêtement.
— Sans doute, mais est-ce que ç’aurait été aussi beau ?
demanda le dieu de la Ruse avant de le pousser vers le miroir.
Quand Hadès vit son reflet, il dut admettre que le dieu avait
raison. Le tissu avait la couleur du ciel étoilé et les bords étaient
cousus de fil argenté, comme s’ils avaient été trempés dans la
lumière des étoiles.
— Alors ? demanda Hermès.
— Je… suppose que tu as raison, admit Hadès en croisant les
bras.
Hermès sourit jusqu’aux oreilles.
— Maintenant, occupons-nous de tes cheveux.

*
* *
Hermès passa bien une heure à brosser les cheveux d’Hadès,
puis il les attacha en demi-queue pour dégager son visage.
— Quitte ton Charme, dit-il.
Hadès haussa un sourcil et croisa le regard d’Hermès dans la
glace. Ce n’était pas que sa véritable forme le gênait, c’était plutôt
l’ordre d’Hermès qui le dérangeait.
— C’est plus canon, ajouta le dieu de la Ruse.
Hadès leva les yeux au ciel, mais se débarrassa néanmoins de sa
magie.
En général, il ne remarquait pas qu’il véhiculait une illusion toute
la journée, mais il arrivait qu’il se sente soulagé d’enlever le poids de
sa magie.
Et ce soir était l’une de ces occasions.
Assis devant le miroir de la salle de bains dans sa forme naturelle,
ses grandes cornes montant en spirale sur sa tête et ses yeux
étrangement bleus scintillant dans le reflet, il faillit ne pas se
reconnaître. Ou plutôt, il lui semblait que cette apparence appartenait
à un dieu qui n’existait plus. C’était celle qu’on lui avait donnée à la
naissance et qu’il avait utilisée lors de la guerre contre les Titans,
celle qui lui avait servi quand il avait accueilli des milliers d’âmes
sans couleur aux Enfers, ou encore quand lui et les autres Olympiens
étaient venus sur terre durant la Grande Guerre.
C’était ce visage que les gens redoutaient. Il se demandait s’il y
aurait des âmes qui le verraient ce soir et se souviendraient de leur
peur.
Il serra les poings sur la commode.
— Il te faut une couronne, dit Hermès.
Hadès se concentra sur le dieu, qui l’étudiait toujours à quelques
pas, telle une œuvre dans un musée. Il ne le contredit pas et invoqua
sa magie. Des volutes de fumée noire s’échappèrent de son corps et
glissèrent dans l’air avant de s’enrouler sur sa tête pour créer une
couronne de pointes en fer. Hadès se leva avant qu’elles n’aient fini
de se former et se tourna vers Hermès.
— Merci, dit-il. Puis en le reluquant des pieds à la tête, il ajouta :
Amuse-toi… quoi que tu fasses ce soir.
— C’est bon, Hadès, tu peux le dire. Je suis beau à croquer.
— Mais bien sûr, Hermès, répondit Hadès en souriant.
Sur ce, il se téléporta à Asphodèle, se matérialisant en bordure du
village.
— Lord Hadès !
Il sourit jusqu’aux oreilles lorsque plusieurs enfants coururent
vers lui, percutant ses jambes à toute vitesse. Il fit mine de tituber et
ils gloussèrent de voir leur force.
— Joue avec nous ! dit l’un d’entre eux, Dion, en le tirant par la
main.
— S’il te plaît, dis oui ! chantonnèrent deux autres enfants.
Hadès gloussa et se baissa pour prendre Lily, une fillette, dans
ses bras.
— À quoi on joue ? demanda-t-il.
Les enfants crièrent tous en même temps.
— À cache-cache !
— À colin-maillard !
— À ostrakinda !
Leurs réponses s’enchaînèrent, certains proposaient des jeux
datant de l’Antiquité, d’autres choisissaient des jeux plus modernes.
Cela lui rappela combien de temps certaines âmes avaient passé aux
Enfers. Un jour, elles remonteraient au royaume des vivants pour
naître auprès de nouveaux parents, dans un nouveau corps. Elles
oublieraient alors tout ce qu’elles avaient appris ici.
Hadès trouva étrange que l’idée de la vie lui apporte plus de
tristesse que celle de la mort.
— Eh bien, je suppose qu’il s’agit simplement de savoir à quoi l’on
jouera en premier.
Les enfants se remirent à crier, déduisant qu’ils devaient indiquer
à Hadès par quel jeu ils voulaient commencer, mais Hadès ne les
écoutait plus car il avait levé les yeux et croisé le regard
époustouflant de Perséphone.
Sa forme divine provoquait l’émerveillement, car elle luisait. Elle
était comme une étoile dans le ciel, faisant disparaître les ténèbres,
mettant le feu à toute l’horreur qu’il avait connue un jour.
C’est ça, sa forme véritable, pensa-t-il. Elle était sauvage, libre et
sublime. Ses cheveux étaient détachés et ses boucles épaisses
tombaient sur ses épaules et dans son dos, couronnés de fleurs
blanches desquelles semblaient jaillir ses cornes. Sa robe était rose
et légère, donnant l’illusion qu’elle ne touchait même pas le sol.
Hadès déglutit difficilement et grinça des dents, espérant réprimer
les flammes qui crépitaient dans son ventre. Certains enfants
semblèrent remarquer qu’il était distrait et se tournèrent vers
Perséphone avant de se précipiter vers elle.
— Lady Perséphone, joue avec nous, s’il te plaît !
Ils se jetèrent dans ses bras et saisirent ses mains, elle souriait
jusqu’aux oreilles. Hadès n’avait jamais vraiment envisagé le fait que
la beauté serait l’arme qui interromprait les battements de son cœur,
or, il peinait désormais à respirer. Avec Perséphone, il lui était facile
d’oublier le poids qu’il endossait : l’Ophiotauros, les agressions
d’Adonis et d’Harmonie, les reliques et les armes, l’angoisse causée
par la tempête de Déméter.
— Bien sûr, répondit-elle en levant à nouveau les yeux vers lui
avant de regarder par-dessus son épaule. Hécate ? Yuri ?
— Non, s’empressa de répondre Hécate. Mais je peux vous
regarder en buvant un verre de vin.
Les enfants les emmenaient déjà vers le pré et Hadès se retrouva
aux côtés de Perséphone, qui tourna la tête vers lui pour le regarder
dans les yeux.
— Salut, dit-elle.
— Salut, répondit-il en souriant.
Il voulait l’attirer dans ses bras pour l’embrasser, mais il se retint,
se concentrant plutôt sur la horde d’enfants rassemblés autour d’eux.
— On a de nombreux jeux à faire, dit-il. Par lequel allons-nous
commencer ?
Il dressa la liste des jeux et laissa les enfants décider. Cela
débuta par cache-cache, ce qui l’excita car il pensa qu’il pourrait
peut-être se retrouver seul avec Perséphone, mais cela s’avéra
impossible, car chaque fois qu’il la trouvait, elle était accompagnée
d’un enfant qui s’accrochait à sa jupe.
Il eut à nouveau de l’espoir quand ils jouèrent à colin-maillard. Il
aurait adoré la tripoter les yeux bandés, mais elle mit fin à ses rêves
avant même que le jeu n’ait commencé.
— Lord Hadès n’a pas le droit d’être le chasseur, dit-elle.
Il pencha la tête sur le côté.
— Et pourquoi donc, Lady Perséphone ?
— Parce que tu triches, répondit-elle en haussant un sourcil.
— Quelle accusation éhontée ! répondit-il.
— Vas-tu le nier, Lord Hadès ? Que tu as triché pendant le cache-
cache, disparaissant d’un lieu quand tu étais sur le point d’être
découvert ?
— Ça s’appelle utiliser ses ressources, répondit-il, mais sa
réponse ne parut pas amuser Perséphone.
Le dernier jeu était l’ostrakinda, qui datait de la Grèce antique et
qui était plus ou moins le jeu de chat le plus chaotique qui soit, mais
Hadès avait hâte d’y jouer. Ils formèrent deux équipes, jour et nuit,
respectivement menées par Perséphone et lui-même. Chacune était
représentée par un coquillage, peint d’un côté en blanc, de l’autre en
noir.
Les équipes se tenaient en rang, l’une face à l’autre, et Hadès ne
quitta pas Perséphone des yeux pendant qu’un des enfants jetait le
coquillage en l’air. Il atterrit avec la face blanche sur le dessus,
signifiant que la nuit devait poursuivre le jour.
Les enfants se mirent à hurler en s’éparpillant, mais Perséphone
n’avait toujours pas bougé, les yeux plongés dans ceux d’Hadès. Il se
demanda à quoi elle pensait, car il se demandait lui-même ce qu’il
ferait quand il l’attraperait. Il aimerait la tacler et les téléporter au lit
avant même qu’elle n’ait touché le sol, mais il avait le sentiment
qu’Hécate viendrait les ramener à Asphodèle par la peau des fesses.
Il devrait se contenter d’un baiser, même si cela rendrait la soirée
bien plus pénible.
Il sourit, et quelque chose dans son regard dut intimer à
Perséphone de courir, car elle tourna aussitôt les talons. Il tendit la
main et avait à peine effleuré son bras qu’elle lui échappa et courut à
travers champs. Il n’avait pas eu tort de penser qu’elle survolait le sol
car c’est ce qu’elle fit, bondissant devant lui comme une gazelle
gracieuse, laissant une nuée de fleurs sur son passage à chaque
endroit où elle posait le pied.
Il n’était même pas sûr qu’elle s’en rende compte, car elle ne se
retourna jamais pour le regarder. Hadès, lui, ne la quittait pas des
yeux. C’est ainsi qu’il fut témoin du brusque changement qui advint.
Les fleurs qui s’étaient épanouies dans sa foulée disparurent quand
elle ralentit puis s’arrêta brusquement.
Hadès la rejoignit et posa une main sur sa taille. Elle ne tourna
pas la tête vers lui, les yeux fixés sur un point de l’horizon.
— Tu vas bien ?
Elle prit une inspiration tremblotante.
— Je viens de me rappeler que Lexa n’est pas là, dit-elle en
regardant Hadès avec des yeux larmoyants.
Cela lui brisait le cœur de la voir ainsi, si… triste, après un
moment de bonheur pur.
— Comment j’ai pu oublier ?
— Oh, chérie…
Il la prit dans ses bras et l’embrassa sur le front. Il la tint contre lui
un moment, ne sachant quoi dire, parce qu’il avait conscience
qu’aucune parole ne la réconforterait. Elle était endeuillée et se
sentait coupable, et la seule chose qu’ils pouvaient faire, elle comme
lui, c’était d’attendre que ces émotions passent.
Il ne la lâcha que quand elle parut prête à bouger, et il lui prit la
main pour l’emmener à l’endroit où les âmes étaient réunies pour le
pique-nique. Yuri les guida jusqu’à leur couverture, placée en bordure
du champ, sous les branches du Bois de Perséphone. Il l’aida à
s’asseoir avant de la nourrir et de remplir son verre de vin, incapable
de la quitter des yeux en constatant que sa joie refaisait surface et
animait son visage alors qu’elle observait les âmes, son peuple.
— À quoi tu penses ? demanda Hadès, curieux.
Elle était assise en tailleur et émiettait un morceau de pain. Elle
sembla réaliser ce qu’elle faisait en l’entendant et elle posa le pain
avant de s’épousseter.
— Je pensais au fait de devenir reine.
— Et… tu es heureuse ?
— Oui, bien sûr, dit-elle avant de marquer une pause. J’imaginais
comment ça allait être, à ce qu’on ferait ensemble. Enfin, si Zeus
accepte.
Hadès se crispa, frustré qu’elle accorde la moindre attention à
Zeus. Il supposa plutôt qu’elle doutait de sa promesse, du fait qu’ils
se marieraient même si son frère n’était pas d’accord.
— Continue de te projeter, ma chérie.
Un minuscule sourire presque imperceptible se dessina sur ses
lèvres et elle tourna la tête en direction du pré d’Asphodèle et du
palais qui dominait l’horizon de son ombre lugubre.
— J’aimerais parler de tout à l’heure, dit Hadès. Avant qu’Hécate
nous interrompe, tu m’as demandé si je te faisais confiance.
Elle se crispa à son tour et il la vit hésiter avant de répondre.
— Tu as pensé que je ne viendrais pas te chercher, n’est-ce pas ?
Quand Hermès m’a invoquée à Lemnos. Dis-moi la vérité.
Hadès essaya de ravaler le nœud qui se formait dans sa gorge, et
un sentiment de honte l’envahit. Il baissa les yeux sur ses mains.
— En effet, admit-il avant de croiser son regard vexé. Mais je
m’inquiétais surtout au sujet d’Aphrodite. Je sais ce qu’elle attend de
toi. J’ai peur que tu essaies de mener l’enquête seule pour identifier
les agresseurs d’Adonis et d’Harmonie. Ce n’est pas parce que je ne
te fais pas confiance mais parce que je te connais. Tu veux réparer le
monde pour qu’il soit à nouveau sûr, tu veux réparer ce qui est cassé.
— Je t’ai dit que je ne ferais rien sans que tu le saches, dit
Perséphone. Je le pensais.
Son ton et son regard étaient déterminés. Hadès lui avait souvent
fait des promesses, et les paroles de Perséphone lui semblaient en
être une.
Il la croyait.
— Je suis désolé, dit-il.
Il s’en voulait énormément d’avoir douté d’elle, et pire encore, de
l’avoir laissée penser qu’il ne lui faisait pas confiance.
Elle ne lui répondit pas que ce n’était pas grave ni qu’elle
acceptait ses excuses. Elle préféra plutôt retourner ses mots contre
lui.
— Tu m’as dit un jour que les mots n’avaient aucune valeur. La
prochaine fois, laisse parler tes actes.
Il hocha la tête.
Pendant un instant, une tension étrange s’installa entre eux.
Hadès avait presque l’impression de devoir dire autre chose, de
s’excuser à nouveau, mais il savait également que de tels mots
n’auraient pas d’importance. Bientôt, le silence devint moins tendu, et
Hadès s’allongea sur le dos, la tête sur les cuisses de Perséphone.
Elle éclata de rire en le voyant faire, mais elle parut heureuse de
coiffer ses cheveux en arrière. Hadès aima cela et un sentiment de
tranquillité l’enveloppa bientôt.
— Hadès, chuchota-t-elle d’une voix hésitante, comme si elle
craignait qu’il se soit endormi.
— Hmm ?
Il ouvrit les yeux et la regarda. Il n’était pas du tout prêt pour la
question qu’elle lui posa.
— Contre quoi as-tu échangé ta capacité à avoir des enfants ?
Il se demanda ce qui avait suscité cette curiosité. Était-ce à cause
du temps qu’ils avaient passé avec les enfants à Asphodèle ? Sa
question en amena une deuxième. Avait-elle des doutes au sujet de
leur mariage ? Avait-elle décidé qu’elle voulait être mère ?
— J’ai permis à une femme mortelle de devenir divine, répondit-il.
À l’époque, cela lui avait paru puissant, mais c’était également
pour cela que Dionysos lui devait une Faveur et n’avait d’autre choix
que de se plier à sa volonté. Le dieu du Vin était venu le voir au sujet
de sa mère, Sémélé, qui avait été tuée par Zeus et dont la mort était
finalement le résultat de la jalousie d’Héra. Il avait supplié Hadès de
la libérer. Hadès aurait aimé dire qu’il était allé voir les Moires par
sympathie pour le dieu, mais ce qui l’intéressait surtout, c’était de lier
Dionysos dans un contrat qui l’obligerait à faire tout ce qu’il lui
demandait.
Les Moires avaient accepté d’accorder la divinité à Sémélé, mais
en retour, Hadès avait dû céder sa capacité à avoir des enfants.
À l’époque, il n’avait même pas eu à réfléchir à un tel échange.
C’était la décision la plus facile de sa vie. Il n’avait pas de grand
amour, seulement des maîtresses. Il s’était dit à l’époque que c’était
une vraie bénédiction.
Mais les Moires n’étaient pas dupes. Il n’aurait pas dû l’être.
À présent, sa tête reposait sur les cuisses de l’amour de sa vie, et
il ne pouvait pas faire d’elle une mère.
— Est-ce que tu l’aimais ? finit-elle par demander, se trompant sur
ses raisons.
— Non. J’aimerais pouvoir prétendre que c’était par amour ou
même par compassion, mais… je voulais obtenir une Faveur d’un
dieu, donc j’ai négocié avec les Moires.
— Et elles t’ont demandé tes… nos… enfants ?
Une douleur surprenante le saisit quand il l’entendit parler de
leurs enfants. Quel futur avait-il sacrifié en échange de la Faveur d’un
dieu qui le haïssait ? Il s’assit et se tourna vers elle.
— À quoi tu penses ?
Il avait besoin de savoir si c’était quelque chose qu’elle désirait
car, si c’était le cas, il trouverait un moyen.
— À rien. Je… j’essaie juste de comprendre le destin.
— Le destin n’a pas de logique. C’est pour cela qu’il est aussi
simple de l’accuser.
Elle soutint son regard quelques secondes avant de tourner la
tête, et il ne put s’empêcher de se demander si elle essayait vraiment
de décider si elle pouvait l’épouser.
Il tendit le bras et effleura sa peau du bout des doigts.
— Si j’avais su… si j’avais eu la moindre idée que… je n’aurais
jamais…
— Ne t’inquiète pas, Hadès, l’interrompit Perséphone. Je ne
cherchais pas à te rendre triste.
— Tu ne me rends pas triste, répondit-il. Je repense souvent à ce
moment et me rappelle la facilité avec laquelle j’ai abandonné
quelque chose que je viendrais un jour à désirer. Mais c’est la
conséquence de négocier avec les Moires. Inévitablement, on finit
toujours par souhaiter ce qu’elles prennent. Un jour, à mon avis, tu
m’en voudras pour ce que j’ai fait.
— Je ne t’en veux pas et je ne t’en voudrai jamais, déclara
Perséphone comme si ces propos l’insultaient. Est-ce que tu ne peux
pas te pardonner aussi facilement que tu m’as pardonné ? On fait
tous des erreurs, Hadès.
Il étudia son regard, ne sachant ce qu’il y cherchait, mais il n’y
trouva que son amour et sa gentillesse. Si cela avait été difficile de
s’habituer à sa vision confiante du monde, c’était également quelque
chose qu’il admirait chez elle. Elle lui rappelait le bon qui y existait,
même en quantité minuscule.
Il rapprocha sa bouche de la sienne et l’allongea sur le dos. Il
adorait la sentir sous lui et tout son corps se remplit d’une chaleur
délicieuse. Ses mains affamées cherchèrent à ouvrir sa robe. Il retint
son souffle quand elle trouva sa verge déjà pulsante de désir et le
branla. Hadès était pris d’un vertige, il l’embrassa plus fort et avança
le bassin pour s’enfoncer dans sa main jusqu’à ce qu’elle le libère et
relève sur ses hanches la quantité ridicule de tulle qui formait sa jupe
avant de le guider en elle. Quand il fut enfoui dans sa chaleur, il
s’appuya sur ses coudes, la tête à quelques millimètres de la sienne.
Elle tressauta lors de son premier coup de bassin et gémit au
second. Au troisième, elle pressa sa tête dans le sol et il plaqua sa
bouche sur la peau de son cou pour la dévorer.
Putain, elle était tellement délicieuse, et il lui fallut tout son self-
control pour maintenir un rythme lent plutôt que de l’empaler comme
il l’avait fait la veille au soir. Il avait été une personne différente, alors,
quelqu’un de plus primitif et possessif.
— Je t’offrirai le monde entier, chuchota-t-il.
— Je n’ai pas besoin du monde entier, dit-elle. Seulement de toi.
Il l’embrassa et lui fit l’amour, la faisant jouir sous le ciel étoilé.
Chapitre XVIII

DIONYSOS

Dionysos fut surpris de trouver Ariadne réveillée, le lendemain


matin, installée dans le salon. Il s’attendait à ce qu’elle l’évite, mais
peut-être les choses n’avaient changé entre eux que dans sa tête.
Il ne pouvait plus la regarder de la même manière. Avant, elle ne
faisait que l’agacer passablement et si c’était en partie dû à son
attirance pour elle, ce n’était rien comparé à ce qu’il ressentait
maintenant. Elle était comme un feu sous sa peau, et il pensait sans
cesse aux sensations qu’il avait eues en l’embrassant.
Le fait qu’elle soit à ce point à l’aise chez lui ne l’aidait pas. Elle
paraissait avoir sa place dans son appartement, au centre de sa vie.
Elle était sur le canapé, un livre sur les cuisses, vêtue de son tee-
shirt, ses longues jambes nues croisées.
Elle avait même préparé du café.
Elle leva la tête quand il entra dans la pièce.
— Tu as bien dormi ? demanda-t-il.
— Oui, bien, et toi ?
— Super.
Il ne savait pas pourquoi il se montrait si passif agressif. Peut-être
était-ce parce qu’il mentait ? Un silence suivit et pendant quelques
secondes, il ne put se retenir de la dévisager.
— Où vas-tu ? demanda-t-elle.
Dionysos hésita. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle le lui demande.
— J’ai un rendez-vous. Tu peux rester ici si tu préfères, ou je peux
te ramener à Bakkheia.
Il n’aurait pas dû lui laisser la possibilité de rester, mais
égoïstement, il aimait l’idée de la retrouver en rentrant chez lui.
C’était ridicule, étant donné qu’il passait rarement du temps dans son
appartement, mais il n’avait jamais eu de raison de le faire
auparavant.
Ariadne parut tout aussi surprise par sa proposition.
— Je… je crois que j’aimerais rester ici.
Dionysos déglutit, agacé de se sentir à ce point soulagé par son
choix.
— Les Ménades garderont la maison, dit-il.
Le regard d’Ariadne durcit.
— C’est une mise en garde ?
— Seulement si tu prévois de t’enfuir.
Sa bouche se pinça.
— As-tu repensé à ta stratégie pour sauver Méduse de
Poséidon ?
En vérité, il y avait pensé, et son rendez-vous était justement avec
le dieu lui-même, mais il ne voulait pas le dire à Ariadne, car il ne
souhaitait pas qu’elle l’accompagne. Moins il présenterait de femmes
au dieu de la Mer, mieux ce serait.
— J’y travaille, dit-il d’un ton plus vif que voulu.
— Tu ne vas pas assez vite, dit-elle.
— Pourrais-tu me faire confiance, pour une fois ? rétorqua
Dionysos.
Il aurait dû se taire, mais il ne pouvait s’en empêcher.
— Tu as la fâcheuse habitude de t’incruster dans des situations
qui ne te concernent pas, parce que tu penses en avoir l’autorité.
Mais tu n’en as aucune, ici. Plus tôt tu en prendras conscience, mieux
ce sera.
Ariadne referma brusquement son livre.
— Et tu te demandes pourquoi je ne te fais pas confiance.
— Je ne me le demande pas, je le sais, répondit-il.
— Tu ne me respectes pas, ajouta-t-elle en secouant la tête. Rien
de ce que je peux offrir n’a de valeur à tes yeux.
C’était faux, mais il n’osa pas le dire à voix haute.
— Je pourrais dire la même chose à ton sujet, dit le dieu de la
Vigne.
Elle posa le livre et se leva. Le bas de son tee-shirt atteignait à
peine le haut de ses cuisses. Quelle que soit la colère qu’il avait
envers elle, elle nourrissait également son désir, et il serra les poings.
— Dans ce cas, emmène-moi à Bakkheia, dit-elle.
— Qu’est-ce que ça change de rester ici ? demanda Dionysos. Ce
n’est pas comme si tu pouvais m’échapper.
— C’est toi qui m’as laissé le choix, rétorqua-t-elle. Alors laisse-
moi choisir.
— Tu l’as déjà fait, dit-il, distrait par la façon dont le tissu fin du
tee-shirt moulait ses seins et ses tétons pointus.
Ariadne remarqua qu’il les regardait, elle croisa les bras pour se
couvrir. Dionysos détourna les yeux et se racla la gorge. Il fallait qu’il
parte.
— Je vais dire aux Ménades de t’apporter des vêtements, dit-il,
disparaissant avant de se ridiculiser davantage.
*
* *
Dionysos se tenait à côté de Silène, au bord d’une jetée qui
s’avançait loin dans les eaux du golfe de Poséidon. Derrière eux, la
Nouvelle Grèce était enveloppée dans un brouillard épais, mais la
tempête de neige ne semblait pas avoir touché cette partie du
royaume de Poséidon.
Cela faisait une heure qu’ils attendaient, sans le moindre signe du
dieu de la Mer. Étant donné leur passif, Dionysos n’aurait pas été
surpris qu’il ne vienne pas du tout.
— Ce n’est pas comme si quelqu’un se rappelait cette guerre, dit
Silène.
— Je m’en souviens, moi, dit Dionysos.
Silène parlait d’une bataille que Dionysos avait menée contre
Poséidon il y avait longtemps, pour une nymphe prénommée Béroé
et dont ils étaient tous les deux tombés amoureux. Chacun avait fait
appel à Aphrodite pour sauver son amour, mais la déesse n’avait pas
été influencée par leurs offrandes et leur avait ordonné de se battre,
ce qu’ils avaient fait. Dionysos avait vite perdu. Cela avait été l’un des
moments les plus gênants et les plus honteux de son existence, et
c’était une des raisons pour lesquelles il ne voulait pas qu’Ariadne
soit mêlée à quoi que ce soit qui impliquait le dieu de la Mer.
Il n’avait aucune confiance en Poséidon et il était persuadé que
s’il la voyait, il chercherait à la séduire. Or Dionysos craignait ce qu’il
ferait si cela arrivait. Peu importait qu’il ne soit pas amoureux d’elle,
elle comptait pour lui, même s’il ne savait pas précisément dans
quelle mesure.
— Comment va la fille ? demanda Silène.
Dionysos grinça des dents.
— C’est une femme, Silène. Et elle va très bien.
Il sentit le regard de son père adoptif sur lui.
— Alors tu ne l’as pas encore baisée ?
— Bon sang, papa, gronda Dionysos. Tais-toi.
— Est-ce qu’un père ne peut pas s’inquiéter du bien-être de son
fils ?
— Non ! aboya Dionysos.
S’il n’avait pas fait vœu de chasteté, il était vrai qu’il n’avait
ressenti de désir pour aucune femme depuis qu’il avait rencontré
Ariadne.
— Bon, très bien, dit Silène. Je dis juste que, à mon avis, ça
améliorerait ton humeur.
L’estomac de Dionysos se noua. N’avait-il pas dit une chose
similaire à Ariadne, la veille, au quartier du Plaisir ? Dieux, il détestait
savoir qu’il parlait comme son père adoptif.
— Un mot de plus, et je te pousse dans l’océan, menaça
Dionysos.
Heureusement, le satyre l’écouta, et le bruit des vagues combla le
silence qui s’installa. Cependant, Dionysos n’était pas certain de
préférer cela, car sans distraction, il n’avait de pensée que pour
Ariadne. Il était vraiment désespéré.
— On dirait que Poséidon a décidé de venir, finalement, dit
Silène.
Dionysos leva la tête et vit un yacht blanc se diriger vers eux, son
cœur se mit à battre plus vite. Il était bondé de gens, presque nus,
même si certains étaient en maillot. La musique était à fond et tout le
monde semblait danser. Fut une époque où Dionysos aurait prospéré
dans un tel environnement, mais c’était il y a longtemps, et cela ne
faisait que le remplir d’appréhension à présent. Il lui était facile de se
souvenir de la sensation de folie qui accompagnait ces moments,
quand l’alcool coulait à flots et la musique pulsait autour de lui.
Il lui fallut quelques secondes pour se débarrasser de ces
sensations, mais quand le yacht arriva à quai, il avait repris le
contrôle.
L’équipage de Poséidon abaissa la rampe et Silène s’avança
avec enthousiasme. Dionysos posa une main sur son épaule pour le
mettre en garde.
— Pas d’alcool. On n’est pas là pour ton plaisir.
— Je sais, je sais, répondit le satyre en dégageant sa main avant
de monter à bord.
Ils se retrouvèrent au milieu d’une orgie. Certains passagers
dansaient, mais la plupart prenaient part à divers actes sexuels.
— Par ici, dit un des membres de l’équipage qui avaient abaissé
la rampe, en tournant les talons pour traverser la foule.
Dionysos le suivit, traînant son père adoptif derrière lui et ne le
lâchant que lorsqu’ils furent à l’intérieur du yacht. La cabine était
aussi bondée que le pont, mais au moins ses envies de sexe seraient
contenues.
La musique était moins forte à l’intérieur, et l’ambiance plus
tranquille. Il y avait des gens allongés dans diverses positions sur le
sol et les meubles. Installé sur un canapé circulaire, Poséidon les
attendait, les bras étendus sur le dossier.
Contrairement aux autres dieux qui cachaient souvent leur
véritable forme, Poséidon utilisait rarement son Charme. À cause de
cela, il paraissait luire d’une aura dorée et scintillante. Il portait des
manchettes et une couronne dorées à la base de ses cornes en
spirale. Dionysos savait que sa forme divine n’était pas une question
de confort ; en vérité, cela le rendait plus imposant et plus puissant
que quiconque dans la pièce.
— Dionysos, dit Poséidon, les yeux pétillants de malice. Viens,
assieds-toi. Viens faire la sieste.
Le dieu du Vin l’ignora et alla droit au but.
— On me dit que tu sais peut-être où se trouve une femme que je
cherche, dit-il.
Poséidon pencha la tête sur le côté, les yeux légèrement plissés.
— T’étais fun, à l’époque. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Tu sais parfaitement ce qui s’est passé, rétorqua Dionysos.
Poséidon l’étudia un moment avant de gonfler ses poumons.
— Tu sais ce qui rend les hommes faibles, Dionysos ?
Le dieu de la Vigne attendit qu’il poursuive, même s’il savait que
ses propos ne lui plairaient pas.
— Les femmes. Attends, écoute-moi, dit Poséidon en levant la
main pour empêcher Dionysos de parler. Héra t’a dérobé ta sérénité
et t’a changé en homme… misérable. Elle t’a rendu faible.
Dionysos serra les poings, sa colère menaçait de jaillir.
— Ton opinion ne m’intéresse pas, Poséidon. Je suis seulement
venu te demander si tu connais une femme qui s’appelle Méduse.
Apparemment, la dernière fois qu’elle a été vue, c’était sur ton rivage,
et maintenant, elle a disparu.
— Qu’est-ce que j’en sais ? Tant de femmes vont et viennent,
répondit Poséidon d’un ton désintéressé.
— Une femme a disparu. Elle a peut-être des ennuis, ou pire, et
c’est tout ce que tu trouves à dire ?
Même si Dionysos n’était pas surpris, il n’en était pas moins
dégoûté.
— J’ai du mal à comprendre pourquoi tu tiens tant à cette femme.
Tu n’en as pas sauvé des milliers au cours de ta mission pour mettre
fin au trafic ? Au fait, comment ça se passe ? demanda le dieu de la
Mer avant de marquer une pause en fronçant les sourcils. Est-ce que
tu leur parles de ton passé ? Quand tu les rendais tellement folles
qu’elles se jetaient aveuglément sur ta bite ?
— Tu ne sais pas de quoi tu parles, dit Dionysos, bouillonnant de
rage.
— Eh bien, peut-être que nous n’avons pas le même souvenir du
passé.
— C’était une erreur, dit-il.
Il aurait dû écouter son instinct plutôt que de chercher à faire
plaisir à Ariadne.
— La fille que tu héberges chez toi, dit Poséidon. Elle s’est jetée
sur ta bite, aussi ?
Dionysos se figea. Il ne comprenait pas pourquoi tout le monde
était obsédé par sa verge.
— Depuis quand tu t’intéresses à qui je baise ?
— Je suppose que ça fait un moment, dit Poséidon d’un ton
pensif. Quoi qu’il en soit, je m’en fiche royalement, mais mon fils
s’intéresse à qui elle baise, elle.
— Elle n’appartient pas à ton fils.
— Je crois qu’on sait tous les deux que c’est faux.
— Qu’est-ce que tu veux dire, Poséidon ?
— Je dis que je ne crois pas que tu veuilles de nouveau partir en
guerre pour une femme. Ça ne s’est pas bien terminé pour toi, la
dernière fois.
La dernière fois, Dionysos avait eu l’aide de Zeus, et étant donné
que Poséidon soutenait Thésée, il ne pensait pas que le dieu du Ciel
interviendrait, cette fois-ci.
— Je ne suis pas venu parler d’Ariadne, dit-il.
— Mais oui. Tu veux savoir ce que je sais à propos de Méduse,
répondit Poséidon. Je l’ai baisée et je l’ai laissée. Je ne sais pas ce
qui lui est arrivé, après ça. Peut-être qu’elle a supplié Hadès de
mourir. Mais c’est dommage. Si j’avais su la valeur de sa jolie tête, je
l’aurais tranchée quand elle était à terre.
Dionysos le fusilla du regard, plantant ses ongles dans sa paume.
Poséidon se pencha en avant, les coudes appuyés sur les
genoux, les mains jointes.
— Dis-moi que tu le savais. On dit qu’elle est capable de changer
les hommes en pierre, mais seulement après que sa tête a été
séparée de son corps, dit-il avant de marquer une pause en
esquissant un sourire horrible. C’est typique des femmes, non ?
D’être utile seulement quand elles sont mortes.
Chapitre XIX

HADÈS

Hadès se réveilla quand Perséphone sursauta à ses côtés.


— Perséphone ? demanda-t-il en se tournant vers elle alors
qu’elle s’asseyait dans le lit.
Elle gigotait, agrippant les draps, le dos arqué.
— Perséphone, répéta-t-il en posant une main sur son ventre
pour faire en sorte qu’elle se rallonge, mais elle se débattit en
gémissant. Perséphone, réveille-toi, dit-il en la secouant.
Il ne savait pas quoi faire d’autre pour la tirer de son cauchemar,
mais elle semblait prise dans ses griffes, incapable de s’en extraire.
Merde.
Il se mit à genoux et tenta de l’immobiliser.
— Perséphone !
Cette fois, elle ouvrit les yeux, sans toutefois sembler se réveiller.
Elle se débattit de plus belle, au point qu’il peinait à la tenir en place,
même à cheval sur elle.
— Perséphone, c’est moi, chhhut !
Quand elle planta ses ongles dans sa peau, il comprit qu’il perdait
la bataille, mais il ne savait pas par quel autre moyen la réveiller et il
était hors de question qu’il la laisse affronter l’horreur de son
cauchemar. Il continua d’essayer de l’allonger sur le dos, mais elle
plia la jambe et lui mit un coup de genou dans le visage.
Hadès atterrit sur le dos et Perséphone recula contre la tête de lit,
comme si elle était piégée.
— Perséphone.
Il avança vers elle quand, tout à coup, elle cria. Un déchirement
horrible retentit et des lianes et des épines transpercèrent sa chair. Il
sentit l’odeur du sang mêlée à celle de sa magie, qu’il trouvait sucrée,
d’habitude, mais qui, cette fois, lui paraissait atrocement amère. Il
allait vomir.
— Perséphone, gémit-il d’un ton rempli de douleur.
Il invoqua un feu dans la cheminée et, à la lueur des flammes, il
découvrit les dégâts qu’elle s’était faits.
Son estomac se noua, mais ce fut encore pire quand il vit ses
grands yeux horrifiés.
Elle était désormais réveillée, pleinement consciente de ce qu’elle
avait fait, et elle craqua, secouée de sanglots.
— Regarde-moi, ordonna Hadès.
Il ne voulait pas lui aboyer dessus, et il détesta la voir grimacer au
son de sa voix, mais il était presque hystérique et c’était la seule
chose qu’il pouvait faire pour rester calme.
Il tendit la main vers les épines qui déchiraient sa peau et dès qu’il
en toucha une, elles disparurent dans un nuage de poussière noire. Il
se concentra ensuite sur ses plaies béantes ; un procédé lent et
agonisant. Son corps était brûlant et ses oreilles vrombissaient au
point qu’il n’entendait rien. Il ne savait même pas si Perséphone
pleurait encore. La seule chose qu’il pouvait faire pour ne pas
craquer était de contracter sa mâchoire si fort qu’elle lui faisait mal,
jusqu’à ce que la brûlure dans sa gorge et dans ses yeux ait cessé.
Sauf que ce ne fut pas le cas et, même après qu’il eut fini, il avait
l’impression de voir le traumatisme sur sa peau. Peut-être était-ce
parce qu’elle était encore couverte de sang.
— Je t’emmène aux bains, dit-il en se levant et en frottant ses
mains sur ses cuisses, pensant d’abord les sécher avant de se
souvenir qu’il était nu et que sa peau était moite.
Il invoqua sa robe, espérant que ce serait moins glissant.
— Est-ce que… je peux te porter ?
Il lui semblait nécessaire de lui poser la question. Il aurait dû avoir
la présence d’esprit de ne pas la toucher pendant qu’elle dormait.
Était-ce à cause de lui que ce cauchemar avait été terrible à ce
point ?
Perséphone hocha la tête et quand il se baissa pour la prendre
dans ses bras, il eut l’impression de ne plus savoir comment la tenir.
Quelle manière lui ferait moins mal, lui laisserait moins de cicatrices ?
Il était certain que l’emmener aux bains était mieux que de la laisser
macérer dans son propre sang.
Il la porta jusqu’au bout du couloir, jusqu’à un des plus petits
bassins où il la posa. Il pensait qu’elle se précipiterait dans l’eau,
mais elle n’en fit rien. Elle resta debout, les yeux rivés sur lui. Il voulait
la débarrasser du sang qui la recouvrait.
— Je peux te déshabiller ?
Elle hocha la tête, l’air hébétée, et s’il hésita à la toucher, il le fit
tout de même, l’aidant à enlever sa nuisette avant de se déshabiller à
son tour.
Ses gestes n’avaient rien de sexuel, son seul désir était de
s’assurer qu’elle allait bien. Il coiffa délicatement une mèche dorée
sur son épaule, et elle ferma les yeux en frissonnant violemment. Il
laissa retomber sa main.
— Est-ce que tu perçois la différence ? demanda-t-il. Entre mon
toucher et le sien ?
— Quand je suis réveillée, oui, chuchota-t-elle.
Il avait aggravé la situation. Sa gorge était tellement nouée qu’il
ne pouvait plus respirer.
— Est-ce que je peux te toucher maintenant ?
— Tu n’as pas besoin de le demander.
— Je préfère le faire, répondit-il en la prenant à nouveau dans ses
bras. Au cas où tu ne serais pas prête.
Cette fois, ce fut un peu moins difficile.
Il descendit les marches et ils avancèrent dans l’eau. Le sang se
dissipa lentement. Il la garda contre lui, elle ne le repoussa pas.
— Je ne comprends pas pourquoi je rêve de lui, dit-elle après un
long silence. Parfois, quand je repense à ce jour, je me rappelle
combien j’avais peur. Et d’autres fois, je me dis que je ne devrais pas
être affectée à ce point. D’autres ont…
— Tu ne peux pas comparer les traumatismes, Perséphone, dit-il
en lui coupant la parole.
Il savait ce qu’elle allait dire ; d’autres ont vécu pire. Aucun
homme sur terre ne dirait jamais une chose pareille. Il n’y avait
qu’aux femmes qu’on enseignait que leur douleur ne suffisait jamais.
— C’est juste que j’ai l’impression que j’aurais dû m’en douter, dit-
elle. Je n’aurais jamais dû…
— Perséphone.
Il ne supportait pas de l’entendre parler de ce qu’elle aurait dû
savoir ou faire. Elle n’aurait jamais dû se retrouver dans cette
situation, point à la ligne. Elle était une proie, et Pirithoos était le
prédateur.
— Comment aurais-tu pu le savoir ? demanda-t-il. Pirithoos s’est
présenté comme un ami. Il a profité de ta gentillesse et de ta
compassion. Le seul à être en tort dans cette histoire, c’est lui.
Elle ne le regardait pas pendant qu’il parlait, mais il sut qu’elle
pleurait. Elle essaya d’essuyer ses larmes, mais elle ne put les retenir
et enfouit son visage dans ses mains.
Il ne savait quoi faire d’autre, à part la serrer contre lui. Elle recula
seulement lorsqu’elle parvint à se calmer et elle se frotta le visage
dans l’eau, puis ils retournèrent à leur chambre.
Hadès leur servit un verre de whiskey.
— Bois, dit-il en tendant la boisson à Perséphone.
Il la regarda en boire une gorgée avant de vider son propre verre
d’un trait.
— Est-ce que tu veux dormir ?
Il lui avait posé la question car il n’y tenait pas, et il ne lui en
voudrait pas de ne plus jamais vouloir retourner dans leur lit.
D’ailleurs, dans l’immédiat, il n’était pas certain d’en être capable non
plus.
Elle regarda le lit. Il avait brûlé le sang avec sa magie afin qu’il
n’en reste plus la moindre trace, mais il savait qu’il ne pouvait pas en
effacer le souvenir. En tout cas, pas le sien.
— Viens, assieds-toi avec moi, dit-il en s’installant près du feu.
Il la toucha à peine quand elle s’assit sur ses genoux, mais une
fois installée contre lui, il la serra plus fort.
Son corps devint plus lourd, son souffle plus régulier, et elle
s’endormit rapidement. Pendant un long moment, il n’osa pas bouger
de peur de la réveiller, mais il craignit alors qu’elle rêve de nouveau
et qu’il aggrave la situation en la tenant dans ses bras.
Il y avait un autre problème ; plus il passait de temps à revivre ce
qui s’était passé ce soir, plus il se sentait violent.
Il n’aimait pas se sentir ainsi, surtout quand il tenait Perséphone
contre lui. Il se leva et la porta dans le lit, l’allongeant sur le côté
avant de la couvrir avec les draps. Puis il invoqua Hécate en
chuchotant.
Elle apparut, pâle dans la nuit.
— Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle d’un ton inquiet.
— J’ai besoin que tu restes avec Perséphone, dit-il. Juste un petit
moment.
Il lui raconta son cauchemar et sa magie, la façon dont sa peur
avait failli la faire exploser. Tandis qu’il parlait, sa gorge se remplit de
bile.
— J’ai juste… besoin que quelqu’un soit là au cas où elle
l’affronte à nouveau.
— Bien sûr, dit Hécate. Mais où vas-tu ?
Il étudia le visage de la déesse.
— Ai-je vraiment besoin de le dire ?
— Je suppose que non.
Hadès disparut et arriva à la lisière de la Forêt du Désespoir.
Pirithoos se matérialisa face à lui, faible et hébété. Dès que ses pieds
touchèrent le sol, il s’effondra.
— Debout ! ordonna Hadès.
Le demi-dieu leva la tête et croisa le regard d’Hadès. Un cri
guttural jaillit aussitôt de sa bouche.
— Non, s’il vous plaît, supplia-t-il. S’il vous plaît, Milord.
— Debout ! répéta Hadès d’une voix grave qui vibra dans l’air.
Sa mise en garde poussa Pirithoos à se lever sur ses jambes
tremblantes, même s’il continuait à l’implorer en sanglotant.
— S’il vous plaît, dit-il, d’une voix qui faiblissait au fur et à mesure
qu’il le répétait, jusqu’à ce que ce ne soit plus qu’un murmure. S’il
vous plaît, s’il vous plaît, s’il vous plaît.
— Est-ce que Perséphone t’a supplié d’arrêter, elle aussi ?
demanda Hadès.
— Elle m’aurait pardonné, elle ! insista Pirithoos en serrant les
dents, et ses propos poignardèrent Hadès en plein cœur.
Il avait de nombreuses choses à dire, mais il n’en choisit qu’une
tout en quittant son Charme. Sa magie lui échappa sous la forme de
spectres qui n’avaient qu’un seul but : la chasse.
— Cours, ordonna-t-il.
— S’il vous plaît, non, dit Pirithoos en reculant.
Il tomba par terre et se leva aussi vite que possible.
Hadès grinça des dents.
Ce mot.
Il serra les poings alors que des mains dotées de griffes acérées
jaillissaient du sol. Elles saisirent les chevilles de Pirithoos, qui tomba
dans d’autres mains pourrissantes. Il se débattit et parvint à se
libérer, même si elles avaient arraché des parties de sa chair.
Il s’enfonça dans la forêt en courant et Hadès le suivit d’un pas
déterminé.
Il tenait à être témoin de ça ; des pires peurs de Pirithoos, de son
cauchemar éveillé.
— Est-ce qu’elle a prononcé ce mot ? demanda Hadès d’une voix
tonitruante.
Si Pirithoos se débattait au loin, il savait que sa voix résonnait
dans la forêt.
Le demi-dieu hésita en arrivant au bord d’un lac qui s’étendait
dans toutes les directions. C’était un réservoir, alimenté par les
fleuves Phlégéton et Cocyte, mais Pirithoos ne le savait pas – et
quand il mit un pied dans l’eau, il découvrit qu’elle était épaisse et
brûlante. Il hurla, incapable de s’en extirper.
Soudain, Pirithoos fut projeté depuis la rive jusqu’au milieu du lac,
où l’eau tourbillonnait de façon violente, brûlant chaque millimètre de
son corps. Il poussa un long cri continu jusqu’à ce qu’il disparaisse
sous la surface de l’eau.
Hadès l’y laissa souffrir un moment, puis il écarta les eaux
semblables à du goudron pour créer un passage jusqu’à l’autre rive.
Au centre, Pirithoos était allongé, ébouillanté, respirant à peine.
D’un geste de la main, Hadès extirpa l’eau noire de ses poumons.
Le demi-dieu inspira brusquement et roula sur le dos avec une
respiration sifflante.
— L’as-tu libérée quand elle t’a supplié ? demanda Hadès en
marchant vers lui.
Pirithoos essaya de se lever, mais parvint seulement à se mettre
à quatre pattes, rampant jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, puis il
s’effondra.
Malgré sa peau brûlée, le blanc de ses yeux était encore visible et
il geignait d’une voix rauque qui semblait sortir de sa poitrine.
Au moins, il ne pouvait plus le supplier.
— Ça en valait la peine ? demanda Hadès.
Quand le demi-dieu ferma les yeux, sa rage déferla dans ses
veines et il la laissa le submerger.
Il roua Pirithoos de coups jusqu’à ce que ses os ne soient plus
qu’une bouillie sous ses poings, jusqu’à ce que son corps soit mou et
que chaque impact lui donne l’impression de frapper de l’eau. Il
arrêta seulement parce qu’Hécate lui prit la main.
— Ça suffit, Hadès, dit-elle.
Leurs bras tremblèrent alors qu’ils résistaient l’un contre l’autre,
mais quand Hadès la regarda dans les yeux, il céda et fit un pas en
arrière. Hécate ne bougea pas, comme si elle craignait qu’il
recommence. Mais Hadès était lessivé, vidé de sa rage.
Il sentait le regard d’Hécate sur lui pendant qu’il regardait les
restes de Pirithoos, une âme brisée.
— Il ne reviendra jamais, Hadès, dit-elle, et il savait que c’était
vrai. Et on a besoin de toi ailleurs.
Il la regarda enfin.
— Perséphone ?
Elle secoua la tête.
— Ilias et Zofie sont venus. Ils ont trouvé la femme qui a agressé
Perséphone.

*
* *
Hadès retourna auprès de Perséphone, qui se réveilla à son
arrivée. Elle se figea en le voyant.
Tout le corps d’Hadès vibrait encore de la violence qu’il avait
déversée sur Pirithoos et il détestait savoir qu’elle la sentait.
— Tu es allé au Tartare, dit-elle.
Il ne répondit rien et elle se leva pour prendre son visage dans
ses mains.
— Tu vas bien ? demanda-t-elle.
Il soutint son regard comme si c’était un flambeau éclairant son
âme.
— Non, admit-il, et ils se tinrent l’un contre l’autre, ne voulant plus
se lâcher.
— Ilias et Zofie ont trouvé la femme qui t’a agressée, dit-il dès
qu’il se sentit un peu plus lui-même.
— Zofie ? s’étonna Perséphone.
— Elle a aidé Ilias.
— Où est-elle ? demanda la déesse.
— Elle est retenue à L’Iniquité, répondit-il.
— Est-ce que tu peux m’emmener la voir ?
— Je préférerais que tu dormes, dit-il.
— Je n’ai pas envie de dormir.
— Même si je reste ?
— Il y a des gens dans la nature qui attaquent les déesses, dit
Perséphone. Je veux entendre ce que cette femme a à dire.
Hadès fronça les sourcils et plongea une main dans ses cheveux
dorés, craignant que ce soit trop pour elle, et trop tôt après son
cauchemar.
— Je vais bien, Hadès, jura-t-elle. Tu seras avec moi.
Il espérait seulement pouvoir répondre à ses besoins. Il
comprenait, désormais, que ça n’avait pas été le cas jusqu’à présent.
Il finit par céder.
— Alors nous ferons ce que tu veux.

*
* *
Ilias et Zofie avaient emmené la femme à L’Iniquité, où elle était
assise sous un faisceau de lumière jaune, maintenue en place par
des serpents venimeux. Malgré la haine qu’elle dégageait, elle restait
immobile comme une pierre, craignant trop une morsure et une mort
imminente.
Hadès se demanda ce qui l’avait poussée à se croire capable
d’attaquer sa maîtresse.
Bien qu’il ait très envie de prendre les rênes de cette entrevue, il
comprenait que ce n’était pas à lui d’en avoir le contrôle, et il laissa
Perséphone mener la danse, ce qu’elle fit sans peur, s’approchant au
bord du cercle lumineux.
— Je n’ai pas besoin de te dire pourquoi tu es ici, dit-elle.
— Tu vas me tuer ? demanda la femme.
— Je ne suis pas la déesse de la Vengeance, dit Perséphone.
— Tu n’as pas répondu à ma question.
— Ce n’est pas moi qui suis interrogée.
La bouche de la femme se pinça.
— Comment tu t’appelles ?
— Lara, répondit-elle en haussant le menton.
— Lara, pourquoi m’as-tu agressée au Coffee House ?
— Parce que tu étais là. Et je voulais que tu aies mal.
Hadès serra les poings. C’était elle qu’il voulait voir souffrir.
— Pourquoi ? lança-t-il.
Peu importait la raison, le fait qu’elle s’en soit prise à Perséphone
suffisait. Les serpents réagirent à la colère d’Hadès, sifflant
violemment en levant la tête pour montrer leurs crochets. Lara ferma
les yeux et se prépara à être mordue.
— Pas encore ! lança Perséphone, et les serpents
s’immobilisèrent.
La femme rouvrit les yeux et croisa le regard de Perséphone. La
déesse reprit :
— Je t’ai posé une question.
Il y eut un silence, puis la femme craqua.
— Parce que tu représentes tout ce qui va mal dans ce monde,
sanglota-t-elle. Tu prétends défendre la justice parce que tu as écrit
une critique dans un journal, mais tes mots sont creux ! Tes actes
sont bien plus parlants. Comme tant d’autres, tu es tombée dans leur
piège. Tu n’es qu’un mouton qui obéit bêtement au Charme
olympien.
Cette femme avait été blessée par un dieu. Hadès le savait, tout
comme Perséphone.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé ? demanda la déesse.
— J’ai été violée, siffla-t-elle à voix basse. Par Zeus.
Hadès aurait aimé dire qu’il était choqué par sa réponse, mais le
fait qu’il ne l’était pas le dégoûta de lui-même. Ses frères incarnaient
ce rôle depuis longtemps, utilisant leur pouvoir pour contraindre les
femmes à faire ce qu’ils voulaient. Et s’ils avaient affronté des
conséquences, ce n’était rien à côté de ce qu’ils méritaient :
l’emprisonnement et la torture au Tartare.
Hadès avait juré qu’il s’en chargerait, mais la victoire était un
chemin long et difficile qui était également parsemé de victimes.
— Je suis désolée que ça te soit arrivé, dit Perséphone en faisant
un pas en avant.
Hadès renvoya ses serpents.
— Arrête, cracha la jeune femme. Je ne veux pas de ta pitié.
— Je ne t’offre pas ma pitié, répondit-elle. Mais j’aimerais t’aider.
— Comment tu pourrais m’aider ? siffla-t-elle.
Hadès n’était même pas certain qu’ils le puissent. Sa haine était
profondément enracinée en elle, et personne ne pouvait lui en
vouloir.
— Je sais que tu n’as rien fait pour mériter ce qui t’est arrivé,
commença Perséphone, mais Lara secouait déjà la tête.
— Tes mots ne valent rien quand les dieux continuent de faire le
mal.
— Comment tu punirais Zeus ? demanda Hadès.
Perséphone et Lara le regardèrent, surprises, mais il attendit
qu’elle réponde.
— Je lui arracherais un membre après l’autre et je brûlerais ce qui
reste. Je briserais son âme en des millions de morceaux pour qu’il ne
reste plus que le chuchotement de ses cris dans le vent.
— Et tu crois que, toi, tu peux apporter cette justice ? demanda
Hadès.
Elle savait qu’elle n’était pas capable d’une telle vengeance, donc
elle devait avoir quelqu’un en tête pour la mener.
— Pas moi. Des dieux, dit-elle. De nouveaux dieux. Ce sera une
renaissance, chuchota-t-elle.
De nouveaux dieux. Renaissance.
C’étaient les mots que les agresseurs d’Harmonie avaient
employés.
— Non, dit Hadès, ce sera un massacre, poursuivit-il. Et ce n’est
pas nous qui mourrons. C’est vous.
— Ce qui t’est arrivé est terrible, dit Perséphone. Et tu as raison
de dire que Zeus devrait être puni. Est-ce que tu ne peux pas nous
laisser t’aider ?
— Il n’y a aucun espoir pour moi.
— Il y a toujours de l’espoir, dit Perséphone. C’est tout ce qu’on a.
Hadès regarda Perséphone.
— Ilias, emmène Mademoiselle Sotir au Bosquet de Ciguë. Elle y
sera en sécurité.
La jeune femme se crispa.
— Alors vous allez m’emprisonner ?
— Non, répondit-il. Le Bosquet de Ciguë est un refuge. La déesse
Hécate y accueille les femmes et les enfants victimes d’abus. Si tu le
souhaites, elle écoutera ton histoire. Après ça, tu pourras faire ce que
tu veux.
Hadès serra la main de Perséphone et la ramena aux Enfers.
Chapitre XX

HADÈS

Hadès accompagna Perséphone à la Tour Alexandria, ce qui fut


plus difficile qu’il ne le pensait après la nuit qu’ils avaient passée. La
fatigue de Perséphone était évidente et si Hadès était habitué à ne
pas dormir, même lui se sentait vidé.
Il retourna aux Enfers et partit à la recherche d’Hécate, qu’il
trouva dans son chalet.
— C’est du sang ? demanda-t-il en voyant le bocal posé au milieu
de la table.
— Oui, répondit-elle simplement. Tu le veux ?
— Je n’ai absolument pas envie d’un bocal de sang, Hécate.
— C’est celui de ton frère, dit-elle d’un ton séducteur.
— Mon frère ?
— Après sa castration.
— Je vois que le récit de Lara t’a remplie de rage, dit-il.
— Ce devrait être ton cas aussi, répondit-elle.
Ça l’était. La seule chose qu’il avait du mal à pardonner était le
geste de la jeune femme sur Perséphone.
Hadès prit le bocal pour l’inspecter de plus près, remarquant deux
testicules fripés flottant dans le liquide.
— Hécate, dit Hadès en reposant le bocal. Que vas-tu en faire ?
— Je vais les garder, dit-elle.
Elle lui tournait le dos tout en remplissant de petits sachets
d’herbes pour faire du thé.
— Comme un trophée ? s’enquit Hadès.
— Tu connais les dangers que représente le sang divin.
— Il y a plus que du sang dans ce bocal, Hécate.
— J’en suis consciente, dit-elle en se tournant vers lui. Ils sont
tout aussi dangereux, qu’ils soient attachés à son corps ou non.
Hadès en connaissait les dangers. Le sang d’un dieu était
également appelé ichor, et c’était du poison pour les mortels. Si une
goutte tombait sur terre, il avait le potentiel de créer d’autres
créatures et même des herbes divines. En fait, les possibilités étaient
infinies et inconnues.
Les testicules avaient le même pouvoir, même s’ils donnaient
souvent naissance à des dieux et des déesses.
— Tiens, dit la déesse en lui tendant des sachets de thé.
Hadès les scruta avant de les porter à son nez pour les renifler.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ça devrait vous aider à dormir, Perséphone et toi.
Hadès fronça les sourcils et les posa sur la table.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Hécate.
— Rien, dit-il en mettant ses mains dans ses poches.
— Oh, ne joue pas à ça avec moi, rétorqua-t-elle. Dis-moi ce qui
vient de traverser ta petite tête.
Hadès étudia Hécate en plissant les yeux, haussant un sourcil. Le
poids des cauchemars de Perséphone était trop lourd.
— Je me suis inquiété à propos de son sommeil, alors que
j’aurais dû m’inquiéter de ses cauchemars, dit-il. Je ne sais pas quoi
faire d’autre pour l’aider. Pirithoos la hante, et il n’y a ni schéma
répétitif ni régularité. Certaines nuits, elle me réveille. D’autres nuits,
je redoute de dormir, de peur de ne pas pouvoir l’aider. Mais hier soir,
j’ai essayé, et…
Il ne termina pas sa phrase, déglutissant avec difficulté, incapable
de continuer.
— Tu ne peux pas l’aider à affronter un cauchemar, Hadès, dit
Hécate d’une voix douce.
Il grinça des dents.
— Elle ne devrait même pas avoir à affronter ça. Elle aurait dû
être en sécurité au travail.
— Je suis d’accord. Mais tel est le monde des femmes dans une
société dominée par les hommes, même pour celles d’entre nous qui
ont de grands pouvoirs.
— Ça doit cesser.
C’était tout ce qu’il pouvait dire.
— Comme tout dans ce monde, dit-elle avant de prendre le thé
pour le lui redonner. Peut-être que tu devrais parler à Hypnos au
sujet de Perséphone.
Hadès se crispa.
— Hypnos est un enfoiré.
Il n’était en rien comme Thanatos, son frère.
— C’est un enfoiré avec toi.
— Il est gentil avec toi seulement parce que tu lui apportes des
champignons, dit Hadès.
Hécate croisa les bras et haussa le menton.
— Ne critique pas mes méthodes. Au moins, j’obtiens ce que je
veux.
Hadès fronça les sourcils.
— Et que veux-tu d’Hypnos ?
— L’usage des Oneiroi, bien sûr.
Les Oneiroi étaient des daemons ailés qui envahissaient parfois
les rêves. Si Hécate demandait à les utiliser, c’était sans doute pour
hanter quelques pauvres âmes.
Hadès venait de se servir d’Hermès pour la même raison.
— Si tu souhaites aider Perséphone, ça vaut la peine de rendre
visite à Hypnos, dit la déesse. Mais n’y va pas sans un cadeau.
Hadès soupira et se pinça le nez. C’était ridicule, putain. Hypnos
vivait dans son royaume. Ce devait être plus que suffisant.
— Ça le serait s’il aimait vivre ici, dit Hécate.
Ça, Hadès n’y était pour rien. Hypnos était l’un de ceux qui
avaient accepté d’aider Héra à endormir Zeus, la dernière fois qu’elle
avait voulu le renverser, et c’était pour cela qu’il s’était retrouvé à
résider aux Enfers.
— Ne fais pas le difficile, dit Hécate. Pense à Perséphone.
— Je pense toujours à Perséphone.
— Alors arrête de bouder et trouve un cadeau pour le dieu du
Sommeil.
Hadès leva les yeux au ciel en soupirant.
— Très bien. Je vais lui trouver un fichu cadeau.
Hécate sourit.
— C’est bien, bravo.
Hadès ne l’honora même pas d’un regard foudroyant avant de
disparaître.

*
* *
Hadès observait la ville gelée par la fenêtre de son bureau à
L’Iniquité. La neige tombait si lourdement que la ville était à peine
visible. Il en était venu à accepter l’appréhension qu’il ressentait
chaque fois qu’il venait au royaume des vivants et qu’il voyait les
progrès de la tempête. Mais cette journée était différente. Quelque
chose clochait. Il le sentait dans l’air autour de lui, comme une
tragédie imminente. Ce n’était pas la première fois qu’il avait un tel
sentiment, et c’est d’ailleurs ce qui l’inquiétait le plus. Il étudiait ce
monde devenu le champ de bataille de Déméter. Une chose terrible
se préparait.
— Hadès ?
Il se tourna vers Ilias, qui était entré dans son bureau sans qu’il
l’aperçoive, ce qui était tout aussi déroutant. Il était rarement distrait à
ce point. Cela parut déranger Ilias autant que lui, car il avait l’air
inquiet.
— Est-ce que ça va ?
Hadès ne répondit pas, préférant changer de sujet.
— Qu’as-tu trouvé sur Lara Sotir ?
Elle avait beau prétendre n’avoir aucun lien avec la Triade ni
aucune autre association anti-dieux, Hadès n’était pas certain de la
croire. De nouveaux dieux. Renaissance. Lemming.
C’étaient les mots que les agresseurs d’Harmonie avaient
employés. Un tel langage commun ne pouvait pas être une
coïncidence. Il les soupçonnait de faire partie du même groupe, ou
au minimum de consommer la même propagande. Quoi qu’il en soit,
leur but était clair : renverser les dieux qui régnaient.
Ce n’était pas inhabituel que des mortels ou d’autres dieux
complotent contre les Olympiens, mais cette fois semblait différente.
Le monde paraissait chaotique et instable. Avec la tempête
surnaturelle de Déméter, les attaques violentes sur les Favoris et le
Divin avec des armes qui pouvaient réellement les blesser, et
l’Ophiotauros tueur de dieux en liberté, Hadès s’inquiétait de ce qui
viendrait ensuite. La mort, assurément, mais il y avait pire que ça.
Ilias tendit à Hadès un dossier contenant une photo de Lara Sotir
et un homme marchant côte à côte dans une rue de Nouvelle
Athènes. Un autre cliché les montrait en train d’entrer dans un hôtel.
— L’homme qui accompagne Lara est un demi-dieu du nom de
Kaï, dit Ilias. C’est le fils de Triton et il est membre de la Triade.
Apparemment, renverser les dieux était une affaire de famille,
puisque Triton était également fils de Poséidon.
Il y avait d’autres photos dans le dossier, dont une de Lara dans
une manifestation récente pour la fin de la tempête, et une autre avec
Kaï.
Hadès étudia le demi-dieu. Il voyait des ressemblances avec
Thésée dans son visage, dans son expression plutôt que dans ses
traits. Il y avait un éclat de haine et de suffisance dans son regard.
C’était un homme qui pensait que le monde lui était dû, sans doute
pour compenser le fait qu’il n’avait pas autant de pouvoirs que son
père et que son grand-père. Poséidon pensait également que tout lui
était dû, et à l’évidence, il transmettait cette conviction à sa
progéniture.
Quelqu’un frappa à la porte et Hadès regarda Ilias avant de
hocher la tête. Le satyre traversa la pièce jusqu’à la porte, qui s’ouvrit
sur Thésée.
Hadès referma le dossier.
— Ilias, dit-il. Laisse-nous.
Le satyre s’inclina et passa à côté de Thésée en lui bousculant
l’épaule. Le demi-dieu ricana, mais Hadès n’était ni impressionné ni
surpris. Thésée traversait la vie sans être affecté par l’impact qu’il
avait sur les autres, ne se préoccupant que de lui-même.
Hadès fit le tour de son bureau, souhaitant que quelque chose le
sépare de son neveu corrompu.
— Tu arrives pile à temps, dit-il.
— J’avais les oreilles qui sifflaient.
— Alors tu as dû apprendre qu’Harmonie et Adonis avaient été
attaqués.
— Des rumeurs circulent à ce sujet, oui. Je présume que tu
supposes que je suis impliqué ?
— Tu es venu le nier ?
— En effet, répondit-il sans quitter Hadès des yeux. Ce n’était pas
la Triade.
— Si ce n’est la Triade, c’était quand même l’œuvre d’Impies.
— Je ne peux pas être responsable de tous les Impies ni de leurs
décisions impulsives.
— Je ne décrirais pas leur décision de tuer Adonis et d’agresser
Harmonie comme impulsive. Cela semblait plutôt organisé.
— Organisé, peut-être. Mais pas stratégique, dit Thésée. Tu crois
vraiment que je coordonnerais quelque chose d’aussi brouillon ?
Hadès le dévisagea.
— C’est pour ça que tu es venu ? Parce que tu es insulté que je te
pense responsable de ces attaques, parce qu’elles ne sont pas
assez sophistiquées à tes yeux ?
Thésée haussa les épaules.
— Tu peux le tourner comme tu veux, mais je n’ai pas ordonné
ces agressions.
— Tu ne les as pas ordonnées, mais les as-tu condamnées ?
Thésée ne répondit rien.
— Est-ce que tu espères que ça aura l’effet désiré et que ça
déclenchera la colère d’Aphrodite ?
Thésée regarda par la fenêtre avant de se concentrer à nouveau
sur Hadès.
— Je ne crois pas avoir besoin de sa rage pour prouver la colère
des dieux. Ta future belle-mère illustre parfaitement ce point à elle
seule.
Ils se dévisagèrent longuement et Hadès se crispa en sentant la
magie de Perséphone. La seconde suivante, elle apparut derrière
Thésée, l’air presque hébétée, jusqu’à ce qu’elle croise son regard et
qu’elle note la présence de Thésée.
Hadès se retint de se rapprocher d’elle pour la protéger du demi-
dieu. Si ça n’avait tenu qu’à lui, Thésée ne l’aurait jamais rencontrée.
— Chérie ? dit Hadès d’un ton interrogateur et inquiet.
Thésée se tourna vers elle et Hadès serra les poings.
— Alors, c’est vous, la charmante Lady Perséphone, dit-il, et un
éclat de rage parcourut les veines d’Hadès, le demi-dieu reluquait
Perséphone de haut en bas.
— Thésée, je crois que tu devrais partir, déclara Hadès en
peinant à cacher sa colère.
— Bien sûr, dit-il en hochant la tête en direction d’Hadès. Je suis
en retard à une réunion, de toute façon.
Il marcha vers la porte, mais s’arrêta devant Perséphone.
— Je suis ravie d’avoir fait votre connaissance, Milady.
Elle ne prit pas la main qu’il lui tendait, et Hadès lui en fut
reconnaissant. Il ne savait pas ce qu’il aurait fait, et il craignait la
raison pour laquelle Thésée souhaitait la toucher. Pouvait-il effacer
les pensées, les souvenirs, peut-être même les rêves d’un simple
toucher ? Ses pouvoirs étaient inconnus d’Hadès.
Thésée laissa tomber sa main en gloussant.
— Vous avez sans doute raison de ne pas la serrer. Bonne
journée à vous, Milady.
Dès qu’il fut parti, Hadès fit le tour du bureau.
— Tu vas bien ? demanda Hadès.
Perséphone regardait la porte et se tourna vers lui, cherchant son
regard.
— Tu connais cet homme ?
— Aussi bien que je connais tous mes ennemis.
— Un ennemi ?
— Cet homme est à la tête de la Triade, répondit-il, mais il n’avait
pas envie de parler de Thésée.
Perséphone avait clairement une raison de venir le voir. Dès
qu’elle était apparue dans son bureau, il avait su que quelque chose
n’allait pas. Il pencha la tête en arrière pour plonger son regard dans
le sien.
— Parle-moi, dit-il.
— Les infos, chuchota-t-elle. Il y a eu un horrible accident.
Hadès eut du mal à déglutir. Il s’attendait à ce que la tempête de
Déméter provoque une catastrophe qui pousserait Perséphone à
réaliser qu’elle ne pouvait pas rester avec lui.
Ce moment était-il venu ? Était-ce la fin ?
— Viens, dit-il en lui prenant la main, allons les accueillir aux
portes.
Chapitre XXI

HADÈS

La Porte était la seule entrée par laquelle les morts parvenaient


aux Enfers. C’étaient des grilles immenses ornées de somptueux
détails symbolisant le royaume, façonnées par les Cyclopes, qui
avaient également offert à Hadès le Casque de Kunée.
Les portes restaient fermées jusqu’à ce que Thanatos, Hermès
ou un autre psychopompe mène les âmes aux Enfers. Elles
s’ouvraient alors sur l’Arbre des Rêves et, au-delà, sur le Styx où
Charon les attendait avec sa barque pour les emmener au Pré du
Jugement.
Hadès observa Perséphone qui regardait autour d’elle, où tout
était sombre, même le ciel au-dessus de leurs têtes. Il faisait toujours
nuit ici, en dehors de grilles, et c’était dans cette pénombre que
vivaient les divinités des Enfers.
— Qu’est-ce qui est dans cet arbre ? demanda Perséphone en
désignant de la tête l’arbre derrière les grilles, qui faisait plusieurs
mètres de diamètre et était presque aussi haut que les portes.
Ses branches étaient chargées de feuilles et de sphères
lumineuses.
— Les rêves, répondit-il en la regardant. Ceux qui entrent aux
Enfers doivent les laisser derrière eux.
Son expression resta inchangée, même s’il perçut sa tristesse.
— Est-ce que toutes les âmes doivent passer cette porte ?
— Oui. C’est le chemin que doivent emprunter les mortels pour
accepter leur mort. Crois-moi, c’était bien plus effrayant par le passé.
Perséphone le regarda dans les yeux.
— Je ne disais pas que c’était effrayant.
Il effleura sa bouche du bout du doigt.
— Mais tu trembles.
— Je tremble de froid, dit-elle. Pas de peur. C’est très beau ici,
mais c’est aussi… accablant. Ton pouvoir semble plus fort ici que
n’importe où dans ton royaume.
— Peut-être parce que c’est la partie la plus ancienne des Enfers,
expliqua-t-il en invoquant une cape qu’il passa sur ses épaules.
— C’est mieux ainsi ?
— Oui, chuchota-t-elle en la refermant sur elle.
Hadès sentit l’arrivée d’Hermès et Thanatos. Ils apparurent en
déployant leurs ailes, qui renfermaient plusieurs âmes, d’âges variés.
Si ça n’avait rien de surprenant, il n’était jamais facile de voir des
enfants parmi les morts.
— Lord Hadès, Lady Perséphone, dit Thanatos en s’inclinant.
Nous… nous allons revenir.
— Il y en a d’autres ? demanda Perséphone d’un ton surpris.
Hadès se sentit immédiatement coupable, comme si c’était lui qui
avait provoqué cette tempête.
— Ne t’inquiète pas, Sephy, dit Hermès. Concentre-toi sur le fait
de les accueillir.
Les deux dieux disparurent.
Un homme qui se tenait avec sa fille tomba à genoux.
— S’il vous plaît, supplia-t-il. Prenez-moi, mais ne prenez pas ma
fille. Elle est trop jeune !
— Vous êtes arrivés à la Porte des Enfers, répondit Hadès. Je
crains de ne pas pouvoir changer votre destin.
Il s’inquiéta que ses propos déclenchent la colère de Perséphone.
Pour ceux qui vivaient en dehors de son royaume, la mort était
difficile à accepter, tout comme le fait que le roi des Enfers ait des
limites, alors qu’il était un dieu.
L’homme fronça les sourcils.
— Vous êtes un menteur ! Vous êtes le dieu des Morts ! Vous
pouvez changer son destin !
— Lord Hadès a beau être le dieu des Morts, il n’est pas celui qui
a tissé votre destin, dit Perséphone. N’ayez crainte, et soyez
courageux pour votre fille. Votre vie ici sera paisible.
Hadès la regarda s’accroupir devant la fillette.
— Coucou. Je m’appelle Perséphone. Tu t’appelles comment ?
La fillette était timide, mais elle sourit à Perséphone avant de
répondre.
— Lola.
— Lola, je suis contente que tu sois ici, et ton père aussi. Vous
avez de la chance d’être ensemble. Tu veux voir de la magie ?
La fillette hocha la tête et Hadès sentit la magie de Perséphone
surgir. Elle fit apparaître une anémone blanche, qu’elle mit dans les
cheveux de Lola.
— Tu es très courageuse, dit-elle. Peux-tu être courageuse pour
ton papa aussi ?
Lola hocha à nouveau la tête et rejoignit son père pour lui prendre
la main. Il parut se calmer.
Les âmes continuèrent d’arriver et malgré leur nombre important,
le dévouement de Perséphone à accueillir chacune avec la même
gentillesse et le même enthousiasme ne fléchit jamais. Hadès
s’émerveilla de la voir aussi à l’aise alors qu’elle avait semblé
anéantie quand elle l’avait informé de l’accident. Une part de lui
savait qu’elle restait perturbée par la catastrophe et que cela la
changerait à jamais, mais elle ne laissa pas sa détresse
transparaître, se comportant simplement comme une reine.
Il lui prit la main quand les grilles s’ouvrirent et il l’invita à avancer.
— Bienvenue aux Enfers, dit-il.
Ils précédèrent les âmes et, sous l’Arbre des Rêves, tout ce
qu’elles avaient espéré et rêvé pour leur vie, là-haut, fut retiré de leur
esprit.
— Vois cela comme une libération, dit-il en serrant la main de
Perséphone. Ils ne seront plus accablés de regrets.
Ils seront heureux.
Au-delà de l’arbre s’étendaient les berges verdoyantes du Styx et,
dans sa barque, Charon les attendait, tel un phare sur les eaux
noires.
Il sourit alors qu’ils approchaient.
— Bienvenue, soyez les bienvenus ! dit-il. Venez, je vais vous
emmener chez vous, dit-il.
Il avança dans la foule, choisissant les âmes qui monteraient les
premières. Il s’arrêta à seulement cinq.
— Pas plus, dit-il. Je reviendrai.
Perséphone se tourna vers Hadès d’un air confus.
— Pourquoi il n’en a pas pris d’autres ?
— Tu te souviens que j’ai dit que les âmes empruntaient ce
chemin afin d’accepter leur mort ? Charon ne les prendra pas dans sa
barque tant que ce ne sera pas le cas.
— Et s’ils ne l’acceptent jamais ?
— La plupart y parviennent.
— Et les autres ? insista-t-elle.
— C’est du cas par cas, expliqua-t-il. Certains sont autorisés à
voir comment vivent les âmes à Asphodèle. Si ça ne les aide toujours
pas à accepter leur mort, ils sont envoyés aux Champs Élysées.
D’autres doivent boire l’eau du Léthé.
— Et ça arrive souvent ?
— C’est rare. Mais inévitablement, par des temps comme ceux-ci,
il y en a toujours qui peinent à entrer dans l’au-delà.
Comme le père de Lola, qui restait planté sur les berges du
fleuve.
— Lola, dit Charon en lui tendant la main. Il est l’heure.
— Non ! cria le père en s’agenouillant pour prendre sa fille dans
les bras. Elle n’ira pas seule. Elle ne le peut pas.
— Elle le peut, dit Charon. C’est vous qui n’en êtes pas capable.
— On part ensemble ou on ne part pas du tout !
— De quoi avez-vous peur ? demanda Perséphone.
L’homme la regarda dans les yeux, presque réconforté par sa
présence.
— J’ai laissé ma femme et mon fils dans le royaume des vivants.
— Et ne pensez-vous pas, après tout ce que vous avez vu ici, que
vous les reverrez un jour ?
— Mais…
— Votre femme sera soulagée de savoir que vous êtes avec Lola
et elle attendra de vous rejoindre ici, aux Enfers. À Asphodèle. Ne
souhaitez-vous pas leur préparer une place ? Les accueillir quand ils
arriveront ?
Les paroles de Perséphone firent frissonner Hadès. Durant toutes
ses années en tant que dieu des Enfers, jamais il n’avait convaincu
une âme d’entrer à Asphodèle de cette manière, douce, pleine de
compassion et attentionnée. C’était précisément pour ça qu’il l’aimait.
L’homme se mit à pleurer, incapable de s’arrêter.
Charon et Hadès échangèrent un regard, mais Perséphone
attendit patiemment qu’il ait fini et qu’il annonce qu’il était prêt.
Charon sourit.
— Dans ce cas, bienvenue aux Enfers, déclara-t-il en les aidant à
monter dans la barque.
Hadès et Perséphone se joignirent à eux.
Perséphone avait déjà fait ce trajet quand elle s’était promenée
aux Enfers et était tombée dans le Styx, mais il présumait que c’était
bien plus agréable, cette fois, puisqu’elle était en sécurité dans la
barque de Charon, où les âmes qui nageaient sous la surface ne
pouvaient pas l’atteindre.
Le souvenir lui procura un malaise certain.
Cela s’était produit lors de sa première visite aux Enfers. C’était la
première fois qu’il s’était senti responsable d’elle, surtout quand il
avait découvert qu’elle avait été blessée. C’était également la
première fois qu’elle avait rencontré Hermès, même si ce n’était pas
la première fois qu’Hadès avait jeté le dieu de la Ruse à l’autre bout
de son royaume.
Il avait l’impression que c’était il y a plusieurs années.
Perséphone le regarda et lui sourit tendrement.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-elle.
— Rien. Je pense seulement à combien tu es belle.
Belle à bien des égards.
Elle haussa les sourcils, comme si elle était curieuse ou
suspicieuse de ses pensées, mais alors qu’elle s’apprêtait à dire
quelque chose, elle fut interrompue par Lola.
— Regardez !
Perséphone tourna la tête vers le ponton, où les autres âmes les
attendaient ; la déesse regardait ailleurs, mais Hadès ne la quittait
pas des yeux.
Yuri et Ian aidèrent Lola et son père à monter sur le ponton,
accueillis par les autres âmes d’Asphodèle avec de la musique et de
la nourriture, prêtes à les escorter au Pré du Jugement.
Le rire chaleureux de Charon attira l’attention d’Hadès.
— Ce qui est sûr, c’est qu’ils n’oublieront jamais leur arrivée aux
Enfers, dit-il.
— Tu penses que ça éclipsera leur mort soudaine ? lui demanda
Perséphone.
Charon lui sourit.
— Je pense que tes Enfers compenseront largement leur peine,
Milady, répondit-il en esquissant une révérence avant de remonter
dans sa barque pour retraverser le Styx.
— Est-ce qu’une mort reste celle qui a été tissée par les Moires
quand elle est provoquée par un autre dieu ? demanda Perséphone.
Hadès baissa les yeux sur elle en fronçant les sourcils. Il savait
qu’elle lui posait la question parce que Déméter était responsable de
cette catastrophe, mais cela ne signifiait pas que les Moires n’étaient
pas impliquées.
— Tous les destins sont choisis par les Moires, répondit-il.
Lachésis aura sans doute accordé une durée de vie à chacun de ces
mortels, qui prenait fin aujourd’hui, et Atropos aura choisi cet accident
comme cause de leur mort. La tempête de ta mère a simplement été
le catalyseur.
Il avait conscience que sa réponse n’était pas réconfortante. En
fait, il se contentait d’expliquer la réalité du destin.
— Partons d’ici. J’ai quelque chose à te montrer.
Aujourd’hui, Déméter avait fait du mal à celle qu’il aimait, à sa
déesse, à sa future femme. Et si elle pensait qu’il ne lui rendrait pas
la pareille avec rage, elle se trompait.
Il l’attira contre lui et se téléporta au Temple de Sangri, au pied
d’un grand escalier en marbre épargné par le gel et la neige.
— Hadès… qu’est-ce qu’on fait au temple de ma mère ?
— On visite.
— Je n’ai pas envie de le visiter, dit-elle.
— Ta mère veut nous mettre des bâtons dans les roues…
commença-t-il en gravissant les marches, et Perséphone le suivit
malgré ses scrupules. Eh bien, nous allons lui renvoyer la pareille.
— Tu comptes mettre le feu à son temple ?
— Oh chérie, répondit Hadès, je suis bien trop dépravé pour ça.
Quand ils arrivèrent au sommet des marches, Hadès invoqua sa
magie et les portes du temple s’ouvrirent brusquement. Plusieurs
prêtres et prêtresses vêtus de blanc s’immobilisèrent en voyant le
dieu des Morts entrer, les yeux écarquillés de peur ou de haine.
— L… Lord Hadès, dit l’un des prêtres en essayant de l’arrêter à
la porte, même s’il tremblait.
— Allez-vous-en, ordonna Hadès.
— Vous ne pouvez pas entrer dans le Temple de Déméter, osa
une prêtresse. C’est un lieu sacré.
Hadès l’ignora.
— Disparaissez ! répéta-t-il en rassemblant son pouvoir, sachant
qu’ils le sentaient hérisser les poils de leurs bras et de leurs nuques.
Ou soyez témoins et complices de la profanation de ce temple.
Ils disparurent en courant dans tous les sens et Hadès attira
Perséphone à ses côtés en fermant les portes sur eux.
Il tourna la tête vers elle.
— Laisse-moi te faire l’amour.
— Dans le temple de ma mère ? Hadès…
Il la fit taire avec un baiser, conscient qu’il suffirait à attiser le désir
qui crépitait entre eux, et ce fut le cas. Perséphone se plia à sa
volonté, son corps tel de l’or liquide, se moulant à lui comme ses
propres spectres.
— Ma mère va être furieuse, dit-elle en reculant, à bout de souffle.
— C’est moi qui suis furieux, siffla-t-il en empoignant sa nuque
tandis que son autre main descendait sur ses fesses puis sous sa
cuisse, qu’il souleva sur sa hanche.
Il l’embrassa fermement et se frotta à elle pour qu’elle ait un
avant-goût du désir désespéré qu’il ressentait pour elle. Il rompit le
baiser et promena sa bouche sur sa mâchoire.
— Et tu n’as pas dit non, remarqua-t-il.
Il la lâcha, car il voulait qu’elle choisisse. Il lui demandait de défier
directement sa mère, et si un tel comportement ne lui était pas
étranger, cette fois était différente. Ils allaient baiser dans ce temple,
sur un sol sacré. Déméter avait mis fin à des vies pour de tels
comportements.
Or puisqu’elle avait sacrifié des vies, elle méritait de voir ça. Elle
méritait ce déshonneur.
Perséphone ne répondit rien, glissant ses mains sous la veste
d’Hadès pour la lui enlever. Hadès, lui, envisagea d’utiliser sa magie
pour les débarrasser de leurs vêtements plus vite, mais ils n’avaient
aucune raison de se dépêcher. C’était censé être un acte de
vénération, et c’est exactement ce qu’il fit, embrassant et léchant
chaque centimètre de sa peau tout en s’agenouillant pour l’aider à
enlever sa jupe.
Il resta à genoux devant elle pendant un long moment, la tête
entre ses cuisses, titillant son clitoris enflé.
Il aimait sa façon de respirer, de pencher la tête d’un côté et de
l’autre pour laisser les sensations qu’il lui procurait parcourir ses
veines.
Il voulait la remplir tout entière, que chaque partie d’elle lui
appartienne.
Hadès se leva et la prit dans ses bras pour la porter au bout de
l’allée, jusqu’à l’autel consacré à sa mère qui regorgeait de cornes
d’abondance remplies de fruits et de gerbes de blé. De chaque côté
de l’autel, deux larges coupes dorées contenaient des feux dont
Hadès avait senti la chaleur depuis la porte. Mais maintenant qu’il
était plus près, son corps se couvrait de sueur.
Hadès s’agenouilla entre les coupes et allongea Perséphone sur
le sol carrelé. Elle soutint son regard alors qu’il s’installait entre ses
cuisses, le sang bouillant, pressé de la voir écarter les cuisses pour
exposer sa chair douce et trempée.
Hadès en eut l’eau à la bouche et le sommet de sa verge lui
sembla battre comme son cœur, mourant d’envie d’être enfoui en
elle.
Il se baissa pour lécher son sexe encore une fois avant de reculer
pour la regarder dans les yeux.
— Tu mouilles pour moi, gronda-t-il d’une voix grave.
Il se sentait fou et possessif.
— Toujours, chuchota-t-elle en soutenant son regard.
— Toujours, répéta Hadès. Dès que tu me vois ?
Elle hocha la tête et il embrassa l’intérieur de son genou.
— Tu veux savoir ce que je ressens quand je te vois ?
Elle hocha à nouveau la tête.
— Quand je te vois, je ne peux pas m’empêcher de t’imaginer
comme ça. Nue. Sublime. Trempée.
Il remonta le long de sa cuisse en y déposant des baisers. Elle
remua sous ses caresses, il approchait de son sexe, sans arrêter de
chuchoter des vérités contre sa peau.
— Ma queue est lourde pour toi, dit-il. J’ai désespérément envie
de te remplir.
— Alors pourquoi je suis si vide ?
Ses yeux brillaient comme pour le défier, et Hadès ricana avant
de s’autoriser enfin à savourer sa chaleur. Son clitoris était dressé et
il le prit dans sa bouche pour le sucer délicatement. Perséphone se
cambra contre sa bouche et il leva les yeux pour la regarder se
masser les seins et pincer ses tétons.
Putain, elle était incroyable.
Il lécha sa fente avant de plonger sa langue en elle et d’y ajouter
un doigt. Son corps se contracta avant de se détendre. Il ne pouvait
se retenir de la regarder. Elle était éhontée et exubérante, et son
désir pour elle devint encore plus ardent, plus profond, plus puissant.
Il ajouta un autre doigt et la caressa en la léchant, continuant de
la titiller jusqu’à ce qu’elle jouisse contre sa bouche et, alors qu’elle
fondait sur le sol, il remonta vers sa tête en embrassant sa peau
moite, jusqu’à sa bouche. Elle le goûta aussitôt, percutant sa langue
avec la sienne, tout en saisissant sa verge avec ses mains.
Suce-moi, bon sang, pensa-t-il en grognant, puis il décida de le lui
demander.
— Tu veux me prendre dans ta bouche ? demanda-t-il.
— Toujours, répondit-elle en s’asseyant alors qu’il se mettait à
genoux.
— Ce mot…
Il lui coupait le souffle et le faisait frissonner de désir. Il comblait
son cœur d’espoir.
— Tu ne l’aimes pas ?
— Si, dit-il en s’installant à l’endroit où il l’avait fait jouir. Il est…
parfait.
Elle le dévisagea un moment, les yeux scintillant comme des
pierres précieuses. Elle enroula alors ses doigts autour de sa verge
et la lécha de la base jusqu’au gland.
Hadès retint son souffle pour réprimer un frisson violent.
Peu importait le nombre de fois qu’elle le prenait ainsi, une part de
lui restait incrédule. Il espérait qu’elle aimait son goût. Il espérait
qu’elle en voulait encore. Cela semblait être le cas, car elle prit son
gland dans sa bouche et le suça délicatement. Elle ouvrit davantage
la bouche pour le prendre jusqu’au fond de sa gorge, encore et
encore.
Il la fit reculer avant de jouir, puis il l’étendit par terre et s’appuya
sur les genoux pour étaler son désir sur son clitoris et sa fente.
Elle était chaude et tous les muscles d’Hadès se bandèrent en la
sentant contre lui.
— Maintenant, Hadès, ordonna-t-elle. Tu l’as promis.
Il parvint à rire, mais elle n’imaginait pas combien c’était difficile.
Le désespoir de Perséphone parlait au sien alors même qu’il faisait
tout son possible pour prendre son temps.
— Qu’est-ce que j’ai promis, chérie ? demanda-t-il en
l’embrassant dans le cou avant de mordiller son oreille.
Elle tourna la tête vers lui, cherchant à s’emparer de sa bouche
alors qu’il reculait.
— De me remplir, susurra-t-elle, les yeux rivés sur sa bouche
avant de chercher son regard. De me baiser.
— Ce n’était pas une promesse, dit-il en pressant son gland
contre son sexe chaud. C’était un serment.
Il s’enfouit alors complètement en elle et tout son corps sembla se
contracter autour de sa verge. Il aimait cette sensation, cette emprise
qu’elle avait sur lui, mais il attendit que ses muscles se relâchent
avant de bouger.
— Laisse-moi te faire l’amour, répéta-t-il, même s’il lui semblait
qu’ils faisaient l’amour à chaque partie de jambes en l’air.
Car il ne s’agissait pas de baise brutale ou rapide, ni lente, ni
d’une course à l’orgasme. Il s’agissait de ce qu’il ressentait pour elle.
Et il l’aimait sans fin.
Elle hocha à peine la tête, la peau luisant dans la lumière des
flammes.
Elle était sublime. Il entama ses va-et-vient, elle répondit de façon
spectaculaire, comme si c’était sa première fois avec lui. Il aimait tout
dans sa façon de bouger, sa façon de planter ses ongles dans ses
avant-bras, son souffle rauque, sa façon de lever les yeux au ciel.
Sublime, putain.
Il se retira et lécha le liquide épais qui coulait de son sexe. Il
n’avait jamais goûté quoi que ce soit d’aussi sucré – pas même le
nectar ni l’ambroisie. Perséphone guérirait toutes ses blessures. Elle
plongea ses mains dans ses cheveux et il se laissa guider vers sa
bouche. Il se sentit encore plus exalté la deuxième fois qu’il la
pénétra, encore plus désespéré de la sentir se contracter et se
détendre, plus désespéré encore de la faire jouir.
— Allez, jouis, ma chérie, dit-il d’une voix douce et rauque.
Il n’était même pas sûr qu’elle l’écoute, car elle se contractait tout
entière sous lui, autour de lui, et quand elle jouit, il l’imita aussitôt,
s’enfouissant profondément en elle pour se déverser.
Il eut l’impression que son orgasme durait une éternité, sans
doute parce qu’il retint son souffle jusqu’à avoir fini, au point qu’il en
avait mal aux côtes, mais il s’en fichait.
Perséphone en valait la peine. Elle valait tout.
Il se baissa et pressa son front contre le sien en reprenant sa
respiration, puis il l’embrassa sur la bouche et roula sur le dos. Ils
restèrent longtemps allongés sur le carrelage, écoutant les
crépitements du feu.
Au bout d’un moment, Perséphone bougea pour appuyer sa tête
sur son torse.
— C’est quoi cette histoire de refuge pour chevaux ? demanda-t-
elle d’une voix ensommeillée.
Hadès haussa un sourcil, même si elle ne pouvait pas le voir. Elle
parlait sans doute du terrain qu’il avait récemment acheté à Elis dans
l’espoir d’y installer un refuge pour chevaux et un centre de
rééducation. C’était un projet qui lui tenait particulièrement à cœur, et
il savait que Perséphone apprécierait. Il comptait le lui dire en l’y
amenant.
— J’allais te le dire en te le faisant visiter, dit-il, un peu frustré que
quelqu’un ait gâché la surprise qu’il voulait lui faire. Qui te l’a dit ?
— Personne, répondit-elle. J’ai entendu quelqu’un en parler.
— Hmmm, murmura-t-il.
Il n’y avait que peu de désavantages au fait qu’elle travaillait
désormais à la Tour Alexandria, mais celui-ci en était clairement un.
Elle finit par se redresser pour appuyer ses bras sur son torse et
poser son menton sur sa main.
— Harmonie est venue me voir aujourd’hui, dit-elle.
— Ah bon ?
— Elle pense que l’arme utilisée pour la capturer était un filet, dit-
elle. Qui a été fabriqué avec la magie de ma mère.
Voilà une information intéressante.
— Pourquoi ma mère aiderait-elle des mortels à attaquer l’une
des siennes ?
Elle semblait perturbée, mais Hadès n’était pas surpris.
— Cela s’est produit chaque fois que de nouveaux dieux
accèdent au pouvoir.
— De nouveaux dieux ou un nouveau pouvoir ?
— Peut-être les deux. Je suppose qu’on le découvrira tôt ou tard.
Perséphone resta silencieuse un moment.
— Qu’est-ce que Thésée faisait dans ton bureau aujourd’hui ?
— Il essayait de me convaincre qu’il n’avait rien à voir avec ton
agression ni avec celles d’Adonis et d’Harmonie.
— Et il a réussi ?
— Je n’ai pas décelé de mensonge, admit Hadès.
Cela dit, il savait que Thésée était un sociopathe. Pour lui, mentir
s’apparentait à dire la vérité.
— Mais tu le crois quand même responsable ?
— Je crois que son inaction fait de lui leur complice, dit-il. Il
connaît forcément les noms des agresseurs, mais il refuse de les
divulguer.
— Tu n’as pas un moyen de lui soutirer l’information ? demanda-t-
elle, faisant sourire Hadès.
— Tu as soif de sang, chérie ?
Cela ne sembla pas l’amuser.
— C’est juste que je ne comprends pas quel pouvoir lui permet de
garder cette information secrète.
— Le même pouvoir qu’ont tous les hommes qui ont des fidèles,
expliqua Hadès. L’hubris.
L’arrogance.
La ruine de l’homme.
— Mais ce n’est pas un crime punissable aux yeux d’un dieu ?
— Crois-moi, chérie, dit Hadès en enroulant une mèche autour de
son index. Lorsque Thésée arrivera aux Enfers, je l’escorterai moi-
même au Tartare.
Chapitre XXII

HADÈS

— Je n’en reviens pas de faire ça, marmonna Hadès en arpentant


les méandres d’un sentier rocailleux, en plein cœur de la chaîne de
montagnes d’Erebus, afin d’atteindre la grotte dans laquelle vivait
Hypnos.
Il se serait bien téléporté, mais Hécate l’avait prévenu de ne pas
le faire.
« Tu dois lui montrer du respect, avait-elle dit. Tu vas lui
demander une Faveur. »
Hadès s’était retenu de répondre ce qu’il pensait, à savoir
qu’Hypnos pouvait aller se faire foutre, car en même temps, il
espérait que le dieu du Sommeil viendrait en aide à Perséphone.
Il poursuivit donc son chemin comme un mortel, glissant sur les
pierres, parvenant à peine à traverser les passages étroits jusqu’à
enfin atteindre l’entrée de la caverne. Un ruisseau en sortait, brillant
comme des pierres de lune, dévalant la montagne qu’Hadès avait
gravie. Il rejoignait ensuite le Léthé, le fleuve de l’oubli.
Il hésita sur le seuil sombre, ne sachant comment procéder, mais
il n’eut pas à le décider, car Hypnos cria depuis l’intérieur de la grotte.
— Va-t’en !
— Tu ne sais même pas pourquoi je suis ici, rétorqua Hadès.
— Je te connais, et ça me suffit, dit Hypnos.
Hadès soupira en grognant et parla en serrant les dents.
— Je suis venu te demander une Faveur.
— Je n’accorde aucune Faveur, pas même au dieu des Morts !
— Mais tu n’as aucun problème à commettre un acte de trahison
quand on t’y force, marmonna Hadès.
— Je t’ai entendu ! aboya Hypnos.
Hadès soupira.
— Je t’ai apporté un… témoignage de reconnaissance, dit-il,
incapable d’appeler ça un cadeau. Si tu acceptes d’aider
Perséphone, précisa-t-il.
Il y eut un silence, puis Hypnos sortit de la pénombre de sa
caverne. Ses cheveux et ses cils étaient blancs comme ceux de
Thanatos, mais au lieu d’avoir les cheveux longs, les siens étaient
courts et très bouclés. Il était vêtu de blanc et ses ailes immaculées
tombaient dans son dos comme une cape, jusque sur le sol.
— Un témoignage de reconnaissance, tu dis ? demanda-t-il d’un
ton curieux, même si son expression restait impassible. Laisse-moi
voir.
— Accepte d’abord d’aider Perséphone, dit Hadès.
— Non.
Venir ici était une erreur. Hadès l’avait su dès qu’Hécate l’avait
suggéré, mais il n’avait eu d’autre choix qu’essayer. Il supportait à
peine l’appréhension qui l’envahissait à l’approche de la nuit, la
crainte que Pirithoos revienne hanter les rêves de Perséphone. Peu
importait que son âme soit partie, il continuait de vivre dans l’esprit de
Perséphone.
Hadès dévisagea longuement le dieu, puis il tourna les talons
sans un mot.
— Attends, attends ! cria Hypnos.
Hadès s’arrêta, mais il savait que le dieu hésitait encore.
— Donne-moi au moins un indice, avant que j’accepte.
Hadès grimaça de dégoût et continua d’avancer sans répondre.
Le fait qu’il doive faire une offrande à Hypnos pour obtenir son aide
était déjà bien assez pénible comme ça.
— Même toi, tu n’accepterais pas de faire quelque chose avant
de connaître les détails du contrat !
Il fut une époque où Hypnos l’aurait fait, une époque où il était
connu pour être calme et doux, comme son frère.
Hadès se tourna vers lui, les poings serrés. Il avait perdu
patience.
— Je ne t’ai jamais rien demandé. Jamais, dit-il.
Hypnos fuit son regard et croisa les bras tandis qu’Hadès
continuait.
— Mais je suis venu aujourd’hui parce que ma future femme, ma
reine, est terrorisée chaque fois qu’elle ferme les yeux, et tout ce qui
t’importe, c’est de savoir si la récompense en vaut la peine ! As-tu
oublié ce que c’était que de voir souffrir la personne qu’on aime ?
— Au moins, toi, tu peux la voir souffrir, rétorqua Hypnos. Je n’ai
pas vu ma femme depuis qu’on m’a condamné à cet enfer !
La femme d’Hypnos s’appelait Pasithée. Elle était l’une des
Charités, parfois appelées Grâces. Elle lui avait été donnée en
mariage par Héra, et s’il avait eu la chance de ne pas la perdre
complètement, il avait été séparé d’elle pour toujours après avoir
trahi Zeus.
— Peut-être que cela aurait changé si tu avais accepté de
m’aider.
— Tu souhaites me faire honte après que j’ai refusé de t’aider,
mais tu agites la promesse de ma femme sous mon nez, comme si
cela n’avait rien de cruel.
— Tu as la chance de connaître la pitié, répondit Hadès.
Hypnos le fusilla du regard, mais Hadès n’avait rien d’autre à dire.
Il n’avait pas voulu offrir quoi que ce soit au dieu du Sommeil en
échange de son aide, mais cela ne signifiait pas que ce qu’il avait
choisi était sans importance.
— Attends ! dit Hypnos en criant presque.
Hadès l’entendit se précipiter dans son sillage en glissant sur le
sol rocailleux. Il courut devant Hadès, les bras tendus pour l’arrêter.
Son expression avait changé. Elle était moins colérique, plus
désespérée.
— Attends, s’il te plaît. Je… je vais t’aider. Mais s’il te plaît…
laisse-moi voir Pasithée.
Hadès étudia le dieu et, au bout d’un long moment, il tendit la
main, paume vers le ciel, révélant sa magie qui y tourbillonnait. Une
fleur en cristal s’y forma et elle scintilla dans la lumière sombre et
mate de la nuit.
— Tu m’as joué un tour ? demanda Hypnos.
Hadès prit la fleur par sa tige. Son cœur luisait d’une lumière
chaude, comme les rayons du soleil se déversant à l’aube sur un
horizon ténébreux.
— Regarde dans la lumière, dit-il en levant la main.
Hypnos lui lança un regard suspicieux avant d’obéir et
d’empoigner sa main, puis la tige de la fleur.
— Pasithée, chuchota-t-il avec ferveur.
Sa bouche tremblait et ses yeux brillaient.
— Tu pourras regarder dans cette fleur chaque fois que tu
voudras la voir, dit Hadès en retirant sa main de celle d’Hypnos.
Il détourna le regard, car il avait l’impression d’empiéter sur un
moment privé.
Au bout d’un moment, Hypnos prit une grande inspiration qui
attira son attention, et quand Hadès le regarda dans les yeux, le dieu
du Sommeil avait retrouvé son calme.
— Je vais rencontrer ta Perséphone, dit-il.

*
* *
Hadès emmena Hypnos à son palais, dans la chambre qu’il
partageait avec Perséphone. Il ne savait pas si c’était nécessaire,
mais il lui semblait logique de lui montrer l’endroit où elle rêvait.
Dans la pièce sombre, Hypnos parut étincelant dans ses robes
blanches et dorées. Il fit quelques pas en regardant autour de lui.
— C’est comment pour toi, quand elle rêve ? demanda-t-il.
— Elle se débat à mes côtés. C’est comme ça que je sais qu’elle
affronte à nouveau son agresseur, et quand je la touche…
Hadès marqua une pause, un goût amer remplit sa bouche quand
il se remémora les épines qui avaient déchiré sa peau.
— … elle ne sait pas que c’est moi, dit-il.
« Est-ce que tu perçois la différence ? Entre mon toucher et le
sien ? avait-il demandé.
— Quand je suis réveillée, oui. »
Il déglutit. Il ne pensait pas oublier un jour cette nuit ni ses
paroles.
— Hmmm, dit Hypnos en étudiant la chambre. Il fait toujours aussi
sombre, ici ?
— Tu vis dans une grotte, rétorqua Hadès. Qui es-tu pour dire
qu’il fait sombre ici ?
La porte s’ouvrit et Hadès se tourna vers Perséphone qui entrait.
Elle se figea en écarquillant les yeux, étudiant Hypnos qui s’était
tourné vers elle.
— Bonjour, dit-elle d’un ton interrogateur. Est-ce que je…
dérange ?
Hypnos ricana.
— Perséphone, voici Hypnos, le dieu du Sommeil, dit Hadès.
C’est le frère de Thanatos. Ils ne se ressemblent en rien.
La bouche d’Hypnos se pinça et il plissa les yeux.
— Elle l’aurait constaté toute seule, tu n’étais pas obligé de lui
dire.
— Je ne voulais pas qu’elle se trompe en pensant que tu serais
aussi gentil.
— Je ne suis pas méchant, rétorqua Hypnos. Mais je n’aime pas
être en présence d’imbéciles. Tu n’es pas une imbécile, si, Lady
Perséphone ?
Hadès se crispa en entendant sa question.
— N… non, répondit-elle en hésitant, clairement surprise par la
question brutale du dieu du Sommeil.
Hadès soupira.
— J’ai demandé à Hypnos de venir pour qu’il t’aide à dormir,
expliqua Hadès.
— Je suis sûr qu’elle l’aura compris, cracha Hypnos.
— Et toi ? demanda-t-elle à Hadès. Tu lui as dit que tu ne dormais
pas ?
Hypnos éclata de rire.
— Le dieu des Morts, admettre qu’il ne dort pas ? Quelle
chimère !
Hadès fusilla Hypnos du regard, mais il fit de son mieux pour
réprimer son agacement en se concentrant sur Perséphone.
— Je l’ai appelé pour toi, dit Hadès en se tournant de nouveau
vers Hypnos. Elle ne dort pas, et quand elle y parvient, elle est
réveillée par des cauchemars. Parfois elle est en nage, parfois elle
crie.
— C’est… ce n’est rien, déclara Perséphone. Ce sont juste des
cauchemars.
— Et toi, tu es juste une splendide jardinière, c’est ça ? rétorqua
Hypnos.
— Hypnos ! grogna Hadès.
— Je comprends pourquoi tu vis en dehors des frontières des
Enfers, marmonna Perséphone.
Hypnos haussa les sourcils et esquissa un petit sourire.
— Pour info, je vis en dehors des Enfers parce que j’appartiens
encore au royaume des vivants, malgré ma sentence à vivre ici.
— Ta sentence ?
— On m’a condamné à vivre dans le monde d’en dessous parce
que j’ai endormi Zeus.
— Deux fois, précisa Hadès, sentant que le dieu du Sommeil lui
lançait un regard assassin.
— Deux fois ? Une fois ne t’avait pas suffi pour apprendre ?
demanda Perséphone.
— J’ai appris, mais il n’est pas facile d’ignorer la demande de la
reine des dieux. Rejeter Héra aurait rendu ma vie infernale, et
personne n’a envie de ça, hein, Hadès ?
Ce fut au tour d’Hadès de le fusiller du regard. Apparemment, le
dieu du Sommeil avait entendu parler des travaux qu’Héra lui avait
assignés. Il ne l’avait toujours pas dit à Perséphone, et il n’était pas
certain de le faire. Cela paraissait sans importance, maintenant qu’il
s’était assuré le soutien d’Héra.
— Parle-moi de ces cauchemars, dit Hypnos. J’ai besoin de
détails.
— Pourquoi as-tu besoin de les entendre ? Je t’ai dit qu’elle avait
du mal à dormir. Ça ne te suffit pas pour fabriquer une potion ?
— Peut-être, mais une potion ne résoudrait pas le problème. Je
suis plus âgé que toi, Milord, une divinité ancestrale, tu te souviens ?
Laisse-moi faire mon travail !
Ils se dévisagèrent, puis Hypnos se concentra de nouveau sur
Perséphone.
— Alors ? À quelle fréquence tu as ces cauchemars ?
— Pas toutes les nuits, dit-elle.
— Est-ce qu’il y a un schéma ? Est-ce qu’ils te viennent après une
journée particulièrement stressante ?
— Je ne crois pas. C’est en partie pour ça que je ne veux pas
m’endormir. J’ai peur de ce qui m’attend.
— Ces rêves… est-ce qu’ils sont survenus après un
traumatisme ?
Perséphone hocha la tête.
— J’ai été kidnappée, dit-elle. Par un demi-dieu. Il était obsédé
par moi et… il voulait me violer.
— Est-ce qu’il a réussi ?
Perséphone grimaça et Hadès faillit exploser. Des lames noires
jaillirent de la pointe de ses doigts.
— Hypnos !
— Lord Hadès ! aboya Hypnos. Si tu m’interromps encore une
fois, je m’en vais.
— Ce n’est rien, Hadès. Je sais qu’il essaie de m’aider.
Hypnos lui sourit chaleureusement.
— Écoute ta femme. Elle apprécie l’art d’interpréter les rêves.
— Non, continua Perséphone. Il n’a pas réussi, mais quand je
rêve, il s’en rapproche chaque fois un peu plus.
La poitrine d’Hadès se comprima en l’entendant parler.
— Les rêves, les cauchemars nous préparent à survivre, dit
Hypnos. Ils donnent vie à nos angoisses afin qu’on puisse les
combattre. Tu n’es en rien différente, déesse.
— Mais j’ai survécu, rétorqua-t-elle.
— Penses-tu que tu survivrais si cela se produisait à nouveau ?
Elle s’apprêtait à répondre quand il l’interrompit.
— Pas dans la même situation. Une situation différente : peut-être
si un dieu plus puissant te kidnappait.
Elle ne répondit rien.
— Tu n’as pas besoin d’une potion, dit-il. Tu as besoin de prévoir
comment tu te battras dans ton prochain rêve. Changes-en la fin, et
les cauchemars cesseront.
Sur ces mots, le dieu se leva.
— Et pour l’amour des dieux, dors, putain !
Il disparut sans prévenir et Perséphone regarda Hadès.
— Eh ben, il est sympa…
Hadès soutint son regard un moment avant de baisser les yeux
sur une tache rouge.
— Pourquoi est-ce que ta chemise est tachée de sang ?
Elle écarquilla les yeux et baissa la tête.
— Ah… je me suis entraînée avec Hécate, dit-elle.
— Entraînée à quoi ?
— À guérir.
Hadès fronça les sourcils.
— Il y a beaucoup de sang, dit Hadès.
— Ben… je ne pouvais pas me guérir sans être blessée, répondit-
elle.
— Elle veut que tu t’entraînes sur toi d’abord ?
— Oui… c’est mal ?
— Tu devrais t’entraîner sur des putains de… fleurs, pas sur toi-
même ! Qu’est-ce qu’elle t’a fait faire ?
— C’est vraiment si important ? Je me suis guérie. J’ai réussi. Et
puis, je n’ai pas beaucoup de temps. Tu sais ce qui est arrivé à
Adonis, et tu as vu ce qui est arrivé à Harmonie.
— Tu crois que je laisserais la même chose t’arriver ?
— Ce n’est pas ce que je dis. Je veux être capable de me
protéger toute seule.
Hadès ne pouvait quitter la tache des yeux et Perséphone finit par
croiser les bras.
— Je te jure que je vais bien, dit-elle. Embrasse-moi, si tu penses
que je mens.
— Je te crois, mais je vais t’embrasser quand même, dit-il en
pressant ses lèvres contre les siennes, trop inquiet pour l’embrasser
de la façon qu’il voulait, surtout après ce qu’elle avait dit à Hypnos à
propos de ses rêves.
— Pourquoi tu ne m’as pas dit que j’avais la capacité de me
guérir ? demanda-t-elle lorsqu’il recula.
— J’ai supposé qu’Hécate te le dirait, à un moment donné. Et en
attendant, je me faisais un plaisir de m’en occuper.
Elle riva ses yeux sur sa bouche et le bas-ventre d’Hadès se
réchauffa.
— Qu’aimerais-tu faire ce soir, chérie ?
Elle sourit.
— J’ai très envie de jouer aux cartes.
Chapitre XXIII

HADÈS

— On joue selon mes règles, dit Perséphone.


Hadès haussa un sourcil. Ils étaient assis face à face, à la table
de leur chambre.
— Tes règles ? En quoi sont-elles différentes des règles établies ?
— Il n’y a pas de règles établies, expliqua Perséphone. C’est ce
qui rend ce jeu si amusant.
Cela s’apparentait à son pire cauchemar.
— Contente-toi d’écouter, dit-elle en fronçant les sourcils. Le but
du jeu est de rassembler toutes les cartes. Chacun doit poser une
carte en même temps. Si la somme des cartes équivaut à dix, ou si
l’un de nous pose un dix, il faut frapper le tas de cartes.
— On… frappe le tas ?
— Oui.
— Pourquoi ?
— Parce que c’est comme ça qu’on gagne les cartes.
Il essaya de ne pas rire. Ce jeu avait l’air ridicule.
— Continue.
— En plus de la règle des dix, il y a une règle pour les figures,
expliqua-t-elle alors qu’Hadès commençait à regretter d’avoir voulu
qu’il y ait des règles.
Celles-ci étaient sans queue ni tête.
— En fonction de la figure qu’on pose, l’autre joueur a un certain
nombre de chances pour essayer d’obtenir une autre figure. Sinon, le
joueur qui a posé la première figure remporte toutes les cartes.
Il n’avait rien compris, mais il hocha quand même la tête.
— Et enfin, si tu frappes le tas au mauvais moment, tu dois mettre
deux cartes sous la pile.
— OK. Bien sûr. Comment s’appelle ce jeu, déjà ?
— La Bataille Égyptienne, dit Perséphone.
Il n’en avait jamais entendu parler. Venait-elle de l’inventer ?
— Pourquoi ?
Elle hésita et fronça les sourcils.
— Je… je ne sais pas. C’est comme ça, répondit Perséphone.
— Eh bien, ça devrait être amusant. Mais passons aux choses
sérieuses, la mise. Qu’est-ce que tu gagnes si c’est toi qui obtiens
ce… tas de cartes ?
C’était son moment préféré dans n’importe quel jeu. C’était pour
la mise que le jeu valait la peine d’être joué.
Perséphone resta silencieuse, elle réfléchissait. Elle tapotait sa
bouche avec ses doigts et il la regarda faire.
— Je voudrais un week-end, dit-elle enfin. Seule. Avec toi.
— Tu paries pour gagner quelque chose que je t’offrirais
volontiers et que je t’ai déjà offert plusieurs fois.
— Je ne parle pas d’un week-end, enfermés dans ta chambre,
rétorqua-t-elle d’un ton défensif qui vexa Hadès. Je veux un week-
end… sur une île, ou à la montagne, ou dans un chalet. Des…
vacances.
L’idée lui plaisait.
— Tu ne me donnes pas beaucoup de raisons de gagner,
plaisanta-t-il.
— Et toi ? Qu’est-ce que tu veux ?
— Un fantasme, répondit-il. Réalisé.
— Un… fantasme ? demanda Perséphone, confuse.
Il précisa sa pensée.
— Sexuel.
— Bien sûr, dit-elle d’une voix suave. Est-ce que je peux
demander ce qu’implique ce fantasme ?
— Non, répondit-il, mais seulement parce qu’il n’avait pas décidé
lequel il souhaitait explorer avec elle… si elle était d’accord. Tu
acceptes ?
— J’accepte.
Sa courte réponse fit accélérer son pouls et il se retrouva soudain
à lutter, car tout son sang se précipitait dans sa verge. Il aimait son
enthousiasme, mais il aimait encore plus qu’elle ait suffisamment
confiance en lui pour dire oui.
Perséphone coupa le tas et distribua vingt-six cartes à chacun. La
première qu’elle posa fut un deux de pique, et Hadès posa une reine
de trèfle.
— Ça veut dire que j’ai trois chances de poser une autre figure,
expliqua-t-elle.
Il lui obéit, car il n’avait pas la moindre idée de ce qui se passait,
mais il se dit que plus ils joueraient, plus les règles deviendraient
claires… si toutefois il parvenait à se concentrer malgré sa
douloureuse érection.
Perséphone posa ensuite un roi.
— Maintenant, tu as quatre chances de poser une figure.
Il était presque sûr qu’elle inventait les règles au fur et à mesure.
Une figure, pensa-t-il en essayant de se souvenir de ce que c’était –
un valet, une reine ou un roi. Il posa d’abord un cinq de carreaux,
puis un trois de trèfle et enfin un valet de cœur. C’était désormais à
elle de jouer.
Sauf qu’elle retourna un valet.
— Tu as une chance de tirer une figure, dit-elle.
Il retourna un dix de pique.
Hadès ne comprit pas ce qui lui prit, mais dès qu’il le vit, il frappa
le tas de toutes ses forces. Perséphone sursauta et lui fit de gros
yeux.
— Quoi ? s’étonna-t-il. Tu as dit qu’il fallait frapper.
— Oui, mais pas démonter la table.
Il sourit d’un air machiavélique.
— C’est juste que j’ai très envie de gagner.
— Je croyais que ma mise t’intéressait ?
— C’est le cas, mais je peux réaliser ton souhait n’importe quand.
— Et tu ne crois pas que je peux réaliser ton fantasme n’importe
quand ?
— C’est le cas ?
Il savait qu’elle le pouvait, mais la question était de savoir si elle
en aurait envie en dehors d’un pari. S’il savait qu’elle était ouverte à
cette idée, c’était plus simple de cette manière. Ce n’était pas qu’il
avait honte, mais il ne voulait pas lui faire peur ou la mettre mal à
l’aise, surtout quand ses cauchemars à propos de Pirithoos ne
faisaient qu’empirer.
Il soutint son regard et l’atmosphère devint pesante. Il aimait sa
façon de le regarder, comme si elle avait envie de lui sauter dessus.
— On continue ? demanda-t-il.
Continuer après qu’elle aurait joui sur sa queue ne lui poserait
aucun problème.
Perséphone se racla la gorge et se concentra sur les cartes.
Plus ils jouaient, plus il était inconfortable et désespéré de
soulager la tension qui pulsait entre ses jambes. Hadès n’eut bientôt
plus qu’une carte en main. La victoire de Perséphone était
imminente, mais elle avait sous-estimé son envie de gagner.
— N’aie pas l’air aussi sûre de toi, chérie. Je vais revenir avec
cette carte, promit-il.
Elle leva les yeux au ciel, mais il posa sa dernière carte. C’était un
dix, et il frappa le tas, remportant toutes les cartes.
Perséphone recula sur sa chaise et sa surprise se changea vite
en frustration.
— Tu as triché !
— C’est typiquement ce que disent les perdants, ricana-t-il.
— Attention, Milord, tu as peut-être gagné, mais c’est moi qui suis
responsable de l’expérience. Tu veux qu’elle soit bonne, non ?
Elle était responsable de l’expérience, en effet, mais tout lui
plairait, du moment que c’était avec elle. Elle se leva en même temps
que lui. Il retirait déjà ses boutons de manchette.
— Dix secondes, dit-il.
— Quoi ? demanda-t-elle, confuse.
— Tu as dix secondes pour te cacher. Après ça, je viens te
chercher.
— Ton fantasme est de jouer à cache-cache ?
— Non. Mon fantasme est de te pourchasser. Et quand je te
trouverai, je m’enfouirai si profondément en toi que tu ne seras plus
capable de parler, sauf pour crier mon nom.
Elle pencha la tête sur le côté en l’étudiant.
— Tu vas utiliser ta magie ?
— Oh, mais ce sera bien plus amusant avec de la magie, chérie.
— Mais on est dans ton royaume, râla-t-elle. Tu vas savoir où je
vais.
— Tu veux dire que tu ne veux pas que je t’attrape ?
Elle lui sourit d’un air machiavélique et elle disparut sans un mot.
Il resta dans la chambre, comptant jusqu’à dix en rythme avec les
pulsations de sa verge, puis il la suivit.
Il la trouva dans le jardin devant son palais, cachée sous un
saule, appuyée contre le tronc de l’arbre. Elle avait un air sauvage et
sublime, ses yeux brûlaient de désir et de joie. Elle le reluqua de la
tête aux pieds, caressant tout son corps avec ses yeux.
— J’ai pensé à toi toute la journée, dit-il d’une voix grave.
Ses yeux brillaient, elle s’éloigna de l’arbre, l’attirant plus
profondément dans le jardin. Il la suivit, pressé de remporter sa mise.
— Ton goût, la sensation de ma queue quand je glisse en toi, tes
gémissements quand je te prends.
Elle se tourna vers lui en atteignant le mur du jardin et il
l’emprisonna contre les pierres pour se rapprocher d’elle.
— J’ai envie de te prendre si fort que les vivants entendront tes
cris, susurra-t-il contre sa peau.
Il sentit la langue de Perséphone caresser sa bouche.
— Qu’est-ce que tu attends ?
Il poussa un grognement en l’entendant l’aguicher, conscient qu’il
avait lui-même demandé à être torturé ainsi.
Elle rassembla sa magie et il envisagea de l’empêcher de se
téléporter, mais il n’était pas prêt à mettre fin à ce jeu. Il voulait voir ce
qu’elle allait faire.
Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle se matérialise en plein cœur
d’Asphodèle, au milieu d’une foule d’âmes. Le temps qu’il la rejoigne,
les enfants étaient déjà rassemblés autour d’elle, la tirant par la main
et par la jupe.
Quand Hadès apparut à son tour, ils tournèrent la tête vers lui.
— Hadès ! s’exclamèrent les enfants en courant vers lui.
Eh bien, voilà qui était gênant.
Il attrapa le plus petit par la taille et le souleva dans les airs, le
faisant hurler de joie.
— Hadès, joue avec nous ! dirent-ils.
— Je crains d’avoir fait une promesse à Lady Perséphone que je
ne peux pas rompre, expliqua-t-il en reposant le garçon. Mais je vous
promets que Lady Perséphone et moi reviendrons vous voir dès que
possible.
Il la regarda dans les yeux et il eut du mal à déchiffrer son
expression. Elle paraissait sous le choc. Elle finit néanmoins par
déglutir et par sourire aux enfants.
— On revient bientôt ! promit-elle avant de se téléporter.
Hadès suivit aussitôt sa magie jusqu’au Pré d’Asphodèle.
Dès qu’ils arrivèrent, il la prit dans ses bras et l’embrassa presque
violemment, tremblant de tout son corps sous l’effet de son désir
ardent. Il peinait à se contrôler en léchant sa bouche. Putain, elle était
incroyable, et elle avait un goût de printemps.
Il fut surpris quand elle recula. Ils se défièrent du regard, à bout de
souffle, puis il fit un pas en avant. Comme elle ne bougeait pas, il
saisit le devant de sa robe et l’attira contre lui.
Elle ne s’y opposa par quand il déchira son vêtement ni quand il
prit ses seins dans ses mains pour les sucer jusqu’à ce qu’elle
s’agrippe et se frotte à lui.
— Rends-toi, chuchota-t-il en l’embrassant dans le cou.
Il la prendrait dans ce champ, au milieu des asphodèles, mais il
chercha son regard et la vit sourire d’un air enjoué.
— Non, dit-elle d’une voix sensuelle.
Elle disparut à nouveau et il poussa un grognement de frustration
en la suivant, décidant que l’endroit où elle apparaîtrait serait celui où
il la prendrait, peu importait qui serait là pour les voir. Il ne tiendrait
plus longtemps. Quand il se matérialisa, elle était assise sur son
trône, il faillit tomber à genoux.
Perséphone était un rêve.
— Ma reine, dit-il en marchant vers elle.
— Stop ! ordonna-t-elle.
Il ne s’attendait pas à son ordre et il obéit malgré le frisson qui le
parcourut. Il l’étudia, le souffle court, plus frustré que jamais. Il
mourait d’envie de la défier, mais il voulait également découvrir de
quoi elle était capable.
— Déshabille-toi !
Il l’étudia un moment et sourit.
— Pour quelqu’un qui n’aime pas les titres, tu aimes beaucoup
donner des ordres.
— Dois-je me répéter ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.
Hadès sourit de plus belle et s’apprêtait à invoquer sa magie
quand elle l’arrêta.
— Pas avec ta magie. Déshabille-toi comme les mortels.
Lentement.
Hadès déglutit et se lécha les lèvres.
— Comme tu le souhaites.
Il faisait rarement cela, mais à voir la façon dont Perséphone le
regardait, il décida de le faire plus souvent. Ses yeux étaient rivés sur
lui alors qu’il quittait ses habits, se mettant lentement à nu sous son
regard de braise.
— Et tes cheveux. Lâche-les.
Il la vit frémir quand il retira l’élastique qui retenait ses cheveux. Il
pensait avoir fini, mais elle lui donna un dernier ordre.
— Retire ton Charme.
— Je le ferai si tu le fais aussi.
Elle hésita, et il ne comprit pas pourquoi. Peut-être ne s’attendait-
elle pas à ce qu’il négocie. Elle lâcha alors sa magie et il ne sut
comment décrire l’émerveillement qu’il ressentit à la voir se
transformer. Il la voyait rarement sous sa forme divine, et s’il l’aimait
sous n’importe quelle forme, il eut du mal à se remettre de la voir
dans son état naturel.
Il prit son temps pour l’admirer, parcourant des yeux son corps,
depuis ses cornes jusqu’à ses pieds nus. Il ne se lasserait jamais de
la regarder.
Quand il rencontra à nouveau son regard, il découvrit qu’il était
sombre et que ses paupières étaient lourdes de désir. Il quitta son
Charme, et sa magie s’évapora dans des volutes de fumée noire qui
disparurent dans la pénombre.
Perséphone se leva et Hadès sentit son corps se tendre un peu
plus à chaque pas qu’elle faisait vers lui.
— Ne bouge pas, chuchota-t-elle.
Il prit une profonde inspiration quand elle posa sa main sur son
torse et explora son corps jusqu’à sa verge. Il crut qu’il allait exploser,
rien qu’en anticipant sa caresse.
Hadès grinça des dents.
Il avait envie de l’embrasser.
Elle fit alors un pas en arrière et retourna sur son trône,
s’installant confortablement avant de parler.
— Viens.
Putain, enfin.
— Seulement pour toi.
La seconde d’après, il était sur elle, empoignant ce qui restait de
sa robe, et quand elle fut complètement nue, il la souleva. Elle ne se
fit pas prier, entourant aussitôt sa taille avec ses jambes, et il
s’enfouit en elle.
Ils grognèrent tous les deux, bouche ouverte, l’une contre l’autre.
— Je commençais à croire que tu allais te contenter de me
regarder, dit-il, déjà essoufflé quand il entama ses va-et-vient.
— J’avais envie de toi, susurra-t-elle. J’ai eu envie de baiser dès
qu’on a été seuls.
— Et au lieu de baiser, tu as voulu jouer. Pourquoi ?
— J’aime les préliminaires, répondit-elle, et Hadès éclata de rire.
Elle mordilla son oreille et il inspira en serrant les dents, percutant
sa bouche avec la sienne. Le corps de Perséphone se couvrit de
sueur et Hadès peina à la tenir, mais elle s’agrippait à lui.
— Je déteste t’attendre, dit-elle.
— Alors viens me trouver, répondit Hadès.
— Tu es occupé.
— Occupé à rêver d’être en toi.
C’était vrai, il en rêvait chaque seconde de la journée.
Perséphone parvint à rire, à bout de souffle.
— J’aime tellement ce rire, dit-il en l’embrassant sur la bouche.
— C’est toi que j’aime tellement.
Hadès recula pour la regarder dans les yeux, puis il s’assit en la
serrant contre lui.
— Redis-le, dit-il.
Son regard s’adoucit et elle passa ses mains dans ses cheveux.
— Je t’aime, Hadès.
Il sourit jusqu’aux oreilles. Il l’aimait tellement.
— Je t’aime, dit-il alors qu’elle ondulait de plus en plus vite et fort
contre lui, accueillant ses coups de bassin avec autant de vigueur. Tu
es parfaite. Tu es ma maîtresse. Tu es ma reine.
Elle jouit sur lui et il l’imita, puis ils s’écroulèrent sur le trône,
épuisés.
— Pourquoi c’est la première fois que j’entends parler de tes
fantasmes ? demanda-t-elle, et il l’embrassa sur le front.
Hadès ne savait trop quoi répondre.
— Comment je suis censé verbaliser ce genre de chose ?
Perséphone le regarda dans les yeux.
— Je suppose que tu… tu me dis ce que tu veux. Ce n’est pas ce
que tu me demanderais de faire ?
— Oui, répondit-il, intrigué par la notion de désir. Alors dis-moi,
quel est ton fantasme ? demanda-t-il.
Elle écarquilla les yeux avant de froncer les sourcils.
— Je… je ne crois pas que j’en aie.
— Tu me pardonneras de ne pas te croire, dit-il.
— Non. Je ne te le pardonne pas, c’est dans ta nature de détecter
les mensonges.
Hadès ricana.
— Alors, que dois-je faire ? Pour connaître tes fantasmes ?
Elle mit un moment avant de parler. Il savait qu’elle connaissait la
réponse, elle était sur le bout de sa langue, faisant croître la tension
entre eux.
— Un jour… j’aimerais… que tu m’attaches.
Il ne s’attendait pas à ça. Il pensait qu’elle proposerait plutôt une
forme d’exhibitionnisme. Étant donné ce qu’elle avait vécu avec
Pirithoos, il avait supposé que l’attacher serait impossible. Il semblait
à Hadès qu’il leur faudrait s’y prendre avec précaution.
— Je ferai toujours ce que tu me demanderas de faire.
Ils furent silencieux un moment et elle appuya sa tête sur son
torse.
— Et toi ? finit-elle par demander. Quels autres fantasmes
caches-tu dans ta tête ?
Il la serra plus fort contre lui alors que sa verge durcissait à
nouveau en elle.
— Chérie, te faire l’amour est chaque fois un fantasme.
Chapitre XXIV

THÉSÉE

Thésée regardait la femme qui était assise en face de lui, de


l’autre côté du bouquet de fleurs jaunes.
— Alors comme ça, vous voulez en savoir plus sur la Triade ?
Elle s’était présentée comme Cassandre, mais il savait que son
vrai prénom était Hélène et qu’elle aspirait à être journaliste. Elle
étudiait à l’Université de Nouvelle Athènes et elle travaillait pour
Perséphone Rossi.
Elle ne savait pas encore qu’il savait tout d’elle et elle faisait mine
de vouloir se joindre à son organisation, comme elle l’avait dit la
semaine précédente, quand elle s’était présentée lors d’une
assemblée.
En temps normal, il mettait vite fin à ce genre de rendez-vous,
mais il était opportuniste et il voyait du potentiel en elle.
Il savait ce qu’elle désirait vraiment.
Cette jeune femme était ambitieuse et elle cherchait
constamment le chemin qui la propulserait au sommet. Il ne
l’intéressait pas plus qu’elle ne l’intéressait en retour, au-delà de ce
qu’ils pouvaient s’apporter mutuellement. Elle pensait encore que la
balle était dans son camp et qu’elle serait la journaliste qui ferait
éclater la nouvelle de la plus grande menace sur le règne olympien
de tous les temps.
Il admirait sa confiance, mais il détestait son arrogance.
Elle découpait le faux-filet qu’elle avait commandé et Thésée
remarqua ses gestes délicats, gracieux, même. Elle essayait de
l’impressionner.
Ce n’était pas encore le cas.
— Je crois que ce qui m’intéresse vraiment, c’est votre point de
vue à son sujet, dit-elle d’une voix suave.
Elle le regardait dans les yeux, mais elle se concentra bientôt sur
sa bouche.
Il trouvait sa tentative de séduction ennuyeuse et prévisible. Sa
plus grosse erreur était de croire que sa beauté suffirait à le
convaincre. Phèdre était sublime, tout comme sa sœur. Il pouvait se
taper des beautés tous les jours. Cela ne changeait rien, ça ne lui
apportait rien.
Il ne prenait de plaisir que s’il pouvait leur faire du mal, et il sentit
sa verge tressauter rien que d’y penser.
— Je ne voudrais pas influencer votre opinion, dit-il. Je préfère
que nos actes parlent d’elles-mêmes.
— Mais vos actes semblent terroristes.
— C’est une question de point de vue, dit-il. J’avancerais que
c’est Olympe qui est responsable de ce terrorisme.
Elle regarda à sa droite puis à sa gauche, sans doute gênée par
ses propos.
Thésée ricana.
— Ça vous met mal à l’aise ?
— C’est du blasphème, dit-elle.
— Je suppose, oui. Si vous vénérez les dieux.
— Qu’on les vénère ou pas, ils sont bien réels, dit-elle. Les
conséquences de l’hérésie sont graves.
— Pas plus graves qu’une tempête mortelle, répondit-il. Si je
meurs en proclamant la vérité sur les dieux, ainsi soit-il.
Elle se tut et prit son verre avant de reculer sur sa chaise. Il ne s’y
attendait pas. Son geste indiquait qu’elle était à l’aise.
— Vous savez ce que je pense ? demanda-t-elle en sirotant son
vin.
Il n’en savait rien, mais il devait admettre que son changement de
comportement et sa confiance soudaine l’intriguaient.
Il attendit. Il ne comptait pas l’implorer.
— Je crois que vous vous fichez de ce qui arrive au peuple de
Nouvelle Grèce, mais que vous avez besoin qu’il vous soit fidèle.
Il la regarda droit dans les yeux.
— Et qu’est-ce qui vous fait penser ça ? demanda-t-il, le regard
noir.
— Tout le monde a besoin d’être vénéré.
— Vous aussi ? demanda-t-il.
Il avait hâte qu’elle réponde. Il s’attendait à quelque chose
d’ennuyeux, du type « quelle femme n’a pas envie d’être vénérée ? »,
mais il n’en fut rien.
— On pourrait me craindre, et je m’en ficherais. La seule chose
qui m’intéresse, c’est le pouvoir.
Il y avait un éclat dans son regard qu’il n’avait pas perçu avant,
une noirceur qu’il avait envie de titiller.
Il finit par se lever.
— Venez avec moi, dit-il.
Elle se raidit, mais elle prit la main qu’il lui tendait et il se téléporta
aussitôt.
Ils apparurent dans un coin sombre d’un vaste entrepôt, sur une
plateforme qui surplombait le rez-de-chaussée bondé.
Thésée appelait cet endroit le Forum.
L’accès ne se faisait que sur invitation et celles-ci étaient choisies
selon les doléances que les mortels avaient au sujet des dieux. En
général, ceux dont les prières avaient été rejetées.
— Où sommes-nous ? demanda Hélène.
— Tu es en sécurité, répondit-il, décidant de la tutoyer.
Elle tourna la tête sans pour autant le regarder.
— Je ne demandais pas si j’étais en sécurité.
— C’est tout ce que tu as besoin de savoir.
Thésée posa une main sur le creux de ses reins et la fit
s’approcher de la rambarde. Il posa ensuite les mains de part et
d’autre de son corps de manière à la plaquer contre la barre
métallique et à presser son érection dans son dos. Elle se cambra,
plantant ses omoplates dans son torse.
Un homme se tenait à la tête de la foule qui était face à six demi-
dieux, dont la moitié était cachée dans l’ombre.
— J’ai supplié Apollon, dit-il. J’ai déposé du miel et des jacinthes
sur son autel, mais mes prières ne sont toujours pas entendues.
— Pas entendues, ou pas exaucées ? demanda Okéanos.
C’était le frère jumeau de Sandros, des fils de Zeus.
— Pas exaucées ! cria la foule qui se mit à hurler.
Là était la beauté d’un public de fidèles, il suffisait d’un meneur
pour les encenser, pour transformer l’énergie et inspirer la colère.
— Qui est-ce ? demanda Hélène d’une voix si basse qu’il eut du
mal à l’entendre par-dessus les cris.
— Ce sont des agents du peuple, dit-il tout près de son oreille. Au
sein de la Triade, on les appelle les Grands Lords. Ce sont des demi-
dieux ou des descendants de dieux.
L’homme qui avait parlé le premier avait été excité par la foule et il
se mit à crier.
— Écoute, dit Thésée pour qu’Hélène y prête attention.
— J’ai allumé des bougies et j’ai cueilli des feuilles de laurier, j’ai
gravé ses symboles sur des pierres qui ont pris le soleil, et tout ça au
nom d’un dieu qui ignore mes prières !
Le public rugit de colère et se mit à chanter.
— Mort à Apollon !
— Ayez pitié de moi, Milords, supplia l’homme. Je veux seulement
aller mieux afin de pouvoir continuer à soutenir ma femme et ma fille.
Un demi-dieu se leva et avança dans la lumière. Toute la salle
devint silencieuse. Il était grand et avait l’allure d’un guerrier, mais
malgré cela, il avait le don de guérir.
Thésée sentit Hélène retenir son souffle.
— Qui est-ce ?
— C’est Machaon, dit-il. Le second, techniquement. Il est
descendant du demi-dieu Asclépios.
— Le fils d’Apollon ?
— Lui-même.
Le mortel se mit à trembler, Machaon approchait.
— Ne crains rien, dit le demi-dieu en posant la main sur le crâne
de l’homme. Je vais te guérir de cette souffrance.
L’homme trembla de plus belle, puis ses jambes cédèrent.
Il était difficile de comprendre ce que faisait Machaon, mais
Thésée sentait son pouvoir, de la même façon qu’il sentait toute
influence divine. Celui de Machaon était doux, comme la caresse
d’une vague sur le rivage.
L’homme s’affala, mais Machaon le rattrapa pour le relever. Sa
tête tomba en arrière et ses yeux se fermèrent.
Thésée sentit Hélène se pencher en avant, tendue et curieuse.
— Est-il en vie ? chuchota-t-elle.
L’homme cligna des yeux et toute la foule l’acclama.
— Lève-toi, mon ami, dit Machaon. Tu es guéri.
Il aida le mortel à se relever et la foule se rassembla autour de lui
en chantant le nom de Machaon, nourrissant son pouvoir.
Thésée le sentait également.
— Les dieux conservent leur pouvoir, dit-il en effleurant son
oreille. Nous, nous donnons. Les dieux empêchent, dit-il en soulevant
sa jupe, alors que nous, nous aidons. Les dieux détruisent,
poursuivit-il en la caressant entre les jambes, nous, nous réparons.
Elle gémit quand Thésée plongea ses doigts dans son sexe
chaud. C’était tout ce qu’il avait besoin de savoir, qu’elle mouillait
assez pour le prendre.
Il la poussa en avant, une main sur son dos.
Il promena son autre main sur sa fesse et la gifla avant d’écarter
ses jambes avec ses pieds pour s’enfoncer en elle.
— Oui, putain !
Elle retint son souffle et accueillit ses coups de bassin en reculant
contre lui, comme si elle voulait quelque chose de plus fort, de plus
sombre encore.
Il empoigna ses cheveux pour les tirer. Elle poussa un cri, mais
elle lui obéit en se cambrant tandis qu’il accélérait, conservant une
main sur la rambarde. Elle ne chercha pas à l’embrasser, à être autre
chose qu’un réceptacle, et quand il sentit ses testicules se contracter
et une vague de chaleur remonter dans sa queue, il se retira,
éjaculant sur ses fesses et derrière ses cuisses.
Il se rhabilla et elle se tourna vers lui, les yeux noirs de désir.
— J’écrirai le récit que tu souhaites raconter, dit Hélène. Mais je
veux t’accompagner au sommet.
— Ta patronne est la future femme d’Hadès.
Elle haussa un sourcil.
— Si Perséphone n’accepte pas de publier mon article, j’irai
ailleurs.
Il fit un pas vers elle et caressa ses lèvres avec son pouce.
— La prochaine fois, j’éjaculerai dans cette bouche, dit-il avant de
reculer.
Il s’arrêta avant de la quitter.
— Fais en sorte que tes mots sèment les graines de la guerre…
Hélène.

*
* *
Le Forum était désormais désert, à l’exception de Thésée et des
six Grands Lords.
Il attendait l’arrivée d’un groupe d’Impies qui se faisaient appeler
les tueurs de dieux. En temps normal, Thésée n’avait rien contre les
actes de violence isolés commis par les Impies, mais il mettait le holà
quand ceux-ci s’en vantaient trop. Or ces hommes ne cessaient de
s’applaudir d’avoir décorné une déesse.
— Où sont-ils ? demanda Thésée, ne s’adressant à personne en
particulier, car il savait qu’on lui répondrait.
— Ils sont en route, répondit Damian, le fils de Thétis, déesse de
l’Eau.
Il s’était tendu peu à peu après le départ d’Hélène, et ça n’avait
rien à voir avec du désir ou l’envie de baiser.
C’était un besoin différent, un besoin de violence.
Les portes s’ouvrirent et cinq hommes entrèrent.
Celui du milieu, gros et barbu, tenait une longue corne blanche
dans chaque main.
— Milord, dit-il en s’inclinant devant Thésée. Je suis venu
déposer ces offrandes à vos pieds.
L’homme posa les cornes par terre, Thésée les regarda d’un air
dédaigneux.
— Eh bien, vous n’êtes pas content ? demanda le mortel d’une
voix tonitruante. N’est-ce pas ce que vous aviez demandé ?
Thésée ne répondit rien, mais il se pencha pour ramasser une
des cornes et l’étudier. Elle était rêche et légère.
Il l’enfonça aussitôt dans le torse du mortel.
— Je suis content, dit Thésée alors qu’une giclée de sang
jaillissait de la bouche de l’homme.
— Putain ! cria un autre homme.
Thésée retira la corne et le mortel tomba à terre en gémissant.
Les quatre autres déguerpirent en criant, cherchant à s’enfuir.
Deux d’entre eux furent frappés par des courants électriques
envoyés par les jumeaux et un autre se mit à convulser avant de se
changer en un tas de cendres, comme s’il brûlait de l’intérieur. Le
dernier émit des gargouillis et vomit de l’eau avant de virevolter et de
tomber sur le dos, noyé.
— Hélas, dit Thésée quand ils furent tous morts, je ne peux vous
laisser vivre et raconter votre exploit.
Chapitre XXV

HADÈS

Hadès se téléporta à son bureau de la Tour Alexandria.


Il était anxieux, mais son angoisse n’avait rien de choquant,
puisqu’il devait voir Zeus aujourd’hui pour discuter de son avenir
avec Perséphone. Il espérait convaincre son frère d’approuver son
mariage en s’épargnant ses demandes habituelles. Peut-être même
celui-ci concèderait-il qu’il valait mieux qu’ils se marient en secret,
étant donné la désapprobation évidente de Déméter.
C’étaient de grands espoirs, mais quand il s’agissait de
Perséphone, il aimait rêver.
Il ne s’attendait pas à la trouver dans son bureau en arrivant. Elle
se tenait devant les baies vitrées, concentrée sur la rue en contrebas.
Il pensa qu’elle s’inquiétait de la météo, de sa mère et donc de toutes
les vies que celle-ci avait prises.
Son ventre se noua.
Après l’horrible accident, il était persuadé que Perséphone
partirait, non pas par envie mais par sentiment d’obligation. Or elle
était restée à ses côtés pour accueillir les âmes qui entraient aux
Enfers, comme si elle était déjà sa femme, sa reine.
Il se posta derrière elle et posa les mains à plat sur la vitre, de
part et d’autre de son corps. Il effleura sa nuque du bout du nez,
déposant de légers baisers sur sa peau. Il se souvint de la première
fois qu’elle lui avait rendu visite ici, de la première fois qu’il l’avait vue
dans cette pièce et de combien il avait eu envie de la prendre sur son
bureau.
« Ce serait la chose la plus productive qui pourrait s’y passer »,
avait-il dit, et c’était encore vrai à ce jour.
— Attention, dit Perséphone d’une voix douce et suave. Si tu
laisses des traces, Ivy va te gronder.
— Tu crois qu’elle me grondera si je te prends contre la fenêtre ?
demanda-t-il avant de mordiller son oreille.
Elle se tourna vers lui et son expression le troubla. Il s’attendait à
trouver son regard brûlant de désir, mais elle semblait plutôt…
angoissée.
Peut-être Déméter avait-elle encore frappé ?
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— J’ai mis Hélène à la porte, aujourd’hui, expliqua-t-elle d’une
voix tremblante. Je…
Elle marqua une pause et fuit son regard.
— Elle voulait écrire un article sur la Triade et je comptais la
soutenir du moment qu’elle trouvait des sources fiables, mais il
semblerait qu’au cours de son enquête, les Impies aient réussi à la
faire passer dans leur camp.
— Comment ça ? demanda Hadès.
— Elle est venue me voir aujourd’hui et elle m’a expliqué ce
qu’elle voulait écrire. Elle m’a dit que la Triade… faisait le bien. Qu’ils
sont comme des dieux, mais qu’ils protègent leur peuple,
contrairement à nous.
Hadès n’était pas surpris. Il savait comment la Triade recrutait ses
membres, et leur usage de la magie paraissait toujours l’emporter sur
le destin, donc il n’était pas surprenant qu’ils aient réussi à piéger
Hélène.
— Ils savent se montrer convaincants, dit Hadès. C’est dommage.
Les mortels qui tombent dans leur piège ne voient qu’un événement
isolé, un moment de guérison où ces demi-dieux semblent avoir défié
le destin. Ils ne voient pas les conséquences.
— Quelles sont les conséquences ? demanda-t-elle.
Hadès haussa les épaules.
— Ça dépend de la colère des Moires, mais en général, ils
doivent affronter une fin pire que celle qui avait été choisie pour eux.
Perséphone resta silencieuse quelques instants.
— J’ai l’impression que c’est de ma faute. Si je n’avais pas…
— Tu ne pouvais pas savoir, Perséphone, l’interrompit Hadès. Si
Hélène a été convaincue de se joindre à la Triade aussi facilement,
c’est que sa loyauté n’a jamais été très grande.
Perséphone fronça les sourcils et Hadès effleura son menton
pour pencher sa tête en arrière afin qu’elle le regarde.
— Elle t’a menacé, dit-elle, les poings serrés, et Hadès sentit son
pouvoir changer.
Elle était en colère, bouillante de rage.
— Est-ce que tu crois que la Triade… te prendra pour cible ?
— Je suppose, oui, dit Hadès.
Perséphone pâlit, et sa réaction choquée l’étonna. Il fronça les
sourcils en l’étudiant.
— Tu as peur pour moi ?
— Oui. Oui, espèce d’imbécile ! dit-elle en le fusillant du regard.
Regarde ce qu’ils ont fait à Harmonie !
— Perséphone…
Elle lui coupa la parole.
— Hadès, ne minimise pas ma peur de te perdre. Elle est
parfaitement justifiée.
Une vague de chaleur envahit sa poitrine et il la regarda avec
tendresse.
— Pardon, murmura-t-il.
Il ne s’était jamais attardé sur le fait que la Triade s’en prendrait à
lui. Il savait que ce serait le cas. Après tout, il était l’un des trois dieux
les plus puissants parmi les Olympiens. Si la Triade voulait prendre le
pouvoir, il leur faudrait vaincre Hadès d’abord. Jusqu’à la résurrection
de l’Ophiotauros, il n’avait pas pensé que ce serait possible, mais les
choses étaient différentes à présent, surtout après le rêve de
Katerina.
— Je sais que tu es puissant, dit-elle. Mais… je ne peux pas
m’empêcher de penser que la Triade est sur le point de déclencher
une nouvelle Titanomachie.
Le ventre d’Hadès se noua. Il savait cela depuis un moment, mais
c’était autre chose d’entendre Perséphone le dire. Il pensa de
nouveau à la vision de Katerina. Même s’il ne voulait pas accorder
trop d’importance à ce rêve, il ne pouvait s’empêcher de se
demander quelle part de vérité il contenait. Si l’Ophiotauros était tué,
devraient-ils affronter une guerre de cent ans ? Hadès n’était pas sûr
de pouvoir supporter le poids d’un tel avenir quand son passé était
déjà noirci par la même horreur. Ce n’était pas ce qu’il voulait ; ni
pour lui ni pour Perséphone.
Il prit le visage de sa déesse entre ses mains.
— Je ne peux pas te promettre qu’il n’y aura pas mille guerres au
cours de notre existence, dit-il. Mais je te promets que je ne te
quitterai jamais volontairement.
— Est-ce que tu peux me promettre que tu ne me quitteras
jamais, tout court ?
Il lui sourit tendrement. C’était la seule réponse qu’il pouvait lui
offrir, car dans un coin de sa tête, il voyait déjà le champ de bataille
en feu et son corps gisant au milieu des flammes. Il soutint le regard
de Perséphone et, quand elle grimaça, il l’embrassa en l’attirant dans
ses bras. Elle était déjà chaude et elle empoigna sa verge avec
ferveur.
Hadès s’appuya contre elle en gémissant. Il voulait la prendre
contre la vitre, sur le bureau, sur toutes les surfaces de la pièce, et s’il
lui avait promis de les cacher des regards curieux, il hésitait
désormais à laisser le monde entier être témoin de leur passion.
Son désir pour Perséphone comme un brasier dans ses veines.
Il empoigna ses hanches, prêt à la soulever, mais elle le repoussa
et il recula à contrecœur.
— Laisse-moi faire, dit-elle.
Il haussa les sourcils, curieux.
— Qu’est-ce que tu veux ?
Elle le poussa sur son fauteuil. Le regard d’Hadès noircit quand
elle s’appuya sur ses cuisses et s’agenouilla entre ses jambes,
comme si elle s’apprêtait à prier.
À le vénérer.
Merde.
Il se crispa, instinctivement, et retint son souffle quand elle ouvrit
son pantalon, cherchant son érection qui désespérait de sentir son
toucher délicat, sa bouche mouillée. Elle ne dit rien en l’empoignant
et le branlant, soutenant son regard de ses yeux émeraude brillant
d’un désir qu’il sentit jusque dans son bas-ventre.
Il ne pouvait quitter sa bouche des yeux et il agrippa les
accoudoirs de son fauteuil pour s’empêcher de prendre les rênes. Il
voulait sentir sa langue sur lui, la chaleur de sa bouche l’envelopper,
il voulait toucher le fond de sa gorge.
Elle dut sentir sa tourmente, car elle sourit avant de lécher son
gland. Il se crispa dès qu’elle prit le contrôle et il gémit d’une voix
rauque et torturée.
— Oui… chuchota-t-il. Ça. Je rêve constamment de ça.
Il aimait qu’elle conserve le contrôle, car lui n’en avait aucun. Sa
seule pensée concernait les sensations de sa verge dans la bouche
chaude et humide de Perséphone, le plaisir qui vibrait en lui, son
corps qui pulsait presque douloureusement.
Il ne savait pas ce qu’il aimait le plus, les sensations qu’elle lui
procurait ou la voir le vénérer de façon si intime.
Elle était spectaculaire.
Il se força à respirer malgré le plaisir qu’il prenait, curieux de voir
jusqu’où elle le laisserait aller.
— Lord Hadès.
Ivy se tenait dans l’embrasure de la porte. Elle paraissait surprise
et Hadès pensa qu’elle avait compris ce qui se passait entre ses
jambes, mais elle resta plutôt que de partir, ce qui l’agaça encore
plus.
Il lui était impossible de se concentrer sur autre chose que
Perséphone, car elle ne s’était pas arrêtée. Elle le suçait
délicatement tout en continuant de le branler et de jouer avec ses
testicules.
Dieux.
Putain.
Il se força à reprendre un peu le contrôle et agrippa ses cheveux.
Elle semblait vouloir le défier. Parviendrait-il à se contenir en
présence d’Ivy alors qu’elle faisait tout son possible pour le faire
jouir ?
— Pourquoi êtes-vous assis ? demanda Ivy.
— Je travaille, gronda-t-il.
D’ailleurs, il ne venait jamais dans cette pièce. Cela faisait des
années qu’il n’avait pas passé autant de temps ici, et cela avait tout à
voir avec sa nouvelle locataire, qui était installée entre ses cuisses.
— Il n’y a rien sur votre bureau, remarqua Ivy.
— Ça… arrive, déclara-t-il avec moins de maîtrise qu’il l’aurait
voulu.
Car la pression s’accumulait à la base de sa verge.
Ivy resta impassible.
— D’accord, eh bien, quand vous aurez un instant…
— Dégage, Ivy ! aboya-t-il soudain.
La Dryade se tut et écarquilla les yeux, mais au lieu de partir, elle
se figea.
— Maintenant ! gronda-t-il.
Elle s’enfuit d’un pas rapide et Hadès saisit la nuque de
Perséphone. Quand elle leva les yeux vers lui, une bouffée de
chaleur parcourut tout son corps. Regarder la femme qu’il aimait
prendre sa verge enflée dans sa bouche était l’une des expériences
les plus érotiques de sa vie.
— Prends-moi tout entier.
Elle hocha la tête et glissa ses mains sous ses cuisses en ouvrant
plus grand la bouche, Hadès recula pour soulever le bassin.
— Oui, siffla-t-il. Comme ça.
Il poursuivit ses va-et-vient, lentement, sentant Perséphone
déglutir et respirer malgré sa verge, et quand il éjacula, elle avala
tout.
Elle posa la tête sur ses cuisses et il caressa ses cheveux. Le
corps d’Hadès était léger, presque en apesanteur.
— Tu vas bien ? demanda-t-il.
— Oui, répondit-elle à voix basse. Je suis fatiguée.
Ses lèvres étaient mouillées et délicieusement enflées.
— Ce soir, je promets de te faire jouir aussi fort.
— Dans ta bouche ou sur ta queue ?
Elle avait posé la question en haussant un sourcil, et Hadès sentit
sa queue tressauter.
— Les deux.
Hadès se rhabilla, car il devait bientôt partir. Il se leva et aida
Perséphone à en faire de même.
— Je sais que cette journée est difficile, dit-il. Je n’ai pas envie de
partir, mais je suis venu te dire que j’ai une réunion avec Zeus.
— Pourquoi ? demanda-t-elle d’un ton inquiet.
L’ambiance se tendit.
— Je crois que tu le sais, dit-il. J’espère obtenir son
consentement pour notre mariage.
— Tu vas le confronter au sujet de Lara ?
— Hécate l’a déjà fait, dit-il en supposant qu’elle n’avait pas
encore vu le bocal de sang que la déesse avait récolté auprès du
dieu. Il devrait en avoir pour deux ans avant que ses couilles ne
repoussent.
— Elle l’a… castré ?
Elle ne l’avait pas vu, apparemment.
— Oui. Et connaissant Hécate, ça a été sanglant et douloureux.
— À quoi sert la punition s’il peut simplement se régénérer ?
— C’est un pouvoir qui ne peut lui être retiré, hélas. Mais au
moins, pendant quelque temps, Zeus posera… moins de problèmes.
Cela dit, Hadès devait admettre qu’il redoutait encore plus de le
confronter, sachant que son frère ne serait pas de bonne humeur,
étant donné son état actuel.
— À moins qu’il refuse nos noces, dit Perséphone d’un ton
menaçant qui séduisit Hadès.
— En effet.
Un silence suivit et il devina qu’elle était inquiète. Il ne l’avait
guère réconfortée au sujet d’Hélène, et il venait d’ajouter à son
angoisse en lui parlant de Zeus, mais c’était important. Il n’avait pas
d’autre choix que de jouer ce jeu.
Il appuya son front contre le sien avant de parler.
— Fais-moi confiance, chérie. Je ne laisserai personne, ni roi, ni
dieu, ni mortel, m’empêcher de faire de toi ma femme.

*
* *
Hadès se téléporta au mont Olympe, à la villa dorée de son frère,
qui s’élevait plus haut que toutes les autres. Au fil des années, Hadès
avait pris l’habitude d’éviter la ville des dieux, même s’il y possédait
également un palais. Sa réticence à passer du temps avec les
Olympiens avait été interprétée par les médias comme un rejet, et les
journalistes aimaient rédiger de gros titres aguicheurs qui laissaient
croire qu’il avait été banni d’Olympe à cause de son humeur lugubre.
Mais c’était Hadès qui avait rejeté Olympe, même quand son frère
lui ordonnait de s’y présenter.
Les cieux n’étaient pas son royaume et tant d’opulence le mettait
mal à l’aise, surtout dans des temps comme ceux-ci, quand le monde
souffrait sous leurs pieds. D’une certaine façon, Hadès ne pouvait en
vouloir à ceux qui étaient séduits par la Triade. Ils avaient raison de
se sentir abandonnés par les dieux. Même aujourd’hui, peu
d’Olympiens séjournaient sur terre, et ceux qui le faisaient refusaient
de défier Déméter.
Il entra dans le manoir de Zeus, grandiose et recouvert d’or, y
compris le sol. Mais ce qui le fit hésiter fut de trouver Héra en haut de
l’escalier, l’étudiant avec dédain, la tête légèrement penchée sur le
côté.
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Je suis venu parler à ton mari. Peut-être devrais-tu te joindre à
nous, c’est à propos de Perséphone.
Il sentit sa rancœur, mais elle s’était elle-même piégée dans ce
contrat, et elle n’avait d’autre choix que de tenir sa promesse si elle
ne voulait pas que Zeus apprenne ses manigances avec Thésée.
Cela dit, Hadès savait que son influence sur la déesse du Mariage
était limitée. Ce n’était qu’une question de temps avant que Thésée
soit prêt à affronter les Olympiens, avant que le plan qu’il avait
concocté avec Héra et sans doute son père, Poséidon, ne soit révélé.
C’était justement pour ça qu’Hadès devait obtenir la main de
Perséphone dès que possible.
— Plutôt m’asseoir sur un pieu, dit Héra.
— Peut-être que tu devrais, d’après la rumeur, Zeus risque d’être
hors d’usage pendant au moins deux ans.
Contrairement à son mari, qui était connu pour son infidélité, Héra
n’avait pas fauté une seule fois. Hadès ne comprenait pas pourquoi
elle lui restait fidèle.
La bouche de la déesse se pinça.
— Il ne te laissera pas l’épouser.
— C’est à toi de le convaincre, dit Hadès.
— Même si je plaide ta cause, il n’écoutera que son Oracle.
— Ce n’était pas une question, précisa Hadès.
Ils se défièrent du regard, puis elle descendit les marches.
— Il est par ici, dit-elle en l’escortant dans une pièce adjacente,
qui était tout aussi vaste et extravagante que le hall d’entrée.
Ils la traversèrent et arrivèrent devant Zeus, qui était allongé près
d’une grande baie vitrée.
— Ton frère est là, dit-elle.
Zeus ne tourna pas la tête, les yeux rivés sur deux cygnes qui
flottaient sur le lac. Il avait les jambes écartées et il était vêtu d’une
robe de chambre laissée grande ouverte. Il avait un gros sac de
glace sur les cuisses.
— Tu souffres, frangin ? demanda Hadès.
Lui rappeler ce qu’Hécate avait fait à ses testicules n’était sans
doute pas le meilleur moyen d’entamer la conversation, mais il l’avait
amplement mérité.
Héra, qui s’était postée derrière la méridienne de Zeus, le fusilla
du regard.
— Tu es venu témoigner de ma honte ? demande Zeus.
— J’espère que tu fais référence aux actes qui t’ont mis dans
cette situation, et pas au fait que tu n’as plus de couilles.
Son frère resta silencieux, ce qui était inhabituel, et Hadès se
demanda précisément ce qu’Hécate lui avait fait subir.
Zeus craignait peu de dieux, mais la déesse de la Sorcellerie en
faisait partie.
Son frère finit par parler.
— Pourquoi es-tu là ?
— J’ai demandé à Perséphone de m’épouser, dit Hadès.
— Le monde entier est au courant, dit Héra en posant une main
sur l’épaule de son mari. Et si ce n’était pas le cas avant, la tempête
de Déméter le leur aura appris.
Hadès plissa les yeux, ne comprenant pas ses intentions.
— Tu veux dire que tu n’approuves pas, Héra ? demanda-t-il en
serrant les dents, cachant à peine sa menace.
— Ce n’est pas à moi d’approuver, répondit-elle. C’est le rôle de
mon mari.
Ses propos dégoûtaient Hadès, surtout parce qu’il savait combien
elle détestait les prononcer. Tout le monde savait que le rôle de la
déesse du Mariage avait été affaibli par l’approbation obligatoire de
Zeus. Après sa dernière tentative de le renverser, il avait refusé
toutes les unions approuvées par Héra.
Tout ça n’était qu’un jeu.
Zeus saisit la main d’Héra et Hadès le dévisagea. Il était habitué
au rire bruyant de son frère, à sa voix tonitruante, à ses moqueries
insupportables, or Zeus restait horriblement silencieux.
Hadès n’était pas habitué à ce dieu calme, mais il le
reconnaissait. C’était la version de son frère qui aurait pu faire de
grandes choses. La version qui les avait sauvés, lui et Poséidon, du
ventre de leur père, la version qui avait noué des alliances et vaincu
les Titans.
— Il fut un temps où tu souhaitais mon bonheur, dit Hadès.
— C’était le cas, admit Zeus. Mais si je me souviens bien, tu ne
m’as jamais dit qui avait gagné ton affection.
— Ça ne t’a jamais dérangé, rétorqua Hadès. Tu sais ce qu’ont dit
les Moires.
— Les Moires t’ont donné une maîtresse, pas une femme,
rétorqua Zeus.
Hadès serra les poings, détestant combien les propos de son
frère étaient vrais.
— Allons, mon cher, ne sois pas si dur avec Hadès, dit Héra en se
baissant pour rapprocher sa tête de celle de son mari.
Hadès se demanda si elle ne supportait d’être à ses côtés que
parce qu’il avait été castré.
— Il est très amoureux de la fille de Déméter.
Zeus leva la tête vers sa femme. Leurs nez s’effleurèrent, mais
leurs lèvres ne se touchèrent pas.
— Vas-tu me dire non ? demanda Hadès, furieux.
— Je dis que si tu l’épouses, ce sera parce que je t’en ai offert la
possibilité.
— Alors tu veux faire de cette histoire une question de pouvoir ?
Hadès savait déjà, d’une certaine façon, que ce serait le cas.
C’était pour ça que Zeus consultait son Oracle avant d’approuver les
mariages, mais Hadès ne pensait pas que cela se déroulerait ainsi.
— Il a toujours été question de pouvoir, dit Zeus. Ta première
erreur a été de croire que ça ne l’a jamais été.

*
* *
Hadès était d’humeur assassine en rentrant aux Enfers, et cela ne
fit qu’empirer quand il trouva Hermès dans sa chambre avec
Perséphone. Il lui montrait deux robes très courtes, dont aucune
n’avait assez de tissu pour la couvrir entièrement.
— Tu devrais mettre celle-là. Ça ne plaira pas à Hadès, mais tu te
fondras dans la masse, disait le dieu de la Ruse.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Hadès.
Perséphone fit volte-face et fronça les sourcils en voyant Hadès.
— Tu vas bien ? demanda-t-elle en faisant un pas vers lui avant
de se figer. Que s’est-il passé avec Zeus ?
— Rien, aboya-t-il. Qu’est-ce qui se passe ici ?
— Je… euh… Hermès…
— Sephy doit aller dans un sex-club, dit Hermès.
— Mais non, gronda Perséphone en fusillant le dieu de la Ruse
du regard.
— Ben, pas encore, répondit-il. Elle doit d’abord te demander la
permission.
— Hermès, tais-toi, dirent-ils en même temps.
Le dieu ferma brusquement la bouche.
— D’accord. Je serai dans le dressing.
Une fois qu’ils furent seuls, Perséphone se tourna vers lui et lui
expliqua ce qui se passait.
— Après qu’Hélène a été mise dehors, Sybil, Leucé et Zofie ont
fouillé dans ses affaires. On a trouvé une date, un horaire et l’adresse
du Club Aphrodisia. On pense qu’elle va se rendre à une réunion en
lien avec la Triade.
— Et tu veux y aller ?
— Oui, nous tous. Zofie, Sybil, Leucé et Hermès, dit-elle. C’est
une affaire personnelle, Hadès.
— C’est peut-être personnel, mais ça ne t’oblige pas à être bête.
La bouche de Perséphone se pinça alors qu’Hermès grognait
depuis le dressing.
— Ouf ! Quel imbécile !
— On a peut-être l’occasion de découvrir ce qu’ils comptent faire,
dit Perséphone. Tu ne veux pas éviter une nouvelle attaque ?
— Bien sûr, dit Hadès. Mais ça ne veut pas dire que je veux que
tu y ailles. Hermès peut y aller.
Elle le dévisagea d’un air plus blessé qu’énervé, ce qui ne plut
pas à Hadès.
— Pourquoi tu ne me fais pas confiance ?
— Perséphone, ce n’est pas toi, c’est…
— Les autres, je sais, gronda-t-elle d’une voix frustrée. J’aimerais
respecter ton point de vue, mais il faudrait aussi que tu respectes le
mien.
Hadès l’étudia en silence, la mâchoire crispée. Une part de lui
avait envie de dire que ça n’avait pas d’importance, que le danger
l’emportait sur les raisons qu’elle avait d’aller dans ce club, mais il
savait que ce serait injuste.
Il fit de son mieux pour taire sa colère quand il reprit la parole.
— Quel est ton point de vue ?
— Je ne veux pas être une déesse passive ni un trophée à tes
côtés. J’ai mes propres batailles à mener. Hélène m’a trahie. Je veux
savoir à quel point.
Hadès la comprenait, mais il lui était difficile de la laisser faire, et
peut-être était-ce justement là qu’il échouait. Perséphone n’était pas
un de ses sujets ni une de ses âmes. Elle ne travaillait pas pour lui.
Elle était sa future épouse. Il avait juré de la traiter comme son égale,
et il se rendait bien compte que sa peur l’empêchait de le faire.
— C’est plus qu’une simple envie d’aider, Hadès, dit-elle d’une
voix calme. Tu dois me laisser me battre pour quelque chose.
Il tendit la main pour caresser sa joue.
— Hermès y va aussi ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête.
— Il a déjà accepté de prêter serment pour me protéger… si ça
peut te rassurer.
Rien ne pourra me rassurer dans cette situation, voulut-il dire,
mais il se tut, car il savait que ça ne les mènerait à rien.
— Je pense que l’autre robe est mieux, dit Hermès en sortant du
dressing.
Il portait l’une des tenues qu’il tenait dans la main quand Hadès
était arrivé. C’était une robe noire et courte avec un bustier brodé de
perles.
— Celle-ci est un peu trop… prends-moi, si tu vois ce que je veux
dire.
Hadès grinça des dents.
— Hermès… grogna Perséphone.
Hadès fit un pas vers le dieu.
— Tu as accepté de prêter serment ? demanda-t-il.
Le visage du dieu devint sérieux et il hocha la tête, tendu.
— Oui.
Hermès connaissait la gravité d’une telle promesse. Ce n’était
pas une chose qu’on proposait pour faire plaisir, même si
Perséphone l’avait fait dans ce but. Un tel serment impliquait que le
dieu jurait de protéger Perséphone pour l’éternité. Cela allait au-delà
d’un seul instant.
— Jure-le, dit Hadès. Jure que tu la protégeras à tout prix, même
au détriment de ta propre vie.
— Hadès, dit Perséphone d’une voix paniquée, mais il ne la
regarda pas.
— Je le jure, dit Hermès.
— Tu connais les conséquences, si tu échoues ?
Hermès hocha la tête, une seule fois, et Hadès baissa les yeux
sur sa tenue.
— Le noir n’est pas ta couleur, dit-il.
Hermès haussa un sourcil.
— Depuis quand tu as intégré la police du style, toi ?
— J’ai eu un prof… correct, répondit Hadès.
— Correct ? ricana Hermès.
Sa réponse fut interrompue par quelqu’un qui frappa à la porte. Ils
se tournèrent tous les trois et Perséphone dit à la personne d’entrer.
La porte s’ouvrit lentement et Ilias entra, hésitant en les trouvant
tous les trois dans la chambre.
— Pardon de vous interrompre… mais, Hadès, on a besoin de
vous, dit-il.
Il perçut le sentiment d’urgence du satyre et redoutait déjà ce qui
l’attendait.
Hadès se tourna vers Perséphone et la prit dans ses bras.
— Je t’aime, dit-il en l’embrassant fougueusement sur la bouche.
Mais un nouveau malaise s’empara de lui et il embrassa la
déesse avec encore plus de passion, car il avait l’impression de lui
dire adieu.
Cela ne lui plaisait pas et quand il recula, Perséphone paraissait
aussi troublée que lui, mais elle soutint son regard.
— Je t’aime, chuchota-t-elle.
Hadès recula et lança à Hermès un regard qui était une dernière
mise en garde, puis il sortit de sa chambre avec Ilias.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il.
Chapitre XXVI

DIONYSOS

Dionysos frappa à la porte d’Ariadne.


Elle n’était pas sortie de sa chambre depuis qu’il était rentré, la
veille au soir, et il n’avait pas cherché à la voir, préférant lui accorder
un peu d’espace.
Il était furieux contre lui-même. Lorsqu’elle l’avait interpellé quant
au fait qu’il ne la respectait pas et n’accordait pas d’importance à son
opinion, il ne s’était pas défendu – il l’avait accusée de faire la même
chose.
En plus de ça, il n’était pas certain de pouvoir lui raconter sa
rencontre avec Poséidon. Qui l’avait désarçonné plus qu’il ne s’y
attendait, non seulement à cause de ce qu’il avait appris sur Méduse
mais aussi à cause des propos du dieu de la Mer sur Ariadne.
Il se demandait pourquoi Thésée était à ce point obsédé par la
détective. Que possédait-elle qu’il désirait ? Peut-être était-ce
simplement parce qu’elle connaissait ses secrets et qu’elle lui avait
échappé.
Quoi qu’il en soit, plus Dionysos y pensait, plus cela l’inquiétait, et
il s’en voulait de l’avoir impliquée dans ses recherches pour retrouver
Méduse.
Quant au destin de la Gorgone, c’était une horrible révélation de
plus. Quelle malédiction lui avait été infligée ? Est-ce qu’elle ne
devenait qu’une arme dans la mort ?
— Ariadne ? appela Dionysos. Tu dors ?
Il attendit qu’elle réponde, mais il n’entendit aucun bruit de l’autre
côté de la porte, ce qui l’inquiéta.
— Je suis désolé pour hier. Je ne voulais pas que tu penses que
je ne te respecte pas, et que je ne t’estime pas. Je…
Il hésita.
— Je te trouve… géniale.
Il marqua une pause, mais n’entendait toujours rien.
Il pressa son oreille contre la porte. Même si elle l’ignorait, il
devrait entendre quelque chose.
— Ariadne, insista-t-il en essayant d’ouvrir.
La porte était fermée à clé et il tambourina dessus.
— Ari, ouvre la porte, putain !
Son cœur se mit à battre la chamade.
— J’entre, dit-il en enfonçant la porte.
Il déboula dans la chambre, qu’il trouva vide.
Il resta planté sur place un moment, balayant la pièce des yeux. Il
marcha jusqu’au lit et dégagea les draps, mais elle n’y était pas. Il
chercha dans la salle de bains et le placard, mais il les trouva vides.
Elle était partie.
— Merde !

*
* *
Dionysos faisait les cent pas dans le bureau d’Hadès à
Nevernight.
Il était fou de rage et tout son corps tremblait. Cela faisait
longtemps qu’il n’avait pas été hystérique à ce point. Il savait où
Ariadne était partie : confronter Poséidon au sujet de Méduse. Elle
avait menacé d’y aller elle-même, elle lui avait dit qu’il n’allait pas
assez vite.
Putain !
— Vous étiez censées la surveiller ! avait-il crié aux Ménades qu’il
avait postées devant son appartement.
Elles l’avaient fusillé du regard, aussi énervées que lui.
— C’est ce qu’on a fait, avait rétorqué Macaria.
— Alors comment est-elle partie ?
— Peut-être qu’elle est plus douée qu’on ne le pensait, dit Chora.
Il aurait dû aller la voir plus tôt, mais il avait voulu lui laisser son
espace et son intimité.
Au diable l’espace ! Au diable l’intimité !
Il fit volte-face quand Hadès apparut, ne lui laissant pas le temps
de l’interroger.
— Ariadne est partie confronter Poséidon, dit-il. Elle croit qu’il
détient Méduse.
— C’est le cas ? demanda Hadès.
— Ça change quelque chose ? rétorqua Dionysos.
Hadès plissa les yeux d’un air agacé.
— Non, Méduse n’est pas avec lui, répondit Dionysos. J’irais bien
la chercher, mais je ne peux pas me téléporter dans son royaume
sans y être invité. J’ai besoin de ton aide.
Hadès était l’un des trois qui détenaient le contrôle sur tous les
royaumes.
— Tu es sûr qu’elle est allée le voir ?
— Oui, siffla Dionysos. Hadès, il va lui faire du mal.
Quoi que le dieu des Morts ait vu dans ses yeux, il le crut.
— Putain de Moires, dit-il en invoquant sa magie.
Ils se téléportèrent au golfe de Poséidon, où Dionysos avait
attendu le dieu de la Mer. Le ciel était orageux, avec d’épais nuages
bas et un vent violent qui agitait les vagues et les faisait s’écraser sur
la jetée. Dionysos protégea ses yeux de la pluie battante.
Le yacht de Poséidon était à quelques dizaines de mètres du
rivage, agité par la houle.
— Tu as un plan ? cria Hadès pour se faire entendre.
— Non ! répondit Dionysos.
Comme s’il avait eu le temps d’y réfléchir !
La bouche d’Hadès se pinça et il soupira avant de se téléporter à
nouveau.
Cette fois, ils apparurent sur le yacht, nez à nez avec Poséidon,
qui se tenait debout et se servait d’Ariadne comme d’un bouclier.
Ses poignets étaient attachés. Une des mains de Poséidon lui
tenait le cou, l’autre était plaquée sur son ventre. Elle avait l’air
furieuse et effrayée et Dionysos angoissa à l’idée de ce que le dieu
lui avait fait jusque-là.
— C’est un coup bas, Poséidon, même pour toi, dit Hadès.
— Tu nierais mon droit à la justice divine, frangin ?
Le visage de Poséidon était pressé contre celui d’Ariadne, qui
essaya de reculer la tête.
— La justice divine ? demanda Poséidon. Au nom de quoi ?
— La mortelle m’a accusé d’avoir kidnappé une femme.
— C’était une question, cracha Ariadne. Et c’est loin d’être
impossible, étant donné tes antécédents.
Poséidon serra plus fort son cou, tirant sa tête en arrière.
— Elle a de la gueule, celle-ci, dit-il. Tu ne lui as pas appris à tenir
sa langue ?
— Tout le monde ne violente pas les femmes comme toi,
Poséidon, dit Hadès.
— Voilà qu’on m’accuse d’un autre crime, répondit le dieu de la
Mer.
— Ce n’est pas une accusation si c’est vrai, grogna Ariadne.
Poséidon la saisit par les joues et tourna sa tête vers lui. Dionysos
se précipita vers elle, mais Hadès l’arrêta. Ils se défièrent du regard,
mais celui d’Hadès était une mise en garde. S’ils s’en prenaient à
Poséidon dans son propre royaume, Ariadne serait coincée entre
deux feux.
— Je vais t’apprendre à te taire, siffla Poséidon.
— Si tu souhaites jouer au justicier, je le ferai aussi, si tu la
touches, dit Dionysos.
Poséidon lâcha le visage d’Ariadne et se concentra sur Dionysos
en ricanant.
— Tu tiens tellement à être chevaleresque. Tout ça pour une
chatte à laquelle tu n’as même pas goûté.
Le yacht tangua et Dionysos peina à rester debout, Poséidon ne
semblait même pas le remarquer.
— T’inquiète. Je te dirai si elle est sucrée.
Le regard d’Ariadne était rivé dans celui de Dionysos. Il tremblait,
désespéré de l’aider.
— N’aie pas l’air si triste, dit Poséidon à Ariadne. Je laisserai
Dionysos se joindre à nous si ça peut t’aider.
Les mains du dieu descendirent sur ses hanches.
— Ne la touche pas ! aboya Dionysos.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Les plans à trois ne te branchent plus ?
ricana Poséidon. Tu as vraiment changé. Et pas en mieux, si tu veux
mon avis.
La magie d’Hadès se manifesta sous la forme de rubans de
fumée dont l’un s’enroula autour du cou de Poséidon pour le tirer en
arrière. Ce geste soudain l’obligea à lâcher Ariadne, qui courut se
réfugier dans les bras de Dionysos.
— Non ! grogna Poséidon, et soudain le yacht tangua de
nouveau.
Ariadne tomba à genoux et roula plusieurs fois avant de percuter
le mur. Dionysos partait vers elle quand les vitres se brisèrent, les
recouvrant de verre alors que les vagues s’engouffraient par-dessus
bord.
— Tout ça à cause d’une mortelle qui t’a insulté ? demanda Hadès
d’une voix tonitruante.
— Je pourrais te dire la même chose, répondit Poséidon.
Dionysos devina qu’Hadès lui avait asséné un autre coup, car la
tempête perdit en intensité. Il resta concentré sur Ariadne, qui
rampait vers lui à quatre pattes.
Quand ils furent réunis, ils se mirent à genoux et il prit son visage
dans ses mains.
— Tu vas bien ?
Elle hocha la tête et Dionysos l’aida à se lever, même s’il était
presque impossible de rester debout, tant le yacht tanguait.
Ils tombèrent à nouveau et quand Dionysos atterrit sur le sol, il vit
qu’Hadès surplombait Poséidon, une main sur sa tête. Poséidon
tremblait, montrant les crocs, les veines de son cou étaient gonflées.
Il parvint alors à invoquer son trident, rompant l’emprise d’Hadès.
Poséidon se leva et voulut frapper son frère, qui se téléporta pour
réapparaître à quelques pas, mais Poséidon le suivit. Ils foncèrent
l’un sur l’autre et Dionysos tendait la main vers Ariadne quand ses
yeux se révulsèrent, et elle devint amorphe dans ses bras. Elle se mit
à convulser, de l’eau coulait de sa bouche.
— Non ! grogna-t-il. Hadès !
Mais quand il regarda les deux frères, Hadès avait cessé de se
battre. Il paraissait figé, comme si Poséidon l’avait frappé.
— Tu te bats pour une femme qui ne t’appartient même pas alors
que la tienne souffre aux mains de mes fils.
La voix tonitruante de Poséidon résonna dans toute la cabine,
malgré la tempête. Dionysos ne savait pas de quoi il parlait, mais il
avait clairement atteint Hadès, car sa respiration était rapide et il
tremblait de tout son corps.
C’est alors qu’il disparut.
Dionysos ne comprenait pas ce qui s’était passé, mais il était
désormais seul face à Poséidon. Il se leva et invoqua son thyrse, un
sceptre surmonté d’une grenade, même s’il savait qu’il affrontait un
dieu dans son propre royaume, l’un des trois, qui plus est, et qu’il ne
faisait pas le poids.
Néanmoins, il se rua sur le dieu de la Mer et fut propulsé en
arrière, atterrissant contre le mur. Il faillit tomber par-dessus bord,
mais il parvint à s’accrocher à la rambarde.
La pluie martelait son visage et le yacht tanguait sous lui, mais il
réussit à ramper jusqu’à la cabine. Quand il l’atteignit, il trouva
Ariadne dans les griffes de Poséidon. Il l’avait penchée sur la table,
les jambes écartées, son bassin contre ses fesses.
— Je ne t’aurais pas obligé à regarder, dit-il. Je me serais satisfait
de savoir que tu serais torturé de savoir que j’avais enfoncé ma
queue en elle, mais il a fallu que tu amènes Hadès dans mon
royaume, et rien que pour ça, tu dois être puni.
Dionysos bouillait de rage et il plongea les yeux dans ceux
d’Ariadne, qui étaient remplis de larmes. Il n’avait aucun pouvoir ici,
sauf un, et la seule chose qu’il put lui dire avant de la frapper avec sa
magie fut : « Pardonne-moi. »
Il sut que sa folie l’avait atteinte, car son regard changea. Ses
yeux devinrent bestiaux et sauvages et elle poussa un cri terrifiant
tout en trouvant la force de se redresser et de percuter le visage de
Poséidon avec l’arrière de sa tête. Un craquement retentit et le dieu
de la Mer la lâcha en titubant en arrière. Ariadne se jeta sur lui et se
mit à le griffer, plantant ses ongles dans sa peau comme si ce n’était
que de l’argile, et elle lui arracha plusieurs morceaux de chair sur
chaque bras avant qu’il parvienne à l’arrêter.
C’était horrible. C’était la nature de la magie de Dionysos.
En dépit de sa folie, Ariadne était consciente de ce qu’elle faisait,
même si elle n’avait aucun contrôle sur ses actions. Jamais elle ne lui
pardonnerait pour ça, et il ne pouvait pas lui en vouloir, mais il n’avait
pas d’autre choix.
Poséidon poussa un cri atroce et Dionysos se jeta en avant pour
serrer Ariadne contre lui, elle tenait encore des bouts de chair entre
ses mains. Elle grogna de façon surnaturelle et se débattit quand il la
tira en arrière, toujours possédée par sa magie. S’il la lâchait, elle
essaierait de démembrer le dieu de la Mer, et si Dionysos n’avait rien
contre ça, ce n’était qu’une question de temps avant que Poséidon
ne reprenne le dessus.
Dionysos avait profité de la surprise du dieu, mais ils restaient
dans son royaume.
Le dieu de la Mer était furieux et son regard brilla de malice. Il
étudia ses bras ensanglantés et déchiquetés en respirant fort, la
mâchoire contractée. Le yacht tangua de plus belle.
Dionysos faisait de son mieux pour retenir Ariadne. Elle était
encore sous son sort et elle était assoiffée du sang de Poséidon, car
c’était le premier qu’elle goûtait, et elle n’abandonnerait pas tant que
l’un des deux ne serait pas mort.
— Si elle survit à la mer, je la pourchasserai et la déchiquèterai
sous tes yeux, dit Poséidon alors que la chair de ses bras se
régénérait.
Il était désormais entier, mais couvert de sang.
— Et je te forcerai à manger chaque membre, chaque bout de
peau, chaque organe chaud, et à chaque bouchée, tu sauras qu’il
aurait été plus facile de me laisser la prendre devant toi.
Dionysos entendit alors un craquement terrible et tout le vaisseau
plongea dans la mer. L’eau s’y engouffra avec tant de force que la
seule chose dont il eut conscience, ce fut de ne pas pouvoir respirer,
puis tout devint sombre.
Chapitre XXVII

DIONYSOS

Dionysos avait mal au crâne.


Il ferma les yeux plus fort pour se protéger de la douleur qui
irradiait dans ses tempes et raidissait tout son corps. Sa bouche était
sèche, sa langue enflée, et un vrombissement assourdissant
résonnait dans ses oreilles. Il ne souhaitait pas se réveiller
complètement, mais plus il restait allongé, plus il revenait à lui, et plus
il se souvenait de ce qui l’avait mis dans cet état.
Poséidon.
Ariadne.
Il réalisa que le vrombissement venait des vagues et il se força à
ouvrir les yeux pour découvrir le ciel bleu et le soleil qui lui brûlait la
peau.
Il tourna la tête et vit flou pendant quelques secondes avant de
pouvoir se concentrer sur Ariadne, allongée un peu plus loin, à moitié
dans l’eau, immobile.
— Non, grogna-t-il en se levant aussi vite que possible, glissant
sur le sable en courant vers elle. Putain !
Il tomba à genoux à ses côtés, dans l’eau teintée de rouge qui
l’entourait.
— Ari !
Il la fit rouler dans ses bras et prit son visage dans sa main,
dégageant le sable de sa joue. Elle était trop pâle, même ses lèvres
étaient blanches. Il chercha son pouls en pressant deux doigts dans
le creux de son cou et sentit de lentes et faibles pulsations.
Il posa une main sur son torse et ferma les yeux, appelant l’eau à
sortir de ses poumons et, au bout de quelques secondes, elle coula
de sa bouche. Mais il n’y eut pas d’autre mouvement ; aucun signe
de conscience.
— Putain, gronda-t-il à nouveau en remarquant une grande
entaille sur sa cuisse.
S’il pouvait la guérir, il ne savait pas depuis quand elle saignait ni
quelle infection avait pu s’y installer pendant qu’elle gisait sur la
plage.
Il l’attira contre lui et leva la tête. Il vit un vieil homme qui les
observait du haut d’une colline de rochers blancs. Il avait de longs
cheveux blancs et une barbe assortie, et sa peau était bronzée,
presque noire, comme s’il avait passé toute sa vie au soleil. Il n’était
vêtu que d’un pagne blanc noué sur les hanches, qui semblait aussi
léger que la mousse des vagues.
Il était divin, Dionysos en était certain, mais il ne savait pas de qui
il s’agissait. Il y avait de nombreux dieux de la mer.
— S’il vous plaît, appela Dionysos. Aidez-nous, je vous en
supplie.
Le vieil homme le regardait, mais il tourna les talons et disparut.
— Non ! S’il vous plaît !
Dionysos prit Ariadne dans ses bras et gravit la colline
rocailleuse, plissant les yeux pour se protéger de la clarté des
rochers qui reflétaient le soleil. De temps en temps, il était tellement
aveuglé qu’il glissait, frappant la roche avec ses genoux. Il restait au
sol quelques secondes, les yeux sur Ariadne, sur ses longs cils
tombant en éventail sur ses joues rosies par le soleil. Elle avait beau
être sublime, il désespérait de voir à nouveau son regard.
C’était hors de question qu’il ne le voie plus.
Il se releva à nouveau. Il avait mal au genou et il savait qu’il
saignait, mais la plaie guérit rapidement. Il essaya de tenir Ariadne
plus près de lui et de protéger son visage du soleil. Il arriva enfin au
sommet des pierres blanches et vit le vieil homme debout devant lui,
comme s’il les attendait.
Son cœur se mit à battre plus fort, même s’il n’était pas certain de
pouvoir espérer.
— Pouvez-vous nous aider ? demanda Dionysos.
— Je l’ai déjà fait, dit l’homme. Je vous ai sortis de l’eau.
Dionysos déglutit, mais sa gorge était sèche et irritée.
— Dans ce cas, j’ai une dette envers vous, répondit-il. S’il vous
plaît…
L’homme tourna de nouveau les talons et Dionysos vit son dos
rougi par le soleil et brillant de sueur.
— S’il vous plaît, cria Dionysos. Je vous serai redevable pour
toujours si vous nous aidez encore un peu. Nous avons besoin d’un
abri…
L’homme continuait de marcher, puis il disparut en descendant un
chemin sablonneux couvert de fleurs vert clair.
Dionysos ne sut combien de temps ils marchèrent, mais
l’environnement changea quand ils se rapprochèrent du centre
montagneux de l’île. L’air y était plus humide et le sol couvert de
mousse et de roches. Dionysos gravit le sentier et quand il passa un
virage, il trouva l’homme debout devant une maisonnette qui avait été
construite dans la roche.
Dionysos le dévisagea.
— Vous dites m’être redevable, dit le vieillard.
— Tout ce que vous voudrez, dit Dionysos.
— Il y a un cyclope ici qui mange mes moutons. Tuez-le.
— Dès qu’elle ira mieux, répondit Dionysos, j’honorerai ma
promesse.
L’homme ne dit rien de plus, il disparut avant que Dionysos ne
puisse lui demander où ils étaient.
Désormais seul, Dionysos emmena Ariadne dans la maison.
Il fut surpris de découvrir que le sol était couvert de peaux de
mouton. Il y avait également un lit simple et une petite cheminée en
terre à côté de laquelle étaient empilées des casseroles et une
bouilloire.
Cela suffirait.
Il déposa Ariadne sur le lit et la couvrit avec l’une des couvertures.
Il coiffa ses cheveux en arrière, s’arrêtant sur son front, qu’il trouva
chaud. Il caressa ensuite ses joues rouges.
Elle avait de la fièvre.
Il fronça les sourcils et retira la couverture pour étudier la plaie sur
sa cuisse. Il lui fallait la nettoyer avant de pouvoir la guérir.
Il était encore dans le territoire de Poséidon, perdu au milieu de la
mer, et s’il ne pouvait pas se téléporter, il pouvait quand même
utiliser sa magie. Le seul danger était que plus il l’employait, plus il
risquait d’attirer le dieu.
Il passa encore quelques secondes à caresser la peau d’Ariadne,
puis il retira sa main.
— Je reviens, dit-il à contrecœur.
Il ne pensait pas qu’elle l’entendait, mais il se sentit mieux de
pouvoir lui parler.
Il sortit de la maison et partit en quête de bois pour le feu,
d’herbes et d’eau fraîche.
Dionysos connaissait bien l’art de la guérison. Il l’avait appris de
Rhéa, la déesse mère, qui l’avait guéri de la folie qu’Héra lui avait
infligée. La seule chose qui posait problème sur cette île, c’était qu’il
ne connaissait pas l’environnement. Il ne savait pas où trouver ce
dont il avait besoin ni même si la végétation pourrait lui être utile.
Il ramassa d’abord le bois, puis il fit bouillir de l’eau de mer,
laissant dépasser le couvercle avant de récupérer l’eau dessalée. Il
alla voir Ariadne avant de repartir chercher les herbes, ce qui était
une tâche bien plus pénible. Il pouvait utiliser de nombreuses plantes
pour guérir la fièvre : le sureau, l’achillée, l’échinacée ou encore
l’écorce de saule. Le problème était surtout de trouver l’une d’entre
elles sur cette île sauvage.
Il mit du temps, mais il trouva enfin de la mélisse et de l’aloe vera,
dont il pouvait se servir pour désinfecter la plaie. Quand il revint enfin
à la maisonnette, son angoisse lui nouait le ventre et cela ne fit
qu’empirer quand il découvrit que la fièvre d’Ariadne avait empiré. Sa
peau était bouillante.
Il enleva les couvertures et fit sécher les feuilles de mélisse au-
dessus du feu, puis il fit bouillir l’eau potable qu’il avait récupérée. Il
étudia la plaie de sa cuisse. La coupure n’était pas nette et elle faisait
toute la longueur de sa cuisse. La peau qui l’entourait était rouge et
irritée. Il supposa qu’elle avait dû se cogner contre un rocher après
qu’ils avaient chaviré.
Cela perturbait Dionysos de ne pas se souvenir de ce qui s’était
passé quand le yacht avait sombré. Il se souvenait de tenir Ariadne
dans sa folie, mais il avait fini par perdre connaissance, tout comme
elle, apparemment.
Ils avaient de la chance de ne pas avoir été séparés.
Il repensa aux dernières paroles de Poséidon et à la menace qu’il
avait formulée à l’encontre d’Ariadne. Il lui faudrait utiliser sa magie
avec soin et espérer qu’ils parviennent à sortir du territoire du dieu
avant que ce dernier ne réalise qu’ils étaient en vie.
Avant de nettoyer sa plaie, il retira ses vêtements qui étaient secs
mais rigides à cause de l’eau salée. Ses gestes n’avaient rien de
sexuel et il détestait le faire sans qu’elle le sache.
Quand elle fut nue, il utilisa l’eau chaude pour nettoyer sa plaie,
puis il ajouta une couche d’aloe vera et la laissa à l’air libre. Il
attendrait le lendemain pour la guérir afin d’être sûr qu’elle n’était
plus infectée.
Il écrasa les feuilles de mélisse qu’il avait fait sécher et les fit
bouillir pour en faire un thé. Quand il eut suffisamment refroidi, il
appuya la tête d’Ariadne dans le creux de son coude et porta la
boisson à sa bouche.
— Allez, Ariadne, dit-il en versant le thé dans sa bouche.
Il ne savait pas quelle quantité parvint dans sa gorge, mais cela
ferait l’affaire pour le moment.
Quand il eut fini de la soigner, la nuit était tombée.
Il brossa ses vêtements couverts de sel et les étendit au-dessus
du feu pour les faire sécher. Pendant tout ce temps, il entendait le
tonnerre gronder au loin, il y avait une autre tempête en mer et quand
elle frappa la terre ferme, elle rugit autour de la maisonnette, la
faisant grincer et gémir.
Il avait beau être fatigué, il resta aux côtés d’Ariadne, trop effrayé
de la laisser seule, ne serait-ce que pour dormir.
Pendant un moment, il n’osa pas parler. Il se contenta de regarder
son visage alors qu’elle reprenait des couleurs.
— Tu me rends fou, dit-il enfin. J’ai vraiment l’impression d’être
frappé par la folie. Jamais je ne pensais vouloir ressentir ça de
nouveau… mais c’est différent, avec toi.
Il se tut à nouveau puis il se frotta le visage, se sentant ridicule
d’avoir dit cela à voix haute, au moins, elle ne l’avait pas entendu.

*
* *
— Dionysos.
Il tourna la tête vers la voix douce qui prononçait son nom. Des
doigts étaient plongés dans ses cheveux et des lèvres parcouraient
sa mâchoire.
— Ariadne ? murmura-t-il.
Il reconnut son odeur et la chaleur de son toucher.
— Dionysos, dit-elle à nouveau, et sa peau se couvrit de chair de
poule.
Il avait envie de capturer sa bouche et de la goûter, comme il
l’avait fait au quartier du Plaisir.
— Ari, chuchota-t-il.
Elle le serrait plus fort.
— Dionysos ! aboya-t-elle et il ouvrit brusquement les yeux.
Il la découvrit en train de le regarder et il cligna des yeux,
comprenant qu’il s’était endormi, la tête appuyée contre son lit.
— Tu es réveillée, dit-il en se redressant et en massant sa nuque
ankylosée.
— Où sommes-nous ? demanda-t-elle.
— Je ne sais pas trop, sur une île, quelque part en Méditerranée.
Elle fronça les sourcils et bougea sous les couvertures avant de
pousser un cri.
— Attention, dit-il en dégageant la couette pour inspecter sa
jambe. Je n’ai pas encore guéri ta plaie.
Il s’agenouilla et posa une main sur sa hanche et l’autre sur son
genou pour la tenir en place.
— Pourquoi pas ? siffla-t-elle.
— Je ne peux pas guérir une plaie infectée, Ariadne, rétorqua-t-il.
Il lui fallut quelques secondes pour se détendre et c’est à ce
moment-là qu’ils semblèrent tous deux réaliser qu’elle était nue. Il
retira brusquement ses mains et rabattit la couette sur elle.
— Je vais te donner le médicament, marmonna-t-il en se levant.
Il remplit une tasse avant de l’aider à la boire.
— C’est de la mélisse, expliqua-t-il en portant la tasse à ses
lèvres.
Elle posa ses mains sur les siennes en buvant le thé et grogna en
grimaçant.
— Je sais que ce n’est pas très bon, mais ça apaisera la douleur.
Dès qu’elle eut suffisamment bu, il l’aida à se rallonger et un
silence gênant remplit la maison.
— Est-ce que tu… te souviens de ce qui s’est passé ? finit-il par
demander.
Il lui fallut du temps pour répondre.
— À peu près, chuchota-t-elle d’une voix à peine audible.
Un nouveau silence s’installa entre eux.
— Est-ce qu’il t’a fait mal avant que j’arrive ? demanda-t-il.
Il avait besoin de le savoir.
— Pas vraiment, répondit-elle.
Il n’aimait pas que la réponse ne soit pas « non ». Il voulait lui
demander ce que Poséidon lui avait fait, mais il ne voulait pas
insister, non plus. La veille avait été suffisamment traumatisante
comme ça.
— Je suis désolée, murmura-t-elle.
Dionysos tourna la tête vers elle, mais le regard d’Ariadne était
rivé sur le plafond et une larme coulait sur sa joue.
Ses excuses portaient le poids de ses regrets et Dionysos
frissonna. Il réalisa, maintenant qu’elle les avait formulées, qu’il ne
voulait pas entendre ses excuses parce qu’il ne les méritait pas. Elle
avait affronté une horreur démesurée par rapport à son geste.
— Pourquoi t’excuses-tu ?
— Je n’aurais pas dû aller voir Poséidon toute seule.
Il resta silencieux un instant.
— J’étais allé le voir la veille. Je ne te l’ai pas dit parce que tu
étais en colère contre moi et je…
Il ne termina pas sa phrase. Il n’avait pas voulu la déranger, mais
cela n’avait plus d’importance. Ce qui était fait était fait. À présent, ils
devaient aller de l’avant.
— Poséidon ne retient pas Méduse. Je ne sais pas où elle est,
mais le pire pour elle, c’est que son pouvoir ne deviendra actif qu’une
fois qu’elle sera morte.
Ariadne le regarda dans les yeux.
— Quoi ?
Il n’y avait rien d’autre à dire.
— Dans ce cas, c’est peut-être mieux qu’on ne la trouve pas, dit
Ariadne au bout d’un moment.
Dionysos était d’accord, pour une fois.
Ils restèrent silencieux plusieurs minutes et Dionysos finit par
penser qu’elle s’était endormie.
— Je me sens coupable de ce qui arrive à ma sœur, chuchota-t-
elle enfin, les yeux rivés sur le plafond.
— Pourquoi ? demanda Dionysos, confus.
— Parce que c’est moi qui les ai présentés. Thésée était… avec
moi, d’abord.
Dionysos frissonna, surpris de se sentir aussi jaloux.
— Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? demanda-t-il, mais c’était une
question idiote.
Elle n’avait pas à le lui dire.
— Parce que j’ai honte, répondit-elle d’une voix tremblante.
Ses propos lui transpercèrent le cœur et il se rapprocha d’elle.
— Ari, chuchota-t-il en caressant sa joue, tu n’as aucune raison
d’avoir honte.
— Je me fiche qu’il ne m’ait jamais aimée, dit-elle. Mais je déteste
qu’il n’aime pas ma sœur et qu’elle lui soit aussi dévouée. Elle mérite
mieux. Elle mérite le meilleur.
Dionysos l’étudia un moment avant de parler.
— Et toi, que mérites-tu ?
Elle ne répondit pas.
— Ari ?
— Rien, dit-elle en tournant la tête vers lui.
Il fronça les sourcils et s’apprêtait à répondre, mais Ariadne
plaqua deux doigts contre sa bouche en secouant la tête. Ses yeux
se remplirent de larmes et ses lèvres se mirent à trembler. Il lui fallut
quelques secondes pour parler de nouveau.
— Bonne nuit, Dionysos, chuchota-t-elle.
Chapitre XXVIII

HADÈS

L’estomac d’Hadès se soulevait et sa gorge se nouait. Poséidon


savait où était Perséphone ; il l’avait hanté avec des images de son
corps ravagé. « Tu te bats pour une femme qui ne t’appartient même
pas alors que la tienne souffre aux mains de mes fils », avait-il dit.
Hadès était parti.
Il n’avait pas réfléchi une seconde au sort qu’il faisait subir à
Dionysos et Ariadne, car il ne pouvait se débarrasser de sa peur, et
après ce qui était arrivé à Adonis et Harmonie, il devait s’assurer que
Perséphone allait bien.
Quand il apparut dans le sous-sol du Club Aphrodisia, il découvrit
un véritable bain de sang. Héphaïstos était là, tenant Aphrodite par
les épaules. La déesse de l’Amour tenait un cœur humain dans ses
mains et il y avait des corps éparpillés partout, les membres
déformés, les poitrines béantes. Et puis, il y avait Perséphone, à
genoux au milieu du carnage, au milieu des cadavres.
Aucun n’avait eu la chance d’échapper à sa magie, même pas
Perséphone.
Son corps était déchiqueté. C’était la seule façon de le décrire.
C’était la même chose qu’il avait vue le soir où elle l’avait pris pour
Pirithoos. Elle était légèrement penchée en avant et sa respiration
était rauque.
La panique d’Hadès lui nouait la gorge et son cœur battait
bizarrement.
Quand elle leva les yeux vers lui, elle ouvrit la bouche et du sang
en coula. Elle paraissait surprise et légèrement confuse. Elle vacilla
et Hadès la rattrapa, la prenant dans ses bras avant de l’emmener
loin de là.

*
* *
Les mains d’Hadès tremblaient.
Elles n’avaient jamais tremblé auparavant. Peut-être était-ce à
cause de l’effroi qui le saisissait, maintenant qu’il avait emmené
Perséphone en sécurité. Elle était allongée dans le lit, de l’autre côté
de la pièce, immobile, mais elle respirait. Il avait beau l’avoir guérie, il
n’était pas certain de pouvoir la regarder sans la revoir ensanglantée,
brisée, mourante.
Une ombre le recouvrit et il reconnut la magie d’Hécate. La
déesse enveloppa ses mains d’une serviette pour nettoyer le sang
qui y avait séché. Elle disait quelque chose, mais il ne comprenait
pas les mots, tant le vrombissement dans ses oreilles était fort.
La déesse s’agenouilla devant lui dans un nuage de couleur. Il
fronça les sourcils, incapable de se concentrer sur elle.
Il sentit alors ses mains sur ses joues, puis une vague de magie.
— Hadès ?
Elle scruta son visage jusqu’à ce qu’il réussisse à se concentrer
sur elle.
— Hécate ? dit-il, et elle lui sourit timidement.
— Je suis là.
Il la dévisagea un moment, puis il tourna la tête vers Perséphone.
— Elle va bien, Hadès.
Il savait qu’elle cherchait à la réconforter, mais ses propos ne
firent que réveiller sa colère et sa culpabilité. Il n’aurait jamais dû la
laisser aller au Club Aphrodisia. Il n’aurait jamais dû confier sa
sécurité à quelqu’un d’autre.
— Tu n’aurais fait qu’encourager sa rancœur, dit Hécate, lisant
dans ses pensées.
— J’aurais préféré qu’elle m’en veuille pour le restant de nos jours
plutôt que de la voir comme ça.
— Prends garde à ce que tu dis, Hadès. La rancœur est une
blessure tout aussi fatale.
Hadès grinça des dents.
— Plus fatal que ce que je vois quand je la regarde ?
— La magie peut guérir les blessures de la chair, dit-elle. Pas les
blessures de l’âme.
— Tu n’as pas besoin de me le rappeler. J’en ai subi
suffisamment comme ça.
— Dans ce cas, tu ne devrais pas souhaiter la même chose à
Perséphone.
Peut-être serait-ce différent dans un jour ou deux, mais pour
l’instant, il était tenté de ne plus jamais quitter cet endroit.
— Tu devrais plutôt souhaiter qu’elle apprenne à contrôler son
pouvoir, dit Hécate en se relevant. Elle s’en serait très bien sortie si
elle avait su le canaliser correctement.
— N’est-ce pas ton travail, justement ? aboya Hadès.
— Attention, dieu des Morts, gronda Hécate en le fusillant du
regard. J’ai très peu de patience pour ton hubris.
Hadès prit son visage dans ses mains et le frotta.
— Je suis désolé, Hécate.
— Je sais, répondit-elle en posant une main sur sa tête.
Ils restèrent silencieux et Hadès sentit bientôt la magie d’Hermès.
Une colère noire jaillit en lui et tous ses muscles se raidirent. Il
serra les poings, sa magie assombrit la pièce et son Charme
disparut, et quand Hécate fit un pas de côté, il riva les yeux sur
Hermès.
Le dieu paraissait hanté et son visage était déformé par
l’angoisse. Sa chemise blanche était maculée de sang.
— Avant que tu ne dises quoi que ce soit, dit Hermès, conscient
de ce qui l’attendait, sache que Tyché est morte.
Hadès se redressa et Hécate retint son souffle.
Il ne s’attendait pas à cette nouvelle, mais cela expliquait en
partie le massacre dans lequel il avait déboulé, et pourquoi Aphrodite
avait été présente – elle avait voulu se venger de ceux qui avaient
blessé sa sœur.
— Comment ? demanda Hécate.
— On ne sait pas, dit Hermès. Je l’ai… emmenée à Apollon.
— Tu l’as abandonnée, dit Hadès d’un ton lugubre en faisant un
pas vers le dieu.
— Perséphone me l’a ordonné, répondit Hermès.
— Et moi, je t’ai ordonné de la protéger, répondit Hadès en
haussant le ton alors que des lames noires jaillissaient de la pointe
de ses doigts. Tu avais prêté serment.
— Je sais, chuchota Hermès d’un ton lourd de honte, les yeux
rivés sur le sol. J’ai failli.
Hadès tendit le bras et posa sa main sur son visage, lui penchant
suffisamment la tête pour que leurs regards se croisent. Il posa son
pouce sous l’œil d’Hermès et la pointe de sa lame fit couler son sang.
— C’est moi qui ai failli, corrigea Hadès.
Hermès grimaça. Les propos d’Hadès étaient bien plus
douloureux que n’importe quelle blessure qu’il pouvait lui infliger, or
ils ne suffisaient pas pour autant. Ce genre de magie entraînait une
obligation de dette physique, un rappel quotidien du serment qui avait
été brisé.
Hadès posa son autre main sur la tête d’Hermès.
— Je n’oublierai jamais cette nuit, dit Hadès. Et toi non plus.
Il planta son pouce dans la chair d’Hermès, qui hurla et sursauta,
mais Hadès le tint en place, faisant glisser la lame sur sa joue et sa
bouche avant de le pousser en arrière.
Hermès tituba et leva une main tremblante sur son visage
ensanglanté.
Une blessure normale aurait déjà guéri sur un dieu, mais celle-ci
prendrait du temps, et encore, elle laisserait une cicatrice. C’était le
prix à payer quand on rompait un serment.
— Ne t’inquiète pas, dit Hadès. Ce sera le dernier serment que tu
prendras.
Hadès ne lui ferait plus jamais confiance.
Le regard d’Hermès noircit, les yeux brillants, mais il ne dit pas un
mot avant de disparaître.

*
* *
Hadès était assis sur le balcon de la chambre où Perséphone
dormait. Il restait réveillé, conscient que ses rêves ne seraient pas
mieux que sa réalité, il continuerait d’y vivre ce qui le hantait en étant
éveillé.
Une part de lui avait envie d’applaudir la terreur qu’avait infligée la
magie de Perséphone, mais il savait qu’elle ne verrait pas toutes ces
morts comme une preuve de son pouvoir, même si ces mortels
avaient choisi de l’attaquer, de mettre leur vie en jeu, et tout ça pour
une cause qui avait fait mourir une autre déesse.
Hadès ne s’attendait pas du tout à ce que Tyché soit la prochaine
victime, même si en tant que déesse de la Fortune, elle était proche
des Moires. Peut-être était-ce pour ça qu’ils l’avaient prise pour cible.
La Triade et leurs fidèles, officiels et autres, étaient obsédés par le
libre arbitre, et des pouvoirs comme ceux de Tyché incarnaient une
menace puisqu’elle pouvait accorder la prospérité et l’abondance
avec autant de facilité qu’elle pouvait les retirer. Peut-être lui en
voulaient-ils pour la tempête de Déméter ?
Cela dit, Hadès savait qu’il était futile de chercher une raison à la
mort de Tyché. La raison pour laquelle elle avait été choisie n’avait
pas d’importance. Tout ce qui comptait, c’était qu’elle était morte.
Il sut que Perséphone était réveillée, car il entendit le bruissement
des draps et le bruit de ses pas.
Plus elle approchait, plus Hadès se tendait. Il avait beau vouloir la
regarder, il avait peur. Même maintenant, il était hanté par la vue de
son corps ensanglanté. Il craignait de ne plus jamais la voir de la
même façon.
— Hadès.
Sa voix était douce et sa présence chaude. Il ne put s’empêcher
de la regarder, même s’il sentait lui-même combien son regard était
froid.
— Tu vas bien ? demanda-t-elle d’une voix hésitante, comme si
elle connaissait déjà la réponse.
— Non, répondit-il en baissant à nouveau les yeux.
Il ne pouvait pas soutenir son regard plein de vie. Il avait tant
besoin de la réconforter. Or il savait ce qu’elle allait lui dire. Tous lui
disaient la même chose quand il était confronté à la mort de
Perséphone. Je suis là. Je vais bien. Elle est là. Elle va bien. Le corps
entier de Perséphone le lui criait et il désespérait de sentir sa chaleur.
Il serra les poings et sa main se referma sur son verre de
whiskey.
Il l’avait oublié, mais il fut soulagé d’avoir une distraction et il en
but une gorgée, fronçant les sourcils quand il découvrit un goût de
cendre.
Perséphone se rapprocha et lui prit le verre des mains.
— Hadès, répéta-t-elle.
Il ferma les yeux.
Il attendit d’avoir repris le contrôle de ses émotions avant de
croiser à nouveau son regard.
— Je t’aime, dit-elle.
Il contracta sa mâchoire et s’efforça de réprimer le sentiment qui
remontait dans sa gorge et lui brûlait les yeux. C’était la première fois
qu’il s’était autorisé à craindre la possibilité de ne plus jamais
entendre sa voix.
C’était la première fois qu’il comprenait pourquoi Perséphone
avait désespérément voulu garder Lexa en vie. Peu importait qu’il
soit le dieu des Morts et qu’elle vienne vivre dans son royaume pour
toujours. Ce qui comptait, c’était qu’elle soit chaude, qu’elle aille bien
et qu’elle soit entière – que son cœur puisse battre en rythme avec le
sien et qu’elle puisse aller d’un monde à l’autre, car c’était ce qui la
rendait heureuse.
Perséphone se rapprocha de lui et il recula dans le fauteuil. Elle
s’assit à cheval sur lui et prit son visage dans ses mains pour scruter
son regard.
— Tu peux me dire ce que tu ressens ?
Il agrippa les accoudoirs du fauteuil.
— Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit à dire.
Elle resta silencieuse, sans lâcher son visage.
— Tu es en colère contre moi ?
Sa question comprima sa poitrine. Il détestait que les
conséquences de son attitude soient qu’elle ait l’impression d’avoir
commis une faute.
— Je suis en colère contre moi, pour t’avoir laissée y aller, pour
avoir confié ta protection à un autre.
— J’ai ordonné à Hermès…
— Il avait prêté serment.
Il la sentit se crisper.
— Hadès, je me suis fait mal. C’est moi qui ai échoué. Je
n’arrivais pas à me guérir.
Peu importe. Hermès était tenu de la protéger. Si Hadès avait été
là, il l’aurait guérie plus vite.
Elle se rapprocha de lui et pencha sa tête en arrière pour qu’il la
regarde.
— Je vais bien, chuchota-t-elle. Je suis là.
— Tout juste, gronda-t-il.
Les paroles de Perséphone ne lui étaient d’aucun réconfort. Elle
n’avait pas été témoin de ce qu’il avait souffert.
Elle se leva et s’éloigna à reculons. Il reconnut l’expression dans
ses yeux, car il ressentait la même souffrance.
— Je ne sais pas quoi faire, dit-elle.
— Tu peux arrêter, déclara-t-il. Tu peux décider de ne pas t’en
mêler. Tu peux cesser d’essayer de changer l’opinion du monde et
de vouloir le sauver. Laisse les gens prendre leurs propres décisions
et en assumer les conséquences. C’est ainsi que fonctionnait le
monde avant toi, et c’est ainsi qu’il continuera de fonctionner.
Elle lui lança un regard assassin.
— C’est différent cette fois, Hadès, et tu le sais. On parle d’un
groupe de gens qui ont réussi à capturer et à neutraliser des dieux.
— Je sais parfaitement de quoi il s’agit, aboya-t-il en se levant à
son tour. J’ai déjà vécu ça et je peux t’en protéger.
— Je ne t’ai pas demandé de m’en protéger.
— Je ne peux pas te perdre, déclara-t-il en posant ses mains sur
la rambarde, de part et d’autre de sa taille. J’ai failli te perdre, tu le
sais, ça ? Parce que je n’arrivais pas à me ressaisir pour te guérir. J’ai
tenu des hommes, des femmes et des enfants dans mes bras, qui
saignaient comme toi. Mon visage a été couvert de leur sang. Je les
ai écoutés me supplier de les sauver, de leur rendre la vie, alors que
je ne pouvais ni la sauver ni la leur offrir, parce que je ne peux lutter
contre leur destin. Mais toi, tu ne m’as pas supplié de te sauver. Tu
n’étais même pas désespérée de vivre. Tu étais en paix.
— Parce que je pensais à toi ! siffla-t-elle, et le sang d’Hadès se
glaça. Je ne pensais pas à la vie ou à la mort, ni à quoi que ce soit en
dehors du fait que je t’aimais, et j’ai voulu te le dire, mais je n’ai pas
pu…
La gorge d’Hadès se noua et il sentit ses lèvres trembler. Il l’attira
dans ses bras et enfouit sa tête dans le creux de son cou, cachant
son visage et ses larmes. Il détestait le sentiment qui ravageait son
corps, il détestait ne pas avoir pu garder son sang-froid, mais c’était
trop. La blessure était trop grande.
Il puisa du réconfort en elle et quand il retrouva son calme, il se
redressa en la serrant contre lui.
Perséphone leva la tête vers lui, puis elle posa une main sur sa
joue.
— Tu viens au lit ?
Son estomac se noua et il se rapprocha encore, pressant son
bassin contre le sien.
— Non, je vais te faire jouir ici, dit-il.
Elle ouvrit la bouche et il en profita pour laper sa langue en collant
son corps au sien, prêt et désespéré.
Il poussa un grognement et rompit le baiser en mordillant sa lèvre
inférieure.
— Ensuite, je te prendrai sur le lit, dans la douche et sur la plage.
Je te prendrai sur toutes les surfaces de cette maison et dans tous
les recoins de cet endroit.
Il saisit ses hanches et retourna s’asseoir sur le fauteuil, elle lâcha
le drap avec lequel elle se couvrait. Elle se remit à cheval sur lui et il
s’empara de ses seins pour sucer ses tétons. Il aimait entendre son
souffle accélérer. Elle explorait son corps de façon tout aussi
affamée, ouvrant sa robe pour caresser son torse et son ventre tout
en frottant son sexe chaud contre lui.
Il se demanda un instant s’il devait faire ça, s’il devait se perdre
en elle de cette façon, mais c’était elle qui le lui avait demandé, et la
sentir contre lui, chaude et mouillée, lui rappelait qu’elle allait bien.
Il caressa ses fesses et écarta sa chair avec ses doigts. Elle était
chaude et enflée, et elle se déhancha contre lui, adoptant un rythme
régulier en se servant de lui pour son propre plaisir. Il sut qu’elle
jouissait quand ses muscles se contractèrent et que ses cuisses
serrèrent les siennes. Soudain, elle se redressa et empoigna sa
verge pour la glisser entièrement en elle.
Putain, elle est incroyable, pensa-t-il en reculant pour la regarder
le chevaucher. Ses seins rebondissaient, son corps tout entier
frémissait, et elle avait passé ses mains sous ses fesses pour masser
ses testicules. Quand elle se fatigua, il saisit ses hanches et alterna
entre l’aider à se frotter à lui et s’enfoncer en elle. De temps en
temps, il se redressait pour l’embrasser, pour explorer sa peau avec
sa bouche, jusqu’à ce qu’il sente Perséphone se contracter à
nouveau autour de lui.
Quand elle jouit, son orgasme frémit si fort que cela le fit éjaculer
à son tour.
Il la tint contre lui, Perséphone semblait épuisée et il se sentait
aussi rincé qu’elle.
— Tu es fatigué ? demanda-t-elle en reculant.
Il n’était pas fatigué, pas de la manière qu’elle l’entendait, en tout
cas.
— Je n’ai jamais été aussi vivant, répondit-il.
Sa réponse sembla lui plaire, car elle l’embrassa longuement
avant de se blottir contre lui.
— Où sommes-nous ? chuchota-t-elle d’une voix ensommeillée.
— Sur l’île de Lampri, notre île, dit-il en la serrant plus fort.
— Notre île ?
— Je l’ai depuis longtemps, mais j’y viens rarement. Quand je t’ai
trouvée dans le club, je n’ai pas voulu rentrer aux Enfers. Je voulais
être seul avec toi. Alors, je suis venu ici.
L’atmosphère se tendit quand il mentionna le club, elle devint
lourde de tristesse et de regrets. Elle lui posa alors la question qu’il
redoutait.
— Tu sais si Tyché a survécu ?
Hadès la serra plus fort.
— Non, elle n’a pas survécu.
Elle prit ensuite des nouvelles de Sybil, Leucé et Zofie.
— Elles sont en sécurité.
— Et Hermès ? demanda-t-elle.
En guise de réponse, il l’emmena dans la douche.
— J’ai tué combien de personnes ? chuchota-t-elle, un peu plus
tard.
Hadès avait espéré qu’elle attendrait plus longtemps avant de lui
poser cette question.
— De quoi te souviens-tu ?
— Hadès…
— Est-ce que ça va t’aider de le savoir ?
Cela la hanterait, mais il le lui dirait si elle insistait.
— Penses-y, dit-il. Je dis ça en tant que dieu qui connaît la
réponse.

*
* *
Hadès l’emmena sur la plage et ils marchèrent le long du rivage. Il
la regarda courir pour échapper aux vagues et éclater de rire lorsque
l’eau lui couvrait les pieds. Sa joie le rendait heureux. N’avait-elle pas
voulu des vacances avec lui ? Un week-end loin des Enfers ? Il
supposait qu’il avait exaucé son souhait, même si c’était seulement
parce qu’il avait voulu prendre des distances, reprendre un semblant
de contrôle. Il pensait qu’emmener Perséphone ici lui procurerait un
sentiment de paix, mais il l’attendait encore. En réalité, en dehors de
cette île perdue, une terrible tempête de neige continuait de ravager
la Nouvelle Grèce, l’Ophiotauros n’avait toujours pas été capturé et
Tyché était morte.
Le monde était plongé dans le chaos, et il lui semblait que
Perséphone et lui étaient au centre, chacun d’un côté du gouffre qui
allait les séparer.
— Ça fait combien de temps que tu n’es pas allé dans l’océan ?
— Pour le plaisir ?
Il lui semblait nécessaire de le clarifier, car à cause de son frère, il
s’y était rendu pour de nombreuses raisons désagréables.
— Je ne sais pas, dit-il.
— Alors je veux que ce soit mémorable.
Il avait envie de lui dire que ça l’était déjà, mais elle jeta ses bras
à son cou et sauta pour entourer sa taille avec ses jambes.
— Je t’aime, dit-elle, et Hadès l’embrassa jusqu’à oublier le
monde extérieur, jusqu’à ce qu’il ne puisse penser qu’à la sensation
de son corps contre le sien et à combien il voulait s’enfouir à nouveau
en elle.
— Je veux te montrer quelque chose, dit-il.
— Ta queue ?
Sa franchise le fit glousser.
— Ne t’en fais pas, ma chérie. Je te donnerai ce que tu veux, mais
pas ici.
Il la reposa et lui prit la main pour l’emmener à travers le bosquet
puis jusqu’à une grotte où l’eau miroitait sous les rayons du soleil.
Il observa Perséphone pour voir sa réaction.
— Ça te plaît ?
— C’est sublime.
Hadès sourit et se déshabilla avant de plonger dans l’eau. Quand
il ressortit la tête, Perséphone était encore au bord du bassin, les
yeux rivés sur lui.
— Tu me rejoins ?
Elle n’hésita pas une seconde et Hadès pensa qu’elle avait
attendu pour qu’il la regarde se dévêtir. C’est donc ce qu’il fit, avec
joie, et quand elle entra dans l’eau, il l’attira dans ses bras pour
l’embrasser.
— Je construirai des temples en l’honneur de notre amour, dit-il
en effleurant sa mâchoire puis son cou et son épaule de sa bouche.
Je te vénérerai jusqu’à la fin des temps. Il n’y a rien que je ne
sacrifierais pour toi. Tu comprends ?
— Oui, répondit-elle en plongeant son regard dans le sien.
Hadès savait qu’elle ne pouvait imaginer tout ce qu’il était prêt à
faire pour elle, mais elle lui fit à son tour une promesse.
— Je te donnerai tout ce que tu as toujours voulu, même les
choses sans lesquelles tu pensais vivre.
Perséphone était la seule chose sans laquelle il avait cru devoir
vivre, or elle était là, dans ses bras.
Il s’empara de sa bouche et l’embrassa langoureusement, la
serrant contre lui jusqu’à être prêt à sortir de l’eau. Il la fit reculer
contre la paroi et elle ne le quitta pas une seule fois des yeux, le
regard dénué de peur ou de gêne.
Hadès était fier de maintenir un équilibre dans leur couple, ne
souhaitant jamais être trop dominant, même si c’était ce qu’il désirait
en cet instant. Il voulait lui donner des ordres et la regarder lui obéir.
— Une chose noire vit en moi, dit-il. Tu l’as vue. Tu la reconnais à
présent, n’est-ce pas ?
Elle soutint son regard en hochant la tête.
— Cette noirceur te désire de façons qui t’effraieraient.
Il voulait essayer tant de choses : lui bander les yeux, l’attacher…
Il voulait sa soumission.
— Dis-moi.
— Cette part de moi veut te voir prier pour ma queue. Elle veut te
voir gigoter sous moi pendant que je te pénètre. Que tu supplies mon
sperme de te remplir.
Perséphone le regardait avec un regard si noir que ses iris
n’étaient plus qu’un minuscule anneau vert.
— Comment veux-tu recevoir ma prière, Milord ?
Son sang se précipita dans sa tête et il faillit oublier de répondre,
tant il était distrait par son regard et ses mots, tant elle était prête à lui
faire plaisir.

À
— À genoux.
Elle posa un genou à terre, puis l’autre, lentement, et quand elle
fut face à sa verge, il empoigna ses cheveux avec ses deux mains.
— Suce-moi, ordonna-t-il, et elle obéit.
Son souffle chaud était déjà sur sa queue et Hadès perdait déjà
patience. Il avait beau s’y attendre, il retint néanmoins son souffle
quand elle le lécha. Elle se mit à l’œuvre avec soin, l’embrassant
souvent, le titillant avec sa langue. Quand elle prit son gland dans sa
bouche, elle le suça délicatement et il poussa un grognement.
Putain.
Jamais il ne s’était senti aussi détendu, même s’il était à cran et
que ses muscles se bandaient de plus en plus.
Elle le prit plus profondément et plus vite et il tira plus fort ses
cheveux.
Elle ouvrit plus grand la bouche et le prit jusqu’au fond de sa
gorge, et s’il n’avait pas été enfoui en elle, il serait tombé à genoux.
Elle était partout sur lui – son gland dans sa gorge, sa verge dans
sa bouche, la base de son érection dans sa main.
C’était tout. C’était exquis. Il avait envie de jouir, mais il avait
également envie de la prendre.
Il posa ses mains sur ses joues et la fit reculer avant de la relever.
Il s’empara de sa bouche dans un baiser possessif pendant qu’elle le
branlait et le guidait entre ses cuisses.
— Hadès…
Il la souleva et la plaqua contre le mur avec plus de force qu’il ne
le voulait, mais elle sembla s’en ficher ou ne pas le remarquer, et un
cri étranglé lui échappa. Hadès grogna. Sa poitrine lui semblait
opprimée et la tension augmentait en lui à chaque coup de bassin.
— Je veux te sentir jouir, dit-elle en plantant ses ongles dans ses
épaules et en ondulant contre lui. Je veux sentir ton foutre en moi.
Sa peau se couvrit de sueur alors qu’il accélérait et l’empalait plus
fort, encouragé par ses paroles.
— Je veux le sentir couler sur mes cuisses, gémit-elle en
resserrant ses cuisses sur sa taille alors que son orgasme
approchait. Je veux être tellement pleine de toi que je n’aurai plus
que ton goût en moi pendant des jours.
Elle se raidit et tous ses muscles se contractèrent tandis qu’elle
jouissait. Son orgasme parut durer une éternité et son corps ne
cessait de frémir. Hadès continua ses va-et-vient, la percutant de
toutes ses forces, pourchassant son orgasme avec le sien. Ses
testicules se crispèrent et il jouit de façon aussi explosive que
Perséphone.
Les jambes d’Hadès tremblaient, il se décolla du mur et se
téléporta dans leur chambre, où il s’agenouilla entre ses jambes pour
la dévorer. Elle était enflée, chaude et trempée par leurs orgasmes,
mais il savait qu’il pouvait la faire jouir à nouveau et quand il trouva
ce point qui la poussait à planter ses ongles dans sa chair et à
contracter ses cuisses en se cambrant, il se concentra dessus pour la
faire chavirer encore une fois.
Après, il s’allongea à côté d’elle et s’endormit pour la première
fois depuis longtemps.
Quand il se réveilla, Perséphone était partie.
Il se leva et la trouva sur le balcon, face à la mer, le regard perdu
sur l’horizon.
Il étudia son profil et devina qu’elle était perturbée. Il savait
pourquoi. Ils avaient quitté Nouvelle Athènes en plein chaos pour se
réfugier sur cette île, et Perséphone se sentait coupable.
— Pourquoi fronces-tu les sourcils ?
Elle sursauta et se tourna vers lui. Elle avait l’air chaude, les joues
roses, les lèvres enflées par ses baisers, et son regard était
possessif.
— Tu sais qu’on ne peut pas rester ici. Pas après ce qu’on a
laissé derrière nous.
Il aurait aimé que sa possessivité prenne le pas sur sa culpabilité.
— Une nuit de plus, négocia-t-il.
— Et si c’est trop tard ?
C’était enfantin de sa part, de vouloir assouvir ses désirs, quand
tant de menaces planaient sur eux, mais il n’avait jamais fui,
auparavant. Il avait été présent pour chaque défi, même ceux qui
n’étaient pas les siens. Ici, au moins, il pouvait protéger la personne
qui comptait le plus pour lui.
Il marcha jusqu’à elle et prit son visage dans ses mains.
— Je ne peux pas te convaincre de rester ici ? Tu serais en
sécurité, et je reviendrais chaque fois que j’aurais un instant de libre.
— Hadès, tu sais bien que je ne peux pas. Quelle reine je serais
si j’abandonnais mon peuple ?
— Tu es la reine des Morts, pas celle des vivants.
Cela dit, il ne pouvait nier que c’était justement ce qu’il aimait
chez elle, elle tenait à tout le monde, même ceux qui ne le méritaient
pas.
Personne ne méritait Perséphone, pas même lui.
— Les vivants finissent par devenir les nôtres, Hadès. À quoi
servons-nous si nous les négligeons pendant leur vie ?
Hadès soupira et appuya son front contre le sien, presque triste.
— J’aimerais que tu sois aussi égoïste que moi.
— Tu n’es pas égoïste. Tu ne partirais que pour leur venir en aide.
Pour lui faire plaisir.
Il ferait n’importe quoi pour lui faire plaisir.
Il recula suffisamment la tête pour la regarder dans les yeux, puis
il l’embrassa. Il comptait profiter du peu de temps qui leur restait
avant leur retour. Il glissa les mains sous son peignoir, sur sa peau
douce puis entre ses cuisses.
— Hadès.
Il eut du mal à déchiffrer le ton de sa voix, il ne savait pas si elle le
mettait en garde ou l’invitait à continuer, mais elle ne s’éloigna pas.
— Si tu refuses de rester une autre nuit, accorde-moi au moins
une autre heure.
Elle scella leur accord en passant ses bras autour de son cou et il
la souleva sur la rambarde du balcon, écartant ses cuisses pour s’y
installer. Sa chair paraissait enflée par leurs ébats précédents, mais
elle était encore mouillée, encore affamée.
— Tu te trompes, dit-il. Je suis égoïste.
— Juste une heure.
Il ne savait pas si elle le rappelait à Hadès, ou à elle-même.
Il ricana en prenant son érection dans sa main. Il se branla
plusieurs fois et se préparait à la pénétrer à nouveau, mais
l’excitation qui enflait sa verge et le faisait frémir de désir disparut dès
qu’il sentit la magie d’Hermès.
— Putain !
Il fit descendre Perséphone de la rambarde au moment où le dieu
apparut, à quelques pas d’eux, ne leur laissant pas la moindre
intimité.
— Hermès ! grogna-t-il.
— J’adorerais me joindre à vous, merci, dit le dieu. Mais une autre
fois, peut-être.
Hadès espérait que son regard communique toute la violence
qu’il imaginait infliger au dieu et qui allait bien au-delà de la cicatrice
qu’il portait désormais comme preuve de son serment brisé.
— Hermès, qu’est-ce qui t’est arrivé ? demanda Perséphone.
Hermès eut le mérite de ne pas plaisanter, se contentant de lui
sourire tendrement.
— J’ai failli à mon serment.
— Qu’est-ce que tu veux, Hermès ? On était sur le point de
revenir.
— Ça veut dire combien de temps, « sur le point » ?
— Hermès… commença Hadès.
— Zeus vous convoque tous les deux à Olympe, expliqua-t-il. Il a
réuni le Conseil. Ils souhaitent discuter de votre séparation.
— Notre séparation ? répéta Perséphone, surprise. Il n’y a pas de
sujet plus pressant, comme le fait que la Triade a assassiné une
déesse et en a attaqué une autre ?
Il y avait clairement des sujets plus importants, mais Zeus ne
pensait pas que la Triade était une menace pour les Olympiens.
Alors que la tempête de Déméter l’était, elle.
Plus elle durait et causait de morts, plus les mortels remettaient
en question leur vénération des Olympiens. Or moins de fidèles
entraînait un changement de force, de pouvoir.
— Je vous dis seulement la raison que Zeus a donnée pour
rassembler le Conseil, dit Hermès. Ça ne veut pas dire que d’autres
sujets ne seront pas abordés.
— J’arrive bientôt, Hermès, dit Hadès.
Hermès hocha la tête et son regard déterminé s’adoucit quand il
regarda Perséphone.
— À tout de suite, Sephy, dit-il avant de disparaître.
Il ne fallut pas longtemps pour que Perséphone interpelle Hadès.
— C’est toi qui as fait ça à Hermès ?
— Tu me poses la question alors que tu connais déjà la réponse.
— Tu n’étais pas…
— Si, j’étais obligé, gronda-t-il.
Il n’avait pas voulu parler de façon aussi brusque, mais il n’y avait
pas de débat sur la question. Hermès et lui avaient conclu un accord
divin qui supposait des conséquences divines.
— Sa punition aurait pu être pire. Certaines de nos lois sont
sacrées, Perséphone, et avant de te sentir coupable de ce qui est
arrivé à Hermès, rappelle-toi qu’il était parfaitement au courant de ce
qu’impliquait son serment, même si toi, tu ne l’étais pas.
Ses épaules s’affaissèrent sous le poids de son reproche et cela
atteignit plus Hadès que sa colère au sujet du visage d’Hermès.
— Je ne savais pas.
Dieux. Hadès s’y prenait toujours mal.
Il prit sa main et l’attira dans ses bras pour l’étreindre. Ils
n’auraient pas dû se disputer ni se faire du mal quand Zeus venait de
le convoquer pour parler de leur avenir – ce qu’Hadès craignait
depuis longtemps. Au contraire, ils auraient dû plutôt savourer ces
derniers instants avant que tout ne bascule.
— Pardon. Je voulais te réconforter.
— Je sais. Ce doit être épuisant de… de constamment avoir à
tout m’apprendre.
— Je ne me lasse jamais de t’instruire, répondit-il. Ma frustration
vient d’ailleurs.
— Peut-être que je pourrais t’aider… si tu m’en disais plus ?
suggéra-t-elle.
En dire plus à Perséphone impliquait qu’il gère sa peur d’être trop
pour elle : trop en colère, trop vengeur, trop cruel.
— J’ai peur de dire ce qu’il ne faut pas, et que mes intentions te
semblent barbares.
— Je suis désolée. Je crois que je t’ai donné cette peur quand on
s’est rencontrés.
— Non. Je l’avais avant toi, mais ça n’a pris de l’importance qu’en
te rencontrant.
— Je comprends la punition d’Hermès, dit-elle. Et je suis
soulagée.
Hadès appréciait ses paroles, même s’il hésitait à les accepter.
Il l’embrassa sur le front, regrettant qu’il ne puisse profiter de
l’heure qu’ils s’étaient accordée – surtout maintenant, sachant ce
qu’ils allaient affronter.
— Tu veux m’accompagner au Conseil ?
— Sérieusement ? s’étonna-t-elle.
— J’ai des conditions, dit-il en haussant un sourcil comme pour
dire « bien évidemment ». Mais si les Olympiens doivent parler de
nous, je trouve normal que tu sois présente.
Elle eut l’air tellement reconnaissante qu’Hadès s’en voulut de
l’avoir exclue jusque-là. Elle avait besoin d’entendre le débat qui les
concernait, car cela la mettrait en colère. Et il avait besoin de sa rage.
— Viens, allons nous préparer, dit-il.
Et ils quittèrent l’île pour retourner aux Enfers.
Chapitre XXIX

DIONYSOS

Dionysos était sorti pour collecter de l’eau et trouver quelque


chose de comestible pour le petit déjeuner. Quand il revint à la
maisonnette, Ariadne était assise sur le lit, les pieds par terre.
— Comment tu te sens ? demanda-t-il.
— Mieux, répondit-elle en l’étudiant d’un regard chaleureux qui
embrasa son sang.
Il se racla la gorge et souleva son panier.
— J’espère que tu aimes les figues, parce que c’est à peu près
tout ce qu’il y a à manger, ici.
— Ça me va très bien, dit-elle.
Il posa le panier par terre et s’agenouilla à ses pieds.
Le geste lui paraissait intime, surtout parce qu’elle ne le quittait
pas des yeux.
— Montre-moi ta jambe, dit Dionysos.
Il s’attendait à ce qu’elle résiste, mais elle dégagea la couverture
et le laissa étudier la blessure, qui était bien moins rouge à présent. Il
glissa une main sous sa cuisse et survola la plaie avec l’autre,
utilisant sa magie pour la guérir et la refermer, jusqu’à ce qu’il n’en
reste plus de trace.
— Si tu peux utiliser ta magie pour me guérir, dit Ariadne quand il
retira ses mains, est-ce qu’on ne peut pas se téléporter ?
— Je ne peux pas me téléporter depuis le royaume de Poséidon.
Seuls les Trois pouvaient se téléporter dans tous les royaumes
sans permission. La seule exception était Hermès.
— Même si je pouvais nous faire quitter cette île, dit-il en se
relevant, j’ai une dette à payer avant de partir.
— Une dette ?
— Un vieil homme nous a sortis de l’océan et m’a guidé à cette
maison. En échange, j’ai accepté de tuer un cyclope.
Il était presque certain que le vieillard était un dieu, mais il ne
savait pas lequel.
Ariadne écarquilla les yeux.
— Pourquoi ?
Dionysos répondit en toute honnêteté.
— Parce que j’étais prêt à tout pour te garder en vie.
Un silence pesant s’installa, il se dirigea vers la cheminée où il
avait étendu ses vêtements. Ils n’étaient pas en très bon état, mais
c’était mieux que rien. Il les prit et les porta à Ariadne.
— Habille-toi, dit-il.
— Pourquoi ?
— Loin de moi l’idée de t’empêcher de rester nue, dit-il. Je serais
plus que ravi de te voir arpenter cette île à poil.
Elle le fusilla du regard, mais Dionysos était soulagé que la
tension redevienne familière.
— Et si je ne veux pas te voir tuer un cyclope ?
— Eh bien, tu n’as qu’à fermer les yeux. Mais tu ne resteras pas
ici.
— Je peux…
— Ne me dis pas que tu peux te débrouiller toute seule, aboya-t-il.
On est sur une île dont on ne sait rien, au beau milieu du territoire de
Poséidon. Il était prêt à te violer sous mes yeux. Il a menacé de te
déchiqueter et de me forcer à manger tes membres. Tu ne quitteras
pas mon champ de vision.
Elle ne le contredit pas et Dionysos fut surpris qu’elle n’attende
pas qu’il lui tourne le dos. Elle dégagea la couverture et se leva pour
s’habiller. Il la regarda, hypnotisé, dévorant des yeux son corps
parfait. Elle était sublime et il eut l’eau à la bouche en imaginant la
goûter.
Elle ne sembla même pas remarquer qu’il la matait. Il était
persuadé que si c’était le cas, elle l’aurait envoyé balader ou qu’elle
lui aurait tourné le dos. Dionysos parvint néanmoins à détourner le
regard, se concentrant plutôt pour se débarrasser de son érection
grandissante en rassemblant des vivres.
Mais ses efforts étaient vains, et son désir ne fit que devenir plus
flagrant quand ils quittèrent la maisonnette du vieillard et partirent en
quête de ses moutons.
— Où va-t-on ? demanda Ariadne.
Cela faisait presque une heure qu’ils gravissaient la colline et elle
était à la traîne.
— En haut, répondit-il.
Son silence l’inquiéta et il s’arrêta pour se retourner, au moment
où une figue lui arrivait dessus. Il l’attrapa et plissa les yeux.
— Ça ne se fait pas de jouer avec la nourriture.
— Je m’en contrefiche, siffla-t-elle.
Il soupira et descendit le sentier jusqu’à elle. Il enleva la gourde
en peau qu’il avait autour du cou et la lui tendit.
— On a besoin de prendre de la hauteur pour voir où on est,
expliqua-t-il pendant qu’elle buvait.
— Tu veux aller au sommet de cette montagne, juste pour voir où
on est ?
— Tu as une meilleure idée ?
— Oui. Et si on restait sur un terrain plat ?
Dionysos la dévisagea.
— Tu as le vertige ?
— Non, rétorqua-t-elle.
— Mais si ! insista-t-il en souriant.
— Pas du tout !
— Si, j’en suis sûr.
— Tais-toi !
Dionysos éclata de rire et elle le poussa en arrière. Il ne s’y
attendait pas et il atterrit sur le sol. Ariadne ne devait pas s’y attendre
non plus, car elle perdit l’équilibre et s’étala sur lui.
Elle se retrouva au-dessus de lui, la bouche à quelques
millimètres de la sienne, les mains à plat sur son torse.
— Arrête de rire, dit-elle, mais c’était déjà le cas.
Dionysos était entièrement concentré sur tous les points de
rencontre de leurs corps, notamment sur son érection, qui était
nichée entre ses cuisses.
Ils se regardèrent dans les yeux, puis Ariadne fixa sa bouche et
dit son nom dans un soupir à la fois serein et fervent.
Il ne sut qui bougea le premier, mais leurs bouches se
rencontrèrent et il grogna quand leurs langues s’enroulèrent l’une
autour de l’autre. Putain, il avait rêvé de ce baiser, d’elle. Il n’en avait
pas eu assez. Il avait Ariadne dans le sang. Elle était une addiction si
féroce qu’il ne pouvait s’en passer.
Il roula sur le côté en l’entraînant pour s’allonger sur elle et frotter
son bassin contre le sien.
— Oui, gémit-elle contre sa bouche.
Dionysos avait l’impression qu’un courant électrique parcourait
tout son corps.
Il n’en revenait pas.
Tout à coup, un cri horrible les fit sursauter et rompre le baiser.
Dionysos se leva d’un bond, les yeux vers le ciel, qui était
traversé par une chose blanche et ronde. Il crut d’abord que c’était un
rocher, mais… le rocher hurlait.
— C’est un… mouton ? demanda Ariadne.
Ils se regardèrent, une explosion retentit et le sol se mit à
trembler. Loin au-dessus de la cime des arbres, ils virent le cyclope,
qui semblait courir après le mouton.
— On dirait qu’il aime jouer avec sa nourriture, lui aussi, dit
Dionysos en regardant Ariadne, qui leva les yeux au ciel. Quoi ?
Elle ne répondit rien, mais dévala la pente en courant.
— Où tu vas ?
— Ben, on n’a plus besoin de monter, n’est-ce pas ?
Il n’était pas du tout d’accord, mais c’était principalement parce
qu’il bandait encore et que son seul espoir d’être soulagé s’enfuyait
en courant.
Putain de mouton.

*
* *
Ariadne marchait à quelques mètres devant lui.
— Tu ne sais même pas où tu vas ! cria Dionysos.
Il avait l’impression qu’elle fuyait autre chose que le sommet
vertigineux de la montagne. Elle fuyait ce qui s’était passé entre eux
et la vitesse à laquelle la situation avait dérapé.
Elle le fuyait, lui.
— Je t’emmène à ton cyclope, dit-elle.
Dionysos ricana. Cela faisait près d’une heure qu’il la laissait
mener. En arrivant au pied de la montagne, elle était partie en
direction du cyclope et du mouton. Le problème était que le cyclope
était énorme et que ses foulées se comptaient en centaines de
mètres.
— Tu crois que le cyclope sera encore là quand on aura traversé
cette forêt ?
— Je crois surtout que ce n’est pas mon problème, c’est toi qui as
une dette.
— Étant donné que c’est à cause de toi que je suis endetté, je
dirais que c’est ton problème aussi.
Il ne pensait pas ce qu’il disait et il sut qu’il l’avait blessée car elle
ralentit pour la première fois depuis qu’ils étaient redescendus.
— Je… ce n’est pas ce que je voulais dire, dit Dionysos.
Il ne voulait pas qu’Ariadne pense que ce qui lui était arrivé sur le
yacht de Poséidon était sa faute. Elle ne devrait pas avoir à craindre
que Poséidon l’agresse. Et à présent, parce que le monde respectait
son pouvoir depuis si longtemps, Ariadne ne serait jamais en sécurité
à cause de lui.
— Je crois qu’on sait tous les deux ce que tu voulais dire, dit-elle.
— Je ne…
Dionysos se tut, frustré.
— Pourquoi je merde tout le temps, bon sang ? râla-t-il.
Elle ralentit.
— Comment ça ? demanda-t-elle.
— Regarde où on est, dit-il en balayant l’espace d’un geste de la
main. Tout ça parce que je t’ai promis de retrouver Méduse, alors qu’il
s’avère que cela vaut sans doute mieux qu’on ne la trouve jamais.
J’aurais dû continuer à aider Hadès à chercher l’Ophiotauros.
Ç’aurait été un autre moyen de lutter contre Thésée.
Ariadne s’arrêta à la lisière d’une forêt et se tourna vers lui.
— L’Ophio… quoi ?
— L’Ophiotauros, dit-il. C’est une créature mi-taureau, mi-serpent,
qui nous fera sans doute tous mourir. Donc tout ce que j’aurai fait
sera en vain, de toute manière.
— Quelqu’un l’a trouvé ? demanda-t-elle. L’Ophiotauros ?
— Pas encore, dit-il.
Pour autant qu’il sache, en tout cas.
— Dans ce cas, rien n’est en vain, dit Ariadne.
Ils se regardèrent l’un l’autre pendant un moment et Dionysos se
sentit légèrement soulagé par ses propos. Elle lui tourna le dos et
entra dans la forêt avant de hurler.
— Ari !
Dionysos courut et fut surpris quand le sol disparut sous ses
pieds. Il tomba en avant et roula le long d’un petit ravin, s’arrêtant en
percutant un gros rocher. À quelques pas de lui, Ariadne s’assit en
tenant son bras contre sa poitrine.
Quand la douleur dans ses côtes eut disparu, Dionysos chercha
son regard.
— Est-ce que ça va ?
— Je crois que je… me suis fait mal au bras.
Dionysos pâlit, s’agenouilla et prit sa main pour palper son
poignet et son avant-bras. Elle grimaça, mais il ne paraissait pas
cassé. Il laissa son pouvoir se dissiper en elle, conscient qu’elle
venait de faire la même chute que lui et qu’elle aurait mal.
— Tu sais comment on aurait pu éviter ça ? demanda-t-il en la
regardant.
— Va te faire foutre, Dionysos, dit-elle en levant les yeux au ciel.
Il éclata de rire et l’aida à se lever, puis il regarda autour d’eux,
découvrant qu’ils étaient au bord d’un profond canyon. En contrebas,
sur les collines verdoyantes, paissaient plusieurs moutons.
— Eh bien, dit Ariadne. J’ai trouvé tes moutons.
Chapitre XXX

HADÈS

Hadès quitta l’île de Lampri et emmena Perséphone à son


arsenal, situé sous son palais. Il était rempli d’armes anciennes et
modernes, de boucliers et d’armures. C’était également là qu’il
gardait le Casque de Kunée, l’une des trois armes façonnées par les
cyclopes Brontès et ses deux frères, Stéropès et Argès.
Contrairement au foudre de Zeus et au trident de Poséidon, capables
de blesser, la magie du casque était plus subtile, mais non moins
puissante.
— Est-ce que c’est…
— Mon arsenal, répondit-il.
Il observa Perséphone qui découvrait la pièce, s’arrêtant sur
l’armure placée au centre, et elle s’en approcha, effleurant le casque
posé sur l’estrade.
— Ça fait combien de temps que tu ne l’as pas porté ?
— Un moment.
Depuis la Titanomachie et la Gigantomachie, les guerres contre
les Titans et les géants.
— Je n’en ai besoin que lorsque je combats des dieux, expliqua-t-
il, conscient qu’elle pensait sans doute à la guerre la plus récente
impliquant les Olympiens, la Grande Guerre.
— Ou contre une arme qui peut te tuer, remarqua Perséphone.
Hadès tendit le bras pour prendre le casque.
— C’est le Casque de Kunée. Il offre l’invisibilité à celui qui le
porte. Ce sont les cyclopes qui l’ont fabriqué pour moi durant la
Titanomachie.
— Pourquoi tu as besoin du casque ? L’invisibilité fait partie de tes
pouvoirs.
— L’invisibilité est un pouvoir que j’ai obtenu au fil du temps, en
devenant plus fort.
Au fur et à mesure que le nombre de ses fidèles augmentait.
— Mais en dehors de ça, j’aime protéger ma tête pendant les
combats.
Cela ne sembla pas amuser Perséphone, qui prit le casque pour
l’étudier de plus près. Il savait qu’elle se concentrait sur les marques
qui le recouvraient : une pour chaque coup qu’il avait reçu.
— Je veux que tu le mettes au Conseil, dit-il.
Elle le regarda d’un air surpris.
— Pourquoi ?
— Le Conseil n’est que pour les Olympiens. Et je ne suis pas
pressé de te présenter à l’un ou l’autre de mes frères, surtout dans
ces circonstances. Tu vas entendre des choses qui ne vont pas te
plaire.
Le casque lui permettrait de ne pas être vue pendant qu’elle
écoutait.
— Tu as peur que ma bouche sabote nos fiançailles ?
Sa question le fit sourire.
— Oh chérie, je suis persuadé que ta bouche ne peut que les
rendre plus belles.
Ils se dévisagèrent, puis elle baissa les yeux pour reluquer son
sexe encore dur.
— Comptes-tu aller au Conseil à poil, Milord ? Si c’est le cas,
j’insiste pour être présente.
— Si tu continues de me regarder comme ça, nous n’irons pas du
tout à Olympe, répondit-il, même s’il savait qu’il n’avait d’autre choix
que d’y aller, même si cela ne lui plaisait pas.
Hadès invoqua son Charme et les habilla tous les deux.
— Tu es prête ?
Perséphone ne répondit rien, mais elle prit sa main et ils
quittèrent les Enfers pour Olympe, apparaissant dans l’ombre de la
salle où résonnaient des voix énervées.
— Cette tempête doit cesser, Zeus ! disait Hestia. Mon royaume
m’implore d’en être débarrassé.
— Je ne suis pas pressé que la tempête prenne fin, répondit
Zeus. Les mortels sont devenus trop effrontés, ils méritent qu’on leur
donne une leçon. Peut-être que mourir de froid leur rappela qui fait la
loi dans leur monde.
Perséphone tourna brusquement la tête vers Hadès, clairement
agacée. Il était conscient du problème que posaient les propos de
Zeus. Ils étaient à la racine de toutes les frustrations mortelles au
sujet des dieux.
Il plaqua son index contre ses lèvres, lui indiquant de ne pas faire
de bruit, puis il prit le casque de ses mains et le lui mit. Il était trop
grand pour elle, mais la magie fonctionnerait et c’était tout ce qui
comptait. Il lui embrassa les doigts, puis il la laissa dans l’ombre des
piliers avant de se téléporter.
— Tu ne leur rappelleras rien, sauf qu’ils te détestent, qu’ils nous
détestent, dit-il en apparaissant au milieu de l’arc de cercle formé par
les trônes des Olympiens.
Il se dirigea vers le sien, placé à côté de celui de Zeus.
— Hadès ! grogna Zeus de sa voix tonitruante.
Son humeur ne semblait pas s’être améliorée depuis sa dernière
visite, et étant donné qu’il avait convoqué ce Conseil pour parler de
sa relation avec Perséphone, ce n’était pas bon signe.
— D’après ce que j’ai compris, Hadès, commença Arès, la
tempête est ta faute. Il a fallu que tu mettes ta bite dans la fille de
Déméter, hein ?
— Tais-toi, Arès ! dit Hermès.
— Pourquoi se tairait-il ? Il dit la vérité, dit Artémis.
— Parmi les millions de femmes que tu aurais pu baiser, il a fallu
que tu t’entiches de la fille de la seule déesse qui te déteste plus
qu’elle n’aime l’humanité, poursuivit Arès d’un ton enjoué.
— Ce doit être une chatte en or, dit Poséidon.
Des lames jaillirent des doigts d’Hadès et il les planta dans les
accoudoirs de son trône en parlant d’une voix menaçante.
— Je couperai personnellement le fil du prochain qui osera dire
quoi que ce soit sur Perséphone.
— Tu n’oserais pas, dit Héra, comme si elle pensait que ses
menaces n’étaient que du vent. Les conséquences de tuer un dieu
sans que les Moires ne l’aient décidé sont lourdes. Tu pourrais perdre
ta chère déesse.
Hadès tapota le fer de son trône avec la pointe de ses lames,
rivant son regard dans celui de la déesse du Mariage. Il ne dit rien,
mais sa pensée était on ne peut plus claire : Essaie un peu, et je
mettrai fin à ce monde.
— Le fait est que la tempête de neige fait beaucoup de dégâts.
— Alors nous devons discuter des solutions qui mettront fin à sa
colère, dit Hadès.
— Rien ne la convaincra de cesser son assaut en dehors de votre
séparation, dit Héra.
— C’est hors de question.
— Est-ce que cette fille souhaite être avec toi, au moins ? lança
Héra. N’est-il pas vrai que tu l’as liée à un contrat pour la forcer à
passer du temps avec toi ?
Hadès lança un regard assassin à Héra. Sa belle-sœur s’était
enhardie. Peut-être devait-il lui rappeler qu’il était au courant de son
alliance avec Thésée. Mais Hermès le devança.
— C’est une femme. Et elle aime Hadès. Je l’ai vu.
— Et on devrait sacrifier la vie de milliers de mortels pour sauver
l’amour de deux dieux ? demanda Artémis d’un ton dédaigneux. C’est
ridicule.
La déesse avait de nombreux points communs avec son frère
jumeau, Apollon, y compris la perte tragique d’un grand amour. Pour
Artémis, il s’agissait de la princesse Iphigénie, qui avait été sacrifiée
en son nom pendant la guerre de Troie.
— Je ne suis pas venu au Conseil pour parler de ma vie
amoureuse, dit Hadès.
— Non, mais hélas pour toi, dit Zeus, ta vie amoureuse provoque
la panique sur Terre.
— Tout comme ta queue, rétorqua Hadès, même si c’était sans
doute un sujet sensible étant donné qu’il n’avait plus de testicules. Et
personne n’a jamais réuni le Conseil pour en parler.
— En parlant de bites et des problèmes qu’elles causent,
interrompit Hermès, personne ne compte parler des problèmes que
cause ta progéniture ? Tyché est morte. Quelqu’un nous attaque…
parvient à nous tuer… et tu veux te chamailler à propos de la vie
sentimentale d’Hadès ?
— Nous n’aurons plus à nous en inquiéter si la tempête de
Déméter continue, cracha Artémis. Les mortels seront tous morts de
froid.
— Tu crois que la colère de Déméter est le pire qui puisse
arriver ? gronda Hadès d’un ton menaçant. Tu ne connais pas la
mienne.
Il avait conscience que déclarer la guerre aux Olympiens n’était
pas des plus judicieux, étant donné qu’il leur faudrait être unis contre
la Triade, mais s’ils insistaient pour le séparer de Perséphone, il
affronterait les conséquences les unes après les autres.
Il sentit alors la magie de Perséphone comme un rayon de soleil
printanier.
Merde, se dit-il quand elle sortit de l’ombre qui entourait leurs
trônes. Elle avait quitté son Charme et se tenait dans sa véritable
forme, radieuse comme un champ de fleurs sauvages. Elle prononça
son nom et soutint son regard en esquissant un sourire désolé.
Elle sentait sans doute sa magie entourer la sienne, prête à
intervenir pour l’emmener ailleurs si ça tournait mal.
— Bien, bien, bien, dit Zeus en se penchant en avant.
Hadès se mordit la joue, réprimant la colère bouillante qui
tourbillonnait dans son ventre.
— La fille de Déméter.
— C’est moi, répondit-elle en regardant à droite puis à gauche.
— Tu causes beaucoup de problèmes, dit Zeus.
Le regard de Perséphone noircit et Hadès trouva son agacement
flagrant plutôt amusant.
— Tu veux dire que ma mère cause beaucoup de problèmes, je
crois, répondit-elle. Or, tu sembles déterminé à punir Hadès.
Zeus recula sur son trône et haussa les épaules.
— Je souhaite simplement résoudre ce problème de la façon la
plus simple.
— Ce serait peut-être vrai si Déméter n’était responsable que
d’une tempête. Mais j’ai des raisons de croire qu’elle collabore avec
les demi-dieux.
— Quelles raisons ?
— J’étais là le soir où Tyché est morte, dit Perséphone. Ma mère
y était. J’ai senti sa magie.
— Peut-être était-elle là pour te récupérer, proposa Héra en
agitant la main comme pour effacer l’accusation de Perséphone.
Hadès supposa que c’était ce qu’elle espérait, puisqu’elle avait
toutes les raisons de vouloir que la Triade l’emporte.
— D’après la loi divine, elle serait dans son droit, puisqu’elle est ta
mère.
— Étant donné que nous fondons nos décisions sur des lois
archaïques, je suis forcée d’être en désaccord, répondit Perséphone.
Hadès esquissa un sourire.
— Et sur quels fondements ?
— Hadès et moi baisons, déclara Perséphone. D’après la loi
divine, nous sommes donc mariés.
Hermès réprima un fou rire et Hadès le regarda du coin de l’œil
avant de se concentrer sur Perséphone, dont le regard était rivé sur
Zeus. Cela ne lui plaisait pas car il savait que son frère aimait avoir
l’attention de la jeune déesse.
— C’est la magie de ma mère qui a empêché Tyché de se
défendre, dit-elle.
— C’est vrai, Hermès ? demanda Zeus.
— Perséphone ne mentirait jamais, répondit le dieu de la Ruse.
— La Triade est un ennemi sérieux, dit Perséphone. Il y a de
fortes raisons de les craindre.
Hadès ne fut pas surpris quand certains Olympiens pouffèrent de
rire.
— Vous n’avez pas entendu ce que j’ai dit ?
— Harmonie et Tyché sont des déesses, certes, mais ce ne sont
pas des Olympiennes, dit Poséidon.
— J’imagine que les Titans ont dit la même chose de vous,
rétorqua-t-elle. D’autant que Déméter est olympienne, elle.
— Elle ne serait pas la première à essayer de me détrôner, et à
échouer, répondit Zeus en regardant Héra.
— C’est différent, dit Perséphone. Cette fois, le monde est prêt à
changer d’allégeance et à obéir à des gens qu’il croit plus mortels
que les dieux, et la tempête de ma mère va encourager cette
décision.
— Nous en revenons donc au véritable problème, dit Héra. Toi.
— C’est si vous me rendez à ma mère que je deviendrai un vrai
problème, promit-elle. Je serai la raison de votre misère, de votre
désespoir, de votre ruine. Je vous promets que vous sentirez mon
venin.
Hadès était immobile, prêt à bondir. Sa magie caressait celle de
Perséphone, comme un ombre prêt à engloutir sa lumière.
Au bout d’un moment, Zeus reprit la parole.
— Tu parles de ce que l’on ne fait pas, dit Zeus. Mais que
souhaiterais-tu qu’on fasse ? Alors que le royaume des mortels
souffre d’une tempête créée par ta mère ?
— N’étais-tu pas prêt à le regarder souffrir, il y a quelques
minutes à peine ? rétorqua Perséphone, et Hadès grimaça.
Il adorait que Perséphone pointe du doigt la duplicité de son frère,
mais ils devaient s’assurer d’avoir sa Faveur, même si Hadès
détestait qu’ils en aient besoin.
— Est-ce que tu suggères qu’on la laisse continuer ? demanda
Hestia.
— Je suggère que vous punissiez la source de la tempête, dit
Perséphone.
— Tu oublies que personne n’a pu localiser Déméter.
— N’y a-t-il pas un dieu qui voit tout ?
Il y eut des rires.
— Tu parles d’Hélios, dit Artémis. Il ne nous aidera pas. Il ne
t’aidera pas, parce que tu aimes Hadès et qu’Hadès a volé son bétail.
Hadès ne regrettait toujours pas de l’avoir fait, même si cela
aurait pu les aider aujourd’hui.
— N’es-tu pas le roi des dieux ? Est-ce qu’Hélios n’est pas là par
ta grâce ?
— Hélios est le dieu du Soleil, dit Héra. Son rôle est important,
plus important qu’une déesse mineure et son amour obsessionnel.
— S’il est si puissant, est-ce qu’il ne peut pas faire fondre la neige
qui ravage la Terre ?
— Assez ! gronda Zeus, et la magie d’Hadès approcha encore un
peu. Tu nous as donné beaucoup à réfléchir, déesse. Nous
chercherons Déméter, nous tous. Si elle est alliée à la Triade, qu’elle
l’admette et qu’elle en affronte les conséquences. D’ici là, toutefois, je
repousserai ma décision concernant ton mariage avec Hadès.
Hadès étudia Héra, qui lui lança un regard assassin. En réalité,
Hadès n’espérait pas que Zeus accepte leur mariage. Il n’avait fait
que dire cela pour impressionner Perséphone.
— Merci, Lord Zeus, dit Perséphone.
Hadès détesta entendre ces mots dans sa bouche.
Zeus balaya alors la salle des yeux.
— Cette nuit, nous dirons adieu à Tyché.
Il disparut aussitôt.
Héra l’imita, mais pas avant de fusiller Perséphone du regard.
— À toute, Sephy ! lança Hermès.
Quand ils furent seuls, Hadès descendit de son trône et rejoignit
Perséphone, qui avait déjà commencé à s’expliquer.
— Je suis désolée. Je sais que tu m’as demandé de rester
cachée, mais je n’ai pas pu. Pas quand ils voulaient…
Il l’embrassa langoureusement avant de reculer.
— Tu étais merveilleuse, dit-il. Vraiment.
— Je pensais qu’ils allaient m’éloigner de toi, répondit-elle.
— Jamais, chuchota-t-il contre sa peau comme une promesse.
Peut-être que s’il le répétait suffisamment de fois, cela deviendrait
vrai.

*
* *
Hadès serra plus fort Perséphone dans ses bras quand
Héphaïstos alluma le bûcher sur lequel reposait Tyché. Son énergie
était sombre, presque chaotique. Il ne savait pas à quoi elle pensait,
mais il supposait qu’elle s’en voulait pour la mort de Tyché. C’était
injuste, puisqu’elle n’avait aucun contrôle sur les actions de sa mère.
— La mort de Tyché n’est pas ta faute, dit Hadès.
Il lui semblait nécessaire de le dire.
Perséphone ne répondit rien et il sut que c’était parce qu’elle ne le
croyait pas. Le feu crépitait dans le silence, et l’odeur de lavande et
de chair brûlée remplit l’air.
— Où vont les dieux quand ils meurent ? demanda Perséphone.
— Auprès de moi, sans leurs pouvoirs. Et je leur attribue un rôle
aux Enfers.
— Quel genre de rôle ?
— Ça dépend des difficultés qu’ils ont rencontrées de leur vivant.
Mais Tyché a toujours voulu être mère. Donc je vais lui offrir le Jardin
des Enfants.
— Est-ce qu’on va pouvoir lui parler ? Au sujet de sa mort ?
— Pas tout de suite, répondit-il. Mais dans quelques jours, oui.
Mais Hadès craignait qu’il soit déjà trop tard.
Chapitre XXXI

DIONYSOS

Dionysos et Ariadne trouvèrent un sentier étroit permettant de


descendre au pied de la falaise, mais leur progression était lente car
Ariadne avait le vertige, même si elle refusait encore de l’admettre.
— Viens, je vais te porter, dit Dionysos.
— Non. Et si tu tombes ?
— Je ne vais pas tomber. Je suis un dieu, putain, rétorqua-t-il,
agacé.
— Comme si ça avait quoi que ce soit d’impressionnant.
— Je t’ai guérie, non !
— Il n’empêche qu’on est coincés sur une île au beau milieu de
l’océan parce que tu ne peux pas rivaliser avec le pouvoir de
Poséidon.
Dionysos grinça des dents, regrettant que ces propos le blessent
autant. Il savait que sa magie ne faisait pas le poids face à celle du
dieu de la Mer, et il avait souvent pensé au cours des deux derniers
jours que rien de tout ça ne serait arrivé s’il avait été plus puissant,
s’il avait été meilleur.
Les paroles d’Ariadne semblaient la déranger autant que lui, car
ses épaules s’affaissèrent et elle lâcha le mur pour venir vers lui. Il la
regarda approcher, sentant son sang s’embraser au fur et à mesure
que la distance entre eux se réduisait.
— Pardon, dit-elle.
Il avait envie de répondre quelque chose de sarcastique, de faire
rejaillir sa colère, car c’était plus confortable. Au lieu de ça, il tendit la
main et caressa sa joue. Ariadne ne recula pas.
— Tu as l’air d’avoir faim, dit-il.
Elle hocha la tête et appuya sa tête contre son torse. Elle ne se
débattit pas quand il la prit dans ses bras, la portant jusqu’à atteindre
une ouverture dans la paroi rocheuse, une petite caverne où ils
pourraient passer la nuit.
Il l’y laissa pour aller chercher du bois pour faire un feu. Quand il
revint, ils s’assirent côte à côte sur un rondin qu’il avait traîné du fond
de la grotte, et ils mangèrent des figues. Dionysos ne détestait pas le
fruit, mais il lui rappelait le sexe, et étant donné sa proximité avec la
femme qu’il désirait si ardemment depuis un mois, le manger était
une véritable torture. Sa pulpe était sucrée comme du miel et son jus
exquis comme de l’ambroisie.
Du coin de l’œil, il regarda Ariadne qui se suçait les doigts. Quand
elle parla, ses pensées furent écrasées par le poids de son passé.
— Combien de temps as-tu vécu avec la folie ? demanda-t-elle.
Dionysos baissa les yeux sur sa figue à moitié mangée.
— Longtemps, dit-il.
Ce n’était pas une très bonne réponse, mais en vérité, il n’en
savait rien.
— Assez longtemps pour arpenter le monde entier… assez
longtemps pour commettre des actes horribles.
Héra savait ce qu’elle faisait quand elle lui avait infligé une telle
punition. Il était parfaitement conscient des atrocités qu’il commettait,
mais il était incapable d’arrêter. Il était passé d’un pays à l’autre,
planant, euphorique, dansant et buvant, traînant derrière lui des
fidèles aussi fous que lui. Tous ceux qui s’opposaient à lui ou
remettaient en question sa divinité avaient affronté sa colère. Il avait
condamné des hommes à être déchiquetés par leurs filles, les avait
punies en leur faisant tuer leurs fils. Il avait rendu des gens fous à en
mourir.
— C’était horrible, dit Ariadne.
Ses propos lui nouèrent le ventre et il perdit soudain l’appétit. Il
posa le fruit sur le tronc à côté de lui.
— Je ne voulais pas le faire, dit-il.
Il n’avait pas su quoi faire d’autre. Cela lui était apparu comme la
meilleure alternative étant donné la menace que représentait
Poséidon.
— Je ne t’en veux pas, dit-elle.
Dionysos n’était pas certain de la croire, et se demanda si cela
resterait vrai.
— Je suis désolée que tu aies vécu comme ça pendant si
longtemps, ajouta-t-elle.
Le dieu ne répondit rien, préférant ne pas s’attarder sur cette
conversation. Cela lui rappelait des souvenirs qu’il préférait garder
enfouis.
Ils restèrent silencieux, le seul bruit provenant du feu qui crépitait
devant eux et projetait des ombres sur les parois rocheuses.
— Pourquoi tu es devenue détective ? demanda-t-il.
— Je voulais aider les gens.
— Et maintenant ? demanda-t-il en la regardant, mais elle
observait le feu.
— Je suppose que je viens d’apprendre combien c’est difficile.
Dionysos trouva étrange de l’entendre dire ça, de l’entendre
reconnaître qu’il était difficile d’aider ceux qui ne veulent pas l’être,
surtout parce qu’elle se sentait responsable de sa sœur et qu’elle
était déterminée à la sauver de Thésée.
— C’est injuste, finit par dire Dionysos.
— Qu’est-ce qui est injuste ?
— Que Thésée ait pu t’avoir, dit-il en toute sincérité, même s’il
n’arrivait pas à la regarder. Il ne te méritait pas. Il ne te mérite
toujours pas, mais il continue à occuper trop de place dans ton esprit.
Il ferait n’importe quoi pour le remplacer, pour occuper son esprit
chaque minute de la journée.
— Pardon, marmonna-t-il d’un ton hésitant. Tu devrais te reposer.
Je monterai la garde pendant que tu dors.
— Je n’ai pas envie de dormir, répondit-elle d’une voix suave qui
attira son attention.
Ils se regardèrent, l’atmosphère devenait lourde et électrique
entre eux. C’était toujours le cas, mais cette fois c’était différent,
d’une certaine manière, encore plus palpable. Dionysos sentait son
désir.
Il eut du mal à déglutir.
— Dans ce cas, que veux-tu faire ?
Il savait ce qu’il voulait, lui. Il le savait depuis le jour où il l’avait
rencontrée, mais son désir ne l’avait pas préparé pour ce qu’elle fit
ensuite.
Elle se pencha pour l’embrasser, une fois, effleurant à peine sa
bouche. C’était un baiser chaste, et il savait qu’elle était capable de
plus, il en avait fait l’expérience. Quand elle commença à reculer, il la
suivit, saisissant sa nuque. Elle ne chercha pas à l’éviter et il
l’embrassa avec fougue, déversant toute la frustration qu’elle avait
accumulée en lui depuis le début.
Ça, pensa-t-il. Voilà combien j’ai envie de toi.
Il rompit le baiser parce qu’il savait qu’il irait trop loin. Or,
étrangement, il était encore plus difficile de la regarder, avec son
regard de braise et sa bouche luisante.
— J’ai envie de toi, dit-elle.
Dionysos voulut répondre, mais aucun son ne sortit de sa bouche.
Il essaya à nouveau.
— Tu es sûre que tu ne t’es pas cogné la tête en tombant, tout à
l’heure ?
— Je suis saine d’esprit, Dionysos, répondit-elle d’un ton agacé.
Je te demande de coucher avec moi. Est-ce que tu dis que tu n’as
pas envie de moi ?
— Non, s’empressa-t-il de répondre. Ce n’est pas ce que je dis du
tout. Putain, Ari. Je veux juste que tu sois sûre.
Elle soutint son regard.
— Je l’ai demandé. Je le veux.
Il déglutit avec peine. Il ne savait pas pourquoi cela lui était si
difficile à accepter. C’était tout ce dont il rêvait depuis qu’il l’avait
rencontrée.
— Pourquoi moi ?
Elle sembla penser que la réponse était évidente, car elle fronça
les sourcils en secouant légèrement la tête.
— Parce que tu prendras soin de moi. Parce que… tu as pris soin
de moi.
Dionysos ne savait pas quoi dire. Une part de lui n’en revenait pas
que ça lui arrive, peu importait combien il l’avait désirée, peu
importait le nombre de fois dont il en avait rêvé, peu importait
combien de fois elle l’avait excité en étant simplement… elle.
Elle se mit debout et enleva son chemisier, révélant ses superbes
seins. Son pantalon suivit de près et, l’espace de quelques sublimes
secondes, elle se tint complètement nue devant lui, les flammes et
leurs ombres dansant sur sa peau.
La verge de Dionysos durcit et se mit à pulser.
Elle posa ses mains sur ses épaules et s’assit à cheval sur lui.
— Touche-moi, chuchota-t-elle en guidant ses mains sur ses
seins.
Il lui obéit, palpant sa chair, jouant avec ses tétons jusqu’à ce
qu’ils soient durs, puis il les prit dans sa bouche. Pendant tout ce
temps, Ariadne se frotta à sa verge, délicatement, lentement. Chaque
coup de bassin lui donna le tournis et quand il leva la bouche vers la
sienne, il suivit avec sa langue le rythme donné par son corps.
— Tu es splendide, dit-il en rompant le baiser. Debout.
Il était tellement habitué à ce qu’elle le contredise qu’il s’attendait
à ce qu’elle lui résiste, mais cette fois, elle lui obéit. Elle se leva et le
visage de Dionysos se retrouva face à son entrejambe. Il pouvait
sentir son sexe et il en eut l’eau à la bouche.
Il glissa ses mains dans son dos, puis sur ses fesses, et la
regarda dans les yeux en déposant des baisers le long d’une de ses
cuisses puis de l’autre. Il promena ses doigts le long de sa fente, où
sa peau était douce comme de la soie, chaude, et quand il enfouit sa
tête entre ses cuisses, il découvrit qu’elle était aussi sucrée et
liquoreuse qu’une figue.
Le rythme de sa respiration suivit celui de sa langue et elle
empoigna ses cheveux pendant qu’il se concentrait sur un point en
elle et qu’elle se massait le clitoris. Il recula la tête pour voir son
expression, ils œuvraient en tandem, au même rythme, cherchant
tous deux son orgasme.
Elle se contracta et empoigna ses épaules en frémissant des
pieds à la tête. Dionysos la lâcha pour se lever, s’emparant de sa
bouche et l’attirant fermement contre lui, prêt à sentir sa chaleur
envelopper sa verge. Il la prit dans ses bras et la porta contre le mur,
ne souhaitant pas la prendre sur le sol dur de la grotte.
Ce n’était pas comme ça qu’il avait imaginé la scène, mais il
n’aurait raté pour rien au monde une occasion de la connaître de
cette manière.
Il appuya son dos contre la partie la plus lisse de la paroi et
l’embrassa. Quand il recula, son regard de braise lui transperça la
poitrine. Il voulait qu’elle le regarde comme ça chaque jour.
— Déshabille-toi, dit-elle en tirant sur son tee-shirt.
Il la reposa pour lui obéir et pendant qu’il enlevait le haut, elle
s’occupa de défaire son pantalon, s’agenouillant devant lui en le lui
baissant. Elle n’attendit même pas qu’il s’en débarrasse pour prendre
sa verge dans sa main et la porter à sa bouche.
Dionysos poussa un grognement, s’appuyant d’une main contre
le mur.
Elle se concentra sur son gland tout en le branlant, le serrant
légèrement jusqu’à ce qu’il se croie sur le point d’exploser. Il la fit se
relever et se jeta sur sa bouche dès qu’elle fut à nouveau dans ses
bras, puis il la pressa contre le mur. Sa queue était entre ses cuisses,
blottie contre sa chaleur, et son bas-ventre se noua d’excitation à
l’idée de ce qui s’apprêtait à arriver.
— Tu veux que j’éjacule où ?
Ce n’était pas la question la plus romantique, mais elle était
importante, et il préférait le savoir avant d’être trop perdu en elle pour
réfléchir.
Elle effleura sa bouche avec la sienne en lui répondant.
— En moi.
Le meilleur moyen de décrire ce qu’il ressentit était de dire qu’il
était étourdi, comme s’il n’avait jamais fait ça. C’était le cas, c’était la
première fois avec elle, et cela comptait pour lui dans des proportions
qu’il n’aurait pas su expliquer.
Il parvint à la soulever suffisamment pour approcher son gland de
sa fente, puis il empoigna ses fesses et elle s’empala lentement sur
son sexe. Ils grognèrent tous les deux et Ariadne appuya sa tête
contre le mur.
— Dieux, tu es parfaite, dit-il en s’avançant pour l’embrasser sur
la bouche, puis sur les seins.
C’était tellement bon, et ses muscles se contractaient sur lui
comme une main qui le branlait. Il ne pouvait demander plus. Il ne
pouvait demander mieux.
Ariadne était tout ce qui existait, elle était le centre de son univers,
et plus elle répondait à son corps, plus il se sentait puissant.
— Putain, gémit Ariadne, dont la voix vibrait avec ses coups de
bassin. C’est tellement bon.
— C’est ce que tu avais imaginé ? demanda-t-il.
— Oui, souffla-t-elle en s’emparant de ses seins sous le regard
émerveillé de Dionysos, qui adorait qu’elle se touche autant. Dieux,
oui, oui, oui.
Sa voix devint de plus en plus aiguë et son corps se contracta sur
lui, puis elle lâcha tout et devint lourde dans ses bras. Mais il s’en
fichait et continua de la porter, accélérant ses coups de bassin
jusqu’à son propre orgasme et, quand il jouit, il laissa tomber sa tête
dans le creux de son cou, les jambes tremblantes.
Il ne put bouger pendant un long moment, craignant de tomber et
de l’emporter avec lui. Quand enfin il la reposa, il eut froid sans la
chaleur de son corps. Il baissa les yeux sur elle et réalisa qu’il ne
savait pas quoi faire, maintenant qu’ils avaient fini.
Devait-il l’embrasser ?
— Ça va ? demanda-t-il plutôt.
— Oui, chuchota-t-elle.
Il hésita.
Putain, pourquoi était-ce aussi difficile ?
— Je vais chercher tes vêtements, marmonna-t-il en tournant les
talons pour ramasser son chemisier et son pantalon.
— Merci, murmura-t-elle quand il les lui tendit.
Ils s’habillèrent en silence puis ils s’assirent côte à côte devant le
feu. Il sentait encore la sensation de sa peau contre la sienne, l’odeur
de son sexe dans l’air. Il était hyper conscient qu’elle était à ses
côtés, à la fois tout près et infiniment loin.
— Tu regrettes ? demanda-t-il soudain.
Elle écarquilla les yeux et chercha son regard.
— Non. Et toi ?
— Non, répondit-il. Je ne le regretterai jamais.

*
* *
Quand Dionysos se réveilla, il avait un bras sur le ventre
d’Ariadne. L’autre était sous sa tête, et il ne le sentait plus. Après
leurs ébats, ils étaient restés assis dans un silence gênant et tendu. Il
était sincère quand il lui avait dit qu’il ne regretterait jamais ce qui
s’était passé entre eux, et si elle avait dit qu’elle non plus, aujourd’hui
était un nouveau jour, et il était possible qu’elle ait changé d’avis.
Malgré ses doutes, il s’émerveilla de sa beauté, peinant à croire
qu’il s’était réveillé à ses côtés.
Quand elle remua, son ventre se noua d’appréhension et il tenta
de se préparer à ce qu’elle le rejette. Mais quand elle ouvrit les yeux,
elle ne chercha pas à lui tourner le dos, au contraire. Il se surprit à
être aussi confus qu’il l’avait été hier soir après le sexe. Il ne savait
plus quoi faire de ses mains, même s’il était très conscient que l’une
d’elles était posée sur son bas-ventre.
— Bonjour, dit-il.
Elle esquissa un sourire et baissa les yeux sur sa bouche.
— Bonjour.
Il prit cela comme une invitation et l’embrassa tendrement. Il avait
l’intention de s’arrêter là, mais c’était compter sans l’enthousiasme
d’Ariadne.
Elle ouvrit plus grand la bouche et il y enfouit sa langue pour
caresser la sienne. Elle tira sur son tee-shirt pour l’inviter à s’allonger
sur elle et il obéit joyeusement, nichant ses hanches contre les
siennes, et les pensées de Dionysos s’emballèrent, ils allaient baiser
à nouveau.
C’était plus qu’il ne l’avait jamais imaginé.
Un bêlement les fit sursauter.
Sans savoir pourquoi, le cœur de Dionysos s’emporta, il leva la
tête et vit un mouton à l’entrée de la grotte, ses pupilles allongées
rivées sur eux.
Ariadne gloussa.
— Va-t’en ! dit Dionysos en jetant une petite pierre vers la bête.
Le mouton bêla de nouveau.
— Ne lui fais pas mal ! dit Ariadne en poussant Dionysos pour
s’asseoir.
Il avait envie de grogner, conscient qu’ils ne reprendraient pas là
où ils s’étaient arrêtés.
— Il a de la chance que ce ne soit qu’un caillou, dit Dionysos.
C’était la deuxième fois qu’un putain de mouton cassait son coup.
Il détestait cette île.
Il retomba sur le dos, les yeux rivés sur le plafond de la grotte.
Ariadne s’approcha lentement de l’animal. Celui-ci avait de la chance
qu’Ariadne soit gentille, parce que si Dionysos l’avait atteint en
premier, il l’aurait jeté à l’autre bout de l’île comme le cyclope l’avait
fait hier.
Pendant qu’il tentait de réprimer sa frustration, la grotte qui
baignait dans la lumière du matin s’assombrit brusquement. Il tourna
la tête à temps pour voir un gros œil bloquer l’entrée, puis une main
géante plongea dans la falaise.
— Ariadne ! cria Dionysos, et elle se mit à hurler en même temps,
emprisonnée dans la main du cyclope.
Quand la créature retira sa main, des morceaux de la grotte se
brisèrent et le sol trembla sous les pieds de Dionysos. Il invoqua son
thyrse et évita une pierre tombant du plafond, courant vers l’entrée de
la caverne, se jetant dans les airs pour sauver Ariadne, mais le
cyclope le saisit dans son autre main. Coincé entre ses doigts,
Dionysos planta son thyrse dans sa paume et le monstre hurla avant
de le jeter.
Le dieu fendit les airs et atterrit au sol en creusant la terre, comme
si ce n’était que de la poussière. Quand il sortit enfin du cratère qu’il
avait formé avec son corps, Ariadne et le cyclope avaient disparu.
Chapitre XXXII

HADÈS

Okéanos était assis sur une chaise face à un miroir.


Il était immobile et ligoté, la poitrine béante après qu’Aphrodite lui
avait dérobé le cœur. D’après ses renseignements, elle avait
conservé l’organe, même s’il n’avait vu ni elle ni Héphaïstos depuis
cette nuit au Club Aphrodisia.
— À quoi sert le miroir ? demanda Hermès.
Hadès croisa son regard dans le reflet.
— À ce qu’Okéanos voie sa torture.
— Stylé, dit Hermès avant de se tourner pour étudier le demi-
dieu. J’espère que tu vas le déchiqueter.
Hadès regarda Hermès en haussant un sourcil.
— Et c’est moi le psychopathe ?
— Il a arraché les cornes de Tyché, répondit Hermès.
Hadès plissa les yeux.
— Réveille-toi, ordonna-t-il, et l’homme prit une soudaine
inspiration malgré le trou dans sa poitrine.
Il regarda autour de lui, confus, jusqu’à ce qu’il voie, comme
prévu, son reflet dans le miroir. Il vit ensuite Hermès, puis Hadès.
— Lâchez-moi ! exigea-t-il.
Hermès gloussa.
— Écoute-le, il croit pouvoir te donner des ordres.
— Comment oses-tu ? siffla-t-il. Je suis le fils de Zeus !
— Moi aussi, dit Hermès. Y a pas de quoi se vanter, crois-moi.
— Tu veux renverser mon frère, mais tu te sers de son nom
comme si ça allait te protéger, dit Hadès. Quelle hypocrisie !
— Tu peux parler, dieu de la Mort, rétorqua Okéanos.
Hadès lui mit un coup de poing si violent que ses os se brisèrent.
Sa tête tomba en arrière et du sang jaillit de son nez.
— Ce n’est pas mon titre, répondit Hadès en agitant sa main. Tu
ferais mieux de te le rappeler, étant donné que tu es dans mon
royaume.
Okéanos sourit en dépit du sang et de son visage meurtri.
— C’est tout ce dont tu es capable ? demanda-t-il. Un petit coup
de poing au visage ?
Hermès regarda Hadès d’un air agacé et Hadès sut ce qu’il
pensait : Je t’avais dit de le déchiqueter, un membre à la fois.
Hadès n’était pas certain de ne pas le faire d’ici la fin de
l’interrogatoire.
— Vas-y, fais-toi plaisir, lança le demi-dieu. Donne ce que tu as
de pire.
— Quelle audace ! dit Hermès.
— Je crois que le mot que tu cherches, c’est hubris, dit Okéanos.
N’est-ce pas ce que vous aimez punir, vous autres Olympiens ? Ce
soi-disant défaut fatal de l’humanité ?
Les dieux avaient rarement à punir l’hubris, car les conséquences
arrivaient d’elles-mêmes, comme c’était le cas d’Okéanos, qui
semblait toutefois l’ignorer.
— Pourquoi Tyché ? demanda Hadès.
Okéanos haussa les épaules.
— Ça paraissait être une bonne chose.
— Vous avez ritualisé la mort d’une déesse qui ne vous avait fait
aucun mal, rétorqua Hadès d’une voix tremblante.
— Il y a toujours des victimes collatérales dans une guerre,
Hadès.
— Tu es bien placé pour le savoir, remarqua le dieu des Morts.
Il avait beau être arrogant, Okéanos semblait oublier qu’il était
mort, lui aussi.
— Eh bien, peut-être qu’aucun de nous deux n’en serions là si tu
n’avais pas baisé avec la mauvaise femme.
Hadès frappa à nouveau Okéanos. Cette fois, ses dents se
plantèrent dans sa peau, mais les coupures se refermèrent aussi vite
qu’elles s’étaient formées.
— Il se fout de ta gueule, Hadès, dit Hermès.
— Tu ne sais même pas combien tu es responsable.
Le demi-dieu éclata d’un rire sifflant.
Hadès leva à nouveau le poing, mais Hermès le retint avant qu’il
n’ait pu le frapper, le regardant dans les yeux.
— Permets-moi, dit-il en se tournant vers le demi-dieu. Tu
sembles avoir oublié ta force. Laisse-moi te le rappeler.
Okéanos ricana.
— Frappe aussi fort que tu peux, bandit.
— Je vais faire mieux que ça… frangin, dit Hermès.
D’un revers de la main, la chaise disparut de sous les fesses
d’Okéanos, mais avant qu’il tombe, Hermès saisit son bras et le plia
dans son dos jusqu’à ce que les os craquent.
Le demi-dieu tomba par terre en hurlant, les dents serrées, mais il
parvint tout de même à parler.
— Vous avez peut-être de la force, mais nous avons les armes.
— On a entendu ça, ouais, répondit Hadès. Et si tu nous en disais
plus ?
Okéanos secoua la tête, le souffle rauque et laborieux.
— Mais non, ne t’arrête pas de parler maintenant, dit Hermès en
reculant davantage son bras. On arrivait justement au plus
croustillant.
Le cri de douleur d’Okéanos résonna dans la salle. Il fallut un
moment pour qu’il se change en sanglots.
— T’as rien à dire ? demanda Hermès.
Il s’apprêtait à tirer de nouveau sur son bras lorsqu’il parla.
— Non ! Non ! Attends ! cria-t-il, face contre terre. S’il vous plaît.
Je vous en supplie. S’il vous plaît.
— Bon, puisque tu l’as demandé gentiment… dit Hermès.
— Il y a un entrepôt dans le quartier des Lacs. C’est là que sont
fabriquées les armes. Les attaques… c’étaient des tests pour voir si
elles marchaient.
— Tu veux dire que c’étaient des… entraînements ? demanda
Hermès d’une voix lugubre, contenant à peine sa colère.
— Le but a toujours été de provoquer un Olympien, admit
Okéanos.
— Quel Olympien ?
— Au début… Aphrodite, cracha Okéanos.
Hermès et Hadès se regardèrent.
— Pourquoi ?
— Parce que Déméter l’a ordonné. C’était son prix en échange de
l’usage de sa magie.
Hadès avait soupçonné Déméter de fournir leurs armes à la
Triade, mais il ne s’attendait pas à ce qu’elle ait ordonné les attaques
contre Adonis et Harmonie. Cela dit, maintenant qu’il y réfléchissait,
ce n’était pas très étonnant. C’était à cause d’Aphrodite qu’Hadès
avait abordé Perséphone cette nuit-là, à Nevernight. Elle l’avait défié
de se débrouiller pour qu’une femme tombe amoureuse de lui, et
c’était pour ça qu’il avait piégé la déesse du Printemps dans un
contrat qui l’obligerait à venir aux Enfers presque tous les jours.
Hadès fronça les sourcils. Ce qu’Okéanos disait était vrai : il était
responsable.
— Dans ce cas, pourquoi Tyché ? demanda Hermès en levant
plus haut son bras.
— Je ne sais pas, gémit le demi-dieu. Mais le combat de Déméter
est contre les Moires.
— Et bien voilà, ce n’était pas si compliqué, dit Hermès.
Il tira alors le bras d’Okéanos, l’arrachant du reste de son corps
comme si ce n’était qu’un bout de papier. Le demi-dieu gigotait à
leurs pieds, Hermès jeta le bras qui atterrit lourdement aux pieds
d’Hadès.
Ce dernier regarda Hermès dans les yeux, notant son visage
maculé de sang, parlant assez fort pour se faire entendre par-dessus
les cris gutturaux du demi-dieu.
— Fais-en ce que tu veux, dit Hadès, mais je veux que cet
entrepôt soit détruit. Et tant que tu y es… réduis ce club en cendres,
aussi.
— Ça roule, dit Hermès avant de saisir l’autre bras d’Okéanos,
mais Hadès partit avant qu’il ne le lui arrache également.

*
* *
Hadès se déshabilla et s’allongea dans le lit avec Perséphone, la
regardant dormir en repensant aux propos d’Okéanos. La nouvelle
que Déméter était derrière les attaques contre Adonis, Harmonie et
Tyché allait la dévaster.
C’était une chose que de soupçonner l’implication de sa mère,
mais c’en était une autre qu’elle soit confirmée.
Hadès se demandait parfois comment quelqu’un pouvait à ce
point détester une autre personne, mais Déméter continuait de le haïr
– tout ça parce que les Moires avaient entremêlé son destin avec
celui de Perséphone. Ce qui était pour lui un cadeau était pour
Déméter la plus grande malédiction qui soit.
Perséphone remua et le cœur d’Hadès se mit à battre plus fort
quand elle se tourna vers lui. Il avait conscience d’avoir trop pris ces
moments pour acquis et se jura de ne plus jamais le faire. Une part
de lui était en colère de ne pas pouvoir vivre tranquillement, en
sachant qu’elle serait pour toujours à ses côtés.
— Tu es réveillée, dit-il d’une voix douce.
Elle lui sourit, comme si cela l’amusait.
— Oui. Tu as dormi ?
— Ça fait un moment que je suis réveillé, répondit-il alors qu’il
n’avait pas fermé l’œil.
Il tendit la main et caressa ses lèvres du bout des doigts.
— Te regarder dormir est une bénédiction, dit-il.
Elle se rapprocha et il la prit dans ses bras, elle posa sa tête sur
son torse.
— Est-ce que Tyché a traversé le Styx ? demanda-t-elle.
— Oui. Hécate l’a accueillie. Elles sont très bonnes amies.
Ils restèrent silencieux un moment, confortables dans leur chaleur
respective. Il aurait aimé rester comme ça pour toujours, coincé sous
le poids de Perséphone, mais il savait qu’ils manquaient de temps.
Les attaques contre le Divin s’aggravaient, et Perséphone n’arrivait
toujours pas à contrôler son pouvoir. Il repensa à ce qu’Hécate lui
avait dit après la catastrophe du club. Elle s’en serait très bien sortie
si elle l’avait canalisé correctement.
— J’aimerais m’entraîner avec toi, aujourd’hui, dit Hadès.
— Ça me plairait.
— J’en doute, dit-il en fronçant les sourcils, dubitatif.
Il n’avait pas l’intention de rendre ça amusant. Quand elle
l’affronterait, ils seraient comme des ennemis sur un champ de
bataille.
Elle ne le reconnaîtrait pas.
Perséphone leva la tête pour le regarder.
— Pourquoi tu dis ça ?
Il l’étudia un moment avant de s’attarder sur sa bouche.
— Souviens-toi seulement que je t’aime.
Elle s’installa à cheval sur lui et s’assit sur sa verge jusqu’à l’avoir
entièrement avalée. Aucun mot ne fut échangé tandis qu’ils
bougeaient ensemble et il n’y eut aucun bruit en dehors de leurs
souffles rapides. Il se perdit en elle, conscient que quand il
ressortirait, les choses ne seraient peut-être plus les mêmes.

*
* *
Le regard de Perséphone effleurait toutes les parties de son corps
et Hadès le sentit le transpercer jusqu’à son âme. Cela rendrait
l’entraînement plus difficile pour elle, et encore pire pour lui. Il voyait
déjà l’incertitude dans son regard. Elle ne savait comment réagir face
à sa froideur. Il ne s’était jamais montré indifférent avec elle, mais ils
avaient pénétré un espace où enseigner Perséphone impliquait de lui
montrer un pouvoir plus dur – la terrible vérité au sujet des dieux.
Perséphone avait peur de blesser les mortels.
Elle ne pouvait pas avoir peur de blesser le Divin.
— Je refuse de te regarder saigner à nouveau, dit-il.
C’était un serment qu’il lui prêtait, et une promesse qu’il se faisait
à lui-même.
— Apprends-moi.
Elle pensait savoir ce qu’elle lui demandait, tout comme elle l’avait
cru le soir où ils s’étaient rencontrés dans son club.
« Je ne t’ai pas encore appris à jouer, avait-il dit.
— Alors apprends-moi », avait-elle répondu.
Ces mots avaient scellé leur sort.
Ils étaient responsables de tous les hauts et de tous les bas qu’il
avait connus dans sa vie.
Mais même Hadès n’avait pas cru qu’ils le mèneraient à ce
moment, où il se tenait face à sa maîtresse, sa future femme et reine,
avec l’intention de devenir son ennemi.
Il détestait ça, cela lui semblait mal et donnait une noirceur à sa
magie qu’il n’aurait pas utilisée, en temps normal. Mais il fallait que
Perséphone en fasse l’expérience.
Quoi qu’elle vît sur son visage, elle fronça les sourcils.
— Tu m’aimes, chuchota-t-elle, et Hadès ne sut si elle lui posait la
question ou tâchait de se le rappeler.
— Oui, promit-il.
Le poids de sa culpabilité rivalisait avec celui de sa magie.
Elle rendait l’atmosphère pesante et réduisait les Enfers au
silence.
Perséphone regarda autour d’elle d’un air inquiet et son angoisse
réveilla sa propre magie. Pourtant, ce n’était pas suffisant, et il
regretta qu’elle n’ait pas dressé une meilleure barrière contre les
spectres qu’il avait invoqués.
Ces derniers se nourrissaient des ombres et étaient affamés
d’âmes. Ils chassaient tout ce qui en possédait une – même les
déesses. Ils se précipitèrent sur Perséphone, presque imperceptibles
jusqu’à ce qu’ils la frappent, lui coupant le souffle. Hadès souffrit de la
voir encaisser le coup et de voir son corps bouger de façon
surnaturelle alors que les spectres la traversaient. Elle tomba à terre,
cherchant désespérément à reprendre son souffle.
— Les spectres sont la mort et la magie de l’ombre, dit Hadès. Ils
essaient de voler ton âme.
Perséphone leva les yeux vers lui.
— Est-ce que… tu essaies de me tuer ?
Il rit d’un ton lugubre. Une part de lui n’en revenait pas de faire ça
et qu’elle le lui ait demandé.
— Les spectres ne peuvent s’emparer de ton âme que si ton fil a
été coupé, mais ils peuvent te rendre très malade.
Perséphone se leva lentement.
— Si tu affrontais n’importe quel Olympien, n’importe quel
ennemi, il ne t’aurait jamais laissée te relever.
— Comment puis-je me battre sans savoir quel pouvoir tu vas
utiliser contre moi ?
— Tu ne le sauras jamais, dit-il.
C’était ainsi qu’ils devraient affronter les demi-dieux. À l’aveugle.
Le but était d’être prêt à tout.
La main d’un cadavre jaillit du sol à ses pieds. Perséphone hurla
quand elle saisit sa cheville, la tirant par terre, la traînant dans son
abîme, déterminé à l’enterrer vivante.
— Hadès !
Il détesta sa façon de crier et encore plus qu’elle l’appelle à l’aide.
Il détesta la voir planter ses ongles dans le sol pour tenter d’échapper
à sa magie.
Mais il était également frustré.
Elle comptait sur lui parce qu’il était présent, alors qu’elle devait
compter sur elle-même. Elle était intelligente et capable d’agir. Un
immense pouvoir faisait rage en elle, capable de retourner sa propre
magie contre lui, mais elle continuait de se comporter comme une
mortelle prise dans une toile d’araignée.
Elle fit enfin quelque chose.
Elle roula sur le dos et tenta de se dégager, mais la magie
d’Hadès était défensive et dès qu’elle toucha la main, des lames en
jaillirent. Perséphone hurla et Hadès sentit sa colère augmenter.
Oui, chérie, c’est ça.
Sa magie surgit et une épine sortit de sa peau. Elle la planta sur la
main noire, qui la lâcha. Mais si elle s’était libérée d’un défi, il lui en
renvoya un autre, et un nouveau spectre se rua sur elle.
Elle se cambra quand il la traversa et Hadès eut l’impression que
ses cris lui dérobaient son âme, morceau par morceau.
Hadès ravala la bile qui remontait dans sa gorge, il la rejoignit,
elle cherchait à reprendre son souffle.
— C’est mieux, dit-il, mais tu m’as tourné le dos.
Il était penché sur elle, mourant d’envie de la prendre dans ses
bras, de lui dire qu’il la protégerait de tout ça. Mais en vérité, il ne le
pouvait pas. Il l’avait déjà prouvé, donc elle devait apprendre.
Les mains de Perséphone tremblaient, elle serrait les poings. Il
disparut, alors que sa magie surgissait et que des ronces sortaient de
terre tout autour d’elle. Elle essayait de se défendre, mais elle avait
échoué.
Elle se mit à quatre pattes et le fusilla du regard, les joues striées
de larmes.
— Ta main a trahi tes intentions. Invoque ta magie avec ton esprit,
sans bouger.
— Je croyais que tu avais dit que tu allais m’apprendre, siffla-t-
elle, et Hadès eut l’impression qu’elle lui disait « je croyais que tu
m’aimais ».
Hadès inspira difficilement.
— C’est ce que je fais. C’est ce qui t’arrivera si tu affrontes un
dieu au combat. Tu dois être prête à tout.
Elle avait l’air misérable et il se sentit responsable.
— Debout, Perséphone. Aucun autre dieu n’aurait attendu.
Elle plongea les yeux dans les siens, et son regard était différent,
cette fois. Différent, même, de la nuit où elle avait failli détruire son
royaume. Ce regard-là avait révélé la douleur d’avoir été trahie.
Celui-ci révélait sa rage.
Quand elle se leva, le sol se mit à trembler et la terre explosa.
Hadès envoya ses spectres et il regarda, à la fois choqué et
impressionné qu’ils se plient à la volonté de Perséphone et
remontent le long de son bras pour pénétrer sa peau.
Elle frémit quelques secondes, puis elle ouvrit la main, révélant
ses doigts couronnés de lames noires.
— Bien, dit-il.
Elle le regarda dans les yeux et lui sourit, mais ce ne fut que de
courte durée, car elle se retrouva à genoux. Sa tête tomba en arrière
et elle se mit à convulser pendant qu’Hadès la nourrissait d’illusions
qu’il avait façonnées en s’inspirant de ses plus grandes peurs.
C’était une véritable torture.
Il le savait, mais c’était une arme de guerre, et il n’était pas le seul
à en être doté. Elle devait apprendre à percevoir la différence, mais il
sut en voyant ses peurs se matérialiser qu’elle avait déjà perdu, elle
pensait que c’était vrai.
Peut-être qu’il n’aurait pas dû commencer avec Déméter, dont
l’expression dure et froide inspirait la peur même chez Hadès.
— Mère… sanglota Perséphone.
— Coré, dit Déméter, prononçant comme une malédiction ce
prénom que Perséphone détestait tant.
Elle essaya de se lever, mais Déméter la maintenait au sol.
— Je savais que ce jour viendrait. Tu seras mienne. Pour
toujours.
— Mais les Moires…
— Ont changé ton destin, déclara la déesse de la Moisson.
L’estomac d’Hadès se noua, c’était l’une de ses plus grandes
peurs, à lui aussi.
Déméter se téléporta avec Perséphone, ce qui ne fit que rendre
l’illusion plus réelle encore, car l’odeur de sa magie envahit les sens
de Perséphone. Hadès l’observa quand elle se retrouva dans
l’orangerie, sa première prison.
Elle se débattit à l’intérieur, frappant les murs de verre en hurlant,
déversant toute sa haine sur sa mère, qui se contentait de la regarder
d’un air moqueur.
Elle redevint silencieuse quand tout devint noir et qu’elle fut
forcée de voir les vies de ses amies défiler durant son absence. La
pire des visions fut quand elle vit Leucé reprendre sa place d’amante.
La mine horrifiée de Perséphone était insupportable à voir. Elle serra
les poings et sa poitrine se souleva, ses yeux se remplirent de
larmes, et elle hurla.
Elle hurla si fort qu’elle en tremblait.
— Perséphone, dit-il, mais sa réalité avait déjà changé et quand
Hadès la découvrit, un goût métallique remplit sa gorge.
Ils se trouvaient sur un champ de bataille et il était allongé aux
pieds de Perséphone, déchiré par sa magie.
Cela lui rappela la vision de Katerina, une vision qui deviendrait
vraie si l’Ophiotauros était tué.
— Hadès, dit-elle d’une voix tremblante.
Elle tomba à genoux à ses côtés, comme si elle avait été frappée.
— Je croyais… je ne croyais plus jamais te revoir, chuchota
Hadès en levant sa main tremblante vers son visage.
Elle pressa sa paume contre sa joue.
— Je suis là, murmura-t-elle en fermant les yeux pour savourer sa
caresse, jusqu’à ce que sa main retombe.
— Hadès !
— Hmmm ?
— Reste avec moi, supplia-t-elle en pleurant et en prenant son
visage dans ses mains.
— Je ne peux pas, dit-il.
— Comment ça ? Tu peux te guérir. Guéris-toi !
— Perséphone, chuchota-t-il. C’est fini.
— Non, répondit-elle en secouant la tête.
— Perséphone, regarde-moi, dit-il, tu étais mon seul amour, mon
cœur et mon âme. Mon monde a commencé et fini avec toi, mon
soleil, mes étoiles, mon ciel. Je ne t’oublierai jamais, mais je te
pardonne.
— Tu me pardonnes ?
C’est alors qu’elle comprit ce qu’Hadès savait déjà, qu’elle s’était
battue contre lui et qu’elle avait détruit les Enfers. Elle l’avait détruit,
lui.
Était-ce pour cette raison qu’elle refusait d’exploiter sa magie ?
Parce qu’elle en craignait le potentiel ? Elle craignait cette réalité ?
Hadès se devait d’être honnête, il le craignait aussi, et cela ne fit
qu’empirer quand Perséphone tenta de défaire sa magie en suppliant
Hadès de rester.
— Non, s’il te plaît, Hadès. Je ne voulais pas…
— Je sais, dit-il lentement. Je t’aime.
— Ne fais pas ça, supplia-t-elle. Tu avais dit que tu ne me
quitterais jamais. Tu avais promis.
Les cris de Perséphone lui transpercèrent les tympans alors que
ses visions prenaient fin et que tout devenait noir. Son corps se raidit,
et elle tomba au sol.
Hadès courut pour la rattraper et il la tint contre lui. Elle reprit
bientôt connaissance et cligna des yeux. Ils se remplirent de larmes.
— Tu t’en es bien sortie, dit-il.
Elle couvrit sa bouche, puis ses yeux, et fondit en larmes,
tremblant dans ses bras.
— Tout va bien, dit-il. Je suis là.
Mais Perséphone sanglotait de plus belle. Il détesta ne pas
pouvoir la calmer, et il s’en voulut encore plus quand elle recula pour
prendre ses distances.
— Perséphone…
— C’était cruel, dit-elle. Quoi que tu aies fait, c’était cruel.
— C’était nécessaire, dit Hadès. Tu dois apprendre…
— Tu aurais pu me prévenir. Est-ce que tu sais ce que j’ai vu ?
Elle se comportait comme si cela avait été facile à voir pour
Hadès.
— Et si les rôles avaient été inversés ?
— Mais ils ont été inversés, rétorqua-t-il.
Et cela avait été la réalité, pour lui.
Elle pâlit soudain et eut l’air horrifiée.
— Alors tu as voulu me punir, c’est ça ?
— Perséphone…
Ça n’était pas son intention. Putain. Il tendit la main, mais elle fit
un pas en arrière.
— Non ! gronda-t-elle en levant les mains. J’ai besoin de temps.
Seule.
— Je ne veux pas que tu partes, dit-il.
— Je ne crois pas que tu aies le choix, répondit-elle.
Elle prit une grande inspiration tremblante, comme si elle
rassemblait son courage pour partir, et quand elle eut disparu, Hadès
poussa un grognement guttural.
Chapitre XXXIII

DIONYSOS

Dionysos se retrouva à gravir la montagne encore une fois, et s’il


était plus rapide sans Ariadne, il aurait largement préféré qu’elle le
ralentisse.
Nom de dieux, putain.
Il était en colère, mais il était surtout inquiet.
Dionysos ne savait pas grand-chose sur les cyclopes en dehors
du rôle qu’ils avaient joué dans les temps anciens. Ils avaient été de
grands artisans et avaient aidé les Olympiens à combattre les Titans.
S’il savait que certains continuaient de travailler pour eux, ils ne
semblaient pas avoir tous évolué de la même façon, comme le
prouvait celui-ci qui arpentait cette île en quête de moutons. Et s’il
mangeait des moutons, il mangeait sans doute des humains.
Quand Dionysos arriva au sommet, il observa l’île, qui était bien
plus grande qu’il ne le pensait, dotée de profonds canyons et de
collines arrondies. Le cyclope avait beau être énorme, Dionysos n’en
vit pas la trace et n’entendit rien qui indiquait sa présence. C’était
comme s’il avait disparu.
Cela ne fit qu’aggraver son angoisse et il ressentit un frisson
familier de peur qui le glaça jusqu’aux os. Il contracta sa mâchoire et
serra les poings, refusant de laisser la folie prendre le dessus. Si
c’était le cas, il ne servirait plus à rien, et le cyclope ne serait pas le
seul à mourir dans sa quête pour sauver Ariadne.
Il prit de grandes inspirations jusqu’à ce que le sentiment
disparaisse, mais le fait qu’il soit remonté si vite à la surface
l’inquiétait. Heureusement, pour l’instant, il gardait le contrôle.
Il dévala la montagne, revenant sur ses pas jusqu’à la
maisonnette où il avait guéri Ariadne, puis jusqu’au rivage, où il avait
rencontré le vieil homme.
— Hello ! cria-t-il. J’ai besoin de vous, vieil homme ! Le cyclope l’a
emportée !
Il fit les cent pas sur la plage et aperçut quelque chose du coin de
l’œil. Il sursauta et découvrit le dieu étrange, debout sur les rochers,
comme la dernière fois.
— Putain, mais d’où vous venez ? demanda Dionysos.
— Je vous ai sauvé la vie une fois, répondit le vieillard.
Qu’attendez-vous de plus ?
— Le cyclope a pris ma…
Dionysos hésitant, ne sachant ce qu’il s’apprêtait à dire.
— Le cyclope a pris Ariadne, et je ne sais pas où il l’a emmenée.
J’ai escaladé cette fichue montagne, j’ai observé toute cette putain
d’île. Où l’a-t-il emmenée ?
— À son repaire, je présume.
Dionysos fit un pas en avant, les mains tremblantes.
— Où ? insista-t-il en serrant les dents.
— De l’autre côté du détroit, répondit l’homme.
Dionysos se tourna dans la direction où le vieillard avait hoché la
tête et, au loin, séparé par l’océan, il vit quelque chose qui
ressemblait à un archipel, mais les îles étaient à peine visibles à
l’horizon.
Dionysos fit volte-face vers le vieil homme.
— Et vous n’avez pas pensé que cette information avait de la
valeur quand vous m’avez demandé de le tuer ?
— Rien n’a autant de valeur que votre vie, répondit l’homme.
Dionysos avança à nouveau vers lui.
— Et je suis à deux doigts de prendre la vôtre !
Il tourna les talons et marcha vers la mer.
— Je ne ferais pas ça, si j’étais vous, prévint le vieillard.
— Et par quel autre moyen je suis censé atteindre cette putain
d’île ?
— Il vaudrait mieux que vous attendiez le retour du cyclope.
— Vous avez oublié qu’il l’a prise ?
Le vieil homme le dévisagea avant de se concentrer à nouveau
sur l’autre île.
— Il n’y a que deux façons de l’atteindre : par les rochers, où la
mer est violente, ou par le détroit, où vivent Charybde et Scylla.
Choisissez l’un des deux passages, et vous mourrez sûrement.
Dionysos connaissait bien les deux monstres marins dont parlait
le vieil homme. Charybde était un tourbillon mortel capable de
détruire des navires en une seconde. Scylla était un monstre à six
têtes dotées de trois rangées de dents acérées. Les créatures
vivaient en face l’une de l’autre de sorte que quiconque passait dans
leur territoire et essayait d’en éviter une tombait dans les griffes de
l’autre.
— Merci pour le vote de confiance, marmonna Dionysos en
avançant dans les vagues.
Il essaya, en vain, de courir à contre-courant jusqu’à ce qu’il
puisse nager. Il avança d’abord plutôt bien, mais l’eau lui paraissait
lourde et ses bras devinrent brûlants. Il eut de plus en plus de mal à
maintenir la tête hors de l’eau, et son nez et le fond de sa gorge
s’irritèrent sous l’effet du sel. Plus ses bras et ses jambes fatiguaient,
moins il était sûr d’avancer, mais il fallait qu’il y arrive pour Ariadne.
Il cria, frustré, puis il se mit sur le dos et flotta à la surface de l’eau.
Le soleil lui brûlait la peau, mais il resta dans cette position jusqu’à
pouvoir bouger à nouveau.
En approchant du détroit, il sentit le courant changer et sut que
Charybde était réveillée, elle agitait la mer de toutes ses forces. Il
dessina un arc de cercle plus grand, conscient que cela le
rapprocherait de Scylla, mais s’il devait affronter l’un des deux
monstres, il préférait celui qu’il pouvait poignarder plutôt que celui qui
le noierait.
Quand il pénétra dans le détroit, il resta près du pied de la falaise,
s’accrochant aux rochers pour éviter d’être emporté dans le tourbillon
de Charybde, qu’il pouvait voir à la surface, comme un vortex de
mousse et de sable.
Concentré pour lutter contre le courant, il leva la tête au moment
où un caillou heurta son visage, et il se retrouva nez à nez avec six
têtes qui se précipitaient sur lui.
— Putain !
Il bougea à la dernière seconde, évitant de peu les dents de l’une
des têtes. Celles-ci plongèrent dans l’océan et quand elles reprirent
de l’élan, cinq d’entre elles poussèrent un cri aigu, car la sixième
tenait un dauphin entre ses crocs. Jalouses, les deux têtes voisines
sifflèrent et leurs mâchoires claquèrent. Bientôt, trois des têtes se
battaient entre elles et des morceaux de chair de dauphin tombaient
sur Dionysos. Les regards des trois autres étaient rivés sur lui.
Dionysos invoqua son thyrse alors qu’elles fonçaient sur lui. Cette
fois, il transperça l’une des têtes avec la pointe de son sceptre au
moment où elle était sur le point de le croquer. Elle recula
brusquement en hurlant, puis elle tomba dans l’eau et ne bougea
plus. Les cinq autres crièrent et se jetèrent sur lui.
— Merde !
Dionysos sauta sur la nuque de celle qui était immobile et courut
dessus, pourchassé par les autres et leurs dents affûtées. Il vira à la
dernière minute et sauta sur une autre tête glissante avant de bondir
sur une troisième quand la précédente fut heurtée par sa sœur.
Cette chose est stupide, constata Dionysos en plantant son
thyrse et en se baissant quand deux autres têtes se précipitèrent sur
lui et se percutèrent. L’impact le secoua et il tomba dans l’eau,
immédiatement happé par le courant de Charybde. Il eut beau lutter,
il s’enfonça sous la surface. L’eau remplit son nez et sa bouche et il
chercha désespérément quelque chose à quoi s’accrocher, mais il
n’y avait rien en dehors du poids de l’eau qui l’écrasait. Mais le
tourbillon de Charybde le rapprocha de l’autre côté du détroit, si près,
même, qu’il s’écorcha sur les rochers en les heurtant.
Il n’eut pas le temps de planter ses ongles dans le caillou, car il
était reparti pour un tour. L’eau se démenait pour l’engloutir, mais il
parvint à placer ses bras de sorte qu’en s’approchant à nouveau de
la falaise, il y planta son thyrse. Il s’y accrocha, l’eau s’agitait toujours
violemment. En face de lui, les têtes survivantes de Scylla hurlaient,
mais tant que Charybde tourbillonnait, il était en sécurité.
Scylla battit en retraite jusqu’à sa grotte, traînant ses deux têtes
inertes derrière elle.
Dionysos n’avait aucune idée du temps qu’il resta accroché à son
thyrse, mais il finit par sentir le courant ralentir, et Charybde cessa
bientôt son attaque. Il se sentait faible et nager jusqu’au rivage lui
paraissait impossible, mais il n’avait pas le choix. Quand enfin il
approcha de l’île du cyclope, un immense soulagement l’envahit.
Il se précipita, ne pensant qu’à Ariadne – à son goût lorsqu’il
l’avait embrassée, à la sensation de son corps.
Il ne l’avait pas connue assez longtemps pour la perdre à jamais.
L’idée le motiva pour continuer d’avancer, et quand il sentit le sol
sous ses pieds, il y planta les orteils et essaya de courir. Il atteignit la
plage en titubant et il tomba à genoux, le visage dans le sable, puis il
perdit conscience.

*
* *
Un cri étranglé le réveilla.
Il roula sur le dos, invoquant son thyrse, mais il se retrouva nez à
nez avec un mouton.
— Tu viens d’où, toi ? aboya-t-il.
Le mouton bêla bruyamment et Dionysos grimaça.
Il avait mal à la tête et le soleil aggravait sa migraine. Il plissa les
yeux et regarda autour de lui. L’île du cyclope était vaste et boisée,
parsemée de hautes montagnes.
Si le cyclope s’y trouvait, Dionysos n’avait aucun moyen de le
savoir.
— Bèèèè !
Le cri du mouton le fit sursauter.
— Dieux, tu veux bien arrêter de faire ça ?!
Il fusilla le mouton du regard, mais celui-ci continuait de lui bêler
dessus.
— Qu’est-ce que tu veux ? aboya Dionysos en se levant.
L’animal recula, puis commença à se tourner en bêlant.
— Je ne vais pas te suivre, dit Dionysos.
Le mouton parut lui lancer un regard assassin, ce qui mit le dieu
mal à l’aise. Il lui rappelait le regard frustré d’Ariadne.
Merde. A-t-elle été changée en mouton ?
Et si ce mouton était Ariadne ?
Bon sang, tu n’es qu’un imbécile, se dit-il.
Pourtant, il se surprit à avancer vers le mouton, qui bêla à
nouveau avant de se diriger vers la forêt.
Dionysos le suivit, se sentant ridicule, mais en espérant
néanmoins que la bête le mènerait à d’autres et, enfin, au cyclope.
La végétation était dense et variée et le sol était couvert de lianes
dans lesquelles il se prenait les pieds. Après avoir trébuché une fois,
il perdit patience et utilisa sa magie pour se dégager un chemin
derrière le mouton. Ils arrivèrent bientôt à une rivière tranquille, que
l’animal longea pour remonter vers la partie montagneuse de l’île.
Au bout d’un moment, le mouton se retourna vers lui.
— Bèèè ! hurla-t-il.
Dieux, il détestait ce bruit. L’animal levait la tête vers une grotte où
d’autres bêtes étaient rassemblées.
Son cœur se mit à battre la chamade. Ce devait être le repaire du
cyclope.
Dionysos traversa la rivière et escalada la pente jusqu’à la
caverne où les animaux étaient parqués. Le sol était couvert d’os et
son estomac se souleva. Il se retint d’appeler Ariadne, ne sachant
pas ce qu’il trouverait dans la grotte. Elle paraissait plutôt bien
éclairée, car une partie du plafond s’était affaissée, permettant aux
rayons du soleil d’y pénétrer. L’entrée donnait sur une pente douce
au pied de laquelle se trouvait un lac vert.
Les moutons y étaient rassemblés et leurs bêlements résonnaient
dans la caverne, faisant grimacer Dionysos, même s’il espérait que
cela suffirait à étouffer le bruit de ses pas alors qu’il pénétrait dans les
parties plus sombres du gouffre, à la recherche d’une trace
d’Ariadne.
Soudain, il vit une main blanche dans la pénombre.
— Ari ! s’écria-t-il, ne pouvant s’en empêcher.
Il courut vers elle et il était à deux doigts de toucher sa main
quand elle disparut.
Dionysos écarquilla les yeux et leva la tête sur deux pupilles
cerclées de rouge.
— C’est quoi ce bordel ? dit-il en invoquant son thyrse.
L’arme parut énerver la créature tapie dans l’ombre, car ses yeux
scintillèrent et elle poussa un cri en fonçant sur lui.
Dionysos était nez à nez avec l’Ophiotauros. Son dos était voûté,
sa tête vers l’avant, et ses sabots frappaient le sol.
Il prit de l’élan et fonça à nouveau, s’avançant un peu plus dans la
lumière. Dionysos vit alors le reste de son corps, qui passait de celui
d’un taureau à celui d’un serpent, dont la queue était enroulée de
manière protectrice autour d’Ariadne, qui était inconsciente.
— Ari, répéta Dionysos en avançant vers elle, mais l’Ophiotauros
rugit et il se figea. Tout doux, dit le dieu en levant les mains. Je suis
venu la sauver.
La créature le dévisagea, immobile.
— Tu la protégeais ?
La bête souffla plusieurs fois et Dionysos en profita pour avancer
avec précaution.
Il ne quitta pas la créature des yeux jusqu’à ce qu’il puisse
s’agenouiller à côté d’Ariadne. Il voulait la prendre dans ses bras et
s’assurer qu’elle allait bien, mais il savait que s’il s’en allait trop vite,
la bête réagirait.
Au lieu de ça, il caressa son visage et marmonna son prénom, et
elle ouvrit les yeux.
Elle parut d’abord confuse, puis elle le reconnut et eut l’air
profondément soulagée. Elle lui sourit. Cet instant ne dura pas, car
l’Ophiotauros émit un meuglement sourd quand une ombre passa sur
eux.
Quelque chose n’allait pas.
Dionysos se figea, puis se tourna juste à temps pour voir la main
du cyclope foncer sur lui.
— Étranger, dit-il d’une voix tonitruante qui irrita les oreilles de
Dionysos.
La main du cyclope se referma sur lui, lui coupant le souffle. Il le
porta devant son œil plissé.
— Tu es venu voler mes moutons ?
— Non, dit Dionysos en se débattant.
Ses mains étaient coincées le long de son corps, de sorte qu’il ne
pouvait invoquer son thyrse. Même s’il l’avait pu, il n’avait pas la
place de s’en servir.
— Je ne suis pas venu pour tes moutons, dit-il.
— Alors tu es venu me tuer, gronda le cyclope d’un ton furieux.
— Ce sont tes seuls visiteurs ? demanda Dionysos. Ceux qui
veulent voler tes moutons et ceux qui veulent te tuer ?
— Visiteurs ? demanda le cyclope. Je ne connais pas ce mot. Je
connais voleur. Je connais assassin.
— Alors permets-moi de t’en apprendre un autre, dit Dionysos.
— Je connais aussi farce, dit le cyclope. C’en est une ?
— Non. Mais si ça peut te faire plaisir, je peux t’offrir quelque
chose pour te montrer ma bonne foi.
— Quel genre d’offrande, étranger ?
— Mon tout meilleur vin.
— Je ne connais pas vin, dit le cyclope.
— Eh bien, ça change aujourd’hui, dit le dieu. Pose-moi et je
partagerai ma boisson avec toi.
— Pas de farce ? demande le cyclope, sur ses gardes, mais
curieux.
— Aucune, promit Dionysos.
Le cyclope le dévisagea quelques instants – assez longtemps
pour que Dionysos se dise qu’il allait peut-être choisir de le broyer –,
mais il finit par le reposer.
Dionysos en profita pour regarder Ariadne et l’Ophiotauros, mais
il ne pouvait pas les voir, car ils étaient tapis dans l’ombre de la
grotte.
Il avança avec précaution vers le lac.
— Est-ce que tu bois cette eau ?
— Je bois, je nettoie, je lave.
Dionysos s’efforça de ne pas avoir l’air dégoûté en invoquant sa
magie et en changeant l’eau en vin rouge.
Il se tourna vers le cyclope.
— Bois, mon ami.
Le cyclope l’étudia d’un air suspicieux, mais il finit par former un
bol avec sa main et la plonger dans l’eau pour la remplir de vin. Il
porta sa main à sa bouche et s’arrêta un instant, découvrant le goût
sur sa langue.
— C’est bon, ronronna-t-il avant d’enfouir toute sa tête dans le
vin, vidant le lac.
Le cyclope s’assit au milieu de ses moutons, et Dionysos attendit
que le vin fasse son effet.
— Quel est ton nom, étranger ?
— Oh, je suis personne, dit Dionysos, préférant ne pas révéler
son nom, même s’il était un dieu.
— Personne ? dit le cyclope. Je suis Polyphème.
— Enchanté.
— Comment es-tu arrivé sur mon île ?
— Je me suis échoué ici, dit Dionysos. Je crains de ne pas savoir
où je suis.
— On est sur Thrinacie. Il faut que tu le saches si tu veux revenir
un jour.
Dionysos lui sourit. Au moins il savait à peu près où ils étaient.
— Tu veux plus de vin ? demanda Dionysos.
— Mais il n’y a plus d’eau à changer en vin, dit Polyphème.
— Je n’ai pas besoin d’eau pour faire du vin, dit Dionysos.
Soudain, le lac fut rempli, et Polyphème le vida à nouveau.
Cette fois, Dionysos le resservit sans demander.
— C’est une sacrée farce, dit Polyphème en clignant lentement
des yeux et en vacillant.
— Je suppose qu’on peut appeler ça une farce, oui.
— Je crois… je crois que j’ai été empoisonné, bafouilla le cyclope.
Il pencha dangereusement sur le côté, puis s’étala sur le sol,
inconscient.
Dès qu’il fut à terre, Dionysos se leva d’un bond et Ariadne sortit
de l’ombre en courant, elle se jeta dans ses bras.
— Dionysos, chuchota-t-elle.
Son nom ne lui avait jamais paru aussi doux.
Il l’embrassa et prit son visage dans ses mains.
— Est-ce que tu vas bien ?
— Oui, dit-elle en le regardant dans les yeux. Tu es venu me
chercher.
— Bien sûr.
L’Ophiotauros souffla, attirant leur attention, et Ariadne prit la
main de Dionysos pour se rapprocher de la créature.
— Je te présente Bully, dit-elle. C’est un ami.
— Bully ? répéta Dionysos.
Un ami ?
— Tu as baptisé l’Ophiotauros ?
— Il fallait bien que je lui donne un nom, il m’a protégée.
Dionysos sourit en secouant la tête.
— Putain, Ari. Je ne savais pas quoi penser. Je…
— Tout va bien, Dionysos, dit-elle en le regardant dans les yeux,
et il l’embrassa encore une fois.
Il était trop soulagé pour se poser des questions, trop
reconnaissant qu’elle aille bien pour se sentir mal à l’aise ou pour
hésiter.
— Trop chou, dit une voix, et l’Ophiotauros rugit.
Ils se tournèrent et se trouvèrent face à Thésée et à deux
hommes qui avaient immobilisé l’Ophiotauros. Bully était plaqué sur
le dos et son ventre lisse était exposé.
Ariadne n’eut même pas le temps de hurler avant que Thésée ne
plonge son couteau dans le ventre de la bête et le fende.
— Non ! cria Ariadne en se débattant dans les bras de Dionysos,
qui refusait de la lâcher.
Le cri de l’Ophiotauros se changea en un faible gémissement,
puis il ne fit plus aucun bruit.
— Va te faire foutre ! cracha Ariadne en sanglotant.
Dionysos la serra contre lui, les bras croisés sur sa poitrine.
— Alors ça, je ne m’y attendais pas, dit Thésée. Tu t’es attachée à
un autre monstre que Dionysos.
— C’est toi, le monstre ! siffla-t-elle.
Thésée posa sa main sur son cœur.
— Oh, comme tu me blesses, Ariadne, après tous les soins que je
prodigue à ta sœur.
— Ne le laisse pas te provoquer, Ari.
— Ah, c’est Ari, maintenant ? demanda Thésée en rivant son
regard sur Dionysos. Tu t’es mis à l’appeler comme ça avant ou
après que vous avez baisé ?
Dionysos le fusilla du regard. Il ne savait pas si le demi-dieu
faisait des suppositions, mais sa fixette sur Ariadne était évidente.
C’était plus que de la jalousie. C’était une obsession.
Les hommes de Thésée en finirent avec l’Ophiotauros, puis ils se
postèrent à ses côtés, les mains pleines d’intestins.
— C’est dommage, Ari, que tu ne voies pas mon potentiel alors
même que je le tiens entre mes mains.
— Tes mains à toi sont vides, dit-elle.
Dionysos gloussa, mais Thésée lui lança un regard assassin en
esquissant une moue furieuse, puis il leva la main dans laquelle il
tenait le couteau ensanglanté.
— Oh, regarde. Tu te trompes, dit-il.
Thésée apparut devant eux et voulut poignarder Ariadne, mais
Dionysos para le coup avec son bras. La lame se planta dans sa
chair, mais il invoqua son thyrse en même temps et le planta dans le
ventre du demi-dieu. Celui-ci écarquilla les yeux et Dionysos se
dégagea de lui. Thésée tituba en arrière, une main sur son ventre.
— Si tu la touches, je te tuerai, dit Dionysos.
— Va falloir faire la queue, répondit Thésée.
Il sourit, révélant ses dents couvertes de sang.
Apparemment, Thésée mettait du temps à se guérir. C’était une
faiblesse qui pouvait être fatale. Il en était clairement conscient, car il
décida de ne pas réattaquer. Au lieu de ça, ses deux hommes et lui
disparurent, emportant les intestins de l’Ophiotauros avec eux.
Une fois seuls, Dionysos lâcha Ariadne, qui se jeta à genoux
devant la créature. Elle poussa un cri atroce en tendant la main pour
la caresser, et la seule chose que Dionysos put faire fut de la tenir
dans ses bras.
— Je le déteste, dit Ariadne d’une voix tremblante.
— Je sais.
Il ne sut pas combien de temps ils restèrent là, mais il sentit la
magie d’Hermès surgir et il se redressa, sur ses gardes. Il savait que
c’était un réflexe après que le dieu de la Ruse avait hanté ses rêves
une ou deux fois. Tandis que sa magie les entourait, ils furent tirés de
la grotte et déposés sur le sol brillant du bureau d’Hadès, à
Nevernight.
— Je ne pensais pas te voir un jour agenouillé à mes pieds, dit
Hadès.
Dionysos ignora Hadès et se leva en aidant Ariadne à en faire de
même. Elle s’essuya le visage, essayant de se remettre de l’horreur
qu’ils venaient de vivre dans la grotte.
Quand Dionysos leva les yeux vers le dieu des Morts, il découvrit
un mélange de frustration et de confusion sur son visage.
— Peut-être devrais-tu t’entraîner à t’agenouiller, toi aussi, dit le
dieu de la Vigne. Il va falloir t’y faire. Thésée a tué l’Ophiotauros.
Chapitre XXXIV

HADÈS

Hadès était assis sur le canapé, les yeux rivés sur les flammes de
la cheminée. Il aurait dû réfléchir à ce qu’il allait faire maintenant que
l’Ophiotauros avait été tué, mais il ne pouvait s’empêcher de penser
à Perséphone. Ce n’était même pas la façon dont ils s’étaient quittés
qui le dérangeait mais leur avenir, qui serait sans doute inexistant
quand Zeus découvrirait tout ce qu’il lui cachait. Combien de temps
son frère mettrait-il avant d’apprendre non seulement que
l’Ophiotauros avait été tué mais qu’Hadès était responsable de sa
résurrection parce qu’il avait tué Briarée, l’un des amis et serviteurs
les plus proches du roi des dieux ?
Combien de temps avant que Zeus n’interdise son mariage avec
Perséphone, et pire encore, avant qu’il ne la marie à un autre ?
Hadès avait conscience que ses inquiétudes étaient égoïstes, et
que s’il était davantage comme Perséphone, il s’inquiéterait du sort
de l’humanité. Mais l’humanité se reconstruisait toujours, même
après les batailles les plus destructrices.
Il n’y aurait rien à reconstruire s’il la perdait, elle.
Quelqu’un frappa à la porte et il leva la tête vers Ilias.
— J’ai pensé que vous aimeriez voir la une du jour, dit-il en
tendant à Hadès un exemplaire du New Athens News, dont la une
était une terrible insulte :
ENTRETIEN AVEC THÉSÉE, LE DEMI-DIEU À LA TÊTE DE
LA TRIADE
Apparemment, Hélène avait tenu sa promesse. Hadès parcourut
l’article, et sa mâchoire se contracta peu à peu en découvrant ses
propos biaisés. Le problème était que les mortels ne verraient qu’un
homme qui était à moitié humain, quelqu’un qui pouvait combattre les
Olympiens et se battre pour les mortels.
Ils verraient leur réalité reflétée dans les paroles de Thésée.
« Pourquoi ne pas laisser les dieux parler d’eux-mêmes ? Je
savais qu’il ne faudrait pas longtemps pour qu’un dieu, ou plusieurs,
déversent leur colère sur le monde. »
Peut-être était-ce pour ça que la situation était aussi
exaspérante : il n’avait pas complètement tort.
Si quelque chose allait retourner les mortels contre les dieux, ce
serait leurs propres actions, et pour l’instant, la plus grande menace
était la tempête de Déméter.
— Son timing est parfait, dit Hadès en jetant le journal dans les
flammes.
— Je suppose qu’il doit se sentir sacrément puissant, à l’heure où
on parle, acquiesça Ilias.
Hadès supposait que c’était le cas, en effet. Que pouvaient-ils
faire pour lui rappeler combien il était insignifiant ? Au bout d’un
moment, il se leva et se tourna vers le satyre. En temps normal, il lui
donnait une marche à suivre ou un ordre, mais étant donné les
circonstances, il ne savait pas quoi faire.
Il avait réellement l’impression de n’avoir aucun contrôle sur rien.

*
* *
Hadès se manifesta dans la clairière d’Hécate. Il n’y était que
depuis une fraction de seconde quand il sentit la magie de la déesse
déferler sur lui. Elle le prit par surprise et il parvint à se téléporter
avant que le coup ne l’atteigne, mais elle avait un coup d’avance et
dès qu’il apparut, son pouvoir le percuta en plein torse.
La force de l’attaque le projeta en arrière et il sentit le sol céder
sous ses pieds quand il planta les talons dans la terre pour éviter de
heurter les parois montagneuses des Enfers.
Il sentit Hécate approcher. Il ne la voyait pas, mais sa magie
crépitait dans l’air et hérissait les poils de ses bras.
— Je ne sais pas ce que j’ai fait, grogna Hadès, mais tu pourrais
essayer de me parler avant de m’attaquer.
— Peut-être aurais-tu pu faire la même chose avant d’infliger une
telle torture à Perséphone.
Sa voix résonnait de tous les côtés, comme si des centaines
d’Hécate l’entouraient.
— Je sais, admit-il. Je suis un imbécile.
— Tu es plus que ça, répondit-elle en apparaissant devant lui, les
bras croisés.
— Tu as fini ?
— Peut-être, dit-elle d’un ton hésitant.
Hadès la fusilla du regard.
— Je sais, et je m’en voulais avant de venir te voir. Maintenant, je
me sens encore pire.
— Tant mieux. À quoi pensais-tu ? demanda-t-elle.
— Comment ça, à quoi je pensais ? Je l’entraînais ! Et ne critique
pas ma méthode. C’est toi qui l’as poignardée juste pour lui
apprendre à se guérir.
— Je la préparais, répondit la déesse. Était-ce gentil ? Non. Mais
tu as peut-être défait tous nos progrès !
— Quels progrès ? siffla-t-il. Elle a failli se déchiqueter elle-
même !
— Elle a peur de détruire le monde entier avec sa magie, et tu as
fait de cette peur une réalité.
Hadès détourna les yeux.
— Je ne sais pas quoi faire d’autre, Hécate. On s’apprête à
traverser une époque lugubre, et elle n’apprend pas assez vite.
— Tu ne peux pas forcer ses progrès juste parce que tu as peur,
Hadès.
Il grinça des dents.
— Le mieux que tu puisses faire pour elle est de lui offrir un
espace de sécurité. C’est auprès de toi qu’elle guérit de ses
traumatismes.
— Tu crois que c’est encore vrai ?
— Oui, dit Hécate. Alors va t’excuser auprès de ta reine.

*
* *
Hadès avait promis de ne jamais utiliser son pouvoir d’invisibilité
pour espionner Perséphone, et il n’avait pas prévu de se cacher,
mais Ivy l’avait prévenu qu’elle n’était pas de bonne humeur et qu’elle
avait jeté sa tablette contre le mur. Et maintenant, Leucé était là,
parlant de tout et de rien.
Dieux, il était tellement frustré.
La nymphe partit enfin et il en profita avant que quelqu’un d’autre
ne les interrompe.
Mais quand il se retrouva face à elle, il en perdit les mots. Sa
bouche était sèche et il ne savait pas quoi dire.
Peut-être était-ce à cause de sa façon de le regarder, d’un air
hésitant et hanté, ou peut-être était-ce à cause de l’atmosphère
gênante et tendue.
— Tu as besoin de quelque chose ? demanda-t-elle.
Besoin ? Comme s’il était venu lui demander un verre d’eau. Il
tendit le bras derrière lui et ferma la porte à clé.
— Il faut qu’on parle.
Perséphone le dévisagea un moment, puis elle croisa les bras.
— Alors parle !
Il la regarda dans les yeux en s’approchant d’elle. Il s’agenouilla
devant elle.
— Je suis désolé, dit-il en la regardant dans les yeux. J’ai été trop
loin.
Elle sembla avoir du mal à supporter ses excuses, car elle baissa
les yeux, regardant ses doigts qu’elle triturait nerveusement.
— Tu ne m’as jamais dit que tu avais le pouvoir d’invoquer les
peurs.
— Y a-t-il eu une occasion d’en parler ?
Perséphone ne répondit rien, mais Hadès avait l’impression que
d’une certaine manière il lui avait fait défaut. Ce n’était pas la
première fois qu’elle lui demandait de s’ouvrir davantage à elle, mais
il lui semblait que certaines choses se révélaient d’elles-mêmes, avec
le temps.
— Si tu m’y autorises, j’aimerais t’entraîner différemment, dit-il. Je
laisserai la magie à Hécate et je m’occuperai plutôt de t’aider à
étudier les pouvoirs des autres dieux.
Il commencerait par lui-même, même si ça le mettait mal à l’aise
d’y penser, ça lui semblait être le meilleur moyen de se faire
pardonner, puisqu’il avait utilisé contre elle des pouvoirs qu’elle ne
connaissait pas.
— Tu ferais ça ?
— Je ferais n’importe quoi pour te protéger, dit-il. Et comme tu
n’es pas d’accord pour rester enfermée aux Enfers, c’est la seule
solution.
Elle lui sourit timidement, et Hadès en voulut davantage.
— Je suis désolée d’être partie, dit-elle.
— Je ne t’en veux pas, répondit-il, même si ça ne lui avait pas plu.
J’ai plus ou moins fait la même chose en t’emmenant à Lampri.
Parfois, il est difficile d’exister dans le lieu où on a vécu une chose
horrible.
Elle baissa les yeux et se lécha les lèvres.
— Tu es en colère contre moi ? chuchota Hadès en se
rapprochant.
— Non, répondit-elle en cherchant son regard. Je sais ce que tu
cherchais à faire.
— J’aimerais te dire que je te protégerai de tout et de tout le
monde. Et je le ferai. Je te garderais en sécurité entre les murs de
mon royaume si je le pouvais, mais je sais que tu souhaites te
protéger toi-même.
— Merci.
Cette fois, c’est Hadès qui sourit. Il avait envie de l’embrasser,
mais elle ne se rapprocha pas de lui et son regard se posa sur son
bureau.
— Je suppose que tu l’as lu, dit-elle.
— Ilias me l’a donné ce matin. Thésée joue avec le feu, et il le
sait.
— Tu crois que Zeus va réagir ?
— Je ne sais pas, dit Hadès en fronçant les sourcils.
Une part de lui espérait qu’il ne ferait rien, étant donné que
Thésée avait tué l’Ophiotauros.
— Je ne crois pas que mon frère perçoive la Triade comme une
menace. En revanche, il voit bien que le fait que ta mère soit
associée avec eux est dangereux, et c’est pour ça qu’il se concentre
sur elle.
— Qu’est-ce qui lui arrivera si Zeus la trouve ?
— Si elle cesse d’attaquer le royaume des vivants… rien, sans
doute.
— Tu veux dire qu’elle va s’en tirer après le meurtre de Tyché ?
Étant donné que Zeus semblait croire en la survie des plus forts, il
pensait sans doute que Tyché n’avait simplement pas été assez
puissante.
— Elle doit être punie, Hadès.
— Elle le sera. Un jour.
— Je ne parle pas seulement du Tartare, Hadès, insista-t-elle.
— Elle le sera en temps voulu, Perséphone, dit-il en posant ses
mains sur les siennes. Personne parmi les dieux, et certainement pas
moi, ne t’empêchera de te venger.
C’était une promesse qu’il comptait tenir.
Ils se regardèrent un moment, puis Hadès se leva.
— Viens, dit-il en entrelaçant leurs doigts pour l’aider à se lever.
Elle hésita un instant.
— On va où ?
— Je voulais juste t’embrasser, dit-il en s’emparant de sa bouche.
Il se sentit profondément soulagé de la tenir à nouveau dans ses
bras.
Il invoqua sa magie et les téléporta à l’endroit où l’Alcyon était en
construction. Elle avait vu des maquettes et des plans du futur centre
de désintoxication, mais elle ne s’y était jamais rendue.
Le projet avait beaucoup avancé malgré la neige, et il l’entendit
retenir son souffle en le découvrant.
— Oh !
— Je ne voulais pas attendre le printemps pour te le montrer, dit
Hadès. Tu vas adorer les jardins.
Ce n’étaient encore que des dessins, mais ils allaient être
immenses et élaborés.
— Je l’adorerai tout entier. Je l’adore déjà, dit-elle avant de le
regarder. Je t’aime.
Il lui sourit et l’embrassa encore une fois, puis il l’emmena à
l’intérieur. Il était plus facile de visualiser le résultat final, car la plupart
des murs étaient construits, même s’il restait encore beaucoup de
travail.
Il lui fit visiter chaque partie du centre.
— Mon but est que cela ressemble moins à un hôpital qu’à… un
lieu où les gens peuvent vraiment guérir, expliqua-t-il.
Il fronça les sourcils, car il n’était pas certain que ce soit le
meilleur moyen de décrire son objectif. Il tenait à ce que ce lieu ne
soit ni stérile ni froid quand il accueillerait des patients.
— Ce sera parfait, Hadès, dit Perséphone.
Sa confiance apaisa l’angoisse qu’il avait commencé à ressentir à
propos du projet. C’était un peu ridicule, mais il s’était
personnellement investi dans son succès, car c’était Perséphone qui
l’avait inspiré et, d’une certaine manière, si le résultat final ne collait
pas à ses attentes, il aurait l’impression d’avoir échoué.
Il commençait à s’habituer à ce sentiment, et ça ne lui plaisait pas.
Il la guida à l’étage, dont le sol en bois brut craquait sous leurs
pieds, puis il l’emmena dans une vaste pièce avec des baies vitrées
allant du sol au plafond, comme le bureau d’Hadès à la Tour
Alexandria. Le but était de lui offrir une vue sur les jardins, et en
particulier sur le jardin de Lexa. Les fenêtres donnaient aussi sur les
bois qui entouraient la propriété et sur l’horizon brumeux et lugubre
de Nouvelle Athènes.
Hadès se posta dans l’embrasure de la porte et la regarda
traverser la pièce pour observer la vue. Elle inspira lentement,
comme si elle se sentait en paix.
— À quoi sert cette pièce ?
— C’est ton bureau.
Elle se tourna vers lui.
— Le mien ? Mais je…
— J’ai un bureau dans chaque entreprise que je possède,
pourquoi il n’en serait pas de même pour toi ? dit-il en souriant. Et
même si tu ne travailles pas souvent ici, on saura l’utiliser.
Perséphone éclata de rire. Ses yeux étaient si brillants qu’ils
contrastaient avec la météo grisâtre. Elle était sublime et, l’espace
d’un instant, il se sentit infiniment reconnaissant qu’elle continue à le
regarder de cette manière, comme si elle allait l’aimer quoi qu’il
arrive. Pourtant l’avenir était sombre. D’une certaine façon, cela
paraissait idiot de prévoir tout ça alors que Thésée avait tué
l’Ophiotauros, que Zeus n’avait pas encore approuvé leur union, que
la tempête de Déméter faisait encore des ravages.
Pourtant Hadès continuait d’espérer.
Perséphone frissonna. Il n’avait pas remarqué le froid.
— On devrait rentrer, dit Hadès.
Mais elle ne bougea pas et il n’invoqua pas sa magie.
Elle se lécha les lèvres et Hadès regarda sa bouche qui
chuchotait son nom.
— Hadès.
La seconde d’après, leurs bouches fusionnaient et il la plaqua
contre le mur en construction. Il était parfaitement conscient d’être
insatiable et que son désir pour elle était sans fin. Son besoin de
sexe n’était pas normal, et il s’en servait pour tout ; pour éviter, pour
méditer, pour guérir. Perséphone n’était en rien différente de lui.
— J’ai besoin de toi, susurra-t-il.
Il caressa son dos puis ses fesses. Perséphone se démenait déjà
contre les boutons de sa chemise et il envisagea un instant de les
déshabiller tous les deux avec sa magie, mais il y avait quelque
chose d’excitant à être mis à nu par elle, et il en avait envie,
aujourd’hui.
Hadès n’eut qu’une seconde de mise en garde avant qu’il ne
perçoive une odeur de laurier, et Apollon apparut devant eux.
— Arrêtez ! aboya-t-il.
— Sors d’ici, Apollon ! rétorqua Hadès.
Il n’était pas d’humeur à être interrompu ni à ce qu’il lui enlève
Perséphone à cause de ce fichu contrat.
— Hadès, dit Perséphone d’un ton de reproche.
Elle était bien plus pudique que lui et elle n’avait jamais très envie
de continuer en public. Si Hadès était possessif, il n’avait aucune
honte. Il pourrait la prendre sans problème dans une pièce bondée,
c’était à ça que servait l’illusion.
— Impossible, Lord des Enfers, répondit Apollon. Nous sommes
attendus pour un événement.
Hadès recula la tête en soupirant.
— Comment ça, on a un événement ? demanda Perséphone.
Hadès se posait la même question.
— C’est le premier jour des Jeux Panhelléniques, dit Apollon.
Hadès avait complètement oublié. Cela dit, pour être honnête, il
avait été très occupé, et pas uniquement par des choses agréables.
— Ce n’est pas avant ce soir, rétorqua Perséphone.
— Et alors ? J’ai besoin de toi maintenant.
— Pourquoi ? demanda la déesse.
Hadès observa l’échange, regardant tour à tour les deux dieux. Il
avait l’impression d’assister à une dispute entre frère et sœur.
— Qu’est-ce que ça peut bien faire ? demanda Apollon. On a un…
— Ça suffit, gronda Hadès. Elle t’a posé une question, Apollon.
Réponds !
Apollon eut un rictus agacé et il croisa les bras, comme s’il
boudait.
— J’ai merdé. J’ai besoin de ton aide, avoua-t-il en fusillant Hadès
du regard, comme pour lui demander s’il était content.
La réponse était non.
— Tu as besoin de son aide et tu veux l’obtenir en lui donnant des
ordres ? demanda le dieu des Enfers.
— Hadès… commença Perséphone, mais sa défense ne
l’intéressait pas.
— Il exige ton attention, Perséphone. Il n’a ton amitié que grâce
au contrat que tu as avec lui, et quand tu avais besoin de lui devant
les Olympiens, il est resté silencieux.
C’était sans doute ce dernier point qui l’agaçait le plus. La seule
personne qui les avait défendus était Hermès, même après avoir subi
les conséquences de son serment brisé. Où avait été Apollon ?
— Ça suffit, Hadès, dit Perséphone. Apollon est mon ami, contrat
ou pas. Je lui parlerai moi-même de ce qui m’agace.
Il la dévisagea longuement, regrettant qu’elle ne le fasse pas
maintenant, car il aurait adoré la voir réprimander Apollon.
Il ravala sa frustration et l’embrassa en plongeant sa langue dans
sa bouche. Il tint son visage dans ses mains et quand il recula, ses
joues étaient superbement rouges.
Elle déglutit et soutint son regard, et Hadès espéra qu’elle
passerait le reste de la journée à penser à ce baiser et à ce qu’ils
n’avaient pas pu finir à cause d’Apollon.
— Je te rejoins aux Jeux plus tard, dit-il avant de se téléporter.
Chapitre XXXV

DIONYSOS

Dionysos était installé selon ses habitudes dans sa suite peu


éclairée de Bakkheia. Elle était pleine de gens qui buvaient,
dansaient et baisaient. En général, le dieu du Vin regardait les
festivités ou était au moins plus présent, car c’était ainsi qu’il
accueillait les actes de vénération, mais aujourd’hui, il avait la tête
ailleurs.
Il ne cessait de repenser à ce qui s’était passé au cours des
derniers jours : sa confrontation avec Poséidon et tout ce qui avait
suivi sur l’île, depuis ses ébats avec Ariadne jusqu’à la mort de
l’Ophiotauros. Il n’oubliait pas non plus qu’il avait failli à sa promesse
de tuer le cyclope, même s’il l’avait laissé avec une méchante gueule
de bois.
Il se demandait quelles conséquences découleraient de ne pas
avoir payé sa dette.
— Est-ce que tu vas me dire ce qui s’est passé sur cette île ?
demanda Silène.
— Il n’y a rien à raconter, répondit Dionysos.
En tout cas, rien qu’il ait envie de raconter.
— Ça t’a changé, dit son père adoptif. Tu es différent, mais je ne
sais pas de quelle manière.
— Je ne le sais pas non plus, avoua Dionysos.
Il n’avait jamais eu envie de confronter Poséidon, et le faire l’avait
laissé avec le sentiment de ne pas pouvoir protéger Ariadne. Il était
forcé de voir combien ses pouvoirs étaient inférieurs.
— Dionysos, dit une voix sensuelle.
Il leva les yeux vers une femme aux cheveux et aux yeux bruns
qui s’agenouillait devant lui, les mains sur ses genoux.
— Tu as l’air tendu. Est-ce que je ne peux pas t’aider à te
relaxer ?
En temps normal, il en aurait profité, mais quand elle remonta ses
mains sur ses cuisses, il l’arrêta et se pencha en avant. C’est à ce
moment-là que la porte de sa suite s’ouvrit sur Ariadne, qui riva ses
yeux sur lui et la femme à ses pieds.
Sa gorge se noua, il savait de quoi ça avait l’air.
— Ari… commença-t-il alors qu’elle approchait.
— Ne te lève pas, répondit-elle. (Dionysos se demanda à qui elle
s’adressait.) Il faut que je te parle.
— Bien sûr, dit-il en regardant l’autre femme. Va-t’en.
Il regarda Ariadne, dont le regard était froid.
— Ce n’est pas ce que tu penses, dit-il.
— Parce que tu sais ce que je pense, maintenant ? rétorqua-t-elle.
Dionysos s’apprêtait à répondre, mais Silène l’interrompit.
— Tu dois être Ariadne, dit-il en se penchant par-dessus
l’accoudoir de Dionysos pour lui tendre la main. Je suis Silène, le
père de Dionysos.
— Adoptif, précisa le dieu du Vin.
Ariadne serra sa main, même si elle semblait mal à l’aise.
— Je comprends mieux pourquoi mon fils a le béguin pour toi, dit
Silène.
Dionysos le repoussa dans son propre fauteuil.
— Tais-toi, siffla-t-il avant de se concentrer sur Ariadne.
— Je veux retourner sur l’île, dit-elle.
— Quoi ?
Il s’attendait à tout sauf à ça.
— Je veux enterrer Bully.
— Ari, c’est dangereux.
— On ne peut pas le laisser pourrir comme ça, dit-elle. Il mérite
mieux que ça.
— Tu oublies qu’il est dans une grotte avec un fichu monstre ?
— Un monstre que tu étais censé tuer, remarqua-t-elle.
Dionysos secoua la tête.
— Je refuse de discuter de ça. On ne va pas retourner sur cette
île juste pour que tu puisses assouvir ton étrange sentiment
d’obligation envers cette créature.
— Si tu ne m’y emmènes pas, je demanderai à Hadès de le faire.
Dionysos contracta sa mâchoire.
— Dehors ! ordonna-t-il.
Soudain, toutes les personnes présentes dans sa suite cessèrent
de boire, de danser et de baiser et elles sortirent, comme envoûtées,
toutes sauf Silène.
— Et moi ? demanda ce dernier.
Dionysos le fusilla du regard et son père soupira.
— D’accord…
Une fois seuls, Dionysos se leva, mais Ariadne resta bien droite,
et c’était tout à son honneur.
— Tu crois vraiment qu’Hadès va se plier à ta volonté puérile ?
— Ce n’est pas enfantin de vouloir enterrer quelqu’un comme il se
doit, dit-elle.
— Ça l’est quand ça implique de retourner sur une île où on a failli
mourir tous les deux, dit-il. Pourquoi tu veux y retourner ? Tu espères
voir Thésée ?
Elle le gifla et sa joue s’enflamma aussitôt.
— Comment oses-tu ? siffla-t-elle d’une voix tremblante.
Ils se défièrent du regard dans un silence pesant, puis Dionysos
craqua et s’empara de sa bouche dans un baiser fiévreux. Il
empoigna sa nuque d’une main et posa l’autre sur le creux de ses
reins.
Dieux, c’était tellement bon.
Il craignait qu’en revenant de l’île, ils fassent tous deux comme s’il
ne s’était rien passé. Dionysos avait essayé, mais réprimer son désir
lui donnait l’impression de suffoquer.
Ariadne répondit à ses caresses avec le même enthousiasme,
remontant ses mains sur son torse jusqu’à entourer son cou. Elle se
colla à lui, pressant sa poitrine contre la sienne, et Dionysos poussa
un grognement.
— J’ai envie d’être en toi, dit-il, mais quelqu’un se racla la gorge.
Ils rompirent le baiser et se trouvèrent face à Hermès.
— Eh bien, voilà qui était divertissant, dit le dieu.
Dionysos se pinça le haut du nez.
— Qu’est-ce que tu veux, Hermès ?
— Hadès veut vous voir. Il veut parler de l’Ophiotauros.
Dionysos regarda Ariadne.
— Je peux vous laisser quelques secondes, dit le dieu de la
Ruse. Vous savez, pour vous en remettre.
— On va très bien, dit Ariadne.
— Parle pour toi, dit Hermès en rivant son regard sur l’entrejambe
de Dionysos.
— Va te faire foutre ! lança Dionysos. Allons-y.
— Oh, ce n’est pas moi qui vous emmène, dit Hermès. Je dois me
rendre à un événement, une voiture vous attend en bas. Dites
bonjour à Antoni de ma part.

*
* *
Antoni les emmena à l’Iniquité, où ils trouvèrent Hadès installé à
une table du bar réservé aux membres. Il avait un verre de whiskey à
la main, et dans l’autre, un objet doré qui brillait, c’était une obole,
une pièce de la monnaie des morts. Ilias était assis à quelques pas et
hocha la tête dans leur direction pour les saluer.
Hadès ne leva la tête que lorsqu’ils furent assis. Il paraissait
distrait.
— J’ai besoin que vous me racontiez tout ce qui s’est passé sur
l’île.
— Tout ? demanda Ariadne.
Hadès la regarda, puis se concentra sur Dionysos.
— Quand Thésée est arrivé, précisa-t-il. Même si vous semblez
avoir vécu de sacrées aventures.
— Il n’y a rien à dire, dit Dionysos. Thésée nous a trouvés sur
Thrinacie, il a tué l’Ophiotauros et il a pris ses intestins. Je présume
qu’il les a déjà brûlés.
Thésée n’était pas du genre à hésiter. Il l’avait prouvé en ne
perdant pas de temps pour poignarder la créature.
— Que se passera-t-il quand il les brûlera ? demanda Ariadne.
Dionysos et Hadès se regardèrent.
— On ne sait pas exactement, dit Hadès. C’est le problème,
justement.
— Que dit la prophétie ? demanda Dionysos.
La dernière chose dont il se souvenait, c’était qu’Hadès allait
vérifier si la créature s’était bien réincarnée avec une prophétie.
— Si une personne tue la créature et brûle ses entrailles, alors la
victoire est assurée contre les dieux, déclara Hadès, comme s’il
cherchait à déduire le sens des mots en même temps qu’il les
prononçait.
— C’est une terrible prophétie, dit Dionysos.
— Je préférais la version d’Hermès, dit Ilias.
— Je ne sais pas trop à quoi vous vous attendiez, dit Hadès. Les
prophéties sont rarement claires, et quand elles le sont, les enjeux
sont bien plus grands.
Dionysos comprenait ce que disait Hadès – celle-ci avait le mérite
d’être ambiguë. Parfois, les prophéties étaient tellement précises qu’il
était impossible d’éviter le destin qu’elles annonçaient, peu importait
comment les mortels tentaient de le déjouer.
— Davantage de contexte aurait été chouette, dit Ilias. À quels
dieux la prophétie fait-elle référence ?
— Peut-être à nous tous, dit Dionysos. Ou seulement à quelques-
uns. Je crois que nous devrions être soulagés qu’elle ne soit pas
précise. Savoir à quoi s’attendre entraîne du pouvoir. On peut s’en
servir contre Thésée, dit Dionysos en regardant Ariadne du coin de
l’œil. Thésée est suffisamment arrogant pour croire que la prophétie
signifie qu’il vaincra les dieux. Ça l’encourage à se sentir invincible
alors qu’il ne l’est pas.
Hadès fronça les sourcils.
— Comment ça ?
— Sur l’île, je l’ai poignardé avec mon thyrse. Il n’a pas guéri très
vite, pas comme toi et moi. C’est une faiblesse.
— Tu veux dire que pendant tout ce temps, on aurait pu se
contenter de le poignarder ? demanda Ilias.
— C’est plus compliqué que ça, et tu les sais, répondit Hadès. Il a
séduit le public. S’il meurt à cause de nous, on risque de perdre des
fidèles.
— Ok, donc on ne peut pas l’assassiner publiquement, dit Ilias.
Par où on commence ?
Tout le monde se tourna vers Ariadne, qui pâlit. Elle n’avait pas
besoin qu’ils verbalisent leur demande, ils voulaient tout savoir sur
Thésée.
— Non, dit-elle sèchement. Vous ne pouvez pas me demander
ça. Il tuera ma sœur.
— Je t’ai dit qu’on la sauverait, dit Dionysos.
— Comment ? rétorqua-t-elle. Tu as dit que c’était pour ça qu’on
avait besoin de Méduse. Mais peut-être était-ce seulement pour
agrandir ta collection d’armes ?
Dionysos grimaça, heurté par sa colère et son accusation.
— Crois-nous quand on te dit que sauver Phèdre sera notre
priorité, dit Hadès. Mais on ne peut rien faire sans information.
Ariadne secoua la tête.
— Il saura que je vous ai parlé.
— En fin de compte, quelle importance, si Phèdre est en
sécurité ?
— Ça compte, parce qu’elle retournera auprès de lui.
Il y eut un long silence pesant. Dionysos avait envie de répondre
quelque chose de parfaitement inutile, qui était que dans ce cas,
Phèdre n’avait peut-être pas besoin d’être sauvée. Ils mettaient
Ariadne dans une position difficile, mais elle menait une bataille
perdue d’avance.
— Alors, tu dis que tu ne vas pas nous aider ? demanda
Dionysos.
— Vous n’êtes pas des dieux ? Vous ne pouvez pas vous
débrouiller sans moi ?
Dionysos refusa de la regarder. Il ne pouvait faire semblant de
comprendre son raisonnement, tout comme il ne pouvait prétendre
comprendre le traumatisme qui l’empêchait de les aider.
Il prit une grande inspiration.
— Je vais dire aux Ménades de l’espionner, dit-il. Elles pourront
rassembler des informations sur tous ceux qui sont impliqués, sur
leurs armes et leurs caches.
Ils avaient besoin d’en savoir autant que possible pour pouvoir
mettre sur pied un plan d’attaque.
Hadès hocha la tête.
— La bataille a déjà commencé, dit-il. Maintenant, nous devons
nous préparer pour la guerre.
Chapitre XXXVI

HADÈS

Hadès n’était pas surpris qu’Ariadne ne veuille pas les aider de


façon concrète à contrer Thésée. Elle était restée longtemps sous
son emprise et elle savait de quoi il était capable. À l’évidence, elle
l’avait vu mettre en pratique trop de ses menaces.
Il resta assis avec Ilias après qu’elle et Dionysos étaient partis.
— Ces deux-là ont baisé, dit le satyre.
— Il était temps, grommela Hadès en vidant son whiskey. Est-ce
qu’Hermès t’a donné des nouvelles de l’entrepôt et du club ?
— Oui. Ils sont tous deux partis en fumée hier soir.
C’était bon à savoir, car Hadès s’attendait à ce que Thésée se
venge.
— Je ne sais pas si j’ai pris la bonne décision, admit-il.
Il savait que l’entrepôt du quartier des Lacs n’était pas le seul
endroit où Thésée stockait des armes. Il n’était pas bête à ce point,
même si Hadès espérait tout de même avoir considérablement réduit
son arsenal.
— Je ne sais pas s’il y a de bonnes ou de mauvaises décisions,
vu la direction que l’on prend, dit Ilias. Il y a seulement des décisions
et leurs conséquences.
Hadès supposait que c’était vrai.
Il vit alors que le regard du satyre s’était détourné, il écarquillait
les yeux en se levant de sa chaise.
— Hadès, les infos.
Mais Hadès s’était déjà tourné et avait vu le flash info sur l’écran
de télévision :
UNE EXPLOSION ET DES TIRS FRAPPENT LE STADE
TALARIA
Thésée n’avait pas attendu pour se venger.

*
* *
Hadès apparut en plein cœur du chaos qui ravageait le stade.
La magie des dieux pesait dans l’atmosphère. Ils se battaient
dans des cris horrifiés, des tintements métalliques et des coups de
feu.
— Perséphone ! cria Apollon quand une balle la toucha à
l’épaule.
Elle vacilla et Hadès la rattrapa avant qu’elle ne s’effondre.
— Je suis là, dit-il en se téléportant immédiatement aux Enfers,
laissant assumer aux autres Olympiens le chaos qui régnait au stade.
Putain de Moires !
Combien de fois cela allait-il arriver ?
Il la déposa sur le lit, ayant tout juste assez de patience pour
l’aider à enlever son blouson. Quand ce fut fait, il déchira sa robe
pour inspecter la plaie.
— Q… qu’est-ce que tu fais ? grogna-t-elle en serrant les dents.
— J’ai besoin de voir si la balle est ressortie, dit-il.
Il étudia son dos et vit une blessure par où la balle avait dû
ressortir.
— Laisse-moi la guérir, dit-elle.
— Perséphone…
— Il faut que j’essaie ! rétorqua-t-elle. Hadès…
Il se força à reculer, même s’il avait envie de le faire lui-même. Il
était plus rapide, et cela l’apaiserait. De toutes les fois où elle voulait
s’entraîner, pourquoi maintenant ?
— Fais-le, Perséphone, aboya-t-il.
Il ne voulait pas être aussi dur et il savait que ça ne pouvait pas
être facile pour elle. C’était elle qui était blessée, mais Hadès
paniquait.
Elle respira profondément et ferma les yeux. Hadès regardait la
plaie, attendant un signe que sa magie fonctionnait, de plus en plus
frustré de la voir continuer de saigner.
— Maintenant, grogna Hadès, impatient, mais il vit sa magie à
l’œuvre et la plaie se refermer.
— Je l’ai fait, dit-elle en souriant à Hadès en ouvrant les yeux.
— Tu l’as fait, acquiesça-t-il, même s’il avait envie de vérifier, au
cas où.
Il voulait retourner au stade et aider les Olympiens à tuer ceux qui
avaient attaqué les mortels. Il laisserait une nuée de cadavres
entremêlés en guise de mise en garde contre quiconque envisageait
de participer ou de poursuivre ces horribles assauts.
— Tu penses à quoi ? demanda Perséphone.
— Tu n’as pas envie de le savoir, répondit-il. Viens, on va te
nettoyer.
Il l’emmena dans la salle de bains, la portant même si elle était
parfaitement capable de marcher. Quand ils furent nus, il l’embrassa
et palpa son épaule pour s’assurer qu’elle était bien guérie, y
diffusant un peu de sa magie.
Elle recula, étudiant sa peau désormais bien lisse.
— Je n’ai pas bien fait ? demanda-t-elle.
— Bien sûr que si, Perséphone, répondit Hadès.
Il ne voulait pas qu’elle se sente incapable.
— Je suis simplement surprotecteur et j’ai peur pour toi. Et peut-
être qu’égoïstement, je veux retirer tout ce qui me rappelle que j’ai
échoué à te protéger.
— Hadès, tu n’as pas échoué, dit-elle.
— Soyons d’accord sur notre désaccord, grogna-t-il.
— Si tu es d’accord pour dire que j’ai bien fait, insista-t-elle, alors
accepte que toi aussi, Hadès.
Il espérait qu’un jour, il la croirait.
Elle promena ses mains sur son torse avant d’entourer son cou.
— Je suis désolée, dit-elle. Je ne voulais pas que tu souffres à
nouveau comme tu as souffert après la mort de Tyché.
— Tu n’as aucune raison de t’excuser, dit-il avant de l’embrasser.
Ils se douchèrent ensemble, se savonnant l’un l’autre jusqu’à être
bouillants et fiévreux, mais Hadès ne pouvait se convaincre
d’assouvir ses désirs. Il s’était passé trop de choses, ce soir. Au lieu
de ça, il compta sur les mots et lui dit qu’il l’aimait.
— Je t’aime aussi, répondit-elle à voix basse. Plus que tout.
Ses yeux se remplirent de larmes et il chuchota son nom et la prit
dans ses bras. Il les porta devant la cheminée et s’assit en la prenant
sur ses genoux, blottie contre son torse.
— Tous ces gens… partis, chuchota-t-elle.
Les morts massives n’étaient jamais faciles, et ils en avaient
connu beaucoup en très peu de temps.
— Tu ne pourras pas consoler tous ceux qui arrivent aux Enfers
sans s’y attendre, Perséphone. Il y a bien trop de victimes de ce
genre. Rassure-toi : les âmes d’Asphodèle y sont et elles te
représentent à merveille.
— Elles te représentent aussi, Hadès, lui rappela-t-elle avant de
rester silencieuse un moment. Et les agresseurs qui sont morts ce
soir ? demanda-t-elle
— Ils seront punis au Tartare, dit-il avant de marquer une pause
en la regardant dans les yeux. Tu souhaites y aller ?
Elle esquissa un petit sourire qui n’avait rien d’enjoué ; elle
reconnaissait simplement qu’il avait changé.
— Oui, répondit-elle. J’aimerais y aller.

*
* *
Hadès emmena Perséphone au Tartare, dans son antre de
monstres. Certaines des créatures ici étaient mortes, d’autres étaient
vivantes et retenues prisonnières, mais cela ne retirait rien à leur
utilité en matière de torture.
Perséphone regarda autour d’elle en se frottant les bras. La
magie était pesante, ici. Elle était différente et elle planait dans l’air
comme le froid glacial de l’hiver, opprimant les monstres qui
résidaient ici.
De temps en temps, l’écho lointain d’un grognement, d’un
hurlement ou d’un cri résonnait dans le donjon.
— Il y a des monstres ici, expliqua Hadès.
— Quel genre de monstres ?
— Ils sont nombreux, répondit-il en haussant les sourcils.
Certains sont ici parce qu’ils ont été tués, d’autres parce qu’ils ont été
capturés. Viens.
Il l’invita à passer les grilles et l’emmena dans le donjon, le long
du couloir sombre et des cellules obscurcies. Les cris bestiaux se
faisaient de plus en plus forts, ponctués d’une plainte atroce.
— Ce sont les harpies, dit Hadès.
C’était des créatures mi-humaines, mi-oiseaux qui étaient
souvent insatiables dans leur quête de nourriture et qui servaient de
châtiment aux mortels.
— Aellô, Ocypétès et Célaéno, poursuivit-il. Elles s’agitent,
surtout quand le monde est plongé dans le chaos.
— Pourquoi ?
— Parce qu’elles perçoivent le mal et souhaitent punir.
Ils passèrent devant d’autres cellules occupées par des chimères,
des griffons, des sirènes, et le sphinx. Perséphone ne s’arrêta pas
longtemps devant les cages et resta près d’Hadès. Ils avançaient
vers le fond de la salle, qui était barré par un immense portail.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Perséphone.
— C’est une hydre. Son sang, son venin et son souffle sont
toxiques.
Hadès l’avait tué quand Héra l’avait forcé à combattre le monstre
durant son célèbre soir de combat. Cela n’avait pas été facile. La
créature avait sept têtes qui repoussaient dès qu’elles étaient
coupées. Il avait seulement réussi à la vaincre avec le feu et,
finalement, elle était devenue résidente des Enfers.
— Et les mortels dans la mare ? Qu’est-ce qu’ils ont fait ?
Hadès baissa les yeux sur les hommes et les femmes aux pieds
de l’hydre. Ils gisaient dans une mare noire, formée par le venin qui
coulait des crocs du monstre, leurs corps couverts d’horribles plaies
et brûlures.
— Ce sont les terroristes qui ont attaqué le stade.
— Et c’est leur punition ?
— Non, répondit Hadès. Vois plutôt ça comme une garde à vue.
Elle se tut, puis elle leva les yeux vers lui.
— Et comment vas-tu les punir ?
— Peut-être que… tu veux décider ?
Il était un peu réticent à lui confier cette tâche, ne sachant ce
qu’elle pensait de la torture. Elle avait hésité quand il s’était agi de
Pirithoos et lui avait demandé si cela l’aidait. Il n’avait toujours pas la
réponse, mais il pouvait dire sans crainte que sur le moment, la
vengeance était agréable.
Perséphone se concentra à nouveau sur les âmes.
— Je veux qu’ils vivent en état de panique et de peur constante.
Je veux qu’ils vivent ce qu’ils ont infligé aux autres. Qu’ils existent
pour l’éternité dans la Forêt du Désespoir.
— Alors ce sera le cas, dit Hadès en lui offrant sa main.
Elle la prit et les âmes disparurent de la cage de l’hydre.
— Laisse-moi te montrer quelque chose, dit-il.
Il l’emmena dans la bibliothèque où se trouvait le bassin qui
servait à la fois de plan détaillé des Enfers et de portail.
— Montre la Forêt du Désespoir, dit-il, et l’eau frémit jusqu’à
montrer les âmes qui avaient baigné dans le venin de l’hydre et leur
châtiment dans la forêt.
La Forêt du Désespoir incarnait la plus grande peur des âmes.
Quand Perséphone y était entrée, elle avait trouvé Hadès dans
les bras de Leucé. Quand Hadès y pénétrait, il ne voyait rien.
Perséphone étudia un moment la scène avant de s’éloigner.
— J’en ai vu assez.
Hadès la suivit et lui prit la main, craignant d’avoir été trop loin en
lui montrant l’horreur de la forêt, même si elle la connaissait.
— Tu vas bien ? demanda-t-il.
— Je suis… satisfaite, répondit-elle. Allons nous coucher.
Il ne la contredit pas et ils retournèrent dans leur chambre, mais il
ne put s’empêcher de remarquer que son énergie avait changé. Elle
était noire et sensuelle et Hadès voulait y goûter avec la langue.
Il ralentit en entrant dans la pièce et regarda Perséphone le
devancer. Elle se déshabilla et se tourna vers lui, et le regard
d’Hadès s’attarda sur ses seins rebondis, son ventre et son sexe.
Quand il leva de nouveau les yeux vers elle, son regard était noir et
charnel.
Elle avait envie de baiser.
— Perséphone…
— Hadès… répondit-elle.
— Les derniers jours ont été difficiles. Tu es sûre que tu as envie
de ça ce soir ?
Jamais il n’avait pensé prononcer ces mots un jour. Ce n’était pas
comme si c’était exceptionnel, mais il voulait qu’elle soit sûre. La
journée avait été rude, chargée d’émotions et d’expériences
qu’aucun d’eux n’avait encore digérées.
— C’est tout ce dont j’ai envie.
Il ne la contredit pas davantage et marcha vers elle pour
s’emparer de sa bouche. Hadès se perdit aisément dans tout ce
qu’elle était, dans sa douceur, sa chaleur, sa fougue. Peut-être était-
ce ce qu’il aimait le plus chez elle, son désir évident. Il en ressentait si
souvent pour elle, et il adorait qu’elle ne puisse pas se retenir.
Il avait hâte de s’enfouir en elle, de la sentir se contracter autour
de lui quand il jouirait. C’était à ça qu’il était accro ; c’était cette
libération qu’il pourchassait sans cesse.
Elle l’embrassa sur le torse, sur le ventre, puis elle s’agenouilla.
Elle empoigna sa verge et la prit dans sa bouche.
— Ça ne te dérange pas ? demanda-t-elle en levant les yeux vers
lui.
Le fait qu’elle lui pose la question était presque drôle, il ne désirait
rien de plus que de la voir le sucer.
— Loin de là, répondit-il.
Elle le récompensa par un coup de langue. Elle prit son temps,
embrassant sa verge, léchant tous ses reliefs, puis elle l’avala et
déglutit sur son gland.
Hadès pencha la tête en arrière, les dents serrées, les muscles
bandés – son corps entier était sur le point d’exploser, mais il n’était
pas prêt à ce que ce soit déjà fini.
Quand il redescendit sur terre, il la regarda.
— Tu n’as pas idée de toutes les choses que je veux te faire.
La chose la plus folle au sujet de sa bouche, de sa magie et de
Perséphone, même, c’était qu’elles lui donnaient envie de tout faire
avec elle, des choses qui allaient au-delà de tout ce qu’il avait un jour
envisagé de faire avec quelqu’un.
Elle se leva en soutenant son regard.
— Montre-moi, chuchota-t-elle.
Hadès se retint de grogner. Putain. Elle était parfaite.
Il empoigna sa nuque et l’embrassa fermement sur la bouche en
la faisant reculer vers le lit, puis il l’allongea au milieu du matelas. Il
s’étendit sur elle, coinçant son corps entre ses cuisses, continuant de
l’embrasser. Plus il l’embrassait, plus elle gigotait sous lui, se
cambrant pour sentir le frottement de leurs bassins.
Il voulait que ça dure plus longtemps, mais elle ne lui facilitait pas
la tâche.
Il saisit ses poignets et les bloqua au-dessus de sa tête avant
qu’elle puisse s’emparer de sa queue, avant qu’elle mette fin aux
raisons qu’il avait de l’allonger dans le lit, et il invoqua sa magie pour
l’attacher.
Quand elle la sentit, elle rompit le baiser pour lever les yeux vers
les liens qui enserraient ses poignets.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-il d’une voix douce.
Il n’arrivait pas à déchiffrer son expression et il ressentit un
malaise, mais un mot suffirait pour qu’il retire immédiatement ses
menottes en tissu. Il souhaitait seulement explorer ça avec elle.
Elle hocha la tête et il en profita pour l’admirer. Perséphone était
une œuvre d’art et il voulait le lui faire sentir. C’était une sorte
d’hommage, un moyen pour qu’elle comprenne et ressente vraiment
comment il la voyait : comme le centre de son univers.
— Je vais te faire te tordre de plaisir, dit-il en s’étendant sur elle.
Je vais te faire hurler, jouir si fort que tu le sentiras pendant des jours.
Il s’empara de sa bouche, puis l’embrassa partout en
commençant par ses seins. Il prit chaque téton dans sa bouche et les
taquina du bout de la langue avant de les mordiller. Perséphone
remuait sous lui et il se demanda combien elle mouillerait lorsqu’il
arriverait enfin entre ses cuisses.
Il prit son temps, soutenant son regard en l’embrassant partout.
Son corps frémissait de frustration, sans doute parce que si ses
mains n’avaient pas été attachées, elle aurait agrippé ses cheveux
pour le forcer à enfouir sa tête entre ses jambes.
Il les lui fit ouvrir davantage et promena sa langue le long de sa
fente, et Perséphone se cambra sur le lit en empoignant les liens qui
la retenaient.
— Hadès, gémit-elle.
Il enfouit davantage sa langue et caressa son clitoris avec ses
doigts.
Il la tint plus fort quand elle commença à onduler contre sa
bouche, cherchant son orgasme. Elle était au bord du précipice, il le
sentait à la manière dont son corps se crispait et ses muscles se
bandaient. Son sang se précipitait au sommet de sa verge lourde et
dure qui était plaquée contre son ventre.
— Hadès !
Cette fois, sa façon de crier son nom lui dit que quelque chose
n’allait pas. Il recula alors qu’elle plantait ses talons dans le lit et
luttait contre les liens. Elle avait les yeux grands ouverts, mais elle ne
semblait pas voir, pas la réalité, en tout cas.
Merde. Il regrettait d’avoir eu cette idée.
Il la débarrassa de la magie qui la retenait, furieux de ne pas
l’avoir fait plus tôt.
Merde.
— Perséphone.
Il tendit la main vers elle, mais elle se débattit et le frappa au
visage, la main couverte d’épines. La douleur était vive et son sang
coula entre eux, sur la peau de Perséphone, qui semblait désormais
réveillée. Son visage était pâle et son horreur était flagrante. Elle
tendit le bras vers lui, mais s’arrêta quand elle réalisa que ses mains
étaient encore couvertes d’épines.
Elle éclata en sanglots, écartant ses bras de son corps.
L’espace de quelques secondes, Hadès fut trop choqué pour
bouger, trop perturbé par ce qui s’était passé. Il essayait de se
souvenir du moment précis où cela avait viré au pire. Comment était-
ce arrivé ? Il avait cru qu’elle aimait ça. Se pouvait-il que ce n’ait
jamais été le cas ?
Il parvint enfin à bouger et à la prendre dans ses bras, même s’il
ne savait pas si c’était ce qu’elle voulait ni ce dont elle avait besoin. Il
avait été trop concentré sur lui-même pour se rendre compte qu’elle
souffrait.
— Je ne savais pas, dit-il. Je ne savais pas. Pardon. Je t’aime.
Mais il arriva un moment où même Hadès ne put plus parler.
Chapitre XXXVII

HADÈS

— Je ne comprends pas pourquoi tu tiens à ce que je sois là, dit


Apollon.
Hadès l’avait invoqué sur l’île de Lemnos, car il était venu parler
d’armement avec Héphaïstos et il avait besoin de savoir ce
qu’Apollon avait découvert en examinant Tyché. C’était nécessaire,
étant donné qu’ils allaient affronter Thésée, mais il était également
venu parce qu’il n’était pas prêt à voir Perséphone.
Il était encore chamboulé après que les choses avaient dérapé à
ce point la veille, passant d’un moment érotique à un véritable
cauchemar.
Il avait honte et il était horrifié de l’avoir mise dans un tel état,
surtout dans un moment aussi intime.
Le pire était peut-être qu’il ne savait pas comment gérer ce qui
s’était passé. Des excuses ne semblaient pas suffisantes, et l’idée de
la pousser à nouveau trop fort était insupportable. Quelque part, il
s’était senti fier de savoir comment son corps réagissait au sien –
mais hier soir, il s’était trompé.
— Tu es très silencieux, dit Aphrodite qui les conduisait à l’atelier
d’Héphaïstos.
Il ne comprenait pas pourquoi elle ressentait le besoin de jouer
l’escorte, mais il se dit qu’elle souhaitait peut-être apercevoir son
mari.
— Il est toujours silencieux, dit Apollon. Sauf quand il te
réprimande d’avoir embarqué sa maîtresse pour qu’elle remplisse un
contrat.
— Tais-toi, Apollon, dit Hadès. Je… je n’ai pas dormi.
— Tu as peur que Zeus refuse ton mariage ? demanda-t-elle.
— Avant oui, dit-il. Mais maintenant, je m’inquiète surtout que
Perséphone ne parvienne pas à l’autel.
Il ne regarda aucun des deux dieux en parlant. Ils avaient tous les
deux été témoins de ses attaques. Aphrodite avait été présente au
Club Aphrodisia, tellement obnubilée par sa soif de vengeance
qu’elle n’avait pas aidé Perséphone non plus.
— Est-ce que tu… m’en veux ? demanda la déesse après un long
silence.
— C’est Hermès qui avait juré de la protéger, répondit Hadès.
— Ce n’est pas ce que je t’ai demandé, dit-elle.
Hadès ne répondit pas, ça ne servait à rien. Aurait-il été endetté
auprès d’Aphrodite si elle avait sauvé Perséphone ? Oui, et peut-être
était-ce mieux qu’il ne le soit pas.
Hadès fut surpris qu’Aphrodite ne parte pas quand ils arrivèrent à
l’entrée de l’atelier. Au contraire, elle les suivit à l’intérieur.
Le dieu du Feu travaillait à sa forge, les cheveux attachés en
chignon, torse nu et couvert de sueur, il était en train de sortir une
pièce de métal des flammes. Il se tourna pour la poser sur l’enclume,
prêt à la frapper, mais il vit Aphrodite qui les avait précédés à
l’intérieur.
Héphaïstos riva son regard sur elle. Ses yeux s’assombrirent et
tout son corps se crispa. Hadès se demanda si la déesse
interpréterait sa réaction comme un signe de colère ou d’énervement
face à son intrusion, alors qu’il y voyait tout autre chose : un désir
flagrant.
— Tu as besoin de quelque chose ? lui demanda-t-il.
— Wouah, marmonna Apollon, il fait chaud, ici.
— Non, répondit-elle, les mains jointes derrière le dos. Hadès et
Apollon sont venus te voir.
Héphaïstos la quitta des yeux. Il n’avait même pas vu que sa
déesse était accompagnée, tant il était concentré sur elle.
— Hadès… Apollon, dit le dieu du Feu en jetant la pièce de métal
sur un établi. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
— On doit parler d’armes, dit Hadès. Ma première source
d’inquiétude est ce filet.
Il hésitait à en parler, car il savait qu’Aphrodite avait accusé
Héphaïstos d’être responsable de l’attaque contre Harmonie, croyant
que seule sa magie était assez puissante pour capturer un dieu. Le
problème était qu’elle n’avait pas tort.
Il avait construit un filet indestructible, dont tous les dieux
connaissaient l’existence, y compris Déméter.
— Je crois qu’on est tous d’accord pour dire que le filet utilisé
pour immobiliser Harmonie et Tyché a été fabriqué d’après le tien.
Héphaïstos ne dit rien et la tension devint palpable.
— Alors comment on y échappe ? demanda Apollon avant de
s’adresser à la déesse de l’Amour. Aphrodite ?
Héphaïstos se crispa des pieds à la tête et Aphrodite plissa les
yeux.
— On n’y échappe pas, dit-elle avant de se tourner vers son mari.
Il faut en être libéré.
— Ne peux-tu pas forger une arme pour le couper ?
— Rien n’est impossible, répondit Héphaïstos. Mais j’aurais
besoin de savoir comment ils ont fabriqué leur filet.
Hadès regarda Apollon. Il ne pensait pas qu’obtenir cette
information serait facile. Il regrettait qu’Ariadne n’ait pas voulu les
aider contre Thésée. Il était certain qu’elle connaissait ses opérations
et, si elle ne savait pas comment les armes étaient fabriquées, elle
savait qui s’en chargeait.
— Dans ce cas, il s’agit peut-être de l’arme qui a servi à tuer
Tyché, dit-il au dieu de la Musique.
— J’ai d’abord cru qu’elle avait été poignardée avec la faux de
Cronos, mais ses plaies ont une forme différente. Ça ressemble
plutôt à une flèche, mais une simple flèche n’aurait pas pu tuer un
dieu.
— Qu’est-ce qui rend la faux de Cronos aussi dangereuse ?
demanda Aphrodite.
— Elle est faite en adamantine, dit Héphaïstos. Mais cette pierre
ne fait que blesser, elle ne peut pas nous tuer. La lame qu’a utilisée
Tyché devait être… couverte de quelque chose. D’un poison.
Ou d’un venin, pensa Hadès.
— Héraclès faisait couvrir ses flèches de sang d’hydre, dit-il à
voix haute.
Avant que l’hydre ne devienne une résidente des Enfers, elle était
entre les mains d’Héra. Il se demanda quelle quantité de venin
Thésée avait récoltée avant qu’Hadès ne la tue.
— Eh bien, dit Héphaïstos. On dirait que vous n’aviez pas besoin
de moi, finalement.
— C’est faux, répondit Hadès. J’ai besoin d’une armure.
— Tu en as une, dit le dieu du Feu.
— Ce n’est pas pour moi. C’est pour Perséphone.

*
* *
Hadès retourna aux Enfers, même s’il angoissait à l’idée de revoir
Perséphone. Il ne savait pas trop ce qu’il allait lui dire. Est-ce que l’un
des deux serait prêt à parler de ce qui s’était passé ? Il ne se pensait
pas capable de verbaliser autre chose que des excuses, qui
semblaient inutiles, dans ce cas. Il ne pouvait même pas lui promettre
que ça n’arriverait plus jamais, car il n’avait pas la moindre idée de la
façon d’y remédier. Peut-être que la seule chose à dire était qu’il
ferait mieux ; mais cela ne semblait pas suffisant non plus.
Son cœur battait bizarrement, ni fort, ni vite, mais de façon
irrégulière, et cela ne fit qu’empirer quand il trouva Perséphone dans
la bibliothèque, assise dans son fauteuil habituel, un livre entre les
mains. Elle sentit immédiatement sa présence et leva la tête quand il
entra. Hadès se sentit piégé par son regard, incapable de battre en
retraite ni même d’avancer. Peut-être était-ce parce qu’elle avait l’air
hantée et qu’il savait qu’il en était responsable.
Ils restèrent dans un silence tendu pendant un long moment et
Hadès chercha désespérément quoi dire, mais aucune parole ne lui
paraissait juste. C’est Perséphone qui finit par parler.
— J’ai vu Tyché aujourd’hui, dit-elle. Elle pense que la raison pour
laquelle elle n’a pas pu se guérir est que les Moires ont coupé son fil
de vie.
— Les Moires n’ont pas coupé son fil, dit-il simplement.
Les Moires n’avaient jamais coupé le fil de vie d’un dieu, à
l’exception de Pan. Même ceux qui étaient au Tartare n’étaient pas
morts, mais simplement emprisonnés.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— La Triade a réussi à trouver une arme qui peut tuer les dieux,
dit-il.
— Tu sais ce que c’est, c’est ça ?
— Je n’en suis pas sûr, répondit-il, hésitant à se prononcer tant
qu’ils n’avaient pas une flèche entre les mains pour le prouver.
Cependant, c’était une bonne piste.
— Dis-moi.
— Tu as vu l’hydre, dit-il. Par le passé, elle a été utilisée dans
plusieurs batailles et a perdu plusieurs têtes, mais elle se régénère.
Ses têtes ont une valeur inestimable, car son venin est utilisé comme
poison. Je crois que Tyché a été neutralisée par une nouvelle version
du filet d’Héphaïstos, et poignardée avec une flèche empoisonnée au
sang de l’hydre. Une relique, pour être plus précis.
— Une flèche empoisonnée ?
— C’étaient les armes biologiques de la Grèce antique. Ça fait
des années que j’essaie de retirer ce genre de relique de la
circulation, mais elles sont nombreuses et il existe des réseaux
entiers dédiés à les trouver et à les revendre. Je ne serais pas surpris
que la Triade ait réussi à mettre la main sur quelques-unes d’entre
elles.
— Tu m’avais dit que les dieux ne pouvaient mourir que s’ils
étaient jetés au Tartare et déchiquetés par les Titans.
— En général, oui, admit Hadès. Mais le venin de l’hydre est
puissant, même pour les dieux. Il ralentit notre guérison et il est
probable que si un dieu est poignardé suffisamment de fois…
— … il meure.
Hadès acquiesça.
— Je crois qu’Adonis a également été tué par une relique.
Il hésitait à lui faire part de cette information maintenant, alors
qu’il la détenait depuis si longtemps.
— Par la faux de mon père, ajouta-t-il.
— Qu’est-ce qui te fait croire ça ?
Il aurait dû lui dire qu’ils avaient trouvé un morceau de lame dans
le corps d’Adonis, mais Hadès ne voulait pas que l’on sache qu’il
l’avait donné à Héphaïstos pour qu’il forge une nouvelle arme. Non
pas qu’il croie que Perséphone le divulguerait, mais il craignait trop
que quelqu’un tente de lui soutirer l’information.
— Parce que son âme a été brisée.
— Pourquoi tu ne me l’as pas dit ?
— Je suppose que j’attendais d’être en état de t’en parler. Voir
une âme brisée n’est pas facile, et ça l’est encore moins de la porter
jusqu’aux Champs Élysées.
Hadès baissa les yeux sur son livre, gêné par leur conversation,
même si elle était préférable aux autres options.
— Qu’est-ce que tu lis ?
— Je cherchais des informations sur la Titanomachie.
— Pourquoi ?
— Parce que… je crois que ma mère a un objectif plus grand que
notre séparation.
Hadès le savait déjà, mais il devait admettre qu’il ne comprenait
pas trop ses raisons. Son objectif semblait aller au-delà de son
premier souhait de le séparer de Perséphone, en effet ; elle
paraissait vouloir mettre fin au monde.
Chapitre XXXVIII

HADÈS

Hadès partagea sa journée entre l’Iniquité et Nevernight. Cela


faisait longtemps qu’il ne s’était pas concentré sur des affaires
quotidiennes, or il y avait des marchés à conclure et des contrats à
établir. Après toutes ces années à occuper ce poste, Hadès savait
que s’il y avait une certitude dans ce monde, c’était la nature
prévisible des désirs des dieux et des mortels. Peu importait que la
menace d’une guerre plane au-dessus de leur tête, ils chercheraient
toujours l’amour, la richesse et le pouvoir.
Hadès n’était en rien différent.
Il avait passé toute sa vie à espérer l’amour, conscient de son
absence, telle une épine plantée dans sa poitrine. Par le passé, il
pensait que c’était un désir égoïste, mais il comprenait maintenant
que c’était la seule chose qui rendait tout ça supportable. C’était la
seule chose qui le ferait tenir dans cette guerre.
S’il s’y préparait quotidiennement, et ce depuis longtemps, il
n’avait pas eu le temps de réfléchir à ce que cela impliquerait de
retourner au combat. Peut-être était-ce pour le mieux, cependant, car
quand il s’attardait trop sur la question, il se souvenait du poids de
son armure, de la manière dont elle emprisonnait la chaleur et lui
donnait l’impression d’être brûlé vif. Il se souvenait du bruit des corps
percés par des lances, de l’odeur des flammes et de la mort. Il se
souvenait du sang – de sa couleur et de sa texture – et se souvenait
encore du jour où il n’avait plus remarqué son odeur, tant elle était en
permanence dans l’air.
La guerre est inévitable quand un grand pouvoir est en jeu, tout
comme lorsqu’il s’agit d’un grand amour. En fin de compte, Hadès
l’affronterait, et il se battrait pour Perséphone pendant qu’elle se
battrait pour le reste du monde.
— Tu fais peur à voir.
Hadès se tourna vers la porte de son bureau de Nevernight, où se
tenait Hécate.
— Je ne me sens pas fabuleux, admit Hadès.
Il ne s’était pas couché, même après que Perséphone le lui avait
demandé. Il l’avait vexée et elle était partie dormir dans la suite de la
reine, ce qui signifiait qu’il ne l’avait pas vue se lever pour aller au
travail, non plus, et son absence pesait lourd sur ses épaules.
Il aurait dû céder et la rejoindre. En fait, il la punissait pour ses
propres échecs. Il ne savait pas pourquoi il pensait que prendre ses
distances était la meilleure solution.
— Tant mieux, dit Hécate. J’ai besoin de toi.
Hadès haussa les sourcils.
— Pour quoi faire ?
— Je t’ai fait un costume, dit-elle. J’ai besoin de te voir avec pour
décider s’il me plaît.
— Il est noir ? demanda Hadès.
— Non, il est jaune, répondit Hécate, faisant sourire Hadès. Bien
sûr qu’il est noir. Tu crois vraiment que j’essaierais d’envelopper ton
âme lugubre dans une autre couleur que le noir ?
— S’il est noir, pourquoi j’ai besoin de l’essayer ? Tu sais de quoi
j’aurai l’air.
— Finalement, je suis sûre que le costume va me plaire. C’est toi
qui me poses problème.
Hadès ricana et se leva.
— D’accord, Hécate. Fais-toi plaisir.

*
* *
— Arrête de gigoter ! ordonna Hécate en serrant les aiguilles
entre ses lèvres.
Elle était agenouillée et trifouillait le bas de sa veste.
Hadès n’y pouvait rien. Il pensait que ce costume ressemblerait à
ceux qu’il portait tous les jours, mais quand il l’avait enfilé, il avait
découvert qu’il ne ressemblait en rien à ses vêtements habituels.
Cela dit, ce n’était pas pour ça qu’il gigotait. C’était parce qu’en
l’essayant, il réalisait qu’il allait vraiment se marier.
— C’est de la soie ? demanda-t-il.
— C’est de la laine, siffla Hécate. Si tu n’arrêtes pas de bouger, je
vais te geler sur place.
— De la laine ? Pourquoi il est si brillant ?
— Parce qu’il est doux, Hadès.
Il gloussa.
— Pourquoi tu es aussi énervée ?
— Je ne sais pas si tu es au courant, Hadès, mais ta simple
présence est agaçante.
— Tu ne peux pas utiliser ta magie pour l’ajuster ? Ce serait plus
facile.
— Plus facile, oui, dit-elle. Mais ce projet me tient à cœur, et je
préfère coudre à la main.
Hadès déglutit. Il avait beau la taquiner, il était reconnaissant
d’avoir l’amitié d’Hécate.
— Là, dit-elle en se levant et en reculant pour l’observer.
— C’est parfait, Hécate, dit Hadès en étudiant son reflet. Je ne te
remercierai jamais assez.
— Tu peux me remercier en te mariant vraiment, dit la déesse.
J’ai écrit un discours.
— Tu sais bien que ce n’est pas une question de volonté.
— Tu feras exactement ce que tu veux, dit-elle. Ça a toujours été
le cas, peu importe les conséquences. Ce qui compte, c’est que
Perséphone va avoir besoin de ta magie pour ce qui nous attend.
C’était ça, la véritable raison pour laquelle Zeus voulait avoir son
mot à dire au sujet de leur union, et pour laquelle il consulterait
l’Oracle à ce sujet. Que ressortirait de l’union de la vie et de la mort ?
Ils étaient le début et la fin, l’aube et la nuit. Ils étaient sans fin, et leur
magie le serait aussi.
— Qu’est-ce qui nous attend, Hécate ? demanda Hadès en
haussant un sourcil.
Hécate était la triple déesse, capable de voir le passé, le présent
et le futur – mais même avec cet immense pouvoir, Hadès ne
l’interrogeait jamais. Il faisait confiance à Hécate pour le guider, et
c’était ce qu’elle faisait. Mais maintenant qu’elle avait verbalisé
l’existence de cette menace, il ne pouvait se retenir de la
questionner.
— Tu sais ce qui nous attend, dit-elle en le regardant dans les
yeux. Tu le sens jusque dans tes os. C’est pourquoi, même si tu veux
te battre pour Perséphone, tu continues de la repousser.
Hadès réfléchit à ses propos.
Il était vrai qu’il s’efforçait d’enfouir une part de lui, une part qui
ressentait les choses de façon trop intense.
— Être froid dans cette guerre ne te servira à rien, Hadès, dit la
déesse. C’est une bataille qu’il vaut mieux mener par passion.
Hécate le dévisagea un moment, puis elle baissa les yeux sur son
costume.
— Ça me plaît… mais il manque quelque chose. Une
boutonnière, non ? Quelle fleur veux-tu, Hadès ?
Elle fit un pas de côté pour qu’il puisse se regarder dans le miroir,
mais il n’avait pas besoin de le faire. Il savait quelle fleur choisir, et
quand il toucha la poche de sa veste, une primevère rouge s’y
épanouit. C’était la fleur qu’il portait lors de sa première rencontre
avec Perséphone et qu’elle avait fait faner d’un simple toucher.
— Parfait, déclara Hécate.

*
* *
Après l’interruption d’Hécate, Hadès termina quelques tâches
sans grand intérêt, puis il se rendit dans les jardins des Enfers. Il
déambula jusqu’au Pré d’Asphodèle, où il fut rejoint par Cerbère,
Typhon et Orthos. Ils avaient tous les trois été très occupés, étant
donné le nombre d’âmes qui étaient arrivées aux Enfers, et ils
semblaient frémir d’énergie réprimée.
— Vous voulez jouer, les garçons ? demanda Hadès.
Il n’ordonna pas à Cerbère de lâcher sa balle rouge et quand il
voulut la lui prendre, le doberman planta ses crocs dedans, luttant
contre la poigne d’Hadès. Typhon et Orthos s’impatientèrent et se
mirent à aboyer.
Hadès attendit que Cerbère morde la balle assez fort pour la
lâcher. Surpris, le molosse la laissa tomber et Typhon et Orthos se
jetèrent dessus, heurtant la balle, qui roula aux pieds d’Hadès.
Ils se précipitèrent sur lui et foncèrent dans ses jambes. Hadès
tituba et tomba sur le dos, mais aucun ne parvint à récupérer le jouet.
— Assis ! ordonna-t-il en s’asseyant dans l’herbe.
Les trois chiens obéirent aussitôt.
Il se leva et ramassa la balle, et les trois molosses suivirent ses
gestes des yeux, les muscles bandés, prêts à foncer à travers les
Enfers pour récupérer leur jouet préféré. Hadès les comprenait ;
c’était le seul répit qu’ils avaient dans leurs devoirs.
— Pas bouger, dit-il en jetant la balle, qui fendit le ciel et disparut
quelque part dans la clairière de Perséphone.
Aucun des chiens ne bougea, sauf Orthos qui frétillait, car c’était
celui qui avait le plus de mal à se contrôler lorsqu’il s’agissait de
jouer.
— Go !
Il avait à peine ouvert la bouche que les bêtes s’enfuirent vers le
bois. Hadès rit en les observant courir, laissant un sillon d’herbe
aplatie sur leur passage. Parfois, il avait du mal à se rappeler que les
trois chiens étaient en fait des monstres redoutables.
Il les regarda courir vers le bois et remarqua que celui-ci était
différent. Les arbres, au feuillage habituellement si vert et aux troncs
argentés, étaient semblables à des squelettes et complètement nus,
comme si sa magie avait été vidée de cette partie des Enfers.
Bizarre.
Il se téléporta et eut l’impression d’atterrir dans un champ de
bataille. Des étendues de terre étaient striées de fissures profondes
et de gouffres. Des amas de ronces sortaient de terre, s’enroulant de
façon si épaisse autour des arbres qu’il était difficile de voir où un
arbre commençait et où un autre finissait, même si la plupart avaient
été réduits en cendres qui s’envolaient dans le vent.
Hadès sentait la magie d’Hécate, mais également celle de
Perséphone.
Elles paraissaient avoir eu un sacré entraînement.
Typhon bondit vers lui, la balle rouge dans la gueule, un fort
contraste avec le désert grisâtre qu’était devenu le Bois de
Perséphone.
Hadès prit son temps pour le remettre en ordre, invoquant son
Charme pour faire pousser les arbres et rendre leur feuillage plus
épais, couvrant le sol sec d’un tapis de pervenches et de phlox blanc,
les fleurs qu’il avait aidé Perséphone à faire pousser ici même quand
il lui avait appris à canaliser son énergie et sa magie. Ces souvenirs
en invoquèrent d’autres, plus passionnés. Il voulait revivre ce
moment.
Une fois terminé, il sortit du bois et retourna dans les champs.
Typhon avait conservé la balle et refusait de la céder, et les chiens
coururent en cercle autour de leur maître. Leur excitation le fit rire et il
suivit leurs mouvements jusqu’à ce que Cerbère se détache du
groupe, suivi par Typhon et Orthos, pour courir vers Perséphone.
Elle lui coupa le souffle. Elle marchait vers lui, enveloppée d’une
lumière douce comme la lune. Elle avait l’air sauvage et son énergie
était brute. Celle-ci se frotta à la sienne d’une façon qui n’était pas
inconfortable, mais qui embrasa son sang.
Elle parut hésiter tout en soutenant son regard et s’arrêta à
quelques pas de lui. Hadès avait l’impression qu’un fossé les
séparait.
— Je ne t’ai pas vu de la journée, dit-elle.
— Elle a été chargée, répondit-il. Tout comme la tienne. J’ai vu la
clairière.
— Tu n’as pas l’air impressionné.
— Je le suis, mais je mentirais si je disais que j’étais surpris. Je
connais tes capacités.
Hadès regarda Perséphone qui mordillait sa lèvre inférieure, et un
silence s’installa entre eux. Il voulait sentir sa bouche sur lui, sur tout
son corps.
— Tu es venue me dire bonne nuit ? demanda-t-il.
Elle soupira avant de répondre.
— Tu ne viens pas te coucher avec moi ?
Ce n’était pas qu’il ne le désirait pas, mais ils n’avaient toujours
pas parlé de l’autre soir. Il ravala le nœud dans sa gorge.
— Je te rejoins bientôt.
Il ne savait pas à quoi il s’attendait, mais Perséphone ne partit pas
et parut s’agacer.
— Je veux parler de l’autre soir.
La poitrine d’Hadès se comprima, il se demanda s’il était prêt à
affronter cette conversation.
— Je n’ai pas voulu te faire mal, dit-il sans pouvoir la regarder
dans les yeux.
Il se racla la gorge.
— Je sais, chuchota Perséphone.
— J’étais tellement perdu dans mon désir, dans ce que je
souhaitais te faire, que je n’ai pas vu ce qui se passait. J’ai été trop
loin. Ça ne se reproduira plus jamais.
Il y eut un bref silence.
— Et si c’est ce que je veux ?
Hadès la regarda dans les yeux et elle poursuivit.
— Je veux essayer tellement de choses avec toi, mais j’ai peur
que tu ne veuilles plus de moi.
Ses propos le prirent de court.
— Perséphone…
— Je sais que c’est faux, mais je ne peux pas m’empêcher de le
penser et je préfère dire ce que je pense plutôt que de le garder pour
moi. Je veux continuer d’apprendre avec toi.
Il effaça la distance qui les séparait et prit son visage dans ses
mains. Elle paraissait si fragile, tout en étant si forte.
— Je te voudrai toujours, chuchota-t-il avant de l’embrasser sur le
front.
Elle saisit ses avant-bras, comme si elle voulait l’empêcher de
bouger.
— Je sais que je t’ai fait du mal, mais j’ai besoin de toi.
— Je suis là.
Elle prit ses mains dans les siennes et les posa sur ses seins.
— Touche-moi, dit-elle. On peut y aller lentement.
Hadès déglutit, une bouffée de chaleur se précipitait dans sa tête,
et sa verge devenait lourde et dure. Il la toucha, appuyant son front
contre le sien, et ses tétons durcirent sous ses doigts.
— Quoi d’autre ?
— Embrasse-moi, dit-elle, à bout de souffle.
Il essaya de ne pas se précipiter, de l’embrasser tendrement et
délicatement, mais putain, c’était dur. Perséphone était tellement
douce et réceptive, et chaque coup de sa langue le faisait bander de
plus belle et lui rappelait combien il voulait être enfoui dans sa
chaleur.
Il se rapprocha d’elle et saisit sa nuque, la penchant en arrière
pour l’embrasser plus fermement et plus vite, envoûté par le feu qui
crépitait dans son bas-ventre, mais il finit par se figer et par reculer.
— Pardon, je ne t’ai pas demandé si je pouvais.
— Ce n’est rien, dit-elle en plongeant ses yeux scintillants dans
les siens. Je vais bien.
Cette fois, c’est Perséphone qui prit les rênes, et sa bouche devint
affamée et exigeante. Il aimait qu’elle prenne le contrôle, et dans ce
cas, cela le rassurait un peu.
Elle plongea ses mains dans ses cheveux et l’attira contre elle,
puis elle explora tout son corps jusqu’à sa verge. Il se colla à elle,
serrant les dents pour supporter la friction de leurs corps.
— Touche-moi, dit-il.
Elle l’aguicha encore quelques secondes à travers ses
vêtements, puis elle déboutonna son pantalon et prit son érection
dans sa main.
Dieux, que c’était bon.
Il l’embrassa plus fort, hypnotisé par sa main sur sa queue. Il lui
semblait que toutes les sensations de son corps provenaient de cet
endroit, et Perséphone détenait le contrôle ; elle pouvait le plier à sa
volonté et le briser, et il la laisserait faire.
— Agenouille-toi, chuchota-t-elle d’une voix suave.
Ils se retrouvèrent tous les deux à genoux.
Elle le poussa sur le dos et rampa sur lui, pressant sa chair
chaude et trempée à son érection en le chevauchant.
Hadès planta ses ongles dans ses cuisses. Perséphone se
souleva et le guida en elle. Il avait du mal à se contenir, quand elle
s’assit sur lui, il souleva son bassin. Leurs corps se percutèrent et se
mirent à se mouvoir tantôt à l’unisson, tantôt sans coordination. Peu
importait, du moment qu’ils étaient l’un dans l’autre, du moment qu’ils
se noyaient dans l’extase qui parcourait leurs veines.
— Oui, siffla-t-il. Putain.
Il s’assit, posant une main dans le creux de ses reins, l’autre se
glissa entre eux pour caresser son clitoris. Tout le corps de
Perséphone se contracta quand elle jouit, frémissant sur lui, et cela
suffit à déclencher l’orgasme d’Hadès. Il poussa un grognement et se
rallongea en l’emportant avec lui. Ils restèrent ensuite allongés au
milieu du champ, silencieux et heureux, jusqu’à ce que Perséphone
se lève sur ses jambes tremblantes.
— Tu vas bien ? demanda Hadès en lui tenant les mains pour
l’aider à trouver l’équilibre.
— Oui, acquiesça-t-elle en riant. Très bien.
Hadès se leva à son tour, reboutonna son pantalon, puis lui prit la
main.
— Tu es prête à te coucher, ma chérie ?
— Du moment que tu viens aussi, répondit-elle en haussant un
sourcil.
— Bien sûr, dit-il en souriant.
Ils traversèrent le jardin fleuri et Hadès se sentit heureux dans le
silence détendu qui les enveloppait. Toutefois, en approchant du
palais, il repensa à ce qu’elle lui avait dit dans le pré à propos du fait
qu’elle désirait plus et qu’elle craignait qu’il ne veuille pas d’elle.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle lorsqu’il ralentit.
— Quand tu dis que tu veux… essayer des choses avec moi.
Quelles choses, exactement ?
Il aimait qu’elle rougisse encore avec lui.
— Qu’est-ce que tu es prêt à m’apprendre ?
— Ce que tu veux, chuchota-t-il. Tout ce que tu voudras.
Elle l’étudia quelques secondes, la tête penchée sur le côté,
comme si elle envisageait la suite.
— Peut-être qu’on devrait commencer par là où on a échoué,
répondit-elle. Le… bondage.
Cette conversation et cet instant lui paraissaient irréels, comme si
tous les fantasmes qu’il avait eus un jour se réalisaient de la façon la
plus sensuelle qui soit.
Il n’avait jamais douté que Perséphone était faite pour lui, et elle
le lui prouvait chaque jour un peu plus.
— Tu es sûre ? demanda-t-il en coiffant une mèche qui tombait
sur son visage.
— Je te le dirai, si je ressens de l’angoisse.
Il était soulagé qu’ils puissent repartir à zéro, même si cela
impliquait de marcher sur les ruines d’un traumatisme. Il se
rapprocha d’elle et saisit sa nuque pour appuyer son front contre le
sien.
— Mon cœur est entre tes mains, Perséphone.
— Et ta queue aussi, apparemment, dit Hermès d’un ton enjoué.
Hadès recula brusquement en grognant le nom du dieu de la
Ruse, mais sa frustration se changea vite en appréhension quand il
le découvrit vêtu de robes dorées.
— J’ai préféré vous interrompre maintenant plutôt qu’il y a
quelques minutes, expliqua-t-il.
— Tu nous regardais ? demanda Perséphone en grimaçant.
— En même temps… vous baisiez au beau milieu des Enfers,
remarqua Hermès.
— Et je t’ai projeté au moins aussi loin, par le passé, répondit
Hadès. Tu veux que je te le remontre ?
— Euh… non. Si tu dois être énervé contre quelqu’un, sois-le
contre Zeus. C’est lui qui m’envoie.
— Pourquoi ? demanda Perséphone.
— Il exige un festin, dit Hermès.
— Un festin ? répéta-t-elle en se tournant vers Hadès, qui grinça
des dents. Ce soir ?
— Oui, dans une heure exactement, précisa le Messager des
dieux en regardant son poignet, dénué de montre.
— Et on est obligés d’y aller ? demanda la déesse.
— Ben, je ne vous ai pas regardés baiser pour rien, répondit
Hermès.
Hadès réfléchissait déjà à la manière dont il punirait le dieu pour
son voyeurisme.
— Pourquoi sommes-nous obligés ? Et pourquoi à la dernière
minute ? demanda Perséphone.
Hadès savait pourquoi ; parce que c’était censé être leur banquet
de fiançailles. Un terme particulièrement inapproprié, étant donné
qu’à la fin de la soirée, Zeus déciderait s’ils pouvaient se marier ou
pas.
— Il ne l’a pas dit, mais peut-être qu’il a enfin décidé de bénir
votre union ? répondit Hermès en gloussant. Après tout, pourquoi
organiserait-il un banquet s’il comptait dire non ?
— Tu as oublié qui est mon frère ? demanda Hadès.
— Hélas, non. C’est mon père, répondit Hermès avant de frapper
dans ses mains. Bon, ben, je vous vois bientôt.
Hermès partit, et Perséphone se tourna vers Hadès.
— Tu crois que c’est vrai ? Qu’il nous invoque pour nous donner
sa bénédiction ?
Bénédiction était un terme trop généreux.
— Je préfère ne pas m’avancer.
Elle fronça les sourcils et se tut un instant.
— Qu’est-ce que je dois mettre ? demanda-t-elle.
Hadès faillit éclater de rire, mais étant donné que c’était la
première fois qu’ils allaient se présenter ensemble à un festin
olympien, leurs tenues devraient être une déclaration ; prouver qu’ils
étaient déjà unis, même si Zeus leur disait non.
— Laisse-moi t’habiller.
Elle plissa les yeux, dubitative.
— Tu crois vraiment que c’est sage ?
— Oui, répondit-il en passant un bras dans son dos pour l’attirer
contre lui. Principalement parce que ce sera rapide, donc ça nous
laisse environ cinquante-neuf minutes pour faire tout ce que tu
désires.
— Tout ? demanda-t-elle en se mettant sur la pointe des pieds
pour approcher sa bouche de la sienne.
— Oui, chuchota-t-il alors que le regard de Perséphone embrasait
son sang.
— Alors je désire… un bain.
Hadès éclata de rire et sourit jusqu’aux oreilles. C’était bon de
rire, étant donné la soirée qu’il s’apprêtait à passer.
— Vos désirs sont des ordres, ma reine.
Chapitre XXXIX

HADÈS

Hadès prit son temps pour admirer Perséphone.


Quand il s’agissait de s’habiller lui-même, il préférait la simplicité,
et même s’il avait appliqué le même concept à la robe qu’il avait
invoquée pour Perséphone, elle rendait magnifiquement bien sur elle.
La manière dont elle était drapée sur son corps avait quelque chose
de royal, et elle la portait comme une reine.
— Lâche ton Charme, ordonna-t-il d’une voix douce.
Elle obéit sans hésiter et il sentit sa magie s’échapper. Il aimait la
voir se transformer et il imaginait qu’il en était de même pour elle. Ils
étaient si rarement sous cette forme ensemble que cela avait
quelque chose d’érotique et d’interdit.
— Une dernière chose, dit-il en levant les deux mains, faisant
apparaître une couronne en métal.
— Tu n’essaierais pas de prouver quelque chose, Milord ?
demanda-t-elle quand il la plaça sur sa tête.
— Je pensais que c’était évident.
— Quoi, que je t’appartiens ? s’enquit-elle en le dévisageant.
— Non, répondit-il. Que nous nous appartenons l’un à l’autre.
Il l’embrassa tendrement, ne révélant rien du désir qui embrasait
son sang. La voir ainsi était un rêve.
— Tu es sublime, ma chérie, déclara-t-il d’une voix calme et
pleine d’admiration.
Elle était sereine en étudiant son visage, et il s’inquiéta de ne pas
pouvoir déchiffrer son expression.
Il caressa tendrement sa joue.
— Tu vas bien ?
— Parfaitement, oui, répondit-elle en lui offrant un sourire qui
n’était pas tout à fait sincère.
Elle redoutait sans doute de devoir affronter les Olympiens, et il
ne pouvait pas lui en vouloir. Interagir avec eux et ne pas se laisser
piéger par leurs jeux manipulateurs était épuisant. Cette soirée allait
être difficile pour Hadès, et encore pire pour elle.
— Tu es prêt ?
— Je ne suis jamais prêt pour aller à Olympe, répondit-il. Reste à
mes côtés.
Il l’emmena dans la cour d’Olympe où s’étaient tenues les
funérailles de Tyché. Loin au-dessus de leurs têtes, au sommet de la
montagne, se dressait le Temple du Soleil, d’où provenait une
cacophonie de musique et de voix qui s’annonçait déjà gaie et
épuisante.
Il se demanda si Hélios allait se joindre aux festivités, étant donné
que c’était dans ce temple qu’il avait l’habitude de séjourner pendant
la nuit, après être rentré de son voyage dans le ciel. Hadès redoutait
de le voir, mais il présumait que le dieu du Soleil serait là. Peu
importait qu’il déteste Hadès, les dieux se rassemblaient toujours
quand il y avait du vin, de l’ambroisie et la possibilité d’un coup de
théâtre.
— Je suppose que c’est notre destination ? demanda
Perséphone.
— Hélas.
Il s’y serait téléporté, mais il n’était pas pressé d’arriver. Et puis,
s’ils marchaient, Perséphone verrait un peu d’Olympe avant
d’affronter ses habitants, ce qui leur ferait du bien à tous les deux.
Ils entamèrent la montée, et si les résidences des dieux ne
l’intéressaient pas particulièrement, il aima observer Perséphone qui
en appréciait la beauté. Ce n’était pas qu’Hadès ne reconnaissait pas
la splendeur des villas, mais ce n’était pas une chose à laquelle il
accordait de l’importance. C’était un royaume au sommet du monde,
qui ne servait qu’à rappeler aux mortels ce qu’ils ne pourraient jamais
avoir. Au moins dans son royaume, une vérité restait immuable : tout
avait une fin.
Ils arrivèrent au Temple du Soleil au bout de quelques minutes de
marche.
Il avait essayé de s’y préparer, mais il n’avait pas eu assez de
temps, et c’était bien pire qu’il ne l’avait imaginé. Il y avait trop de
monde. Tous étaient réunis sur le porche du temple, et ils parlaient
tous en même temps.
Il détestait ça.
Un silence s’abattit sur l’assemblée et tous les regards se
posèrent sur eux.
Il détestait encore plus ça.
À ses côtés, Perséphone lui serra la main et quand il tourna la
tête vers elle, elle lui souriait. Elle avait un air… enchanteur.
— Il semblerait que je ne sois pas la seule à ne pas pouvoir te
quitter des yeux, mon amour, chuchota-t-elle. L’assemblée entière
est sous ton charme.
Il sourit jusqu’aux oreilles.
— Mais, chérie, c’est toi qu’ils regardent.
Hadès perçut la crainte qui grandissait au fur et à mesure qu’ils
avançaient et que la foule se séparait pour les laisser passer. Ceux
qui étaient réunis là étaient des dieux mineurs, des Favoris, des
nymphes, des satyres et d’autres serviteurs des Olympiens. Comme
les mortels, ils avaient tous un avis sur lui. Certains étaient
indifférents, la plupart avaient peur.
— Sephy !
Perséphone lâcha la main d’Hadès, pour se retourner vers
Hermès, qui traversait la foule jusqu’à eux. Il était vêtu d’un costume
jaune citron brodé de fleurs.
C’était sans doute la chose la plus moche qu’Hadès ait jamais
vue.
— Tu es canon ! dit-il en prenant ses mains dans les siennes et
en les levant pour étudier sa robe.
— Merci, Hermès, mais c’est le travail d’Hadès que tu
complimentes. C’est lui qui a créé la robe.
Il y eut quelques cris de surprise dans la foule, suivis d’un
brouhaha de murmures.
Personne n’avait cessé de les regarder et de les écouter depuis
leur arrivée.
— Bien évidemment, et dans sa couleur favorite, remarqua
Hermès d’un air enjoué.
— En fait, Hermès, le noir n’est pas ma couleur préférée.
Il y eut d’autres chuchotements et Hadès eut l’impression
d’entretenir une conversation avec toute la foule.
— Alors c’est quoi ? cria quelqu’un.
Hadès esquissa un sourire avant de répondre.
— Le rouge.
— Le rouge ? demanda quelqu’un d’autre. Pourquoi le rouge ?
Hadès regarda Perséphone en la prenant par la taille.
— Je crois que j’ai commencé à aimer le rouge quand
Perséphone a porté une robe de cette couleur au Gala olympien.
Il y eut quelques soupirs, mais une voix résonna par-dessus le
bruit de la foule.
— Qui aurait cru que mon frère était aussi romantique ? demanda
Poséidon en riant sèchement.
Hadès n’avait pas vu son frère depuis qu’il avait emmené
Dionysos sur son yacht pour sauver Ariadne. Il se tenait face à lui,
Amphitrite suspendue à son bras, et Hadès se demanda si sa femme
était au courant de leur dernière entrevue et des menaces horribles
qu’il avait formulées.
— Ignore-le, dit Hermès. Il a bu trop d’ambroisie.
— Ne lui trouve pas d’excuses, dit Hadès. Poséidon a toujours été
un enfoiré.
— Frangin ! gronda Zeus.
Hadès prit une profonde inspiration pour se préparer à l’affronter.
Zeus fendit la foule jusqu’à eux et frappa Hadès dans le dos. Il avait
l’air joyeux et exubérant. Soit il était saoul, soit ses testicules avaient
commencé à repousser.
— Et la sublime Perséphone. Ravi que vous ayez pu venir.
— Nous avons cru comprendre que nous n’avions pas le choix,
dit Perséphone.
Zeus éclata d’un rire tonitruant.
— Tu déteins sur elle, frangin, ricana-t-il en mettant un coup de
coude dans les côtes d’Hadès.
Son regard avait un éclat de colère, comme si le ton de
Perséphone ne lui avait pas plu. Hadès s’en fichait, il l’avait adoré.
— Pourquoi ne seriez-vous pas venus ? C’est le festin de vos
fiançailles, après tout !
— Ça implique que nous avons ta bénédiction ? dit Perséphone.
Pour nous marier, précisa-t-elle.
Zeus rit à nouveau d’un ton ennuyé qu’il s’efforça de cacher en
l’exagérant.
— Ce n’est pas à moi de le décider, ma chère. Mon Oracle
prendra la décision.
— Ne m’appelle pas ma chère, répondit Perséphone.
— C’est un simple mot, répondit-il d’un ton dénué d’humour. Je ne
voulais pas t’offenser.
— Je me fiche de tes intentions, rétorqua Perséphone. Ce mot
m’offense.
Un silence assourdissant s’abattit sur l’assemblée. Hadès avait
beau savourer cet échange, il se rapprocha néanmoins de
Perséphone. Il connaissait bien la colère de Zeus, et rien ne la
déclenchait plus vite qu’un acte de défiance. Mais son frère finit par
éclater de rire.
— Hadès, ton joujou est un peu trop sensible.
Hadès ne sut quel mot l’agaça plus : joujou ou sensible. Mais peu
importe. Perséphone était sa reine, et Zeus lui avait manqué de
respect.
— Comment tu as appelé ma fiancée ? rugit Hadès en
empoignant Zeus à la gorge.
Les yeux de Zeus noircirent comme un ciel orageux, trahissant sa
menace envers Hadès. Sans doute n’était-ce pas le geste le plus
malin, étant donné qu’Hadès souhaitait la bénédiction de son frère,
mais il ne pouvait pas laisser passer cette insulte.
— Fais attention, Hadès. Ton destin est entre mes mains.
C’était Zeus qui décidait si Hadès se marierait, mais même ce
point était discutable. Hadès n’était pas opposé à défier Zeus, même
si cela entraînait un châtiment divin.
— Tu te trompes, frère, gronda Hadès d’une voix sourde. Excuse-
toi.
Il serra suffisamment la gorge du dieu pour le sentir déglutir.
— Perséphone, dit-il d’une voix grave et rauque. Excuse-moi.
Elle ne répondit rien, mais Hadès le lâcha.
Les yeux de Zeus étaient rivés sur lui, mais il finit par éclater de
rire en levant les bras en l’air.
— Allons festoyer !

*
* *
Ils entrèrent avec le reste de la foule dans la salle de banquet, où
plusieurs tables rondes étaient éparpillées. Hadès aurait aimé croire
qu’atteindre ce moment de la soirée signifiait qu’ils approchaient de
sa fin et que Zeus prendrait bientôt sa décision, mais il savait que ce
n’était que le début. Ils allaient devoir endurer cet horrible dîner ainsi
que les festivités qui suivraient. Il était possible, étant donné ce que
venait de faire Hadès, que Zeus repousse sa décision à un autre jour,
mais son frère avait mérité d’être embarrassé en public.
— Il semblerait qu’on ne soit pas assis ensemble, dit Perséphone
en le regardant.
— Comment ça ?
Elle désigna d’un hochement de tête la longue table placée sur
une estrade.
— Je ne suis pas olympienne.
— Tout cela est très surfait, répondit-il. Je m’assois avec toi. Où tu
veux.
— Ça ne va pas agacer Zeus ?
— Si.
— Tu veux m’épouser, ou pas ? demanda Perséphone en levant
les yeux vers lui.
— Chérie, je t’épouserai, quoi que dise Zeus.
Perséphone resta silencieuse quelques instants pendant qu’ils
déambulaient entre les tables.
— Qu’est-ce qu’il fait quand il est défavorable à une union ?
— Il arrange un mariage pour la femme, dit Hadès, mais cela ne
se produirait pas dans notre cas.
Il la guida vers l’une des tables au fond de la salle. Il préférait
s’asseoir aussi loin que possible des gens et avoir un œil sur l’entrée.
Il recula la chaise et aida Perséphone à s’y asseoir, puis il s’installa à
côté d’elle.
Perséphone sourit à l’homme et à la femme assis en face d’eux,
qui n’essayaient même pas de cacher leur terreur.
— Salut, je suis…
— Perséphone, dit l’homme. On sait qui tu es.
— Bien sûr, répondit la déesse d’un ton hésitant, et Hadès admira
qu’elle essaie d’être polie. Vous vous appelez comment ?
— Voici Thalès et Callista, dit Hadès. Ce sont les enfants
d’Apéliote.
— Apéliote ?
— Le dieu du Vent du Sud-Est, expliqua Hadès.
Il y avait un dieu pour chaque type de vent.
— V… vous nous connaissez ? demanda Callista.
Peut-être ai-je choisi la mauvaise table, pensa-t-il.
— Bien sûr.
— Hadès, qu’est-ce que tu fais ? demanda Aphrodite en s’arrêtant
devant leur table.
Héphaïstos se tenait derrière elle, comme une ombre.
— Je m’apprête à manger, répondit Hadès.
— Mais tu es à la mauvaise table, remarqua-t-elle, comme s’il ne
le savait pas.
— Tant que je suis avec Perséphone, je suis à ma place.
Aphrodite fronça les sourcils et Hadès se demanda pourquoi elle
s’intéressait à l’endroit où il était assis.
— Comment va Harmonie, Aphrodite ? demanda Perséphone.
— Bien, je suppose. Elle passe beaucoup de temps avec ta
copine Sybil.
— Je crois qu’elles sont devenues amies.
— Amies ? répéta Aphrodite avec un sourire pincé. Tu oublies que
je suis la déesse de l’Amour ?
Perséphone ne répondit rien et Aphrodite se tourna vers
Héphaïstos, qui lui tendit la main pour l’escorter à la table des
Olympiens.
— Tu crois qu’Aphrodite est… contre le choix de partenaire
d’Harmonie ?
— Tu me demandes si elle y est opposée parce que Sybil est une
femme ? Non. Aphrodite pense que l’amour est l’amour. Si Aphrodite
est agacée, c’est parce que la relation d’Harmonie implique qu’elle a
moins de temps pour elle.
Perséphone se tut quelques secondes et il la vit étudier la
déesse.
— Tu crois qu’Aphrodite et Héphaïstos se réconcilieront un jour ?
— On peut l’espérer, oui. Ils sont tous les deux parfaitement
insupportables.
Perséphone lui mit un coup de coude, mais Hadès avait
l’impression d’observer le désastre qu’était leur couple depuis le tout
début de leur mariage. Il ne savait pas ce qui avait mal tourné, mais il
s’était passé quelque chose le soir de leurs noces, et ni l’un ni l’autre
n’avaient plus jamais été pareils.
Le dîner apparut enfin quand Zeus daigna les rejoindre. Il avait
l’habitude de faire attendre les autres chaque fois qu’une occasion se
présentait pour leur rappeler son importance.
Hadès saisit une carafe argentée sur la table.
— De l’ambroisie ? proposa-t-il.
— Pure ? répondit Perséphone d’un ton surpris.
— Juste un peu, dit-il avant de lui en servir un fond et de remplir le
sien à ras bord.
Comme tous les alcools, il fallait développer une certaine
tolérance, et la sienne était élevée.
— Quoi ? dit-il quand il s’aperçut que Perséphone le dévisageait.
— Tu es alcoolique.
Techniquement, elle n’avait pas tort, mais l’alcool n’avait pas
d’effet sur lui.
— Fonctionnel, répondit-il.
Il regarda Perséphone siroter son ambroisie, puis se lécher les
lèvres.
— Ça te plaît ?
Il approcha son visage du sien, envisageant de l’embrasser pour
goûter l’alcool sur sa langue, mais il n’en fit rien.
Elle le regarda dans les yeux et répondit d’une voix suave.
— Oui.
Callista se racla la gorge et l’interruption agaça Hadès. Il l’aurait
ignorée, mais Perséphone était bien plus polie que lui.
— Vous vous êtes rencontrés comment ?
Un ricanement attira l’attention d’Hadès et il tourna la tête vers
Hermès, qui marchait vers eux, armé de son assiette et de ses
couverts.
— Tu es assise face à des dieux et c’est ça ta question ? se
moqua-t-il.
— Hermès, qu’est-ce que tu fais ? demanda Perséphone.
— Tu me manquais, répondit-il en s’installant à ses côtés.
Un mouvement poussa Hadès à tourner la tête vers la table des
Olympiens et il vit Apollon se lever pour aller s’asseoir à côté d’un
homme. Il supposa qu’il devait s’agir d’Ajax, le mortel au sujet duquel
le dieu de la Musique agonisait quand il l’avait vu pour connaître les
résultats de l’autopsie d’Adonis. Artémis avait l’air à la fois confuse et
agacée et Zeus avait un regard assassin. Ils n’aimaient pas voir des
Olympiens quitter leur place pour rejoindre la foule.
— Je crois que tu as lancé un mouvement, Hadès, dit
Perséphone.
Il la regarda dans les yeux et sourit en voyant son expression à la
fois amusée et admirative.
— J’ai une question, moi, demanda Thalès, et Hadès se
concentra sur le dieu mineur. Comment vais-je mourir ?
— D’une façon atroce, répondit Hadès sans hésiter.
Il n’était pas aussi franc, en temps normal, mais la réponse lui
semblait méritée, étant donné la question.
— Hadès ! gronda Perséphone.
Elle lui mit un coup de coude, mais cette fois, il l’intercepta et
caressa son bras pour lui prendre la main.
— C’est… c’est vrai ? demanda Thalès.
— Il plaisante, répondit Perséphone. N’est-ce pas, Hadès ? lui
demanda-t-elle avec un regard insistant et réprobateur.
— Non, répondit-il.
Hermès manqua s’étouffer en gloussant, mais une question idiote
méritait une réponse adaptée. Il envisagea d’ajouter que son destin
pouvait changer. Il était possible que les Moires n’apprécient pas que
le dieu des Morts ait fait part de leur plan à Thalès. Après tout, il ne
connaissait pas les détails ; il savait seulement que ce ne serait pas
une mort agréable.
Il y eut quelques minutes de silence bienvenues, jusqu’à ce que
Zeus recule sa chaise en la raclant bruyamment sur le sol afin
d’attirer l’attention de la salle, puis il fit tinter son verre si longtemps
qu’Hadès eut envie de le frapper.
Tous les regards se rivèrent sur lui, comme il le voulait.
— Nous sommes réunis ce soir pour célébrer mon frère, Hadès,
s’exclama-t-il, qui a trouvé une superbe jouvencelle qu’il souhaite
épouser. Perséphone, déesse du Printemps, fille de Déméter la
redoutable. Ce soir, nous célébrons l’amour et ceux qui l’ont trouvé.
Puissions-nous tous être aussi chanceux. Et Hadès…
Zeus leva son verre et tous les regards se dirigèrent sur
Perséphone et lui.
— Puisse l’Oracle bénir votre union.
Le discours de Zeus servit à rappeler à Hadès et Perséphone que
c’était lui qui décidait de leur destin, mais aussi à rappeler à tous les
autres que s’il refusait leur union, ce serait la faute de l’Oracle et non
la sienne.
Hadès s’obligea à lever son verre en regardant son frère, mais il
utilisa le geste pour transmettre sa promesse de vengeance plutôt
que pour accueillir ses propos.
Il porta son verre à sa bouche, Perséphone se tourna vers lui, et
son sourire attira son attention, comprimant sa poitrine. Il posa son
verre et se pencha pour l’embrasser.
Les applaudissements sans grand enthousiasme qui avaient suivi
le discours de Zeus devinrent voraces et joyeux, et Hermès siffla.
Hadès recula, Perséphone éclata d’un rire suave.
— Attention, Lord Hadès, chuchota-t-elle. Vous allez perdre votre
mauvaise réputation.
Il n’en était pas certain, mais il sourit tout de même.
Le reste du dîner se déroula dans un calme relatif, puis ils
retournèrent sous le porche, où Apollon avait choisi de jouer de la
lyre.
Sans doute voulait-il qu’on le félicite pour ses talents, tout en
impressionnant sa nouvelle conquête.
— On danse ? demanda Hadès en se tournant vers Perséphone.
— Rien ne me ferait plus plaisir.
Hadès la guida vers le milieu de la piste, l’attirant contre lui sans
la moindre intention de cacher son érection, qui avait surgi quand il
l’avait embrassée à table.
— Tu ne serais pas excité, mon amour ? demanda Perséphone
d’une voix sensuelle, les paupières lourdes.
Peut-être que l’ambroisie diminuait sa pudeur.
— Toujours, ma chérie, répondit-il d’un ton enjoué.
Elle glissa une main entre eux pour empoigner sa verge, et il
comprit que l’alcool avait clairement eu un effet désinhibant.
— Qu’est-ce que tu fais ? gronda-t-il à voix basse.
— Je ne crois pas avoir besoin de m’expliquer.
— Tu cherches à me provoquer devant ces Olympiens ?
— Te provoquer ? répondit Perséphone en riant. Je n’oserais
jamais.
Hadès l’attira contre lui en se demandant combien de temps il
supporterait qu’elle l’aguiche ainsi, car Perséphone lui rendait la
tâche très difficile.
— J’essaie juste de te faire plaisir, dit-elle en le regardant dans
les yeux.
— C’est le cas, dit-il.
Il s’empara de sa bouche dans un baiser langoureux qui devint de
plus en plus fiévreux parce qu’elle continuait à caresser son sexe, et
il vint un moment où il n’eut plus envie de réprimer son désir.
— Assez ! siffla-t-il en rompant le baiser.
Il avait suscité l’attention de toute la cour, mais il les couvrit de
Charme en empoignant les fesses de Perséphone pour la soulever.
— Hadès, tout le monde nous voit ! s’écria-t-elle.
— Écran de fumée, marmonna-t-il avant de se téléporter.
Il préférait rester à Olympe, puisque Zeus pouvait les invoquer à
tout moment pour consulter l’Oracle, alors il les emmena dans son
domaine qui n’était pratiquement jamais occupé.
— L’exhibitionnisme ne t’intéresse plus ? demanda-t-elle.
— Je ne peux pas me concentrer sur toi comme je veux tout en
maintenant l’illusion, répondit-il, ce qui était en partie vrai.
L’autre raison était que ses frères pouvaient voir à travers
l’illusion, mais il ne voulait pas parler d’eux maintenant.
Il la plaqua contre le mur et promena ses doigts sur sa fente
mouillée, sentant sa queue tressauter de plaisir.
Perséphone étouffa son cri et s’agrippa plus fort à lui en pressant
ses seins contre son torse.
— Tu es trempée, grogna-t-il. Je pourrais me gorger de toi, mais
pour l’instant, je me contenterai d’une dégustation.
Il retira ses doigts et les suça avant de l’embrasser à nouveau –
d’abord sur la bouche puis sur ses seins, même s’il dut se contenter
de les titiller à travers sa robe.
Perséphone gigotait sous ses caresses, s’arquant et se cambrant
tout en plantant ses ongles dans sa chair.
— Hadès, je veux te sentir en moi, dit-elle, les joues roses, les
yeux pétillants. Tu m’as demandé de m’habiller pour le sexe. Tu ne
peux pas faire pareil ?
Hadès rit.
— Peut-être que si tu étais moins pressée, ce ne serait pas si
difficile, dit-il en ouvrant sa robe, qui glissa sur son corps comme ses
spectres.
Il s’enfouit enfin en elle, et ils grognèrent tous les deux. Hadès
avait la bouche ouverte contre ses lèvres et il taquina sa langue avec
la sienne. Sa tête était pleine d’un désir si fort qu’il en avait le tournis
et il pouvait à peine penser à quoi que ce soit d’autre.
— Je t’aime, dit Hadès, à bout de souffle.
— Je t’aime aussi, répondit-elle en souriant.
Il avança le bassin en roulant des hanches.
— C’est tellement bon, dit-il en nichant son front dans le creux de
son cou alors que son corps se couvrait de sueur.
— Jouis pour moi, dit-il. Pour que je baigne dans ta chaleur.
En temps normal, il essayait de faire durer le plaisir, de l’emmener
au bord du précipice avant de l’en éloigner à nouveau, augmentant
son désir jusqu’à ce qu’elle le supplie de jouir. Mais cette fois, un
sentiment d’urgence parcourait son corps, exigeant un orgasme
immédiat.
Il glissa une main entre eux et chatouilla son clitoris enflé.
Perséphone contracta ses cuisses autour de lui, l’attirant contre elle,
frémissant de plaisir.
— Oui, ma chérie, grogna Hadès en amplifiant ses coups de
bassin, jusqu’à ce qu’il jouisse aussi.
Il reposa lentement Perséphone par terre en caressant ses
cheveux décoiffés.
— Tu vas bien ? demanda-t-il, à bout de souffle.
— Oui, bien sûr, répondit-elle en riant. Et toi ?
— Je vais bien.
Il allait mieux que bien.
Il l’embrassa sur le front et se rhabilla pendant que Perséphone
découvrait la pièce.
— Où sommes-nous ?
— Chez moi.
— Tu as une maison à Olympe ?
— Oui. Mais j’y viens rarement.
— Combien as-tu de maisons ?
Il y réfléchit un instant, comptant ses demeures dans sa tête. Il y
avait son palais des Enfers, sa villa sur l’île de Lampri, celle-ci à
Olympe, et une autre à Olympia, et il en avait également à Thesprotie
et une à Élis.
— Six… Je crois.
— Tu… crois ?
— Je ne les utilise pas toutes.
Perséphone croisa les bras en haussant les sourcils.
— Tu veux m’informer d’autre chose ?
— Là, maintenant ? dit-il en souriant. Non.
— Qui gère ton patrimoine ? demanda-t-elle.
— Ilias.
Ilias s’occupait de tout.
— Peut-être que je devrais l’interroger au sujet de ton empire.
— Tu pourrais, mais il ne te dirait rien.
— Je suis sûre que j’arriverai à le persuader, dit-elle.
— Fais attention, chérie, je n’ai rien contre castrer tous ceux que
tu décideras de draguer.
— Tu es jaloux ?
— Oui, déclara-t-il sans honte. Très.
Quelqu’un frappa à la porte. Hadès était le plus près et il l’ouvrit,
même s’il savait déjà que c’était Hermès.
— Le dîner n’a pas suffi à vous rassasier ? demanda-t-il.
— Tais-toi, Hermès, gronda Hadès.
Le dieu de la Ruse sourit, mais ce ne fut que de courte durée.
— On m’a envoyé pour vous ramener, dit-il.
Hadès ne s’était pas attardé sur ce qu’il ressentirait quand le
moment viendrait enfin d’écouter l’Oracle. Soudain, une terrible
appréhension le saisit.
— On était en route, dit-il.
— Mais bien sûr. Et moi, je suis un citoyen exemplaire, se moqua
le Messager des dieux.
Hadès leva les yeux au ciel.
Ils partirent tous trois de la résidence d’Hadès et se dirigèrent
vers le temple du Soleil, qui était tellement près qu’ils entendaient
encore la musique et le brouhaha de la fête. L’ironie de ce festin était
qu’il n’avait rien à voir avec une volonté de célébrer leur couple ; ça
n’avait rien à voir avec la fête que les âmes d’Asphodèle avaient
organisée pour eux. Celui-ci n’était qu’une question de tradition et de
contrôle.
— Pourquoi j’ai l’impression que Zeus ne veut pas qu’Hadès et
moi nous nous mariions ? demanda Perséphone à Hermès.
Hadès savait qu’elle cherchait à être rassurée.
— Sans doute parce qu’il est tordu, répondit le dieu de la Ruse. Et
qu’il aimerait t’avoir à lui tout seul.
— Je n’ai rien contre tuer un dieu, dit Hadès. Au diable les
Moires !
— Calme-toi, Hadès, répondit Hermès. Je ne fais que remarquer
ce qui est évident. Ne t’inquiète pas, Sephy. Attendons ce que dit
l’Oracle.
Le ventre d’Hadès se noua méchamment, mais il devait admettre
qu’il était content que tout ça soit bientôt fini. Quoi que dise l’Oracle, il
épouserait Perséphone. C’était ce qui arriverait ensuite qui était
incertain.
Hadès prit la main de Perséphone en arrivant au temple pour
retrouver Zeus, qui se tenait dans une bande de lumière dorée
provenant de l’intérieur.
— Maintenant que vous daignez nous rejoindre, peut-être êtes-
vous prêts à entendre ce que l’Oracle va dire à propos de vos noces.
— J’ai hâte, répondit Perséphone d’une voix mielleuse tout en le
fusillant du regard.
— Alors suis-moi, Lady Perséphone, dit Zeus.
Ils sortirent du temple et traversèrent une cour remplie de statues
d’enfants, puis ils empruntèrent un passage qui menait au temple de
Zeus. C’était un bâtiment rond, avec des portes en chêne qui
s’ouvraient sur la vasque d’huile qu’il utilisait pour invoquer Pyrrha,
son Oracle.
Hadès avait déjà été témoin de ce cinéma, mais comme membre
de ce que Zeus aimait appeler son conseil. Quant à savoir s’il
écoutait l’avis de ceux qu’il réunissait, rien n’était moins sûr. Ce soir,
son conseil était composé d’Héra et Poséidon. Aucun n’était un choix
favorable pour Hadès, mais c’était maintenant qu’Héra avait un rôle à
jouer. Allait-elle soutenir Hadès, comme elle l’avait promis ?
Perséphone marqua un temps d’arrêt en voyant les deux dieux et
Zeus balaya l’air du revers de la main pour les présenter.
— C’est mon conseil, expliqua-t-il.
— Je croyais que ton Oracle était ton conseil, répondit-elle.
— L’Oracle parle du futur, c’est vrai, mais j’existe depuis
longtemps et je suis conscient que les fils de ce futur changent sans
cesse. Ma femme et mon frère le savent aussi.
Hadès peina à déglutir. Il espérait vraiment que Zeus appliquerait
cette même réflexion à sa situation.
Zeus prit une torche au mur et parla en se tournant vers la
vasque.
— Une goutte de ton sang, si tu veux bien.
Hadès tenait encore la main de Perséphone, et ils approchèrent
ensemble. Il se lança le premier afin de lui montrer quoi faire,
appuyant son doigt sur l’aiguille qui dépassait du bord de la vasque. Il
tendit la main et attendit qu’une goutte de sang tombe dans l’huile.
— Hadès ! chuchota-t-elle quand il prit son doigt dans sa bouche
pour la guérir.
— Je ne veux pas te voir saigner.
Il le lui avait déjà dit, fallait-il vraiment qu’il se répète ?
— Ce n’était qu’une goutte.
Il ne dit rien, l’éloignant de la vasque alors que Zeus enflammait
l’huile.
Le liquide brûla furieusement et des flammes vertes s’en
élevèrent. La fumée était épaisse et s’échappait par l’ouverture au
milieu du plafond voûté. L’Oracle apparut bientôt ; une vieille femme
enveloppée par les flammes.
— Pyrrha, dit Zeus. Donne-nous la prophétie d’Hadès et
Perséphone.
— Hadès et Perséphone, répéta l’Oracle. Une union puissante,
un mariage qui produira un dieu plus puissant encore que Zeus lui-
même.
Hadès resta silencieux, confus et choqué, cherchant
désespérément à se répéter et à mémoriser chaque mot prononcé
par l’Oracle. En vérité, il ne savait pas ce qu’il avait cru que l’Oracle
dirait, mais dès qu’il entendit son message, il sut qu’ils étaient foutus.
Il était peu probable que Zeus permette à quiconque de se marier
si son règne était en jeu.
— Zeus… gronda Hadès, crispé de la tête aux pieds, prêt à
dégainer sa magie.
Mais Zeus, Héra et Poséidon l’étaient aussi.
— Hadès.
— Tu ne me la prendras pas, dit-il.
— Je suis roi, Hadès. Peut-être as-tu besoin que je te le rappelle.
— Si c’est ton souhait, je serai plus qu’heureux de mettre fin à ton
règne.
Un silence tendu suivit et la menace d’Hadès plana sur eux. Ils
savaient tous que ce n’était pas une menace en l’air.
— Tu es enceinte ? demanda brusquement Héra.
— Je te demande pardon ? s’étonna Perséphone, mais Hadès ne
réagit pas.
Il savait que c’était impossible.
— Dois-je me répéter ? insista Héra.
— La question est inappropriée, rétorqua Perséphone.
— Elle est pourtant importante, étant donné la prophétie, répondit
Héra.
— Et pourquoi donc ?
— La prophétie dit que votre mariage produira un dieu plus
puissant que Zeus, dit Héra. Un enfant né de cette union serait un
dieu très puissant, capable de donner la vie et la mort.
Hadès grinça des dents.
— Il n’y a pas d’enfant, dit Hadès. Il n’y aura aucun enfant.
Poséidon rit sèchement.
— Même les hommes les plus prudents ont des enfants, Hadès.
Comment peux-tu nous l’assurer, alors que vous ne pouvez même
pas tenir une danse sans partir pour baiser ?
— Je n’ai pas besoin de faire attention. Ce sont les Moires qui ont
ôté ma capacité à avoir des enfants. Ce sont les Moires qui ont tissé
Perséphone dans mon monde.
Héra pencha la tête sur le côté, comme si elle était curieuse, les
yeux rivés sur Perséphone.
— Souhaites-tu rester sans enfant ?
— Je veux épouser Hadès, répondit Perséphone. Si je dois rester
sans enfant, c’est ce que je ferai.
Hadès eut du mal à déglutir en notant qu’elle n’avait pas répondu
« non ». Soudain, il lui semblait qu’il privait Perséphone de quelque
chose.
Il y eut un nouveau silence, puis Zeus se tourna vers Hadès.
— Tu es sûr que tu ne peux pas avoir d’enfant, frère ?
— Certain.
Les Moires revenaient rarement sur leur décision. D’ailleurs,
Hadès n’avait pas un seul exemple en mémoire.
— Laisse-le se marier, Zeus, dit Poséidon d’un ton presque
dédaigneux, comme si tout ça l’ennuyait. Ils ont clairement envie de
baiser comme mari et femme.
— Et si le mariage produit un enfant ? dit Zeus. Je ne fais pas
confiance aux Moires. Leurs fils changent sans cesse.
— Alors nous prendrons l’enfant, déclara Héra, la voix dénuée
d’émotion.
C’était sans doute parce que ce n’était pas la première fois qu’elle
cherchait à résoudre un problème en enlevant ou en se débarrassant
d’un enfant.
Même s’ils avaient établi qu’Hadès ne pouvait pas avoir d’enfant,
Perséphone lui serra si fort la main que ses ongles se plantèrent
dans sa paume. Il la comprenait, les propos d’Héra lui faisaient
également l’effet d’une violation.
— Il n’y aura pas d’enfant, répéta Hadès, la mâchoire crispée.
Sa haine de tout ce que symbolisait cette réunion brûlait dans ses
veines et il espérait que Zeus le voyait dans son regard.
Après un silence interminable, son frère finit par parler.
— Alors je bénis cette union, dit enfin Zeus. Mais si la déesse
tombe un jour enceinte, ajouta-t-il en scrutant Perséphone, l’enfant
sera tué.
C’était assez.
Hadès invoqua sa magie et les téléporta aux Enfers. Ils s’étaient à
peine matérialisés que Perséphone tomba à genoux et vomit à ses
pieds.
Chapitre XL

HADÈS

Hadès s’accroupit aux côtés de Perséphone et la prit dans ses


bras pour dégager ses cheveux de son visage.
— Tout va bien, dit-il, même s’il ne le croyait pas lui-même.
Il comprenait que tout cela était dévastateur, même s’ils
n’auraient pas… même s’ils ne pouvaient pas avoir d’enfants. L’idée
qu’on leur enlève le fruit de leur union restait une violation. Ils avaient
dû admettre des choses qui auraient dû rester secrètes entre eux.
— Mais non, ça ne va pas ! sanglota-t-elle. Je le détruirai, dit-elle.
Je le finirai.
— Ma chérie, je n’en doute pas une seconde, dit Hadès. Viens,
lève-toi.
Il l’aida à se lever et prit son visage entre ses mains pour soutenir
son regard larmoyant.
— Perséphone, je ne les laisserai jamais – jamais – prendre une
part de toi. Tu comprends ?
Elle hocha la tête, se forçant à inspirer. Il décida de l’emmener
aux bains et il l’aida à enlever sa robe et à entrer dans l’eau. Elle
s’assit en boule, les genoux sous le menton, et se détendit peu à peu
dans l’eau chaude.
Hadès s’agenouilla au bord du bassin et la frotta avec du savon
avant de la rincer. Il prit son temps, suivant le rythme de sa
respiration, qui accéléra peu à peu. Elle saisit soudain son poignet,
stoppant son geste qui l’avait mené à ses seins.
— Hadès, susurra-t-elle, les yeux rivés sur sa bouche.
L’atmosphère était lourde et fiévreuse et ils semblèrent bouger en
même temps, chacun cherchant à attirer l’autre. Leurs bouches se
percutèrent dans un baiser passionné et une vague de chaleur se
précipita entre les jambes d’Hadès.
— J’ai envie de toi, chuchota-t-elle en s’agrippant à lui.
— Épouse-moi, dit-il.
Elle éclata de rire.
— J’ai déjà dit oui.
— En effet, alors épouse-moi. Ce soir.
Elle se contenta de le dévisager, et il expliqua sa pensée.
— Je ne fais pas confiance à Zeus, ni à Poséidon, ni à Héra, mais
j’ai confiance en nous, dit-il. Épouse-moi ce soir, et ils ne pourront
pas défaire notre union.
Il avait conscience que c’était bien plus rapide qu’ils ne l’avaient
prévu, mais quelle importance, à quoi bon attendre ? Et puis, si elle
l’épousait maintenant, Perséphone aurait des pouvoirs sur son
royaume.
Elle l’étudia longuement, puis un sourire s’étendit sur ses lèvres.
— Oui, dit-elle.
Hadès sourit jusqu’aux oreilles, comme elle, et il l’attira à nouveau
vers lui, l’embrassant jusqu’à être à deux doigts de la prendre.
— Je te prendrai ce soir, quand tu seras ma femme, promit-il.
Viens, je vais invoquer Hécate.
Hadès attrapa un peignoir pour la couvrir et ils sortirent des bains,
où la déesse de la Sorcellerie les attendait.
— Oh, ma chère ! s’exclama-t-elle en prenant Perséphone dans
ses bras. Tu y crois, toi ? Tu vas te marier ce soir ! Allons te préparer,
dit-elle en fusillant Hadès du regard. Et si je te vois ou te sens dans
les environs de la suite de la Reine, je te bannirai dans la fosse
d’Arachné.
Hadès rit.
— Je ne vous espionnerai pas, promit Hadès en souriant à
Perséphone. (Il ne pouvait pas croire qu’à la fin de la soirée, la jeune
déesse serait sa femme.) À très vite, lui dit-il.

*
* *
— Je ne vais pas te mentir, dit Hermès, je suis un peu vexé que tu
aies laissé Hécate t’habiller pour ce qui est sans doute l’occasion la
plus chic de ta vie.
— Je ne l’ai rien laissée faire du tout, dit Hadès. Elle l’a fait, c’est
tout.
Il ajusta sa veste pour la millième fois.
— Arrête de tirer dessus ! gronda Hermès. Laisse-moi faire.
Hermès dégagea les mains d’Hadès, puis il lissa son col et les
revers de sa veste. Quand il eut fini, il laissa retomber ses mains et
regarda Hadès dans les yeux.
— Je suis super content pour toi, Hadès, dit-il d’un ton si solennel
que c’était presque perturbant.
Hermès était rarement sentimental, sauf quand il était en colère.
— Merci, Hermès, dit Hadès. Tu es vraiment un très bon ami.
— Le meilleur, n’est-ce pas ? insista le dieu de la Ruse en
souriant.
— Calme-toi, répondit Hadès, et le dieu gloussa.
— Pour ma part, je ne sais pas si je devrais m’engager auprès
d’une seule personne. Je suis un dieu aux besoins multiples, si tu
vois ce que je veux dire.
Il joua des sourcils et Hadès leva les yeux au ciel.
— Tout le monde voit ce que tu veux dire, Hermès. Tu ne fais rien
pour le cacher.
Quelqu’un frappa à la porte et ils tournèrent la tête quand Hécate
apparut.
— Hadès, c’est l’heure. Tu dois prendre ta place !
Hermès le précéda et Cerbère, Typhon et Orthos le suivirent
jusqu’à la clairière d’Hécate. Plus ils en approchaient, plus Hadès
était nerveux. Il ne comprenait pas pourquoi. Peut-être était-ce à
cause de l’importance de cet événement. Hadès avait si
désespérément attendu ce moment, et voilà qu’il y était. Il avait du
mal à y croire, en fait.
Ils franchirent la lisière du bois et Hadès s’arrêta en réalisant qu’il
n’était pas du tout préparé pour ça. La clairière était superbement
décorée, pleine d’âmes et de divinités, toutes réunies pour célébrer
l’amour immense et passionnel qui s’était épanoui entre lui et
Perséphone, cette déesse incroyable qui avait créé la vie dans son
monde.
C’était presque bouleversant et sa poitrine et sa gorge se
nouèrent.
Il parcourut l’allée jusqu’à l’arche verdoyante placée au bout et il
prit sa place sur la droite. Cerbère, Typhon et Orthos s’installèrent à
ses pieds. Hermès et Apollon étaient assis côte à côte au premier
rang. Ils étaient tous deux partis du festin quand il les avait invoqués,
car il savait que Perséphone tiendrait à ce qu’ils soient présents.
Hermès se pencha en avant et chuchota à voix haute.
— Ne verrouille pas tes genoux, sinon tu vas t’évanouir.
— Ils ne sont pas verrouillés, répondit-il en chuchotant, sans
savoir pourquoi. Pourquoi tu me dis ça ?
— Je ne dis pas qu’ils le sont. Je te dis de ne pas les verrouiller.
Voilà qu’il s’inquiétait, maintenant. Et s’il s’évanouissait ? Il
s’entraîna à plier les genoux pour être sûr de sentir la différence.
— Tu as l’air d’un imbécile, dit Hermès.
Hadès le fusilla du regard, mais la musique retentit, jouée par un
groupe d’âmes installées sur le côté, et il riva son regard au bout de
l’allée.
Son cœur battait la chamade et pulsait dans tout son corps alors
qu’il attendait que Perséphone apparaisse. Quand enfin elle arriva,
elle était si belle qu’Hadès eut physiquement mal de la regarder. Sa
seule pensée était que tout ce qu’il avait fait et toutes les erreurs qu’il
avait commises dans sa vie en valaient la peine, rien que pour vivre
ce moment.
Il se força à le mémoriser, à graver dans sa mémoire chaque
détail de son avancée, depuis les gypsophiles dans ses cheveux
jusqu’à la coupe de sa robe et la façon dont son regard et son sourire
s’illuminèrent quand elle le vit.
Dieux, jamais il n’aurait pensé remercier les Moires un jour.
Fidèle à sa nature, Perséphone s’arrêta pour prendre ses amis
les plus proches dans ses bras, y compris Apollon et Hermès, et
quand elle fut enfin devant lui, Hadès ressentit une joie et une
euphorie pures.
Elle fit un pas vers lui, mais Lexa la tira en arrière pour prendre
son bouquet. Hadès sourit et toute la foule éclata de rire.
— Tu es pressée, chérie ? demanda-t-il.
— Toujours, répondit-elle.
Quand elle fut face à lui, il prit ses mains dans les siennes.
— Salut.
— Salut, répondit-il en souriant jusqu’aux oreilles. Tu es
magnifique.
— Toi aussi.
Hécate se racla la gorge et se plaça entre eux, les regardant tour
à tour.
— Je savais que ce moment viendrait, dit-elle. Un jour. J’ai vu
l’amour sous toutes ses formes et à des degrés divers, mais cet
amour, celui que vous partagez, est particulièrement précieux. Il est
désespéré, féroce et passionné, dit-elle avant de marquer une pause
pour rire, imitée par toutes les convives. Peut-être est-ce parce que je
vous connais, mais le vôtre est l’amour que je préfère voir. Il
s’épanouit et illumine, défie et provoque, il blesse et il guérit. Il
n’existe pas deux autres âmes qui soient mieux accordées.
Séparément, vous êtes la lumière et l’obscurité, la vie et la mort, un
début et une fin. Ensemble, vous êtes la fondation sur laquelle un
empire sera bâti, qui unira les gens et fusionnera les mondes. Vous
êtes un cycle qui ne finira jamais, éternel et infini. Hadès.
Hécate lui tendit la bague de Perséphone. La jeune déesse
écarquilla les yeux en la voyant, et il savait qu’elle réalisait qu’elle
n’en avait pas pour lui, mais elle n’avait pas à s’inquiéter. Hadès avait
préparé ce moment.
— Prends-tu Perséphone pour épouse ? demanda Hécate.
— Oui, déclara-t-il en glissant la bague à son doigt.
— Perséphone, dit Hécate en donnant à Perséphone un anneau
noir. Prends-tu Hadès pour époux ?
— Oui, répondit Perséphone et, alors qu’elle passait la bague à
son doigt, Hadès eut l’impression qu’elle lui faisait le plus beau des
cadeaux.
Il avait l’honneur d’être son époux.
— Tu peux embrasser la mariée, Hadès.
Il prit son visage dans ses mains et elle saisit ses poignets en lui
souriant.
— Je t’aime, dit-il en scellant ses mots d’un baiser.
Il l’embrassa en pensant qu’un baiser lui suffirait, mais ce n’était
pas le cas. Il l’attira dans ses bras et écarta ses lèvres avec sa
langue pour rendre le baiser plus profond. C’était étrange à dire, mais
les choses semblaient différentes, à présent. Peut-être était-ce parce
qu’il n’avait jamais été aussi heureux. Quoi qu’il en soit, il était on ne
peut plus conscient qu’il embrassait sa femme, sa déesse, sa reine.
— Trouvez-vous une chambre ! cria Hermès.
Hadès tint Perséphone dans ses bras quelques secondes de
plus, juste pour se venger du dieu de la Ruse. Puis il l’embrassa sur
le front et prit sa main pour se tourner vers les invités.
— J’ai l’honneur de vous présenter Hadès et Perséphone, roi et
reine des Enfers, déclara Hécate.
Toute la foule se mit à les applaudir et à crier, et ils longèrent à
nouveau l’allée, cette fois en tant que mari et femme. Quand ils
passèrent derrière les arbres, il s’arrêta pour embrasser à nouveau
sa déesse.
— Je n’ai jamais rien vu d’aussi sublime que toi, dit-il en
l’admirant, gravant dans sa mémoire le regard intense qu’elle lui
renvoyait.
Elle semblait aussi heureuse que lui.
— Je t’aime. Tellement, dit-elle.
— Venez, dit Hécate en les téléportant dans la bibliothèque. Vous
avez quelques minutes pour vous avant que je revienne vous
chercher pour la fête, dit-elle. Si j’étais vous, je garderais mes
vêtements… et les pieds par terre.
Une fois seuls, Hadès étudia Perséphone.
— Ça m’a tout l’air d’un défi, dit-il.
— Prêt à le relever, mon époux ?
Ce mot lui comprima la poitrine et il ferma les yeux pour réprimer
les larmes qui s’y formaient.
— Est-ce que ça va ?
— Redis-le. Que je suis ton époux.
— J’ai demandé à mon époux s’il était prêt à relever ce défi.
Quand il fut certain de ne pas craquer, il rouvrit les yeux et saisit
ses hanches pour l’attirer contre lui.
— J’ai beau mourir d’envie de te prendre, dit-il, j’ai prévu autre
chose pour ce soir.
— Est-ce que ça implique… une nouveauté ?
— Est-ce que… c’est ce que tu veux ?
— Oui, chuchota-t-elle.
— Et que souhaites-tu essayer ?
Il ne s’attendait pas à sa réponse.
— Je veux que tu m’attaches.
Chapitre XLI

HADÈS

Elle voulait qu’il l’attache.


Une part de lui angoissait à l’idée de réessayer, surtout lors d’une
soirée comme celle-ci, la soirée la plus mémorable de leur vie.
Cependant, si cela se passait bien, ce serait plus beau que tout ce
qu’il avait osé espérer, comme tout ce qui s’était passé jusqu’à
maintenant avec Perséphone.
Il se devait d’être plus pour elle, ce soir : plus attentif, plus
présent, plus communicatif. Et il pouvait l’être. Il le serait.
Hécate vint bientôt les chercher dans la bibliothèque, ce qui était
une bonne chose, car Hadès était à deux doigts de partir. Elle les
guida jusqu’à la salle de bal et ils s’arrêtèrent devant les portes.
Hermès annonça leur arrivée.
— Je vous présente vos Lord et Lady des Enfers, le roi Hadès et
la reine Perséphone !
Les portes s’ouvrirent sur des applaudissements et des cris
assourdissants.
La salle de bal était pleine à craquer, mais cela ne dérangea pas
Hadès comme ça avait été le cas à Olympe. Ils longèrent le chemin
formé par les âmes jusqu’à la cour, pour danser sous la lune et les
étoiles.
Hadès attira Perséphone dans ses bras, la serrant presque trop
fort pour pouvoir faire autre chose que se balancer lentement, mais il
s’en fichait. C’était ce qu’il voulait : être près d’elle et la sentir pour
être sûr qu’il ne rêvait pas.
— À quoi tu penses ? demanda Perséphone après un long
silence.
Ni l’un ni l’autre n’avait parlé, savourant ce moment de bonheur
tranquille.
— Je pense à beaucoup de choses.
— Du genre ?
— Je pense à combien je suis heureux.
— C’est tout ?
— Je n’avais pas fini, dit-il, conscient de ce qu’elle lui demandait
vraiment, car il avait senti venir sa question dès qu’ils avaient parlé
de sexe. Je me demandais si tu mouillais pour moi. Si ton ventre se
nouait de désir. Si tu fantasmais à propos de ce soir autant que moi,
et si tes pensées étaient aussi vulgaires que les miennes.
Perséphone soutint son regard en lui répondant.
— Oui.
Hadès empoigna ses hanches en se demandant si ce serait mal
vu de partir plus tôt de la fête, mais il n’était pas certain de vouloir
passer le reste de sa vie à entendre les reproches d’Hécate, qui
s’était tant investie dans l’organisation de leurs noces, tout comme
Yuri et les autres âmes d’Asphodèle. En réalité, de bien des
manières, cette fête était autant pour son peuple que pour son
couple, et il ne voulait pas les priver de leur unique chance de
célébrer leurs noces, même si Hadès savait que ce qui les excitait le
plus dans tout ça, c’était que Perséphone devienne leur reine.
D’ailleurs, plus la soirée avançait, plus c’était flagrant, car les
âmes ne cessèrent de l’inviter à danser.
Il la regarda un moment pendant qu’Hécate se postait à ses
côtés.
— Viens, mon roi, dit-elle. Tu mérites de danser le soir de ton
mariage.
Il accepta la main qu’elle lui tendait et ils se joignirent aux autres
sur la piste.
— Merci, Hécate, dit-il. Je te suis infiniment reconnaissant pour
tout ce que tu as fait.
— Il n’y a pas de quoi, mon cher, répondit-elle en souriant. Mais je
ferais n’importe quoi pour toi. Je ferais n’importe quoi pour
Perséphone.
Ses propos véhiculaient quelque chose de presque menaçant
qu’il ressentit jusque dans son âme, comme si Hécate promettait de
réduire le monde en cendres s’il leur arrivait quoi que ce soit.
Ils dansèrent un moment, puis Hadès fut entraîné dans une ronde
de petites filles qui chantaient la même chanson en boucle. Il se
laissa faire, tout en observant Apollon qui se tenait un peu à l’écart
avec Hyacinthe. Ils étaient presque collés l’un à l’autre sans se
toucher, et Hadès se demanda comment le dieu de la Musique gérait
la situation, maintenant qu’il s’était entiché d’un mortel.
Hadès ne faisait pas partie de ceux qui croyaient que tout le
monde avait un seul véritable amour dans sa vie. La seule raison
pour laquelle il en était convaincu, en ce qui le concernait, c’était
parce qu’il refusait le contraire. Parfois, il se demandait si Apollon
était comme lui. Le problème de l’amour d’Apollon et Hyacinthe était
qu’il avait fondamentalement transformé le dieu de la Musique, non
seulement quand il était tombé amoureux mais aussi après, dans la
mort.
Parfois, les gens ne s’en remettaient pas.
Quand il fut enfin libéré de la ronde des enfants, il traversa la salle
jusqu’à Apollon, qui était désormais seul.
Le dieu de la Musique se crispa en sentant Hadès approcher et il
se redressa en déglutissant visiblement.
— Est-ce que ça va ? demanda Hadès.
— Ne t’inquiète pas pour moi, répondit-il. C’est ton mariage.
— Si Perséphone te voyait, elle s’inquiéterait, elle.
Apollon tourna le dos à la foule pour le regarder, révélant son
visage strié par les larmes.
— Qu’as-tu dit à Hyacinthe ?
Il prit une grande inspiration avant de répondre.
— Je lui ai parlé d’Ajax, répondit-il en grimaçant, la voix chargée
d’émotion. Ce n’était pas du tout horrible. Il était content pour moi.
— Ça fait longtemps, Apollon, dit Hadès de la voix la plus douce
possible.
— Je sais. Le truc, c’est que… je ne m’attendais pas à ce qu’il soit
heureux pour moi.
Hadès fronça les sourcils.
— Comment ça ?
Apollon ne répondit pas tout de suite.
— Je ne sais pas. Je suppose que je pensais… que s’il m’aimait
encore, il serait en colère. Mais ce n’est pas le cas.
— Hyacinthe t’aime, Apollon, dit Hadès. Et ce n’est pas parce que
tu tournes la page que tu ne l’aimes plus pour autant, toi non plus.
— Mais ça me paraissait mal, tu sais ?
— Tu sais que tu as toujours eu sa bénédiction.
Apollon hocha la tête, Hadès se tourna vers Hyacinthe, qui
revenait avec deux verres dans les mains.
— Lord Hadès, félicitations ! dit-il, le regard brillant de bonheur.
Apollon prit une grande inspiration avant de se tourner vers le
prince mortel.
— Merci, Hyacinthe, dit Hadès. Je vous laisse profiter de la fête.
Hadès sortit dans la nuit des Enfers, laissant le bruit des
célébrations derrière lui. Il avait besoin d’espace et de calme. S’il
n’était pas tout à fait bouleversé, il ressentait néanmoins le besoin
d’être seul avec ses pensées.
Il avait également hâte d’être seul avec sa femme. Il repensa à la
manière dont la soirée avait commencé, il ne s’était pas du tout
attendu à ce que les choses s’emballent aussi vite. Il doutait que son
frère se soit attendu à ce qu’il se marie si vite. Zeus pensait sans
doute qu’ils se marieraient en public, à la fois dans le royaume des
vivants et à Olympe.
Les mariages olympiens étaient rares et étaient célébrés par des
fêtes monumentales. C’était bien un événement spectaculaire, mais
Hadès n’était pas sûr de vouloir le partager avec qui que ce soit en
dehors de son royaume, surtout dans le climat qui régnait dans le
monde des vivants. D’ailleurs, si la nouvelle de leurs noces se
répandait, on les accuserait sans doute d’égoïsme, étant donné la
tempête de Déméter.
Hadès détestait faire de la politique. Il détestait que leur union ait
été une question de pouvoir, alors qu’il voulait simplement épouser la
femme qu’il aimait. C’était donc ce qu’il avait fait, quelles que soient
les conséquences qui en découleraient.
Il entendit les reniflements de ses chiens et il tourna la tête. Il
aperçut Perséphone longer le chemin jusqu’à lui. Il eut soudain
l’impression d’être à nouveau dans la clairière où elle était apparue,
prête à l’épouser.
Il lui sourit quand elle s’approcha et lui demanda d’une voix
douce.
— Tu vas bien ?
— Oui.
— Tu es prête ?
— Je le suis.
Il lui offrit sa main, elle posa ses doigts dans sa paume et ils
disparurent.

*
* *
Hadès n’avait rien organisé en ce qui concernait le mariage, mais
cela ne signifiait pas qu’il n’avait rien prévu pour leur nuit de noces.
Sa seule obsession, quand il s’était demandé où emmener
Perséphone pour cette nuit, avait été de trouver un lieu au-delà de ce
monde, un lieu épargné par la terreur et le conflit.
Il voulait l’emmener dans les étoiles.
Il était satisfait de l’illusion qu’il avait créée. Ils se tenaient sur
l’estrade de leur lit de noces, les astres scintillaient tout autour d’eux.
— Est-ce qu’on est… au milieu d’un lac ? demanda Perséphone.
— Oui.
— C’est ta magie ?
— Oui. Ça te plaît ?
— C’est magnifique, dit-elle. Mais où sommes-nous ?
— Nous sommes aux Enfers, dit-il. Dans un lieu que j’ai créé.
— Depuis quand tu prévoyais ça ?
— Ça fait un moment que j’y réfléchissais, répondit-il.
Aussi longtemps qu’il avait réfléchi à l’alliance qu’il lui offrirait.
Perséphone sourit et s’approcha du lit, caressant les draps en
soie. Hadès se demanda ce qu’elle faisait – peut-être voulait-elle
s’assurer que le lit était bien réel ? Mais elle se redressa et le regarda
par-dessus son épaule.
— Aide-moi à me déshabiller, dit-elle.
Il ne se fit pas prier et fit glisser la fermeture Éclair, caressant en
même temps son dos du bout des doigts. Il baissa ensuite les
bretelles de sa robe et quand celle-ci tomba au sol, il découvrit qu’elle
était nue sous le vêtement.
Elle se tourna lentement vers lui et chercha son regard.
L’atmosphère était étrange et tendue. Hadès ne savait pas pourquoi,
ce n’était pas la première fois qu’ils allaient coucher ensemble, mais
peut-être était-ce dû à ce qu’elle lui avait demandé d’explorer.
Il l’attira dans ses bras et la tension devint palpable. Il la sentait
crépiter entre eux alors que la distance qui les séparait se refermait,
et même quand il l’embrassa et caressa sa peau douce. Il remonta
ses mains le long de sa taille, jusqu’à ses seins, puis il les posa à plat
sur son dos pour la serrer plus fort dans ses bras.
Il n’avait pas envie d’arrêter, mais il le fallait. Il s’écarta et sortit
une petite boîte noire de sa poche.
— Ce sont des Chaînes de Vérité, dit-il. C’est une arme puissante
contre n’importe quel dieu, à moins qu’il ait le mot de passe. Je te le
donne tout de suite. Si tu commences à avoir peur, tu pourras te
libérer immédiatement. Eleftherose ton. Dis-le.
Elle le dévisagea avant d’ouvrir la boîte.
— Eleftherose ton.
Il suivit des yeux le mouvement de ses lèvres tandis qu’elle
répétait les mots.
— Parfait.
— Pourquoi on les appelle les Chaînes de Vérité ?
— La seule vérité qu’elles tireront de tes lèvres est ton plaisir,
promit-il. Allonge-toi.
Elle lui tourna le dos, lui offrant ses fesses en rampant sur le lit. Il
dut se retenir d’empoigner ses hanches pour la ramener à lui et la
fesser avant de la prendre par-derrière – ils auraient tout le loisir de le
faire plus tard. Pour l’instant, il devait s’assurer qu’elle était
confortable et qu’elle se sentait en sécurité, et il ne ferait rien d’autre
tant que ce ne serait pas le cas.
Elle s’installa sur le dos et écarta les bras quand Hadès lui
demanda de le faire. Il la chevaucha, incapable de quitter des yeux
son superbe corps. La préparer pour l’acte était tout aussi érotique
que l’acte lui-même.
Il posa la boîte au-dessus de sa tête, et les chaînes apparurent
par magie. C’étaient d’abord d’épaisses menottes, faites pour
attacher un dieu, mais Hadès les effleura et elles se changèrent en
tissu.
— Pardonne-moi, chérie, dit Hadès en la regardant dans les yeux.
Tu es prête ?
— Pour toi ? Toujours.
— Toujours, répéta Hadès, frissonnant en entendant ce mot.
Il recula sur les talons pour l’admirer pendant qu’il enlèverait sa
veste et sa chemise. Il aimait la voir ainsi et il se dit qu’il en était
capable, maintenant qu’ils avaient un mot de sécurité.
Les yeux habituellement si verts de Perséphone étaient noirs, elle
scrutait chacun de ses gestes.
— À quoi tu penses ? demanda-t-il.
— Je veux que tu accélères, répondit-elle, et elle écarquilla les
yeux en s’entendant parler.
Elle leva les yeux vers les menottes et tira dessus avant de
regarder à nouveau Hadès.
— Tu crois que je pourrais te menotter, toi aussi ?
— Si tu le souhaites, répondit-il en enlevant sa chemise pour la
jeter par terre. Mais tu n’as pas besoin de chaînes pour obtenir la
vérité de moi.
— Je préfère ne pas entendre tes projets, dit Perséphone.
Hadès esquissa un sourire en coin. Il savait qu’elle voulait juste
qu’il commence.
— Que veux-tu, femme ?
— De l’action, déclara-t-elle en gigotant sous lui.
Bon sang, elle était sublime et tellement tentante…
Il éclata de rire avant de l’embrasser entre les seins, puis sur
chaque téton. Elle entoura sa taille avec ses jambes, frottant son
bassin contre son érection.
Il aimait la voir perdre patience. Il espérait que cela signifiait que
quand il arriverait entre ses cuisses, elle mouillerait tellement qu’il
pourrait s’y noyer. Il rampa le long de son corps et elle ouvrit les
jambes en papillon, offrant à sa bouche son sexe sublime.
Il la lécha et la suça, et elle gémit éhontément.
— Ça. J’adore ça, chuchota-t-elle.
Il glissa un doigt en elle et suça son clitoris, s’arrêtant juste assez
longtemps pour encourager ses paroles.
— C’est ça, chérie. Dis-moi ce que tu sens.
— C’est trop bon. Tellement bon.
Elle parvint à le regarder avant de laisser retomber sa tête sur
l’oreiller en poussant un gémissement guttural.
Quand elle jouit, elle le serra si fort qu’il sembla à Hadès qu’elle
voulait l’emprisonner pour toujours entre ses cuisses. Si cela
impliquait de la faire jouir ainsi pour l’éternité, rester là ne lui posait
aucun problème, mais son propre désir continuait de pulser entre ses
jambes.
— Tu vas où ? demanda-t-elle quand il se leva, les mains sur le
bouton de son pantalon.
— Je ne vais pas loin, répondit-il en finissant de se déshabiller.
Il se tint nu devant elle, sentant son regard de braise qui
enflammait sa peau et rendait sa verge et ses testicules encore plus
lourds. Il avait hâte d’être en elle, et qu’elle devienne sa femme de
cette manière. Même s’ils avaient déjà fait l’amour des dizaines de
fois, celle-ci était différente.
— Dis-moi ce que tu penses, dit-il, curieux de savoir ce que
cachait son regard brûlant.
— Que peu importe le nombre de fois que tu es en moi, je ne
peux pas… ce n’est jamais assez.
Hadès remonta sur elle, plaquant son corps contre le sien,
savourant la chaleur et l’énergie sauvage qui les enveloppaient.
— Je t’aime, dit-il en la regardant dans les yeux.
— Je t’aime.
Il ne se lasserait jamais d’entendre ces mots lui être retournés et,
pour la première fois de la soirée, il voulait que ses mains soient
libres de le toucher. Mais il attendrait.
— Tu vas bien ? demanda-t-il pour en être sûr.
— Oui, acquiesça-t-elle alors que sa voix tremblait légèrement. Je
pense juste à combien je t’aime vraiment.
Hadès ne doutait pas de son amour, mais il regrettait qu’elle ne
sache jamais combien cela comptait pour lui. Il l’avait attendue. Il
avait désespéré qu’elle soit à lui. Il avait rêvé d’elle, et elle était
désormais là, réelle, chaude, allongée sous lui.
Et maintenant, il voulait être en elle.
Il l’embrassa fougueusement et approcha sa verge de sa fente.
Elle plia les jambes et planta ses talons dans ses fesses, essayant en
vain de le forcer à la pénétrer plus fort et plus vite, mais il résista et se
glissa lentement en elle. Il prit ses jambes sur ses épaules avant
d’entamer ses allers-retours.
Il se concentra sur elle, sur sa façon de frémir sous lui. Elle
réagissait exactement comme il l’avait espéré et il eut de plus en plus
de mal à se concentrer et à maintenir le rythme.
— Tu es tellement bonne. Tu es tellement serrée, tellement
trempée, dit-il en accélérant le rythme, passant d’un mouvement lent
et maîtrisé à quelque chose de plus possessif et charnel.
Putain, il mourait d’envie de sentir ses mains sur lui.
— Eleftherose ton !
Il lâcha ses jambes et se pencha pour s’emparer de sa bouche
dans un baiser fiévreux et maladroit. Elle plongeait ses mains dans
ses cheveux, puis sur ses fesses pour les empoigner et les attirer
vers elle.
— Putain !
Il se retira et s’assit sur ses talons en l’entraînant avec lui, l’aidant
à s’asseoir sur sa queue. Ils se tinrent fort l’un l’autre en bougeant
tous les deux, se frottant l’un à l’autre, et il sut qu’il ne tiendrait plus
très longtemps. Sa façon de respirer le rendait fou, comme la
sensation de ses tétons contre son torse, la sensation d’elle autour
de lui.
Ils se raidirent tous les deux, intensifièrent leurs mouvements à la
recherche de l’extase. Quand son sexe se contracta autour de lui,
Hadès jouit à son tour et une décharge électrique lui monta à la tête.
Il fut saisi d’un vertige et se laissa tomber sur le lit avec
Perséphone dans les bras, leurs corps merveilleusement lourds.
La déesse se mit à rire.
— Je préfère ne pas penser que c’est ma performance qui te fait
rire, dit-il.
Cela la fit rire de plus belle, mais elle finit par s’arrêter et le
regarder.
— Non, répondit-elle enfin en levant la main pour caresser les
traits de son visage. Tu étais parfait.
Hadès les fit rouler sur le côté pour qu’ils soient face à face.
— Tu es tout pour moi, Perséphone, dit-il. Mon premier amour, ma
femme, la première et la dernière reine des Enfers.
Chapitre XLII

HADÈS

Le lendemain matin, Hadès se leva en même temps que


Perséphone pour se préparer pour la journée. Il trouva étrange de
faire quelque chose d’aussi routinier après la soirée qu’ils avaient
passée. Hadès avait l’impression qu’ils auraient dû continuer à fêter
ça – et par « fêter ça », il entendait « rester au lit ». Mais il savait que
c’était impossible, étant donné les circonstances.
Il se servit un verre et attendit près du feu qu’elle finisse de se
préparer, car elle tenait à s’habiller à la manière des mortels.
— Tu es bien silencieuse, dit-il en buvant une gorgée de whiskey.
Perséphone s’arrêta, elle était en train d’enfiler un collant épais.
— Je pensais juste à combien c’était irréel, dit-elle. Je suis ta
femme.
Hadès posa son verre sur la cheminée et s’approcha d’elle pour
prendre son visage dans ses mains.
— C’est irréel, confirma-t-il.
— Tu penses à quoi, toi ?
Il envisagea de mentir, mais il préféra dire la vérité.
— Que je ferai tout pour te garder.
— Tu penses que Zeus va essayer de nous séparer ?
— Oui, admit-il en penchant la tête de Perséphone en arrière.
Mais tu es à moi, et je compte te garder pour toujours.
— Pourquoi penses-tu qu’il nous a laissés partir ? demanda-t-elle.
— À cause de qui je suis. Me défier n’est pas comme défier un
autre dieu. Je suis l’un des trois, notre pouvoir est égal. Il a besoin de
temps pour décider comment me punir.
Perséphone déglutit difficilement et il détesta savoir qu’il l’avait
inquiétée.
— Ne t’inquiète pas, ma chérie, dit-il en l’embrassant sur le front,
tout ira bien.
— Un jour, conclut-elle.
— Je te dépose au travail ? demanda Hadès.
— Non, répondit-elle en se levant et en lissant sa jupe. Je vais
petit-déjeuner avec Sybil.
Hadès réfléchit un instant.
— Tu vas lui dire qu’on est mariés ?
— Je peux ?
— Sybil est digne de confiance, dit Hadès. C’est sa plus grande
qualité.
Perséphone sourit jusqu’aux oreilles.
— Elle va être folle de joie.
S’il ne l’emmenait pas au travail, il tenait cependant à s’assurer
qu’elle arrive en sécurité à son rendez-vous. Il les téléporta devant
l’entrée de Nevernight, où Antoni attendait pour la conduire.
— À ce soir, dit Hadès en l’attirant contre lui pour l’embrasser.
Il lui ouvrit ensuite la portière et l’aida à monter.
— Je t’aime, chuchota-t-elle.
— Je t’aime, répondit-il avant de refermer la portière.
Il regarda le véhicule s’éloigner jusqu’à être hors de sa vue, puis il
parla.
— Qu’est-ce qu’il y a, Ilias ? demanda-t-il, redoutant déjà la
présence du satyre.
— Je ne pouvais pas vous le dire avant que Perséphone ne soit
partie, répondit-il. Mais ce matin, nous avons trouvé cinq nymphes
devant la porte, mortes de froid.
— Merde.

*
* *
— Elle est hors de contrôle, dit Hadès en regardant la
vidéosurveillance de la veille, quand les cinq nymphes étaient
apparues comme par magie, atterrissant devant l’entrée de son club.
— Cinq vies, dit Ilias d’une voix douce et triste. Tout ça pour quoi ?
Pour faire passer un message ?
— Non, dit Hadès. Le message avait déjà été envoyé. Ça, c’est
juste de la cruauté.
Avec sa tempête de neige, Déméter misait déjà sur le sentiment
de responsabilité que Perséphone avait envers le monde entier.
Comme ça n’avait pas marché, elle avait changé de stratégie et,
apparemment, elle comptait la blesser directement.
Hadès serra les poings et contracta sa mâchoire.
— Vous pensez que Déméter est au courant ? demanda Ilias.
Hadès savait qu’il parlait de leurs noces.
— Non, mais elle sait sans doute que Zeus nous a donné sa
bénédiction.
Putain.
Il ne doutait pas que malgré leur départ précipité, Zeus avait
annoncé leur union au public, sans se soucier des conséquences. Ce
n’était pas qu’il ne les connaissait pas, mais plutôt qu’il s’en fichait.
Toute action de la part de Déméter signifiait que Zeus pourrait rejeter
la faute sur elle quand Hadès et Perséphone seraient forcés de se
séparer.
Maintenant, Hadès devait trouver un moyen d’annoncer à
Perséphone que cinq des femmes avec qui elle avait grandi étaient
mortes à cause d’eux, quelques heures à peine après qu’ils étaient
devenus mari et femme.
Dieux, qu’il détestait Déméter !
Faire souffrir le monde avec sa magie était une chose. Ça ne
faisait que nourrir le pouvoir d’Hadès. Mais c’en était une autre de
blesser sa femme avec un acte aussi froid et cruel.
C’était impardonnable.
C’était de la folie, et Hadès se demanda – redouta, même – ce
qu’elle ferait ensuite.
— Que voulez-vous que je fasse ? demanda Ilias.
Hadès n’en savait rien. Il pouvait retenter de trouver Déméter,
mais la confronter ne servait à rien. Elle avait décidé de faire du mal à
Perséphone à cause de lui. Hadès aurait beau la supplier, elle ne
l’entendrait pas. D’ailleurs, le mal était fait. Quand sa femme
reviendrait chez eux, ce soir, elle aurait à enterrer cinq de ses amies.
Sa culpabilité lui noua l’estomac et sa gorge se remplit de bile.
Il n’aurait jamais dû ordonner à ses femmes de trouver Déméter,
mais il ne s’attendait vraiment pas à ce qu’elle les assassine toutes.
Merde.
— Je vais devoir le dire à leur père, dit-il d’une voix lointaine.
Cela dit, Nérée le savait sans doute déjà. Les dieux pouvaient
sentir ce genre de chose – la fin de la vie qu’ils avaient eux-mêmes
créée.
— Peut-être que je devrais le faire, proposa Ilias.
Hadès n’accepta pas sa proposition, mais il ne la refusa pas non
plus, car ses pensées étaient sens dessus dessous. Il n’avait pas pris
leur peur de mourir au sérieux, car il ne pensait pas qu’elles
mourraient. Il n’avait pas regardé leur âme ni leur fil de vie. Le fait que
Déméter mette fin à cinq vies immortelles aurait de grandes
conséquences. Il se demanda si les Moires prendraient une vie ou en
créeraient une nouvelle. Le sacrifice serait-il aussi dangereux que la
résurrection de l’Ophiotauros ?
— Prépare leurs funérailles, dit Hadès. Je… je suis sûr que
Perséphone voudra les voir.
Elle voudrait leur dire au revoir avant de déverser sa rage. Restait
à savoir si elle la déverserait sur lui ou sur Déméter.

*
* *
Une heure plus tard, quand Ilias revint, Hadès pensait encore aux
cinq nymphes. Il s’attendait à ce que le satyre l’informe qu’il avait
parlé à Nérée, mais son visage trahissait quelque chose de bien pire.
— Perséphone a été révélée en tant que déesse, dit-il.
Hadès haussa les sourcils.
— Quoi ?
— Le New Athens News, dit-il, incapable d’en dire plus. C’est leur
gros titre.
Cette fichue Hélène, pensa Hadès.
Il se leva et ils descendirent au rez-de-chaussée du club pour
allumer une des télévisions. La une concernait Perséphone.
LA FILLE DE DÉMÉTER DÉMASQUÉE
Le présentateur du journal expliquait : « La femme, Perséphone
Rossi, qui est fiancée à Hadès, le dieu des Morts, s’est fait passer
pour une journaliste mortelle. Elle avait fait la une plus tôt dans
l’année en rédigeant des articles critiques envers le Divin. »
— Tu crois qu’elle est prête pour ça ? demanda Ilias.
— À être dévoilée comme déesse au monde entier ? Non.
Perséphone avait à peine commencé à accepter sa divinité. Et
voilà que maintenant, le monde s’intéresserait encore plus à elle
qu’avant, quand il pensait qu’Hadès était tombé amoureux d’une
mortelle – même ceux qui lui en voulaient d’avoir caché son couple
au public. Perséphone allait devoir affronter l’obsession et la haine
des mortels. Tout ça se traduirait par de la vénération, ce qui
impliquait que son pouvoir deviendrait plus puissant. Un pouvoir
qu’elle peinait déjà à maîtriser.
Hadès et Ilias regardaient la télé, le présentateur du journal
annonça l’arrivée d’un flash info.
« On nous fait part d’une avalanche près de Spartes et de
Thèbes. Les villes sont ensevelies sous plusieurs mètres de neige.
Les secours sont en route. »
Merde. Merde. Merde.
Cela signifiait que des milliers d’âmes étaient sur le point d’entrer
aux Enfers, pas seulement des mortels mais aussi des animaux, et
tout ça à cause de la fichue tempête de Déméter.
Perséphone allait être dévastée. Hadès se demanda ce qu’elle
ferait quand elle découvrirait l’horreur que sa mère infligeait au
monde.
Il n’eut pas besoin d’attendre pour le savoir, car il sentit la magie
de Perséphone faire irruption, plus forte que jamais. Elle était
angoissée et en colère, et Hadès trembla de tout son corps.
Putain de Moires !
— Je dois retrouver Perséphone, dit-il.
Il savait de quoi elle était capable quand on la provoquait, et cette
fois, cela attirerait l’attention d’Olympe.
Hadès libéra sa magie, la laissant chercher l’énergie des pierres
de sa bague, et quand il s’y agrippa, il se téléporta jusqu’à elle, la
trouvant face à huit Olympiens. Apollon et Hermès étaient postés
légèrement devant Perséphone, pour la protéger.
Hadès posa une main possessive sur son ventre et l’attira contre
lui.
— Tu es en colère, chérie ? demanda-t-il tout contre son oreille.
— Un peu, répondit-elle.
Malgré leur échange détendu, le cœur d’Hadès battait la
chamade. Il fusilla Zeus du regard. Il se tenait pile en face d’elle, avec
Héra d’un côté et Poséidon de l’autre. Les autres Olympiens étaient
alignés à leurs côtés.
Déméter était remarquablement absente.
— Belle démonstration de pouvoir, petite déesse, dit Zeus.
— Ose m’appeler « petite » encore une fois, rétorqua Perséphone
en se crispant des pieds à la tête.
Zeus ricana.
— Je ne sais pas pourquoi tu ris, poursuivit-elle. Je t’ai déjà
demandé de me respecter. Je ne le répéterai pas.
— Tu menaces ton roi ? demanda Héra.
— Il n’est pas mon roi, répondit Perséphone d’un ton cinglant.
Les traits de Zeus se durcirent.
— Je n’aurais jamais dû te laisser sortir de ce temple. La
prophétie ne parlait pas de tes enfants. Elle parlait de toi.
— Arrête, Zeus, dit Hadès en serrant plus fort Perséphone. Ça ne
finira pas bien pour toi.
— Ta déesse est une menace pour tous les Olympiens, répondit
son frère.
— Elle est une menace pour toi, rectifia Hadès.

É
— Écarte-toi, Hadès, ordonna Zeus. Je n’hésiterai pas à t’éliminer
aussi.
Hadès s’attendait à ce moment. Il s’y était préparé, mais il ne
pensait pas qu’il arriverait si vite, et il réfléchissait désormais à vive
allure, essayant d’évaluer s’ils étaient prêts.
Si Perséphone était prête.
— Si tu leur déclares la guerre, tu seras en guerre contre moi,
déclara Apollon, son arc doré se matérialisant au même moment
dans ses mains.
— Et moi, ajouta Hermès en dégainant son épée.
Ses propos furent suivis d’un silence pesant.
— Vous commettriez une trahison ? demanda Zeus.
— Ce ne serait pas la première fois, dit Apollon.
— Vous protégeriez une déesse dont les pouvoirs pourraient vous
détruire ? demanda Héra.
— Avec ma vie, dit Hermès. Sephy est mon amie.
— Et la mienne, dit Apollon.
— Et la mienne, ajouta Aphrodite.
Elle rompit le rang des Olympiens et se posta à côté d’Apollon
avant d’invoquer le nom d’Héphaïstos. Le dieu du Feu apparut
immédiatement à ses côtés.
— Je ne me battrai pas, dit Hestia.
— Ni moi, ajouta Athéna.
— Lâches ! rétorqua Arès.
— Le combat doit servir un autre but que de faire couler le sang,
dit Athéna.
— L’Oracle a parlé et dénoncé cette déesse comme une menace,
rétorqua Arès. La guerre élimine les menaces.
— Tout comme la paix, dit Hestia.
Hadès n’était pas surpris par leur décision, et les deux déesses
disparurent, les laissant face à Zeus, Héra, Poséidon, Artémis et
Arès.
Quand le combat commencerait, Hadès se concentrerait sur ses
frères. Il espérait surtout éviter qu’ils s’en prennent à Perséphone.
— Tu es sûr que c’est ce que tu veux, Apollon ? demanda
Artémis.
— Seph m’a accordé une chance quand elle ne l’aurait pas dû.
J’ai une dette envers elle.
— Est-ce que cette chance mérite que tu risques ta vie ?
— En ce qui me concerne ? Oui, répondit-il.
— Tu vas le regretter, petite déesse, promit Zeus, et Hadès sentit
la magie de son frère électrifier l’atmosphère.
Ses poils se hérissèrent sur ses bras et sa nuque.
— Je t’ai dit de ne pas m’appeler petite.
Le pouvoir de Perséphone brisa la terre sous les pieds de Zeus et
des autres Olympiens. Ils sautèrent pour éviter de tomber dans
l’abîme et s’élevèrent dans les airs. Hadès resta posté derrière
Perséphone, attendant de voir comment elle se défendrait. Il avait
besoin de savoir qu’elle pouvait se débrouiller toute seule.
La magie de Zeus explosa entre ses mains quand il invoqua un
éclair qu’il jeta aux pieds de Perséphone, faisant trembler le sol. Il
l’avait fait pour lui faire peur, pensant qu’elle se dégonflerait face à
son pouvoir, mais Perséphone ne bougea pas d’un centimètre.
— Tu es aussi chiante que ta mère, cracha Zeus.
— Tu veux dire que je suis déterminée, corrigea Perséphone.
Zeus recula le bras pour frapper à nouveau, et Perséphone
invoqua un mur d’épines acérées pour le contrer. C’était assez.
Hadès fit un pas de côté et se débarrassa de son Charme,
ordonnant à ses spectres de foncer sur Zeus. L’un d’entre eux parvint
à transpercer son corps, lui coupant le souffle, mais Zeus s’en remit à
temps pour contrer les autres avec les manchettes dorées à ses
poignets.
— La règle en matière de femmes, Hadès, c’est qu’il ne faut
jamais leur donner son cœur, gronda Zeus en invoquant un nouvel
éclair.
— Je ne t’ai jamais demandé conseil, frangin. Pourquoi je
commencerais maintenant ? répondit Hadès en invoquant son bident.
— Peut-être que tu aurais dû. On n’en serait pas là aujourd’hui.
Pour une fois, son frère n’avait pas tort.
— J’aime bien où je suis, dit Hadès en regardant autour de lui
alors que les autres Olympiens se battaient. Je me sens chez moi.
Les deux frères n’hésitèrent pas une seconde et leurs armes
s’entrechoquèrent avec tant de force qu’ils furent tous les deux
secoués. Ils avancèrent les mains en même temps, Zeus envoyait
ses éclairs, Hadès envoyait ses ombres. Ils furent tous deux percutés
par leurs attaques, et leurs talons s’enfoncèrent dans le sol, créant de
profondes fissures. Ils s’arrêtèrent en même temps et chargèrent à
nouveau, se fonçant dessus avec tant de violence que le sol trembla.
Ils firent tous les deux usage de leurs poings.
— Tu me trahirais pour elle ? demanda Zeus en grinçant des
dents.
— Je te trahirais pour bien moins que ça, siffla Hadès.
Zeus grogna, et son énergie parut presque nucléaire quand elle
explosa autour de lui, projetant Hadès en arrière. La terre se souleva
et il atterrit dans un cratère formé par l’impact de son corps. Le nuage
de poussière ne s’était pas encore dissipé quand la silhouette de
Zeus apparut devant lui. Le dieu du Ciel fonçait sur lui et Hadès se
téléporta rapidement, mais Zeus le suivit et leurs corps se heurtèrent
à nouveau.
Hadès tendit la main et saisit son frère par le cou. Sa peau noircit,
pourrissant sous ses doigts. Zeus empoigna ses avant-bras, mais
Hadès invoqua ses lames et lui déchiqueta la gorge.
Zeus plaqua sa main sur son cou, ses yeux brûlants de rage
dévisageaient Hadès, le souffle rauque et rapide. Il rugit et se jeta si
fort sur Hadès que le dieu des Morts sentit ses os se briser et guérir,
encore et encore, une fois après l’autre. Il serra les poings et
contracta sa mâchoire, tendant le bras vers son frère pour envoyer
ses spectres. Son corps se mit à convulser sous l’effet de la magie et
Hadès disparut pour réapparaître derrière Zeus avec son bident. Il
abattit l’arme sur lui, mais son frère se tourna juste à temps pour le
parer avec son foudre.
Les ronces de Perséphone s’enroulèrent soudain autour des
chevilles de Zeus, et s’il les brisa sans difficulté, elles continuèrent de
s’élever. Zeus était suffisamment distrait pour qu’Hadès renvoie ses
ombres sur lui et il tomba. Le sol s’ouvrit sous lui avant de le
recouvrir, enterré vivant.
Hadès regardait Perséphone, la terre se mit à gronder et à
trembler, et Zeus en surgit, entouré de lumière, le regard fou de rage.
— Perséphone ! cria Hadès, mais il ne fut pas assez rapide, et un
éclair la frappa.
Elle convulsa et une odeur de cheveux et de chair brûlés remplit
les narines d’Hadès. Il se précipitait vers elle, mais une main agrippa
son épaule.
— Oh que non, frangin ! dit Poséidon. Ce sera ta punition.
Regarde-la brûler.
Hadès s’apprêtait à affronter son frère quand il remarqua quelque
chose d’étrange chez Perséphone. La magie de Zeus ne semblait
plus lui faire de mal. Elle ne tremblait plus sous l’effet de son pouvoir,
qui la faisait luire.
Elle se l’appropriait.
Oh, merde !
Elle renvoya l’éclair sur Zeus et le dieu du Ciel tomba au sol.
Hadès fit aussitôt volte-face et propulsa ses spectres sur
Poséidon, mais ils se brisèrent sur son trident. Hadès invoqua à
nouveau son bident et leurs armes s’entrechoquèrent rageusement.
Hadès se battait de toutes ses forces. La haine coulait dans ses
veines et nourrissait la colère avec laquelle il se défendait. Son bident
toucha Poséidon au visage, coupant sa joue de sorte qu’elle pendait
de son visage. Le coup étourdit son frère et alors qu’il vacillait en
arrière, Hadès planta son bident dans son torse et le poussa au sol
d’un coup de pied.
Il le surplomba et enchaîna les coups de bident, l’enfonçant
encore et encore dans le corps de son frère, et la seule chose qui
l’arrêta fut un cri de douleur.
Hadès se tourna et vit Aphrodite empalée sur la lance dorée
d’Arès.
C’était Héphaïstos qui hurlait. Il fonça vers elle, couvert de
flammes, et il retira la lance de son corps, posant ses mains sur la
plaie, le sang de la déesse coulait entre ses doigts.
Arès atterrit près d’eux.
— Aphrodite… Je ne voulais pas…
— Un pas de plus et je t’égorge, menaça Héphaïstos.
Perséphone était par terre, à quelques pas de la déesse de
l’Amour. Hadès se téléporta à ses côtés et l’aida à se relever.
— Perséphone, viens, dit-il.
Ils devaient partir de là. C’était la première de nombreuses
batailles qu’ils devraient affronter, et pour l’instant, celle-ci était finie.
— Aphrodite ! hurla Perséphone en voulant courir vers la déesse
de l’Amour, mais Hadès l’en empêcha.
— Nous devons partir, dit-il.
— Apollon ! Guéris-la ! sanglota-t-elle.
Hadès la prit dans ses bras et quand ils se téléportèrent elle criait
toujours.
Chapitre XLIII

HADÈS

Perséphone hurlait encore quand ils arrivèrent aux Enfers.


— Ça va aller, dit Hadès.
Il savait que ce n’étaient pas les bonnes paroles, mais il ne savait
pas quoi lui dire. Rien ne pouvait apaiser l’hystérie du combat, pas
même le temps.
— Elle s’est pris une lance à ma place ! pleura Perséphone en
enfouissant son visage contre le torse du dieu.
— Aphrodite va s’en tirer. L’heure n’est pas venue pour elle de
mourir, promit Hadès, même s’il ne pouvait oublier l’horreur de voir la
déesse blessée d’une façon aussi violente.
Perséphone n’avait encore jamais vu les Olympiens se battre.
— Assieds-toi.
Elle s’assit sur le bord du lit, elle continua de parler et il
s’agenouilla devant elle.
— Hadès, on ne peut pas rester ici, on doit retrouver Sybil.
— Je sais, je sais, acquiesça-t-il, même s’il ne savait pas de quoi
elle parlait.
Il avait juste besoin qu’elle reste assise sans bouger quelques
instants. Son chemisier était couvert de sang et il ne serait rassuré
que quand il serait certain qu’elle n’était pas blessée.
— Laisse-moi juste m’assurer que tu vas bien.
— Je vais bien, rétorqua-t-elle, je me suis guérie.
— S’il te plaît.
Il savait qu’elle s’était entraînée à se guérir, mais il avait besoin
d’en avoir le cœur net, car il sentait déjà son corps trembler et son
cœur battre la chamade à la vue de son sang.
Elle le dévisagea un moment avant de céder, déboutonnant sa
chemise pour lui montrer sa peau lisse. Hadès soupira et se leva d’un
bond, saisi encore une fois par cette étrange terreur qui parcourait
ses veines et se changea vite en colère.
— Putain ! hurla-t-il. Je n’ai jamais voulu ça pour toi.
— Hadès, ce n’est pas ta faute.
— Je voulais te protéger de tout ça, dit-il.
Il avait tant essayé, mais il semblait inévitable que les choses en
arrivent là.
— Tu n’as aucun contrôle sur la réaction des dieux, Hadès, dit-
elle. J’ai choisi d’utiliser mes pouvoirs, et Zeus a choisi d’en finir avec
moi.
— Je le détruirai, jura Hadès.
— Je n’en doute pas, répondit-elle. Et je serai à tes côtés quand
tu le feras.
— À mes côtés, répéta-t-il en caressant sa joue avant de laisser
tomber sa main. Parle-moi de Sybil.
— Ce matin, Sybil n’est pas venue à notre rendez-vous, expliqua-
t-elle. Je suis allée au bureau en espérant qu’elle y serait et qu’elle
avait oublié, mais elle n’y était pas. Quand je me suis approchée de
mon bureau, j’ai trouvé une boîte, dessus, dit-elle avant de marquer
une pause et de déglutir. Elle contenait un doigt de Sybil.
Le sang d’Hadès se glaça. Il repensa aux nymphes que Déméter
avait tuées. S’en était-elle prise à Sybil, aussi ? Était-ce un moyen
d’attirer Perséphone dans un piège ?
— Tu es sûre que c’était le sien ?
— Oui.
— Il est où, maintenant ?
— Dans mon bureau.
— On doit aller le chercher, dit Hadès. Hécate pourra utiliser un
sort de traçage qui nous dira au moins où son doigt a été coupé.
— Qu’est-ce qu’on fait si elle n’y est pas ?
— Je ne sais pas, répondit Hadès. Ça dépendra de ce qu’on
trouvera en la traquant.
Il fallait bien qu’ils commencent quelque part.
— Viens, on doit faire vite. On ne peut pas rester longtemps hors
des Enfers étant donné l’état dans lequel nous avons laissé les
Olympiens.
Hadès s’attendait à ce que récupérer le doigt de Sybil soit facile.
Les problèmes commenceraient quand Hécate opérerait son sort de
traçage et qu’ils partiraient la sauver, mais dès qu’ils arrivèrent au
bureau de Perséphone, il comprit qu’il s’était trompé.
Ce n’était pas Déméter qui était responsable.
C’était Thésée.
Il aurait dû s’en douter.
Déméter utilisait sa magie pour blesser.
Thésée utilisait des armes.
Nom de dieux, putain.
Thésée se tenait en face du bureau de Perséphone, étendu sur le
canapé, parfaitement à l’aise.
— Toi ! gronda Perséphone.
Hadès garda Perséphone dans ses bras.
— Moi, répondit-il d’une voix presque chantante.
Son arrogance était palpable, rendant l’atmosphère huileuse et
gluante.
— Où est Sybil ? demanda Perséphone.
— Elle est ici, dit-il en levant le doigt mutilé qu’il tenait dans la
main.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Ta coopération, répondit le demi-dieu avant de regarder
Hadès. J’en aurai besoin quand j’aurai récolté ma Faveur.
Le sang d’Hadès se glaça et il planta ses ongles dans la taille de
Perséphone pour la serrer plus fort. Il savait que ce jour viendrait.
Thésée avait capturé Sisyphe, le mortel qui utilisait un fuseau
pour prolonger sa propre vie. Les Moires avaient été furieuses et
Hadès avait su que s’il ne contenait pas la menace, elles se
vengeraient. Ainsi, quand Thésée s’était présenté avec le mortel et la
relique volée, en exigeant une Faveur en retour, Hadès la lui avait
accordée.
— Quelle Faveur ? demanda Perséphone.
— La Faveur que me doit Hadès, dit le demi-dieu en souriant.
Pour l’avoir aidé à sauver votre couple.
— De quoi il parle ?
Hadès ne répondit pas. Il était occupé à réfléchir à la façon dont il
allait tuer Thésée et au meilleur moyen de le combattre sans que
Perséphone et Sybil ne soient blessées.
— Hadès ?
— Il m’a rendu une relique qui était entre les mauvaises mains. Tu
connais maintenant les effets dévastateurs d’un tel objet.
Rien de tout ça n’était une coïncidence. Le fuseau était la
première relique que Poséidon et Thésée avaient introduite dans le
monde, et elle avait servi de test. Quand elle avait causé
suffisamment de panique et qu’ils avaient fini de s’amuser, Thésée lui
avait apporté Sisyphe et le fuseau en échange d’une Faveur.
C’était un piège.
Et ça avait marché.
— Qu’est-ce que tu veux de lui ? demanda Perséphone.
— Toi, répondit le demi-dieu.
Hadès tremblait de tout son corps. Il ne pensait pas pouvoir tenir
Perséphone plus fort.
— Moi ? souffla-t-elle.
— Non, rétorqua Hadès d’une voix tonitruante alors que sa magie
s’élevait.
— Les Faveurs sont immuables, Hadès, dit Thésée d’un ton
moqueur. Tu es obligé d’accéder à ma requête.
— Je connais la nature des Faveurs, Thésée, siffla le dieu des
Morts.
— Alors tu affronterais la Mort divine ? demanda Thésée en se
levant.
— Hadès, non !
Hadès ignora ses prières.
— Pour Perséphone ? Oui.
— Je souhaite seulement l’emprunter. Tu pourras la récupérer
quand j’aurai fini.
Hadès ne savait que trop bien ce que cela signifiait.
— Pourquoi moi ? demanda-t-elle.
— Nous aurons cette conversation un autre jour. Pour l’instant, tu
dois venir avec moi, et Hadès ne peut pas nous suivre. Si tu ne fais
pas ce que je dis, j’assassinerai ton amie sous tes yeux.
Perséphone parvint à se tourner dans ses bras, mais Hadès
refusait de la regarder.
Ne m’obligea pas à faire ça, pensait-il. Ne m’oblige pas à te
regarder partir.
— Perséphone… chuchota-t-il en serrant les dents.
Sa gorge était nouée, son nez et ses yeux le brûlaient.
— Ça va aller, chuchota-t-elle.
— Non, Perséphone.
Un poids comprimait sa poitrine et son cœur battait la chamade.
— J’ai déjà perdu trop de gens, dit-elle. De cette façon… je peux
tous vous garder.
Hadès avait perdu trop de gens, lui aussi, et elle lui demandait
quand même de la regarder partir. Il n’en était pas capable. Il refusait
de la laisser partir. Comment était-il censé la regarder s’éloigner avec
un homme qui avait le pouvoir de tuer les dieux ?
Perséphone se mit sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la
bouche, mais il ne lui retourna pas son baiser et ne la lâcha pas.
— Fais-moi confiance, chuchota-t-elle.
— Je te fais confiance.
C’était à Thésée qu’il ne faisait pas confiance.
— Laisse-moi partir.
Peut-être était-ce à cause de sa façon de parler, mais Hadès se
surprit à ouvrir les mains, comme s’il était sous l’emprise d’un
sortilège. Son cœur se battait contre sa raison.
Thésée ricana en ouvrant la porte.
— Tu as pris la bonne décision.
Hadès soutint le regard de Perséphone, incapable de la quitter
des yeux. Elle fit quelques pas en arrière en le suppliant du regard.
Elle lui demandait de la laisser partir, elle le suppliait de rester là.
Quand elle tourna les talons, elle emporta son cœur avec elle.
— Perséphone… dit Hadès, désespéré qu’elle revienne.
Ne pars pas avec lui, voulait-il dire. On trouvera une solution.
Mais il savait qu’il n’échapperait pas à la justice divine s’il ne laissait
pas cette transaction s’opérer. Il détestait l’admettre, mais laisser
Perséphone partir était sans doute la meilleure option. Cela le laissait
libre de partir à sa recherche, de la sauver et de déchiqueter Thésée.
Elle s’arrêta à côté du demi-dieu et soutint son regard.
— Je t’aime, dit-elle. Et je te connais.
Il la comprenait, car il sentit sa magie à peine une seconde avant
qu’elle ne jaillisse du sol pour l’immobiliser. Soudain, ses bras et ses
jambes se retrouvèrent attachés au sol, qui tremblait sous ses pieds.
— Perséphone ! hurla-t-il, mais elle avait raison.
Il ne les aurait sans doute pas laissés sortir de l’immeuble avant
de leur courir après, et elle ne voulait pas risquer la vie de Sybil.
Il se débattit contre ses lianes, les muscles tremblants, levant la
tête juste à temps pour voir son visage anéanti avant que la porte ne
se referme en claquant.
Chapitre XLIV

THÉSÉE

Thésée escorta Perséphone à l’entrée de la Tour Alexandria, puis


dans le SUV qui les attendait. Dès qu’ils furent installés, il tendit la
main.
— Ta bague, dit-il.
— Ma… pourquoi ?
— Donne-moi ta bague, gronda-t-il. (Il détestait se répéter.) Ou je
te coupe le doigt, à toi aussi.
Ce n’était pas une menace en l’air. Thésée tenait toujours parole.
Elle le fusilla du regard, mais elle obéit, et il mit la bague dans la
poche de sa veste.
— Tu m’emmènes où ? demanda-t-elle.
Il s’était attendu à ce qu’elle lui demande. Tout le monde voulait
toujours savoir ça, comme si ça changeait quoi que ce soit.
Ce qui n’était pas le cas.
Après tout, ce n’était pas comme si elle pouvait lui échapper.
Quand ils arriveraient à destination et qu’elle verrait de quoi il était
capable, elle aurait trop peur pour essayer de l’affronter.
— On va à l’hôtel Diadème. Jusqu’à ce que je sois prêt à mettre
en œuvre mon plan, grâce à toi.
— Et c’est quoi, ton plan ?
— Je ne compte pas te montrer ma main avant d’être prêt, reine
Perséphone.
Il avait espéré qu’elle réagirait davantage en l’entendant utiliser
son titre, mais elle l’ignora. Cela lui déplut et une bouffée de
frustration lui monta à la tête, le faisant rougir.
— Est-ce que Sybil sera là ? À l’hôtel ?
— Oui. Tu pourras la voir. Il le faudra, d’ailleurs, pour que tu te
souviennes pourquoi tu dois mener ta mission à bien.
La mortelle était dans un sale état, mais il fallait s’y attendre. Elle
était l’agneau sacrificiel envoyé à l’abattoir. Sans elle, Perséphone
n’aurait pas coopéré. Déméter avait eu raison au sujet de la jeune
déesse ; elle aurait fait n’importe quoi pour sauver ses amis, pour
sauver le monde entier.
Sa vertu serait sa perte ; et la perte d’Hadès.
Elle se tut enfin, au moins quelques minutes, mais une part de lui
aurait préféré qu’elle continue à lui faire la morale, ses valeurs étaient
sa plus grande faiblesse. Il les retournerait toutes contre elle, plus
tard, quand il incarnerait lui-même le destin, tissant une existence
tortueuse pour la déesse du Printemps, à tel point qu’elle le
supplierait d’avoir pitié d’elle.
C’était ce qu’il attendait d’elle et du monde entier : la soumission
et l’obéissance.
Sa queue se gorgea de sang rien que d’y penser, et il tourna la
tête vers Perséphone. Elle s’était tapie dans un coin du véhicule,
aussi loin de lui que possible, même si elle restait tournée vers lui,
comme si elle s’attendait à ce qu’il l’agresse.
Elle était prête à se battre. Il aimait ça. Il en avait l’eau à la bouche
et sa queue tressauta.
Mais il était maître dans l’art du self-control et il ne perdait pas de
vue ses priorités. Il devait exécuter son plan avant de briser
Perséphone.
Car il la briserait ; à tel point qu’elle ne retrouverait plus jamais les
morceaux d’elle-même.
— Tu travailles avec ma mère ?
Il n’appelait pas ça « travailler ». Thésée ne travaillait avec
personne. Il se servait simplement de ce que les gens avaient à lui
offrir, et quand il avait terminé, il se débarrassait de ce qui restait.
C’était simple. Pas de gaspillage.
— Nous avons un objectif commun, répondit-il.
— Vous voulez tous les deux renverser les dieux.
— Pas les renverser, corrigea-t-il. Les détruire.
— Pourquoi ? Qu’est-ce que tu as contre les dieux ? C’est un dieu
qui t’a donné naissance.
— Je ne déteste pas tous les dieux. Seulement ceux qui sont
inflexibles.
De nombreux dieux qui étaient prêts à assouvir ses désirs afin de
retrouver l’existence qui avait été la leur avant que les Olympiens ne
renversent les Titans. Contrairement à Perséphone, ceux-là se
fichaient de l’humanité. Ils voulaient seulement continuer de vivre
confortablement sur Terre.
— Tu veux dire ceux qui ne te laissent pas faire tout ce que tu
veux ?
— Tu me fais passer pour un égoïste. N’ai-je pas toujours voulu le
bien commun ?
Mais le bien commun était un bénéfice pour tous ; même ceux qui
ne s’en rendaient pas compte.
Ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils comprennent
qu’ils avaient le choix entre accepter son idée de l’avenir ou affronter
une guerre. Et qui ne voudrait pas de ce qu’il avait prévu ? Il
donnerait naissance à un âge d’or semblable à l’époque où Cronos
avait régné. Il y aurait la paix et la prospérité. Il n’y aurait plus besoin
de règles ou de lois en dehors des attentes qu’il avait pour le monde,
et ses fidèles l’écouteraient parce qu’il leur donnerait ce dont ils
avaient besoin.
Quant à Perséphone, qu’elle le veuille ou non, elle apporterait un
printemps éternel. Il se servirait d’elle comme de tous les dieux, ceux
qu’il pouvait contraindre, bien sûr.
— On sait tous les deux que c’est le pouvoir qui t’intéresse,
Thésée. Tu ne fais que t’amuser à offrir aux mortels ce que les autres
dieux refusent d’accorder.
Thésée ne s’amusait à rien du tout, elle s’en rendrait vite compte.
— Tu es toujours si sceptique, Lady Perséphone.
Son sourire n’eut aucun effet sur elle, contrairement aux autres.
Elle ne se détendit pas et ne cessa jamais de grimacer. Elle
continuait de le fusiller du regard, furieuse et défiante. En général, il
aimait l’insolence, car il pouvait la punir, mais il avait besoin que
Perséphone lui obéisse afin d’exécuter son plan.
Perséphone semblait plus en colère qu’effrayée, et cela l’agaçait.
Mais peu importait, après tout, car quand tout ça serait fini, elle
aurait peur de lui en plus de le détester.
Elle serait alors parfaite.
Ils arrivèrent au Diadème et il tendit le bras pour prendre son
visage dans sa main, l’obligeant à le regarder. Elle se crispa et il sut
que même s’il la forçait, elle ne cesserait jamais de lui tenir tête. Très
bien. Il avait seulement besoin qu’elle lui obéisse un peu, et après ce
soir, il s’en fichait.
— On va marcher, dit-il. Sache que je vais compter le nombre de
fois où tu te comportes mal, et pour chaque mauvaise conduite, je
couperai un doigt de ton amie. Et si je manque de doigts, je passerai
aux orteils, déclara-t-il en la lâchant brusquement. Je te fais
confiance pour obéir.
Ils sortirent du véhicule et il en fit le tour pour offrir son bras à
Perséphone. Ses yeux brillaient de haine, mais peu de mortels
étaient capables de distinguer la haine de la passion.
La déesse se comporta comme une gentille petite fille et accepta
son bras.
— Est-ce qu’Héra sait que tu te sers de son hôtel pour te livrer à
de la haute trahison ? demanda-t-elle à voix basse tandis qu’ils en
traversaient le hall lumineux.
Il éclata d’un rire sincère. C’était rare, mais il trouvait sa question
hilarante. À l’évidence, Hadès ne lui avait rien dit. Héra lui avait
proposé plusieurs étages pour qu’il s’en serve comme il le voulait. Et
il ne s’en privait pas, que ce soit pour le sexe, le meurtre ou les prises
d’otage.
— De tous les dieux, c’est Héra qui est dans notre camp depuis le
plus longtemps, dit-il.
Le fait qu’elle déteste son mari était précieux, tout comme le fait
qu’il continuait de lui pardonner malgré ses nombreuses trahisons,
mais c’était la nature de l’amour, la plus grande faiblesse de toutes.
Ce serait la perte de Zeus, tout comme ce serait la perte d’Hadès.
— Je pensais que tu serais plus discret, dit-elle. Étant donné que
tu enfreins la loi.
Il se pencha vers elle, effleurant son oreille avec sa bouche,
savourant la façon qu’elle avait de grimacer de dégoût.
— C’est toi qui as enfreint la loi en te battant contre les dieux.
— Tu as kidnappé mon amie.
— Est-ce un crime si personne ne le sait ?
La mâchoire de Perséphone se contracta et il sentit sa colère
frémir. Il avait envie d’y goûter, et c’est ce qu’il ferait, bientôt.
— Ne te fatigue pas à réfléchir à la torture que tu m’infligeras
quand je mourrai. Hadès s’est déjà attribué cet honneur.
Perséphone éclata de rire.
— Oh, mais je ne te torturerai pas quand tu seras mort. Quand je
te torturerai, tu seras encore vivant.
Il l’espérait sincèrement. Il aimait la douleur.
Il la traîna à l’étage, l’obligeant à marcher au même rythme que
lui. Quand ils arrivèrent devant la suite, il lui tint la porte ouverte.
C’était le moins qu’il pouvait faire – vraiment, le strict minimum.
Elle garda les yeux rivés sur lui en franchissant le seuil, puis elle
aperçut son amie dans un coin.
— Sybil !
Il sut tout de suite qu’elle lui obéirait, à présent. Il avait entendu ce
cri aigu de nombreuses fois par le passé et il savait ce qu’il signifiait.
Elle était horrifiée, et elle comprenait la menace.
Il la laissa aller voir son amie, qui était à peine consciente,
ensanglantée et méchamment amochée. Elle s’agenouilla à ses
côtés et chuchota son nom d’une voix désespérée. Thésée aimait
l’entendre et il pencha la tête sur le côté, empli de fierté. Elle
fredonnait une chanson triste qu’il avait lui-même composée.
Il attendit.
Elle se tourna vers lui et vit l’autre corps.
— Harmonie !
— Ah, oui, ricana Thésée. Celle-là était avec elle quand on s’est
pointés. Elle a compliqué les choses, alors j’ai dû m’en occuper aussi.
— Tu n’étais pas obligé de leur faire mal, cracha-t-elle d’une voix
tremblante.
Tant mieux.
— Mais si. Tu comprendras, un jour, les mesures qui sont
nécessaires pour gagner une guerre, dit-il avant de désigner le garde
d’un hochement de tête. Théo est ton garde du corps. Théo, gronda-
t-il d’un ton autoritaire.
Pour étayer ses propos, l’homme dégaina un poignard et colla la
lame à l’annulaire de Sybil.
— Non ! cria Perséphone en avançant vers eux.
— Ah ah ah, chanta Thésée en levant la main, paume tournée
vers elle pour l’arrêter.
Perséphone se figea, le regard noir de rage.
— Théo est le fils d’un boucher. C’est un charcutier expert. Il a
reçu l’ordre de démembrer ton amie si tu te comportes mal. Pas d’un
seul coup, bien sûr. Je reviens vite.
Thésée sortit de l’hôtel, tout son corps fourmillait de plaisir.
S’il en avait eu le temps, il aurait fait venir Hélène pour la prendre
en se rendant à sa prochaine destination. Elle ne lui résisterait pas, à
moins qu’il le lui demande, mais c’était moins fun quand ce n’était
pas sincère. Hélène n’était qu’un réceptacle à son plaisir, un moyen
de se détendre quand il se trouvait dans ce genre de situation. Il
aurait largement préféré la résistance que seule des femmes comme
Ariadne ou Perséphone pouvaient offrir.
De toute façon il n’avait pas le temps. La magie de Perséphone
ne retiendrait pas Hadès longtemps et dès qu’il serait libre, Thésée
savait précisément ce qu’il chercherait : les signatures énergétiques
des pierres de sa bague de fiançailles.
Il monta à l’arrière du SUV et quand la portière se referma, Héra
apparut à côté de lui.
Thésée ne la regarda pas, mais il sentit ses soupçons. C’était très
désagréable et ça gâchait le plaisir qu’il avait pris avec la déesse du
Printemps.
— On ne pourra plus faire marche arrière, dit-elle.
— Tu as des doutes ? demanda-t-il d’une voix ennuyée.
— Je me demande si j’ai eu tort de miser sur un demi-dieu.
Thésée gloussa froidement.
— Pour miser, il faut de la confiance. Et soyons honnêtes, aucun
de nous deux ne fait confiance à l’autre.
Thésée n’était pas dupe. Il savait que si Héra était attrapée avant
qu’ils n’aient pu emprisonner Zeus, elle l’accuserait de rébellion. S’ils
réussissaient, elle essaierait de le tuer pour s’emparer du trône
olympien. Elle était prévisible, et c’était terriblement ennuyeux.
Ils arrivèrent au Palais de Cnossos, dont l’extérieur n’était qu’un
amas de ruines.
— C’est ici que tu comptes piéger Hadès ? ricana Héra. Il ne se
fera jamais avoir.
Thésée sortit la bague de Perséphone de sa poche. Elle était
froide contre sa peau, ayant perdu la chaleur de la déesse.
— Il ira n’importe où s’il pense y trouver Perséphone.
Thésée referma la main et entra dans le palais. Derrière ses
façades abandonnées se trouvait un ancien labyrinthe, et Thésée
avait passé les dernières années à créer un vaste réseau de cellules
assez puissantes pour y enfermer des dieux.
C’était sa propre version du Tartare, abritée dans un labyrinthe, et
ils s’apprêtaient à découvrir son efficacité.
Héra le suivit, restant quelques pas en arrière, craignant sans
doute qu’il essaie de l’emprisonner ; mais elle ne l’intéressait pas
encore.
C’était Hadès, le problème, l’épine dans son pied.
Thésée savait que le dieu des Morts élaborait son propre plan,
non seulement pour le combattre, lui, mais aussi pour renverser son
frère – mais Hadès allait découvrir qu’il n’avait pas été assez rapide.
Le demi-dieu emprunta un escalier qui s’enfonçait dans les
profondeurs sombres du palais, atteignant une lourde porte
métallique qu’il ouvrit en y pressant la paume de la main. Elle donnait
sur une longue rangée de cellules, et Thésée pouvait déjà entendre
le souffle lourd et rauque du Minotaure en avançant vers le milieu du
couloir, jusqu’au monstre.
Celui-ci était grand et le dépassait de plusieurs têtes. Il avait la
tête d’un taureau et son museau était mouillé et dégoulinant. Il
meuglait et fonçait sur les barreaux en les traversant avec ses
cornes, se fichant de rebondir en arrière. Il s’agrippa aux barres en
métal avec ses mains humaines et les fit trembler, essayant de les
écarter, mais elles ne bougèrent pas. Elles ne céderaient jamais.
Elles étaient entièrement faites en adamantine, le seul métal capable
de blesser un dieu, le seul métal capable d’en contenir un.
— Astérion ? demanda Héra.
Astérion était le premier Minotaure ; celui qui avait vécu dans ce
palais à ses origines, dans le labyrinthe qui s’étendait au-delà de
cette prison.
— Oh, non, ça fait longtemps qu’il est mort, lui. Celui-ci est ma
propre création.
— Ta création ?
Thésée ne répondit rien, il n’avait pas à s’expliquer. Les
Minotaures étaient créés comme ils l’avaient toujours été, de
l’accouplement d’un taureau et d’une femme.
— Tu es exactement comme ton père, cracha Héra.
— Il faut ce qu’il faut, répondit Thésée avant de tourner la tête
vers la déesse, dont le visage trahissait son dégoût, comme si elle
n’avait jamais commis d’horreurs au cours de sa longue vie. Ce n’est
pas ce que tu avais dit ? De faire le nécessaire ? Je suis prêt à tout. Et
toi ?
Héra se contenta de le dévisager. Thésée se concentra à
nouveau sur le Minotaure.
— Ouvre la cage, dit-il.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda Héra en invoquant sa magie.
Thésée gloussa, une porte de la cage s’ouvrait sur le labyrinthe.
Le Minotaure fit volte-face, les pattes écartées, le souffle rapide.
— Je t’ai fait peur, Héra ? demanda Thésée avant de tourner les
talons pour remonter au premier étage de la prison, où une
plateforme surplombait un labyrinthe complexe. Il était vaste et
sombre, sans logique dans sa forme ni régularité dans la taille des
couloirs.
Ils observèrent le Minotaure qui s’avançait, puis ils le virent hurler
de rage quand la porte de sa cellule se referma, le coinçant dans le
labyrinthe.
— Hadès peut tuer un Minotaure, dit Héra.
— Je sais, répondit Thésée.
Il comptait dessus.
Chapitre XLV

HADÈS

Cet enfoiré de Thésée !


Une éternité au Tartare ne suffirait pas, Hadès ne serait pas satisfait
avant que son neveu n’ait cessé d’exister. Il briserait son âme, couperait
son fil en mille morceaux et les consumerait. Ce serait le repas le plus
succulent de sa vie.
Putain de Faveur !
Putain de Moires !
Il se débattit contre les liens de Perséphone et ses muscles
tremblèrent en se crispant, mais les lianes refusaient de céder.
Putain, putain, putain !
Perséphone était puissante, et il aurait ressenti une grande fierté si elle
n’était pas partie avec cet enfoiré de demi-dieu. Il savait pourquoi elle
l’avait fait. Elle avait voulu le protéger, et cette pensée le tirailla,
comprimant douloureusement sa poitrine. Il l’aimait tant et il ne supportait
pas qu’elle se mette ainsi en danger, même s’il le comprenait.
Qu’allait lui faire Thésée ?
Sa peur déclencha une nouvelle vague de rage en lui et il se débattit à
nouveau contre les lianes de Perséphone. Cette fois, il en entendit une
craquer et l’un de ses pieds fut libéré. Il poussa avec son bras, faisant
gonfler ses veines sous sa peau, et le lierre lui écorcha le poignet, mais il
céda. Après cela, il arracha le reste et dès qu’il fut libre, il se téléporta.
Perséphone avait le coup de main pour cacher sa propre signature
énergétique. Il n’avait pas encore découvert si cela faisait partie de ses
pouvoirs ou si c’était dû au fait que ceux-ci étaient restés dormants
pendant si longtemps. Quoi qu’il en soit, cela rendait sa localisation
impossible, sauf quand elle portait sa bague. Il se concentra sur l’énergie
unique des pierres, la pureté de la tourmaline et la douce caresse de la
dioptase. Il n’avait pas prévu de s’en servir pour la traquer quand il la lui
avait offerte, il était capable de retrouver n’importe quel métal ou joyau
avec lequel il s’était familiarisé.
Il se manifesta au milieu de ruines.
Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaître où il était : au Palais de
Cnossos. Dans la nuit, il était impossible de discerner le détail des
fresques colorées qui recouvraient ce qui restait de l’ancienne muraille ni
de voir son envergure, mais Hadès le connaissait bien car il y était venu
durant son heure de gloire et au cours de son inévitable destruction.
C’était ici qu’il avait perçu la bague de Perséphone, mais faiblement. Il
savait que ces ruines s’enfonçaient dans les entrailles de la terre, dans un
labyrinthe dont le dessein était de perdre les visiteurs. Il imagina
Perséphone quelque part dans le palais et sa colère le poussa à entrer.
Il avait beau y faire noir, ses yeux s’acclimatèrent vite et il traversa le
sol en mosaïque brisée jusqu’à un large trou, où le sol semblait s’être
effondré. Il s’adressa à ses spectres et leur ordonna de descendre. Il les
observa, le trou révéla un autre étage du palais, puis un autre encore, plus
profond.
Hadès sauta et atterrit sur un autre sol en mosaïque. Ici, le palais était
moins abîmé, ses colonnes et ses pièces étaient plus visibles. Hadès les
traversa, en suivant les énergies de la bague de Perséphone, mais un
malaise s’empara de lui. Il percevait la vie, une vie ancienne, ainsi que la
mort. Ce n’était pas inhabituel, étant donné que le site datait de l’Antiquité,
des centaines de personnes étaient mortes ici. Mais cette mort était en
partie récente, frappante, aiguë et acide.
Hadès continua de descendre jusqu’à ce qu’il arrive au bord d’un autre
trou béant. L’odeur de mort y était encore plus forte, tout comme l’énergie
de la bague de Perséphone. La rage et la peur d’Hadès parcoururent son
corps, une crainte épaisse et horrifiante lui noua la gorge. Il se rappela le
soir où il l’avait trouvée dans le sous-sol du Club Aphrodisia et, l’espace
d’un instant, il se retrouva là-bas, avec Perséphone dans ses bras, brisée.
Il sentit à nouveau l’odeur de son sang, et son esprit s’échappa dans un
lieu sombre et rempli de violence. C’était justement le genre de colère dont
il avait besoin, la poussée d’adrénaline l’aiderait à réduire le monde en
cendres s’il la trouvait blessée.
Il sauta dans l’abîme et cette fois, lorsqu’il atterrit, le sol trembla. Il se
redressa et découvrit qu’il était face à plusieurs couloirs étroits.
Un labyrinthe.
Il était familier de ce genre de savoir-faire, et reconnut le travail de
Dédale, un inventeur et architecte ancien, connu pour ses innovations.
C’était d’ailleurs l’une de celles-ci qui avait causé la mort de son fils.
Merde, pensa Hadès en tournant sur lui-même, étudiant chaque
chemin. Il faisait plus froid ici, et l’air était plein de poussière, il était sale et
étouffant. Il parvint toutefois à sentir l’énergie de la bague, elle était encore
plus forte dans le couloir de droite. Il s’avança ainsi dans le noir et
remarqua que des parties du tunnel étaient démolies, comme si les murs
avaient été frappés par un objet très lourd.
Une chose monstrueuse avait vécu ici.
Peut-être y était-elle encore ?
Hadès rassembla ses spectres autour de lui et les envoya dans le
couloir, mais ils revinrent, désorientés, avant de se dissiper dans la nuit.
Leur comportement étrange fit se hérisser les poils de sa nuque. Il y avait
quelque chose d’anormal dans ce labyrinthe, qui ne lui plaisait pas.
Soudain, le sol explosa sous ses pieds et il vola contre le mur opposé.
Quand il reposa les pieds par terre, il se trouva face à un taureau, du
moins, à sa tête. Le reste de son corps était humain.
Un Minotaure.
Le monstre rugit et frappa le sol de son sabot, il était armé d’une
double hache qui était ébréchée et couverte de sang sec. Hadès supposa
que la créature avait dû s’en servir en étant emprisonnée ici, ce qui vu son
état, ses cheveux gras et compacts, sa peau répugnante et ses yeux
vitreux, devait dater de très longtemps.
Le monstre meugla et balança sa hache. Hadès poussa contre le mur
avec ses mains et se baissa en propulsant ses spectres sur la bête. Face à
n’importe quelle autre créature, sa magie aurait frappé son âme et elle
aurait été désorientée. Pourtant, les ombres traversèrent le Minotaure, et il
sembla s’énerver de plus belle, ne perdant l’équilibre que quelques
secondes.
Hadès fonça sur la créature. Ils volèrent en arrière, traversant un mur
après l’autre. Ils finirent par atterrir sur un amas de gravats et Hadès roula
pour s’éloigner autant que possible de la bête.
Le Minotaure fut aussi rapide que lui et se dressa sur ses sabots. Il ne
possédait pas de magie, mais il était agile et semblait puiser sa force dans
un puits sans fin. Il rugit et chargea à nouveau, baissant cette fois la tête
pour faire usage de ses cornes. Hadès croisa les bras et créa un champ
magnétique qui fit voler la créature dans les airs.
Si elle percuta le mur avec force, elle se releva tout aussi vite et, cette
fois, son grognement fut assourdissant de rage. Elle jeta sa hache, qui
fendit les airs avec un sifflement aigu. Elle se précipita en même temps sur
Hadès et le dieu se prépara à affronter l’impact. Quand la créature le
percuta, Hadès invoqua sa magie et planta ses longues griffes dans la
nuque du Minotaure. Il rugit, mais continua de courir à toute vitesse,
traversant les murs du labyrinthe. Les impacts répétés sur le dos d’Hadès
commencèrent à se faire sentir. Il crispa sa mâchoire et continua de
planter ses griffes dans le cou de la bête, encore et encore.
Hadès commença à sentir l’énergie du monstre faiblir. Il ralentit et son
souffle devint rauque, des traînées de sang coulaient de sa bouche et de
son nez. Hadès était sur le point de le lâcher quand le Minotaure vacilla et
chuta avec lui dans un autre trou. Celui rétrécissait vite et Hadès
rebondissait contre les parois comme une balle, ce qui lui coupait le souffle
à chaque fois. Ils tournoyèrent l’un autour de l’autre jusqu’à être tous deux
projetés dans une salle plus grande. Le monstre atterrit le premier et
Hadès frappa une paroi qui ne céda pas, lui indiquant que ce n’était ni du
béton ni de la pierre.
De l’adamantine, comprit Hadès.
L’adamantine était un matériau qui avait été utilisé pour fabriquer de
nombreuses armes anciennes. C’était également le seul métal qui pouvait
neutraliser les dieux.
Hadès se leva d’un bond, prêt à continuer de se battre contre le
Minotaure, mais celui-ci ne se releva pas.
Il était mort.
Hadès s’habitua à cette nouvelle pénombre. Elle était étrangement
plus épaisse. Peut-être était-ce à cause de la profondeur à laquelle il était,
peut-être à cause de l’adamantine. Quoi qu’il en soit, la cellule était simple,
une petite pièce carrée avec un sol sablonneux. À première vue, il n’y avait
pas d’issue, mais il continuerait de chercher. Pour l’instant, il se concentra
sur la présence de Perséphone, qui était très forte ici, comme si son cœur
battait dans les murs de cette cellule. C’est à ce moment-là qu’il le vit,
l’éclat de l’un des joyaux de sa bague.
Si sa bague était ici, où était-elle ? Qu’avait fait Thésée ?
Il la fixait toujours quand un bruit mécanique retentit, il leva la tête au
moment où un filet tomba du plafond et le plaqua au sol. Il percuta le sable
dans un craquement sonore et essaya d’invoquer sa magie, mais il se mit
à convulser, le filet le paralysait.
Jamais il ne s’était senti aussi impuissant, et cela le mit hors de lui.
Il se débattit et jura, en vain. Il finit par ne plus bouger, non pas parce
qu’il ne voulait plus se battre mais parce qu’il était trop épuisé pour le faire.
Il ferma les yeux un instant. Quand il les rouvrit, il eut la sensation de s’être
endormi. Il lui fallut un moment pour s’adapter à la pénombre. Allongé sur
le sol, le souffle court, il remarqua un minuscule éclat à quelques pas de
lui.
La bague de Perséphone.
Il voulut la saisir, mais le filet immobilisait son bras. Son front se couvrit
de sueur et son corps perdit encore de la force. Encore une fois, il ferma
les yeux. Le sable recouvrit sa bouche et sa langue.
— Perséphone, chuchota-t-il.
Sa femme, sa reine.
Il se remémora combien elle avait été sublime, vêtue de blanc, quand
elle avait marché jusqu’à lui dans la clairière, entourée des âmes et des
dieux qui l’aimaient. Il se souvint de son sourire qui avait fait battre son
cœur plus fort et de ses yeux émeraude brillant de joie, et sa poitrine se
comprima de fierté. Il pensa à tout ce qu’ils avaient enduré, tout ce pour
quoi ils s’étaient battus, aux promesses qu’ils s’étaient faites de brûler les
mondes et de s’aimer pour toujours. Mais Hadès se retrouvait ici, sans elle,
sans savoir si elle était en sécurité.
Il contracta sa mâchoire, une nouvelle vague de colère parcourut ses
veines. Il se força à ouvrir les yeux et tendit à nouveau la main vers la
bague. Cette fois, même si sa main trembla, il parvint à lutter et à saisir
une poignée de sable, qu’il laissa couler entre ses doigts pour n’avoir plus
que la bague dans sa paume.
À bout de souffle, tremblant de tout son corps, il porta le bijou à sa
bouche puis le serra dans sa main, contre son cœur, avant de sombrer à
nouveau dans les ténèbres.
NOTE DE L’AUTEURE

Je n’ai que quelques ajouts à faire dans cette note, car la plupart
des éléments mentionnés dans A Game of Gods le sont aussi dans A
Touch of Malice. Si vous n’aviez pas lu la note de l’auteur à la fin de
ce dernier, je vous invite à y jeter un œil, car il explique brièvement
nombre des mythes qui m’ont servi de référence dans ces deux
romans.

L’OPHIOTAUROS
Il n’y a que peu d’informations au sujet de l’Ophiotauros, en
dehors du fait que c’était un monstre mi-taureau, mi-serpent,
probablement né de Gaïa. Son existence était accompagnée d’une
prophétie : « Celui qui aurait livré aux flammes du sacrifice les chairs
de ce taureau pourrait vaincre les dieux éternels. » Parfois, l’histoire
veut que les Titans aient tué le monstre, mais Ovide dit que c’est
Briarée. Il est sur le point de livrer ses intestins aux flammes quand
les aigles de Zeus les lui dérobent.
Après sa mort, l’Ophiotauros est placé dans les étoiles et forme la
constellation du Taureau.
Cette histoire ferait partie de Titanomachie, qui est un poème
épique grec perdu au sujet de la Guerre des Titans.

ARIADNE ET DIONYSOS
J’ai choisi d’inclure le point de vue de Dionysos dans A Game of
Gods car il est lié à Chaos. Par ailleurs, j’adore la juxtaposition de
l’histoire d’amour bien établie d’Hadès et de Perséphone et de
l’amour naissant d’Ariadne et Dionysos.
Pour cette histoire, je me suis référée à L’Odyssée. Les parallèles
sont peut-être flagrants, mais je vais quand même les passer en
revue. Tout d’abord, le fait que les deux sont emportés par les vagues
à cause de Poséidon est exactement comme pour Ulysse, qui essaie
de rentrer chez lui après la guerre de Troie.
Je souhaite mentionner ici qu’Ulysse, qui est considéré comme
un « héros » de la mythologie grecque, a également essayé d’éviter
de devoir se battre en faisant mine d’être fou, semant pour se faire du
sel dans ses champs. On pourrait répondre qu’il a fait cela parce que
la prophétie disait qu’en participant, il serait loin de chez lui pendant
vingt ans, mais… ça ne me paraît pas très héroïque.
On sait tous que la véritable héroïne de cette histoire est sa
femme, Pénélope.
Quoi qu’il en soit, Dionysos et Ariadne sont emportés par les
vagues et échouent sur une île qui est plus tard identifiée comme
Thrinacie, qui finit par être possédée par Hélios, dans la mythologie
(c’est là qu’il garde son bétail). Quand ils arrivent, ils rencontrent un
vieil homme que Dionysos soupçonne d’être un dieu. Il s’agit de
Nérée, auquel les textes font également référence comme « le vieil
homme de la mer ». Il est le père des Néréides (les nymphes
marines). Il dit qu’il aidera Dionysos s’il tue le cyclope qui vole ses
moutons.
Le cyclope est Polyphème, qui est l’un des ennemis d’Ulysse
dans L’Odyssée. Comme dans le poème épique, Dionysos propose
du vin au cyclope. (C’était juste parfait, étant donné que Dionysos est
le dieu du Vin). Quand le monstre demande à Dionysos comment il
s’appelle, il répond qu’il est « personne », comme Ulysse.
Lorsque Polyphème perd connaissance après avoir trop bu,
Ulysse l’aveugle. Lorsqu’on demande au cyclope qui l’a blessé, ce
dernier répond « personne ! ». Dans Dieux, Dionysos ne rembourse
jamais sa dette, ce qui reviendra sans doute le hanter… mais c’est
une autre histoire.
J’ai ADORÉ l’histoire d’Ariadne et Dionysos dans ce livre, et
c’était la partie la plus facile à écrire.

UNE NOTE RAPIDE SUR HYPNOS


J’aime offrir plus de profondeur aux personnages dans la saga
d’Hadès, car c’est plus facile, dans cette série, puisqu’Hadès connaît
énormément de choses.
Hypnos était réputé, dans la mythologie, comme étant un dieu
très doux. Toutefois, quand je l’ai rencontré pour la première fois, il
était terriblement ronchon. Quand j’ai commencé à écrire ses
chapitres dans Dieux, j’ai compris qu’en fait, c’était simplement parce
que sa femme lui manquait.
Pasithée est la Charité la plus jeune, et elle a été offerte à Hypnos
par Héra lorsqu’il l’a aidée à endormir Zeus pour la deuxième fois.
Héra a fait ça pour que les dieux puissent interférer dans la guerre de
Troie. Cependant, techniquement, il ne l’a jamais découvert.
Découvrez en avant-première
un extrait de
A TOUCH OF CHAOS
qui paraîtra chez Hugo Publishing le 10 janvier 2024

Ses poignets brûlants le réveillèrent.


La migraine qui pulsait dans son crâne l’empêcha presque
d’ouvrir les yeux, mais il essaya en grognant, toutes ses pensées se
brisaient comme du verre. Il était incapable de ramasser les
morceaux, de se rappeler comment il était arrivé là, tant il était
concentré sur sa douleur, sur le métal qui écorchait ses poignets, sur
ses ongles plantés dans ses paumes, sur les pulsations dans ses
doigts à force de serrer les poings, les mains vides, alors qu’il aurait
dû tenir la bague de Perséphone.
La bague. Elle avait disparu.
Hystérique, il se débattit contre les menottes et il réussit enfin à
ouvrir les yeux, découvrant qu’il était emprisonné dans une petite
cellule plongée dans le noir. Il était pendu au plafond et enveloppé
dans le même filet pesant qui lui était tombé dessus dans le
labyrinthe du Minotaure. Soudain, son regard croisa une paire d’yeux
bleus qu’il connaissait. Il n’était pas seul.
— Thésée, grogna Hadès, remarquant combien sa voix était
faible.
Il était tellement fatigué et ankylosé qu’il n’arrivait pas à parler
comme il le souhaitait, sinon, il aurait hurlé.
Le demi-dieu ne le regardait pas, concentré sur un petit objet qu’il
tenait entre son pouce et son index. Il semblait parfaitement à l’aise,
et pourquoi ne l’aurait-il pas été ? Il avait l’avantage.
— C’est une bague sublime, dit-il avant de marquer une pause,
faisant tourner l’anneau de telle façon que les pierres brillent malgré
la pénombre.
Hadès le regarda faire, l’estomac noué.
— Qui aurait cru qu’elle causerait ta perte ?
— Perséphone viendra, dit-il, car il en était persuadé.
Thésée éclata de rire.
— Tu crois que ta femme peut m’affronter ? Alors que j’ai réussi à
t’emprisonner ?
Hadès inspira aussi profondément que possible, le poids du filet
écrasait son sternum. Tout son corps était comprimé par le piège et il
avait l’impression de tomber en miettes. Il parvint néanmoins à parler,
formulant une promesse sereine qui le secoua jusqu’aux os.
— Perséphone sera ta perte.
REMERCIEMENTS

Tout d’abord, je dois remercier mon éditrice, Christa, qui me laisse


écrire dans sa cabane quand j’ai un délai à tenir, ce qui va bien au-
delà de ce qu’une éditrice « normale » ferait pour son auteur – mais il
n’empêche que tu le fais, et plus encore. Merci de me laisser squatter
chez toi, de m’aider à tenir ces délais incroyablement courts, et pour
les Lundis Spaghettis. Je te suis infiniment reconnaissante pour tout,
mais surtout pour ton amitié.
Merci à Leslie, dont les encouragements m’aident à continuer jour
après jour. Quand tu m’as dit que je finirais ce livre à temps, je t’ai
crue, et tu as su combien de fois j’aurais besoin de l’entendre. Sans
toi, une grande part de ce voyage n’aurait jamais abouti. Merci de
t’être répétée. Lol.
Merci à Lexi de t’être occupée des réseaux sociaux et de mon
calendrier. Je n’aurais pas l’air même à moitié aussi organisée sans
toi. J’ai pu compter sur toi et je t’en remercie. Me réveiller à 4 h du
matin est plus facile quand tu es debout avec moi.
Comme toujours, je remercie mes amis de m’avoir soutenue dans
les hauts et les bas qui accompagnent l’écriture d’un livre. J’ai
toujours hâte de terminer parce que vous m’attendez après la ligne
d’arrivée, prêts pour un brunch.
À mes lecteurs : chaque auteur rêve de la demande que vous
exprimez pour mes livres, et cette partie de la série n’aurait jamais vu
le jour sans vous. Merci d’avoir voulu voir A Touch of Darkness du
point de vue d’Hadès. Cette saga est devenue plus que je ne l’aurais
jamais imaginé grâce à vous.

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