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Paul Gautier

La date de la mort de Christodule de Patmos (mercredi 16 mars


1093)
In: Revue des études byzantines, tome 25, 1967. pp. 235-238.

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Gautier Paul. La date de la mort de Christodule de Patmos (mercredi 16 mars 1093) . In: Revue des études byzantines, tome
25, 1967. pp. 235-238.

doi : 10.3406/rebyz.1967.1395

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1967_num_25_1_1395
LA DATE DE LA MORT DE

CHRISTODULE DE PATMOS
(mercredi 16 mars 1093)

Une date exacte est généralement importante et surtout quand en dépend


la chronologie d'événements que l'imprécision des sources historiques ne
permet pas de situer dans le temps. C'est le cas de la date du décès de
l'higoumène Christodule de Patmos que les historiens sont presque unanimes
à fixer en 1100 ou 1101 (1). Cette obstination dans l'erreur aurait dû cesser
après la parution, en 1884, du livre du hiérodiacre Cyrille Voïnès (2), puisque
dans le prologue de ce livre, I. Sakkelion avait proposé la date exacte du
16 mars 1093 (3). Elle ne fut pas adoptée, probablement parce que Sakkelion
n'expliquait pas de quelle manière il l'avait établie. Quant aux dates de
1100 et 1101, on peut se demander sur la base de quel calcul ou de quels

(1) V. Guérin, Description de l'île de Patmos et de l'île de Samos, Paris 1856, p. 67 : mort
au commencement du Carême de l'an 1101. E. Le Barbier, Saint Christodule el la réforme des
couvents grecs au XIe siècle, Paris 1863, p. 55 : mort dans sa quatre-vingt-unième année,
l'an 1101. P. Renaudin, Christodule, higoumène de Saint-Jean, à Patmos, Revue de l'Orient
chrétien, V (1900), p. 241 : On était en 1100. Quelques mois après, Christodule mourait dans
sa quatre-vingt-unième année. J. Euzet, Patmos. Journal de voyage et de séjour suivi d'une
description géographique et de notices historiques, Paris 1914, p. 286 : l'auteur a perçu une
difficulté et s'en explique en ces termes : E. Le Barbier donne 1101 comme date de la mort
de Christodule, V. Guérin 1100, dorn Renaudin 1100. Entre cette date et celle que donne
l'éditeur de l'Akolouthia (1093), l'écart est vraiment considérable. L. conomos, La vie
religieuse dans l'empire byzantin au temps des Comnènes et des Anges, Paris, 1918, p. 151 :
sans précision, mais après 1093. L. Petit, Bibliographie des Acolouthies grecques, Bruxelles
1926, p. 38 : f 1101, mart. 16. V. Laurent, k Christodoulos v. Patmos », Lex. für Theolog.
und Kirche, II (1931) col. 932 : f 1101. R. Janin, « Christodoulos », DHGE, (1951) coi.
776 : Les auteurs ne sont pas d'accord sur la date où mourut Christodoulos, les uns la fixant
à 1093, d'autres à 1100, d'autres à 1101. M. Viller, « Christodoulos », Diel, de Spiritualité,
II (1953) col. 875 : mort en Eubée en 1101. Fr. Halkin, Bibl. hagiogr. graeca, 1957, p. 107 :
f 1101, mart. 16. P. Joannou, « Christodoulos von Patmos », Lex. für Theolog. und Kirche,
II (1958) col. 1156 : f 15.3.1101. H. G. Beck, Kirche und theologische Literatur im byzanti
nischen Reich, München 1959, p. 227 : er floh vor den Piraten nach Euboia, wo er 1101
starb. Th. Becquet, « Cristodulo », Bibl. Sanctorum, III (1964) col. 345 : mori verso il 1100).
(2) Cyrille Voïnès, hiérodiacre, Acolouthie sacrée de notre saint père théophore Christodule le
thaumaturge (en grec), Athènes 1884. Ce livre est parfois cité sous le nom de I. Sakkelion.
La raison en est que Sakkelion, comme l'explique L. Petit, Bibliographie des acolouthies
grecques, Bruxelles 1926, p. 40, est le véritable auteur de l'ouvrage et que l'archimandrite
n'a fait que prêter son nom et payer les frais d'impression.
(3) Cf. Voïnès, op. cit., p. 3-4 du prologue. Voir maintenant E. L. B. Branousès. Ta
a????????? ?e?µe?a t?? ?s??? ???st?d?????, Athènes 1966, p. 124.
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documents elles furent fixées, car aucun des biographes du saint (4) n'indique
l'année de sa mort.
Reste maintenant à démontrer l'exactitude de la date du 16 mars 1093
et à en tirer les conséquences. Le calcul est des plus simples.
Théodose Canstrisios, chartulaire et notaire patriarcal, neveu de feu
Basile Canstrisios, avait été invité par Christodule de Patmos à assumer la
charge d'higoumène du monastère Saint-Jean à Patmos. Le saint avait
exprimé ce désir à la fois dans son testament mystique (5) et dans son
codicille (6), qui sont datés, le premier, du 10 mars, neuvième heure, jeudi,
indiction I, année 6601 ( = 1093) (7) et le second, du 15 mars, mardi, septième
heure, indiction I, année 6601 (= 1093) (8). Théodose Canstrisios refusa
cette charge et exposa ses raisons dans une lettre datée du 5 mars 1094 (9).
Or, dans cette lettre, il écrit que Christodule était mourant au moment où
il écrivait son testament mystique et son codicille (10) et, dans cette même
lettre, il parle, peu après, de feu Christodule de Latros (11). Christodule était
donc décédé avant le 5 mars 1094. Comme nous savons par son premier
biographe, Jean, métropolite de Rhodes, qui vécut sous Jean Comnène,
que Christodule mourut un 16 mars (12), il est bien évident que ce ne peut
être le 16 mars 1094, puisque la lette de Théodose où il est question de
feu Christodule est datée du 5 mars 1094. Il ne reste donc que le 16 mars
1093, c'est-à-dire que le saint est mort aussitôt après avoir signé son codic
ille, exactement le lendemain, mercredi 16 mars 1093.
Cette précision entraîne une révision de la chronologie de la vie de Chris
todule et faciiite la datation de quelques événements contemporains.
Christodule n'ayant vécu que onze mois en Eubée au dire de son second
biographe, Athanase d'Antioche (13), nous pouvons en déduire qu'il y a
abordé vers le mois de mai 1092. Et, comme l'île de Patmos lui fut remise,
sur ordre du basileus Alexis Comnène, par Nicolas Tzanzès, notaire impér
ialdu sekreton du sacellaire, juge et anagrapheus des Cyclades, en août

(4) Ils sont au nombre de trois : Jean, métropolite de Rhodes, qui vécut sous Jean Com
nène (cf. Voïnès, op. cit., p. 109-133) ; Athanase, patriarche d'Antioche, qui vécut sous Manuel
Comnène (ibid., p. 134-162) ; Théodose, moine de Byzance, qui vécut vers la fin du xne siècle
ibid., p. 163-208). Cf. Vranousès, ?a a?????????..., p. 36-80.
(5) Miklosich-Müller, Ada el Diplomata, VI (Vienne 1890), p. 82 2i 26.
(6) MM VI, p. 86".
(7) MM VI, p. 842526.
(8) MM VI, p. 8927 28.
(9) MM VI, p. 93".
(10) MM VI, p. 9018 1ß : « En effet le moine Christodule de Latros, qui était mourant (te-
?e?t??) au moment de la rédaction de son testament mystique et de son codicille, prit entre
autres cette disposition. »
(11) MM VI, p. 91 9~n : « Vous n'avez pas cessé de me demander d'exécuter les volontés
de feu Christodule, moine de Latros. »
(12) « Il remet son esprit à Dieu le 16 du mois de mars. » Cf. Voïnès, op. cit., p. 1315"6.
Cette date est confirmée par les acolouthies. Cf. Petit, op. cit., p. 38.
(13) « Christodule mène pendant onze mois une vie ascétique incessante ». Cf. Voïnès,
op. cit., p. 15510"11.
P. GAUTIER : CHRISTODULE DE PATMOS 237

1088 (14), on peut estimer qu'il a vécu «à Patmos environ quarante-six mois,
soit trois ans et dix mois (15).
Christodule n'ayant quitté Patmos (16) que vers mai 1092, il résulte
que la reconquête des îles occupées par l'émir de Smyrne, Tzachas, à savoir
Mitylène, Samos et d'autres non nommées par Anne Comnène (17), n'eut
pas lieu avant le printemps 1092. Car, étant donné que Jean Doucas fut
rappelé de Dyrrachium au cours d'un printemps et nommé aussitôt méga-
duc (18), et que Christodule apprit quelque temps après son arrivée en
Eubée que « la nuée des Agaréniens impies qui avait recouvert son île
(Patmos) s'était dissipée (19) », il faut convenir que Jean Doucas ne fut
nommé mégaduc qu'au printemps 1092 et qu'il triompha de l'émir de
Smyrne au cours de l'été de la même année (20). Ajoutons à ce propos que
l'expédition de Constantin Dalassène contre Chio est contemporaine de
celle de Jean Doucas contre Mitylène. Au cours du siège de Chio, Dalassène
avertit en effet Tzachas qu'il attendait l'arrivée imminente du nouveau
mégaduc Jean Doucas (21). Abusé par la présentation déroutante des
opérations militaires chez Anne Comnène, Chalandon avait cru que
l'expédition de Dalassène datait de 1090 (22).
Christodule et ses moines furent accueillis, peu après leur arrivée en Eubée,
par un certain Eumathios, qui, au dire du biographe du saint, exerçait
alors le commandement des régions occidentales (23). Le même biographe
ajoute qu'il avait été auparavant le fils spirituel du saint (24). Qui est cet
Eumathios? Sakellion pense qu'il s'agit d'Eumathios Philocalès (25) et
cette hypothèse est vraisemblable. Sa carrière est relativement bien
connue (26) et il paraît acquis qu'il n'a pas débuté comme stratège de

(14) MM VI, p. 5712.


(15) Sakkelion a calculé quarante-quatre mois, soit trois ans et huit mois, op. cit., p. 3 du
prologue, note 1. Athanase d'Antioche parle d'environ cinq années, ibid., p. 1494-5.
(16) Il semble avoir quitté Patmos, entre 1088 et 1092, pour un bref séjour à Constanti
nople. Il écrit en effet dans son codicille que tous ses moines s'enfuirent et l'abandonnèrent
« parce que Patmos était inhabitée, pillée par les Agarènes, les pirates et les Turcs et qu'ils
avaient peur d'être faits prisonniers. » Cette situation le poussa à se rendre à Constanti
nople pour présenter une requête au basileus. Cf. MM VI, p. 8822-29.
(17) Alexiade, IX, i, 9 : éd. Leib, II, p. 161-162.
(18) Alexiade, IX, i, 3 : éd. Leib, II, p. 158.
(19) Cf. Voïnès, op. cit., p. 1532"5.
(20) Le siège de Mitylène dura en effet trois mois. Cf. Alexiade, IX, i, 4 : éd. Leib, II,
p. 159. L'expédition devait être terminée vers la fin de 1092. Jean Doucas était présent en
qualité de sébaste et mégaduc au synode réuni à Constantinople à la fin de 1094 ou au début
de 1095. Cf. PG 127, col. 972 c, et Grumel, Regestes, n° 967 : deuxième semestre 1092 (date
probable).
(21) Alexiade, VII, 8, 8 : éd. Leib, II, p. 114-115.
(22) F. Chalandon, Essai sur le règne d'Alexis Ier Comnène, Paris 1900, p. 126, note 2.
(23) Cf. Voïnès, op. cit., p. 15110"12.
(24) Ibid., p. 15113"14.
(25) Ibid., -p. 151, note 3.
(26) On trouvera l'exposé le plus récent dans V. Laurent, Les sceaux byzantins du médail·
lier Vatican, Città del Vaticano 1962, p. 55-59.
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Crète (27). Il paraîtrait donc qu'Eumathios Philocalès, s'il faut l'identifier


avec le fils spirituel de Christodule, exerçait un commandement en Hellade
en 1092, avant d'être promu stratopédarque à Chypre (28) vers le début
ou le milieu de 1093.
Résumons : Christodule de Latros, qui avait reçu la jouissance de l'île
de Patmos en août 1088, y demeura trois ans et dix mois. Devant la menace
des pirates il quitta Patmos et aborda en Eubée vers mai 1092. Il y fut
accueilli par Eumathios (Philocalès?) qui exerçait le commandement des
régions occidentales. Il mourut en Eubée le mercredi 16 mars 1093, après y
avoir séjourné onze mois.
Chio, Mytilène, Samos et d'autres îles enlevées par l'émir de Smyrne,
Tzachas, furent reconquises par le mégaduc Jean Doucas, secondé par
Constantin Dalassène, au cours de l'été 1092.

Paul Gautier.

(27) Ibid., p. 58.


(28) Alexiade, IX, 2, 4 : Leib, II, p. 164.

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