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Dimanche 15 octobre 2006 — 11h

Grand Trianon

Galerie des Cotelle

Prelude pour la viole et le theorbe de Marais, manuscrit,


Edimbourg, National Library of Scotland
ENSEMBLE A 2 VIOLES ESGALES - DIMANCHE 15 OCTOBRE 209

MARIN MARAIS (1656-1728)


Prélude pour la violle et le théorbe

Suite en la majeur
(manuscrit autographe de la bibliothèque nationale d’Écosse)

Grand prélude – Gigue – Chaconne

Suite en mi mineur
(manuscrit autographe de la bibliothèque nationale d’Écosse)

Allemande – Sarabande

Les Folies d’Espagne


(manuscrit autographe de la bibliothèque nationale d’Écosse)

Ensemble A 2 Violes Esgales

Jonathan Dunford, Sylvia Abramowicz, violes


Benjamin Perrot, théorbe et guitare
Laurent Stewart, clavecin

Concert enregistré par France Musique


Folies de Marais, manuscrit,
Edimbourg, National Library of Scotland
ENSEMBLE A 2 VIOLES ESGALES - DIMANCHE 15 OCTOBRE 211

Marin Marais. Pièces de viole manuscrites


Marin Marais, né à Paris en 1656 et dont la renommée n’est plus à faire,
doit être considéré comme le compositeur européen par excellence du
Grand Siècle. Brillant élève du meilleur violiste français de l’époque, M. de
Sainte-Colombe, il eut aussi l’honneur d’être celui du grand Lully. Grâce
aux nombreux symboles et explications du compositeur lui-même que l’on
peut lire soit dans les gravures, soit dans les manuscrits, nous pouvons
reconstruire très clairement un style noble destiné aux oreilles du Roi
Soleil. Marais est donc l’un des rares compositeurs capables de donner un
aperçu clair de l’interprétation de la musique française baroque, dont la
réputation rayonna jusqu’aux royaumes d’Angleterre et de toute l’Europe.
Marais publia cinq livres de pièces de viole entre 1686 et 1725. Avec la
publication de la basse chiffrée en 1689 qui accompagnait son premier livre,
il signa une première : la publication d’une basse accompagnatrice pour la
musique instrumentale, non seulement pour la viole mais pour d’autres ins-
truments considérés auparavant comme solistes, tels le luth ou le clavecin.
Cette édition marque donc une nouvelle ère de la musique instrumentale
française : dorénavant tout soliste a la possibilité d’être accompagné, ce
qu’illustrent bien les tableaux de l’époque comme ceux de Watteau.
Dans les années 1670 le jeune Marin Marais, toujours sous la tutelle de
M. de Sainte-Colombe, croise à Paris un autre jeune violiste, le noble écos-
sais Harie Maule. Il lui confie cent cinquante morceaux manuscrits. Harie
Maule les emporte à Édimbourg avant 1685, donc avant la publication du
premier livre des pièces de viole.
Ces compositions n’étaient pas des simples brouillons. On retrouve en
effet pratiquement les deux tiers de celles-ci dans ses trois premiers livres
de pièces de viole, publiées successivement en 1686, 1701 et 1711. Mais,
pour une raison inconnue, environ quarante-cinq de ces pièces et une « ver-
sion originale » des célèbres Folies d’Espagne ne verront jamais la publica-
tion.
À la fin du XVIIe siècle le goût du jour était d’improviser ou de composer
les basses pour les pièces de viole, un instrument qui était joué seul aupara-
vant, comme nous l’avons dit ci-dessus. Nous trouvons par exemple des
pièces pour viole seule de M. Dubuisson dans un manuscrit allemand avec
des basses rudimentaires, ajoutées après leur composition, qui datent aussi
de cette époque où le goût était en mutation. Ce n’est donc pas étonnant que
le manuscrit écossais de Marais ne comporte aucune partie de basse conti-
nue puisqu’elle était très probablement improvisée. Mais cela nous a
contraints d’en reconstituer une, selon les procédés de l’époque 1.
D’ailleurs, lorsque paraît en 1689 la basse chiffrée de son premier livre,
Marais nous précise : « Lors que je donnay au Public mon Livre de Pieces
a une et deux Violes, j’avois bien le dessein d’y joindre aussy les Basse-
continües, qui en sont la partie essentielle. »
212 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

Récemment, grâce à une certaine intuition, et surtout grâce au fait d’avoir


exhumé le testament autographe de Marin Marais rédigé par Marais lui-
même, nous pouvons avancer que deux de ces manuscrits sont autographes,
de la main de Marais. Or jusqu’à maintenant, nous n’avions aucun olo-
graphe du compositeur : ce sont donc les deux seuls exemplaires connus de
son écriture musicale. Cette découverte va sûrement aider les musicologues
à identifier d’autres musiques comme celle de Marais ; il est probable aussi
que des annotations et corrections apparaissant dans d’autres manuscrits de
l’époque, et que nous soupçonnions d’être de la main du Maître, pourront
être authentifiées.
Je voudrais souligner encore qu’en aucune façon ces pièces ne sont des
« esquisses » ou des « essais de jeunesse ». Je pense que ces pièces ont
échappé à la publication soit pour leur style « façon Sainte-Colombe » qui
était déjà démodé, soit pour leur haute difficulté technique. Néanmoins ce
sont des chefs-d’œuvre, aussi dignes d’être entendues que n’importe la-
quelle des autres pièces de Marais. D’ailleurs, ces quarante-cinq pièces
« inédites » sont dispersées ici et là parmi une centaine qui seront par la
suite publiées dans les trois premiers livres de Marin Marais : elles n’ont
donc rien de « primitif ».
Ce concert débute avec le magnifique Prélude pour la violle et le théorbe.
Ce titre ambigu peut être interprété de différentes façons : soit comme un
« Prélude pour la viole accompagnée par le théorbe », soit, selon ce que sug-
gère Wieland Kuijken, « un Prélude pour la viole qui peut être aussi joué au
théorbe ».
La Suite en la majeur commence avec un prélude magistral mais aty-
pique. Dans cette pièce Marais change brusquement de mesure, et n’hésite
pas à rompre l’atmosphère sans arrêt, parfois même toutes les deux
mesures ! Nulle part Marais ne semble être aussi proche du style de son
Maître, le Sieur de Sainte-Colombe, célèbre pour ses changements abrupts
dans ses propres préludes pour viole seule. J’ai donc décidé de rendre hom-
mage à Sainte-Colombe en interprétant ici cette pièce — qui utilise pleine-
ment la célèbre septième corde — à la viole seule. La gigue suivante est une
danse légère qui nous permet une douce transition vers la chaconne qui suit.
Cette chaconne, tellement légère et charmante, est typique du goût français
« je ne sais quoi » cher à la cour de Versailles.
Dans la Suite en mi mineur nous trouvons une grande maîtrise de la
composition spécifique à la basse de viole. Marais utilise intensivement des
couleurs sombres et la résonance caractéristique de la basse française, tout
en ponctuant le discours de soupirs et frémissements. La sarabande de cette
suite est particulièrement belle, et rappelle des sarabandes imprimées plus
tard par Marais telles que la Sarabande à l’Espagnole de son deuxième
livre.
ENSEMBLE A 2 VIOLES ESGALES - DIMANCHE 15 OCTOBRE 213

Il est instructif de noter les coups d’archet typiques utilisés dans cette
musique, qui rappelle ceux de M. de Sainte-Colombe : c’est-à-dire les traits
rapides avec des coups d’archets détachés, ce que le copiste de la musique
de Sainte-Colombe nomme des « furies ». Ce manuscrit a été composé à
l’époque où Marais était toujours sous une influence directe de son maître
de viole, M. de Sainte-Colombe. On retrouve ces traits par exemple dans la
vingt-deuxième variation des Folies, qui est toute en triples croches déta-
chées.
Aux dires d’Évrard Titon du Tillet en 1732 : « Sainte-Colombe fut même
le Maître de Marais ; mais s’étant aperçu au bout de six mois que son Élève
pouvoit le surpasser, il lui dit qu’il n’avoit plus rien à lui montrer. Marais
qui aimoit passionnément la Viole, voulut cependant profiter encore du sça-
voir de son Maître pour se perfectionner dans cet instrument ; et comme il
avoit quelque accès dans sa maison, il prenoit le temps en été que Sainte-
Colombe étoit dans son jardin enfermé dans un petit cabinet de planches,
qu’il avoit pratiqué sur les branches d’un Mûrier afin d’y jouer plus tran-
quillement et plus délicieusement de la Viole. Marais, se glissoit sous ce
cabinet ; il y entendoit son Maître, et profitoit de quelques passages et de
quelques coups d’archets particuliers que les Maîtres de l’Art aiment à se
conserver… ». Sommes-nous confrontés ici au résultat de son « espionnage »?
Notons que Marais abandonnera rapidement ce coup d’archet diabolique,
omniprésent dans ce manuscrit, et qu’il l’utilisera avec beaucoup plus de
modération dans la suite de ses publications, jusqu’à son deuxième livre de
pièces de viole en 1701.
Il est très intéressant de comparer la version inédite des Folies présentée
ici avec celle qu’il publia. En effet, sont présentes douze variations que
Marais n’avait pas jugé utile de faire figurer dans la version finale, pour la
simple raison qu’elles étaient techniquement très difficiles pour les ache-
teurs de ses livres, généralement musiciens amateurs. Il nous confie lui-
même dans son troisième livre de pièces de viole en 1711 que « le grand
nombre de piéces courtes et faciles d’exécution qui le compose, est une
preuve que j’ay voulu Satisfaire aux pressantes instances qui m’ont eté tant
de fois rëiterées de toute part depuis mon Second livre ». Selon mon opi-
nion, il me semble que Marais était obligé de supprimer ces belles varia-
tions des Folies pour se soumettre aux exigences de ses lecteurs.
Dans cette version inédite, on est déjà beaucoup plus proche de la sara-
bande qui est à l’origine de ce célèbre thème dit des « Folies d’Espagne » ;
les premiers et deuxièmes temps de la mesure y sont accentués de manière
identique dans la première variation. Jusqu’à la septième variation, qui est
réellement « nouvelle », il n’y a pas de notable différence par rapport à la
version éditée par Marais. La suite renoue bien souvent avec la version
publiée, mais la présente dans un ordre différent, et se trouve « enrichie »
214 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

ici et là par une variation inconnue auparavant. Pour clore la version que
nous vous proposons, Marais a groupé les variations les plus lentes, voulant
nous donner l’impression que la musique s’évanouissait doucement comme
un soupir d’amour
Mon souhait est que la redécouverte de ces manuscrits olographes de
Marais remette en lumière toute la splendeur des œuvres d’un grand maître
de la viole, œuvres plus admirables qu’imitables, et qui seront toujours « du
goût de ceux qui l’ont exquis », comme disait son ami François Couperin.

JONATHAN DUNFORD

1. Restauration de la basse continue par Barnabé Janin.

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