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Mercredi 11 octobre 2006 — 21h

Salon d’Hercule

« Marche tartare » de la « Suite d’un goût étranger », extrait des


Pièces à une et à trois violes (4e livre) de Marais, Paris, 1717
J. SAVALL, R. LISLEVAND, P. HANTAÏ - MERCREDI 11 OCTOBRE 179

MARIN MARAIS (1656-1728)


Suite d’un Goût Étranger
(Quatrième livre de pièces de viole, 1717)

Marche tartare – La Tartarine et double – Les Fêtes champêtres –


L’Américaine – Allemande La Superbe – L’Arabesque –
La Rêveuse – Marche – Le Badinage – Le Labyrinthe

« Voix humaines et Folies »


(extraits des deuxième, troisième et
Quatrième livre de pièces de viole)

Prélude – Musettes 1 et 2 – La Sautillante –


Les Voix humaines – Couplets de Folies

Jordi Savall, viole


Rolf Lislevand, guitare et théorbe
Pierre Hantaï, clavecin
J. SAVALL, R. LISLEVAND, P. HANTAÏ - MERCREDI 11 OCTOBRE 181

Marin Marais. Pièces de viole


Lorsque Marais publie son deuxième livre de pièces de viole en 1701, la
musique soliste pour l’instrument est relativement rare. Les pièces publiées
par le Sieur Demachy en 1685 sont les seules antérieures qui nous soient
parvenues 1. La carrière musicale de Marais était alors bien établie. Il avait
fait ses preuves en tant qu’interprète et surtout en tant que compositeur avec
son premier livre de pièces en 1686 et ses Pièces en trio de 1692. Il était
également réputé comme compositeur d’opéra avec quelques œuvres déjà
représentées avant 1701. Au moment de la publication de son quatrième
livre, seize ans plus tard, le nombre de recueils pour la viole se montait à
plus de quinze, auxquels s’ajoutait un nombre important de parties de pre-
mier plan dans des œuvres vocales ou de musique de chambre.
La pièce « Les voix humaines » est incontestablement l’une des plus
remarquables de Marais. Elle se trouve à la fin d’une suite comprenant
vingt-deux séquences dans son deuxième livre. Selon l’avertissement de
Marais, ces œuvres furent composées bien avant 1701 :
« J’avoüe qu’il y a lontems que ce nouveau livre devroit être au jour. Mais
y aiant voulu joindre celuy des basse continües auquelles je me suis apliqué
avec soin, et la gravure étant de plus une entreprise fort longue, je n’ay pû
le donner plûtost. » 2
« Les voix humaines » est l’unique pièce de caractère de cette suite et
l’une des plus exigeantes sur le plan technique et musical. La partie soliste
recourt fréquemment aux cordes du milieu, notamment pour l’ouverture qui
se concentre sur la troisième et la quatrième corde. Au niveau structurel ces
cordes sont les plus faibles de l’instrument et produisent un son très intime.
Cette tessiture sera plus tard l’une des préférées de Roland Marais.
Conscient de ces particularités, Marais a composé une basse continue peu
chargée pour accompagner cette pièce. Il a beaucoup réfléchi à sa composi-
tion :
« Il faudra nécessairement réfléchir sur la basse continüe, a fin de les rem-
plir d’un chant le plus gracieux, et le plus convenable qu’il se pourra, ce qui
sera toujours très bon. Je passe par-dessus les chants simples qui n’ont pas
besoin de cette attention. Je n’ay point donné cette fois cy de pieces a deux
violles, j’ay mieux aimé y suppléer par l’essort que j’ay donné a mes basses
continües, n’aiant pû refuser cette satisfaction a ceux qui m’ont fait l’hon-
neur de me les demander ainsy. » 3
Le chef-d’œuvre du deuxième livre de Marais est sans aucun doute « Les
folies », véritable encyclopédie des possibilités techniques de la viole,
reprenant le thème populaire de La Folia avec ses trente et une variations.
Marais utilise à fond les possibilités mélodiques et harmoniques de l’ins-
trument, deux caractéristiques qui ont été commentées en profondeur par
Jean Rousseau dans son traité de 1687. « Les folies » est à la fois une
démonstration de virtuosité et un outil pédagogique. On peut facilement
182 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

imaginer le compositeur donnant à ses étudiants quelques variations à tra-


vailler à chaque leçon, de nombreuses variations se concentrant sur une
difficulté particulière telle que l’articulation, le doigté, les grands sauts de
cordes… À l’inverse des divisions dans le style anglais présentes dans le
livre de basse continue de son premier livre, la ligne basse des « Folies »
change pour s’adapter au style de la partie solo et comprend elle-même des
passages virtuoses.
L’examen des cinq livres de pièces de viole de Marin Marais fait appa-
raître une certaine évolution du style et du goût des amateurs de viole. Alors
que le « Tombeau pour Mr de Meliton » est la seule pièce de caractère du
premier livre, le nombre de pièce de ce genre augmente au fil de la carrière
de Marais. Le troisième livre en contient beaucoup plus, le quatrième
davantage encore dans sa deuxième partie et, dans le cinquième, elles
forment la majorité des pièces, avec notamment la célèbre « Opération de
la taille » accompagnée de ses textes narratifs.
Le quatrième livre de pièces de viole de Marais, qui paraît en 1717, pro-
pose plusieurs types de pièces :
« Pour satisfaire aux differens gouts du Public sur la viole, j’ay jugé a
propos de diviser ce quatrième livre en trios parties, et d’en diversifier les
pièces, affin que chacun y puisse trouver ce qui luy conviendra le mieux.
Dans la premiere partie, j’ay eu attention de travailler pour les personnes qui
préfèrent aux Pièces difficiles, celles qui sont aisées, chantantes, et peu char-
gées d’acords. Dans la seconde, ceux qui sont avancez sur la viole, trouve-
ront des pièces qui leur paroitront d’abord d’une grande difficulté, mais avec
un peu d’attention et de pratique elles leur deviendront familières. Je les ay
composées ainsi pour exercer l’habilité de ceux qui n’ayment pas les pièces
faciles, et qui souvent n’ont d’estime que pour celles qui sont d’une diffici-
le exécution. On trouvera dans cette seconde partie nombre de pièces carac-
terisées, qui plairont certainement quand on en possédera bien le goût et le
mouvement, parce qu’elles ne laissent pas d’avoir un chant suivi… La troi-
sième partie a cela de singulier qu’elle est composée de pièces a trois vio-
les, ce qui n’a point encore esté fait en France. » 4
La seconde partie du livre est la « Suitte d’un gout Etranger » qui rassem-
ble des pièces de danse habituelles ainsi que de nombreuses pièces de carac-
tère. La suite contient plus de trente pièces dans des tonalités variées et par-
fois peu courantes. Aucune n’est plus remarquable à cet égard que « Le
Labyrinthe », la page la plus connue de Marais, y compris de son vivant :
« On connoît la fécondité et la beauté du genie de ce Musicien par la quanti-
té d’ouvrages qu’il a composées. On y trouve partout un bon goût et une vari-
tété surprenante : son grand sçavoir paroît dans beaucoup de ses ouvrages, et
surtout dans deux morceaux dont les Maîtres de l’Art font un très grand cas ;
sçavoir, une Pièce de son quatrième Livre, intitulée Le Labyrinthe, où après
avoir passé par divers tons, touché diverses dissonances, et avoir marqué par
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des tons graves, et ensuite par des tons vifs et animé l’incertitude d’un
homme embarrassé dans un labyrinthe, il en sort enfin heureusement, et finit
par une Chaconne d’un ton gracieux et naturel… » 5
Plusieurs pièces de la suite sont « en rondeau », une forme qui deviendra
de plus en plus populaire mais qui avait pourtant déjà commencé à lasser
quelques compositeurs et interprètes :
« Ma maxime, dans le Rondeaux, est de varier les refrains autant qu’il m’est
possible. On en trouvera peut-estre quelques-uns d’une grande difficulté, on
peut en ce cas les obmettre et leur substituer ceux que chacun jugera este
plus a sa portée. » 6
« L’Arabesque », une autre pièce fameuse de cette suite, impressionna
Hubert Le Blanc :
« L’Arabesque, sa dernière production, faisoit voir la grandeur de la perte
dans un tel personnage, qui joignoit à l’expérience, par où il donnoit des
compositions si correctes, le feu le plus vif d’une jeunesse remplie d’acti-
vité et d’attraits. » 7
Cette pièce est le parfait exemple d’un rondeau réussi dans lequel Marais
varie chaque refrain de manière gracieuse. Dans le refrain, des accords
évoquent la guitare et rappellent le jeu d’harmonie et le jeu de mélodie com-
mentés par Rousseau près de quarante ans plus tôt.
Aujourd’hui encore, la plupart de ces pièces ont à peine besoin d’explica-
tion. L’une d’elles en particulier suscite la curiosité, « l’Ameriquaine »,
dont le titre a peut-être été choisi en hommage à une riche émigrée française
rentrée à Paris après la cession de l’Acadie aux Anglais, suite au traité
d’Utrecht de 1713. La séquence finale de cette suite est le célèbre
« Badinage », qui était très apprécié des élèves de Marais. Il sera plus tard
imité dans une pièce pour pardessus de viole de Charles Dollé 8, l’un des
disciples de Marais qui écrira d’ailleurs un « Tombeau de Marais le Père »
au milieu du XVIIIe siècle 9…
Le programme d’aujourd’hui couvre le début et la fin des compositions
virtuoses de Marais. Alors que La gamme et son cinquième livre de pièces
de viole seront publiés bien plus tard, le quatrième livre pousse déjà l’ins-
trument à ses limites. Ce type de composition ne sera égalé, ou même
dépassé, que par les pièces de Forqueray, trente ans plus tard :
« On peut dire que Marais a porté la Viole à son plus haut degré de perfec-
tion, et qu’il est le premier qui en a fait connoître toute l’étendue et toute la
beauté par le grand nombre d’excellente Pièces qu’il a composées sur cet
Instrument, et par la manière admirable dont il les exécutoit. » 10

RICHARD SUTCLIFFE
184 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

1. Jean Rousseau a publié deux livres de pièces vers 1690 et Sainte-Hélène un en 1701, tous
trois sont perdus.
2. Marain Marais, « Avertissement » de Pièces de viole [2e livre] (Paris, 1701).
3. Ibid.
4. Marin Marais, « Avertissement » de Pieces de violes [4e livre], (Paris, 1717).
5. Évrard Titon du Tillet, Le Parnasse françois, Paris, 1732 (réédit. 1743 et 1755), édité sous
Vies des Musiciens et autres Joueurs d’Instruments du règne de Louis le Grand, Paris,
Gallimard, 1991.
6. Marin Marais, ibid.
7. Hubert Le Blanc, Défense de la base de viole, Amsterdam, 1740, p. 38-39.
8. Charles Dollé, Pièces pour le pardessus de viole… œuvre III (Paris, sd).
9. Charles Dollé, Pièces de viole avec la basse continüe… œuvre II (Paris, sd).
10. Évrard Titon du Tillet, op. cit., p. 83.

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