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12-Filliettaz nclf21
12-Filliettaz nclf21
compositionnelle du discours
Le cas des récits oraux
Laurent Filliettaz
Université de Genève
<laurcnt.filliettazC4>lettres.unige.ch>
I Introduction
2. Les types de discours
2.1. Prototypie et discours narratif
2.1.1. La narrati vile
2 1 1,1. La notion de chaîne événementielle culminativç (CEO
2.1.1.2. Le principe de disjonction des mondes
2.1.1.3. Synthèse : les composantes référentielles du discours narratif
2.1.2. La tcxtualitc du discours narratif
2.1.3. Synthèse : une définition du prototype narratif
2.2. Vers un modèle typologiquc
3. Des types de discours à l'analyse séquentielle
3.1. Les structures événementielles effectives
3.2. Les structures hiérarchiques textuelles
3.3. Synthèse
4. De l'analyse séquentielle à l'analyse compositionnelle
4.1. Les propriétés formelles des séquences effectives
4.1.1. Les effets compositionnels
4.1.2. Les faits de micro-corn positionnante
4.2- Les fonctions co-textuellcs des séquences effectives
4.3. Les fonctions contextuelles des séquences effectives
4.4. Synthèse
5. Conclusion
'Ce travail s'inscrit dans le cadre d'un programme de recherche dirigé par Eddy Roule! et
financé par le Fonds national de la recherche scientifique sous le numéro de requête 1214-
043145.95. Les réflexions qu'il contient sont le fruit d'un travail d'équipe cl doivent ainsi
beaucoup aux suggestions et remarques de Eddy Roulet ci de Anne Grobet. Je tiens
également à remercier ici Marty Laforest et Diane Vincent pour l'intérêt qu'elles ont
manifesté à l'égard de nos recherches.
262 Cahiers de Linguistique Français 21
1. Introduction
La prise en compte de la problématique actionnellc dans le champ de l'a-
nalyse du discours a naturellement conduit les linguistes vers l'élude de
productions langagières clairement finalisées et souvent orientées vers des
visées de nature transactionnelle'. C'est ainsi que les travaux genevois
portant sur les aspects référcnlicls du discours (Auchlin & Zenonc 19K0,
Roulet 1995, Filliettaz 1996, 1997, 1998) ont de façon quasi systématique
sollicité préférentiellemenl des interactions en librairie. Une telle exploi-
tation pourrait à tort laisser croire, premièrement que la question des
activités langagières se limite aux seules finalités transactionnelles
{acheter/ vendre un livre), et deuxièmement que la totalité du discours
produit dans un tel contexte est orientée vers sa finalité dite "externe" . Je
ne reviendrai pas ici sur la nécessité qu'il y a d'aborder la question des
activités dans son triple ancrage objectif, social et subjectif (Bronckart
1996, Filliettaz 1998), mais j'aimerais fonder la présente étude sur un
constat d'une simplicité exemplaire : dans une librairie, on peut certes
négocier l'achat ou la commande de livres, mais on peut également y
raconter des histoires.
On peut signaler à titre d'illustration les travaux de Aston (1988) ponant sur les
transactions en librairie, ainsi que ceux de Bange (1992) portant sur des demandes
d'informations par téléphone.
l
A la suite de Kerbrat-Orecchioni (1991, 80), on peut distinguer lesfinalitésexternes, du
type transactionnel, des finalités internes, du type relationnel.
L'intégralité de cette interaction est transcrite en annexe. Pour les conventions de
transcription, se référer à la légende qui figure également en annexe.
Laurent Filliettaz 263
RI (I. 19-31)
C. Mais: ils sont cons comme tout hein ce* télévisons françaises c'est vraiment
20 des cons mot j'ai beau être français . quand ils lui avaient euh ils lui avaient pas
fait le message alors moi j'ai été plus malin qu'eux .je sais que j'aurais lot ou
lard j'aurais XX j'ai téléphoné aux éditions du Seuil
L. Quais ouais ben c'est ce que je vous avais dit
C Alors comme ça je XX pas con . ça a marché du premier coup .. alors elle était
25 pas là mais il y avait son chargé d'affaires ils disent chargé d'affaires hein eux
L. oui
C. on dit pas imprésario c'est pour les artistes de cinéma ou les: les: les chanteurs .
eux ils disent hein . je crois que c'est un chargé d'affaires . ils m'avaient dit on
appelle son ..je crois que c'est ce nom là . alors ils l'ont appelé très sympa tout
30 . et ça a marché comme sur des roulettes alors maintenant j'ai son téléphone cl
son adresse
Le second récit (R2) suit presque immédiatement le premier et évoque les
circonstances de la rencontre entre Simone Schwarz-Bart et son mari :
R2 (1.43-65)
C. Alors on s'est connu: voilà comment ça s'est passé .j'ai connu son man moi
avant.X
45 !.. Quais
C. pcndanl la guerre moi je suis juif cLpyjs
L. Quaù
C. lui il est juif aussi.. et puis elle elle est pas juive . cl puis: on s'est connu on s'est
connu puis un beau jour euh: elle était à X elle a fait un peu tous les boulots .
50 et puis ils se sont connus euh: comme ça voilà . elle elle cherchait un
renseignement
L. Oui
C- El puis elle était emmerdée tout j'sais pas si elle allait pas à l'Université ou quoi
enfin elle cherchait un renseignement. puis elle est tombée sur ce monsieur .
55 c'était mon copain
L. Ouais
C. Et puis: ils ont parlé ils ont parlé et puis il lui a dit bois pas ion café trop vite
parce que: j'ai pas de quoi payer un deuxième café . si tu bois trop vile
L- (BiK)
60 C. Après on dit Monsieur vous désirez , pis c'est elle qui a payé le deuxième café
ils sont restés de deux heures l'après-midi à dix heures du soir
L. Ah
C. Pis il avait pas un rond
L. CjiiaiLXX.
65 C. El puis il a écrit euh: le premier livre . il a eu du mérite il a eu le Goncourt
264 Cahiers de Linguistique Française 21
'On pourra à ce litre se référer aux travaux de Casolan (1994) portant sur l'émergence des
récits dans des transactions à la poste, et plus généralement à la deuxième partie des actes
d'un colloque portant sur les récits oraux (Brès 1994b).
*Voir à ce sujet les synthèses proposées par Fayol ( 1985), Brès (1994a) cl Adam ( 1994a).
On peut évoquer à travers cette liste non exhaustive les différents courants théoriques qui
ont contribué à une définition de la notion de narration : tradition littéraire (Propp.
Bremond. Genette), sémiotique (Grcimasi. philosophie (Ricocur), linguistique textuelle
(Weinrich, Adam, Benvcniste). psychologie cognitivc (Fayol), psychologie du langage
iBrunckart), sociolinguistique (Labov, Laforest, Vincent), praxémalique (Brès),
pragmatique (Moeschler) etc.
iMitrrnt Fillienaz 265
Hn effet, les récits produits par Denis entrent dans la catégorie qu'il
est désormais courant de désigner sous l'appellation de récits oraux (Brès
1994b) ou de narrations quotidiennes (Laforest & Vincent 1996). A ce
titre, ils sont étroitement imbriqués, d'une part dans le processus de
textualisalion propre au discours dialogique, et d'autre part dans une si-
tuation de production du discours co-construitc inieractionncllcment
(Filliettaz 1996, 1997 et 1998). Rendre compte de tels récits relève ainsi
d'une entreprise d'autant plus complexe que l'étude de leurs
manifestations textuelles doit nécessairement être complétée d'un ques-
tionnement portant sur leurs fonctions à la fois co-textuelles (comment le
récit s'insèrc-t-il dans le dialogue?) et contextuelles (en quoi le récit
Laurent Fitlietiaz 267
peut-il être mis en relation avec les enjeux actionnels qui sous-tendent la
situation de communication ?).
d) Comment rendre compte de l'effet d'hétérogénéité
discursive induit par la présence du récit dans les interactions
verbales ?
Enfin, la présence de narrations dans les interactions verbales conduit
naturellement à considérer le dialogue comme un objet hétérogène du
point de vue compositionnel. En raison d'une centration quasi exclusive de
certains chercheurs sur des discours monologiques écrits (fable, conte
etc.), on a parfois réduit le dialogue à un type de discours parmi
d'autres 10 (Adam 1992, Bronckart 1996) et on a trop souvent négligé de
considérer l'interaction verbale elle-même comme un terrain d'observa-
tion pertinent de l'hétérogénéité compositionnelle. Or. comme le montre
notre exemple. le dialogue articule des configurations discursives diverses
(narratives, délibératives. descriptives etc.) et se présente lui aussi comme
un objet hétérogène. En dernier lieu, l'étude des narrations quotidiennes
peut donc conduire à une meilleure compréhension des faits d'hétérogé-
néité discursive en contexte dialogal.
Pour Roulet (à paraître), l'étude des faits de polyphonie consiste premièrement à repérer
les diverses voix qui se manifestent dans le discours (organisation énonciative), puis,
dans un deuxième temps, à rendre compte des formes et des fonctions de ces
manifestations énonciaiives (organisation polyphonique).
Laurent Filtittlaz 269
''Dresser des typologies discursives conduit à repérer des cas de mixité pour aboutir en
fin de compte à des typifications de cette mixité etc. (voir Bronckart 1996). Il semble ainsi
que la diversité des réalités langagières résiste dans une certaine mesure aux
catégorisations trop univoques telles qu'elles dérivent nécessairement des types de
discours.
270 Cahiers de Linguistique Française 21
"Voir à ce sujet la discussion portant sur "la limite du repérage séquentiel par les marques
formelles" iFillieitaz & Grobet 1999. § 4.3.).
Laurem Filiiettaz 271
l4
Ce constat a déjà été fait de façon plus générale par Roulet (1991, 119).
272 Cahiers de Linguistique Française 21
2.1.1. La narrativité
Il n'est certes pas aisé de s'entendre sur une définition précise du concept
de narrativité, ce d'autant plus que son caractère nécessairement très
général oblige à une approche abstraite et trans-sémiotique de cette no-
tion. Il semble cependant que ce que des réalités narratives aussi diverses
que des récits, des ballets ou même certaines images publicitaires
présentent comme dénominateur commun, c'est la manifestation d'une
même opération de "représentation du monde". Plus précisément, on
peut me semblc-t-il avancer l'hypothèse selon laquelle narrer (que ce soit
par la langue, par le geste, par l'image etc.) revient à représenter des
événements disjoints du monde ordinaire.
1
Pour une définition de la dimension référentielle du discours, voir Pilliettaz (1997) et
Roulet (à paraître).
Laurent Filliettaz 273
y
réaction ^
it X
état initial — » • déclenchement résolution ' »n état final
CEC
n 1+
""C'est leur caractère culminant' qui les distingue des descriptions d'actions dont parle
Adam (1992).
•°Voir Fillicttaz (1997) pour plu.i de détails.
:l
Voir notammenl Rouler ( 1995 et à paraître), am\i que Fillicttaz ( 1997).
278 Cahiers de Linguistique Française 21
"C'est même le cas dans le second récit de Denis, comme ie le montrerai par la suite
(3.1.).
Laurent Fillieaaz 279
* Il faut entendre l'adjectif prélangagier dans un sens relativement restreint qur désigne
l'absence d'un recours à un code sémiotique quel qu 'il soit. Il faut cependant se garder de
considérer que les représentations prélangagières sont acquises de façon indépendante de
l'usage du langage. En effet, dans la conception interactionniste sociale dans laquelle je
situe ma réflexion (voir Bronckart 1996). l'ensemble des comportements, sémiotisés ou
non. doiveni être perçus comme résultant d'une interaction langagière avec
l'environnement social.
280 Cahiers de Linguistique Française 21
Ainsi, dans le cas d'un discours théorique' . tel qu'il peut par
exemple se manifester dans un article scientifique, on doit considérer que
les coordonnées formelles qui émergent du monde représenté par le
discours sont conventionncllemcnt conjointes à celles du monde ordi-
naire, dans la mesure où les contenus relevant du monde discursif sont
évalués à l'aune des coordonnées du monde ordinaire. Le monde discursif
ainsi exprimé relève dans ce cas de l'ordre de l'EXPOSFR. A l'inverse,
pour ce qui est des expressions narratives, on assiste à l'émergence dans le
discours de coordonnées formelles qui sont disjointes du monde
ordinaire dans lequel prend place l'activité langagière.
Conventionncllemcnt, l'ordre du RACONTER conduit ainsi à la création
d'un monde discursif qui est logiquement "différent" de celui dans lequel
prend place l'activité narrative elle-même. A la suite de Bronckart. je
considère donc que par définition, la notion de narrativité implique un
principe de disjonction des mondes : pour qu'il v ait narrativité, il faut
qu'il y ait création d'un monde raconté, c'est-à-dire que les coordonnées
formelles du monde discursif soient disjoinies spatio-temporellement et
logiquement du inonde ordinaire dans lequel se déroule le procès
mieractionnel.
Lehange :
£
Intervention Intervention Intervention
initiative réactive evaluative
Intervention
u.^r^
(in^tHn*)
A : Acte I. Intervention E : Echange P ; principal(e) S : subordonné(e)
( ) : éléments en distribution libre ( ) : éléments facultatifs
"''Pour plus de détails, voir Roulet cl al. (1985) ainsi que Roulct (1991. 1995 et à
paraître).
:
'Voir à ce sujet la discussion proposée dans Filliettaz & Grobet 11999, 5 4.2.) au sujet
du statut de la notion de "séquence dialogique",
286 Cahiers de Linguistique Française 21
nature
du réfèrent
Chaîne Evénementielle Culminative I -i CEC
i
rapport au
2 monde
Disjonction -I Disjonction
Narrativité
-CEC
Principe de disjonction^,
des mondes
Prototype du
discours narratif
''Comme nous le rappelons ailleurs «Filliettaz & Grobet 1999. § 3.). la typologie
envisagée par Roulel (1991) comprend une séquence dialogiquc et trois séquences
monologiqucs (narrative, dclibérativc cl procédurale». La description est quani u elle
considérée comme une "sous-séquence",
290 Cahiers de Linguistique Française 21
*\>rî rejoint sur ce point les réserves que Rcvaz (1997. 179-180) formule à l'égard de
l'hypothèse de Bouchard.
,0
Alors que Roulel (1991) parle de discours délibératif. Bronckart \ 1996) identifie pour sa
part un discours théorique. Adam (1992) quant a lui opère une distinction entre le
discours explicatif et le discours argumttltâtff,
292 Cahiers de Linguistique Française 21
HISTOIRE 1
tls lui avaient pai - ; ni téléphone aux éd. ça a marçki maintenant j'ai
S fait le message du Seuil (L 22) comme sur des sert téléphone et
II. 20-:n roulettes (I SOI son adresse
• ils font appelé ft 29) (L 30-3!i
HISTOIRE 2
HISTOIRE 2'
H2" ne débouche sur aucun état final explicite alors que le récit ne semble
même pas réintégrer H2, dans la mesure où il n'évoque ni sa résolution, ni
son état final. Pourtant, en l'absence de segments textuels renvoyant à ces
éléments, des informations relatives à ces épisodes sont néanmoins infé-
rables, ce qui justifie, dans la structure, leur statut de constituants
implicites : H2* se clôt implicitement sur 1"état final "cette rencontre est à
l'origine de leur mariage" et H2 débouche logiquement sur l'information
conclusive "ce mariage est à l'origine de ma rencontre avec Simone
Schwarz-Bart".
' La nature monologique des séquences discursives n'implique pas nécessairement une
réalisation monologale de telles unités. En effet, dans le modèle hiérarchique genevois,
une unité monolithique (Intervention) peut fort bien être co-énoncéc par deux locuteurs
IvoirRouIctetal. 1985).
298 Cahiers de Linguistique Française 21
" Is : Alors on s'est connu: voilà comment ça s'est passé 11. 43)
top r Is : j'ai connu son mari moi avant [...] et puis: on s'est connu on
tap
3.3. Synthèse
Sur la base de quelques illustrations empiriques, j'ai essayé ici de montrer
en quoi la notion complexe de séquence narrative impliquait d'une part
l'expression de configurations événementielles spécifiques et d'autre part
l'émergence de structures hiérarchiques textuelles. Une séquence narrative
peut dès lors être définie comme une Intervention textuelle qui réalise au
moyen d'une structure événementielle effective le principe de narrativité.
Dans une perspective modulaire, on considère ainsi que le repérage d'une
séquence narrative se fonde principalement sur deux systèmes
d'informations distincts : le module référentiel, qui rend compte entre
autres des structures événementielles désignées par le discours, et le
module hiérarchique, dont la fonction est de décrire la structure
textuelle des productions langagières :
séquence
narrative
Par ailleurs, il est évident que les réflexions présentées ici au sujet
des récits ne portent pas exclusivement sur de telles séquences narratives.
mais qu'elles peuvent être généralisées à l'expression d'autres types de
discours. A ce titre, on peut faire l'hypothèse que les séquences descrip-
tives résultent d'une actualisation textuelle (Intervention) du "schéma
descriptif, tel qu'il se manifeste sous la forme d'une structure référen-
tielle particulière : les différentes opérations descriptives prévues dans la
représentation sous-jacente [ancrage, aspectualisation. thématisation, mise
en relation) donnent lieu en contexte à des configurations référentielles
effectives (voir Adam & Pelitjean 1989 et Adam 1992).
"Dans Fillicttaz ( 1997), j'ai avancé l'hypothèse plu* générale selon laquelle la posture
interactionniste conduit nécessairement à considérer chaque dimension du discours à la
fois du point de vue des représentations sous-jacentes qui la constituent et du point de vue
des structures émergentes que ces représentations permettent d'engendrer.
Laurent Filliettaz 301
"Pour un rappel de ces notions, voir Filliettaz & Grobet ( 1999, § 3.).
'De façon similaire, il scraii sans doute aussi possible de repérer des "effets descriptifs".
mais cette question spécifique ne sera pa& traitée ici.
304 Cahiers de Linguistique Française 21
Voici que surgit le problème qui hante toute la linguistique moderne, le rapport
forme : sens que maints linguistes voudraient réduire à la seule notion de forme.
mais sans parvenir à se délivrer de son corrtïat, le sens. Que n'a-t-on tenté pour
éviter, ignorer, ou expulser le sens ? On aura beau faire : cette tête de Méduse est
toujours là. au centre de la langue, fascinant ceux qui la contemplent (Benvenistc
1966, tome 1. 126)
Is : Récit 1 (1.19-31)
|- I arg
AH Ip : Elle donne elle donne pas le téléphone à personne y a
que moi qui l'ai . il esi là ,, ils donnent pas parce que: (I- 33-34)
_ I : Vous en avez de la chance (I. 35)
Réac
"Ces questions ont été abordées au plan théorique dans Fillieltay. & Grobet (1999.
5 4.1.2. cl 5 5.2.).
312 Cahiers de Linguistique Française 21
that thc narraiive fulfills in the interaction or the functions that the participants
attribute to the narrative also deserve attention. (Gùlich & Quasthoff 1985. 175)
Il n'est certainement pas dans mon intention ici d'aborder les aspects
philosophiques voire anthropologiques de la question cruciale des
fonctions du discours narratif. On peut, à ce niveau, recourir aux travaux
de Brès (1994a), qui développent des hypothèses intéressantes sur la ma-
nière dont les récits rendent l'agir temporellement intelligible et sur la
nécessité des opérations narratives dans l'expression des identités indivi-
duelles et collectives. Plus spécifiquement, la problématique qui
m'intéressera ici sera celle des rapports que la production du discours
narratif entretient avec la situation d'interaction telle qu'elle est intériori-
sée par les agents :
La sélection d'un fait donné par un sujet en vue d'en fournir une narration à un
auditeur-lecteur et cela en fonction d'une recherche d'effet sur ce dernier ne
dépend donc pas de l'individu isolé mais de la situation de communication telle
qu'il se la représente à un certain moment, en un certain lieu, face à un certain in-
terlocuteur, c'est-à-dire dans une situation de communication définie.
(Fayol 1985. 131)
pour l'entrée dans un temps commun. Elle peut se dérouler en tout lieu mais affectionne
les lieux permettant la meilleure proximité spatiale et psychologique Elle fonctionne enfin
sur la base d'une égalité de principe entre les participants."
314 Cahiers de Linguistique Française 21
séquence
narrative
MODULES LINGUISTIQUES
MODULE RÉFÉRENTIEL (LEXICAL & SYNTAXIQUE)
récit
5. Conclusion
A partir d'un ensemble complexe de phénomènes discursifs liés à la
présence de récits dans une interaction en librairie, j'ai commencé par po-
ser empiriquement la problématique de l'hétérogénéité compositionnelle
du discours avant de montrer comment celle-ci pouvait être traitée dans
une démarche analytique cumulative. Dans cette perspective, les
hypothèses relevant de l'approche modulaire du discours m'ont conduit à
dégager deux niveaux d'analyse clairement distincts, qu'on peut briève-
ment résumer de la manière suivante.
Représentations*
rëférentielles
(§2.1.1.)
Prototypes
discursifs
MODULE RêFERENTIEL MODULE HIéRARCHIQUE
lz
•r
u Repérage des
Z
séquences discursives
r Effets
compositionnels
Formes et fonctions
des
séquences discursives
• Relations micro-
composition nel [es
(§4.1.2.)
- Fonctions co-tex-
tuellcs(§4.2.)
MODULE HIéRARCHIQUE
ORGANISATION RELATIONNELLE
C'est sans doute de cette articulation étroite entre des formes tex-
tuelles sémiotisées et des opérations cognitives sur les mondes que la pro-
blématique spécifique du récit tout comme celle plus générale de l'hétéro-
généité compositionnellc du discours tirent leur complexité intrinsèque
ainsi que leur modernité dans l'étude interdisciplinaire des productions
langagières.
Bibliographie
ADAM J.-M. (1992). Les textes : types et prototypes, Paris, Nathan.
ADAM J.-M. (1993). La description, Paris. PUF, (coll. Que sais-jc ?).
ADAM J.-M. (1994a), Le texte narratif, Paris. Nathan.
ADAM J.-M. (1994b). "Une définition générique du récit", in BRÈS J.
(éd.), 431-444.
Annexe
Dialogue enregistré dans la librairie Rousseau le 30.10.1979 entre ic libraire (L) et un
clieni (C)
Légende :
XXX séquences ininterprétablcs
chevauchements
pauses plus ou moins longues
: allongements
C. on dit pas imprésario c'est pour les artistes de cinéma ou les: les: les chanteurs .
eux ils disent hein . je crois que c'est un chargé d'affaires ils m'avaient dit on
appelle son je crois que c'est ce nom là . alors ils l'ont appelé très sympa tout
30 . et ça a marché comme sur des roulettes alors maintenant j'ai son téléphone et
son adresse
L. AEaàs?
C. Elle donne clic donne pas le téléphone à personne y a que moi qui l'ai. il est là
.. ils donnent pas parce que:
35 L. Vous avez une de ces chances
C. Euh . non: c'est pas pour ça
L. Vous êtes un ami privilégié hein
C. Oui: oh oui elle m'a marqué oh toujours . dans tous ces livres c'est marqué les
trucs . mon copain d'enfance . mon grand copain . XX
40 L. Vous étiez aux Antilles non ?
C. Non jamais mis les pieds
L. Ah bon ben alors, ?
C. Alors on s'est connu: voilà comment ça s'est passé . j'ai connu son mari moi
avant.X
45 L. Quais
C. pendant la guerre moi je suis juif et puis
L. Ouais
C. lui il est juif aussi.. cl puis elle clic est pas juive . et puis: on s'est connu on s'est
connu puis un beau jour euh: elle était à X elle a fait un peu tous les boulots .
50 et puis ils se sont connus euh: comme ça voilà . elle elle cherchait un
renseignement
L. Oui
C- El puis elle était emmerdée tout j'sais pas si elle allait pas à l'Université ou quoi
enfin elle cherchait un renseignement. puis clic est tombée sur ce monsieur .
55 c'était mon copain
L. Ouais
C. Et puis: ils ont parlé ils ont parlé et puis il lui a dit bois pxs ton café trop vite
parce que: j'ai pas de quoi payer un deuxième café . si tu bois trop vite
L rfita)
60 C. Après on dil Monsieur vous désirez . pis c'est elle qui a payé le deuxième café
ils sont restés de deux heures l'après-midi à dix heures du soir
L. Ah
C. Pis il avait pas un rond
L. Çfcm XX
65 C. Et puis il a écrit euh: le premier livre il a eu du mérite il a eu le Goncourt
L. Ouais ben c'était le:
C. Le Dernier des Justes
L. Ouais ..
C. Alors faut le faire hein écrire un livre et puis alors . moi je me demande si elle
70 va pas gagner je sais pas pourquoi. dans Le Monde il y a une grande critique
tous, les jours
L Ben oui ben on en on en p . elle est sur la liste quoi
C. Moi ic suis sûr qu'elle va gagner
L. Elle est sur la liste
75 C. Moi j'ai l'impression qu'elle va gagner .. et puis:
Laurent Fiiiienaz 325
C. Il y a deux trois noms euh là ils disent que Le Monde euh . dit du bien puis il y
110 a La Croix .
L. Ouais.
C. C'est bien La Croix parce que . c'est pas parce que j'aime La Croix moi j'ai
jamais lu . vous voyez
L. Ah oui d'accord . ouais ouais
115 C. Euh: une luxuriance . un rythme lyrique . une tendresse une langue
merveilleuse qui font d'elle un écrivain et un rare exemple de vérité humaine
L. Mhm
C. Lucien Guisam je connais pas ... La Croix ... puis il y a du dans les Nouvelles
Littéraires. je ne sais pas quand il sort lui tous les mois mais:
120 L. C'est c^tsLun;
C. Moi j'ai celui du mois dernier, c'est tous les mois
L. C'est tous les qmn« jours
C. Ah bon
L. Ouais
326 Cahiers de Linguistique Française 21
parle mais on s'en fout de tout ça ... on dirait qui c'est ce con là ... mais: euh moi
175 quand elle va venir me voir elle va venir me voir
L. Oui . ouais bcn elle n'habite pas loin elle est à Lausanne
C. P.lle n'habite plus en Suisse elle
L. Ah non ?
C. fis ont quitté la Suisse . ils habitaient Pully . moi je ne le savais même pas moi
180 .. il y a deux ans qu'ils ont quitté . moi je savais qu'ils étaient partis mais je ne
savais pas qu'ils étaient partis définitivement. alors je ne sais pas si sa
barraque elle l'a vendue ou si elle l'a louée . parce qu'elle avait une belle
maison hein . modeste mais grande hein
L. (rire)
185 C. A Pully une baraque ça vaut. des centaines de mille francs hein .. alors moi
j'allais bouffer toutes les semaines chez eux j'ai habité douze ans à Lausanne
L. Ah bon
C. Alors j'allais les voir toutes les semaines pour bouffer . alors elle m'a marqué
dans le livre là
(la porte s'ouvre et quelqu 'un entre)
190 L. Bonjour Maricha ., Bien bien
C. Charmante dame . bon
L. Maricha que puis-je faire pour toi ?
Iinteraction entre le libraire et Maricha : durée 35 secondes)
C. Bon . je vous laisse hein
L. Voilà . aurevoirMonsieur
195 C- Je vous ferai signer le livre quand elle vient si vous voulez
L. Ben pour ouais moi ie non mais vous savez l'autographe moi
C. XX vous vous en foulez quoi
L. Non c'est pas que je c'est pas que je m'en fous je comprends cette celte
demande mais c'est pas la mienne quoi
200 C. Ah: mais si ça avait été Bngiltc Bardot hein ?
L. (rire)
C. Bon . au revoir
L. Monsieur. euh Madame
204 C.2 Vous avez . livre russe ?