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DOSSIER LINGUA FRANCESE I

a.a 2020/2021
Nel dossier mancano i link seguenti:
• Les origines de la Francophonie (vidéo)
https://information.tv5monde.com/info/les-origines-de-la-
francophonie-5763
• Josette Rey-Debove, Le domaine du dictionnaire, Langages, n° 19, 1970.
https://www .persee.fr/docAsPDF/
lgge_0458-726x_1970_num_5_19_2589.pdf
• Caroline Masseron, Les dictionnaires : une introduction, Pratiques, n° 33,
1982. https://www.persee.fr/docAsPDF/
prati_0338-2389_1982_num_33_1_1232.pdf

• Louis Guilbert, Dictionnaires et linguistique : essai de typologie des dictionnaires


monolingues français contemporains, Langue française, n° 2, 1969.
https://www .persee.fr/docAsPDF/
lfr_0023-8368_1969_num_2_1_5418.pdf
• S. Ö. Kasar, Pour une typologie moderne des dictionnaires, Synergies Turquie,
n° 1, 2008. https://gerflint.fr/Base/Turquie1/kasar.pdf

Une histoire de la Francophonie


Le terme « francophonie » est apparu vers la n du XIXe siècle, sous la plume du
géographe français Onésime Reclus, pour décrire l'ensemble des personnes et des pays
utilisant le français. Il acquiert son sens commun lorsque, quelques décennies plus tard,
des francophones prennent conscience de l’existence d’un espace linguistique partagé,
propice aux échanges et à l’enrichissement mutuel. Des hommes et femmes de lettres
seront à l'origine de ce mouvement. Quoi de plus naturel pour une entreprise d'abord
adossée à l’usage de la langue.

Premiers pas
Des écrivains initient le processus, dès 1926, en créant l’Association des écrivains de
langue française (Adelf) ; suivent les journalistes, regroupés en 1950 au sein de l’Union
internationale des journalistes et de la presse de langue française - aujourd’hui Union de
la Presse francophone ; en 1955, une communauté des radios publiques francophones est
lancée avec Radio France, la Radio suisse romande, Radio Canada et la Radio belge
francophone. Cette communauté propose aujourd’hui, avec une audience sans cesse
accrue, des émissions communes diffusées simultanément sur les ondes des radios
membres, contribuant ainsi au renforcement du mouvement francophone à travers le
monde
En 1960, la première institution intergouvernementale francophone voit le jour avec la
Conférence des Ministres de l’Education (Confemen) qui regroupait au départ 15 pays.
Elle se réunit tous les deux ans pour tracer les orientations en matière d’éducation et de
formation au service du développement
Les universitaires s'en mêlent à leur tour en créant, une année plus tard, l’Association des
universités partiellement ou entièrement de langue française, qui deviendra, en 1999,
l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l’un des opérateurs spécialisés de la
Francophonie
Le mouvement s’élargit aux parlementaires qui lancent leur association internationale en
1967, devenue l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) en 1997, qui
représente, selon la Charte de la Francophonie, l’Assemblée consultative du dispositif
institutionnel francophone
La Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports (Conféjes), créée en 1969, est,
avec la Confemen, la deuxième conférence ministérielle permanente de la Francophonie.

L’avènement de la coopération francophon


"Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue
française", aimait à répéter le poète Léopold Sédar Senghor, ancien président du
Sénégal.
Une formule qui re ète la philosophie des pères fondateurs de la Francophonie
institutionnelle - Senghor et ses homologues tunisien, Habib Bourguiba et nigérien,
Hamani Diori, ainsi que le Prince Norodom Sihanouk du Cambodge - et qui consiste à
mettre à pro t le français au service de la solidarité, du développement et du
rapprochement des peuples par le dialogue des civilisations.
C'est là tout l'objet de la signature à Niamey, le 20 mars 1970, par les représentants de 21
Etats et gouvernements, de la Convention portant création de l'Agence de coopération
culturelle et technique (ACCT) : une organisation intergouvernementale fondée autour du
partage d'une langue commune, le français, chargée de promouvoir et de diffuser les
cultures de ses membres et d'intensi er la coopération culturelle et technique entre eux.
Le projet francophone a sans cesse évolué depuis la création de l’ACCT devenue, en
1998, l'Agence intergouvernementale de la Francophonie et, en 2005, l’Organisation
internationale de la Francophonie (OIF).
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Avec l'ACCT, la coopération s’engage dans les domaines de la culture et de


l’éducation
Partenaire depuis le début des années 1970 du Fespaco, le Festival panafricain du
cinéma et de la télévision de Ougadougou (Burkina Faso), l'Agence crée en 1988 son
Fonds Images qui aura aidé, à ce jour, à la réalisation de milliers d'œuvres de cinéma et
de télévision.
En 1986 est inauguré le premier des Centres de lecture et d'animation culturelle - Clac -
qui offrent aux populations des zones rurales et des quartiers défavorisés un accès aux
livres et à la culture. On en dénombre aujourd'hui plus de 300, répartis dans une vingtaine
de pays
En 1993, le premier MASA, Marché des arts du spectacle africain, est organisé à Abidjan
(Côte d'Ivoire). Parallèlement, un programme d'appui à la circulation des artistes et de
leurs œuvres, dédié aux créations d'arts vivants et visuels, est lancé

En 2001, l’Agence crée un nouveau prix littéraire, le Prix des cinq continents de la
Francophonie, qui consacre chaque année un roman de langue française. De grands
noms de la littérature francophone s'engagent à ses côtés : Jean-Marie Gustave Le
Clésio, René de Obaldia, Vénus Khoury Ghatta, Lionel Trouillot font notamment partie du
Jury
Dans les années 1970 et 1980, les réseaux francophones s’organisent. Un Conseil
international des radios télévisions d’expression française (CIRTEF) est créé en 1978.
Composé aujourd’hui de 44 chaînes de radiodiffusion et de télévision utilisant entièrement
ou partiellement la langue française, il développe la coopération entre elles, par l’échange
d’émissions, la coproduction et la formation des professionnels
En 1979, à l’initiative de Jacques Chirac, maire de Paris, les maires des capitales et
métropoles partiellement ou entièrement francophones créent leur réseau : l’Association
internationale des maires francophones (AIMF) deviendra, en 1995, un opérateur de la
Francophonie
En 1984, la chaîne de télévision francophone TV5 naît de l’alliance de cinq chaînes de
télévision publiques : TF1, Antenne 2 et FR3 pour la France, la RTBF pour la
Communauté française de Belgique et la TSR pour la Suisse ; rejointes en 1986 par le
Consortium de Télévisions publiques Québec Canada. TV5Afrique et TV5 Amérique Latine
voient le jour en 1992, suivies par TV5Asie en 1996, puis de TV5Etats-Unis et TV5Moyen-
Orient en 1998. La chaîne, dénommée TV5MONDE depuis 2001, compte aujourd’hui 7
chaînes de télévision et TV5 Québec-Canada. Reçue dans plus de 300 millions de foyers
de par le monde, elle constitue le principal vecteur de la Francophonie : la langue
française, dans la diversité de ses expressions et des cultures qu’elle porte

Une nouvelle dimension politiqu


Le Sommet des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage,
communément appelé "Sommet de la Francophonie", se réunit pour la première fois en
1986 à Versailles (France), à l’invitation du Président de la République française François
Mitterrand. 42 Etats et gouvernements y participent et retiennent quatre domaines
essentiels de coopération multilatérale : le développement, les industries de la culture et
de la communication, les industries de la langue ainsi que le développement
technologique couplé à la recherche et à l'information scienti que.
Depuis 1986, 17 Sommets de la Francophonie se sont réunis :
1986 à Versailles (France), 1987 à Québec (Canada-Québec), 1989 à Dakar (Sénégal),
1991 à Paris (France) initialement prévu à Kinshasa (Congo RD), 1993 à Grand-Baie
(Maurice), 1995 à Cotonou (Bénin), 1997 à Hanoi (Vietnam), 1999 à Moncton (Canada-
Nouveau Brunswick), 2002 à Beyrouth (Liban), 2004 à Ouagadougou (Burkina Faso),
2006 à Bucarest (Roumanie), 2008 à Québec (Canada-Québec), 2010 à Montreux
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(Suisse), 2012 à Kinshasa (RDC), 2014 à Dakar (Sénégal), 2016 à Antananarivo


(Madagascar) et 2018 à Erevan (Arménie). Le XVIIIe Sommet de la Francophonie se tient
n 2019 en Tunisie, membre fondateur de l'OIF, l'année du cinquantenaire de
l'organisation
Ces concertations politiques au plus haut niveau ont progressivement renforcé la place de
la Francophonie sur la scène internationale, tout en élargissant ses champs d’action et en
améliorant ses structures et modes de fonctionnement
Pour être plus conforme à la dimension politique qu’elle a acquise, la Francophonie est
dotée sur décision du Sommet de Cotonou (1995, Bénin) d’un poste de Secrétaire
général, clé de voûte du système institutionnel francophone. Le premier Secrétaire général
est élu au Sommet de Hanoï (Vietnam) en 1997, en la personne de Boutros Boutros-Ghali,
ancien Secrétaire général des Nations unies – il occupera ce poste jusqu’en 2002. Au
cours de ce même Sommet, la Charte de la Francophonie, principal texte de référence,
est adoptée

Abdou Diouf, ancien Président du Sénégal, est élu Secrétaire général de la Francophonie
au Sommet de Beyrouth en 2002. Il impulse une nouvelle dynamique à l’Organisation
dans ses deux volets : les actions politiques et la coopération pour le développement. Une
nouvelle Charte de la Francophonie adoptée par la Conférence ministérielle à
Antananarivo (Madagascar) en 2005, rationalise les structures de la Francophonie et ses
modes de fonctionnement et consacre l’appellation d’Organisation internationale de la
Francophonie. En 2014 au Sommet de Dakar, Michaëlle Jean lui succède. En 2018, à
l'issue du Sommet d'Erevan, l'actuelle Secrétaire générale, Louise Mushikiwabo, prend la
tête de la Francophonie
A la culture et à l’éducation, domaines originels de la coopération francophone, se sont
ajoutés, au l des Sommets, le champ politique (paix, démocratie et droits de l’Homme), le
développement durable, l’économie et les technologies numériques. L’Institut de la
Francophonie pour le développement durable (IFDD) voit le jour à Québec en 1988 et
l'Institut de la Francophonie pour l'éducation et la formation (IFEF) à Dakar, en 2015
Dans le domaine capital de la promotion de la démocratie, l’OIF envoie sa première
mission d’observation d’un processus électoral en 1992, lors des présidentielles et
législatives en Roumanie. L’assistance électorale offerte en réponse à la demande des
Etats concernés, ne se limite pas à l’observation des scrutins. Elle englobe divers appuis
institutionnels et juridiques, la formation des personnels électoraux, l’assistance technique
et matérielle.

En 2000 au Mali, la « Déclaration de Bamako », premier texte normatif de la Francophonie


en matière de pratiques de la démocratie, des droits et des libertés, est adoptée. La
Francophonie se dote ainsi de pouvoirs contraignants face à ses membres qui ne
respectent pas les valeurs démocratiques communes.

Au plus près des population


Avec les premiers Jeux de la Francophonie en 1989, la Francophonie institutionnelle
prend une dimension populaire et se met à l’écoute de la jeunesse : le Maroc accueille
1700 jeunes de 31 pays francophones autour de concours culturels et sportifs. Depuis, les
Jeux se tiennent tous les quatre ans : France (1994), Madagascar (1997), Canada-
Québec (2001), Niger (2005), Liban (2009), France (2013), Cote d'Ivoire (2017)
Une Conférence francophone des organisations internationales non
gouvernementales tenue en 1993 avec la participation d'OING accréditées auprès des
instances de la Francophonie associe la société civile au processus d’élaboration, de
réalisation et d’évaluation de la coopération multilatérale francophone. La Conférence des
OING se réunit tous les deux ans sur convocation du Secrétaire général de la
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Francophonie. En 2019, 127 organisations internationales non gouvernementales et


autres organisations de la société civile, intervenant dans les divers champs d’activité de
la Francophonie, sont accréditées
En réunissant en 2000 la première Conférence des femmes francophones, à Luxembourg,
la Francophonie s'engage pour promouvoir l'égalité femmes-hommes auprès de ses
membres et dans ses programmes

Des dé s à releve
Un long chemin a été parcouru depuis les premières réunions d’écrivains francophones, à
l’aube du siècle dernier, jusqu’à la diffusion de leurs ouvrages, aux quatre coins du monde,
dans les bibliothèques installées par l’OIF ; grâce à la bonne volonté de toutes celles et
ceux qui ont fait et continuent de faire vivre la langue française et de défendre les valeurs
la Francophonie.
Pour autant, de nouveaux dé s attendent l'Organisation et ses Etats et gouvernements
dans les 50 années à venir. En 2070, selon les estimations, on pourrait compter entre 500
et 800 millions de francophones, dont une majorité de jeunes vivant en Afrique. C’est à la
fois un grand espoir et un immense dé pour l’ensemble du mouvement francophone : un
espoir car l’avenir de la langue française ne s’est jamais présenté sous de meilleurs
auspices ; un dé , car il faut offrir des perspectives à cette jeunesse
Cette priorité gure bien sûr à l'agenda de la Secrétaire générale, aux côtés d'autres
sujets primordiaux tels que l’éducation des lles ou le numérique. Un autre chantier de
taille, qui sous-tend les précédents, est celui du repositionnement de l’Organisation, pour
une plus grande pertinence de son action

Stélio Farandijs, repères dans l’histoire de la francophonie

L’histoire de la langue française est longue, l’histoire de la Francophonie est courte. Le


« roman » se dégage du bas latin entre le ve et le viie siècle, l’ancien français se dégage
du roman vers les ixe et xe siècles. Le français sera en Angleterre langue o cielle
pendant plusieurs siècles au Moyen Âge et langue internationale aux foires de
Champagne comme lors des croisades. Aujourd’hui, la Francophonie s’attache à
défendre l’idée d’une langue riche et précise à l’encontre du laisser-faire linguistique
surfant sur la vague d’une mondialisation dérégulée.
La ré exion linguistique, le sentiment de la langue, le rôle de la langue dans la vie
politique ont été des faits originaux, associés et majeurs dans l’histoire de la France.
C’est le roi François Ier qui, par l’édit de Villers-Cotterets en 1539, impose le français
comme langue o cielle (celle de la justice et de l’administration), aux dépens du latin, de
manière à rendre plus intelligible pour le peuple la langue commune (qui est encore loin
d’être la langue « vulgaire » unique). Dès 1549, Du Bellay, avec sa Défense et illustration
de la langue française, exprime l’a rmation identitaire, qui associe donc la créativité
littéraire, le sentiment national, la volonté politique de l’État moderne.
L’âge de la raison, celui de l’État centralisé, celui de la puissance française et de la
période littéraire classique seront étroitement associés. 1635 : création de l’Académie
française ; 1636 : Le Cid ; 1637 : Discours de la méthode ; 1643 : victoire de Rocroi. Au
siècle des Lumières, le français est la langue des cours et des salons, comme de la vie
intellectuelle, pour toute l’Europe ; il est la seule langue diplomatique internationale du
traité d’Utrecht (1713) au traité de Versailles (1919).
Avec la Révolution française, la langue française va être associée à la liberté, aux droits
de l’homme et au progrès démocratique ; c’est le chant de La Marseillaise que des
 

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révolutionnaires dans tous les pays vont entonner aux xixe et xxe siècles. Il s’en est
même fallu d’une voix que le français ne devienne la langue o cielle de la nouvelle
république des États-Unis d’Amérique !
Quand la France sera vaincue par la Prusse qui prend la tête de l’Empire allemand en
1871, elle doit regarder dans le monde ailleurs qu’en Europe ; un géographe républicain
et patriote, Onésime Reclus (1837-1916), va forger en 1880 le mot « francophonie » pour
désigner les habitants de la planète qui parlent français ; c’est un terme nouveau de
géolinguistique et, dès 1887, il distinguera les francophones pour qui le français est
langue maternelle de ceux qui sont « francophones par destination ».
Curieusement, le mot francophonie va presque disparaître de l’usage durant toute la
période 1880-1960, alors même que se créera l’Alliance française en 1883. Trois erreurs
historiques sont souvent colportées au sujet du rapport entre francophonie et ère
coloniale.
Le mot « francophonie » n’est pour ainsi dire pas employé pendant la période coloniale,
d’autre part la francophonie n’a pas été un argument pour justi er la colonisation (à la
di érence des arguments politiques, économiques, militaires, philosophiques ou
religieux), en n l’Empire ne « francophonisait » qu’une très mince pellicule sociale
destinée à devenir la domesticité supérieure (soit on n’alphabétisait pas ou très peu et on
ne scolarisait pas, soit on le faisait dans les langues locales ; les masses de jeunes
écoliers francophones datent de la période post-coloniale). Pendant cette même période,
les francophones de France se soucient peu du sort des francophones belges soumis
aux poussées amingantes et du sort des francophones suisses soumis aux poussées
alémaniques.
Si le général de Gaulle et Georges Pompidou manifestent leur souci de défendre la langue
française en créant le 1er décembre 1965 le Haut Comité de la langue française, la
revitalisation du concept de francophonie et l’explosion dans la fréquence d’usage du
mot, durant les années 1960, ne doivent rien à l’initiative politique des gouvernants
français, mais tout à l’initiative d’individualités isolées venues en particulier du Canada,
d’Afrique, du monde arabe et de l’Asie ; les pionniers de la Francophonie internationale
vont s’appeler Norodom Sihanouk, Habib Bourguiba, Hamani Diori (Nigérien), Leopold
Sedar Senghor et Jean-Marc Léger (Québécois).
La résurgence foudroyante du mot « francophonie » dans les années 1960 obéit en fait à
une convergence de trois grands phénomènes historiques : les progrès des moyens de
transport et de transmission (qui facilitent les contacts et les rencontres entre
francophones très dispersés géographiquement), la décolonisation qui donne naissance à
une vingtaine de pays africains indépendants choisissant le français comme langue
o cielle, l’a rmation politique des identités culturelles (illustrée notamment par la volonté
des Québécois de revendiquer une souveraineté en matière linguistique et éducative).
Depuis cette revitalisation des années 1960 jusqu’à nos jours, le mot « francophonie » a
été marqué par une singulière polysémie. Trois signi cations peuvent être distinguées,
même si elles sont souvent liées. Il y a tout d’abord la signi cation d’un fait brut de
démographie linguistique : la répartition dans l’espace d’une masse de locuteurs
s’exprimant en français (ou qui peuvent le faire si l’occasion se présente), c’est une
donnée objective (même si elle recouvre des situations fort diverses allant du français
langue maternelle au français langue étrangère en passant par le français langue
seconde) ; il y a ensuite la signi cation politique, c’est une volonté de s’organiser sur le
plan associatif ou diplomatique à partir du critère francophone ; il y a en n la signi cation
philosophique ou spirituelle, c’est l’idée ou, mieux encore, l’idéal de la Francophonie, tel
que le président Senghor l’a exprimé dès 1962 : « un humanisme intégral qui se tisse
autour de la terre, une symbiose des énergies dormantes de toutes les races et de tous
les continents qui se réveillent à leur chaleur complémentaire », et aujourd’hui, quand les
langues et les cultures de l’espace francophone se mêlent dans la musique, le théâtre, la
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littérature, le cinéma et la vie en commun avec un esprit de dialogue ou de métissage, cet
idéal symbiotique devient une réalité vivante pour toutes nos provinces et nos banlieues,
nos écrans et nos antennes.
Dans un premier temps, c’est sur le plan associatif et non intergouvernemental que la
Francophonie [1]
Le F majuscule distingue la Francophonie, communauté organisée…
internationale va prendre corps : les initiatives sont venues d’horizons très di érents de la
société civile, suivant des critères géographiques ou professionnels ou bien thématiques
et idéologiques ; mais les pionniers des années 1960 furent souvent de simples militants
décidés mais isolés. Notons que cette e ervescence associative des années 1960 se
poursuit encore aujourd’hui et dans des secteurs très variés de tout l’univers
francophone [2]
Sur les développements récents d’une société civile…
Notons aussi que la France politique marquera de la prudence, de la réserve, des
hésitations par rapport à l’engagement dans l’aventure d’une Francophonie internationale
organisée, institutionnelle et multilatérale. Pourquoi ? Des hypothèses peuvent être
avancées : hantise du soupçon de néocolonialisme ; séquelle de la guerre d’Algérie
(1953-1962) ; désir de voir plus loin que le « pré carré », vers l’Europe, vers le monde ;
américanisation des esprits…
En 1958 naît l’Association internationale des sociologues de langue française, en 1961 se
crée à Montréal l’AUPELF (Association des universités partiellement ou entièrement de
langue française) qui se nomme aujourd’hui AUF (Agence universitaire de la
Francophonie). En 1967, l’AIPLF (Association internationale des parlementaires de langue
française) voit le jour, elle se nomme aujourd’hui APF (Assemblée parlementaire de la
Francophonie). En 1969 apparaît la FIPF (Fédération internationale des professeurs de
français) qui tient ses congrès tous les quatre ans (Rio, Québec, Lausanne, Salonique,
Tokyo, Paris, Atlanta) et qui fédère des associations présentes dans presque tous les
pays du monde.
La période des années 1960 fut donc la période héroïque de la Francophonie où ont
foisonné des initiatives émanant d’individus ou de petits groupes. Sur le plan politique,
signalons cependant trois nouveautés : la CONFENEM (Conférence des ministres
francophones de l’Éducation nationale) en 1960 ; la CONFEJES (Conférence des
ministres francophones de la Jeunesse et des Sports) en 1969 ; l’AIMF (Association
internationale des maires des grandes métropoles francophones) en 1979 à l’initiative du
maire de Paris, Jacques Chirac.
À l’explosion associative des années 1960 succèdera la lente élaboration d’une
communauté politique internationale, marquée par la création de l’Agence de coopération
culturelle et technique (ACCT) en 1970 à Niamey, par le premier sommet des chefs d’État
et de gouvernement « ayant en commun l’usage de la langue française » en 1986, à
Versailles (depuis 1993, on dit « ayant le français en partage » et, depuis 1997, on parle
des « sommets de la Francophonie »). Depuis le sommet de Hanoi en 1997, l’Organisation
internationale de la Francophonie s’est dotée d’une tête politique : le Secrétaire général
qui est l’animateur, l’arbitre, le porte-parole d’une organisation ayant à sa disposition de
nombreux opérateurs (l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, l’Agence
universitaire de la Francophonie, l’université Senghor d’Alexandrie, TV5 et l’AIMF). Le
premier Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali a eu comme successeur Abdou Diouf
en 2003.
Dans les années 1970, le président Senghor s’était fait le héraut d’une Francophonie
organisée politiquement à l’échelle internationale ; en 1980, il avait failli réussir à organiser
un premier sommet, mais la divergence concernant les prérogatives respectives du
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Québec et de l’État fédéral canadien et aussi la faiblesse de l’engagement français rent
capoter l’entreprise.
L’arrivée sur la scène politique dans les années 1981-1985 de dirigeants comme François
Mitterrand en France et Bryan Mulroney au Canada a favorisé le déblocage de l’a aire du
sommet francophone, tant ils alliaient la détermination et le pragmatisme ou la souplesse.
Il y a chez François Mitterrand un amour de la langue française et une volonté de lutter
pour la sauvegarde des identités culturelles dans la mondialisation en cours [3]
C’est François Mitterrand qui créa dès 1984 le Haut Conseil de…
et chez les deux hommes le souhait de donner à leur pays un rôle international par le
biais d’une Francophonie qui serait un acteur in uent dans le jeu multipolaire
international, en faveur du dialogue, de la paix et de l’aide au développement. Le premier
sommet de 1986 aurait pu être sans suite. Or, à la grande surprise des sceptiques, il y a
eu le sommet de Québec dès 1987, puis le sommet de Dakar en 1989, le sommet de
Paris en 1991 (à la place de Kinshasa), celui de Maurice en 1993, de Cotonou en 1995, de
Hanoi en 1997, de Moncton (1999), de Beyrouth (2002). À chaque fois, les participants
sont plus nombreux ; le cercle s’est ainsi élargi de 42 à 56 membres et beaucoup de pays
frappent à la porte aujourd’hui pour demander simplement le statut d’observateur. Le
cercle déborde largement l’ancienne zone coloniale française ou belge, l’axe euro-africain
se combine avec l’axe euro-américain et la Belgique, Monaco, le Luxembourg et la Suisse
ne sont pas les seuls pays à s’ajouter aux anciens pays colonisés : il y a aussi dix pays de
l’Europe centrale et orientale (5 membres, 5 observateurs).
À chaque sommet, il y a un thème central (à Ouagadougou, en novembre 2004, il s’agit
de la solidarité en faveur du développement durable) ; il y a aussi la volonté d’améliorer la
coopération économique et culturelle entre pays membres ; et il y a en n la volonté de
prendre position sur les grands dossiers mondiaux. Ainsi, une voix francophone s’a rme
sur la scène internationale, la concertation (même entre les sommets) s’organise à propos
des grandes rencontres planétaires portant sur l’écologie, la communication, la condition
féminine, les questions sociales… En octobre 1993, les quarante-sept pays francophones
réunis à Maurice ont réussi en conjuguant leur action avec celle de l’Europe à faire
pencher la balance en faveur de l’exception culturelle dans l’âpre négociation du GATT, et
aujourd’hui la Francophonie se bat en première ligne pour faire adopter par l’Unesco une
convention en faveur de la diversité linguistique et culturelle.
Il faut dire que la Francophonie est elle-même un exemple vivant du mariage de l’unité et
de la diversité, une véritable « Francopolyphonie », puisque la langue française s’enrichit
par les créations multiples de ses copropriétaires ; qu’elle véhicule des univers culturels
très divers grâce à la chanson, le théâtre, la poésie, le roman ; qu’elle se marie avec les
langues créoles, l’arabe, le berbère, les langues africaines et celles de l’ex-Indochine, à
l’école, dans les médias et toute la société. Les créateurs francophones se sont
émancipés du modèle hexagonal et, aujourd’hui, les grands rendez-vous culturels de la
Francophonie que sont les rencontres cinématographiques de Namur, de Carthage et
surtout de Ouagadougou, les rencontres théâtrales de Limoges, les rencontres musicales
de Montréal et de La Rochelle sont des fêtes de plus en plus populaires de la
Francophonie métissée ; la plupart de ces grandes manifestations ont vu le jour dans les
années 1983-1984.
Les mouvements migratoires, les mariages mixtes, les ux d’étudiants et de chercheurs,
les échanges commerciaux et touristiques, les emprunts langagiers et les engouements
gastronomiques ont concouru à forger un sentiment d’appartenance à la communauté
francophone ; la préférence francophone se manifeste notamment lors des compétitions
sportives ; et un sondage IFOP, en 1993, révélait qu’un Français se sentait plus proche
d’un Africain francophone que d’un Européen non francophone. Hélas, les milieux
médiatiques et publicitaires français ne sont pas toujours, loin de là, soucieux de mettre
en valeur cette Francophonie plurielle ou métissée. Heureusement, les jumelages
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scolaires et la coopération décentralisée contribuent de plus en plus à créer un tissu
francophone international aux mailles serrées.
Si le développement économique très insu sant de l’Afrique subsaharienne représente
un grave handicap pour la Francophonie, les retards dans l’essor de la vie démocratique
de bien des pays africains francophones entravent l’adhésion populaire en faveur de la
Francophonie, malgré les belles déclarations comme celle de Bamako, en novembre
2000. Et, surtout, il n’y a pas à ce jour une stratégie industrielle commune des pays
francophones pour promouvoir la production et la di usion de ces biens culturels qui
façonnent l’imaginaire des peuples et en particulier de la jeunesse ; et il n’y a pas non
plus de dispositifs favorisant la circulation des citoyens francophones dans leur aire
internationale commune. Descartes pèserait-il trop en Francophonie ? La part du
sentimental, de l’émotionnel, du symbolique que le poète président Léopold Sedar
Senghor voulait réhabiliter ne pourrait-elle pas être réévaluée ? La fête de la
Francophonie, le 20 mars, devrait être un point d’appui pour célébrer la Francophonie en
tant qu’idéal de dialogue et de solidarité et pour chanter cette grande fraternité qui
annonce la civilisation universelle à venir.

Notes
• [1]
Le F majuscule distingue la Francophonie, communauté organisée ou idéal
proclamé, de la simple aire géolinguistique ; voir à ce sujet Stelio
Farandjis, Philosophie de la Francophonie, Paris, L’Harmattan, 1999.

• [2]
Sur les développements récents d’une société civile francophone, voir le rapport sur
« L’état de la Francophonie dans le monde ; données 1999-2000 » du Haut Conseil
de la Francophonie, La Documentation française, Paris, 2001, p. 549-576.

• [3]
C’est François Mitterrand qui créa dès 1984 le Haut Conseil de la Francophonie,
aujourd’hui rattaché directement à l’Organisation internationale. Sur François
Mitterrand et la Francophonie, voir le colloque de l’ADELF de 1997 : « Les chefs
d’État écrivains en pays francophones », Paris, 1998, 14, rue Broussais, 75014 Paris.

Le français contemporain

À la fin du XIXe siècle, le français est à peu près tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Le vocabulaire a continué de s'enrichir avec le parlementarisme de la IIIe République
(1870-1940) et la création des partis politiques, la naissance des syndicats, de la grande
finance et du grand capitalisme, la renaissance des sports, l'amélioration des moyens de
transport: apparition de l'avion, de l'automobile, de l'autobus et du tramway électrique.
Les emprunts à l'anglais d'outre-Manche pénètrent massivement dans la langue
française. L'unité linguistique prônée lors de la Révolution française est en grande partie,
car les patois sont davantage devenus l'affaire des gens plus âgés. Il fallut néanmoins
quelques décennies d'efforts dans les écoles pour tenter de faire disparaître les «idiomes»
parlés par les Français ruraux. Puis, la Première Guerre mondiale jeta les hommes de
ffi
ff
France pêle-mêle dans toutes les directions, colonies comprises. On n'avait jamais vu un
tel brassage de populations, qui favorisa nécessairement l'uniformisation linguistique.
Le XXe siècle a vu l'enseignement du français se poursuivre dans les anciennes colonies
françaises, que ce soit l'Afrique ou les DOM-TOM, mais où le français est une langue
seconde. Dans toutes ces régions hors de France, le français doit sa présence à l'histoire,
c'est-à-dire à la colonisation. L'internationalisation du français entraîne forcément une
réduction de la mainmise sur la langue française de la part de la France. Désormais, le
français n'appartient plus seulement à la France, surtout depuis l'affirmation identitaire
qui a gagné la Belgique francophone, la Suisse romande, le Québec, le Nouveau-
Brunswick (Acadie) et même la Louisiane.
1 Le rôle de l'Instruction publique dans l'apprentissage du français
Un peu après le milieu du XIX siècle (en 1863), on comptabilisait encore 7,5 millions de
e

Français ignorant la «langue nationale» (sur près de 38 millions d'habitants, soit 20 %).
Selon les témoignages de l'époque, les enfants des villages de province ne retenaient
guère le français appris à l'école; cette langue ne semblait pas laisser plus de trace que le
latin n'en laissait à la plupart des élèves sortis des collèges. Les élèves reparlaient «le
patois au logis paternel».

En 1831, dans l'une des lettres des préfets des Côtes-du-Nord et du Finistère à M. de
Montalivet, ministre de l'Instruction publique, on pouvait lire ce texte sans équivoque
dont le discours semble assez radicalisé:

[Il faut] par tous les moyens possibles, favoriser l'appauvrissement, la corruption du breton,
jusqu'au point où, d'une commune à l'autre, on ne puisse pas s'entendre [...], car alors la
nécessité de communication obligera le paysan d'apprendre le français. Il faut absolument
détruire le langage breton.
La France s'est mise à pratiquer ce qu'on appellerait aujourd'hui un «génocide culturel»
plus systématique dans les régions françaises, particulièrement en Bretagne,
singulièrement stigmatisée. Cette directive de monsieur Auguste Romieu, sous-préfet
de Quimper en 1831, serait considérée au XXI siècle comme de la pure discrimination:
e

Multiplions les écoles, créons pour l'amélioration morale de la race humaine quelques unes
de ces primes que nous réservons aux chevaux; faisons que le clergé nous seconde en
n'accordant la première communion qu'aux seuls enfants qui parleront le français [...].

Dans toutes les écoles, la primauté de l'enseignement est accordée à la langue nationale.
Les règlements locaux témoignent de cette nécessité. Ainsi, tel était le Règlement pour
les écoles primaires élémentaires de l'arrondissement de Lorient, adopté par le Comité
supérieur de l'arrondissement, en 1836 et approuvé par le recteur en 1842:
§ 2. Discipline
Article 19
Chaque classe commence et se termine par une prière en français, qui est arrêtée
par le comité local sur proposition du curé.
Article 21
Il est défendu aux élèves de parler breton, même pendant la récréation et de
proférer aucune parole grossière. Aucun livre breton ne devra être admis ni toléré.
S'exprimer en breton et parler "grossièrement" font l'objet de la même
prohibition.

En 1834, le Comité d'instruction primaire de l'arrondissement de Brest adoptait un


règlement sur les écoles primaires. Selon l'article 19, le breton pourra seulement être un
moyen auxiliaire d'enseignement:
Article 19
Il est interdit aux instituteurs d'enseigner l'idiome breton; ils pourront seulement
se servir de cette langue pour communiquer avec les enfants qui n'entendraient pas
le français.

1.1 La mission «civilisatrice» de la France


En 1845, ceux qu'on appellerait aujourd'hui les «linguicides» ne se taisaient plus! En
témoignent ces propos d'un sous-préfet du Finistère aux instituteurs: «Surtout rappelez-
vous, Messieurs, que vous n'êtes établis que pour tuer la langue bretonne.» Rien de
moins, «tuer» la langue bretonne! À cette époque, on semblait vraiment en vouloir
particulièrement au breton. Ainsi, un secrétaire particulier dans l'entourage du
politicien François Guizot (qui fut ministre de l'Instruction publique), écrivit ce qui suit
en 1841 à propos de la Bretagne :

Nous avons presque à civiliser cette province si belle mais encore si sauvage. [...]
Qu'une ligne de chemin de fer soit construite à travers ce pays, une circulation
rapide s'établira, des populations bretonnes descendront vers la France centrale, et
des populations de provinces plus avancées en civilisation viendront à leur tour
visiter la Bretagne. Un chemin de fer apprendra en dix ans plus de français aux
Bretons que les plus habiles instituteurs primaires [...]. C'est vraiment pitié de ne
point travailler plus activement que nous le faisons à civiliser, à franciser tout à fait
cette belle province à l'entêtement si fier, aux sentiments si généreux.

Ce discours sur la mission civilisatrice de la France sera repris dans toutes les nouvelles
colonies, que ce soit en Indochine, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, à Madagascar,
etc.
Considérons enfin cet autre exemple dont l'auteur était un préfet des Côtes-du-Nord
lors d'un discours à l'évêque de Saint-Brieuc, le 21 novembre 1846: «C'est en breton
que l'on enseigne généralement le catéchisme et les prières. C'est un mal. Nos écoles
dans la Basse-Bretagne ont particulièrement pour objet de substituer la langue
française au breton [...].» En 1863, l'enquête du ministre de l'Instruction publique,
Victor Duruy (1811-1894), établissait que le quart des Français ne parlaient pas du tout
français et que l'école recourait à la langue régionale dans 12 départements, dont
l'Alsace, la Lorraine, la Bretagne, le Pays basque et la Corse.
L'un de ceux qui ont le mieux propagé l’idéologie colonialiste française fut sans nul
doute Hubert Lyautey (1854-1934), premier résident général du protectorat français
au Maroc en 1912, ministre de la Guerre lors de la Première Guerre mondiale, puis
maréchal de France en 1921.

Voici comment en 1929 Lyautey résumait dans l'Atlas colonial français la mission
civilisatrice et humaniste de la France dans les colonies:
La colonisation, telle que nous l’avons toujours comprise n’est que la plus haute
expression de la civilisation. À des peuples arriérés ou demeurés à l’écart des
évolutions modernes, ignorant parfois les formes du bien-être le plus élémentaire,
nous apportons le progrès, l’hygiène, la culture morale et intellectuelle, nous les
aidons à s’élever sur l’échelle de l’humanité. Cette mission civilisatrice, nous
l’avons toujours remplie à l’avant-garde de toutes les nations et elle est un de nos
plus beaux titres de gloire

Bref, offrir au monde le français, avec la culture qu’il véhicule, était perçu
comme un devoir patriotique et une obligation morale: le français était imposé
comme langue officielle de l'administration coloniale; les langues indigènes étaient
ignorées en tant que langues inférieures.
Avec l'adoption de la loi Ferry, qui institua la gratuité de l'école primaire (1881) et
rendit obligatoire (1882) l'enseignement primaire ainsi que la laïcisation des
programmes scolaires (voir le texte de la loi Ferry), le français s'imposa finalement sur
tout le territoire de la France et se démocratisa. L'objectif de Jules Ferry était surtout
d'éliminer le clergé des écoles publiques. Dans les campagnes, certains membres du
clergé encourageaient même l'emploi des patois comme forme de résistance à la
République. On forma des instituteurs laïcs qui furent appelés plus tard «les hussards
noirs de la République», en raison de leur «uniforme», une longue redingote noire et
une casquette plate. Ces instituteurs formés à l'École normale et vêtus de noir furent
considérés comme de véritables «missionnaires laïcs» répandant dans les campagnes
leur idéal de laïcité, de tolérance et du savoir éclairé. Ils constituaient une véritable
«infanterie enseignante» destinée à démanteler l'école catholique, c'est-à-dire «lutter
contre l'obscurantisme» et «promouvoir les avaleurs républicaines». Les patois ne
purent que difficilement résister aux méthodes de répression et aux techniques de
refoulement, de délation ou d'espionnage, qui marquèrent des générations d'enfants.
Parallèlement, Jules Ferry fut un ardent partisan de l'expansion coloniale française,
notamment en Tunisie et à Madagascar. Ses adversaires politiques le surnommèrent le
«Tonkinois». Ferry propose des mesures d'assimilation afin de franciser les «indigènes»
des colonies. Le 28 juillet 1885, Jules Ferry prononça un discours sur «les fondements
de la pensée coloniale» de la Troisième République, ce qu'on pourrait appeler
aujourd'hui les justifications de l'impérialisme français :

Messieurs, je suis confus de faire un appel aussi prolongé à l'attention bienveillante


de la Chambre, mais je ne crois pas remplir à cette tribune une tâche inutile. Elle
est laborieuse pour moi comme pour vous, mais il y a, je crois, quelque intérêt à
résumer et à condenser, sous forme d'arguments, les principes, les mobiles, les
intérêts divers qui justifient la politique d'expansion coloniale, bien entendu, sage,
modérée et ne perdant jamais de vue les grands intérêts continentaux qui sont les
premiers intérêts de ce pays. [...]
Messieurs, il y a un second point, un second ordre d'idées que je dois également
aborder [...] : c'est le côté humanitaire et civilisateur de la question. [...] Messieurs,
il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu'en effet les races
supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. [...] Je répète qu'il y a pour
les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le
devoir de civiliser les races inférieures. [...] Ces devoirs ont souvent été méconnus
dans l'histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les
explorateurs espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils
n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race supérieure. Mais de nos jours,
je soutiens que les nations européennes s'acquittent avec largeur, grandeur et
honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation.

Tout au cours du XX siècle et jusque dans les années 1960, les gouvernements ont
e

adopté pas moins de 40 lois concernant surtout l'enseignement, la presse, l'administration


et l'orthographe. Au début du siècle, comme la francisation n'allait pas assez vite au gré
du ministère de l'Éducation nationale, les autorités suggérèrent fortement de faire
nommer des instituteurs qui ignoraient tout des parlers locaux.
Cette déclaration de la part de J. Dosimont, inspecteur d'académie en 1897, paraît
aujourd'hui très catégorique: «Un principe qui ne saurait jamais fléchir : pas un mot de
breton en classe ni dans la cour de récréation.» Et enfin une proclamation provenant
d'Anatole de Monzie, ministre de l'Instruction publique (1925): «Pour l'unité
linguistique de la France, il faut que la langue bretonne disparaisse.» On en voulait
vraiment au breton!
1.3 Le maintien des patois
Néanmoins, en 1926, le grammairien Ferdinand Brunot (1860-1938), écrivait dans
son Histoire de la langue française que les patois étaient encore bien vivants dans les
campagnes:
Au XVIIIe siècle, comme de nos jours, le patois était chez lui partout où l'on
causait au village [...]. À l'heure actuelle, le français est la langue des villes, le
patois la langue des campagnes.

On se souviendra sans doute des panneaux affichés un peu partout en Bretagne, que ce
soit dans les autobus, les écoles ou autres lieux publics: «Interdiction de parler breton et
de cracher par terre.» Beaucoup d'enfants furent punis parce qu'ils parlaient breton à
l'école: ils devaient rejeter la langue de leurs parents. L'histoire est là pour nous rappeler
également l'usage institutionnalisé du «symbole» accroché au cou des élèves, de la
délation, des brimades et des vexations de la part des instituteurs dont la mission était de
supprimer l'usage des parlers locaux. Un jeune Breton (anonyme) ayant fréquenté l'école
dans les années 1960 en donne ce témoignage:

À cette époque, le symbole était un morceau de fer pour mettre sous les sabots des
chevaux. On le donnait au premier qui arrivait et qui parlait breton et ensuite,
quand celui-ci trouvait un autre qui parlait breton, il le lui donnait. Comme ça,
toute la journée. À la fin de la journée, le dernier attrapé par le symbole était mis
en pénitence et il devait écrire en français: «Je ne parlerai plus jamais en breton»,
cinquante ou cent fois. Celui qui était pris souvent restait à l'école après 16 h 30,
pendant une heure ou une demi-heure dans le coin de la salle.

Ces procédés ont été heureusement abandonnés et l'on ne retrouve plus d'affiches
contemporaines du genre: «Il est interdit de cracher par terre et de parler patois.» Mais
les patois ne sont pas disparus pour autant. Il s'agissait, en fait, de techniques
d'assimilation que la France a largement utilisées, au cours du XIX siècle, dans son
e

empire colonial: au Maghreb, en Afrique noire, dans l'océan Indien (île de La Réunion)
et dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, etc.).
Il est vrai, sous la IIIe République (1870-1940), l'école réussit à propager l'enseignement
du français de façon plus efficace, même si le purisme s'est poursuivie durant de longues
décennies. D'abord, l'enseignement du latin fut définitivement abandonné, ce qui a
permis au français de prendre la place accordée au latin. L'accession de toutes les classes
de la société française, y compris les femmes, à l'alphabétisation et à la scolarisation
accéléra la chute des patois au profit de la langue commune. Il en fut ainsi dans la
diffusion des journaux.
2 La question de la Charte européenne des langues régionales ou
minoritaires

Les patois français ont changé de nom et, depuis l'Union européenne, ils sont devenus
des «langues régionales» en France, mais non pas encore des «langues minoritaires».
Dans ce monde du «politiquement correct», si le terme «dialecte» est de moins en
moins employé, le mot «patois» est quasiment disparu du vocabulaire des politiciens
français; ils craignent de paraître mal en y associant une valeur péjorative.
Même si la linguiste Henriette Walter affirme dans Le français dans tous les sens,
qu'«il n'y a aucune hiérarchie de valeur à établir entre langue, dialecte et patois», tous
sont devenus plus prudents avec ces termes aujourd'hui controversés. Quoi qu'il en
soit, pour la plupart des locuteurs, le mot patois a une connotation de dévalorisation,
sinon c'est le mot «langue» qu'on utiliserait.
Pour Henriette Walter, le terme de «patois» correspond à une forme prise par le latin
parlé dans une région donnée:
Le terme de patois en est arrivé progressivement à évoquer dans l'esprit des gens
l'idée trop souvent répétée d'un langage rudimentaire […]. Nous voilà loin de la
définition des linguistes, pour qui un patois (roman) est au départ l'une des
formes prises par le latin parlé dans une région donnée, sans y attacher le
moindre jugement de valeur : un patois, c'est une langue.

Et la linguiste de préciser ainsi les conditions dans lesquelles sont apparus les patois:
Le latin parlé en Gaule […] s'est diversifié au cours des siècles en parlers
différents. […] Lorsque cette diversification a été telle que le parler d'un village
ne s'est plus confondu avec celui du village voisin, les linguistes parlent plus
précisément de patois. Mais, à leurs yeux, il n'y a aucune hiérarchie de valeur à
établir entre langue, dialecte et patois.

Si pour une linguiste comme Mme Walter, il n'existe aucune hiérarchie de valeur entre
les mots «langue», «dialecte» et «patois», il n'en est pas ainsi pour Monsieur et Madame
Tout-le-monde. En effet, pour la plupart des simples mortels, une hiérarchie s'est établie :
la «langue» est supérieure au «dialecte». Quant au «patois», il est encore associé à un
«langage rudimentaire». Néanmoins, c'est Henriette Walter qui a raison!

2.1 La persistance du discours anti-patois


Cela étant dit, le discours anti-patois est toujours resté très profond chez les dirigeants
politiques français contemporains. Par exemple, en 1972, Georges
Pompidou (1911-1974), alors président de la République, déclarait au sujet des langues
régionales: «Il n'y a pas de place pour les langues et cultures régionales dans une France
qui doit marquer l'Europe de son sceau.» Il est vrai que, depuis plus de vingt-cinq ans, le
discours sur cet épineux sujet a beaucoup changé dans ce pays, mais pas les actes. C'est
ainsi que François Mitterand (1916-1996), président de la République de 1981 à 1995,
annonçait ses couleurs au sujet des langues de France, deux mois avant son élection
(1981, à Lorient):

Le temps est venu d'un statut des langues et cultures de France qui leur
reconnaisse une existence réelle. Le temps est venu de leur ouvrir grandes les
portes de l'école, de la radio et de la télévision permettant leur diffusion, de leur
accorder toute la place qu'elles méritent dans la vie publique.

Toutefois, malgré ce discours à saveur électoraliste, la situation n'a pas évolué


considérablement, car, lors des débats sur le traité de Maastricht, Robert Pandraud (né
en 1928, député et ancien ministre) déclarait, le 13 mai 1992, qu'il était inutile de faire
apprendre aux enfants des dialectes en lieu et place d'une langue internationale (lire
«l'anglais») :
Je rends hommage à l'école laïque et républicaine qui a souvent imposé le français
avec beaucoup d'autorité — il fallait le faire — contre toutes les forces
d'obscurantisme social, voire religieux, qui se manifestaient à l'époque. Je suis
également heureux que la télévision ait été un facteur d'unification linguistique. Il
est temps que nous soyons français par la langue. S'il faut apprendre une autre
langue à nos enfants, ne leur faisons pas perdre leur temps avec des dialectes qu'ils
ne parleront jamais que dans leur village: enseignons-leur le plus tôt possible une
langue internationale!

Là, nous ne sommes plus en 1850, ni en 1950, mais dans les années 1990; il faut dire que
le député Pandraud a souvent eu des propos . contestables. Il affirmait, par exemple, que
«la peur du gendarme a toujours été le commencement de la sagesse», prônant ainsi les
méthodes fortes. À en croire les déclarations de la part des personnalités officielles, les
dirigeants français ne doivent se préoccuper que de la langue française. En mai
1997, Daniel Gauchon, inspecteur de l'Éducation nationale, déclarait qu'il fallait
privilégier la culture et la langue française et non pas les langues régionales :
Les langues régionales ont sans doute leur place à l'école comme l'enseignement de
n'importe quelle langue ou discipline, mais le bilinguisme en langue régionale est
incompatible avec les principes de fonctionnement de l'école publique. Il privilégie
la culture et la langue d'une communauté, alors que le rôle de l'école publique est
de privilégier la culture et la langue françaises dans un objectif de cohésion sociale.

Autrement dit, «privilégier» le français est synonyme d'exclusion de toute autre langue!
On se croirait dans un débat en Amérique latine pour savoir s'il faut enseigner l'espagnol
ou les langues amérindiennes et, dans l'éventualité où il conviendrait
d'enseigner aussi ces langues, faudrait-il aller jusqu'à les enseigner aux hispanophones?
Non, bien sûr! En France, tout enseignement des langues régionales est considéré
comme facultatif, jamais obligatoire, et il n'est surtout pas question de les enseigner aux
«francophones».

Par exemple, les velléités de l'Assemblée de Corse à ce sujet ont vite été réduites à
néant lorsque le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 17 janvier 2002, a donné le
feu vert à l'enseignement de la langue corse «dans le cadre de l'horaire normal des
écoles maternelles et élémentaires» de l'île, en insistant sur le caractère facultatif de
cet enseignement. En réalité, c'est un système courant dans de nombreux pays: les
langues minoritaires ne doivent pas être enseignées à la majorité.
En ce sens, le français, une langue minoritaire au Canada, ne devrait pas être enseigné
aux anglophones dans les écoles de l'Ontario ou du Nouveau-Brunswick! Pourquoi le
français en Ontario et pas l'occitan en France? Parce que, bine sûr, le français est une
langue. Comme le corse, l'occitan, le franco-provençal, le breton, l'alsacien, etc.
Lorsqu'une langue minoritaire n'est pas enseignée dans un système scolaire, c'est par
choix politique, rien d'autre. Sinon ce sont des prétextes qui servent de paravent. On
peut comprendre l'affiche du parti régionaliste alsacien Alsace d'abord (ADA).

2.2 Les droits des langues régionales


Quand on étudie la législation linguistique de la France, on constate que ce pays a adopté
une quantité impressionnante de lois portant sur les cultures et les langues régionales, sur
les collectivités territoriales et sur la langue française. On compte au moins une douzaine
de lois, une vingtaine de décrets, plus de 40 arrêtés (dont une vingtaine sur la
terminologie) et autant de circulaires administratives. La plupart de ces textes juridiques
traitent avant tout de la langue d'enseignement et de la terminologie française. Cela
signifie que la législation française porte moins sur les droits linguistiques que sur la
promotion de la langue française considérée du point de vue du code lui-même. Il s'agit
là d'une vieille tradition qui consiste à ignorer les langues régionales dans l'enseignement
et l'espace public.
Pour ce qui est des droits des langues régionales, les textes juridiques n'en parlent
d'ailleurs que très peu. Toutefois, la tendance actuelle est d'élargir le droit à la différence
et de reconnaître la spécificité de ces langues régionales, surtout depuis la signature, le 7
mai 1999, de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. À ce sujet, le
14 août 2000, le ministre de l'Éducation nationale de l'époque, Jack Lang, assurait dans
un entretien au journal Ouest-France qu'il allait «naturellement» favoriser
l'enseignement des langues régionales:

Je souhaite que ces langues soient pleinement reconnues dans notre système
d'enseignement, à tous les échelons. C'est l'esprit du plan pour l'école que j'ai
récemment présenté. Entre 5 et 12 ans, un enfant a l'oreille musicale. Il faut lui
offrir toutes les possibilités d'apprentissage des langues : la langue nationale qui
est l'ossature même de notre enseignement, une langue vivante étrangère et la
langue particulière de la région.

M. Jack Lang se disait par ailleurs être «un militant de toujours de la reconnaissance de
la pluralité des cultures». Selon cet ancien ministre de l'Éducation nationale, les grandes
lignes du projet d'enseignement pour les écoles primaires comporteraient la
généralisation de l'apprentissage d'une langue vivante. Deux voies pourraient être
offertes dans l'enseignement public: l'initiation aux langues régionales et le bilinguisme
français-langues régionales. Mais il ne faut pas se leurrer, ce n'est pas demain la veille!
Après la signature de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, un
communiqué du premier ministre précisait que la France souscrivait à 39 engagements
parmi les 98 proposés par la Charte. Lors de sa déclaration consignée du 7 mai 1999,
le gouvernement français a justifié sa signature en prenant d'infinies précautions,
notamment au sujet des notions de «protection de minorités» et de «droits collectifs»:
La République française envisage de formuler dans son instrument de ratification
de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires la déclaration
suivante:
1. Dans la mesure où elle ne vise pas à la reconnaissance et la protection de
minorités, mais à promouvoir le patrimoine linguistique européen, et que l'emploi
du terme de «groupes» de locuteurs ne confère pas de droits collectifs pour les
locuteurs des langues régionales ou minoritaires, le gouvernement de la
République interprète la Charte dans un sens compatible avec le Préambule de la
Constitution, qui assure l'égalité de tous les citoyens devant la loi et ne connaît que
le peuple français, composé de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race
ou de religion. [...]

C'est seulement au moment de la ratification de la Charte européenne des langues


régionales ou minoritaires que serait précisée la liste des langues concernées —
probablement l'alsacien, le breton, le basque, le catalan, le corse, le flamand, le
provençal et l'occitan — ainsi que les engagements s'appliquant à chacune des langues. Il
semble que les dispositions applicables aux langues régionales seraient «à géométrie
variable». Quoi qu'il en soit, la France n'est pas encore prête à ratifier la Charte.
D'ailleurs, le président français, Nicolas Sarkozy (élu en 2007), a déclaré être opposé à
sa ratification:
Je sais que, depuis quelques années, en période électorale, les candidats ont pris
une mauvaise habitude: ils promettent tout et n'importe quoi aux locuteurs des
langues régionales. Ce sont, bien entendu, des promesses qui sont sans lendemain,
suscitant beaucoup d'amertume et de frustrations. Je ne suis pas de ceux-là. C'est
pourquoi je ne vous dirai pas, aujourd'hui, que je m'engage à ratifier, dès demain,
la Charte européenne. Les hommes ou les femmes politiques qui vous font cette
promesse sont des mystificateurs.

Cependant, M. Sarkozy s'est dit «favorable à ce que le droit des parents à inscrire leurs
enfants dans une classe bilingue français + langue régionale soit reconnu, dès lors que la
demande est suffisante.» Plus précisément, un enseignement bilingue à la maternelle et
au primaire serait «possible» pour les élèves dont les familles le demandent et dont le
nombre est jugé suffisant, mais il ne pourrait être imposé. Concernant la ratification de
la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Sarkozy y avait déjà
affirmé son opposition dans un discours à Besançon en mars 2007:
Si je suis élu, je ne serai pas favorable à la Charte européenne des langues
régionales. Je ne veux pas que demain un juge européen ayant une expérience
historique du problème des minorités différente de la nôtre, décide qu'une langue
régionale doit être considérée comme langue de la République au même titre que le
français.

Car au-delà de la lettre des textes il y a la dynamique des interprétations et des


jurisprudences qui peut aller très loin. J'ai la conviction qu'en France, terre de
liberté, aucune minorité n'est opprimée et qu'il n'est donc pas nécessaire de donner
à des juges européens le droit de se prononcer sur un sujet qui est consubstantiel à
notre identité nationale et n'a absolument rien à voir avec la construction de
l'Europe.

Évidemment qu'aucune minorité n'est opprimée, car juridiquement la notion de


«minorité» n'existe pas en France! M. Sarkozy disait préférer «un texte de loi posant la
reconnaissance juridique des langues régionales de France», ce qui paraissait à son avis
«beaucoup plus raisonnable et surtout plus efficace». M. Sarkozy préférait donc un texte
de loi qui ne sera jamais adopté (voir le texte de la proposition de loi de 2010) et qui serait
assujetti à une «demande» suffisante. En février 2010, le gouvernement français faisait
savoir qu'une nouvelle loi sur les langues régionales n'était «plus forcément
nécessaire». C'est le sens de la réponse que le ministre Éric Besson a adressée à
l'Assemblée nationale :
La conviction du ministre de la culture et de la communication est que le cadre
législatif laisse d'importantes marges de manœuvre qui ne sont pas toujours
exploitées. C'est pourquoi le gouvernement s'interroge sur la pertinence d'une
intervention législative supplémentaire.

En bon politicien français de tendance conservatrice, le président Sarkozy savait


comment noyer la poisson dans l'eau en assortissant tout éventuel droit à «une demande
suffisante»! Or, cette mesure est généralement perçue comme une arme dévastatrice pour
les langues minoritaires. Dans les États où une telle disposition est appliquée, la
«demande suffisante» se transforme en une façon de ne pas accorder de droit, ce qui
oblige les individus à recourir aux tribunaux. Et contre la machine de l'État, le citoyen
est bien démuni!
Pourtant, dans la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, presque toutes
les dispositions sont déjà appliquées ou applicables sans modifier les lois en vigueur.
Quand des observateurs regardent la France de l'extérieur, ils ne comprennent pas
pourquoi les politiciens français ont développé une attitude aussi timorée à l'égard de
leurs langues régionales, lesquelles devraient constituer une richesse pour le patrimoine
culturel et linguistique du pays.
En réalité, la classe politique française a toujours eu peur d'en faire «trop» pour ses
langues régionales, l'idéologie des anciens patois faisant encore partie de leur culture
politique. Pour le moment, les langues régionales demeurent sans reconnaissance et sans
statut officiels. La France, qui prône la diversité linguistique au sein des organismes
internationaux, se montre incapable de la reconnaître sur son propre territoire. C'est le
point de vue du linguiste Claude Hagège dans L'Express du 12 avril 2007:

Si nous voulons défendre la francophonie dans le monde et être crédibles, cela


suppose d'abord que la France montre qu'elle respecte chez elle sa propre diversité
linguistique. Ratifier la Charte, en expliquant aux parlementaires qu'elle est très
souple et donc peu dangereuse, irait dans le bon sens. Certes, depuis quelques
années, l'État a accompli des efforts, mais largement insuffisants. Les langues
régionales sont dans un tel état de précarité que, pour leur permettre d'échapper à
l'extinction totale qui les menace, il faudrait un investissement énorme et accepter
de prendre des risques, comme l'ont fait les Espagnols en donnant une grande
autonomie aux Basques et aux Catalans.

Il semble bien que les dirigeants français ne soient pas prêts à prendre de tels risques. La
tradition centralisatrice de l'État est depuis fort longtemps trop ancrée dans les
mentalités. De nombreux dirigeants français voient dans la Charte un complot tramé par
Bruxelles pour affaiblir la France en investissant le «terrain culturel local» et créer ainsi
«un folklore sympathique» menant à la «disparition du modèle de l'État républicain
français». Mais la vraie raison est bien politique, celle de devoir accorder des droits à
«toutes» les langues régionales de France, comme l'expliquait en février 2010 M. Xavier
North, délégué général à la Langue française et aux langues de France:
Le territoire métropolitain compte au moins une dizaine de langues régionales,
voire vingt, si l'on reconnaît la diversité des langues d'oc et des langues d'oil.
Accorder des droits opposables à une langue supposerait évidemment de les
étendre à toutes, ce qui porterait atteinte à l'indivisibilité de la République et
d'unicité du peuple français, selon les termes du Conseil constitutionnel, qui s'est
opposé pour cette raison en 1999 à la ratification par la France de la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires.

Bref, les dinosaures ne sont pas encore disparus en France et ils ont la vie dure, et ils
mènent la vie dure aux langues régionales!
3 Les changements contemporains observés
Lorsqu'on compare le français du XIX siècle et celui d'aujourd'hui, force est de constater
e

qu'il existe un certain nombre de changements, même s'ils paraissent mineurs par rapport
au XVIII siècle.
e

3.1 La phonétique
Au point de vue phonétique, nous pouvons constater dans le nord de la France une
réduction, voire la quasi-disparition, des distinctions entre la voyelle [a] antérieure et
brève dans patte et la voyelle postérieure et longue dans pâte, sauf au Québec et hors de
France (les anciennes colonies) où cette différence se maintient encore. De même, nous
pouvons noter une différence mineure entre la voyelle orale [un] dans brun et la nasale
[in] dans brin au profit de la dernière. Il est donc possible qu'un jour on assiste à des
réductions dans les autres voyelles nasales [an] dans banc et [on] dans bon.
On remarque aussi des influences notables de la graphie sur la prononciation. Par
exemple, des consonnes qui n'étaient pas prononcées il y a plusieurs décennies ont
tendance aujourd'hui à être prononcées: dompter [don-té], moeurs [meur], août [ou]
et cassis [kasi] ont tendance à devenir [domp-té], [meurss], août [outt] et [kasiss].
3.2 La grammaire et la conjugaison
Nous n'indiquerons que certaines tendances, soit les plus fréquentes. Si le passé simple
s'est bien maintenu dans la narration écrite, il est pratiquement disparu de la langue
orale. Des formes telles nous fûmes, nous connûmes, etc., sont perçues comme nettement
exagérées. C'est encore plus évident avec l'imparfait du subjonctif dans que nous
arrivassions, que vous vous reposassiez, etc., ou avec le plus-que-parfait dans que nous
nous fussions reposés ou que nous eussions fini. Si les francophones acceptent d'entendre
au théâtre dans Cyrano «il faudrait que je l'amputasse» (en parlant du nez de Cyrano), ils
poufferaient de rire en l'entendant dans une conversation normale ou dans un discours
électoral.
Tout francophone a dû travailler ferme pour apprendre les fameuses règles du participe
passé. On s'attend à voir à l'écrit «les fautes qu'il a faites», mais à l'oral la tendance est
nettement au non-accord: «les fautes qu'il a fait». Beaucoup de francophones hésitent
entre l'auxiliaire avoir et être dans «je suis tombé» et «j'ai tombé», «il a tombé» et «il est
tombé», etc.
Le futur se fait généralement en ajoutant -era, -ira ou -ra dans il mange/il mangera, il
finit/il finira. Cependant, la langue orale a tendance à préférer le futur proche dans il va
manger et il va finir ou j'vais y aller. Mais lorsque la négation est utilisée, le retour au
futur normal est quasi systématique: il ne mangera pas, il ne finira pas et j'irai pas. On
n'entend plus rarement il ne va pas manger, il ne va pas finir ou je n'vais pas y aller, une
question d'économie de moyens. Quant à la négation elle-même, le ne... a aussi tendance
à disparaître à l'oral dans il mange pas ou il finit pas.
3.3 La féminisation des noms de métiers et professions
À la fin du XX siècle, la féminisation des noms de métiers et professions a soulevé une
e

autre controverse. Cette autre réforme a commencé à entrer dans les mœurs françaises
avec la décision du ministère de l'Éducation nationale d'appeler désormais au féminin les
noms de métiers et professions exercés par des femmes relevant de son autorité. Ainsi,
toute femme employée dans ce même ministère, le plus important par le budget et par le
nombre de personnes impliquées en France, sera appelée une inspectrice, une doyenne,
une maîtresse de conférence, une professeur agrégée, une chef de service.
Le ministère français de l'Éducation nationale était alors la première administration
française à appliquer concrètement une directive récente du premier ministre prescrivant
la féminisation des titres. C'est l'ancien premier ministre français (Lionel Jospin) qui a
semblé regretter (mars 1998) que la féminisation lancée par l'un de ses prédécesseurs,
Laurent Fabius (en 1984), n'ait pu aboutir. Il avait demandé alors à une commission de
terminologie et de néologie de faire «le point sur l'état de la question», notamment «à la
lumière des pratiques passées et des usages en vigueur dans d'autres pays francophones».
On pense surtout à la Belgique et au Québec, où cette question était déjà débattue depuis
quelques années.
Or, en France, la féminisation des noms de métiers, de grades ou de fonctions s'est
toujours heurtée à de fortes oppositions, notamment de la part de l'Académie française
qui décide officiellement de ce qui est conforme à la langue. Au début de l'année 1998,
cette noble institution fondée en 1635, avait lancé une adresse solennelle au président de
la République (alors Jacques Chirac) au sujet de l'appellation Madame la Ministre,
estimant que la fonction des ministres ne leur conférait pas «la capacité de modifier [...]
la grammaire française et les usages de la langue». L'Académie française avait même
déploré l'emploi chez les Québécois des mots une auteure, une professeure, une
écrivaine et chez les Belges une sapeuse-pompière. La savante Académie a alors affirmé:
«Ce n'est pas à la France de donner l'exemple de semblables déviations, et cela, chez les
membres du pouvoir exécutif.» Évidemment, le français va changer, même contre l'avis
de la docte Académie!
Cette prise de position de l'Académie française avait suscité un tollé de protestations non
seulement au Québec et en Belgique, mais aussi chez les associations féminines
françaises, qui l'avaient jugée rétrograde. En effet, plusieurs femmes parmi les ministres
avaient répliqué qu'elles tenaient à la féminisation de leur fonction. Contrairement à
l'orthographe, espérons que la féminisation des noms de métiers, de grades ou de
fonctions aura plus de succès. Encore une fois, en matière de langue, la France semble se
montrer frileuse, tant la tradition pèse lourdement.
Cela étant dit, en catimini, une circulaire datée du 6 mars 1998 («Circulaire du 6 mars
1998 relative à la féminisation des noms de métiers, fonction, grade ou titre») émanant
du premier ministre Lionel Jospin invitait les administrations à la féminisation des noms
de métiers, titres, grades et fonctions: «Pour accélérer l'évolution en cours, j'ai demandé
à la commission générale de terminologie et de néologie de mener une étude qui, à la
lumière des pratiques passées et des usages en vigueur dans d'autres pays francophones
fera le point sur l'état de la question.»
Finalement, un guide de la féminisation a été publié en 1999 et portait le titre de Femme,
j'écris ton nom... Dans les faits, la féminisation de ces termes en France apparaît comme
un décalque de l'approche québécoise, mais jamais l'État français ne s'en est vanté. On
peut lire dans le guide ce qui suit (p. 21): «Les règles énoncées ci-dessous complètent les
recommandations formulées dans la circulaire parue au Journal officiel du 11 mars 1986.
Elles suivent de même, dans leur ligne générale, les propositions émanant de Suisse, du
Québec et de Belgique publiées entre 1991 et 1994.»
4 L'épineuse question de l'orthographe française
L'enseignement de la langue française manifeste encore aujourd'hui des signes de
conservatisme inévitables dans la mesure où les réformes de l'orthographe ont toutes
avorté, et ce, depuis plus de deux siècles: l'archaïsme et la complexité du système restent
intacts. Les linguistes dénoncent en vain le caractère arbitraire de l'orthographe, qui ne
correspond plus à la réalité linguistique contemporaine. Pour prendre un seul exemple, il
est tout de même ahurissant de constater que, dans le mot oiseau, aucun des lettres ne
soit effectivement prononcées puisqu'on dit [wazo].
4.1 La crise des langues
L'usager moyen respecte de moins en moins les normes écrites et hésite à consacrer un
temps qu'il croit disproportionné à l'apprentissage de la langue écrite. Plusieurs voient
même, dans le maintien de l'orthographe actuelle, un moyen de discrimination sociale.
Abstraction faite des prises de position idéologiques en cette matière, la détérioration de
la langue écrite se généralise et met celle-ci dans une situation critique en France, au
Québec, en Belgique et en Suisse romande.
La «crise des langues» touche aussi d'autres pays industrialisés comme les États-Unis, la
Grande-Bretagne, l'Allemagne, la Hongrie, la Chine, la Corée, la Croatie, etc., sans
atteindre toutefois des proportions aussi endémiques que dans les pays francophones,
particulièrement au Québec. Pour le linguiste Alain Rey: «La crise des langues n'est
qu'un aspect de la crise, permanente, des sociétés, et peut-être une manière d'en masquer
en partie la nature essentiellement politique.» Que le problème soit pédagogique, social
ou politique, il faudra bien un jour trouver des solutions. Après tout, les Italiens, les
Espagnols, les Hollandais et les Norvégiens ont réformé leur orthographe. En France, il
aurait fallu s'y mettre dès le XVII ou au XVIII siècle, alors que peu de gens savaient lire
e e

et écrire. Aujourd'hui, plusieurs croient qu'il est trop tard. Pendant ce temps, les
francophones ont mal à leur orthographe.
4.2 La «réforme» avortée de l'orthographe
L'année 1990-1991 a été justement marquée par ce qu'on a appelé en France «la réforme
de l'orthographe». En effet, la question de la réforme de l'orthographe a de nouveau
occupé le devant de la scène de septembre 1990 à janvier 1991, y compris durant la crise
du Golfe. Des débat publics assez vifs, relayés par les médias, ont suivi l'annonce de
propositions d'aménagement formulées en juin 1990 par les pouvoirs publics. D'autres
pays, qui se préoccupent de l'aménagement de l'orthographe de leur langue, comme
l'Espagne, les Pays-Bas, la Russie ou l'Allemagne, ignorent ce genre de polémiques.
Rappelons donc quelques faits. En octobre 1989, le premier ministre français de
l'époque, M. Michel Rocard, donnait le mandat au Conseil supérieur de la langue
française (dirigé par M. Bernard Quémada et composé de grammairiens, linguistes,
responsables de l'enseignement, écrivains, éditeurs, etc.) de réfléchir à des modifications
modérées de l'orthographe en vue d'harmoniser les orthographes hésitantes (plusieurs
milliers de mots dans cette situation) et de simplifier le système d'accentuation. Ce
mandat n'avait donné lieu à aucun commentaire.
Le Conseil supérieur présenta en juin 1990, après consultations et avis favorable de
l'Académie française, des propositions portant sur cinq points. Ces propositions,
concernant environ 1500 mots, portaient essentiellement sur les points suivants:
- le trait d'union, supprimé dans quelques dizaines de cas (porteclé, chauvesouris, etc., mais
faisant son apparition dans les numéraux au-dessus de cent (deux-cent-un);
- l'accord de certains type de noms composés: des pèse-lettres (un pèse-lettre), des après-midis,
des brises-glaces, etc.;
- l'accent circonflexe du [i] et du [u] supprimé, sauf quelques exceptions;
- les accents: harmonisation pour les verbes en - eler et - eter (il ruissèle, j'époussète);
- le participe passé de laisser suivi d'un infinitif demeure invariable.
Les réactions se sont multipliées: des écrivains, des journalistes et quelques associations
d'enseignants ont combattu ces propositions, soutenus par cinq prix Nobel. Plusieurs
furent indignés parce qu'on remettait en cause le «génie de la langue française». Des
linguistes, en revanche, défendirent le projet (Nina Catach, Claude Hagège, André
Goose, etc.), ainsi que des associations nationales et internationales d'enseignants de
français. Le gouvernement français n'a plus osé intervenir pour mettre en vigueur le
projet. Le gouvernement du Québec accueillit favorablement le projet de rectifications,
mais signifia qu'il devait être formellement appliqué en France avant de procéder à la
mise en œuvre au Québec et souhaita une concertation avec les pays francophones. Dès
lors, les académiciens apparurent partagés; le président de la République française
recommanda d'aborder ce problème «avec bon sens et gentillesse». À l'époque, les
médias français ont parlé d'un échec. C'est que, tant que la moindre modification de
l'orthographe française sera considérée comme mettant en péril l'unité de la Nation
française, il n'y aura pas de changement possible!
4.3. Les «rectifications» orthographiques
Après la publication le 6 décembre du Rapport du Conseil supérieur de la langue
française concernant les «rectifications de l'orthographe» au Journal officiel sous la
forme d'un document administratif (c'est-à-dire n'ayant aucune portée contraignante),
l'Académie française délibéra de nouveau, confirma son accord en l'assortissant d'une
«période probatoire» devant permettre à l'usage de s'établir tout en se réservant le droit
de revenir sur les rectifications.
Ainsi, il apparaît qu'il n'y aura pas d'imposition de nouvelles normes orthographiques,
mais un processus long et une polémique qui s'est éteinte peu à peu. Comme d'habitude,
c'est un échec, même si la réforme n'est pas morte. Certains groupes, peu nombreux mais
influents, ont commencé à appliquer les rectifications orthographiques. Des ouvrages de
référence tels que Le Bon Usage, le Dictionnaire de l'Académie, le Dictionnaire
Hachette, etc., font état de ces rectifications; le Petit Larousse et le Petit Robert n'ont,
jusqu'ici, adopté qu'une partie des rectifications proposées. On ne parle plus de
«réforme», mais de simples «rectifications».
Le ministère de l'Éducation de la Communauté française de Belgique et le ministère de
l'Éducation de la Suisse romande ont indiqué à leurs enseignants que l'orthographe
traditionnelle et l'orthographe rectifiée devaient coexister. L'Office québécois de la
langue française (OQLF) a adopté une attitude attentiste. Pour le moment, les
rectifications ne sont toujours pas enseignées dans les écoles, tout en demeurant peu
connues, voire inconnues du grand public. Il est possible, après tout, que la
simplification du pluriel des noms composés et la francisation des noms étrangers aient
plus de chances d'être acceptées. Néanmoins, il semble bien que l'orthographe française
continuera, selon l'expression du linguiste Pierre Encrevé, d'être «l'instrument
d'humiliation favori de l'école française, premier lieu du contrôle social».
Les efforts de simplification de l'orthographe lexicale ne constituent qu'un simple
palliatif, car c'est à l'orthographe grammaticale qu'il faudrait s'attaquer si l'on voulait
vraiment économiser du temps et de l'énergie pour le plus grand profit de
l'enseignement. Il faudrait changer le système en profondeur, comme l'ont fait dans le
passé les Espagnols, les Allemands et les Scandinaves. En attendant, les francophones
vont continuer de corriger les fautes, de blâmer les étudiants et les enseignants, de se
plaindre de leur système d'éducation et de toutes les réformes de l'orthographe.
5 La coexistence des usages
Un autre trait caractéristique de notre époque: la coexistence des normes et des usages
français. Alors que jamais le nombre des locuteurs francophones n'a été aussi élevé et
que jamais un aussi grand nombre d'États ne se sont intéressés au français, l'Autorité
traditionnelle semble être morte. L'Académie française a perdu beaucoup de sa
crédibilité et semble être devenue le vestige d'une époque révolue. Pensons à la réforme
avortée de l'orthographe et à la position controversée sur la féminisation des titres.
Aujourd'hui, les nouveaux «maîtres» de la langue sont davantage les médias et les
publicitaires, dont l'influence est autrement plus considérable que celle des académiciens
ou des terminologues. Dans ces conditions, les normes se modifient au gré des modes et
des régions où l'on parle le français.
Dans chaque région du monde où l'on parle le français, il s'est développé une prise de
conscience de la langue comme instrument d'identification nationale. Les Wallons, les
Suisses romands, les Québécois, les Acadiens, les Maghrébins, les Sénégalais, les
Ivoiriens, les Antillais, etc., ne veulent pas nécessairement parler «comme les Français».
Chaque pays, voire chaque région, a tendance à cultiver sa propre norme locale, c'est-à-
dire une variété de français qui a conservé un certain nombre de traits originaux. Il existe
des français régionaux un peu partout en France, mais aussi un français de Wallonie, un
français bruxellois, un français québécois, un français acadien, un français néo-
calédonien, etc.
5.1 Belgique, Suisse et Québec
Le français de Belgique constitue une variante régionale du français, et il est caractérisé
par des belgicismes, des wallonismes, des termes bruxellois locaux (ou brusseleir) et un
accent bien particulier. Il en est ainsi du français de Suisse caractérisé, outre un accent,
par des helvétismes (ou des romandismes) et des germanismes. Le français du Québec,
comme le français acadien, se caractérise par ses archaïsmes, ses québécismes
(ou acadianismes en Acadie) et ses anglicismes. Évidemment, les phénomènes liés au
climat, au sol et à certaines réalités locales occasionnent souvent des régionalismes
différents pour les Belges, les Suisses, les Québécois, les Acadiens et les Français.
- Les mots courants
Mentionnons des exemples connus en France (surtout dans la région de Paris), comme le
repas du matin qui s'appelle le petit-déjeuner, celui du midi, le déjeuner et celui du soir,
le dîner, alors qu'au Québec, en Belgique et en Suisse, on emploie
respectivement déjeuner, dîner et souper. Rappelons qu'en Belgique et en Suisse on
dit septante (70) et nonante (90), tandis qu'en Suisse on privilégiera huitante (au lieu
de octante) dans les cantons de Vaud, du Valais et de Fribourg, mais quatre-vingts dans
les cantons de Genève, de Neuchâtel et du Jura. Alors qu'on fait du shopping en France,
on magasine au Québec, mais dans les deux cas on peut aussi «faire des courses». Si les
Français «garent» leur voiture dans le parking, les Québécois «parquent» leur voiture
dans le stationnement. Le scooter des neiges et le jet-ski des Français deviennent
une motoneige et une motomarine pour les Québécois. Le portable des Français est
un cellulaire pour les Québécois. Si l'on mange des cacahuètes en France, on mange
des arachides ou des peanuts au Québec. Au véhicule récréatif ou VR des Québécois, les
Français préfèrent le camping car et les Belges, un mobil-home. De même, on
trouve chewing-gum en France, chique en Belgique et gomme au Québec. Ce que les
Français identifient comme étant des baskets (chaussures de sport), les Canadiens
francophones préfèrent surtout les espadrilles, bien que dans certaines régions on trouve
des runnings et, plus rarement, des sneakers ou des shoe-claques. En réponse à un merci,
un Français dira de rien, mais un Québécois répondra par bienvenu et un Belge par s'il
vous plaît. Si l'on fait la queue en Belgique et au Québec, on fait la file en France! Et il
serait possible d'aligner des centaines d'autres exemples du genre; la comparaison des
anglicismes serait aussi très pertinentes. Voici ci-dessous quelques
Belgicismes Helvétismes Québécismes
abatis: terrain partiellement
essouché
érablière: plantation d'érables
athénée: lycée de garçons à sucre
(parfois mixte) banc de neige: amas de
automate: distributeur
avant-midi: matinée neige entassée
automatique
belle-mère: lavette (vaisselle) fin de semaine: du vendredi
azorer: réprimander
bretteur: quelqu'un qui a un soir au dimanche
barboteuse: femme bavarde
fort tempérament batture: partie du littoral
canne de ski: bâton de ski
cloque (au pied): ampoule laissé à découvert à marée
cassette: petite casserole
dîner: repas du midi basse
chafetane: cafetière
dix-heures: collation en tabagie: marchand de tabac
cocoler: cajoler, dorloter
milieu de la matinée crémage: glaçage (gâteau)
couenne: croûte de fromage
doubleur: élève qui redouble pitonnage: action de pitonner
couverte: couverture
une classe biculturalisme: coexistence
cuissettes: short de sport
drache: très grosse pluie de deux cultures nationales
déjeuner: repas du matin
chicon: endive coureur des bois: chasseur-
(petit-déjeuner)
clignoteur: clignotant trappeur
dîner: repas du midi
légumier: vendeur de cabane à sucre: bâtiment
drache (fém.): averse
légumes pour fabriquer du sirop
dringuelle (fém.): pourboire
bourgmestre: maire d'érable
écolage: frais de scolarité
louangeur: personne qui loue débarbouillette: petit gant de
femme d'ouvrage: femme de
des voitures toilette
ménage
minerval: frais de scolarité poudrerie: neige en rafales
fermoir-éclair: fermeture à
carabistouilles: bêtises cinéparc: cinéma de plein air
glissière
évitement: déviation de la chefferie: candidat à la
fourrure: doublure
circulation direction d'un parti politique
gonfle: congère
flat: petit appartement chérant: qui vend trop cher
gozette (fém.): chausson aux
mofleur: professeur inflexible jobine: de job, petit boulot
pommes
aux examens motoneige: scooter des
grenette: marché couvert
mitraille: petite monnaie neiges
huitante: quatre-vingts
praline: bonbon au chocolat sapinage: branches de
imperdable (fém.): épingle de
septante: soixante-dix conifère
sécurité
septantaine: environ suisse: tamia
linge de bain: serviette de
soixante-dix traversier: bac ou ferry-boat
bain
siroperie: fabrique de sirop souffleuse: chasse-neige à
neigeoter: neiger faiblement
pelle à balayures: pelle à fraise
fricasse: grand froid
poussière mitaine: moufle
nonante: quatre-vingt-dix
pistolet: petit pain rond magasinage: faire des
taiseux: qui cause peu courses
partisannerie: esprit de parti
quétaine : de mauvais goût
quêteux: mendiant

Il n'est peut-être pas nécessaire de souligner que tous ces régionalismes ne sont
employés par tous les francophones belges, suisses ou québécois. Il y aurait sûrement
lieu de dresser une liste des acadianismes, des termes ou expressions utilisés par
les Acadiens des provinces Maritimes au Canada. Beaucoup de ces acadianismes sont
des archaïsmes originaires du Poitou ou des mots du français populaire, mais d'autres
sont des créations lexicales ou des anglicismes.
Alors qu'il était directeur du Musée de la civilisation de Québec (1988-2001), M. Roland
Arpin (1934-2010) donnait cet avis à la Commission des États généraux sur l'avenir de la
langue française, rappelant que le français est partout le même, mais en raison de son
environnement on retrouve des variantes:
La langue française d'ici, qu'on appelle parfois « le français québécois », est une langue
à part entière, issue du français de France, dont elle conserve toutes les structures, les
règles et les lois. La langue française que nous parlons au Québec découle d'une
histoire qui est la nôtre. Cette histoire passe d'abord par la France, mais elle a fait des
détours par l'Angleterre et les États-Unis, et elle subit l'influence des nombreux
immigrants venus par vagues au fil des siècles. La langue que nous parlons nous vient
prioritairement du milieu où nous l'apprenons.
On ne saurait parler exactement la même langue française qu'à Paris, à Bruxelles, à
Dakar, à Genève. La langue française est partout la même, mais en raison de son
environnement, on retrouve des variantes. Ici, la langue est rêche comme les montagnes
environnantes; là, elle chante comme le vent doux de la Méditerranée; ailleurs encore,
elle est traînante et mélancolique comme les paysans qui la parlent. Mais dans tous les
cas, il s'agit de ce présent qui nous vient de loin et que nous avons fait évoluer tout en
lui vouant le respect et l'amour que méritent nos ancêtres.

La question des anglicismes est également digne d'intérêt, car les mots empruntés à la
langue anglaise ne sont généralement pas les mêmes de part et d'autre de l'Atlantique, et
ils ne sont pas employés en même quantité. L'influence de l'anglais n'est pas aussi
importante en Europe qu'elle peut l'être en Amérique du Nord.
- Les anglicismes des Français européens
Les mots empruntés à l'anglais, que ce soit en France, en Belgique ou en Suisse, sont
reliés à des termes à la mode (récente) ou des domaines très en vogue et en grande partie
véhiculés par les médias : baskets («chaussures de sport»), briefing («exposé
verbal»), booker («personne qui fait des réservations»), camping car («véhicule
récréatif»), charter («vol nolisé»), chewing-gum («gomme à mâcher»), ferry ou ferry
boat («traversier»), e-mail («courriel»), kitchenette («cuisinette»), mountain bike («vélo
de montagne»), parking («parc de
stationnement»), pull («chandail»), pressing («nettoyeur»), sponsor («commanditaire»
ou «mécène»), webmaster («webmestre»), etc. Voici quelques exemples d'anglicismes
employée en France au cours des années 2010
- On a plein de projets
dans le pipe. (prononcé
[pajpe]
[= dans les tuyaux]
- Ok, c'est quoi les next
steps ?
[= prochaines étapes]
- Un séminaire de team
building va renforcer
notre sentiment
d'appartenance.
[= consolidation
- J'attends ton feed-back demain matin. d’équipe]
[= retour, commentaire, rétroaction] - Je vais prendre
- On va se faire sponsoriser par cet industriel. le lead sur ce projet si
[= parrainer] ça ne t'ennuie pas.
- On se fait un petit brief demain matin ?
[= aperçu, bref survol, résumé] [= contact commercial]
- Je vais te débriefer parce que tu n’as pas pu assister à la - T’es pas quelqu’un qui
réunion. est corporate dans
[= compte rendu oral] l’entreprise.
- T'es sûr d'avoir assez challengé ton équipe ? [= avoir l’esprit
[= lancer un défi, stimuler, talonner] d’entreprise]
- On fait un conf-call avec les postes demain, première heure ! - Est-ce qu’on
[= conférence téléphonique] va drinker ce midi?
- Tu penses pouvoir délivrer pour vendredi ?
[= aller prendre un
[= transmettre quelque chose]
verre avec des
- Quand tu auras tout vérifié, tu nous donneras ton GO.
collègues]
[= feu vert]
- Tu me draftes un petit truc pour la réunion de cet aprèm? - Qui n’a n'a
[= faire un brouillon] jamais forwardé un mail
- Est-ce que ce wording ne risque pas d’être confusant? à un collègue?
[= formulation / = brouiller, troubler] [= transférer /=
- J'attends de tous les collaborateurs qu'ils soient force de courriel]
proposition. - Tu n'as pas respecté
[= prendre des initiatives] le process, tu vas devoir
- Il faut un brainstorming pour aboutir sur recommencer!
un branding efficace. [= processus]
[= remue-méninges = marquage] - On vous attend pour
- Tu penses bien à me mettre dans la boucle (<loop)? un after-work après le
[= faire partie d’un projet] bureau.
[= prendre un verre
entre amis après le
travail]
- Il est temps de checker
des trucs.
[vérifier, faire des
vérifications]
- Israël est un pays où
les starts-up et
l’innovation sont
florissantes.
- [société qui démarre]

Étant donné que les Français sont relativement peu en contact avec des locuteurs de
langue anglaise, il y a peu d’anglicismes dans le registre familier du français hexagonal
et périphérique (Belgique et Suisse). Cependant, ceux-ci sont beaucoup plus présents
dans le français professionnel (commerce, marketing, politique, musique) et ils sont
associés à une ouverture sur le monde et à la modernité. L'anglais fait «bon chic bon
genre». Pour plusieurs raisons, les Français sont peu portés à la francisation des
anglicismes, sans oublier que la plupart de ces anglicismes sont prononcés «à la
française», comme l'atteste le mot ferry boat en [fe-ri-bo-at] (en anglais: [fè-Ri-bôt]. Les
Français se font imposer des mots anglais par des spécialistes du marketing à Paris, alors
que les Québécois, comme nous le verrons, ont recours aux mots anglais parce qu’ils les
entendent à l'année longue dans leur vie quotidienne; ils finissent par s’introduire dans
leur langue et à prendre une place quasi exclusive.
- Les anglicismes des Québécois
Au Québec, la situation des emprunts est différente. D'abord, l'influence de l'anglais est
beaucoup plus ancienne, car elle a débuté après 1763. Ce sont des vocabulaires entiers
qui sont entrés dans la langue des Canadiens dès cette époque. Les emprunts ont été
apportés par l'industrialisation façonnée par les Britanniques, puis plus tard par les
Américains. La plupart des emprunts sont donc liés à des réalités courantes, voire
quotidiennes: bad luck («malchance»), bargain («bonne
affaire»), blender («mélangeur»), bum («voyou»), chum («copain»), cute («joli»)), draft
(«courant d'air»), drill («perceuse»), gun («pistolet/révolver»), hose («tuyau
d'arrosage»), joke («blague»), plaster («pansement adhésif»), plug («prise de
courant»), sideline («second emploi»), strap («courroie»), slip («bordereau
d'expédition»), track («voie ferrée»), wrench («clé anglaise»), etc.
Paradoxalement, les anglicismes employés par les Français sont fortement critiqués par
les Québécois qui condamnent des mots comme baskets, ferry boat, pressing,
parking, week end, pipeline [prononcé [pajplajn]), etc., parce que, eux, ils
emploient espadrilles, traversier, nettoyeur, stationnement, fin de semaine, oléoduc, etc.
C'est voir la paille dans l'œil de l'autre pendant qu'on ne voit pas la poutre dans son œil.
Pendant que les Français, les Belges et les Suisses prononcent les mots anglais «à la
française», les Québécois les prononcent «à l'américaine».
Il faut préciser que, parallèlement, les organismes officiels, par exemple l'Office
québécois de la langue française (OQLF), sont très réticents à accepter des mots
d'origine anglaise et en font systématiquement la chasse avec le résultat que les
Québécois semblent traduire beaucoup plus les mots anglais que les Français. Toutefois,
en situation familière, la plupart des Québécois les utilisent massivement et ignorent le
plus souvent les recommandations de l'OQLF. D'ailleurs, une autre différence entre les
anglicismes européens et les anglicismes québécois ou acadiens, c'est la fréquence dans
l'emploi de ces anglicismes. On estime que les anglicismes fréquemment utilisés par les
francophones d'Europe comptent pour plus de 300 mots, notamment dans les domaines
des médias et du spectacle, des sports et des loisirs, du commerce et du travail, de
l'Internet et de l'informatique.
Au Québec, ce sont plus de 6000 mots dans tous les domaines et ces mots sont connus
par tous. Ainsi, le Le Colpron, dictionnaire des anglicismes, la 4e édiction de 1998, en
dénombre 5000. De nombreux francophones québécois ont une facilité déconcertante
pour s'exprimer avec des mots anglais qui émaillent leur discours et qui peinent à trouver
le même terme en français, quand ils ne les ignorent pas totalement. C'est généralement
la solution du mimétisme interlinguistique qui prévaut: c'est plus facile et plus commode
de recourir aux mots qu'on entend autour de soi que de chercher les équivalents proposés
par l'OQLF ou de recourir à la Banque de dépannage linguistique qui propose plus
de 300 articles faciles à consulter en ligne et tout à fait gratuitement. Par ailleurs,
comment exiger cela des locuteurs quand les mots arrivent d'abord en anglais et qu'ils
sont employés immédiatement, alors que le travail des terminologues peut être connu
beaucoup plus tard. Il faut comprendre que la quasi-totalité des anglicismes employés
par les Québécois ne sert aucunement à combler une lacune du français. Ce sont des
doublons dont la contrepartie française est par ailleurs souvent connue, comprise, mais
pas du tout employée. Ce sont des mots anglais que les locuteurs continuent de préférer
aux propositions officielles et qui, par la fréquence de leur emploi, vont probablement
passer dans la norme. Pour la plupart des locuteurs, un anglicisme, même s'il fait double
emploi avec un équivalent français, est perçu généralement comme «normal», car il
répond à un mimétisme qui est moins de nature linguistique que social, c'est-à-dire qu'il
correspond à un souci de ne pas se démarquer des autres ou de ne pas passer pour un
«policier de la langue».
Pourtant, le recours massif aux anglicismes est associé par une certaine élite québécoise
à une éducation inférieure et à un appauvrissement de la langue française. Toute
personne, en dehors du milieu scolaire, qui aurait comme attitude de vouloir corriger ses
interlocuteurs en proposant la contrepartie française aurait comme résultat de les irriter
davantage au lieu de leur faire changer leur façon de parler. Au Québec, le français peut
encore constituer un projet de société, mais il s'agit de l'emploi de la langue dans la
sphère publique, car la qualité de la langue dansa la vie quotidienne ne semble pas être
une préoccupation majeure chez la plupart des Québécois.
En Amérique du Nord, chaque personne doit librement choisir sa langue, sans contrainte
extérieure. Quand les instances compétentes, telles que l'Académie française en France
ou l'Office québécois de la langue française, proposent des termes de remplacement aux
anglicismes, il est fort à parier qu'en fin de compte c'est plutôt l’usage et non la norme
officielle qui fera le poids. Autrement dit, la légitimation sociale, celle concernant
l’implantation de l’emprunt dans l'usage, risque de l'emporter sur la légitimation
linguistique qui repose sur l’adaptation et la conformité au système de la langue. Dans
beaucoup de pays et de collectivités locales, les linguistes ont pu constater que les
locuteurs qui empruntent massivement sont généralement ceux qui attribuent à la
«langue prêteuse» une plus grande valeur qu'à leur propre langue. C'est pourquoi
l'emprunt à l'anglais demeurera toujours un facteur important à considérer dans l'analyse
de la situation sociolinguistique du Québec.
5.2 Les pays créolophones et l'Afrique
Les régionalismes français n'existent pas seulement au Québec, en Belgique ou en
Suisse. Ils sont nombreux non seulement en France, mais aussi aux Antilles, en Afrique,
dans la région de l'océan Indien (La Réunion, île Maurice, île Rodrigues) et dans le
Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie et Wallis-et-Futuna).
- Haïti
Dans presque toutes les îles des Caraïbes, les locuteurs parlent le créole comme langue
maternelle, mais le français est la langue officielle dans plusieurs îles: Martinique,
Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Haïti. Or, ces insulaires ont néanmoins
créé des régionalismes français. En Haïti, les régionalismes proviennent du vieux fonds
français ou d'emprunts sémantiques au créole.

cale: petit morceau (de pain, de viande, etc.)


aller à la commode: aller à la toilette chérant: commerçant qui vend à un prix
assesseur: conseiller municipal excessif
avoir la bouche sucrée: mal prononcer le chèqueur: personne qui touche un salaire sans
français; éprouver de sérieuses difficultés de rien faire
prononciation heure haïtienne: heure approximative
baroque: impoli, mal élevé correspondant à un retard assez important
bébé: belle femme macoute: récipient ou sac fait de grosse toile;
bêtiser: raconter des bêtises homme de main (politique)
bonjour: ne se dit que jusqu'à midi machine: voiture, automobile
bonsoir: ne se dit qu'à partir de midi morne: petite montagne isolée de forme
bourgeois: personne riche arrondie
patate (gagner une): gagner son pain

- Martinique et Guadeloupe
Comme dans le cas d'Haïti, les régionalismes français de la Martinique et de la
Guadeloupe proviennent de la souche antillaise et créolophone. Là aussi, les archaïsmes
français sont fréquents, mais les constructions populaires abondent également. Si les
Français habitant la Martinique et la Guadeloupe ont tous le français comme langue
maternelle, il y a aussi des Noirs et des Mulâtres qui l'ont adopté, bien que la plupart des
Martiniquais et des Guadeloupéens l'utilisent généralement comme langue seconde.

argent braguette: allocations familiales


couleuvre: boa
bailler: donner
couresse: couleuvre
biguine: danse traditionnelle des Antilles
grand-bras: variété de grosses crevettes
bombe: petit car (bus) rapide
morne: petite montagne isolée de forme
cabaret: plateau
arrondie
combat de coqs: conflits entre deux
queue-rouge: variété de grosses crevettes
hommes (mâles)
ti-bois: sorte de tambour
commère: amie, femme bavarde; mère de
trace: sentier en montagne
l'enfant (par rapport à la marraine)
zhabitant: personne qui habite la campagne
compère: parrain (par rapport au père) ou
zouker: danser sur du zouk (danse)
père de l'enfant (par rapport au parrain)

- Île de la Réunion et île Maurice


Les îles «francophones» de l'océan Indien partagent avec les Antilles un fonds
créolophone. Les régionalismes de l'océan Indien francophone, l'île de La Réunion et
l'île Maurice, sont caractérisés par le recours aux archaïsmes et à des emprunts locaux.
Les insulaires parlent le créole comme langue maternelle et le français comme langue
seconde.
âge cochon: adolescence (Maurice) ariner: pleuvoir d'une pluie fine
argent-z'enfants: allocations familiales goûter: petit déjeuner
avoir la coco dur: avoir la tête dure gros-doigt: personne maladroite
bazardier: commerçant d'un marché hisser-pousser (masc.): marchandage
(Maurice) (Maurice)
bureau de deuil: entreprise de pompes mariage derrière la cuisine: relations
funèbres (Maurice) sexuelles clandestines
cocasse: mignon (Maurice) piton: toute élévation du relief
commandeur: contremaître rhumé: ivre (de rhum)
contour: virage soulaison: être ivre
couillonnisse: imbécillité, idiotie, bêtise tortue-bon-Dieu: coccicelle
cuiteur: légèrement pris de boisson virer son pantalon: retourner sa veste ou
culottes grandes manches: pantalon long changer d'idée (cf. virer capot au Québec)
cuscute: importun (Maurice) zhabitan: cultivateur; demeuré

- Nouvelle-Calédonie
En Nouvelle-Calédonie (océan Pacifique), les régionalismes employés dans le français
local sont appelés des néo-calédonismes. Le français de cette région du Pacifique doit
parfois à l'anglais un certain nombre de ses mots. Les Néo-Calédoniens d'origine
mélanésienne utilisent le français comme langue seconde, et les Français évidemment
comme langue maternelle.

baby-boy: bébé mâle lotomanie: manie de la loterie


boîte à sardines: habitation en tôle, mutoï: policier
surpeuplée nordiste: qui est originaire du Nord de la
broussard: quelqu'un qui habite hors de la France (Paris)
capitale (Nouméa) package: voyage organisé (par une agence)
buggy: véhicule léger, haut sur quatre roues, et peep: jeep
tiré par un cheval pétrolette: canot automobile
Canaque: Mélanésien popinette: jeune fille (mélanésienne)
cash: (payé) argent comptant poquène (masc.): anglophone
coaltar (masc.): goudron samourai: travailleur immigré d'origine
creek: cour d'eau japonaise
djumper: accaparer sandwich (masc.): immigré de l'île Vaté (ou
emboucané: empoisonné Sandwich)
féminines: femmes tayo (masc.): ami; homme
gratteur: coureur de jupons trou d'eau: puits
hachot: hachette varande (fém.): véranda
jeannerie: boutique de jeans piquette: bière maison

- L'Afrique
L'un des effets de la décolonisation a été l'adoption du français comme langue officielle
par de nombreux États africains. Les dirigeants des nouveaux pays avaient tous une
bonne connaissance du français et parfois ils en avaient adopté l'usage. Le français est
donc devenu une langue incontournable dans les États officiellement francophones où il
se sont élaborés des «africanismes». Dans les pays d'Afrique,
les africanismes correspondent aux régionalismes utilisés en français dans les pays
d'Afrique francophone. Les anciennes colonies françaises du continent africain ont
développé un certain nombre de termes spécifiques utilisés par les élites qui connaissent
le français. Certains termes désignent des réalités régionales et plusieurs correspondent à
des formations populaires. Évidemment, les régionalismes ne sont pas nécessairement
employés par tous les locuteurs parlant français. Rappelons que pour les Africains
d'origine le français n'est utilisé que comme langue seconde.
aller au bord: faire ses
gagner son mil: gagner son
besoins dans la nature [au chameau: dromadaire
pain (Togo)
bord de l'eau] (Côte d'Ivoire) (Maroc)
gargote: petit restaurant bon
alphabète: personne qui a change (masc.): monnaie à
marché (Sénégal)
appris à lire et à écrire rendre (Togo)
gossette: petite amie
(Burkina Faso) chercher le marché: courir
(Sénégal)
ambiancer: faire la fête les filles (Togo)
heure africaine: heure
(Sénégal) chicoter: frapper avec la
approximative correspondant à
article quinze: système D chicote [= cravache] (Togo)
un retard assez important
(Congo-Kinshasa) cigaretter: fumer des
(Sénégal)
avocat: bénéficiaire d'un pot- cigarettes (Togo)
indexer: indiquer du doigt
de-vin (Congo-Kinshasa) concourant: candidat à un
(Burkina Faso)
avoir la bouche sucrée: concours (Burkina Faso)
jaguar (être): être élégant et à
aimer parler (Bénin) copiste: copieur, tricheur
la mode (Bénin)
avoir une grande bouche: (Mali)
lampion: dispositif lumineux
avoir la langue bien pendue débrouillé: personne qui se
placé sur le toit d'un taxi
(Niger) débrouille dans une langue
(Sénégal)
avoir la bouche qui marche étrangère (Mali)
londonnienne: prostituée des
beaucoup: avoir la langue démarreur sexuel: vendeur
boîtes à Blancs (Congo-
bien pendue (Centrafrique) d'aphrodisiaques (Côte
Kinshasa)
avoir une mémoire de d'Ivoire)
macas: pâtes alimentaires
poule: avoir la tête de linotte deuxième bureau: maîtresse
(Niger)
(Mali) d'un homme marié (Bénin)
ménagerie: travaux ménagers
balle perdue: enfant fait hors enceinter: rendre enceinte
(Bénin)
mariage (Togo) (Togo)
pain chargé: sandwich
bandicon: imbécile (Mali) essencerie: station service
(Sénégal)
berceuse: bonne d'enfant (Sénégal)
parentisme: népotisme (Togo)
(Burkina Faso) être au besoin: aller aux
portier: gardien de but au
blanc-bec: Blanc toilettes (Togo)
football (Sénégal)
incompétent (Congo- faire les couloirs: se faire
radio-trottoir (fém.): diffusion
Kinshasa) recommander pour obtenir
d'informations parallèle au
bonne arrivée: formule de une faveur (Mali)
discours politique officiel
bienvenue (Bénin) faire coup d'État: prendre à
(Congo-Kinshasa)
bonsoir: bonjour (Congo- quelqu'un son ou sa petit(e)
serruté: fermé à clef (Sénégal)
Kinshasa) ami(e) (Mali)
slipé: qui porte un slip
bordel: prostituée (Togo) faire le ronron: se rendre
(Sénégal)
bouffement: nourriture intéressant, faire le malin
sous-marin: amant d'une
(Tchad) (Côte d'Ivoire)
femme (Bénin)
boule de neige: chou-fleur faire ses besoins: vaquer à
se toiletter: se laver (Bénin)
(Sénégal) ses occupations (Sénégal)
typesse: femme de peu
boyesse (fém.): de boy, femme savante: étudiante
d'intérêt (Togo)
femme de ménage (Congo- universitaire (Congo-
valise diplomatique: attaché-
Kinshasa) Kinshasa)
case (Congo-Kinshasa)
broussard: personne qui fiançailles académiques:
vélo poum-poum: vélomoteur
habite la province (Sénégal) liaison éphémère durant
(Mali)
cabiner: faire ses besoins l'année universitaire (Congo-
vidange (fém.): bouteille vide
(Sénégal) Kinshasa)
(Rwanda)
camembérer: sentir des fonctionner: être
zognon: oignon (Centrafrique)
pieds (Sénégal) fonctionnaire (Togo)
zondomiser: éliminer un rival
campusard: étudiant qui gagner l'enceinte: être
de façon violente (Congo-
habite le campus universitaire enceinte (Bénin)
Kinshasa)
(Congo-Kinshasa)

De plus, les régionalismes n'apparaissent pas seulement dans le lexique, mais aussi dans
la phonétique et la grammaire. C'est ainsi que tous les francophones ont leur accent,
même les Français. Cependant, pour un Québécois, l'«accent français» est souvent
confondu avec un accent «européen», car même un Allemand parlant français pourra être
perçu comme ayant un «accent français»!
Tous ces régionalismes provenant de plusieurs pays francophones peuvent être
appelés francophonismes, et ce, qu'ils soient d'origine française, belge, suisse,
québécoise, acadienne, antillaise, mauricienne ou ivoirienne. Ils démontrent qu'il y a
différentes façons d'employer la langue commune, c'est-à-dire que plusieurs normes
coexistent tout en demeurant du français.
Cela étant dit, les francophones se permettent de moins en moins d'ignorer la langue
commune — le français standard —, mais ils ne semblent plus hantés par les questions
relatives à la «pureté», à la «distinction» et à la «qualité». La spontanéité et l'aspect
fonctionnel comptent davantage, sans mettre en péril la communication. Un phénomène
nouveau est apparu: la France est certes le berceau historique de la langue française,
mais elle n'en est plus le propriétaire exclusif. Cette langue appartient maintenant à de
nombreux peuples et à plusieurs États qui se partagent cette langue.
6 La normalisation et la législation linguistique
Notre époque subit l'influence de la suprématie de l'anglais dans le monde. Le français
ne fait pas exception à la règle: l'industrie du spectacle, les produits industriels, les
sciences et les nouvelles technologies, les moeurs des États-Unis enrichissent la langue.
Mais le français semble réussir convenablement à se protéger contre l'anglais pour
renouveler son lexique en recourant à des organismes linguistiques.
6.1 La normalisation et les organismes linguistiques
À l'instar de plusieurs pays, le gouvernement français a institué de nombreux organismes
chargés de créer une terminologie française et d'assurer la défense et l'expansion de la
langue.
En France, l'Académie française rend obligatoires certains mots nouveaux; le Haut-
Comité de la langue française veille à la qualité de la langue; l'Association française de
terminologie, qui agit conjointement avec l'Office québécois de la langue française
(OQLF) et le Service de la langue française de la Communauté française de Belgique,
s'occupe de néologie en recensant les besoins et en créant de nouveaux mots.
Depuis 2001, la Délégation générale à la langue française et aux langues de
France (DGLFLF), rattachée au ministère français de la Culture et de la
Communication, joue un rôle de réflexion, d'impulsion et de coordination, en assurant le
suivi des dispositifs législatifs et réglementaires (loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de
la langue française) et en s'appuyant sur un réseau d'organismes partenaires (Conseil
supérieur de la langue française, Commission générale de terminologie et de
néologie). La DGLFLF soutient et coordonne l'action des différents acteurs qui
concourent à l'élaboration des néologismes (commission générale de terminologie et de
néologie, Académie française, commissions spécialisées, ministères partenaires, etc.) et
s'emploie à mettre ces ressources à la disposition du public. De plus, la DGLFLF
concourt par son action à la diffusion de la langue française en Europe et dans le monde.
Par ailleurs, la Délégation générale a maintenant pour mission de prendre en compte, aux
côtés du français, les langues régionales parce que celles-ci constituent «un patrimoine
immatériel vivant et créatif» et qu'elle sont partie prenante d'une politique en faveur de la
diversité culturelle et linguistique. La DGLFLF contribue à promouvoir et faire
connaître le patrimoine et les productions contemporaines qui s'expriment dans les
langues de France; elle soutient la mise en valeur de ces langues par le théâtre, la
chanson, le livre, et toutes disciplines où la langue est instrument de création; elle
contribue à élargir leur espace d'expression en favorisant leur emploi dans les champs de
la modernité culturelle et technique, comme l'audiovisuel et le multimédia. Selon la
DGLFLF, les langues appelées «langues régionales» sont celles parlées par des «citoyens
français» depuis assez longtemps sur le territoire national pour faire partie des richesses
communes, comme le flamand, le basque, le corse, les créoles ou le tahitien. Sont
appelées dorénavant «langues minoritaires» les «langues non territoriales» (extérieures à
la France) comme l'arabe dialectal, le romani (tsigane), le berbère ou le yiddish.
En Belgique, le Service de la langue française de la Communauté française de
Belgique est chargé de mettre en oeuvre la politique de la langue française en
Communauté française, en collaboration avec le Conseil supérieur de la langue
française, ce dernier étant un organisme consultatif chargé de conseiller le ministre ayant
la langue dans ses attributions sur toute question relative à l'usage et à la diffusion de la
langue française. Depuis sa création, le Service de la langue française réalise
concrètement les tâches qui relèvent d'une politique de la langue française en
Communauté française, notamment l'image du français auprès des Wallons et des
Bruxellois, l'évaluation des compétences écrites des élèves des deux dernières années du
secondaire général, du technique et du professionnel, les modalités d'enseignement de la
grammaire, la situation du français dans les sciences en Communauté française, la
situation du français à Bruxelles, les besoins et ressources terminologiques en
Communauté française de Belgique, l'identification des normes sociolinguistiques des
francophones belges et les particularités lexicales du français de Belgique dans les
langues de spécialité.
Au Québec, l'Office québécois de la langue française a pour missions de définir et de
conduire la politique québécoise en matière d'officialisation linguistique, de terminologie
ainsi que de francisation de l'Administration et des entreprises; de veiller à ce que le
français soit la langue habituelle et normale du travail, des communications, du
commerce et des affaires dans l'Administration et les entreprises; de surveiller l'évolution
de la situation linguistique au Québec et d'en faire rapport tous les cinq ans au ministre;
d'assurer le respect de la Charte de la langue française; de prendre les mesures
appropriées pour assurer la promotion du français. La Charte de la langue française a
institué aussi deux autres organismes: la Commission de toponymie et le Conseil
supérieur de la langue française.

En Suisse, la Délégation à la langue française (DLF) est un organe d'études, de


consultation et de proposition, ainsi que de représentation de la Conférence
intercantonale de l'instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP). La
DLF de Suisse a pour missions principales d'observer les pratiques et usages de la langue
française en Suisse, en Suisse romande avant tout (fonction d'observatoire), de formuler
des avis sur l'enseignement des langues, du français en particulier, ainsi que sur les
questions générales de politique linguistique (fonction de service linguistique), de
représenter la Suisse auprès des instances analogues dans les pays de langue française
(fonction de représentation, de coordination et d'information). Outre les rectifications de
l'orthographe et de la féminisation des termes de fonction et métier, la DLF s'occupe
aussi des questions liées à l'image et à la présence du français en Suisse et dans le
monde, à la langue française dans l'information scientifique et dans les nouvelles
technologies, à la place et l'usage du français dans un contexte plurilingue, etc.
Le Réseau international de néologie et de terminologie (RINT) est une organisation
internationale vouée au développement terminologique et à la coopération en matière
d'aménagement linguistique. Le Conseil international de la langue française réunit des
spécialistes de tous les pays francophones et publie des travaux terminologiques
importants; il coordonne également le travail de certaines commissions de terminologie.
La législation française interdit même l'emploi exclusif d'une langue étrangère en France
dans la présentation des produits de consommation.
La profusion terminologique gagne la langue commune, qui présente des traits
techniques évidents, voire technocratiques. Parallèlement, la publicité apporte sa
contribution: des mots ou expressions plus populaires sont diffusés à l'échelle de pays
entiers. Bon an mal an, le français s'enrichit de 60 000 à 70 000 mots nouveaux,
provenant de sources diverses telles que les milieux scientifiques, industriels,
commerciaux, publicitaires et journalistiques. C'est là le signe manifeste du dynamisme
de la langue.
6.2 La langue officielle et la loi Toubon
Du côté juridique français, les dispositions constitutionnelles portant explicitement sur la
langue étaient inexistantes jusqu'en 1992. La langue française était la langue officielle de
la République française dans les faits (de facto) parce que cette reconnaissance n'avait
jamais été proclamée ni dans la Constitution de 1958 ni d'ailleurs dans aucun texte de
loi. Cependant, la Loi constitutionnelle no 92-554 du 25 juin 1992 a apporté des
modifications à la Constitution française de 1958, notamment à l'article 2 qui se lit
maintenant comme suit: «La langue de la République est le français.»
Pour le gouvernement de la France, le français est la langue de la République, c'est-à-
dire la langue de l'unité nationale et des institutions publiques, celle de l'égalité de tous,
une composante fondamentale du lien social, l'un des facteurs les plus importants
d'égalité et d'intégration. Afin d'atteindre l'objectif d'assurer le respect du français sur le
territoire national et de garantir son emploi dans tous les actes de la vie sociale, le
gouvernement a adopté la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue
française.
Cette loi, appelée aussi loi Toubon – présentée par le ministre de la
Culture et de la Francophonie Jacques Toubon (gouvernement
Balladur) –, se substitue à la loi du 31 décembre 1975, dont elle élargit le
champ d'application et renforce les dispositions. Cette nouvelle loi
française précise que l'emploi de la langue française est obligatoire dans
un certain nombre de situations et affirme ainsi un droit au français pour
les consommateurs, les salariés, le public. L'imposition de ces règles est
assortie des moyens pour les faire respecter. On peut consulter le texte
Jacques complet de la loi Toubon en cliquant ici, s.v.p.
Toubon
La loi Toubon précise successivement les conditions dans lesquelles
l'emploi du français est obligatoire afin que les consommateurs, les
salariés, les usagers, le public, soient assurée de comprendre les
indications qui leur sont données et afin que le français soit naturellement
la langue dans laquelle se déroulent les activités qui ont lieu sur le
territoire national, notamment l'enseignement et les émissions de radio et
de télévision. Il prévoit que la présentation en langue française peut
toujours être accompagnée d'une traduction en langue étrangère.

Ainsi, les articles 1er, 2 et 3 imposent l'usage du français pour la PRÉSENTATION


DES BIENS ET SERVICES et les procédés d'information destinés aux
consommateurs, ainsi que pour les inscriptions et annonces faites dans les lieux ouverts
au public et les transports en commun. L'article 4 prévoit que les contrats passés par des
personnes publiques sont rédigés en français. L'article 5 impose des exigences minimales
pour l'organisation des congrès et colloques. Les articles 6, 7 et 8 sont relatifs à la
protection des salariés et précisent que les contrats de travail, les offres d'emploi et les
documents internes à l'entreprise, qui s'imposent aux salariés ou leur sont nécessaires
pour l'exécution de leur travail, sont rédigés en français.
Quant à l'article 9, il affirme que la langue de l'ENSEIGNEMENT est le français. Les
articles 10 et 11 rendent l'emploi du français obligatoire dans les émissions et les
messages publicitaires des organismes de radio et de télévision et donnent mission à ces
organismes de contribuer à la protection et à la promotion de la langue française.
L'article 12 porte sur le CODE LINGUISTIQUE: il interdit aux personnes publiques,
ainsi qu'aux personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public,
de faire usage de marques comportant une expression ou un terme étranger.
Les articles 13 à 18 prévoient un DISPOSITIF DE CONTRÔLE de nature à permettre
une bonne application de la loi: retrait des subventions éventuelles, intervention des
officiers de police judiciaire, des agents chargés de l'application du Code de la
consommation et des associations de défense de la langue française dans le mécanisme
de contrôle, caractère d'ordre public de la loi. Les sanctions pénales applicables, qui
seront de nature «contraventionnelle», seront prévues par décrit en Conseil d'État.
L'article 19 préserve la place des langues régionales du pays. Pour de plus amples
explications sur ce sujet, il faut se reporter à la partie de ce site intitulée «La politique
des langues régionales et minoritaires».
L'article 20 prévoit les DÉLAIS NÉCESSAIRES à l'entrée en vigueur de la loi,
notamment pour la mise en conformité des dispositions relatives à la publicité, aux
annonces et à l'affichage.
Enfin, l'article 21 prévoit l'ABROGATION de la loi du 31 décembre 1975 relative à
l'emploi de la langue française, dans des délais différents, mais cohérents avec l'entrée en
vigueur des dispositions nouvelles. On peut consulter le texte intégral de la loi du 4 août
1994 relative à l'emploi de la langue française.
Cependant, afin de valoriser l'image de la langue française et contribuer à la mobilisation
des Français, mais aussi des francophones et des francophiles autour de sa vitalité, de
son rayonnement et de ses enjeux culturels, économiques et sociaux, une politique de
sensibilisation a été mise en place, qui vise:

- le grand public, et tout d'abord les jeunes;


- les prescripteurs, c'est à dire ceux qui interviennent dans des domaines stratégiques pour la
qualité et la diffusion de la langue et des mots : presse, radio et télévision, publicité,
institutions culturelles;
- les entreprises.

Grâce à cet instrument juridique, la France se trouve dotée d'une véritable législation
linguistique destinée à assurer le maintien du français tant à l'intérieur de ses frontières
qu'à l'extérieur. Il n'en demeure pas moins qu'une politique linguistique si ambitieuse sur
le plan international demeure rare dans le monde.
6.3 Les autres pays francophones
En Belgique, le gouvernement de la Communauté française a adopté plusieurs décrets
à caractère linguistique. Les décrets réglementent l'emploi de la langue française dans les
domaines de la radiotélévision et des relations sociales entre les employeurs et leur
personnel; le Décret sur la défense de la langue française du 12 juillet 1978 reste l'un
des principaux textes juridiques. Le décret imposait l'usage de termes français à la place
de termes étrangers dans une série d'actes et de documents d'intérêt public; cette mesure
visait notamment à combattre les anglicismes. En ce qui a trait au code linguistique (la
langue elle-même), le Service de la langue française de la Communauté française de
Belgique a établi huit grandes actions pour une politique de la langue française:
- la recherche et la publication de données objectives sur la situation du français;
- l'enrichissement de la langue française : néologie et terminologie;
- la féminisation des noms de métier, de fonction, de grade ou de titre;
- l'amélioration de la lisibilité des textes administratifs;
- la promotion du français dans les sciences;
- la promotion du plurilinguisme et du français dans les institutions de l'Union
européenne;
- la sensibilisation du public à sa langue;
- la coopération avec les autres organismes de promotion de la langue française.
Au Québec, la Charte de la langue française de 1977 demeure l'une des lois les plus
célèbres dans le monde francophone, probablement parce qu'elle a été adoptée par un
État non souverain qui cherchait à renverser une situation devenue inacceptable pour la
minorité francophone du Canada. De façon générale, il n'est pas courant qu'un État non
souverain protège «trop» sa langue régionale aux dépens de la langue majoritaire à
l'échelle nationale. La stratégie linguistique de la Charte de la langue française reposait
sur trois principes généraux visant à corriger les problèmes qui traînaient en longueur
depuis plusieurs décennies:
- endiguer le processus d'assimilation et de minorisation des francophones;
- assurer la prédominance socio-économique de la majorité francophone;
- réaliser l'affirmation du fait français.
Cette loi rejetait le bilinguisme officiel ou généralisé, dont l'expérience passée a
démontré qu'il constituait la plus grande menace à la vitalité du français au Québec,
parce qu'il entraînait la dégradation de la langue de la majorité (provinciale), favorisait
l'unilinguisme des anglophones (québécois) et assurait la prédominance de l'anglais dans
tous les secteurs de la vie québécoise.
La Louisiane a retrouvé son sentiment identitaire francophone, mais celui-ci ne repose
pas sur une législation linguistique. En effet, par la création du CODOFIL (''Council for
the Development of French in Louisiana''), l'État a transféré ses pouvoirs à cette agence
gouvernementale qui a pour mandat de «faire tout ce qui est nécessaire pour développer,
utiliser et préserver la langue française telle qu'elle existe en Louisiane, dans l'intérêt
culturel, économique et touristique de l'État». C'est la Loi établissant le Conseil pour le
développement du français en Louisiane (Enabling Act for the Council for
Development of French in Louisiana) ou loi 409 de 1968 qui sert de «loi linguistique»,
mais qui correspond en fait à une loi scolaire autorisant l'enseignement du français dans
les écoles.
En Suisse, il n'y a pas de loi linguistique du genre adoptée par les cantons francophones;
mais il y en a dans le canton des Grisons (allemand-italien-romanche) et le canton du
Tessin (italien).
7 Le français dans les organisations internationales
Le traité de Versailles (1919) a marqué la cessation du privilège du français comme
langue diplomatique: il a été rédigé à la fois en anglais et en français. L'après-guerre a
entraîné de profonds changements sociaux par l'urbanisation généralisée, l'amélioration
du niveau de vie des classes ouvrière et rurale, la force d'organisation des travailleurs.
Les classes sociales s'interpénétrèrent et démocratisèrent la langue.
Il faut souligner aussi le rôle des moyens de diffusion dans l'évolution du français
contemporain. Depuis l'expansion des médias électroniques, on remarque
l'importance retrouvée de la langue parlée par rapport à la langue écrite; l'efficacité et la
spontanéité de la langue parlée préoccupent davantage les contemporains que la "pureté"
du français. Même la presse écrite tend à la simplification de la syntaxe par l'emploi de
formules-chocs et de slogans. L'omniprésence de la publicité favorise le goût de
l'intensité et de l'expressivité ainsi que la recherche quasi systématique de l'effet.
Il existe plusieurs volets au caractère international de la langue française. Il s'agit d'abord
de l'organisation la plus prestigieuse, l'ONU, et des organisations non gouvernementales
(ONG) et de la Francophonie. Ce dernier volet constitue une partie distincte qu'on peut
consulter sous le nom de Francophonie.
7.1 L'Organisation des Nations unies
Au lendemain même de la Seconde Guerre mondiale, naissait l'organisation-mère, c'est-
à-dire l'organisation-modèle de tout le système international contemporain:
l'Organisation des Nations unies, qui remplaçait la Société des Nations. L'Assemblée
générale, lors de sa première session, le 1er février 1946, adopta la résolution n° 2 portant
approbation du Règlement concernant les langues. Celui-ci précise, dans son article 1er:

Dans tous les organismes des Nations unies autres que la Cour internationale de
Justice, le chinois, l'anglais, le français, le russe et l'espagnol sont les langues
officielles. L'anglais et le français sont les langues de travail.

Plus tard, on ajouta l'arabe. La distinction entre langue officielle et langue de travail
n'est pas, à vrai dire, clairement établie sur le plan juridique et fait, aujourd'hui encore,
l'objet de controverses. On retiendra, en prenant l'ONU pour modèle, que le statut de
langue officielle implique que toute réunion officielle soit pourvue de l'interprétation
simultanée de et vers la langue qui bénéficie de ce statut, que les documents
préparatoires et les projets de résolution soient disponibles dans cette langue en temps
voulu, que les comptes rendus et les rapports le soient également.
Le statut de langue de travail implique, quant à lui, que le travail des fonctionnaires
internationaux interne à l'organisation puisse être effectué, verbalement et par écrit, dans
une des deux langues de travail, d'où la nécessité pour ces fonctionnaires de connaître
l'une de ces deux langues pour être recrutés et, si possible, de connaître, au moins
passivement, l'autre langue, ou à défaut, d'être mis en mesure, par la traduction ou
l'interprétation, de la comprendre. En outre, tout délégué doit pouvoir également
s'exprimer, verbalement et par écrit, dans l'une des deux langues de travail, dans ses
relations avec le secrétariat de l'Organisation, toute activité linguistique officielle du
secrétariat (affiches, brochures, inscriptions de tout ordre, menus des restaurants,
explications des guides, etc.) devant s'effectuer dans ces deux langues.
Voici les organismes des Nations unies où le français est l'une des langues officielles et
l'une des langues de travail:
- Assemblée générale, New York;
- Conseil de sécurité, New York;
- Conseil économique et social, Genève;
- Conseil de tutelle, New York;
- Cour internationale de Justice, La Haye;
- Secrétariat, New York.
7.2 Les organismes rattachées aux Nations unies
Dans les organisations rattachées à l'ONU, on ne fait pas la différence entre le statut de
langue officielle et celui de langue de travail. Dans la plupart des cas, le statut unique de
langue officielle ou, pour quelques organisations, selon une terminologie approximative,
de "langue de travail" donne à la langue qui en bénéficie les droits cumulés des deux
statuts. Cependant, certaines organisations interprètent ce statut comme ne conférant qu'à
la seule langue officielle la plus utilisée (et c'est, en général l'anglais, mais parfois le
français) le statut juridique de langue de travail.
À ces exceptions près, le français bénéficie juridiquement, dans la quasi-totalité des
organisations internationales du système des Nations unies, du statut maximum. Tel est
le cas, non seulement, en application de la résolution de 1946, à l'ONU proprement dite
(Assemblée générale, Conseil de sécurité économique et social, Conseil de tutelle,
Secrétariat et, en application de son règlement particulier, Cour internationale de Justice)
et dans les organismes qui en dépendent directement (Offices des Nations unies de
Genève et de Vienne, Commissions économiques régionales – CEE/NU, CESAP, CEA,
CEPALC et CESAO –, CNUCED, PNUE, CNUEH, UNICEF, PNUD, HCR, UNWRA,
organisations internationales par produit, etc.), mais aussi, conformément au paragraphe
b) de la résolution de 1946 dans les institutions spécialisées et rattachées: ONUDI, OIT,
FAO/OAA, PAM et FIDA, UNESCO, OMS, OMM, OACI, OMPI, UIT, OMI, et
d'autres.
Voici ces organisations:
- Commission économique pour l'Europe (CEE/NU). Genève;
- Commission économique et sociale pour l'Asie et le Pacifique (CESAP), Bangkok;
- Commission économique pour l'Afrique (CEA), Addis-Abeba;
- Commission économique pour l'Amérique latine et les Caralbes (CEPALC), Santiago;
- Commission économique et sociale pour l'Asie de l'Ouest (FSA Ammane;
- Offices des Nations unies, Genève et Vienne;
- Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), Genève;
- Commission des droits de l'homme, Genève;
- Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), Genève;
- Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) à Nairobi;
- Centre des Nations unies pour les établissements humains (CNUEH) à Nairobi;
- International Cocoa Organisation, Londres;
- International Coffee Organisation, Londres;
- Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), New York;
- Fonds des Nations unies pour l'enfance (FISE), New York;
- Centre international pour le développement de l'enfant (UNICEF), Florence;
- Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNWRA),
Vienne.
- Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), Vienne;
- Organisation mondiale de la santé (OMS), Genève;
- Organisation internationale du travail (OIT), Genève;
- Organisation mondiale de la propriété industrielle (OMPI), Genève;
- Union internationale des télécommunications (UIT), Genève;
- Organisation météorologique mondiale (OMM), Genève;
- Union postale universelle (UPU), Berne;
- Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (OAA-FAO) Rome;
- Programme alimentaire mondial (PAM), Rome;
- Fonds international pour le développement agricole (FIDA), Rome;
- Organisation des Nations unies pour l'Éducation, la Science et la Culture (UNESCO), Paris;
- Organisation maritime internationale (OMI), Londres;
- Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), Montréal;
- Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Vienne
- Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), Genève.
- Banque mondiale, Washington;
- Fonds monétaire international (FMI), Washington.
À ces organismes on peut ajouter les banques régionales suivantes:
- Banque de développement africaine, Abidjan
- Banque de développement interaméricaine, Washington;
- Banque de développement asiatique, Manille;
- Banque de développement des Caraïbes, Saint-Michel (Barbade)
Toutefois, certaines exceptions sont prévues en ce qui a trait à l'usage du français dans
certains organismes rattachés à l'Onu:

- à l'AIEA et la Banque interaméricaine de développement, le statut de langue officielle qui


est celui du français n'est pas interprété juridiquement comme lui donnant les droits de
langue de travail;
- au FMI et à la Banque des Caraïbes, le français est exclu, explicitement dans le premier
cas, par omission dans le second, du statut langue de travail;
- à l'UPU, le français est en principe la seule langue officielle et la seule langue de travail,
diverses dérogations étant admises dans les deux domaines par le règlement intérieur.

7.3 Les grandes organisations internationales indépendantes de l'ONU


Les organisations indépendantes du système des Nations unies se recensent par centaines
si l'on tient compte notamment non seulement des institutions et organismes centraux
mais également de leurs comités, offices, bureaux décentralisés. Or, la situation du
français y est importante et particulière.
Le français se voit reconnaître dans la plupart d'entre elles le statut de langue officielle
sans qu'il ne soit fait mention de langue de travail. Tel est le cas à la Commission des
Communautés européennes (neuf langues officielles: français, allemand, anglais, danois,
espagnol, grec, italien, néerlandais, portugais), à l'OTAN, à l'OCDE, au Conseil de
l'Europe, à l'UEO, à la Commission du Pacifique Sud, à l'OIPC-INTERPOL, à la BERD,
à l'OEA, à l'OUA. Dans toutes ces organisations, le statut de langue officielle entraîne,
juridiquement parlant, le statut de langue de travail au sens indiqué ci-dessus. À l'OCTI,
le français est dit langue de travail, ce qui correspond au double statut. À l'inverse, à
l'INTELSAT et à l'INMARSAT, le français est langue officielle mais n'est pas admis,
comme à l'AIEA et à la Banque interaméricaine de développement, à titre de langue de
travail.
Voici la liste des ces organisations internationales:
- Commission des Communautés économiques européennes (CEE), Bruxelles;
- Organisation de coopération et de développement économique (OCD E) , Paris;
- Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), Bruxelles;
- Union de l'Europe occidentale (UEO), Londres;
- Conseil de l'Europe, Strasbourg;
- Commission du Pacifique Sud, Nouméa;
- Office central des transports internationaux ferroviaires (OCTIF), Berne;
- Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), Londres;
- Organisation internationale de police criminelle (OIPC-INTERPOL), Lyon;
- International maritime satellite organisation (INMARSAT), Londres;
- International Telecommunication Satellite organisation (INTELSAT), Londres;
- Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (EUROCONTROL),
Bruxelles;
- Organisation des États américains (OEA), Washington;
- Organisation de l'Unité africaine (OUA), Addis-Abeba.
Tel est, dans ses grandes lignes, le statut juridique du français dans le plus grand nombre,
et les plus importantes, des organisations internationales. On ne saurait, encore une fois,
être exhaustif dans ce domaine. Presque toutes les organisations débattent et légifèrent
périodiquement sur le statut et l'emploi de langues, ce qui relativise le statut des langues
en la matière.
De plus, le statut d'une langue peut changer. C'est ainsi que, en décembre 2009, le
secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, disait regretter «l'effacement du
français dans les organisations internationales», alors qu'il est «la deuxième langue la
plus enseignée dans le monde». Selon Abdou Diouf»: «La langue française est dans une
situation ambiguë. Cette langue progresse, elle est la deuxième langue la plus enseignée
dans le monde, le nombre de locuteurs augmente, la demande de français sur tous les
continents augmente et paradoxalement nous assistons à l'effacement du français dans
les organisations internationales», a-t-il précisé, citant l'exemple de la Conférence de
Copenhague sur le réchauffement climatique (décembre 2009). Et M. Diouf a aussi
ajouté: «Nous avons donc là un problème de volonté politique au niveau de tous nos
États.» C'est pourquoi il a recommandé aux différents responsables des pays
francophones de ne pas «se laisser entraîner vers l'expression dans une autre langue».
Évidemment, il s'agit de l'anglais.
8 L'hégémonie de l'anglais dans les sciences
Jusqu'au XX siècle, les mots anglais empruntés par le français ne s'étaient jamais
e

imposés par doses massives, bien au contraire. Toutefois, l'histoire contemporaine peut
témoigner que les emprunts anglais sont maintenant massivement entrés dans la langue.
L'apport anglais, soulignons-le, est récent dans l'histoire du français. On peut même dire
que, jusqu'au XVII siècle, l'influence anglaise a été insignifiante: 8 mots au XII siècle, 2
e e

au XIII , 11 au XIV , 6 au XV , 14 au XVI , puis 67 au XVII , 134 au XVIII , 377


e e e e e e

au XIX et... 2150 au XX siècle. Tous les emprunts antérieurs au XVIII siècle ont été
e e e

intégrés au français de telle sorte que l'on ne les perçoit plus de nos jours comme des
mots anglais: est (< east), nord (<north), ouest (<west), sud (<south), paletot
(<paltok), rade (<rad), contredanse (<country-dance), pingouin (<pinguyn),
paquebot (<packet-boat), comité (<committee), boulingrin (<bowling-
green), interlope (< interloper), rosbif (<roast-beef), etc.
En définitive, c'est vers le milieu du XVIII siècle que l'influence de l'anglais a
e

commencé à se faire sentir. Les mots concernent le commerce maritime, les voyages
exotiques et coloniaux, les mœurs britanniques, les institutions parlementaires et
judiciaires de la Grande-Bretagne, les sports hippiques, les chemins de fer, les produits
industriels. Dès le milieu du XX siècle, les États-Unis ont relayé la Grande-Bretagne et
e

ont inondé de leurs mots le cinéma, les produits industriels, le commerce, le sport,
l'industrie pétrolière, l'informatique et à peu près tout le vaste domaine des sciences et de
la technologie américaine.
En 1965, le linguiste Pierre Guiraud dénombrait 700 mots anglais passés au français
depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Outre le fait que le calcul restait sûrement
en deça de la réalité, le nombre des emprunts à l'anglais s'est multiplié depuis ce temps –
au moins 2500. Toutefois, à la différence de l'influence italienne qui a subi l'épreuve du
temps, l'influence anglo-américaine est encore trop récente pour que nous puissions
évaluer ce qu'il en restera dans 50 ou 100 ans. Comme on le sait, la plupart des emprunts
transmis à une époque donnée sont appelés à disparaître dans les décennies qui suivent
leur adoption. Quoi qu'il en soit, il est certain que l'influence de la langue anglaise
restera très marquante dans l'histoire du français – comme celle du français sur l'anglais
– et de plusieurs autres langues.
Rappelons-nous que, comme le rapporte si bien la linguiste Henriette Walter, l'anglais
demeure un «vieux compagnon de route». En effet, depuis neuf siècles, les rapports entre
l'anglais et le français ont toujours été «intimes» et les échanges entre les deux langues
ont toujours été déséquilibrés, d'abord à l'avantage du français, puis aujourd'hui à celui
de l'anglais. En effet, entre le XI siècle et le XVIII siècle, le français a transmis à
e e

l'anglais des milliers de mots au point où l'on peut affirmer que de 50 % à 60 % du


vocabulaire anglais est d'origine française. Toutefois, le processus s'est inversé à partir
du milieu du XVIII siècle et les mots anglais ont alors nourri la langue française.
e

Ensuite, depuis le milieu du XX siècle, la tendance s'est considérablement accélérée à


e

partir, cette fois-ci, des États-Unis d'Amérique.


On recense dans les dictionnaires français actuels plus de 2500 mots empruntés à
l'anglais. Cette liste pourrait considérablement s'allonger dans le cas des lexiques
spécialisés. Le développement de la technologie et la domination de l'anglo-américain
dans les sciences et les techniques actuelles laissent présager une suprématie
considérable de la langue anglaise à l'échelle planétaire. Celle-ci est devenue la lingua
franca du monde contemporain, c'est-à-dire la langue véhiculaire des communications
internationales, tant sur le plan commercial que culturel, scientifique, technologique et
diplomatique (politique).
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette arrivée massive de termes anglais dans la
langue française, car il s'agit plus que d'un engouement à l'exemple de ce que le français
a vécu avec l'italien au XVI siècle. Il y a, bien sûr, la civilisation américaine qui exerce
e

une attraction considérable sur les francophones et transporte avec elle les mots qui
véhiculent cette même civilisation. Cependant, on ne peut ignorer certaines causes
d'ordre linguistique.
En effet, on sait que l'anglais est une langue germanique (comme l'allemand et le
néerlandais) alors que le français est une langue romane (comme l'espagnol et l'italien).
Or, d'une part, en raison de l'influence exercée par le français, l'anglais est devenu une
langue fortement romanisée dans son vocabulaire; d'autre part, le français a été
relativement germanisé par le francique lors de la période romane, ce qui explique en
partie certaines ressemblances étonnantes entre les langues française et anglaise. De
plus, l'anglais a toujours abondamment puisé dans le latin et le grec pour acquérir les
mots dont il avait besoin. On peut, en effet, constater aujourd'hui qu'une très large part
du vocabulaire scientifique et technique anglais est d'origine gréco-latine, ce qui facilite
les acquisitions du français en raison, comme on le sait, d'affinités naturelles avec les
fonds latin et grec.
Deux lexicologues d'origine française, Henriette Walter et Gérard Walter, ont effectué
une analyse minutieuse de 70 000 mots puisés dans Le Petit Larousse et Le Petit Robert.
Sur ce nombre de mots, ils ont relevé 8088 emprunts aux langues étrangères, soit 11 %
du corpus. Le nombre des langues s'élève à plus de 120. Bien sûr, toutes ces langues
n'ont pas la même importance. Ainsi, les mots empruntés à l'anglais (2527) et à l'italien
(1077) ne sauraient se comparer à ceux empruntés au swahili (2), au coréen (2) ou à
l'iranien (1). Néanmoins, dans tous les cas, ils reflètent la qualité des contacts qu'ont
entretenus entre eux les peuples au cours de leur histoire. En ce qui a trait au français, les
faits révèlent que ces contacts ont été nettement plus étroits avec l'anglais, l'italien,
l'ancien germanique, l'arabe, l'allemand et l'espagnol. Or, tous les peuples qui parlaient
ces langues ont été des voisins immédiats – souvent des ennemis – des Français. Ainsi, la
proximité géographique et les conflits militaires ont-ils joué un rôle déterminant.

Le français contemporain est le résultat d'une évolution divergente. D'une part,


l'orthographe, la syntaxe fondamentale et la morphologie n'ont guère changé depuis deux
siècles, probablement parce que les usagers n'en ont pas ressenti le besoin. D'autre part,
la phonétique et le lexique ont subi de profondes transformations, alors que les
différences phonologiques ont encore tendance à se réduire depuis le début du siècle, le
vocabulaire est devenu de plus en plus complexe.
Contrairement aux siècles passés, du moins dans les pays de langue maternelle française
(France, Belgique, Suisse, Québec), le français n'est plus l'apanage des classes
privilégiées ni même l'affaire uniquement de la France. Toutes les couches de la
population s'expriment maintenant dans une même langue et avec le minimum d'aisance
nécessaire, tout en maintenant des différences locales. Il est possible que ce phénomène
s'accentue en même temps que se maintiendront et se développeront différentes variétés
de français à l'extérieur de la France. Lorsque l'unité linguistique est atteinte, il n'est plus
nécessaire de poursuivre une uniformisation minutieuse. Mais aujourd'hui, maintenant
que le français comme langue maternelle n'a jamais été aussi vivant, il doit relever le
défi de hausser son statut comme langue seconde sur le plan international et faire face à
la concurrence étrangère, principalement l’anglais.

Francophonie: pourquoi parlent-ils français? Le Québec

Sur une population de près de 7,7 millions d'habitants, 8 québécois sur 10 sont de langue
maternelle française. Le français y est la langue officielle, comprise et parlée par près de
95 % de la population.

L'attachement à la France
Depuis 1867, le Québec a retrouvé son indépendance et est devenu une "fédération"
canadienne avec ses particularités. Sur le plan linguistique, le Québec se distingue de ses
voisins par le fait que le français y est la seule langue officielle. Les francophones
représentent 81 % de la population. Les Québécois défendent la francophonie face à la
prépondérance de la langue anglaise et grâce notamment à une charte de la langue
française et à un Office québécois de la langue frnaçaise. L'éducation primaire et
secondaire se fait obligatoirement en français, sauf pour les enfants dont les parents ont
étudié au Canada en anglais. La Charte règlemente aussi l'affichage commercial qui doit
être en français.

La "Nouvelle-France" en 1603
Au Québec, l'usage du français est un héritage de la colonisation qui a commencé vers
1600 sur le territoire du Canada. En 1603, les premiers colons français s'allièrent à trois
tribus d'Amérique du nord décidés à établir une colonie sur les terres du Canada. En
1608, le père de la Nouvelle-France, Samuel de Champlin, fonde la ville de Québec.
Après 25 ans de développement, le Royaume de France prend possession de la colonie,
avec le Traité de Saint-Germain-en-Laye. A cette époque, le Québecne compte que 500
habitants.

Qu'est-ce-que la francophonie ?
Le terme de francophonie apparaît
pour la première fois en 1880. C'est
le géographe français Onésime
Reclus (1837-1916) qui l'a employé
pour désigner les espaces
géographiques où la langue français
était parlée. On entend aujourd'hui
par francophonie l'ensemble des
peuples ou des groupes de
locuteurs qui utilisent partiellement
ou entièrement la langue française
dans leur vie quotidienne.

Mais à force d'arrivées régulières d'immigrants français et de l'envoi par Louis XIV de
920 jeunes filles à marier (les "Filles du Roy"), la population de la colonie atteint en
1672 le chiffre de 6700 habitants. En 1763, le Québec passe sous régime britannique
après "la guerre de sept ans" entre la Grande-Bretagne et la France. La France y perd
aussi sa colonie en Inde. L'élite et la bourgeoisie canadiennes françaises, rentrent en
France. Les habitants se tournent alors vers le clergé, au lieu de prêter allégeance à
l'Angleterre.
Et l'accent québécois ?
Si particulier à l'oreille des Français, l'accent québécois a son histoire. Au 18e siècle, les
français ne parlent pas tous couramment le français que l'on connaît aujourd'hui, ils sont
partagés entre plusieurs langues : le provençal, le breton, le normand, le basque,
l'alsacien, l'occitan, le flamand et même le catalan. En Nouvelle-France, la majorité des
premiers colons français étaient originaires de la côte atlantique. L'accent québécois est
en fait un mélange du normand et du breton.

L’exemple de la Suisse

En Suisse, le fran ais – langue maternelle d’environ 17 % de la population, mais parl e


par 65 % d’apr s nos estimations, NDR – est l’une des quatre langues nationales avec
l’allemand, l’italien et le romanche. La Suisse francophone, appel e Suisse romande, est
compos e de sept cantons, dont quatre sont unilingues francophones (Gen ve, Vaud,
Neuch tel, Jura) et trois bilingues fran ais-allemand (Fribourg et Valais, majorit
francophone ; Berne, majorit germanophone). La vari t suisse du fran ais, se
caract rise par de nombreux ph nom nes de variation r gionale interne et par des
sp cificit s locales. Parmi les particularit s lexicales, phon tiques, prosodiques et
morphosyntaxiques qui caract risent les vari t s du fran ais en Suisse, c’est surtout le
niveau lexical qui a t tudi par le Glossaire des Patois de la Suisse romande, le
Dictionnaire
historique du
parler
neuch telois et
suisse romand et
le Dictionnaire
suisse romand.
































La variation lexicale

D’un point de vue lexical, les sp ci cit s r gionales appartiennent cinq cat gories
di rentes:
1) des dialectalismes issus des anciennes langues vernaculaires, le francoproven al et
l’o lique jurassien : « pives » (c ne de pin ou sapin), « d guiller » (faire tomber quelqu’un
ou quelque chose de haut plac ), « s’encoubler » (tr bucher), « chneuquer » (chercher,
fouiller).
2) des statalismes, des expressions qui d signent des r alit s politiques ou culturelles
propres au pays ou la r gion de la vari t de fran ais : « conseill re f d rale » (ministre,
membre du gouvernement de la conf d ration suisse), « chancelier » (fonctionnaire qui
dirige la chancellerie f d rale ou l’administration d’une grande ville), « num ro postal »
(code postal).
3) des emprunts ou calques issus des langues limitrophes : « poutser » (nettoyer),
« witz » (blague) et « foehn » (s che-cheveux) sont des germanismes.
4) des archa smes : « septante » (soixante- dix), « carrousel » (man ge), « costume de
bain » (maillot de bain).
5) des innovations lexicales ou s man- tiques : « g teau » (tarte), « cole enfantine »
( cole maternelle), « course d’ cole » (excur- sion, sortie organis e).
Toutes ces particularit s sont accessibles en ligne dans le volet suisse de la Base de
donn es lexicographiques panfrancophone (BDLP). La BDLP s’inscrit dans un projet
d’envergure internationale visant documenter les particularit s lexicales de tous les
pays et de toutes les r gions de la francophonie, comme compl ment structurel et
interconnect avec le Tr sor de la langue fran aise informatis . La BDLP-Suisse, labor e
l’Universit de Neuch tel, documente les usages contemporains des vari t s de
fran ais en Suisse romande en s’appuyant sur un chier d’attestations provenant de la
litt rature et de la presse romandes depuis les ann es 1970.

La vari t de fran ais utilis e en Suisse romande n’est pas homog ne. En e et, « de rares
mais solides tudes ont montr qu’il n’existe pas de traits linguistiques communs tous
les r giolectes romands ». Si certaines particularit s lexicales peuvent tre communes
toute la Suisse romande (d jeuner = prendre le repas du matin), d’autres ne le sont pas.
Ainsi, le terme « syndic », qui d signe le maire d’une commune, conserve le statut de
statalisme dans les cantons de Vaud et de Fribourg, alors qu’en Valais et Neuch tel il a


ff
































fi









fi






















ff








t remplac par « pr sident » ; dans les cantons de Gen ve, Berne et Jura, c’est le mot «
maire » qui est utilis .

En pratique, on distingue
les vari t s selon le nom du canton o elles
sont parl es. On oppose ainsi l’accent
vaudois l’accent fribourgeois ou l’accent
valaisan, m me si des distinctions plus nes
peuvent tre faites parmi les locuteurs d’un
m me canton [...], voire l’int rieur d’un
m me district ou d’une m me bourgade.»1
1 M. Avanzi et S. Schwab et P. Dubosson et
J.-P. Goldman, 2012 : « La prosodie de
quelques vari t s de fran ais parl es en
Suisse Romande », in A. C. Simon (Ed.), La
variation prosodique r gionale en fran ais,
Bruxelles, De Boeck/Duculot., pp. 89-120.

Notes:
19 A. Kristol, sous presse: « Une francophonie polycentrique : lexicographie di rentielle
et l gitimit des fran ais r gionaux », para tre dans un volume d’Hommages.
20 La plus grande partie de la Suisse romande–Gen ve,Vaud, Neuch tel, ainsi que les
parties francophones de Fribourg et du Valais – appartient au domaine linguistique du
franco proven al. Le canton du Jura, en revanche, appartient au domaine d’o l : les
parlers jurassiens s’apparentent aux dialectes franc-comtois, qui sont de type fran ais.
21 Base de donn es lexicographiques panfrancophone (BDLP) www.bdlp.org
22 www.cnrtl.fr/de nition
23 http://www2.unine.ch/dialectologie

















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ff


24 P. Singy, 2004 : Identit s de genre, identit s de classe et ins curit linguistique, Peter
Lang.

La variation phon tique

La prononciation du fran ais de Suisse romande n’ tant galement pas uniforme, c’est
surtout au niveau de la production phonique que les di rentes vari t s romandes sont
identi es.
De plus, une enqu te sur les repr sentations que les Vaudois ont de leur langue r v le
que c’est en premier lieu l’accent qui permet de reconna tre les vari t s de fran ais
suisse; ensuite ce sont les di rences lexicales et en troisi me position le d bit de parole
qui sont voqu s. Et c’est en particulier sur la vitesse d’ locution des Suisses romands
que des tudes r centes ont montr qu’ils ont, d’une part, une tendance plus importante
accentuer les p nulti mes (avant- derni re syllabe) et, d’autre part, qu’ils articulent plus
lentement que les Fran ais. Ces recherches ont toutefois mis en vidence la variation
g olinguistique interne la Suisse romande, les locuteurs de Martigny (en Valais) « se
comportent di remment de leurs compatriotes neuch telois, genevois, vaudois,
puisqu’ils articulent aussi vite que des Parisiens ». Par ailleurs, ces recherches ont le
m rite de tenir compte de la variation diaphasique (lecture ou conversation) ainsi que des
facteurs sociolinguistiques ( ge, sexe) qui jouent des r les importants.

25 P.KnechtetC.Rubattel,1984:« proposdeladimension sociolinguistique du fran ais en


Suisse romande », in Le fran ais moderne, 52, pp. 138-150.
26 P. Singy, 2004 : Identit s de genre, identit s de classe et ins curit linguistique.
27 S. Schwab et P. Dubosson, et M. Avanzi, 2012 : « tude de l’in uence de la vari t
dialectale sur la vitesse d’articulation en fran ais », Actes des 29e journ es d’ tude sur la
parole (JEP’2012), Grenoble, pp. 521-527.

La variation morphosyntaxique?

Les sp ci cit s grammaticales qui n’ont fait l’objet que de rares tudes jusqu’ pr sent,
pourraient tre mieux connues gr ce notamment au Corpus oral du fran ais parl en
Suisse romande (OFROM). En e et, d velopp l’Universit de Neuch tel, OFROM est le
premier corpus consacr uniquement au fran ais parl en Suisse romande et il est
accessible gratuitement en ligne. Les donn es sont transcrites orthographiquement en
utilisant le logiciel Praat et elles sont pr sent es dans un document global qui associe le
son et la transcription. La base, qui contient actuellement 232 536 mots, est d’une dur e
de plus de 28 heures et propose d’entendre 119 locuteurs, provenant des di rents
cantons de la Suisse romande.
Dans une partie de l’espace romand, on observe encore de nos jours l’emploi de « vouloir
» comme auxiliaire du futur, par exemple dans des contextes qui concernent une
pr vision m t orologique « il veut pleuvoir » pour « il va pleuvoir » mais aussi « il veut
tomber » pour « il va tomber ». Les limites exactes concernant l’emploi de ce ph nom ne
linguistique l’int rieur de la Suisse romande n’ont pas encore t tudi es et ne sont
donc pas connues. La base OFROM montre cependant que cette tournure est surtout
employ e dans les cantons de Neuch tel, Jura, Berne et Fribourg, comme dans
l’exemple suivant : « [...] puis je lui avais parl de ces arbres comment est-ce qu’il faut les




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tailler [...] puis il m’a dit je veux venir te montrer [...] puis alors il les a taill s quelques
ann es puis apr s il est parti en Suisse allemande [...] ». La transcription et le chier
sonore d’OFROM sont accompagn s d’informations sociolinguistiques sur le locuteur
ainsi que sur l’enregistrement.

La variation sociolinguistique

Il n’existe pas, l’heure actuelle, d’ tude sociolinguistique qui recouvre toute la Suisse
romande. Pour ce qui est des attitudes des locuteurs envers le fran ais en usage en
Suisse romande, les tudes de Singy29 ont montr que les habitants du canton de Vaud
ont un comportement double : si, d’une part, ils ont un sentiment d’ins curit linguistique
face la norme hexagonale, d’autre part, ils ont une propension valoriser leur vari t de
fran ais. Prikhodkine (2011, 2012), en soumettant des corpus lexicaux des locuteurs
vaudois, genevois et fribourgeois, a relev galement une double dynamique normative :
les locuteurs tendent d pr cier les dialectalismes et les germanismes alors qu’ils
l gitiment les archa smes et les innovations. Il faut cependant pr ciser que ces tendances
g n rales varient selon les cat gories socio- professionnelles : les hommes appartenant
aux « professions interm diaires » valorisent les items endog nes d pr ci s au contraire
des femmes qui emploient les variantes l gitimes.

28 chaque entr e sont attach s deux types d’information: une sur le locuteur ( ge,
sexe, lieu de naissance) et une sur l’enregistrement (qualit , date, lieu...).
29 P.Singy,1996: L’image du fran ais en Suisse romande. Une enqu te sociolinguistique
en Pays de Vaud, Paris, L’Harmattan ; 2004 : Identit s de genre, identit s de classe et
ins curit linguistique, Peter Lang.

Le français de Belgique et les « belgicismes »

Wallon, français régionaux et français "commun" de Belgique


On confond encore souvent les parlers wallons et les français régionaux de Belgique alors
qu’ils représentent une réalité linguistique complètement di érente. Le Petit Robert
considère encore le wallon comme "une variété régionale du français en Belgique", ce qui
est loin d’être exact du point de vue linguistique. Il convient de distinguer les trois notions
suivantes : le wallon, le français régional et le français commun.

Le wallon
Les parlers wallons (le "wallon" pour simpli er) font partie des "Langues d’Oïl" et se
situent donc sur le même plan que le francien dont est issu le français actuel ou que le
picard, parlé du nord de Paris jusqu’au sud de Bruxelles, le normand, le breton gallo, le
poitevin, le champenois, le morvandiau, etc.
Comme le français, le wallon est une langue romane qui a suivi sa propre évolution à
partir du latin introduit dans la partie septentrionale de la France actuelle et dans la partie
francophone actuelle de la Belgique.


























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Les français régionaux
Par contre, les français régionaux de Belgique sont tout simplement des variétés
régionales (on dit aussi dialectes) du français "commun" tel qu’il est pratiqué en France,
et qui se sont forgées au contact des parlers wallons mais aussi du amand en Belgique.
A la di érence du wallon, qu’un francophone ne peut absolument pas comprendre
directement, ils restent globalement compréhensibles à tout locuteur de français.
Bien entendu, le caractère régional de ces parlers français de Belgique est plus ou moins
prononcé. C’est souvent, actuellement, une question de générations. Les vieilles
générations qui n’usent du français que lorsque les circonstances l’exigent (et
s’expriment en wallon tout le reste du temps) parlent des variétés beaucoup plus
"dialectales" pleines de "régionalismes" aussi bien sur le plan de la prononciation que du
lexique ou de la syntaxe. Il est parfois di cile de les comprendre. Le sommet a été atteint
à Bruxelles qui représente une zone de contact privilégiée et qui a donné naissance à un
idiome mixte, sorte de créole franco- amand appelé "marollien", du nom du quartier
populaire de Marolles (qui a été en grande partie détruit à l’occasion de l’édi cation du
Palais de Justice), et parfaitement incompréhensible aux francophones.

Le "français commun"
On arrive ensuite au français dit "commun" de Belgique. En théorie, il s’agit ni plus ni
moins du français standard tel qu’il est parlé en France. En pratique cependant, un
locuteur belge francophone manie souvent deux registres de langue : un niveau où la
prononciation est plus surveillée (très proche ou identique au français standard) et un
niveau où elle est beaucoup plus relâchée et où l’in uence des français régionaux de
Belgique est encore sensible.
C’est à ce niveau d’un français "commun" de Belgique, et seulement à ce niveau, qu’on
peut parler de "belgicismes". En e et, s’il s’agit d’une variété régionale belge du français
bien identi ée, il n’y a plus lieu de parler de "belgicismes" puisque c’est précisément la
dé nition d’un dialecte d’être "régionalisé" (donc fondé, dans le cas de la Belgique, sur
des "belgicismes").
On entend donc par "belgicismes" (en se limitant au domaine lexical) toute expression en
usage dans le français "commun" de Belgique et qui n’appartient pas au français de
France.
C’est par ces "belgicismes" lexicaux qu’on peut normalement reconnaître un locuteur
belge de langue maternelle française, bien mieux qu’au travers du soi-disant "accent
belge" qui est une notion très subjective (et variable parfois chez un même locuteur
avons-nous vu).
Il existe certains traits de prononciation qui constituent des caractéristiques communes
des di érents français régionaux de Belgique et que l’on retrouve de façon variable dans
le français "commun" de Belgique (in uencé par ces derniers). Ce sont des règles
di érentes de la durée vocalique, ou bien encore l’absence de la semi-consonne [Ч],
remplacée par la semi-voyelle [w]. La conjonction "puis" est ainsi prononcée [pwi], etc...
Mais il serait trop long ici d’en faire l’inventaire complet.

Origine des belgicismes


Les expressions proposées dans les tableaux ci-dessous ont plusieurs origines. Mais
globalement on peut les regrouper dans deux grandes catégories selon qu’elles tirent leur
origine d’une évolution lexicale "interne" (par des procédés identiques à ceux qui
commandent la production du lexique du français de France) ou d’apports "externes",
(phénomène général de l’emprunt) en provenance soit de variétés régionales du français
de Belgique, du amand (certains parlent alors de " andricismes") ou encore du wallon
("wallonismes").
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fl
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fl
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Les emprunts au amand sont facilement reconnaissables lorsqu’ils conservent leur
forme d’origine, soit intégralement, soit partiellement avec de légères déformations
orthographiques.
D’autres mots amands, d’un usage plus généralisé dans l’ensemble de l’aire linguistique
francophone de Belgique, ont été fortement francisés au point qu’il est di cile d’y
retrouver leur marque germanique. C’est le cas de couque "variété de brioche", de crolle
"boucle de cheveux", de kermesse "fête populaire, foraine" (dont l’usage a pénétré en
France) etc.
En n, de nombreuses expressions idiomatiques d’origine amande apparaissent sous
une forme traduite, l’expression francophone reproduisant sémantiquement, mot à mot,
l’expression amande. C’est le cas de : avoir des ruses avec quelqu’un "faire des
di cultés à quelqu’un" ou faire de son nez "faire l’important ou faire des embarras" , tenir
le fou avec quelqu’un "se payer la tête de quelqu’un".

Florilège de belgicismes parmi les plus courants


Être en a aires = être dans tous ses états
Accroche-pied = croc-en-jambes
Acter = prendre acte
Faire des a aires = compliquer les choses
Aujourd’hui matin = ce matin
Babeler = bavarder
Donner une baise = faire la bise
Bande de circulation = voie de circulation
Biesse = bête
Bloquer = étudier
Boule = bonbon
Brette = dispute
Cigare = réprimande
Couper au plus court = prendre un raccourci
Dikkenek = grande gueule
Dracher = pleuvoir abondamment
Dringuelle = pourboire
Gazette = journal
Maf = fou
Margaille = bagarre
Mettez-vous ! = installez-vous !
Faire de son nez = faire l’important
Nonante = quatre-vingt-dix
Peler = ennuyer
Plaquer = coller
Poter = boire un pot
Potferdek ! = nom d’un chien !
Poussette = caddie
Prober = essayer
Pro ciat ! = bravo !
Roulage = circulation routière
Septante = soixante-dix
Stoe eur = vantard
Tomber de son jus = être très étonné
Tirer son plan = se débrouiller
Toquer à la porte = frapper à la porte




































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Vacature = vacance d’un emploi
Vider la place = quitter les lieux
Vlek = chose sans valeur
Zinneke = corniaud
Zot = fou
Zwanzer = plaisanter

Cette présentation s’appuie sur des ouvrages spécialisés et de référence mais n’engage
en rien l’ambassade sur ce thème qui reste du domaine des sciences du langage.

La langue française au Sud

En Afrique, le francais coexiste avec de nombreuses langues nationales, mais aussi avec
l’anglais, l’arabe, l’espagnol ou le portugais. Les dynamiques linguistiques qui s’instaurent
entre ces différentes langues dйpendent а la fois des locuteurs, mais aussi de l’image
qu’ils ont des différentes langues en présence (voir « Le francais : l’idée que s’en font ses
locuteurs »).
Concernant l’image de la langue francaise, si plusieurs points communs caractérisent les
opinions qu’en ont ses locuteurs africains, quel que soit le milieu auquel ils appartiennent
(Fonction publique, lycées ou entreprises), des associations en apparence contradictoires
font ressortir la complexité du rapport qu’entretiennent les populations avec cette langue.
А titre d’exemple, l’idée selon laquelle le francais serait une langue compliquée est plutot
rejetée par les francophones, les affaires ou meme le travail ne lui sont que rarement
associés, mкme si elle peut etre jugée « moderne » et « riche » comme par les lycéens
béninois par exemple.

Le français vu par les lycéens béninois

Compte tenu de la vitalité démographique et des progrés de la scolarisation en Afrique, et


grace au statut de langue d’enseignement du francais, le nombre de francophones y






connait une forte croissance : +17% entre 2014 et 2018 pour la seule Afrique
subsaharienne. Avec, parfois, des gains supйrieurs de locuteurs de francais, tant en
pourcentage qu’en nombre d’individus, dans certains pays : Burkina Faso, Gabon,
République démocratique du Congo…
Si les prévisions les plus optimistes laissent а penser que nous pourrions compter prиs de
767 millions de francophones en 2065, dont 85% résideraient en Afrique, il faut se garder
de toute euphorie. Comme nous le répétons depuis 2010, les conditions minimum а réunir
pour une progression du nombre de francophones en Afrique sont :
• le maintien du francais comme langue d’enseignement ;
• le renforcement de la qualité de l’enseignement pour une maоtrise effective du francais ;
• la poursuite des progrиs de la scolarisation des enfants.
Dans le cas contraire, une stabilisation des pourcentages actuellement relevés dans la
plupart des pays d’Afrique dite francophone conduirait plutot au nombre de 370 millions de
locuteurs de francais…
La question des usages réels du francais, notamment dans la sphère privée et celle de la
transmission de cette langue au sein des foyers deviennent également centrale dans
l’appréhension de l’avenir de cette langue. Une série d’études inédites sur le sujet permet
d’кtre plutot optimiste comme le montre une première synthиse des résultats réalisée par
l’Observatoire de la langue francaise.

Vous surestimez le nombre de francophones africains


Ce reproche quelquefois avancé par ceux qui n’ont souvent pas pris la peine d’examiner la
méthodologie employée mйrite néanmoins une réponse. Le dénombrement des
francophones en Afrique a été réalisé а partir de deux méthodes : soit par une estimation
« directe » des francophones а partir des recensements et enquкtes qui contiennent des
informations spécifiques ayant trait au francais comme langue lue et écrite par les
individus, soit par une mйthode « indirecte » qui vise а estimer, dans les pays africains oщ
le franзais est la principale langue d’enseignement, la proportion de personnes capables
de lire et écrire en francais. La méthode dite « indirecte » adopte la dйmarche suivante : il
s’agit d’estimer le nombre de personnes alphabétisées en francais а partir de deux
informations qui d’emblée ne nous renseignent pas directement sur les compйtences
linguistiques des individus, soit le nombre d’années d’études et l’ége des individus. Cette
méthode d’estimation indirecte a l’avantage de permettre l’exploitation de données
d’enquкtes (les enquкtes démographiques et de santé – EDS) pour lesquelles aucune
information sur la connaissance de la langue francaise n’a été colligée. Ainsi, dans les
pays oщ le franзais est la seule langue d’enseignement, le nombre de francophones
correspond а la population alphabétisée durablement en francais. évidemment, le niveau
de compétence varie en fonction du nombre d’années d études, mais Moussa Bougma
(2010) a mis en évidence que prиs de 95 % des individus ayant cinq ans d’études sont
habituellement considérés comme aptes а lire et а écrire en francais.

Vous sous-estimez le nombre de francophones en Afrique


Autre critique émanant le plus souvent de personnes se fondant sur une intuition issue de
leur expérience personnelle, cette accusation repose sur l’idée que de nombreux Africains
seraient capables de comprendre le francais et de s’exprimer, mкme sommairement, dans
cette langue meme s’ils n’ont pas fréquenté l’école. Or, en étudiant de prés le cas de 15 pays –
extrait LFDM-2014, on constate que, dans l’ensemble, en dé nissant les francophones par
l’alphabétisation en francais plutot que par la capacité а parler ou comprendre cette langue,
on sous-estime de moins de 2 points de pourcentage les proportions de francophones а
Cotonou, Brazzaville, Conakry, Kinshasa et de 4 а 5 points de pourcentage а Ouagadougou et а
fi
!

Libreville. Bref, dans ces villes, notre dй nition а partir de la capacité а lire et écrire en
francais recouvre de 92 % а 99 % des francophones dй nis plutфt а partir de la capacité а
comprendre et а parler le francais. Seules exceptions constatées, certaines grandes villes
situées dans des pays oщ aucune langue nationale suf samment partagée ne remplace le
francais comme vecteur de communication entre des locuteurs de langues maternelles
diffйrentes, qui voient la proportion de « francophones analphabétes » relativement
importante. Ainsi, а Yaoundé, Douala et Abidjan l’expression et la compréhension orale du
francais sont relativement bien maоtrisйes par des populations qui se déclarent par ailleurs
incapables de lire et d’écrire cette langue. Ainsi, la dй nition de la population francophone а
partir de la maоtrise écrite et lue de la langue francaise aurait pour effet de soustraire de 10
а 15 % des individus qui déclarent parler et comprendre le francais.

L’Afrique et la Francophonie

La di usion et la promotion de la langue française sont une priorité de la diplomatie


française. Le 20 mars 2018, le président Emmanuel Macron réa rmait la priorité que
revêt pour la France la promotion de la langue française et de la Francophonie. Cette
logique de rayonnement rencontre la volonté des autorités locales de développer les
compétences en langue française de la population, pour des motifs divers et dans des
contextes linguistiques hétérogènes et mouvants.

Des logiques diverses selon les région


En Afrique francophone, le français est souvent la langue d’enseignement et la langue
de l’administration, mais rarement la langue maternelle. Plusieurs dizaines de langues
peuvent cohabiter au sein d’un même pays et avoir des statuts di érents. Dans ce
cadre, le français peut jouer le rôle fédérateur de langue de dialogue interethnique.
En Afrique non francophone, le français est enseigné en 1e ou 2e langue étrangère. Son
apprentissage peut être encouragé dans une logique d’intégration régionale et
continentale du pays qui entend ainsi favoriser les échanges économiques et les liens
diplomatiques avec ses voisins.
Mais ces perspectives encourageantes ne sauraient se réaliser sans un appui inédit aux
systèmes éducatifs des pays d’Afrique.

Un soutien indispensable aux systèmes éducatifs nationau


Les systèmes éducatifs nationaux font face à des di cultés structurelles importantes et
peinent à répondre à la demande croissante et rapide de scolarisation. Si de grands
progrès ont été accomplis en termes d’accès à l’éducation, la qualité des
enseignements est désormais un enjeu prioritaire pour les autorités locales.
La France vient en aide aux États sur la base des besoins qu’ils expriment, dans le cadre
de ses actions de coopération bilatérale ou à travers ses contributions aux nancements
internationaux.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les mesures du Plan langue française et
plurilinguisme du président de la République : soutien aux systèmes éducatifs des pays
d’Afrique francophone, développement du réseau d’établissements d’enseignement
français et d’enseignement bilingue francophone, développement de l’usage du français
dans les organisations internationales et valorisation du métier de professeur…
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• Mobiliser des moyens inédits pour l’éducation dans les pays francophones,
notamment pour la formation de millions de professeurs
La formation des enseignants, y compris le développement des compétences
linguistiques, constitue un axe majeur d’amélioration des enseignements autant qu’un
gage de développement de la francophonie.

• Conforter le plurilinguisme au sein de l’espace francophone en soutenant


l’introduction des langues africaines pour les premiers apprentissages
La France soutient le programme Écoles et Langue Nationale en Afrique (ELAN), de
l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Ce programme entend améliorer la
qualité des apprentissages en mettant en place une transition progressive, d’un
enseignement en langues nationales vers un enseignement en langue française. ELAN-
Afrique incarne une politique renouvelée de promotion de la langue française qui
considère le plurilinguisme comme une richesse.
Par ailleurs, l’Institut français, opérateur du ministère de l’Europe et des a aires
étrangères, a développé une plateforme numérique de formation linguistique des
enseignants africains, IF classe. Elle est en phase d’expérimentation au Mali, en
République Démocratique du Congo, au Maroc et au Sénégal.

• Conforter le réseau des lycées français en Afrique pour répondre à une demande
croissante
Au sein du réseau des lycées français, l’Afrique ne représentait à la rentrée 2017 que 46
000 élèves sur un total de 350 000 répartis dans le monde. Près de la moitié de cet
e ectif se trouve en Afrique de l’ouest, où l’on distingue deux bassins : Dakar au Sénégal,
et Abidjan en Côte d’Ivoire. Une forte demande d’enseignement à programme français,
enseignement reconnu pour sa qualité, permet d’envisager un élargissement du réseau
en Afrique.
L’objectif est de doubler le nombre d’élèves accueillis au sein du réseau scolaire français
d’ici à 2030 en Afrique.

• Donner une impulsion nouvelle à l’enseignement bilingue francophone


Crée en 2012, le LabelFrancEducation est attribué par le ministère de l’Europe et des
A aires étrangères aux lières d’excellence bilingues proposant un enseignement
renforcé de la langue française et d’au moins une discipline non linguistique en français,
conformément au programme o ciel du pays d’accueil.
L’objectif est qu’en 2022 ce réseau regroupe 500 établissements dans le monde. En
Afrique, il est encore peu développé : 3 établissements en Angola et un au Libéria ont
rejoint en 2018 le seul établissement jusque-là labellisé au Rwanda.

• Renforcer le français dans les organisations internationales régionales et


promouvoir le français langue de travail
Des projets de formation des fonctionnaires internationaux en poste dans les
organisations régionales ou continentales africaines sont en cours (Union Africaine,
Communauté des États d’Afrique de l’est). Ils visent à pérenniser la place du français
comme deuxième langue des organisations internationales.

• Valoriser le métier de professeur de français dans le monde


En Afrique, 25 pays sont dotés d’association(s) nationale(s) que la Fédération
internationale des professeurs de français (FIPF) accompagne dans une
professionnalisation croissante. En 2018, la France doublera sa subvention à la FIPF.
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• Renforcer la coopération bilatérale menée par les ambassades
Dans le cadre de sa politique de développement, le ministère de l’Europe et des a aires
étrangères s’appuie sur l’Agence française de développement. Le ministère dispose
également d’un réseau de 131 services de coopération et d’action culturelle qui
développe dans le cadre de sa coopération éducative et linguistique des projets
structurants auprès des ministères locaux de l’éducation.
De plus, l’enveloppe du fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) permet le
soutien à des projets ponctuels. En 2018, 9 services de coopération et d’action culturelle
en Afrique ont ainsi béné cié d’enveloppes comprises entre 100 000 € et 500 000 € pour
des projets de soutien à la langue française.
En n, le ministère met à disposition des systèmes éducatifs nationaux des experts
techniques internationaux qui viennent en appui à la structuration des politiques
éducatives.

• Soutenir l’essor des réseaux sociaux et projets collaboratifs impliquant le français


L’Institut français a développé un réseau social professionnel permettant aux
professionnels de l’éducation du monde entier de communiquer, d’échanger des
pratiques de consulter des ressources et de partager leur expérience professionnelle : IF
Profs. 9 pays africains ont rejoint IFprofs depuis 2016 : Bénin, Égypte, Ghana, Mali,
Sénégal, Togo, Afrique du sud, Maroc, Nigéria. 53 animateurs nationaux africains ont été
formés. En juin 2018, 3 353 professeurs africains (sur un total de 17 134 membres) sont
actifs sur IFprofs. On attend 5 000 enseignants africains membres n 2018 et 15 000 en
2019.
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Dictionnaires
Les dictionnaires de la langue française : une histoire et une dynamique

I. Historique
Des dictionnaires du grand siècle, pour la plupart des in folio, volumineux
fleurant bon le vieux papier et le cuir, aux dictionnaires de la fin du XXe
siècle et du XXIe siècle, de plus en plus souvent offerts sur supports
électroniques, c'est-à-dire sur "disques optiques compacts" plus
couramment appelés "cédéroms" (graphie prônée par l'Académie
française), nous sommes indéniablement confrontés à la sensible
évolution de fond et de forme d'un même produit, à la fois hautement
symbolique et essentiellement pragmatique. S'il y a en moyenne, selon
les statistiques, plus d'un dictionnaire par foyer, et si les dictionnaires font
en quelque sorte partie du mobilier et du patrimoine, il n'en reste pas
moins qu'ils restent très mal connus et dans leur diversité et dans leur
histoire.

L'Antiquité et le Moyen Âge : la génèse des dictionnaires


Qui a inventé les dictionnaires et quand ? Il serait en fait incongru de
n'apporter qu'une seule réponse à pareille question... Faut-il par exemple
considérer que la pierre de Rosette découverte lors de la campagne d'Égypte
de Bonaparte constitue la première trace d'un dictionnaire plurilingue ?
Sur ladite pierre figuraient en effet les mêmes informations transcrites en trois
codes différents, les hiéroglyphes, le démotique et le grec. Mais si la
confrontation des hiéroglyphes a permis en 1822 à Champollion de percer leur
mystère, il ne serait pas très convaincant d'assimiler cette trace de
plurilinguisme à un dictionnaire trilingue. Pas plus que de mentionner
l'existence de dictionnaires chez les Grecs en évoquant les recueils de mots
rares appartenant à un dialecte ou à un écrivain, par exemple Homère. En
vérité, les conditions ne sont pas remplies pour faire aboutir le genre
lexicographique. Même si le dictionnaire monolingue va prendre souche dans
les répertoires plurilingues, qu'il s'agisse de l'Antiquité ou du Moyen Âge, les
mots sont encore prisonniers des conceptions métaphysiques : on ne
s'intéresse pas pleinement au langage pour lui-même mais à son essence
divine. Ainsi, les Sommes du Moyen Âge, correspondent à des résumés des
connaissances de l'époque – par exemple la Summa theologica de saint
Thomas d'Aquin (1225-1273) – mais ne décrivent pas les mots. Y sont
seulement transmis les concepts et les savoirs de l'époque, fortement teintés
d'interprétation métaphysique. Les Étymologies (Etymologiae) d'Isidore de
Séville (570-636), l'un des ouvrages fondateurs de la pensée médiévale,
restent en réalité totalement imprégnées d'une pensée religieuse qui ne laisse
presque aucune place aux considérations sur la langue.
Du Moyen Âge à la Renaissance : des gloses aux dictionnaires
bilingues
Le dictionnaire est un outil destiné à résoudre les questions que l'on se pose
sur les mots, il représente d'une certaine manière notre premier outil
didactique. Il ne serait pas totalement faux d'affirmer qu'il est né des difficultés
rencontrées par les élèves.
En effet, les gloses – c'est-à-dire les remarques explicatives ajoutées
brièvement en marge ou entre les lignes, destinées à commenter dans les
ouvrages de grammaire latine ou d'enseignement du latin les passages
difficiles – sont instaurées pour aider les clercs qui ne maîtrisent pas
parfaitement le latin. Lorsque les gloses sont regroupées, on aboutit à un
glossaire, le plus célèbre étant celui de Reichenau (VIIIe siècle) qui rassemblait
un peu plus d'un millier de mots difficiles d'une vulgate de la Bible, avec leur
traduction en un latin plus facile ou en langue romane.
Le dictionnaire bilingue, et à terme le dictionnaire monolingue, sont déjà là en
germes. En vérité, traduire puis expliquer en ajoutant un commentaire lorsque
la traduction se révèle insuffisante, c'est déjà forger les premières définitions.

Avec la Renaissance et le goût des voyages formateurs au sein de l'Europe


naissent des dictionnaires plurilingues, le plus célèbre d'entre eux restant sans
aucun doute le Dictionarum ou Dictionnaire polyglotte de l'érudit italien
Ambrogio Calepino (v. 1440-1510). Cet ouvrage d'abord consacré en 1502
aux seules langues latine, italienne et française comptera dans ses dernières
éditions plus de dix langues mises en parallèle. On désignait déjà ce type
d'ouvrage par le nom de son auteur, le Calepin, comme plus tard le Littré, le
Larousse, le Robert.
Mais dès le XVIIe siècle, le "calepin" s'assimile à un recueil de notes pour
bientôt devenir le "petit carnet" glissé dans une poche, singulière réduction de
l'in-folio originel. Au XVIe siècle, la langue française est encore une langue
fluente, elle reste très mouvante, même si les poètes de la Pléiade, Du Bellay
en tête, s'emploient à la valoriser et à lui donner un statut littéraire
indiscutable avec, notamment, la Défense et illustration de la langue française
publiée en 1549.
Dix ans auparavant, François 1er avait imposé par l'édit de Villers-Cotterêts
la langue française, celle du Nord, comme langue administrative, le latin n'était
plus dès lors la langue écrite prépondérante. Et les langues d'oc perdaient par
là même toute légitimité. Paraissait à la même date, 1539, le tout premier
dictionnaire où les mots français venaient en premier dans la nomenclature,
avec leur traduction en latin suivie parfois de quelques explications en
français : le Dictionnaire françois-latin contenant les motz et manieres de
parler françois tournez en latin (1 vol., in-folio) de Robert Estienne.
En 1531, l'imprimeur érudit avait publié le Dictionarium seu Linguae latinae
thesaurus, dictionnaire latin-français, et il eut l'idée en 1539 de l'inverser, en
présentant en premier les mots français. Le premier dictionnaire français, ou
plus précisément français-latin, était né, le processus conduisant au
dictionnaire monolingue français-français était amorcé.
Pour l'heure, le mot français est suivi du mot latin, auquel s'ajoute parfois des
explications en français, mais il suffira de faire disparaître le latin en ne
gardant que les mots français pour bénéficier d'un dictionnaire de mots
français suivis de définitions dans la même langue.
Jean Nicot (1530-1600) participera à la réédition de ce dictionnaire en 1573,
puis sera publié à titre posthume, en 1606, le Thresor de la langue françoise
tant ancienne que moderne (1 vol., in-folio), une reprise améliorée du
dictionnaire de Robert Estienne, offrant une plus grande place aux définitions.
Qu'un dictionnaire nouveau s'inspire plus ou moins largement des précédents,
voilà qui est une constante inévitable dans ce genre "littéraire". À y bien
réfléchir, on pourrait d'ailleurs s'interroger sur l'avantage qu'il y a à
transformer une définition parfaite pour éviter l'accusation de plagiat. La
langue n'appartient à personne, mais cependant une définition de dictionnaire
reste la propriété de l'éditeur. Il faudrait pouvoir citer la définition du
concurrent...

Le XVIIe siècle : le grand siècle et la naissance d'une trinité


lexicographique
Le grand siècle est celui des monarques absolus, et avec eux de la codification
et de la régulation. Henri IV, Louis XIII et Louis XIV vont chacun à leur manière
servir la langue française et l'instituer comme une grande langue
internationale. Le bon roi Henri IV, sans le vouloir, incitera les "précieux" à se
réunir dans des salons éloignés de la cour, trop rustre à leur goût, mais ce
faisant, même si l'on a surtout retenu le ridicule des périphrases (les "belles
mouvantes", les "chers souffrants"... pour les pieds et les mains), ces derniers
ainsi que Malherbe vont affiner la langue, l'épurer, peut-être trop prétendront
d'aucuns.
Sous Louis XIII, Richelieu fondera en 1635 l'Académie française, et Louis
XIV rassemblera autour de lui, à Versailles, les écrivains qui poliront la langue
et lui donneront cette tonalité classique et ce prestige littéraire international.
Après le foisonnement lexical de la Renaissance, le Grand siècle représente une
période de remise en ordre : Malherbe, au nom de la pureté, Vaugelas, au nom
de l'usage, se chargent de normaliser la langue, avec l'aval du public.
Constatons au passage que lorsqu'un pays bénéficie d'une langue et d'un
gouvernement forts, apparaissent généralement des répertoires monolingues
qui donnent aux mots du code linguistique national leur sens précis, ce qui
renforce la validité des textes officiels.
Au public de Corneille, Racine, Molière, aux contemporains instruits, bourgeois
et nobles, correspondent à la fin du siècle trois dictionnaires de facture
différente qui marquent la réelle naissance de la lexicographie de haute qualité
: le dictionnaire de Richelet en 1680, celui de Furetière en 1690, et celui de
l'Académie en 1694.
Tout d'abord, Pierre Richelet (1631-1694) publie en 1680 le premier
dictionnaire monolingue de langue française, le Dictionnaire français contenant
les mots et les choses (2 vol., in- 4°), dictionnaire destiné à "l'honnête
homme". Il y définit les mots en homme de goût et de raison, volontiers
puriste. Il s'agit d'un dictionnaire descriptif du bel usage, avec des exemples
choisis dans l'œuvre de Boileau, Molière, Pascal, Vaugelas, sans oublier les
collaborateurs de Richelet, Patin et Bouhours qui n'hésitent pas à se citer, un
bon moyen de passer à la postérité... Ce dictionnaire préfigure l'ouvrage de
Littré et de Paul Robert : le grand dictionnaire de langue s'appuyant sur des
citations d'auteurs est né.
Ensuite Antoine Furetière (1620-1688), esprit vif et volontiers railleur, est
l'auteur du Dictionnaire Universel, contenant généralement tous les mots
françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les Sciences et des
Arts (2vol. ; in-folio). Ce n'est plus cette fois-ci le "bon usage" qui est mis en
relief mais, comme il est annoncé dans la préface, "une infinité de choses". Les
traits d'Histoire, les curiosités de "l'histoire naturelle, de la physique
expérimentale et de la pratique des Arts" l'emportent sur la citation des bons
auteurs.
Furetière préfigure Pierre Larousse et le dictionnaire encyclopédique, ce dernier
étant davantage centré sur les idées et les choses décrites par les mots que
sur l'usage du mot dans la langue.
Enfin, paraît en 1694 la première édition du Dictionnaire de l'Académie
française (2 vol., in-4°) se trouve ainsi accomplie l'une des tâches que s'était
fixée l'Académie dès 1635 sous l'œil attentif de Richelieu. Ce dernier souhaitait
vivement en effet que la France se dotât d'un dictionnaire à l'image de celui de
l'Académie della Crusca fondée à Florence, dictionnaire illustrant la langue
italienne dans une première édition en 1612 et une seconde en 1623.
Certes, la publication du dictionnaire de l'Académie, fort attendue, était bien
tardive, mais à tout prendre, ce fut une chance pour la lexicographie, puisque
le monopole du dictionnaire de l'Académie n'avait pu être conservé. En effet,
publiés à Genève et en Hollande, mais destinés à tous les usagers de la langue
française, les dictionnaires de Richelet et de Furetière avaient déjà eu l'heur de
plaire au Roi. Une saine concurrence était désormais installée.
Le dictionnaire de l'Académie avait pâti, d'une part, de la mort en 1653 de son
rédacteur talentueux, Vaugelas, et, d'autre part, d'un changement d'état de
langue après ce premier élan, une reprise s'était donc révélée nécessaire à la
fin du XVIIe siècle. Sans oublier le conflit qui opposa Furetière, académicien
accusé d'avoir plagié le dictionnaire de l'Académie pour alimenter son propre
dictionnaire. S'il est vrai que la formule initiale du dictionnaire de Furetière ne
devait comprendre que des mots scientifiques, techniques, et que d'une
certaine façon, en y introduisant les mots d'usage courant, il "doublait"
l'Académie, la teneur même de ces articles était cependant bien différente. La
première édition du dictionnaire de l'Académie n'eut pas le succès escompté
parce que les mots y étaient regroupés en fonction des racines, et le public
n'appréciait guère ce classement qui rassemblait des mots comme dette,
débiter, redevance sous l'entrée devoir.
Cela étant, c'était une initiative pertinente sur le plan linguistique, trois siècles
plus tard tous les linguistes salueraient Josette Rey-Debove pour avoir
élaboré le Dictionnaire méthodique (1982) dans une dynamique analogue.
Disons-le tout de suite, si le premier dictionnaire de l'Académie n'était pas
parfait et si l'ordre alphabétique redevint la règle dès la seconde édition, en
1718, l'Académie a fait d'excellents dictionnaires, et on peut citer entre autres
éditions la quatrième (1762), la sixième (1835) et sans aucun doute la
neuvième en cours (1992). Le dictionnaire de l'Académie, par le choix d'une
description de l'usage contemporain et par le refus des citations au profit de
l'élaboration d'exemples, se révélait en fait moderne avant la lettre, presque
saussurien, et préfigurait le Dictionnaire français contemporain de 1967 ou le
Micro-Robert.
Concernant l'aventure exceptionnelle à l'échelle internationale des dictionnaires
de l'Académie française, un ouvrage est paru en 1997 aux éditions Champion
Slatkine, dirigé par Bernard Quemada et intitulé Les Préfaces du Dictionnaire
de l'Académie française (1694-1992). On y redécouvre combien l'Académie, en
gardant les mêmes critères – la description de l'usage en synchronie et une
nomenclature n'englobant pas les vocabulaires techniques – a su rendre
compte de l'évolution de la langue et des débats linguistiques qui ont jalonné
l'histoire de la langue et des pratiques lexicographiques.
De quoi ne pas céder à la tentation facile d'une critique systématique d'un
dictionnaire qui, en définitive, est conçu sans souci de commercialisation, de
manière désintéressée, par une assemblée représentative et éclectique élue.
Faut-il signaler qu'il est parfois fait appel au vote des académiciens pour se
prononcer sur tel ou tel choix lexicographique ou pour revoir la copie qui ne
donne pas complète satisfaction ?
La procédure ne manque pas de panache et relève d'une symbolique toute
démocratique qui inspire le respect. On ne s'étonnera donc pas qu'un très
grand projet d'informatisation des différentes éditions du Dictionnaire de
l'Académie française soit en cours ; celui-ci, dirigé par Isabelle Leroy-Turcan
(Université de Lyon II) et Terence Russon Wooldridge (Université de
Toronto), avec déjà un site informatique, permettra en effet de mieux étudier
et de mieux suivre l'évolution de la langue française d'édition en édition, à la
plus grande satisfaction des historiens, des linguistes et de tous ceux que
l'histoire de notre langue passionne.

Avec la parution fondatrice du Richelet, du Furetière et de la première édition


du Dictionnaire de l'Académie, pouvait de fait commencer la grande aventure
lexicographique et dictionnairique française.

Le XVIIIe siècle : le siècle de l'encyclopédie


La première tâche des lexicographes du XVIIIe siècle fut d'abord de
perfectionner les ouvrages existants.
En particulier, revint aux Jésuites de Trévoux le mérite de poursuivre la tâche
entreprise par Furetière ; en effet dès 1704, les Pères Jésuites de cette petite
ville située sur la Saône dans les Dombes publièrent un dictionnaire
encyclopédique, le Dictionnaire Universel françois et latin, en enrichissant et en
corrigeant idéologiquement la seconde édition du dictionnaire de Furetière, qui
avait été reprise en 1702 par le protestant Basnage de Beauval, ce qui
n'était évidemment pas du goût des Pères Jésuites. Ce furent d'abord trois
volumes in-folio qui furent offerts en 1704, puis cinq en 1732, et huit en 1771.
Fournir une information soutenue et combattre un certain nombre d'idées, tel
était l'objectif. Et sur ce dernier point les Jésuites avaient fort à faire, puisque
les jansénistes d'abord, les philosophes ensuite, leur portaient de rudes coups.
Par ailleurs, les différents dictionnaires de l'Académie apportaient leur lot de
réformes utiles, simplifiant l'orthographe, en particulier dans la troisième
édition (1740) avec l'Abbé d'Olivet.
Il faut enfin signaler à la veille de la Révolution, en 1788, la publication du
Dictionaire critique de la langue française (3 vol., in-8°), avec un seul n, de
l'Abbé Féraud, ouvrage qui connut peu de succès mais qui présente sans
doute l'image la plus intéressante de la langue du moment, avec des points de
vue critiques et la mention de la prononciation. Ce dictionnaire qui a influencé
les lexicographes du XIXe siècle méritait bien la réédition qui vient d'en être
faite depuis peu par les Presses de l'École Normale supérieure, sous la
direction de Philippe Caron. Et, c'est le sort heureux des ouvrages majeurs, il
fait actuellement l'objet d'une informatisation pour être sans doute bientôt
publié sur cédérom.

Cependant, l'œuvre indissociable du XVIIIe siècle et la plus novatrice reste


bien l'Encyclopédie ou le Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des
métiers (35 vol. in-folio, en 1777) de Diderot et D'Alembert. Lorsque
l'éditeur Le Breton s'adresse à Diderot pour traduire la Cyclopedia d'Ephraïm
Chambers, franc succès outre-Manche, on est encore loin d'imaginer le succès
prodigieux de l'entreprise qui, sous l'impulsion de Diderot, alors peu connu, et
de D'Alembert, déjà élu à 24 ans à l'Académie des sciences, prendra
rapidement une complète autonomie par rapport aux deux volumes de
Chambers.
Qu'on en juge sur pièces : trente ans plus tard, en 1777, ce sont trente-cinq
volumes dont dix-sept de textes, cinq de suppléments, deux de Tables
analytiques et onze de planches qui sont offerts aux lecteurs. Au-delà de la
somme considérable de renseignements apportés, l'Encyclopédie constituait un
support privilégié pour diffuser les points de vue des philosophes, et elle eut
comme chacun sait une influence très sensible sur les contemporains.
Par ses longs développements sur les questions scientifiques, sur les machines
et les techniques, l'Encyclopédie s'avère pleinement représentative du Siècle
des lumières. Elle fut également, avant 1789, l'affaire la plus lucrative de
l'édition. Si l'on en croit Voltaire, elle fit vivre pendant plus de vingt-cinq ans
plus de mille ouvriers, papetiers, imprimeurs, relieurs et graveurs.
L'Encyclopédie, de par sa conception, est par ailleurs à l'origine de nos
modernes encyclopédies. Si le dictionnaire de langue privilégie la description
de l'usage du mot dans la langue, et le dictionnaire encyclopédique la
description de la chose ou de l'idée représentées par le mot, l'encyclopédie
n'enregistre pas vraiment des mots mais des thèmes, l'objectif étant d'offrir de
pertinentes synthèses sur les connaissances acquises.
Par exemple, si le mot "escargot" est nécessairement mentionné dans la
nomenclature d'un dictionnaire de langue ou d'un dictionnaire encyclopédique,
avec un article lui faisant suite, une encyclopédie peut très bien ne pas y faire
correspondre un article, mais renvoyer au mot "gastéropode" où il sera
question entre autres de l’escargot.

La première moitié du XIXe siècle : les accumulateurs de mots


La Révolution française ne fut pas seulement politique, elle fut aussi
linguistique.
À la société née de la Révolution a correspondu en effet un lexique plus large.
Au-delà des mots issus des diverses réformes, par exemple celle du système
métrique, des mots nouveaux se répandirent dans le commerce.
Les anglicismes commencèrent à s'incruster dans notre langue, en particulier
dans les domaines techniques où l'Angleterre disposait d'une révolution
industrielle d'avance.
Par ailleurs, la vague montante des romantiques fit déferler dans la littérature
un vocabulaire abondant et coloré. Le mélange des mots de basse ou noble
extraction, archaïques, classiques ou nouveaux, n'est plus un obstacle : les
barrières volent en éclats sous la poussée de ces écrivains chevelus qui
rompent avec la tradition. Et nécessairement, ce sang neuf allait générer un
nouveau mouvement lexicographique.

De cette période de création lexicale, nous retiendrons notamment quelques


dictionnaires réputés pour constituer avant tout des "accumulateurs" de mots,
c'est-à-dire que, négligeant plus ou moins la définition et la précision dans
l'information, ils se caractérisent d'abord par des nomenclatures pléthoriques.
L'ouvrage de Boiste en 1800, Le Dictionnaire Universel de la langue française
(1 vol., in-4°), repris en 1829 avec le sous-titre de Pan-lexique par Charles
Nodier, celui de Napoléon Landais en 1834, et enfin celui de Bescherelle
en 1845, illustrent tout à fait cette tendance à ouvrir les nomenclatures au plus
grand nombre de mots, sans pour autant être très pertinents quant aux
définitions.
Les titres sont d'ailleurs révélateurs d'une surenchère qui se situe davantage
sur la quantité que sur la qualité. Napoléon Landais intitule sans hésiter son
ouvrage Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires ; quant à L. N.
Bescherelle, il choisit d'appeler le sien tout simplement Dictionnaire national ou
Grand Dictionnaire critique de la langue française embrassant avec
l'universalité des mots français l'universalité des connaissances humaines,
donnant ainsi d'emblée à son ouvrage le statut d'un véritable monument. Toute
différente est cependant la sixième édition du Dictionnaire de l'Académie,
remarquablement préfacée par A. F. Villemain, à l'époque la plus haute
autorité universitaire et académique de France.
La cinquième édition (1798) à laquelle D'Alembert et Marmontel avaient
beaucoup contribué, n'avait pas été reconnue par l'Académie, l'Académie ayant
été supprimée en 1793 et l'ouvrage publié sans son aval avec un "discours
préliminaire" de tonalité révolutionnaire, et surtout un Supplément consacré
aux "mots de la révolution", 300 environ répartis sur 12 pages.
La sixième emporte au contraire unanimement l'adhésion, éclipsant même aux
yeux de nos contemporains, à tort nous semble-t-il, la septième édition,
harmonieuse et accueillante pour les mots nouveaux, publiée en 1878 sous la
responsabilité de Silvestre de Sacy.

La seconde moitié du XIXe siècle : la linguistique historique


Littré (1801-1881) et Larousse (1817-1875)
Dès 1804, avec entre autres les publications de Franz Bopp, commençait
l'aventure de la linguistique historique qui rapprochait les langues européennes
du sanscrit, d'où la découverte progressive de la famille des langues indo-
européennes, expliquant les parentés entre des langues apparemment aussi
éloignées que le latin, l'allemand et le grec.
Mais c'est surtout au cours de la seconde moitié du XIXe siècle que s'installent
en France les recherches étymologiques avec l'établissement des règles de
phonétique historique.
Ajoutons à cela l'influence décisive d'Auguste Comte qui publie entre 1830 et
1842 le Cours de philosophie positive. Fondée sur l'observation, l'étude positive
des faits, et donc implicitement sur la recherche des causes historiques, cette
philosophie s'adaptait parfaitement aux aspirations d'une nouvelle génération
désormais plus sensible aux réalités scientifiques qu'aux rêveries
enthousiastes.
Larousse et Littré en seront de fervents adeptes, et tous deux s'inscrivent sans
hésiter dans le courant de la linguistique historique et comparative.

Littré naquit le 1er février 1801 à Paris, avec pour premier prénom
Maximilien, prénom donné par son père en souvenir de Robespierre
l'Incorruptible... L'enfant prometteur, entre une mère protestante et un père
disciple de Voltaire, ne fut point baptisé, ce qui fit couler beaucoup d'encre
lorsqu'il devint célèbre. Brillant élève, il se destine à la médecine, mais le
médecin se métamorphose petit à petit en érudit en publiant notamment une
traduction critique des œuvres d'Hippocrate. En 1840 lui est alors proposée
une chaire d'Histoire médicale qu'il refuse, ne souhaitant guère le contact avec
le public.
Émile Littré avait formé le projet dès 1841 de rédiger un dictionnaire
étymologique qui serait publié chez son camarade de classe, Christophe
Hachette, déjà devenu un éditeur éclairé. En fait, ce premier projet n'aboutira
pas, il faut attendre 1859 pour que les premiers textes du Dictionnaire de la
langue française (4 vol., in-4°) soient remis à Hachette, et 1872 pour que ce
dictionnaire en quatre volumes qui fait une large part à l'histoire du mot soit
achevé. Un Supplément publié en 1877 couronne l'ensemble.
Le dictionnaire de la langue française eut un franc succès auprès du public
cultivé qui trouvait dans cet ouvrage une somme d'informations jusque-là
inégalée quant à l'étymologie et à la filiation historique des sens d'un mot, le
tout cautionné par de grands auteurs. Aussi prit-on rapidement l'habitude
d'évoquer "le Littré" avec déférence, comme une autorité ; il devint même
l'instrument indispensable de toute recherche sérieuse en langue française.
Son prestige ne diminua guère au fil des années, ainsi, jusqu'à la publication
du Dictionnaire de Paul Robert, presque un siècle après, Littré fut le plus
souvent considéré comme la seule véritable référence des lettrés.
Alain Rey, dans un ouvrage explicite sur le lexicographe et son œuvre, met
éloquemment en relief comment s'est installée la notoriété d'un dictionnaire
qui, n'étant plus réédité, est devenu tout au long de la première moitié du
XIXe siècle un ouvrage mythique. En fait, le dictionnaire de Littré était fondé
sur l'idée darwinienne que la langue est un organisme qui connaît d'abord une
croissance, et qui, en atteignant son apogée, commence à décliner. Pour Littré,
comme pour nombre de linguistes de la fin du XIXe siècle, l'apogée se situait
au XVIIe siècle. Aussi, son dictionnaire enregistre-t-il principalement la langue
française comprise entre le XVIIe siècle et le début du XIXe. Les citations
présentées ne sont jamais postérieures à 1830. É. Zola et la majeure partie de
l'œuvre de V. Hugo n'y figurent pas.
Ajoutons à cet handicap que la conception des articles, avec parfois 40 sens
qui se succèdent selon une filiation que Littré souhaite avant tout historique,
positiviste, est loin d'être clarificatrice. Il n'en reste pas moins que l'ouvrage
reste jusqu'à celui de Paul Robert d'une richesse foisonnante et méritait
pleinement toute sa notoriété.

Pierre Larousse est né en 1817 dans le village de Toucy en Bourgogne où il


est élevé entre la forge de son père et l'auberge tenue par sa mère. Son
appétit de savoir et sa boulimie de lecture lui ouvrent sans tarder les portes de
l'École normale de Versailles. Après un rapide retour au village natal, où il
exerce en tant qu'instituteur et directeur de l'école dont il avait été l'élève, il
repart à Paris où il mange "la soupe à l'oignon", selon son propre aveu et,
surtout, fréquente avec ardeur les bibliothèques et les amphithéâtres. Il publie
alors les premiers ouvrages destinés à l'enseignement de la langue, fondant en
1852 la librairie, la maison d'édition qui porte toujours son nom.
On retiendra qu'en 1856 paraît le Nouveau dictionnaire de la langue française,
dictionnaire de petite taille et destiné notamment à un public scolaire,
l'ouvrage connaît un succès considérable. Ce sera l'ancêtre lointain du Petit
Larousse illustré dont la première édition est de 1906 et que l'on doit à ses
successeurs. Mais ce petit dictionnaire de 714 pages, avec déjà les célèbres
locutions latines, donne vite l'idée à P. Larousse d'une œuvre de plus grande
envergure. C'est le moins que l'on puisse dire puisque, de 1865 à 1876, ce
sont quinze gros volumes in-quarto, auxquels s'ajouteront à partir de 1878
deux suppléments, qui seront publiés sous le titre de Grand dictionnaire
universel du XIXe siècle.
P. Larousse, admirateur de Diderot, disciple de Proudhon et d'A. Comte,
ambitionne en fait de donner à la France un nouveau monument
encyclopédique, alliant la description de la langue et la diffusion des savoirs. Et
ce sont pas moins de 20 000 pages en petites caractères sur quatre colonnes,
presque sans aucune illustration, qui feront de ce dictionnaire une œuvre
jamais refaite dans de telles proportions. Il faut en convenir, si l'on admire
aujourd'hui l'ampleur extraordinaire d'une telle œuvre, en réalité, lorsque P.
Larousse avait lancé son projet avec force battage, il fut pris par plus d'un,
selon la formule d'un critique de la première heure, pour un "barnum
littéraire".
On redécouvre aujourd'hui le caractère très riche de l'information et, au-delà
de la nature encyclopédique de l'ensemble, la pertinence des informations
apportées sur la langue. Celles-ci ont longtemps été occultées par
l'hypertrophie de la seconde partie de chaque article, réservée aux aspects
encyclopédiques, où alternent les informations les plus sérieuses et les
anecdotes les plus étonnantes.
Larousse avait un objectif : diffuser la pensée républicaine propre à instaurer
une société démocratique et laïque. Son dictionnaire, dont on pouvait par
exemple commander une feuille, celle correspondant à l'article qui vous
intéressait, eut pour public privilégié les instituteurs et toute une population
modeste aspirant au savoir.
Le Grand dictionnaire universel du XIXe s. de Larousse ne fit pas en réalité
concurrence au Dictionnaire de la langue française de Littré, les publics
différaient, et loin de mettre ces ouvrages dos à dos, il conviendrait plutôt de
reconnaître à chacun une dimension hors du commun. Au point qu'il était
presque impossible à d'autres lexicographes de s'imposer.
Seuls Hatzfeld, professeur de rhétorique et remarquable logicien, et
Darmesteter, philologue réputé, ont pu se distinguer avec le Dictionnaire
général de la langue française du commencement du XVIIe à nos jours en
deux volumes de dimension modeste mais de grande qualité, publiés
respectivement en 1890 et 1900. Ce dictionnaire recueillit un succès certain
auprès des étudiants et des élèves de classe préparatoire, d'une part grâce au
classement rigoureux des définitions, et d'autre part grâce aux 300 pages
préliminaires consacrées à un remarquable Tableau de la formation de la
langue, ce dernier étant rédigé par Darmesteter.

Le XXe siècle :
Les talentueux successeurs de P. Larousse
Au Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle devait succéder en 1904 les
sept volumes in-quarto du Nouveau Larousse illustré, dirigé par Claude Augé,
qui fut très largement répandu, avec des planches illustrées en couleurs et de
nombreuses illustration au cœur des articles. Version singulièrement amincie
du prédécesseur en 17 volumes, il méritait sa notoriété de par son
homogénéité et la fiabilité des informations apportées.
En 1910 paraissait le Larousse pour tous en deux volumes, intitulé ensuite
Larousse Universel en 1923, et Nouveau Larousse Universel en 1948. Il devait
donner naissance au Larousse en trois volumes, le L3.
En 1933, était publié sous la direction de Paul Augé le dernier des six volumes
du Larousse du XXe siècle (6vol. et un Supplément en 1953, in-4°), ouvrage
particulièrement riche en biographies.
Mais c'est en 1963 que, sous la direction de Jean Dubois et avec le concours du
grand linguiste Claude Dubois, était achevé le Grand Larousse
Encyclopédique en dix volumes, plus de 10 000 pages, 450 000 acceptions,
22000 illustration. Assurément, un dictionnaire de grande classe correspondant
aux trente glorieuses : pas moins de 700 spécialistes y participaient en effet,
répartis en treize grandes disciplines dirigées par des secrétaires de rédaction
responsables de l'homogénéité de l'ensemble.
On est en fait ici à l'aube du travail structuré à l'aide de l'ordinateur, cet
ouvrage représentait la dernière étape avant l'aventure informatique, celle
correspondant à la mise en fiche la plus efficace possible.
En 1985, dans la même dynamique était publié le Grand Dictionnaire
Encyclopédique Larousse en dix volumes. Mais il s'agissait là de dictionnaires
encyclopédiques, et si la description de la langue n'y était pas négligée, ces
ouvrages privilégiaient naturellement l'information encyclopédique.
Les Éditions Larousse allaient donc également s'intéresser au dictionnaire de
langue. Ainsi est publié en 1978 le Grand Larousse de la langue française, en 7
volumes, élaboré sous la direction de Louis Guilbert, R. Lagane, G. Niobey.
Un dictionnaire Larousse sans illustration, uniquement consacré à la description
des mots de notre langue, voilà qui rompait avec la tradition.
En fait, dès 1967, une première percée avait été faite avec le Dictionnaire
français contemporain (le DFC) rédigé sous la direction de Jean Dubois,
ouvrage en un volume, de format très réduit, avant tout destiné au public
scolaire.
Ce petit dictionnaire, en décrivant le français en synchronie, avec un
dégroupement des articles, en fonction de la distribution des mots dans la
langue (plusieurs articles pour le mot "classe" au lieu d'un seul avec de
nombreux sens différents) avait fait l'effet d'une révolution lexicographique.

Le Grand Larousse de la langue française s'inscrivait dans cette même


perspective, moderniste, en ajoutant à la nomenclature des articles
exclusivement consacrés à la linguistique. Hélas, ce bel outil élaboré avant
l'informatisation, n'a pas eu la carrière qu'il méritait, il ne fut pas remis à jour.

Paul Robert, Alain Rey et Josette Rey-Debove

Paul Robert est né en 1910 en Algérie, dans une famille aisée, et il


entreprend des études de droit qui le conduiront jusqu'à une thèse soutenue à
la fin de la guerre, en 1945. Rien ne le prédestinait à la lexicographie, mais son
affectation pendant la guerre au service du décodage, où il participe à
l'élaboration d'un dictionnaire du chiffre, son contact apprécié avec la langue
anglaise, ses premiers essais à titre personnel de mise en analogie des mots
anglais puis des mots français, l'entraînent peu à peu à transformer son loisir
en activité dévorante, au point de bientôt recruter des auxiliaires sur sa
fortune personnelle pour faire aboutir le dictionnaire dont il rêve. En 1950, il
apprend que le premier fascicule de son dictionnaire obtient le prix Saintour de
l'Académie française. Dès lors, il n'a de cesse d'achever l'œuvre commencée
et, en 1952 et 1953, il recrute pour l'aider deux collaborateurs d'excellence,
Alain Rey et Josette Rey-Debove. Le 28 juin 1964, il achève le sixième et
dernier tome du Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue
française. Paul Robert offrait à la France un digne successeur du Littré avec des
citations extraites d'un corpus littéraire plus récent, la Société qu'il avait
fondée s'intitulait d'ailleurs la Société du Nouveau Littré. Quant au principe
analogique qui était à l'origine du projet, s'il n'est pas négligeable, ce n'est pas
lui qui déterminait le succès de l'entreprise, mais la qualité du travail
définitoire. Les éditions Robert allaient s'installer dans le paysage
lexicographique en s'illustrant par différents dictionnaires de grande qualité. En
1967, naissait d'abord le Petit Robert, le petit dictionnaire de langue manquant
sur le marché et qui pouvait ainsi constituer le pendant du Petit Larousse
illustré, dictionnaire encyclopédique. Après un Supplément (1971) ajouté au
Dictionnaire alphabétique et analogique de Paul Robert, supplément qui
installait A. Rey et J. Rey-Debove parmi les grands lexicographes connus,
paraissait en 1985 le Grand Robert de la langue française dirigé par A. Rey.
À la fin du siècle, marqué par l'informatique, sont diffusés, en 1994, le
cédérom correspondant au Grand Robert et, deux ans plus tard, celui
correspondant au Petit Robert, outil précieux permettant de nombreux
croisements d'information avec, pour la première fois, des mots sonorisés,
près de 9000.
Enfin, signe patent d'une maison d'édition bien installée dans le paysage
lexicographique, on assiste au cours de la dernière décennie du XXe siècle à la
diversification des ouvrages en un ou deux volumes, qu'il s'agisse des
dictionnaires pour enfants, des dictionnaires pour collégiens ou des
dictionnaires de noms propres, sans oublier en 1992 le Dictionnaire historique
de la langue française (2 vol., in-4°), synthèse des informations recueillies par
les chercheurs de ce demi-siècle, et ouvrage qui renoue utilement avec un
genre qu'avait tenté d'imposer l'Académie au XIXe siècle, sans succès.
Outre leur compétence de lexicographe et de dictionnariste, Josette Rey-
Debove et Alain Rey nous ont offert par ailleurs d'importants ouvrages
théoriques sur la lexicologie et la lexicographie. Ils auront indéniablement
marqué la seconde moitié du siècle.

Quillet, Flammarion et Hachette

Aristide Quillet, tout comme Pierre Larousse, était un autodidacte, et tout


naturellement sa production lexicographique s'orienta vers le dictionnaire
encyclopédique. Il faut signaler notamment parmi les ouvrages qui seront issus
de la maison d'édition qu'il a créée le Dictionnaire encyclopédique de 1950, en
5 volumes, auquel s'ajouteront deux Suppléments (1952, 1963). Raoul
Mortier, qui dirige ce dictionnaire conçu à partir d'un nombre réduit de
collaborateurs, des enseignants et des techniciens en particulier, choisit de
donner à ce dictionnaire une tonalité didactique, avec de nombreux tableaux
synoptiques et un soin tout particulier pour clarifier les informations
encyclopédiques.
Depuis 1940 et réédité plusieurs fois, avec 40 000 mots dans sa première
édition, le Quillet de la langue française (3 vol., in-8°) représente, avant le
Lexis de 1979 (Larousse), le premier dictionnaire de langue à présenter des
illustrations.
C'est tardivement que les éditions Hachette, à qui on doit le Littré, reprirent le
chemin de la lexicographie avec en 1980 le Dictionnaire Hachette (1 vol.,
in--4°), préfacé par Roland Barthes, un peu plus de cent ans après la
parution du Dictionnaire de la langue française.
Chaque année désormais, en même temps que le Petit Larousse paraît donc le
Dictionnaire Hachette, disponible depuis 1995 sur cédérom, le multimédia
représentant en effet un secteur en pleine expansion chez Hachette.
Enfin, en 1995 était publié à l'occasion du sixième sommet de la Francophonie,
à Cotonou, le Dictionnaire Universel Afrique édité conjointement avec l'Aupelf-
Uref. Et, en 1998, ce Dictionnaire francophone est pérennisé en devenant le
Dictionnaire universel francophone contenant, entre autres unités lexicales,
environ 10 000 mots de l'univers francophone.

Le TLF : Paul Imbs, Bernard Quemada


La plus grande aventure lexicographique de ce demi-siècle est sans conteste
celle de l'élaboration du Trésor de la langue française (le TLF) : plus de 90 000
mots traités dans le cadre de 16 volumes in-quarto (25 000 pages environ)
publiés entre 1971 et 1994, avec pour directeurs P. Imbs, jusqu'au septième
volume, et B. Quemada, du huitième au seizième, l'addenda étant sous la
direction de G. Gorcy.
C'est lors du Colloque organisé en novembre 1957 à Strasbourg qu'était
esquissé ce projet grandiose. Y participait B. Quemada, pionnier de la
lexicographie assistée par les machines mécanographiques d'abord,
informatiques ensuite. Dès 1977, il devait prendre la direction du TLF après
avoir assuré la programmation de la documentation informatisée nécessaire à
l'élaboration du dictionnaire papier, une documentation informatisée sur la
langue française qui fit l'admiration de tous les pays, de par son ampleur et sa
qualité. Élaboré dans le cadre du CNRS, ce dictionnaire de la langue du XIXe et
du XXe siècle a indéniablement bénéficié de directeurs de très grand talent
avec P. Imbs qui l'a fait naître et B. Quemada qui lui a donné sa dimension
moderne et son rayonnement international.
Soutenu dès 1959 par le gouvernement qui souhaitait favoriser des projets
d'envergure – l'acquisition du plus gros ordinateur existant dans les années
1960, le Gamma Bull 60, en est le symbole –, le projet s'appuyait déjà en
1969 sur près de 80 millions d'unités-mots disponibles grâce à un remarquable
programme de saisie de textes sur bandes perforées. En 1977, le dictionnaire
s'insère dans un sous-ensemble du CNRS, l'Institut National de la langue
française, l'INaLF, créé par B. Quemada qui fédère ainsi nombre de
laboratoires et d'excellents linguistes qui se mettent au service de la langue
française. D'autres dictionnaires installés dans cette institution viennent
compléter la description de la langue française tout au long de l'histoire de
notre langue.
Citons notamment le Dictionnaire du Moyen Français dirigé par un autre très
grand linguiste, Robert Martin, qui dirigea l'INaLF de 1992 à 1996. Il importe
de souligner qu'à l'identique du dictionnaire de l'Académie, il s'agit ici d'un
dictionnaire institutionnel qui ne doit rien dans sa conception à l'entreprise
privée. Il résulte en effet du seul souci de la recherche.

L'INaLF et l'internet...
L'INaLF, créé et dirigé par B. Quemada, puis par R. Martin, et depuis 1997
par B. Cerquiglini, a su gérer l'avance énorme qu'avait le TLF grâce à
l'informatisation de sa documentation.
Deux chantiers ont rapidement été ouverts : d'une part l'informatisation du
dictionnaire et d'autre part la mise à disposition auprès des chercheurs de la
banque de données qui a irrigué le dictionnaire pendant son élaboration et qui
ne cesse d'être enrichie.
Le premier enjeu a consisté à informatiser le TLF pour pouvoir en
disposer sur support électronique. Ce sera bientôt chose faite. C'est en
effet un énorme travail que de transformer toutes les données présentées sur
papier et de reconvertir les bandes de composition lorsque celle-ci existent,
mais il sera bientôt possible de disposer de ce formidable dictionnaire avec
trois niveaux de consultation : la lecture article par article en visualisant tel ou
tel type d'information, la consultation transversale, par exemple tous les mots
d'origine germanique, et la consultation croisée, par exemple tous les termes
de marine en rapport avec la manoeuvre des voiles.
Enfin, un second enjeu consiste à faciliter la consultation de la base de
données pour tous les chercheurs, et ici Internet est venu à point nommé
pour rendre désormais facile la consultation sur simple abonnement. Il s'agit
de Frantext, mondialement connu, qui rend accessible en interactif 180
millions de mots-occurrences résultant du traitement informatique de cinq
siècles de littérature, avec plusieurs milliers de textes offerts. L'information
ainsi accessible a quelque chose de vertigineux. Il ne fait pas de doute que les
productions de l'INaLF sont déjà installées au cœur du XXIe siècle.
Conclure n'est guère possible. L'aventure commencée au XVIe et XVIIe siècle
ne s'achève pas avec les supports électroniques qui, bien au contraire, la
relancent avec des horizons apparemment sans limite. Laissons le dernier mot
à un maître des mots, Bernard Cerquiglini, qui, en 1992, déclarait dans la
lettre de la délégation générale à la langue française que " le dictionnaire
résume, concentre et représente, aux yeux de beaucoup, la langue elle-même,
avec laquelle il a une relation essentielle, bien que jamais achevée.
Monolingue, bilingue ou plurilingue, classique ou plus moderne, général ou
spécialisé, de l'humble glossaire terminologique dont le but est précis à la
fascinante encyclopédie qui dit "tout sur tout", c'est un monde de dictionnaires
qui encadre et organise notre vocabulaire et notre réflexion “.

Jean Pruvost, Les dictionnaires de langue française : de la genèse à


l’Internet, un outil pour tous

Des dictionnaires du grand siècle, pour la plupart des in-folio, volumineux fleurant bon le
vieux papier et le cuir, aux dictionnaires de la fin du XXe siècle et du XXIe siècle, de plus
en plus souvent offerts sur supports électroniques, c’est-à-dire sur « disques optiques
compacts » plus couramment appelées « cédéroms » (graphie prônée par l’Académie
française), nous sommes indéniablement confrontés à la sensible évolution de fond et de
forme d’un même produit, à la fois hautement symbolique et essentiellement pragmatique.
S’il y a en moyenne, selon les statistiques, plus d’un dictionnaire par foyer, et si les
dictionnaires font en quelque sorte partie du mobilier et du patrimoine, il n’en reste pas
moins qu’ils demeurent très mal connus et dans leur diversité et dans leur histoire.

Une double méprise


Les dictionnaires sont généralement associés, de la part du consultant, à deux
ré exes concomitants et délétères, deux ré exes à combattre. Le premier ré exe,
que nous appellerons le ré exe de l’unicité, consiste à évoquer « le » dictionnaire
comme s’il s’agissait d’un ouvrage unique, l’alpha et l’oméga. Ainsi, il est pour le
moins fréquent que l’auteur d’un manuel scolaire, en proposant un exercice qui
nécessite explicitement l’usage d’un dictionnaire, incite les élèves à chercher une

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fl
fl
fl
dé nition dans « le » dictionnaire et non dans « un » dictionnaire, comme si
chaque dictionnaire di usait la même information, quels qu’en soient la nature, le
format et l’objectif. C’est le même ré exe que l’on retrouve dans la formule
presque incantatoire : « Véri ons dans le dictionnaire. » S’impose ici la dé nition
du mot « dictionnaire » par le dictionnaire de l’Académie (auquel chacun fait
référence dès que l’on recherche un ultime arbitre) pour mettre d’emblée en relief
le champ sémantique très large qu’il recouvre. « Recueil méthodique de mots
rangés le plus souvent dans l’ordre alphabétique », telle est en e et la dé nition
large, o erte dans la neuvième édition du dictionnaire de l’Académie, édition en
cours d’élaboration, et dont le premier volume est paru en 1992
3
Le second ré exe, corollaire du premier, est celui que nous pourrions appeler le
ré exe de la vérité absolue, avec le postulat tacite suivant : tout ce qui est
mentionné dans les dictionnaires est indiscutable, et le mot qui n’y gure pas
n’existe pas. D’où cette remarque habituelle au point de devenir un cliché : « Ce
mot n’est pas français, il n’est pas dans le dictionnaire. » C’est évidemment
oublier un peu trop rapidement que les auteurs de dictionnaires enregistrent des
nomenclatures très di érentes en fonction de la taille de l’ouvrage, du nombre de
volumes, et des choix qu’ils se xent quant au regard sur les mots, descriptif ou
normatif, par exemple. En n, il importe de souligner que l’auteur d’un
dictionnaire est d’abord un interprète de la langue, une langue qu’il faut traquer
dans sa mobilité, aussi bien dans ses traces écrites que dans ses manifestations
orales : les sens des mots n’existent pas tout préparés, ils sont le fruit
sémantique de notre activité langagière. N’oublions jamais que les auteurs du
grand siècle ne béné ciaient pas de dictionnaires monolingues pour dé nir les
mots, des mots qu’ils employaient pourtant avec e cacité et talent : le premier
dictionnaire français-français ne date en e et que de 1680
4
Par dé nition, les dictionnaires viennent toujours a posteriori, lorsque les mots et
les sens se sont déjà installés dans la langue, l’auteur du dictionnaire choisit alors
ce qui lui semble être la meilleure dé nition. Mais son concurrent peut faire
mieux et percevoir de nouveaux sens, de nouvelles acceptions pour le même mot.
De fait, la multiplicité des sens dépend en partie du caractère plus ou moins
général des dé nitions et de la sensibilité linguistique de l’observateur privilégié
qu’est l’auteur de l’article. C’est tout le paradoxe de nos dictionnaires
monolingues : ils résultent, d’une part, d’une observation généralement très
rigoureuse de la langue mais, d’autre part, aussi de l’usage aléatoire d’une marge
naturelle d’interprétation. Or dès qu’ils sont imprimés, ils prennent force de loi
aux yeux des lecteurs qui les consultent

Un double repère
Deux repères s’imposent pour éviter la double méprise évoquée. En reprenant les
distinctions établies par Bernard Quemada dans la synthèse magistrale qu’il en
o re dans l’article consacré aux dictionnaires dans l’Encyclopédie Universalis,
rappelons d’abord une première di érenciation : un dictionnaire peut relever soit
d’un classement formel, et les mots sont alors répertoriés en partant de leur
forme, dans l’ordre alphabétique comme dans le Petit Robert, le Petit Larousse, le
ff
fl
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Trésor de la langue française, etc., soit d’un classement sémantique, et les mots
sont cette fois-ci répertoriés en fonction de leur signi cation, et seulement
ensuite, éventuellement regroupés dans l’ordre alphabétique, comme dans les
dictionnaires analogiques, les dictionnaires de synonymes, etc
6
Établissons ensuite avec B. Quemada une seconde distinction pertinente pour bien
percevoir la double perspective dans laquelle se situe tout bon dictionnaire. Il
convient en e et de di érencier le lexicographe du dictionnariste, celui-ci et
celui-là se cumulant et alternant le plus souvent chez la même personne pour
faire naître un dictionnaire de qualité. La dichotomie est particulièrement utile, car
elle fait apparaître une dualité toujours présente dès qu’il s’agit du dictionnaire,
en démarquant opportunément le linguiste, ici le lexicographe, confronté à
l’analyse scienti que des mots, et le praticien, le dictionnariste, ayant en charge la
mise en œuvre d’un produit. Le lexicographe s’assimile en e et au chercheur
seulement préoccupé par la rigueur scienti que de son analyse et de sa
description lexicale, sans se préoccuper des contraintes inhérentes à l’élaboration
et à la di usion du dictionnaire en tant que produit vendu. Et le dictionnariste est
celui qui doit tenir compte de toutes les contraintes relevant de l’élaboration d’un
produit dé ni et vendu sur un marché donné, il doit donc en garantir l’exécution
en fonction des contraintes de prix et de di usion, en tenant compte des délais
d’élaboration. On peut se montrer un très bon lexicographe et se révéler un piètre
dictionnariste. Et, par exemple, prévoir un dictionnaire de deux volumes à rédiger
sur trois ans, mais rédiger les articles des premières lettres de manière si ne, si
abondante, qu’on oublie le nombre de pages prévu pour l’ouvrage et le temps
imparti, si bien qu’on est contraint soit de poursuivre sur cette lancée, et le
nombre de volumes est multiplié par deux ou trois, au grand dam de l’éditeur,
soit de réduire l’information en cours de route, et l’on o re alors au public un
ouvrage déséquilibré quant à la densité d’information entre les premiers et les
derniers volumes

La genèse des dictionnaires


7
Qui a inventé les dictionnaires et quand ? Il serait en fait incongru de n’apporter qu’une
seule réponse à pareille question… Faut-il par exemple considérer que la pierre de
Rosette découverte lors de la campagne d’Égypte de Bonaparte constitue la première
trace d’un dictionnaire plurilingue ? Sur ladite pierre figuraient en effet les mêmes
informations transcrites en trois codes différents, les hiéroglyphes, le démotique et le grec.
Mais si la confrontation des hiéroglyphes a permis en 1822 à Champollion de percer leur
mystère, il ne serait pas très convaincant d’assimiler cette trace de plurilinguisme à un
dictionnaire trilingue, pas plus que de mentionner l’existence de dictionnaires chez les
Grecs en évoquant les recueils de mots rares appartenant à un dialecte ou à un écrivain,
par exemple Homère. En vérité, les conditions ne sont pas remplies pour faire aboutir le
genre lexicographique. Même si le dictionnaire monolingue va prendre souche dans les
répertoires plurilingues, qu’il s’agisse de l’Antiquité ou du Moyen Âge, les mots sont
encore prisonniers des conceptions métaphysiques : on ne s’intéresse pas pleinement au
langage pour lui-même mais à son essence divine. Ainsi, les Sommes du Moyen Âge,
correspondent à des résumés des connaissances de l’époque – par exemple la Summa
theologica de saint Thomas d’Aquin (1225-1273) – mais ne décrivent pas les mots. Y sont
seulement transmis les concepts et les savoirs de l’époque, fortement teintés
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d’interprétation métaphysique. Les Étymologies (Etymologiae) d’Isidore de Séville
(570-636), l’un des ouvrages fondateurs de la pensée médiévale, restent en réalité
totalement imprégnées d’une pensée religieuse qui ne laisse presque aucune place aux
considérations sur la langue.

Des gloses aux dictionnaires bilingues


8
Le dictionnaire est un outil destiné à résoudre les questions que l’on se pose sur les mots,
il représente d’une certaine manière notre premier outil didactique. Il ne serait pas
totalement faux d’affirmer qu’il est né des difficultés rencontrées par les élèves. En effet,
les gloses – c’est-à-dire les remarques explicatives ajoutées brièvement en marge ou
entre les lignes, destinées à commenter dans les ouvrages de grammaire latine ou
d’enseignement du latin les passages difficiles – sont instaurées pour aider les clercs qui
ne maîtrisent pas parfaitement le latin. Lorsque les gloses sont regroupées, on aboutit à
un glossaire, le plus célèbre étant celui de Reichenau (VIIIe siècle) qui rassemblait un peu
plus d’un millier de mots difficiles d’une vulgate de la Bible, avec leur traduction en un latin
plus facile ou en langue romane. Le dictionnaire bilingue, et à terme le dictionnaire
monolingue, sont déjà là en germes. En vérité, traduire puis expliquer en ajoutant un
commentaire lorsque la traduction se révèle insuffisante, c’est déjà forger les premières
définitions.
9
Avec la Renaissance et le goût des voyages formateurs au sein de l’Europe naissent des
dictionnaires plurilingues, le plus célèbre d’entre eux restant sans aucun doute le
Dictionnaire polyglotte de l’érudit italien Ambrogio Calepino (v. 1440-1510). Cet ouvrage
d’abord consacré en 1502 aux seules langues latine, italienne et française comptera dans
ses dernières éditions plus de dix langues mises en parallèle. On désignait déjà ce type
d’ouvrage par le nom de son auteur, le Calepin, comme plus tard le Littré, le Larousse, le
Robert. Mais dès le XVIIe siècle, le « calepin » s’assimile à un recueil de notes pour
bientôt devenir le « petit carnet » glissé dans une poche, singulière réduction de l’in-folio
originel. Au XVIe siècle, la langue française est encore une langue fluente, elle reste très
mouvante, même si les poètes de la Pléiade, Du Bellay en tête, s’emploient à la valoriser
et à lui donner un statut littéraire indiscutable avec, notamment, la Defense et Illustration
de la langue française publiée en 1549. Dix ans auparavant, François 1er avait imposé par
l’édit de Villers-Cotterêts la langue française, celle du Nord, comme langue administrative,
le latin n’étant plus dès lors la langue écrite prépondérante. Et les langues d’oc perdaient
par là même toute légitimité.
10
Paraissait à la même date, 1539, le tout premier dictionnaire où les mots français venaient
en premier dans la nomenclature, avec leur traduction en latin, suivie parfois de quelques
explications en français : le Dictionnaire françois-latin (« françoislatin » si l’on respecte
l’orthographe initiale) de Robert Estienne. En 1531, l’imprimeur érudit avait publié le
Dictionarium seu Linguae latinae thesaurus, dictionnaire latin-français, et il eut l’idée en
1539 de l’inverser, en présentant en premier les mots français. Le premier dictionnaire
français, ou plus précisément français-latin, était né, le processus conduisant au
dictionnaire monolingue français-français était amorcé. Pour l’heure, le mot français est
suivi du mot latin, auquel s’ajoutent parfois des explications en français, mais il suffira de
faire disparaître le latin en ne gardant que les mots français pour bénéficier d’un
dictionnaire de mots français suivis de définitions dans la même langue. Jean Nicot
(1530-1600) participera à la réédition de ce dictionnaire en 1573, puis en 1606 sera publié
à titre posthume le Trésor de la langue française, une reprise améliorée du dictionnaire de
Robert Estienne, offrant une plus grande place aux définitions. Qu’un dictionnaire nouveau
s’inspire plus ou moins largement des précédents, voilà qui est une constante inévitable
dans ce genre « littéraire ». À y bien réfléchir, on pourrait d’ailleurs s’interroger sur
l’avantage qu’il y a à transformer une définition parfaite pour éviter l’accusation de plagiat.
La langue n’appartient à personne, mais cependant une définition de dictionnaire reste la
propriété de l’éditeur. Il faudrait pouvoir citer la définition du concurrent…

Le grand siècle et la naissance d’une trinité lexicographique


11
Le grand siècle est celui des monarques absolus et, avec eux, de la codification et de la
régulation. Henri IV, Louis XIII et Louis XIV vont chacun à leur manière servir la langue
française et l’instituer comme une grande langue internationale.
12
Le bon roi Henri IV, sans le vouloir, incitera les « précieux » à se réunir dans des salons
éloignés de la cour, trop rustre à leur goût, mais ce faisant, même si l’on a surtout retenu
le ridicule des périphrases (les « chers souffrants », les « belles mouvantes » et les
« trônes de la pudeur »… pour les pieds, les mains et les joues), ces derniers, ainsi que
Malherbe, vont affiner la langue, l’épurer, peut-être trop, prétendront d’aucuns. Sous Louis
XIII, Richelieu fondera en 1635 l’Académie française, et Louis XIV rassemblera autour de
lui, à Versailles, les écrivains qui poliront la langue et lui donneront cette tonalité classique
et ce prestige littéraire international. Après le foisonnement lexical de la Renaissance, le
Grand siècle représente une période de remise en ordre : Malherbe, au nom de la pureté,
Vaugelas, au nom de l’usage, se chargent de normaliser la langue, avec l’aval du public.
Constatons au passage que lorsqu’un pays bénéficie d’une langue et d’un gouvernement
forts, apparaissent généralement des répertoires monolingues qui donnent aux mots du
code linguistique national leur sens précis, ce qui renforce la validité des textes officiels.
13
Au public de Corneille, Racine, Molière, aux contemporains instruits, bourgeois et nobles,
correspondent à la fin du siècle trois dictionnaires de facture différente qui marquent la
réelle naissance de la lexicographie de haute qualité : le dictionnaire de Richelet en 1680,
celui de Furetière en 1690, et celui de l’Académie en 1694.
14
Tout d’abord, Pierre Richelet (1631-1694) publie en 1680 le premier dictionnaire
monolingue de langue française, le Dictionnaire françois contenant les mots et les choses,
dictionnaire destiné à « l’honnête homme ». Il y définit les mots en homme de goût et de
raison, volontiers puriste. Il s’agit d’un dictionnaire descriptif du bel usage, avec des
exemples choisis dans l’œuvre de Boileau, Molière, Pascal, Vaugelas, sans oublier les
collaborateurs de Richelet, Patin et Bouhours qui n’hésitent pas à se citer, un bon moyen
de passer à la postérité… Ce dictionnaire préfigure l’ouvrage de Littré et de Paul Robert :
le grand dictionnaire de langue s’appuyant sur des citations d’auteurs est né.
15
Ensuite Antoine Furetière (1620-1688), esprit vif et volontiers railleur, est l’auteur à titre
posthume du Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots français tant
vieux que modernes et les termes des sciences et des arts. Ce n’est plus, cette fois-ci, le
« bon usage » qui est mis en relief mais, comme il est annoncé dans la préface, « une
infinité de choses ». Les traits d’Histoire, les curiosités de « l’histoire naturelle, de la
physique expérimentale et de la pratique des Arts » l’emportent sur la citation des bons
auteurs. Furetière préfigure Pierre Larousse et le dictionnaire encyclopédique, ce dernier
étant davantage centré sur les idées et les choses décrites par les mots que sur l’usage
du mot dans la langue.
16
Enfin, paraît en 1694 la première édition du Dictionnaire de l’Académie et se trouve ainsi
accomplie l’une des tâches que s’était fixée l’Académie dès 1635 sous l’œil attentif de
Richelieu. Ce dernier souhaitait vivement en effet que la France se dotât d’un dictionnaire
à l’image de celui de l’Académie della Crusca fondée à Florence, dictionnaire illustrant la
langue italienne dans une première édition en 1612 et une seconde en 1623. Certes, la
publication du dictionnaire de l’Académie, fort attendue, était bien tardive, mais à tout
prendre, ce fut une chance pour la lexicographie, puisque le monopole du dictionnaire de
l’Académie n’avait pu être conservé. En effet, publiés à Genève et en Hollande, mais
destinés à tous les usagers de la langue française, les dictionnaires de Richelet et de
Furetière avaient déjà eu l’heur de plaire au Roi. Une saine concurrence était désormais
installée.
17
Le dictionnaire de l’Académie avait pâti, d’une part, de la mort en 1653 de son rédacteur
talentueux, Vaugelas, et, d’autre part, d’un changement d’état de langue, sans oublier le
conflit qui opposa Furetière, académicien accusé d’avoir plagié le dictionnaire de
l’Académie pour alimenter son propre dictionnaire. Après ce premier élan, une reprise
s’était donc révélée nécessaire à la fin du XVIIe siècle. S’il est vrai que la formule initiale
du dictionnaire de Furetière ne devait comprendre que des mots scientifiques, techniques,
et que d’une certaine façon, en y introduisant les mots d’usage courant, il « doublait »
l’Académie, la teneur même de ces articles était cependant bien différente. La première
édition du dictionnaire de l’Académie n’eut pas le succès escompté parce que les mots y
étaient regroupés en fonction des racines, et le public n’appréciait guère ce classement
qui rassemblait des mots comme dette, débiter, redevance sous l’entrée devoir. Cela
étant, c’était une initiative pertinente sur le plan linguistique, trois siècles plus tard tous les
linguistes salueraient Josette Rey-Debove pour avoir élaboré le Dictionnaire méthodique
(1982) dans une dynamique similaire.
18
Disons-le tout de suite, si le premier dictionnaire de l’Académie n’était pas parfait et si
l’ordre alphabétique redevint la règle dès la seconde édition, en 1718, l’Académie a fait
d’excellents dictionnaires, et on peut citer entre autres éditions la quatrième (1762), la
sixième (1835) et sans aucun doute la neuvième en cours (1992). Le dictionnaire de
l’Académie, par le choix d’une description de l’usage contemporain et par le refus des
citations au profit de l’élaboration d’exemples, se révélait en fait moderne avant la lettre,
presque saussurien, et préfigurait le Dictionnaire français contemporain de 1967 ou le
Micro-Robert.
19
Concernant l’aventure exceptionnelle à l’échelle internationale des dictionnaires de
l’Académie française, un ouvrage récent vient de paraître aux éditions Champion Slatkine,
dirigé par Bernard Quemada et intitulé Les Préfaces du Dictionnaire de l’Académie
française (1694-1992). On y redécouvre combien l’Académie, en gardant les mêmes
critères – la description de l’usage en synchronie et une nomenclature n’englobant pas les
vocabulaires techniques – a su rendre compte de l’évolution de la langue et des débats
linguistiques qui ont jalonné l’histoire de la langue et des pratiques lexicographiques. De
quoi ne pas céder à la tentation facile d’une critique systématique d’un dictionnaire qui, en
définitive, est conçu sans souci de commercialisation, de manière désintéressée, par une
assemblée représentative et éclectique élue. Faut-il signaler qu’il est parfois fait appel au
vote des académiciens pour se prononcer sur tel ou tel choix lexicographique ou pour
revoir la copie qui ne donne pas complète satisfaction ? La procédure ne manque pas de
panache et relève d’une symbolique toute démocratique qui inspire le respect.
20
Avec la parution fondatrice du Richelet, du Furetière et de la première édition du
Dictionnaire de l’Académie, pouvait de fait commencer la grande aventure lexicographique
et dictionnairique française.

Le siècle de l’Encyclopédie
21
La première tâche des lexicographes du XVIIIe siècle fut d’abord de perfectionner les
ouvrages existants. En particulier, revint aux Jésuites de Trévoux le mérite de poursuivre
la tâche entreprise par Furetière ; en effet dès 1704, les Pères Jésuites de cette petite ville
située sur la Saône dans la Dombes (l’s étymologique reste ici pour le singulier) publièrent
un dictionnaire encyclopédique en enrichissant et en corrigeant idéologiquement la
seconde édition du dictionnaire de Furetière, qui avait été reprise en 1702 par le protestant
Basnage de Beauval, ce qui n’était évidemment pas du goût des Pères Jésuites. Ce furent
d’abord trois tomes qui furent offerts en 1704, puis cinq en 1732, et huit en 1771. Fournir
une information soutenue et combattre un certain nombre d’idées, tel était l’objectif. Et sur
ce dernier point les Jésuites avaient fort à faire, puisque les jansénistes d’abord, les
philosophes ensuite, leur portaient de rudes coups. Par ailleurs, les différents dictionnaires
de l’Académie apportaient leur lot de réformes utiles, simplifiant l’orthographe, en
particulier dans la troisième édition (1740) avec l’Abbé d’Olivet. Il faut enfin signaler à la
veille de la Révolution, en 1788, la publication du Dictionaire critique de la langue
française (avec un seul n, dans le cadre d’une volonté manifeste de simplification
orthographique) de l’Abbé Féraud, ouvrage qui connut peu de succès mais qui présente
sans doute l’image la plus intéressante de la langue du moment, avec des points de vue
critiques et la mention de la prononciation. Ce dictionnaire qui a influencé les
lexicographes du XIXe siècle méritait bien la réédition qui vient d’en être faite depuis peu
par les Presses de l’École Normale supérieure, sous la direction de Philippe Caron.
22
Et, c’est le sort heureux des ouvrages majeurs, il fait actuellement l’objet d’une
informatisation pour être sans doute bientôt publié sur cédérom.
23
Cependant, l’œuvre indissociable du XVIIIe siècle et la plus novatrice reste bien
l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert. Lorsque l’éditeur Le Breton s’adresse à Diderot
pour traduire la Cyclopaedia d’Ephraïm Chambers, franc succès outre-Manche, on est
encore loin d’imaginer le succès prodigieux de l’entreprise qui, sous l’impulsion de Diderot,
alors peu connu, et de D’Alembert, déjà élu à 24 ans à l’Académie des sciences, prendra
rapidement une complète autonomie par rapport aux deux volumes de Chambers. Qu’on
en juge sur pièces : trente ans plus tard, en 1777, ce sont trente-cinq volumes dont dix-
sept de textes, cinq de suppléments, deux de Tables analytiques et onze de planches qui
sont offerts aux lecteurs. Au-delà de la somme considérable de renseignements apportés,
l’Encyclopédie constituait un support privilégié pour diffuser les points de vue des
philosophes, et elle eut, comme chacun sait une influence très sensible sur les
contemporains. Par ses longs développements sur les questions scientifiques, sur les
machines et les techniques, l’Encyclopédie s’avère pleinement représentative du Siècle
des lumières. Elle fut également, avant 1789, l’affaire la plus lucrative de l’édition. Si l’on
en croit Voltaire, elle fit vivre pendant plus de vingt-cinq ans plus de mille ouvriers,
papetiers, imprimeurs, relieurs et graveurs.
24
L’Encyclopédie, de par sa conception, est par ailleurs à l’origine de nos modernes
encyclopédies. Si le dictionnaire de langue privilégie la description de l’usage du mot dans
la langue, et le dictionnaire encyclopédique la description de la chose ou de l’idée
représentées par le mot, l’encyclopédie n’enregistre pas vraiment des mots mais des
thèmes, l’objectif étant d’offrir de pertinentes synthèses sur les connaissances acquises.
Par exemple, si le mot « escargot » est nécessairement mentionné dans la nomenclature
d’un dictionnaire de langue ou d’un dictionnaire encyclopédique, avec un article lui faisant
suite, une encyclopédie peut très bien ne pas y faire correspondre un article, mais
renvoyer au mot « gastéropode » où il sera question entre autres de l’escargot.

Les accumulateurs de mots


25
La Révolution française ne fut pas seulement politique, elle fut aussi linguistique. À la
société née de la Révolution a correspondu en effet un lexique plus large. Au-delà des
mots issus des diverses réformes, par exemple celle du système métrique, des mots
nouveaux se répandirent dans le commerce. Les anglicismes commencèrent à s’incruster
dans notre langue, en particulier dans les domaines techniques où l’Angleterre disposait
d’une révolution industrielle d’avance. Par ailleurs, la vague montante des romantiques fit
déferler dans la littérature un vocabulaire abondant et coloré. Le mélange des mots de
basse ou noble extraction, archaïques, classiques ou nouveaux, n’est plus un obstacle :
les barrières volent en éclats sous la poussée de ces écrivains chevelus qui rompent avec
la tradition. Et nécessairement, ce sang neuf allait engendrer un nouveau mouvement
lexicographique. De cette période de création lexicale, nous retiendrons notamment
quelques dictionnaires réputés pour constituer avant tout des « accumulateurs » de mots,
c’est-à-dire que, négligeant plus ou moins la définition et la précision dans l’information, ils
se caractérisent d’abord par des nomenclatures pléthoriques. L’ouvrage de Boiste en
1800, repris en 1829 avec le sous-titre de Pan-lexique par Nodier, celui de Napoléon
Landais en 1834, et enfin celui de Bescherelle en 1845, illustrent tout à fait cette tendance
à ouvrir les nomenclatures au plus grand nombre de mots, sans pour autant être très
pertinents quant aux définitions. Les titres sont d’ailleurs révélateurs d’une surenchère qui
se situe davantage sur la quantité que sur la qualité. Napoléon Landais intitule sans
hésiter son ouvrage Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires ; quant à
Bescherelle, il choisit d’appeler le sien tout simplement Dictionnaire national, donnant ainsi
d’emblée à son ouvrage le statut d’un véritable monument. Toute différente est cependant
la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie, remarquablement préfacée par A. F.
Villemain, à l’époque la plus haute autorité universitaire et académique de France. La
cinquième édition (1798) à laquelle D’Alembert et Marmontel avaient beaucoup contribué,
n’avait pas été reconnue par l’Académie, l’Académie ayant été supprimée en 1793 et
l’ouvrage publié sans son aval avec un « discours préliminaire » de tonalité
révolutionnaire, et surtout un Supplément consacré aux « mots de la révolution », 300
environ répartis sur 12 pages. La sixième emporte au contraire unanimement l’adhésion,
éclipsant même aux yeux de nos contemporains, à tort nous semble-t-il, la septième
édition, harmonieuse et accueillante pour les mots nouveaux, publiée en 1878 sous la
responsabilité de Silvestre de Sacy.

La linguistique historique : Littré (1801-1881) et Larousse (1817-1875)


26
Dès 1804, avec entre autres les publications de Franz Bopp, commençait l’aventure de la
linguistique historique qui rapprochait les langues européennes du sanscrit, d’où la
découverte progressive de la famille des langues indo-européennes, expliquant les
parentés entre des langues apparemment aussi éloignées que le latin, l’allemand et le
grec. Mais c’est surtout au cours de la seconde moitié du XIXe siècle que s’installent en
France les recherches étymologiques avec l’établissement des règles de phonétique
historique. Ajoutons à cela l’influence décisive d’Auguste Comte qui publie entre 1830 et
1842 le Cours de philosophie positive. Fondée sur l’observation, l’étude positive des faits,
et donc implicitement sur la recherche des causes historiques, cette philosophie s’adaptait
parfaitement aux aspirations d’une nouvelle génération désormais plus sensible aux
réalités scientifiques qu’aux rêveries enthousiastes. Larousse et Littré en seront de
fervents adeptes, et tous deux s’inscrivent sans hésiter dans le courant de la linguistique
historique et comparative.
27
Littré naquit le 1er février 1801 à Paris, avec pour premier prénom Maximilien, prénom
donné par son père en souvenir de Robespierre l’Incorruptible… L’enfant prometteur, entre
une mère protestante et un père disciple de Voltaire, ne fut point baptisé, ce qui fit couler
beaucoup d’encre lorsqu’il devint célèbre. Brillant élève, il se destine à la médecine, mais
le médecin se métamorphose petit à petit en érudit en publiant notamment une traduction
critique des œuvres d’Hippocrate. En 1840 lui est alors proposée une chaire d’Histoire
médicale qu’il refuse, ne souhaitant guère le contact avec le public. Émile Littré avait
formé le projet dès 1841 de rédiger un dictionnaire étymologique qui serait publié chez son
camarade de classe, Christophe Hachette, déjà devenu un éditeur éclairé. En fait, ce
premier projet n’aboutira pas, il faut attendre 1859 pour que les premiers textes du
Dictionnaire de la langue française soient remis à Hachette, et 1872 pour que ce
dictionnaire en quatre volumes qui fait une large part à l’histoire du mot soit achevé. Un
Supplément publié en 1877 couronne l’ensemble.
28
Le dictionnaire de la langue française eut un franc succès auprès du public cultivé qui
trouvait dans cet ouvrage une somme d’informations jusque-là inégalée quant à
l’étymologie et à la filiation historique des sens d’un mot, le tout cautionné par de grands
auteurs. Aussi prit-on rapidement l’habitude d’évoquer « le Littré » avec déférence, comme
une autorité ; il devint même l’instrument indispensable de toute recherche sérieuse en
langue française. Son prestige ne diminua guère au fil des années, ainsi, jusqu’à la
publication du Dictionnaire de Paul Robert, presque un siècle après, Littré fut le plus
souvent considéré comme la seule véritable référence des lettrés. Alain Rey, dans un
ouvrage explicite sur le lexicographe et son œuvre, met éloquemment en relief comment
s’est installée la notoriété d’un dictionnaire qui, n’étant plus réédité, est devenu tout au
long de la première moitié du XIXe siècle un ouvrage mythique. En fait, le dictionnaire de
Littré était fondé sur l’idée darwinienne que la langue est un organisme qui connaît d’abord
une croissance, et qui, en atteignant son apogée, commence à décliner. Pour Littré,
comme pour nombre de linguistes de la fin du XIXe siècle, l’apogée se situait au XVIIe
siècle. Aussi, son dictionnaire enregistre-t-il principalement la langue française comprise
entre le XVIIe siècle et le début du XIXe. Les citations présentées ne sont jamais
postérieures à 1830. Émile Zola et la majeure partie de l’œuvre de Victor Hugo n’y figurent
pas. Ajoutons à ce handicap que la conception des articles, avec parfois 40 sens qui se
succèdent selon une filiation que Littré souhaite avant tout historique, positiviste, est loin
d’être clarificatrice. Il n’en reste pas moins que l’ouvrage reste jusqu’à celui de Paul Robert
d’une richesse foisonnante et méritait pleinement toute sa notoriété.
29
Pierre Larousse est né en 1817 dans le village de Toucy en Bourgogne où il est élevé
entre la forge de son père et l’auberge tenue par sa mère. Son appétit de savoir et sa
boulimie de lecture lui ouvrent sans tarder les portes de l’École normale de Versailles.
Après un rapide retour au village natal, où il exerce en tant qu’instituteur et directeur de
l’école dont il avait été l’élève, il repart à Paris où il mange « la soupe à l’oignon » selon
son propre aveu et, surtout, fréquente avec ardeur les bibliothèques et les amphithéâtres.
Il publie alors les premiers ouvrages destinés à l’enseignement de la langue, fondant en
1852 la « Librairie », la maison d’édition qui porte toujours son nom. On retiendra qu’en
1856 paraît le Nouveau dictionnaire de la langue française, dictionnaire de petite taille et
destiné notamment à un public scolaire, l’ouvrage connaît un succès considérable. Ce
sera l’ancêtre lointain du Petit Larousse illustré dont la première édition est de 1906 et que
l’on doit à ses successeurs. Mais ce petit dictionnaire de 714 pages, avec déjà les
célèbres locutions latines, donne vite l’idée à P. Larousse d’une œuvre de plus grande
envergure. C’est le moins que l’on puisse dire puisque, de 1865 à 1876, ce sont quinze
gros volumes in-quarto, auxquels s’ajouteront à partir de 1878 deux suppléments, qui
seront publiés sous le titre de Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. P. Larousse,
admirateur de Diderot, disciple de Proudhon et d’A. Comte, ambitionne en fait de donner à
la France un nouveau monument encyclopédique, alliant la description de la langue et la
diffusion des savoirs. Et ce ne sont pas moins de 20 000 pages en petits caractères sur
quatre colonnes, presque sans aucune illustration, qui feront de ce dictionnaire une œuvre
jamais refaite dans de telles proportions. Il faut en convenir, si l’on admire aujourd’hui
l’ampleur extraordinaire d’une telle œuvre, en réalité, lorsque P. Larousse avait lancé son
projet avec force battage, il fut pris par plus d’un, selon la formule d’un critique de la
première heure, pour un « barnum littéraire ». On redécouvre aujourd’hui le caractère très
riche de l’information et, au-delà de la nature encyclopédique de l’ensemble, la pertinence
des informations apportées sur la langue. Celles-ci ont longtemps été occultées par
l’hypertrophie de la seconde partie de chaque article, réservée aux aspects
encyclopédiques, où alternent les informations les plus sérieuses et les anecdotes les plus
étonnantes. Larousse avait un objectif : diffuser la pensée républicaine propre à instaurer
une société démocratique et laïque. Son dictionnaire, dont on pouvait, par exemple,
commander une feuille, celle correspondant à l’article qui vous intéressait, eut pour public
privilégié les instituteurs et toute une population modeste aspirant au savoir.
30
Le Grand dictionnaire universel du XIXe s. de Larousse ne fit pas en réalité concurrence
au Dictionnaire de la langue française de Littré, les publics différaient, et loin de mettre ces
ouvrages dos à dos, il conviendrait plutôt de reconnaître à chacun une dimension hors du
commun. Au point qu’il était presque impossible à d’autres lexicographes de s’imposer.
Seuls Hatzfeld, professeur de rhétorique et remarquable logicien, et Darmesteter,
philologue distingué, ont pu se distinguer avec le Dictionnaire général en deux volumes de
dimension modeste mais de grande qualité, publiés respectivement en 1890 et 1900. Ce
dictionnaire recueillit un succès certain auprès des étudiants et des élèves de classe
préparatoire, d’une part grâce au classement rigoureux des définitions, et d’autre part
grâce aux 300 pages préliminaires consacrées à un remarquable Tableau de la formation
de la langue, ce dernier étant rédigé par Darmesteter.

Les talentueux successeurs de P. Larousse


31
Au Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle devaient succéder en 1904 les sept
volumes du Nouveau Larousse illustré, dirigé par Claude Augé, qui fut très largement
répandu, avec des planches illustrées en couleurs et de nombreuses illustrations au cœur
des articles. Version singulièrement amincie du prédécesseur en 17 volumes, il méritait sa
notoriété de par son homogénéité et la fiabilité des informations apportées. En 1910
paraissait le Larousse pour tous en deux volumes, intitulé ensuite Larousse Universel en
1923, et Nouveau Larousse Universel en 1948. Il devait donner naissance au Larousse en
trois volumes, le L3. En 1933, était publié sous la direction de Paul Augé le dernier des six
volumes du Larousse du XXe siècle, ouvrage particulièrement riche en biographies. Mais
c’est en 1963 que, sous la direction de Claude Dubois et avec le concours du grand
linguiste Jean Dubois, était achevé le Grand Larousse Encyclopédique en dix volumes,
plus de 10 000 pages, 450 000 acceptions, 22 000 illustrations. Assurément, un
dictionnaire de grande classe correspondant aux trente glorieuses : pas moins de 700
spécialistes y participaient en effet, répartis en treize grandes disciplines dirigées par des
secrétaires de rédaction responsables de l’homogénéité de l’ensemble. On est en fait ici à
l’aube du travail structuré à l’aide de l’ordinateur, cet ouvrage représentait la dernière
étape avant l’aventure informatique, celle correspondant à la mise en fiche la plus efficace
possible. En 1985, dans la même dynamique était publié le Grand Dictionnaire
Encyclopédique Larousse en dix volumes.
32
Mais il s’agissait là de dictionnaires encyclopédiques, et si la description de la langue n’y
était pas négligée, ces ouvrages privilégiaient naturellement l’information encyclopédique.
Les Éditions Larousse allaient donc également s’intéresser au dictionnaire de langue.
Ainsi est publié en 1978 le Grand Larousse de la langue française, en 7 volumes, élaboré
sous la direction de Louis Guilbert, R. Lagane, G. Niobey. Un dictionnaire Larousse sans
illustration, uniquement consacré à la description des mots de notre langue, voilà qui
rompait avec la tradition. En fait, dès 1967, une première percée avait été faite avec le
Dictionnaire du français contemporain (le DFC) rédigé sous la direction de Jean Dubois,
ouvrage en un volume, de format très réduit, avant tout destiné au public scolaire. Ce petit
dictionnaire, en décrivant le français en synchronie, avec un dégroupement des articles,
en fonction de la distribution des mots dans la langue (plusieurs articles pour le mot
« classe » au lieu d’un seul avec de nombreux sens différents) avait fait l’effet d’une
révolution lexicographique. Le Grand Larousse de la langue française s’inscrivait dans
cette même perspective, moderniste, en ajoutant à la nomenclature des articles
exclusivement consacrés à la linguistique. Hélas, ce bel outil élaboré avant
l’informatisation, n’a pas eu la carrière qu’il méritait, il ne fut pas remis à jour.

Paul Robert, Alain Rey et Josette Rey-Debove


33
Paul Robert est né en 1910 en Algérie, dans une famille aisée, et il entreprend des études
de droit qui le conduiront jusqu’à une thèse soutenue à la fin de la guerre, en 1945. Rien
ne le prédestinait à la lexicographie, mais son affectation pendant la guerre au service du
décodage, où il participe à l’élaboration d’un dictionnaire du chiffre, son contact apprécié
avec la langue anglaise, ses premiers essais à titre personnel de mise en analogie des
mots anglais puis des mots français, l’entraînent peu à peu à transformer son loisir en
activité dévorante, au point de bientôt recruter des auxiliaires sur sa fortune personnelle
pour faire aboutir le dictionnaire dont il rêve. En 1950, il apprend que le premier fascicule
de son dictionnaire obtient le prix Saintour de l’Académie française. Dès lors, il n’a de
cesse d’achever l’œuvre commencée et, en 1952 et 1953, il recrute pour l’aider deux
collaborateurs d’excellence, Alain Rey et Josette Rey-Debove. Le 28 juin 1964, il achève
le sixième et dernier tome du Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue
française. Paul Robert offrait à la France un digne successeur du Littré avec des citations
extraites d’un corpus littéraire plus récent, la Société qu’il avait fondée s’intitulait d’ailleurs
la Société du Nouveau Littré. Quant au principe analogique qui était à l’origine du projet,
s’il n’est pas négligeable, ce n’est pas lui qui déterminait le succès de l’entreprise, mais la
qualité du travail définitoire.
34
Les éditions Robert allaient s’installer dans le paysage lexicographique en s’illustrant par
différents dictionnaires de grande qualité. En 1967, naissait d’abord le Petit Robert, le petit
dictionnaire de langue manquant sur le marché et qui pouvait ainsi constituer le pendant
du Petit Larousse, dictionnaire encyclopédique. Après un Supplément (1971) ajouté au
Dictionnaire alphabétique et analogique de Paul Robert, supplément qui installait A. Rey et
J. Rey-Debove parmi les grands lexicographes connus, paraissait en 1985 le Grand
Robert de la langue française dirigé par A. Rey. À la fin du siècle, marqué par
l’informatique, sont diffusés, en 1994, le cédérom correspondant au Grand Robert et, deux
ans plus tard, celui correspondant au Petit Robert, outil précieux permettant de nombreux
croisements d’information avec, pour la première fois, des mots sonorisés, près de 9 000.
Enfin, signe patent d’une maison d’édition bien installée dans le paysage lexicographique,
on assiste au cours de la dernière décennie du XXe siècle à la diversification des ouvrages
en un ou deux volumes, qu’il s’agisse des dictionnaires pour enfants, des dictionnaires
pour collégiens ou des dictionnaires de noms propres, sans oublier le Dictionnaire
historique de la langue française, synthèse des informations recueillies par les chercheurs
de ce demi-siècle, et ouvrage qui renoue utilement avec un genre lexicographique qu’avait
tenté d’imposer l’Académie au XIXe siècle, sans succès. Outre leur compétence de
lexicographe et de dictionnariste, Josette Rey-Debove et Alain Rey nous ont offert par
ailleurs d’importants ouvrages théoriques sur la lexicologie et la lexicographie. Ils auront
indéniablement marqué la seconde moitié du siècle.

Quillet, Flammarion et Hachette


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Aristide Quillet, tout comme P. Larousse, était un autodidacte, et tout naturellement sa
production lexicographique s’orienta vers le dictionnaire encyclopédique. Il faut signaler
notamment, parmi les ouvrages qui seront issus de la maison d’édition qu’il a créée, le
Dictionnaire encyclopédique de 1950, en 5 volumes, auquel s’ajoutera un Supplément.
Pour ce dictionnaire conçu à partir d’un nombre réduit de collaborateurs, des enseignants
et des techniciens en particulier, Raoul Mortier, qui en est le directeur, choisit une tonalité
didactique, avec de nombreux tableaux synoptiques et un soin tout particulier pour clarifier
les informations encyclopédiques. Depuis 1940, réédité plusieurs fois, avec 40 000 mots
dans sa première édition, le Quillet de la langue française représente, avant le Lexis de
1979 (Larousse), le premier dictionnaire de langue à présenter des illustrations.
36
C’est tardivement que les éditions Hachette, à qui on doit le Littré, reprirent le chemin de la
lexicographie avec le Dictionnaire Hachette en 1980, préfacé par Roland Barthes, un peu
plus de cent ans après la parution du Dictionnaire de la langue française d’É. Littré.
Chaque année désormais, en même temps que le Petit Larousse, paraît dans le
Dictionnaire Hachette, disponible depuis 1995 sur cédérom, le multimédia représentant en
effet un secteur en pleine expansion chez Hachette. Enfin, en 1995, était publié à
l’occasion du sixième sommet de la Francophonie, à Cotonou, le Dictionnaire Universel
Afrique édité conjointement avec l’Aupelf-Uref. Et, en 1998, ce Dictionnaire francophone
est pérennisé en devenant le Dictionnaire universel francophone contenant, entre autres
unités lexicales, environ 10 000 mots de l’univers francophone.

Le Trésor de la langue française (TLF) : Paul Imbs et Bernard Quemada


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La plus grande aventure lexicographique de ce demi-siècle est sans conteste celle de
l’élaboration du Trésor de la langue française (le TLF) : plus de 90 000 mots traités dans le
cadre de 16 volumes (25 000 pages environ) publiés entre 1971 et 1994, avec pour
directeurs P. Imbs, jusqu’au septième volume, et B. Quemada, du huitième au seizième,
l’addenda étant sous la direction de G. Gorcy.
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C’est lors du Colloque organisé en novembre 1957 à Strasbourg qu’était esquissé ce
projet grandiose. Y participait B. Quemada, pionnier de la lexicographie assistée par les
machines mécanographiques d’abord, informatiques ensuite. Dès 1977, il devait prendre
la direction du TLF après avoir assuré la programmation de la documentation informatisée
nécessaire à l’élaboration du dictionnaire papier, une documentation informatisée sur la
langue française qui fit l’admiration de tous les pays, de par son ampleur et sa qualité.
Élaboré dans le cadre du CNRS, ce dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle a
indéniablement bénéficié de directeurs de très grand talent avec P. Imbs qui l’a fait naître
et B. Quemada qui lui a donné sa dimension moderne et son rayonnement international.
Soutenu dès 1959 par le gouvernement qui souhaitait favoriser des projets de très grande
envergure – l’acquisition du plus gros ordinateur existant dans les années 1960, le
Gamma 60 Bull, en est le symbole –, le projet s’appuyait déjà en 1969 sur près de 80
millions d’unités-mots disponibles grâce à un remarquable programme de saisie de textes
sur bandes perforées. En 1977, le dictionnaire s’insère dans un sous-ensemble du CNRS,
l’Institut National de la langue française, l’INaLF, créé par B. Quemada qui fédère ainsi
nombre de laboratoires et d’excellents linguistes qui se mettent au service de la langue
française. D’autres dictionnaires installés dans cette institution viennent compléter la
description de la langue française tout au long de l’histoire de notre langue. Citons
notamment le Dictionnaire du Moyen Français dirigé par un autre très grand linguiste,
Robert Martin.
39
Il importe de souligner qu’à l’identique du dictionnaire de l’Académie, il s’agit ici d’un
dictionnaire institutionnel qui ne doit rien dans sa conception à l’entreprise privée. Il résulte
en effet du seul souci de la recherche.

L’INalf et l’Internet
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L’INaLF, créé dès 1977 par B. Quemada qui l’a dirigé jusqu’en 1991, dirigé ensuite par R.
Martin et, depuis 1997, par B. Cerquiglini, a su gérer l’avance énorme qu’avait le TLF
grâce à l’informatisation de sa documentation. Deux chantiers ont rapidement été ouverts :
d’une part l’informatisation du dictionnaire et d’autre part la mise à disposition auprès des
chercheurs de la banque de données qui a irrigué le dictionnaire pendant son élaboration
et qui ne cesse d’être enrichie. Le premier enjeu a consisté à informatiser le TLF pour
pouvoir en disposer sur support électronique. C’est en effet un énorme travail que de
transformer toutes les données présentées sur papier et de reconvertir les bandes de
composition lorsque celles-ci existent, mais il est désormais possible de disposer de ce
formidable dictionnaire avec trois niveaux de consultation : la lecture article par article en
visualisant tel ou tel type d’information, la consultation transversale, par exemple tous les
mots d’origine germanique, et la consultation croisée, par exemple tous les termes de
marine en rapport avec la manœuvre des voiles. Grâce à Bernard Cerquiglini, le TLF est
en effet offert sur Internet depuis 2001 : il bénéficie d’un moteur de recherche permettant
des requêtes complexes au cœur des 100 000 mots du dictionnaire, de ses 270 000
définitions, de ses 430 000 exemples, au total 350 millions de caractères…, l’ensemble
étant désormais disponible à l’adresse suivante : [http://www.inalf.fr/ tlfi]. Et l’ATILF, qui a
pris la suite du laboratoire nancéen de l’INaLF (aujourd’hui l’Institut de linguistique
française, l’ILF), poursuit jour après jour les travaux de recherches permettant d’offrir des
ressources linguistiques informatisées toujours plus riches pour l’étude du français.
41
Enfin, un second enjeu consiste à faciliter la consultation de la base de données pour tous
les chercheurs, et ici Internet est venu à point nommé pour rendre désormais facile la
consultation sur simple abonnement. Il s’agit de Frantext, mondialement connu, qui rend
accessible en interactif 180 millions de mots-occurrences résultant du traitement
informatique de cinq siècles de littérature, avec plusieurs milliers de textes offerts.
L’information ainsi accessible a quelque chose de vertigineux. Il ne fait pas de doute que
les productions de l’ILF, qui a pris la succession de l’INaLF, sont déjà installées au cœur
du XXIe siècle.
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D’autres horizons se sont découverts, touchant à l’histoire des dictionnaires, lorsque la
direction éditoriale des Éditions Honoré Champion, en 2009, a ouvert, par exemple, une
collection intitulée Champion Les Mots, consistant à partir d’un thème patrimonial (Le vin,
Le loup, La mère, Le parfum, Le chat, Le chocolat, le fromage, Les élections, Le train, Le
jardin) à parcourir notre trésor de dictionnaires de Robert Estienne au TLF, en passant par
l’Académie française, et ses neuf éditions, qui témoignent si efficacement et élégamment
de la langue française dans son évolution permanente. Chacun de ses ouvrages, du loup
au jardin en passant par le chat…, est, croyons-nous fermement, à sa façon, un hymne à
notre langue et à ses dictionnaires !
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Conclure n’est guère possible. L’aventure commencée au XVIe et au XVIIe siècle ne
s’achève pas avec les supports électroniques qui, bien au contraire, la relancent avec des
horizons apparemment sans limite. Laissons le dernier mot à un maître des mots, Bernard
Cerquiglini qui, en 1992, déclarait dans La Lettre de la Délégation générale à la langue
française que
le dictionnaire résume, concentre et représente, aux yeux de beaucoup, la langue elle-
même, avec laquelle il a une relation essentielle, bien que jamais achevée. Monolingue,
bilingue ou plurilingue, classique ou plus moderne, général ou spécialisé, de l’humble
glossaire terminologique dont le but est précis à la fascinante encyclopédie qui dit Tout sur
tout, c’est un monde de dictionnaires qui encadre et organise notre vocabulaire et notre
réflexion.

Le dictionnaire et l’encyclopédie
Comment utiliser un dictionnaire ?

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