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Procès de sorcellerie au Pays basque

https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A8s_de_sorcellerie_au_Pays_basque

Le procès pour sorcellerie du Pays basque du XVIIe siècle constitue la tentative la plus ambitieuse jamais
entreprise par l'Inquisition espagnole pour extirper la sorcellerie. Le procès des sorcières basques débute en
janvier 1609 à Logroño dans la Rioja, en écho aux persécutions similaires menées en Labourd par Pierre de
Lancre. Avec quelque 7 000 cas examinés, c'est un des plus grands évènements de son genre dans l'histoire.

Akelarre,
Francisco de Goya

Déroulement

C'est à Logroño, pourtant en dehors du Pays basque, que l'Inquisition établit son tribunal chargé du Royaume de
Navarre, des provinces d'Alava, Guipuscoa, Biscaye, La Rioja, Burgos et Soria1.

Une certaine Maria de Ximildegui rentre dans son village natal de Zugarramurdi, près de l'actuelle frontière
franco-espagnole, après un séjour de plusieurs années en France. Elle affirme y avoir participé à des sabbats
avant de retrouver spontanément le chemin de l’Église. Mais elle dénonce aussi des pratiques similaires à
Zugarramurdi et accuse la jeune Maria de Jaurategia d'être une sorcière. Celle-ci nie, mais l'hostilité croit dans
le village, et elle finit par reconnaitre son implication impliquant à son tour sa tante Maria Txipia Barrenechea.
Ainsi débute une vague de dénonciations dramatique : outre leurs supposées pratiques sataniques, une trentaine
de décès récents sont imputés aux accusés2,3.

L'affaire aurait pu être réglée au sein de la communauté, par une confession publique et un pardon général 2.
Mais l'abbé don León de Aranibar dénonce à la cour de Logroño les pratiques diaboliques sur les terres de
Zugarramurdi, qui relèvent de son monastère d'Urdazubi4.

Une première phase d'instruction débute en janvier 1609, pour se conclure les 7 et 8 novembre 1610 par un
autodafé devant 30 000 spectateurs2 contre trente-et-un condamnés : six d'entre eux sont conduits au bûcher et
cinq autres subissent symboliquement ce châtiment puisqu'ils ont déjà péri en prison sous la torture. Les femmes
prédominent parmi les accusées, mais on y trouve aussi des enfants et des hommes, et mêmes des prêtres mis en
cause pour avoir pratiqué des guérisons avec des nóminas, sortes d'amulettes portant le nom de saints2.

L'hystérie se propage à tout le pays. Des procédures sont lancées dans les principaux supposés foyers de
sorcellerie (Hondarribia, Zugarramurdi et St-Jean-de-Luz) à l'encontre de présumées sorcières suspectées de
jeter des sorts à des créatures vivantes et de se réunir dans la montagne Jaizkibel en sabats dirigés par le Diable
incarné en bouc.

La procédure est cependant suspendue, le temps que les inquisiteurs puissent rassembler des preuves sur ce
qu'ils pensent être une pratique très répandue au Pays basque. Alonso Salazar y Frias, avocat de formation et
benjamin des trois juges de Logroño, dirige l'enquête. Pourvu d'un « décret de grâce », il est habilité à promettre
le pardon à tout repenti qui dénonce ses complices. De mai 1611 à mai 1612, il voyage, s'installant notamment à
Zugarramurdi, où une grotte et une source (Olabidea ou Infernuko erreka, "la rivière de l'Enfer") sont réputées
être le lieu de rencontre des sorcières.
Comme souvent dans ce genre de cas les dénonciations affluent, et Frías rentre à Logroño avec les prétendus
aveux de 1 802 personnes (dont 1 384 enfants de sept et quatorze ans), impliquant plus de 5 000 suspects5 à
travers 11 000 pages de procédure. La plupart des délateurs se rétracte rapidement 6, imputant leur confession à
la torture. Seules six personnes persistent à affirmer avoir pris part à des sabbats et maintiennent leurs
accusations.

Le temps du doute

L'Inquisition espagnole — plus investie dans sa lutte contre les Protestants, les Conversos (baptisés descendants
des Juifs ou des Maures) et la contrebande de livres interdits — fait preuve d'un relatif scepticisme dans sa lutte
contre la sorcellerie : dès 1538, le Conseil de l'Inquisition met en garde ses juges contre une interprétation trop
crédule du Malleus Maleficarum[réf. nécessaire]. En mars 1610, Antonio Venegas de Figueroa, évêque de Pampelune,
affirme dans une lettre adressée à la Sainte Inquisition que la chasse aux sorcières a été fondée « sur des
mensonges et de l'auto-illusion »7 et qu'avant le début des procès la sorcellerie était quasiment inconnue dans la
région.

L'enquêteur de Zugarramurdi Alonso Salazar y Frias affirme n'avoir trouvé aucune preuve de fond de la
sorcellerie dans ses voyages dans le pays, en dépit du nombre des confessions, et finit par remettre en cause les
pièces du procès.

« La vraie question est : devons-nous croire qu'il y a eu sorcellerie au seul motif que les sorcières le
revendiquent ? Non : il est clair que les sorcières ne doivent pas être crues, et les juges ne devraient condamner
personne, tant que le cas ne peut être prouvé par des éléments externes et objectifs suffisants pour convaincre
tout un chacun. Et qui peut accepter ceci : qu'une personne peut voler dans l'air et parcourir cent lieues en une
heure ; qu'une femme peut se faufiler dans un espace dans lequel une mouche ne passerait pas ; qu'une personne
peut se rendre invisible; qu'elle peut être dans une rivière ou dans la mer sans se mouiller, ou qu'elle peut être en
même temps dans son lit et au sabbat et qu'une sorcière peut prendre n'importe quelle forme, se transformer en
mouche ou en corbeau ? En vérité, ces affirmations vont au-delà de la raison humaine, et dépassent peut-être
même les limites autorisées par le Diable. »

Il entre en conflit avec ses collègues, Alonso Becerra y Holquin et Juan del Valle Alvarado, qui l'accusent
« dans la ligue avec le Diable ». Le désaccord est remonté à l'Inquisiteur Général à Madrid, qui semble prendre
parti pour Salazar. En août 1614, décision est prise d'interrompre tous les procès en cours à Logroño. Des
critères d'acceptabilité des preuves plus rigoureux sont établis, qui mettent fin à la chasse aux sorcières en
Espagne, bien avant les régions d'Europe du Nord.

Discussion

Plus encore au Pays basque que dans beaucoup de régions d'Europe en raison de la protection conférée par
l'herméticité de la langue, guérisseurs et sages-femmes ont joué un rôle important et forcément suspect aux yeux
de l'Église et des autorités, préservant les coutumes populaires et des croyances païennes contraires à l'idéologie
catholique. Les prétendus sabbats et akelarreak n'étaient peut-être que des réunions festives, organisées à l'écart
des autorités civiles et religieuses4.

Dans une région où les hommes étaient enrôlés en masse pour la chasse à la baleine basque vers le Labrador et
l'Islande, ces fêtes pouvaient être des exutoires importants pour des femmes qui assumaient seules la charge des
enfants, personnes âgées et des religieux.

Victimes, éléments de biographie et verdicts

Liste8,9

Nom Âge Bio Chef d'inculpation Sort


Mort en prison après s'être
Migel 66 Berger, gendre de repenti. Ses restes sont exposés à
Roi du sabbat
Goiburu [archive] ans Graziana Barrenetxea l'autodafé, puis enterrés
chrétiennement.

Morte en prison après s'être


80 à
repentie. Ses restes sont exposés
Graziana Barrenetxea 90 Reine du sabbat
à l'autodafé, puis enterrés
ans
chrétiennement.

plus Morte en prison après s'être


Estebania de Deuxième dans la repentie. Ses restes sont exposés
Nabarkorena 80 hiérarchie du sabbat à l'autodafé, puis enterrés
ans chrétiennement.

Morte en prison après s'être


Maria Pèrez 70 Troisième dans la repentie. Ses restes sont exposés
Barrenetxea ans hiérarchie du sabbat à l'autodafé, puis enterrés
chrétiennement.

Un an d'emprisonnement « pour
38
Joana Telletxea prouver la clémence du tribunal
ans
envers les bonnes croyantes ».

Pendant l'autodafé, on lui retire


publiquement le sambenito et on
María 22 Participe aux sabbats lui impose diverses pénitences.
Jauretegia [archive] ans de Zugarramurdi Un an d'emprisonnement « pour
prouver la clémence du tribunal
envers les bonnes croyantes ».

70 Reine du sabbat après


Maria Arburu Brûlée vive.
ans Graziana Barrenetxea

Morte en prison après s'être


40 Fille de Graziana repentie. Ses restes sont exposés
Maria Iriarte
ans Barrenetxea à l'autodafé, puis enterrés
chrétiennement.

Morte en prison après s'être


36 Fille de Graziana repentie. Ses restes sont exposés
Estebania Iriarte
ans Barrenetxea à l'autodafé, puis enterrés
chrétiennement.

Joanes 37 Époux de Estebania Joue du tambourin Emprisonné à vie (libéré


lors des sabbats de
Goiburu [archive] ans Iriarte ultérieurement).
Zugarramurdi

Fabricant de tamis en Percussionniste lors


Joanes 20
crin, neveu de Joanes des sabbats de Emprisonné à vie.
Sansin [archive] ans
Goiburu Zugarramurdi

María 70 Fileuse, sœur de Mari Participe aux sabbats


Emprisonnée à vie.
Presona [archive] ans Juanto de Zugarramurdi

58
Maria Baztan Borda Brûlée vive.
ans

Graziana 66 Participe aux sabbats


Hôtelière à Urdazubi Brûlée vive.
Xarra [archive] ans de Zugarramurdi

María 54 Participe aux sabbats


Brûlée vive.
Etxatxute [archive] ans de Zugarramurdi

Maria Txipia 52 Tante de Maria Sorginkerian


Emprisonnée à vie.
Barrenetxea ans Jauretegia jakintsua izatea

40 Participe aux sabbats Emprisonnée à vie (libérée


María Etxegi [archive]
ans de Zugarramurdi ultérieurement).

María 40 Participe aux sabbats Morte en prison sans avouer ni se


Etxaleku [archive] ans de Zugarramurdi repentir. Brûlée en effigie.

Estebania 37 Participe aux sabbats Morte en prison sans avouer ni se


Petrisanzena [archive] ans de Zugarramurdi repentir. Brûlée en effigie.

Deabruaren
Plus sakristaua, Mort en prison après s'être
de Akelarreko umeen repenti. Ses restes sont exposés à
Martin Bizkar Paysan
80 alkatea (Le sacristain l'autodafé, puis enterrés
ans du diable, maire des chrétiennement.
enfants de l'Akelarre)

Joanes 68 Participe aux sabbats Mort en prison sans avouer ni se


Laboureur
Etxegi [archive] ans de Zugarramurdi repentir. Brûlé en effigie.
Domingo 50 Charbonnier, natif Participe aux sabbats
Brûlé vif.
Zubildegi [archive] ans d'Espelette de Zugarramurdi

Fils de Maria Arburu,


natif de Repenti et rentré dans la foi
43
Frère Pedro Arburu Zugarramurdi, moine catholique. Condamné à 10 ans
ans
aux Prémontés de prison.
d'Urdazubi

36 Participe aux sabbats


Petri Juangorena Paysan, charbonnier Brûlé vif.
ans de Zugarramurdi

Fils de Maria Baztan


Repenti et rentré dans la foi
Don Juan Borda 34 Borda, natif de
catholique. Condamné à 10 ans
Arburu ans Zugarramurdi, prêtre
de prison.
et clerc

Joanes Odia 60 Participe aux sabbats Mort en prison sans avouer ni se


Beretxea [archive] ans de Zugarramurdi repentir. Brûlé en effigie.

Morte sous la torture sans avouer


Sorcière du sabbat de
80 ni se repentir. Brûlée en effigie.
María de Zozaya « vieille fille » Errenteria, prosélyte
ans Maria Zozaia
notoire.
Arramendi [archive]

Forgeron à
Joanes 27 Participe aux sabbats Brève peine de prison et exilé à
Errenteria, né à La
Lambert [archive] ans de Zugarramurdi vie de Navarre et de Guipuscoa.
Bastide-Clairence

Morte en prison après s'être


60 repentie. Ses restes sont exposés
Mari Juanto
ans à l'autodafé, puis enterrés
chrétiennement.

Avoue immédiatement.
Beltrana 40 Mendiante, native de Membre de six Condamnée à 6 mois de prison et
Fargua [archive] ans Amou sabbats en Navarre exilée à vie de Navarre et de
Guipuscoa.

Joanes 40 Sorcier d'Etxalar en Exilé à vie de Navarre et de


Forgeron
Iribarren [archive] ans Navarre Guipuscoa

María 25 Riche habitante de Participe aux sabbats Avoue en prison (ne parle pas
Endara [archive] ans Lesaka, son village Basque). Emprisonnée à vie et
natal, épouse de
Pablo de Goyeneche, de Zugarramurdi libérée ultérieurement.
noble local

María 38 Participe aux sabbats Emprisonnée à vie (libérée


Telletxea [archive] ans de Zugarramurdi ultérieurement).

Née à La Bastide- Jugée à Logroño en mai 1611, et


Clairence, déjà acquittée. Mais à son retour chez
Accusée de « perdre
45 arrêtée par Tristand elle à Hondarribia, les édiles
Inesa Gaxen [archive] des navires dans le
ans de Urtubia, jugée et locaux n'acceptent pas la décision
port de Pasajes »
acquittée par le de l'Inquisition et la bannissent à
tribunal de Bordeaux Hendaye.

À tous, exécutés ou non, on saisit évidemment tous les biens.

Traces dans la culture

La "Grotte des Sorcières" près de Akelarre de Zugarramurdi.

C'est sur l'alpage dit de l'akelarre (terme basque pour le "pré du bouc", par métonymie le "sabbat") que les
sorcières de Zugarramurdi étaient supposées tenir leurs réunions. L'espagnol a conservé le mot aquelarre10 pour
désigner le sabbat.

Le Musée de la Sorcellerie de Zugarramurdi perpétue la mémoire des villageois qui subirent ces terribles
répressions. Le bourg célèbre désormais chaque année les sorcières en organisant une fête dans la grotte pour la
nuit de la Saint-Jean.

Akelarre (1984) est un film espagnol de Pedro Olea sur ces procès.

Le film Les Sorcières de Zugarramurdi (titre original : Las brujas de Zugarramurdi) est une comédie horrifique
franco-espagnole écrite et réalisée par Álex de la Iglesia et sortie en 2013 : de nos jours, un groupe de braqueurs
croise la route d'une famille de sorcières à Zugarramurdi.

Voir aussi

 Sabbat (sorcellerie)
 Sorgin
 Liste des victimes de chasses aux sorcières
 Zugarramurdi

Bibliographie
 Claude Labat, Sorcellerie ? : Ce que cache la fumée des bûchers de 1609, Donostia; Bayonne,
Elkarlanean; Igela, 19 mai 2009, 96 p. (ISBN 9788497836616 et 8497836618, OCLC 495056631)
 (es) Julio Caro Baroja, Las brujas y su mundo, Madrid, Alianza éditeur, 2003 1961 (ISBN 84-206-7777-
9)
 (es) Julio Caro Baroja, Inquisición, brujería y criptojudaísmo, Barcelone, Círculo de Lectores-Galaxia
Gutenbert, 1996 1970, 282 p. (ISBN 978-84-8109-065-9 et 84-8109-065-4)
 (es) Julio Caro Baroja, Brujería vasca, Saint-Sébastien, Txertoa, 1985, 315 p. (ISBN 84-7148-017-4)
 (es) Henry Kamen, La Inquisición Espannéela. Una revisión histórica, Barcelone, Crítica, 2011 (1 re éd.
1999) (ISBN 978-84-9892-198-4)
 (es) Carmelo Lisón Tolosana, Las brujas en la historia de España, Madrid, Temas de Hoy, 1992, 374 p.
(ISBN 84-7880-219-3)
 (es) Joseph Pérez, Breve Historia de la Inquisición en España, Barcelone, Crítica, 2012 2009, 224 p.
(ISBN 978-84-08-00695-4)

Source

 (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Basque
witch trials » (voir la liste des auteurs).

Références

1. Inquisición [archive] sur Auñamendi Eusko Entziklopedia.


2. « Les Sorcières de Zugarramurdi, la Vraie Histoire », Mindshadow, 3 juillet 2014 (lire en ligne [archive],
consulté le 4 février 2018)
3. (es) « Zugarramurdi, la última y fraudulenta matanza de brujas de la Inquisición Española » [archive], sur
www.abc.es, 22 novembre 2016 (consulté le 1er novembre 2017)
4. « Los aquelarres de Zugarramurdi sólo eran "gaupasas" entre vecinos » [archive du 24 juillet 2011], Diario
de Navarra (consulté le 13 avril 2009) Site en espagnol
5. H. C. Erik Midelfort, « Vol. 88, No. 3, Jun., 1983 », The American Historical Review, vol. 88, no 3, 1983,
p. 692–693 (DOI 10.2307/1864648, JSTOR 1864648)
6. Brujería [archive] sur l'Auñamendi, par Idoia Estornés Zubizarreta.
7. « Logrono Burnings », 11 mai 2007 (version du 11 mai 2007 sur Internet Archive)
8. (en + es) Gustav Henningsen, The Salazar Documents : Insquisitor Alonso de Salazar Frías and Others on
the Basque Witch Persecution, Brill, 2004, 512 p. (lire en ligne [archive])
9. (es) Florencio Idoate, Un documento de la Inquisición sobre brujería en Navarra, Pampelune, Aranzadi,
1972, 193 p. (lire en ligne [archive]), (extrait accessible en ligne)
10. Aquelarre [archive] dans le Diccionario de la Real Academia Española.

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