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Une poésie d’exil entre regrets de

l’Italie et nostalgie de la patrie


Le sonnet 31 « Heureux qui comme Ulysse » renvoient au
malheur de l’exil et le sentiment de regret, de chagrin, de
solitude, face à la distance et à l’éloignement.

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,


Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge.

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village


Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?

La postérité a surtout retenu de Du Bellay, le poète


« nostalgique ». Le mot vient du grec nostos, le retour de
voyage, et algos, le mal ou la maladie. C’est le mal du
retour, le mal du pays, comme celui d’Ulysse sur le chemin
du retour vers Ithaque.

Ulysse, Jason. Il a lu et étudié les récits mythologiques de


chacun. Ulysse, qui a laissé Pénélope et Télémaque (femme
et enfant), et est parti de son royaume d’Ithaque pour

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participer à la guerre de Troie. Il reste absent pendant
20 ans. L’Odyssée d’Homère raconte ses nombreuses
péripéties. Après ces 20 années, il finit par rentrer auprès
des siens.

Toujours au sonnet 31, le poète préfère vivre le plaisir et le


décor de ses origines d’Anjou que les vestiges de Rome
ennuyeux :

Plus me plaît le séjour qu’on bâtit mes aïeux


Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plait l’ardoise fine.

Il préfère la solennité de son jardin, sa petite maison, son


village. Il préfère la petitesse de son village d’Anjou que
cette grandeur étrangère qui l’écarte de lui-même
toujours au sonnet 31 :

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,


Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et Plus que l’air marin la douceur angevine.

Ailleurs, dans le sonnet 9 « France mère des arts », le


poème prend une une allure biblique. L’agneau est le porte-
parole du poète dans l’expression du privilège de l’art et de
l’amour de la patrie, la France :

France, mère des arts, des armes et des lois,

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Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

La métaphore de l’ « agneau » symbole de Jésus sacrifié


dans la tradition juive pour l’amour de l’humanité et la
soumission du chrétien à la volonté de Dieu. Du Bellay est
soumis à l’amour de la France d’abord artistique.

La France devient un véritable personnage, auquel on doit


un « amour sacré de la patrie ». Elle est dotée, comme la
Muse, d’attributs allégoriques et mystiques : « les antres et
les bois ».

Les arts précédent les armes et les lois. Ce qui est un


paradoxe et une nouveauté pour l’époque et qui ne plaisent
pas les traditionnalistes et juristes français. Les jeunes gens
de bonne famille, pour faire carrière, la voie est toute tracée :
c’est celle des armes. Ensuite viennent les lois, c’est-à-dire
une carrière juridique, politique, diplomatique ou
ecclésiastique. En somme, le rouge ou le noir.

La résidence romaine dans le sonnet 9 a tous les caractères


de l’inhumanité et de la menace. La France est donc une
mère cruelle qui abandonne son rejeton (Du Bellay) dans
une ville romaine sans âme :

Si tu m’as pour enfant avoué quelquefois,

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Que ne me réponds-tu maintenant, o cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Echo, ne répond à ma voix.

Les Regrets- Poème à « papiers


journaux », poésie simpliste et
familière

Dès le Sonnet 1, Du Bellay élabore les aspects stylistiques de


son projet poétique :

Aussi ne veux-je tant les peigner et friser,


Et de plus braves noms ne les veux déguiser,
Que de papiers journaux, ou bien de commentaires.

La tension entre écriture administrative et écriture


poétique, prose et poésie, se reflète dans le style même
des Regrets au sonnet 2, adressé à Pierre Paschal, historien
du roi :

Aussi veux-je (Paschal) que ce que je compose


Soit une prose en rime, ou une rime en prose,
Et ne veux pour cela le laurier mériter.

Au sonnet 3, Du Bellay affirme avoir perdu tout naturel,


c’est-à-dire son inspiration :

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Ores ne sentant plus cette divinité,
Mais piqué du souci qui fâcheux m’importune,
Une adresse j’ai pris beaucoup plus opportune
A qui se sent forcé de la nécessité.

Du Bellay passe sous silence les aspects poétiques de son


œuvre et revient à la notion de « papiers journaux et
commentaires » au sonnet 4 :

Je me contenterai de simplement écrire


Ce que la passion seulement me fait dire,
Sans rechercher ailleurs plus graves arguments.

Au sonnet 6, le poète n’espère aucune immortalité, et il ne


prétend pas être inspiré :
[...] mon cœur qui soulait être maitre de soi,
Est cerf de mille maux & Regrets qui m’ennuient.
De la postérité je n’ai plus de souci,
Cette divine ardeur, je ne l’ai plus aussi,
Et les Muses de moi, comme étranges, s’enfuient.

Le sonnet 15 offre une belle illustration de sa


nouvelle poétique : celle de la liste des passe-temps et des
tracas administratifs :

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Panjas veux- tu savoir quels sont mes passe-temps ?
Je songe au lendemain, j’ay soin de la dépense
Qui se fait chacun jour, & si faut que je pense
A rendre sans argent cent créditeurs contents.
Je vals, je viens, je cours, je ne perd point le temps,
Je courtise un banquier, je prends argent d’avance,
Quand j’ay dépêché l’un, un autre recommence,
Et ne fais le quart de ce que je prétends.
Qui me présente un compte, une lettre, un mémoire,
Qui me dit que demain est jour de consistoire,
Qui me rompt le cerveau de cent propos divers :
Qui se plaint, qui se deult, qui murmure, qui crie,
Avec tout cela, dis (Panjas) je te prie,
Ne t’ébahis-tu point comment je fais des vers ?

Du Bellay est un poète voyageur chargé de bagages. Il


rapporte un lot de cartes postales amassées en chaque lieu où
il passe. Le sonnet 57 adressé à Dagaut est présenté à bien
des égards, comme une carte postale poétique :

Cependant que tu suis le lièvre par la plaine,


Le sanglier par les bois, & le milan par l’air,
Et que voyant le sacre, ou l’épervier voler,
Tu t’exerces le corps d’une plaisante peine

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Dans le sonnet 4, Du Bellay rejette la poésie savante, grecque,
latine, pétrarquiste et ronsardienne et propose des vers
simplistes et familiers :

Je ne veux feuilleter les exemplaires Grecs,


Je ne veux retracer les beaux traits d’un Horace,
Et moins, veux-je imiter d’un Pétrarque la grâce,
Ou la voix d’un Ronsard, pour chanter mes Regrets.

Moi, qui suis agité d’une fureur plus basse


(...)
Je me contenterai de simplement écrire
Ce que la passion seulement me fait dire
Sans rechercher ailleurs plus graves arguments.

Le poète revendique une poésie simple, familière et française,


des sonnets français au sonnet 18 :

Je ne fais pas l’amour ni autre tel ouvrage :


Je courtise mon maître, et si fa is davantage,
Ayant de sa maison le principal souci.

Que de voir Du Bellay se mêler du ménage


Et composer des vers en un autre langage ?

Au sonnet 13, le poète accuse la muse de l’avoir plongé dans


une perte de temps. Son art poétique n’est plus d’une douce

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fureur savante, mais le condensé des contradictions, des
réseaux d’opposition :

Maintenant je pardonne à la douce fureur


Qui m’a fait consumer le meilleur de mon âge,
Sans tirer autre fruit de mon ingrat ouvrage
Que le vain passe-temps d’une si longue erreur.

Si les vers ont été l’abus de ma jeunesse,


Les vers seront aussi l’appui de ma vieillesse,
S’ils furent ma folie, ils seront ma raison.

Des poèmes mélancoliques


Le poète devient un être saturnien et mélancolique. Cette
influence astrale se traduit dans Les Regrets, entre autres, par
la blessure au pied au sonnet 25 :
(...)
Quand pour venir ici j’abandonnai la France :
La France, et mon Anjou dont le désir me point.
Et que Mars était lors à Saturne conjoint.
(...)
N’était-ce pas assez pour rompre mon voyage,
Quand sur le seuil de l’huis, d’un sinistre présage,
Je me blessai le pied sortant de ma maison ?

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Analyse : Achille avec sa plaie au talon, mais aussi, dans
l’Ancien Testament, Jacob qui boite à l’issue de sa
rencontre avec Dieu.

Tout comme le dieu Vulcain, qui fut jeté de l’Olympe par sa


mère Junon en raison de sa laideur – chute qui va lui causer
une plaie au pied qui le condamne à boiter pour toujours.

Déjà, dans le propos liminaire aux Regrets, « À son livre »,


le poète se décrit dans un état piteux « He chétif que je suis »
avant de mettre en exergue le processus du vieillissement au
sonnet 24 :

Moi chétif ce pendant loin des yeux de mon Prince,


Je vieillis malheureux en estranger province »

Si le sens premier de « chétif » est certainement celui de


« malheureux », sa polysémie recoupe la signification
d’« exilé ». Les images du non-mouvement où le
vieillissement implique la sédentarité dans la ville romaine.

Au sonnet 21, le poète continue à déplorer son état de


faiblesse physique et d’infirmité corporelle faisant partie
intégrante de la souffrance :

Ton Du Bellay n’est plus ; ce n’est plus qu’une souche,


Qui dessus un ruisseau d’un dos courbé se couche,
Et n’a plus rien de vif, qu’un petit de verdeur.

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Au sonnet 87, le rapprochement du poète avec les éléments
de la nature produit un Du Bellay affaibli et vieilli par
l’exil :

J’ai voulu mille fois de ce lieu m’étranger,


Mais je sens mes cheveux en feuilles se changer,
Mes bras en longs rameaux, et mes pieds e racine.
Bref, je ne suis plus rien qu’un vieil tronc animé.

L’allusion à la magicienne Alcine et à son pouvoir de


transformer les hommes en arbre s’inspire du Roland
furieux (1516) de L’Arioste.

Toujours dans la mélancolie, la solitude et l’exil romain, le


souvenir lointain du poète à ses amis de la Pléiade est à la
fois mélancolique et nostalgique au sonnet 19 :

Je me promène seul sur la rive latine,


La France regrettant, et regrettant encor
Mes antiques amis, mon plus riche trésor,
Et le plaisant séjour de ma terre Angevine.

La souffrance est pleine et le poète le revendique dans son


« moi » la plainte et la solitude à la chute du sonnet 5 :

Moi, qui suis malheureux, je plaindrai mon malheur.

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Au sonnet 6, la souffrance et les regrets sont évoqués suivant
l’envol de la Muse qui n’inspire plus :

Et mon cœur, qui soulait être maître de soi,


Est serf de mille maux et regrets qui m’ennuient,
(...)
Cette divine ardeur je ne l’ai plus de aussi,
Et les Muse de moi, comme étranges, s’enfuient.

Le regret de la distance et la nostalgie du royaume d’enfance


d’Anjou, terre angevine au sonnet 19 :

Je me promène seul sur la rive latine,


La France regrettant, et regrettant encor
Mes antiques amis, mon plus riche trésor,
Et le plaisant séjour de ma terre angevine.

Le poète attaque Pierre de Ronsard par ironie qui s’agrippe à


la faveur du roi et le laurier de Pétrarque qui le couronne au
sonnet 20 :

Tu jouis, mon Ronsard, même durant ta vie


De l’immortel honneur que tu as mérité :
Et devant que mourir (rare félicité)
Ton heureuse vertu triomphe de l’envie.

Courage donc, Ronsard, la victoire est à toi,


Puisque de ton côté est la faveur du roi.
Jà du laurier vainqueur tes temps se couronnent.

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Le poète envie un Baif assis à côté de son amoureuse pendant
que Du Bellay « chétif » et éloigné de sa douceur au sonnet
24 :

Tu n’éprouves, Baif, d’un maitre rigoureux


Le sévère sourcil : mais la douce rudesse
D’une belle courtoise et gentille maitresse,
Qui fait languir ton cœur doucement langoureux.

Moi chétif, cependant, loin des yeux de mon prince,


Je vieillis malheureux en étrange province,
Fuyant la pauvreté : mais las ne fuyant pas.

Les regrets, les ennuis, le travail et la peine,


Le tardif repentir d’une espérance vaine,
Et l’importun souci, qui me suit pas à pas.

Depuis l’Italie, il envoie à son ami de longue date, Ronsard


qui vit l’amour de sa dame en France, à l’opposé d’un Du
Bellay qui éprouve l’éloignement, la distance et la solitude au
sonnet 8 :

Mais moi, qui suis absent des rais de mon soleil,


Comment puis-je sentir échauffement pareil
A celui qui est près de sa flamme divine ?

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La France, en tant que métaphore de la mère et des bergers a
abandonné son troupeau et ses enfants dans une cruauté
impardonnable au sonnet 9 :

France, mère des arts, des armes et des lois,


Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m’as pour enfant avoué quelquefois,


Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
(...)
Las, tes autres agneaux n’ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

Au sonnet 10 et dans la solitude romaine, le poète se compare


au Prométhée et veut ramener en France la lumière de la
langue française qui souffre et qui devient inaudible à Rome :

C’est l’ennui de me voir trois ans et davantage,


Ainsi qu’un Prométhéen cloué sur l’Aventin,
Où l’espoir misérable et mon cruel destin,
(...)
D’un change plus heureux ? nul, puisque le français
Quoiqu’au grec et romain égalé tu te sois,
Au rivage latin ne se peut faire entendre.

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Au sonnet 11, le poète éprouve la souffrance de se déparer de
la Muse de l’inspiration savante qui avait occupé une place
importance dans la carrière du poète :

Si ne veux-je pourtant délaisser de chanter,


Puisque le seul chant peut mes ennuis enchanter,
Et qu’aux Muses je dois bien six ans de ma vie.

La solitude, la souffrance sont révélés par l’inconfort, les


ennuis et les pleurs du poète au sonnet 12 :

Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuis,


Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante,
Si bien qu’en les chantant, souvent je les enchante :
Voilà pourquoi, Magny, je chante jours et nuits.

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