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18/11/2023, 13:26 Venues des cinq continents, 70 femmes réunies pour le 1er parlement des écrivaines francophones à Orléans

Orléans | TV5MONDE…

Venues des cinq continents, 70


femmes réunies pour le 1er
parlement des écrivaines
francophones à Orléans
LE 29 SEP. 2018 À 07H41 (TU) • Mis à jour le 29 Sep. 2018 à 07h41 (TU) • Par Sylvie Braibant

Juste avant l'ouverture de leur premier Parlement, les auteures francophones posaient
autour de la statue de Jeanne d'Arc, héroïne d'Orléans, et du maire de la ville qui les
accueillait. Au moment de cette photo de groupe, Olivier Carré leur a alors lancé
joyeusement : "cherchez l'erreur !" - (c) Sylvie Braibant

11 minutes de lecture

Près de cent autrices ont répondu à l'appel de la


tunisienne Fawzia Zouari pour la constitution d'un
Parlement international des écrivaines francophones.
Pour en bâtir les fondations, soixante-dix d'entre elles ont
fait le déplacement à Orléans, les 26, 27 et 28 septembre
2018, dans la ville de Jeanne d'Arc, une autre héroïne de
l'Histoire. Trois jours d'échanges passionnants et vifs avec

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la perspective de se retrouver chaque année, et la


rédaction d'un manifeste. Reportage

Au commencement, avant de devenir une assemblée élective et


législative, un parlement était l'action de parler. "Ne puis à vous
tenir long parlement", pouvait écrire sur un message un
interlocuteur pressé du XIIème siècle. En trois jours, les écrivaines
réunies à Orléans ont concentré neuf siècles : après avoir tenu un
long parlement, elles ont jeté les bases d'une assemblée, certes
non élective ni législative, mais engagée et positive.

Démocratie, représentativité, réflexion

Fawzia Zouari, à l'initiative du projet, a surtout retenu le sens


moderne du mot Parlement. Dans le texte fondateur, écrit en 2016,
à Orléans déjà à l'occasion de la première édition des "Voix
d'Orléans" - rencontres francophones de scientifiques, artistes,
intellectuels -, l'écrivaine tunisienne résidant à Paris édictait sa
propre définition : "Pourquoi un « Parlement » ? Parce que le mot
parlement renvoie à l'idée de démocratie et de représentativité
visible. Parce qu'il induit l'idée de la réflexion et du débat au profit
de la majorité. Parce qu'il sort de la solitude de soi pour assurer
une présence de tous et joue la solidarité publique contre
l'isolement ou l'anonymat."

Féministe universaliste, imperméable aux possiblités d'un


"féminisme islamique" et à tout "relativisme culturel", Fawzia
Zouari a la plume et le verbe engagés. Cette idée d'un parlement
international des écrivaines francophones était pour elle une
évidence : "En 1993, en pleine tragédie algérienne, naissait le «
Parlement international des écrivains ». (.../...) C'est de cette
initiative que s'inspire le présent projet. (.../...) Pourquoi les
femmes écrivaines plus spécifiquement ? Parce que les femmes
restent la voix minoritaire et le sexe victime des violences de
toutes sortes. Remettre en exergue la voix des femmes,
écrivaines en l'occurrence, c'est donner à lire et à écouter une
parole qui s'oppose par essence à la guerre et au rejet de l'Autre

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; qui conjugue la rencontre à sa façon – y compris à travers les


langues ; qui rappelle le devoir d'altérité ; qui ne cesse de
produire à travers les livres la même idée de paix et de
promouvoir le même impératif : celui de la Vie."

Les temps sont durs, pour les femmes,


pour les écrivaines. La guerre contre les
femmes est toujours là, même invisible.
Fawzia Zouari, écrivaine

Autre évidence : c'est en français que ces auteures, autrices,


dramaturges, philosophes, poétesses, partagent une aspiration à
renverser le patriarcat par leurs mots et leurs actions. Juste avant
l'ouverture de la première session d'une assemblée inédite, à
propos d'écriture, de lectures, de langue française - "la seule
parlée sur les cinq continents", de guerre invisible, de sexualité,
de "l'envoilement" des mentalités, Fawzia Zouari répondait aux
questions de Terriennes.

A retrouver sur l'édition 2016 des Voix d'Orléans dans


Terriennes :
> Les Voix d'Orléans conjuguent la francophonie au
féminin

Elles furent donc des dizaines à répondre à l'appel d'Orléans de


Fawzia Zouari, de l'Afrique ou d'Asie, des Amériques ou d'Europe,
ou encore des Caraïbes. Et présentes pour la constitution de ce
Parlement d'un nouveau genre, elles sont environ 70 représentant
une trentaine de pays. Au premier de cette "armée" pacifique
mais déterminée, la marocaine Leila Slimani, rare prix Goncourt
féminin pour "Une chanson douce" en 2016, et depuis novembre
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2017 représentante personnelle du président Emmanuel Macron


pour la francophonie...

Ecrire en français, au féminin pluriel

Il est 14h30 dans l'hémicycle du Conseil municipal offert pour


l'occasion par le maire d'Orléans Olivier Carré, et les préambules
à peine achevés, les interventions fusent, les mains se lèvent, les
interpellations sont lancées, les différences s'affirment. En
particulier autour de ce que serait une écriture féminine.
Certaines aimeraient voir cette question traverser tous les
débats, tandis que d'autres refusent d'être enfermées dans une
"essentialisation" féminine, parce que l'écriture serait hors genre.

La salle du Conseil municipal habituellement occupée par les 55 élus d'Orléans, était
fort bien "habitée" ce 26 septembre 2018 par les 70 écrivaines francophones du
monde entier. - (c) Sylvie Braibant

Suzanne Dracius vient de la Martinique et se présente aux autres


forte "des quatre continents qui se rejoignent dans son corps".
Pour cette romancière, on doit réfléchir à ce qu'implique
une écriture qui "part du corps d'une femme".

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Suzanne Dracius déplore aussi que les références citées dans


cette rencontre de femmes soient avant tout masculines. Un
parti pris que refuse l'écrivaine sénégalaise Khadi Hane : "Ce n'est
pas parce que nous sommes des individus féminins que nous ne
devons pas citer des auteurs hommes." Mais aussi
l'iranienne Chahla Chafiq, qui déclare se jouer des frontières et
des identités.

« Dire "je" pour une femme à Madagascar c’est inconcevable,


alors comment écrire au féminin, surtout sous des régimes
autoritaires ? » lance la dramaturge Michèle Rakotoson, avec une
colère palpable.

Autre ligne de fissure, le rapport à la langue française. La plupart


des écrivaines présentes dans l'Assemblée vivent "une dualité,
voir une pluralité de langues". Beaucoup des membres de ce
Parlement sont issues, première, deuxième, troisième génération,
de pays africains, ex colonies de la France. Le français est leur
langue d'écriture, pas leur langue maternelle. Leila Slimani
raconte par exemple ce qualificatif de "traitresse" qu'elle entend
depuis des années pour avoir choisi le français plutôt que
l'arabe. D'autres éprouvent des sentiments contradictoires,
d'amour et de rejet, pour ces mots dont elles aiment jouer. Dans
un discours très politique, l’haïtienne Evelyne Trouillot résume ces
va-et-vient : « le français me renvoie automatiquement à mon
histoire, celle de la colonisation. Écrire en français c’est faire acte
de création pour interroger le monde. »

Guyanaise, Françoise James Ousénie raconte elle aussi cette


appropriation compliquée : « Je suis sud-américaine, guyanaise,
ma langue est le créole, j’écris en français. Je vis dans une
dualité de langue. Je n’écris pas pour la France mais pour les
miens, c'est à dire celles et ceux qui me ressemblent partout
dans le monde. » De même que Emmelie Prophète arrivée d’Haïti.

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J’ai reçu le français en héritage, un


héritage non choisi qu’il m’a fallu
dompter
Nafissatou Dia Diouf, romancière, poétesse

Cet amour déchiré pour le français, Nafissatou Dia Diouf, prix


(entre autres) de la Fondation Senghor pour la nouvelle et la
poésie, née à Dakar le 11 septembre 1973 - ce jour terrible où
Salvador Allende fut assassiné au Chili -, le résume très joliment :
« j’ai reçu le français en héritage, un héritage non choisi qu’il m’a
fallu dompter, avec parfois une certaine révolte. Aujourd’hui
cette langue me sert à dire le monde ».

Ces lignes brisées autour de la langue d'écriture, on pouvait les


retrouver une fois la séance plénière achevée. Le lendemain, elles
résonnaient aussi dans les quatre commissions destinées à
"poser un regard de femmes sur les affaires du monde" : "Quand
la guerre sera faite par les femmes", "Les femmes, un salut pour la
Terre ?", "Avant l’écrit, l’école" ou encore "Le corps des femmes,
terrain de conflit".

Sororité, solidarité, réalités

Elles sont dix neuf autour de la table, dans la médiathèque, et


après s'être présentées, avec un humour rafraichissant loin d'une
forme habituelle d'autosatisfaction masculine, elles s'interrogent
sur cette thématique, autour de ce mot polysémique qu'est le
conflit : une guerre, un enjeu de pouvoir, une opposition d'intérêts
? A l'universalité de l'emprise masculine sur le corps des femmes,
certaines insistent sur les différences de cette emprise, liées à
l'histoire, celle de la colonisation en particulier, des guerres
toujours, mais aussi à des déchirures intimes, des parcours
singuliers.

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Elles sont une vingtaine, en atelier, à réfléchir sur le corps des femmes, si souvent
possédé, violenté, annexé par les hommes, dans le privé, dans les migrations ou
dans les guerres. Et aussi à ce corps depuis lequel elles ecrivent. - (c) Sylvie Braibant

Il y a celles qui accusent les hommes en général, celles qui


voudraient les associer "parce qu'eux aussi sont victimes du
patriarcat en étant assignés à des rôles figés", celles qui
constatent que "les femmes sont souvent les plus conservatrices"
au sujet de leur propre corps, et celles qui concluent que malgré
tout, il vaut mieux être victime du côté des dominants que des
dominées. Fatalement le voile et l'islam sont déposés sur la table,
aussitôt balayés par un "nous ne sommes pas là pour tomber
dans le piège des débats actuels". "Parce qu'il y a urgence,
avec cette haine des femmes qui enfle." "Alors que faire,
pourquoi sommes-nous ensemble". "Comment atteindre les
réfugiées mutilées, les femmes violées rejetées ensuite par leurs
propres mères ?" "C'est là qu'est notre voie, dire que nous
écrivons à partir de notre corps, et montrer que contrairement
aux idées reçues, les femmes s'entendent, soldates prêtes à
constituer une arlée contre l'emprise des hommes."

Belle polyphonie. A l'image aussi de ce moment de grâce,


orchestré par l'auteure dramatique et scénariste turque Sedef
Ecer, où, dans la salle du futriste Fonds régional d'art

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contemporain du Centre-Val de Loire, elles lisent l'une après


l'autres un extrait de l'un de leurs textes.

Lectures croisées, 3' chacune, tirées de leurs propres livres, en français, en arabe, en
syncopant les mots... Fort émouvant d’écouter ces écrivaines de toutes la
francophonie qui se succèdent. - (c) Sylvie Braibant

Etre femme n'est pas une identité figée,


c'est une expérience.
Chahla Chafiq, sociologue, romancière iranienne

Le corps des femmes est aussi au coeur de l'oeuvre de la


sociologue et romancière iranienne en exil en France Chahla
Chafiq. Elle qui vite, pense et écrit dans ses deux langues, le
français et le persan, même si elle ne souscrit pas à l'idée d'une
écriture spécifiquement féminine, reconnaît que l'expérience
d'être dans un corps de femme infléchit certainement l'acte de
création. "C'est par l'écriture que j'élucide le monde, je dialogue
et je m'ouvre aux autres. Etre femme n'est pas une identité figée,
c'est une expérience. Ici, dans ce parlement, nous parlons au
monde, à ce qu'il va devenir."

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Penser cet autre monde, envisager tant de possibles, le 70


premières pionnières de cette expérience de Parlement, certes
non élu, mais à l'exercice indéniablement très pluriel et
démocratique comme en témoignent ces trois journées
particulières, espèrent se retrouver chaque année. Et essaimer
leur premier manifeste dans une francophonie toujours plus
ouverte au monde, munies de ce nouveau concept inventé pour
l'occasion par Fawzia Zouari, la "tendresse sociale", pour
"réinventer la beauté et la délicatesse".

« Liberté, égalité, féminité » - Manifeste du


Parlement des écrivaines francophones
(extrait)

(.../...) "Nous voulons créer un réseau d’écrivaines,


encourager et marrainer les plus jeunes d’entre nous.
Tout tenter pour pousser à lire et à écrire.
Nous voulons aussi faire en sorte que toute femme ou
homme de plume puisse ne pas subir la répression, les
intimidations, les fatwas en tout genre. L’impossibilité de
traverser les frontières.
Nous voulons nous opposer aux guerres. Toutes les
guerres. A commencer par celles visibles ou insidieuses,
voilées ou à découvert, dirigées contre les femmes : le
patriarcat sous toutes ses formes, le viol, le harcèlement,
les mutilations génitales, les féminicides, les violences
conjugales (sept femmes en meurent chaque jour au
Mexique, deux en Argentine et une tous les trois jours en
France). Preuve que le corps des femmes reste, au Nord
comme au Sud, un enjeu de pouvoir et un théâtre de
conflit. Preuve que le contrôle de la sexualité féminine
reste le mot d’ordre de toutes les religions. Quand il ne
s’agit pas de l’assigner à la marchandisation et aux
usages publicitaires dégradants.
Guerre contre la guerre. Celle dont les civils sont les
premières cibles. Motivée par des luttes de pouvoir et
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des idéologies assassines. Nous combattrons le


terrorisme, le djihadisme, les populismes, les discours de
haine, les extrémismes religieux et le rejet de l’autre. Et
tout ce qui s’en suit : ces populations errantes, perdues,
accrochées aux fils de barbelé, entassées sur des
bateaux de fortune parce que leurs pays leur ont refusé
la perspective d’un avenir, parce que l’Europe ne leur a
laissé pour perspective que d’échouer sur ses côtes
comme des poissons morts.
N’oublions pas cette phrase de Sophocle : « Quand la
guerre sera l’affaire des femmes, elle s’appellera la paix !
» Pourquoi ? Parce que chaque femme consciente et
libre est un danger pour les dictatures. Parce que
chaque femme qui traverse une frontière réhabilite la
parole sur l’altérité. (.../...)
Nous disons tout cela, ensemble, dans une seule langue
: le français. Nous n’en avons pas honte. Nous n’avons
pas de complexe à nous exprimer dans ce qui n’est plus
seulement la langue de Molière. Au contraire : nous
voulons renouveler voire refonder le discours sur le
français. Rompre avec la terminologie de guerre — «
butins » et « langue du colonisateur » — et nous
débarrasser des litiges du passé. Nous faisons de cette
langue notre enfant légitime."
Texte intégral et liste des signataires à retrouver > sur
le site du Monde

Suivez Sylvie Braibant sur Twitter > @braibant1

Terriennes FRANCE Auteure, autrice, écrire au féminin Femmes : résister autrement

Féminismes

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