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La femelle de

Processionnaire du pin,
Thaumetopoea pityocampa
Schiff. (Lépidoptère
Thaumetopoeidé) dépose ses
œufs en “manchon” autour
de l'aiguille en les protégeant
avec des écailles de l'extrémi-
té de son abdomen qu'elle
lisse avec ses ailes.
Clichés Guy Démolin.

Par Michel Lamy *a


* Ce texte est repris tel quel de
l'ouvrage "Des insectes et des
hommes", de Michel Lamy,
publié en 1997 dans la collec-
tion "Sciences d'aujourd'hui"
par les éditions Albin Michel,
avec leur aimable autorisa-
tion. Un encadré et un sup-
plément iconographique ont
été rajoutés par la rédaction.

La reproduction (II)
L a grande majorité des insectes
pond des œufs. On dit de ces
espèces qu'elles sont ovipares.
dans le fruit, la fleur, etc. Enfin, la
ponte est réalisée - on parle d'ovipo-
sition - grâce à l'ovipositeur, organe
en paquet : ils sont généralement
collés sur le support par un ciment
qui est très efficace puisque des
Mais, si la reproduction est un acte que possèdent les femelles et qui œufs restent fixés même après
fondamental pour l'espèce, il n'a de leur permet de déposer leurs œufs l'éclosion des larves. Ces œufs peu-
chance de succès que si l'œuf est de façon très précise, par exemple vent être protégés par des produc-
pondu non pas au hasard, mais en dans une cavité de l'écorce ou dans tions tégumentaires : écailles de
un endroit propice au développe- le sol. Ce n'est souvent qu'un tube ponte, voire des poils urticants.
ment de la larve qui va éclore, c'est- télescopique membraneux formé C'est le cas des pontes de
à-dire à sa nutrition. Reproduction aux dépens des derniers segments Lépidoptères : Processionnaire du
et nutrition vont donc de pair. Il en abdominaux. Il peut devenir rigide, pin, Bombyx disparate et Papillon
résulte que le comportement de formant une tarière ou oviscapte cendre de Guyane. De plus, il n'est
ponte comprend trois phases suc- chez les Hyménoptères Térébrants pas rare que les œufs soient pon-
cessives. D'abord la recherche de la ou les Orthoptères Ensifères qui dus en paquet emballé dans une
plante-hôte, si nous partons de l'hy- pondent leurs œufs dans d'autres coque : l'oothèque. C'est ainsi que
pothèse d'un insecte phytophage insectes ou dans le sol. les Acridiens pondent les œufs
(majoritaire chez les insectes). Les œufs sont pondus isolément ou dans le sol, enrobés dans un mucus
Comme nous l'avons vu, grâce à qui agglutine la terre et forme un
ses organes sensoriels chimiotac- “boudin de terre” plein d'œufs. Les
tiles, l'insecte repère à distance le mantes, les blattes (Dictyoptères)
végétal (spectre d'odeurs) sur le- réalisent des oothèques de formes
quel il viendra pondre. Puis, le vé- très variées qu'elles dispersent dans
gétal étant localisé, l'insecte préci- les lieux qu'elles fréquentent. Chez
sera au toucher (organes tactiles) le certaines blattes dont Leucophaea
site exact où il va réaliser l'acte de maderae, c'est l'oothèque tout en-
ponte : sur ou sous la feuille, autour tière qui est incubée dans une
des aiguilles (feuilles) de pin, dans poche spéciale de la femelle,
Oothèque de Mante.
les fentes de l'écorce de l'arbre, Cliché Christophe Larcher - OPIE conduisant à l'ovoviviparité.

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dans le vagin ou l'utérus dilaté. La fe- D'autres insectes sont vivipares.
melle pond alors un œuf prêt à éclore C'est le cas de certaines blattes où
ou accouche d'une jeune larve 1. l'oothèque est incubée dans l'utérus
Dans tous ces cas l'embryon s'est dé- de la femelle. Chez Leucophae made-
veloppé aux dépens du vitellus sans rae, Engelmann a étudié le méca-
l'aide de la femelle. En revanche, la nisme neuroendocrinien qui pré-
mouche tsé-tsé (Diptère Glossinidé) side à cette viviparité particulière :
accouche d'une larve qui a été nour- ici, le jeu de la JH est prépondérant.
rie dans les voies génitales de la fe- Les pucerons sont également vivi-
Ponte de la punaise d'Elasmucha grisea melle grâce à l'existence de “glandes pares et de plus parthénogéné-
(Hétéroptère Pentatomidé).
Cliché P. Velay - OPIE accessoires” transformées en glandes tiques *. Les œufs ont des enveloppes
lactées. Elles produisent un “lait uté- très minces et les parois de l'oviducte
L'acte de ponte est donc un phéno- rin” que tète la larve au niveau d'une jouent le rôle d'un “placenta” qui
mène comportemental bien précis papille utérine extérieure, la tétine. La laisse diffuser des substances nutri-
qui a fait et fait encore l'objet larve fait ses mues dans l'utérus de la tives de la mère vers 1'œuf. Ces fe-
d'études. A. et C. Strambi, du labora- femelle qui accouchera d'une larve melles accouchent de nombreux pe-
toire de neurobiologie de Marseille, qui se transformera aussitôt en pupe. tits pucerons parthénogénétiques. Le
ont montré qu'une femelle de Fait unique dans le règne animal, la développement est tellement rapide
grillon ayant subi une ablation des totalité de la croissance de l'individu que les embryons qui se développent
ovaires aura un comportement nor- s'est effectuée in utero. Il s'agit donc dans les oviductes maternels héber-
mal de ponte : elle creuse un trou d'une viviparité avec gestation des gent eux-mêmes une autre généra-
dans le sol pour y déposer avec son larves et accouchement. L'accouche- tion d'embryons. La femelle parthé-
ovipositeur des œufs qu'elle ne pos- ment s'accompagne de contractions nogénétique du puceron n'est pas
sède pas ! Il y a donc bien la disjonc- musculaires de la mère alors que l'as- seulement une “femelle enceinte”,
tion entre le comportement de ponte ticot s'allonge afin de s'engager dans elle est aussi “une grand-mère en-
et la fonction de reproduction. Ces le vagin. Ce comportement est sous ceinte”. La productivité du système
auteurs ont de plus montré que ce contrôle neuroendocrine. J.-P. Grillot viviparité-parthénogenèse est ex-
comportement de ponte est sous la et A. Robert constatent qu'une fe- trême et rejoint en cela les méca-
dépendance des corps allates (CA) et melle décapitée, et qui survit six nismes de pédogenèse et de polyem-
de l'hormone qu'ils sécrètent : la JH. jours, est incapable d'accoucher. Des bryonie fréquents chez les insectes.
L'ablation des CA entraîne, chez un neurohormones sont impliquées
grillon, l'absence de ponte ; le com- dans la gestation, d'autres dans la ■ Pédogenèse et polyembryonie
portement de ponte étant rétabli par parturition (accouchement), l'ecdy- L'idée qu'une larve puisse se multi-
injection de JH. La JH est, comme sone facilitant la contraction de la plier avant d'atteindre l'âge adulte,
nous le verrons ultérieurement, à la musculature utérine2. l'âge de la reproduction chez l'in-
fois l'hormone de la reproduction secte et chez les animaux qui font
(maturation des œufs) et du com- 1 L'Oestre du mouton (Diptère Brachycère) in- * NDLR : à certaines phases de leur cycle complexe.
portement de ponte. jecte ainsi ses larves dans les narines du mou- Beaucoup d’espèces passent par une phase ovi-
ton où elles continueront leur développement. pare en hiver, l’œuf étant la forme de résistance
Les œufs ainsi pondus réaliseront 2 aux mauvaises conditions (arbres défeuillés, no-
J.-P. Grillot et A. Robert, La lutte contre la mala-
seuls leur développement embryon- die du sommeil passera-t-elle par l'avortement de tamment).
naire aux dépens des réserves vitel- la mouche tsé-tsé ?, La recherche, n°171, no-
vembre 1985, pp. 1404-1406.
lines qu'ils contiennent : ils donne-
ront des larves aptes à s'alimenter.
Progéniture aux petits soins
■ De l'oviparité à la viviparité On connaît plusieurs exemples de soins
donnés aux œufs et aux larves. Dans le cas
À ce schéma général de l'oviparité, d'Hydrocyrius columbiae (Hétéroptère
classique chez de nombreuses es- Belostomatidé aquatique d'Afrique
pèces d'insectes, s'ajoutent des va- éthiopienne), c'est le mâle qui s'y
riantes qui vont de l'ovoviviparité à colle. Ils transporte, fixés sur ses
hémélytres, les œufs que la femelle
la viviparité. Il s'agit d'un dévelop- lui a soigneusement collé avec un
pement embryonnaire qui est réa- “ciment” insoluble dans l'eau. Les
lisé dans les voies génitales de la femelles des genres Phyllomorpha,
Arenocoris en font tout autant. D'autres
femelle sans ou avec sa participa- adoptent un comportement défensif particulier
tion. Ainsi, chez les Diptères, les dès que leur descendance est menacée : il
mouches du genre Calliphora, Musca s'agit de Physomerus grossipes (Hétéroptère Mâle d'Hydrocyrius columbiae portant sur
Coréidé), capable de projeter sur ses ses hémélytres des œufs fixés par la femelle.
ou Sarcophaga, les œufs réalisent assaillants un liquide anal nauséabond. d’après P.P.Grassé, éditions Masson.
leur développement embryonnaire

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une métamorphose, est difficile à les blastomères - évoluent séparé-
admettre 3. On a donné le nom de ment pour fournir un embryon cha-
néoténie (de neos : jeune, et tenein : cun. Chez les insectes Cynipides,
maintien) à ce phénomène de main- l'œuf, pauvre en vitellus, subit une
tien de l'état jeune, larvaire, et de re- segmentation totale où chacune des
production à l'état larvaire. Chez les cellules est capable de devenir un A B
insectes, de nombreux cas de néoté- embryon : il s'en forme ainsi, selon
nie ont été signalés et l'on a donné le les espèces, de 2 à 4, d'une centaine Ovoviviparité chez la Tachinaire, Panzeria
rudis (Diptère Tachinidé). A : appareil sexuel
nom de pédogenèse à la forme de re- à 2 000, de 1 000 à 1 million ! Ces d'une femelle émergente ; B : celui d'une
femelle mature montrant le vagin hypertrophié
production parthénogénétique à exemples incroyables nous amènent qui forme la chambre placentaire et le dépôt
l'état larvaire. Ce phénomène fut dé- tout naturellement à parler du po- des œufs contenant les larves formées.
D'après "the principles of insect physiology", de
crit par un entomologiste allemand, tentiel biologique exceptionnel des V. B. Wigglesworth, éditions Methuen & Co. LTD,
Londres. Seconde édition 1942.
N. Wagner, en 1861 chez un petit insectes. […]
moucheron (g. Miastor, Diptère jeunes larves seront protégées et soi-
Cécidomyidé) dont les larves (asti- ■ Les soins aux œufs gnées par la femelle. Elles se disper-
cots), se développent sous l'écorce et aux larves seront après la deuxième mue. Les
pourrissante des arbres abattus. Ces II s'agit là de comportements qui comportements de soins aux œufs
asticots contiennent des œufs par- participent au succès de la reproduc- et aux larves se compliquent chez
thénogénétiques qui donnent tion chez les espèces d'insectes qui des Coléoptères coprophages, les
d'autres asticots. La production en les manifestent. Beaucoup de fe- bousiers et les nécrophores qui vi-
grand nombre de ces asticots en- melles d'insectes abandonnent leur vent sur des cadavres. Ces insectes,
traîne la mort par éclatement de l'as- ponte dès que celle-ci est réalisée. selon les espèces, sont capables, soit
ticot-mère. Le nombre des asticots D'autres et c'est le cas, par exemple, de pondre dans le fumier ou les ca-
ainsi produits est considérable, de de certaines blattes, transportent au davres et d'abandonner leurs œufs à
nombreuses générations se succè- bout de leur abdomen l'oothèque : il leur sort, soit, au contraire, de stoc-
dent et ce n'est que dans certaines s'agit là d'un transport d'œufs, jus- ker le fumier (en couches, en
conditions qu'apparaissent des qu'à l'abandon pur et simple de l'oo- boules...) ou un morceau de cadavre
pupes puis des adultes ailés (les thèque et de son contenu. Ce phéno- dans des galeries creusées dans le
moucherons) capables d'effectuer mène se retrouve chez les insectes sol. Les femelles pondront leurs
une reproduction sexuée. Celle-ci ap- dont les larves sont aquatiques : œufs sur ou au voisinage de ces ré-
paraît lorsqu'il y a surpopulation des éphémères, perlides volent au-des- serves de nourriture dont les larves
asticots et (ou) moins bonne qualité sus de l'eau, transportant leurs œufs s'alimentent. Chez les nécrophores,
de la nourriture, ou si celle-ci vient à agglomérés à l'extrémité de l'abdo- les larves ne sont pas capables, à
manquer. Wagner eut des difficultés men, œufs qui se dissocient dès l'éclosion, de se nourrir ; aussi la fe-
à faire accepter la pédogenèse qui a qu'ils touchent la surface de l'eau. melle assure avec sa salive une pré-
depuis été retrouvée chez d'autres Des punaises femelles aquatiques digestion de la chair qu'elle régurgite
espèces 4. Mais il est aussi difficile (Belostomes – Hémiptères Belosto- aux larves. C'est bien sûr chez les
d'admettre qu'un seul œuf puisse à matidés) et terrestres (Phyllomorpha Hyménoptères que l'on voit l'évolu-
lui seul produire des milliers voire – Hémiptères) fixent leurs œufs sur tion la plus spectaculaire de la vie fa-
un million d'individus. Et pourtant, le dos des mâles qui en assurent le miliale à la vie sociale : le soin aux
ce phénomène fut découvert par P. transport jusqu'à l'éclosion. Cela œufs, puis aux larves, en étant l'une
Marchal (1862-1942) chez des in- nous rappelle étrangement le cas du des manifestations ***. Guêpes,
sectes Hyménoptères parasites, les crapaud accoucheur (Alytes obstetri- abeilles, fourmis s'organisent en so-
Cynipidés, avant d'être décrit chez cans) ! Mais, au-delà du simple trans- ciétés structurées où d'autres tâches
d'autres Invertébrés et Vertébrés port, des cas de soins aux œufs ont seront effectuées et le succès de l'en-
dont les tatous (Mammifères été décrits. Cl. Caussanel ** a étudié semble assuré. Ainsi, chez les in-
Insectivores) : il s'agit de la polyem- dans le détail le comportement de sectes, selon les espèces - et elles
bryonie. Nos vrais jumeaux sont un soins aux œufs prodigué par la fe- sont plus d'un million - les œufs
exemple, bien modeste, de polyem- melle du forficule ou perce-oreille peuvent être pondus au hasard et
bryonie : les deux cellules de la pre- (Dermaptère). Ces soins sont indis- abandonnés à leur sort 5 ou bénéfi-
mière segmentation - on les appelle pensables au développement des cier de soins attentifs ainsi que les
œufs ; séparés de la mère, ils se cou- larves qui en sont issues. r
3 La reproduction à l'état larvaire est possible
chez certains Amphibiens urodèles (type sala-
vrent de moisissures et les em-
mandre) qui atteignent la maturité sexuelle à bryons périssent. À l'éclosion, les *** NDLR : Les Termites, Insectes n°120 et 121.
l'état larvaire : c'est le cas des Axolotls, larves 5 On a même constaté que certaines espèces de
des salamandres américaines (g. Amblystone). ** NDLR : Décédé en avril 1999. Voir la note nécro- Lépidoptères et de Diptères pondent en vol, n'im-
4 Par exemple chez un Coléoptère américain, logique qu’Insectes lui a consacré dans son n° 113. porte où. Et pourtant la reproduction est assurée !
Micromalthus debilis.

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