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© Dunod, Paris, 2012

ISBN 978-2-10-058900-5
Consultez le site web de cet ouvrage
À Robin, avec sa sensibilité, son sens de l’humour et sa
pudeur.
À Bastien, avec son énergie, sa joie de vivre et sa résilience.
Aux Zadé, ma seconde famille.
REMERCIEMENTS
Toute ma gratitude va aux dirigeants qui ont accepté de
témoigner ici : sans eux, cet ouvrage ne serait pas. Mes
remerciements également à Sandra Enlart, ma complice à
Sciences Po, pour ses conseils bienveillants et sa relecture
critique. Un grand merci à Denis Dauchy, professeur de
stratégie à l’EDHEC, et aux DRH qui ont nourri ma réflexion
durant ces mois d’écriture, notamment Guillaume Bèque,
Valérie Bonte, Frédéric Bourdeau, Sylvie Brisson, Bénédicte
Chrétien, Xavier Delos, Sylvie Dugoujard-Allain, Patrice Gry,
Jacques Guillaume, Christophe Le Bars, Jérôme Nanty, Marie-
Hélène Plainfossé, Florence Quentier, Annick Verdier et
Thierry Weber. Enfin, l’aide logistique de Samuel Paquereau
m’a été précieuse.
AVANT-PROPOS
Je suis un opérationnel des ressources humaines. Durant mes
premières années d’expérience chez Philips, dans l’usine
du Mans, il s’agissait de faire face au boom de la téléphonie :
recruter des profils experts et requalifier le personnel en place.
Puis le site a perdu son plus gros client et je me suis investi
dans le reclassement des 496 personnes dont le poste était
supprimé. Chez Elf, ensuite, il m’a fallu construire des
parcours au sein du groupe pour les traders pétroliers recrutés
quelques années auparavant sur cette promesse. Au sein
d’Unilever, j’ai accompagné le développement du marché
européen du thé glacé et la réorganisation de la structure
industrielle au moment des 35 heures. Être DRH du groupe
Décathlon m’a conduit à travailler sur l’ouverture des premiers
magasins en Chine et sur l’intégration des États-Unis, mais
aussi à professionnaliser les politiques RH mises en œuvre et à
transformer en profondeur la qualité des pratiques de
management.
Si j’évoque cette expérience, c’est parce qu’elle n’est pas
neutre dans la façon dont j’aborde les thématiques traitées ici.
Certes, je suis désormais consultant. Certes, j’enseigne. Certes,
j’écris. Mais dans chacune de ces activités, ma posture reste
celle de l’opérationnel confronté à des enjeux concrets. Je ne
gère pas des projets, je ne traite pas des thématiques, je ne
considère pas que la réalité doit se plier aux concepts.
J’interviens sur les pratiques de l’entreprise et sur ce que
vivent les collaborateurs. Toute question est abordée au vu de
l’impact qu’aura concrètement la réponse sur le quotidien des
personnes au travail, aujourd’hui et demain.
Dans ma pratique du conseil, cette approche est structurante.
Quand je travaille avec des dirigeants sur l’articulation entre
leur stratégie et leurs pratiques RH, c’est pour impacter le
chiffre d’affaires et les résultats de leur entreprise. Mes
interventions sur les pratiques de management doivent
modifier ce que vivent les collaborateurs avec leur hiérarchie.
Lorsque j’accompagne une organisation sur la construction de
sa marque employeur, c’est pour développer les flux de
candidatures correspondant à ses besoins et l’engagement de
ses collaborateurs.

Il s’agit là de la première conviction qui structure cet


ouvrage : seul ce qui permet de changer la réalité a un
intérêt.
Il m’arrive parfois d’être sollicité alors qu’une autre
structure est déjà intervenue sur le besoin de l’entreprise.
Certains cabinets, dont le nom prestigieux est pourtant une
garantie aux yeux des représentants des actionnaires,
dupliquent des démarches sans doute séduisantes sur le papier,
mais sans effet sur le quotidien des collaborateurs. Leurs
rapports remplissent des armoires entières dans certaines
entreprises, notamment les grands groupes publics. Ces
pratiques sont aux antipodes de ce dont l’entreprise a besoin.
Elles alimentent l’image de parasitisme que certains dirigeants
ont des consultants, notamment en France.
Un opérationnel, soit. Mais alors pourquoi rédiger un livre
comme celui-ci ? Lorsque j’ai commencé à travailler dans les
ressources humaines, j’ai vécu l’impact de mon activité sur les
populations de mon périmètre d’intervention comme très
gratifiant. Pour autant, ce quotidien m’est rapidement apparu
comme insuffisant pour nourrir une réflexion poussée.
Quelques mois plus tard, je commençais à donner des cours de
GRH en IUT, le soir. Depuis, j’ai toujours enseigné en
parallèle de mon activité principale de DRH ou de consultant.
Sciences Po, en me confiant en 2005 la direction du master
RH en formation initiale, puis en 2008 la codirection de
l’executive master RH en formation continue, m’a permis de
donner une nouvelle dimension à cette activité
d’enseignement. La rédaction en 2007 de Réinventer les RH,
mon premier ouvrage, son succès de diffusion et le « Stylo
d’or » qui lui a été attribué par l’ANDRH ont constitué une
nouvelle étape. Le livre que vous avez entre les mains m’a
conduit à pousser plus avant ma réflexion, en croisant la
formalisation de mon expérience avec un certain nombre
d’apports.

Et c’est là la deuxième conviction sur laquelle s’appuie ce


livre : toute personne intervenant sur l’entreprise, en
interne ou depuis l’extérieur, doit prendre le temps du
recul, de la réflexion et de la formalisation. Tout simplement
parce que pour comprendre et maîtriser les réalités, il faut les
analyser. « Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le
doigt. » L’entreprise doit se donner les moyens de regarder au-
delà du doigt.
Chez les jeunes cadres de l’entreprise, c’est d’ailleurs cette
capacité plus ou moins bien maîtrisée et l’appétence à cet
exercice qui font la différence en termes de potentiel, et donc
de parcours possible ensuite. Quant aux dirigeants, ceux qui
restent en permanence dans l’opérationnel sans être capables
de ce recul condamnent à coup sûr leur entreprise à aller dans
le mur à terme.
Distraire ce temps des priorités du quotidien n’est pas
toujours facile. Les impératifs immédiats, les urgences
toujours renouvelées et la surcharge de travail qui caractérisent
aujourd’hui les journées de la plupart des acteurs de
l’entreprise constituent un obstacle majeur à cette prise de
recul. Mais à défaut, l’entreprise ne pourra maîtriser son
destin. Elle se contraindra à toujours adopter les mêmes
réponses et à répéter ses erreurs.
Prendre le temps de la réflexion, c’est notamment croiser ses
propres réalités avec les apports d’autres expériences et leur
formalisation : le poisson rouge ne peut comprendre son
aquarium que s’il en sort et s’enrichit d’un autre angle de vue.
Le premier enjeu pour l’acteur de l’entreprise est concret,
dans la façon dont il impacte la réalité. Mais il ne peut le faire
qualitativement qu’en prenant du recul et en s’alimentant
d’autres apports : il s’agit de multiplier les allers-retours entre
sa main et son cerveau.
Cette nécessité est d’autant plus forte en matière de gestion
des hommes. Dans de multiples domaines, le marketing, la
finance, la production, les entreprises s’appuient sur un
ensemble de savoirs et de savoir-faire solides qui constituent
en quelque sorte un socle commun à toutes les organisations.
En matière de ressources humaines, il suffit d’observer la
diversité de la qualité des pratiques pour réaliser que cette
sphère en est encore à sa préhistoire. Dans une période
récente, le débat RH n’a plus porté pendant plusieurs mois que
sur la meilleure façon pour l’entreprise d’éviter les suicides en
son sein. Reconnaissons que nous en sommes là au degré zéro
de la gestion des hommes. La bonne nouvelle, c’est que le
champ du possible est immense puisque tout reste encore à
inventer en matière de GRH dans un certain nombre
d’entreprises.
Nous proposons ici de le faire en articulant ressources
humaines et stratégie. Stratégie, le mot est lâché. Il renvoie
parfois à un savoir et à un vocabulaire ésotériques, réservés à
quelques dirigeants ou cabinets anglo-saxons, rédhibitoires
pour beaucoup. Affirmons-le clairement : ce n’est pas parce
que la stratégie est abordée que le langage et l’approche
utilisés doivent être hermétiques.

La volonté d’être didactique et d’adopter une démarche


pédagogique est la troisième caractéristique sur laquelle
est bâti cet ouvrage. Il est rédigé avec un objectif : fournir des
pistes utilisables à ceux qui le liront. Ce qui suppose de les
formuler de façon à être compris, en tournant le dos à certaines
productions à caractère académique réservées à un petit
nombre de « sachants ». Mon objectif n’est pas d’avoir raison,
mais d’avancer avec d’autres. Dans mes interventions en
entreprise, l’approche est la même : peu importe que j’aie
identifié les voies à emprunter et les actions à mener. Ce qui
est essentiel, c’est qu’elles aient été construites et partagées
avec mes interlocuteurs.
Cet impératif pédagogique implique notamment de veiller à
« simplifier la complexité ». La réalité est complexe et il n’est
pas question de nier cette complexité ou d’adopter une vision
simplificatrice de cette réalité. Par contre, la volonté de
pédagogie doit conduire à produire et à adopter des
représentations qui permettent de comprendre aisément cette
réalité. Je m’appuie notamment dans cet ouvrage sur des outils
que j’ai développés dans le cadre de mes interventions, comme
la représentation de l’identité RH de l’entreprise ou celle des
trois étages de la fonction RH.
À partir du moment où la stratégie est au cœur du propos,
cette volonté d’être didactique passe également par un effort
de définition des concepts utilisés, en veillant d’une part à ce
qu’ils soient faciles à intégrer, d’autre part à leur donner un
sens et un seul. En effet, l’utilisation régulière de certains
termes dans l’entreprise conduit parfois à leur donner des sens
très différents selon ceux qui les emploient. Le travail de
définition n’est pas une fin en soi. Il est indispensable mais il
n’est qu’un moyen au service d’un objectif : là aussi, pousser à
l’action et transformer les pratiques.

Autre dimension qui caractérise cet ouvrage : la volonté


de s’adresser à un public divers, bien sûr composé en
priorité des personnes qui sont dans l’entreprise ou qui ont
vocation à y être.
L’objectif est de fournir des clés concrètes à un dirigeant
d’entreprise qui voudrait capitaliser sur la dimension humaine,
au-delà du discours. Soit qu’il en sache l’efficacité ou la
pressente, soit que ses valeurs le conduisent à explorer cette
voie.
C’est aussi d’accompagner le praticien ressources humaines
qui voudrait faire évoluer son approche et chercherait à créer
plus de valeur. Beaucoup de ceux qui pratiquent ce métier ont
de l’ambition pour lui, avec une dimension quasi militante qui
peut être un tremplin pour le faire progresser.
C’est de fournir des pistes à celui qui travaille sur la stratégie
et qui réalise que la dimension humaine est devenue la
dernière source de différenciation et de création de valeur,
nous y reviendrons.
C’est de s’adresser au manager qui s’interroge sur ses
pratiques. Loin de la représentation caricaturale qu’ont
certains du manager, avec d’un côté ce qui serait sa « vraie
activité au service du business » et de l’autre une
responsabilité additionnelle sur une équipe. En aidant ainsi
celui qui a charge d’hommes à comprendre comment le fait de
les manager d’une certaine manière peut servir la mise en
œuvre et l’enrichissement de la stratégie.
C’est de parler au collaborateur qui voudrait comprendre les
logiques à l’œuvre et gagner en lucidité pour devenir acteur de
ce qui se joue, en ayant intégré qu’une organisation est un
corps vivant.
Ces écrits s’adressent en fait à tous ceux qui pensent que
l’entreprise doit évoluer, donc à l’ensemble de ses acteurs
d’aujourd’hui. Il parlera également, j’espère, à ceux qui la
feront demain, les étudiants qui ont choisi de se préparer à y
travailler, en les aidant à sortir du moule dans lequel ils
peuvent vouloir se couler pour être conformes à ce qu’ils
pensent être les attentes de l’entreprise. L’organisation que
vous construirez doit être différente de celle qui existe. Vous
devez donc bien sûr comprendre ce qu’elle est aujourd’hui,
mais pour mieux le transcender demain.
Cet ouvrage s’appuie largement sur mes interventions en
entreprise, que ce soit à travers les exemples présentés ou plus
largement dans les logiques développées. Il est nourri de la
diversité des terrains sur lesquels je suis sollicité : il m’arrive
d’intervenir la même semaine dans une entreprise industrielle
dont l’actionnariat est familial, dans une organisation publique
et dans une multinationale de l’agroalimentaire.
Je conclus cet avant-propos en pensant à ceux qui auront
contribué au contenu de cet ouvrage en me sollicitant pour
accompagner leur entreprise sur une de ses thématiques. La
richesse de leurs approches, mais aussi sans doute la nature de
ma démarche, construite sur mesure, investissant fortement la
partie amont du diagnostic, développant une dimension
maïeutique, nous ont parfois permis de construire une relation
de vraie complicité.
INTRODUCTION
Un discours pléthorique
Le caractère stratégique de la gestion des hommes fait dans
le monde de l’entreprise l’objet d’un discours récurrent. Il
existe une véritable rhétorique sur ce sujet, quasiment devenue
un passage obligé dans la prise de parole managériale.
L’omniprésence du thème est vérifiable dans l’expression
publique de nombreuses entreprises, notamment lorsque cette
communication est portée et incarnée par leurs dirigeants.
Héritage lointain du paternalisme, l’image du dirigeant
humaniste semble plutôt valorisée par notre société.
Ce discours s’incarne sur plusieurs niveaux. Le plus global
porte sur l’homme au travail. « Il n’est de richesse que
d’hommes » affirment de nombreuses entreprises, reprenant
des écrits de Jean Bodin datant de 1576. Les ressources
humaines de l’entreprise sont alors présentées comme son
capital le plus important. « L’homme, première richesse de
l’entreprise », affiche une organisation comme GL Events sur
son site internet. Dans le dernier rapport annuel d’EDF, son
PDG Henri Proglio argumente : « J’ai depuis longtemps la
conviction qu’il n’y a pas de développement industriel sans
ambition sociale affirmée. » « Ce sont les hommes et les
femmes qui font la différence », estime Thierry de la Tour
d’Artaise, PDG du groupe Seb dans une interview à
L’Expansion[1]. Ce discours est relayé par un certain nombre
d’événements visant à valoriser l’entreprise. Des dizaines
d’autres exemples pourraient illustrer cette communication sur
le caractère stratégique de la dimension humaine dans
l’entreprise.
Cette expression trouve également à s’appliquer à la
fonction RH, reconnue, valorisée et présentée dans le discours
comme une fonction stratégique. Patrick Bouvard, rédacteur
en chef de RH info, parle dans une de ses chroniques[2] de « la
persistance d’une communication pléthorique sur le sujet ».
C’est plus particulièrement le cas lorsque l’entreprise s’adresse
à des publics externes. Une analyse de contenu montre
d’ailleurs que la notion « stratégique » est souvent entendue
dans son sens le plus commun et le moins professionnel : ce
terme exprime seulement que la fonction RH est
« importante », sans pour autant établir de lien clair entre son
activité et la stratégie de l’entreprise. Chacun met alors son
propre contenu dans ce qui est supposé avoir une importance
stratégique en matière de gestion des hommes.
L’émergence et le développement des démarches de
responsabilité sociale de l’entreprise sont venus renforcer cette
communication. D’autant que le premier diagnostic que réalise
l’entreprise en matière de RSE débouche souvent sur un
sentiment : il y aurait déficit de communication sur ce qu’elle
pense être sa performance en matière sociale. Quand une
entreprise s’engage à contribuer au développement
économique tout en améliorant la qualité de vie de ses salariés,
elle se doit de le faire savoir. Cette communication est
essentielle dans le dialogue avec les parties prenantes. La RSE
va donc alimenter la prise de parole de l’entreprise sur le
caractère stratégique de la dimension sociale.

La réalité ne suit pas


Ce n’est pas tant le caractère très présent de ce discours qui
interpelle que son décalage avec les pratiques effectives de
certaines entreprises. La réalité ne suit pas toujours. Elle est
parfois en contradiction directe avec le contenu de la
communication.
Suite aux suicides très médiatisés de salariés de France
Télécom, le rapport établi par le cabinet Technologia sur la
base des réponses au questionnaire adressé à l’ensemble des
salariés mettait en avant « l’ambiance de travail tendue, voire
violente… Le ressenti général très dégradé, notamment en ce
qui concerne les conditions de travail, la santé, le stress[3]… ».
Ce constat intervenait quelques mois après la publication du
rapport annuel 2008 de l’entreprise qui soulignait que « la
réussite de l’entreprise repose avant tout sur les compétences,
l’implication […] des collaborateurs » et que l’entreprise
réussissait « en affirmant ses engagements d’employeur
responsable » et « dans le respect des individus »[4].
Cette illustration a un caractère dramatique et toutes les
entreprises n’en sont pas là. Retenons simplement que l’écart
entre le discours et la réalité peut être considérable. « Dans
l’ordre du discours, les ressources humaines sont toujours la
première ressource de l’entreprise. Par contre, dans les
pratiques, les ressources humaines sont devenues une variable
d’ajustement soumise à des impératifs financiers[5] », affirme
Frédéric Wacheux.
Cette absence de corrélation entre le discours et la dimension
effectivement stratégique de la gestion des hommes peut
d’ailleurs, selon les entreprises, renvoyer à des réalités
diverses. Certaines organisations ont des réalisations
magnifiques et positionnent effectivement la dimension
humaine au cœur de leur stratégie, sans pour autant
communiquer sur le sujet : la banque Accord a ainsi construit
une politique RH parfaitement alignée sur son plan de
développement sans pour autant le faire savoir en externe.
D’autres entreprises prennent des initiatives moins structurées
qui illustrent leur attention pour la dimension humaine. Il peut
également exister des « étoiles éteintes » qui pendant une
période ont réellement positionné la gestion des hommes au
niveau stratégique, puis se sont éloignées de cette approche
tout en continuant à communiquer. Les dirigeants de Danone
reconnaissent ainsi à demi-mot que dans l’histoire de
l’entreprise, il y a eu une période où la dimension économique
est venue minorer la dimension sociale, générant un certain
nombre de départs. Quelques groupes, enfin, ont des DRH très
médiatisés, dont le rôle de VRP constitue l’essentiel de
l’activité sans pour autant que la réalité humaine de leur
organisation suive.
Pourquoi tant d’entreprises ressentent-elles le besoin de
communiquer sur la dimension stratégique des ressources
humaines alors que leur pratique en est si éloignée ? Quel
intérêt y trouvent-elles ? Le sociologue François Dupuy
évoque pour sa part une démarche de « compensation d’une
réalité inhumaine par un discours très humain[6] ». Deux autres
interprétations sont envisageables, qui peuvent d’ailleurs être
combinées. La première part d’un constat : une partie de la
responsabilité des dirigeants consiste à « vendre » l’entreprise,
à valoriser ses réalisations, quitte à embellir sa réalité en lui
appliquant la vulgate managériale. Combinée à une certaine
méconnaissance des réalités quotidiennes vécues par les
salariés, cette approche peut générer une communication de ce
type. L’autre source de ce discours peut résider dans une
volonté des dirigeants d’orienter l’entreprise vers cette
approche stratégique de la gestion des hommes, en produisant
une prophétie qui se veut auto-réalisatrice.
Quelles que soient les origines de ce décalage entre discours
et réalité, il a des conséquences importantes. Elles concernent
en premier lieu les salariés des entreprises concernées. Il n’est
pas neutre d’être exposé à ce discours et de ne pas le voir se
matérialiser dans son quotidien. Nous savons tous par
expérience que les mots et les concepts se banalisent et s’usent
quand ils sont utilisés sans renvoyer à une réalité effective. Le
décalage peut générer désillusion et désengagement chez les
collaborateurs. Il décrédibilise et handicape les tentatives
ultérieures pour aligner les pratiques sur le discours.

Pas simple d’articuler stratégie et


ressources humaines
Quand ceux qui sont en charge de la gestion des hommes, les
praticiens RH d’une part, les managers d’autre part, tentent
d’articuler stratégie et gestion des hommes, plusieurs obstacles
surgissent.
Le plus évident est le poids des autres drivers de la GRH. Il
y a tout d’abord l’instantanéité. Il faut à tout moment répondre
dans l’urgence au besoin exprimé, quel qu’il soit. Le
rétrécissement du temps conjugué à l’esprit de service fait que
la priorité en matière de gestion des hommes consiste très
souvent à se concentrer sur la demande qui vient d’être
formulée. Ce qui conduit à une démarche de zapping
permanent : à la fin de la journée, l’intéressé a le sentiment de
n’avoir pas arrêté un instant, d’avoir traité des dizaines de
sujets… sans avancer sur rien. En matière de gestion des
hommes, cette pression ne contribue pas à ce qu’une approche
réfléchie, structurée autour de l’articulation avec les choix
majeurs de développement de l’entreprise, puisse être mise en
œuvre. Faute de construire le fond du tonneau, le praticien RH
ou le manager s’épuise à le remplir.
L’autre déterminant de l’activité des structures RH,
considérablement renforcé ces dernières années, est la place
prise par les négociations sociales, du fait du législateur.
Recensons rapidement les obligations de négocier[7] :
négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs, la
durée effective et l’organisation du temps de travail, la
suppression des écarts salariaux entre les hommes et les
femmes, la mise en place du temps partiel à la demande des
salariés, et, pour les travailleurs à temps partiel, les conditions
de prise en charge par l’employeur du surplus de cotisation sur
la base d’un temps plein, l’évolution de l’emploi. Mais aussi
prévoyance maladie, épargne salariale, égalité professionnelle,
travailleurs handicapés, GPEC, seniors, droit d’expression,
pénibilité. Qui décide de l’agenda du DRH ? Dans de
nombreuses entreprises, c’est le législateur. En France,
nombreuses sont les entreprises dans lesquelles le rôle premier
du DRH est de remplir les obligations légales de négocier en
limitant leur dimension contraignante sur le quotidien de
l’organisation.
Plus qu’une difficulté quant au caractère stratégique de
l’approche RH, la question suivante relève de la « diversion » :
le DRH fait-il partie de l’instance de direction, comité exécutif
ou comité de direction ? Très souvent, le débat sur la
dimension stratégique de l’approche RH est ramené à cette
seule interrogation. Ainsi, selon la quatrième édition du
baromètre RH créé par l’École Supérieure des Sciences
Commerciales d’Angers et une entreprise de logiciels, 92 %
des DRH sont membres du comité de direction et 90 % d’entre
eux révèlent une participation active. Les auteurs de l’étude en
concluent que « la fonction RH possède désormais une
dimension stratégique dans la grande majorité des
entreprises ». Quelle illusion ! Soyons clairs : ce n’est pas
parce que le DRH est membre de l’instance de direction que
l’approche RH aura un caractère stratégique. Certes, il est utile
qu’il appartienne à cette entité. Mais quelle y est sa
contribution ? Se positionne-t-il uniquement sur son expertise
fonctionnelle ou bien intervient-il plus largement sur les
enjeux business ? L’instance de direction est-elle d’ailleurs
dans cette entreprise le lieu où se définit la stratégie ? Et même
si tous ces facteurs sont réunis, cette participation est-elle
corrélée à une activité globale de la DRH imprégnée de ces
logiques stratégiques ?
Au-delà de ces éléments, la principale difficulté pour
articuler stratégie et gestion des hommes réside dans le
« comment faire ? » Nombreux sont les praticiens RH qui
voudraient contribuer plus encore au développement de leur
entreprise en intégrant pleinement la dimension stratégique.
Les discours sur le sujet les sensibilisent à la valeur ajoutée
que pourrait apporter une telle démarche. Mais la vacuité de
ces discours renforce la frustration. Où trouver des éléments
sur les voies à adopter, les démarches à mettre en œuvre ?
Certaines entreprises adoptent sur chaque sujet une approche
très pragmatique, inspirée par les réalités opérationnelles du
quotidien. Elles prennent des initiatives qui, effectivement, se
révèlent contributives par rapport à la stratégie de l’entreprise.
D’une certaine manière, elles font de l’alignement stratégique
sans le savoir, tout comme Monsieur Jourdain faisait de la
prose. Quitte à rationaliser a posteriori le caractère stratégique
de leur approche.
Ces initiatives sont très positives. Mais comment aller au-
delà ? Comment mettre en place une démarche globale et
structurée d’articulation entre stratégie et gestion des
hommes ? Notre objectif est d’apporter des réponses à ces
questions, de fournir des clés à l’entreprise pour aller dans ce
sens, de l’aider à forcer son destin dans ce domaine. Notre
volonté est de formaliser les approches mises en œuvre dans
certaines organisations en pointe, afin d’apprendre de ce qui
marche. Et ainsi de donner matière à réfléchir et à avancer aux
entreprises qui ont compris l’intérêt d’aller dans cette
direction.

L’équation gagnante
Pourquoi faudrait-il articuler stratégie et gestion des
hommes ? Pourquoi affirmer qu’il s’agit là potentiellement
pour l’entreprise d’une équation gagnante ? Durant mes
premières années d’activité professionnelle, l’intérêt d’adopter
une démarche de ce type renvoyait chez moi à une conviction,
plus qu’à une réflexion structurée. J’ai choisi de travailler dans
le domaine des ressources humaines quand j’ai découvert « le
double projet économique et social » porté par Antoine
Riboud. Le premier dirigeant d’un groupe reconnu affirmait
que la meilleure voie pour faire croître l’entreprise était de
développer ceux qui y travaillaient. Investir dans l’homme
rapportait. Il ne s’agissait plus seulement de « faire du social »
pour des raisons morales ou éthiques, mais de réconcilier
l’économique et l’humain.
Il faut mesurer la rupture qu’a représentée cette approche.
L’acte fondateur en a été le discours prononcé en 1972 à
Marseille par Antoine Riboud, dans le cadre des assises
nationales des entreprises réunies par le CNPF, le futur Medef.
Le vice-président du CNPF, Ambroise Roux, inquiet, avait
d’ailleurs exigé d’avoir au préalable communication de ce
texte dans son intégralité. Et il avait fallu qu’Antoine Riboud
menace de prononcer son discours dans une salle voisine de
ces assises pour qu’il puisse enfin s’exprimer sans
contrainte[8].
Cette approche était en contradiction avec la pensée
managériale de l’époque. Elle reste aujourd’hui encore décalée
par rapport à la conception qui domine dans l’entreprise quant
à l’articulation entre l’économique et le social. Selon celle-ci,
l’économique et le social s’opposent. Il existerait en quelque
sorte un curseur à déplacer entre l’un et l’autre. Toute
ressemblance avec la situation vécue lors de nombreuses
négociations salariales, le DRH argumentant sur la situation
économique de l’entreprise, les représentants syndicaux sur la
situation sociale des salariés, n’est en aucun cas forfuite. Dans
cette approche, le social est subi par l’entreprise, il représente
un coût qui vient grever l’économique et s’inscrire dans la
colonne débit. C’est bien là l’héritage direct de notre histoire
sociale française, marquée notamment au XIXe siècle par une
conflictualité brutale.
Le double projet économique et social a eu pour effet de
remettre en cause cette représentation et d’en proposer une
autre. Dans celle-ci, l’économique et le social s’alimentent. En
investissant de façon ciblée dans le social, l’économique est
renforcé. Nous ne sommes plus là dans une logique de
dépenses, mais dans une démarche d’investissement. Restera
bien évidemment pour l’entreprise qui intègre cette logique à
identifier où investir dans le social pour dynamiser
l’économique. Et c’est là que la construction de l’articulation
entre stratégie et ressources humaines prend tout son sens :
elle devient le filtre pour orienter les investissements humains.
Figure 1 Les deux conceptions de l’articulation entre
économique et social
Revenons sur la responsabilité sociale de l’entreprise,
définie comme « l’engagement des organisations à se
comporter de manière éthique et à contribuer au
développement économique tout en améliorant la qualité de
vie de leurs salariés, de leur famille et de la société au sens
large[9] ». Certaines entreprises considèrent que leur seule
responsabilité est de générer du profit, afin de garantir l’intérêt
de leurs actionnaires. “The social responsibility of business is
to increase its profits”, écrivait Milton Friedman. Mais
d’autres organisations estiment que leurs actionnaires peuvent
bénéficier d’une gestion responsable des relations avec les
autres parties prenantes que sont les salariés et les acteurs
externes. Soit que cette approche soit adoptée dans une
démarche de gestion des risques : risques sociaux, d’image, de
réputation. Soit que l’entreprise pense que cela nourrira son
succès économique.
Cette conviction que les dimensions économique et humaine
pouvaient s’alimenter l’une l’autre, basée initialement sur
l’approche d’Antoine Riboud, a ensuite été étayée par mes
différentes expériences. J’en prendrai ici deux illustrations.
Lorsque j’ai rejoint le centre industriel de Philips au Mans,
l’encadrement du site savait que des investissements
technologiques importants seraient réalisés en production deux
ans plus tard. L’essentiel du personnel de fabrication était
composé d’opératrices dont l’activité consistait à insérer
manuellement des composants électroniques sur une chaîne de
production. Ces « petites mains » avaient été recrutées vingt
ans auparavant, avec pour la plupart comme seul bagage un
CAP de couture. Si la fonction RH n’avait fait que mettre en
œuvre ses processus, elle aurait attendu l’arrivée des machines
d’insertion automatique des composants, puis licencié les
opératrices dont le poste était supprimé et recruté des
conducteurs de machines automatisées au niveau bac, voire
bac + 2. Anticipant l’évolution des métiers et des effectifs
induite par ce changement d’équipements, un vaste
programme de requalification des opératrices a été construit et
mis en œuvre avec le Greta pour les opératrices. Plusieurs
dizaines d’entre elles ont suivi pendant un an cette formation
qualifiante et diplômante. Nous avions calculé que le coût de
cette opération était le même que ceux du PSE et des
recrutements additionnés. Ce que nous n’avions pas valorisé,
c’est l’engagement qu’allait générer cette opération chez les
personnes concernées. Le jour de leur entrée en fonction, l’une
d’entre elles est venue me voir : « Avec cette formation et ce
changement de métier, vous m’avez fait redémarrer. J’avais
honte de mon métier face à mes enfants. Aujourd’hui, je suis
fière de ce que j’ai réalisé. Vous serez surpris par ce que mes
collègues et moi allons donner dans notre nouveau métier. » Et
effectivement, les indicateurs de productivité sur ces lignes de
production se sont révélés très supérieurs à ce qui était prévu.
Autre illustration, cette fois-ci chez Décathlon. Du fait de
son modèle économique, dans un secteur où les frais de
personnel représentent un pourcentage élevé par rapport au
chiffre d’affaires, l’entreprise privilégie l’emploi débutants,
avec la rémunération correspondante. Mais employer des
juniors alors que la proposition de valeur client suppose un
haut niveau de compétence et de qualité de service implique
que ces collaborateurs soient formés et accompagnés de façon
rapprochée, responsabilité qui incombe en premier lieu au
manager. D’où une identité employeur qui se veut notamment
différenciante sur la qualité des pratiques de management. La
question que nous nous sommes posée était celle de la
corrélation entre la qualité des pratiques de management et la
performance économique du magasin. Nous disposions d’une
évaluation précise et chiffrée de la qualité des pratiques de
management pour chacun des 400 magasins, grâce aux audits
de management systématisés par la DRH. L’analyse a
démontré cette corrélation : entre le quart des magasins les
mieux managés et le quart les moins bien managés, il existait
systématiquement un facteur multiplicatif de 1,2 sur la
croissance du chiffre d’affaires. Investir sur la qualité des
pratiques de management, au vu du business model de
l’entreprise, avait bel et bien un effet d’amplification
significative de la croissance économique.
Au-delà des déterminants éthiques et moraux ou des
considérations à caractère social, être convaincu de l’intérêt
pour l’entreprise d’articuler stratégie et gestion des hommes
est un premier pas. Pouvoir s’appuyer dans son expérience sur
des illustrations de cette logique permet de dépasser le seul
stade de la conviction. Mais notre propos va bien au-delà :
nous voulons tout d’abord démontrer que cette articulation
entre stratégie et ressources humaines est effectivement une
équation gagnante, pour le plus grand bénéfice à la fois de
l’entreprise et de ceux qui la composent. Nous cherchons
également à détailler les mécanismes en jeu, de manière à ce
qu’ils puissent être reproduits ensuite.
Poser des repères sur la stratégie et sur la GRH permet de
constater que si ces deux mondes ne sont pas articulés, leurs
enjeux sont souvent communs. C’est ce que nous verrons dans
le chapitre 1. Le chapitre 2 détaillera ce que peut être la
contribution de la GRH dans la mise en œuvre de la stratégie,
dans une logique d’alignement. Mais la dimension RH peut
aussi alimenter la construction de la stratégie, à travers
l’approche développée dans le chapitre 3. Le chapitre 4 nous
permettra d’analyser les conséquences pour la fonction RH de
cette articulation entre GRH et stratégie. L’ensemble de cette
approche sera traduit en une démarche concrète en 9 étapes,
présentée dans le chapitre 5.
[1]
L’Expansion, mai 2012.
[2]
RH info, chronique du 17 juin 2011.
[3]
Les Échos, 15 décembre 2009.
[4]
Rapport annuel et de développement durable, France Télécom 2008, publié le
4 mai 2009.
[5]
Ouvrage collectif dirigé par Michel Kalika, Les défis du management : 15
réflexions pour l’action managériale dans un environnement turbulent, Éditions
Liaisons, 2002.
[6]
Intervention du 3 avril 2012, Congrès HR’.
[7]
Source : Jean-Christophe Debande, Les relations sociales en entreprise en 100
points clés, Vuibert, 2012.
[8]
Pierre Labasse, Antoine Riboud, un patron dans la cité, Le Cherche Midi,
2007.
[9]
Définition du World Business Council for Sustainable Development.
1
STRATÉGIE ET GESTION DES HOMMES,
DEUX MONDES HERMÉTIQUES
Que faut-il entendre par « stratégie » aujourd’hui ? Quels sont les enjeux contemporains de la
gestion des hommes ? Comment ces deux mondes s’articulent-ils ? L’objectif de ce chapitre est de
poser des repères. C’est à partir de ces repères partagés qu’il sera ensuite possible de traiter des
interactions entre deux univers qui, de fait, se rencontrent peu.

La stratégie, qu’est-ce que c’est ?


Stratégie… Existe-t-il dans le monde de l’entreprise un mot plus employé, avec des acceptions
aussi diverses ? Ce terme de stratégie est utilisé comme une expression fourre-tout. Tentez
l’expérience, en demandant autour de vous une définition de ce qu’est la stratégie. Vous aurez autant
de réponses différentes que de personnes interrogées.
Il ne s’agit pas de faire la synthèse de toutes les interprétations possibles de la stratégie. Mais au
contraire de s’arrêter sur sa signification exacte pour ceux qui travaillent dans ce domaine. Trois
sources peuvent être mobilisées. Tout d’abord le monde de la recherche, et plus particulièrement les
grandes universités américaines, très productives en la matière. Certains cabinets internationaux de
conseil en stratégie également, comme McKinsey & Company, le Boston Consulting Group ou Bain
& Company, qui ont apporté leur contribution à la constitution d’un savoir formalisé sur la stratégie.
Et puis bien sûr les entreprises, dont nous verrons que certaines ont une approche très structurée
quant à la construction et au déploiement de leur stratégie, notamment les grandes structures qui
disposent d’un service stratégie en interne.
Définissons maintenant les notions les plus importantes utilisées en matière de stratégie, de
manière à pouvoir ensuite les mobiliser tout au long de notre cheminement pour comprendre les
interactions à développer entre stratégie et GRH.
Quel est l’arrière-plan de la stratégie ? Dans notre système économique, l’entreprise privée a pour
finalité d’accroître le revenu des actionnaires (à travers les dividendes qu’elle leur verse) et/ou leur
capital (à travers l’augmentation de la valeur de l’action). Pour les dirigeants de l’entreprise, c’est
un objectif normatif qui doit être atteint dans la durée pour assurer la pérennité de l’organisation. Ce
qui suppose donc que l’entreprise cherche à réaliser une performance durablement élevée.
Et c’est là, dans le « comment », que va intervenir la stratégie. L’entreprise va choisir le chemin
qu’elle veut emprunter pour pouvoir répondre aux attentes de ses actionnaires. Elle définira en
premier lieu un territoire, le périmètre qu’elle veut occuper ou qu’elle veut défendre lorsqu’elle
l’occupe déjà : que faire, que ne pas faire, sur quels marchés, au long de quelle filière ? On parlera
là d’orientations stratégiques. Ce territoire peut être défini, tout au moins pour partie, par rapport à
un métier ou à une catégorie de produits. Une économie qui se déplace sur l’usage conduit
l’entreprise à se positionner par rapport à la valeur apportée au client : développer la santé plus que
vendre des yaourts, accompagner les transformations plus que dispenser de la formation. À la
question : « À quoi sommes-nous utiles à nos clients ? », Europcar par exemple répond que sa
mission est de faciliter leur mobilité. Ce périmètre est également constitué de choix géographiques :
dans quels pays ou régions du monde allons-nous nous développer en priorité ?
Mais il ne suffit pas de choisir un périmètre. Encore faut-il que le client soit disposé à payer un
prix supérieur aux coûts pour l’offre proposée par l’entreprise. En effet, « la capture de la valeur se
matérialise par la construction du chiffre d’affaires. Il s’agit de répondre à la question : qui paye
quoi et comment ? La réponse à la question permet de valider la pertinence économique de la
proposition de valeur : l’existence de clients prêts à rémunérer une offre[1] ». Il est important de
noter que pour ceux qui travaillent sur la stratégie, la notion de création de valeur s’entend comme
création de valeur pour le client, au sens de l’utilité créée pour lui. On parle d’ailleurs à ce propos de
« proposition de valeur client ». La création de valeur est donc mesurable par le chiffre d’affaires :
le client achète. Mais pour que ce soit durable, et parce que c’est la motivation de l’actionnaire, ce
chiffre d’affaires doit bien sûr générer un résultat. Les études sont d’ailleurs nombreuses qui ont
montré la corrélation entre création de valeur pour les clients et profit.
Développée à la fin des années quatre-vingt-dix, la notion de business model va permettre de
décrire l’architecture de cette création de valeur. C’est en modélisant la voie particulière adoptée par
l’entreprise pour se développer qu’il sera possible de comprendre comment se génère la valeur.
Proposer aux clients une offre pour laquelle ils seront disposés à payer un prix supérieur aux coûts
suppose de s’appuyer sur des avantages concurrentiels. Michael Porter, considéré par beaucoup
comme le pape de la stratégie, définit ainsi trois stratégies concurrentielles génériques, s’appuyant
sur des avantages différents. La stratégie de domination par les coûts, également appelée stratégie
par les prix, consiste à proposer une offre dont la valeur est comparable à celle mise sur le marché
par les concurrents, mais à un prix moindre. Pour réduire ses coûts, l’entreprise peut s’appuyer sur
les économies d’échelle permises par sa taille, sur l’optimisation de ses coûts d’approvisionnement,
sur l’expérience qu’elle a accumulée et sur l’efficience de ses procédés. Dans le domaine de
l’habillement, Kiabi a par exemple adopté ce positionnement stratégique.
Autre stratégie générique : la stratégie de différenciation, qui consiste à proposer au client une
offre dont la valeur est différente de celles des concurrents. Différenciation vers le haut, avec une
offre plus élaborée dont le surcoût est compensé par un prix plus élevé ou des volumes plus
importants. C’est par exemple la stratégie de BMW. Ou bien différenciation vers le bas, avec un
produit ou un service plus simple et moins coûteux, donc moins cher, comme mis en œuvre par
Renault avec la Logan.
Troisième stratégie générique, la stratégie de focalisation se limitera à un segment de marché, une
« niche », où l’entreprise sera protégée de ses concurrents en développant des actifs spécifiques sur
un segment peu attractif.
En estimant que « la stratégie concurrentielle consiste à être différent. Elle implique de choisir un
périmètre d’activité distinct et de proposer une combinaison de valeur unique[2] », Michael Porter se
concentre sur les arbitrages et la recherche d’un avantage au sein d’un environnement concurrentiel.
L’approche dite « Océan bleu », popularisée par un livre qui a connu un succès sans précédent[3], se
démarque de la pensée stratégique axée sur la concurrence en prônant la création d’espaces
stratégiques vierges. Plutôt que se livrer à une course de vitesse avec ses concurrents, l’entreprise va
générer une demande à partir d’une offre nouvelle basée sur ce que les auteurs appellent
l’innovation-valeur : une approche combinant efforts d’innovation et impératifs en matière d’utilité,
de prix et de coûts. Ils citent par exemple Apple, le Cirque du Soleil, eBay et Swatch, qui ont su
créer une demande entièrement nouvelle sur des marchés inexploités avant eux.
Que ce soit dans un marché très concurrencé ou dans un espace vierge, les décisions stratégiques
ont pour but d’obtenir un avantage concurrentiel durable. Or la pérennité de ce dernier repose sur
une condition : le système de création de valeur doit être difficilement imitable par les concurrents.
Afin de résumer les caractéristiques distinctives des décisions stratégiques, le modèle VIP, pour
Valeur, Imitation et Périmètre, considère que la stratégie consiste à répondre à trois questions : sur
quel modèle de création de valeur la performance de l’organisation repose-t-elle ? Comment éviter
l’imitation de ce modèle de création de valeur par les concurrents, afin d’assurer la pérennité de
l’avantage concurrentiel sur le long terme ? Sur quel périmètre orienter ce modèle de création de
valeur ?
Notons également que la stratégie implique une allocation de ressources : ressources financières,
humaines, physiques, technologiques, commerciales et relationnelles. La stratégie recouvre donc
aussi les choix fondamentaux d’allocation de ressources que font les entreprises pour atteindre leurs
objectifs et se pérenniser.
En synthèse, la stratégie concerne donc les questions clés pour le futur d’une organisation, son
orientation à long terme. Alfred Chandler, professeur de la Harvard Business School, définit
d’ailleurs tout simplement la stratégie comme « la détermination des buts et des objectifs à long
terme d’une entreprise et l’adoption des actions et des allocations de ressources nécessaires pour
atteindre ces buts[4] ».
La stratégie peut être formalisée en commençant par préciser la mission de l’entreprise, sa vision,
ses valeurs et son métier. Sa mission tout d’abord : c’est-à-dire sa vocation, sa finalité, sa raison
d’être. Ainsi le groupe Merck considère que sa mission est de « préserver et améliorer la vie
humaine ». Pour Ïdgroup (Okaïdi, Jacadi), c’est « entreprendre pour que le monde progresse au
service de l’enfant qui grandit ». Walmart veut « offrir aux gens ordinaires la possibilité d’acheter la
même chose que les riches ». La vision de l’entreprise ensuite : son ambition, son intention, ce
qu’elle veut être. Ses valeurs également : ligne de conduite déclarée qui va encadrer l’action, guide
selon lequel l’entreprise va agir. Son métier enfin, ce dans quoi elle excelle.
Dernière précision dans ce travail de synthèse visant à définir la stratégie : nous avons décrit ce
qu’est la business strategy, celle qui s’applique à un domaine d’activité stratégique cohérent, une
business unit. L’essentiel de notre réflexion portera sur cette dimension. Mais la pensée stratégique
couvre également la corporate strategy, qui concerne le périmètre d’un groupe dans sa globalité,
avec ses différentes activités. Nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous aborderons des sujets
comme l’internationalisation ou les acquisitions.

Les utilisations erronées du terme


Au vu de l’utilisation fréquente de la notion de « stratégie » à mauvais escient, que ce soit dans
l’entreprise ou dans les médias économiques, il est utile de préciser également ce que n’est pas la
stratégie.
Il y a tout d’abord la dérive consistant à élargir l’acception du terme : tout ce qui est important
serait stratégique. Cet abus de langage est souvent associé à la notion de secret et de domaine
réservé. « C’est stratégique ! » Sous-entendu : « Cela relève des dirigeants, c’est de la plus haute
confidentialité, passez votre chemin. » Le problème est que si tout est stratégique, plus rien n’est
stratégie. Quelles notions utiliser alors pour ce qui relève effectivement de la stratégie au sens
pertinent du terme ?
Définir la stratégie de façon tellement large qu’elle n’a pas de contenu est une autre erreur
fréquemment commise. La meilleure illustration est celle de « la stratégie de croissance rentable ».
Ainsi, glané dans la communication récente de quelques entreprises : « Altran annonce lors de son
assemblée générale son recentrage sur une stratégie de croissance rentable », « La prévoyance est au
cœur de la stratégie de croissance rentable de Swiss Life », « NetBooster met en œuvre sa nouvelle
stratégie de croissance rentable sous l’impulsion de son directeur général », « Gefco déploie depuis
1999 une stratégie de croissance rentable », « L’Alliance Renault-Nissan définit et met en œuvre
une stratégie de croissance rentable ». Que la stratégie doive permettre de générer une croissance
rentable, certes. Mais c’est pour le moins un minimum, puisqu’à défaut la survie de l’entreprise est
engagée. Il est d’ailleurs étonnant qu’une organisation à but lucratif comme l’est l’entreprise puisse
imaginer être dans une autre logique que celle de la croissance rentable. Ce qui manque surtout
quand l’expression de la stratégie se limite à cette affirmation, c’est le chemin choisi pour délivrer
cette croissance rentable. Car c’est ce chemin qui constitue la stratégie.
Même définis de manière plus précise, des objectifs qui n’auraient qu’un caractère économique et
financier ne constitueraient pas une stratégie. De nombreuses entreprises élaborent des budgets ou
plans à moyen terme, avec une échéance qui est le plus souvent à 3 ans, parfois à 5 ans quand la
nature de l’activité le permet. Lorsque ces plans à moyen ou long terme ne contiennent que des
éléments à caractère économique, ils ne constituent pas une stratégie. En effet, là non plus ils ne
décrivent pas comment les objectifs chiffrés peuvent être atteints. C’est une cible économique, pas
une stratégie. Cette cible ne peut être atteinte que par une stratégie qui reste alors à préciser.
Pour ceux qui travaillent sur la stratégie, notamment dans le monde de l’enseignement et de la
recherche, la notion de stratégie fonctionnelle, celles de stratégie RH, stratégie commerciale,
stratégie marketing, etc., n’ont pas de sens. Elles ne sont qu’un détournement de la notion de
stratégie. Une entité économique n’a qu’une stratégie, elle est globale et concerne l’ensemble de ce
business. Et il y a par ailleurs ce qui relève de la contribution de chaque fonction à cette stratégie
globale en termes de politiques fonctionnelles, de processus et de projets. Il ne peut y avoir de
stratégie commerciale, c’est un abus de langage pour parler de la tactique commerciale. Il ne peut y
avoir de stratégie RH, mais une politique RH plus ou moins articulée avec la stratégie d’entreprise.
Ces dérives et abus de langage en matière de stratégie permettent parfois de masquer une absence
de stratégie. Ce qui se traduit à plus ou moins long terme par des difficultés économiques pour
l’entreprise.
D’autres groupes, bien sûr, ont eux des stratégies formalisées. Ils ont défini la proposition de
valeur unique qu’ils proposent à leurs clients, leurs facteurs de différenciation par rapport à leurs
concurrents et les marchés qui sont pour eux des priorités. Ils ont formalisé le business model qui
sous-tend cette stratégie. Puis ils ont chiffré les résultats que cette stratégie leur permet de cibler à
moyen et long terme. Les cas d’entreprise développés ici sont autant d’illustrations d’entreprises qui
sont sous contrôle sur le plan de la stratégie.
Cette stratégie est implicite dans certaines organisations, qui ne doivent pas être confondues avec
celles qui en sont dépourvues. La stratégie ne fait alors pas l’objet d’une communication structurée,
encore moins de documents officiels, mais elle est connue de tous. C’est le cas notamment dans les
entreprises ayant une culture forte et une grande continuité dans leurs choix stratégiques. Sur le long
terme, ce caractère implicite et cette intégration par tous les acteurs de l’entreprise peuvent être
d’une grande efficacité du fait de la cohérence des actions menées. Mais elles peuvent aussi
constituer un risque majeur si des transformations de l’environnement de l’entreprise lui imposent
une révision drastique.

Avoir une stratégie en temps de crise


C’est vraisemblablement là la principale objection que rencontrera la démarche proposée ici :
« Bien sûr, il faut articuler stratégie et ressources humaines. Sauf qu’il est aberrant de penser
stratégie dans la situation de crise actuelle ! » Cet argument est systématiquement avancé dès que la
question de la stratégie est abordée. A fortiori par ceux qui dirigent une entreprise caractérisée par
son absence de stratégie. Au volant, il faudrait arrêter de regarder la route sous prétexte des tâches
sur le pare-brise.
Nous vivons depuis 2008 une situation de crise économique inédite, caractérisée d’une part par
une chute de la demande et un véritable retournement du marché dans de nombreux secteurs,
d’autre part par une crise du crédit. Certaines entreprises voient leur survie engagée. Beaucoup
d’autres prennent des décisions de réduction des coûts ou de réorganisation à partir d’un simple
principe de précaution, voire d’un « effet d’aubaine ».
Toujours est-il que se développe un discours autour de l’idée qu’il n’y aurait plus place dans les
décisions de l’entreprise que pour le pragmatisme ou l’intuition, et non pour la stratégie. Le contexte
d’incertitude est tel qu’il serait impossible de tenir une ligne durablement. Pour ceux qui propagent
cette approche, l’environnement se transforme à une telle vitesse que la stratégie serait dépassée
avant même que l’entreprise ait commencé à la mettre en œuvre.
Ce constat serait d’autant plus vrai que face à cette situation de crise, la pression de l’actionnaire
est renforcée, du fait de ses craintes quant à l’avenir de l’entreprise. La logique des résultats court
terme prend encore plus le pas sur les logiques de fond.
Cette conception renvoie à une mauvaise compréhension de ce qu’est la stratégie. En aucun cas la
stratégie ne définit dans le détail ce que doit faire l’entreprise au quotidien. Et là, bien sûr, le
pragmatisme doit prévaloir. Rappelons que la stratégie a pour but d’assurer la pérennité de
l’entreprise. Ce qui implique pour l’entreprise de savoir maîtriser la construction de son avenir
plutôt que de subir ce qu’impose son environnement concurrentiel et d’orienter l’ensemble des
acteurs vers des objectifs communs.
Être en situation de crise impose de faire des choix. Avec une question cruciale : par quoi ces
choix sont-ils guidés ? Il existe un enjeu quant aux décisions de l’entreprise : maintenir de la
cohérence. Il ne faut pas que ce qu’elle met en œuvre à un moment donné conduise à insulter son
avenir, à handicaper son développement futur, à sacrifier les atouts qui seront indispensables
demain. Mais dans les situations les plus difficiles, comment arriver à faire la différence entre ce qui
relève de dépenses et ce qui renvoie à un investissement ? Comment faire la différence entre la
graisse et le muscle ?
Le critère est simple : ce sont les orientations stratégiques de l’entreprise qui permettent de guider
ses choix en situation de crise. En effet, c’est dans ces périodes troubles que disposer d’une
direction claire est le plus utile pour pouvoir prendre les décisions adaptées. « C’est justement
quand la tempête fait rage qu’il faut garder le cap, réduire la voilure et se fier aux instruments. C’est
le pire moment pour jeter le GPS par-dessus bord et foncer dans le brouillard ! » affirment les
auteurs d’un ouvrage de référence sur la stratégie[5]. À contre-courant de ce qui est parfois exprimé
par les entreprises qui vont à vau-l’eau, nous affirmons qu’avoir une stratégie est d’autant plus
indispensable en période de turbulences.
Disposer d’une stratégie sur laquelle l’entreprise pourra s’appuyer est d’autant plus important que
c’est le client qui est rare en période de crise. Et que c’est en étant cohérent par rapport à la
proposition de valeur unique qu’elle lui apporte que l’entreprise le gardera, voire le gagnera.
A contrario, l’entreprise qui ne s’appuiera pas sur une analyse stratégique rigoureuse sera
confrontée à plusieurs risques : privilégier l’intuition au détriment de l’analyse, prendre des
décisions sans s’interroger sur leurs hypothèses sous-jacentes, rester dans un cadre de réflexion
préétabli, etc.
Les entreprises qui ont les plus beaux résultats, y compris en période de crise, sont celles qui ont
un vrai focus. C’est cette ligne qui leur permet de savoir où elles vont. Elle doit bien sûr rester
souple dans ses modalités de mise en œuvre et être ouverte aux opportunités.
Car si la crise économique constitue avant tout une menace pour les entreprises, avec notamment
la réduction de la demande, elle peut aussi être une opportunité. Une opportunité pour se réinventer
quand la situation économique met en évidence l’inadéquation des choix de l’entreprise avec ses
marchés. Et une opportunité pour prendre des initiatives nouvelles, comme le décrit une note
d’Accenture[6] : « Le strategic bet est une position affirmée, reposant sur une vision de l’avenir. Le
risque est identifié et réel mais il est calculé et assumé… Racheter un concurrent en difficulté et
dont le cours est malmené, lancer un produit innovant en plein cœur d’une crise ou prendre pied
dans un pays qui s’ouvre à la démocratie constituent autant de “paris” calculés qu’une entreprise
peut prendre. » Ainsi, l’acquisition de Fortis par BNP Paribas en 2009 n’aurait pas été envisageable
hors période de crise. Et cette opération a constitué une formidable opportunité pour accélérer la
croissance de BNP Paribas.
La Harvard Business Review a publié en mars 2010 les résultats d’une étude qui analyse le lien
entre la démarche suivie lors des crises précédentes par près de 4 700 entreprises cotées en bourse et
les performances qui en ont découlé[7]. Ces entreprises se répartissent en trois groupes. Le premier
couvre les entreprises qui adoptent une posture défensive, à caractère préventif : elles réduisent leurs
coûts, rationalisent leur portefeuille d’activités, réduisent leurs investissements. Leur performance à
l’issue de la crise montre qu’elles ont altéré leurs capacités stratégiques, ce qui les handicape quand
la croissance revient. Le deuxième groupe rassemble les entreprises très offensives, dans une
logique de conquête : prises de positions, investissements massifs, acquisitions. La limite de la
démarche est dans l’attention moindre portée aux signaux de l’environnement, aux difficultés
internes et aux ajustements de coûts nécessaires. Le troisième groupe comprend les entreprises
pragmatiques qui combinent décisions offensives et défensives : développement de nouvelles
opportunités d’affaires et maîtrise des coûts par la recherche de l’efficience opérationnelle.
Ce sont clairement les entreprises de ce dernier groupe qui prospèrent en sortie de crise et
obtiennent alors des résultats meilleurs que leurs concurrents, mais aussi qu’avant la crise. Elles ont
préservé, voire amélioré leur capacité stratégique pour préparer la reprise. Elles ont réexaminé leur
business model pour qu’il soit durablement efficient, quitte à reconfigurer leur chaîne de valeur et
leur organisation interne. Tandis que d’autres, en coupant dans leurs postes et dans leurs activités,
ou en prenant des risques inconsidérés, ont détruit les capacités sur lesquelles reposait leur avantage
concurrentiel.
Au-delà de son intérêt intrinsèque, cette étude illustre la nécessité impérieuse pour l’entreprise de
ne pas se déterminer en temps de crise uniquement à partir des menaces et opportunités du
quotidien, mais bien de décider à partir du filtre de ses caractéristiques stratégiques : son
environnement, ses avantages concurrentiels, ses capacités stratégiques, la configuration de sa
chaîne de valeur.
Dernier aspect à évoquer sur la stratégie en période de crise : celle de la valse des dirigeants, qui
s’est accélérée avec la crise. Le changement de directeur général, quel qu’en soit le motif, se traduit
très souvent par une remise à plat de la stratégie et la définition de nouvelles orientations. Or s’il
faut à l’entreprise un an pour réinventer la stratégie puis un an pour la partager et que le DG change
tous les trois ans, il ne pourra y avoir que début de mise en œuvre de la stratégie. Cette façon de
présenter les enjeux est bien sûr caricaturale… mais elle parlera à de nombreuses entreprises !
Si l’inadéquation de la stratégie est la cause du départ du dirigeant précédent, il est bien sûr
indispensable pour l’entreprise que son successeur définisse de nouvelles orientations. Mais nous
savons tous qu’un départ de ce type peut avoir d’autres causes : problèmes dans l’exécution de la
stratégie ou difficultés dans les relations avec les actionnaires, par exemple. Or la continuité de la
stratégie, du fait de sa temporalité, est essentielle. Le nouveau dirigeant, s’il se centre sur ce qu’il
apporte effectivement à l’entreprise plus que sur la nécessité de marquer son territoire, prendra en
compte la trajectoire de l’entreprise pour ne pas casser systématiquement la dynamique stratégique.
Les repères sur la stratégie, ce qu’elle est, ce qu’elle n’est pas et ce qu’elle peut être en période de
crise sont posés. Nous allons maintenant nous centrer sur la gestion des ressources humaines, en
définissant là aussi ce qu’elle n’est pas, avant de nous arrêter sur ce que sont ses déterminants
aujourd’hui.

Élargir la GRH
« Vous travaillez dans les ressources humaines ? Pire, il n’y a que gardien de prison, non ? » Celui
qui m’interpelle ainsi est un ami de mes fils, il n’a que 16 ans et ne connaît pas l’entreprise. Mais
son propos est révélateur de ce que pense une partie de l’opinion publique. Ce qui est associé à la
dimension RH, c’est plutôt le mal-être au travail, la peur pour son emploi, la charge de travail, le
stress, les réorganisations, les plans d’économies, voire des sujets médiatisés tels que suicides au
travail ou séquestrations.
Néanmoins, la représentation la plus répandue de la gestion des ressources humaines reste celle
d’activités administratives, constituées principalement de la paie et de l’administration du personnel.
Il est vrai que ces tâches sont indispensables et que 39 % des effectifs de la fonction RH y sont
encore affectés[8].
Faut-il vraiment souligner que la gestion des ressources humaines, ce n’est pas ça ? Ou en tous les
cas, que ce n’est pas que ça, et que ce n’est pas d’abord ça ?
La gestion des ressources humaines ne se limite pas non plus à une fonction, encore moins à une
structure dédiée aux RH. Quand nous parlons de ressources humaines, nous considérons l’ensemble
des dimensions relatives aux personnes dans leur activité professionnelle. C’est des hommes et
femmes dans l’entreprise dont il est question ici, et pas seulement de la fonction RH.
Enfin, ce chapitre n’a pas pour objet de définir ce que doit être la gestion des ressources humaines
pour apporter sa pleine contribution à la stratégie : c’est la finalité de cet ouvrage dans sa globalité.
Ce dont il s’agit, c’est plus de positionner la gestion des ressources humaines dans le monde
d’aujourd’hui, en prenant en compte ses déterminants contemporains. En symétrique du
développement sur la stratégie ci-dessus, l’objectif est de comprendre ce qu’est la gestion des
ressources humaines en partant des enjeux auxquels elle doit répondre désormais.
Ces déterminants contemporains de la gestion des ressources humaines sont de plusieurs ordres.
Certains renvoient aux changements de l’environnement de l’entreprise. D’autres sont les
conséquences des transformations du travail. Certains enfin sont liés au fait que les collaborateurs
eux-mêmes ne sont plus les mêmes. En détaillant ces évolutions, nous montrerons les avancées
qu’elles permettent, mais aussi les limites qu’elles peuvent générer.
Figure 2 Les déterminants contemporains des pratiques de GRH

L’environnement de l’entreprise a changé


De la même façon que la stratégie ne peut être abordée sans prendre en compte les interactions de
l’entreprise avec son environnement, une approche de la GRH dans l’entreprise aujourd’hui se doit
de détailler ce que sont les évolutions de cet environnement qui l’impactent. Quatre caractéristiques
peuvent être soulignées.
La première concerne l’environnement économique de l’entreprise. Celui-ci est marqué par deux
phénomènes dont l’effet se conjugue. C’est tout d’abord la concurrence accrue à laquelle toute
entreprise est confrontée. Hier cet environnement concurrentiel était stable, constitué d’acteurs
comparables. Aujourd’hui, il est en mouvement permanent et voit émerger des acteurs qui peuvent
être issus d’autres secteurs. C’est ensuite la transformation des attentes de l’actionnaire. Dans la
plupart des organisations, celui-ci attend un retour sur investissement de son capital dans des délais
de plus en plus courts. Dans un certain nombre d’entreprises, ce n’est depuis longtemps plus l’année
qui constitue l’échéance pour lui, et désormais plus seulement le trimestre, mais bien le mois.
Ces deux phénomènes ont pour conséquence de poser en interne les enjeux de performance et de
productivité de façon radicalement différente. Ils ont conduit dans de nombreuses entreprises à une
intensification du travail qui, du fait de la façon dont elle a parfois été menée, a entraîné une
dégradation de la qualité de vie au travail.
Autre aspect de l’environnement des entreprises qui a déjà eu des conséquences sur certaines
d’entre elles et qui sera pour toutes structurante durant les prochaines décennies : les pénuries de
compétences. Dans les années qui ont précédé le début de la crise, certains secteurs et certains
métiers ont été confrontés à de véritables difficultés de recrutement. C’est ainsi que la pénurie
d’ingénieurs a affecté le secteur de l’ingénierie, en concurrence pour ces ressources rares avec des
grands groupes comme ceux du BTP. Ou que les secteurs de la restauration, des emplois de service à
la personne doivent faire preuve de beaucoup d’imagination pour pourvoir à leurs besoins. Un
groupe comme Compass, numéro un mondial de la restauration collective, est aujourd’hui encore,
malgré la crise, confronté à une pénurie criante de profils sur les métiers de gérants de restaurant
notamment. Pour ce qui est de demain, il y a peu de sujets sur lesquels il y a un tel décalage entre ce
qui est d’ores et déjà inscrit et ce que pensent de nombreux dirigeants. Selon Accenture, un tiers des
employeurs dans le monde peinent à pourvoir leurs postes. En Allemagne, une étude menée par le
Ministère de l’Économie[9] estime que la pénurie de main-d’œuvre qualifiée coûte à l’économie
allemande quelque 20 milliards d’euros par an, soit près de 1 % de son PIB. « Un marché du savoir
s’est naturellement mis en place dans lequel les pays riches consomment plus de cerveaux qu’ils
n’en produisent. » soulignent Sandra Enlart et Olivier Charbonnier[10].
Le Forum économique mondial, connu pour sa réunion annuelle à Davos, rassemble des dirigeants
d’entreprise, des responsables politiques des différentes zones du monde ainsi que des intellectuels
afin de débattre des problèmes les plus urgents de la planète. Dans un rapport publié le 23 mars
2010 en collaboration avec le Boston Consulting Group, il souligne que malgré le chômage élevé,
l’économie mondiale est entrée dans une décennie de rareté des talents inégalée. Il ajoute que si rien
n’est fait, cette pénurie mettra un frein à la croissance économique. Il estime qu’au vu des
évolutions démographiques, les pays d’Europe de l’ouest auront un déficit de 46 millions de salariés
qualifiés en 2030 pour pouvoir seulement assurer la croissance économique moyenne des deux
dernières décennies. 46 millions ! Ce chiffre est un argument fort pour les DRH qui peinent à
convaincre leur DG de la nécessité de travailler l’attractivité interne et externe de leur entreprise en
tant qu’employeur. Ce contexte de pénurie générera inévitablement un renforcement sans précédent
de la guerre des talents. La valeur des « ressources rares » de l’entreprise sur le plan humain en sera
renforcée d’autant.
La troisième caractéristique de l’environnement de l’entreprise ayant un effet considérable sur sa
GRH réside dans le maintien d’un niveau de chômage élevé et de populations précaires qui ne sont
pas intégrées durablement dans l’emploi. Cette dimension n’est d’ailleurs pas contradictoire avec les
pénuries évoquées ci-dessus : il a depuis longtemps été démontré que pouvaient coexister un niveau
élevé d’emplois vacants et un fort taux de chômage, avec un désaccord d’origine structurelle entre
l’offre et la demande[11]. Cette situation contribue à ce que l’entreprise développe une relation à deux
vitesses avec l’emploi.
Comment considérer qu’une ressource a une valeur forte et qu’il faut capitaliser sur cette
ressource alors qu’elle paraît être disponible en quantité abondante, qu’elle peut être mise en
concurrence, qu’elle est remplaçable immédiatement ? N’y a-t-il pas une contradiction entre la
volonté de développer la capacité stratégique de l’entreprise, ses compétences, son niveau
d’engagement, et le développement de la précarité, même quand, vue de l’entreprise, elle est
considérée d’abord comme source de flexibilité ? Difficile de considérer le chômeur et l’intérimaire
comme un potentiel stratégique et non comme une variable d’ajustement.
Dernière caractéristique de l’environnement de l’entreprise qui impacte sa gestion des ressources
humaines : un renforcement considérable de la pression sociétale qui pèse sur elle. Que les thèmes
relevant de l’entreprise émergent dans le débat public pourrait avoir une vraie valeur ajoutée. Mais
le traitement de ces sujets est biaisé par trois phénomènes : la dimension émotionnelle de certains
sujets dans l’opinion publique, la méconnaissance de l’entreprise par les médias qui ne lui sont pas
dédiés, l’appropriation de ces thèmes par certains acteurs publics.
De ce fait, ce ne sont pas les enjeux de fond tel que le contenu du travail qui font l’objet du débat,
puis de l’intérêt du législateur. Ce sont des sujets comme les suicides ou les séquestrations,
phénomènes certes marquants, mais qui ne représentent que la partie émergée de l’iceberg des
enjeux humains de l’entreprise. Désormais, plus aucune organisation ne peut agir comme si elle
n’était pas sous le regard de la société tout entière.
L’environnement de l’entreprise s’est donc transformé en profondeur. Le travail en lui-même
connaît lui aussi des changements majeurs.

Le travail a changé
Le premier constat porte sur la nature même du travail, qui n’est plus la même qu’autrefois. Hier,
il était essentiellement constitué de tâches d’exécution, dans un cadre taylorien. La performance
était donc en premier lieu le résultat de processus normés et des contrôles opérés.
Mais en quelques décennies s’est imposé le « travail du savoir ». Phénomène que Robert Reich,
économiste et ancien ministre du travail des États-Unis détaille comme suit[12] : « Un pourcentage
croissant de chaque dollar dépensé par le consommateur va vers des gens dont la tâche consiste à
analyser, transformer, innover et créer. Ces personnes ont en charge la recherche et le
développement, la conception et l’ingénierie. Ou des emplois de haut niveau dans la vente, le
marketing et la publicité. Ils sont compositeurs, écrivains et producteurs. Ils sont avocats,
journalistes, médecins et conseillers en gestion. Je nomme cette activité “analyse symbolique”, car
la plupart des tâches y relèvent de l’analyse, de la conception et de la communication à travers les
chiffres, les formes, les mots, les idées. »
Au sein de l’entreprise, ces travailleurs du savoir gèrent en premier lieu des informations, des
connaissances, de la création et des relations. Même lorsqu’une volonté de retaylorisation
s’applique au moins pour partie à ces métiers, ce sont les marges de manœuvre dont dispose le
salarié qui font la différence quant à la performance qu’il délivre.
Cette transformation ne s’explique pas seulement par le développement des activités de service.
Les emplois industriels ont connu la même mutation, notamment sous l’effet de l’automatisation.
Cette transformation de la nature du travail a de nombreuses conséquences sur la gestion des
ressources humaines. Je n’en retiendrai que deux ici. La première sous forme de constat : que
l’entreprise le veuille ou pas, qu’elle en soit consciente ou pas, notre conception de la GRH a été
construite dans le cadre du taylorisme et elle reste aujourd’hui encore fortement influencée par cette
approche centrée sur la qualité de l’exécution. C’est un véritable aggiornamento auquel les
entreprises doivent procéder pour s’affranchir de cette influence et mettre en œuvre des pratiques
RH adaptées aux nouvelles réalités du travail.
La seconde conséquence de cette transformation est plutôt enthousiasmante. Richard Deupree,
alors CEO de Procter & Gamble, tenait en 1947 les propos suivants : « Si vous nous retirez notre
argent, nos bâtiments et nos marques, mais que vous nous laissez nos collaborateurs, nous pouvons
tout reconstruire en une décennie. » Dans de nombreuses entreprises, aujourd’hui, ce délai pourrait
être considérablement réduit. Tout simplement parce que les savoir-faire et la capacité à les
combiner d’une part, à les mobiliser d’autre part sont devenus la clé première de toute activité. La
transformation de la nature même du travail contribue à faire des hommes la première source
d’avantage concurrentiel de l’entreprise.
Autres changements qui s’appliquent au travail, ceux entraînés par les technologies de
l’information et de la communication. Dans les décennies précédentes, au fur et à mesure que
l’entreprise intégrait les technologies émergentes, le contenu des activités à effectuer se
transformait. Avec parfois la disparition de certains métiers et l’apparition de nouveaux.
La situation est d’une tout autre nature avec le développement des technologies mobiles,
téléphone et ordinateur portable, réseau sans fil et internet haut débit, pour ne citer que celles qui
conditionnent notre quotidien. « Mais comment faisait-on avant, sans ces outils ? » Cette question,
que chacun s’est posée à un moment ou à un autre, illustre l’ampleur des transformations du travail
qu’ont entraînées ces technologies. Ce n’est pas seulement le contenu des activités à effectuer qui a
été bouleversé, mais plus largement la nature même du travail et le système social. Les rapports
hiérarchiques, avec les notions d’autonomie et de contrôle, ne peuvent plus être pensés comme
auparavant. La frontière entre vie professionnelle et vie personnelle a été reconfigurée. « Le
développement de l’usage des technologies mobiles est en train de transformer assez profondément
le modèle de l’entreprise traditionnelle fondé sur celui de l’organisation hiérarchique et/ou
transversale », souligne Charles-Henri Besseyre des Horts[13].
Les technologies de l’information et de la communication, formidable opportunité pour repenser
le travail et le transformer ? Sans nul doute. Mais parfois aussi outil de retaylorisation du travail :
c’est ainsi que la part des salariés soumis à un contrôle informatisé de leur activité ne cesse
d’augmenter : elle était de 14,5 % en 1994, de 26,7 % en 2007 et de 30,1 % en 2010 (29,6 % pour
les cadres et professions intellectuelles supérieures)[14]. La question est bien celle de la façon dont
l’entreprise se saisit de ces technologies pour faire évoluer le travail.
Le troisième aspect qui impacte fortement le travail réside dans l’accélération de l’émergence de
nouvelles connaissances. « On estime aujourd’hui que la masse de connaissances disponibles à
l’humanité double tous les sept ans et doublera tous les 72 jours en 2050 », affirment des dirigeants
du Boston Consulting Group[15]. Cet état de fait ouvre de formidables opportunités à l’entreprise. Si
la différence par rapport à ses concurrents se fait sur un savoir-faire et des compétences distinctives,
l’émergence continue de nouvelles connaissances peut constituer une opportunité si elle sait s’en
saisir. A contrario, ce mouvement suppose également une obsolescence de plus en plus rapide des
compétences.
Comment l’entreprise met-elle en place les modalités qui lui permettront de garantir en
permanence la mise à jour des compétences de ses collaborateurs ? Comment capitalise-t-elle sur les
compétences nouvelles développées dans certaines de ses activités ? Avec cette accélération de
l’émergence de nouvelles connaissances, ce n’est plus tous les trois ou cinq ans que le travail est
réinventé, c’est en continu.
Dernière transformation qui affecte le travail : celle de l’engagement des salariés. Pendant des
années, entreprises comme universitaires se sont centrés sur la motivation des salariés. Cette notion
désigne l’envie qu’a le salarié de se lever le matin pour aller au travail, de s’investir dans son
activité professionnelle, de se dépasser et de générer des résultats. Mais cette envie peut ne jamais
se matérialiser. C’est pourquoi la notion d’engagement est utile, en allant plus loin : elle traduit cette
envie en actes concrets. Et c’est bien cette matérialisation qui intéresse l’entreprise, puisque c’est
dans la réalité des actes que l’engagement peut être constaté et qu’il apporte une valeur ajoutée.
Tant que le travail était essentiellement prescrit et composé de tâches normées, l’engagement du
salarié n’avait pas vraiment d’importance. Ses résultats, sa performance étaient avant tout le fruit du
processus et des moyens déployés pour contrôler sa mise en œuvre. Avec le développement du
travail du savoir, la notion d’engagement prend une tout autre importance. Ainsi, le chercheur ne
progressera dans ses recherches que s’il est pleinement engagé dans son activité. C’est un
engagement choisi, décidé par le collaborateur, et non pas une implication imposée par la machine
ou les processus, comme hier. La responsabilité de l’entreprise est de créer les conditions pour que
le collaborateur décide de s’engager dans son activité. Les DRH l’ont bien compris qui, dans toutes
les enquêtes, placent l’engagement des salariés comme faisant partie de leurs priorités absolues[16].

Les collaborateurs ont changé


L’environnement de l’entreprise et le travail ont changé. Mais les collaborateurs eux-mêmes ne
sont plus les mêmes. Ils vivent dans notre société du début du XXIe siècle. Leur vie hors travail a
évolué par rapport à ce qu’elle était il y a dix ou vingt ans. De ce fait, leurs attentes et leurs
comportements se sont transformés. Et ce n’est pas non plus sans conséquences sur la GRH.
La première évolution marquante est celle qui conduit chacun à se positionner comme adulte
responsable. D’une part, tout l’environnement social pousse les personnes à s’assumer en tant
qu’individus autonomes à part entière. Ceux-ci sont moins pris en charge qu’hier par les institutions
que sont la famille, l’école, l’Église. Les comportements sont moins normés. D’autre part, leur
sphère de décision est beaucoup plus large qu’hier. Ne serait-ce que parce que le champ du possible
a été considérablement élargi par les technologies de l’information et de la communication, et
notamment par internet.
Cette transformation dans la vie hors travail n’est pas sans conséquences sur la vie au travail : la
personne n’est pas fondamentalement différente lorsqu’elle passe d’une sphère à l’autre. Elle aborde
la vie au travail avec une aspiration : être traitée comme un adulte responsable. Elle a notamment la
volonté de comprendre, donc de ne pas être seulement dans le comment, mais aussi dans le
pourquoi.
Comment l’entreprise s’adapte-t-elle à cette évolution ? Nous revenons ici sur sa conception du
travail. Est-elle dans une logique de confiance, donnant du sens à ce qu’elle entreprend et
encourageant la prise d’initiative ? Ou dans une forme de néo-taylorisme, basée sur une stricte
répartition des rôles, la défiance et le contrôle ? Selon la réponse, les dispositifs de GRH développés
par l’entreprise ne seront pas les mêmes. La transformation des collaborateurs la pousserait à
adopter la première option. Mais les logiques anciennes, les modes de fonctionnement dépassés
peuvent perdurer et générer mal-être au travail et désengagement.
Autre transformation de notre société contemporaine : celle du rapport à l’autorité. Pendant des
générations, l’autorité a été descendante, imposée, non discutable. Que ce soit dans le cadre familial
traditionnel avec la posture du père de famille, à l’école avec la figure du maître d’école, pendant le
service national, tout conditionnait l’individu à obéir, parfois sans comprendre, toujours sans
discuter. Quels qu’en soient les déterminants (en vrac : mai 1968, la pensée de Françoise Dolto, la
suppression du service national obligatoire, la désacralisation des figures dépositaires de l’autorité,
etc.), cette forme ancienne de l’autorité s’est petit à petit effacée dans la vie hors travail au profit
d’une autorité beaucoup plus argumentée, négociée, basée sur de la compétence.
Ce changement est-il pris en compte par l’entreprise ? Comment les pratiques de GRH intègrent-
elles la nécessité d’expliquer, de convaincre, de négocier, d’associer ? La fonction RH accompagne-
t-elle les managers pour qu’ils transforment leurs pratiques, ceci malgré la pression du court terme
et l’urgence qui pèsent sur eux et les ramènent aux formes anciennes d’exercice de l’autorité ? Selon
les réponses qu’apporte l’entreprise à ces questions, elle générera plus ou moins de mobilisation et
d’engagement.
Le troisième changement chez les collaborateurs porte sur leur rapport au travail. Les résultats de
toutes les enquêtes[17] concordent pour souligner une aspiration à l’épanouissement au travail sans
précédent dans l’histoire. Certes le travail reste un moyen pour gagner sa vie, être socialisé, acquérir
un statut, être valorisé, mais l’aspiration à ce qu’il soit aussi un moyen de réalisation et
d’épanouissement est désormais très présente, sauf quand elle a été brisée par la réalité d’un travail
qui ne répond pas à ce besoin.
« Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie »,
disait déjà Confucius il y a 2 500 ans. André Gide surenchérissait en estimant que « la première
condition du bonheur est que l’homme puisse trouver sa joie au travail[18] ». Pour autant, jusqu’à une
période récente, le travail a été vécu d’abord comme un devoir, une contrainte, une obligation : il
s’agissait alors de « gagner son pain à la sueur de son front ». C’est cette perception qui a changé.
L’entreprise répond-elle à cette aspiration ? La réponse est bien évidemment très différente selon
les organisations. Mais cette question renvoie à un enjeu essentiel qui est celui du contenu du
travail. Penser et organiser le travail pour qu’il permette au salarié de s’épanouir et de se réaliser est
très certainement devenu un des défis majeurs auxquels sont confrontés les acteurs de la GRH.
Positionnement plus adulte, nouvelle relation à l’autorité, nouveau rapport au travail : ces trois
transformations sont parfois résumées en une seule : celle dont serait porteuse la génération de ceux
entrés récemment dans le monde du travail. Ce qui est vrai, c’est que les changements tels que ceux
décrits plus haut s’incarnent souvent en premier lieu dans les nouvelles générations, avant de se
diffuser et de transformer les attentes et les comportements de celles qui les ont précédées. Faut-il
pour autant en tirer un discours générationnel et structurer les approches en matière de GRH à partir
des différences entre ces populations ?
Le concept de génération Y connaît depuis quelques années un vrai succès auprès des DRH. Il
souffre pourtant de plusieurs limites. La première est qu’il est glissant dans le temps. Les premiers
écrits sur la génération Y aux États-Unis datent de 1992 et désignaient les 18-25 ans, qui atteignent
donc aujourd’hui la quarantaine. Le concept a été redéfini et recyclé régulièrement, au détriment de
son contenu et de sa validité. Deuxième défaut : il est de fait très centré sur une partie seulement
d’une génération, celle qui est étudiante ou diplômée. Enfin, dernière limite et non la moindre : peu
de travaux de recherche sont venus étayer la description des caractéristiques de cette génération. Les
acteurs qui en ont fait leur fond de commerce sont peu crédibles, ils utilisent de nombreux clichés et
frôlent parfois la caricature. Ce qui peut d’ailleurs donner des situations assez cocasses lorsqu’ils
n’hésitent pas à intervenir devant des populations étudiantes pour leur expliquer… comment elles
fonctionnent !
Nous ne nions pas les différences générationnelles. Ceux qui arrivent aujourd’hui dans le monde
du travail ont grandi avec internet, dans un contexte de chômage massif, avec le sida en arrière-plan,
pour ne rappeler que quelques caractéristiques saillantes de leur environnement. Et ce n’est pas
neutre quant à leurs perceptions du monde, de l’entreprise et des rapports en son sein. Mais
l’entreprise doit être prudente avec ce concept magique de génération Y et avec ses caractéristiques
supposées. Les organisations qui ont eu les résultats les plus probants sur cette question des
différences et des interfaces entre générations sont celles qui, plutôt que de chercher à les
caractériser, ont développé leur coopération en transposant à l’intergénérationnel les approches et
outils du management interculturel.
Nous avons abordé la stratégie et ses enjeux d’aujourd’hui, puis eu la même approche avec les
ressources humaines. Stratégie d’une part, ressources humaines de l’autre. Comment ces deux
mondes interagissent-ils ? Comment se fait leur rencontre et que produit-elle ? Nous allons voir que
le constat d’ensemble est assez décevant.

Stratégie et ressources humaines, deux mondes qui s’ignorent


Jusqu’aux années quatre-vingt, l’articulation entre ressources humaines et stratégie est inexistante
dans les travaux de recherche et dans la littérature managériale. Les écrits en matière de ressources
humaines sont très centrés sur les processus RH et le renforcement de la technicité de la fonction.
Les questions de stratégie sont purement et simplement ignorées, elles relèvent d’une autre sphère.
La situation est quasi identique du côté de la stratégie. Tout au plus peut-on noter que certains
modèles d’analyse, de diagnostic et de décisions stratégiques évoquent les réalités humaines et
organisationnelles de l’entreprise comme des variables secondaires. C’est le cas par exemple des
modèles d’analyse de portefeuille d’activités qui sont les plus couramment utilisés, comme les
matrices BCG ou McKinsey. Il est vrai que le focus des travaux sur la stratégie porte alors sur
l’environnement de l’entreprise, pas sur ses réalités internes. Dans ce cadre, l’enjeu pour l’entreprise
est d’adopter des choix stratégiques adaptés aux opportunités et aux risques de son environnement.
« Les variables internes sont considérées comme des moyens d’atteindre les objectifs stratégiques,
ou de mettre en œuvre les décisions et manœuvres stratégiques, ou encore comme des variables
d’ajustement à court terme[19]. »
Les années quatre-vingt voient l’ignorance respective de chacune de ces sphères pour l’autre se
maintenir, tout en prenant des formes différentes. Les travaux sur la « direction du personnel et la
gestion des ressources humaines », sous-titre du livre de Bernard Galambaud qui constitue la
référence des progrès dans la réflexion réalisée à cette période[20], mettent en évidence les
responsabilités gestionnaires de l’entreprise appliquées aux hommes. C’est aussi la période où les
entreprises travaillent la question des emplois et des compétences en y introduisant une dimension
préventive, pas encore prévisionnelle. De leur côté, les travaux sur la stratégie intègrent une
dimension systémique : la dimension organisationnelle et culturelle est présentée, au même rang que
d’autres, comme en interaction avec la stratégie. Gestion d’un côté, organisation et culture de
l’autre, articulation sans intégration… nous sommes encore loin du mariage d’amour !
Une nouvelle étape a été franchie dans les années quatre-vingt-dix par ceux qui produisent sur la
stratégie, avec l’analyse basée sur les ressources, sur laquelle nous reviendrons. En se décentrant de
l’environnement de l’entreprise et en prenant en compte sa capacité stratégique et donc ses
ressources internes, ce courant ouvrait la porte à une réflexion approfondie des universitaires
spécialisés dans les ressources humaines. À l’examen de ce qui a été produit depuis vingt ans, le
moins qu’on puisse dire, c’est que le compte n’y est pas. Aucun courant de recherche n’a émergé en
matière de RH qui viendrait creuser ce filon. Comment l’expliquer ?
J’y vois pour ma part deux raisons majeures. La première a sa source dans l’entreprise. La
pression croissante des logiques de court terme fait qu’il n’y a pas véritablement de demande pour
une GRH qui intégrerait une véritable dimension stratégique : l’entreprise n’exprime pas de besoin
en la matière. La seconde est que les modes de fonctionnement de la recherche dans les domaines
des sciences dites « molles », son organisation en silos hermétiques, ne permettent pas cette
fertilisation croisée entre chercheurs en stratégie et chercheurs en ressources humaines.
Le résultat en tous les cas est clairement visible : une analyse de ce qui paraît en matière de GRH
montre la faible intégration des avancées théoriques en matière de stratégie. Même les écrits RH qui
prétendent relever aussi de la stratégie n’en ont pas toujours intégré les fondements essentiels. Elle y
est abordée avec toutes les dérives décrites plus haut sur ce que n’est pas la stratégie. Une exception
toutefois dans certaines publications anglo-saxonnes, mais elles ne traitent en fait que de la
déclinaison de la stratégie sur le plan RH[21]. Quant à la réflexion en matière de stratégie, elle n’a pas
exploré plus avant toutes les opportunités qu’ouvre dans le champ des ressources humaines
l’approche par les ressources.
Rares sont les cabinets de conseil en ressources humaines qui explorent le terrain de la stratégie de
l’entreprise. En effet, les grands cabinets déploient une approche méthodologique standardisée qui
ne s’arrête pas à la spécificité stratégique de l’entreprise qu’ils accompagnent. Quant aux cabinets
en stratégie, déjà cités, ils ont régulièrement des velléités de développer des practices en RH, mais
reviennent de façon systématique à leur cœur de métier, sans pouvoir par conséquent devenir une
source dans la réflexion sur l’articulation entre les deux domaines.
Et dans l’entreprise, qu’en est-il de la coopération entre les acteurs de la stratégie et ceux des RH ?
Notons tout d’abord que la « fonction stratégie » est dans la plupart des organisations incarnée par le
premier dirigeant, pour laquelle elle ne représente qu’une partie de son activité. Dans ce cas, la
relation est bien évidemment impactée par bien d’autres dimensions que la seule interface entre
stratégie et ressources humaines. Dans les quelques entreprises qui ont structuré un département
stratégie, les grands groupes notamment, les caractéristiques des deux fonctions ne rendent pas le
dialogue aisé. Une grande partie de la fonction RH a de fait une dimension très opérationnelle, alors
que les départements stratégie ne sont pas par nature sur ce terrain. Les praticiens RH sont par
définition focalisés sur l’interne alors que la fonction stratégie reste très marquée par les approches
centrées sur l’externe (veille concurrentielle, préparation d’acquisitions, etc.). Je n’ai pour ma part
pas rencontré d’organisations dans lesquelles le potentiel de co-construction de ces deux fonctions
soit exploité dans sa globalité. Le constat est donc plutôt celui d’un fossé et d’un manque de
dialogue entre ces deux domaines.
Ce n’est pas sans conséquence pour l’entreprise. La stratégie se prive d’une dimension essentielle
en traitant l’homme comme un moyen ou une variable d’ajustement. Alors qu’il est devenu
potentiellement la source première de création de valeur. Par ailleurs, sans articulation étroite avec
la GRH et le management, la stratégie se condamne à rester pour partie sur le papier, avec un
déploiement insatisfaisant.
Quant à la gestion des hommes, elle reste, lorsque cette articulation est insuffisamment travaillée,
très en deçà de ce qu’elle peut apporter. La fonction RH ne doit pas s’étonner de n’être alors perçue
par les autres acteurs de l’entreprise que comme une fonction support, dans une position statique.

Alors que ces deux mondes sont confrontés aux mêmes enjeux
Cette déconnexion est d’autant plus préjudiciable et surprenante que ces deux mondes, celui de la
stratégie et celui des RH, doivent faire face à la même situation. Que nous nous arrêtions sur la
stratégie, et notamment sur le principe même de son existence dans la situation de crise
d’aujourd’hui, ou que nous analysions les déterminants actuels de la GRH, le même constat
s’impose : autour de l’entreprise et dans l’entreprise, le changement est permanent et l’accélération
de son rythme est continue. Stratégie comme GRH sont impactées par ces transformations. Elles
sont l’une et l’autre confrontées à des enjeux identiques.
Un enjeu d’opérationnalisation tout d’abord. Avoir construit une stratégie n’a aucun intérêt pour
l’entreprise si cette stratégie n’est pas déployée. Tenir les plus beaux discours sur les hommes et la
fonction RH a un effet contre-productif si ces intentions ne sont pas relayées par une pratique
effective. Dans les deux cas, est en jeu la capacité de l’entreprise et de ses dirigeants à être proactifs
et à impacter effectivement la réalité, à travers les démarches qu’ils impulsent.
Deuxième enjeu auquel stratégie et GRH doivent toutes deux faire face : celui de l’économie de la
connaissance. Nous l’avons déjà souligné : le développement du travail du savoir et le
renouvellement accéléré des connaissances font qu’il n’est plus possible de gérer les hommes
comme hier. Mais c’est tout aussi vrai pour ce qui est de la stratégie. Il n’est possible de construire
ce qui engage l’entreprise sur le long terme que sur les compétences qu’elle maîtrise.
La rareté des acteurs clés constitue un troisième enjeu. Durant les dernières décennies, au fur et à
mesure de la bascule d’une économie de l’offre à une économie de la demande, l’évidence s’est
imposée à la plupart des entreprises : ce n’est plus le produit qui est rare, c’est le client. Certes
toutes les entreprises n’ont pas encore tiré toutes les conséquences de ce constat. Pour autant, la
plupart ont intégré l’impérieuse nécessité de faire les choix qui leur permettront de capter
durablement ce client. C’est l’objet même de la stratégie. Quant à la GRH, nous l’avons vu, elle est
et sera plus encore demain confrontée à la pénurie de compétences que génèrent les évolutions
démographiques. La rareté n’est pas une notion nouvelle pour les économistes : c’est le principe
fondateur de la science économique. Ce qui est nouveau, c’est qu’elle s’applique à ce point aux
deux acteurs que sont le client et le collaborateur.
Dernier enjeu commun, sans doute le plus important : stratégie comme GRH sont confrontées à
une même difficulté quant aux échéances temporelles. Les logiques de l’actionnaire et le
développement des technologies se conjuguent pour pousser à l’instantanéité. La nécessité de
construire une stratégie est remise en cause. Les temporalités des ressources humaines, parfois si
éloignées de celles des finances, sont challengées en permanence. C’est indéniablement un
problème. Mais cette convergence des intérêts de la stratégie et de la GRH est peut-être aussi une
partie de la solution. Nous y reviendrons dans notre conclusion.
[1]
Denis Dauchy, 7 étapes pour un business model solide. Réinventer la création de valeur avec méthode, Dunod, 2010.
[2]
Michael Porter, « Plaidoyer pour un retour de la stratégie », L’Expansion Management Review, n° 84, 1997.
[3]
W. Chan Kim et Renée Mauborgne, Stratégie Océan bleu, comment créer de nouveaux espaces stratégiques, Pearson Education
France, 2010.
[4]
Alfred Chandler, Stratégies et structures de l’entreprise, traduit aux Éditions d’Organisation, 1989.
[5]
Ouvrage coordonné par Bernard Garrette, Pierre Dussauge et Rodolphe Durand, Strategor, Dunod, 5e édition, 2009.
[6]
Note blanche n° 21, Sylvie Ouziel, Accenture management Consulting.
[7]
Ranjay Gulati, Nitin Nohria et Franz Wohlgezogen, “Roaring out of Recession”, Harvard Business Review, mars 2010.
[8]
6e édition de l’étude « Fonction ressources humaines » réalisée par l’Observatoire Cegos.
[9]
Citée par Jean-Marie Ducreux, René Abate et Nicolas Kachaner, Le grand livre de la stratégie, Éditions d’Organisation, 2009.
[10]
Sandra Enlart et Olivier Charbonnier, Faut-il encore apprendre ?, Dunod, 2010.
[11]
Voir notamment les travaux de William Beveridge, Full Employment in a Free Society, 1944.
[12]
Robert Reich, The Future of Manufacturing, GM and the Workers, wallstreetpit.com, 29 mai 2009.
[13]
Charles-Henri Besseyre des Horts, L’entreprise mobile, Pearson, 2008.
[14]
Enquête Sumer de la Dares.
[15]
Jean-Marie Ducreux, René Abate et Nicolas Kachaner, Le grand livre de la stratégie, Éditions d’Organisation, 2009.
[16]
Comme par exemple la 4e enquête BCG menée avec la Fédération mondiale des associations de direction du personnel
(WFPMA) auprès de 5 561 responsables RH, publiée le 27 septembre 2010.
[17]
Par exemple : Jan Krauze, Dominique Méda, Patrick Légeron et Yves Schwartz, Quel travail voulons-nous ? La grande
enquête, Éditions des Arènes, 2012.
[18]
André Gide, Journal 1889-1939.
[19]
Estelle Mercier et Géraldine Schmidt, Gestion des ressources humaines, Pearson Education France, 2004.
[20]
Bernard Galambaud, Des hommes à gérer, Entreprise moderne d’édition, 1983.
[21]
Notamment l’ouvrage très utile de Linda Holbeche, Aligning Human Resources and Business Strategy, Elsevier Ltd., 2009.
2
LA DÉCLINAISON DE LA STRATÉGIE SUR
LE PLAN HUMAIN
Nous avons vu la nécessité et l’intérêt pour l’entreprise de disposer d’une stratégie, y compris
lorsqu’elle est confrontée à des difficultés économiques. Mais ce n’est pas d’avoir défini une
stratégie qui constitue un atout, c’est de la mettre en œuvre. Une stratégie n’a de valeur que si elle
oriente et structure l’activité de l’entreprise en étant déclinée au niveau opérationnel et si elle se
traduit dans le concret.
J’ai accompagné il y a peu un des premiers groupes français sur l’articulation entre ses politiques
RH et sa stratégie. Et dans la première phase de ce projet, avec la DRH, nous avons carrément dû
reconstituer le contenu de la stratégie. En effet, lorsque nous nous sommes adressés à la direction
stratégie du groupe pour disposer d’une présentation synthétique de cette stratégie, la réponse a été
directe : « La stratégie du groupe est confidentielle, elle n’a pas vocation à être diffusée au-delà du
comité exécutif. » Comment envisager un instant que cette stratégie puisse être déployée, soit
utilisée pour faire des choix opérationnels et produise des effets, alors qu’elle n’est pas
communiquée ? L’absence de diffusion de la stratégie n’empêche d’ailleurs pas ce groupe de
demander année après année à ses salariés dans son enquête d’opinion interne s’ils sont bien
informés sur la stratégie, puis de s’étonner du faible taux de réponses positives.
La performance de l’entreprise n’est donc pas conditionnée seulement par la pertinence de sa
stratégie, mais aussi et d’abord par le déploiement de celle-ci. C’est au niveau opérationnel que
l’avantage stratégique peut être obtenu. En effet, c’est dans le concret du quotidien de l’entreprise
que va être déterminé comment les différentes composantes de l’organisation déploient
effectivement les stratégies définies au niveau global.
Allons plus loin : une stratégie pertinente mal mise en œuvre ne peut produire la performance
attendue. Il y a un enjeu majeur de qualité dans cette exécution. Deux dimensions peuvent
notamment être soulignées. Il y a tout d’abord l’impératif de cohérence des actions engagées entre
elles, en ligne avec la stratégie. Mais joue également la rapidité avec laquelle la stratégie est
transformée en réalités. Une entreprise comme Chronodrive a inventé un nouveau business model,
avec la commande sur internet de produits de consommation quotidienne et leur récupération par le
consommateur dans un lieu de proximité. Mais du fait du rythme auquel les ouvertures de nouveaux
magasins ont été réalisées, de nombreux concurrents ont dépassé Chronodrive en termes de
développement en déployant un concept comparable.
Dans le débat entre les auteurs en stratégie, la question de « l’agilité stratégique » est devenue
centrale depuis quelques années. Elle renvoie directement à la qualité de la gestion par l’entreprise
de ses ressources.

Déployer la stratégie
Comme tout ce qui renvoie à l’activité concrète de l’entreprise, le déploiement de la stratégie est
d’abord affaire humaine. Ceux qui ont en charge les hommes et les femmes de l’entreprise, que ce
soit le management ou les structures RH, ont un rôle central à jouer dans ce domaine. Ils doivent
comprendre comment la stratégie peut devenir effective à un moment donné dans l’environnement
de l’entreprise, puis travailler à son implémentation, en mettant en œuvre une démarche
volontariste.
Certains dirigeants considèrent qu’une fois la stratégie définie, « l’intendance suivra ». La
fonction RH n’est alors sollicitée que lorsque l’entreprise est au pied du mur. Dans cette situation,
elle ne peut fournir que des réponses de très court terme, donc pauvres. Alors qu’une approche
structurée anticipant les besoins de l’entreprise pour faire vivre sa stratégie apporte une contribution
beaucoup plus riche.
L’objectif de ce chapitre est donc de détailler comment la dimension humaine peut servir la mise
en œuvre de la stratégie. Quels sont les leviers RH qui contribuent à la réussite de l’entreprise à
travers l’implémentation de ses choix ?
Nous sommes bien là dans la situation dans laquelle une stratégie a été définie et formalisée et où
se pose la question de sa traduction dans le réel, dans le concret. Avec une approche a posteriori, de
type réactive. C’est dans le chapitre suivant que nous aborderons la démarche contraire et
complémentaire qui consiste à alimenter la construction de la stratégie de manière proactive à partir
d’éléments RH.

Aligner
Dans son ouvrage 7 étapes pour un business model solide[1], Denis Dauchy décrit ce que sont les
leviers de la proposition de valeur client, et notamment ceux relevant des ressources humaines. Il
souligne que : « L’alignement de chaque levier avec la proposition centrale de valeur est le gage de
l’interdépendance entre eux. Il est le sous-jacent de la construction d’un système d’action cohérent
et difficilement imitable par la concurrence. »
Alignement, le mot est dit. Cette notion est fréquemment utilisée par les entreprises anglo-
saxonnes pour décrire la nécessité de cohérence entre différents domaines. Mais la traduction en
français donne à ce terme une connotation qui peut induire en erreur. Dans notre langue, le terme
génère une perception très éloignée des logiques humaines : avec l’alignement, « on ne veut voir
qu’une seule tête ». Or il ne s’agit en aucun cas d’adopter une approche mécaniste. Nous utiliserons
cette notion d’alignement en veillant à lui donner un contenu correspondant à ce que sont les
phénomènes humains dans l’entreprise, en nous centrant sur leur cohérence.
Dans ce chapitre, nous allons détailler de façon concrète et pratique les approches de déclinaison
de la stratégie qui permettent d’aligner sur elle l’organisation de l’entreprise et sa culture, l’activité
individuelle des collaborateurs, les pratiques managériales et les projets RH, en commençant par son
identité employeur.

L’identité employeur au service de la stratégie


La notion la plus souvent utilisée dans l’entreprise est celle de « marque employeur ». Importée
des États-Unis à la fin des années quatre-vingt-dix par des consultants en communication, ce
vocable est au départ la transposition directe de l’employer branding. Mais il aurait été plus correct
à cette époque-là de parler d’image employeur ou de communication employeur, l’essentiel des
actions étant alors centré sur le « faire-savoir » vis-à-vis d’une cible externe : les candidats que veut
attirer l’entreprise.
Depuis une dizaine d’années, la notion de marque employeur s’est élargie, couvrant à la fois en
amont l’identité employeur de l’entreprise et en aval sa communication employeur. Par identité
employeur, nous entendons ce que les collaborateurs de l’entreprise en vivent effectivement. Pour
eux, sur quoi l’entreprise est-elle différente au quotidien des autres employeurs potentiels ? Sur
quels aspects est-elle au contraire démotivante ? Quels sont les leviers effectifs de leur
engagement ? Ce sont les réponses à ces questions qui définissent l’identité employeur.
Pour ne prendre qu’un exemple, un groupe comme Schlumberger est vécu par ses ingénieurs
comme offrant des parcours à l’international que nulle autre entreprise ne propose. Dans les
entreprises considérées par leurs salariés comme des employeurs de référence, ce sont souvent plus
de 90 % d’entre eux qui sont fiers d’y travailler, comme le montrent les enquêtes d’opinion internes.
La communication employeur externe n’est alors que la déclinaison sous des formes et des
modalités adaptées de cette identité employeur interne. D’autant qu’un véritable impératif de
cohérence entre la réalité interne et la communication externe s’impose désormais. Les candidats en
relation avec une entreprise sont de mieux en mieux informés sur ce que sont les réalités qu’y vivent
effectivement ses collaborateurs. Hier, les éléments dont ils disposaient étaient très partiels.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux ont changé la donne, plus particulièrement pour les plus jeunes. Ils
y échangent directement avec les collaborateurs de l’entreprise. Avant toute rencontre avec un
recruteur, mes étudiants de Sciences Po ont en moyenne un contact via ces réseaux sociaux avec une
petite dizaine de collaborateurs de l’entreprise concernée. Et lorsque le discours du recruteur est
décalé par rapport aux informations recueillies auprès de ceux qui vivent la réalité quotidienne de
cette entreprise, ils fuient.
Cette identité employeur peut être représentée sur la matrice suivante :
Figure 3 L’identité employeur de l’entreprise

Ce qui compte, c’est bien l’évaluation que font de l’entreprise ses collaborateurs, telle qu’elle peut
être mesurée dans une enquête d’opinion interne ou dans une approche de type qualitatif, avec
interviews d’un panel de salariés. Pour avoir conçu cette matrice et l’avoir appliquée à de
nombreuses entreprises, je fais un constat : les employeurs de référence sont ceux qui ne sont dans
la zone de démotivation sur aucun axe et qui se positionnent dans la zone de différenciation sur un
ou deux axes. Certes, toutes les entreprises aspirent à être les meilleures sur l’ensemble des
dimensions. Mais à ne pas choisir, elles s’éparpillent et n’investissent pas sur ce qui leur permettrait
de faire la différence.
Nous en arrivons au lien avec la stratégie. Le premier réflexe de nombreux dirigeants qui
travaillent leur identité employeur cible est de se demander ce qu’attendent les populations qu’ils
veulent attirer ou retenir. « En 2012, les cinq principaux critères justifiant le choix d’un employeur
sont – dans l’ordre – la rémunération, la stabilité professionnelle, l’intérêt des missions, l’ambiance
de travail et l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle », écrivait L’Express dans son
numéro du 14 mars 2012. L’entreprise se positionne alors dans une logique d’offre. Pour attirer et
retenir, elle développe ce qui peut séduire.
Cette approche est erronée. Elle revient à demander aux collaborateurs et aux candidats ce dont ils
ont envie ou besoin pour le mettre ensuite en place. Le facteur humain n’est pas articulé au business
qu’il vient handicaper, puisqu’il est positionné comme un objet indépendant, construit de façon
artificielle. Il constitue donc un coût, en aucun cas un investissement.
Certes les aspirations des populations que l’entreprise veut attirer et retenir doivent être prises en
compte. Mais elles ne peuvent être le déterminant premier de l’identité employeur qui est mise en
place.
Celle-ci doit être définie en répondant à une question : de quelle identité employeur avons-nous
besoin pour faire vivre notre stratégie ? Il faut alors identifier les leviers RH à actionner en priorité,
les axes sur lesquels l’entreprise doit investir pour servir la mise en œuvre de sa stratégie. C’est
cette démarche qui permet de transformer les dépenses RH en investissements. Chaque euro investi
dans l’humain impacte alors positivement l’économique.
Prenons une première illustration, avec le cas de Danone. Les dirigeants de ce groupe se sont
régulièrement exprimés sur ce qui fait sa réussite sur ses marchés. Ils considèrent que le premier
facteur de différenciation stratégique de l’entreprise par rapport à ses concurrents est la vitesse.
Lorsqu’il a fallu à ces autres groupes deux mois pour mettre sur le marché un yaourt low cost parce
que la thématique de pouvoir d’achat devenait centrale, Danone a été en mesure de le faire en trois
semaines. Et les clients de Danone que sont les groupes de la grande distribution reconnaissent et
attribuent de la valeur à cette agilité et à cette réactivité.
Pour construire ce facteur de différenciation stratégique, Danone a dû mettre en place des modes
de fonctionnement adaptés. L’autonomie a été érigée en principe fondateur. Chaque métier, à chaque
niveau de l’entreprise, dispose des marges de manœuvre qui l’autorisent à prendre des décisions
selon le principe de subsidiarité. C’est cette organisation qui permet à l’entreprise d’être aussi
rapide. Mais c’est aussi le premier facteur d’adhésion et de rétention des collaborateurs. Dans
l’enquête d’opinion dispensée en interne, cette autonomie et cette valorisation de la prise
d’initiatives sont vécues par les collaborateurs comme la dimension la plus positive de leur relation
à l’entreprise. Danone l’affiche d’ailleurs en décrivant sa marque employeur : « La force du groupe
Danone réside dans sa culture et ses valeurs, qui inspirent son esprit d’entreprise entrepreneurial,
son organisation décentralisée et son style de management informel, encourageant performance,
initiative et proximité. »
Egis, entreprise d’ingénierie des transports, compte plus de 80 % d’ingénieurs dans ses effectifs.
Confronté à des pénuries de compétences qui handicapaient ses recrutements, donc son activité, ce
groupe a mené en 2008 un travail approfondi de définition de sa marque employeur. Les dirigeants
d’Egis, que j’ai interviewés individuellement, m’ont décrit le positionnement marché de leur
entreprise. Lorsque le prix est le premier critère de décision sur un appel d’offres auquel elle a
répondu, Egis emporte rarement le marché. Par contre, quand la qualité de la prestation et les
expertises mises à la disposition du client sont considérées comme essentielles par celui-ci, Egis est
très bien placé. Sur ses marchés, Egis a donc un positionnement qualité-prix reconnu. Son expertise
et sa capacité à tenir ses engagements, aussi bien en termes de contenu de la prestation que de
délais, font la différence par rapport à ses concurrents.
Pour se positionner ainsi sur ses marchés, Egis a dû investir plus que d’autres dans le
développement des compétences, dans la valorisation de ses experts et le partage de leurs savoir-
faire. Prendre conscience de cet atout jusqu’alors non explicité a permis à l’entreprise de travailler
ces dernières années dans deux directions. D’une part le renforcement de cette identité employeur
avec notamment une meilleure identification et reconnaissance des experts et une mutualisation de
chacun de ces experts sur plusieurs projets en parallèle. D’autre part une communication employeur
capitalisant sur ce positionnement. En concurrence en tant qu’employeur avec les autres entreprises
du secteur, mais aussi avec les groupes du BTP qui ciblent les mêmes profils, Egis attire désormais
ces derniers en mettant en avant la possibilité de développer en son sein une expertise unique en
ingénierie. Sachant que le renforcement de cette identité employeur différenciante sur le
développement des compétences permet aussi à Egis de pousser plus loin encore son avantage
concurrentiel sur ses marchés.
Danone et Egis sont des entreprises dont l’identité employeur est alignée sur la stratégie, la
cohérence de l’activité au quotidien avec cette identité employeur servant le déploiement de la
stratégie. Ces deux exemples renvoient essentiellement à la dimension rationnelle de l’identité
employeur. Traditionnellement, le contrat social entre l’entreprise et ses salariés échangeait sécurité
de l’emploi contre loyauté. Il a été rompu dans les années quatre-vingt et l’entreprise doit
aujourd’hui en construire un nouveau. La démarche décrite ici permet que ce « deal », tel que le
désignent certaines entreprises, serve la mise en œuvre du projet de développement de
l’organisation. Il renvoie à l’engagement calculé des collaborateurs : « Je sais ce que je donne à
l’entreprise, je sais ce que j’y trouve, et il y a un équilibre entre les deux. »
Mais il existe une autre forme d’engagement, complémentaire à celle-ci, qui a une dimension
moins rationnelle, plus émotionnelle, quasiment de l’ordre de l’affectif. Cet engagement s’appuie
sur des éléments de sens. Pour bien comprendre ce qu’il regroupe, laissons la parole à ceux qui le
vivent, à travers des verbatim recueillis lors de nos interventions.
Pêle-mêle, un agent de la SNCF : « J’aime le travail bien fait. Je me donne jusqu’au bout pour que
ça se passe bien. En situation de crise, je sais mouiller la chemise, mais c’est aussi vrai au quotidien.
Il y a une grande fierté du métier. » Un DRH de BNP Paribas : « L’enquête d’opinion des salariés a
montré que le premier facteur d’engagement de nos collaborateurs résidait dans leur confiance dans
la stratégie du groupe et dans ses dirigeants. » Un comptable de Danone : « La mission du groupe,
c’est d’apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre. Et je suis fier de ce que nous
faisons pour ça dans certains pays. » Un dirigeant de la Caisse des dépôts : « Ceux qui travaillent ici
sont animés par la notion d’intérêt général. C’est dans notre génétique. Certains financiers
pourraient gagner beaucoup plus dans le privé. »
Là aussi, le lien avec la stratégie est direct. Ce qui, sous l’angle RH, est facteur de sens et
d’engagement, peut aussi être un élément constitutif de la stratégie. Nous avons en effet vu dans le
chapitre 1 que la stratégie peut être formalisée en précisant la mission de l’entreprise, sa vision, ses
valeurs et son métier. Lorsque ces éléments sont animés comme des facteurs de sens au quotidien, la
dimension émotionnelle de l’identité employeur est alors alignée sur cette stratégie.
Les entreprises qui ont l’identité employeur la plus différenciante sont celles qui réussissent à la
faire vivre au quotidien en combinant ces deux dimensions, rationnelle et émotionnelle.

Deux propositions de valeur


En définissant l’identité employeur, nous avons mis en évidence ce que peut être la « promesse
collaborateur » de l’entreprise. Nous avions traité dans le chapitre précédent ce qu’est une
proposition de valeur client. L’entreprise parlera aussi de « promesse client. » Sa formalisation est
l’acte fondateur d’une activité économique, l’utilité pour le client servant alors de focus à
l’ensemble de l’action. Le parallèle est intéressant à faire entre ces deux promesses.
Certains chercheurs en stratégie, plutôt que de tenter de formaliser les éléments de différenciation
de l’entreprise par rapport à ses concurrents, essaient aujourd’hui de décrypter sa cohérence
spécifique, son « identité business » ainsi qu’ils le formulent. Identité business, identité employeur,
le rapprochement des termes est là aussi révélateur.
Déjà cité, Denis Dauchy[2] formalise la relation entre ces deux dimensions : « Idéalement, tant la
promesse client que la promesse collaborateurs doivent révéler le modèle d’affaire. Une
communauté ou un parallèle entre les deux propositions peuvent exister, source de construction du
caractère unique et cohérent du business model. »
Cette articulation entre les deux dimensions a sa traduction dans le quotidien de l’entreprise, à
travers les comportements développés en direction des collaborateurs d’une part, des clients d’autre
part. « Pourquoi un client serait-il transparent avec un partenaire potentiel comme nous si cette
entreprise ne faisait pas suffisamment confiance à ses employés en étant transparente avec eux ? »
exprime Vineet Nayar[3], PDG de HCL Technologies. Cette illustration sur la confiance et la
transparence peut être élargie à d’autres comportements, les collaborateurs de l’entreprise
reproduisant naturellement dans les contacts qu’ils ont avec les clients les modes relationnels qui
sont déployés en interne : la relation est-elle personnalisée ? Y a-t-il de la réactivité ? Quelle
accessibilité pour les autres ? Le contact est-il basé sur l’écoute, sur l’empathie ?
Plus largement, c’est tout l’enchaînement de la création de valeur qui peut être regardé d’un œil
nouveau à travers cette approche. En travaillant sur une proposition de valeur collaborateur
cohérente avec la stratégie, l’entreprise créera plus de valeur pour le client. La validité économique
du business model permet de transformer cette valeur en valeur pour l’actionnaire. Nous sommes
donc là dans une approche intégrée où les intérêts des trois acteurs que sont le collaborateur, le
client et l’actionnaire sont convergents et réconciliés.
La première partie de ce chapitre nous a donc permis d’examiner comment ces propositions de
valeur peuvent être alignées, notamment en construisant une identité employeur solide à partir de la
stratégie. Les développements suivants visent à présenter comment aligner chacune des deux
dimensions qui doivent être travaillées pour transformer une entreprise : son organisation et ce qui
en découle d’une part, sa culture d’autre part.

Transformer l’organisation, les effectifs et les compétences


Les travaux d’Alfred Chandler[4] ont mis en évidence dès les années soixante le lien entre la
stratégie d’une entreprise et sa structure. L’évolution de la structure y est abordée comme élément
clé de la mise en œuvre de la stratégie. Mais Chandler souligne aussi que la structure de l’entreprise
peut contrecarrer le déploiement de sa stratégie. Et pourtant les entreprises dans lesquelles la
structure n’est pas alignée sur les choix stratégiques et où elle freine leur mise en œuvre sont
nombreuses.
L’organisation ne se limite pas à la structure, et encore moins aux organigrammes dont chacun sait
qu’ils ne sont que la partie la plus formelle, et parfois déformée, des modes de fonctionnement réels.
Ce sont aussi ses systèmes organisationnels, formels et informels, qui permettent à l’entreprise de
vivre au quotidien en définissant les mécanismes de contrôle mis en œuvre. Lorsque l’entreprise
travaille sur l’alignement de son organisation sur ses choix stratégiques, elle se doit d’aborder ces
questions de manière complète, comme recouvrant l’ensemble de ses modes de fonctionnement
effectifs. Quelle base pour construire les entités ? Quel arbitrage entre les logiques métiers et les
logiques clients ? Quels mécanismes de coordination ? Quelle longueur de la ligne managériale ?
Quel contrôle sur les moyens et les résultats ?
La diversification des stratégies et des business models qui les sous-tendent élargit le champ des
réponses possibles en matière d’organisation. Pour ne prendre qu’un exemple, une stratégie basée
sur une différenciation de l’entreprise sur sa capacité à répondre vite au client ou à formuler des
solutions ad hoc à ses demandes conduira à adopter un fonctionnement en réseau, à développer le
travail en mode projet et à animer sur les résultats plus que sur les étapes intermédiaires.

Témoignage
Stéphane Regnault, président du directoire de Vygon

L’activité de Vygon est la production et la commercialisation de matériel médico-


chirurgical à usage unique. Son actionnariat est familial. L’entreprise a réalisé un chiffre
d’affaires de 250 millions d’euros en 2011, avec un effectif de 1 850 salariés.
« Le positionnement de Vygon sur ses marchés s’appuie en premier lieu sur la qualité des
produits et du service apportée aux clients, avec une forte capacité à faire évoluer les
produits. Cette approche fait que nous ne sommes pas engagés dans une bataille des prix
avec nos concurrents. Elle est le résultat d’une stratégie d’opportunités et a donné des
résultats probants, avec un chiffre d’affaires qui a doublé dans la dernière décennie.
Pour ce qui est de l’avenir, Vygon vient de formaliser sa vision à dix ans. Nous avons pour
objectif de doubler à nouveau notre chiffre d’affaires à cette échéance, tout en restant une
société indépendante et familiale et en capitalisant sur nos valeurs humaines. Ce
développement des dix ans à venir, nous ne pourrons le réaliser en nous limitant à nos
territoires habituels, Europe et Amérique du Nord. Il y a donc un enjeu majeur à
poursuivre notre internationalisation et à construire un groupe structuré autour de cet
enjeu. Sachant que nous voulons maintenir l’équilibre entre une approche globale et notre
présence locale, afin de bénéficier à la fois de la force de notre stratégie et de notre
capacité à l’adapter de façon souple et agile aux besoins des différents marchés.
Il y a trois ans, nous avions modifié notre organisation, déjà pour faciliter notre
développement international. Chaque membre du Directoire, quelle que soit sa
responsabilité fonctionnelle, s’était vu confier en addition une responsabilité de suivi
d’une zone géographique. Que ce soit le DAF, le DRH, le directeur du marketing, etc.,
chacun était devenu en addition Area Development Manager, avec la responsabilité
hiérarchique des patrons de pays.
Nous avions pour objectif avec cette organisation de développer les synergies entre les
filiales, ainsi qu’entre filiales et services groupe, de renforcer la convergence de ce qui
était réalisé dans les filiales avec la stratégie du groupe, tout en préservant leur autonomie,
et d’assurer une meilleure prise en compte des informations des filiales. Il ne s’agissait
donc pas seulement d’un changement de structure, mais plus largement d’une
transformation de nos modes de fonctionnement. En parallèle, nous avons construit la
direction du marketing international et développé la coordination des usines.
Cette organisation correspondait à notre stratégie à un stade de notre développement. Elle
a permis de donner aux filiales un meilleur accès au groupe, avec un avocat de chaque
territoire au Directoire. Elle a donné aux membres du Directoire dont l’approche pouvait
dans certains cas être marquée par leur domaine d’expertise une vision approfondie du
business et des clients. Elle nous a donc aidés à prendre de meilleures décisions.
Dans la période qui s’ouvre, mettre en œuvre notre vision suppose d’aller plus loin en
matière d’organisation, notamment pour poursuivre et accélérer notre internationalisation.
Assumer à la fois une responsabilité fonctionnelle et géographique devient compliqué
avec notre rythme et nos ambitions de développement.
En effet, pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés à dix ans, nous devons
nous développer dans de nouveaux pays. Et l’organisation actuelle ne le permet pas. Nous
voulons anticiper avant qu’elle ne montre ses limites.
Nous allons donc nous organiser différemment, avec une vraie approche matricielle : sur
une dimension de la matrice, les fonctions régaliennes. Sur l’autre, des Area Development
Managers qui seront dédiés à cette fonction et pourront aller beaucoup plus loin dans
l’accompagnement des pays que nous ne le faisons jusqu’ici. De nouvelles zones pourront
être développées.
En parallèle, le rôle des fonctions régaliennes sera renforcé, avec par exemple la mise en
place d’une démarche ABC sur la maîtrise des coûts et des projets sur la marque
employeur et sur la gestion des potentiels, sur laquelle nous devons progresser. »

Certains pourraient s’étonner de voir ces questions d’organisation abordées dans un ouvrage
traitant de ressources humaines. Et effectivement, entre le métier de DRH tel qu’il est pratiqué dans
les pays anglo-saxons et celui mis en œuvre dans nos entreprises, il existe une différence
fondamentale : la responsabilité première des DRH américains, britanniques ou canadiens porte sur
l’organisation. Une grande partie de leur activité est centrée sur l’amélioration des modes de
fonctionnement effectifs de l’entreprise. Alors qu’en France, le DRH est rarement sollicité sur les
questions d’organisation. Il l’est dans les situations de restructurations, mais celles-ci ne sont que la
partie aval de choix d’organisation préalables auxquels il n’est pas systématiquement associé. Il
aborde également ce terrain à travers la GPEC, puisque l’organisation ciblée conditionne les métiers
futurs. Mais l’organisation est alors souvent appréhendée comme invariante. Les questions
d’organisation peuvent aussi être évoquées en matière de gestion des parcours : elles fournissent le
cadre des évolutions futures. Même là, il est révélateur que ces projections se matérialisent dans le
cadre de people reviews et non d’organisation & people reviews.
Pourquoi est-il important que la fonction RH investisse ce terrain ? D’abord parce que quand elle
ne le fait pas, ces questions sont mal traitées, alors que la mise en œuvre de la stratégie de
l’entreprise est conditionnée par la qualité de ses choix organisationnels.
Par ailleurs, trois enjeux RH sont conditionnés par les décisions de l’entreprise en matière
d’organisation. Le premier est celui du bien-être au travail, versant positif des « risques
psychosociaux », qui impacte de plus en plus la performance individuelle et collective via cette
variable intermédiaire qu’est l’engagement. Les entreprises sont désormais conscientes des
déterminants organisationnels du bien-être au travail et ne se limitent plus à une approche
psychologisante. Second enjeu, celui des coopérations entre les personnes, les fonctions, les
équipes, les entités. Le fonctionnement en silos est l’héritage direct des choix organisationnels
anciens de l’entreprise. Alors que le partage et de la diffusion des informations et connaissances au-
delà des frontières organisationnelles devient un passage obligé. Enfin troisième et dernier enjeu, le
contenu des métiers et des parcours entre ces métiers, qui sera travaillé de façon pertinente si les
questions d’organisation ont été traitées au préalable.
Les entreprises dans lesquelles les responsabilités de la DRH en matière d’organisation sont
reconnues restent des exceptions : c’est le cas de Danone depuis longtemps ou de Kiabi dans la
période plus récente. Ces groupes combinent alors souvent dans un même service organisation et
développement des compétences.
Si le praticien RH est convaincu de la nécessité d’investir ce terrain, reste la question de la
démarche à adopter. Le point de départ doit être constitué par la stratégie de l’entreprise, avec une
question : de quelle organisation, de quels modes de fonctionnement avons-nous besoin pour
pouvoir mettre en œuvre notre stratégie ?
Transformer l’organisation, ce n’est pas travailler en premier lieu sur les métiers au sein des
grandes fonctions, qui sont autant de silos verticaux construits autour de logiques internes. Mais
c’est adopter une approche horizontale, centrée sur les processus transversaux qui créent de la
valeur pour le client. L’analyse de ces processus permettra de reconfigurer les activités de
l’entreprise. Le travail sur le périmètre et le contenu des métiers n’en sera ensuite que plus pertinent.
C’est en combinant ainsi une approche de type processus, historiquement plutôt portée par les
directions stratégie ou qualité, et son approche classique des métiers que la DRH apportera une
valeur ajoutée.
Mener ce chantier en capturant les « pourquoi » des changements d’organisation permettra ensuite
de leur donner du sens. Tout en gardant à l’esprit que de nombreuses entreprises ont appris à leurs
dépens qu’il valait mieux une organisation imparfaite incarnée par des collaborateurs engagés que
des réajustements répétés générant inquiétude et démotivation.
En lien avec cet impératif d’alignement de l’organisation sur la stratégie, l’entreprise est aussi
confrontée à des questions sur ses effectifs, ses compétences et leur affectation. Nous passerons
rapidement sur la question des effectifs, tant il est évident que ceux-ci doivent être dimensionnés
aux ambitions stratégiques de l’entreprise.
Autre chose est l’allocation des ressources en fonction des priorités stratégiques. La question de
l’évolution des effectifs est souvent traitée au moment de l’élaboration des budgets. Chaque entité
établit ses propositions à partir des évolutions attendues dans son activité lors de l’année suivante.
Se limiter à cet exercice d’ajustement présente deux limites : d’une part, les arbitrages ne sont pas
toujours basés sur les priorités de développement de l’entreprise, chacun négociant pour son
territoire. D’autre part, en étant réalisé en glissement, l’exercice n’aide pas aux remises en cause.
Certaines entreprises parviennent à dépasser ces difficultés et à redéfinir le dimensionnement en
ressources et en effectifs de leurs différentes entités en travaillant en « base zéro ». L’organisation
future n’est plus travaillée en procédant seulement à des ajustements de la réalité actuelle, mais en
partant des priorités stratégiques d’une part, de la feuille blanche d’autre part : « Si nous devions
tout reconstruire à partir de rien, où affecterions-nous les moyens en priorité pour qu’ils permettent
la mise en œuvre de notre stratégie ? »
En parallèle de cette approche essentiellement quantitative, l’entreprise doit aussi traiter
l’adaptation plus qualitative de ses métiers et de ses compétences aux besoins stratégiques. Dispose-
t-elle aujourd’hui, disposera-t-elle aux différentes échéances de son plan stratégique des
compétences qui permettront de le mettre en œuvre ? Les projets de gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences sont parfois les seuls à travers lesquels la fonction RH aborde le terrain
de la stratégie. Puisque, rappelons-le, « la GPEC est une gestion anticipative et préventive des
ressources humaines, fonction des contraintes de l’environnement et des choix stratégiques de
l’entreprise[5] ».
Nous n’allons pas détailler ce que recouvre une démarche de GPEC bien menée. Mais il est utile
de rappeler que les projections quantitatives et qualitatives construites dans ce cadre par l’entreprise
sur ses métiers, ses compétences et ses effectifs doivent avoir pour premier déterminant ses choix
stratégiques. Dans de nombreux pays, cette articulation relève de l’évidence puisque les démarches
de cette nature sont initiées à l’occasion du travail réalisé sur la stratégie. Les Anglo-Saxons parlent
de strategic workforce planning, qui n’est qu’un volet du strategic planning, la planification
stratégique.
Or, certaines entreprises françaises ont une difficulté avec cette articulation. En imposant aux
entreprises d’au moins 300 salariés une obligation d’engager tous les trois ans une négociation sur la
GPEC, le législateur a contribué à ce que de nombreuses organisations s’engagent sur ce terrain.
Mais cela a un effet pervers quand la GPEC devient un objet de relations sociales avant d’être un
objet stratégique. Que les entreprises veuillent limiter la contrainte que représente l’obligation de
négocier, qu’elles doivent répondre à une attente des organisations syndicales qui porte en premier
lieu sur les effectifs, qu’elles soient soucieuses de ne pas trop s’avancer avec elles sur le terrain de la
stratégie, ou qu’elles en fassent au contraire une opportunité pour alimenter le dialogue social, le
prisme des relations avec les partenaires sociaux peut devenir dominant pour aborder ce terrain de la
GPEC. Les entreprises se privent alors d’un levier sans égal quant à l’alignement de la dimension
RH sur la dimension stratégique.
Cette approche sur les compétences ne serait pas complète sans évoquer la constitution de viviers
par l’entreprise, à travers l’identification et le développement de ses talents. Dans la mise en œuvre
de sa stratégie, l’entreprise sera confrontée à des accélérations de son développement, elle prendra
conscience de ses savoir-faire spécifiques, elle devra faire face aux pénuries de compétences.
L’existence de viviers lui permettra d’y répondre avec l’agilité nécessaire.

Faire évoluer la culture


À côté des questions organisationnelles, une autre dimension doit être travaillée par l’entreprise :
sa culture. Maurice Thévenet la définit comme « un ensemble de références partagées dans
l’entreprise, consciemment ou pas, qui se sont développées tout au long de son histoire[6] ».
Comment s’articulent culture et stratégie ? Une partie de la réponse à cette question réside dans
leurs différences de temporalité. La stratégie s’inscrit généralement dans un horizon de temps de
trois ou cinq ans, qui peut aller jusqu’à dix ans. La culture, construite tout au long de l’histoire de
l’entreprise, se positionne naturellement sur des horizons de temps plus longs. Une autre différence
en découle, sur la profondeur de leur ancrage et donc la facilité à les transformer. Certes la stratégie
doit être portée par tous. Pour autant, l’entreprise peut décider d’en changer radicalement et vite. La
tâche est moins aisée pour la culture. Ces éléments font que c’est bien la mise en œuvre de la
stratégie qui s’inscrit dans un environnement constitué notamment par la culture de l’entreprise, et
non le contraire.
Cette articulation explique que certains traits de la culture puissent devenir une contrainte dans la
mise en œuvre de la stratégie. La force de la culture de certaines entreprises fait que celles-ci ont
naturellement tendance à reproduire ce qui a fonctionné dans les périodes antérieures. En utilisant
les mêmes schémas de pensée implicites, en adoptant spontanément des réponses familières, en
figeant les comportements, en mettant en œuvre des routines sans même penser à les questionner.
L’entreprise va s’enfermer sur une trajectoire. Les auteurs en stratégie parleront de « dépendance de
sentier » pour évoquer ce conditionnement.
Cette réalité explique un certain nombre d’échecs stratégiques. Unilever a acquis en 2000 Amora,
autrefois propriété du groupe Danone, en voulant capitaliser sur l’agilité stratégique de cette marque
et la diffuser à l’ensemble du groupe. Mais quelques années plus tard, c’est bien la culture de
recherche permanente du consensus existant depuis des décennies chez Unilever qui a eu raison du
positionnement stratégique d’Amora.
La réussite de la mise en œuvre d’une stratégie, a fortiori si elle est novatrice par rapport à la
période précédente, suppose donc que l’entreprise soit capable d’analyser sa culture, puis
d’identifier pour les faire évoluer les caractéristiques de cette culture qui pourraient constituer des
freins.
Analyser la culture, donc en la décrivant de manière explicite et en identifiant ce que sont parmi
ses caractéristiques celles qui constituent un atout pour la mise en œuvre de la stratégie et celles qui
représentent un handicap. Cet exercice doit s’appuyer sur une démarche rigoureuse et approfondie
permettant d’éviter les risques de simplification excessive[7]. Rares sont les organisations qui se
prêtent à l’exercice de façon complète. Le réaliser n’est pas simple. En accepter les résultats l’est
encore moins. Se combinent pour l’entreprise les difficultés à prendre du recul sur ce qu’elle est et à
accepter le regard critique. Je garde un souvenir douloureux de la réaction de cette entreprise dont
j’avais analysé la culture. Dans l’ensemble des caractéristiques que j’avais identifiées, une
constituait un handicap : l’entreprise adoptait systématiquement des comportements très masculins,
ceci alors que 60 % de ses clients étaient des femmes. La réaction de mes interlocuteurs fut violente,
avec un déni complet. Quelques mois plus tard, l’entreprise recevait en une seule journée 6 000
appels de clientes mécontentes : dans le catalogue qu’elle venait de diffuser massivement, sur une
vingtaine de photos de personnes en situation d’utilisation de ses produits, une seule femme
apparaissait.
Une fois la culture décrite et analysée, la seconde étape va consister à transformer les
caractéristiques de cette culture qui pourraient handicaper la mise en œuvre de la stratégie. Il s’agit
de rendre possible et de faciliter ce qui à défaut butterait sur ces freins. Cette transformation d’un
trait culturel nécessite un travail de fond, parfois de longue haleine. Avec deux facteurs clés de
réussite : travailler les réponses avec les intéressés, le faire en les confrontant au concret.
Quelles sont les principales évolutions de leur culture recherchées aujourd’hui par les entreprises ?
Nombreuses sont celles qui souhaitent développer l’orientation client de leurs collaborateurs. Au-
delà d’un discours omniprésent sur la satisfaction du client, les cultures d’entreprise sur cette
dimension et les pratiques effectives qui en découlent sont de qualité très différente. Être centré sur
la satisfaction client, faire passer sa fidélisation avant le gain commercial immédiat est pourtant un
levier extraordinaire. Quand, dans un secteur donné, une entreprise fait au quotidien la différence
avec ses concurrents sur la qualité du service au client, elle en tire des bénéfices durables.
Cette transformation est plus facile à mener dans les entreprises qui peuvent s’appuyer sur une
interface très développée avec les clients, comme dans le secteur de la distribution où une large
majorité des collaborateurs est en contact permanent avec les clients. Ainsi des enseignes aussi
différentes que Lacoste et Chantelle ont-elles dû travailler cette dimension : dans les deux cas, leur
historique de fabricant et non de distributeur avait contribué à centrer la culture de l’entreprise sur le
produit plus que sur le client.
L’enjeu est de rendre le client final visible pour tous, de mettre en évidence l’impact client de
chaque action ou projet, d’utiliser systématiquement les feedbacks des clients pour progresser.
Europcar et The Phone House ont fortement développé cette culture client dans la dernière période
en mobilisant leurs collaborateurs pour interroger les clients sur la qualité du service apportée, avec
une démarche « Net Promoter Score. »
Le développement d’une culture centrée sur la satisfaction du client peut contribuer à traiter
plusieurs dérives. Celle de l’entreprise conflictuelle, dans laquelle les représentations mentales du
corps social sont basées sur des antagonismes : l’introduction du client final comme acteur majeur
permet de transformer le climat social. Celle de l’entreprise lourde, centrée sur ses processus et
techniques internes : l’introduction du client final comme acteur majeur permet de la
débureaucratiser. Celle de l’entreprise au fonctionnement très politique, centrée sur ses enjeux de
pouvoirs et de territoires : l’introduction du client final comme acteur majeur permet de réorienter
ses modes de fonctionnement.
Autre transformation culturelle majeure impulsée par de nombreuses entreprises : le renforcement
de la culture de performance. Certes, toutes les entreprises recherchent la performance. Pour autant
le sens du résultat est plus ou moins bien intégré selon les organisations. Une entreprise comme
RTE, Réseau de transport d’électricité, a radicalement transformé sa culture sur cette dimension en
quelques années. L’entreprise a enrichi sa culture métiers d’une dimension forte de recherche de la
performance, sans tensions sociales ni pression sur ses agents.
L’entreprise peut aussi vouloir internationaliser sa culture, notamment lorsque son développement
passe par la dimension internationale. Nous y reviendrons à la fin de ce chapitre.
Ces trois transformations de la culture, orientée client, centrée sur la performance,
internationalisée, se révèlent parfois indispensables pour que la stratégie de l’entreprise puisse être
mise en œuvre.
Abordons maintenant les démarches d’alignement qui concernent les trois acteurs de l’entreprise
dont le rôle est majeur dans ce déploiement de la stratégie, avec les différences d’enjeux et de
perceptions qui existent entre eux : le collaborateur tout d’abord, le manager ensuite et le praticien
RH enfin.

De l’activité individuelle des collaborateurs


Pourquoi traiter l’individuel alors que notre approche a jusqu’alors plutôt porté sur la dimension
globale ? N’y a-t-il pas antagonisme entre une approche collective de mise en mouvement du corps
social et une action qui serait centrée sur l’individu ? Les débats qui agitent à nouveau le monde de
l’entreprise depuis deux ou trois ans sur cette opposition entre individuel est collectif ont parfois un
caractère simpliste.
Le débat sur la dimension collective ou individuelle de la GRH paraissait avoir été tranché en
faveur de l’individualisation dans les années quatre-vingt-dix, notamment en matière de gestion de
la performance. Le focus mis sur la gestion d’une population très réduite de talents, la mort déclarée
du projet d’entreprise et de la notion d’engagement envers l’entreprise : tout allait dans ce sens.
Effectivement, quoi de plus positif que la gestion individuelle des ressources humaines puisqu’elle
permet la prise en compte de la personne et de son apport effectif à la performance de l’entreprise,
mais aussi la valorisation des différences ? Elle répond une aspiration croissante chez les personnes,
particulièrement chez les plus jeunes, celle de l’équité, avec la volonté d’être reconnu en fonction de
sa contribution : « Je ne veux pas être géré comme la partie d’un tout ! »
Pourtant, quoi de plus négatif que la gestion individuelle des ressources humaines quand elle
conduit à mettre en concurrence des collègues de travail, quand elle renforce la pression sur les
personnes et donc le stress, ou quand la différenciation entre les personnes se fait sur des bases
subjectives (« la note de gueule ») ? Rejetée par les organisations syndicales, elle l’est aussi par les
salariés lorsqu’elle ne respecte pas les personnes et brise le lien social et les coopérations. Sa mise
en œuvre maladroite dans certaines grosses structures publiques cherchant à se réformer a contribué
à discréditer jusqu’à la notion même de performance. Dans d’autres organisations, cette approche a
conduit à faire exploser les risques psychosociaux.
Par ailleurs, quoi de plus positif que la gestion collective des ressources humaines lorsqu’elle
renvoie à un projet partagé, à une vision et à une aventure vécue en commun, qu’elle est porteuse de
sens ? Elle contribue à développer la transversalité dans l’entreprise et les coopérations internes,
vécues aujourd’hui par de multiples entreprises comme le facteur clé de réussite. Des groupes
comme Banque Accord, Leroy-Merlin ou Roquette Frères, qui ont travaillé leur vision, leur mission
ou leurs valeurs en associant leurs salariés, le savent bien.
Mais quoi de plus négatif que la gestion collective des ressources humaines si elle conduit à nier
les différences, à gérer l’ensemble des salariés à l’identique et donc à entretenir les organisations
bureaucratiques que les Trente Glorieuses nous ont léguées ? D’autant que cette gestion collective
peut aussi conduire à la manipulation et à une dérive de type sectaire, comme l’illustrent certaines
entreprises à la culture écrasante.
Alors, individuelle ou collective, la GRH qu’il nous faut construire demain ? Refusant d’opposer
les deux approches, certaines entreprises tentent une synthèse. D’une part, elles travaillent à la
personnalisation de leur GRH, en veillant à objectiver les approches mises en place. D’autre part,
elles veillent à inscrire cette personnalisation dans un projet collectif que les salariés ont élaboré
ensemble.
Cette démarche revient à positionner la performance d’un collaborateur comme contribution à un
projet partagé. Elle répond à la fois à la volonté d’équité et au besoin de sens. Elle est donc efficace
sur le plan humain, mais aussi sur le plan économique.
Figure 4 Les dimensions individuelle et collective de la GRH
Ces éléments posés, revenons à l’alignement de l’activité individuelle des collaborateurs sur la
stratégie. La logique est assez simple : c’est parce que chacun dans l’entreprise atteindra des
objectifs individuels définis en déclinant sur plusieurs exercices les objectifs stratégiques que ces
derniers seront réalisés. La gestion de la performance individuelle est alors abordée comme élément
clé de la mise en œuvre de la stratégie.
L’entreprise met en œuvre une démarche de cascading dans la définition des objectifs individuels.
À chaque niveau de responsabilité, les objectifs d’un collaborateur sont déterminés à partir des
objectifs du niveau qui se situe au-dessus dans l’organisation, dans une logique descendante.
Cette façon de procéder suppose que l’entreprise ait au préalable répondu à deux besoins :
communiquer largement une stratégie claire et mettre en place un processus organisé de déclinaison.
Solliciter le collaborateur dans la définition de ses objectifs individuels en lui demandant de
proposer lui-même ce que peut être « sa contribution » aux objectifs stratégiques permet de
renforcer l’appropriation de ces objectifs individuels.
Dans ce cas, le collaborateur, quelle que soit sa responsabilité dans l’organisation, va intégrer la
nécessité de cohérence de ces objectifs avec la stratégie d’ensemble. Il validera avec son manager
comment son activité contribue à l’atteinte des objectifs du niveau supérieur et donc à la mise en
œuvre de ce projet d’ensemble.
Les entreprises qui déploient une telle démarche de définition des objectifs individuels y trouvent
deux avantages. D’une part elle facilite l’intégration de la stratégie par chaque collaborateur, du fait
de la vertu pédagogique d’une réflexion sur sa propre contribution à cette stratégie. D’autre part, et
c’est bien sa finalité, elle favorise la convergence et la recherche de cohérence.
Pour autant, l’approche peut démontrer des limites importantes : il suffit qu’un des maillons soit
défaillant pour que les résultats d’ensemble ne soient pas au rendez-vous. De plus, les facteurs
externes impondérables intervenant durant l’année et les réalignements qui en découlent ne sont pas
simples à gérer.
L’expérience montre que ces limites peuvent être dépassées. Plutôt que promouvoir un processus
normé, l’entreprise doit alors introduire du sens dans cette démarche, faire comprendre sa logique
plutôt que la mettre en œuvre de façon mécanique. Avoir compris et intégré les pourquoi permettra à
chacun faire preuve d’intelligence des situations.
Cette intelligence des situations renvoie d’ailleurs lorsqu’elle est intégrée à tous les niveaux de
l’organisation au thème de l’agilité stratégique, l’entreprise faisant alors preuve de flexibilité dans la
mise en œuvre de sa stratégie.

Des pratiques de management


De nombreuses entreprises font le constat que leurs pratiques de management des personnes et des
équipes sont défaillantes. Les dirigeants de l’entreprise estiment que leurs positions ne sont pas
suffisamment relayées. Les collaborateurs expriment leur mécontentement vis-à-vis de leur
manager. La mauvaise qualité de la relation avec le manager constitue d’ailleurs d’après de
nombreuses enquêtes la première cause de démission. Quant aux managers eux-mêmes, souvent
promus à des fonctions d’encadrement sur la seule base de leur expertise métier, ils peuvent avoir le
sentiment d’être pris entre le marteau et l’enclume.
Face à cette situation, l’entreprise n’a parfois pour seule réaction que de mettre en place des
formations standardisées pour ses managers, quand elle ne se contente pas de les inscrire à des
modules interentreprises. En arrière-plan de cette approche, même s’il est rarement explicité, figure
un postulat : il y aurait des bonnes pratiques de management, à caractère universel, valables quelle
que soit l’entreprise.
Un exemple suffit à invalider cette approche. Une entreprise comme Orangina-Schweppes a fait
de l’autonomie de ses collaborateurs, à tous les niveaux de l’entreprise, un facteur clé de sa réussite
sur ses marchés, à travers la rapidité et l’agilité que cette autonomie confère. Ce qu’elle attend donc
de ses managers, c’est qu’ils accompagnent cette montée en autonomie chez leurs collaborateurs,
puis qu’ils leur laissent les marges de manœuvre leur permettant de prendre des initiatives et d’agir
vite. Les collaborateurs sont animés par leurs managers sur leurs résultats, en aucun cas sur les
moyens et étapes intermédiaires. A contrario, une entreprise comme Décathlon a fait le choix, du
fait de son modèle économique et de son positionnement commercial, de recruter des débutants ne
connaissant pas le métier et de les faire suivre de très près par leurs managers, qui sont les premiers
acteurs du développement de leurs collaborateurs et accompagnent leur activité au quotidien sur le
terrain. Les collaborateurs sont animés par leurs managers sur les voies permettant d’arriver au
résultat, et pas seulement sur ce résultat. La comparaison entre ces deux modèles démontre que la
pratique managériale encouragée chez Orangina-Schweppes sera vécue chez Décathlon comme
abandonniste par le collaborateur et démissionnaire par l’entreprise. Et qu’a contrario, la pratique
managériale encouragée chez Décathlon sera perçue comme interventionniste et infantilisante chez
Orangina-Schweppes.
Quelles sont alors les pratiques de management à développer dans l’entreprise ? Là aussi, notre
réponse est sans équivoque : ce sont celles qui serviront la mise en œuvre de la stratégie. Il n’y a pas
de bon manager dans l’absolu. Il n’y a que des pratiques de management qui servent plus ou moins
bien le déploiement du projet de l’entreprise.
Ce sont donc les choix stratégiques de l’entreprise qu’il faut traduire en responsabilités confiées à
ses managers et en comportements attendus d’eux.
C’est parce que Lacoste voulait se repositionner comme un distributeur et non plus seulement
comme un producteur que le « sens du service client » a été intégré dans son référentiel de
management comme une compétence clé attendue du manager.
Le groupe PagesJaunes a vécu une véritable transformation du son business model, passant de
l’imprimé avec ses cycles longs, en concurrence avec la presse régionale, à internet et son
instantanéité, confronté à Google. Cette mutation, ainsi que la décentralisation des décisions et les
transformations des métiers qui en ont résulté, expliquent que l’entreprise attende désormais de
chacun de ses managers qu’il « décide, agisse et réagisse rapidement » et qu’il « accompagne ses
collaborateurs en difficulté ».
Europcar considère que son approche de la diversité est un des facteurs de différenciation sur ses
marchés. L’entreprise a donc formalisé la capacité à « valoriser et à prendre en compte la
contribution de chacun » comme une compétence essentielle chez ses managers.
Dans chacun de ces exemples, les compétences attendues du manager sont celles qui, mises en
œuvre, permettront à la stratégie de devenir opérationnelle. Ces référentiels fournissent tout d’abord
aux managers des repères concrets sur ce que l’entreprise attend d’eux, repères qui ont du sens par
rapport au projet stratégique. Chacun peut se positionner par rapport à cette cible, via une auto-
évaluation, une appréciation par le manager ou un 360°.
La DRH peut retravailler sur cette base les critères de recrutement externe et interne de ses futurs
managers. Elle dispose des éléments pour mettre en place les actions de développement qui
permettront à chaque manager de progresser : formations certes, mais aussi mises en situation,
accompagnements individualisés par le manager ou par un autre acteur, etc. Elle peut reconstruire sa
politique de détection des talents et plus largement de gestion des parcours.
Disposer d’une cible de ce type permet d’améliorer la qualité des pratiques de management. Ainsi,
dans une entreprise du secteur des assurances qui a mené une démarche de ce type en 2008, le taux
d’appréciations positives des collaborateurs sur le management est passé dans l’enquête d’opinion
interne de 43 à 71 % entre 2007 et 2010. Est-ce une coïncidence, cette entreprise affiche malgré la
crise un engagement record et une croissance sans pareil dans le secteur.
Plus largement, l’entreprise introduit ainsi de la cohérence entre les différentes politiques RH
appliquées à ses managers, mais aussi entre ces politiques et ses choix stratégiques. Elle alimente à
travers les pratiques de management au quotidien la mise en œuvre de sa stratégie.

Témoignage
Jean-Pierre Vauzanges, directeur général de la caisse régionale Charente-Périgord du Crédit
Agricole

Avec un effectif de 1 370 salariés, la caisse régionale Charente-Périgord du Crédit


Agricole réalise sur ses deux départements un Produit Net Bancaire de 240 millions
d’euros.
« Notre caisse régionale est engagée dans un projet de transformation ambitieux, que
traduit notre projet d’entreprise sur cinq ans : “Osons devenir différents !”
Leader sur nos deux départements, nous voulons conforter cette position en allant plus
loin dans la satisfaction et la fidélisation de nos clients. L’époque où la banque poussait
ses produits auprès de clients plus ou moins réceptifs est terminée. L’enjeu aujourd’hui,
c’est bien d’être en situation de répondre aux besoins et aux attentes de nos clients, actuels
et futurs. D’autant qu’en qualité d’entreprise régionale et mutualiste, nous avons une
responsabilité forte dans le développement des territoires sur lesquels nous intervenons :
c’est aussi bien le financement de la future Ligne à Grande Vitesse que le projet
immobilier d’un de nos clients ou l’accompagnement financier des entreprises implantées
ici.
Ce service que nous construisons au quotidien, dans une relation de proximité, ne peut
plus être basé comme par le passé sur des normes et des procédures. La réalité quotidienne
de nos clients est trop riche et diverse pour que nous puissions y répondre autrement que
par la prise d’initiative et la responsabilité de chacun dans l’entreprise.
Et faire vivre ce projet d’entreprise passe notamment par le fait d’aligner nos pratiques de
management à tous les niveaux sur cette ambition.
Le manager de la caisse régionale, qu’il soit directeur d’agence ou responsable d’une
équipe au siège, est d’abord un entrepreneur. Nous attendons de lui qu’il assume ses
responsabilités en construisant des solutions, qu’il s’approprie les enjeux en faisant preuve
de curiosité et d’ouverture sur son environnement. C’est parce qu’il est le patron
autonome de son activité qu’il peut faire preuve d’esprit de conquête, en partageant avec
son équipe cette passion du territoire qui nous anime et en la mobilisant sur l’atteinte du
résultat.
Le manager de la caisse régionale est aussi caractérisé par son orientation client. Même si
l’accès à la banque est multiforme et si certains métiers sont éloignés physiquement du
client, le manager fait le lien au quotidien entre son métier et ce que vit le client. Il anime
ses collaborateurs sur cette attention au client : c’est en s’intéressant aux personnes et à
leur projet de vie que ses collaborateurs mettent en évidence les besoins auxquels ils
pourront répondre, dans leurs différents métiers. Le manager anime ses collaborateurs de
manière à ce qu’ils soient proactifs et multiplient les initiatives. La recherche de
l’efficacité telle que perçue par le client devient l’aiguillon permanent de leur action et de
leur montée en expertise.
Le manager de la caisse régionale est attentif à son collaborateur. Combinant exigence et
bienveillance, il met en œuvre un accompagnement différencié, sachant aussi bien
reconnaître et valoriser la performance individuelle que traiter les insuffisances en
s’appuyant sur des éléments concrets. Outre sa responsabilité d’organisation et
d’animation de l’activité de ses collaborateurs, il les fait grandir en compétence et est
moteur dans leur carrière : nous sommes dans un métier de service et c’est la compétence
effectivement mise en œuvre par chacun qui fait la différence.
L’ensemble des compétences attendues des managers ont été formalisées dans un
référentiel. Prenons les directeurs d’agence : chacune de ces compétences est traduite en
situations qui sont observables dans son quotidien. Et c’est parce que les compétences de
nos managers sont en ligne avec l’ambition de notre projet d’entreprise que nous
réussissons sa mise en œuvre. Il fallait juste oser. »

Des priorités RH
Quel est le déterminant premier des priorités RH de l’entreprise ? Ces dernières années, en France,
le législateur a traduit tout élément du débat public concernant le monde du travail en obligation de
négocier. Du fait de ces interventions répétées et sous l’impact de notre héritage social, les relations
sociales peuvent peser très lourd aujourd’hui, dans certaines entreprises. Au point que l’ensemble
des activités RH semblent parfois subordonnées à ce terrain. Tout sujet RH est alors en premier lieu
un objet de relations sociales qu’il convient de traiter dans le cadre de la négociation. Il s’agirait
dans ces organisations du passage obligé pour assurer la paix sociale, comme si ne cohabitaient dans
l’entreprise que les représentants de l’actionnaire et ceux des salariés, leurs mandants sagement
alignés derrière eux.
C’est oublier un peu vite l’acteur premier de l’entreprise : ses collaborateurs. Ce sont d’abord
leurs perceptions qu’il faut prendre en compte. C’est à leurs attentes qu’il faut répondre. Ce sont
leurs réalités quotidiennes qu’il faut faire évoluer. C’est leur adhésion et leur engagement qu’il faut
développer. Or les positions prises par les partenaires sociaux ne reflètent pas toujours ce que pense
le corps social de l’entreprise. De plus, ce n’est pas toujours parce que les partenaires sociaux auront
été convaincus que la perception du corps social évoluera. La crise de la représentation est réelle,
avec un décalage qui peut être fort entre perceptions des salariés et positions des partenaires
sociaux. Écartons toute ambiguïté : les organisations syndicales et les Institutions Représentatives
du Personnel doivent jouer leur rôle, tout leur rôle. Mais rien que leur rôle : elles ne peuvent se
substituer au corps social. De même que les relations sociales ne peuvent tenir lieu à elles seules de
politique RH.
C’est oublier également que les priorités ressources humaines peuvent contribuer à la mise en
œuvre de la stratégie de l’entreprise. Ce qui suppose que les projets et les investissements RH soient
choisis en fonction de ces choix stratégiques. La recherche d’alignement doit s’appliquer à ces
projets : chacun doit être sélectionné, puis mené de façon à alimenter la mise en œuvre de la
stratégie. Cette approche garantit que les projets ressources humaines qui ne concourent pas à la
mise en œuvre de la stratégie ne mobilisent pas en priorité les efforts et les moyens disponibles.
Un groupe comme Unilever demande chaque année à ses DRH de formaliser leurs priorités qui
découlent de la mise en œuvre sur l’année de la stratégie. A chaque objectif stratégique doit
correspondre un projet ou une pratique RH détaillée. L’exercice n’est pas toujours facile, mais il
facilite cet alignement.
Cet alignement des projets RH sur la stratégie est d’autant plus simple à réaliser que l’entreprise a
formalisé au préalable l’identité employeur qui découle de la stratégie. C’est alors cette identité
employeur qui peut servir de filtre aux projets RH que l’entreprise envisage de mener, ainsi qu’à ses
investissements dans ce domaine. J’ai décrit plus haut l’identité employeur de Schlumberger,
différenciante sur la qualité des parcours car découlant de ses objectifs de développement
géographique. Ce groupe continue chaque année à mener des projets pour renforcer cet atout :
révision régulière des politiques de mobilité mises en œuvre, développement de la compétence des
managers sur la gestion des parcours de leurs collaborateurs, montée en gamme des outils
d’accompagnement, etc.
À ce stade, nous avons traité pour l’essentiel dans ce chapitre de la déclinaison sur le plan humain
de la stratégie d’une business unit. Mais comme évoqué plus haut, la pensée stratégique s’attache
également à la corporate strategy, qui concerne un groupe dans sa globalité lorsque celui-ci est
composé de différentes activités. Son périmètre peut être fortement impacté lorsqu’il met en œuvre
une démarche d’internationalisation, d’acquisition ou d’alliance. Les développements qui suivent
visent à détailler comment accompagner sur le plan humain ces changements de périmètre.

Les projets stratégiques corporate


Le développement de l’entreprise peut passer par son internationalisation. Des cas de figure très
différents existent : l’entreprise purement nationale qui décide de s’implanter dans d’autres pays
pour y trouver des relais de croissance, celle qui voit son pays d’origine devenir une entité comme
les autres, celle qui est déjà très avancée dans son internationalisation et se pose la question
d’optimiser son fonctionnement, celle qui a intégré cette dimension internationale dès sa création,
de par la nature de son activité.
Comment accompagner sur le plan humain ce développement international ? La réponse à cette
question peut être structurée en croisant deux dimensions : d’une part la dichotomie déjà utilisée
dans ce chapitre entre culture d’un côté, organisation et compétences de l’autre, d’autre part la
distinction entre entreprise et individu.
Pour ce qui est de la culture, l’entreprise devra s’interroger sur l’articulation entre sa culture
d’entreprise et les cultures nationales. Les caractéristiques de sa culture sont-elles toutes
compatibles avec les cultures des pays où elle veut se développer ? Quel est le cadre culturel
commun qui doit être déployé partout et quelle est la marge de manœuvre laissée localement ? C’est
faute d’avoir travaillé en profondeur ces questions qu’aucun acteur français du secteur de la
distribution n’a réussi à s’implanter durablement sur le continent américain.
Au niveau individuel, il y a également un enjeu à ce que des collaborateurs de cultures différentes
parviennent à travailler ensemble. Tout ce qui a pu être développé en matière de management
interculturel est d’une grande richesse et d’une grande utilité pour tous ceux dans l’entreprise qui
sont un jour ou l’autre exposés à une culture différente de la leur.
Pour ce qui est de l’organisation, l’entreprise doit choisir son modèle, multinational, international
global, ou transnational, et le déployer. L’objectif de cet ouvrage n’est pas de détailler ces modèles
mais de souligner à ce stade l’importance de faire un choix éclairé par les déterminants stratégiques.
L’entreprise doit ensuite veiller à faire évoluer ce modèle en fonction de son développement
international. Vient par exemple un temps où il devient nécessaire de dissocier les services groupe et
ceux qui sont dédiés à la France qui devient un pays traité comme les autres.
Enfin, l’entreprise doit gérer les individus de manière à servir au mieux ce développement
international. Quels dispositifs contractuels de gestion des profils internationaux construit-elle, qui
soient à la fois attractifs pour les intéressés et optimisés économiquement ? Quel équilibre, en
fonction du développement du pays, entre les profils locaux et les internationaux ? Quelle gestion
des parcours ? Sur cette dernière dimension, au-delà des démarches classiques de people reviews
avec plans de succession, certaines entreprises ont mis en place une véritable démarche
d’anticipation de la réponse aux besoins de l’entreprise : « C’est parce que nous savons que nous
allons ouvrir en Russie en 2014 que nous avons recruté l’an dernier un trentenaire russe ayant déjà
exercé des responsabilités de general management. Il passe un an sur le terrain en France avant de
travailler au siège pour s’acculturer à l’entreprise, jusqu’à l’ouverture de la filiale russe, dont il
prendra la direction », me disait récemment un DRH d’un groupe de services.
Témoignage
Frédéric Thoral, directeur des ressources humaines de BNP Paribas International Retail
Banking
Premier groupe bancaire français, BNP Paribas a réalisé en 2011 un chiffre d’affaires de
42,4 milliards d’euros, avec un total de près de 200 000 collaborateurs. Au sein de la
banque de détail (BNP Paribas Retail Banking), les effectifs travaillant à l’international
représentent 70 % du global, dont 42 000 collaborateurs hors zone euro.
« Dans la zone euro, nos grandes banques de détail sont la France, l’Italie, la Belgique et
Luxembourg. L’internationalisation est assez récente, avec notamment l’Italie en 2006,
puis la Belgique et l’acquisition de Fortis en 2009. Dans ces marchés matures, nous
répondons sur le plan international à un enjeu d’ouverture vers de nouveaux clients
entreprise ainsi qu’à un impératif de présence d’une grande banque française pour des
clients européens qui s’implantent à l’international. Il s’agit donc aussi d’accompagner
nos clients dans leur propre développement international.
Hors zone euro, une démarche de déploiement très structurée a été mise en place, avec à la
fois des réseaux bancaires présents dans des pays matures comme les USA, en
développement (Turquie, Pologne) et émergents, auxquels s’ajoutent des partenariats. Les
pays en développement et émergents nous offrent une perspective de développement
importante, avec des populations peu bancarisées et des produits moins complexes.
Ce développement à l’international à BNP Paribas Retail Banking nous apporte donc des
relais de croissance, la possibilité d’accompagner nos clients à l’international, une
conquête de nouveaux marchés, qui nécessite cependant une plus grande attention aux
risques. Sur tous ces axes, le bilan de l’internationalisation réalisée ces dernières années
permet de dégager de très nombreux axes positifs.
La réussite de l’intégration des grandes acquisitions réalisées hors de France a notamment
reposé sur la rapidité de l’intégration, sur notre capacité à prendre vite des décisions, et
surtout sur la mixité des équipes. Ce n’est pas de la technique bancaire, mais une approche
humaine, d’abord et avant tout. C’est sur cette capacité à intégrer rapidement, en
s’appuyant sur toutes les énergies et les talents, à partir de notre modèle organisationnel et
business et de notre capacité d’adaptation aux contraintes locales que nous faisons la
différence.
En effet, chaque pays doit s’inscrire dans un cadre défini par le groupe, avec un modèle
d’organisation, des valeurs communes et de principes managériaux clairs et simples, une
gestion des risques et un contrôle conformité forts.
Par ailleurs, nos 2 200 seniors managers sont gérés selon les mêmes principes partout dans
le monde, au travers d’une évaluation commune. Enfin les politiques de rémunération sont
centralisées pour ces populations, qui ont bien sûr accès à la Management Academy du
groupe. Ainsi le top management, moteur et leader du groupe, est géré de façon
homogène, tout en adaptant nos modèles pour la gestion des autres collaborateurs aux
contextes locaux : nos guidelines doivent être mis en œuvre en fonction des réalités du
pays.
Nous avons par ailleurs construit une politique ciblant nos hauts potentiels autour des
dimensions géographique et organisationnelle.
Notre enjeu à ce stade, après une forte période de croissance externe et de nombreuses
intégrations, est de consolider et de structurer l’existant. Ce qui conditionne nos priorités
en matière de ressources humaines pour les années à venir. Nous voulons tout d’abord de
renforcer la cohérence groupe, le sentiment d’appartenance et la diversité en veillant à
faire vivre la culture managériale de BNP Paribas partout où nous sommes présents, et de
structurer la gestion de carrière et la mobilité au niveau national, régional et international.
Nous travaillons également à anticiper les changements et adaptations pour aligner les
ressources en ressources humaines et les aspirations des personnes sur les besoins du
business. Il s’agit de réussir les mobilités essentielles pour l’activité et d’encourager la
multiplication de telles expériences pour en faire une pratique naturelle. Nous voulons
favoriser toutes les mobilités qui servent le développement du groupe et répondent aux
attentes des intéressés. Structurer les plans de succession pour éviter toute vacance à
risques, systématiser les people reviews pour recenser et gérer tous les talents, favoriser la
reconnaissance, monétaire et autre, assurer la conformité et l’équité de gestion des
politiques C & B sont des clés essentielles.
Enfin, nous veillons à promouvoir la diversité pour ressembler à nos clients ainsi qu’à
développer le dialogue managérial dans l’ensemble des entités, en particulier dans une
période où donner du sens prend toute son importance. »

Autres projets à caractère stratégique envisageables au niveau d’un groupe : les fusions et
acquisitions. Lorsqu’une entreprise envisage une opération de ce type, elle se préoccupe bien sûr
des actionnaires, à travers la construction du pacte qui les lie, ensuite des clients et des messages qui
leur sont envoyés, et parfois, plus rarement, des collaborateurs. Soyons plus précis : les aspects
humains ne sont souvent abordés que sous l’angle des questions juridiques, des relations avec les
partenaires sociaux et du recensement des dispositions sociales applicables dans chacune des entités.
Ceci alors qu’une grande partie des opérations de croissance externe échouent ensuite du fait de
facteurs humains, avec la découverte d’une incompatibilité des cultures, des difficultés de
coopération, des comportements de prédateurs d’un côté, de peur de l’autre, etc. Selon les études
réalisées sur le sujet, ce sont environ 60 % des opérations de ce type qui se soldent par des échecs,
dont les deux-tiers du fait d’une sous-estimation des enjeux humains.
La première question à se poser lorsqu’une acquisition est envisagée porte sur ce qui a de la valeur
pour l’acquéreur dans la cible : un savoir-faire, des expertises spécifiques, des traits culturels, une
marque, un accès à un marché, une taille, des ressources tangibles ? C’est la réponse claire à cette
question, rarement explicitée, qui permet de valider la compatibilité stratégique de l’opération, puis
de définir l’organisation à mettre en place pour sauvegarder cette valeur et capitaliser sur elle :
l’absorption, la préservation, la symbiose ou la holding.
En effet, ces opérations de fusions et d’acquisitions présentent un risque fort de désalignement
stratégique. Et c’est bien sûr sur ce terrain que se posent les enjeux ressources humaines. Que ce soit
en amont de l’opération ou dans la phase d’intégration, la fonction RH doit intervenir sur les
questions d’organisation et sur le terrain de la culture : sur la base de leur analyse, les deux cultures
sont-elles compatibles ? Quelles modalités de coopération ? Quelle équité en matière de répartition
des postes, de procédure de prise de décision, d’utilisation et de communication de l’information ?
La phase d’intégration est toujours délicate, avec des comportements qui peuvent handicaper la
réussite. Elle est facilitée lorsqu’un projet stratégique clair et réinventé au vu de la nouvelle donne
est construit par les équipes issues des deux entités : il permet à l’ensemble des acteurs de regarder
dans la même direction. En amont de la constitution de Pôle Emploi, j’étais intervenu devant
l’ensemble des directeurs régionaux de l’ANPE et des Assedic, réunis ensemble pour la première
fois, pour souligner la nécessité de disposer de ce projet commun. Je ne suis pas sûr d’avoir été
entendu à l’époque : il aura fallu attendre 2012 pour que Pôle emploi élabore ce projet stratégique
partagé.
Dernière catégorie de projet corporate, les alliances et partenariats que construit l’entreprise. La
fonction RH peut apporter une grande valeur ajoutée en garantissant notamment que les
collaborateurs impliqués dans la relation ont les compétences nécessaires, comme les capacités à
créer de la confiance, à influencer ou à adopter une approche tactique et stratégique.
[1]
Denis Dauchy, 7 étapes pour un business model solide, op. cit.
[2]
Denis Dauchy, 7 étapes pour un business model solide, op. cit.
[3]
Vineet Nayar, Les employés d’abord, les clients ensuite, Diateino, 2011.
[4]
Alfred Chandler, Stratégie et structures de l’entreprise, op. cit.
[5]
Henri Rouilleault, Rapport sur l’obligation triennale de négocier, 2007.
[6]
Maurice Thévenet, La culture d’entreprise, PUF, 6e édition, 2010.
[7]
Pour plus d’éléments sur ces risques : Mats Alvesso, Understanding Organizational Culture, Sage Publications Ltd, 2002.
3
LA CONTRIBUTION DU FACTEUR HUMAIN
À LA CONSTRUCTION DE LA STRATÉGIE
Le chapitre précédent avait pour objectif de détailler les mécanismes permettant d’aligner les
pratiques de gestion des hommes sur la stratégie, une fois cette dernière définie. L’ambition de ce
chapitre va très au-delà : comprendre comment les réalités ou les ambitions humaines de l’entreprise
peuvent enrichir le contenu de la stratégie, en amont, dès sa phase de construction. Alors que nous
étions jusqu’alors dans une approche réactive, menée à posteriori, nous allons désormais adopter la
démarche inverse qui consiste à alimenter de façon proactive la construction de la stratégie à partir
des caractéristiques humaines de l’entreprise.
Cette réflexion part d’un constat : historiquement, l’entreprise a bâti ses avantages concurrentiels
sur l’investissement massif dans les équipements ou sur les économies d’échelle. Or, dans la plupart
des secteurs et des entreprises, ces sources traditionnelles ont été épuisées. Il ne reste donc à
explorer que le facteur humain comme avantage concurrentiel.
Ce qui signifie que pour ceux qui interviennent sur cette dimension humaine, il ne s’agit plus
seulement là de « suivre » ce qui se joue, en réagissant à un besoin exprimé par d’autres. Ni de se
limiter à « rendre possible », en facilitant le quotidien des responsables opérationnels. Mais bien de
« conduire », en investissant le terrain de l’anticipation stratégique, donc de la création de valeur.
Exprimé autrement, en transposant cette logique sur le terrain du business, l’enjeu est de
contribuer à ce que l’entreprise prenne l’initiative sur ses différents marchés à partir de ses atouts
humains, et pas seulement à ce qu’elle réponde au mieux aux pressions de son environnement.
Cette démarche va donc consister à identifier et à traiter les thématiques humaines qui peuvent
impacter le succès de l’entreprise au-delà du court terme. Pour ceux qui sont dans l’entreprise, cela
apparaît de prime abord plus simple à dire qu’à effectivement mettre en œuvre. Nous revenons là
encore à la difficulté du « comment faire ? ». Ce chapitre vise à fournir à ceux qui interviennent sur
la dimension humaine dans l’entreprise des clés pour répondre à cette interrogation.
Pour ces praticiens, adopter cette approche conduit à un véritable changement de posture et de
paradigme : les RH ne sont plus d’abord une variable à aligner ou à ajuster. Elles deviennent un des
inputs de la démarche stratégique.
Un financier peut être confronté à la question : « J’ai un projet, comment vais-je le financer ? » De
même qu’un praticien de la gestion des hommes peut s’interroger sur ce qu’il convient de mettre en
place pour exécuter la stratégie de l’entreprise. Dans les deux cas, c’est la question des moyens à
mobiliser et à aligner qui est posée. Mais notre financier peut aussi se poser une autre question :
« J’ai un capital, que vais-je en faire ? » Tout comme notre praticien des RH peut être amené à
travailler sur la meilleure utilisation des atouts humains de l’entreprise pour la développer.
Dans le domaine des ressources humaines, il existe peu de travaux sur cette approche, qui reste
encore à défricher, à formaliser, voire à conceptualiser. Nous décrirons plus loin « l’approche par les
ressources », développée par les chercheurs en stratégie et qui constitue la source principale de notre
réflexion dans ce chapitre. Sans doute les productions de ceux qui ont travaillé sur cette approche
sont-elles trop récentes pour que les universitaires en RH les aient pleinement exploitées.
Il existe par contre des pratiques de qualité dans certaines entreprises, qui illustrent pleinement
cette approche, et sur lesquelles il est possible de s’appuyer pour formaliser une démarche. C’est à
partir de ces réalisations concrètes qu’est construit ce chapitre.
Le diagnostic stratégique
La première contribution que peut apporter la fonction ressources humaines dans la démarche de
construction de la stratégie relève du diagnostic stratégique. Il nous faut là aborder une distinction
majeure introduite par les auteurs en stratégie : la stratégie doit-elle être construite à partir d’un
diagnostic de l’environnement externe de l’entreprise ou bien à partir de ses caractéristiques
propres ?
Lorsque l’entreprise adopte la première posture, quelle peut être la contribution de la dimension
RH ? Soyons plus concrets : lorsque l’entreprise initie une démarche de construction de sa stratégie
en s’appuyant sur un diagnostic stratégique de son environnement et que la DRH veut y apporter sa
pierre, que peut-elle mettre sur la table ? Nous trouverons la réponse à ces questions dans l’analyse
de la dimension humaine de l’environnement de l’entreprise. Pour cela, l’entreprise peut appliquer à
la dimension RH les outils développés par les stratèges dans ce domaine du diagnostic stratégique.
Commençons par le macro-environnement de l’entreprise, c’est-à-dire les facteurs globaux qui ont
un impact sur toutes les organisations. L’outil le plus utilisé par les stratèges est le modèle PESTEL
pour recenser les tendances politiques, économiques, sociologiques, technologiques, écologiques et
légales, et donc les variables pivots qui influeront sur le développement de l’entreprise. Que donne
ce modèle appliqué au champ des ressources humaines ? Le tableau ci-dessous donne un exemple
de ce que peuvent être les grandes lignes d’une analyse de ce type menée pour la DRH d’un groupe
mondial de l’industrie lourde.

Autre connexion possible entre les outils de la stratégie et une approche RH, la réflexion sur les
facteurs clés de succès, définis comme les éléments qui permettent de créer un avantage
concurrentiel. Les identifier suppose d’avoir analysé l’environnement concurrentiel au niveau du
secteur d’activité. Pour cela, le modèle des 5 forces de la concurrence défini par Michael Porter[1] est
le plus fréquemment utilisé. Comment est-il possible de l’articuler avec une approche RH ? Notre
démarche consiste à identifier les facteurs humains qui peuvent permettre à l’entreprise de
contrecarrer chacune de ces forces de la concurrence.
Prenons-les une par une, avec tout d’abord l’intensité de la concurrence entre les entreprises du
secteur. Ces concurrents sur le plan du business sont aussi des concurrents sur le marché de
l’emploi, notamment lorsque l’entreprise est la référence du secteur. Elle doit alors mettre en place
ce qui lui permet de protéger son savoir-faire et de retenir ses compétences clés. Il y a par ailleurs un
enjeu à ce que l’entreprise soit capable de maintenir la différenciation entre son offre et celles de ses
concurrents. Ce qui suppose d’avoir bien identifié où réside cette différenciation et quelles sont les
caractéristiques humaines qui sous-tendent ce business model : innovation produit et donc
notamment équipes de marketing et développement, compétitivité prix et donc capacité à maîtriser
les coûts, etc.
Vient ensuite la menace des entrants potentiels, qui peut être réduite par les barrières à l’entrée
que ces concurrents potentiels doivent surmonter. Il y a bien sûr des barrières financières ou
commerciales, mais certaines renvoient aussi à la compétence, abordée sous différents angles : au
sens le plus large, avec l’expérience collective construite par l’entreprise et qu’elle doit sauvegarder
et alimenter en travaillant notamment sur sa transmission. Ou au sens le plus pointu avec certaines
expertises rares que détient l’entreprise et qu’elle doit protéger, à travers sa gestion des ressources
rares, experts et talents.
Autre menace, celle de l’arrivée sur le marché des produits ou services de substitution qui
pourraient capter les attentes des clients au détriment de l’entreprise. Sur ce terrain, la DRH peut
apporter des réponses à plusieurs questions : dans son organisation, l’entreprise dispose-t-elle des
moyens lui permettant d’être en veille sur l’émergence de telles alternatives ? Les caractéristiques
de sa culture autorisent-elles une approche de ce type ? L’entreprise dispose-t-elle ou peut-elle
facilement s’attacher les compétences qui seront nécessaires si la substitution se révèle inévitable ?
Le dépôt de bilan de Kodak en 2012 aurait sans doute été évité si sa DRH avait mis en œuvre il y a
une quinzaine d’années les projets permettant de répondre positivement à ces questions.
Le pouvoir de négociation des acheteurs et celui des fournisseurs constituent deux autres forces
mises en évidence par Porter. Ils renvoient l’un et l’autre à la capacité de l’entreprise de développer
l’expertise dans les métiers concernés, et à sécuriser cette expertise. Un acteur industriel majeur
dans le secteur de la transformation des matières premières agricoles a ainsi réalisé il y a quelques
années que plus du quart de son résultat de l’exercice précédent était lié à l’excellence de la
négociation réalisée sur ses achats de matières premières. Celles-ci reposaient… sur une seule
personne ! Ce groupe s’est alors empressé de revoir son organisation pour que cette expertise puisse
être portée par plusieurs acteurs et sécurisée.
D’autres outils de diagnostic stratégique peuvent ainsi être utilisés à profit par ceux qui travaillent
sur le facteur humain. Leur adoption aide l’entreprise à réintégrer la dimension RH au niveau
stratégique et à ne pas l’aborder seulement au stade où elle n’est plus qu’une variable d’ajustement.
En utilisant les mêmes approches, outils et langage que les stratèges, la fonction RH se donne une
chance supplémentaire d’être entendue.
Alimenter la démarche de diagnostic stratégique est une première contribution significative. Mais
le facteur humain peut apporter une valeur ajoutée beaucoup plus large dans la construction de la
stratégie, en travaillant à développer la capacité stratégique de l’entreprise.

La capacité stratégique de l’entreprise


Les années quatre-vingt-dix ont vu émerger une réflexion renouvelée de la stratégie, avec le
courant de l’approche par les ressources (Resource-based view). Nous allons voir qu’il constitue
pour la GRH un apport d’un potentiel considérable. En quoi consiste cette approche ? Alors que la
réflexion était jusqu’alors centrée sur l’analyse de l’environnement, l’approche par les ressources
part d’un constat : dans un même secteur d’activité, toutes les entreprises n’ont ni la même position,
ni la même performance. Chaque entreprise possède donc en son sein des caractéristiques qui
expliquent sa réussite plus ou moins grande.
L’approche par les ressources se centre sur les déterminants internes de la performance. Mais elle
ne s’oppose pas à l’analyse concurrentielle : elle la relativise et la complète. Cette complémentarité
est illustrée par des outils comme l’analyse SWOT, qui couvre d’une part les déterminants internes
(Strenghts and Weaknesses), d’autre part les déterminants externes (Opportunities and Threats).
L’analyse va donc porter sur les caractéristiques spécifiques de l’entreprise qui vont constituer
pour elle la source de son avantage concurrentiel. Elles formeront ses capacités stratégiques.
Une capacité stratégique est une combinaison de deux types d’éléments. Tout d’abord les
ressources. Elles recouvrent les actifs que l’entreprise détient ou est capable de mobiliser, et qui
peuvent lui permettre de faire la différence sur ses marchés. Une part de ces ressources est
intangible : c’est par exemple la réputation de l’entreprise, ses marques, mais aussi ce qui va être
rendu possible par les hommes qui la composent. Les financiers ont des difficultés pour évaluer la
valeur de ces ressources intangibles. Mais leur existence se traduit par exemple lors d’une
acquisition par le paiement d’un montant additionnel : le goodwill.
Cependant les ressources ne sont pas toujours productives en elles-mêmes. Comme tout actif de
l’entreprise, elles doivent être activées, leur impact sur la performance de l’entreprise n’est que
potentiel. C’est là qu’intervient le second type d’éléments constitutifs des capacités stratégiques, qui
va permettre de matérialiser ce potentiel : ce que les auteurs de langue anglaise appellent les
capabilities de l’entreprise[2].
Ces capabilities sont les activités, systèmes, processus au travers desquels une entreprise va
employer ses ressources et les combiner pour réaliser une tâche : il peut s’agir de son savoir-faire et
de l’expérience accumulée, mais aussi de sa capacité d’innovation, des interfaces internes et
notamment du degré de coopération entre experts pour construire des solutions, des relations avec
les clients et les fournisseurs, de la capacité d’adaptation des équipes, de la souplesse de sa
programmation industrielle, etc.
Ce sont les capabilities qui vont permettre la matérialisation du potentiel d’usage que recèlent les
ressources. Un des pères de l’approche par les ressources, Robert M. Grant, professeur de gestion
stratégique à l’Université Bocconi de Milan, souligne que les ressources sont constituées de ce qu’a
l’entreprise, les capabilities de ce qu’elle fait bien, et que c’est leur combinaison qui peut alimenter
la capacité stratégique globale de l’entreprise[3].
Ces combinaisons de ressources et de capabilities ne constituent pas en elles-mêmes un avantage
concurrentiel. Encore faut-il que ces ensembles soient distinctifs de ceux maîtrisés par les
concurrents. Quatre critères sont communément évalués pour déterminer si une combinaison de ce
type est à même de procurer un avantage concurrentiel : elle doit être valorisable pour l’entreprise,
rare, inimitable et non-substituable.
Prenons un exemple : Ikea est reconnu par les professionnels du secteur comme excellent sur
l’organisation interne des magasins. Cette réalité a été construite avec l’histoire et elle est
fondamentale pour comprendre l’entreprise. L’entreprise est consciente de ce facteur de
différenciation. Elle considère que c’est là son savoir-faire le plus précieux et qu’il est constitutif
d’un avantage par rapport à ses concurrents. Elle travaille sur les nouveaux business qu’elle pourrait
investir au vu de ces capacités.
En effet, au-delà de l’identification de ces capacités stratégiques, effectives ou potentielles, l’enjeu
pour l’entreprise réside bien dans leur développement. C’est en disposant de capacités stratégiques
renforcées que l’entreprise fera la différence sur ses marchés. À l’inverse, elle peut se retrouver
contrainte par le niveau et la nature des capacités stratégiques dont elle dispose.
C’est à partir des capacités qu’elle maîtrise ou qu’elle enrichit qu’elle pourra définir et mettre en
œuvre des axes stratégiques de développement. Cette démarche conditionnera le niveau de sa
croissance organique.
Avec cette approche, nous sommes très loin de la conception des ressources humaines comme
variable d’ajustement. Au contraire, « la GRH tient une place centrale en tant que système
susceptible de procurer à l’entreprise un avantage concurrentiel sensible et durable[4] ». L’entreprise
va accroître sa capacité stratégique en identifiant et en développant les combinaisons entre
ressources et capabilities qui lui permettront de construire et de renforcer un avantage concurrentiel.
La notion de capacité stratégique intervient en tant qu’interface entre GRH et stratégie : le « chaînon
manquant », en quelque sorte !

En arrière-plan, l’homme appréhendé comme un potentiel


Cette approche renvoie à une conception particulière de l’homme au travail et des « ressources
humaines ». Le terme même de ressources humaines fait l’objet de débats récurrents depuis
maintenant plusieurs décennies. Il est mis en cause à partir d’un argument : il est choquant que les
hommes soient considérés comme des ressources, le terme ressources étant entendu au sens de
« consommables ». Reconnaissons que certains dans l’entreprise sont parfois dans cette logique.
Pourtant, la réponse de principe à cet argument est simple : les hommes ne sont pas des ressources,
ils ont des ressources en eux.
Au-delà de la seule rhétorique, l’approche a du sens si elle conduit à considérer que les hommes
représentent un atout potentiel, qui a un caractère latent. La valeur de ce potentiel peut ne pas se
réaliser si cette contribution latente n’est pas développée.
Cette affirmation peut être vérifiée au quotidien sur le plan des individus. Nous connaissons tous
des personnes dont le potentiel est sous-utilisé par l’entreprise, qui se révèlent dans d’autres
activités et qui donnent tout ailleurs que dans l’entreprise. Dans Réinventer les RH[5], c’est à propos
de la nécessité de personnaliser la gestion des hommes que j’interrogeais : « Quelle part des
fonctionnalités immenses du logiciel humain l’entreprise sait-elle aujourd’hui utiliser ? Ne doit-elle
pas considérer que chacun de ses collaborateurs porte en lui un potentiel spécifique et que les
conditions doivent être créées pour que ce potentiel puisse éclore ? »
Il est aussi possible d’appréhender le facteur humain comme un potentiel sur le plan
organisationnel, au niveau de l’équipe. L’entreprise doit mettre en place ce qui permettra que se
développe une dynamique collective, à partir des combinaisons entre les compétences et les
motivations de chacun.
Sur le plan individuel comme sur le plan organisationnel, l’entreprise a une responsabilité quant à
l’activation du talent. Va-t-elle créer les conditions pour qu’il soit révélé et mis en place ou bien va-
t-elle l’entraver, et donc s’en priver ?
Cette approche revient à considérer que l’homme constitue un actif pour l’entreprise, plus qu’une
ressource. Il serait à ce titre « l’actif le plus important de l’organisation[6] ». Puisque le facteur
humain constitue un potentiel, il doit être traité dans une perspective d’investissement plus que
comme un coût.
Avec le courant de l’approche par les ressources, les RH sont donc abordées comme une source
potentielle d’avantage concurrentiel pour l’entreprise. Encore faut-il que celle-ci ait la volonté de
développer ce potentiel à travers ses pratiques. Et qu’elle en ait la capacité, en identifiant les voies
pour le faire.
Voyons maintenant ce que sont ces voies, en les abordant à travers trois clés d’entrée : les
compétences, les caractéristiques culturelles et l’innovation.

Une première clé : les compétences


Les compétences constituent la clé d’entrée naturelle pour articuler capacité stratégique et GRH,
celle qui vient spontanément à l’esprit. Mais pour l’entreprise, positionner certaines de ses
compétences comme fondant un avantage stratégique suppose tout d’abord de les identifier, puis de
les développer, tout en détaillant le mécanisme qui en fait une source de développement de
l’activité.
Commençons par l’identification de ces compétences, en partant d’un exemple. En 2010, Leroy
Merlin France a construit une véritable filière supply chain en regroupant au sein d’une même
direction différents métiers auparavant éclatés : la gestion des approvisionnements, le transport des
produits, leur stockage dans les entrepôts, leur mise à disposition en magasin. D’une organisation
centrée sur des expertises et des localisations, avec des silos et des passerelles, cette filière est
passée à des modes de fonctionnement transversaux, travaillés comme un processus allant de
l’analyse des besoins du client à leur satisfaction. Ils ont été combinés à une expertise de la relation
client qui constitue un atout historique de l’entreprise. En faisant travailler ensemble les différents
métiers la composant sur plusieurs projets majeurs, cette filière supply chain a ainsi pu renforcer
une compétence majeure : sa capacité à mobiliser tous les maillons de la chaîne de valeur pour
satisfaire le client final, quel qu’il soit et où qu’il soit. Cette compétence est aujourd’hui analysée
par Leroy Merlin comme un de ses atouts majeurs pour développer un nouveau modèle cross-canal,
en assurant un service de qualité au client dans l’ensemble des canaux de distribution qui émergent.
Cet exemple illustre que lorsque l’entreprise construit des compétences spécifiques, celles-ci
peuvent devenir une plateforme de croissance. C’est alors la possession de savoir-faire particuliers
qui va fonder la spécificité et la rareté de la proposition de valeur portée par l’entreprise.
Ces compétences peuvent s’incarner chez des individus : experts, talents, etc. Nous traiterons cette
dimension plus loin. Elles peuvent aussi être collectives : les connaissances organisationnelles sont
alors le produit de l’intelligence collective d’un groupe de personnes, qui les ont fait émerger et
consolidées dans leur pratique commune. Leur apparition peut être favorisée à la fois par les
systèmes formels de l’entreprise, comme par exemple le fonctionnement en mode projet, et par ses
routines informelles. Ces routines organisationnelles, définies comme des modèles répétitifs
d’actions interdépendantes des acteurs au sein de l’entreprise, peuvent devenir une source
d’avantage concurrentiel puisqu’elles sont peu imitables. De même que les connaissances tacites,
qui résultent souvent de communautés de pratiques, c’est-à-dire de groupes d’individus qui voient
un intérêt mutuel dans le développement et l’échange d’informations.
Au-delà de cette identification par l’entreprise des compétences individuelles et collectives qui
contribuent à sa capacité stratégique, il y a pour l’entreprise un autre enjeu : leur développement.
L’entreprise veut générer de nouvelles capacités d’action en mettant en œuvre les mécanismes qui
vont permettre le développement des compétences qui les sous-tendent. Quels sont ces
mécanismes ? Certaines de ces compétences ne s’acquièrent que par des processus d’apprentissages
collectifs, mis en œuvre dans la durée. Il y a là à la fois un mécanisme d’échange et un mécanisme
de combinaison. Mais le partage des connaissances, essentiel pour en faire une capacité stratégique
et les mettre à profit, reste difficile dans de nombreuses organisations.
L’entreprise va développer une organisation apprenante, définie par David Garvin[7] comme
« capable de créer, acquérir et transférer de la connaissance et de modifier son comportement pour
refléter de nouvelles connaissances ». Pour devenir apprenante, l’organisation doit construire
collectivement des solutions, encourager l’expérimentation, apprendre de ses expériences et savoir
diffuser les connaissances.
Notons également qu’en s’impliquant sur un nouveau marché sur la base de compétences
identifiées, l’entreprise les renforcera puisqu’elle s’ouvrira un nouveau terrain d’apprentissage. Par
ailleurs, en développant en interne des compétences constitutives d’une capacité stratégique, elle en
augmentera la valeur puisque l’avantage concurrentiel ainsi créé sera moins facilement diffusable
chez ses concurrents.
L’entreprise peut aussi décider d’acquérir ces compétences à l’extérieur, en achetant une entité qui
les a développées. Avec un risque : avoir payé pour une coquille vide si les personnes porteuses de
ces compétences quittent l’entreprise à la suite de l’acquisition.
Avant de travailler à construire de nouvelles activités sur la base des compétences individuelles et
organisationnelles qu’elle maîtrise, elle doit veiller à réajuster en continu ses compétences pour
maintenir ses capacités stratégiques face à un environnement turbulent. Ce sont les problèmes
rencontrés par EADS avec l’A380 qui ont conduit ce groupe à se reconstruire en repositionnant la
compétence au cœur de son raisonnement stratégique.
Témoignage
Jean-Bernard Leleu, directeur général délégué du groupe Roquette, et Fabienne van Robaeys,
directrice des ressources humaines

Roquette est un bioraffineur amidonnier dont l’activité est la transformation de matières


premières végétales : maïs, blé, pomme de terre, pois et microalgues. Le groupe a réalisé
en 2011 un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros, avec un effectif de 6 700
collaborateurs. Il est implanté en Europe, sur le continent américain, en Chine et en Inde.
« Roquette est actuellement en train de créer autour des micro-algues un business qui
n’existe pas encore, avec des produits qui seront mis sur le marché en 2014. Nous sommes
partis d’un constat : acteur majeur de l’industrie de la fermentation, Roquette sait
transformer les trois types de micro-organismes vivants que sont les bactéries, les
champignons et les levures. Nous avons une expérience approfondie de l’extraction et de
la purification à partir de la matière vivante et une grande maîtrise de l’ensemble des
techniques de fermentation de ces micro-organismes. Dès 2005, nous nous sommes donc
dit que nous pouvions parvenir à élargir notre expertise au quatrième type de micro-
organisme que sont les micro-algues, même si elles n’avaient jusqu’alors jamais été
domestiquées industriellement.
Nous avons construit un programme de recherche, en nous appuyant sur les initiatives
nationales de relance de l’innovation portées par Oséo. Nous avons établi des partenariats,
dont un avec une start-up américaine qui cherchait un industriel capable de développer ce
qu’elle avait conçu en laboratoire.
Nous n’avions pas d’a priori sur le champ d’application et nous avons lancé ce
programme de recherche sans cible précise, sur la foi que nous disposions d’un potentiel
dans ce domaine avec nos compétences, nos technologies et une vaste connaissance des
secteurs de la nutrition, santé, cosmétologie. Nous pouvions envisager de créer les bases
de nouveaux antibiotiques par exemple. De fait, les premiers produits sont des ingrédients
pour l’alimentation humaine et la nutrition animale. Ils constituent une innovation de
rupture : nous allons créer un marché avec un potentiel considérable.
Ce qui nous a amenés à nous lancer dans ce projet, c’est la conscience que nous avions de
disposer d’une force d’expertises, de compétences et de vision globale assez rare dans
notre monde industriel, qui pouvait être utilisée hors des cadres habituels. Il s’agit de
compétences de recherche très diversifiées, qui couvrent métiers de la microbiologie, de la
biochimie et de la chimie. Mais aussi d’experts en process et en procédés et d’un service
d’ingénierie intégré qui permet de construire le design industriel. Mais ce qui fait notre
différence et constitue le socle sur lequel nous développons de nouvelles activités, ce n’est
pas une somme d’expertises indépendantes. C’est la capacité de ces différentes expertises
à travailler ensemble pour établir des ponts entre des domaines qui a priori n’ont pas de
rapport et construire des solutions.
Pour que ces connexions entre scientifiques et technologues soient facilitées et débouchent
sur des produits qui se vendent sur le marché, nous avons créé en 2007 des hubs,
incubateurs, regroupant pour chaque type de produits ces expertises et des compétences
marketing et commerciales. En effet, Roquette nourrit sa capacité à générer des
innovations de rupture en s’alimentant des informations, tendances, signaux faibles
émergeant de ses marchés et des marchés de ses clients. Cette veille nous permet de mener
une action proactive vis-à-vis de nos clients actuels et futurs. Nous devons décupler notre
aptitude à identifier et à gérer l’information sur les marchés et technologies au niveau
mondial pour investiguer de nouveaux champs d’activité différenciants.
Un de ces hubs est dédié aux micro-algues. Un autre a débouché sur des molécules
permettant de produire des bioplastiques nouveaux avec des molécules issues d’amidon
venant du maïs et du blé, en complément des produits fabriqués à partir du pétrole. Les
ateliers industriels qui les produiront sont en cours de construction. Là aussi, notre
capacité à combiner des expertises relevant de champs très différents a fait la différence.
En observant le monde industriel, nous constatons que de nombreuses entreprises ont
perdu cette capacité à articuler de façon fluide le processus qui va du laboratoire de
recherche à la sortie du produit en fabrication, en passant par l’ingénierie,
l’industrialisation et la conception du processus de fabrication. La façon dont fonctionnent
nos équipes pluridisciplinaires fait qu’il n’y a pas de discontinuité. Alors que d’autres,
pour rationaliser leur modèle industriel, ont perdu cette compétence en segmentant leur
processus, voire en l’externalisant pour partie. Nous avons d’ailleurs aujourd’hui une
réflexion sur l’éventualité de commercialiser cette compétence à travers des prestations de
service. Pourquoi pas ? »

Mais l’entreprise peut aller plus loin et se poser une question essentielle : à partir des compétences
existantes ou de celles que nous pouvons développer, quels sont les développements envisageables
pour l’entreprise et comment cela peut-il enrichir le contenu de notre stratégie ?
Plusieurs voies peuvent être utilisées pour identifier de nouveaux développements.
L’extension tout d’abord, l’entreprise élaborant de nouvelles offres à partir de ses capacités
stratégiques existantes. C’est une approche de ce type qui peut constituer le fondement d’une
stratégie de diversification. Elle peut aussi permettre d’investir des marchés qui semblaient fermés à
l’entreprise.
L’entreprise peut également travailler à la généralisation des meilleures pratiques par la diffusion
des compétences maîtrisées par une partie de l’organisation. Elle étendra des capacités stratégiques
locales à l’ensemble de l’organisation et pourra ainsi développer ses activités.
Elle peut par ailleurs s’interroger sur l’utilisation de ses capacités inexploitées. Ainsi, c’est parce
les équipes de Procter & Gamble étaient sous-utilisées qu’elles ont découvert une molécule
susceptible de ralentir la détérioration osseuse et permis le lancement d’une activité dans le
médicament.
La démarche mise en œuvre par Converteam est très parlante pour illustrer la logique sur laquelle
est basé ce chapitre. Ce LBO issu d’Alstom a été racheté en septembre 2011 par General Electric,
qui l’a rebaptisé Power Conversion en 2012. Entreprise d’ingénierie comptant 5 500 salariés, elle
propose des solutions personnalisées basées sur des systèmes de haute technologie qui transforment
l’énergie et améliorent son efficacité. Face à des concurrents globaux comme ABB et Siemens, la
différenciation se fait sur l’offre technologique et sur les performances en termes de rendement et
d’encombrement. Les efforts de recherche sont donc importants, avec un investissement R & D
supérieur à 5 % du chiffre d’affaires.
L’entreprise s’appuie également sur un processus structuré de remontée des informations client
par les métiers en charge du service et de l’installation, à partir d’une organisation géographique
proche de ces clients. Des séances de travail sont organisées selon un processus formel pour mailler
les informations détenues par les commerciaux et celles maîtrisées par les hommes de la technique.
Elles permettent tout d’abord de vérifier que l’offre actuelle et celle envisagée pour le futur sont
cohérentes avec la réalité client, et à défaut d’initier de nouveaux investissements R & D. Mais elles
contribuent également à déceler les opportunités de développement stratégique. C’est ainsi que
Converteam a identifié il y a quelques années que l’entreprise maîtrisait les principales compétences
permettant d’investir le terrain des énergies renouvelables. Elle a donc décidé de construire une
nouvelle offre et de mener une démarche commerciale. C’est cette approche qui est à l’origine de
son succès dans les éoliennes.
Cette identification de compétences constituant une capacité stratégique nouvelle a été facilitée
par le travail préalable réalisé par la DRH pour formaliser les macro-compétences maîtrisées par
l’entreprise. Cet exercice s’accompagne chez Converteam d’une gestion pointue des experts, de
processus de transferts de savoir-faire, notamment entre les différentes zones géographiques, et d’un
travail sur les savoirs critiques.
Avec l’approche décrite ici, et grâce à la médiation de la notion de « capacité stratégique », nous
avons bel et bien inversé le paradigme : il ne s’agit plus de développer les compétences nécessaires
à la mise en œuvre de la stratégie, mais d’identifier à partir des compétences les axes stratégiques de
développement.

Zoom sur les talents


La gestion des talents… peu de thèmes ont connu un tel succès ces dernières années dans le
monde des ressources humaines : pas une entreprise, pas une convention, pas une revue dans
lesquelles le sujet ne soit en haut de l’agenda. Plusieurs grandes organisations ont d’ailleurs créé la
fonction de directeur des Talents, comme le groupe Galeries Lafayette en 2012. Certes, dans la
période précédente, les entreprises parlaient déjà de hauts potentiels, mais la prégnance du thème
n’était pas aussi forte. Pourquoi un tel intérêt aujourd’hui ?
La réponse est pour partie dans l’émergence de l’économie de la connaissance et du travail du
savoir, que nous décrivions dans le chapitre 1. Ceux que Robert Reich[8] appelle les manipulateurs
de symboles, l’ensemble des personnes qui traitent dans l’entreprise informations, connaissances et
émotions, deviennent les ressources rares du futur.
Prenons le cas d’organisations telles que les cabinets d’avocats ou de conseil, les banques
d’affaires, les centres de recherche. Les compétences clés, celles qui vont être constitutives de la
capacité stratégique de l’entreprise, peuvent être détenues par quelques personnes, et non par
l’ensemble de l’organisation. Tel cabinet d’avocats d’affaires verra sa stratégie et sa croissance
déterminées en premier lieu par la compétence développée par un des associés, par exemple en
matière de droit maritime, et bien sûr par sa capacité à agréger autour de lui. Dans de telles
entreprises, la capacité stratégique s’incarne donc en quelques collaborateurs particulièrement
talentueux.
Reste à identifier ces collaborateurs, en commençant par définir ce qu’est un talent. Il est
surprenant que certaines entreprises affichent une politique de détection et de gestion des talents
sans avoir au préalable mené ce travail de définition. La réponse sera bien sûr différente selon
l’entreprise et ce qu’elle valorise. Le point de départ est constitué par la compétence démontrée à un
niveau de responsabilité donnée et l’information donnée pour le futur. Dans plusieurs entreprises
que j’ai accompagnées sur ce sujet, la logique adoptée a été la suivante : dans un premier temps,
l’entreprise a défini les compétences essentielles pour son développement au vu de son business
model. Puis elle valide comme talent celui qui est valeur d’exemple sur la mise en œuvre de
certaines de ces compétences et n’est défaillant sur aucune. Cette approche permet d’éviter une
approche uniforme du talent, qui en imposant une définition unique aboutit à du clonage.
Avec les talents, l’entreprise sera confrontée à trois enjeux. Il faut tout d’abord les attirer : dans la
logique développée ici, savoir attirer les talents devient une source d’avantage concurrentiel. Il faut
ensuite que l’entreprise sache créer l’environnement qui permettra à ces talents de se révéler et de
s’exprimer. Et enfin, et ce n’est pas le moins important, l’entreprise devra les retenir. À défaut, la
capacité stratégique dont ils sont constitutifs ne sera pas durable. Une entreprise qui fonderait sa
stratégie et son développement sur quelques talents sans avoir mis en place ce qui permet d’éviter le
transfert chez un concurrent de ce facteur de différenciation prendrait un risque majeur. Devenir un
employeur de référence peut aider l’entreprise à réduire cette pression concurrentielle. Elle doit
aussi apprendre à mieux différencier selon les personnes. À la question : « Si vous embauchez
demain un Bill Gates de 22 ans, où sera-t-il dans 5 à 10 ans ? », seules les entreprises qui savent
gérer le talent sont en droit de répondre : « À la tête de l’entreprise. » Dans bien d’autres entreprises,
ce profil sera toujours sur le même poste… ou il aura fui très loin !
Ces logiques s’appliquent aussi aux autres « ressources rares » de l’entreprise que sont par
exemple les experts ou les hauts performeurs.
Ce zoom sur les talents, après que nous ayons examiné comment l’entreprise peut plus largement
s’appuyer sur les compétences pour développer sa capacité stratégique, nous amène à une question :
l’entreprise doit-elle se focaliser sur quelques talents ou bien gérer les talents de tous ses
collaborateurs ? Dans certaines organisations, l’accent et les moyens mis sur quelques happy few
conduisent à se désintéresser du plus grand nombre, avec une gestion des ressources humaines à
deux vitesses, alors que l’entreprise aurait beaucoup à gagner à développer les talents de tous.
Comme La Fontaine l’écrivait :
« Le monarque prudent et sage
De ses moindres sujets sait tirer quelque usage
Et en connaît les divers talents :
Il n’est rien d’inutile aux personnes de sens[9]. »
La réponse que doit construire l’entreprise à cette question dépendra bien évidemment de son
domaine d’activité. Il est certaines entreprises où la perte de quelques profils pointus aurait des
conséquences dramatiques pour l’activité, mais ce n’est pas le cas de toutes.
Alors, gestion de quelques talents ou gestion des talents de tous ? La réponse n’est pas dans le
« ou », mais dans le « et ». Nous retrouvons sous une forme particulière le dilemme traité au
chapitre 2 sur la gestion collective et la gestion individuelle des RH. Sur les talents, les entreprises
gagnantes seront celles qui seront capables de faire preuve d’excellence en même temps dans la
gestion des quelques individus détenteurs de caractéristiques constitutives d’une capacité
stratégique et dans la valorisation et le développement de tous, en tant que constituants de capacités
organisationnelles différenciantes.
Nous avons vu comment l’entreprise pouvait s’appuyer sur ses compétences individuelles et
organisationnelles pour renforcer sa capacité stratégique et générer de nouveaux business. D’autres
approches sont possibles, qui s’appuient notamment sur ses caractéristiques culturelles.

Une deuxième clé : la culture


Comment l’entreprise peut-elle enrichir le contenu de la stratégie et quels sont les développements
envisageables pour elle, à partir de ses caractéristiques culturelles ?
Dès les années quatre-vingt, Tom Peters et Robert Waterman, alors consultants chez McKinsey,
avaient mis en évidence que la performance durablement supérieure d’entreprises comme IBM,
Procter & Gamble ou McDonald’s était au moins pour partie une conséquence de leurs cultures
respectives.[10] Si la culture est appréhendée comme un ensemble de valeurs, croyances, affirmations
et symboles qui définissent la façon dont l’entreprise conduit son activité, il est évident qu’elle n’est
pas neutre sur ses résultats.
Jean Duforest, PDG d’Ïdgroup (Okaïdi, Jacadi, Eveil & Jeux), souligne ainsi combien la culture
très particulière du groupe qu’il a créé contribue à sa réussite : « Cette culture, cet esprit
d’entreprise, sont résumés en une phrase qui constitue un moteur : “Act for kids.” Ce qui génère
l’engagement de chacun, ce sont ces éléments de sens et la confiance qu’il a en eux. Avec cette
approche, le lien entre l’engagement des collaborateurs et la performance de l’entreprise est d’une
totale évidence[11]. »
Jay Barney a démontré dans ses travaux de recherche[12] que la culture d’une entreprise pouvait
être la source d’un avantage concurrentiel. Mais il a également souligné que les caractéristiques
culturelles devaient alors, comme toute autre capacité stratégique, être valorisables pour
l’entreprise, rares et non imitables.
En 2005, à la suite des rumeurs d’offre publique de son groupe par PepsiCo, Franck Riboud, PDG
de Danone, avait estimé que la culture constituait la meilleure protection contre les opérations
hostiles : « Ce qui fait la force et la réussite de Danone, c’est sa culture, la qualité de ses équipes et
les modes de travail et de relations qu’elles ont créés. Personne n’aurait rien à gagner à diluer cette
culture dans un grand groupe. Si on la dilue, on casse le modèle de croissance[13]. » Cette affirmation
est néanmoins à relativiser, au vu de la réussite de l’intégration de Lu dans Kraft Foods après son
rachat à Danone en 2007.
Ce constat doit conduire l’entreprise à identifier les caractéristiques de sa culture qui constituent
une capacité stratégique et à s’interroger sur les voies à adopter pour capitaliser sur cette dimension.
Elle doit faire en sorte que ces atouts soient mieux exploités et préciser les champs nouveaux qu’ils
lui ouvrent.
Témoignage
Jacques Landriot, président du groupe Chèque Déjeuner

Créé en 1964, le groupe Chèque Déjeuner commercialise des cartes et chèques


socioculturels (Chèque Déjeuner, Chèque Domicile, Cadhoc, etc.) et des services.
Numéro 3 mondial de son secteur, il a réalisé un volume d’émission de 4,2 milliards
d’euros en 2011, avec 2 130 collaborateurs répartis dans 13 pays.
« Le groupe Chèque Déjeuner fonde son originalité sur sa structure coopérative, qui
génère une culture forte, très particulière. Cette culture fait le lien entre les entreprises du
groupe. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons retravaillé son contenu depuis 2009, avec
cette volonté d’entreprendre, de travailler et de manager autrement pour réussir notre
double développement économique et social. Nous nous étions beaucoup développés et il
était essentiel que l’ensemble des sociétés du groupe partage les mêmes traits culturels,
qui fondent notre identité.
Cette culture se fonde notamment sur des valeurs fortes de partage, de solidarité, d’équité
et de transparence. Partage du pouvoir et des décisions au sein de la SCOP, le Chèque
Déjeuner : les administrateurs et le président sont élus par l’assemblée générale, ce qui
leur confère à la fois une grande légitimité et une grande responsabilité. Mais aussi partage
des résultats, 45 % étant distribués aux salariés. Au sein du groupe, Solidarité, avec une
grande attention aux collaborateurs, notamment sur l’emploi. Ainsi, alors que la
dématérialisation des titres a un impact important, nous garantissons l’emploi avec des
changements de métiers accompagnés de la formation nécessaire. Équité, par exemple sur
la mixité ou sur l’absence de distinction entre cadres et non cadres pour les dispositifs
sociaux appliqués. Transparence, qui est par exemple totale sur les rémunérations.
Ces valeurs se retrouvent dans nos pratiques RH, avec un effort d’harmonisation des
avantages sociaux, des principes de fonctionnement comme la répartition à parts égales de
l’intéressement, un dialogue poussé avec des partenaires sociaux élus y compris là où ce
n’est pas obligatoire et une gestion sans conflit des rares séparations.
De cette culture découlent des facteurs de différenciation et des avantages concurrentiels
sur nos marchés. Nos approches sont différentes, nos commerciaux n’ont pas le même
profil que ceux de nos concurrents. Avoir un fournisseur qui est sur du mieux-disant social
est perçu comme un plus par nombre de nos clients. Cette dimension est appréciée au-delà
des organisations syndicales, avec lesquelles nous avons une relation particulière du fait
de notre histoire et qui sont les clients ou les prescripteurs de nombre de nos produits.
L’autre avantage concurrentiel généré par notre culture passe par nos collaborateurs, avec
un niveau d’engagement hors normes : c’est leur boite, ils en touchent les résultats, l’esprit
d’entreprise est fort. D’ailleurs notre turnover est faible, de même que l’absentéisme dont
le taux est inférieur à 2,5 %.
Pour la période 2013-2018, notre stratégie consiste à nous centrer sur notre cœur de métier
en développant tous les différents types de titre et à accélérer notre développement à
l’international, relais de croissance.
Et c’est là que se révèle l’impact de notre culture sur le contenu de notre stratégie. Il y a
tout d’abord une grande cohérence entre cette culture et notre cœur de métier, qui est
constitué de produits et services visant à améliorer la qualité de vie des personnes. Nous
avions à une époque créé une activité de restauration collective, Restocoop. Mais ce
secteur est presque antinomique avec notre culture : nous ne savons pas gérer les
industries de main-d’œuvre, où il faut serrer les coûts et en premier lieu les salaires. Nous
avons d’ailleurs été exclus du syndicat de la restauration lorsque nous avons mis en place
un treizième mois !
Dans notre cœur de métier, notre culture conditionne nos acquisitions. Si la compatibilité
sur ce terrain nous paraît impossible à construire, nous nous abstenons. A contrario des
dirigeants nous ont parfois choisis comme acquéreur du fait de cette culture. Notre
objectif, c’est de créer de la valeur, de pérenniser l’entreprise et les emplois.
Par ailleurs, notre culture et nos modes de fonctionnement nous permettent de construire
sur du long terme : toute entreprise du groupe a vocation à devenir le leader incontestable
sur son marché, et nous n’hésitons pas à investir pendant plusieurs années avant de verser
des dividendes.
Pour ce qui est de notre développement international, notre culture est aidante dans les
pays ayant une culture collective forte, comme les pays latins, plus que dans les cultures
individualistes où notre activité peut être perçue comme relevant de l’assistanat.
Cette culture est également un atout dans la mise en œuvre de la stratégie : avec ses
principes d’élaboration et la transparence que nous développons, nos collaborateurs savent
où ils vont et où va l’entreprise. L’appropriation est forte et débouche sur l’action. »

Par ailleurs, une culture spécifique qui permet d’attirer les profils les plus rares constitue en soi
une capacité stratégique. La réputation employeur de l’entreprise qu’elle construit sur cette base
vient également alimenter sa réputation globale, un des actifs de l’entreprise qui a une grande
valeur.
Notons enfin que les compétences et la culture sont articulées. C’est parce que des schémas de
pensée implicites sur ce qu’il convient ou pas de faire auront été intégrés par les collaborateurs
qu’ils identifieront leur rôle au sein de l’organisation et que la coordination entre les différents
métiers de l’entreprise sera fluide.

Une troisième clé : l’innovation


Troisième clé d’entrée pour développer la capacité stratégique de l’entreprise à partir des actifs
humains : l’innovation. « L’imagination est plus importante que la connaissance. Car la
connaissance est limitée à tout ce que nous savons et comprenons. Tandis que l’imagination
embrasse le monde entier et tout ce que nous avons encore à connaître et à comprendre », écrivait
Albert Einstein. Et effectivement, une entreprise qui ne s’appuierait que sur les compétences qu’elle
maîtrise, par définition construites pour répondre aux besoins du passé, se fermerait de nombreuses
opportunités et rencontrerait inexorablement une limite. C’est parce que l’environnement de
l’entreprise se transforme à une vitesse croissante qu’elle ne peut se limiter à élaborer ses
projections sur un modèle appréhendé comme définitivement stabilisé. Innover est donc la condition
de la survie : l’entreprise doit renouveler son offre.
Dans le monde de l’entreprise, la notion d’innovation est souvent appréhendée de façon
restrictive, en considérant que ce sont les avancées technologiques qui seraient à l’origine de toute
innovation : la logique de technology push. La figure centrale est dans ce cas l’ingénieur, voire le
chercheur. Et effectivement, dans certains secteurs, l’innovation technologique constitue la clé.
C’est par exemple le cas pour les grands groupes de l’industrie pharmaceutique. Ces trois
dernières années, les brevets d’une grande partie de leurs médicaments blockbusters sont tombés
dans le domaine public. Or leurs laboratoires de recherche sont encore largement spécialisés en
chimie, et non en biologie où se situent selon les experts du secteur les réponses aux besoins de
demain. Leur culture peut également constituer un facteur bloquant : « L’innovation c’est la rupture,
et les grandes entreprises, par nature, n’aiment pas la rupture », exprime Chris Viehbacher, PDG du
groupe Sanofi[14]. C’est la raison pour laquelle ces grands laboratoires construisent des accords de
partenariat et cherchent à absorber des sociétés de biotechnologies, petites structures très créatives
et porteuses d’innovation.
Mais la compétence première des entreprises qui innovent réside-t-elle systématiquement dans la
dimension technologique ? Apple n’est ni l’inventeur de l’ordinateur, ni celui de la tablette ou du
MP3. Ses produits sont pourtant devenus la référence dans ce domaine. D’ailleurs les secteurs où les
technologies ont un rôle moindre innovent aussi, comme dans les services. Ce qui démontre que le
déterminant technologique n’est pas le seul. Un premier élargissement de la conception de
l’innovation très centrée sur la technologie conduit à prendre en compte les attentes des utilisateurs
des produits ou services de l’entreprise comme élément générant l’innovation, selon une logique de
market pull. La figure centrale devient l’homme de marketing.
Mais ce sont alors essentiellement des innovations d’amélioration, pour réduire ses coûts et
transférer cet avantage au client via le prix ou pour améliorer sa différenciation. L’introduction
d’innovations de rupture, nécessitant des savoir-faire nouveaux, suppose une recomposition de
l’offre et la création d’un nouveau business model.
Avec un des cas les plus médiatisés de ces dernières années, Nespresso, le groupe Nestlé s’est
ouvert un nouveau territoire : il commercialise non seulement le produit, mais aussi la machine et
ouvre des boutiques. Ce qui est à l’opposé de tous ses fondamentaux historiques. Il n’y a dans cet
exemple pas à proprement parler d’innovation produit ni d’innovation technologique, mais bel et
bien une innovation du business model.
Face aux variations de l’environnement de l’entreprise, c’est la capacité de l’entreprise à se
réinventer qui devient centrale. « La créativité ne se limite plus aux produits et aux technologies.
Elle s’étend aux systèmes, aux manières globales de mener et développer une activité. Les gagnants
sont ceux qui créent ou réinventent des business models[15]. » Ici, c’est le stratège qui devient la
figure centrale de l’entreprise. Cette approche est à rapprocher de la stratégie océan bleu décrite au
chapitre 1, avec un enjeu : comment laisser aux collaborateurs le champ libre pour qu’ils inventent
les business models de demain ?
Très souvent, ce sont à la fois la structure et la culture de l’entreprise qui empêchent chacun de
« dévier ». Alors que les idées réellement nouvelles ont une probabilité plus forte de naître de la
base de l’entreprise, en interface directe avec l’environnement et notamment avec les clients, que de
quelques dirigeants. Auteur indien de référence, Coimbatore Prahalad affirme que « le bas de la
pyramide va devenir la plus belle opportunité d’innovation pour les modèles économiques[16] ».
Certaines entreprises travaillent à développer « l’intrapreneuriat », en permettant à leurs
collaborateurs de créer de nouvelles activités en interne qui pouvaient déboucher sur des
innovations de rupture. C’est ainsi que Banque Accord est organisé comme un laboratoire avec son
activité Oneylab. Créée pour faire baisser les coûts monétique d’Auchan, l’entreprise s’est
développée sur le crédit à la consommation. Elle dispose de bases de données très larges, enrichies
des informations contenues sur le ticket de caisse grâce à ses partenariats avec des distributeurs,
comme Pixmania. S’appuyant sur ce croisement unique d’informations, facteur de différenciation,
l’entreprise a intégré des profils à qui elle a lancé des défis de dépôts de brevets. En partant d’une
problématique interne, ils développent des réponses qui pourraient emmener Banque Accord sur de
nouveaux marchés à très fort potentiel dans le domaine de l’identification.
L’environnement de l’entreprise lui impose parfois de bouleverser son modèle. Ainsi, c’est à cause
de la grève des postiers en mai 1968 qu’Yves Rocher, qui avait inventé la vente par correspondance
pour les produits cosmétiques, a décidé d’ouvrir son premier magasin, rue de Rivoli à Paris. Il y en a
désormais 2 500 dans le monde.
Comment inciter plus largement encore l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise à innover, à
sortir du cadre et à inventer l’entreprise de demain ? Jean-Paul Herteman, PDG de Safran, estime
qu’« il n’est pas de meilleure arme pour relancer l’industrie française que l’innovation et
l’implication humaine. Car il y a la grande innovation, mais aussi la petite, celle de tous les jours. Si
vous savez la susciter, vous disposez d’un levier extraordinaire. Chacun doit savoir qu’il peut
apporter sa part d’innovation[17] ».

Témoignage
Arnaud Ventura, fondateur et président du directoire de MicroCred, et Vincent Cano, directeur
des ressources humaines

Société d’investissement créée par PlaNet Finance et des investisseurs partenaires,


MicroCred développe des institutions de microfinance dans les pays émergents, en
proposant des produits et services adaptés aux TPE et PME exclues du secteur financier
traditionnel. En 2011, les 1 133 salariés de MicroCred ont servi plus de 130 000 clients en
Chine, en Côte d’Ivoire, à Madagascar, au Nigeria et au Sénégal.
« MicroCred œuvre dans un secteur dont le modèle reste à inventer. Il s’agit pour nous de
construire une entreprise qui génère de la confiance et réponde à des objectifs sociaux. Et
les institutions MicroCred ont toutes un double impératif de performance, sur le plan
financier et sur le plan de l’impact social. Nous devons donc faire preuve d’une rigueur
extrême au niveau de notre fonctionnement, mais aussi être sans faille sur nos
engagements éthiques. Ces deux contraintes, loin de limiter notre expansion, poussent en
fait en permanence l’entreprise à inventer ses propres voies.
Nous sommes porteurs d’une approche responsable de la finance en offrant des services
contribuant au développement de nos clients et de leurs projets. Les besoins que nous
rencontrons sont immenses.
Le savoir de la microfinance est en construction, les bonnes pratiques sont en cours
d’écriture, sur la base de l’expérience. Ce qui laisse une grande latitude à nos dirigeants,
managers et collaborateurs pour prendre des initiatives, perfectionner ce qui est
insatisfaisant, échanger les meilleures idées et pratiques. Les managers sont
particulièrement à l’écoute des idées et des informations transmises par les agents
commerciaux, par exemple.
Nos managers ont une caractéristique commune : ils sont des entrepreneurs, recrutés en
premier lieu sur cette dimension. C’est sous l’impulsion d’un manager que MicroCred va
développer une activité. Nous cultivons l’ambition : quand nous arrivons dans un pays,
nous nous voyons comme l’institution qui va changer la donne. Et nous valorisons
l’innovation entrepreneuriale : lancement de nouveaux produits adaptés à une demande
locale spécifique, ouverture d’agences, etc.
Cette caractéristique entrepreneuriale existait dès la fondation de MicroCred. Mais dans
chaque pays où nous nous implantons, il faut réinventer le modèle MicroCred dans un
contexte totalement nouveau. Cette dimension entrepreneuriale est d’autant plus
nécessaire que les environnements dans lesquels nous intervenons sont parfois instables :
il nous arrive de devoir évacuer ou redéployer des effectifs en urgence.
Aujourd’hui, nous travaillons à mettre en place une stratégie dans le domaine des
ressources humaines pour nourrir cette dimension entrepreneuriale, l’inscrire plus profond
encore dans nos gènes. Ce qui se traduit notamment dans les modes d’organisation, avec
une grande souplesse dans les modes de fonctionnement entre équipes du siège et filiales,
leurs interfaces étant plus ou moins actives selon la période ou le besoin. Pour encourager
l’innovation, MicroCred est très flexible sur l’organisation du travail. L’entreprise est
centrée sur le résultat obtenu plus que sur la démarche adoptée ou le processus.
Nous veillons également à ce que les décisions soient prises selon le principe de
subsidiarité et à développer les possibilités d’innovation ou de prise de risque calculée en
local sur un projet pilote. La diversité des profils de managers que nous recrutons est aussi
une clé pour nous. L’innovation permanente est imposée par notre environnement, mais
elle est aussi le fruit de cultures diversifiées qui amènent des points de vue différents et
des méthodes de travail qui s’enrichissent mutuellement. Les mobilités entre les pays sont
nombreuses et permettent de partager l’expérience construite.
Il y a enfin dans l’entreprise beaucoup de convivialité et de simplicité dans les échanges,
ce qui permet la confiance, ainsi qu’une grande ouverture aux nouvelles technologies, aux
réseaux sociaux, aux modèles wiki et participatifs qui viennent challenger nos manières de
travailler. Ces modes de fonctionnement génèrent une certaine émulation entre les filiales,
qui se benchmarkent tout en se démarquant, qui lancent des projets pilotes en réponse à
leur soif de développement.
Nous travaillons aujourd’hui à capitaliser sur cet atout entrepreneurial pour qu’il s’incarne
plus systématiquement dans le développement des équipes, en élargissant le rôle du
manager de “business développeur” à “people développeur”. »

Pour développer l’innovation et contribuer ainsi à renforcer sa capacité stratégique, l’entreprise


doit construire un environnement qui favorise systématiquement les comportements à dimension
entrepreneuriale et la prise d’initiative. Avec une difficulté : cette approche est contraire à notre
historique de « conformité à la norme ». L’entreprise est confrontée à un défi majeur : sortir de la
logique dans laquelle il n’y aurait que quelques entrepreneurs à la tête de l’organisation et des
exécutants en dessous.
Il ne s’agit pas d’établir une confusion entre innovation stratégique et prise d’initiative au
quotidien. Mais la première ne pourra émerger dans un environnement où la seconde n’est pas
encouragée. Développer les comportements à caractère entrepreneurial et la prise d’initiative
suppose d’agir à la fois sur l’organisation et sur la culture, en s’appuyant en premier lieu sur les
managers.
Les structures plates et en réseau doivent être privilégiées et les échanges informels développés,
loin des logiques purement hiérarchiques. Le principe de subsidiarité conduisant à décider au niveau
le plus bas doit être acté. L’expression des idées et propositions, même iconoclastes, doit être
encouragée. Ces idées doivent être débattues et testées. La prise d’initiative doit être valorisée, y
compris lorsqu’elle se révèle malheureuse : elle est source d’apprentissage, et le droit d’initiative ne
va pas sans le droit à l’erreur. La montée en autonomie de chaque collaborateur doit être intégrée
aux objectifs de chaque manager. La diffusion de toute norme ou procédure doit être accompagnée
des éléments qui permettent de comprendre son sens et son utilité, de manière à pouvoir s’affranchir
du formel si le sens l’exige : l’intelligence des situations devra primer sur la contrainte.
À ces conditions, l’ensemble du corps social deviendra la source potentielle d’innovations
stratégiques. La figure centrale pour développer un contexte d’innovation n’est plus l’ingénieur, le
marketeur ou même le stratège. C’est le praticien RH.
Lorsque j’ai créé dans la division d’Unilever dont j’étais le DRH un « Prix de l’initiative
innovante », les collaborateurs s’attendaient lors de la première édition à ce que cette récompense
soit attribuée à un ingénieur du développement ou à un responsable du marketing. La surprise a été
forte quand le lauréat appelé à la tribune s’est révélé être une secrétaire de la direction commerciale.
Elle avait pris l’initiative de négocier que soit apposé gratuitement notre logo sur tous les véhicules
des commerciaux par le prestataire qui nous louait cette flotte. Avec cette remise de prix, le message
était passé : chacun dans son métier devait explorer plus largement le champ du possible.

Témoignage
Bertrand Delmas, directeur des ressources humaines du groupe Orangina-Schweppes

Présent dans plus de 80 pays, Orangina-Schweppes, dont les marques principales sont
Orangina, Schweppes, Trina, La Casera, Sunny Delight, Oasis et Pulco, a réalisé un
chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros en 2011 (+ 11 % par rapport à 2010), avec un
effectif de 2 500 personnes.
« Lorsqu’Orangina-Schweppes a été racheté par des fonds en février 2006, la situation de
l’entreprise en France était très délicate, avec une baisse de l’attractivité de ses marques, la
perte de parts de marché et un recul du niveau de profitabilité. Le poste de DG était vacant
depuis plusieurs mois et la confiance dans le management était faible. Avec une structure
et des process très lourds, les équipes travaillaient en silos, elles étaient déroutées et
ressentaient une grande fatigue. L’entreprise jouait sa survie : sans changements profonds,
elle risquait une mort lente.
Pour autant, il existait encore une forte implication des salariés et une passion
profondément ancrée pour les marques. La question pour la nouvelle direction a été :
comment faire pour réorienter cette énergie ? Il fallait une rupture pour passer de : “Ce
n’est pas possible” à : “Comment va-t-on faire ?” Notre choix a été de travailler à libérer
l’initiative individuelle pour sortir des process et des systèmes et utiliser le capital de
créativité et l’envie de chacun. Il s’agissait de passer du mode de fonctionnement d’une
multinationale où les responsabilités sont très diluées à celui d’une start-up en développant
une culture entrepreneuriale, avec la volonté de rendre chacun responsable et de faire
confiance.
Nous avons réuni l’ensemble des salariés, avec un discours très direct : la situation de
l’entreprise a été décrite sans fards, ce qui a pu choquer certains. Et nous avons poussé à
l’initiative : “Si c’était votre entreprise à vous, que feriez-vous ? Et bien, faisons-le !” Puis
nous avons valorisé cette aventure collective dans laquelle chacun avait à gagner.
Concrètement, tous les salariés de l’entreprise ont été invités à se porter volontaires pour
travailler sur dix projets essentiels pour l’avenir de l’entreprise. C’est cette mobilisation et
les initiatives de chacun dans son environnement au quotidien qui ont redessiné
l’entreprise. Cette approche nous a permis de clarifier nos stratégies de marque, de
développer notre innovation produit, de clarifier et affiner nos stratégies commerciales, en
nous concentrant sur certains canaux de distribution, et d’adapter notre organisation au
marché en développant nos expertises en marketing et en category management. Cette
transformation s’est accompagnée du refus de tout dogmatisme et s’est traduite par des
plateformes de marques rénovées et osant casser les codes, accompagnées de publicités
radicalement différentes, que chacun a sans doute à l’esprit. Les valeurs ont été
formalisées avec les salariés et mises en musique par la DRH dans les différents
processus, notamment en matière d’évaluation et de rémunération, avec un focus sur les
pratiques de management. Les profils les plus entrepreneurs ont été valorisés.
L’innovation tous azimuts a donc été le driver du redressement. Elle a amélioré les process
de gestion et de décision et nourri les plateformes de marques. Combinée à la libération
des initiatives et des énergies, elle nous a permis de recréer sur nos marchés un acteur
différent avec des forces uniques. Face à des concurrents extrêmement puissants, ce n’était
sur la taille que nous pouvions nous battre. En effet, nous étions beaucoup plus petits que
notre principal concurrent, très discipliné dans ses approches mais de ce fait parfois plus
lourd et plus long à réagir. Ce qui nous a fait renaître, c’est notre capacité à réagir vite, à
changer nos façons de faire du jour au lendemain. Ce sont nos clients eux-mêmes qui nous
assurent des retours très positifs sur notre capacité d’innovation, ainsi que sur notre
réactivité et notre rapidité, notre capacité à nous adapter.
C’est aussi ce qui nous permet d’investir des marchés nouveaux pour nous. Un seul
exemple : nous avons acheté en 2010 la marque Sunny Delight principalement pour
renforcer le portefeuille de marques en Espagne et avoir plus de masse critique. Mais pour
la France, nous l’avons transformé en opportunité pour investir un secteur où nous
n’étions pas : le frais. Nous l’avons fait en créant une business unit distincte pour garder le
focus sur notre cœur de métier et pouvoir investir sur le frais dans un environnement
dédié. Désormais, nos marques Oasis et Pampryl sont aussi présentes dans le frais. »

Un des leviers particulièrement efficace pour renforcer le potentiel d’innovation du corps social
est la diversité sur l’ensemble des critères : genre, âge, origines, état de santé, orientation sexuelle,
etc. Détaillons les mécanismes en jeu pour mieux les comprendre.
Chaque personne se construit à partir de ces critères, qui génèrent des expériences de vie
différentes et contribuent à façonner son identité culturelle, avec sa sensibilité propre et ses
représentations. La notion d’identité culturelle est ici utilisée dans son sens le plus large, pas
seulement telle que découlant d’une culture nationale. Manager la diversité consiste donc à faire
travailler ensemble de manière efficace des individus caractérisés par des identités culturelles
hétérogènes, construites par chacun notamment à partir de ses caractéristiques de nature
sociologique ou démographique spécifiques.
Le mécanisme par lequel la diversité peut avoir un impact sur la construction de la stratégie via
l’innovation est lié à l’enrichissement de la décision. Plus les identités culturelles des membres
d’une équipe sont hétérogènes, puis il y a entre eux altérité cognitive et informationnelle, mais aussi
relationnelle avec l’accès à d’autres réseaux. L’approche d’une décision par chacun des membres de
cette équipe est le résultat du croisement des informations objectives mises à la disposition de tous,
mais aussi des perceptions subjectives de chacun à travers son identité culturelle. Quant au contenu
et à la qualité de la décision, ils dépendront de ces deux facteurs, mais aussi de la qualité des
interactions entre les membres de cette équipe.
Si cette dernière dimension est optimisée, la diversité permettra de mettre à disposition du
collectif des informations non redondantes et de lui donner accès à des expériences et compétences
nouvelles, de mobiliser des référentiels inhabituels car portés par des personnes n’appartenant pas
au groupe dominant, d’enrichir les processus d’analyse des problèmes, d’aborder de façon novatrice
les enjeux à traiter et enfin de considérer des alternatives non évidentes.
En permettant la confrontation d’identités culturelles hétérogènes, la diversité devient pour
l’entreprise source de créativité et d’innovation. Elle lui permet de penser en dehors du cadre,
notamment en considérant des alternatives. Différents travaux ont d’ailleurs souligné que
l’innovation passait souvent par les profils dits « déviants ».
« Si tu diffères de moi… loin de me léser, tu m’enrichis », écrivait Antoine de Saint-Exupéry.
Traiter la diversité comme une source d’innovation stratégique permet à l’entreprise de développer
un avantage concurrentiel. Sur ses marchés, ce sont en quelque sorte les différences… qui font la
différence.

Tous stratèges
Intéressons-nous maintenant aux organisations qui ont formalisé une démarche de construction de
leur stratégie. Traditionnellement, c’est un exercice dévolu à une équipe de direction. Celle-ci, en se
faisant éventuellement accompagner par un cabinet, mènera la démarche qui va de l’analyse des
forces concurrentielles à la définition d’une ligne stratégique. Ce n’est que dans un second temps
qu’interviendront les autres acteurs de l’entreprise, pour la mise en œuvre. Taylor, quand tu nous
tiens ! Nous retrouvons la bonne vieille dichotomie entre décideurs et exécutants.
Attachons-nous au fond. Quels sont les principaux enjeux d’une démarche formalisée de
construction de la stratégie ? Le premier concerne bien sûr le contenu, la qualité de ce qui est
élaboré. Au vu de la complexité croissante de l’environnement de l’entreprise, la richesse de ce
contenu dépend moins de la puissance de quelques cerveaux que de la connaissance détaillée des
marchés, des clients, de la vraie vie de l’entreprise par l’ensemble du corps social. C’est cette
interface dans sa globalité qu’il faut mobiliser dans la construction de la stratégie pour que son
contenu soit à la mesure des enjeux.
En 2009, le groupe HCL Technologies a adopté une démarche particulière. Les 300 dirigeants
d’entités ont élaboré une première version du plan stratégique pour leur activité. Ils en ont fait des
enregistrements audio sur un portail de type Facebook. Et c’est à partir de ces éléments que les
collaborateurs de l’entreprise ont posté des commentaires sur les stratégies envisagées par les
dirigeants, proposant de nouvelles perspectives qui se sont avérées bien plus pertinentes et
réalisables. Une démarche participative de ce type a permis à l’ensemble des collaborateurs
sollicités de faire bouger les lignes.
Au-delà de cet objectif d’enrichissement du contenu, une démarche veillant à associer largement
les salariés de l’entreprise permet également de développer l’engagement. Ce qui dans la phase
ultérieure de déploiement aura pour effet de renforcer l’appropriation et de garantir l’alignement.
Howard Schultz est président de Starbucks, la plus grosse chaîne multinationale de café. Fin 2011,
il a été élu homme d’affaires de l’année par le magazine Fortune. Et il affirme : « Vous ne pourrez
pas attirer et retenir d’excellents collaborateurs s’ils ne participent pas à la stratégie et ne sont pas
acteurs des problèmes clés ; si vous ne donnez pas aux gens l’opportunité de se mobiliser, ils
partiront. »
Kiabi a ainsi mené en 2009 une démarche de définition de sa vision stratégique qui a mobilisé
l’ensemble des 7 000 collaborateurs de l’entreprise, à travers deux phases successives d’un exercice
ascendant. C’est à partir de l’ensemble de ces contributions qu’ont été redéfinies la mission de
l’entreprise (« Mobiliser les talents et les passions pour habiller tous les moments de vie ») et son
ambition (« Être le meilleur acteur local pour être le leader mondial de l’habillement »). Dans un
second temps, ce cadre a été traduit à tous les niveaux de l’organisation en priorités stratégiques,
puis en plans d’actions. Cet exercice a permis de fédérer les équipes comme jamais.
Il n’y a donc pas d’un côté un exercice technique qui relèverait de dirigeants et de spécialistes, de
l’autre un alignement mécanique à construire ensuite. Mais bien la mobilisation d’une énergie de la
phase de construction à celle de mise en œuvre. Nous avons déjà souligné le lien entre performance
et engagement. C’est parce qu’il y a des terrains de participation réels qui sont investis sur la base
d’un sens partagé que l’entreprise se mobilise effectivement.

Les prismes stratégiques


Les auteurs de Stratégique, ouvrage qui fait référence en matière de stratégie, ont développé la
notion de prismes stratégiques pour présenter « les différents points de vue au travers desquels les
questions stratégiques peuvent être différemment interprétées[18] ». Ils en identifient quatre : le
prisme de la méthode, le prisme de l’expérience, le prisme de la complexité, le prisme du discours.
Or, chacun de ces prismes stratégiques peut être relié à un des développements ci-dessus sur la
façon dont la dimension humaine contribue potentiellement à la construction de la stratégie.
• Le prisme de la méthode renvoie à un processus structuré et logique, il met l’accent sur la
planification. Le renforcement de la capacité stratégique de l’entreprise par un travail
approfondi sur ses compétences peut parfaitement s’inscrire dans ce cadre.
• Le prisme de l’expérience fait découler la stratégie future des schémas de pensée insérés dans la
culture de l’entreprise et construits sur la base de son expérience passée. La démarche qu’il
induit revient de fait à capitaliser sur les caractéristiques culturelles de l’entreprise.
• Le prisme de la complexité insiste sur la variété et la diversité comme pouvant générer des
innovations à partir de ce que font émerger les membres de l’organisation. C’est en
développant un contexte d’innovation que l’entreprise créera les conditions de son émergence.
• Le prisme du discours, enfin, met l’action sur le langage, les éléments de contenu et de sens, qui
constituent les éléments de médiation entre les acteurs dans les processus de construction de la
stratégie.
Cette notion de prismes stratégiques alimente les parallèles établis ici entre la réflexion stratégique
et la dimension RH. Elle permet de comprendre mieux encore les différentes formes que peut
prendre la contribution du facteur humain à la construction de la stratégie.
[1]
Michael Porter, Choix stratégiques et concurrence, Economica, 1982.
[2]
La traduction la plus souvent utilisée dans les écrits sur la stratégie en français est « compétences ». Le choix est malheureux
dans la mesure où il a une signification différente pour ceux qui travaillent en ressources humaines. D’autres auteurs parlent
d’« aptitudes », avec une ambiguïté de même ordre. Le terme de « capacités » est également employé, mais il a un double sens,
celui voulu ici et celui qui recouvre par exemple le nombre de personnes (capacities en anglais). Pour éviter toute confusion, nous
conserverons ici le terme anglais originel de capabilities.
[3]
Robert Grant, “The Resource-Based Theory of Competitive Advantage”, Californian Management Review, n° 33, 1991.
[4]
Estelle Mercier et Géraldine Schmidt, Gestion des ressources humaines, op. cit.
[5]
Gilles Verrier, Réinventer les RH, Dunod, 2007.
[6]
David P. Lepak et Scott A. Snell, 1998, Human Resources Management Review, volume VIII, 1998.
[7]
David Garvin, “Building a Learning Organization”, Harvard Business Review, juin-juillet 1993.
[8]
Robert Reich, L’économie mondialisée, Dunod, 1997.
[9]
Jean de La Fontaine, Le lion s’en allant en guerre, 1668.
[10]
Tom Peters et Robert Waterman, Le prix de l’excellence, InterÉditions, 1983.
[11]
Interviewé dans le chapitre sur l’engagement que j’ai rédigé pour l’ouvrage collectif coordonné par Charles-Henri Besseyre des
Horts, RH au quotidien, Dunod, 2011.
[12]
Jay B. Barney, “Organizational Culture: Can It Be a Source of Sustained Competitive Advantage?”, Academy of Management
Review, n° 11, juillet 1986.
[13]
Cité par lefigaro.fr.
[14]
Cité par Philippe Escande sur le blog des Échos le 21 septembre 2010.
[15]
Denis Dauchy, 7 étapes pour un business model solide, op. cit.
[16]
Coimbatore K. Prahalad, The Fortune at the Bottom of the Pyramid, Pearson Education, 2004.
[17]
Les Échos, 27 mars 2012.
[18]
Gerry Johnson, Richard Whittington, Kevan Scholes et Frédéric Fréry, Stratégique, Pearson, 9e édition, 2011.
4
LES CONSÉQUENCES POUR LA
FONCTION RH
Tous DRH
« Tous DRH ! » Rarement pareille affirmation, titre du livre de Jean-Marie Peretti
paru en 1996, a-t-elle rencontré autant de succès dans l’entreprise. La gestion des
hommes est une activité partagée entre managers et structure RH. Il est presque
surprenant qu’il faille le rappeler à certains responsables RH qui adoptent vis-à-vis
des managers une « posture de gendarme ».
Au commencement étaient le collaborateur et le manager : dans les premiers
temps de l’entreprise, il n’y a pas de DRH. Un administratif se charge de la paie et
autres obligations découlant de l’emploi de salariés. Quant aux aspects dynamiques
de la GRH, ils sont entièrement assurés par le dirigeant et les managers. Ce n’est
qu’au-delà d’un certain effectif que l’entreprise va centraliser certaines de ces
activités sur un responsable RH. La gestion des hommes est donc bien une activité
relevant originellement du manager, que l’entreprise peut décider de transférer pour
partie à une structure spécialisée. Il est important de l’avoir à l’esprit, notamment
lorsque certains managers se plaignent de ce que la structure RH se décharge sur
eux de ses responsabilités.
« Le manager, premier RH » doit rester vrai, quelles que soient la taille de
l’entreprise et la structuration de la fonction RH. Pour une raison très simple : pour
un collaborateur, son manager est l’acteur de proximité. Dans la plupart des
organisations, il est celui qui le connaît le mieux, qui travaille au quotidien à ses
côtés, qui échange avec lui régulièrement. Il est en position pour cela. Il faudrait des
effectifs pléthoriques à la fonction RH, ce que personne n’imagine, pour assurer
cette relation de proximité. Un grand groupe pétrolier en a fait la malheureuse
expérience. Devant les limites des pratiques de ses managers en matière de gestion
des carrières, ce groupe a décidé de les décharger de toute responsabilité en la
matière. Une fonction de « gestionnaire de carrières » a été créée en central,
supposée assurer l’entièreté de cette activité. Dix postes ont été créés. Puis
cinquante. Pour finalement, une fois l’effectif de deux cents gestionnaires de
carrière atteint, réaliser enfin qu’il s’agissait d’un puits sans fond.
Faut-il pour autant considérer que le manager peut continuer à assurer l’entièreté
de la gestion des hommes quand l’entreprise grandit ? Qu’une structure RH est
inutile ? Ou tout au moins qu’il est possible de s’en passer ? Après une période de
professionnalisation accélérée de ses pratiques RH jusqu’en 2004, puis de
rationalisation à l’extrême, un grand groupe de la distribution spécialisée a décidé
en 2007 de supprimer sa DRH groupe. Elle a certes recréé le poste de DRH en
2010, mais avec pour seule fonction des activités de représentation extérieure. Le
bilan qui peut être tiré de ces choix après plusieurs années est assez désolant :
l’absence totale d’ambition vis-à-vis des hommes et de toute initiative marquante a
ouvert la voie aux dérives de certains managers défaillants, qui se sont multipliées.
Cette entreprise a vu se dégrader rapidement son image employeur interne et
externe.
Sacrifier la structure RH, que ce soit pour supprimer les coûts afférents, pour des
raisons de principe quasi « idéologiques » ou parce que celle-ci ne produit pas ce
qui est attendu, conduit à renoncer à la valeur ajoutée qu’elle peut créer à travers les
démarches à caractère stratégique développées dans les deux précédents chapitres.
À l’inverse des deux illustrations malheureuses présentées ci-dessus, de
nombreuses entreprises ont construit l’articulation entre ces trois acteurs que sont le
collaborateur, le manager et le responsable RH en clarifiant ce qu’est la contribution
de chacun et ce qui est attendu de ces interfaces. La relation fondamentale est celle
qui existe entre le collaborateur et son manager, du fait de la proximité. Ce dernier
fait vivre les dispositifs RH de l’entreprise, que ceux-ci relèvent de la gestion de la
performance du collaborateur ou de son développement, parce qu’il en a compris et
intégré le pourquoi et la valeur ajoutée. La relation entre le responsable RH et le
manager est une relation d’accompagnement, presque de « coaching » pourrait-on
dire si ce terme n’était utilisé à toutes les sauces. Aux côtés du manager, le praticien
RH contribue à ce que sa pratique se bonifie. Il peut enfin constituer un recours
pour le collaborateur.
Dans la répartition des responsabilités entre manager et praticien RH, le parallèle
peut être fait avec la fonction Qualité. Dans les années soixante, lorsque les
entreprises ont pris conscience que la qualité de leurs produits pouvait poser
problème et qu’elle devenait un enjeu concurrentiel, elles ont mis en place une
fonction Qualité. Cette structure dédiée avait la responsabilité entière de la qualité
finale des produits, avec une démarche basée sur le contrôle. Elle a permis de
progresser, tout en grossissant en effectif de façon parfois alarmante, mais la qualité
n’était toujours pas au niveau attendu. C’est alors qu’ont été initiées les démarches
de qualité totale, ayant pour objectif de mobiliser et d’impliquer toute l’entreprise
sur les enjeux qualité à tous les stades de la production, avec des résultats probants.
Aujourd’hui, les entreprises ont intégré que pour répondre à leurs enjeux de qualité,
il est indispensable que tous les acteurs soient porteurs de ces impératifs. La
structure qualité est alors limitée en taille, elle sert d’aiguillon à l’ensemble des
acteurs sur cette thématique. De la même façon, les entreprises dont les pratiques de
gestion des hommes sont les plus appréciées et les plus performantes sont celles
dont les managers ont pleinement intégré les logiques RH, y compris leur raison
d’être, et développé une pratique qualitative, avec une structure RH qui sert
d’aiguillon et aide à faire, sans faire elle-même.
Pour de nombreuses entreprises, il s’agit d’une cible plus que d’une réalité. Mais
progresser vers la cible suppose que le praticien RH accompagne le manager et le
fasse grandir dans sa pratique, pas qu’il se substitue à lui. Cela suppose également
que les outils mis à la disposition des managers n’ont pas été construits en partant
du postulat que ceux-ci vont mal faire, avec des contrôles et sécurités à tous les
niveaux, mais au contraire de la conviction que le manager va bien faire, en
l’accompagnant quand nécessaire. Cela suppose enfin que les managers ont été
formés sur le pourquoi des pratiques attendues et des outils mis en place, pas
seulement sur les outils eux-mêmes.

Une fonction à trois étages


Il m’arrive régulièrement d’interroger des DRH et responsables RH, ou des
étudiants qui se destinent à cette fonction, sur les raisons qui les ont conduits à faire
ce choix. Très souvent, la diversité des activités est souvent un élément déterminant.
De fait, le recensement des responsabilités potentielles de la structure RH constitue
un véritable inventaire à la Prévert.
Pour autant, toutes les activités de la fonction RH ne se situent pas sur le même
plan. Pas seulement parce qu’elles ne renvoient pas aux mêmes logiques ou aux
mêmes compétences, mais aussi et surtout parce qu’elles ne créent pas toutes la
même valeur. La typologie adoptée pour recenser ces terrains d’intervention n’est
pas neutre quant à la mise en évidence de ces différences. Leur représentation doit
permettre de comprendre comment ces activités se positionnent et s’articulent entre
elles, dans cette logique de contribution à la création de valeur.
La visualisation des terrains d’intervention de la fonction RH que j’ai construite et
qui est décrite ci-dessous vise à mettre en évidence leur positionnement respectif à
partir de ce critère de création de valeur. Elle répartit ces activités en trois étages : le
premier correspond à la fonction administrative, le deuxième à la fonction experte,
le troisième à la fonction stratégique de terrain. Chacun de ces étages renvoie à une
mission et repose sur une source de légitimité différente.
Commençons par la fonction administrative. À l’origine même du métier des
ressources humaines, une nécessité : garantir que l’entreprise peut fonctionner sans
à-coups sociaux. Les collaborateurs doivent être payés et administrés. Des relations
sereines doivent être assurées avec les partenaires sociaux. Des obligations de
différente nature doivent être respectées.
Figure 5 Le 1er étage de la fonction RH
Toute personne travaillant dans cette fonction sait pertinemment qu’il est inutile
d’aborder quelque sujet que ce soit quand il y a des erreurs de paie. La DRH sera
inaudible tant que le problème n’aura pas été réglé. Une entreprise comme
Boulanger a connu lors de la mise en place de SAP une période pendant laquelle ce
premier étage ne fonctionnait plus : sa survie a été engagée.
La légitimité de la fonction RH trouve sa source dans la paix sociale. Ainsi, c’est
parce que la directrice des ressources humaines de la RATP avait mis en place un
dispositif d’alarme social permettant une forte baisse des conflits qu’elle a reçu le
trophée de « DRH de l’année » en 2008.
Toutes les entreprises travaillent ce « premier étage » de la fonction, sans lequel
rien ne peut fonctionner : ce sont en quelque sorte les prérequis. Cette fonction
administrative est confrontée en premier lieu à un enjeu de qualité. En évitant
cependant la sur-qualité : pour pouvoir aborder d’autres terrains, l’entreprise doit
veiller à ne pas surinvestir ce premier étage. Il doit faire l’objet d’une recherche
d’efficience : il s’agit d’assurer qualitativement ces tâches en optimisant les moyens
qui leur sont affectés.
Certaines entreprises en restent à l’étage administratif. D’autant que ces dernières
années, les interventions du législateur ont contribué à les ramener à ce niveau.
S’il faut bien sûr assurer ces obligations, ce n’est pourtant pas là que la fonction
RH crée de la valeur. Le seul lien de cet étage avec la stratégie est de contribuer à ce
qu’elle soit mise en œuvre sans vagues, sans répercussions négatives. Garantir la
paix sociale est sans nul doute nécessaire, mais loin d’être suffisant par rapport au
champ du possible pour la fonction RH. Or ses priorités, ses effectifs, ses moyens
restent dans certaines organisations concentrés sur ce premier étage.
En s’y cantonnant, les directions des ressources humaines sont conditionnées à
apporter à toute question une réponse à caractère administratif. Rappelons que c’est
sur ces activités que s’est construite historiquement la fonction RH, ce qui peut
laisser des traces dans le regard de ses interlocuteurs. Le « syndrome de
Cendrillon » en quelque sorte : il est difficile de voir dans la souillon d’hier la
princesse de demain.
La plupart des entreprises ont construit un deuxième étage, celui de la fonction
experte, en se professionnalisant dans chacun des processus RH. L’enjeu n’est plus
seulement à ce niveau-là d’appliquer une procédure permettant de recruter sans
enfreindre les dispositions légales qui existent en la matière, de se soumettre aux
obligations en matière de formation ou de respecter ce que prévoit la convention
collective en matière de rémunération. Mais bien de construire des expertises qui
permettent à l’entreprise de s’appuyer sur une approche rigoureuse et structurée de
chacune de ces fonctionnalités : recrutement, formation, gestion de la performance,
carrières, rémunération, etc.
Figure 6 Le 2e étage de la fonction RH
À cet étage, l’entreprise applique ce qui est enseigné dans tous les manuels de
GRH, chapitre par chapitre, processus par processus. La plupart des structures RH
centrales sont d’ailleurs organisées à partir d’un découpage selon ces
fonctionnalités. Ici, la légitimité de la fonction RH trouve donc sa source dans son
expertise : l’entreprise dispose d’excellents professionnels dans chaque domaine
RH. Nous connaissons tous des personnes travaillant dans un de ces domaines
d’expertises et tellement passionnées qu’elles en oublient que cette activité ne
constitue pas une finalité en soi. Ce syndrome est particulièrement développé chez
les professionnels de la formation au sein de l’entreprise.
Avec une difficulté supplémentaire : c’est souvent aux premier et deuxième étages
que les opérationnels attendent la fonction RH au quotidien. Ce qui peut expliquer
pour partie que les équipes RH se concentrent souvent sur la qualité de ces
processus plutôt que d’essayer de développer leur contribution stratégique. La
fonction RH est rarement attendue sur ce dernier terrain, et nombreux sont les
dirigeants qui, lorsqu’elle s’y aventure, la renvoient à ses processus.
Le deuxième étage est indispensable. Il permet d’assurer le bon fonctionnement
de l’entreprise, idéalement (mais pas toujours) en permettant le déploiement et la
mise en œuvre des choix stratégiques. C’est à ce niveau que les choix RH de
l’entreprise impactent concrètement le quotidien des collaborateurs. À défaut, les
plus belles intentions, les projets les plus ambitieux, les valeurs les plus fortes
restent sur le papier.
Mais ces processus, de même que les outils qui en découlent, ne sont que des
moyens. Ils ne créent de valeur que s’ils sont orientés et mis au service d’autres
objectifs. L’expertise RH ne constitue pas une fin en soi, même quand elle permet
de construire un « mieux-disant social ».
Trop rares encore, des entreprises ont mis en place un troisième étage sur la base
des deux premiers : celui de la fonction stratégique de terrain. Au-delà des prérequis
et des moyens experts, elles ont décliné leur stratégie en choix et projets RH, en
répondant concrètement à une question : « De quelles pratiques RH avons-nous
besoin et quels projets RH devons-nous mener pour mettre en œuvre et alimenter la
stratégie de l’entreprise ? »
Figure 7 Le 3e étage de la fonction RH
C’est tout l’objet de cet ouvrage. En nourrissant le contenu et la mise en œuvre du
projet stratégique, la fonction RH fonde sa légitimité sur la valeur qu’elle crée et
son impact sur les résultats économiques de l’entreprise. Son champ d’action est
alors constitué d’approches transversales qui vont mobiliser un certain nombre de
processus RH.
Articulés à la stratégie, les projets RH et les pratiques promues prennent alors tout
leur sens pour les managers qui ont à les porter.
Cette représentation de la fonction RH sur trois étages permet de souligner une
dimension essentielle : il n’est possible de construire un niveau que si l’étage
inférieur est solide. Travailler à construire le deuxième étage, avec des processus
efficients, est illusoire quand la fonction administrative fonctionne mal. De même,
la volonté de l’entreprise d’investir le troisième étage en restera au niveau du
discours si les processus RH n’ont pas été structurés au préalable.
Figure 8 Positionnement respectif des trois étages de la fonction RH

Il ne s’agit donc pas pour l’entreprise de choisir à quel étage elle veut positionner
sa GRH en sacrifiant les autres niveaux, mais de les construire l’un après l’autre.
C’est cette démarche qui permettra, étage après étage, de déplacer le centre de
gravité de la fonction RH pour qu’au global elle crée plus de valeur.
D’autant que la question qui est posée au final à la fonction RH, c’est celle de
l’allocation de ses ressources entre ses différentes activités, celle de la répartition
des moyens entre les trois étages. Dans de nombreuses entreprises, le constat est
que les budgets, les effectifs et les priorités de la fonction RH sont répartis
inversement à ce que l’impératif de création de valeur nécessiterait, dans une
logique de « pyramide inversée ».
Figure 9 La pyramide inversée
Cette représentation de la fonction RH en trois étages permet de hiérarchiser ses
activités en fonction de la valeur qu’elle crée. La matrice d’Ulrich, outil largement
diffusé et utilisé par les DRH, a permis de formaliser les différents terrains
d’intervention de la fonction, en les regroupant en quatre blocs : « l’expert
administratif, l’employee champion, l’accompagnateur du changement et la
partenaire stratégique ». Mais cet outil présente une limite : il positionne l’ensemble
de ces activités au même niveau. Alors que l’enjeu pour l’entreprise est bien
d’accroître la valeur créée par la fonction RH en faisant progressivement glisser son
centre de gravité.

La contingence de la GRH
Nous l’avons évoqué, la plupart des entreprises ont construit aujourd’hui les deux
premiers étages de la fonction RH. Leur « fonction administrative » fonctionne bien
et elles se concentrent sur leur « fonction experte ». Il est communément admis par
beaucoup dans ce métier qu’il y aurait pour chacun des processus RH une bonne
façon de procéder à caractère universel. Pour être performante, il suffirait à la
fonction RH de progresser vers cette pratique de référence. La recherche de
benchmarks et la transposition dans l’entreprise des meilleures pratiques identifiées
constitueraient un moyen pertinent pour cela.
Cette perspective universaliste revient à aborder la gestion des hommes comme
un objet autonome, qui serait indépendant des réalités de l’entreprise et de son
environnement.
Tous les développements des chapitres précédents montrent que la politique RH à
adopter par une entreprise pour créer de la valeur est directement reliée à ses
caractéristiques uniques, ainsi qu’à celles de l’environnement dans lequel elle
intervient. Elle doit construire la bonne articulation entre sa politique RH et les
orientations stratégiques. Les théoriciens de la contingence ont construit l’ensemble
de leurs travaux sur cette approche. Cette approche « contextualiste » estime que les
meilleures pratiques RH pour l’entreprise sont celles qui sont cohérentes avec
d’autres dimensions de l’organisation, et notamment son positionnement
stratégique.
Est-ce que cela signifie pour autant qu’il n’y aurait pas dans l’absolu des pratiques
RH de qualité et d’autres moins avancées ? Certainement pas. Prenons une image :
les meilleurs cuisiniers vous affirmeront qu’il est essentiel de disposer de produits
de qualité pour bien cuisiner. Pour autant, suffit-il de disposer de ces produits pour
cuisiner un plat réussi ? C’est dans la combinaison de ces ingrédients, dans
l’adéquation entre ce que les convives attendent et ce que le cuisinier va produire
que réside une grande partie de sa réussite. Identifier les bonnes pratiques en
matière de RH certes, mais en veillant à sélectionner et à adapter celles qui
répondent aux besoins stratégiques de l’entreprise.
L’absence de dimension contingente est d’ailleurs ce qui fait la limite des
classements du type “Great Place to Work” : ils évaluent les organisations sur la
qualité de leurs pratiques RH à partir d’une grille unique, comme s’il existait une
entreprise idéale en matière de gestion des hommes et qu’il faille s’en rapprocher le
plus possible. Cette grille, clairement inspirée du modèle de gestion des ressources
humaines dominant aux États-Unis, ne permet en fait qu’une chose : évaluer la
proximité des entreprises évaluées avec ce modèle. Ce n’est aucunement un hasard
si, très souvent, figurent sur le podium les filiales françaises d’entreprises
américaines : le thermomètre a été construit pour elles.
Cette mise en évidence de la nécessaire contingence des pratiques RH éclaire
l’articulation entre fonction experte et fonction stratégique de terrain : le deuxième
étage doit être mis au service du troisième. Autrement dit, ce sont les macro-projets
RH articulés avec la stratégie de l’entreprise qui doivent dicter le contenu des
processus RH. Ceux-ci doivent être travaillés dans leur conception, leurs
composantes et leur organisation pour être alignés sur la politique RH. Elle sera
constituée d’approches transversales mobilisant un certain nombre de processus
RH.
Cette prédominance de la fonction stratégique de terrain sur la fonction experte
renvoie plus largement à un débat plus large en matière d’organisation : l’entreprise
doit-elle être organisée en fonction de ses logiques internes, et notamment de ses
métiers et expertises ? Ou bien en fonction de ses logiques externes, et notamment
de ses flux clients ?
La réponse appliquée à la fonction RH qui est apportée dans cet ouvrage est sans
ambiguïté : elle doit certes développer ses expertises, mais en les mettant au service
et en les organisant autour du développement économique de l’entreprise. C’est
ainsi qu’elle créera de la valeur.

Créer de la valeur en RH
Il est temps de s’arrêter sur ce qui apparaîtra comme une incongruité à tous ceux
qui ne sont que sur de la chasse aux coûts avec les structures dédiées aux ressources
humaines : la fonction RH peut créer de la valeur. Cette affirmation est clairement
antinomique avec la logique dominante chez les dirigeants et avec ce qui est
développé dans la littérature managériale.
C’est ainsi que l’ouvrage de référence en matière de stratégie déjà cité,
Stratégique, explique que : « On peut vérifier que le coût de chacun des maillons est
cohérent avec sa contribution à l’avantage concurrentiel : certains maillons coûtent-
ils plus qu’ils ne créent de valeur ?… Bien entendu, cette analyse concerne en
priorité les activités primaires, les activités de support n’étant pas censées générer
directement de la valeur. La plupart des organisations qui ont effectué cette analyse
ont d’ailleurs constaté que leurs services centraux – qui sont par définition des
activités de support – ont un coût très supérieur à leur valeur. »
Dans cette approche, la fonction RH est un centre de coûts, alors que d’autres
activités sont centres de profits. C’est une fonction support, au service des fonctions
business. Elle intervient en back-office, contrairement aux activités de front office.
Elle est composée d’indirects, à l’opposé des effectifs directs dont le nombre
impacte proportionnellement les agrégats économiques. Elle regroupe des
fonctionnels qui viennent alourdir l’activité des opérationnels. Le premier dirigeant
d’une grande entreprise de distribution parle depuis des années à propos de sa
fonction RH de « fonctionnels-fonctionnaires ».
Cette représentation est basée sur deux confusions. La première consiste à
considérer que seul l’achat par le client de ce que fournit l’entreprise est créateur de
valeur pour celle-ci. Il est bien sûr évident que si le client n’achète pas, il n’y a pas
création de valeur. Mais l’acte d’achat n’est que la matérialisation d’un processus de
création de valeur tout au long de ce qui est communément appelé la chaîne de
valeur de l’entreprise. L’autre erreur, plus fréquente encore, est de considérer qu’il y
a des activités qui créent de la valeur puisqu’elles constituent un maillon obligé de
la chaîne de valeur (le marketing, la R & D, la production, la commercialisation),
mais que les autres activités qui interviennent de façon transversale, aux côtés de
l’ensemble de ces maillons, n’en créent pas.
Nous n’allons pas nier que dans certaines organisations, il existe un phénomène
de bureaucratisation des activités les plus éloignées du client ou les plus en
périphérie de la chaîne de valeur. Ces dérives existent et il n’est pas systématique
que la fonction RH crée de la valeur. Mais nous voulons démontrer dans cet
ouvrage qu’il lui est possible d’en créer.
Il y a quelques années, encore DRH, j’avais demandé à mes collaborateurs directs
de préparer leur entretien annuel de performance en indiquant à côté de chacun de
leurs objectifs non seulement le résultat obtenu, mais aussi son impact sur le client
final de l’entreprise. Certains sont revenus vers moi, perplexes : « Mais nous
travaillons en RH, notre activité ne touche pas le client final. » L’échange qui a
suivi a permis de partager une évidence : si un poste n’avait pas d’impact sur le
client final, il fallait le supprimer. Cet argument a permis de redynamiser les plus
dubitatifs dans leur recherche de réponses. Et ils sont arrivés à une conclusion :
certes, en n’étant pas en contact au quotidien avec le client, comme le sont les
forces commerciales, l’impact de leur contribution sur le client n’était pas direct.
Mais leur activité contribuait indirectement à sa satisfaction et donc à la création de
valeur. La mise en place d’audits de management et donc l’amélioration des
pratiques de management qui en découlait modifiaient l’animation des vendeurs par
leurs managers, et par conséquent l’activité de ces derniers face aux clients. L’aide
au recrutement de profils multiculturels impactait directement l’internationalisation
de l’entreprise et donc son développement ultérieur sur de nouveaux marchés. Pour
chacun de ces collaborateurs, le fil pouvait être tiré entre leurs objectifs et la valeur
créée, à travers l’impact indirect sur l’acte de matérialisation de la création de
valeur, la vente.
Réaliser cet exercice a permis à cette équipe de repositionner ses activités par
rapport à une finalité business. L’enjeu pour les fonctions dites « support » n’est en
effet pas seulement de satisfaire leurs clients internes, mais d’abord et en premier
lieu de créer de la valeur en apportant une contribution par rapport à ce qui se joue
avec le client final. Ces collaborateurs ont ensuite pris l’habitude, pour chacun des
projets menés, de s’interroger sur leur contribution à partir de son impact sur le
client final, ce qui les a amenés à exercer leur métier différemment.
Le premier étage de la fonction RH est composé d’activités qui ne créent pas de
valeur. Elles sont menées par l’entreprise parce que correspondant à des obligations.
A contrario, ne pas les assumer ou mal les assumer détruira de la valeur. Un seul
exemple : des relations avec les partenaires sociaux qui ne seraient pas travaillées
de manière à assurer la paix sociale pourraient entraîner une destruction de valeur
importante. Il y a donc à cet étage-là une démarche de gestion des risques qui doit
conduire à assumer ces obligations sans pour autant surinvestir, mais au contraire en
développant des logiques d’efficience et en réduisant les coûts.
Nous l’avons vu, le troisième étage est dédié à la création de valeur par la
fonction RH. Quand au deuxième, tout dépend de la façon dont l’entreprise va le
mobiliser. Restera-t-elle dans une logique métier ou mettra-t-elle les processus RH
au service du troisième étage ?
Pour illustrer cette démarche de création de valeur par la fonction RH, prenons la
question de la gestion des seniors. Confrontés à des enjeux sociétaux sur cette
population, les pouvoirs publics ont affiché un objectif : favoriser le maintien dans
l’emploi et le recrutement de salariés âgés grâce à des actions innovantes définies
au sein des branches et des entreprises. Ils ont défini une contrainte : à partir du
1er janvier 2010, les entreprises et les établissements publics employant au moins
50 salariés risquaient une pénalité correspondant à 1 % des rémunérations ou gains
versés à leurs travailleurs salariés ou assimilés si elles n’avaient pas conclu un
accord ou établi un plan d’action relatif à l’emploi des salariés âgés.
L’entreprise qui aborde ce sujet à partir du premier étage sera dans une logique
simple : elle travaillera à minimiser la contrainte en négociant un accord ou en
établissant un plan d’action a minima. Il s’agira de s’affranchir de l’obligation à
moindre coût. Soyons honnêtes : cette voie a été adoptée par de très nombreuses
entreprises.
Le DRH qui traitera cette obligation à partir du deuxième étage identifiera
quelques actions à mener en matière de recrutement des seniors, actions sur
lesquelles il devra batailler ferme avec les opérationnels. Il mettra en place des
mesures pour anticiper les évolutions de carrière, notamment autour de la
valorisation de l’expérience. Il travaillera sur les conditions de travail et notamment
sur la pénibilité.
Se saisir de la question des seniors à partir du troisième étage revient à construire
les réponses de l’entreprise aux questions suivantes : que devons-nous mettre en
place pour que cette population, qui a désormais vocation à rester plus durablement
dans l’entreprise que par le passé, reste engagée et efficace ? Comment les
spécificités de ces collaborateurs (en termes d’expérience, de modes de
fonctionnement, de position dans l’entreprise) peuvent-elles être utilisées comme
des atouts pour l’entreprise ? Comment peuvent-elles accroître sa capacité
stratégique ? Peut-être les réponses seront-elles proches de celles adoptées avec une
démarche d’entrée au deuxième étage. Mais en plus, elles seront porteuses de sens.
Et reconnaissons que pour les populations concernées, il est plus valorisant que
l’entreprise apporte une réponse à la question « Comment capitaliser sur vos
atouts ? » plutôt qu’à « Qu’allons-nous bien pouvoir faire de vous ? » Par ailleurs,
les réponses construites seront plus durables, puisqu’utiles au business et non
plaquées de façon artificielle.
La différence entre ces approches montre qu’en matière de gestion des ressources
humaines, il est possible d’aborder un même sujet soit avec une démarche de
minimisation des coûts, soit avec une approche de création de valeur.
Aborder la fonction RH exclusivement comme un centre de coûts conduit à
écarter la contribution qu’elle peut apporter aux processus de création de valeur mis
en œuvre par l’entreprise. Alors que certaines allocations de moyens, du fait du
retour qu’ils assureront, renvoient plus à une logique d’investissement que de
simple coût.

L’exercice délicat de la mesure


Parler d’investissement, en matière de RH comme dans d’autres domaines,
renvoie immédiatement à la question du retour sur investissement et de sa mesure.
S’il est possible de démontrer ce retour sur investissement d’un projet RH,
l’entreprise n’hésitera plus.
Pour de nombreuses personnes assurant des responsabilités dans cette fonction, le
sentiment que la GRH peut contribuer à la réussite de l’entreprise relève de la
conviction, voire de la foi, plus que d’une démonstration rationnelle.
Pourtant, la pression est forte sur les structures RH pour leur demander de chiffrer
leur activité, de démontrer le retour sur investissement des projets qu’elles
souhaitent mener, de prouver que la valeur qu’elles créent est supérieure à ses coûts.
Alors, de quelle mesure s’agit-il ? L’efficience d’une structure peut être définie
comme le rapport entre la valeur qu’elle crée et les coûts qu’elle engendre. Pour
accroître cette efficience, il n’y a que deux voies possibles : créer la même valeur en
réduisant les coûts ou créer plus de valeur à coûts constants.
Or tout se passe aujourd’hui dans de nombreuses entreprises comme si seule la
première voie était explorée. Il est révélateur qu’un des indicateurs sur lesquels les
entreprises se benchmarkent soit le ratio entre effectif de la fonction RH et effectif
total, avec une moyenne qui serait en France de l’ordre de 1,6 %[1]. Nous sommes là
dans une approche de la fonction RH uniquement centrée sur ses coûts. Il ne sera
par définition pas possible à la fonction RH de créer plus de valeur dans ces
conditions. D’autant qu’à trop vouloir réduire la graisse, certaines entreprises
attaquent le muscle.
Centrons-nous maintenant sur la mesure de la valeur créée. Celle-ci ne doit pas
être mesurée seulement par rapport à des finalités RH, qui constituent en la matière
une variable intermédiaire, mais en premier lieu par rapport aux objectifs
stratégiques de l’entreprise.
Prenons l’exemple d’une entreprise qui s’est fixé pour objectif de renforcer sa
différenciation par rapport à ses concurrents sur la qualité du service apporté au
client. La valeur créée par la fonction RH se mesurera en premier lieu à travers la
réalisation de l’objectif final : l’évolution de la satisfaction client telle qu’elle peut
être mesurée par les enquêtes. Quoi qu’ait mis en place la fonction RH, la stabilité
de cet indicateur indiquera qu’elle n’a pas créé de valeur. Cette valeur sera mesurée
en second lieu à travers la valorisation de ses réalisations par rapport à cet objectif :
évolution du niveau de compétences en matière de service client, communication
sur l’objectif, alignement des processus RH, etc. C’est ainsi que le réseau Carglass
s’est fixé depuis 2001 pour objectif de devenir « la référence en termes de service
au client. » La DRH a notamment construit une nouvelle politique de rémunération
dans laquelle chaque employé du réseau peut bénéficier d’une part variable indexée
sur la satisfaction client enregistrée dans son centre. Les sommes versées peuvent
ainsi atteindre 700 euros par mois.
Plus globalement, notons que la question de la mesure en RH est un sujet
récurrent. Certains DRH ont consacré de longues réunions à tenter de construire les
indicateurs et tableaux de bord qui leur permettraient notamment de rétablir un
certain équilibre dans leurs échanges avec le directeur financier de leur entreprise.
Lorsque j’accompagne une entreprise sur ce sujet, je suis porteur de plusieurs
convictions. La première est que travailler sur la mesure est positif en soi. Cette
démarche pousse la fonction RH à se poser les bonnes questions : ses finalités, ce
par rapport à quoi elle s’évalue, et plus largement l’enjeu de sa contribution.
La deuxième de ces convictions est que ces indicateurs ont un intérêt limité s’ils
n’ont qu’un rôle d’information, en ne décrivant que le passé. Ils doivent pousser à
l’action en permettant de suivre l’avancement des priorités ou projets stratégiques.
Pour chaque indicateur, une cible chiffrée doit avoir été définie au préalable, de
manière à pouvoir suivre à la fois la valeur de l’indicateur et l’écart avec la cible.
C’est cet écart qui générera la mise en œuvre d’un plan d’action. La démarche de
construction d’un tableau de bord RH doit alors intégrer un critère de simplicité
(pour être un outil opérationnel) et un critère de faisabilité (facilité d’accès aux
informations requises, notamment.) Plus que la « pureté » de l’indicateur, ce qui
doit être recherché, c’est qu’il soit parlant et ait un impact opérationnel. Un
indicateur juste peut être contre-productif s’il est trop complexe à comprendre ou à
utiliser.
La troisième de mes convictions dans ce domaine est qu’en matière de gestion des
hommes, tout ne peut pas être mis en équation. C’était peut-être le cas quand le
travail était normé, constitué de tâches prescrites, centré sur l’exécution. Là, le
modèle de « l’homme-robot » pouvait donner prise au même type de mesures que la
machine. Aujourd’hui, avec le développement du travail du savoir, certaines
dimensions ne sont plus mesurables : comment quantifier par exemple la créativité
et la prise d’initiative, autrement qu’à travers d’autres variables sans doute
connectées, mais distinctes et très restrictives, comme par exemple dans certains
métiers le nombre de brevets déposés ? Il y a donc des limites à la mesure par le
DRH. D’autant que le syndrome « usine à gaz » guette vite. Or, l’indicateur le plus
pertinent n’est pas toujours le plus simple.
Quatrième et dernière conviction : la difficulté de mesurer certaines dimensions
en matière de gestion des hommes ne condamne en aucun cas à l’inaction. Un seul
exemple : celui des statistiques ethniques. Nous ne nous prononcerons pas ici sur
leur nécessité. Mais nous nous arrêterons à un argument : pour certains, il ne serait
pas possible de lutter contre les discriminations ethniques sans ces statistiques. Cet
argument est aberrant : qu’est-ce qui empêche aujourd’hui les entreprises de lutter
contre les discriminations et de développer la diversité en leur sein ? Le diktat de la
mesure n’est parfois qu’un prétexte pour ne pas agir.

Business partner : stop ou encore ?


L’appellation « RH business partner » s’est largement répandue depuis une bonne
dizaine d’années, notamment dans les grands groupes, pour qualifier les
généralistes RH en charge du suivi d’une population. Ce nouveau label traduit
plusieurs évolutions. Les responsabilités de la fonction RH sont réparties en deux
pôles distincts : d’une part les fameux business partners en charge de leur
dimension opérationnelle, de l’autre des services support mutualisés, « centres de
services partagés », porteurs des expertises techniques sur chacun des processus
RH. Le RH business partner est le plus souvent rattaché hiérarchiquement au
dirigeant opérationnel de l’entité dont il assure le suivi RH.
Dans les entreprises où elle a été mise en place, cette nouvelle organisation
répondait à une préoccupation : débureaucratiser les pratiques RH. La période
précédente avait été marquée par un renforcement du professionnalisme et de la
technicité de la fonction RH, dans chacun de ses processus. Ce développement de
l’expertise était alors indispensable. Rappelons-nous des méthodes ésotériques
encore utilisées par certains à l’époque en recrutement, des « démarches catalogue »
généralisées en formation, des tâtonnements et des risques pris par rapport à la
législation sociale. Développer le niveau d’expertise dans chacune des
fonctionnalités RH répondait à un véritable besoin pour l’entreprise. Mais cette
évolution avait conduit à une dérive : faire de la technique la finalité même de
l’intervention des responsables RH. C’est bien en réaction à une fonction RH dont
la source de légitimité se limitait à des expertises déconnectées des enjeux de
l’entreprise qu’a émergé cette notion de RH business partner.
Il est essentiel de garder à l’esprit cette volonté initiale de repositionner les
techniques RH comme des moyens au service de la vraie vie de l’entreprise, et non
plus comme une fin en soi.
Le terme de business partner appliqué à la fonction RH a dès son apparition fait
l’objet d’une critique venant de la fonction RH elle-même : « Nous ne sommes pas
des business partners, mais des business players ! Le responsable RH n’a pas à être
à côté du business, mais dedans. » Peut-être la question se pose-t-elle ainsi dans
quelques organisations déjà très en pointe dans l’articulation entre business et
ressources humaines. Mais au vu de la pratique effective dans la plupart des
entreprises, cette querelle relève sans doute plus de notre propension française à
disséquer les mots qu’à un enjeu réel sur les pratiques.
La critique forte qui a émergé dans la dernière période sur ce positionnement du
responsable RH en tant que business partner est à mon sens plus pertinente. Elle est
portée aussi bien par des DRH de grands groupes que par des acteurs influents
comme Entreprise & Personnel.
Cette notion est aujourd’hui remise en cause car ayant conduit dans certaines
organisations à un alignement de la fonction RH sur les besoins opérationnels court
terme. La fonction RH ne serait plus centrée que sur les besoins immédiats, sans
projet autre que de répondre aux demandes ponctuelles, allant même parfois jusqu’à
oublier les règles éthiques dont elle est porteuse par essence. Une fonction inféodée,
ayant renié son âme. « Le DRH business partner est devenu un rouage de la
politique, en passant du statut “d’utile” (la fonction support par excellence) au statut
nouveau “d’utilisé”», écrit Izzy Béhar, rédacteur en chef de la revue Personnel dans
le numéro de juillet-août 2011 dédié au sujet.
Ce qui est questionné, c’est notamment la posture de la fonction RH vis-à-vis des
responsables opérationnels. Initialement, le praticien RH avait dans de nombreuses
entreprises hérité d’une posture de gardien des règles, du fait de l’histoire. Pensons
aux premiers directeurs du personnel, anciens militaires en charge du respect de la
discipline. Les règles sociales étaient imposées sans être expliquées. L’opérationnel
était considéré comme incompétent sur les questions RH, le responsable RH étant le
« sachant », dans la « posture du gendarme » qui siffle les fautes et les sanctionne.
Ce qui est mis en cause dans le positionnement du praticien RH en tant que
business partner, c’est la dérive contraire, celle de la subordination. Le responsable
RH serait au service de l’opérationnel, quelle que soit la demande de celui-ci et sans
le moindre recul. En lui étant inféodé, il n’apporterait plus de valeur ajoutée,
puisqu’il se centrerait sur l’exécution et sur le court terme, dans la « posture du
valet » qui exécute.
Certes, aucun praticien RH ne peut se satisfaire de ce positionnement. Mais faut-il
pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain et revenir aux logiques anciennes ?
Faut-il cautionner les pratiques existant encore dans certaines entreprises, dans
lesquelles la déconnexion entre la fonction RH et les logiques opérationnelles est
restée forte ?
Lorsque la fonction RH est centrée sur sa technicité, elle est déconnectée des
enjeux réels et crée peu de valeur. Lorsqu’elle est inféodée aux logiques
opérationnelles, elle n’apporte aucune valeur ajoutée non plus. Or, nous l’avons vu,
la fonction RH comme toute autre fonction doit avoir pour finalité de créer de la
valeur et d’impacter les résultats de l’entreprise, idéalement dans la durée. Pour
cela, quelle doit être sa posture ?
L’activité et le positionnement de la fonction RH doivent répondre à deux
déterminants, tout aussi importants l’un que l’autre, et qu’il faut croiser : tout
d’abord une grille de lecture constituée par le projet ressources humaines de
l’entreprise, articulé avec sa stratégie. C’est cette grille qui donne du sens à l’action
de la fonction RH. C’est elle qui justifie sa temporalité et lui permet d’être garante
du moyen et long terme. C’est ce déterminant qui lui interdit d’être vis-à-vis des
opérationnels dans une posture d’inféodation. C’est ce qui lui permet de dire non
quand la demande du manager est en contradiction avec ce projet. C’est aussi ce qui
lui permet certes de répondre aux besoins immédiats, mais aussi de travailler le
moyen et le long terme.
Second déterminant sur lequel nous reviendrons : la fonction RH doit aussi être
ancrée dans les réalités opérationnelles, dans ce qui est réellement vécu par les
collaborateurs et les managers, sur le terrain, dans ce qu’il faudra impacter via la
politique RH.
N’être que sur le premier déterminant, comme le responsable RH technicien, c’est
prendre le risque de n’aborder le monde réel qu’à travers les outils et la technique.
N’être que sur le second, comme certains RH business partners, c’est renoncer à
toute ambition. Dans les deux cas, la fonction RH ne crée pas de valeur.
Articuler ces deux déterminants suppose donc un projet ressources humaines
formalisé à partir de la stratégie de l’entreprise et partagé, une organisation RH qui
combine présence terrain et animation forte sur du contenu, mais aussi un travail sur
les postures de la fonction RH au quotidien.
En étant garant d’un projet RH à caractère stratégique mais aussi ancré dans les
réalités opérationnelles, le praticien RH invente une nouvelle posture vis-à-vis du
responsable opérationnel. Il l’accompagne et lui apporte ses services en orientant
son activité pour qu’elle soit cohérente avec le projet RH et contribue à sa
réalisation. Il est plus dans une posture de coach, qui va aider le responsable
opérationnel à grandir dans la compréhension et l’intégration dans son activité de la
politique RH articulée avec la stratégie.
D’autant que tirer sa légitimité de la valeur créée permet à la fonction RH de
sortir des logiques de territoire et de pouvoir qui marquent les deux postures déjà
décrites du gendarme et du valet. La différence dans la nature des contributions
respectives du responsable opérationnel et du praticien RH à cette création de
valeur ne conduit plus à ce qu’ils se positionnent en priorité l’un par rapport à
l’autre, dans une relation de pouvoir. Mais à ce qu’ils se positionnent ensemble par
rapport à cet enjeu commun qu’est la création de valeur, qui peut être matérialisée
dans la relation avec ce troisième acteur qu’est le client final.

Repositionner la fonction RH
Quelle ambition pour la fonction RH ? Nous avons vu ce qu’est son potentiel et
notamment la valeur qu’elle peut créer. Mais l’entreprise va-t-elle avoir la volonté
d’investir ce terrain et de repositionner sa fonction RH ? Avant la question de la
démarche à mettre en œuvre, il y a celle de l’envie de faire.
Certains DRH tirent leur légitimité de la technicité de leurs activités. Personne ne
viendra les challenger sur ce terrain. Ils utilisent d’ailleurs parfois les relations
sociales et les risques sociaux pour tenir à distance de leurs terrains d’intervention
d’autres dirigeants de l’entreprise. Leurs missions régaliennes leur permettent
d’asseoir un pouvoir que nul ne leur conteste. Alors qu’aller sur le terrain de la
création de valeur, c’est entrer dans une arène nouvelle pour lui. C’est remettre en
jeu une forme de confort. Pourquoi prendre ce risque quand personne ne vous le
demande ?
L’entreprise qui sera à la fois lucide sur le potentiel de la fonction et volontaire
pour le développer devra mener une démarche de reengineering de sa fonction RH.
Le développement qui suit a pour objectif de détailler ce que peut être une telle
démarche.
La première étape consiste à réaliser un état des lieux, ou à le faire réaliser par un
intervenant extérieur pour objectiver la démarche et disposer d’éléments de
comparaison. Plusieurs dimensions doivent être couvertes. Les missions assumées
par la fonction tout d’abord : quelles sont-elles ? Quelle est la qualité de ce qui est
réalisé ? Mais il faut aussi mesurer ce que sont les moyens mobilisés. Et enfin
détailler les interfaces de la fonction RH avec les autres acteurs de l’entreprise et
leur qualité. Cette étape permet à l’entreprise de répondre à une question : d’où
partons-nous ?
La deuxième étape est bien sûr la plus délicate et la complexe, puisqu’elle vise à
définir où la fonction RH doit aller, où elle va créer de la valeur à terme. Il ne s’agit
ni plus ni moins que de mettre en œuvre les logiques décrites dans les deux
chapitres précédents : comment la fonction RH peut-elle participer à la mise en
œuvre de la stratégie ? Quelle contribution de sa part à la construction de cette
stratégie ? C’est donc à partir de la stratégie actuelle et future de l’entreprise qu’il
est possible de définir les missions cibles de la fonction RH. Sans pour autant brûler
les étapes : il ne sert à rien de décréter que la fonction RH investira demain le
troisième étage si le premier n’est pas solide. L’entreprise doit savoir doser les
ambitions qu’elle a pour sa fonction RH.
Troisième étape, toujours centrée sur la cible : définir la structure RH qui
correspond aux missions ciblées par la fonction, telles que définies dans l’étape
précédente. Pour assumer ces missions, il faut préciser où affecter les moyens dont
la fonction RH dispose, et notamment la répartition de ses effectifs entre ses
différentes activités.
Une fois l’état des lieux dressé et la cible définie, la quatrième étape consiste à
construire le chemin qui permettra d’aller de l’un à l’autre. Examinons ce que
peuvent être les différents cas de figure. Première situation : l’état des lieux a révélé
ou confirmé que la qualité de la fonction administrative n’était pas garantie.
L’impératif dans ce cas est de sécuriser l’entreprise sur ces obligations et de
construire une gestion administrative sécurisée.
Deuxième situation : la fonction administrative délivre ce qui est attendu d’elle,
mais elle mobilise l’essentiel des effectifs de la DRH. L’enjeu alors est de dégager
des ressources pour pouvoir les réaffecter à d’autres missions. L’entreprise va donc
devoir travailler l’efficience de sa fonction administrative, en veillant à ne pas en
dégrader la qualité.
Les voies à explorer pour répondre à cet enjeu sont multiples. La première est de
simplifier : parmi les états, les reportings, les indicateurs attendus de cet étage,
combien sont réellement utiles ? La plupart des entreprises ont déjà beaucoup
exploité la voie de l’automatisation. Mais les outils informatiques permettent aussi
de rendre aux managers et aux collaborateurs une partie de la responsabilité du
quotidien RH, notamment ce qui relève de la saisie d’un certain nombre
d’informations : demandes de congés, plannings de travail, notes de frais, etc.
Enfin, le regroupement des activités de paie et d’administration dans une entité
commune, centre de services partagés, permet de bénéficier d’économies d’échelle.
Entre 2006 et 2010, la volonté de la direction de France Télévisions de constituer
un véritable groupe à partir des différentes sociétés regroupées en son sein a conduit
à une réorganisation importante de la fonction RH. Les 400 collaborateurs qui
constituaient cette fonction étaient auparavant essentiellement affectés aux
différents services paie et administration du personnel, ainsi qu’à un suivi des
relations sociales éclaté dans les multiples entités. Deux chantiers majeurs ont été
menés : le regroupement progressif des activités de paie et d’administration a
permis de réaliser des économies d’échelle très importantes. La construction d’un
dialogue social au niveau du groupe a conduit à alléger les structures intermédiaires.
Au final, ce sont plusieurs dizaines de postes qui ont pu être dégagés pour être
réorientés vers d’autres activités RH. France Télévisions a ainsi pu créer une
fonction de généraliste RH en charge d’une population, pour accompagner les
managers sur la gestion de la performance, le développement des compétences et la
gestion des parcours de leurs collaborateurs.
Pour aller plus loin encore, certaines entreprises ont externalisé leurs opérations
administratives. En premier lieu, la paie et l’administration du personnel, puis
l’administration de la formation, voire des domaines aussi sensibles que le
recrutement. Ces opérations d’externalisation sont souvent vendues par le DRH à
son DG comme permettant de réduire les coûts. L’objectivité oblige à dire que c’est
rarement le cas. Le bénéfice est à chercher ailleurs : en confiant ces tâches à
d’autres, la fonction peut se focaliser sur ses autres missions. C’est le centre de
gravité de la fonction RH qui est déplacé : l’ascenseur peut monter dans les étages !
Faut-il systématiquement externaliser les tâches de la fonction RH qui ne créent
pas de valeur ? La réponse à cette question doit être nuancée. Il est fréquent que
l’externalisation se traduise par une dégradation de ces opérations et l’entreprise
doit être extrêmement vigilante sur la qualité de son interface avec le prestataire.
Par ailleurs, certaines entreprises sont allées très loin dans l’externalisation. C’est
ainsi qu’Unilever a, durant la dernière décennie, externalisé la quasi-totalité de sa
GRH, avec bien sûr une exception, les relations sociales. Les conséquences sont
directes : les managers de proximité se sentent très seuls face à leur équipe ; la
culture groupe et la formation sont aujourd’hui mal en point.
Autre limite : certaines entreprises constatent qu’en externalisant paie et
administration du personnel, elles ont perdu une des interfaces majeures avec leurs
collaborateurs. Les contacts sur ces sujets étaient souvent l’occasion de recueillir
des informations qui allaient très au-delà des simples questions administratives.
L’entreprise doit veiller quand elle externalise certaines opérations RH à ne pas
dégrader la relation directe qu’elle entretient avec les collaborateurs. Les moyens
dégagés doivent être au moins pour partie réaffectés à des postes RH opérationnels.
Les limites de l’externalisation sont telles que dans son travail de prospection sur la
fonction, la dernière promotion de DRH qui suit l’executive master RH de Sciences
Po a cité la ré-internalisation de certaines activités comme constituant une des
tendances émergentes de la GRH.
Troisième situation, sans doute la plus classique, celle où l’entreprise a construit
deux premiers étages solides : sa fonction administrative est efficace et optimisée,
les processus RH ont été professionnalisés. L’enjeu pour l’entreprise va alors
consister à réorienter ces processus pour les mettre au service du projet RH
construit en adéquation avec la stratégie. C’est la démarche dont les étapes sont
décrites de façon détaillée dans le chapitre 5.
Situation atypique : il peut exister des organisations qui ont commencé à
construire le troisième étage tout en ayant un deuxième étage fragile. C’est le cas
par exemple de certaines entreprises du nord de la France. Elles ont développé une
culture forte, alimentée d’éléments de ce catholicisme social qui impacte fortement
le développement économique de la région depuis plusieurs siècles. Leur
conception de la gestion des hommes est nourrie d’éléments de sens, parfois très
formalisés. L’articulation entre cette dimension et les choix stratégiques de
l’entreprise est étroite. Mais dans certaines de ces entreprises, la GRH n’a pas été
professionnalisée en parallèle. Les processus RH n’ont alors été travaillés que de
façon rudimentaire. Dans ce type de situation, le vécu des collaborateurs risque de
ne pas être aligné sur les éléments de sens, les processus RH ne les matérialisant pas
au quotidien. C’est d’ailleurs là le point d’appui pour faire évoluer la GRH de ces
entreprises. La démarche consiste alors moins à construire des processus, ce qui
serait vécu comme une approche bureaucratique antinomique avec le fond, qu’à
mettre en place ce qui permettra de traduire dans le quotidien des collaborateurs ces
éléments de sens.
Quelle organisation pour la fonction RH quand elle a construit les trois étages ?
Aux côtés des opérationnels, sur le terrain, des généralistes RH, qu’ils soient
appelés RH business partners ou autrement. L’essentiel est qu’ils sachent articuler
ancrage opérationnel et projet RH construit en interface avec la stratégie. Ce qui
suppose qu’ils évitent les deux postures dénoncées plus haut. Le rattachement
hiérarchique à une structure RH et non aux dirigeants opérationnels peut contribuer
à équilibrer l’influence de la relation de proximité avec ces derniers.
En soutien de ces RH opérationnels, un certain nombre d’expertises sont requises,
correspondant aux différents processus RH. Mais pour que ces personnes apportent
une réelle valeur ajoutée, deux conditions sont requises, au-delà de leur expertise.
Elles doivent veiller à s’alimenter de la réalité quotidienne en développant elles
aussi un ancrage terrain. Pour ne prendre qu’un exemple, le responsable Comp &
Ben ne poussera pas aux mêmes décisions selon qu’il travaille dans sa bulle ou qu’il
échange régulièrement avec des opérationnels, managers et collaborateurs, sur les
thématiques de rémunération. Dans certaines entreprises, ne pas avoir intégré cet
impératif a conduit à satelliser les fonctions expertes. Cette dérive a contribué à
décrédibiliser l’organisation RH découpée en RH business partners et centre de
services partagés. Autre condition requise pour que ces experts jouent pleinement
leur rôle : ils doivent avoir intégré qu’ils sont au service des RH généralistes, et non
l’inverse. Certes ils sont porteurs d’une expertise qu’ils doivent partager, mais dans
la chaîne de création de valeur qui va jusqu’au client final, ils sont bel et bien en
amont de ces RH généralistes.
Dans les entreprises très avancées dans la construction du troisième étage, un
autre pan de l’organisation RH a parfois été développé. À partir du moment où la
valeur ajoutée de la fonction RH est d’abord dans la transformation et où cette
transformation prend la forme de projets, mettre en place des postes dédiés à la
gestion de ces projets peut avoir du sens. Ils doivent être formés à la conduite de
projet et à l’accompagnement du changement, et dédiés chacun à un projet sur une
durée très variable. Une organisation de ce type permet à la fois de développer la
souplesse d’intervention de la DRH et de la centrer sur la transformation plus que
sur la gestion proprement dite.
Cette démarche de repositionnement de la fonction RH suppose enfin d’aborder la
question des profils qui y travaillent. Lorsque la fonction RH n’a construit que les
deux premiers étages, la réponse est simple : elle doit être composée d’experts,
ayant développé leur expérience en occupant des postes successifs dans les RH.
Mais qu’en est-il quand le troisième étage est investi et que le deuxième est
réorienté à son profit ?
Il arrive parfois que le DRH lui-même soit nommé sur ce poste sans avoir au
préalable aucune expérience de la fonction RH. C’est notamment le cas pour ceux
des plus grands groupes. Ce qui ne manque pas de susciter l’incompréhension de
personnes de la fonction qui exercent leur métier depuis longtemps et considèrent
que celui-ci doit s’appuyer sur une véritable expertise. Ils peuvent avoir le
sentiment que l’identité même de leur métier est niée. A contrario, ce qui est mis en
avant par les DRH issus de l’opérationnel, c’est leur expérience de management : ils
ont déjà « partagé » la gestion des hommes avec les structures RH, en étant du côté
managérial. Mais ce qui a de la valeur et qui fait qu’ils sont nommés à ces
fonctions, c’est d’abord leur compréhension plus large des enjeux opérationnels,
leur ancrage dans le business.
La fonction doit combiner les deux dimensions : expertise et ancrage
opérationnel. L’expert devra développer sa compréhension des enjeux business.
L’opérationnel qui rejoint la fonction devra s’appuyer sur les expertises existantes.
Le mix entre les deux populations dans la fonction RH est souvent riche lorsqu’elles
savent s’appuyer l’une sur l’autre et coopérer en capitalisant sur les atouts de
chacune. Sans jamais oublier que l’expertise est indispensable, mais qu’elle n’a pas
de valeur en tant que telle si elle n’est pas mise au service du business.
Quelle légitimité ?
Ce chapitre dédié à la fonction RH ne serait pas complet s’il n’intégrait pas des
éléments de réponse à une question qui apparaît comme centrale dans la réflexion
des praticiens RH sur leur métier : celle de la légitimité de la fonction RH.
Nous disposons déjà, à travers ce qui a été présenté sur les trois étages de la
fonction RH, d’éléments sur ce que peuvent être les sources de cette légitimité. A
minima, le maintien de la paix sociale. Puis, lorsque les responsables RH se
professionnalisent, leur technicité et leur expertise dans chacun des processus RH.
Enfin, lorsque la fonction RH joue pleinement son rôle tel que proposé dans cet
ouvrage, la valeur qu’elle crée.
Nous disposons également d’éléments sur la posture qui permet d’asseoir cette
légitimité. Ni gendarme, ni valet, mais accompagnateur, coach, du responsable
opérationnel.
Reste que ce qui émerge très régulièrement et de façon forte dans la prise de
parole des praticiens RH est un sentiment très fort de frustration quant à la
légitimité qui leur est conférée par leurs dirigeants. Non seulement la fonction RH
n’est pas attendue sur certains sujets, mais de plus, quand elle les aborde, il lui est
clairement signifié qu’elle n’y est pas la bienvenue. Ce qui lui est renvoyé, c’est son
manque de légitimité pour investir des terrains qui semblent bien éloignés de ses
responsabilités traditionnelles. Nous évoquions plus haut ce syndrome de
Cendrillon. « Franchement de quoi se mêle ce fonctionnel lorsqu’il prétend vouloir
investir nos plates-bandes opérationnelles ! » Les DRH qui veulent aborder les
terrains de la stratégie, de l’organisation, de la conduite du changement, se font
renvoyer régulièrement à leur pré carré.
Cette frustration bien légitime au vu du potentiel de la fonction se double
malheureusement d’une certitude : puisque cette légitimité nous est refusée, nous ne
pouvons avancer.
Et c’est là que je voudrais m’inscrire en faux. La légitimité de la fonction RH ne
se décrète pas. Elle se construit, elle se conquiert. À partir du moment où le
praticien RH a la conviction qu’il peut apporter plus que ce qui est attendu de lui
dans son métier, sa responsabilité est d’investir les terrains sur lesquels il n’est peut-
être pas le bienvenu, mais où il peut créer de la valeur. Certes, ce n’est pas simple,
et nous verrons plus loin que la dimension tactique est importante. Mais en aucun
cas l’absence de positionnement préalable par la direction générale ne doit conduire
à l’immobilisme. Que la légitimité de la fonction RH lui soit déléguée ou pas, elle
doit de toute façon être construite par la preuve, dans l’action et dans les résultats
délivrés. « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas,
c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles », écrivait Sénèque il y a
près de deux mille ans.
[1]
6e édition de l’étude « Fonction ressources humaines » réalisée par l’Observatoire Cegos.
5
9 ÉTAPES CONCRÈTES POUR
CROISER GESTION DES HOMMES
ET STRATÉGIE
Nous avons présenté dans cet ouvrage les logiques à travailler pour articuler
stratégie et ressources humaines. Pour le praticien RH qui souhaite faire évoluer
son activité dans cette direction, comment procéder concrètement ? Il ne s’agit
bien sûr pas d’adopter une approche mécanique, en mettant en œuvre une
démarche formelle qui se heurterait très vite à des réalités complexes.
D’autant que pour la clarté du raisonnement, nous avons distingué de façon très
nette la construction de la stratégie d’une part, sa mise en œuvre d’autre part.
Alors qu’il est rare que ces deux dimensions sont pleinement dissociées dans
l’entreprise. À travers les adaptations de la stratégie, construction et mise en
œuvre sont souvent concomitantes. Pour développer la valeur ajoutée qu’elle
apporte, la direction des ressources humaines va devoir mixer les démarches
décrites plus haut.
Ce chapitre propose une démarche en 9 étapes à mettre en œuvre par le praticien
ou l’équipe RH qui, ayant intégré les logiques développées ici, veut transformer
les pratiques de son entreprise. Avec ce même objectif d’opérationnalisation de
l’approche, nous conclurons la présentation de chacune de ces étapes par trois
questions auxquelles chacun devra apporter une réponse pour pouvoir avancer.
Les trois premières étapes, en amont de l’intervention du praticien RH pour
articuler gestion des hommes et stratégie, sont destinées à le nourrir. Elles
constituent un préalable pour construire cette compétence.

Comprendre et intégrer le modèle économique de


l’entreprise
Analyser le modèle économique de son entreprise est le préalable pour pouvoir
mettre en œuvre les approches développées dans cet ouvrage.
Pour qui veut comprendre ce qui se joue dans l’entreprise face à un
environnement qui se transforme en permanence, la capacité à utiliser ce filtre du
modèle économique est fondamentale. C’est aussi ce qui permettra de garantir que
les actions menées sont cohérentes avec ce modèle et de ne le remettre en cause
que parce que cela aura été décidé par l’entreprise, pas parce que les acteurs
n’auront pas compris la logique en jeu.
Le modèle économique de l’entreprise, qu’est-ce que c’est ? Ce dont nous
parlons ici, c’est d’une représentation de l’activité de l’entreprise qui mettra en
évidence en les modélisant les leviers de création de valeur et l’équation
économique qui les articule. En ce sens, c’est un outil cognitif au service de la
stratégie.
Pour être plus concrets, entrons dans la démarche pratique à mettre en
œuvre pour mener cette analyse.
En premier lieu, il va s’agir d’identifier la singularité de la promesse d’utilité de
l’entreprise, son identité business, la carte qui permettra de comprendre son
territoire. Un moyen pour cela est de partir de la mission de l’organisation
lorsqu’elle a été formalisée, mission telle que définie dans le chapitre 1 : en quoi
votre entreprise est-elle utile à ses clients, et plus globalement quel est le besoin
de la société auquel elle répond de manière singulière ? C’est sur cette promesse
d’utilité que l’entreprise pourra articuler des composants techniques et mobiliser
ses collaborateurs, complétant ainsi son business model. Pour prendre un exemple
un brin provocateur, lorsque Free rebat les cartes du domaine des télécoms début
2012 avec sa nouvelle offre, peut-être est-ce contestable au vu des conséquences
sur les effectifs du secteur. Mais cela illustre la capacité de cette entreprise à
mettre en œuvre une promesse nouvelle pour ses clients. Au-delà de la seule
dimension commerciale, elle sait créer un supplément de valeur pour une cible de
clientèle en se distinguant de ses concurrents.
Le deuxième volet de cette approche va s’attacher à comprendre l’architecture
de valeur de l’entreprise et le modèle de revenu qui y est associé. Le business
model doit en effet permettre à l’entreprise d’atteindre des objectifs économiques,
sur la base d’une équation économique basée sur ses revenus et sur ses coûts.
Sinon, l’entreprise se heurte rapidement au mur des réalités économiques et ne
peut survivre. Les nouveaux business models doivent un jour ou l’autre démontrer
cette capacité. À défaut, la bulle éclate inévitablement. Il s’agit là de comprendre
comment l’entreprise matérialise concrètement sur le plan économique sa
proposition de valeur. Pour cela, il faut en décortiquer les différents éléments,
ceux pris en charge en interne et ceux qui sont externalisés.
Pour compléter cette approche, il est indispensable de détailler la place du
facteur humain dans ce modèle de revenu. Elle dépend bien sûr du secteur
d’activité, notamment à travers la part que représentent les coûts de personnel
dans le chiffre d’affaires. C’est ainsi par exemple que Compass, numéro un
mondial de la restauration collective, se définit comme un « centimier », ses
salaires correspondant en France à l’équivalent de 45 % de son chiffre d’affaires.
Il est d’autres domaines d’activité où ce ratio est dix fois moindre et ce n’est pas
sans conséquence sur la GRH. Au sein d’un même secteur, des différences
importantes peuvent exister entre deux entreprises quant à la structure de leurs
coûts de personnel. Sachant que le modèle économique et sa déclinaison dans une
stratégie constituent le filtre qui permettra au praticien RH de faire la distinction
entre dépenses et investissements.
C’est en ayant mené cette analyse que le praticien RH disposera de la grille lui
permettant de comprendre comment se positionne le facteur humain dans le
modèle économique de l’entreprise.

Les 3 questions à se poser


1) Quel est le modèle économique de mon entreprise et en quoi est-il
différent de celui de nos concurrents ?
2) Comment s’analyse la place du facteur humain dans cette équation
économique ?
3) Au filtre de la stratégie de mon entreprise et du modèle économique
qui la sous-tend, quels sont les éléments dans les budgets de personnel
qui relèvent d’une logique de coût et ceux qui relèvent de
l’investissement ?

Se nourrir du terrain
Intervenant dans une entreprise, j’ai pu entendre un manager s’exprimer sur son
responsable RH : « Il passe son temps dans son bureau ou en réunion. Il se croit
dans la tour de contrôle… il est dans une tour d’ivoire ! » Tout était dit.
Le praticien RH doit disposer en permanence d’un état des lieux précis de l’état
d’esprit des collaborateurs de l’entreprise, de leurs perceptions et ressentis. Il doit
connaître à tout moment les sujets de tension, les marges de manœuvre de
l’entreprise, le détail des attentes des collaborateurs. Sa responsabilité est aussi de
recueillir les perceptions sur les projets de l’entreprise pour identifier leur
faisabilité sociale. C’est ainsi qu’il pourra alimenter sa réflexion et ses décisions,
avec une approche de type gestion des risques et des opportunités.
Comment cette responsabilité se traduit-elle concrètement dans le quotidien des
praticiens RH ? Elle passe en premier lieu par la présence terrain. Le praticien RH
doit sortir de son bureau, aller au contact des collaborateurs et les faire s’exprimer.
Il doit identifier les salariés dont l’expression est représentative de ce que
ressentent et pensent leurs collègues. C’est cette écoute et cette attention qui lui
permettront de se construire une vision détaillée des réalités humaines de son
entreprise. Sachant bien sûr qu’il n’est pas facile de trouver le temps de le faire,
alors même que ce temps est une denrée rare au quotidien.
Cet impératif s’impose jusqu’au plus haut de la structure RH, quelle que soit la
taille de l’entreprise. À défaut, le DRH gérera des projets, des dossiers ou des
matricules, alors que sa matière est faite de vies humaines. Je n’ai jamais autant
appris sur l’entreprise dont j’étais le DRH que dans les échanges avec les
collaborateurs sur leur lieu de travail. J’utilise parfois l’image du diabolo pour
décrire le profil du DRH idéal : une partie haute développée à travers le caractère
stratégique de sa réflexion sur l’entreprise, et une partie basse tout aussi
importante à travers son ancrage terrain. C’est en ce sens que j’ai qualifié le
troisième étage de la fonction RH de « fonction stratégique de terrain ».
L’ancrage terrain du praticien RH est indispensable pour une seconde raison. Il
va lui permettre de s’alimenter des réalités opérationnelles de l’entreprise, en
passant du temps là où se matérialise la création de valeur, dans la relation entre
l’entreprise et ses clients. Et c’est là qu’est la condition pour comprendre le
business de l’entreprise et parler son langage. Ce qui constituera la première
source de crédibilité du praticien RH.
Avec les deux mêmes motivations, comprendre les perceptions et ressentis des
collaborateurs, se nourrir du business tel que l’entreprise le pratique au quotidien,
le praticien RH devra aussi aider dirigeants et managers à développer cette
pratique du terrain.
Pour mesurer les perceptions et ressentis du corps social, des approches plus
structurées existent, même si elles ne peuvent se substituer à la présence terrain.
La mise en œuvre d’enquêtes d’opinion quantitatives réalisées auprès des
collaborateurs s’est répandue ces dernières années. Pour autant, elles sont souvent
mal utilisées ou sous-exploitées. Afin d’optimiser le potentiel de cet outil, il est
notamment indispensable de sélectionner les questions les plus utiles pour
l’entreprise parce que lui permettant de s’évaluer par rapport à l’identité
employeur qu’elle cible au vu de sa stratégie. L’enquête d’opinion des salariés
réalisée tous les trois ans par le groupe Areva, pour lequel je mène un travail
d’analyse des résultats, a ainsi été construite à partir du projet RH Areva Way qui
découle de la stratégie. Il est également possible de mettre en œuvre une démarche
d’ordre qualitatif, basée sur l’interview d’un échantillon représentatif de quelques
dizaines de salariés à partir de questions ouvertes. Les deux approches,
quantitative et qualitative, peuvent être menées en parallèle ou alternativement.
L’enquête d’opinion donnera une photographie complète, mais peu profonde.
Alors que l’interview d’un panel fournira une photographie partielle, mais
détaillée.

Les 3 questions à se poser


1) Quelle est la part de mon activité dédiée à la présence terrain et
comment m’organiser pour la mettre au bon niveau ?
2) Comment développer chez les dirigeants et managers de mon
entreprise cette capacité à capturer les ressentis à travers leur pratique
du terrain ?
3) Que faudrait-il mettre en place pour disposer d’une vision objectivée
des perceptions des collaborateurs et de la façon dont elles évoluent ?
Développer ses connexions avec le monde extérieur
Certaines entreprises conjuguent plusieurs caractéristiques : elles ne recrutent
pas de profils expérimentés, ont une culture forte, sont centrées en premier lieu sur
leurs enjeux internes et ne font jamais appel au conseil. L’ensemble des canaux
qui permettraient à ces organisations de s’alimenter de leur environnement sont
bouchés. Et petit à petit, leur approche va se scléroser.
L’entreprise est un corps vivant, influencé par son environnement. Pour qui veut
peser sur son développement, il n’est possible de développer une démarche riche
dans la durée qu’en s’alimentant de l’extérieur. Ce constat s’applique de façon
générale à l’ensemble des fonctions, mais il est encore plus vrai pour la fonction
RH au vu de ses enjeux et du chemin qui lui reste à parcourir.
Quelles sont alors les voies possibles pour le praticien RH ? Celle qui est
souvent mobilisée n’est pas toujours la plus riche en contenu. Les praticiens RH
sont avides de participer aux associations ou clubs composés de pairs. La limite
est dans l’hétérogénéité des contenus, même si la plus importante de ces
associations, l’ANDRH, sait parfois faire preuve d’audace. Beaucoup ressortent
de ces échanges insatisfaits par rapport aux problématiques qui sont les leurs. La
frustration peut être la même à l’issue des conventions, colloques ou initiatives
diverses organisées sur des thématiques RH, souvent appauvris par le caractère
commercial porté par les organisateurs ou les sponsors. Pour qui recherche la
qualité et pas seulement l’appartenance à une communauté RH, il y a un vrai tri à
faire.
La source la plus riche pour s’alimenter de l’extérieur réside sans nul doute dans
les publications portant sur les thématiques ressources humaines. Ce n’est pas la
plus mobilisée : la plupart des dirigeants et des managers lisent peu, du fait de leur
charge de travail et du besoin de décrocher durant leur temps libre. De plus, au vu
de la profusion de matière publiée, il y a un véritable enjeu de sélection. Avec une
question centrale : s’agit-il d’un livre d’humeur ou du résultat d’un travail basé sur
une démarche rigoureuse ? Nous sommes nombreux à ne pas avoir de temps à
perdre à lire la énième publication sur un sujet rebattu lorsque son traitement n’a
aucun caractère scientifique. Je ne parle pas ici des ouvrages centrés sur les outils.
Ils ont leur intérêt, mais ils ne répondent pas au besoin de l’entreprise d’élargir sa
réflexion à partir d’apports sur le fond. Le praticien RH pourra trouver une grande
richesse en élargissant ses lectures au-delà des publications françaises et en
s’ouvrant à ce qui s’écrit en matière de stratégie.
La même analyse s’applique à la formation. La plupart des formations en
ressources humaines sont centrées sur les outils. Et il n’est pas simple pour
praticien RH d’identifier les actions qui permettront d’élargir ses compétences, en
combinant des apports sur le fond et une dimension opérationnelle et concrète.
Autre source majeure d’ouverture pour le praticien RH : le réseau qu’il construit
avec ceux qui, comme lui, pratiquent et pensent ce métier. Ce réseau doit être
qualifié : il ne s’agit bien sûr pas seulement de multiplier les contacts sur LinkedIn
ou Viadeo, mais bien d’initier et d’entretenir une relation d’échange sur des
contenus, basée sur la compétence et mutuellement profitable.
Le recours à une ressource extérieure à travers une mission de conseil est aussi
un moyen d’enrichir l’approche de l’entreprise sur une de ses problématiques.
L’apport du consultant peut être double. D’une part alimenter la réflexion de
l’entreprise à partir de son expertise. D’autre part l’aider à envisager l’ensemble
des voies possibles avant de décider celle qu’elle adopte.
Que le praticien RH s’alimente de témoignages, de lectures, de formations, de
son réseau ou d’une mission de conseil, une précaution est essentielle : ces apports
doivent être contextualisés. Au vu du caractère contingent de la GRH, souligné
plus haut, il ne s’agit pas de transposer cette matière telle quelle et de plaquer sur
les réalités de l’entreprise des recettes toutes faites, par exemple en succombant à
un phénomène de mode. Et ce sont moins des démarches déjà packagées que des
clés qu’il faut rechercher, notamment pour pouvoir aider l’entreprise à sortir de
son cadre habituel de réflexion.

Les 3 questions à se poser


1) Quelle est la part de mon activité dédiée à me nourrir de l’extérieur et
comment m’organiser pour la mettre au bon niveau ?
2) Quelles voies est-ce que je privilégie et quels sont les critères pour
sélectionner les initiatives auxquelles je consacre du temps ?
3) Comment développer le réseau qualifié sur lequel je peux
m’appuyer ?

Les trois étapes suivantes sont centrées sur l’intervention du praticien RH pour
articuler gestion des hommes et stratégie, en mettant en œuvre ce qui a été traité
dans le chapitre 2 et plus encore dans le chapitre 3.

Alimenter la stratégie émergente


La stratégie réalisée, telle qu’elle peut être constatée a posteriori, est le fruit de
la combinaison de deux phénomènes de construction qui, selon les entreprises,
sont plus ou moins développés. Il s’agit tout d’abord de la stratégie délibérée,
formulée intentionnellement ou planifiée par l’entreprise. Elle est le résultat d’un
processus structuré. Le praticien RH qui se sera nourri du modèle économique de
l’entreprise, de ses réalités terrain et d’apports extérieurs et qui aura intégré les
logiques présentées ici sera en bonne posture pour alimenter ce processus
stratégique délibéré avec les éléments qu’il aura identifiés comme constitutifs de
la capacité stratégique de l’entreprise : compétences, traits culturels ou potentiel
d’innovation.
Mais la stratégie n’est pas que le résultat d’un processus de construction
délibéré, qui d’ailleurs n’existe pas dans toutes les entreprises. La stratégie
émergente sera le résultat d’une série de décisions et orientations adoptées au fil
du temps en prenant sens à partir d’un développement progressif. Une opportunité
sur un marché à un moment donné, une acquisition, un retrait forcé, par exemple,
viendront modifier le cours du développement de l’entreprise, quitte à être remis
en cohérence ultérieurement.
Alors que nous arrivons au cœur de la valeur ajoutée que peut apporter le
praticien RH, la question qui lui est posée est simple : comment peut-il alimenter
la stratégie émergente ? Il s’agit pour lui de contribuer à ce que l’entreprise sache
prendre les initiatives stratégiques qui assureront son développement. Elle doit
savoir s’engouffrer sur de nouveaux terrains et se saisir des opportunités, y
compris à partir de signaux faibles de son environnement. Ce qui suppose qu’elle
soit à la fois suffisamment audacieuse : « Nous pouvons le faire ! », et lucide sur
les atouts qui lui donnent de bonnes chances de réussite.
La valeur ajoutée du praticien RH sur ce terrain renvoie à trois dimensions qu’il
doit développer : il doit tout d’abord avoir une vision claire et détaillée des
capacités stratégiques de son entreprise à partir d’un travail sur les compétences,
mené par exemple dans le cadre d’un projet de GPEC, d’une analyse détaillée de
sa culture et d’une compréhension fine du rapport de son organisation à l’initiative
et à l’innovation. Il doit ensuite partager et diffuser cette vision de manière à ce
que chacun des acteurs pouvant impacter la stratégie émergente intègre la
plateforme sur laquelle l’entreprise peut s’appuyer. Il doit enfin être lui-même en
mesure de croiser la capacité stratégique de l’entreprise et les opportunités qui se
présentent à elle, sur la base de sa connaissance du business et de sa
compréhension du modèle économique de l’organisation.
Soyons plus précis, à partir de chacun des trois axes que nous avons identifiés
comme constitutifs de la capacité stratégique : compétences, caractéristiques
culturelles et contexte d’innovation.
Pour ce qui est des compétences distinctives de l’entreprise, l’enjeu est
d’identifier et de mettre en évidence ce qu’elles permettent. Le recrutement d’un
ingénieur spécialisé en téléphonie par le site de Philips au Mans, au début des
années quatre-vingt-dix, a ainsi eu des conséquences inattendues. Le chasseur de
têtes en charge de la mission nous avait indiqué qu’il n’existait au niveau mondial
que cinq spécialistes pointus correspondant au brief que nous lui avions donné,
dont deux qui travaillaient déjà chez nous. Avec ce recrutement, Philips avait donc
en son sein trois des cinq meilleurs experts mondiaux. C’est ce constat, transmis
par la DRH du site au siège du groupe, qui a conduit Philips à décider d’investir
massivement dans le marché à naître du téléphone portable. Nous avions
typiquement là un exemple d’innovation valeur basée sur le constat de la maîtrise
d’une expertise. Certes, Philips a dû céder ces activités, des années plus tard, mais
ses difficultés étaient alors d’abord liées à une culture plus centrée sur le produit
que sur le client.
La lucidité sur les caractéristiques culturelles de l’entreprise permettra
d’identifier ce qu’elles permettent et ce qu’elles interdisent. Ce sera par exemple
le cas dans la situation où l’opportunité d’un rapprochement, d’un partenariat ou
d’une acquisition se présentera sans vraiment avoir été envisagée auparavant. La
faisabilité culturelle de l’opération devra amener le praticien RH et les autres
acteurs éclairés sur cette culture à être debout sur l’accélérateur ou sur le frein,
selon les cas.
En développant un contexte d’innovation et d’initiative, le praticien RH
fertilisera le terrain et contribuera à développer la capacité de l’entreprise à
accueillir positivement les expérimentations. Certains auteurs ont d’ailleurs
théorisé le processus d’élaboration de la stratégie par l’expérimentation et
l’apprentissage, en parlant d’« incrémentalisme logique[1] ».

Les 3 questions à se poser


1) Quelles sont, analysées de manière détaillée, les capacités
stratégiques de mon entreprise ?
2) Comment partager et diffuser largement dans l’entreprise cette
analyse ?
3) Quelles sont les opportunités que ces capacités stratégiques me
permettent de détecter et de mettre en évidence dans la période
actuelle ?

Adopter une démarche tactique


L’influence du praticien RH sur le contenu de la stratégie dépend notamment du
type de relation qu’il établit avec les autres dirigeants de son entité. Comment
interagit-il avec le DG d’une part, les patrons des autres fonctions d’autre part ?
Beaucoup a été dit, écrit ou mis en scène sur le « binôme DG-DRH ». Je ne
connais pas de DRH qui n’aspire à voix haute à travailler avec un DG ayant
intégré la valeur ajoutée potentielle de la dimension ressources humaines. J’ai
souvenir des témoignages conjoints du DG et du DRH d’Orangina-Schweppes
France devant mes étudiants de Sciences Po. Ces derniers avaient réagi en
exprimant leur surprise : « Nous avons entendu un DRH nous parler de business et
un DG nous parler de RH. » La symbiose[2] était parfaite !
Si beaucoup rêvent de cette situation, tous ne la rencontrent pas. Et pour faire
vivre les logiques à caractère stratégique avec un dirigeant qui ne considère les
hommes que comme une variable d’ajustement, beaucoup avancent masqués.
Ainsi cette DRH dans l’informatique : « J’ai été recrutée il y a quelques années
comme numéro deux par le DRH qui venait de rejoindre l’entreprise. Il a sauté
trois mois plus tard, pour avoir présenté au comité exécutif l’ensemble de son
projet pour les années à venir. J’ai alors été promue DRH. Cinq ans après, tout ce
qu’il avait envisagé est en place. Mais j’ai procédé par petites touches, en partant
des attentes ponctuelles, sans montrer l’image globale. »
Avec les dirigeants et managers, le praticien RH doit développer une stratégie
d’alliés. Il doit les aider à décoder les enjeux humains et les faire grandir sur cette
dimension.
Son influence devra s’adapter aux formes de construction de la stratégie. Quand
la stratégie est délibérée, elle peut être le fruit d’une démarche structurée de
planification stratégique. Cette dernière prend par exemple la forme de séminaires
de l’équipe de direction dédiés à cette élaboration. Nous avons vu plus haut que
l’appartenance du DRH à cette instance était la condition nécessaire mais non
suffisante pour qu’il influence la stratégie. Il ne s’agit pas alors de veiller à ce que
la stratégie formalisée comprenne un volet RH, avec quelques objectifs souvent
positionnés parmi les derniers énoncés. La dimension ressources humaines doit
être présente dans chacun des axes stratégiques, et pas seulement en tant que
moyen à aligner. Le praticien RH est alors intervenu en amont pour alimenter la
réflexion des autres participants à la construction de la stratégie, en les amenant à
revisiter leurs modes de pensée habituels à partir des logiques décrites dans le
chapitre 3.
Autre situation, la stratégie peut être associée à une personne. Dans une PME ou
un groupe familial, ce sera le fondateur ou son descendant. Dans d’autres
organisations, ce pourra être un leader charismatique. Le praticien RH travaillant à
ses côtés devra alors jouer un rôle d’influence.
La stratégie peut aussi être contrainte par des acteurs extérieurs : maison mère,
client ou concurrent dominant, opinion publique, etc. Le praticien RH doit alors
aider les acteurs internes à gagner en lucidité sur le non-négociable d’une part, les
marges de manœuvre d’autre part.
Quand la stratégie est émergente, elle peut être construite via l’apprentissage,
notamment en testant des voies de développement sur la base d’engagements
ponctuels. Le praticien RH peut dans ce cas apporter une valeur ajoutée en
encourageant des expérimentations sur la base des compétences ou des atouts
culturels de l’entreprise et en aidant les autres acteurs à en tirer les enseignements.
La stratégie peut aussi prendre forme à travers les décisions d’allocation des
moyens. La construction et l’évolution des budgets de personnel constituent des
leviers importants pour influencer les choix, de même par ailleurs que les axes
retenus en matière de gestion des carrières et leur mise en œuvre.
Ce sont parfois des hypothèses implicites, sous forme d’évidences partagées qui
servent de base à la stratégie émergente. Le praticien RH peut aider les autres
acteurs à expliciter ces représentations afin qu’ils soient en situation de les
revalider ou de les dépasser.
Le praticien RH doit par ailleurs être vigilant aux processus de marchandage et
de négociation qui peuvent exister entre différents groupes d’intérêt dans
l’entreprise. Il doit les intégrer et les influencer.

Les 3 questions à se poser


1) Quelles sont les formes privilégiées dans mon entreprise pour
construire ou faire émerger la stratégie ?
2) Quel est le niveau d’intégration des logiques RH par les différents
acteurs qui pèsent sur ces contenus ?
3) Quelle est la meilleure voie à emprunter avec chacun pour faire
progresser l’entreprise dans son articulation des dimensions RH et
stratégique ?

Réinventer la GRH
Quelles sont les entités de l’entreprise dont le quotidien peut être centré à la fois
sur les processus, la gestion administrative et le respect des règles ? La
comptabilité, certes. La qualité lorsqu’elle est traitée de façon formelle. Et la
DRH, trop souvent. Ces trois activités sont censées être les moins créatives de
l’entreprise, puisque centrées sur la conformité.
Pourtant, nous n’en sommes qu’aux balbutiements d’une approche qui
permettrait à la fonction RH de créer toute la valeur dont elle est potentiellement
porteuse. Avec certes de grandes différences selon les entreprises. Mais même
dans les organisations les plus avancées, les enjeux et les transformations de
l’environnement de l’entreprise sont tels que demain devra être fondamentalement
différent d’aujourd’hui en la matière.
Ce qui nous amène à la question de la créativité en RH. Peut-être certains
d’entre nous sont-ils formatés pour être des fermiers, des laboureurs. Mais la
fonction RH a aujourd’hui d’abord besoin de poètes[3] ! Dans ce que nous mettons
en œuvre, nous devons impérativement sortir des sentiers battus et développer
notre capacité “to think out of the box”.
Il y a quelques années, alors que j’étais DRH du groupe Décathlon, mon DG a
remis en cause l’Université Internationale des Métiers, composée d’une
cinquantaine de collaborateurs travaillant sur le contenu des métiers et des
formations. Il avait à la fois un souci d’économies et une préoccupation quant au
décalage croissant entre les réalités terrain et ce qui était produit par cette équipe.
Le débat aurait pu se figer entre cette approche et ma volonté de préserver l’atout
que représentaient pour l’entreprise ses dispositifs en matière de développement
des compétences. Avec mon équipe, j’ai construit une alternative en récupérant au
sein de la DRH un magasin qui est devenu notre laboratoire et en y positionnant
ces collaborateurs, ce qui leur a permis de revisiter au contact du client tout ce
qu’ils produisaient. En sortant du cadre, nous avions inventé une réponse gagnant-
gagnant.
Est-ce un hasard si les approches en matière de management des hommes qui
sont dérivées d’autres pratiques (le sport, le théâtre, la direction d’orchestre, etc.)
rencontrent un tel succès ? Ces éclairages permettent à l’entreprise d’aborder les
enjeux humains sous un angle inhabituel pour elle.
Dans mon activité de conseil, les entreprises que j’accompagne expriment un
besoin : construire une réponse innovante aux thématiques que nous traitons.
Certes la matière fournie par l’entreprise est essentielle et nécessite un travail
important de maïeutique pour garantir que les livrables correspondront pleinement
à ses spécificités de l’entreprise. Mais tout aussi importants sont les éclairages
abordés sur les alternatives envisageables pour traiter chaque aspect du projet, sur
les pratiques d’autres entreprises ou sur les innovations possibles. C’est ainsi par
exemple que j’ai utilisé dans un chantier mené avec le DRH de la Gendarmerie
Nationale des éléments que j’avais produits pour une des principales entreprises
privées du Maroc.
Face à l’omniprésence dans le quotidien du DRH d’activités qui semblent ne
laisser que peu de marges de manœuvre, l’enjeu est aussi celui de la posture. Va-t-
il se positionner en boxeur, attentif à limiter pour l’entreprise l’impact de la
contrainte ? Ou au contraire adopter la démarche du judoka, utilisant ce qui
s’impose à lui comme une opportunité au service de l’entreprise ?
Confrontées aux 35 heures, les entreprises ont réagi de façon très différente.
Certaines ont travaillé à en limiter les conséquences. D’autres se sont appuyées
sur cette nouvelle donne pour rebattre l’ensemble des cartes, notamment en
remettant à plat leur structure, leur conception du travail et leur organisation des
métiers, servant ainsi leur stratégie. Au vu des résultats obtenus, l’histoire leur a
donné raison. Cette posture peut notamment inspirer le praticien RH face à toute
obligation de négocier. À chaque fois, la question est simple : comment faire de
cette contrainte une opportunité pour mon entreprise en la traitant de manière à ce
qu’elle serve la stratégie et l’alimente ? Cette démarche implique un changement
de pied auquel certains praticiens RH sont peu préparés. Elle contribue à
transformer l’entreprise en facilitant la mise en œuvre et l’enrichissement de sa
stratégie.

Les 3 questions à se poser


1) Sur chacun de mes projets majeurs, quelle est l’approche classique
que je m’apprête à mettre en œuvre et quelles pourraient être les
alternatives ?
2) Quels sont dans l’entreprise les « poètes » sur qui je peux m’appuyer
pour élargir mon approche ?
3) Sur quels sujets dois-je faire appel à des acteurs externes pour sortir
du cadre dans lequel l’entreprise et moi sommes enfermés ?

Témoignage
Hubert Mongon, vice-président ressources humaines de McDonald’s France

Numéro 1 de la restauration rapide, McDonald’s a réalisé en France un


chiffre d’affaires de 4,1 milliards d’euros en 2011, avec 66 000
collaborateurs.
« En France, nous servons environ un million et demi de repas par jour.
Notre développement passe par la qualité du produit, la qualité et le
temps de service. Mais la mise en œuvre de notre stratégie est aussi
alimentée en renforçant la marque par le traitement de trois enjeux de
société : la nutrition, l’environnement, le social. Le lien entre notre
activité de service et notre implantation locale d’une part, des enjeux
comme l’emploi des jeunes, l’employabilité ou la formation d’autre part
est devenu évident pour nous au début des années 2000.
La qualité de notre politique sociale nourrit notre marque, et donc notre
activité. Elle a joué un rôle dans le développement de nos ventes
(+ 55 % sur les 5 dernières années). Nous le voyons au quotidien : nos
clients nous le disent au comptoir. Nous sommes de plus en plus
sollicités pour témoigner. Et lorsque nous sommes interrogés sur ces
questions, c’est avec une certaine bienveillance.
C’est vrai que dans tout métier de service, la qualité de la politique
sociale est un élément naturel de contribution au résultat de l’entreprise.
La qualité de l’expérience client est dans notre cas quasi instantanée.
Une équipe bien dans sa peau, ça se transmet, consciemment ou
inconsciemment, au client. Un vendeur fier de son produit et de son
travail, ça se voit. Chez nous, un manager qui produit des actes de
management négatifs ou positifs le fait devant le client. Il arrive
d’ailleurs que nos managers se fassent féliciter par des clients.
Cette approche est alimentée avec des réalisations, des actions tangibles
et durables, qui peuvent être repérées et deviennent donc un facteur de
différenciation. Un des moteurs de l’action de la DRH, c’est le souci
d’alimenter cette différence. Regardez par exemple ce que nous
réalisons en matière de promotion interne, avec la qualité de
l’intégration et de la formation. Quelques chiffres pour l’illustrer : 80 %
de nos chefs d’équipe sont d’anciens employés. 84 % des directeurs de
restaurant étaient chefs d’équipe. Et 40 % des collaborateurs du siège
ont débuté en restaurant. Le diplôme n’est pas un critère déterminant
pour nous au moment du recrutement, et la détection de talents a
beaucoup de sens chez nous, avec une logique de seconde chance. Autre
illustration, celle de la protection sociale de nos salariés, tous couverts
par une mutuelle alors qu’en France, ce n’est pas le cas pour 35 % des
salariés.
En travaillant ce moteur social du business depuis une dizaine d’années,
nous veillons à l’alimenter en carburant en permanence. Cette démarche
d’innovation sociale découle plus largement de notre culture produit,
avec le lancement de nouveaux produits toutes les 4 ou 5 semaines. Et
notre volonté de rester leaders fait que nous recrutons des profils
naturellement curieux. Les équipes sont en attente de nouveautés, elles
nous questionnent, nous interpellent, nous font des suggestions. Là-
dessus, notre culture de proximité aide beaucoup, avec notamment la
pratique généralisée du tutoiement.
Ce n’est qu’une fois que nous avons mené à bien un projet social et
transformé la réalité effective vécue par nos collaborateurs que nous
nous autorisons à en parler à l’extérieur. Pourquoi communiquer sur ces
sujets ? Parce qu’en étant une des marques les plus connues au monde,
nous sommes assez naturellement interpellés sur les enjeux sociaux.
Nous avions il y a dix ans une image sociale qui était bonne en interne et
contestée en externe. Après avoir travaillé plusieurs années pour faire
encore évoluer nos pratiques, nous avons estimé à partir de 2005 que
celles-ci méritaient d’être expliquées, pour nourrir notre marque qui
possède une dimension affective très forte.
Les campagnes télé ou radio sur nos réponses aux enjeux sociaux du
pays rencontrent les préoccupations majeures des Français sur l’emploi.
Sur la question du CDI, par exemple, bien traitée chez McDonald’s
puisque plus de 80 % de nos collaborateurs sont en CDI alors qu’en
France, il faut en moyenne plus de 5 ans à un jeune diplômé français
pour décrocher un CDI. Ou sur celle de la valorisation de l’expérience,
avec ce que nous faisons en VAE pour nos directeurs de restaurant ou
équipiers et qui débouche sur un Diplôme reconnu (Licence et CAP).
Voir son entreprise communiquer sur les questions sociales dans des
spots de 30 secondes à 20 heures dans les grands médias, c’est une
double satisfaction pour le DRH que je suis : d’une part, celle de rendre
hommage à nos équipes, d’autre part celle de contribuer à ce que la
société française fonctionne un peu mieux. »

Les trois dernières étapes concernent les transformations à accompagner et à


mettre en œuvre pour que ce qui a été impulsé ci-dessus vive effectivement dans
le quotidien de l’entreprise.

Réorienter les processus RH


Écrire un ouvrage relevant du champ des ressources humaines en parlant aussi
peu des processus RH relève de la gageure ! Comme nous l’avons vu dans le
chapitre 4, ceux-ci ne sont que des moyens. Pour autant, il est indispensable de
travailler leur contenu afin qu’ils soient porteurs des logiques stratégiques.
Comment chacun de ces processus peut-il être articulé à la mise en œuvre et à la
construction de la stratégie ? Répondre à cette question suppose de la part des
équipes RH un véritable travail de reingeenering de ces processus et des
politiques qui s’y incarnent. Kiabi a ainsi mené en 2010 un chantier de
redéfinition de chacun de ses processus RH pour que ceux-ci servent la Vision
stratégique qui avait été construite en amont.
Commençons par le recrutement. Comment celui-ci peut-il être utilisé pour
permettre à l’entreprise de renforcer les compétences ou les traits culturels
constitutifs de sa capacité stratégique ? La réponse se situe à toutes les étapes du
processus : il va s’agir notamment d’attirer sur cette différenciation et de
sélectionner sur des critères cohérents avec elle.
La politique de formation et notamment le processus d’identification des besoins
doivent également être centrés sur le renforcement des capacités stratégiques.
Avec un éclairage particulier de l’approche par les ressources : celle-ci traite
certes des activités qui permettent à l’organisation de répondre aux exigences
minimales de ses clients et donc de poursuivre son activité. Les compétences qui
correspondent sont en général maîtrisées et entretenues à travers la mise en œuvre
du plan de formation, construit à partir du fonctionnement habituel de l’entreprise.
Mais cette approche met aussi en évidence les activités qui permettent d’obtenir
un avantage concurrentiel et qui sont difficiles à obtenir ou à imiter. Et là, les
compétences nécessaires pour accroître cette capacité stratégique ne sont pas
toujours travaillées au même titre, avec des équipes RH parfois peu au fait de leur
valeur.
Les processus RH mis en œuvre dans les domaines de l’évaluation, de la
rémunération, de la promotion devront quant à eux répondre à deux questions :
qu’est-ce qui doit être reconnu pour entretenir et enrichir la capacité stratégique de
l’entreprise ? Et quelles sont les populations qui ont la plus grande valeur pour
cela ?
Réorienter les processus RH pour leur donner un caractère stratégique est
indispensable, mais ce n’est pas suffisant. L’ensemble des acteurs qui auront à les
faire vivre doivent comprendre et intégrer ce que la mise en œuvre de ces
processus revus apporte à l’entreprise. En effet la capacité stratégique s’incarne
dans les activités quotidiennes des collaborateurs. Il est donc indispensable
d’alimenter leur aptitude à reconnaître lorsqu’ils mettent en œuvre des processus
RH leur impact en termes de construction et de renforcement de cette capacité
stratégique. Il s’agit de capturer les « pourquoi » de ces processus RH par rapport
à la stratégie et de les communiquer largement.
Prenons une illustration, avec ce groupe de services du CAC 40 que j’ai
accompagné dans la sensibilisation de ses managers sur l’articulation entre ses
processus RH et ses axes stratégiques. Ce lien a été synthétisé dans un support
diffusé à l’ensemble des managers, dont voici un extrait centré sur le processus de
gestion des carrières : « Ce que vous, manager, apportez en matière de gestion des
carrières est essentiel pour l’entreprise à plusieurs titres. En gérant les parcours de
vos collaborateurs, vous contribuez à favoriser les transferts de savoir-faire au sein
de l’entreprise, ce qui a été identifié comme un des préalables à notre
développement. Nous voulons par ailleurs dépasser le fonctionnement en silos
qu’impose la politique de fertilisation croisée des activités que nous menons. Et
accompagner les collaborateurs dans ce changement suppose plus de mobilité,
pour que chacun puisse développer une vision intégrée. Nous avons besoin
d’enrichir nos plans de relève à tous les niveaux de l’organisation pour accélérer
notre croissance en disposant des profils nécessaires. Nous pourrons ainsi préparer
les ressources dont nous aurons besoin dans les opérations de croissance externe
et faire face à notre internationalisation, en particulier si nous veillons à préserver
la diversité dans la gestion des carrières. »

Les 3 questions à se poser


1) Quelle pourrait être l’articulation optimisée entre chacun de nos
processus RH et la stratégie de mon entreprise ?
2) Quels sont les processus à retravailler en priorité pour accroître la
capacité stratégique de mon entreprise ?
3) Comment vendre aux acteurs de l’entreprise la logique et le contenu
de chaque processus à partir de son articulation avec la dimension
stratégique ?

Faire porter les transformations


Par définition, la stratégie est changement : elle ne peut se limiter au statu quo.
En effet, l’entreprise est un corps vivant et si elle ne se transforme pas alors que
son environnement évolue, elle disparaîtra. Ne prenons qu’un exemple : si la
stratégie de l’entreprise se limite à l’ambition de « rester leader », il y a fort à
parier que ses concurrents trouveront les voies pour la détrôner.
Tout projet lancé par l’entreprise, notamment quand il s’agit de mettre en œuvre
sa stratégie, doit être mené en ayant deux objectifs : la qualité des livrables, bien
sûr. Mais aussi l’appropriation de ces livrables par ceux qui auront à faire vivre et
à porter ces changements. Notre sujet ici est moins le contenu des changements
impliqués par la stratégie que la manière dont ils se déploient. Dans les secteurs
qui évoluent rapidement, l’aptitude d’une entreprise à conduire le changement
peut d’ailleurs être une capacité stratégique en soi et constituer la base d’un
avantage concurrentiel.
Gérer le changement, c’est en premier lieu veiller à ce que les collaborateurs y
adhèrent et le mettent effectivement en œuvre. Mais l’analyse des démarches de
changement menées dans de nombreuses organisations débouche sur un constat :
notre héritage taylorien conduit trop souvent encore l’entreprise à adopter une
approche descendante du changement. Un groupe limité décide des moindres
détails du projet, le reste de l’organisation doit s’aligner et mettre en œuvre. Or ce
n’est pas avec cette approche que l’entreprise mobilisera sur sa stratégie.
Pour un dirigeant, l’enjeu est-il d’avoir raison ou bien d’avancer ? Poser cette
question met en évidence la nécessité de procéder autrement pour faire entrer dans
la réalité les transformations dont l’organisation a besoin.
Ce n’est pas en dissertant sur le changement (avec les fameux experts de la
« conduite-du-changement » ou de l’« accompagnement-du-changement ») que
celui-ci sera plus facile. Au contraire : les mots et les concepts s’usent lorsqu’ils
sont utilisés à mauvais escient. Ce n’est pas non plus en répétant que le
changement est partout. C’est en agissant : le changement n’est pas un thème,
c’est une approche.
En matière de transformations complexes, la distinction doit être nette entre
deux dimensions. D’une part le cadre de jeu, constitué par la vision stratégique
dont doit être porteuse la direction, présentant de façon synthétique l’avenir de
l’entreprise. Ce cadre s’impose à tous, il est en quelque sorte non négociable.
D’autre part ce qui, à l’intérieur de ce cadre de jeu, doit être construit avec ceux
qui auront à faire vivre ces transformations, dans une logique de coopération et
d’engagement. C’est en leur laissant le soin de définir les modalités des
transformations que celles-ci seront pertinentes et qu’ils en seront porteurs dans la
mise en œuvre.
Établir cette distinction permet d’éviter l’ambiguïté des approches
traditionnelles en matière de conduite du changement, dans lesquelles le
déplacement du curseur vers du « plus ou moins participatif » fait l’objet de
négociations récurrentes entre les acteurs concernés.
Dans la perspective de l’ouverture à la concurrence, La direction de la SNCF a
tenu en interne pendant des années un discours fort sur la nécessité de développer
l’orientation client, avec peu d’effets. C’est l’écoute des agents qui a permis dans
un second temps de mettre en évidence une réalité : nombre d’entre eux ont choisi
leur métier parce qu’il s’agit d’un « métier de contact », dans lequel « ils peuvent
rendre service ». C’est sur cette base qu’ont été lancés des groupes de travail qui
ont produit des centaines de propositions en réponse à une question : « Que faut-il
changer pour améliorer ce contact et que vous puissiez mieux rendre service ? »
Cette approche pour transformer l’entreprise et lui permettre de mettre en œuvre
sa stratégie est tout aussi pertinente lorsque se présentent des difficultés
économiques. « Une menace que tout le monde perçoit mais dont personne ne
parle crée plus d’anxiété qu’une menace qui a été clairement identifiée comme le
point central des problèmes à résoudre et vers lequel doivent converger tous les
efforts de l’entreprise[4]. »

Les 3 questions à se poser


1) Quels sont les éléments de la stratégie de mon entreprise qui relève
des incontournables ?
2) Quels dispositifs de production par les collaborateurs des réponses à
nos besoins de transformation ?
3) Comment faire de notre capacité à conduire le changement un
avantage concurrentiel ?

Témoignage
Frédéric Périn, directeur des ressources humaines du groupe Egis

Filiale de la Caisse des Dépôts, Egis est spécialisé dans l’ingénierie de


la construction et l’exploitation d’infrastructures de transport.
Numéro 1 en France et dans les vingt premiers mondiaux, Egis est
implanté dans plus de 100 pays et a réalisé en 2011 un chiffre d’affaires
de 858 millions d’euros avec 12 000 collaborateurs.
« En 2005, Egis sortait d’une période de croissance externe marquée par
de lourds échecs. Le groupe était constitué de sociétés ayant conservé
leurs marques, autonomes sur leurs marchés, avec des interfaces
commerciales difficiles et sans véritable structure fonctionnelle au
niveau global. Une crise a été ouverte par la volonté de la direction de
l’époque d’imposer un modèle organisationnel fondé sur de petites
business units.
Un nouveau président et un nouveau directeur général ont été nommés
fin 2005, avec pour feuille de route de doter le groupe d’un projet
d’entreprise et d’une organisation garantissant son avenir. La stratégie
qui a été définie visait à doubler le chiffre d’affaires en 5 ans en se
centrant sur cinq métiers clés (route, rail, eau, transport aérien,
aménagement urbain), en accélérant le développement à l’international
et en faisant d’Egis un groupe cohérent.
C’est ce qui a conduit Egis à créer des sociétés centrées sur ces grands
métiers cibles ainsi que des filiales internationales généralistes
rattachées directement au groupe, en restructurant les filiales historiques.
Cette nouvelle organisation a permis de renforcer la lisibilité du groupe
sur ses métiers et nous a donné la cohérence interne indispensable à
notre développement. Pour ne prendre qu’un exemple, sur un métier clés
comme le rail, Semaly et la direction de Scetauroute qui travaillait sur le
ferroviaire ont été fusionnées pour donner naissance à Egis Rail, avec
une ambition de croissance forte.
Les sociétés d’Egis étaient anciennes, reconnues, avec des approches et
des fonctionnements profondément différents. Les rapprochements
d’équipes dans des filiales nouvelles nous ont amenés à dépasser les
anciennes cultures d’entreprise pour nous tourner vers l’avenir, avec des
marchés élargis et des fonctionnements redéfinis.
Mais ce qui a fait le succès de cette transformation, c’est que le rôle des
dirigeants s’est limité à définir une vision. À partir de ce cadre, des
dizaines de cadres se sont ensuite mobilisés pour travailler à sa
déclinaison en une stratégie et des moyens à mettre en place.
Le projet ONE a été mené en 2006, avec un groupe pour définir les
métiers stratégiques actuels et futurs du groupe, et des groupes de travail
par métier stratégique pour définir les cibles marché et les modalités
d’organisation nécessaires. Le projet TWO, mis en œuvre en 2011, avait
pour objet de préciser nos ambitions de développement et de procéder à
un nouvel ajustement de l’organisation, notamment au plan commercial.
Cette réflexion a également été conduite par des groupes de travail
thématiques, qui ont régulièrement rendu compte à la direction générale.
Cette implication du corps social, mais aussi des représentants du
personnel, a généré une forte adhésion aux orientations retenues, et a
grandement facilité la réalisation des lourdes transformations décidées.
L’atout premier de notre approche RH résidait dans la maîtrise de la
conduite de projets complexes. À l’opposé de la démarche qui avait
échoué en 2005, nous avons mené un authentique projet collectif en
faisant produire les solutions par les principaux acteurs. La conduite du
projet a été rigoureuse, à tous les niveaux. La capacité à établir une
confiance globale était essentielle, mais la capacité plus technique à
écouter et à organiser la mobilisation collective aussi.
Cette approche a permis de mettre le groupe Egis en ordre de marche et
notre chiffre d’affaires a effectivement doublé en 5 ans. Avec Iosis,
acquis en 2011, Egis s’est doté de métiers nouveaux, dont l’ingénierie du
bâtiment. Le développement international a été spectaculaire, comme en
Inde où Egis emploie maintenant après de 2 500 personnes, dans
l’ingénierie et l’exploitation. Le résultat net du groupe a, lui aussi, plus
que doublé en cinq ans.
Nous avons déployé ces transformations en menant d’autres projets RH.
Le pacte social, depuis le début, était clair : préservation des emplois
contre adaptabilité interne. Et les variations parfois brutales sur les
marchés et la difficulté de recruter des profils expérimentés nous ont
conduits à travailler sur la flexibilité, avec la capacité de passer d’un
secteur d’activité à un autre et la mobilité interne. Deux accords de
GPEC ont été signés, ainsi qu’un accord de classification : ils nous ont
permis de construire une cartographie des métiers, une grille unique de
classification, et partant d’avoir maintenant un “langage commun” pour
gérer les RH.
En 2011 des changements nouveaux ont été introduits, comme la mise
en place d’un actionnariat des cadres et, via un FCPE, de tout le
personnel, ainsi que d’un intéressement groupe, basé pour moitié sur les
résultats du groupe. Développer l’appartenance, et l’engagement au
service des résultats collectifs, tels ont été nos objectifs.
Aujourd’hui, nous avons à nouveau pour objectif de doubler le chiffre
d’affaires du groupe en 5 ans. L’aventure continue. »

Capitaliser sur la stratégie comme source de sens


Le terme de « sens » est souvent employé dans l’entreprise de façon indistincte,
alors qu’il a plusieurs significations différentes. Il peut renvoyer à l’utilité : « Je
veux donner du sens à ma vie. » Il peut exprimer une direction : « Dans quel sens
allons-nous ? » Il peut être connecté au pourquoi : « Expliquer le sens d’une
décision. »
Le praticien RH doit veiller à ce que la stratégie soit pour les collaborateurs
source de sens dans les trois acceptions du terme. Lorsqu’un collaborateur rejoint
une entreprise, la quête de sens est souvent très présente. Du fait de
l’affaiblissement des autres grandes institutions qui structuraient hier la société,
églises ou partis politiques notamment, l’entreprise est attendue sur ce terrain. Si
elle sait répondre à ce besoin, elle renforcera sa relation avec ses collaborateurs.
C’est ce balayeur à qui Kennedy demandait lors d’une visite de la Nasa ce qu’était
son métier et qui lui répondit : « Envoyer un homme sur la lune ! » Nous avons
évoqué le volet émotionnel que peut comporter l’identité employeur construite par
l’entreprise et son articulation avec les éléments qui fondent la stratégie, comme
sa mission. À partir du moment où ces éléments s’incarnent dans le quotidien des
collaborateurs et ne relèvent pas seulement de l’incantation, ils peuvent constituer
de puissants facteurs d’adhésion. J’ai ainsi pu constater l’enthousiasme de
l’équipe que Décathlon envoyait ouvrir son premier magasin au Brésil : « Nous
allons contribuer à ce que les gamins des favelas jouent au foot avec un vrai
ballon ! »
Disposer d’une stratégie claire, connue et comprise par tous est aussi un
formidable moyen pour faire comprendre où va l’entreprise et quels sont les
chemins qu’elle emprunte. Chaque collaborateur, chaque équipe peut positionner
son activité par rapport à cette stratégie, dans une logique de contribution. La
stratégie devient en quelque sorte l’ADN de l’entreprise, à intégrer par tous. Elle
sert de boussole à l’ensemble des activités.
Sachant où va l’entreprise, il est plus simple ensuite d’expliquer chaque
décision, chaque action, à partir de son lien avec la stratégie, comme nous l’avons
vu par exemple à propos du déploiement des processus RH.
Utiliser la stratégie comme source de Sens, quelle que soit l’acception du terme
retenue, présente plusieurs intérêts pour l’entreprise. Le premier, évident et déjà
évoqué, est de permettre sa mise en œuvre : l’entreprise peut avoir la meilleure
des stratégies, elle n’est d’aucune utilité si les acteurs de l’entreprise ne se
l’approprient pas pour la traduire en actes.
Le deuxième intérêt réside dans le renforcement de l’engagement que génère
cette approche. Nous avons vu l’importance croissante qu’a l’engagement des
collaborateurs lorsque nous avons traité des transformations du travail. Nous
pouvons désormais aller plus loin en le considérant comme un multiplicateur de la
capacité stratégique.
Le troisième intérêt réside dans la cohérence que la stratégie va introduire dans
l’action quotidienne. Elle contribuera à ce que tous dans l’entreprise tirent dans la
même direction.
Tout cela implique que cette stratégie ait été largement diffusée, de manière à ce
que chacun puisse l’intégrer. Ce qui suppose que l’entreprise considère chacun de
ses collaborateurs comme un adulte responsable, quels que soient sa fonction et
son niveau de responsabilité, et qu’elle ne le traite pas comme un maillon de
l’organisation à qui elle ne demanderait que de bien faire son métier, sans regarder
au-delà.
Nous ne parlons pas ici de l’exercice de communication auquel les principaux
dirigeants de l’entreprise consacrent quelques jours tous les trois ans. Ni du kit de
communication mis à la disposition de tous les managers pour démultiplier cette
communication. Mais bien d’un travail continu d’explicitation, à chaque occasion,
des fondements stratégiques de toute activité dans l’entreprise. Ce qui n’empêche
pas de veiller à couvrir aussi cette dimension lors des événements formels de la
vie de l’entreprise.
Comme nous l’avons déjà vu, le processus de construction de la stratégie n’est
pas neutre par rapport à cet enjeu de diffusion et de compréhension : il sera
considérablement simplifié si les collaborateurs ont été associés en amont à
l’élaboration des contenus.

Les 3 questions à se poser


1) Comment faire de la stratégie de mon entreprise une source de sens et
d’engagement pour l’ensemble des collaborateurs ?
2) Quelle démarche d’association des collaborateurs mettre en œuvre
lors des phases de réflexion stratégique ?
3) Comment développer la compétence de tout porteur de projet dans
l’entreprise à mettre en évidence le lien entre son projet et la stratégie ?

[1]
James Quinn, Strategies for Change, Irwin Series, 1980.
[2]
En appliquant ce terme à la relation entre DG et DRH, je ne résiste pas au plaisir d’en rappeler la
définition : « Symbiose : association intime et durable entre deux organismes appartenant à des espèces
différentes. »
[3]
En référence à la dichotomie établie par L’Oréal pour ses populations de marketers, considérant qu’il
faut au groupe à la fois « des poètes et des fermiers ».
[4]
Gary Hamel et C. K. Prahalad, « Strategic Intent », Harvard Business Review, juillet-août 2005.
CONCLUSION
Nous avons détaillé les différentes voies qui peuvent être
adoptées par l’entreprise pour articuler stratégie et ressources
humaines. Mais évitons l’angélisme : pourquoi est-il aussi rare
que l’entreprise mette en œuvre une approche stratégique des
ressources humaines ? La réponse réside au moins pour partie
dans la tension qui existe dans la plupart des entreprises entre
leurs besoins de moyen et long termes et leurs priorités de
court terme.

La contradiction majeure
Nous avons suffisamment souligné qu’à l’âge de
l’information qui est le nôtre, c’est le travail du savoir qui
conditionne de plus en plus la croissance économique et le
développement de l’entreprise. L’importance du capital
intellectuel devient plus évidente. La valeur est construite sur
les talents individuels et collectifs, à partir desquels
l’employeur peut générer durablement le profit. Pour qui
analyse le fonctionnement de l’entreprise, l’affirmation selon
laquelle « nos collaborateurs sont notre première richesse » n’a
jamais aussi constitué une vérité.
En parallèle, les priorités du business relèvent dans la
plupart des entreprises du court terme et de « la ligne du bas »,
avec un impératif : générer un retour immédiat pour
l’actionnaire. Pour de nombreux dirigeants, c’est là non
seulement la priorité, mais aussi parfois la préoccupation
unique. Et de ce fait, les thématiques de gestion des hommes
sont très loin dans leur agenda. Elles ne sont alors traitées que
comme des questions opérationnelles de court terme, et non
comme des enjeux clés ou relevant de l’investissement.
C’est bien là, dans cette tension entre le besoin qu’a
l’entreprise de travailler son capital humain pour se
développer et cet impératif de court terme, qu’est la
contradiction majeure. Chez certains dirigeants, notamment les
DRH, cette situation peut constituer un véritable dilemme.

Réconcilier l’entreprise avec moyen et


long termes
Nous ne mettons pas ici en cause la nécessité pour
l’entreprise de traiter les problématiques de court terme. Ni
même de se consacrer exclusivement à elles dans certaines
situations : quand la survie de l’entreprise est en jeu, il n’est
bien évidemment pas question de se préoccuper d’autre chose.
Mais toutes les entreprises ne sont pas dans une situation
difficile, y compris avec le contexte économique actuel. Il y a
donc un véritable enjeu à ce que l’entreprise n’agisse pas
exclusivement et en permanence sous ce seul pilotage du court
terme.
Un parallèle peut être établi entre la remise en cause de la
nécessité de construire une stratégie et l’absence d’une
approche ressources humaines allant au-delà de réponses aux
problèmes du quotidien. Dans les deux cas, l’entreprise ne
devrait être que pragmatique et réactive. Combien
d’organisations sont mortes pour n’avoir été que sur de la
tactique opportuniste ?
Les logiques stratégiques ont par essence un caractère
moyen et long termes. Sur les enjeux ressources humaines de
fond comme le développement d’expertises, la construction de
l’engagement ou l’évolution de la culture, les échéances sont
également à moyen et long termes.
Et c’est bien là, sur ces temporalités, que se fait la
conjonction d’intérêt entre stratégie et RH. Aborder le terrain
de la stratégie peut contribuer à ce que l’entreprise positionne
la GRH comme elle doit l’être. Adopter les approches RH
décrites plus haut aide à ce que l’entreprise traite mieux ses
enjeux stratégiques.
Le positionnement stratégique de la fonction RH contribue
de fait à résoudre la contradiction à laquelle est confrontée
l’entreprise, entre les pressions court terme sur ses résultats et
la nécessité de se projeter sur moyen et long termes. Elle l’aide
ainsi à ne pas sacrifier l’avenir.

Quelle finalité pour l’entreprise ?


Si la logique qui positionne le profit court terme comme
objectif central conduit l’entreprise à renoncer à toute
ambition stratégique et humaine, faut-il aller plus loin et la
remettre en cause ? Force est de constater que les entreprises
qui font l’objet de cas dans ce livre ont soit des actionnaires
qui se positionnent sur des échéances à moyen terme, soit un
projet ou une culture qui les y conduit de fait.
Un petit ouvrage paru récemment sous la signature de deux
enseignantes de l’École des Mines[1] fait œuvre de bien public
en rappelant deux réalités. C’est à partir de la volonté
d’organiser l’activité inventive qu’est née l’entreprise
moderne, à la fin du xixe siècle, et non de celle de maximiser
la rentabilité des capitaux : le développement de la capacité
stratégique et ce qu’elle génère, plus que le profit court terme.
Par ailleurs, ce n’est que depuis les années quatre-vingt que les
dirigeants n’ont d’autre choix que de s’aligner sur les objectifs
des actionnaires, que ceux-ci visent le développement de
l’entreprise ou qu’ils handicapent au contraire la création des
capacités futures par la recherche de profits immédiats.
Ces éléments nous ramènent à la responsabilité sociale de
l’entreprise, avec notamment la posture d’« individualisme
éclairé », définie comme suit : « Les organisations qui
adoptent la posture d’individualisme éclairé défendent plutôt
l’intérêt à long terme des actionnaires et considèrent que celui-
ci peut profiter d’une gestion intelligente des relations avec les
autres parties prenantes[2]. »

Faire la différence demain


Nous connaissons tous l’ampleur des défis auxquels les
entreprises seront confrontées demain. Nous entrevoyons tous
les transformations du monde vers lequel nous allons,
notamment dans l’environnement de l’entreprise, dans le
travail et chez les collaborateurs eux-mêmes. Face à ces
bouleversements, peut-on imaginer que l’entreprise continue à
gérer ses hommes comme hier ?
Tout cet ouvrage est construit autour d’une conviction : au
vu de ces défis, la différence se fera demain entre les
entreprises qui mettront en œuvre une approche stratégique de
leurs ressources humaines et celles qui en resteront à une
conception ancienne et datée des RH et de la stratégie. En ce
sens, l’articulation entre stratégie et ressources humaines
constitue bien l’équation gagnante de l’entreprise de demain.

Le DRH, homme de la synthèse


Nombre de financiers considèrent que leur métier est de
défendre l’intérêt de l’actionnaire. Nombre de commerciaux
estiment que leur intervention vise à promouvoir les logiques
du client. Nombre de DRH s’interrogent encore pour savoir
s’ils sont des business partners ou des human partners. Avec
des directeurs généraux qui se positionnent en arbitres entre
ces différentes postures.
Faut-il considérer que les intérêts de ces différents acteurs
sont irrémédiablement et systématiquement opposés ?
L’entreprise doit bien sûr arbitrer au quotidien entre des
logiques contradictoires, il n’est pas question ici de le nier.
Pour autant, les pratiques de nombreuses entreprises, ainsi que
la démarche développée dans cet ouvrage et les cas qui y sont
présentés par leurs dirigeants montrent qu’il est possible
d’aligner les propositions de valeur collaborateur, client et
actionnaire. L’entreprise construit alors une approche intégrée
dans laquelle c’est la création de valeur pour le collaborateur
qui entraîne création de valeur pour le client, qui génère elle-
même de la valeur pour l’actionnaire. Pour paraphraser le titre
du livre de Vineet Nayar, Les employés d’abord, les clients
ensuite : les employés d’abord, les clients ensuite, les
actionnaires enfin, dans l’intérêt de tous.
Observons que dans cette approche intégrée, le DRH est au
début de la chaîne. Il est donc le mieux placé pour garantir son
bon maillage.
[1]
Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise, Seuil, 2012.
[2]
Gerry Johnson, Richard Whittington, Kevan Scholes et Frédéric Fréry,
Stratégique, Pearson, 9e édition, 2011.
BIBLIOGRAPHIE
ALVESSO M., Understanding Organizational Culture, Sage
Publications Ltd, 2002.
BARNEY J., “Organizational Culture: Can It Be a Source of
Sustained Competitive Advantage?”, Academy of
Management Review, n° 11, juillet 1986.
BESSEYRE DES HORTS C.-H. (coord.), RH au quotidien,
Dunod, 2011.
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INDEX
A
actif [1], [2], [3]
actionnaire [1], [2], [3], [4], [5]
agilité stratégique [1], [2]
alignement [1], [2]
attractivité [1]
autorité [1]
avantage concurrentiel [1], [2], [3], [4], [5], [6], [7], [8], [9]
B
binôme DG-DRH [1]
budgets [1]
business [1]
business model [1], [2], [3], [4], [5], [6]
business partner [1]
C
capabilities [1]
capacité stratégique [1], [2]
carrières [1], [2], [3]
cascading [1]
client [1], [2], [3], [4]
compétences [1], [2], [3], [4], [5], [6]
conseil [1], [2], [3], [4]
contingence de la GRH [1]
contrat social [1]
coopération [1], [2]
corporate strategy [1], [2]
court terme [1], [2], [3], [4]
création [1]
création de valeur [1], [2], [3], [4], [5]
créativité [1], [2], [3]
crise [1]
croissance rentable [1]
culture [1], [2], [3], [4], [5]
D
dépendance de sentier [1]
déploiement [1], [2], [3], [4]
diagnostic stratégique [1]
différenciation [1], [2]
dirigeants [1], [2], [3]
diversité [1]
double projet économique et social [1], [2]
E
efficience [1], [2]
engagement [1], [2], [3]
enquêtes d’opinion [1], [2]
environnement [1], [2], [3], [4], [5], [6]
experts [1], [2]
externalisation [1]
F
formation [1], [2]
fusions et acquisitions [1]
G
génération Y [1]
gestion collective des ressources humaines [1]
GPEC [1]
I
identité business 1, 2
identité culturelle [1]
identité employeur [1], [2]
individualisation [1]
innovation [1]
innovation-valeur [1]
internationalisation [1]
L
légitimité [1], [2], [3], [4], [5]
M
matrice d’Ulrich [1]
mesure [1]
mission [1], [2]
modèle de revenu [1]
modèle des 5 forces de la concurrence [1]
modèle économique [1]
modèle PESTEL [1]
modèle VIP [1]
moyen et long termes [1]
O
objectifs individuels [1]
obligations de négocier [1]
Océan bleu [1]
organisation [1], [2]
organisation apprenante [1]
orientation [1]
orientation client [1]
orientation stratégique [1]
P
partenaires sociaux [1], [2], [3], [4], [5]
pénurie de compétences [1], [2]
performance [1], [2], [3], [4]
posture [1], [2], [3]
pratiques de management [1], [2]
prismes stratégiques [1]
processus RH [1], [2]
profit [1], [2], [3]
promesse [1]
proposition [1]
proposition de valeur [1], [2], [3], [4], [5], [6]
R
rareté [1], [2]
recrutement [1], [2], [3]
relations sociales [1], [2], [3]
rémunération [1], [2]
réseaux sociaux [1]
responsabilité sociale de l’entreprise [1], [2], [3]
retour sur investissement [1]
S
seniors [1]
sens [1], [2]
strategic workforce planning [1]
stratégie délibérée [1]
stratégie émergente [1]
stratégie fonctionnelle [1]
structure [1]
T
tactique [1]
talents [1], [2], [3]
taylorisme [1], [2]
technologies de l’information et de la communication [1]
terrain [1], [2], [3]
transformations [1]
travail [1], [2]
travail du savoir [1], [2], [3], [4], [5], [6]
V
variable d’ajustement [1], [2], [3]
vision [1], [2], [3], [4], [5]

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