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L'article invité jacques cladé

Les contraintes sur la production


et la distribution de l’électricité
dans un système énergétique moderne
L’énergie, facteur clé du développement posé les bases nécessaires à la révolution suivante, beau-
L’énergie, telle qu’il en est traité dans cet article, est confor- coup moins douloureuse, qui est notre troisième exemple :
me à la définition qui en est donnée dans les dictionnaires l’irruption, à la fin du 19e siècle, de l’électricité dans le monde
ordinaires : la capacité à faire, la force en action. L’électricité de l’énergie.
en est l’une des formes, la chaleur l’un des produits. En cela,
cette énergie, qu’on peut dire être celle de l’ingénieur qui L’électricité, forme accomplie de l’énergie
agit, est très différente de celle du scientifique, qui utilise un Qu’a apporté l’électricité ? Cela peut se résumer en quel-
concept d’énergie qui prend des formes diverses, y compris ques points.
la chaleur, en se conservant. • L’électricité est une forme d’énergie qui se transmet à dis-
L’énergie ainsi conçue est un auxiliaire de l’homme, lui tance : elle libère donc de la contrainte de co-localisation de
permettant de faire plus avec moins d’efforts. Et toute civili- la production et de la consommation d’énergie qu’exerçait
sation dite développée est basée sur la découverte au fil des auparavant la transmission mécanique.
siècles des moyens d’exploiter toujours mieux les sources • De ce fait elle permet, par les réseaux électriques, une diffu-
d’énergie que la nature met à notre disposition. sion de l’énergie sur tout un territoire : l’énergie devient un
Donnons-en trois exemples. bien utilisable par tous, dans la vie sociale comme dans les
Le premier, c’est l’énergie du vent, utilisée de façon im- activités professionnelles, ce qui est d’une valeur humaine
mémoriale pour naviguer. Mais c’est quand on a découvert le et économique considérable.
moyen d’utiliser le vent pour naviguer contre lui, en le remon- • Simultanément, les réseaux permettent de concentrer la
tant, que s’est produite la première mondialisation, concréti- production d’énergie, immédiatement transformable en
sée par le tour du monde de Magellan, ou plutôt, Magellan énergie électrique, en quelques grands sites bien choisis où
ayant été tué en cours de route, d’un de ses navires. elle est produite en grande quantité avant d’être diffusée
Deuxième exemple : la vapeur. C’est à la fin du 18e siè- à tous : cet effet de masse permet d’abaisser fortement le
cle qu’on été mises au point les machines à vapeur, avant coût unitaire de l’énergie. A noter que cet avantage de la
que Carnot n’énonce son deuxième principe : la calorie a un production « massive » s’applique même aux sources dé-
potentiel énergétique dès lors qu’on peut la transvaser astu- concentrées, telles que l’éolien qu’on regroupe en ce qu’on
cieusement d’une source chaude à une source dite froide. appelle des fermes éoliennes.
Un peu comme l’eau a un potentiel énergétique qu’on savait • Enfin, et cela est tout à fait fondamental, la forme électrique
déjà utiliser en la faisant couler d’un réservoir haut vers un de l’énergie est d’une variété et d’une commodité d’emploi
réservoir bas. sans commune mesure avec la forme mécanique, seule
L’invention de la machine à vapeur a permis l’utilisation forme connue jusque là.
par l’homme d’une source nouvelle et abondante d’énergie : Ces très remarquables propriétés ont fait de l’électricité,
le charbon. Mais elle a fait plus. La disponibilité du charbon forme particulière de l’énergie, un « fluide » rapidement de-
n’est pas aléatoire, comme l’est celle du vent. Il se transporte venu indispensable à toute société humaine développée.
et se stocke, de sorte que celui qui maîtrise cette source peut Ce fluide doit être fourni en permanence, dans les quantités
produire de l’énergie où il veut et quand il veut. requises, sans interruption autre qu’exceptionnelle. C’est ce
Et cela a provoqué la révolution industrielle du 19e siècle. qu’on désigne en France par l’expression « service public » : le
Pas plus que pour la première mondialisation, il n’est dans système électrique, regroupant production et réseau électri-
l’objet de cette note d’épiloguer sur ses bons et ses mauvais ques, doit garantir à la communauté, au public, une fourniture
cotés. On peut néanmoins constater que cette révolution a continue et conforme à ses besoins du fluide électrique.

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Une contrainte majeure pèse sur le secteur • le nucléaire, quelques pourcents en dessous en raison de la
électrique : assurer au public la permanence nécessité de recharger régulièrement les cœurs en matière
de fourniture du « fluide » électrique fissile,
Or ce fluide a une particularité fondamentale : il doit être • l’hydraulique au fil de l’eau, dépendante du régime hydrauli-
produit à l’instant même où il est utilisé. Il faut que l’appareil que des fleuves équipés,
de production soit dimensionné en conséquence, c’est-à- • l’éolien, dont la capacité contributive, même étendue à un
dire surdimensionné par rapport à ce qui lui sera générale- territoire aux régimes météorologiques contrastés vaste com-
ment demandé, de façon à ce qu’à chaque instant la pro- me la France, est inférieure à 10 %,
duction disponible soit suffisante pour faire face aux aléas • le photovoltaïque solaire, capacité contributive nulle la nuit,
(disponibilité des sources, des moyens de production, du ré- très faible le jour (la France entière sous ciel couvert n’est pas
seau) qui l’affectent, ainsi qu’aux aléas sur la consommation un phénomène rare).
(météorologie, activité économique). L’hydraulique de lac a une excellente capacité contributive si
Cette obligation de desserte sûre porte sur chaque minu- ses capacités de stockage sont suffisantes. Le solaire à concen-
te, heure, jour, mois, année à venir. Elle s’exprime donc non tration peut avoir une certaine capacité de report de l’énergie
en énergie, mais en énergie productible à chaque instant, solaire du jour sur la nuit si le fluide caloporteur est utilisé pour
c’est-à-dire en puissance. Il est bien évident que dès lors que stocker des calories ; mais à l’échelle de quelques jours cela ne
les obligations en puissance sont satisfaites, celles en énergie suffit pas pour lui donner de la capacité contributive.
le sont aussi. On peut dire que le passage de l’énergie par Du constat sur le manque de capacité contributive de l’éo-
un réseau électrique transforme une exigence en énergie en lien et du solaire résulte une évidence trop oubliée : ces sour-
exigence en puissance garantie au fil du temps futur. ces n’apportent au système électrique quasiment rien de ce
Attention ! Cela ne signifie pas qu’il suffise d’assurer à tout dont il a le plus besoin, à savoir une contribution significative
instant la « production » de la puissance appelée par la com- à la garantie de la puissance demandée par les utilisateurs
munauté humaine desservie. Il reste une contrainte sur la de l’énergie électrique. Tant que ces sources sont utilisées
production d’énergie, mais ce n’est pas une contrainte sur en petite quantité, ce n’est pas trop grave : l’aléa qu’elles en-
la quantité, c’est une contrainte sur le coût. Autrement dit, le gendrent est faible et noyé dans le « bruit » des autres aléas.
parc de production doit être composé de façon à : Mais si on en fait des sources importantes, il faut assurer la
• garantir qu’à tout instant la puissance demandée pourra garantie de puissance par d’autres voies, des voies à bonne
être fournie, capacité contributive, telles que les combustibles fossiles ou
• tout en fournissant l’énergie au moindre coût global. le nucléaire. Il faut donc doubler les investissements en solaire
et éolien par des investissements en moyens « classiques »,
Les différentes sources d’énergie qu’on utilisera moins que s’il n’y avait pas de solaire ou d’éo-
contribuent inégalement lien, mais qui n’en seront pas moins là, servant assez souvent,
à garantir les puissances avec tous les risques qu’on espérait éliminer grâce à un large
Examinons d’abord la principale contrainte, la puissance. emploi des énergies dites vertes. Avec aussi, bien entendu,
Chaque source d’énergie utilisée pour faire de l’énergie le surcoût considérable que le doublement des moyens de
électrique contribue à la garantie de puissance. Le calcul de production entraîne.
la puissance garantie globale qui en résulte doit combiner les
garanties données par chaque source. Ce calcul est complexe L’électricité ne peut être stockée,
(on procède généralement par tirage au sort d’un grand nom- tout au plus peut-on fabriquer avec elle
bre de situations), mais on peut se faire une idée de l’apport des sources artificielles d’énergie,
de garantie de chaque source en utilisant la notion de « capa- ultérieurement reconvertibles en électricité
cité contributive » (sous-entendu : à la puissance garantie), ca- Mais, plutôt que de doubler les moyens de production à
pacité exprimée en pourcentage de la puissance nominale de source intermittente par des moyens à source stockable, ne
transformation de cette source en énergie. Ainsi une capacité pourrait-on passer par un stockage de l’électricité que l’éolien
contributive de la source charbon de 80 % signifie qu’on est à ou le solaire produisent en quantité quand il y a du vent ou
peu près sûr (disons à 90 % ou 95 %) de pouvoir disposer de du soleil ? C’est là qu’il faut rappeler que l’énergie, électrique
80 % de la puissance installée totale des centrales à charbon. ou pas, ne se stocke pas. Tout ce qu’on peut en faire, si on
A partir de là, on peut classer les sources en fonction dispose d’un excédent d’énergie productible, c’est de l’utiliser
de leurs capacités contributives. Par ordre décroissant, on pour créer une source artificielle d’énergie qui sera exploitée
trouve : plus tard par un moyen de production d’énergie à créer si-
• les combustibles fossiles ou de biomasse, capacité contri- multanément. Le terme stockage est trompeur, car ce qu’on
butive de l’ordre de 80 % à 85 %, essentiellement liée aux appelle «stocker» de l’électricité, c’est en fait la produire une
besoins d’entretien et aux risques de pannes aléatoires des deuxième fois : on se retrouve avec le même problème de
centrales de production, coût que précédemment.

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Ainsi en est-il par exemple du stockage par station de puis longtemps en France par des systèmes tarifaires faisant
pompage hydraulique : il faut créer un réservoir supérieur, payer plus cher lorsqu’on anticipe des appels de puissance
installer les conduites forcées et mettre au pied de tout cela plus élevés. En jouant à la fois sur des primes fixes liées à
turbines et alternateurs. C’est cher. la puissance appelée, et sur des prix proportionnels à l’éner-
Ainsi en est-il aussi du stockage de l’électricité dans des gie consommée, on donne aux consommateurs un signal de
accumulateurs. Un accumulateur n’est rien d’autre qu’une coût auquel ils peuvent s’adapter. Si ce signal est convena-
pile, moyen de production ici rechargeable en rendant à ses blement conçu, c’est-à-dire s’il représente vraiment le surcoût
composantes leur capacité voltaïque initiale. La pile voltaïque de production engendré par une consommation supplémen-
était au début du 19e siècle un outil de laboratoire – qui a taire dans chaque période de temps, alors les adaptations
permis de découvrir les lois de l’électromagnétisme – puis individuelles engendrées par la tarification aboutissent à une
un moyen d’argenter du métal ; on ne pouvait aller plus loin optimisation globale de la production et de la consommation
tant c’était cher. Et cela reste le cas, quelque progrès qu’on d’électricité. C’est en gros ce que les Américains, qui ont dé-
ait fait depuis lors. Rêvons à un accumulateur qui ne coûte couvert tardivement ces techniques de régulation économi-
rien, mais sachons que pour l’instant c’est un rêve et gardons que de la charge des réseaux électriques, appellent le DSM
les accumulateurs pour des usages spécifiques tels que la (Demand Side Management).
traction automobile ou les alimentations de sécurité. Mais remédier par action sur la consommation aux insuf-
Une autre voie envisageable serait d’utiliser les surplus fisances en puissance dues au manque de vent ou de soleil
d’énergie électrique des périodes ventées ou ensoleillées pour pose un problème d’une autre nature : il faut arriver à faire
produire de l’hydrogène. Dès lors qu’on l’aurait rendue stocka- dépendre la consommation d’électricité, donc certains usa-
ble et transportable, cette source artificielle pourrait remplacer ges de celle-ci, de conditions météorologiques qui peuvent
des carburants fossiles. Elle pourrait même permettre de sup- se manifester n’importe quand dans l’année, et ce de façon
primer les grands réseaux électriques, l’électricité redevenant largement imprévisible. C’est ce que certains appellent la
produite localement comme il y a un siècle, mais cette fois par DSI (Demand Side Integration) : on gère simultanément la
des piles à combustible. Pourquoi pas, si on pense que c’est production et la consommation, et si la production n’est pas
une des nécessités d’un avenir qu’on veut plus durable et plus suffisante, on se donne le droit de sacrifier certains usages
vert ? Mais pour permettre production, stockage et transport de l’électricité.
sûrs de l’hydrogène, il faudra de tels investissements et de Comment ? Par délestage d’office ou par application tem-
tels progrès techniques que ce n’est envisageable qu’en terme poraire de tarifs dissuasifs. Pour parler sans fard : par les mé-
de prospective. Pour quelques décennies encore, il faudrait thodes de gestion de la pénurie bien connues des anciens
retransformer l’hydrogène, sur place ou quasiment sur place, qui ont vécu, dans les années 1940, la guerre et l’après guer-
en énergie électrique. On retombe sur le même problème : re : le rationnement (délestage), adouci pour ceux qui en
on ne stocke pas l’électricité, tout au plus peut-on la produire avaient les moyens par le marché noir (tarifs dissuasifs).
une deuxième fois en passant par l’intermédiaire d’une source Or le développement attendu des réseaux de distribution
artificielle. Ce qui est fort cher. dits intelligents, c’est-à-dire à contrôle très numérisé et as-
En résumé, la voie du « stockage » de l’électricité pour surant un large échange d’informations avec un organisme
la restituer ensuite au réseau n’est économiquement guère centralisé, permet d’envisager cette solution : l’outil « réseau
réaliste, sauf situation particulière. C’est plutôt une façon de intelligent » – en anglais « smart grid » – peut être utilisé
créer des sources artificielles - accumulateurs, hydrogène - pour gérer la pénurie. Comme, avec le développement des
aptes à se substituer aux produits pétroliers dans la fourniture productions éoliennes et solaires, on va vers des périodes
d’énergie aux transports individuels ; ce n’est pas une bonne récurrentes de manque de puissance par absence de vent
façon de trouver de la capacité contributive. et de soleil, la tentation est grande d’utiliser l’intelligence
pour en faire porter le poids sur la clientèle des réseaux. Mais
Contraindre les consommations pour limiter quels secteurs de la consommation va-t-on lui demander de
de coûteuses garanties en puissance sacrifier en attendant qu’Eole et Hélios fassent revenir vent et
ne doit pas aller jusqu’à l’acceptation soleil ? Lesquels seront socialement acceptables et économi-
de pénuries récurrentes quement justifiés ? Il faut bien dire que cela n’est guère pré-
Ceci constaté, il reste une voie à envisager pour réaliser cisé par ceux qui présentent les réseaux intelligents comme
l’indispensable équilibrage de la production et de la consom- une réponse au considérable inconvénient qu’est l’incapacité
mation d’électricité sur un réseau : agir sur la consomma- constitutive du vent et du soleil à apporter aux réseaux élec-
tion. triques, significativement, une capacité contributive à la ga-
Agir sur la consommation, c’est d’abord réduire les « poin- rantie de puissance qu’ils se doivent d’assurer à leurs clients
tes de charge », c’est-à-dire chercher à égaliser, au fil du temps dans les limites fixées par une tarification non arbitraire.
et autant que faire se peut raisonnablement, la puissance De toute façon, quel que soit le résultat d’études objectives
totale appelée sur un réseau électrique. Cela se pratique de- et chiffrées du problème de l’intermittence, il faut considérer

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que la pénurie d’électricité n’est pas une situation accepta- en prélèvement sur la capacité de production de biens et de
ble, sauf événement très exceptionnel. Comme l’absence de services de la communauté. C’est dire que les dirigeants de
vent et de soleil sur toute la France, et même au-delà, n’a cette communauté sont inévitablement très impliqués.
rien d’exceptionnel, il faut s’en tenir à l’obligation dite de ser- Il n’appartient pas à la présente étude d’examiner com-
vice public, ou service du public : fondamentalement et sous ment ils devraient s’impliquer, mais on peut, pour conclure,
réserve d’adaptation à la marge, la production et le réseau rappeler quelques données objectives dont il est souhaitable
doivent garantir tout au long de l’année une alimentation en qu’ils tiennent compte.
électricité telle que requise par la communauté à partir de
tarifs lui permettant de faire des choix raisonnables dans la Les données essentielles à ne pas oublier
durée. Et donc la contrainte directe qui s’exerce sur la produc- dans une réflexion sur le système électrique
tion d’électricité et le réseau qui la transmet à ses utilisateurs • L’unité de temps en matière d’énergie est la décennie. Pour
est bien une contrainte en puissance, non en énergie. s’en tenir à l’électricité, il faut dix ans pour mettre en ser-
vice une décision d’investissement lourd, qu’il s’agisse d’un
Produire, transporter, groupe de production ou d’une ligne à très haute tension. Et
distribuer l’électricité nécessite l’équipement réalisé restera en service pendant un nombre
de gros investissements, respectable d’années. Décider – ou d’ailleurs ne pas déci-
à engager judicieusement der – a des effets à quarante ou cinquante ans : le système
Dans tout ce qui précède il est implicitement supposé décisionnel doit être conçu en en tenant compte.
que le réseau électrique est capable de transmettre la puis- • Pour un pays comme la France – et plus largement l’Europe
sance électrique de n’importe quelle source à n’importe quel – le problème des sources d’énergie est vital. Les capacités
consommateur. C’est ce que l’on appelle un réseau « plaque hydrauliques sont à peu près épuisées. Pétrole et gaz sont
de cuivre », qu’on ferait mieux d’appeler « plaque d’or » tant chers et nous rendent très dépendants de l’étranger, qui
il serait coûteux. un jour ou l’autre aura envie d’en abuser. Le charbon est
Le réseau réel résulte d’un compromis entre le désir d’éten- moins cher et rend moins dépendant en raison de sources
dre et de sécuriser les transmissions entre les différents points plus réparties sur la planète ; mais il pollue encore plus que
d’injection et de prélèvement de puissance, et le coût que cela le pétrole et le gaz. L’éolien et le solaire sont chers au kWh
représente. Mais cette optimisation n’est pas simple. Elle fait produit et, de par leur intermittence, ne répondent pas aux
intervenir des investissements, des pertes d’énergie sur le ré- exigences d’un système électrique moderne.
seau, des probabilités d’incident, des coûts de production et • Restent des sources diverses – géothermie, biomasse, éner-
bien entendu des coûts de nuisance d’un service de l’électricité gie des vagues, des marées, des courants marins – dont on
non rendu. Elle est influencée par le positionnement des cen- peut craindre qu’elles ne mènent pas très loin. Reste aussi
trales, qui peut influer grandement sur le coût du réseau et de le charbon avec piégeage du CO2 dans des structures sou-
son exploitation et, pour les réseaux de distribution, par le posi- terraines ad hoc ; au-delà du coût de cette solution, il ne
tionnement des postes dits source qui les alimentent en électri- faut pas oublier que le CO2 est un gaz plus lourd que l’air et
cité. L’art du planificateur de réseau est de trouver les voies qui, que donc toute fuite se traduirait par l’écoulement en sur-
compte-tenu de tous ces coûts, permettront d’optimiser le coût face d’une nappe d’un gaz parfaitement asphyxiant.
global de desserte de la clientèle. Ce n’est pas simple, mais • Reste enfin le nucléaire qui est, pour une production de
une chose est sûre : produire de l’énergie électrique est cher, masse, la moins chère de toutes les sources. Mais le nu-
réaliser et exploiter les réseaux qui permettront de la mettre à cléaire se heurte à des craintes instinctives sur les consé-
la disposition de tout un chacun l’est encore plus. quences d’un accident grave, et il est difficile de les traiter
dans un cadre rationnel.
Le cadre institutionnel du secteur • Stocker de l’énergie pour en adapter la production à la
électrique doit tenir compte consommation, c’est en fait utiliser de l’énergie pour fabri-
de ses caractéristiques propres quer une source artificielle qu’on utilisera plus tard pour en
Des investissements à très long terme, une responsabilité tirer à nouveau de l’énergie. C’est inévitablement cher et
collective de ses acteurs dans la fourniture permanente d’un semble peu adapté à un emploi massif pour régulariser la
fluide non stockable et une importance sociale et économi- production d’électricité sur un réseau.
que vitale caractérisent le système électrique. • Le poids des investissements dans la production et la dif-
Ceci nous amène au dernier point de cette analyse. Produi- fusion de l’électricité par réseau public est tel que toute po-
re et diffuser de l’énergie sous forme électrique a de tels avan- litique d’équipement doit être évaluée économiquement.
tages pour une communauté humaine que le bon fonctionne- Mais on ne peut utiliser pour cela les outils habituels des
ment de son « système électrique » est devenu vital pour elle. industriels, temps de retour ou taux d’intérêt fluctuant au
Mais constituer un bon équipement en production, transport gré des cycles et accidents économiques. A très long terme
et distribution d’électricité est gourmand en capital, c’est-à-dire seul est adapté l’emploi d’un « taux d’actualisation », variable

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duale des moyens que la communauté accepte de consa- les uns des autres, comment ces dépenses sont décidées,
crer à la préparation de son avenir, celui de ses enfants et financées et réparties.
petits-enfants. Il ne serait pas responsable de se boucher les • L’organisation institutionnelle du secteur électrique doit
yeux en n’éclairant pas des décisions lour- être pensée en fonction de ses caractéris-
des par des études basées sur ce taux, ce Jacques Cladé, contrôleur tiques propres et non d’assimilations plus
qui ne signifie nullement qu’il faille décider général honoraire d'EDF, a fait toute ou moins hasardeuses à d’autres situations.
en fonction de ces seules études. sa carrière dans cette entreprise, Cette affirmation n’a pas pour origine le
• L’adaptation du parc de production à l’exi- où il a notamment dirigé le service sentiment, naturel et humain, que chacun a
gence de continuité de la fourniture d’éner- Etudes de Réseaux de la direction d’être un cas unique, différent de celui des
gie électrique relève d’une responsabilité des Etudes & Recherches. Il a siégé autres. Elle résulte d’une évidence : il n’y a
collective des producteurs, à laquelle le au Comité des Grands Réseaux et pas beaucoup de secteurs industriels pro-
réseau est associé. Elle entraîne d’impor- des Interconnexions Internationales duisant, à grands coups d’investissements
tantes dépenses d’investissement, dont la de l’UNIPEDE, et a présidé le Comité lourds, un fluide non stockable, fût-ce une
justification ne se trouve pas dans l’intérêt planification et évolution des ré- minute, et aussi vital pour le fonctionne-
naturel de producteurs indépendants. Il faut seaux du CIGRE (Conseil Internatio- ment d’une société développée moderne
définir, s’il y a producteurs indépendants nal des Grands réseaux Electriques). que l’est devenue l’électricité. ■

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