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L'acte de danser ne recouvre pas les mêmes réalités de l'Antiquité au XIXe siècle,

voire au début du XXe siècle. Danser c'est d'abord adorer les dieux, ou être saisi
d'une transe provoquée par les dieux. Au fur et à mesure des siècles, cette notion
devient plus profane, et évidemment les représentations de la danse varient de la
même manière entre l'Antiquité et l'époque moderne.

Durant l'Antiquité, les danses que nous connaissons le mieux, ce sont des danses
qui mettent en scène les Ménades (1), le cortège de Dionysos, ces femmes prises
par une transe toute bachique, qui virevoltent littéralement dans la nature, saisies
par l'ivresse du dieu. C'est ce que représente notamment le fameux relief des
Ménades, ou encore le vase Borghèse (2). Regardons encore les Corybantes (3), ces
prêtres de Cybèle qui protègent Zeus enfant. Pour couvrir les vagissements du bébé
que son père Cronos pourrait dévorer, ils dansent autour de lui en tapant sur leurs
boucliers avec leurs épées pour lui sauver la vie. Donc, les premières
représentations que nous avons de la danse, ce sont des danses éminemment
sacrées. Regardons encore les candélabres décoratifs de l'époque romaine (4, 5 et
6). On y voit des danseuses, tuniques courtes, dansant bras levés, sur demi-pointes,
faisant des pirouettes. Ces danses sont très précises, ce sont des danses codifiées,
probablement celles inventées à Sparte, en l'honneur d'Apollon Karneios, pour
s'adonner à son culte.

Si on regarde maintenant ce qui se passe au Moyen Âge, on se rend compte qu’à


côté de certaines danses sacrées, les danses des Mystères, d'autres danses, plus
sécularisées se font jour, et dès la Renaissance, notamment au XVe siècle en Italie,
on connait les premiers traités de chorégraphie. En France, il faut attendre un siècle
de plus, comme toujours entre la France et l’Italie, pour que la notion de ballet soit
importée à la cour. C'est ce que l'on appelle le Ballet de la Reine, un ballet tenu en
1581 (7), repris dans un certain nombre de gravures qui sont conservées à la
Bibliothèque nationale de France. Le temps passe et les Français se piquent de
ballet, au premier rang desquels on trouve bien sûr Louis XIV lui-même. Le roi
danse, il danse dès sa jeunesse, il danse quand il prend le pouvoir en 1661 et
bientôt ce sont Lully, Rameau, pour citer les plus célèbres, qui font danser toute la
cour. Encore une fois, les représentations graphiques nous montrent une danse, qui

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cette fois-ci met en scène non plus les dieux mais le pouvoir. L'ambiguïté c'est que
l'on se demande où sont les dieux dans ce pouvoir, ne s'agit-il pas de Louis XIV
lui-même.

À partir du XIXe siècle, l'art de la chorégraphie, l'art du ballet se professionnalisent


encore davantage et deviennent plus techniques. C'est notamment le moment où
l'art des pointes atteint des vertiges de technicité qui font parfois souffrir les
danseuses. Et c'est peut-être précisément cette manière de trop pousser la
technique qui conduit les chorégraphes de la fin du XIXe siècle à proposer de
nouvelles formules qui libèrent le corps, qui en exploitent toute la matérialité. Ce
sont les travaux d'Isadora Duncan, de Loïe Fuller, et un peu plus tard, au début du
XXe siècle, de Nijinski.

À la fin du XIXe siècle comme au début du XXe siècle, un certain nombre d'artistes,
des gens de la sculpture ou de la peinture, se passionnent pour le corps en
mouvement, le corps dansant, le corps de la femme et surtout le corps de la
danseuse. La danseuse, Degas, notamment, peut l'observer au foyer de l'Opéra (8).
Il s'y rend régulièrement, il la regarde s'habiller, s'étirer, prendre la position, écouter
son professeur. Il réalise toute une série d'œuvres en cire qu'il modèle attentivement
(9), et qui seront tirées après sa mort : elles n'étaient pas faites pour être exposées
ou présentées. On y voit justement la danseuse prenant la pose, en quatrième,
jambe gauche avancée. Ce qui intéresse vraiment Degas, c’est la position juste, c'est
le mouvement clair, c'est le temps arrêté.

Alors que si on regarde le travail d'Auguste Rodin (10), il est un peu différent. Rodin
s'intéresse aussi à la danse, il s'intéresse aussi au corps de la femme mais ses
sources sont différentes. Ce sont les danseuses cambodgiennes dans toute leur
modernité, parce que l'exotisme pour Rodin, c'est une forme de modernité. Il les
rencontre en 1906 (11), notamment à Marseille, et elles l'inspirent, de même qu'une
danseuse d'origine espagnole, qui s'appelle Alda Moreno, et qui, elle, fait un
véritable tabac à l'Opéra Comique à Paris. En regardant ces femmes danser, il
décompose le mouvement (12 et 13), mais surtout il le morcèle, il le déforme, il
l'étire. Il fait en sorte que ses œuvres soient le résumé d'un mouvement, une sorte
de mouvement expressif, et c'est ce qui fait toute la modernité du travail de Rodin.
Aussi bien les plâtres (une série de 11 plâtres en tout), qui sont conservés au
musée Rodin, nous disent l'intérêt du sculpteur pour ce type d'étude et sa façon de
le traiter de manière complètement renouvelée. Donc, avec Rodin, on voit le
mouvement, mais le mouvement exacerbé.

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1912, Nijinski est à Paris pour une affiche de rêve (14) : Mallarmé, Debussy et lui.
Et pourtant c'est le scandale. C'est le scandale, parce que ce qu'il propose au
théâtre du Châtelet, dans un ballet en un acte, c'est quelque chose de
complètement inédit. Un ballet archaïque, un ballet qui nous dit quelque chose de
nouveau sur la chorégraphie et ça le public n'est pas prêt à le regarder, n'est pas
prêt à le comprendre. Nijinski est allé au Louvre, dans la Galerie Campana, comme
d'autres chorégraphes d'ailleurs, comme Isadora Duncan par exemple. Et il a regardé
des vases, ceux du peintre de Nicias (15), ceux du peintre de Ménélas (16). Il y a
vu ces femmes, ces femmes qui courent, ces femmes qui fuient, ces femmes qui
dansent, ces femmes terrorisées, à la limite le sens lui importe peu. Ce qu'il voit, ce
sont des gestes qu'il demande à ses danseuses de reprendre. Un bras d'un côté,
un bras de l'autre, la tête d'un côté, je marche dans l'autre sens, et je raconte
toute l'Antiquité dans sa verve, dans sa fraîcheur. Donc, aujourd'hui, ce qui nous
intéresse, c'est la grande modernité de ce ballet qui a fait date, mais à l'époque,
cette modernité déroute. Pour autant, Rodin qui fréquente Nijinsky, le saisit (17). Il le
prend au moment où celui-ci semble s'élancer. Il en fait un petit plâtre qui a,
depuis, été tiré en bronze. Ce qu'il nous montre, c'est cette manière de danser qui
est tout à fait nouvelle.

1. Ménades dansant, Œuvre romaine du Ier 2. Cratère à décor dionysiaque dit Vase
siècle après J.-C. © Musée du Louvre, Borghèse, Ier siècle av. J.-C © RMN-Grand
Dist. RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier Palais (musée du Louvre)/Hervé
Lewandowski

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3. Plaque décorative dite Plaque Campana : 4. Base de candélabre triangulaire décorée
danse des Corybantes et Zeus enfant, de trois figures de danseuses, 250 av.
Rome Antique © Musée du Louvre, Dist. J.-C. - 250 ap. J.-C.
RMN-Grand Palais / Anne Chauvet © RMN-Grand Palais (musée du Louvre)
/ Hervé Lewandowski

5. Base de candélabre triangulaire décorée 6. Base de candélabre triangulaire décorée


de trois figures de danseuses, 250 av. J.- de trois figures de danseuses, 250 av.
C. - 250 ap. J.-C. J.-C. - 250 ap. J.-C.
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) © RMN-Grand Palais (musée du Louvre)
/ Hervé Lewandowski / Hervé Lewandowski

7. Ballet comique de la reine: la salle de 8. Le Foyer de la danse à l'Opéra de la rue


bal, Baltasar de Beaujoyeulx, 1582 © Le Peletier, Edgar Degas, 1872
Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) /
Palais / image Beaux-arts de Paris Hervé Lewandowski

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9. Danseuse, position de quatrième devant 10. Mouvement de danse F, Auguste Rodin,
sur la jambe gauche, première étude, 1911 © Musée Rodin / Pauline Hisbacq
Edgar Degas © RMN-Grand Palais (musée
d'Orsay) / Hervé Lewandowski

11. Danseuse cambodgienne, Auguste Rodin, 12. Mouvement de danse I, Auguste Rodin,
1906 © Musée Rodin / Jean de Calan 1911 © Musée Rodin / Pauline Hisbacq

13. Mouvement de danse H, Auguste Rodin, 14. Une danseuse et Nijinski, Adolphe de
1911 © Musée Rodin (photo: Christian Meyer, 1914 © RMN-Grand Palais (musée
Baraja) d'Orsay) / Droits réservés

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15. Œnochoé à figure rouge : jeune fille 16. Cratère à figures rouges : retrouvailles
dansant, Peintre de Nicias, vers 410 av. d’Hélène et de Ménélas, Peintre de
J.-C. © RMN-Grand Palais (musée du Ménélas, vers 450-440 av. J.-C. (C) RMN-
Louvre) / Hervé Lewandowski Grand Palais (musée du Louvre) /
Stéphane Maréchalle

17. Nijinsky, Auguste Rodin, 1912


© Musée Rodin (photo :
Christian Baraja)

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