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voire au début du XXe siècle. Danser c'est d'abord adorer les dieux, ou être saisi
d'une transe provoquée par les dieux. Au fur et à mesure des siècles, cette notion
devient plus profane, et évidemment les représentations de la danse varient de la
même manière entre l'Antiquité et l'époque moderne.
Durant l'Antiquité, les danses que nous connaissons le mieux, ce sont des danses
qui mettent en scène les Ménades (1), le cortège de Dionysos, ces femmes prises
par une transe toute bachique, qui virevoltent littéralement dans la nature, saisies
par l'ivresse du dieu. C'est ce que représente notamment le fameux relief des
Ménades, ou encore le vase Borghèse (2). Regardons encore les Corybantes (3), ces
prêtres de Cybèle qui protègent Zeus enfant. Pour couvrir les vagissements du bébé
que son père Cronos pourrait dévorer, ils dansent autour de lui en tapant sur leurs
boucliers avec leurs épées pour lui sauver la vie. Donc, les premières
représentations que nous avons de la danse, ce sont des danses éminemment
sacrées. Regardons encore les candélabres décoratifs de l'époque romaine (4, 5 et
6). On y voit des danseuses, tuniques courtes, dansant bras levés, sur demi-pointes,
faisant des pirouettes. Ces danses sont très précises, ce sont des danses codifiées,
probablement celles inventées à Sparte, en l'honneur d'Apollon Karneios, pour
s'adonner à son culte.
À la fin du XIXe siècle comme au début du XXe siècle, un certain nombre d'artistes,
des gens de la sculpture ou de la peinture, se passionnent pour le corps en
mouvement, le corps dansant, le corps de la femme et surtout le corps de la
danseuse. La danseuse, Degas, notamment, peut l'observer au foyer de l'Opéra (8).
Il s'y rend régulièrement, il la regarde s'habiller, s'étirer, prendre la position, écouter
son professeur. Il réalise toute une série d'œuvres en cire qu'il modèle attentivement
(9), et qui seront tirées après sa mort : elles n'étaient pas faites pour être exposées
ou présentées. On y voit justement la danseuse prenant la pose, en quatrième,
jambe gauche avancée. Ce qui intéresse vraiment Degas, c’est la position juste, c'est
le mouvement clair, c'est le temps arrêté.
Alors que si on regarde le travail d'Auguste Rodin (10), il est un peu différent. Rodin
s'intéresse aussi à la danse, il s'intéresse aussi au corps de la femme mais ses
sources sont différentes. Ce sont les danseuses cambodgiennes dans toute leur
modernité, parce que l'exotisme pour Rodin, c'est une forme de modernité. Il les
rencontre en 1906 (11), notamment à Marseille, et elles l'inspirent, de même qu'une
danseuse d'origine espagnole, qui s'appelle Alda Moreno, et qui, elle, fait un
véritable tabac à l'Opéra Comique à Paris. En regardant ces femmes danser, il
décompose le mouvement (12 et 13), mais surtout il le morcèle, il le déforme, il
l'étire. Il fait en sorte que ses œuvres soient le résumé d'un mouvement, une sorte
de mouvement expressif, et c'est ce qui fait toute la modernité du travail de Rodin.
Aussi bien les plâtres (une série de 11 plâtres en tout), qui sont conservés au
musée Rodin, nous disent l'intérêt du sculpteur pour ce type d'étude et sa façon de
le traiter de manière complètement renouvelée. Donc, avec Rodin, on voit le
mouvement, mais le mouvement exacerbé.
1. Ménades dansant, Œuvre romaine du Ier 2. Cratère à décor dionysiaque dit Vase
siècle après J.-C. © Musée du Louvre, Borghèse, Ier siècle av. J.-C © RMN-Grand
Dist. RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier Palais (musée du Louvre)/Hervé
Lewandowski
11. Danseuse cambodgienne, Auguste Rodin, 12. Mouvement de danse I, Auguste Rodin,
1906 © Musée Rodin / Jean de Calan 1911 © Musée Rodin / Pauline Hisbacq
13. Mouvement de danse H, Auguste Rodin, 14. Une danseuse et Nijinski, Adolphe de
1911 © Musée Rodin (photo: Christian Meyer, 1914 © RMN-Grand Palais (musée
Baraja) d'Orsay) / Droits réservés