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Mémoire de maîtrise
Lettres Modernes
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gens pensaient qu’un homme qui écrivait comprenait bien la danse ; je comprenais bien
la danse parce que je dansais. »1 Et c’est précisément ce que dit Eryximaque dans
L’Ame et la danse de Paul Valéry : « […] Que veux-tu de plus clair sur la danse que la
danse elle-même ? 2 » C’est peut-être parce qu’il est difficile de décrire la danse qu’elle
n’a jamais eu une place tout à fait reconnue au sein du monde des arts : instrument de
pouvoir sous Louis XIV, elle est aujourd’hui le spectacle le moins fréquenté par le
public et elle est vue tantôt comme un divertissement léger et sans valeur, tantôt comme
un art majeur.
l’arrivée de Loïe Füller puis d’Isadora Duncan et, du côté de la danse classique, des
Ballets russe de Diaghilev. Pour évoquer cette nouvelle danse dite « danse libre », qui
inévitable : qui pourrait mieux parler de cette approche du mouvement que ceux sur
lesquels se sont appuyés les pionniers de cette nouvelle danse ? La théorie sur le
mettant au jour les relations existant entre les sentiments ressentis et les mouvements
naturels du corps, elle démontre que tout mouvement est signifiant. Travail à l’origine
destiné aux comédiens, ce fut le point de départ de la recherche d’Isadora Duncan aux
Etats-Unis et en Europe puis de Ted Shawn aux Etats-Unis. Pratiquement oubliées, ces
structures imposées de la danse classique (pas codifiés, pas de deux, solos, …) pour
1
Nijinsky, cité par Jean Guizérix, « L'Enfance de l'art », Scénographie, TDC 837, CNDP, 2002
2
Paul Valéry, L'Ame et la danse, Gallimard, coll. Poésie, 1970, p. 129
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des membres et de la tête devient donc primordiale pour exprimer des sentiments
véritables, ces zones correspondant à différents états de l’âme dans les études de
Delsarte. Malgré cela, ses textes ne parlent que peu de danse et l’expliquent encore
moins ; ils restent cependant significatifs dans l’histoire de la danse, utiles sur le plan
technique et constituent un fonds documentaire éclairant. Des danseurs ont aussi écrit
sur leur travail, leur parcours de chorégraphe ou d’interprète, mais s’ils parlent de
danse, c’est pour évoquer leur œuvre, leur propre manière de faire ou, éventuellement,
celle de l’un de leurs pairs mais rarement pour réfléchir sur la danse dans son ensemble.
penchés sur cet art afin de mieux le cerner. Beaucoup ne se sont pas intéressés au
spectacle en lui-même mais ont préféré dépeindre le milieu des coulisses : il n’est alors
plus vraiment question d’une réflexion sur l’art chorégraphique mais plutôt de l’écriture
de romans plus ou moins naturalistes qui montrent la danseuse du début du XXe siècle
C’est le corps charnel de la danseuse qui est le plus souvent évoqué par les
écrivains : la femme plus que la danseuse est alors mise en avant, avec tout le désir
qu’inspire la nudité d’un corps qui s’offre au regard du témoin sans aucune pudeur.
L’image de la danseuse légère peinte par des auteurs tels que Jeanne de la Vaudère (Les
1
Charles Baudelaire, « La Fanfarlo », Œuvres complètes, éd. Claude Pichois, Vol. I, Gallimard, coll. Pléiade,
1975, p.572 ; cité par Guy DUCREY, Corps et graphies : poétique de la danse et de la danseuse
à la fin du XIXe siècle, éd. H. Champion, 1996, p. 54-55
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ancrée dans la pensée populaire et a d’ailleurs laissé des expressions dans la langue
considérer la danseuse seulement comme une fille de mauvaise vie mais s’intéressent à
De plus, la fin du XIXe siècle est marquée par l’arrivée d’une nouvelle forme
de danse et par de grands changements dans la vision du corps. Loïe Füller est la
Danse du lys) ; elle ne porte ni tutu ni collants susceptibles de cacher son corps mais de
grands voiles qui en sont des extensions. Elle s’en sert pour créer un mouvement ample
et travaille aussi à des effets de lumière. Isadora Duncan apporte des changements
encore plus radicaux : non seulement elle danse pieds nus et en tunique grecque mais
elle cherche à exprimer les sentiments humains en partant des mouvements naturels du
corps ; on retrouve dans son travail les principes delsartiens. A cette même période, les
collaborant avec des artistes d’avant-garde comme Debussy, Stravinsky, Picasso, Bakst
Isadora Duncan est vue « comme une évadée, non comme une libératrice1 », acclamée
par des femmes « ligotées, casquées, colletées, méconnaissables2 », elle ouvre la voie à
Nicole Groult), grandes admiratrices de Duncan, taillent leurs robes dans le biais pour
libérer le mouvement. Paul Poiret, inspiré par les costumes de Léon Bakst pour
1
Colette, « Isadora Duncan », Danse de l’avenir d’Isadora Duncan, Bruxelles, Complexe, 2003, p.128
2
Ibid.
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complètement le corps pour autant). La danse inspire donc les artistes de tout bord.
Rodin écrit :
Stéphane Mallarmé, dont les écrits sont fondateurs pour la pensée de la danse
au XXe siècle, dit de la danse qu’elle est « un poème dégagé de tout appareil du
Fortement inspiré par ces écrits et par d’autres (Lucien de Samosate, Louis
Séchan, …), Paul Valéry publie des ouvrages significatifs à propos de la danse : un
premier texte en 1921, L’Ame et la danse, puis en 1936 une conférence qui s’intitule
Philosophie de la danse et un recueil d’essais, Degas Danse, Dessin, qui inclut des
réflexions sur le corps et la danse. La manière d’évoquer cette discipline chez Paul
Valéry est cependant très différente de celle de Mallarmé, elle suppose une vision
1
Auguste Rodin, dans Le Matin, cité à partir d’Adolfo Andrade, Pour une danse enfin libérée, Laffont, 1988,
p.101-103
2
Stéphane Mallarmé, «Crayonnés au théâtre », Divagations in Igitur, Gallimard, coll. Poésie, 1982, p. 193
3
Guy Ducrey, Corps et graphies, Op. cit., p. 360-361
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différents ouvrages, ces réflexions sur la danse suivent plus ou moins le même
parcours : on part du corps quotidien, trivial qui se met en mouvement pour arriver
finalement à la danse, forme transcendantale. Dans L’Art, entretiens réunis par Paul
Gsell publié en 191l, Auguste Rodin revient sur sa carrière et sur son œuvre : le
discours qu’il tient sur le corps et le mouvement le rapproche fortement des idées
développées par Paul Valéry dans ses discours sur la danse. Ces deux artistes, chacun
à travers leur art, ont évoqué le corps, le mouvement et la danse dans toute leur
fugacité qu’expriment l’écriture chez Valéry et la sculpture chez Rodin. Pour cela, on
discours sur le corps puis sur le corps en mouvement pour arriver à la danse.
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I- Le corps
Le premier élément qui intervient dans le discours de Paul Valéry sur la danse
est l’outil même de cet art : le corps. Mais, dans le premier temps de sa réflexion,
Valéry ne parle pas d’un corps échauffé, vif, prêt à se mouvoir mais le considère dans
son aspect quotidien, banal. Ainsi, L’Ame et la danse s’ouvre sur une scène de banquet
considèrent ensemble les hommes du festin, organismes vivants, charnels, qui, en cette
occasion, délaissent le spirituel. On verra ensuite, avec Rodin puis Degas, que le corps
ordinaire est, depuis la fin XIXe siècle, matière à observation et à représentation pour
l’artiste. Jamais cependant, ni chez Valéry, ni chez Rodin ou Degas, le corps n’est
derrière le vulgaire.
Socrate, désireux de partager leur conversation. Il dresse dès lors une opposition claire
entre les plaisirs de la chère et ceux de la pensée, qui se traduit à la fois dans l’espace
suggéré par cette première réplique et dans le vocabulaire et les images employés. En
L’entrée dans la discussion se marque donc par une délimitation entre les deux univers
(celui du festin et celui de l’esprit) : elle est physique, le dos du personnage créant une
1
Paul Valéry, L'Ame et la danse, Gallimard, coll. Poésie, 1970, p. 109
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séparation concrète avec le banquet mais aussi spatiale car elle met les protagonistes
est cependant traitée comme une nourriture de l’esprit et les mêmes images sont
utilisées dans le texte pour décrire l’acte de réfléchir et celui de s’alimenter. La pensée,
comme la boisson, est versée (« Verse l’idée !1 ») et contenue dans une « coupe » et
c’est le « nez » qui apprécie le premier les idées (« Porte à mon nez tes énigmes
aiguës »). La nature de ces nourritures se distingue cependant par leur substance : les
idées sont des « choses sèches, et sérieuses, et tout à fait spirituelles » quand le « repas
sans pitié passe toute appétence convenable. » L’« âme n’est plus [alors] qu’un songe
par la durée. » L’utilisation du même champ lexical permet de lier deux actions (se
nourrir et réfléchir) qu’apparemment tout oppose : le corps, même s’il est représenté
dans toute sa trivialité, n’est donc pas séparé de l’âme. «L’homme qui mange est le plus
juste des hommes …2 » car « il nourrit ses biens et ses maux » et ce qu’il apporte à son
corps « se divise quelque part entre les passions et les raisons » ; en cela, il agit
« comme [un] dieu[]3. » L’acte qu’il fait est juste car « chaque bouchée qu’il sent se
fondre et se disperser en lui-même, va porter des forces nouvelles à ses vertus, comme
demeure dans cet acte « indifférent[] ou insensible[] à tout ce qui ne joue aucun rôle
Les participants au banquet ne deviennent alors que des « corps qui se nourrissent », des
1
Ibid., p. 109
2
Ibid., p. 110
3
Ibid., p. 111
4
Paul Valéry, « Philosophie de la danse », édition électronique réalisée à partir du texte de 1938, Œuvres I,
Variété, coll. Les Classiques des sciences sociales, p. 1390-1403, p.4
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« machine[s] à vivre » qui ne se soucient pas de leur âme et perdent ainsi leur capacité
de raisonnement. C’est donc bien le corps que l’on trouve en premier au centre de
L’Ame et la danse, et, s’il n’est pas détaché de l’âme, celle-ci n’a pas, pour l’instant, une
place prédominante.
De même que Paul Valéry s’emploie à décrire les hommes dans la réalité de la
chair, on retrouve, dans la statue Celle qui fut la Belle Heaulmière d’Auguste Rodin, un
décrit cette œuvre sculptée d’après le poème de Villon. Elle représente une vieille
femme qui contemple avec horreur son corps changé par les années. Le texte de Villon
menue2 », « les mains contraictes (contractées), les épaules toutes bossues », les
saucisses. » Paul Gsell, dans la description qu’il fait du moulage qu’il voit, utilise aussi
1
Auguste Rodin, L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, Gallimard, coll. idées/arts, 1967
2
Ibid., « Pour l’artiste, tout est beau dans la nature », p. 21-22.
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un vocabulaire très cru pour dépeindre « la déchéance physique » de cette femme : c’est
une « vieille ribaude plus ratatinée qu’une momie », « courbée en deux, à croppetons »
dont les seins sont de « lamentables poches vides », le « ventre affreusement plissé »,
les « bras et [l]es jambes plus noueux que des ceps de vigne. » La peau, dite
recroqueville. » Le vocabulaire employé est dur, péjoratif et la scène représentée est dite
sentiments autant que l’aspect émacié de la femme sont représentés. Auguste Rodin,
parlant de la beauté de la femme, dit d’ailleurs qu’« elle change vite1 » (« je ne dirai
point que la femme est comme un paysage que modifie sans cesse l’inclinaison du
soleil ; mais la comparaison est presque juste ») et que « la fatigue du désir et la fièvre
de la passion détendent rapidement les tissus et relâchent les lignes. » Il est donc aussi
assez sévère dans son vocabulaire que dans sa représentation de la décrépitude. Camille
Claudel a aussi évoqué la vieillesse dans son œuvre ; dans un premier temps, elle a
sculpté des bustes très naturalistes (La vieille Hélène en 1882, une Tête de vieil aveugle
chantant en 1889, …2) avant d’élaborer, entre 1894 et 1900, une sculpture formée de
trois personnages : L’Age mur. Dans ces œuvres, la vieillesse est représentée dans son
aspect le plus brut, les chairs se distendent et font apparaître le squelette (voir Tête de
vieil aveugle chantant), les traits sont plus saillants et le corps affaibli a des difficultés à
se mouvoir. On retrouve donc chez elle les mêmes « vérités philosophiques trop
1
Ibid. « La Beauté de la femme », p.91
2
Pour les sculptures : voir « Annexe I : Le corps »
3
Ibid. « Pour l’artiste, tout est beau dans la nature », p.25
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A propos d’Edgar Degas, Paul Valéry dit, dans l’ouvrage qu’il lui a consacré1
que « la grâce ni la poésie apparente ne sont pas ses objets2 » et on retrouve, en effet,
chez lui, cette même volonté de donner à voir le réel et non des images idéalisées de
l’humain. Il est ainsi l’un des premiers à représenter des femmes dans leur travail, le
Ainsi, on voit ces Blanchisseuses portant du linge ployer sous le poids de leurs
paniers. La femme de droite a les traits anguleux et semble avancer avec difficulté, ses
épaules sont voûtées, le cou rentré et elle marche le haut du corps en avant, tombant sur
son pied à chaque pas : sa posture est celle d’une personne déjà âgée. La deuxième
lavandière semble plus jeune, sa posture, même courbée, est plus dynamique : sa tête se
dégage de ses épaules en avant et il semble qu’elle tient son panier hissé très haut sur sa
hanche ; elle ne subit pas son fardeau mais le transporte avec vitalité.
1
Paul Valéry, Degas, danse, dessin, Gallimard, coll. Folio Essais, 1998, 267p.
2
Ibid., « Du Nu », p. 115
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De même, ces danseuses ne sont pas représentées sur scène mais dans un
moment de repos. Leur posture suggère une lassitude physique : elles ont toutes le dos
courbé et le regard vers le bas. La danseuse du centre a les jambes relâchées en avant et
les épaules fermées, celle de droite s’appuie sur ses cuisses pour détendre son dos et sa
tête est relâchée en avant, celle de gauche est assise une jambe posée sur le banc. Ce
sont des « corps retournés aux douleurs de leur existence charnelle, ramassée, rampante,
comme celle de l’animal ; [des] corps courbé[s] aspiré[s] vers le bas d’un sol bien
réel1 » qui sont ici représentés. Ces danseuses sont d’abord des êtres humains, comme le
rappelle Eryximaque, « le médecin », lorsqu’il décrit les maux2 dont elles souffrent.
souffrance de leur travail quotidien plus que dans le faste de la représentation. C’est un
« artiste obsédé par la nature dans tous ses états, et réfractaire à l’idéal », « un
studios qu’à l’illusion de la scène. Les corps qu’il donne à voir sont dans « des états de
1
Guy Ducrey, Corps et graphies, Op. cit., p. 32
2
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p. 114 : « O Phèdre, ne suis-je pas le médecin ? [… Les danseuses]
m’appellent pour toutes choses. Entorses, boutons, fantasmes, peines de cœur, accidents si variés de leur
profession (et ces accidents substantiels qui se déduisent aisément d’une carrière très mobile)… »
3
« physiologiste de la danseuse » : terme utilisé par Huÿsmans dans L’Art moderne en 1883, cité par Guy
Ducrey, Ibid.
4
Ibid., p. 38
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leur structure articulée très instables [… et] font songer que tout système mécanique
d’un être vivant peut grimacer comme un visage1 » dans sa « mimique. » En mettant le
corps au cœur du travail, cet artiste « a saisi [ces femmes] dans des attitudes
d’analyser quantité de poses dont les peintres jamais ne s’étaient occupés avant lui2. »
Fin XIXe début XXe, c’est donc le corps lui-même, au-delà du beau et du laid,
qui intéresse les artistes et devient leur matière de travail. Rodin, toujours à propos de
Celle qui fut la Belle Heaulmière, dit que l’artiste peut travailler sur tous les sujets, tous
les modèles.
volontiers que ce qu’il juge laid dans la réalité n’est pas matière artistique. Il voudrait
nous interdire de représenter ce qui lui déplaît et l’offense dans la nature. » Mais pour
l’artiste qui regarde ce qui l’entoure avec d’autres yeux, tout peut devenir « matière
1
Paul Valéry, « Mimique », Degas, Danse, Dessin, op. cit., p. 125
2
Ibid.
3
Guy Ducrey, « Grâces rhumatisantes et maritornes ridées » in Corps et graphies, op. cit., p. 131
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artistique » et la laideur est « transfigur[ée]1 » sous sa main. Cela tient aussi au fait que
la laideur n’a pas la même valeur selon les personnes. Elle correspond pour tous à ce qui
est difforme physiquement ou immoral et qui suggère un malaise, une souffrance. Mais,
faire ressurgir dans son œuvre l’humanité présente dans toute laideur. Ainsi, Baudelaire,
dans son poème Une charogne2, décrit le cadavre d’un animal sur le bord d’un chemin.
« putride », une « pourriture » dont « la puanteur était si forte ») mais le poète y mêle
des qualificatifs positifs (« superbe », « comme une fleur s’épanouir ») aussi bien que
péjoratifs (« comme une femme lubrique / Brûlante et suant les poisons »). Il en résulte
donc, au-delà de l’apparence, l’humanité présente dans son sujet ; humanité que l’on
retrouve dans la statue de Rodin évoquée précédemment où l’on voit bien le mal-être de
Celle qui fut la Belle Heaulmière face à sa propre décrépitude. Au-delà de ses propres
travaux, le sculpteur s’appuie donc sur des exemples puisés chez d’autres artistes pour
celle d’un « pauvre rustre », Shakespeare et son Richard III, … Et l’on voit donc bien,
dans ces exemples, que c’est l’humain, plus que l’esthétique, qui intéresse les artistes
profondément le spectateur.
1
Auguste Rodin, « Pour l’artiste, tout est beau dans la nature » in L'Art, op. cit., p.26
2
Charles Baudelaire, Une Charogne, «Spleen et idéal », Les Fleurs du mal, éd. Garnier Frères, coll.
Classiques, dir. Antoine Adam, 1961, p. 34-35
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comme ne le sont ni le métal ni la pierre, elle imitait à s’y méprendre la chair humaine,
1
Guy Ducrey, « Danseuses statufiées ou les infortunes du modèle » in Corps et graphies, op. cit., p.203
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idéalisée de l’apprentie ballerine ; cette danseuse qui portait « de vraies jupes, de vrais
rubans, un vrai corsage, de vrais cheveux2 » est trop réelle, trop charnelle, « la terrible
réalité de cette statuette lui produit un évident malaise. » Néanmoins, ce n’est pas son
harmonie qui donne à cette Petite Danseuse de quatorze ans sa beauté mais c’est sa
force d’expression et son caractère qui en font une petite personne presque réelle.
Degas, dans sa volonté de montrer des corps authentiques, a représenté les femmes dans
leur effort quotidien et les danseuses en répétition plutôt que sur scène. Félicien
Champsaur, dans L’Amant des danseuses, invente le personnage d’un peintre, Georges
Decroix pour évoquer, de manière romanesque, l’œuvre d’Edgar Degas. Il dit de lui que
« s’il peint volontiers […] les chorégraphies brillantes, il se plaît aussi, et c’est la
philosophie grise ou sombre de son œuvre, à en fixer les misères et presque les laideurs,
le bas et le trivial qui sont en tout3 […]. » Ainsi, il peindra la danseuse qui sortant de
scène « légère », « tout à coup, dans la coulisse, apparaît rouge, haletante de fatigue, les
traits détendus, les muscles des mollets et des cuisses saillants, les lignes
Pour Auguste Rodin comme pour Degas, c’est donc ce qui a du « caractère »
et non ce qui est agréable pour l’œil qui présente de l’intérêt dans l’art :
1
Joris-Karl Huÿsmans, L’Art moderne, éd. 10/18, 1975, cité par Guy Ducrey, « Danseuses statufiées ou les
infortunes du modèle» in Corps et graphie, op. cit., p.203
2
Ibid., p. 205-206
3
Félicien Champsaur, « La Cordi », in L’Amant des danseuses, Dentu, 1888, p.3-4, cité par Guy Ducrey in
Corps et graphies, op. cit., p.31-32
4
Ibid.
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Or, il n’y a rien dans la Nature qui ait plus de caractère que le
corps humain. Il évoque par sa force ou par sa grâce les images les
plus variées1.
condition d’un homme « infirme » contraint « pour assurer son existence, d’aliéner sa
vocabulaire antithétique et nombre d’oxymores pour décrire ce tableau, qui réunit, dans
« conscience logée dans ce corps monstrueux » et c’est en cela que réside toute la
réussite de l’œuvre.
une figure et en fait une « matière artistique. » Le peintre ou le sculpteur qui essaie,
dans son désir de plaire au public, d’atténuer certains traits disgracieux, « d’embellir la
Nature », « crée de la laideur, parce qu’il a peur de la vérité. » « Pour l’artiste digne de
ce nom, tout est beau dans la Nature, parce que ses yeux, acceptant intrépidement toute
vérité extérieure, y lisent sans peine, comme à livre ouvert, toute vérité intérieure. 4 » Le
corps, dans ses gestes, exprime sans cesse les sentiments les plus profonds et l’artiste
peut les interpréter facilement par une observation fine et précise. « Un physionomiste
1
Auguste Rodin, « La Beauté de la femme », in L'Art, op. cit., p.97
2
Ibid., « Pour l’artiste, tout est beau dans la nature », p.26
3
Ibid., p.27-28
4
Ibid., « La Beauté de la femme », p. 29
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sait parfaitement entre un air patelin et un air de bonté réelle, et c’est précisément le rôle
La fin du XIXe et le début du XXe siècle sont marqués par cette volonté de
nombreux artistes de faire des œuvres expressives, de montrer une « vérité intérieure »
qui apparaisse dans chaque muscle, chaque détail du corps. En littérature aussi, on
donne à voir le corps d’une nouvelle manière, dans ses aspects les plus bruts. Ainsi,
chez Valéry, tant que l’âme n’intervient pas pour l’élever à un autre rang, le corps est un
objet quotidien dont l’homme ne se préoccupe que pour s’assurer de son bon
fonctionnement.
Néanmoins, loin de rejeter une vision plus classique du corps, les artistes
s’appuient sur les représentations antiques du corps. Ils ont une connaissance précise de
l’anatomie humaine et des sculptures grecques qui leur permettent ensuite de s’en
1
Ibid., « Ames de jadis, âmes d’aujourd’hui », p.102
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(sculpture et modelé) de celle des artistes de l’Antiquité. La modernité ne tient donc pas
seulement à la technique mais aussi au sujet représenté. Degas est, pour cela, considéré
comme l’inventeur du nu moderne car le corps tel qu’il le peint n’est plus une allégorie
influencé par la religion catholique, se distingue du modèle grec dont les principes
fondamentaux furent fixés par Phidias au Ve siècle avant Jésus Christ. Alors que les
statues de Phidias sont caractérisées par une « impression de charme tranquille » et par
un caractère plus tourmenté. Il explique que ceci est dû à des différences d’abord
1
Ibid., « Phidias et Michel-Ange », p.163-191
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L’artiste grec sculptait ses statues selon « quatre plans qui se contrarient
alternativement1 » : dans la figure modelée par Rodin pour démontrer son propos, les
épaules et les genoux sont orientés vers la gauche en opposition au bassin et au pied droit
qui, au contraire, reculent vers la droite et « produisent [ainsi] à travers le corps tout
entier une ondulation très douce. » Chez l’artiste de la Renaissance, « au lieu de quatre
plans, il n’y en a que deux» qui divisent le corps à la ceinture. « Ceci donne au geste à la
statues. Chez Phidias, « la ligne d’aplomb traversant le milieu du cou tombe sur la
1
Ibid.
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malléole interne du pied gauche qui porte tout le poids du corps1 », libérant ainsi la
jambe droite. La poussée du pied d’appui au sol crée un déhanchement de ce côté-là qui
est compensé par une inclinaison des épaules vers la hanche la plus haute à l’instar du
« mouvement d’un accordéon qui se resserre, d’un côté, et se distend, de l’autre. » Chez
Michel-Ange, à l’inverse, le poids du corps est réparti sur les deux jambes qui sont
pliées par la contrainte et « plaquées l’une contre l’autre [ainsi que] les deux bras contre
hanche déjà la plus haute. » Ainsi, alors que « la liberté avec laquelle étaient disposés
les bras et les jambes, allég[eait] la sculpture grecque ; l’art de Michel-Ange crée des
statues d’une venue, d’un bloc. Lui-même disait que seules étaient bonnes les œuvres
qu’on aurait pu faire rouler du haut d’une montagne sans en rien casser ; et, à son avis,
tout ce qui se fût briser dans pareille chute était superflu. » De ce fait, au lieu de la
« convexe », le torse est ouvert vers l’extérieur, le dos cambré, ce qui oriente la lumière
« sur le torse et les membres, et ajoute ainsi à l’agrément général. » A l’inverse, chez
avant », « ce qui produit ici des ombres très accentuées dans le creux de la poitrine et
sous les jambes. » « En somme, le plus puissant génie des temps modernes a célébré
l’épopée de l’ombre, tandis que les Anciens chantèrent celle de la lumière. » Mais là
est antithétique, comme l’est, point par point, la description des deux techniques
1
Ibid.
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La composition est donc l’un des éléments principaux qui permettent de donner
son expression à une sculpture. La posture globale du corps, autant que le visage
humanise une figure, on retrouve là les théories de François Delsarte : le corps, dans son
attitude ou son mouvement, est signifiant et retranscrit les émois de l’âme. C’est donc
pour cela que les danseurs modernes, qui rejettent la mimique pour rechercher une
l’humain dans la pierre : c’est la technique du modelé3. Se reportant à l’art grec, Rodin
montre tous les détails que recèle une statue éclairée à la lampe, les « saillies et les
des reins, c’est-à-dire, tout ce qui fait du marbre de « la vraie chair. » Ainsi, lorsqu’il
évoque son savoir-faire en matière de modelé, il dit ne pas considérer la terre comme
une surface lisse mais comme un volume, son devoir étant de faire paraître dans son
1
Ibid., p.167
2
Ibid., p.173
3
Ibid., « Le Modelé », p.31-41
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en effet un corps le plus naturel possible, pour en exprimer au plus juste l’humanité.
Dans la sculpture de son Balzac, Auguste Rodin donne à voir l’écrivain au plus près de
sa réalité corporelle : son corps est celui d’un homme mature, il a un cou très fort, un
embonpoint manifeste et une peau quelque peu marquée par l’âge. Balzac est ici
représenté nu, debout les bras croisés sur la poitrine et le regard dirigé droit devant, ce
1
Ibid., p.38-39
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plus juste les sentiments humains. Paul Valéry, dans « Voir et tracer1 », parle de la
technique du dessin dans cette même optique. Il s’agit de parvenir à exprimer dans une
œuvre ce que l’esprit cherche à transmettre, ce que l’œil a pu constater. Ainsi, pour lui,
soin particulier si l’on veut parvenir à en comprendre les principes, le dessin « demande
l’état le plus éveillé » car il requiert une attention très poussée en matière d’observation
tangente. »
mais plus encore de tout le corps4 et, cette construction n’a qu’un seul et unique
la volonté de l’artiste. Ce que le créateur cherche à exprimer dans son travail varie d’une
1
Paul Valéry, « Voir et tracer » in Degas, Danse, Dessin, op. cit., p.77-82
2
Ibid., p.78
3
Ibid., p.77
4
Ibid., p. 82 : « L’artiste avance, recule, se penche, cligne des yeux, se comporte de tout son corps comme un
accessoire de son œil, devient tout entier organe de visée, de pointage, de réglage, de mise au point. »
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époque à une autre et c’est ce qui crée les différents courants artistiques au fil de
l’histoire. Ainsi, Rodin s’approprie le savoir-faire des anciens pour sculpter ses propres
Par ailleurs, à la fin du XIXe siècle, la vision du corps est en pleine mutation :
le nu, jusque-là réservé aux artistes ou aux médecins, se démocratise et cela influe sur sa
représentation. Le corps n’est plus représenté dans toute sa grâce, comme un idéal mais
accepte ce qu’il voit : les femmes sont ce qu’elles sont [et] il n’en trouve guère que
peintre (« […] ces croupes, ces panses, ces tétines, ces masses charnues, ces laiderons et
divin… »). Le Nu a toujours eu une place de choix dans le monde de la peinture, il est
représenté sous toutes ses formes mais il « n’avait en somme que deux significations
magnifié ni à symboliser quoi que ce soit, il donne à voir le corps dans son authenticité.
Il « est d’abord un artiste obsédé par la nature dans tous ses états, et réfractaire à l’idéal.
1
Ibid., « Du Nu », p. 109-119
2
Ibid., p111 : « on sent bien que pour Titien, quand il dispose une Vénus de la chair la plus pure, mollement
assemblée sur la pourpre dans la plénitude de sa perfection de déesse et de chose peinte, peindre fut caresser,
joindre deux voluptés dans un acte sublime […] Le fusain de Monsieur Ingres poursuit la grâce jusqu’au
monstre : jamais assez souple et longue l’échine, ni le col assez flexible, et les cuisses assez lisses … »
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Marine Combrade-Germa
C’est […] un naturaliste de la peinture […]» qui peint les corps sur le vif et non plus
Bather steeping into the tub, Femme entrant dans la baignoire (1890)
Fusain (55,9 x 47,6 cm), Metropolitan Museum of New-York
On voit bien dans ce dessin « la femme nue moderne » : elle ne pose pas dans une
attitude gracieuse mais est surprise par l’artiste dans l’intimité de sa salle de bain. Son
corps n’est pas embelli mais est montré dans la réalité de son geste : elle est de dos,
1
Camille Mauclair, L’impressionnisme. Son histoire, son esthétique, ses maîtres, Librairie de l’art ancien et
moderne, 1904, p.95, cité par Guy Ducrey, « Frissons d’une nudité nouvelle », Corps et graphie, op. cit.,
p.60
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Marine Combrade-Germa
sont courbées par l’effort et son ventre détendu est posé sur la cuisse de sa jambe pliée.
représentation traditionnelle de Vénus. Le poète utilise, pour décrire cette femme sortant
du bain, un champ lexical du corps très péjoratif que renforce la présence d’allitérations
en [r] : elle a « le col gras et gris, les larges omoplates qui saillent », « le dos court »,
l’ « échine […] un peu rouge » et « la graisse sous la peau paraît en feuilles plates. » La
lenteur et la pesanteur, accentuées par les rejets qui freinent la diction, sont prégnantes
baignoire devenue « cercueil », son « dos court […] rentre et […] ressort » et « tout ce
corps remue et tend sa large croupe. » Degas, dans sa peinture, donne à voir de la même
manière un corps dont il ne cache pas les défauts et, si son dessin semble moins cruel
que la description d’Arthur Rimbaud, il n’en est pas pour autant flatteur.
1
Pour le poème : voir « Annexe I : le corps »
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De même, ce dessin n’essaie pas de montrer un corps parfait, on voit les chairs du corps
relâchées au niveau du ventre, le pli que cela crée sur le côté du corps et ces défauts
danse se rapproche de la peinture de Rodin en cela qu’il dépeint l’homme dans son
quotidien, dans des attitudes banales et peu avantageuses. Eryximaque, dans l’incipit de
la pièce, s’extirpe du banquet plus que rassasié (« Quel état que de succéder à de bonnes
choses, et que d’hériter une digestion !… »1). De la même manière, toutes les femmes
sortant du bain, se peignant, … que Degas a représentées dans son œuvre, ont été
croquées dans leur aspect banal et plus encore, dans leur intimité.
Si ce n’est la beauté que recherche l’artiste dans ses tableaux ou ses dessins, ils sont
rendus beaux par l’humanité qui ressort des figures qu’il exhibe. Ces femmes sont
rendues touchantes par leur vérité et par ce qu’elle offre, l’ouverture sur une tranche de
vie.
se sont donc intéressés au corps pour lui-même et à son expressivité propre. L’Homme,
dans toute sa trivialité, est devenu le modèle des artistes, qui le regardent vivre, évoluer
dans son quotidien pour mieux le dépeindre. On ne représente plus des icônes mais des
1
Paul Valéry, L'Ame et la danse, op. cit., p. 109
2
Paul Valéry, « Du Nu », in Degas, Danse, Dessin, op. cit., p. 113-115
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êtres vivants qui mangent, se lavent, vieillissent et qui oublient aussi parfois leur rôle
social. Ainsi, s’il peint les femmes dans leur vie privée ou professionnelle, Degas 1 les
montre aussi dans leurs moments de relâchement (L’Attente), en train de rêvasser (Le
buveur d’absinthe) ou dans leurs mimiques naturelles (Femme à la terrasse d'un café).
Les hommes ont droit eux aussi à leur part de représentation naturaliste (Mauvaise
humeur) même si cela reste mineur. Ses peintures de danseuses nous les montrent le
« pied sur un escabeau […] rattach[ant] plus solidement ses chaussons, en un aspect
ramassé de quadrupède2 » autant que « sur la scène, dans [leur] éclat de beauté parfois
« c’est l’homme et la femme après le baiser, l’idéal que tuent les réalités, mais dont les
l’esprit qui pénètre la nature et y devient l’esprit dont elle est elle-même animée. 5 »
Rodin retranscrit ainsi la nature dans son œuvre et parvient à ce que chaque détail,
chaque fibre des corps qu’il sculpte exprime les sentiments qu’il entend donner à sa
statue.6 La méditation du Penseur est réelle, il est appuyé de tout son poids sur la main
et sur son genou et tout son corps est replié comme pour mieux se concentrer, se séparer
du monde pour se plonger dans sa propre pensée. L’un des Bourgeois de Calais semble
réellement effondré, il a les bras ballants, le haut de son corps se courbe vers l’avant
1
Pour les peintures, voir « Annexe I : Le corps »
2
Félicien Champsaur, « La Cordi », in L’Amant des danseuses, op. cit., cité par Guy Ducrey in Corps et
graphies, op. cit., p.31-32
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Auguste Rodin, « Préface », L'Art, op. cit., p.6
6
Pour les sculptures, voir « annexe I : Le corps »
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tandis que sa tête reste haute et que ses mains expriment l’incompréhension, la pitié que
Ce sont donc les corps, même banals, qui, dans les œuvres visuelles, expriment
la pensée et mettent l’âme à nu, traduisant ainsi la volonté de l’artiste. Néanmoins, s’il
traduit par son attitude une vie intérieure, le corps la traduit mieux encore au travers du
mouvement car c’est le vivant qui est expressif et non la fixation d’une position. Rodin,
dans sa sculpture, s’est toujours préoccupé de doter ses sujets de vie. Il est ainsi l’un des
premiers à s’être interrogé sur le moyen de donner à une statue, objet de marbre, de
plâtre ou de bronze scellé à son socle, de la vie et du mouvement. Le corps, dans cette
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Marine Combrade-Germa
II- Le mouvement
objet fixe. Le fauvisme se concentre plus sur le travail de la couleur et sur l’expression
des émotions au travers de celle-ci, tandis que le cubisme, dans sa volonté de montrer
l’objet sous tous ses aspects en même temps, ne produit pas des œuvres où le
mouvement prédomine mais plutôt des œuvres qui sont une analyse et une dissection du
réel. On est donc loin d’une représentation réaliste du monde et, si certains artistes,
comme Matisse ou Picasso, ont peint des danseuses, leurs tableaux restent cependant
s’est interrogé sur le moyen de façonner, dans la terre ou le plâtre, des êtres animés,
mouvants. Ainsi, Rodin est sans doute le premier à s’être véritablement intéressé à cette
question et à avoir travaillé, toute sa vie durant, sur le moyen de faire transparaître du
parler, de sourire, de s’exprimer... Paul Valéry rapporte, dans Degas, danse, dessin, une
anecdote que lui conta le peintre2 : il observa, un jour, dans l’omnibus, les
1
Elie Faure, Histoire de l’art, le livre de poche, t. IV : « Le reproche principal que l’on peut adresser à l’art
de Matisse, c’est qu’il ignore presque la troisième dimension »
2
Paul Valéry, « Mimique », Degas, danse, dessin, op. cit., p.134
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par une longue proposition assez lente qui correspond à un champ lexical de
propositions (en huit, six et quatre syllabes) de plus en plus courtes entrecoupées de
termine par une énumération d’articles et de noms au rythme binaire (« la robe, les
gants, le nez »), mais qui se conclue en ternaire (« la voilette »). Les mots décrivent ici
l’action et, par leur rythme, autant que par leur sens, rendent visible le mouvement de
cette femme. C’est bien là la représentation d’un corps vivant, animé d’une conscience,
il ne connaît pas de long moment d’immobilité mais se trouve dans une instabilité
considérer le corps comme un objet animé et non figé. Pour cela, nous le verrons, il est
humain en train de se mouvoir afin de bien le connaître pour, ensuite, appliquer certains
A- L’observation
L’observation est, pour Rodin comme pour Valéry, la clé de tout ; elle permet
de connaître véritablement les objets qui nous entourent, animés ou inanimés, et, de ce
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Ainsi, l’attention que l’on porte à l’objet représenté est primordiale car elle
Il s’agit, dans l’observation, de « ne pas confondre ce que l’on croit voir avec
ce que l’on voit. 2. » Dans « Du sol et de l’informe3 », Paul Valéry relate une rumeur
selon laquelle, Degas fit des études de rochers à partir d’un seau de charbon renversé
sur une table. Cette anecdote l’amène à parler de la forme dans le dessin mais surtout de
l’informe, qu’il définit comme n’ayant a priori aucun contour reconnaissable, aucune
forme qui nous permette de le rapprocher d’une référence connue. Paul Valéry utilise,
pour exposer ce concept, un vocabulaire peu précis, qui englobe des généralités, des
ensembles de possibilités. Il énumère ainsi une suite d’exemples : ce sont « des taches,
des masses, des contours, des volumes » ; ces objets ne correspondent pas à une forme
fixe mais peuvent revêtir des aspects très différents et se retrouver dans des contextes
tout aussi variés. Il est difficile d’en cerner les contours, la substance, c’est-à-dire les
réductibles. » Une « tâche », par exemple, peut avoir différentes formes, couleurs,
matières (encre, herbe, …) : elle n’a donc pas une forme présupposée mais regroupe
sous un même nom divers aspects éventuels. L’informe est donc déjà du domaine du
1
Auguste Rodin, L'Art, entretiens réunis par Paul Gsell, op. cit., p.6
2
Paul Valéry, « Du sol et de l’informe », Degas, danse, dessin, op. cit., p.103
3
Ibid., p. 99-107
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Marine Combrade-Germa
mouvement car ce sont de formes changeantes, mouvantes dont il est question. Leur
observation permet donc à l’artiste d’affiner son regard et de saisir les nuances
apportées par les différentes étapes du changement. Ces choses « ne sont que perçues
par nous, mais non sues ; nous ne pouvons les réduire à une loi unique, déduire leur tout
de l’analyse d’une de leurs parties, les reconstruire par des opérations raisonnées.1 »
(Tout le vocabulaire qui décrit des notions précises, identifiables est à la forme
« loi unique », etc.…). Les « formes informes » sont mouvantes et suggèrent, sous un
intitulé qui les identifie toutes, nombre d’apparences possibles : elles définissent un
genre et non un objet précis. Ainsi, « une flaque, un rocher, un nuage, un fragment de
des images variables selon l’imaginaire de l’artiste et le contexte de son œuvre. Cela les
rend plus compliquées à représenter et l’on ne peut pas les comparer à la peinture
d’« une figure d’arbre, d’homme ou d’animal qui se divisent en portions connues » et
qu’il est donc plus facile de dessiner sans les voir. Ces objets informes « n’ont qu’une
existence de fait » et « guère d’autre propriété que d’occuper une région de l’espace »,
ils appartiennent au paysage sans qu’on puisse véritablement avoir une « reconnaissance
net[te] » de leurs formes. Ils ne peuvent donc être représentés que grâce à une
observation aiguë de leur structure car nous ne pouvons avoir de préconceptions à leur
sujet. Cette contemplation de l’objet sans préjugés permet de voir la matière même des
choses et d’empêcher l’œil de retomber dans les habitudes inculquées par « l’éducation
première. »
Paul Valéry donne alors l’exemple d’un mouchoir froissé que l’on aurait à
dessiner : « il est d’abord pour l’œil un désordre de plis2 » dont on veut montrer qu’il est
1
Ibid., p.103-104
2
Ibid.
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un « morceau d’étoffe de telle espèce, souplesse et épaisseur, et d’un seul tenant. » Son
absence de forme rend plus difficile sa représentation, l’œil doit « trouver, par ses
mouvements sur ce qu’il voit, les chemins du crayon sur le papier, comme un aveugle
doit, en la palpant, accumuler les éléments de contact d’une forme, et acquérir point par
aveugle devinant ce qu’il tient dans la main grâce au toucher, reflète ici le cheminement
que doit suivre l’artiste qui veut transcrire sur le papier ce qu’il voit. Pour représenter le
mouchoir froissé, il doit le voir à la fois dans son ensemble, pour représenter l’objet –
mouchoir – en général, sa matière, … et dans le détail de ses plis qu’il doit suivre pour
cerveau se fait rétine pure2 » et permet « une sorte de construction de la vision » qui
l’empêche de retomber dans « les impressions de l’œil », de deviner plutôt que de voir
réellement.
Il s’agit donc de poser sur toute chose un regard neuf, dénué de préjugés.
L’artiste doit être capable de retranscrire un objet tel qu’il est vraiment, dans toute son
authenticité et non selon une vision approximative marquée par l’éducation, la culture
1
Ibid., p.103
2
Ibid. « 37, rue Victor Massé », p.60
3
Ibid. p.106
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choses telles qu’elles sont. L’idée que l’artiste est un spectateur attentif du monde et
qu’il doit, grâce à son observation, développer sa propre sensibilité, est relativement
d’observateur éclairé ; même si, dans la réalité, cet idéal n’est que peu appliqué.
Rodin, dans sa recherche, étudie avec attention le corps en mouvement. Comme l’a dit
Degas, « [l]es muscles, ce sont mes amis, mais j’ai oublié leurs noms3 », exprimant ainsi
servir à bon escient dans le dessin ou la sculpture. Ainsi, dans l’atelier de Rodin,
pouvait ainsi observer à sa guise. « L’image des nudités évoluant avec toute la liberté de
la vie » lui avait permis de se « familiaris[er] de longue date avec le spectacle des
muscles en mouvements » et donc, d’en percevoir toutes les nuances aux différentes
étapes du geste. Paul Gsell, lorsqu’il décrit la manière de travailler de Rodin, se réfère à
l’Antiquité, quand les statuaires grecs observaient l’entraînement des sportifs pour
mieux connaître le corps. Il oppose ainsi le moderne pour qui le nu est « une révélation
(l’exception de son temps) et aux artistes antiques qui, eux, « parl[ent] naturellement le
du corps humain. »
1
Nicolai Gogol, « Le Portrait », Les Nouvelles de Pétersbourg, Gallimard, coll. Folio
2
Paul Valéry, « Du sol et de l’informe », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 106
3
Ibid., « Propos », p. 71
4
Paul Gsell, « Le Réalisme dans l’art », L’Art d’Auguste Rodin, op. Cit., p. 14
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« méthode de travail [telle que la décrit Paul Gsell], est singulière2 » aussi en cela qu’il
« atten[d] que [ses] modèles prennent une attitude intéressante, pour la reproduire.3 »
Ainsi, la véracité des corps dans l’œuvre de Rodin tient au fait que leur posture n’est pas
factice mais inspirée de la réalité. Le vivant est très présent dans le texte : Rodin est un
« chasseur de vérité et [un] guetteur de vie » aux « ordres […] de la Nature », et qui
telle jeune femme qui s’incline […], la grâce délicate de telle autre qui étire ses bras
[…] la nerveuse rigueur d’un homme qui marche »… Il ne veut pas, comme ses
l’expressivité du corps :
1
Paul Gsell et Auguste Rodin, « Le Réalisme dans l’art », L’Art d’Auguste Rodin, op. Cit., p. 16
2
Ibid., p. 14
3
Ibid., p. 16-17
4
Ibid., p. 17
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épeler et à lire les pages de ce beau livre » qu’est le corps, est capable de transcrire, dans
ses œuvres, ce qu’il voit dans la nature et de le rendre plus explicite encore. Il rend
visible pour l’œil du vulgaire les moindres nuances de l’expression d’un corps. En cela,
son œuvre est plus vraie que nature : alors qu’un moulage ferait perdre au modèle sa
vivacité du fait du temps de la pose, Rodin, grâce à l’acuité de son observation, est
pierre. Pour cela, il doit vouloir seulement « copier ce qu’[il] voit3 » et non « embellir la
Nature », « l’œil enté sur son cœur lit profondément dans le sein de la Nature4 » et la
retranscrit alors au plus juste. Néanmoins, se pose, dans la discussion entre Rodin et
Gsell, la question de la vérité de ce que sculpte l’artiste. Rodin dit qu’il a, pour une
adaptations pour la rendre plus vivante dans une œuvre qui sera, par nature, immobile.
« Le moulage est moins vrai que ma sculpture5 » dit Rodin, dans L’Art, et cela,
pour deux raisons. Premièrement, prendre l’empreinte d’un corps demande une certaine
1
Paul Gsell, « Le Réalisme dans l’art », L’art, op. cit., p. 14
2
Ibid.
3
Auguste Rodin, « Pour l’artiste, tout est beau dans la nature », L’Art, op. cit., p. 29
4
Ibid., « Le réalisme dans l’art », p. 19-20
5
Auguste Rodin, « Le Réalisme dans l’art », L’Art, op. cit., p. 17
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durée et ne permet donc pas au « modèle de conserver une attitude vivante pendant tout
[son] souvenir » sans jamais se figer. Ainsi, il y a une opposition au niveau de la durée
de la pose : d’un côté, le modèle se fige dans le temps et dans l’espace, de l’autre, il se
meut et renouvèle sans cesse l’image pour de courtes durées. Deuxièmement, Rodin dit
« reprodui[re] en outre l’esprit, qui certes fait bien aussi partie de la Nature », tandis que
le moulage n’est que l’empreinte d’une forme toute extérieure. Mais, si représenter la
Nature revient à retranscrire dans l’œuvre ce que l’on a observé avec la plus grande
attention, on n’en garde pas pour autant tous les détails exactement.
Dans « Cheval, danse et photo1 », Paul Valéry expose, en s’appuyant sur les
photographies de Muybridge, « les erreurs que tous les sculpteurs et les peintres avaient
la marche d’un homme, le vol des oiseaux ou, comme dans notre exemple2, le galop
d’un cheval et l’on a ainsi pu en voir les étapes successives, qui ne correspondent pas
aux représentations du mouvement faites par les artistes. Ainsi, un tableau de Géricault,
nommé Le derby d’Epsom3, montre des chevaux qui galopent « ventre à terre » les
membres très écartés en avant et en arrière à la fois, position que l’on retrouve à aucun
moment dans les clichés de Muybridge. Malgré cela, Rodin dit qu’à son sens, ils
« paraissent courir4 » bien plus que ceux photographiés en plein galop. Dans l’art
pictural, seuls les croquis de Léonard de Vinci et les estampes japonaises échappent aux
1
Paul Valéry, « Cheval, danse et photo », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 87-97
2
Voir clichés chronophotographiques de Muybridge, « Annexe II : Le mouvement »
3
Voir le tableau, « annexe II : Le mouvement »
4
Auguste Rodin, « Le mouvement dans l’art », L’Art, op. cit., p. 54
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des oiseaux est dépeint très justement, et cela, par « réflexion1 » pour l’un et « par
sensibilité et patience dans l’observation » pour les autres. Mais ils sont des exceptions,
soit qu’ils furent des génies, soit que leur culture les empêchait d’avoir des préjugés sur
la nature des choses qui les aurait menés à une préconception de l’objet contemplé. On
possible mais aussi si elle permet vraiment de donner à voir et à ressentir ce que l’artiste
a observé.
firent des générations d’artistes, montrent aussi, de manière plus générale, « combien
l’œil est inventif, ou plutôt combien la perception élabore tout ce qu’elle nous donne
former dans notre tête une image qui nous paraisse rationnelle par rapport à nos
1
Paul Valéry, « Cheval, danse et photo », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 94
2
Ibid., p. 90-91
3
Ibid., p. 93
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ces moments interpolés sont imaginaires. »). L’observation de la rapidité est alors une
affaire de construction mentale (« une sorte de création […] comble les lacunes de
l’enregistrement par les sens »), d’élaboration d’images, de « figures probables » par le
cerveau qui ne sont pas réelles mais qui suivraient quelque « loi de falsification. »
Cependant, Rodin, dans « Le mouvement dans l’art1 », exprime une opinion contraire à
c’est la photographie qui est menteuse ; car dans la réalité le temps ne s’arrête pas. » Il
dans son vol. Ainsi, ce qui est précédemment vu comme une erreur d’observation
devient une normalité. En effet, créer une œuvre qui semble animée de vie et de
mouvement est, en art, plus important que de donner à voir une image rigoureusement
juste de la Nature.
1
Auguste Rodin, « Le mouvement dans l’art », L’Art, op. cit., p. 41-74
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imprimer dans l’œuvre la trace du mouvement, modifier quelque peu la Nature : c’est
pour cela que Rodin dit accentuer les saillies de certains muscles, en allonger d’autres,
vie. L’instinct seul, cependant, ne suffit pas à inscrire le mouvement dans le modelé, il
1
Ibid., p. 54
2
Ibid.
42/99
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B- La technique
faire qui permette de retranscrire l’idée. La technique, dans tous les arts, est le moyen de
parvenir à l’expression ; et, si elle ne fait pas tout, elle donne à l’artiste les moyens
d’exprimer une idée, une vision du monde avec efficacité et succès. Pour ce qui est du
paraissent agir et même se livrer à de très violents efforts. 1 » Ainsi, en réponse, et après
mouvement dans l’art », dit que « […] l’illusion de la vie s’obtient dans notre art par le
bon modelé et par le mouvement [et que ces] deux qualités sont comme le sang et le
souffle de toutes les belles œuvres » et il explique alors comment l'on peut donner
l’impression qu’une statue rivée à son socle est en fait en train de bouger et que la
Paul Gsell dit des statues de Rodin qu’elles sont « frémissantes de vérité : elles
Rodin répond, d’ailleurs, qu’il a « toujours cherché à mettre [dans ses œuvres] quelque
indication de geste [… et qu’il a] toujours essayé de rendre les sentiments intérieurs par
1
Paul Gsell et Auguste Rodin, « Le mouvement dans l’art », L’Art, op. cit., p.42-43
2
Ibid., p. 41
3
Ibid.,
43/99
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mouvement est la transition d’une attitude à une autre 1 » et, pour illustrer cela, il
même, lorsque l’on perçoit dans le corps premier les signes de la nouvelle forme qu’il
revêt. Ainsi, Ovide, lorsqu’il dépeint « comment Daphné est transformée en laurier et
membres de l’autre se revêtant de plumes, de sorte qu’en chacune d’elles on voit encore
dans L’Enfer de Dante, le poète, évoquant un serpent qui prend possession du corps
d’un damné qui devient, lui, serpent, « décrit si ingénieusement cette scène qu’en
chacun de ces deux êtres, l’on suit la lutte des deux natures qui s’envahissent
corps lors du passage « d’une attitude à une autre. » La statue va alors contenir, dans un
du geste : avant, pendant et après. Rodin se sert, pour démontrer son propos d’une
mouvement de cette statue n’est que la métamorphose d’une première attitude, celle que
1
Ibid., p.43-44
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le maréchal avait en dégainant, en une autre, celle qu’il a quand il se précipite vers
La position des jambes et de la main qui tenait le fourreau sont dans l’attitude du début
du mouvement, dégageant le chemin pour la main qui veut prendre le sabre alors encore
rangé dans son étui au côté du corps ; en revanche, le haut du corps, le torse et le bras
qui tient la lame en l’air sont sculptés dans la position atteinte à la fin du mouvement :
« voilà que la poitrine se bombe, voilà que la tête se tournant vers les soldats rugit
l’ordre d’attaquer, voilà qu’enfin le bras droit se lève et brandit le sabre. » L’artiste offre
donc à voir dans un même corps les différentes étapes du développement d’un geste, et,
le spectateur, en suivant des yeux le chemin induit par le créateur dans le corps du
1
Ibid., p.45
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Marine Combrade-Germa
que nous avons choisi, les yeux remontent forcément des jambes au
bras levé, et comme, durant le chemin qu’ils font, ils trouvent les
différentes parties de la statue représentées à des moments
successifs, ils ont l’illusion de voir le mouvement s’accomplir.1
Paul Gsell reprend ensuite les principes exposés par Rodin pour faire l’analyse
de L’Age d’Airain ; cette statue est façonnée de la même manière que celle du maréchal
1
Ibid., p.45-47
46/99
Marine Combrade-Germa
d’action. Dans ces deux premières descriptions de statues, le mouvement est lié au
symbole : dans le cas du maréchal Ney, il s’agit de le montrer dans sa gloire et son
courage, donc en action tandis que, pour L’Age d’Airain, le réveil du corps de
D’autres statues, tout aussi fortes dans leur expression, donnent presque à voir,
dans le mouvement qu’elles suggèrent, une analyse de celui-ci. Ainsi, le Saint Jean-
Baptiste de Rodin, dont Gsell fait aussi un commentaire, est pris au beau milieu d’un
1
Paul Gsell, « Le mouvement dans l’art », L’Art, op. cit., p.47
2
Ibid., p.48-51
47/99
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et cette succession d’actions, visible dans la statue, trace, au travers de son corps, une
ligne de force diagonale du pied arrière à la main tendue en avant, qui donne ainsi une
dynamique à la statue (et qui correspond par ailleurs aux chaînes musculaires qui font la
marche1 et si le poids est au milieu des pieds et non en avant ou en arrière, c’est pour
suspendu dans le temps et dans l’espace. La posture érigée donne au Saint Jean-Baptiste
pousse2 » : c’est tout cela qui fait du personnage le porteur « d’une mission divine. » La
1
Pour la sculpture : voir « Annexe II : Le mouvement »
2
Ibid., p.51
48/99
Marine Combrade-Germa
de la même manière : en montant sur la pointe du pied, la danseuse a envoyé son corps
légèrement vers l’avant, ce qui se traduit dans le genou plié de cette jambe droite, l’élan
donné par la montée sur pointe entraîne le bassin en avant (en rétroversion) et ce
mouvement libère la jambe gauche qui fait le battement, lui donnant ainsi toute sa
longueur et sa direction vers le ciel. Le buste, une fois la jambe en l’air, se libère et part
légèrement en arrière accompagné du bras gauche pendant que le droit fait contre-poids
vers l’avant. On peut donc suivre là encore le processus du mouvement qui est aussi,
dans ce cas, suggéré par le déséquilibre dans lequel se trouve la danseuse. Comme
l’écrit Paul Valéry, c’est aussi la représentation « d’états de la structure articulée très
1
Paul Valéry, « Mimique », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 125
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L’Etoile, peinte par Degas en 1876, est peut-être celle qui est la plus animée de
ces représentations. Elle semble atterrir d’un saut, son buste et ses bras sont encore
suspendus en l’air et en même temps très en avant de son corps, ce qui fait que l’on
devine même sans la voir une arabesque (basse) en arrière. La jambe visible est en train
vers l’avant. C’est donc le déséquilibre suggéré par la répartition inégale du corps entre
même manière dans certains détails de la Porte de l’Enfer1 de Rodin où des personnages
Le mouvement tel que le retranscrit Rodin dans ses sculptures arrache le corps
un corps souffrant ou seulement soucieux de son bon fonctionnement qui est représenté
1
Pour sculptures : voir « Annexe II : Le mouvement »
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mais un corps qui est l’expression de l’âme, qui occupe l’espace avec solennité et le
traverse en quelque sorte. La chair n’est plus ici une matière molle et sans vie, un sac à
organe mais une chair vivante, vibrante qui laisse transparaître l’intérieur. En cela le
du modèle, de la nature, l’oblige à se mouvoir pour suivre son œil qui prend là « un
penche, cligne des yeux, se comporte de tout son corps comme un accessoire de son œil,
mouvement de l’artiste est retranscrit dans l’énumération des actions, les propositions
l’artiste, tantôt rapide, frénétique, tantôt lent et presque suspendu. C’est l’esprit qui
« prendre la tangente. » Ainsi, l’esprit vient « à bout des libertés locales » pour garantir
de l’expression, c’est son esprit qui, par son cheminement, entraîne le mouvement de
Il n’y a, pour aller à la danse, qu’un pas à faire. En effet, elle se distingue du
mouvement banal par l’état et le temps qu’elle crée mais, contrairement à la peinture ou
1
Paul Valéry, « Voir et tracer », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 77
2
Ibid,, p. 82
3
Ibid., p. 81
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III- La danse
Paul Valéry, en spectateur assidu, mène une réflexion sur la danse et tente de la
conférence qu’il donne en 1936 lors d’un spectacle de Madame Argentina, danseuse de
lui et de son œuvre. Dans chacun de ses textes, il suit, à chaque fois, un raisonnement
similaire, nous l’avons vu, qui part du corps quotidien pour arriver, par le biais du
mouvement, à la danse.
neurovégétatif, système inconscient, « pn. gastrique »), mais, paradoxalement, cette « vie
végétative » est dominante et influe sur toute activité a priori superflue décrite alors
spéculatives »). La danse est un moment d’« échappée », une libération du quotidien.
différenciation entre le simple mouvement quotidien et la danse. En quoi ces deux types
1
Paul Valéry, « Lettre de Valéry à Louis Séchan », L’Ame et la danse, op. cit., p. 189
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de gestes sont-ils distincts ? Qu’est-ce qui fait que l’on est dans le quotidien ou dans la
danse ?
1- Le mouvement et la danse
Dans un premier temps, Paul Valéry définit la danse comme « un art des
mouvements humains, de ceux qui peuvent être volontaires.1 » Mais, c’en est une
catégorie toute particulière. En effet, le « mouvement volontaire » est motivé par une
« condition extérieure », il est lié à un objet et à une intention vis-à-vis de cet objet qui
selon une loi d’économie de force », « qui ne peut pas ne pas régir notre dépense » et
s’impose à l’esprit. » Ces doubles négations mettent l’accent sur cette idée de mesure de
l’effort qui apparaît comme une évidence : on « ne peut pas ne pas » penser de cette
façon-là. Ainsi, « le but rejoint, l’affaire terminée, notre mouvement qui était, en
quelque sorte, inscrit dans la relation de notre corps avec l’objet et avec notre intention,
cesse. » C’est donc l’extérieur du corps (« la relation ») qui détermine son action.
La danse, si elle reste un mouvement volontaire, n’obéit pas aux mêmes lois.
[avoir] la dissipation même pour objet. » Elle se rapproche en cela des « gambades d’un
1
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 27
2
Ibid., p. 27-28
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enfant, ou d’un chien, [de] la marche pour la marche, [de] la nage pour la nage » mais
aussi du besoin de bouger que peut ressentir « l’animal, las de l’immobilité imposée »
effervescence des idées, dégage une énergie qu’aucun acte précis ne peut absorber et
tarir. » La construction des phrases traduit cette dépense d’énergie, les répétitions
celui du corps dépourvu d’âme dont l’économie d’effort est marquée par le vocabulaire
réaction limitée, une riposte finie. » Le mouvement quotidien est celui de la survie, qui
ne se soucie que de ce qui est vital « dans les cycles de transformation qui composent
anatomie. C’est pour cela que « nos actes utiles sont finis », ils répondent à une
nécessité et « vont d’un état à un autre. » La danse, au contraire, se nourrit d’une vitalité
débordante, traduite dans le texte par un vocabulaire d’action (« actes », « le repos n’a
« rythmiques » de vocabulaire spécialisé (« les bonds, les pas comptés, les pointes,
« inscrit dans le corps » qui détermine le point de départ, celui d’arrivée et le chemin à
1
Paul Valéry, “Philosophie de la danse”, op. cit., p. 4-5
2
Paul Valéry, « Lettre de Valéry à Louis Séchan », L’Ame et la danse, op. cit., p. 189
3
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 28-32
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parcourir pour atteindre le but fixé. Dans un acte quotidien, on va au plus direct, à ce
jamais que je puis aussi accomplir mon dessein en passant par le Panthéon. » Là encore,
la danse s’oppose à la banalité en cela qu’il n’y a aucune recherche d’économie dans le
déplacement : si l’espace est toujours « le lieu des actes : il ne contient pas leur objet1 »
personne à rejoindre ne définit de trajet à suivre ; c’est ce que l’on veut donner à voir
qui va déterminer l’espace ; la danseuse le parcourt et lui donne du sens par son
mouvement. Il s’agit donc d’une manière toute nouvelle de l’envisager : non comme un
environnement qu’il nous faut traverser par nécessité mais plutôt un terrain de jeu et
physiques, voire à les pousser à leur maximum tant au niveau de la résistance qu’au
niveau de la coordination :
1
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 28
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L’homme ressent donc un besoin de mettre son corps à l’épreuve, d’en tester et
d’en repousser les limites, de l’utiliser d’une manière plus spécifique et plus extrême
que ne le nécessite la vie courante. C’est l’excès de possibilités qui est exprimé dans cet
« l’immense plupart », …). C’est donc aussi le besoin d’exploiter le potentiel de notre
anatomie qui pousse l’homme dans des débordements. La danse serait donc un moyen
de canaliser une énergie surabondante, elle est d’ailleurs, pour Alain, « le plus ancien
« déportement » issu d’un « trop de puissance », elle est une action maîtrisée, contrôlée
et la danseuse est « cet être qui enfante, qui émet du plus profond de soi-même cette
mouvements est d’ordre spatial et corporel : il s’agit de maîtriser son geste propre dans
1
Paul Valéry, « Philosophie de la danse », op. cit., p. 4
2
Alain, Système des beaux-arts, Gallimard, coll. idées, 1920, p.52
3
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p.29
4
Paul Valéry, « Philosophie de la danse », op. cit., p. 9
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corps et le fortifie : « la nature a su enfermer dans cette fille si frêle et si fine, un tel
donne de la liberté aux mouvements de la danseuse, « […] coups de pieds très élevés,
elle est « une chose sans corps3 » à la fois « frêle » et forte et c’est pourquoi ses
« Dans l’Univers de la Danse, le repos n’a pas de place ; l’immobilité est chose
contrainte et forcée, état de passage et presque de violence, cependant que les bonds, les
pas comptés, les pointes, l’entrechat ou les rotations vertigineuses, sont des manières
quand l’effort est une normalité. Le corps se « détach[e] de ses équilibres ordinaires5 »,
« il est comme doué d’une élasticité supérieure qui récupèrerait l’impulsion de chaque
qui réagit si vivement au moindre choc. » La danse mène donc à une « production
intense d’une énergie de qualité supérieure » que seul l’épuisement, telle la chute
d’Athikté à la fin de L’Ame et la danse, peut arrêter. Néanmoins, une des particularités
1
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p. 128
2
Ibid., p. 131
3
Ibid., p. 120
4
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 32
5
Paul Valéry, « Philosophie de la danse », op. cit., p. 8
6
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p.31
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C’est l’usage spécifique que fait la danse du Temps qui la distingue des
mouvements se fait non seulement dans le corps et l’espace mais surtout dans le temps.
tous, mais dont personne n’a saisi jusqu’ici le mécanisme, ni montré la nécessité.1 »
c’est pourquoi, chez les danseuses de Valéry, « l’oreille est merveilleusement liée à la
cheville.2 » D’ailleurs, la « très longue flûtiste aux cuisses fuselées [… qui] allonge son
pied élégant dont l’orteil marque la mesure3 » dans L’Ame et la danse, devient, l’espace
d’un instant, danseuse à son tour lorsque « les musiciennes s’écoutent […] adhèrent à la
différences.4 »
1
Ibid., p.31
2
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p.115
3
Ibid., p. 122
4
Michèle Finck, « Musique et danse, oreille et cheville », Corps provisoires : danse, cinéma, peinture,
poésie, Dir. Jean Rouch, Armand Collin, Coll. Arts chorégraphiques : l’auteur dans l’œuvre, 1992, p. 83
5
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p. 114-115
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procédés.
gestes. Ils apportent des moments de suspension, des pauses dans les tirades des
personnages et permettent ainsi de les aérer par des alternances, comme en musique, de
phrasés suspensifs et conclusifs. Ces phrasés sont soutenus par l’usage, selon les cas, de
cadences majeures ou mineures (« Par les dieux, les claires danseuses ! … Quelle vive
et gracieuse introduction des plus parfaites pensées ! …1 »). Ces suspensions sont
1
Ibid., p. 114
2
Ibid., p. 130
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Les phrases font aussi alterner des rythmes binaires et ternaires, qui créent des
dynamiques plus ou moins rapides. L’organisation syntaxique des phrases crée des
rythmes différents qui ne laissent jamais le lecteur s’installer dans un mode. Ce texte,
avec tous ses changements de dynamique, suggère la danse, qui comporte, elle aussi,
des nuances de vitesse et de qualité (le ternaire comme un roulis et le binaire comme un
Le temps de la danse a une valeur propre et spécifique à celle-ci car elle est un
art éphémère qui se termine lorsque la danseuse s’arrête. « … the dancer’s harmonius
succession of movements which we have not even time to realize individually before
one is succeded by another, and the whole has vanished from before our eyes. 1 »
L’œuvre dansée a cela de particulier qu’elle n’a pas une existence durable, comme une
statue, elle est faite du corps de la danseuse en action mais meurt et revit de manière
toujours nouvelle à chaque représentation. Sa valeur n’en est pas amoindrie pour autant
car elle a un potentiel d’expression tout aussi grand que d’autres arts et laisse ainsi une
impression, une empreinte, sur son spectateur. « To have created beauty for an instant is
to have achieved an equal result in art with one who has created beauty which will last
many thousands of years. Art is concerned only with accomplishment, not with
duration.2 »
1
« La danseuse produit une harmonieuse succession de mouvements que nous n’avons pas le temps de
percevoir individuellement avant qu’un autre ne lui succède et que le tout se volatilise devant nos yeux. »
Arthur Symons, « A paradox in Art », Play, Acting and Music, a book of theory, Londres, Constable & Co,
1909, p.316-317, cité par Guy Ducrey, “Danseuses statufiées ou les infortunes du modèle », Corps et
graphies, p.207
2
« Créer la beauté pour un instant seulement possède en soi le même degré d’achèvement artistique que la
création d’une beauté qui durera plusieurs milliers d’années. L’art se joue dans son accomplissement et non
dans sa durée de vie. », Ibid. p.208
3
Paul Valéry, « Philosophie de la danse », op. cit., p.7
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C’est en effet une espèce de temps toute singulière en cela qu’elle transforme
3- L’état de corps
[Le corps,] comme par l’effet d’un choc intérieur, entre dans
une sorte de vie à la fois étrangement instable et étrangement
réglée ; et à la fois étrangement spontanée, mais étrangement
savante et certainement élaborée.3
quelle action quotidienne qui est régie par l’extérieur, par sa « relation du corps avec
l’objet4 » poursuivi.
Paul Valéry explique, dans « De la danse », que cet « état de danse5 » est crée
enchaînement crée une « sorte d’ivresse qui va de la langueur au délire, d’une sorte
1
Ibid., p.4
2
Ibid. p. 28
3
Ibid., p. 8
4
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 27
5
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 31
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d’abandon hypnotique à une sorte de fureur. » Il y a une gradation dans les termes
utilisés, tous évoquent « l’ivresse » en général mais l’on passe d’une situation de
passivité à une activité débordante, une « fureur. » Cet état de danse s’assimile à la
ferveur poétique, cet « enthousiasme qui envahit nos sentiments, nos actes ou nos
pensées1 » et c’est peut-être pour cela que Paul Valéry l’évoque si justement. « Le
même manière que la danseuse, il utilise sa propre énergie créatrice pour nourrir son
écriture, il est
ici et le seul le mot qui s’oppose à ce champ lexical (« stable ») est associé à un
ainsi cet état de transe traduit par tous les termes utilisés par Valéry et que l’on retrouve
chez Athikté dans la partie finale de sa danse, lorsque « hommes et femmes en cadence
sa danse, « par sa simple force, et par son acte, est assez puissant pour altérer plus
1
Joël Figari, La ferveur, ça bout mais… ça ne cuit pas, http://www.ac-
grenoble.fr/PhiloSophie/articles.php?ing=fr&pg=55, 2005
2
Bettina L. Knapp, « Valéry : Archéype du danseur socratique », L’écrivain et la danse, trad. Daniel Cohen,
L’Harmattan, 2002, p. 182
3
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 33
4
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p. 146
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profondément la nature des choses que jamais l’esprit dans ses spéculations et dans ses
songes n’y parvint.1 » La danse se différencie donc de la poésie dans l’effet produit par
sa manifestation.
La danseuse, dans cet état, crée une durée propre, « toute faite d’énergie
actuelle toute faite de rien qui puisse durer2 » et sa fureur la pousse ainsi dans une
instabilité permanente.
Les substantifs utilisés sont tous construits sur le préfixe négatifs –in– et renforcent le
l’idée que dans « l’Univers de la Danse, le repos n’a pas de place. 4 » La danseuse est
« flamme5 », « l’acte de ce moment qui est entre la terre et le ciel6 » et qui libère
totalement le corps.
1
Ibid., p. 148
2
Paul Valéry, « Philosophie de la danse », op. cit., p. 8
3
Ibid.
4
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 32
5
Paul Valéry, « Philosophie de la danse », op. cit., p. 8
L’Ame et la danse, op. cit., Dix fois p. 141 et 143
6
Ibid., p. 143
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corps dont on a parlé précédemment sont des éléments propres à la danse libre encore
classique. Isadora Duncan, dans sa recherche sur les mouvements naturels du corps a
cherché à exprimer les sentiments humains et, pour cela, elle a rejeté toutes les formes
parle Paul Valéry se retrouve de même dans les danses d’Isadora Duncan ; Françoise
monde… 1»
… Cette période de l’histoire est d’ailleurs l’une des sources d’inspiration principales
d’Isadora Duncan. « Si elle a adopté la tunique grecque, c’était pour retrouver le naturel
et la simplicité : elle dansait pieds nus, et avait su libérer son corps de tous les
ornements artificiels pour garder à la Danse toute sa pureté.2 » Athikté, dans L’Ame et la
danse, est également pieds nus même si paradoxalement, elle monte sur pointes. Il y a,
en effet, tout un vocabulaire classique dans le discours de Paul Valéry mais il semble
malgré tout évoquer « Isadora Duncan plus que la danse classique… Ou alors, la danse
1
Françoise Dupuy, « Annexe III : entretien avec Françoise Dupuy »
2
André Dunoyer de Segonzac, « Préface », Sous le signe d’Isadora, Musée Bourdelle, Les Presses
artistiques, 1966, p. 3
3
Françoise Dupuy, « Annexe III : entretien avec Françoise Dupuy ».
Les lithographies de l’édition numérotée de L'Ame et la danse, (Paris, Javal et Bourdeaux éditeurs, édition à
tirage limité (500 exemplaires), 1926) représentent des danseuses en tuniques grecques qui rappellent aussi
fortement Isadora Duncan.
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corps mince, souple et fort des danseuses de Valéry, le vocabulaire technique (« les
bonds, les pas comptés, les pointes1 », « battements », « entrechats2 ») et la montée sur
pointe d’Athikté (« tout son corps, sur ce gros doigt puissant se déplace.3 ») rappellent
pas encore, le recours au vocabulaire existant semble inévitable pour décrire la danse.
classique. L’état de corps est donc fondamental pour Valéry car non seulement il libère
le corps de sa trivialité, mais il le transcende, le place au même niveau que l’âme ou que
l’esprit. Le corps dansant est alors un poème « dénué de tout appareil du scribe4 »,
1
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 32
2
Paul Valéry, L’Ame et la danse, Gallimard, coll. Poésie, 1970, p. 131
3
Ibid, p. 147
4
Stéphane Mallarmé, «Crayonnés au théâtre », Divagations in Igitur, Gallimard, coll. Poésie, 1982, p. 193
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B- Le sens de la danse
Paul Valéry, dans ses œuvres, évoque, nous l’avons vu, la danse libre et non la
danse classique. Isadora Duncan est retournée aux sources de la civilisation occidentale
pour fonder son art, c’est-à-dire à la période de l’Antiquité. On retrouve d’ailleurs dans
les textes de Paul Valéry sur la danse des points communs importants avec ceux de
Lucien de Samosate. Les deux auteurs développent une idée similaire de la danse avec
cependant des nuances liées, pour la plupart, au contexte historique de ces textes.
Pourtant, Paul Valéry dit, dans une lettre à Louis Séchan, que ni « Callimaque, ni
modèle de la danse sans autre référence que les textes de Mallarmé et qu’un livre
« ouvert sur [sa] table.2 » Cet idéal de la danse réunit à la fois la grâce, l’expression et
une parfaite musicalité du mouvement. C’est en cela que les textes de Paul Valéry se
Après avoir comparé les textes des deux auteurs, nous nous pencherons sur ce que
Rodin nomme « le sentiment religieux dans l’art3 » et qui est présent dans la danse
valéryenne avant de voir ce quelle est précisément la place de la danse dans la période
1- Lucien et Valéry
e
Lucien de Samosate, rhétoricien et philosophe du II siècle, écrivit un dialogue
intitulé De la danse qui met en scène deux personnages, Lycinus et Craton, dont
l’opinion sur la danse diverge. Alors que Lycinus est un fervent défenseur de l’art
1
Paul Valéry, « Lettre à Louis Séchan », L’Ame et la danse, op. cit., p. 189
2
Ibid.
3
Auguste Rodin dans L’Illustration, 28 juillet 1806, cité par Georges Bois, Rodin et l’extrême orient, Musée
Rodin, 4 avril-2 juillet 1979
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philosophe. Lycinus fait alors une longue tirade pour démontrer l’utilité et la beauté de
la danse à son ami qui s’accorde finalement sur ses dires. Il y a, dans ses propos, des
éléments que l’on retrouve dans les textes de Paul Valéry, soit qu’ils sont des
mais dans la forme utilisée par Paul Valéry dans L’Ame et la danse et par Lucien de
Ainsi, Paul Valéry, comme beaucoup d’autres auteurs (Pierre Louÿs, Symons) emprunta
au genre ancien pour traduire sa réflexion, comme il l’avait fait peu auparavant pour
Eupalinos ou l’architecte.
personnages réunis débattent ensemble d’un sujet qui les divise jusqu’à arriver à une
réponse commune. Il y a néanmoins des différences entre les deux dialogues. Chez
1
Guy Ducrey, « Dialogue sur la danse et dialogues de danseuses », Ecrire la danse dir. Alain Montandon,
Clermont-Ferrand, Presses universitaires Pascal Blaise, 1999, p. 123
2
Le terme d’implexe « désigne moins l’inconscient, mais dénué alors de toute libido, que le potentiel de
réaction dont est doté l’individu. »
3
Alexandre Lazaridès, « Les effets de l’interrogation », Valéry : pour une poétique du dialogue, Montréal,
Les Presses de l’université de Montréal, 1978, p. 11
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Lucien, il n’y a pas d’égalité d’échange entre les deux personnages ; Craton est plutôt
des arguments stéréotypés contre la danse mais sans les développer et s’accorde
permet la construction d’une pensée sur la danse. Alors que Phèdre et Eryximaque
s’opposent dans leur manière de voir la danse, Socrate fait la synthèse des différents
propos et, en ajoutant à cela ses propres arguments, fonde une pensée de la danse. Le
texte de Valéry est donc plutôt un dialogue dissertatif où les personnages seraient la
pas ici l’inventeur de la maïeutique, l’accoucheur des esprits mais un participant actif
qui dirige et alimente le dialogue, peut-être Paul Valéry élaborant sa pensée. De plus,
Ainsi, si ces auteurs utilisent tous deux la même forme pour parler de la danse,
ils n’en font pas le même usage. Lucien, rhétoricien de formation, l’utilise comme un
discours visant à démontrer une idée et à convaincre son adversaire alors que Paul
Valéry, plus philosophe, s’en sert comme d’un processus réflexion où les idées
devenues des personnes à part entières débattent du sujet qui les intéresse.
1
Guy Ducrey, « Dialogues sur la danse et dialogues de danseuses », Ecrire la danse, dir. Alain Montandon,
op. cit,, p. 127
2
Ibid., p. 123
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l’auteur se place à la fois du point de vue du spectateur qui juge le spectacle de la danse
mais aussi de celui d’une autorité qui définit ce que la danse et le danseur doivent être
sous tous les points de vue (esthétique, technique, culturel, …). En juge, il parle aussi
du mauvais danseur et son discours est plus dogmatique que réflexif. Au contraire, Paul
Valéry se place toujours en spectateur, il tente de donner une définition de la danse qui
soit la plus universelle possible mais n’en fait pas un dogme. Il ne porte pas de regard
évaluateur sur le spectacle mais essaie plutôt d’analyser la danse dans son essence et
Les deux auteurs s’accordent d’ailleurs à dire que la danse est « agréable2 » et
« assouplit l’âme de ceux qui la voient. » Tous deux utilisent un vocabulaire très positif
pour parler de la danse, elle possède non seulement une grande « beauté », qui fait que
l’on a du « plaisir » à la regarder, mais aussi une « utilité » en tant qu’art. Les danseurs
sont des êtres beaux et gracieux, ceux de Lucien ont « la vigueur d’Hercule et la
délicatesse de Vénus3 » quand la danseuse de Valéry est une « chose sans corps4 »
1
Ibid., p. 122
2
Lucien de Samosate, « De la danse », op. cit., p. 3
3
Ibid., p. 22
4
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p. 120
5
Ibid., p. 114
6
Ibid., p. 128
7
Lucien de Samosate, « De la danse », op. cit., p.21
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La différence tient juste à un fait historique : au temps de Lucien, les hommes seuls
dansaient tous les rôles, les femmes sont donc absentes de ce texte. Depuis un peu plus
d’un siècle, la danse est devenue un domaine majoritairement féminin et c’est pourquoi
Paul Valéry n’évoque qu’un seul danseur dans ses textes, Nettarion « qui est si laid2 » et
comme de l’osier, et, à l’occasion, résister avec force. » C’est donc la danse qui rend le
peinture et la sculpture, dont elle paraît imiter les heureuses proportion, et à cet égard
elle ne cède rien à Phidias et à Apollon. 4 » Sa musicalité est aussi un fait important tant
pour Valéry, nous l’avons vu, que pour Lucien. Pour l’antique, « la danse s’adresse aux
oreilles et aux yeux5 » et c’est exactement ce que l’on retrouve dans L’Ame et la danse
quand Socrate dit d’une danseuse que son « oreille est merveilleusement liée à la
cheville6 » et « qu’elle paye l’espace avec de beaux actes bien égaux.7 » De même, les
colombes8 » quand, chez Lucien « leurs pieds délicats foulent en cadence les bords de la
1
Ibid., p. 22
2
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p.116
3
Lucien de Samosate, « De la danse », op. cit., p.23
4
Ibid., p. 13
5
Ibid., p. 23
6
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p. 115
7
Ibid., p. 122
8
Ibid., p. 127
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l’accompagnement musical est donc aussi important chez Lucien, comme chez Valéry.
comme chez l’autre. La danse « est l’acte pur des métamorphoses2 », ainsi, le danseur
doit avoir « plusieurs âmes dans un seul corps3 » pour pouvoir exprimer multiples
sentiments.
De même, lorsque Phèdre dit qu’il voit l’amour dans la danseuse, il la voit
représenter un sentiment, chose abstraite que seule la « danseuse peut […] rendre
visible par ses beaux actes5 » et dont on peut tirer des enseignements.
1
Lucien de Samosate, « De la danse », op. cit., p. 9
2
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p. 134
3
Lucien de Samosate, « De la danse », op. cit., p. 20
4
Ibid., p. 24
5
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p. 133
6
Ibid., p ; 132
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chacun. On retrouve cette idée chez Lucien de Samosate quand Lycinus dit qu’il est
« toujours revenu du théâtre beaucoup plus instruit et plus clairvoyant dans les affaires
de la vie.1 » 2
La danse évoque, pour les personnages comme pour leurs auteurs, mille choses
danseur Ainsi, Lucien dit d’un « danseur habile » que « par la rapidité de ses
la colère d’un léopard, l’agitation d’un astre, en un mot, tout ce qu’il voulait 3» et on
Néanmoins, l’expression ne demande pas, pour les deux auteurs, les mêmes
qualités de la part des danseurs. Pour Lucien, le danseur doit être un être extrêmement
cultivé, nourri de mythes et d’histoire, il faut « qu’il connaisse encore les mystères les
plus secrets […] et qu’il en exprime quelques-uns par ses gestes », « en un mot, il ne
doit rien ignorer de tout ce qu’ont écrit Homère, Hésiode et les bons poètes...5 » afin de
pouvoir « s’identifi[er] avec les personnages qu’il représente6 » et jouer au plus juste
son rôle. L’expression fait donc partie intégrante de la technique au même titre que
quelle émotion selon la seule volonté. « Il faut que celui qui voit danser puisse […]
1
Lucien de Samosate, « De la danse », op. cit., p. 3
2
Guy Ducrey, « Dialogues sur la danse et dialogues de danseuses », Ecrire la danse, dir. Alain Montandon,
op. cit., p. 128. L’auteur évoque aussi ces ressemblances entre les deux dialogues : « Lucien rapportait
l’histoire d’un tyran qui, séduit par l’art d’un danseur, aurait déclaré : “J’entends ce que tu fais ; je ne le vois
pas seulement, mais il me semble que tu parles avec tes mains.” Et le Socrate de Valéry sur la danse : “Leurs
mains parlent, et leurs pieds semblent écrire” »
3
Ibid., p. 8
4
p.133 « Mais n’est-elle pas soudain, une véritable vague de la mer ? – Tantôt lourde, tantôt plus légère que
son corps, elle bondit, comme un roc heurtée ; elle retombe mollement… C’est l’onde ! »
p. 143 « Voyez-moi ce corps, qui bondit comme la flamme remplace la flamme… »
5
Lucien de Samosate, « De la danse », op. cit., p. 17
6
Ibid., p. 19
7
Ibid., p. 18
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Chez Valéry, l’expression n’est pas une affaire de savoir-faire mais elle trouve
son origine dans l’acte même de la danseuse, dans ses mouvements. Elle-même « est
peut-être une sotte1 » et « qui sait quelles superstitions et quelles sornettes forment son
âme ordinaire ? » Néanmoins, ce n’est pas son esprit qui permet l’expression mais son
mouvement et cette sorte de transe qu’il entraîne : « elle tourne, et tout ce qui est
visible, se détache de son âme ; toute la vase de son âme se sépare enfin du plus pur.2 »
Elle ne maîtrise pas tout ce qu’elle fait, mais « est dévorée de figures innombrables3 » et
J’étais en toi, ô mouvement, en dehors de toutes les choses…4 » « La danseuse n’a point
de dehors…5 », la danse « se passe dans son état, elle se meut dans elle-même » et
constitue « comme une manière de vie intérieure. » Valéry diverge donc ici de Lucien
ce qu’elle fait sans chercher plus la maîtrise du geste qui provoque l’émotion chez elle
comme chez le spectateur. En cela, elle est proche du « sentiment religieux6 » dont parle
Auguste Rodin à propos de l’art et qui se retrouve chez Paul Valéry mais aussi chez
Lucien de Samosate.
1
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p. 143
2
Ibid., p. 147
3
Ibid., p. 144-145
4
Cf. Annexe 1 : interview de Françoise Dupuy sur son interprétation du rôle d’Athikté dans une mise en
scène de L’Ame et la danse.
5
Paul Valéry, « Philosophie de la danse », op. cit., p. 9-10
6
Auguste Rodin dans L’Illustration, 28 juillet 1806, cité par Georges Bois, Rodin et l’extrême orient, op. cit.
Rodin, 4 avril-2 juillet 1979
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Dans son dialogue De la danse, Lucien décrit non seulement ce que doit être la
danse mais aussi quelle est sa place dans diverses sociétés. Ainsi, les « Lacédémoniens
[…] ne font rien sans l’assistance des muses 1» et les guerriers redoutés sont également
de bons danseurs.
Par ailleurs, « le fond de la danse […] est l’histoire antique […] depuis le chaos
doit embrasser […] toute cette période.3 » La société antique est fondée en grande partie
sur les mythes : les guerres des dieux font donc partie de l’histoire des hommes. Ainsi,
l’art, dans l’Antiquité, est très lié à la culture et, tous les domaines artistiques, de la
Rodin appréciait d’ailleurs les artistes cambodgiennes car leurs danses étaient
liées aux rites traditionnels. « En effet, ces danses sont religieuses parce qu’elles sont
artistiques ; leur rythme est un rite, et c’est la pureté du rite qui leur assure la pureté du
rythme.4 » L’art est donc présent dans l’expression religieuse mais, comme le montre le
chiasme entre « rythme » et « rite », les deux domaines se nourrissent l’un l’autre. En
1
Lucien de Samosate, « De la danse », op. cit., p. 6
2
Ibid., p. 8
3
Ibid., p. 13
4
Auguste Rodin dans L’Illustration, 28 juillet 1806, cité par Georges Bois, Rodin et l’extrême orient,op. cit.
Rodin, 4 avril-2 juillet 1979
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religieux » de ces danseuses vient du fait qu’elles sont, selon Rodin, comme dans toute
religion, « les gardiennes des grandes mimiques harmonieuses, par lesquelles la nature
humaine exprime ses joies, ses angoisses, ses certitudes. » Pour Rodin, cependant, le
sentiment religieux ne se limite pas à l’obéissance à des dogmes et à des traditions mais
(« lois universelles », « science […] sans limite »). L’idée de « sentiment religieux » ne
correspond donc pas, chez Rodin, à une absence de sens critique mais inclut une
certaine curiosité pour ce qui nous entoure et une volonté d’enrichir son savoir.
Cependant, il correspond surtout à une humilité face à ce que l’on ne ne peut connaître
1
Auguste Rodin, « Le mystère dans l’art », L’Art, op. cit., p. 151-152
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tout ce que le génie éprouve en face de la Nature1 », un désir de savoir qui se heurte à
« l’immense Inconnaissable. »
Chez Valéry, le sentiment religieux est présent dans la danse, en cela qu’elle
correspond ici à celle qu’évoque Rodin : il y a dans la danse une dimension qui mêle
contradictoire. La danse « se passe dans son état, elle se meut dans elle-même » et est
[…] semble ignorer ce qui l’entoure » et pourtant, elle « enfante […] cette belle suite de
transformations dans l’espace. » C’est qu’elle est « dans un autre monde […] qu’elle
tisse de ses pas et construit de ses gestes. » L’auteur montre ici un art qui fonctionne en
circuit fermé même s’il est un spectacle, il est « en dedans de lui-même », se construit
un monde. Mais, si la danseuse « n’a pas de dehors », mais elle est paradoxalement
« hors ou loin 3» d’elle-même en cela qu’elle n’est plus dans un état quotidien mais dans
sens étymologique du terme : elle est habité par le souffle des Dieux. Isadora Duncan
est ainsi vu par ses spectateurs, Bourdelle écrit qu’elle est « immortelle et mortelle et
1
Ibid., p. 155
2
Paul Valéry, « Philosophie de la danse », op. cit., p. 8-9
3
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 33
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[que] ces deux visages sont toute la loi du divin.1 » Elle a donc cette dimension
religieuse dont parle Rodin, mais, si elle s’appuie sur l’Antiquité pour fonder son art,
c’est pour se l’approprier et construire un art moderne ; modernité que l’on retrouve
chez Valéry.
nature. L’art d’Isadora Duncan se distingue en effet de la danse classique en cela qu’elle
n’est pas formelle et surtout qu’elle n’est pas narrative. La danse libre est une
expression des sentiments humains dans une certaine abstraction. Il n’y a plus de livret,
d’histoire racontée à travers des gestes et une structure de la danse, le spectacle se fait
sous forme de récital (une succession de danses courtes qui traitent de différents
sentiments…). Isadora Duncan danse en tunique grecque, pieds et jambes nus et laisse
donc voir ou apercevoir son corps ; en refusant de cacher son corps, elle le libère et le
ramène à son état de nature. Cet art qui laisse voir les formes et la peau de la danseuse,
dans les romans du début du XXe siècle, les écrivains montrent en effet les ballerines
comme des êtres désirables et des filles de mauvaise vie dont il est bon d’obtenir les
faveurs. Les textes de Valéry traduisent aussi cet aspect charnel de la danse.
Dans L’Ame et la danse, Athikté est un objet de désir pour ses spectateurs : Phèdre
désir.
1
Antoine Bourdelle, Sous le signe d’Isadora, op. cit.
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Il y a dans cette description une progression des sens : la vue, déjà entreprenante
(« dévore de ses yeux »), laisse place au toucher et cette progression montre l’attirance
de Phèdre pour Athikté. Les danseuses sont donc des « filles charmeresses » et le
La danseuse est sans cesse comparée à des animaux : elle est à plusieurs reprise
un « oiseau2 », mais aussi une araignée « qui tisse un monde 3» et, l’auteur développe,
tout au long de la pièce L’Ame et la danse, une métaphore filée de l’abeille, qui désigne
naissait l’abeille ») tantôt « le chœur ailé des illustres danseuses » qui « bourdonne.4»
C’est dans Degas, danse, dessin que l’auteur va le plus loin lorsqu’il évoque
les danseuses idéales que sont, à ses yeux, les « grandes méduses.5 » Ces créatures sont
les interprètes de « la plus libre, la plus souple, la plus voluptueuse des danses
follement irritables, dômes de soie flottantes, couronnes hyalines, longues lanières vives
toutes courues d’ondes rapides, franges et fronces » les identifie à des danseuses
drapées de voiles translucides mais elles sont plus délicates (« soies », « lanières »,
« sensible ») et plus libres car dans l’eau, elles ne sont pas soumises à la gravité.
1
Ibid., p. 118
2
Ibid., p. 113
3
Paul Valéry, « Philosophie de la danse », op. cit., p. 9
4
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p. 114
5
Paul Valéry, « De la danse », Degas, danse, dessin, op. cit., p. 33-34
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fluide massif qui les presse, les épouse, les soutient de toutes part,
leur fait place à la moindre inflexion et les remplace dans leur
forme. […] ces créatures disposent de l’idéal de la mobilité, y
détendent, y ramassent leur rayonnante symétrie.1
Tous les mouvements décrits sont plus ceux d’un tissu que d’un corps, elles ont un
tellement fluide en fait des danseuses idéales. Mais, c’est l’aspect charnel de cette
souplesse qui prédomine dans le regard du spectateur : en effet, la méduse, qui « trousse
et retrousse avec une étrange et impudique insistance » « son flot de jupes festonnées »,
mouvements… » est un être charnel, qui se met à nu devant un public dont le regard se
« charg[e] de désir. »
profond, « par leur corps, […], [elles] édifient le poème2 », « poème dégagé de tout
appareil du scribe.3 » Elles suggèrent « avec une écriture corporelle ce qu’il faudrait des
rédaction.4 » Elles sont donc des poètes dont le corps serait la plume, et qui mêlent « le
1
Ibid., p. 34
2
Bettina, Knapp, « Valéry : Archétype du danseur socratique », L’Ecrivain et la danse, op. cit., p. 182
3
Stéphane MALLARME, Divagations in Igitur, dir. Yves Bonnefoy, Gallimard, coll. Poésie, 1982, p. 193
4
Ibid.
5
Bettina, Knapp, « Valéry : Archétype du danseur socratique », L’Ecrivain et la danse, op. cit., p. 179
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qu’elle suscite chez chacun. « Soma et psyché s’affirment ensemble – dans le silence,
l’ambiguïté ou le mystère. »
La danse est surtout, pour Valéry, une réponse à « l’ennui de vivre.2 » Le mot –
ennui– est répété huit fois dans la même tirade et cohabitent à un vocabulaire
« la plus heureuse », …). Cet ennui de vivre correspond à une lucidité face « à la vie
toute nue », à la mort et est donc un « mal rationnel. » La danse, art de l’éphémère et de
l’instant, de la « flamme » est un remède à cet ennui en cela qu’il provoque « cette
exaltation et cette vibration de la vie3. » Tout le vocabulaire traduit donc cet élan de vie
« déploie une gestuelle sur un devenir que cerne le néant5 » et ainsi, détourne « l’ennui
de vivre » : c’est donc par l’action que l’on peut modifier son sentiment et arriver à
1
Ibid., p. 184
2
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit. p. 137
3
Ibid., p. 142
4
Ibid., p. 144
5
Bettina, Knapp, « Valéry : Archétype du danseur socratique », L’Ecrivain et la danse, op. cit., p. 185
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Conclusion
quotidien, sa trivialité : le naturalisme, présent dans tous les domaines artistiques, dresse
un portrait cru et sévère du corps. Les artistes le montrent dans sa décrépitude et toute
son inesthétique mais en montrent aussi toute l’humanité et l’âme n’est jamais
totalement détachée de ce corps. C’est donc une nouvelle approche du corps : l’artiste se
geste. Rodin, dans ses sculptures, montre un corps allant, que l’effort rend plus digne, le
corps dans son action sort de la « vase » de sa trivialité. Il devient un objet expressif et
dansant est utilisé au maximum de ses possibilités, il est musical et exprime par les
nuances de qualité, de force et par les variations rythmiques tous les sentiments
humains. Elle est engagée par le corps plus que par l’esprit et modifie le sentiment du
La danse est « une action qui se déduit, puis se dégage de l’action ordinaire et
1
Paul Valéry, L’Ame et la danse, op. cit., p. 151
2
Paul Valéry, « Philosophie de la danse », op. cit., p. 11
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Le corps est engagé dans tout art, il sert à l’expression autant que l’esprit. Tout artiste
éduque son corps, le forme aux mouvements qui lui sont nécessaires : le peintre ou le
sculpteurs, nous l’avons vu, ajuste sa position, se déplace pour mieux percevoir ce qu’il
observe, et sa main doit être capable de précision, de force ; la qualité de son geste se
traduira dans son œuvre. Le corps a suscité l’intérêt des artistes car il est au centre de la
vie de tous. Sa condition change notre état de corps autant que notre état d’esprit et peut
certainement influencer nos actions, et, chez les artistes, la formation de leurs œuvres. La
danseuse est peut-être si mystérieuse aux yeux des autres artistes en cela qu’elle peut
modifier, dans son art, cet état de corps par sa volonté propre.
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Annexe I : Le corps
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VENUS ANADYOMENE
Arthur Rimbaud,
Poésie, Gallimard, coll. Poésie, 1994, p. 41-42
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Annexe II : Le mouvement
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Pour faire l’accord avec la voix des comédiens, nous cherchons une
musique du souffle et rencontrons Jean Merry, qui nous suggère de puiser
parmi les Quatre-vingt-dix morceaux pour flûte seule de Charles
Kœchlin. C’est Merry lui-même qui interprète sur scène les morceaux
choisis. Françoise est Athikté, « Athikté la palpitante … », entourée de
six danseuses et de trois danseurs.
1
Dominique Dupuy in Une danse à l’œuvre de Françoise et Dominique Dupuy, Nancy, Centre national de la
danse, Scène nationale – La roche sur Yon, Nancy, 2001, pp.227-228
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Il y a plusieurs choses à dire, en tout cas, c’est un de mes souvenirs les plus
forts d’interprète.
D’abord, il y avait le texte, toujours présent, avec ces trois hommes qui
dissertent sur la danseuse. C’est déjà un texte chorégraphique en soi, rythmique et
musical.
Nous avions choisi des musiques de flûte parmi Quatre-vingt dix pièces pour
flûte seule de Charles Kœchlin. Le texte et la flûte soutenaient ainsi énormément la
danse.
Par ailleurs, la pièce a été donné en plein air dans les lieux magiques que sont
le théâtre antique d’Arles et le Théâtre de la mer de Sète. Au théâtre antique d’Arles où
je dansais dans l’orchestra, il y avait des soirs où la pierre était encore chaude du soleil
de la journée, sous les pieds nus, c’était une sensation extraordinaire. A la deuxième
représentation au théâtre de la Mer à Sète, c’était très émouvant car il y avait Madame
Kœchlin et Madame Valéry. Cette dernière a dit que je lui rappelais Eleonora Duse…
Par la suite, Jean Deschamps aurait voulu remonter le spectacle pour un théâtre fermé
mais le projet a été abandonné.
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À propos de la danse :
Je commençais la danse par une marche très simple mais pas n’importe quelle
marche.1 C’était très important à Arles car nous jouions dans l’orchestra et je rentrais en
scène depuis les colonnes de marbres, je traversais donc le proscenium avec cette
marche, c’est-à-dire un grand espace.
Nous n’avions pas suivi le vocabulaire de danse classique mais plutôt l’idée
développée dans Philosophie de la danse, quand Valéry dit que la danse contient le
monde entier ; d’ailleurs, Madame Argentina, dont parle Paul Valéry dans ce texte,
n’avait rien d’une danseuse classique.
J’étais plutôt inspirée par l’idée de Mary Wigman, qui, quand elle parle de
tourbillon, dit que c’est l’espace qui l’enserre et la fait tourner et pas elle-même qui
tourne. J’ai surtout retenu l’idée de la flamme, de danse du corps tout entier, avec des
suspensions très hautes… C’était une danse maîtrisée et libérée : libérée par une très
grande maîtrise... En 1921, date d’écriture de L’Ame et la danse, l’art était plutôt dans la
courbe ; en cette période d’après guerre, l’idée de volupté était prégnante en art. Au
1
Le travail de la marche est une composante très importante du travail de Françoise Dupuy : c’est une
marche où l’on déroule le pied à partir des orteils et qui engage très fortement le bassin et la colonne
vertébrale. Le déplacement dans l’espace est alors très efficace et surtout très fort. Cette marche donne une
grande présence et une grande force au danseur.
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point de vue danse, on a donc recherché une qualité fluide et légère, qui correspondait
vraiment à mon style, c’est sans doute pour cela que j’avais été choisie.
1
Françoise Dupuy in Une danse à l’œuvre, dit de la musique p.89 : « La musique et la danse ont toujours eu
partie liée. La danse ne se joue-t-elle pas de l’espace temporel et de l’impact émotionnel des sons pour sous-
tendre et faire écho à sa propre dynamique ? La musique n’est-elle pas également un art corporel, et la force
d’un appui, la suspension d’un souffle, l ‘éclat d’un timbre, ne sont-ils pas soumis à l’intelligence des corps.
Plus encore, la résonance physique que la danse donne de la musique ne les projette-t-elle pas toutes deux
dans une dimension qui n’appartient, en propre, ni à l’une, ni à l’autre, mais à toutes deux
indissolublement. »
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L’homme s’est aperçu qu’il possédait plus de vigueur, plus de souplesse, plus de
possibilités articulaires et musculaires qu’il n’en avait besoin pour satisfaire aux
nécessités de son existence et il a découvert que certains de ces mouvements lui
procuraient par leur fréquence, leur succession ou leur amplitude, un plaisir qui allait
jusqu’à une sorte d’ivresse, et si intense parfois, qu’un épuisement total de ses forces,
une sorte d’extase d’épuisement pouvait seule interrompre son délire, sa dépense
motrice exaspérée.
Nous avons donc trop de puissances pour nos besoins. Vous pouvez facilement
observer que la plupart, l’immense plupart, des impressions que nous recevons de nos
sens ne nous servent à rien, sont inutilisables, ne jouent aucun rôle dans le
fonctionnement des appareils essentiels à la conservation de la vie. Nous voyons trop de
choses ; nous entendons trop de choses dont nous ne faisons rien ni ne pouvons rien
faire ; ce sont parfois les propos d’un conférencier.
Même remarque quant à nos pouvoirs d’action : nous pouvons exécuter une foule
d’actes qui n’ont aucune chance de trouver leur emploi dans les opérations
indispensables ou importantes de la vie. Nous pouvons tracer un cercle, faire jouer les
muscles de notre visage, marcher en cadence ; tout ceci, qui a permis de créer la
géométrie, la comédie et l’art militaire, est de l’action qui est inutile en soi, au
fonctionnement vital.
Ainsi, les moyens de relation de la vie, nos sens, nos membres articulés, les images
et les signes qui commandent nos actions et la distribution de nos énergies, qui
coordonnent les mouvements de notre marionnette, pourraient ne s’employer qu’au
service de nos besoins physiologiques, et se restreindre à attaquer le milieu où nous
vivons, ou à nous défendre contre lui, de manière que leur unique affaire consistât dans
la conservation de notre existence.
Nous pourrions ne mener qu’une vie strictement occupée du soin de notre machine
à vivre, parfaitement indifférents ou insensibles à tout ce qui ne joue aucun rôle dans les
cycles de transformation qui composent notre fonctionnement organique ; ne ressentant,
n’accomplissant rien que de nécessaire, ne faisant rien qui ne fût une réaction limitée,
une riposte finie à quelque intervention extérieure. Car nos actes utiles sont finis. Ils
vont d’un état à un autre.1
[…] Il est beaucoup plus simple de construire un univers que d’expliquer comment
un homme tient sur ses pieds.2
1
Paul Valéry in « Philosophie de la danse ». édition électronique réalisée à partir du texte de Paul Valéry, «
Philosophie de la danse » (1938), in Œuvres I, Variété, « Théorie poétique et esthétique », NRF, Gallimard,
1957, 1857 pages, pp. 1390-1403. p.4
2
idem, p.6
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Bibliographie
Corpus primaire
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1967, 216p.
Paul VALERY, L'Ame et la danse, Gallimard, 1924, 221p.
Paul VALERY, L'Ame et la danse, Javal et Bourdeaux éditeurs,
édition à tirage limité 500 exemplaires, 1926, 60p.
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Paul VALÉRY, Degas, Danse, Dessin, Gallimard, coll. Folio Essais, 1998, 267p.
Paul VALERY, « La philosophie de la danse », édition électronique réalisée à partir du
texte de Paul Valéry, « Philosophie de la danse » (1938), in Œuvres I, Variété,
« Théorie poétique et esthétique », Nrf, Gallimard, 1957, 1857 , p. 1390-1403.
Conférence à l’Université des Annales le 5 mars 1936. Première publication : dans
Conferencia, 1er novembre 1936., 13p.
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Paul ROBERT, Le Petit Robert de la langue française, dir. Josette Rey-Debove et Alain
Rey, éd. Dictionnaires Le Robert, 2003, 2949p.
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