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Le phénomène de théâtralité dans l'art chorégraphique


contemporain camerounais : entre corps quotidien et corps
scénique fictif

Chapter · May 2020

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Chamba ARETOUYAP Mirelle Flore Mirelle FLore Chamba Nana


Université de Dschang Université de Dschang
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Le phénomène de théâtralité dans l’art chorégraphique
contemporain camerounais : entre corps quotidien et
corps scénique fictif

Mirelle Flore CHAMBA NANA


Institut des Beaux-Arts de Foumban
Université de Dchang

Résumé
Cette réflexion est une investigation sur la théâtralité dans l’art chorégra-
phique en liaison avec la transformation des corps dans le processus de repré-
sentation. Prenant appui sur les théories post-positiviste et esthétique, elle
montre comment la notion de « personnage », propre à l’art théâtral, est appro-
priée en danse. Cette posture permet d’enrichir un savoir théorique sur l’inter-
prète en danse tant il est vrai que les résultats offrent l’accès à des processus de
création d’artistes contemporains camerounais.
Mots-clés : théâtralité, danse contemporaine, transformation, personnage, Cameroun

Introduction
La notion de théâtralité connaît une recrudescence dans nombre de disci-
plines artistiques depuis 1960. Si elle est apparue chez les praticiens et théoriciens
du théâtre, sa vitalité est la plus remarquable dans le champ de l’art chorégra-
phique. Feral (1988) précise que le concept de théâtralité se prête à toutes les
ambivalences dans la mesure où le théâtre lui-même n’a cessé de le redéfinir par
ses pratiques, presque depuis le début du XXe siècle.53 Malgré le flou du concept,
on n’a pas cessé depuis une décennie déjà de repérer la théâtralité dans la danse.
Si cette notion est aussi ambigüe en théâtre, on comprend alors que parler de la
théâtralité en danse ne relève pas forcément de l’évidence. Le plus connu au
Cameroun reste certainement l’usage que font de cette notion les danseurs-cho-
régraphes André Takou Saa lorsqu’il parle de danse-théâtre-danse et Merlin Nyakam
avec la danse expressive. La notion de théâtralité prend une place importante dans
cette réflexion. Goffman (1973) affirme qu’ : « Après avoir été utilisée par

53 Le mot s’étant banalisé, il importe de distinguer ce qui relève historiquement de l’usage

effectif de la notion de théâtralité des conceptions du théâtre formulées autrefois par


des auteurs sans recourir au mot, que certains lecteurs contemporains rebaptisent pos-
térieurement « théâtralité ».

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d’autres champs théoriques et être devenue la modalité d’une idée de théâtre hors
du théâtre, la théâtralité ne peut plus se penser en vase clos ». Le travail de Fébvre
(1995), Danse contemporaine et théâtralité, le prouve.
La définition de la théâtralité proposée par Barthes54 (1954) est souvent re-
prise parce qu’elle « paye son tribut à une époque où le clivage entre scène et
texte était plus apparent qu’il ne l’est aujourd’hui, d’où son affirmation, souvent,
que la théâtralité a à voir avec la matérialité du corps des acteurs, avec ‘‘la corpo-
réité troublante’’ de ceux-ci. » (Féral, 2012 : 10). Devant ce foisonnement théo-
rique, l’application de cette notion à la pratique chorégraphique n’a pas encore
fait couler beaucoup d’encre surtout lorsqu’il faut parler de sa manifestation dans
la danse au Cameroun. Mais Brunel (1982), Fèbvre (1995) et Maudmazo (2014)
ont développé des réflexions sur le rapport entre danse et théâtralité. Ils sont
tous d’avis qu’avec la théâtralité dans la danse
le corps dansant lui-même s’est diversifié, affichant aujourd’hui son appartenance au
monde séculier, et non plus au monde « divin » de la sylphide ou de l’éphèbe auquel
semblaient appartenir les corps « normés » de la tradition, corps d’apparence, tenus à
l’abri du temps qui passe (Fèbvre, 1991 : 42).
En revanche, tout l’intérêt de la présente réflexion réside dans une démarche
qui donne la possibilité de développer une meilleure connaissance du travail de
l’interprète et de la danse. La danse contemporaine étant, me semble-t-il, em-
preinte de théâtralité, il n’est pas étonnant que divers éléments de la recherche
et des créations chorégraphiques actuelles au Cameroun trouvent un écho dans
pareil discours. De la sorte, cette investigation montre comment la notion de
« personnage » s’opère dans le courant où la théâtralité s’insère à la danse, et
lorsque certains marqueurs de la théâtralité et de la danse se rencontrent au tra-
vers du corps de 1’interprète.

1.1. Problématique
Le corps quotidien55 d’un interprète correspondrait au corps naturel, habituel,
usuel, fonctionnel. C’est le corps que nous connaissons. Alors que le corps extra-

54 Barthes (1954 : 122-123) « Qu’est-ce que la théâtralité ? C’est le théâtre moins le texte,
c’est une épaisseur de signes et de sensations qui s’édifie sur la scène à partir de l’argu-
ment écrit, c’est cette sorte de perception œcuménique des artifices sensuels, gestes,
tons, distances, substances, lumières, qui submerge le texte sous la plénitude de son
langage extérieur. »
55 Barba (2000 :253), y fait la distinction entre un « corps quotidien » de l’acteur et un

« corps extra-quotidien », un « corps inculturé »et un « corps acculturé ». Les ac-


teurs/danseurs mettent de côté leur comportement quotidien pour développer majori-
tairement celui extra-quotidien.

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quotidien s’apparenterait entre autres au corps scénique, corps de la représenta-
tion. De fait, l’interprète en théâtre ou danse expérimente ces deux mondes
(Maudmazo, 2014 : 26). L’analyse de la transformation de l’interprète est une
orientation empruntée pour questionner ce que devient celui-ci lorsque la danse
et la théâtralité se rencontrent ; la position de Tremblay mérite d’être soulévée :
« Être l’autre tout en étant soi-même. » L’interprète est à la fois lui-même et un
autre. De la sorte, qu’en est-il en danse ? Si on admet que ces chorégraphes ca-
merounais André Takou Saa, Bouba Landril Tchouda, Tchuimo Gladys, Merlin
Nyakam, Chantal Gondang ou Georgette Kala Lobe composent leurs partitions
de mouvements à partir du geste quotidien, du répertoire de l’expression hu-
maine, de l’individu qu’est l’interprète, de sa personne, ne serait-on pas finale-
ment dans la création d’une « fiction du réel », dans la création de corps fictifs ?
Il est question, avant tout, de tenter de saisir la portée de la notion théâtrale de
« personnage ». À ce titre, comment et quand la transformation du danseur et de
son corps s’opère-t-elle lorsque danse et théâtralité agissent conjointement ?
L’hypothèse avancée à cet égard est la suivante : grâce à différents procédés et
techniques, le “je” du danseur devient non pas un “autre” mais, une combinaison
travaillée, un « montage » entre ce “je” « corps quotidien » et cet “autre” « corps
fictif », porteur de tout un univers imaginaire et initiateur d’autres possibilités
expressives.

1.2. Aperçu théorique et méthodologique


La démarche théorique est post-positiviste avec un caractère esthétique im-
portant. Le paradigme post-positiviste est soutenu par Green et Stinson (1999)
dans leur ouvrage Postpositivist research in danse. La spécificité de cette approche
réside dans le fait que la réalité est socialement construite. En d’autres termes, la
réalité est construite en fonction de la perspective à partir de laquelle le chercheur
regarde les faits et par rapport à la manière dont il perçoit la réalité ainsi que la
vérité. Cependant cette étude ne vise en rien la mise en lumière d’une vérité. En
revanche, comme dans un paradigme post-positiviste de type constructiviste,
cette approche permet d’interpréter et de comprendre le contexte particulier
dans lequel le phénomène de la théâtralité s’opère dans les créations des choré-
graphes camerounais.
Par ailleurs, j’englobe dans le vaste terme « esthétique », l’histoire et la philo-
sophie. De la sorte, les représentations et les processus de création font dont
l’objet d’analyses et d’interprétations. En raison de quoi, cette étude est essen-
tiellement qualitative. Le design, c’est-à-dire les étapes de réalisation et les stra-
tégies, évoluent ainsi au cours de l’étude puisque je me laisse guider par les don-
nées recueillies sur le terrain.
Pour comprendre comment les chorégraphes travaillent les corps, je suis allée
vers eux. Seulement quatre chorégraphes se sont réellement confiés sur leurs

99
motivations premières, les prémices de leurs œuvres : André Takou Saa, Gladys
Tchuimo, Chantal Gondang et Merlin Nyakam. Pour les autres chorégraphes,
j’ai exploité les propos recueillis dans leur dossier de presse : il s’agit de Bouba
Landrille Tchouda, et Georgette Kala Lobe. Cette démarche a permis de saisir
les différents processus de création de leurs œuvres. Pendant l’entretien56, il a été
question de retracer les chemins parcourus des motivations à la conception de
l’œuvre en passant par les questions du traitement et de la transformation de
l’identité de l’interprète en studio. Après une lecture comparative des données,
il a été dégagé les différentes approches pour transformer le corps quotidien de
l’interprète au corps scénique fictif. L’analyse des données s’est faite de façon à
avoir une interprétation éthique, c’est-à-dire que j’avais la responsabilité de pro-
poser une compréhension ou une explication du phénomène. Les théories et
conceptions de la danse participent à alimenter le raisonnement. Ainsi, la re-
cherche se limite aux œuvres chorégraphiques contemporaines où les marqueurs
de la théâtralité sont présents et identifiables.

2. Le corps : du quotidien au studio de danse et sur la scène


Pour Delsarte, tel que cité par Aslan (2005 : 47) : « Le corps […] est l’alphabet
universel de l’encyclopédie du monde ». Il s’agit d’un corps qui, conditionné par
un environnement (corps quotidien), renferme des messages qui se traduisent
par le mouvement corporel (corps scénique).

2.1. Le corps quotidien fonctionnel


Selon Lesage (2000), le corps quotidien est le « corps fonctionnel ». Autre-
ment dit, il s’agit du corps « naturel » que Barba (2000) considère comme étant
un « corps inculturé ». C’est dire que tout être humain est avant tout un corps
inculturé. Ce corps est celui façonné par le contexte culturel dans lequel il est né.
En ce sens, l’inculturation est mis en marche dès les premières heures de la vie
de l’Homme dans son environnement et ceci est constitué de la spontanéité.
Autrement dit, comme le précise Barba (2000 : 252) cette spontanéité relève du
réseau de réflexes conditionnés ou d’automatisme inconscients inhérents à
l’Homme. C’est la base de tout être humain et donc de tout interprète. L’expli-
cation de Biet (2007 : 923) mérite d’être citée : « [un] acteur qui joue, c’est
d’abord un homme ou une femme de métier […] un être vivant, ici et maintenant
[…] ». Lesage (2000 :3) argue que tout être humain est caractérisé par une cer-
taine attitude, un schéma postural, sa « présence ». Pour lui, même si l’Homme

56 Ces entretiens ont été menés en 2014 et 2015 alors que je récoltais les données pour
la rédaction de ma thèse de doctorat Ph.d.

100
doit prendre d’autres postures, il a tendance à revenir à celle de base, l’habitus
tonique.
En revanche, pour ce qui est du corps quotidien expressif Tremblay
(1993 :53) écrit : « Delsarte57 a entrepris une taxinomie des gestes, basée sur la
segmentation du corps. Ce n’est pas le tout qui parle, c’est la partie ». C’est dire
que l’expression corporelle est fondamentale tant il est vrai que chaque partie du
corps renferme un syntagme communicationnel. (Waille, 2005 :273). Aslan
(2005 :48) explique : « À chaque fonction de l’esprit correspond une fonction du
corps, à chaque grande fonction du corps un acte de l’esprit. Le geste représente
bien plus que la parole pour Delsarte ; il exprime davantage et vient du cœur ; lié
à la respiration, il se développe grâce aux muscles, mais ne peut exister que sous-
tendu par un sentiment ou une idée. » Fort de ce qui précède, il devient intéres-
sant de s’interroger sur les différentes transformations qui s’opèrent dans le
corps du danseur-interprète une fois face à une création.

2.2. Entrer dans la peau de l’Autre : approche constructiviste du corps


Il s’agit de s’arrêter sur les mécanismes utilisés par les chorégraphes et les
danseurs pour partir du corps quotidien au corps extra-quotidien en danse. Il
s’agit de comprendre les étapes de l’évolution du corps, de modélisation de la
progression et de l’éventuelle mutation de l’interprète danseur. Alors quels sont
les éléments et les moments dans la direction d’interprètes qui participe à envi-
sager un phénomène de changement ? Quelles sont les techniques utilisées ? Et
Qu’est-ce qui permet alors d’estimer que les œuvres ont des qualités théâtrales ?
Si « le théâtre est corps » (Ubersfeld, 2001 : 224), la danse encore plus. Cette
définition d’Ubersfeld a le mérite de mettre en lumière la spécificité du théâtre
qui se tient à la lisière du monde réel et de l’univers de la fiction. Le corps du
comédien, à travers l’incarnation du personnage, constitue le point de rencontre
et d’articulation au sein de cette tension dialectique. Cette affirmation n’est pas
étrangère à la danse, la pratique chorégraphique, étant par définition matérialiste
dans la mesure où elle est un art de la représentation qui ne peut exister en marge
des corps. En ce sens, la danse répondrait à l’idéal esthétique défini par Rousset
(1962:52) : « la solidarité d’un univers mental et d’une construction sensible,
d’une vision et d’une forme palpable ». Le corps comme signe iconique aideà
retranscrire sur scène, un univers fictif et constitue un élément essentiel de la
transformation de l’interprète.

57 Les enseignements de Delsarte sont l’une des sources de la modernité des arts de la

scène en Occident. Delsarte proposait à l’artiste des outils pour aller au cœur de son
humanité, dans le but de pouvoir tout exprimer afin de pouvoir tous rejoindre. Et il prônait
une attention à ce qui se passe en soi lors de toute expression, en particulier par le
mouvement.

101
Le corps sur la scène est un corps au sein duquel les frontières ont été brouil-
lées, mélangées et assemblées, c’est un corps extra-quotidien. Ce mélange est le
résultat de la construction car « le corps, en fait, est un montage » (Tremblay,
1993 :130). C’est une « configuration esthétisée du corps […] une construction
du corps technique » face à la « construction du corps émotif » (107). Alors par
quelle stratégie les interprètes parviennent-ils à entrer dans la peau de l’Autre et
à quel moment ? Cette interrogation permet de comprendre comment le danseur
passe du statut d’être quotidien à un être extra-quotidien sur scène. Ceci peut
s’opérer d’après, ce que les philosophes Deleuze et Guattari (1980) nomment les
corps « en devenir » qui s’accomplissent grâce à deux techniques : la première est
la technique des « foyers imaginaires » de Mikhaïl Chekhov et de celle des « hé-
micorps » de Larry Tremblay. Cependant ce qui est mis en exergue dans ce papier
est la première, car les œuvres des chorégraphes en étude s’identifient à cette
technique.

2.2.1. Les « foyers imaginaires » de Mikhaïl Chekhov58


L’anatomie ludique de l’acteur contemporain dresse un réseau de centres
d’énergies. Chekhov, dans son livre Être acteur, élabore la notion de corps imagi-
naire à laquelle il rattache le travail sur les centres moteurs. Ces centres ne sont
pas décrits spécifiquement comme étant énergétiques, mais plutôt comme des
foyers imaginaires servant à construire les traits dominants du personnage :
Car ces centres, une fois fixés dans une partie précise du corps, déstabilisent autant
la morphologie que la psychologie de l’acteur. Il faut noter, en effet, qu’à chaque locali-
sation d’un centre, Chekhov associe un trait psychologique, qui, à son tour, déclenche
un changement comportemental. (Tremblay, 1993 :12)
La danse est un art, et le propre du travail artistique est de détourner les
choses du contexte où elles prennent leur sens usuel, quotidien. Les choré-
graphes et danseurs travaillent la mise à distance ou distanciation du réel qui
permet non pas de le reproduire mais de l’évoquer en le transformant. Ils traitent
le mouvement comme un matériau de base d’une expression organisée en fonc-
tion de leurs créations et de l’émotion qu’ils veulent susciter chez le spectateur.
Les créateurs confrontent les danseurs à leur émotion, au sensible. Dans cette
marche, ils partent de ce que Tremblay (1993), en analysant les travaux de Chek-
hov, appelle « du locatif, qualitatif, psychologique au comportemental ».
C’est dans cette logique que les chorégraphes en étude attestent une certaine
volonté de jouer sur la création d’un espace double, entre réel et imaginaire. Ta-
kou Saa veut tisser une création et entraîner ses interprètes entre fictifs et réels,

58Mikhaïl Chekhov est un acteur, metteur en scène et auteur russe-américain du début


du vingtième siècle, disciple de Constantin Stanislavski, célèbre pour l’élaboration de
son système et son travail notamment sur la mémoire affective en théâtre.

102
au même titre que Tchouda, Tchuimo, Gondang et Nyakam. Les propos de Kala
Lobe permettent de voir qu’elle veut se mettre dans l’imaginaire des personnages
historiques. En effet, ces chorégraphes se présentent comme des artistes du
corps pluriel scénique. Ils ont généralement recours à ce qui caractérise chaque
danseur, sa technique propre, sa sensibilité, pour en faire des personnages qui
sont liés à la réalité, qui sont parfois tirés de la vie. Ils nourrissent leur construc-
tion de façon provisoire et progressive à travers une recherche du corps, une
recherche de sensation, un jeu avec les images et une fabrication des imaginaires.
La construction se fait grâce à des jeux, de mutation, d’addition, d’amplification,
de surimpression, de soustractions, traduites dans les corps par des déformations
au gré des intentions.
D’après ces chorégraphes, c’est la confrontation des danseurs à leur personne
qui impose un climat. Sans vouloir négliger la trame narrative, ils sont plus inté-
ressés par la création des corps extra-quotidiens. Par exemple, Tchuimo introduit
des « personnages » par le biais des comportements des danseurs, de leur état,
pas par l’anecdote, ou le développement dramatique comme chez Takou Saa.
Bousculant les logiques antérieures, Nyakam introduit un autre rapport à la tech-
nique et à l’esthétique. Il avoue ce choix dans l’extrait suivant :
J’ai voulu traduire cette réflexion sur la difficulté des rapports humains à travers la
difficulté physique du contact, dans son aspect gestuel (attraction, répulsion, choc), son
aspect symbolique (énergie, échange, partage), et son aspect social (communauté, groupe,
individus)… Mon travail sur l’utilisation du corps de l’autre comme support, transfor-
mant ce corps en partie intégrante de son propre mouvement, mais aussi sur le rapport
du toucher et l’écoute du corps de l’autre m’amène à explorer une autre approche d’au-
trui, où 6 corps n’en forment plus qu’un59.
Autrement dit, lorsque le corps parle, la complexité des relations disparaît, les
rapports sont fluides et la vie, le chemin à suivre ou les choix à faire, deviennent
une évidence. De fait, en studio, il a été observé que des chorégraphes, comme
Takou Saa et Tchuimo explorent la spontanéité de leurs danseurs et la richesse
de leur inculturation pour les transformer. En revanche, Nyakam s’en éloigne et
soumet les interprètes à un processus « d’acculturation physique qui les amène à
une technique extra-quotidienne du corps ». (Barba, 2000, p. 253).

2.2.2. Le corps de la représentation : ‘‘Je’’ et mes doubles


Le corps de la représentation est compris ici comme un corps scénique ou
« corps fictif ». Selon le lexique de la théâtralité, un « corps fictif » est associé à
celui du « personnage » au sens d’un être du monde imaginaire, abstrait, figurant

59 Entretien avec Merlin Nyakam, le mardi 19 mai 2015 à Yaoundé.

103
comme c’est le cas dans les romans, les films ou une œuvre théâtrale. Il est gé-
néralement incarné par l’interprète qui lui donne vie en lui prêtant son corps.
Pavis (2007 :129) avance :
… on n’a pas un accès direct au personnage […]. On est au mieux, en présence
d’effets de personnage, de traces matérielles, d’indices dispersés, lesquels permettent une
certaine reconstitution par […] le spectateur. Une illusion anthropomorphique nous fait
croire que le personnage s’incarne en une personne, que nous pourrons le rencontrer et
qu’il est présent dans notre réalité. En fait, il n’a d’existence, de statut ontologique que
dans un monde fictionnel.
Louppe (1997 :133) développe l’idée de « personnage en danse ». À plusieurs
reprises, elle emploie ce terme et l’explicite. Pour elle, le personnage est « si im-
portant dans 1’esthétique du théâtre et de la danse », il pourrait correspondre,
dans notre étude, à la finalité, la conséquence de la transformation de l’interprète
de danse contemporaine. L’interprète se transformerait en “personnage”, en
« fiction physique » et incarnée (ibid.). Mais pour y parvenir, l’auteur précise que :
« Le “personnage” en danse ne peut naître que dans la conscience de l’intégration
d’un style, ou, de façon plus savante encore selon les processus de Laban, dans
l’intégration par mon corps d’options fondamentales qui ne seraient pas les
miennes. […] C’est à ce seul prix que “je” peux devenir un autre » (ibid.). Il ap-
paraîtrait nécessaire que, pour permettre la métamorphose du corps, l’interprète
ait à se confronter à un corps étranger et à assimiler et s’approprier une matière
étrangère, qui masque et prenne le dessus sur son matériau original. Lesage
(1992 :245), en recourant à la psychanalyse rappelle que le danseur est en cons-
tant dialogue ou en constante recherche de dialogue avec l’« Autre, figure du
désir ». La danse serait un discours adressé à un allocutaire absent, d’où ce con-
cept de l’Autre, que rechercherait en permanence le sujet ‘‘je’’ dansant.
Le danseur part du corps quotidien, naturel et spontané pour trouver le corps
scénique où il joue le rôle d’un personnage. Martin (2008 :43) parle alors de
« corps pluriel scénique » qui est le produit d’une rencontre polymorphe entre le
corps sur scène et l’altérité qui fait le monde. Biet (2007 :923) évoquant la trans-
formation du comédien écrit : « Le corps du comédien devient le corps de
quelqu’un d’autre. » En se référant à l’œuvre de Le Garrec (2010), Apprendre à
philosopher avec Deleuze, onparlera du concept deleuzo-guattarien du « devenir ».
De même, c’est par l’analyse de Mille plateaux (1980) de Le Garrec qu’o énoncera
les trois devenirs : devenir-imperceptible et devenir-animal, devenir-femme.
Le devenir-animal et devenir femmes sont intéressants. En citant l’exemple des
interprètes de « Bigna » (Image 1), de Chantal Gondang, on voit comment les

104
interprètes sont appelés à entrer dans la peau des animaux, des félins. La choré-
graphe dit : « J’ai eu l’idée d’utiliser les animaux comme témoins de notre société. J’ai trouvé
que c’était une manière amusante de présenter ce qui est dramatique : l’exclusion sociale 60 ».
À ce niveau Gondang élabore autour de la question et des notions qui certi-
fient la définition du devenir-animal. D’Aya Aliman (la gazelle) en passant par Va-
nessa Antoine (la girafe), Claire Fouquy (le singe), Jennifer Dragin (le tigre 1) et
Sarah Laredo (le tigre 2) la transformation est visible. Gondang accentue ce de-
venir en créant un environnement de la forêt grâce aux artifices comme le cos-
tume, le maquillage et la lumière. Il faut comprendre que du corps quotidien, le
danseur emprunte un devenir animal, il ne devient pas un animal, une métamor-
phose au sens de la mutation, mais, il devient totalement autre chose, Le Garrec
(2010 : 36-37) parlera d’un « monstre » au sens technique du terme : ni homme,
ni animal, mais quelque chose qui emprunte aux deux, et qui n’est pas encore
connu. Ce procédé est alors créateur, usant une ligne de fuite où les identités, les
significations courantes sont rendues désuètes.

Image : « Bigna » de Chantal Gondang, (2005). ©


Dominique Deleersnyder

Tout ce qui est dit sur le devenir-animal pourrait être envisagé du devenir femme
chez Nyakam dans « Liberté d’expression » (Image 2). Au-delà de l’ondulation
et de la sensualité, qui sont des traits fortement féminins que convoque ce cho-
régraphe, le costume (vêtement et coiffure) y joue un rôle fondamental. Les
exemples ci-dessus corroborent avec le processus du devenir-autre du danseur. Car
les interprètes, dans ces cas de figure, cherchent à devenir autres qu’eux-mêmes
ou deviennent Autre aux yeux du spectateur. Reflétant une compréhension si-
milaire du corps scénique, ces mots font écho à ceux de Barba (2000 : 253) : « le
corps-acteur n’est pas le “corps” que l’acteur “utilise”, ce n’est pas une machine
physique, mais le carrefour où se rencontrent le réel et l’imaginaire, le concret et
l’abstrait, le physique et le mental.

60 Entretien avec Gondang, décembre 2014.

105
(Images 3 et 4).

Comme le précise Louppe (2011 :173), ces corps sont multiples, faits de
« choix discontinus ». L’identité est dynamique et les contours sont rarement
nets. Les photographies ci-dessus montrent que les mouvements se produisent
en permanence. Les images supra montrent qu’à l’inverse du corps quotidien
fonctionnel, le corps scénique de l’interprète en danse est différent de son corps
initial par bien des aspects. Comme on peut le voir, « le corps scénique de l’artiste
ne forme plus une unité : ses parties sont séparées et dispersées. Ils se présentent
comme une multiplicité d’éléments qui s’entrecroisent. » (Martin, 2008 : 42). Le
corps se construit et s’accomplit en réaction au monde qui l’entoure. Du fait de
l’absence d’unité du monde environnant, le corps ne peut être qu’un. Il cherche
à s’adapter en permanence, et développe ainsi une multitude de facettes diffé-
rentes. La figure du prisme peut matérialiser symboliquement cette idée, et pour
le matérialiser, le chorégraphe Nyakam utilise le miroir (Image 4 supra).
Le corps scénique du danseur étant confronté à la « présence en lui de l’Autre
[est] disloqué » (Martin, 2008 : 42). Le thème d’un moi qui s’efface pour faire
émerger un autre, pourtant reconnu comme soi, semble relativement clair et
même conscient. La danse peut alors être regardée comme l’appel de cet Autre
puisque l’interprète « essaie un autre corps, et laisse cet autre à sa place, tout en
s’identifiant à lui » (Lessage, 1992 : 257). L’idée que le danseur recherche le dia-
logue avec l’Autre peut expliciter avec les illustrations suivantes (Images 5, 6, 7).

106
Image 1 : « Solo pour Douala Manga
Bell » (2005) © Kala Lobe company.

Image 2 : « Skin » de Bouba Landrille Tchouda, Image 3 : « E’tam » de Merlin Nyakam


(2015). ©Malaka
(2007). © Xavier Wurmser Berger.

En effet, faisant référence à Lesage (1992 : 246-247), la particularité de la


danse est qu’elle imagine un corps différent et implique fortement le rythme. Ce
n’est que dans l’expérience de cette altérité qu’il peut dire « JE danse » et s’y
reconnaître soi-même » (Lesage, 1992 : 265). Les danseurs, à l’instar de Bouba
ci-dessus (Image 5), Nyakam (Image 6) et Kala Lobe (Image 7) réussissent pa-
reille entreprise à travers un « jeu de muscles, des articulations, des fascias, les
étirements et plissements de la peau (ibid.). D’ailleurs ces interprètes accomplis-
sent un travail profond sur soi-même, et cherchent toujours à atteindre cette
zone de silence intérieur où naît la danse, ce territoire où la pensée prend vie à
travers le mouvement, sans la médiation de la parole.

3. Les ancrages du corps scénique dans la fiction : la théâtralité


En revenant sur les mécanismes de la théâtralité explorés par les choré-
graphes on peut d’abord retenir celui prescrit par Pavis (1980) : « tout ce qui
n’obéit pas à l’expression par la parole, par les mots » est théâtralité. Ensuite, il y
a la théâtralité qui réunit tous les mécanismes de la scène et qui aident à créer
l’illusion, le faux-semblant du monde réel, le paraître, et non l’être : décor, cos-
tumes, accessoires, masques, lumières, jeu, maquillage, déplacements etc. On est
face à une dynamique de la dissimulation, de l’invention d’un nouveau réel, de la
représentation et/ou du paroxysme de la réalité. Le corps de l’interprète est son

107
corps réel. En effet, grâce aux ressorts-clés de la théâtralité le « décalage », l’illu-
sion, ou « l’artifice » selon les mots de Barthes (1954 : 41-42), le danseur « est
[…] vu comme un simulateur » (Biet, 2007 : 923). Ce rapport à la scène lui per-
met de duper le spectateur.

3.1. L’esthétique comme facteur de théâtralité


Il s’agit ici d’accorder une place au style chorégraphique. Voici ce que Gon-
dang dit à propos quand la question lui a été posée : « Quand j’ouvre mon tiroir,
je ne vois que le style ‘‘Chantal Gondang’’. Mais si vous le souhaitez, vous pour-
rez malgré tout le ranger dans la case ‘‘danse afro contemporaine.61 » Pour
Louppe (1997 :127), le style participe fortement au processus de déformation du
corps ; il est au cœur de l’écriture chorégraphique. L’auteur considère le style
comme étant la manière caractéristique d’un artiste (chorégraphe ou danseur) de
traiter les formes dans une œuvre d’art. Dans le domaine de l’art chorégraphique,
c’est à travers les qualités de mouvements que le style transparaît.
Forte de ce qui précède, la danse contemporaine est le courant artistique qui
caractérise les œuvres à l’étude. Par essence, elle s’adosse à l’adéquation entre
l’œuvre et le corps en présence qui danse. Pouillaude (2009 : 273) affirmait : « c’est
bien sur une stricte concaténation de l’œuvre et du sujet dansant […] que pose
« la danse libre » inventée par Duncan ». Une manière de dire que les danseurs
ont une marge de liberté dans l’exécution des mouvements. C’est pourquoi, pour
Bernard (2001 : 68), la première spécificité du corps dansant est « sa dynamique
de métamorphose indéfinie et l’ivresse du mouvement pour son propre change-
ment : la danse s’offre toujours à nos yeux comme la folle quête d’un corps in-
dividuel qui tente vainement, mais incessamment, de nier son apparente unité et
identité dans la multiplicité, la diversité et la disparité de ses actes. » Cette multi-
plicité du corps dansant dément toute représentation du corps comme entité
stable, équilibrée et identifiable. La corporéité des danseurs obéit à un flux con-
ducteur autoréflexif ; les sensations kinesthésiques provoquées par un mouve-
ment engendrent et nourrissent le mouvement suivant : « tous les affects du
corps seront réduits et transformés en sensation de tension de mouvement »
(Gil, 1988 :101). Porté par le rythme de l’énergie, la vie intérieure de la danse est
alors « construite de sensations de durée et de sensations d’énergie qui se répon-
dent et forment comme une enceinte de résonances » (Valéry, 1980 :1397). D’ail-
leurs, François Delsarte démontre dans ses études que : « le corps a une telle
palette expressive, une telle possibilité d’expressivité, que l’interprète peut en
user, s’en servir pour se métamorphoser. Il use de « jeux de muscles, des articu-
lations, des fascias, les étirements et plissements de la peau » (Lessage, 1992,
p.265). Parmi ces palettes d’expression l’altération de l’équilibre en est une illus-
tration parfaite. De fait Barba (2004 :81) explique que :

61 Entretien avec Gondang, décembre 2014.

108
L’élément qui rapproche les images d’acteurs et de danseurs de différentes cultures,
c’est l’abandon d’un équilibre quotidien en faveur d’un équilibre précaire ou extra-quo-
tidien. Ce dernier requiert un plus grand effort physique lequel implique tout le corps,
mais c’est précisément cet effort qui dilate les tensions du corps de telle sorte que l’ac-
teur/danseur nous apparaît vivant avant même qu’il commence à s’exprimer.
Pour exprimer un personnage, pour glisser dans sa peau, les interprètes épou-
sent leur schéma posturo-tonique afin de dessiner une silhouette, de sculpter une
typologie, lisible et analysable (Lesage, 2000 : 4). On retrouve cette qualité dans
« Solo pour Douala Manga Bell » de Georgette Kala Lobe, « C’est quoi la vie ? »
de Tchuimo, « The real season » de Takou Saa. Il y a un grand plaisir à regarder
ces créations. À cet égard, on assiste à une sensation de facilité, de continuité, de
lenteur dans la vitesse et dans la légèreté. Autrement dit, la danse ici n’est pas liée
à une organisation rationnelle, mais à une logique physique du corps et du mou-
vement. Logique imprévisible du mouvement qui engendre ainsi la force et la
nouveauté de son imaginaire. Les chorégraphes se plaisent à multiplier les varia-
tions autour de l’équilibre et du déséquilibre comme pour mieux faire partager
ce qui constitue le cœur de la pratique de la danse. Dans « C’est quoi la vie ? » et
« Skin » de Bouba, le matériel corporel est sobre et construit autour d’une double
redondance : le tour en dedans (simple ou en attitude) et le déséquilibre suspendu
qui peuvent aller jusqu’à la chute. À ces ancrages de types altération de l’équilibre,
modulation de l’épine dorsale, et transformation par le mouvement, s’ajoute l’al-
tération rythmique du corps. Que ce soit dans « The real season » (Image 7) ou
dans « C’est quoi la vie » (Image 8) la gestuelle est soutenue par un rythme qui
s’éloignent de la réalité quotidienne ; saccadé, fragmenté et segmenté. Cette as-
sociation rythme et gestes sont créatrices d’imaginaire. Les images ci-après l’il-
lustrent.

Image 4 : « The real season » ‘André Image 5 : « C’est quoi la vie ? ».


Takou Saa’. © André Takou Saa 2014 © Cie Poolek 2011

3.2. Le corps au service des artifices


Les artifices sont considérés ici comme les rajouts (costume et maquillage)
que l’interprète utilise pour matérialiser ses doubles. Ces artifices, à l’instar du

109
costume, jouent un rôle particulier dans la transformation du corps dansant :
Schilder (1950 : 221) précise que d’une part les « vêtements deviennent parties
de l’image du corps, qu’ils sont chargés de libido et [d’autre part] toutes les trans-
formations que nous avons observées dans l’image du corps lui-même se pro-
duisent aussi par le vêtement. » Dans « Solo pour Douala Manga Bell » (Image
9) et « Liberté d’expression » (Image 10) le costume permet aux interprètes non
seulement de changer la physiologie de leur corps, mais de changer leur statut
social et de devenir une autre personne.

Image 6 : « Bigna », Chantal Gondang Image 7 : « Solo pour Douala Manga


(2005). © Dominique Deleersnyde Bell » (2005). © Kala Lobe company.

Image 8 : « Liberté d’expression »


(2006) Merlin Nyakam. © Julien
Delmotte

L’utilisation des artifices fait aussi partie du processus d’ancrage du corps ex-
tra-quotidien dans une fiction. Ce sont des portes d’entrées à l’imaginaire pour
l’interprète et pour le spectateur. Par ailleurs, dans le Dictionnaire du corps (2007),
Pfeffer souligne que le maquillage lui-même participe à la transformation, en
dissimulant des traits des interprètes (Image 11), en les redessinant, et en les
remplaçant par d’autres. Le costume et le maquillage participent donc à l’identi-
fication d’une identité (social, politique, religieux etc.) ; et ceci se fait de manière
symbolique, abstraite ou au contraire de manière explicite ou concrète.

110
Conclusion
Il s’agissait de présenter une réflexion contemporaine sur les dynamiques de
la transformation du corps quotidien du danseur à un corps scénique fictif.
L’analyse a suggéré un aperçu non exhaustif du phénomène de théâtralité dans
l’art chorégraphique contemporain au Cameroun. De toutes les possibilités pour
aborder un tel sujet, l’aspect qui a retenu l’attention était d’examiner comment le
personnage en danse se travaille depuis le studio jusqu’à la scène de représenta-
tion. Grâce au témoignage des chorégraphes et au visionnage de certaines de
leurs œuvres, j’ai pu, à l’aide d’une approche post-positiviste avec un caractère
esthétique important, atteindre l’objectif défini dans cette contribution.
Les résultats trouvés certifient le phénomène de migration du théâtral vers
l’art chorégraphique contemporain. À ce sujet, la mutation au premier degré est
visuelle au regard de l’aspect physique, de la composition extérieure corporelle.
Cette transformation est acquise grâce à l’intégration au corps des facteurs qui
participe à la création de la théâtralité comme les artifices. Le recours aux artifices
(costume, maquillage, chapeau, accessoires) a un effet qualitatif sur le corps. Ils
en transforment la figure, et plus particulièrement son modèle postural. Sans
doute, le costume a un réel impact sur le corps du danseur notamment pour la
modulation. Pendant que certains costumes permettent de visualiser un nouveau
corps qui souligne la place de la fiction, d’autres sont plus évocateurs d’un statut
social. Cependant, contrairement au théâtre où le corps scénique fictif est l’in-
carnation et l’expression orale et corporelle d’un personnage, quand danse et
théâtralité se croisent, le corps scénique fictif semble moins perceptible, et plus
complexe. En fait, les vecteurs ne sont pas les mêmes ; alors que le théâtre re-
cherche le jeu, l’illusion, le faux-semblant scénique fictif, la danse explore l’ex-
pressivité par les mouvements, la gestualité. Si le rythme a été d’un grand apport
dans ce processus de migration du théâtral, pour créer le personnage, l’altération
de l’équilibre, la modulation de l’épine dorsale, et la transformation par le mou-
vement ont tous signé les différents types d’ancrages explorés pour montrer la
spécificité du corps extra-quotidien scénique fictif. Grâce à la technique des
« foyers imaginaires » de Chekhov, les chorégraphes travaillent les corps si bien
que les postures sont agencées pour que les corps quotidiens des interprètes
soient effacés. Les arrangements corporels des postures des corps permettent de
parler des corps en devenir animal et devenir femme. Cette démarche fait que les
corps sont porteurs de toute une dimension scénique et évoquent autre chose
que leur nature humaine et fonctionnelle. L’analyse a permis d’enrichir un savoir
théorique sur l’interprète en danse car les résultats offrent l’accès à des processus
de création d’artistes contemporains camerounais et inspirent plus d’un.

111
Bibliographie
Corpus 62
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Goffman, Erving (1973). La mise en scène du quotidien. La présentation de soi, Paris,
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62 Il est à spécifier que chaque lien vidéo a été transmis de manière confidentielle par les
artistes, protégé par un mot de passe. Il est donc impossible de citer une référence pour
la présente étude.

112
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