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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL

UNE PHILOSOPHIE DES SENSATIONS NOTION DE GESTALT CHEZ


MOURAD BELEKSIR CHOREGRAPHE
et
MANOU LABRECQUE PERFORMEUSE ET VIDEASTE

EXTRAIT DE LA THÈSE PRÉSENTÉE COMME EXIGENCE PARTIELLE DU


DOCTORAT EN ÉTUDES ET PRATIQUES DES ARTS PAR
Diane Delatour

AVRIL 2018

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CADRE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE

Introduction

La pensée et les ré exions de quelques philosophes font indéniablement


partie de ce corpus. De cette rencontre entre des ré exions plus anciennes et
des réflexions contemporaines, j’observe que l’on se construit davantage dans la
pratique et l’expérience que dans la pensée. Une incursion dans un univers aussi
particulier que celui du chorégraphe Mourad Beleksir me semble très prometteur
pour cette ré exion.

1 Mourad Beleksir

1.1 Philosophie et esthétique

Je me suis attaché, dans cette présentation à dégager la notion de mouvement/


temps et d’espace/danse chez une gure énigmatique de la danse
contemporaine : Mourad Beleksir.
Une démarche qui se retrouve chez Deleuze avec les concepts d’Image/
temps et d’Image/mouvement pour le cinéma. Ce chorégraphe revendique à la
fois l’invisibilité et la présence immédiate la plus absolue : « Je récuse toute
médiation de soi au monde qui n’est en fait qu’un contournement des sensations
et du ressenti »1, sans doute une position qu’il lui a été inspiré par un philosophe
qu’il apprécie beaucoup : Ernst Mach.
Je commencerais par reprendre la courte présentation qu’en fait Wikipédia:
« Depuis de nombreuses années ce chorégraphe mi-public/mi clandestin a
produit de nombreuses œuvres dansées anticipant à chaque fois son temps,
(ainsi des danses invisibles ( 1997/2000 ) qui occupaient l'espace ( des lieux
abandonnés ou clandestins) et le temps ( la nuit généralement entre 3 et 5h du
matin) de métropoles comme Paris ou Tokyo ( des manifestations institutionnelles
comme « nuit Blanche » allaient quelques années plus tard investir artistiquement
ce temps et ces espaces.Dans « Paradise Now »(2009) encore,

1 France culture LES VENDREDIS DE LA MUSIQUE par Jeanne-Martine Vacher

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une « revisitation » de la pièce éponyme du Living Théâtre où les corps vacillent
dans une diction épuisée. La pièce est représentée dans une cave comme un
combat des idoles du XX siècle et le texte est uniquement retransmis aux
interprètes par des écouteurs que ces mêmes interprètes restituent au travers de
leurs corps comme un sou e venu d’ailleurs. Une autre de ces créations
« Shibori Shibari » (Kyoto 2014) nous renvoie à toute l'ambiguïté du genre et de la
soumission.) »2

Nous avons tendance à croire que l'existence de la philosophie peut nous


aider à penser, mais les philosophes ne sont-ils pas là pour nous aider à
organiser nos pensées et nos mots dans notre expérience sensorielle et
perceptive ? C'est ce que disent Deleuze et Guattari dans leur dé nition
philosophique : « La philosophie est l’art de former, d’inventer, de fabriquer des
concepts » (Deleuze et Guattari, 1991, p.8). À l’instar de Deleuze et Guattari, il
est possible de dire que la philosophie se présente comme la pierre angulaire de
toute recherche doctorale en art. Les fondements de celle-ci sont édifiés sur des
concepts qui touchent le corps dans son entité et dans ses actions. L’état de
présence, la temporalité et la spiritualité sont d’autres concepts porteurs qui
s’ajoutent ici à mon questionnement sur le corps en mouvement. Lorsque l’on
travaille dans les arts vivants, comme la danse et la performance, on réalise que
le contact avec les spectateurs s’établit davantage par le corps, et donc l’action,
que par l’esprit. Le frisson et l’émotion qui jaillit sont des signes qui proviennent
de notre corporéité. Toutefois, cette enveloppe, qui nous singularise, n’est pas
perçue uniquement sous l’angle de la matérialité, du « corpsobjet », mais aussi,
et davantage, selon ce que Merleau-Ponty (1945) désigne par le terme de « chair
», un concept, dont la particularité, est de réunir « aussi bien le corporel que le
spirituel » (Bernard, 2001, p. 56).

Dans les jeux d’idées que développent Mourad Beleksir, ce n ‘est pas le
temps qui est une illusion, mais le monde : « Prendre son temps, c’est s’o rir du

2 Wikipédia

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temps et l’o rir aux autres, cela a toujours été un de mes objectifs de travail, et
ce n ‘est pas toujours évident même avec les gens avec lesquels je travaille. »3
On retrouve ce rapport au temps dans d’autres œuvres comme
« Back partitas » qui repose sur une chorégraphie extrêmement rigoureuse et sur
laquelle Mourad Beleksir travaille depuis une dizaine d’années et n’ en montre
jalousement que de fugitifs extraits.
Cette pièce semble dessiner une sorte de carte heuristique du compositeur
et du chorégraphe au travers du temps. Et c’est bien ici le temps qui est mis
globalement en jeu sur une durée qui recoupe à la fois l’histoire de l’œuvre, sa
création et sa critique.

2 Corps en action

Un corps en action est indubitablement un corps en mouvement, mais ce


qui le fait agir relève d’une présence profondément inscrite dans le corps de
celui qui se meut. À l'image de sa danse qu'il défend comme une activité
concrète, cette intensité de la présence chez Mourad Beleksir fait appel à l’être
humain dans son entièreté, son entité.
Alors que beaucoup d’artistes et de chorégraphes cherchent à montrer ou
à démontrer, (que ce soit dans le néoclassicisme, éloge de la performance qui
enchaîne la danse au corps du danseur ou dans le post postmoderne où
l’invisible et son procès sont encore un sujet), Mourad Beleksir dans
ces di érents projets défend la danse comme une activité concrète et
engagée du moment. Cette sorte d’évanouissement rend presque impossible à
décrire les sensations (Gestalt) que l’on peut ressentir à l’une de ses
manifestations sauf à y être physiquement présent . Ces sensations nous
ramènent à une problématique de la représentation toujours irrésolue et qui
trouve peut-être une réponse dans la proposition de Mourad Beleksir : un éloge
de la disparition ?

3 France culture LES VENDREDIS DE LA MUSIQUE par Jeanne-Martine Vacher

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