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HOMMAGE A...

Jacqueline
Robinson PAR
N. G U E R B E R W A L S H

Le 8 juillet 2000, Jacqueline


Robinson s'éteignait.
Dans la lignée du courant
expressionniste européen,
influencé directement par
Mary Wigman, elle a joué
un rôle majeur auprès des
artistes du vingtième siècle.
Pionnière de la danse
moderne, elle a largement
contribué à l'ancrage de la
danse éducative en France.
Auteur de plusieurs
ouvrages, articles et
poèmes, elle influença
plusieurs générations de
danseurs, chorégraphes et
pédagogues.

ACTRICE DU COURANT EXPRESSIONNISTE


EPS N 286 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2000 43

Revue EP.S n°286 Novembre-Décembre 2000 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
Née en 1922. de père anglais et de mère fran- Nottingham en Angleterre où elle ouvre un chez Mary Wigman. Selon Karin Waehner :
ç a i s e , e l l e est t o t a l e m e n t b i l i n g u e . S o n studio pour enseigner le mouvement aux Jacqueline est devenue plus wîgmanienne que
enfance se déroule dans un réel bain d'art et comédiens. Chorégraphe, elle crée des solos, Wigman. C'est cet héritage commun qui nous
de culture. Sa mère cantatrice lui fit apprécier fait des tournées de récitals en soliste qui a rendues tout de suite solidaires dans le tra-
très tôt concerts, œuvres théâtrales et arts obtiennent un vif succès. J. Robinson résume vail [1]. Elles ont créé ensemble deux choré-
plastiques. ainsi les sources de sa conception « polyartis- graphies sur des musiques de Francesco Sem-
tique » (3) : une certaine idée de la danse qui prun (4t « Judith et la nuit » et « Le seuil ». En
Formation artistique pluridisciplinaire me vient en partie de mes maîtres, ... J'ai eu le 1957 « l'Atelier de la danse », ce foyer artis-
Ce qui frappe d'abord, c'est son universalité, privilège de travailler avec trois femmes tique, creuset d'un grand foisonnement créa-
son humanisme au sens philosophique : exceptionnelles... : Yvonne Lefébure. la teur, s'installe à Montmartre, avenue Junot.
prendre pour fin l'épanouissement de la per- musique et le piano... : puis Mytho Bourgin, Ce lieu jouera un rôle essentiel dans le déve-
sonne humaine. Sa personnalité était celle des le jeu dramatique, à l'Education par le jeu loppement de la danse contemporaine en
artistes complets dont on remarque l'ouver- dramatique [EPJD) à la fui des années 40 ; et France | 6 ] . Chorégraphe, J. Robinson crée
ture d'esprit, la culture générale, musicale, puis Wigman elle-même, la danse après la îles solos. duos et d a n s e s de groupes, près île
artistique... [1]. Venue à la danse par le biais guerre [3]. 200 œuvres, qui interpellent le public par leur
de la musique, sa formation à l'École normale modernité. Quand je pense à cette période, le
de musique de Paris a lieu en même temps que « L'Atelier de la danse » studio de Montmartre m'apparaît comme un
son initiation à la danse, à travers la rythmique En 1949. elle s'installe définitivement à Paris. lieu un peu magique, avec son vide en attente
auprès d'Yvonne Redgis et des danses tradi- L'école qu'elle fonde « Dance workshop » entre les barres et l'antre du piano à queue,
tionnelles anglaises. deviendra en 1955 « l'Atelier de la Danse » où sous la loggia d'où pendaient les instruments
En 1938 elle entre au département de forma- se r e n c o n t r e n t les a r t i s t e s m o d e r n e s de exotiques ; ou encore comme une sorte de
tion professionnelle de l'École normale de l'époque à savoir Jérôme Andrews. Françoise bathyscaphe étanche et lumineux, destine aux
m u s i q u e où e l l e suit la c l a s s e de p i a n o et Dominique Dupuis. Karin Waehner [4]. plongées dans l'inconnu : le processus de la
d'Yvonne Lefébure. Jérôme Andrews, brillant danseur américain, création imaginaire. Laquelle s'ouvrait
En 1939. contrainte par la guerre à quitter à la fois virtuose et expressif, initié aux ensuite sur l'extérieur en spectacles, galas,
Paris elle poursuit ses études de musique à approches européennes par l'intermédiaire tournées, etc. Le rodage se faisait à l'Atelier
Dublin. Elle a c c o m p a g n e au piano Erina d'Hanya Holm à New York et de Mary Wig- qui n 'a jamais cessé d'être un lieu oit peintres,
Brady qui travailla à Dresde auprès de Mary man à Berlin, vient s'installer en France dans musiciens, journalistes de tous bords se ren-
VVigman. Grâce à cette rencontre. J. Robinson les années cinquante. Il importe auprès des contraient ci l'occasion de spectacles, de
d é c o u v r e la d a n s e c o n t e m p o r a i n e et la danseurs français des techniques de respira- concerts, d'expositions : une sorte de bateau
recherche chorégraphique d ' o r i g i n e alle- tion, de relaxation et de méeano-training selon lavoir de la danse [1]. Cette allusion à l'atelier
mande. les méthodes de Joseph Pilâtes. Cette prépara- de Picasso et Braque, ainsi nommé par l'écri-
Elle s'engage alors dans une formation de tion corporelle à l'aide d'une machine Pilâtes, vain Max Jacob au début du siècle, fait penser
d a n s e u s e p r o f e s s i o n n e l l e et o b t i e n t un était alors appelée g y m n a s t i q u e . Le cycle au caractère pionnier de l'œuvre de J. Robin-
diplôme calqué sur celui en vigueur chez 1955-56 des activités pédagogiques de son et des artistes qui l'entouraient. Metteurs
Mary Wigman. Parallèlement, elle obtient un « l'Atelier de la danse » [3] comprend : danse en scène, peintres, chorégraphes et danseurs y
diplôme d'histoire de l'art à l'université de d'expression puis gymnastique et cours spé- développèrent leurs créations. Ces échanges
Dublin. ciaux dont improvisation et jeu dramatique. J. montrent la vocation éminemment pluridisci-
En 1946. elle fait un stage chez Sigurd Leeder Robinson fait un stage d'été en Suisse auprès plinaire du lieu.
( 1 ) à Londres, principal associé de Kurt Jooss de Mary Wigman avec Karin Waehner. Cette Des années soixante. Geneviève Piguet (5)
(2) [2]. dernière se souvient : c'est Jacqueline Robin- garde le souvenir d'une activité intense, les
En 1947. de retour à Paris, elle commence des son. Ion d'un stage à Zurich avec Mary Wig- créations commençaient à « l'Atelier ».
études de théâtre, collaborant notamment avec man. Ro.salia Chladeck et Harald Kreuzberg. Parmi les professeurs citons Jérôme Andrews.
le chorégraphe Ludolph Schild. Elle danse qui m'a fait connaître Jérôme Andrews, Fran- Atty Chadinoff. Laura Scheleen. Jacqueline
dans la compagnie de Mila Cirul. élève de çoise et Dominique Dupuis et d'autres jeunes Challet-Haas, Blandine Calais. Françoise et
Mary Wigman. danseurs modernes (5]. Dominique Dupuis. Francine Lancelot. Suzan
En 1948. sa carrière indépendante débute à Durant l'hiver 1957. elle séjourne à Berlin Buirge. Les musiciens Francesco Semprun.

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Ferdinand Pliesen et Michel Christodoulides Pédagogie sieurs revues de danse dont principalement :
accompagnaient les cours et composaient. Pour elle : la danse est vaste. Elle couvre des « Toute la danse, Art et D a n s e , La danse.
Récemment. Nathalie Collantes, héritière spi- territoires immenses, elle est multiforme, et à Danse et Rythmes. Danser. Les Saisons de la
rituelle de J. Robinson a réalisé un témoi- des fins diverses [ 3 | . Mais elle dit aussi en Danse, Marsyas ». Par ailleurs, elle publie et
gnage vidéo (6). c o n c l u s i o n de l ' o u v r a g e d é d i é à J é r ô m e édite des ouvrages didactiques pour danseurs
A n d r e w s : une dernière question : Quel et chorégraphes.
L'école
modèle proposons-nous à notre élève '.' Institutions
Outre la création, la chorégraphe s'est consa- Aucun. C'est lui-même, son devenir propre,
crée à l'enseignement. Elle a fondé une école selon sa singularité que nous aidons à éclore J. Robinson a participé à l'organisation de la
pour enfants, amateurs et professionnels où le et tt harmoniser avec ce qui l'entoure. La fin danse en France, en s'associant à certains
cursus de formation c o m p l è t e à la d a n s e du chemin '.' Il n 'y en a pas. Le but de l'ensei- organismes professionnels tels les Rencontres
contemporaine durait trois ans. Les artistes gnement de la danse ? Faire de meilleurs êtres internationales de danse contemporaine et le
invités participaient à l'enseignement. humains, la danse est plus que la danse | 7 | . Conseil supérieur de la danse. Elle a notam-
Lorsque la pédagogie s'adressait aux très ment présidé la fédération française de danse
jeunes enfants à partir de trois ans, la danse Ecriture de 1978 à 1982.
était considérée comme une éducation com-
En 1978 J. Robinson commence à développer
plète et globale. Elle savait éveiller la curio- Nicole Guerber Walsh
une activité d'écrivain. Après avoir publié
sité de l'enfant, son imaginaire, sa confiance Division STAPS - Paris XI. Orsay.
trois recueils de poèmes, elle écrit dans plu-
et sa motivation. Elle faisait naître en même
temps liberté et exigence. Une ouverture vers
le quotidien - la famille, l'école, l'immédiateté [ 2 | B a r i l ( J . ) . Dictionnaire de la danse. É d . du
(1) Signal Leeder. danseur et professeur, collaborateur de Seuil/Microcosme. Bourges. 1964.
du corps - vers d'autres savoirs, d'autres Kurt Jooss.
[3] Robinson (J.). Une certaine idée de la danse, réflexions
modes d'expression et de communication, un (2) Kurt Jooss. collaborateur de Rudolph Laban de 1920 à au fil des jours. Éd. Chiron. Paris. 1997.
judicieux mélange de découverte et de 1923. fonde avec Siegurd L e e d e r l ' é c o l e W o l k w a n g à
141 Progent (G.). « Hommage à Karin Waehner. La danse
réflexion développaient chez ces enfants le Essen en 1927. Créateur du ballet « La table verte » en
contemporaine entre dans le monde de l'EP ». Revue EP.S
1932. Pour Kurt Jooss les bases fondamentales reposent sur
sensoriel, l'intelligence, l'affectif et le social - n° 278.
le système Laban mais il y ajoute les techniques classiques
un équilibre qui se manifestait dans leurs vel- et modernes. |51 G u e r b e r Walsh (N.). « Karin Waehner et le courant
léités créatives [1]. (3) Polyartistique : concept employé par le compositeur expressionniste ». Revue Marsyas, n° 16, Décembre 1990.
Coslin Miereanu. | 6 | Marnin (G.). Hommage à Jacqueline Robinson. Cheva-
La danseuse et chorégraphe Christine Gérard
lier des Arts et Lettres. Centre national de la danse.
appartenant à la génération suivante, témoigne (4) Notons que dans les années soixante. Francesco Sem-
prun. pianiste et percussionniste, accompagnait les cours de | 7 | Robinson (J.). Danse, chemin d'éducation. Pour une
de sa formation à « l'Atelier de la Danse » : pédagogie de l'être. Autoédité. 1993.
danse de Claude Pujade-Renaud dans le studio de l'IREPS
Jacqueline n'imposait pas de loi corporelle ni de Paris, il composait notamment pour certains étudiants,
déforme définitive - il fallait les retrouver par des œuvres pour le concours du CAPEPS. Bibliographie complémentaire
l'intérieur... Elle nous faisait sentir la néces- (5) Geneviève Piguet. danseuse-chorégraphe et pédagogue, Robinson (J.). L'enfant et la danse.1reédition Mon enfant et
sité vitale de la danse, le poids des thèmes élé- anima surtout des ateliers de création et d'initiation à la la danse. Éditions universitaires. 1975. 2e édition : (S.L.) :
mentaires, le sens du sacré. Sa pédagogie musique en tant que conseillère pédagogique. Elle fut aussi (S.N.), 1988. Éléments du langage chorégraphique. Édi-
un créateur dans le domaine littéraire : nouvelles, contes, tions Vigot, Paris, 1981. 2e édition 1988.
nous laissait aller jusqu'au bout de nos expé-
poèmes, où affleurent ces univers de r ê v e ou de réel légè- Introduction au langage musical, à l'usage des danseurs,
riences, fût-ce dans la maladresse [1]. Ces rement décalé, analogues à ceux que donnent à voir ses cho 1re édition Fédération française de d a n s e A C E C . Paris,
propos nous rappellent la notion fondamentale régraphies. 1979. 2e édition. Éd. Chiron. Paris. 1991, réédition 1997.
d'intériorité développée par Vassily Kandisky (6) La vidéo « Le livre ouvert. Bouts, brins, bribes » (1999). Wigman (M.). Le langage de la danse, traduit de l'allemand
à propos de la spiritualité dans l'an. montre à travers la parole de J. Robinson une analyse des par J. Robinson. 1re édition Papiers. 1986. 2e édition Chiron.
Geneviève Piguet ajoute : Je pense que c'est processus de création et de transmission de l'œuvre choré- 1990.
graphique.
par l'intériorité de son approche artistique que Humphrey (D.). Construire la danse, traduit par J. Robin-
e

Jacqueline Robinson fait résonner en nous son. Éd Bernard C o û t a / . Arles, 1990. 2 édition l'Harmat-
Bibliographie tan. 1998.
l'écho de l'invisible, cette quatrième dimension
[1] Piguet (G.) « Robinson Jacqueline » L'aventure de la Martin (J.). La danse moderne, traduit de l'américain par
dans laquelle se meut l'être humain confwnté danse moderne en France (1920-1970). Éditions Bougé, Sonia Shoonejans. en collaboration avec J. Robinson. Actes
aux mystères de la matière et de l'esprit [ 1 ]. collection Sources. Clamecy. 1990. Sud. 1991.

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