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MONDE DU SOIN »
Titre du mémoire
Récits d’une expérience-pilote dans une structure résidentielle de type EHPAD :
De quelle manière l’usage d’une pratique somatique, telle que la méthode Feldenkrais,
permet la construction de modules de formation adaptés aux besoins des professionnels du
monde du soin ?
Propositions de formation.
Le 3 septembre 2014
Ils vont :
A la directrice, Mme L., qui a pris à cœur sa fonction de tutrice de stage et a su tout
le long de cette expérience pilote singulière, m’encourager, me soutenir et s’investir
dans les recherches, doutes et questionnements partagés.
A Odile Berge pour nos discussions structurantes qui ont aidé cette aventure vers
l’écriture.
A Hélène Froment et Claire Vialon qui ont lu et corrigé tout ou partie ce document.
A mes élèves pour leur compréhension et leur adaptation durant ses 14 mois de
formation à Paris 8.
L’environnement ............................................................................................................... 4
Organisation ...................................................................................................................... 5
Financements .................................................................................................................... 9
B. Les leçons de prise de conscience par le mouvement (PCM) en vue des ateliers
« Gestes et postures ». ........................................................................................................ 32
a. Les gestes et postures des soignants dans leur travail dans les chambres. ........ 32
b. Les positions et placements induits par leurs actions envers les soignés. .......... 33
C. Les recherches communes entre les soignantes et la praticienne dans les ateliers
« Gestes et Postures » : éprouver pour comprendre. ......................................................... 33
Atelier 1 du 18 février 2014 ..................................................................................... 34
A. Présentation de la structure
Le cadre
L’EHPAD « L’âge d’or » est un établissement d’hébergement pour personnes âgées
dépendantes, établissement public autonome médicalisé de la Fonction Publique
Hospitalière. Il est situé à Cucuron, village du Vaucluse de 2000 habitants, au sud du massif
du Grand Luberon.
Sa capacité d’accueil est de 51 résidents de plus de 60 ans, toutes pathologies confondues.
La structure est habilitée à recevoir les personnes bénéficiaires de l’aide sociale et /ou de
l’allocation personnalisée d’autonomie, et à dispenser des soins. Le personnel titulaire a le
statut de la Fonction Publique Hospitalière.
L’équipe administrative est composée d’une directrice, d’une assistante de direction et
d’une adjointe administrative. Le conseil d’administration est présidé par le maire de la
commune.
Une femme médecin coordonnatrice supervise les soins et préside la commission de
coordination gérontologique de l’établissement une fois par an. Elle est responsable de
l’équipe soignante et du projet de soin sous délégation de la directrice.
Les équipes soignantes, sous sa responsabilité, se composent hiérarchiquement de la façon
suivante : deux infirmières diplômées d’état (IDE), une psychologue, douze aides-
soignantes (AS). Sont présents également onze agents de service hospitalier (ASH), des
ouvriers professionnels qualifiés (OPQ) en entretien et en cuisine, une animatrice, un agent
administratif sous la responsabilité de l’adjointe des cadres.
Cet ensemble d’employés représente environ trente salariés en équivalent temps plein
(ETP).
J’ai remarqué que beaucoup d’entre eux se définissent par leur acronyme dans l’institution
et il m’a fallu du temps pour m’y reconnaitre, me familiariser avec ce vocabulaire endogène.
L’environnement
La maison est à proximité de l’église, au centre du village.
La moyenne d’âge est de 86 ans, c’est plutôt une maison du 4ème âge.
A l’origine c’était un hospice tenu par les sœurs de la congrégation de Saint-François
d’Assise. Le bâtiment principal est conçu en deux parties datant du 17ème et du 18ème siècle.
Devant il y a un espace aménagé en terrasse avec des bancs, des chaises et des tables, des
parasols l’été, sous l’ombrage d’un grand tilleul.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 4
De l’autre côté, en contrebas, une salle polyvalente chauffée par le sol, accueille des
activités comme la gymnastique, la zoothérapie, des activités manuelles, la messe. Les
réunions d’équipes et les pauses du personnel se déroulent là, aussi.
Un peu plus haut se trouve un pavillon avec plusieurs chambres, dédié aux personnes
mobiles.
La salle et le pavillon ont chacun une façade qui donne sur un jardin arboré.
C’est un lieu agréable, mais les bâtiments ne peuvent plus répondre aux arrêtés de sécurité,
les locaux ne sont plus adaptés.
L’écriture du projet architectural de la future maison est finie mais le terrain n’est pas acquis
et les fonds sont attendus.
Les missions
« L’action de la maison de retraite s’inscrit dans la mission d’intérêt général et d’utilité
sociale suivante : l’accueil et l’hébergement des personnes âgées en perte d’autonomie ainsi
que l’accompagnement de la maladie d’Alzheimer dans un esprit gérontologique ». (Extrait
du Projet d’Etablissement 2007-2012. L’actualisation du nouveau projet est suspendue pour
des raisons financières).
Afin d’assurer sa mission médicale, l’équipe soignante est renforcée par les médecins
libéraux, les infirmières libérales, les kinésithérapeutes choisis par les résident-e-s ou leurs
familles.
Organisation
L’organigramme ci-dessous révèle une structure hiérarchique. La directrice exerce
énormément de fonctions dans des champs d’applications très divers. Les sollicitations sont
infinies, de la décision de changer les rideaux dans les chambres des résidents au temps
dédié à rencontrer des familles, gérer les budgets, organiser les équipes … La charge est
hétéroclite, lourde, cela m’a surpris.
Directrice
Document unique:
conformément à la
législation,
l'établissement a recensé Programme d'animation
Questionnaire de
de façon exhaustive affiché avec la possibilité
satisfaction des usagers.
l'ensemble des risques de présence des familles
Règlement de
professionnels. Moins de et amis. Bénévoles pour
fonctionnement. Fiche
50 salariés: suivi par le la lecture et pour la
habitudes de vie.
service de la médecine messe. Zoothérapie.
du travail, Centre
Hospitalier
Intercommunal de
Cavaillon-Lauris.
B. Historique du projet
Mon parcours
Avant d’entamer ce récit d’expérience, je pense qu’il est utile d’indiquer brièvement mon
parcours professionnel, afin de mieux comprendre mes points de vue, nécessairement
influencés par la singularité de ma trajectoire.
Mon monde est celui de l’artistique, des arts vivants. Je suis comédienne de formation
initiale et je suis devenue artiste des Arts du Cirque puis enseignante dans ce domaine-là,
spécifiquement coach d’artistes aériens. J’ai enseigné pendant plus de trente ans des
techniques circassiennes à des publics âgés de 7 à 50 ans. J’ai un savoir des gestes et
postures autre, une grille d’observation différente.
Ces métiers me permettent d’avoir aujourd’hui une expertise affutée des organisations des
personnes dans leurs mouvements, mais pas seulement : leurs intentions et les qualités sont
tout autant, si ce n’est plus, questionnées.
Un long voisinage
En 2011, j’étais à la recherche d’un espace pour donner un cours collectif de la méthode
Feldenkrais. Par l’intermédiaire d’une élève, habitante du village, j’ai rencontré la directrice
de l’EHPAD d’alors, Mme G. Nous avons convenu qu’en échange de la mise à disposition
de la salle de loisirs, le personnel de la maison, soignant et administratif, pourrait librement
et à titre gracieux profiter de mon enseignement. Un an a passé, une personne seulement
est venue.
En 2012, la directrice a démissionné, un directeur par intérim a été nommé. Les cours ont
continué, fréquentés essentiellement par des femmes du village et des environs.
En 2013, une nouvelle directrice, Mme L. est affectée à ce poste. Nous prenons rendez-
vous, je lui parle longuement de cette méthode d’éducation somatique, la méthode
Feldenkrais. Mme L. témoigne de son intérêt et nous décidons de co-construire un projet,
dans le cadre de mon terrain requis pour le DU de Paris 8, formation permanente,
« Techniques du corps et monde du soin ».
La mise en place
1
- Sources atelier 1 « Glossaire » : extrait synthèse « Outiller son métier » : DU Corps 2, 01/2012, S.
Cartellier et E. Seyer.
Financements
L’adjointe des cadres transmet à Mme L. une information pour un prix organisé par la
Mutuelle Nationale des Hospitaliers (MNH) autour de la prévention et de la promotion de
la santé au travail 2013 – 2014. Nous montons un dossier qui ne sera pas retenu au final.
Pour faire suite au lancement de la campagne d’information de prévention des Troubles
Musculo-Squelettiques (TMS) d’octobre 2011, la directrice demande une aide à
l’Association Nationale pour la Formation permanente du personnel Hospitalier (ANFH)
ainsi qu’à la Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé Au Travail (CARSAT) pour
permettre le financement de cette formation nommée « Gestion du stress et amélioration
des gestes et postures professionnels ».
L’ANFH donne son accord. La CARSAT ne répond pas.
Mme L., argumente ce choix ainsi :
« Le directeur d’un établissement privé ou public, quel que soit son champ d’action, a la
responsabilité au travail des agents qu’il embauche. Dans un premier temps, il a l’obligation
d’avoir l’aide de la Médecine du Travail. De plus, ces dernières années, de nombreuses
réflexions se sont portées sur le stress au travail et l’ampleur des TMS, plus
particulièrement dans le secteur médico-social. Les lois de réforme de l’action sociale de
2002 et les suivantes qui les complètent, mettent un accent particulier, par le biais
d’évaluation interne et externe, sur le bien-être au travail. Le stress ressenti par les agents
travaillant auprès des personnes âgées fort dépendantes est très important. Des formations
sur les bonnes postures existent depuis longtemps, mais restent très classiques dans leur
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 9
approche. La méthode proposée, Feldenkrais, permet de sortir des sentiers battus et
d’intégrer deux paramètres : postures et de-stress. La position prise en commun pour la
mise en place de cette formation/gestion est la complémentarité de paramètres choisis et
de l’approche faite par cette méthode : pas de gestes, ni d’actions, en opposition avec les
possibilités corporelles de chacun-e. Tout s’effectue dans la douceur et le calme, avec la
possibilité de l’utiliser dans sa vie privée. L’observation en situation permet une réponse
adaptée au résident et à l’agent. C’est du gagnant-gagnant ».
L’ANFH ayant donné son accord et ainsi validé la phase préparatoire du projet, je me mets
à l’ouvrage.
C’est une des priorités de la directrice. Beaucoup d’aides-soignantes souffrent des épaules,
du dos, des genoux. La prévention des TMS est un sujet important, un enjeu majeur de la
santé au travail, un enjeu humain mais aussi économique pour les structures et dont un des
indicateurs est le nombre très élevé d’arrêts maladie.
Mme L. appuie cette formation sur la circulaire n°2013-295 du 19 juillet 2013 sur les
orientations en matière de développement des compétences des personnels mentionnés à
l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la
fonction publique hospitalière.
Dans l’annexe 1 de cette circulaire, au point 4, les éléments du programme sont :
« Disposer d’outils méthodologiques pour connaître, objectiver et prévenir tout
particulièrement les risques psychosociaux, les risques chimiques, notamment cancérigènes,
mutagènes ou reprotoxiques (CMR) et neurotoxiques dont l’amiante, les troubles musculo-
squelettiques (TMS).
Gabriel Fernandez, docteur en médecine et en psychologie, médecin du travail en activité
développe le point de vue suivant :
« Au bout du compte, il me semble que les troubles musculo-squelettiques sont une
pathologie du mouvement. Justement classés dans le groupe nosologique des maladies par
hyper sollicitation liée à une répétition, je pense cependant plus précis de dire qu’ils
résultent d’un développement pathologique du geste. C’est que le geste est répétitif chaque
fois que le mouvement est amputé de ses possibilités de développement. Autrement dit, il
est répétitif lorsqu’il ne peut être suffisamment répété dans des contextes hétérogènes.
L’hyper sollicitation pathogène est alors liée au sous-développement de la répétition, sous-
développement qui plonge ses racines dans celui de l’activité professionnelle. Les
formations aux gestes et postures, pour être efficaces ont tout à gagner de partir de la
situation réelle de travail car elle est la seule source du développement des gestes ».2
Je confirme cette position.
C’est ce qu’intuitivement j’ai placé en exergue dans la construction du projet et ce qui a été
réalisé dans l’EHPAD de Cucuron.
2
- Gabriel Fernandez, Soigner le travail, Toulouse, Editions érès, 2009, pp. 227-228.
Il s’est fait en continu, tout le long du projet, au fur et à mesure du temps passé en
observation, et sur trois points évoqués dans le paragraphe « La mise en place » : les cours
collectifs, les observations dans les chambres, les ateliers « Gestes et postures ».
a) Lors du premier contact, à l’occasion des cours collectifs autrement dit PCM, leçons
de Prise de Conscience par le Mouvement. Pour beaucoup d’entre elles, rester en
position allongées sur le dos était difficile, couchées sur le côté les jambes pliées était
très inconfortable pour l’épaule du dessous. D’autres s’endormaient très vite, ou,
agitées, peinaient à suivre la leçon.
A l’issue du cours, elles exprimaient leurs ressentis, leurs besoins, leurs attentes.
b) Dans ma fonction d’observatrice dans les chambres, j’ai pu agrandir et clarifier le
champ des observations et faire le lien entre ces douleurs et leur pratique
professionnelle. Je me posais constamment la question « d’où vient que … ? ».
Il y a eu une première phase où je m’en tenais strictement à l’observation, avec des
prises de notes, une phase d’apprivoisement. Je repérais des évidences, des manques,
des incongruités. J’écrivais mes doutes, mes questionnements, je les gardais pour
moi, j’y réfléchissais.
Puis, dans un second temps, j’ai questionné leurs façons de faire, sans aucun
jugement, je leur demandais de m’expliquer. Je leur proposais une autre possibilité
qu’elles expérimentaient. Ainsi, petit à petit, leur boîte à outils s’est agrandie, leur
savoir s’est élargi.
La troisième phase a consisté à approuver et valider les nouvelles façons de faire, à
améliorer non seulement leurs gestes et postures mais aussi à revoir des protocoles
et des usages inadaptés pour certain.e.s résident.e.s.
c) Dans les ateliers de recherches partagées « Gestes et postures » :
C’est le moment de travailler en binôme et de questionner le toucher, ses différentes
qualités, la temporalité pour soi-même et dans le contexte de la maison,
l’interrelation avec les soigné.e.s, les collègues. Mais aussi d’étudier les organisations
de l’assise, de la marche, les actions de soutenir, lever, porter, coucher, tourner,
rouler, asseoir.
J’ai beaucoup réfléchi aux outils adéquats que je pourrais développer, à ceux que je devais
abandonner, à ma manière de faire : ne pas forcer les lignes, de travailler avec les personnes
présentes, de me et de leur faire confiance. Je postulais que si ces propositions étaient
bénéfiques pour tous et toutes, soignants, résidents et personnel administratif, les
personnes réticentes y viendraient. Dans les faits, c’est ce qui s’est passé, mais j’ai appris la
patience, j’ai milité pour le non-découragement.
Le créateur de cette méthode, Moshe Feldenkrais, dans son ouvrage « Le cas Doris », la
définit ainsi :
« L’homme dans son ensemble est une unité fonctionnelle et non statique. Dans les livres
de médecine, on distingue quatre éléments essentiels : le squelette qui est relativement
inerte, la musculature, le système nerveux et le milieu, ou environnement, qui agit par
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 13
action ou par réaction. En réalité ces quatre éléments fonctionnent tous ensemble. Le
squelette ne peut rien faire intentionnellement. Ce sont les muscles qui l’entraînent en se
contractant ou se décontractant, selon des schémas différents pour écrire, bouger, nager,
etc. mais les muscles eux-mêmes sont dirigés par le système nerveux central, lequel réagit
aux sollicitations du monde extérieur. C’est l’ensemble des quatre éléments qui produit le
mouvement de la vie… Cette conception ouvre des voies thérapeutiques nouvelles et
importantes. La tendance était, jusqu’à présent – lorsqu’un trouble fonctionnel surgissait –
de s’attaquer électivement soit aux habitudes musculaires, soit à l’environnement, soit au
squelette. En réalité, c’est sur l’ensemble qu’il faut agir, sur la relation entre les quatre
éléments.
Comment ? En considérant le mouvement comme révélateur de l’ensemble de
l’organisation humaine. En effet, il n’y a qu’un seul muscle pour chaque fonction alors que
le cerveau comporte, lui, plusieurs structures superposées : lobe antérieur, hypothalamus,
thalamus, tronc cérébral … Donc, même si les sollicitations du système nerveux sont
nombreuses, elles aboutissent à un seul geste, qui révèle l’ensemble de l’organisation (cette
organisation fonctionnant, comme un ordinateur, à coups de réponses stéréotypées à des
sollicitations). En observant le mouvement et en agissant sur le mouvement, c’est tout
l’ensemble de l’organisation que l’on apprend à mieux connaître, à mieux utiliser et
éventuellement à modifier ».3
Cette dernière phrase me porte tout le long de ma pratique, elle est le support de création
des modules de formation en gestation.
3
Moshe Feldenkrais, Le cas Doris, San Francisco, Ed Harper & Row, 1977. Traduction Française : Espace
du Temps Présent, Paris, 2007, pp. 131-132.
« On pourrait finalement décrire les Somatiques comme une discipline d’érudition du sentir. Dans
les diverses méthodes somatiques, cette érudition invisible porte des appellations variées
(conscience, prise de conscience, attention) qui font écho, dans l’approche des pédagogies actives, à
la participation active de l’élève à son propre apprentissage, notamment avec tous les dispositifs
d’auto-évaluation et connaissance de sa position dans un programme d’apprentissage … Il ne s’agit
pas de se « comparer aux autres, ni à un modèle à atteindre (dont on serait plus ou moins proche),
mais de percevoir changements, différences, éventuellement améliorations, et ainsi, d’établir une
échelle de valeurs basée sur sa propre expérience ».5
La séance :
La leçon s’intitule : « Rouler en pressant contre le sol ».
Il va s’agir de jouer avec différents moteurs d’initiation de mouvement, au–dessus, en–dessous,
d’expérimenter les mobilités articulaires et surtout de travailler sur la qualité, ce qui va induire un
changement profond au niveau du tonus et des tissus des couches profondes de la structure et des aponévroses.
Je les prie de s’allonger sur le dos.
Je passe entre eux et leur donne des supports en mousse à placer à l’arrière de leur tête.
Deux nouvelles aides-soignantes se présentent au cours et j’explique à nouveau
l’importance de placer la tête dans le prolongement de la colonne, qu’elle ne pende pas et
qu’elle ne produise pas non plus un double menton.
J’observe que J. et M. sont inconfortables, je place des rouleaux à l’arrière de leurs genoux,
elles soupirent d’aise. Je les rassure, après le balayage initial rituel, la leçon se fera sur le
côté.
Je commence le scan, j’interroge la perception qu’il, qu’elles ont de leur corps en termes de
poids, de volume, de longueur, de largeur.
4
- Moshe Feldenkrais, L’évidence en question, Paris, Editions L’inhabituel, 1997, pp. 116-117.
5
- I. Ginot, « Douceurs Somatiques », dans Cahier de repères danse, n° 32 (2013), Vitry, Ed. La
briqueterie, CDC du Val-de-marne, p.22.
La toilette au lit :
3ème étage, chambre de Mme C. et de Mme R.
Je toque à la porte, les salue toutes les trois, MF. est déjà là, elle a commencé la toilette au
lit de Mme C.
Elle pose toujours une serviette sur le corps de la personne dévêtue, « elles ont toujours
froid ».
Je remarque que toutes ne le font pas, n’ont pas cette attention.
MF. a intégré le fait de lever le lit systématiquement pour ne pas avoir à se pencher. Par
contre, quand elle veut atteindre, toucher une partie distale, elle se penche à nouveau.
Je lui suggère de faire le tour du lit pour éviter cela.
Dans l’action de déplacer Mme C. de la position « sur le dos » à « rouler sur le côté », elle
engage beaucoup d’effort dans sa poussée.
Je l’encourage à prendre par-dessous en pliant les jambes et à pousser ensuite.
Ce qu’elle fait et adopte sur le champ, « c’est plus facile ».
L’habillage :
MF. commence à habiller Mme C.
Je perçois l’inconfort de celle-ci, j’observe et je propose à MF. de relever avec la commande la
tête du lit pour cette action.
Mme C. se détend, respire plus librement. MF. reconnait que c’est plus pratique.
Le lève-malade :
Mme C. semble le craindre.
MF. prend le temps de bien placer la sangle, surtout derrière la nuque.
Mme H. est hémiplégique de ce côté suite à une crise, elle a une tumeur inopérable au cerveau.
Je la rejoins dans sa petite chambre, après mon cours, je dispose d’un peu de temps avant
l’arrivée du goûter.
Elle m’attend, assise dans son fauteuil roulant.
J’ai choisi de ne pas m’attarder, d’être à son écoute mais aussi de jouer avec l’efficacité, terme fétiche du
personnel soignant.
Puis je prends sa main droite et je l’amène à toucher, presser gentiment l’autre main, l’autre bras.
Pause.
Je lui demande comment elle pourrait s’organiser avec cette main pour mobiliser sa
partenaire à gauche.
Elle me regarde, ne comprend pas.
Je répète et en même temps je prends à nouveau sa main droite que je place sous le coude gauche que je
soutiens et ensemble nous emmenons son bras droit dans des directions différentes, sur le côté, vers l’avant,
l’arrière, en haut, en bas.
Tout d’abord Mme H. est incrédule, elle semble ne pas y croire, ce qui me surprend.
Je continue, je la rassure.
Pause.
Elle est enchantée, elle rit, bafouille.
6
- Pierre Ancet, Le corps vécu chez la personne âgée et la personne handicapée, Paris, Editions Dunod,
2010, p.52.
Je veux revenir sur ce qui a motivé cette proposition de suivre les aides-soignantes dans les
chambres le matin mais aussi expliciter ma posture au sein de la maison.
Durant les cours de prise de conscience par le mouvement, j’ai été surprise de la façon dont
les soignantes vivaient et traversaient cet enseignement. Beaucoup d’entre elles arrivaient
exténuées à 14h, mal en point. La plupart des PCM débutant en position allongée, elles
étaient inconfortables, le contact avec le sol était douloureux malgré les tapis mousse.
Principalement les contacts à l’arrière du bassin, du dos et des épaules. Elles étaient dans un
état d’épuisement, de stress qui se manifestait soit par une agitation qui s’estompait
progressivement, soit par un sommeil superficiel ou profond.
Cet état de corps changeait au fil de la leçon et lorsqu’elles se relevaient, elles se sentaient
différentes, plus légères, apaisées, ce qui les déroutait beaucoup.
C’est à ce moment-là que je me suis interrogée sur cette notion de souffrance au travail.
Je me devais de connaitre leur contexte, d’appréhender leur connaissance des postures et
leur pratique de gestes professionnels pour les confronter à mon savoir.
Intuitivement, en les observant s’organiser pour exprimer tel ou tel mouvement sur le sol,
je me disais que l’outil qu’est cette pratique somatique Feldenkrais, pourrait grandement améliorer
l’usage qu’elles faisaient d’elles-mêmes, là, à cet instant, mais aussi et surtout dans l’exercice
de leur métier : cet usage était inadéquat.
Je leur ai donc proposé de les accompagner dans les étages, le matin, pour les levers, les
toilettes et l’habillage. Elles ont tout de suite accepté.
Avant de présenter quelques-unes de ces observations in situ, j’ai tenu également à clarifier
ma posture, ou position, dans la maison. Je suis une praticienne mais étudiante, stagiaire,
ignorante de leurs savoirs et du monde du soin dans lequel elles évoluent.
A l’instar de Gabriel Fernandez : « […] je me mêle du travail, jusqu’à tenter de le faire à la
place de mon patient, avec la quasi-certitude de la maladresse, celle dont fait preuve tout
nouvel arrivant dans un milieu de travail. Tout en sachant que cette maladresse, loin d’être
un handicap, peut s’avérer d’une grande efficacité dans cette situation, car le contraste avec
« Bien plus que leurs qualités individuelles, c’est la qualité de la coopération entre les soignantes qui
est garante de leur humanité. Cette coopération ne s’instaure toutefois que sous certaines
conditions. Elle exige du temps. Dans le travail effectif, il s’agit, par exemple, d’être en mesure
d’aller à deux, au lieu d’une, s’occuper d’un patient qui suscite l’irritation ou le dégoût. Mais aussi, et
c’est primordial, du temps pour parler entre collègues : pour rompre l’isolement et surmonter le
ressentiment ou l’ambivalence. Pas besoin pour cela de psychologue, l’équipe se suffit à elle-même.
Les soignantes consacrent un temps non négligeable à discuter entre elles, de préférence autour
d’une tasse de café. Ces moments de convivialité sont nécessaires à la cohésion de l’équipe et à la
qualité du travail comme à la bonne santé mentale des personnels, mais tendent à disparaître dès
que le travail s’intensifie. Durant ces discussions informelles, les soignantes échangent des
informations précieuses pour le suivi du travail, mais aussi l’expression de leurs divers sentiments :
doute, inquiétude, impuissance, attirance ou dégoût. […]Cette activité spécifique doit être
interprétée dans le registre des stratégies collectives de défense ». 8
7
- Gabriel Fernandez, Soigner le travail, Toulouse, Editions érès, 2009, p.79.
8
- P. Molinier, « Ambivalence du travail de soin », dans Sciences Humaines, no 200 (2009), Auxerre,
p.75.
Nous nous dirigeons à présent vers la chambre de Mme P. Elle dort, F. décide de la laisser
se reposer.
Il a fini les levers, c’est au tour des toilettes. Il m’accompagne pour me confier à L., elle n’a
pas terminé, elle est toujours avec son résident.
Je décide que bon ! Allons-y pour les toilettes, je continue avec F.
Dans cette première observation je cherche ma place dans l’espace et dans ma toute nouvelle fonction. Je
prends des notes et mes questions sont relatives à l’identité des personnes. Je m’immerge dans le contexte, je
découvre les chambres, les ambiances, le rythme du travail. J’observe les chassés croisés entre les soignants, les
collaborations et les soutiens. Je suis aussi confrontée à mes représentations de la vieillesse, de la maladie, de
la démence.
« Les Chinois n’ont pas un terme pour dire « corps » sans qualifier ce qu’il perçoit/agit car ils
pensent le monde en terme de processus, de dynamiques, alors que nous le pensons en terme
d’essences ou d’objets qui composent un monde. Et notre « corps » [physiologique], devient alors un objet
(comme souvent dans le champ médical) alors qu’il est la concrétion, la sédimentation de gestes
opérés dans la relation ». 9
P., infirmière, la directrice, les aides-soignantes et moi-même, avons bavardé avec celles qui
travaillaient ce jour-là et qui souhaitaient ma présence auprès d’elles. Elles semblent
contentes de l’intérêt que je porte à leur travail.
Mon intention est de les observer, toutes, en action mais aussi de rencontrer des résidents différents à chaque
séance.
9
- Christine Roquet, Encore le corps ?, Notes de séminaire, Université Paris 8, 2013.
J’ai sélectionné les thèmes des PCM en fonction de mes observations concernant:
a. Les gestes et postures des soignants dans leur travail dans les chambres.
10
- Moshe Feldenkrais, Le cas Doris, Paris, Edition L’espace du temps présent, 1993, p. 133.
b. Les positions et placements induits par leurs actions envers les soignés.
Dans l’observation in situ n°3, j’avais repéré ce non-sens de placer les personnes pour la
toilette au lit sur le côté, les épaules et le bassin non alignés dans l’axe, ce qui induisait un
déséquilibre et une insécurité qui se manifestait par un agrippement très fort de leurs mains
à la barrière du lit, une respiration contrariée, un inconfort certain au vu de leurs soupirs et
mimiques. La PCM du second atelier du 15 avril (cf. section II.C.) leur a permis d’éprouver
elles-mêmes l’importance d’un alignement organique pour être à l’aise.
Le troisième atelier a remis en questions les habitudes concernant les assises, mis l’accent
sur l’organisation du bassin dont elles ignoraient le rôle majeur dans cette position.
« Si nous aimons davantage nos routines que notre avenir, alors nous sommes liés de façon
fatale au passé. Chaque fois que nous sommes capables de renoncer à une conviction qui s’est
révélée fausse […] nous nous relions au monde ». Adam Phillips.11
J’ai emprunté cette citation du livre de Gabriel Fernandez, prélude à la préface de son
ouvrage « Soigner le travail ». Je la trouve très juste, tout à fait adaptée au sujet de ce
mémoire.
J’ai choisi de vous présenter trois de ces ateliers, représentatifs du processus de travail,
d’échange et de co-construction qui s’est progressivement mis en place entre les aides-
soignantes, les infirmières et moi-même tout au long du premier semestre 2014.
11
- Gabriel Fernandez, Soigner le travail, Toulouse, Editions ères, 2009, p.7.
« …nous sommes tous très loin d’éprouver les mêmes ressentis corporels, même si nous utilisons
les mêmes mots pour les désigner. Nos capacités d’empathie et de présence à l’autre sont variables,
et risquent toujours à un moment ou à un autre de nous faire défaut, dans nos regards, dans nos
gestes, dans nos choix, dans notre écoute. »12
Roulez par le côté pour vous installer sur votre côté droit, comme pour dormir.
Placez votre tête sur votre bras droit ou sur des supports, des mousses.
L’idée est que vous n’ayez pas la sensation que l’épaule du dessous soit écrasée.
Les genoux sont plus ou moins placés à 90°, ça c’est pour la stabilité, pour être sécurisé.
Prenez un temps pour sentir les appuis tout le long de votre côté droit, du bord extérieur
de votre pied jusqu’à votre épaule et observez comment naturellement vous l’avez
positionnée. Elle est à l’aplomb, plus en avant, en arrière ? Organisez-vous pour que vos
deux épaules soient à l’aplomb l’une au-dessus de l’autre.
12
- Pierre Ancet, Le corps vécu chez la personne âgée et la personne handicapée, Paris, Editions Dunod,
2010, p.1.
Allez vers l’avant par l’épaule du dessus. Emmenez l’épaule gauche vers l’avant et revenez,
attention, juste l’épaule, pas l’ensemble de vous-même. Un mouvement simple, lent et
doux. Vous êtes à l’école de la lenteur, de la douceur et de la paresse.
Profitez, dégustez …
C’est fluide, ou il y a des saccades, des à-coups ?
Faites-le encore plus lentement si c’est ça que vous ressentez.
Emmenez cette épaule vers l’arrière et de retour. Le bras suit, il n’est pas moteur.
Et quand je dis épaule vous pensez à quoi ? Au haut du bras, à votre omoplate à l’arrière
qui glisse sur les côtes, à la clavicule, cette petite barrette qui accueille les colliers ?
Quelle représentation avez-vous de votre épaule ?
Combinez, emmenez-la vers l’avant et vers l’arrière et trouvez une qualité de mouvement
qui vous plaît.
Pause.
Maintenant c’est votre hanche gauche, la partie gauche de votre bassin qui va aller vers
l’avant et revenir au point de départ, sans forcer. Comment s’organiser pour emmener cette
hanche vers l’avant et de retour ? Vous pouvez permettre à votre genou gauche de glisser
sur votre genou droit, mais laissez la jambe passive. Juste pensez que le genou glisse un peu
plus bas, lentement, doucement, à l’aller comme au retour.
Vous avez deux heures pour vous, donc prenez le temps, prenez le temps !
Emmenez l’ensemble de vous-même à rouler vers l’avant et vers l’arrière en pensant côté
du dessous, notez la direction préférée, là où ça va le plus facilement.
Maintenant roulez vers l’avant et vers l’arrière, sans réfléchir, et observez si le mouvement a
changé, s’il s’est amélioré par rapport au début du cours. C’est le même ?
La prochaine fois que vous roulerez vers l’arrière vous en profiterez pour revenir sur le dos,
enlevez les mousses en surplus et sans vous étirer, réajuster, sentez les différences entre les
deux côtés.
Vous en sentez ? Faites un petit signe avec la main si c’est le cas.
Où les sentez-vous, ça sera plutôt au niveau des appuis, des espaces, des volumes ?
Goûtez. Sentir, être consciente de ces perceptions-là, c’est enrichir votre sensorialité, c’est
donner ces informations à votre système nerveux qui les enregistre, qui les stocke, qui fera
son travail de manière consciente comme maintenant mais aussi de manière autonome
puisque nous avons aussi un système nerveux autonome qui traite les informations et puis
les ressort quand il veut, quand il le décide et nous n’avons pas droit au chapitre.
Roulez par le côté pour vous asseoir.
On va travailler à deux, jouer avec le côté gauche.
En binôme.
Compréhension et recherche avec R. :
Son installation sur le côté droit, les mousses sous la tête, l’épaule droite ne doit pas être
écrasée.
Vous la regardez s’installer et vous lui proposez d’aligner l’épaule du dessous dans l’axe de l’épaule du
dessus. Le buste n’est pas emmené dans une rotation.
Voyez le bassin, c’est la même chose ?
Je lui demande de remonter un peu plus les genoux, je vérifie que ses talons sont en contact.
Puis je la touche, je pose ma main sur elle mais c’est très léger, je donne un peu de mon poids mais je ne
presse pas.
C’est très différent de placer une main et de presser, et de placer une main et de donner un peu de son poids
de manière à sentir la personne, et ça c’est un contact.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 37
Je demande à R. de rouler vers l’avant et de retour et je ne fais rien d’autre que de la suivre.
Il y a des saccades, je lui demande d’aller encore plus doucement.
Et vers l’arrière.
Est-ce que tout le monde voit que le mouvement est un peu saccadé ?
Je me place tout contre elle et cette fois-ci j’englobe l’épaule avec mes deux mains. D’abord je touche puis je
vérifie qu’elle ne tient pas son bras. Très souvent les personnes ne se rendent pas compte qu’elles le tiennent
et cela freine le mouvement.
J’englobe l’épaule et la pulpe de mes doigts touche la barrette de la clavicule, contact sécurisant, et je place
l’autre main sur l’omoplate. Je suis R. vers l’avant et de retour et maintenant c’est différent. Ne tiens pas
tes mâchoires, cherche le moelleux, moins de volonté…
Le mouvement a changé car je lui donne à sentir la globalité de son épaule, les trois parties (tête humérale,
clavicule, omoplate) travaillent ensemble.
Puis je fais la même chose vers l’arrière et je combine les deux.
Là je sens très bien que son omoplate s’est mise en route. Avant je ne sais pas où elle était, en vacances ?
Ok ? A vous.
Dix minutes pour chaque partenaire.
Donnez-lui des petites pauses.
C’est bien si la personne qui reçoit ferme les yeux.
Ne parlez pas si c’est possible, soyez à l’écoute de vos sensations quand vous recevez mais aussi quand vous
donnez.
J’insiste sur la lenteur et aussi la qualité de douceur. Rien ne peut se réorganiser si on sort de là.
Donnez-lui un temps sur le dos pour sentir les différences et échangez.
Je les conseille pour aligner la tête dans le prolongement de la colonne vertébrale.
L’idée, avec tous ces préparatifs, c’est de chercher le neutre de l’épaule, qu’elle soit tout à fait tranquille.
N’oubliez pas de toucher, puis de faire contact avant d’engager toute action ou tout mouvement.
Attendez d’être acceptée.
Poser simplement les mains là, clarifie le mouvement pour la personne.
C’est un travail d’écoute très fine entre partenaires.
Les personnes qui reçoivent, serrez les mâchoires. Que sentez-vous les autres ? Laissez bailler cette mâchoire
inférieure, continuez le mouvement, que sentez-vous ?
Je vous invite à mettre cela en route avec les résidents : toucher puis faire contact avant toute indication de
mouvement.
Le temps de toucher puis de contact est obligatoire.
Au fur et à mesure cela devient un duo.
Arrêtez ! Vous allez à présent directement suivre la personne, sans ce temps de toucher-contact-présentation.
Allez-y ! C’est confortable pour les partenaires ?
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 38
Pause.
Imaginez ce qui se passe quand on rentre dans les chambres, quand on fonce sur les résidents, qu’on les
touche pour n’importe quelle raison, toilette, lever …, sans ce temps de présentation, dans l’état où se
trouvent certains d’entre eux, avec un système nerveux altéré, sans tonus, avec des sens qui ne fonctionnent
plus ou peu … Que reste-t-il ? Il reste cette relation tactile qui devient essentielle pour eux.
Ce toucher puis ce contact avant toute chose change énormément.
Vous l’expérimentez à l’instant et nous, nous sommes en bonne santé, bien portantes.
Imaginez l’impact de ce travail sur le toucher à leur âge, dans leur état, avec leurs pathologies …
C’est une information très importante.
Retournez-y, avec le contact, ça change ?
Une discussion s’ensuit autour des saccades. J’explique qu’il faut prendre du temps, apprivoiser ces parties,
que cela n’est pas encore organisé, pour le moment. Il n’y a pas de normalité attendue dans cette pratique,
nous travaillons à faire un meilleur usage de nous-mêmes.
Je conclue en affirmant qu’une petite amélioration suffit, que c’est déjà beaucoup.
Pause.
S : « Que retirez-vous comme infos intéressantes pour vous de cette séance d’une heure ?
MF : Me baisser. J’ai mal aux genoux. Rester longtemps (baissée), ça me fait mal aux
jambes. Trouver la meilleure position pour travailler correctement.
S : Pour quelles fonctions ? A quels moments ?
MF : Au moment de la toilette. Surtout quand il faut mettre les chaussettes, les pantalons,
les chaussures …
R : Moi aussi je sens mon genou.
Toutes : On aimerait améliorer la façon de les habiller, on galère, c’est compliqué. Le bras
est lourd, il y a des rétractions, certains résidents ne veulent pas nous aider.
S : Vous me donnez des pistes, je pense aux bras …
L : Je force beaucoup dans ce que je fais.
S : C’est intéressant, oui, j’ai prévu de questionner cela aussi, moduler le tonus.
C : Tu utilises plus le physique que la posture elle-même.
L : Pas tout le temps ! J’utilise les postures pour les transferts et là je sais faire sans force.
S : Ce que j’ai observé dans les chambres c’est que souvent vous êtes dans un tonus qui n’est pas
proportionnel à la situation que vous vivez.
P : C’est une défense !
Ahhhhhh ! Bâillements ….
S : « Pendant que vous vous reposez, que vous déposez votre masse au sol, je vais vous
exposer le menu de l’après-midi.
[Rappel : PCM = Leçon de prise de conscience par le mouvement].
Nous allons faire une PCM de quarante-cinq minutes. Au cours de celle-ci nous
pratiquerons en binôme, vous êtes cinq, je le ferai donc avec vous. On va travailler le
toucher, ce qu’on a déjà fait une fois.
Le titre de la leçon c’est « Allongée sur le côté, lever la jambe par les orteils, par le talon ».
Nous irons ensuite dans une chambre, au 2ème étage, P. a préparé un lit. Nous étudierons
ces questions de hauteur de lit et de tête de lit qu’on relève ».
Ajustements des supports sous les têtes des participantes.
Portez attention à votre axe central, la ligne médiane, de la pointe du coccyx jusqu’au
sommet de la tête, attachez-vous à cette ligne, observez-là.
Est-ce que dans votre sensation c’est un trait continu ou il y a des blancs, des points de
suspension, des espaces entre un segment et un autre, qui ne sont pas clairement
représentés chez vous.
13
- Moshe Feldenkrais, L’évidence en question, paris, Editions l’inhabituel, p.16.
La prochaine fois que vous soulèverez le pied, toujours de la même façon, en gardant les
genoux en contact l’un avec l’autre, vous le soulèverez par le talon et vous le ramènerez par
les orteils, quelques fois. Le talon initie, puis c’est au tour des orteils et le bas de jambe suit.
Faites-le de manière paresseuse et sentez ce qui change vers vos articulations du genou, de
la hanche, quand vous emmenez votre pied à se lever par le talon. Vous sentez une rotation
interne ? Votre jambe tourne vers l’intérieur.
Puis vous inverserez, vous conduirez par les orteils et vous reviendrez par les talons. Les
orteils organisent l’aller et le talon le retour.
Faites une pause de quelques secondes quand vous revenez afin de vous assurer que les
muscles se désengagent, avant de recommencer.
Et de lever la jambe par les orteils qui vont tourner vers l’extérieur, vers le plafond, qu’est-
ce que ça change au niveau de l’orientation de la jambe dans l’espace ?
Pause.
Gardez les bords intérieurs des pieds en contact, réajustez-les si besoin, et cette fois gardez-
les en contact l’un avec l’autre et éloignez le genou du dessus de celui du dessous et puis
vous le ramenez gentiment à la maison.
Là aussi, observez-vous. Comment vous organisez-vous ? D’où ça part ? Vous prenez
appui sur vos pieds pour aider ce genou à se détacher de l’autre ?
De quelle manière ce mouvement convoque le bassin, l’invite à participer ?
De combien avez-vous besoin d’éloigner le genou pour sentir un écho vers le bassin ?
Vous sentez un frein, quelque chose qui pourrait entraver ?
Pause.
S : MF., tu peux rester là, les autres vous voulez bien venir, on va clarifier cela et travailler à deux.
On va faire un petit jeu.
MF., tu veux bien reprendre ce petit mouvement de soulever le pied par le talon et tu reviens par les orteils.
Les genoux restent en contact, c’est un support, un pivot. Tu organises ce mouvement par rapport aux
genoux, c’est beaucoup plus facile, d’accord ? Reprends. Tu utilises ce contact, cet appui pour alléger le
travail du bas de la jambe, tu sens ?
Vous allez d’abord regarder comment votre camarade s’organise.
Vous allez regarder le pied, puis élargir le focus et noter ce qui se passe le long de la jambe jusqu’au bassin,
puis le dos et au-delà, pour voir jusqu’où le mouvement voyage.
Encore une fois.
C’est la première étape.
Ensuite vous allez toucher la personne, avant de faire quoi que ce soit vous allez entrer en contact, puis
maintenant elle ne va rien faire du tout et c’est moi qui vais agir : je l’invite par le talon et je reviens par les
orteils.
D’accord ? C’est la 1ère proposition.
Ensuite je lui demande : MF., tu veux bien éloigner ton genou gauche de ton genou droit ? Là aussi
j’observe comment se passent l’aller et le retour. Comment s’engagent le bassin, la cage thoracique, la tête.
Puis c’est à mon tour: tout d’abord je touche, je contacte avant d’agir.
Dans n’importe quelle action vis-à-vis d’une personne, pour moi, je le répète, il est très important de toucher
puis de contacter, sinon c’est trop intrusif.
Si je reviens à votre public, les résidents qui sont dans une temporalité toute autre que la nôtre, dont certains
sont très loin, absents à eux-mêmes et au monde qui les entoure, ce moment du contact consiste à les ramener
à eux et à vous, il est primordial.
Cette notion de temporalité, ce paradigme-là, est évidente vue de l’extérieur.
C’est une règle : s’assurer qu’elle vous donne la permission de s’occuper d’elle, qu’elle est prête pour ça. Je
trouve que c’est très important.
Très souvent les modes de résistances que vous rencontrez, les agrippements, les contractions, c’est parce qu’il
n’y a pas eu ce temps de présentation, ce temps d’invitation.
J’aimerais bien que vous jouiez avec cela et que vous me disiez la prochaine fois si vous avez vu des effets
dans votre pratique, parce que ce petit temps, quelques minutes, n’est pas une perte, vous allez le retrouver
pendant la durée du soin car la personne ne sera plus en conflit avec vous, vous n’aurez plus à batailler avec
elle.
Vous observez la personne, vous établissez le contact et vous emmenez le pied par le talon, ça veut dire que
le talon s’oriente vers le plafond.
N’oubliez pas, ce sont les orteils qui ramènent la jambe !
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 49
Les personnes allongées, sentez toute la chaine squelettique, comment ça passe du pied vers le genou, le
bassin, le long de la colonne lombaire, dorsale, cervicale …
Reposez la jambe de votre camarade, donnez-lui un temps de repos.
Maintenant on va le faire de manière habituelle : « Bonjour madame, comment ça va ce matin ? », et hop,
hop, hop on prend le pied, on lève, on tourne, on pose …On ne demande pas la permission, on prend comme
on a l’habitude de prendre et hop, hop, clac, clac …
On essaie ? C’est un jeu !
Puis on leur laisse quelques secondes, on reprend le mode opératoire précédent, on demande la permission et
on le fait gentiment. Il y a une différence ? Oh oui ?
Vous voulez qu’on en parle, ça pose question ?
Je vous donne des outils, après ce que je voudrais c’est que vous expérimentiez.
J’ai travaillé sur cette qualité en compagnie de Lu. avec Mmes R. et C. et ça a été spectaculaire, en une
heure. Il a fallu ce temps d’introduction et de permission qui doit être modulé en fonction de l’état plus ou
moins grabataire des personnes.
C’est votre intention qui va changer la qualité et toute votre organisation, mais dans les deux modes
opératoires qu’on vient de tester, le mouvement est le même.
Changez de rôle.
Suite de la PCM
Vous allez combiner les mouvements suivants : éloignez le genou du dessus de celui du
dessous, vous permettrez à votre bassin, votre corbeille thoracique, votre épaule, votre tête
et vos yeux d’aller vers l’arrière, puis vous reviendrez à la maison et quand vous soulèverez
le pied par le talon en gardant les genoux ensemble, vous permettrez à votre côté droit de
rouler vers l’avant et vous vous bercerez comme cela.
Trouvez une façon de faire qui vous plaît …
A chaque fois que vous l’exprimez, vous modifiez légèrement un détail, vous cherchez une
piste, une organisation différente. Vous n’essayez pas de reproduire indéfiniment la même
chose. Vous êtes curieuse envers vous-même, vous cherchez. Quand les genoux s’écartent,
les pieds restent en contact, il y a toujours un contact.
Pas plus.
Venez, nous allons clarifier quelque chose (je m’approche de A. qui reste allongée) :
S : A. tu veux bien être mon cobaye cette fois-ci ? On va jouer une dernière fois en duo.
Tu peux reculer légèrement l’épaule du dessous ?
J’ai observé quand vous faites la toilette au lit des résidents, quand ils sont sur le côté, très souvent leur
épaule du dessous est en avant. C’est difficile pour eux de rester stable et en sécurité comme ça. Donc ils
agrippent le barreau du lit par nécessité car ils sont en déséquilibre. La première chose à leur demander c’est
de reculer cette épaule du dessous. Vous les accompagnez, vous les soulevez de manière globale et vous
ramenez l’épaule vers vous. Et là, la personne est stable.
A., tu veux bien reproduire ce mouvement ? Cette fois-ci on l’observe à l’arrière, on regarde le dos. Puis je
mets ma main sur son bassin et je la suis, je lui donne à sentir le mouvement de son bassin. Faites cela
quelques fois pour clarifier la mise en jeu du bassin, à l’aller comme au retour.
N’anticipez pas, écoutez, suivez.
Vous n’avez pas besoin d’appuyer fort, la tactilité est un moteur énorme au niveau de la communication, du
ressenti, ça peut générer des réactions très violentes si elles sont subies et non consenties, et là vous êtes sur le
front, en première ligne. Il suffit de très peu !
C’est insignifiant pour nous, quoi que …
Dans certains états de corps, à certains moments de la vie, la sensibilité peut être intense et quand surgit une
réaction de rejet, de l’agressivité, on peut se poser la question d’où vient que ? Qu’est-ce qui s’est passé et
chercher par là aussi, c’est une piste …
Tu es juste à son écoute, tu la suis, c’est de la bienveillance : simplement, par la qualité que tu donnes à ton
toucher, elle perçoit que tu prends vraiment soin d’elle, que tu es attentionnée...
Du coup ça change totalement la manière dont elle te reçoit et ce qu’elle a envie de partager avec toi à ce
moment-là.
Et même si vous échangez verbalement, « Bonjour, comment ça va ce matin ? » … pour elle c’est dans le
ressenti corporel que ça se passe, surtout quand elle parle peu, ou plus du tout.
Je trouve que c’est intéressant de l’expérimenter sur soi.
Bien sûr on l’entend, on le lit dans les manuels, on l’apprend en formation mais tant qu’on ne le sent pas
soi-même, qu’on n’en fait pas l’expérience, on ne peut pas mettre en route d’autres façons de faire.
Revenez une dernière fois sur votre tapis, roulez encore une fois l’ensemble de vous-même
vers l’avant et vers l’arrière, par le talon qui soulève le bas de jambe, puis le genou du
dessus qui s’éloigne de l’autre et vous allez à nouveau chercher un mouvement qui vous
satisfait esthétiquement, que vous trouvez harmonieux pour vous-même.
Veillez à ce que la tête et les yeux n’aillent pas plus vite que l’épaule qui ne va pas plus vite
que le bassin, la jambe. Vous cherchez une jolie coordination, comme si c’était un
mouvement dansé.
Soulevez l’ensemble de votre jambe posée sur un plateau imaginaire, quel est son poids à
présent, cela a changé ?
Revenez sur le dos, enlevez le trop plein de support et observez les différences entre le côté
droit et le côté gauche.
Il y en a ?
Où les sentez- vous? De quel côté? Vers l’épaule, le bassin, la jambe, un côté du visage ?
Si vous revenez à vos cinq lignes, que sentez-vous de la ligne médiane ? La sensation de
cette ligne s’est modifiée, ou pas ?
Et les lignes de vos jambes, y a t-il une grande différence entre elles ou pas ? Que sentez-
vous des lignes de vos bras et là aussi observez ce qui s’est modifié.
Reprenez ce tout petit roulé de la tête d’un côté et de l’autre, lentement et au passage notez
si les mâchoires se sont à nouveau contractées de manière involontaire, ou non.
Revenez au centre, suivez le trajet de votre respiration.
« La notion d’étayage fait référence à la notion d’appui corporel, de confiance dans les capacités de
son corps à bouger dans l’espace, à éviter les dangers de l’environnement. Cela fonde en partie la
confiance en soi. La personne âgée qui a fait l’expérience d’une chute, par exemple, développe une
crainte permanente, une perte de fiabilité dans ses forces ou ses capacités d’équilibre et peut
développer un stress intense dès qu’elle doit bouger dans l’espace ».14
14
- Pierre Ancet, Le corps vécu chez la personne âgée et la personne handicapée, Paris, Editions Dunod,
2010, p.52.
La PCM :
S : « Voici le mouvement de référence : en position debout, laissez fondre votre masse dans
les pieds et portez attention aux appuis. Sentez les différences à droite et à gauche. Placez
un projecteur sur le pied droit puis sur le gauche. Comment respirez-vous ? Vos bras sont
relâchés.
Marchez lentement. Sentez le déroulé de vos pieds. Vous passez autant de temps sur un
pied que sur l’autre ?
Sur le dos, déposez votre masse. Quelle image avez-vous de vos pieds ? Elle est plus claire
de quel côté ? Suivez le trajet de votre respiration.
Jambes pliées, soulevez les orteils du pied droit pour aller en appui sur le talon droit et
laissez les retomber.
Soulevez le talon pour aller en appui sur les orteils et laissez-le retomber.
Emmenez le poids vers le bord extérieur et de retour en soulevant le bord intérieur,
lentement. Quid de la jambe ? Elle suit le pied ? Et de retour. Le moteur d’initiation est le
pied. Quid de l’articulation de la hanche ?
Soulevez le bord extérieur pour emmener le poids vers le bord intérieur, et puis faites
l’inverse.
L’autre jambe est tranquille. Le bassin n’est pas engagé. On est en train de travailler et de
réveiller ces trois articulations : chevilles, genoux, hanches.
Alternez. Lentement ! Mouvement de la jambe qui se déplace vers la droite, vers la gauche.
S’il y a des saccades, allez encore plus lentement.
Allongez les jambes en les laissant aller vers l’extérieur. Quels sont les effets de cette
variation sur vous ?
Nous avons trois points d’appuis importants sous nos pieds : le talon qui prend 1/3 de
notre poids, 1/3 est à la base du petit orteil, 1/3 à la base du gros orteil. On l’appelle le
trépied.
J’ai choisi cette leçon afin que vous ressentiez et compreniez non seulement votre stabilité mais aussi celle des
résidents. Comment allez-vous transférer ces connaissances vers elles ?
Revenez les jambes pliées. On est à droite.
Alternez les deux mouvements et laissez voyager le genou droit vers l’intérieur, puis vers
l’extérieur.
Gardez le genou où il est, il ne voyage plus et soulevez le bord intérieur du pied.
On ne s’adresse qu’à l’articulation de la cheville – doucement.
Soulevez le bord extérieur du pied. Cela va vous permettre de sentir l’articulation complexe
de la cheville. Vous sentez ce qui se passe à l’avant, à l’arrière, sur les côtés ?
Alternez.
Dans quelle direction c’est plus facile pour vous ?
Le bassin et le genou sont tranquilles, on ne s’adresse qu’à la jambe droite.
Pause.
Soulevez les orteils droits pour mettre de l’appui sur votre talon. Si vous le faites
délicatement, vous allez connecter votre articulation de hanche.
Gardez les orteils au sol et soulevez le talon, pressez et laissez retomber le talon.
Vous utilisez vos orteils.
Accélérez et sentez l’écho remonter vers le bassin.
Alternez, une fois les orteils se lèvent puis c’est au tour des talons.
Si vous voulez accélérer il faut le faire plus petit.
Allongez les jambes et reposez-vous.
Vous pouvez rouler par le côté et laisser respirer votre dos.
Venez pour vous asseoir ».
En binôme :
S : « Combien y a t- il d’os dans le pied ? 26. Et d’articulations ? 16 ».
Expérience :
J’installe J. sur le dos, les jambes pliées, les pieds écartés plus ou moins à la largeur du
bassin.
Reprise de la PCM
Gardez les genoux au calme, reproduisez la même chose mais maintenant cela va se passer
au niveau de la cheville. Faites-le suffisamment lentement de manière à être certaines que ce
sont les bases du gros orteil et du petit orteil qui contactent le sol, sans oublier cette
sensation d’appui fort de votre talon.
Pouvez-vous le faire millimètre par millimètre ? A chaque fois que vous ramenez votre
pied, vous y allez avec beaucoup de délicatesse.
Il s’agit de réveiller toutes ces articulations, de remettre en route les vingt-six os de votre
pied et la meilleure façon c’est de mouvoir ce pied à l’aller et au retour avec cette qualité.
Si on y va d’un bloc, il n’y a aucune chance que ces parties-là, cette zone-là endormie, ne se
réveillent.
Restez, gardez les mains sur votre bassin et emmenez les deux jambes vers la droite, avec
les genoux, les bords des pieds suivent, et de retour à la maison, plusieurs fois. N’allez pas
trop loin, n’engagez pas le bassin. Même chose de l’autre côté.
C’est beaucoup plus clair, vu de l’extérieur.
Alternez. Vos orteils sont au calme ou pas ? Que fait votre tête ? Où va-t-elle ?
Revenez.
Dans un tout petit mouvement, ramenez les bords internes des deux pieds un peu plus vers
l’intérieur et les genoux se rapprochent un peu aussi, même chose avec les bords externes
et les genoux s’éloignent.
Combinez. Vous essayez de le faire par vos chevilles, vous les mobilisez et bien sûr les
genoux puis les fémurs suivent.
Emmenez le poids vers les talons et soulevez les orteils et inversement. Cela fait écho vers
votre bassin et remonte le long de la colonne jusqu’à votre tête ou pas, pas encore ?
Emmenez les genoux vers la gauche quelques fois, et de retour, les pieds accompagnent.
Les genoux suivent maintenant les pieds qui conduisent, puis le bassin, la cage thoracique
et où va la tête ? Vers la droite, la gauche ?
Initiez le mouvement par le bassin et revenez par le bassin.
Allongez les jambes.
Vous pouvez vous passer des rouleaux sous les genoux maintenant ?
De quelle manière contactez-vous le sol après ces explorations ? Qu’est-ce qui s’est
modifié ? Quelles sensations vers vos pieds, quelle image, quelle représentation ? Et vers
vos genoux, les articulations des hanches ? De quelle manière respirez-vous ? Vos yeux
flottent dans les orbites ? Vos mâchoires sont tenues ?
Roulez par le côté pour venir vous asseoir et de là vous mettre debout. Faîtes-le lentement,
si possible sans vous étirer, vous réajuster, chacune à son rythme. Placez-vous sur le
dallage, pas sur les tapis. Sentez comment vous êtes.
Qu’est-ce que vous sentez des appuis de vos pieds ? Vous vous sentez plus ou moins
stable ? Vous vous rappelez comment c’était en début de séance ? Le trépied de vos pieds
s’est-il clarifié ? Ces trois points d’appui sont un peu plus présents ? Notez l’espace entre
vos talons. Cela correspond à l’espace situé entre vos articulations de hanche ou pas ? Les
bras pendent, on n’a pas besoin de les tenir. Comment vous respirez ? Quelle est
l’orientation de votre tête ? Ouvrez les yeux et marchez à nouveau lentement et notez
comment ça se passe avec le déroulé de vos pieds ? C’est différent par rapport à tout à
l’heure ? Que sentez-vous de vos hanches, genoux et chevilles ? Vous sentez ce trio bien
accordé ou pas ?
Et puis marchez normalement ».
S : « Quels sont vos ressentis ? Peu importe : agréables ou pas, bizarres. Qu’est-ce qui vous
a intéressé, dérouté, surpris ? Si vous avez envie de vous exprimer bien sûr, ça n’est pas une
obligation. La parole est libre.
Vos retours m’aident pour construire mes ateliers, des modules de formation. J’ai besoin de vous, c’est
interactif. Je n’ai pas le monopole du savoir, je cherche.
J : C’était plus fluide et j’ai l’impression que j’étais plus allongée aussi. Mes jambes étaient
étirées.
L : J’ai senti une grande différence entre les deux jambes, l’une était beaucoup plus lourde.
S : Oui, on a davantage travaillé avec la jambe droite. Je vous rassure, dans dix minutes, cela
va s’équilibrer.
L : C’était plaisant de bouger, ça m’a fait du bien.
LO : Toutes les articulations, oui.
S : Vous avez compris qu’il fallait y aller doucement, avec délicatesse ?
L : Nous ne sommes pas habituées à ça, pas du tout.
S : Je sais, c’est pour ça que j’ai beaucoup insisté.
J’ai bien vu que vous êtes sur un mode d’induction volontaire, un tonus fort, une façon de faire et de
produire avec des efforts. Ce que je trouve intéressant pour vous de découvrir, c’est qu’il y a d’autres façons
de faire et de produire.
J’ai embêté J. quand vous travailliez tout à l’heure, car elle ne se rendait pas compte qu’elle
produisait le même mouvement répétitif. Non, non, c’est : tu fais tout doucement et tu
prends un temps de pause et tu recommences. C’est de cette façon que le cerveau
enregistre de nouvelles informations. C’est ainsi que se fait l’apprentissage au niveau
neurologique. C’est dans la lenteur, la douceur et le plaisir. S’il n’y a pas ça, aucune
information nouvelle ne passe.
JO : C’est vrai, nous on fait tout vite, tout rapidement.
C : On ne retient que ce qui est agréable en fait, ce qui ne l’est pas, on ne le retient pas.
S : Exactement.
C : Je me suis aperçue que je ne me servais jamais de l’extérieur du pied.
JO : Le contraire de moi.
C : Et là, quand on a marché à la fin de l’exercice, oui, je prenais appui sur les trois points,
alors que d’habitude c’est talon / intérieur, talon / intérieur.
S : C’était très différent la façon dont tu marchais à la fin, par rapport au début. Ta
démarche était féline.
C : Je le sentais bien.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 61
S : Du coup ça a changé toute ton organisation ».
[J’échange avec L. qui ne se sent pas bien. Elle me dit qu’elle s’est trop décontractée. Je lui
conseille d’aller marcher dans le jardin, de s’oxygéner].
S : « Vous avez entendu ce qu’a dit L. ? C’est très intéressant : elle se sent mal parce qu’elle
s’est trop décontractée, ce sont ses mots. C’est une piste pour une thématique d’atelier : il
faudra travailler sur le tonus pour avoir la capacité de le moduler.
J’ai plusieurs observations à partager avec vous :
C’est bien d’avoir un savoir-faire efficace car vous êtes là-dedans, vous êtes dans l’efficacité,
vous avez à gérer des paramètres comme le temps, les plannings, les stocks et ça vous
projette, moi je dirais plutôt que ça vous coince, dans des façons de faire qui, à terme, ne
sont pas toujours adaptées et bonnes pour toutes les situations. Mais je reconnais que vous
avez absolument besoin de ce cadre pour tenir le coup.
Ce que je vous renvoie en fait c’est, d’accord, c’est un cadre obligé, mais dans des
circonstances qui s’y prêtent, vous pouvez trouver d’autres façons de faire.
Il y a quand même des moments dans votre journée de travail où vous pouvez expérimenter d’autres gestes
professionnels.
Nous l’avons vu lors du précédent atelier : obliger une personne couchée sur le côté à se
maintenir en équilibre, agrippée aux barreaux du lit, si ses épaules ne sont pas à l’aplomb, si
elle ne se sent pas sécurisée ça ne marche pas, c’est contreproductif.
Et si vous exploriez la douceur, la lenteur ? Cela produit des effets très intéressants.
Je le répète, je suis tout à fait lucide sur le fait que votre cadre, le contexte ne favorise pas
cette approche.
Mais je pense que vous pouvez, de temps en temps, lâcher la locomotive qui part, emballée,
car elle peut vous emmener à saturation et cela produit des catastrophes.
Habiter de temps en temps des petits îlots où vous travaillez de manière différente, avec cette qualité, cette
attention et ce rythme, cela va vous poser, vous et les personnes que vous soignez. Cela va vous enrichir.
Pour en revenir à L. qui est revenue, tenir avec ce tonus, ça n’est pas bon pour le système
nerveux, c’est une source de stress. Cela impacte la respiration.
C’est à vous de vous demander parfois s’il est bien nécessaire de rester bloquée sur la
quatrième ou la cinquième vitesse, se poser la question c’est l’amorce du travail.
Mes propositions sont des outils, mais c’est à vous de les prendre, de les utiliser.
A quel moment, dans la journée, vous décidez de porter attention à vous-même et vous
vous demandez : « J’ai besoin vraiment de me mettre la pression, de me stresser, d’être sur
ce mode de tonus élevé, de production de gestes mécaniques ? ».
Ici, on fait des propositions de mouvements mais on attend la réponse de la personne à qui on s’adresse,
sinon cela n’a pas de sens, ni d’intérêt.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 62
Il y a une différence entre « être énervée », c’est un état, une humeur, et avoir un tonus
élevé, être hypertonique. Quand on est stressée, notre tonus est élevé, on dit qu’ « on tient
sur les nerfs ».
Ce qui serait intéressant pour toi, L., c’est de trouver le point neutre entre cette
hypertonicité et ce relâchement qui t’a déroutée à la fin de la leçon. La question est
comment tu en arrives là. Il faudrait guetter ces moments où hop, ça part.
L : Il faudrait que je réfléchisse.
S : Ce n’est pas tellement de l’ordre de la réflexion, mais plutôt de la sensation.
Quand tu vas être capable de réguler ton tonus, tu vas être beaucoup moins fatiguée. C’est
le début d’une recherche, c’est passionnant.
L : Je ne me rends pas compte.
C : C’est dans ta nature, c’est tout, cela ne date pas d’hier.
L : Je vais vous demander à toutes de me signaler quand je suis comme ça.
S : Elles vont t’aider… D’autres retours ?
LO : Moi, cela m’a détendue.
S : Je voudrais savoir comment vous pourriez transposer cela avec les résidents.
En lien avec le thème de l’atelier, la position assise, la stabilité debout.
Est-ce que, ce que l’on vient de faire vous inspire par rapport aux appuis, la stabilité, l’axe,
l’alignement chevilles-genoux-hanches ?
Cela vous donne des idées, pour améliorer le travail, les gestes, les postures avec les
résidents ?
Vous pensez à certains d’entre eux ?
C : C’est important pour l’équilibre. Quand on les verticalise ou quand on les assoit, la
façon dont leurs jambes seront positionnées, les appuis qu’on va leur donner parce qu’on
va leur donner des impulsions pour les aider, je pense que si nous sommes un peu plus
vigilantes vis-à-vis de ces postures-là, ça peut effectivement leur donner un équilibre et une
sécurité.
L : On n’y pense pas, on leur pose juste les pieds par terre et c’est tout.
C : Dans le même esprit que quand le corps est dans le lit, bien aligné, quand il est bien
rangé on peut dire, il est beaucoup plus facile de le mettre en position assise.
S : Une autre expérience, venez ! On va travailler en duo toujours ».
Je positionne une chaise avec une assise plate et je leur demande de s’approcher.
S : « Viens C., tu vas t’asseoir ici. Tu veux bien t’avancer un peu vers l’avant. Voilà ! Vous avez vu ce
que j’ai fait ?
Assise au fond de la chaise, ses pieds ne touchaient pas le sol. Il y a beaucoup de résidents dans cette
situation.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 63
Je lui ai demandé d’avancer et j’ai placé un support, un coussin dans son dos, et ainsi ses pieds contactent le
sol, elle est en appui dessus.
Je place son bassin de manière à ce qu’il supporte son poids et s’il reçoit le poids, les jambes reçoivent aussi le
poids puisqu’elles pendent du bassin.
Est-ce que ses pieds et ses genoux sont dans l’axe des articulations des hanches ?
A : Non.
J : Il faut qu’ils soient un peu plus serrés je pense.
S : Regardez-bien maintenant : je prends par-dessous le bas de la jambe, mes mains sont situées en dessous
de la rotule, pas dessus, et je vais soulever. J’attends qu’elle me donne son poids. Ce n'est pas si facile de
donner son poids. Quand mes mains sentent que c’est bon, je fais juste un petit mouvement de balancé, pour
vérifier qu’il n’y a pas de tension, puis doucement, je pose le pied au sol.
Je fais la même chose de l’autre côté.
Je n’ai pas cherché à placer, positionner sa jambe. Le fait qu’elle me l’a donnée a induit cet alignement
naturel chez elle.
Observez bien comment je m’organise : si je le fais de manière distale, comme ça avec mes épaules et mes
bras, je suis fichue car je fais des efforts et je vais me fatiguer très vite. Non, je garde la partie haute de mes
bras tout contre mes côtes, je me rapproche d’elle et c’est moi toute entière qui soulève sa jambe, pas
seulement mes bras et du coup c’est léger.
Ensuite je vais par-dessus-elle, je pose mes mains au-dessus des rotules, pas sur elles, attention, et de la
même façon, j’engage tout mon poids, j’appuie et je contacte ses talons de cette façon. C. est-ce que tu sens
que le poids va vers tes talons ?
C : Oui.
S : Et ça c’est une information importante pour les résidents, vous leur donnez à sentir leur base, le support
de leurs pieds.
Tu sens comme tu es bien assise ? Si tous les résidents pouvaient être assis comme ça, ça serait super.
LO : Quand on met leurs pieds dans les cale-pieds, souvent on les prend au niveau des jambes.
L : Oui, mais on le fait pas comme ça.
LO : C’est un peu ce geste-là.
S : Oui, ceux et celles qui sont dans les fauteuils avec les cale-pieds c’est une situation mais il y a aussi tous
les autres, ceux qui sont encore mobiles, qui peuvent marcher.
Ce que je vois dans leur assise c’est ça : je suis avachie, affalée, avec les fesses au bord. Qu’est-ce que vous
voulez qu’ils fassent ? Il n’y a plus de bassin, plus d’articulations de hanche.
C : Ils se laissent glisser, ils ne sont pas confortables.
S : Oui, ils ne sont pas en appui, disponibles, prêts à s’engager dans une action comme se lever, se tourner
… Ils ne sont pas dans un processus dynamique.
Là, on est dans une position de repos, confortable, tout est aligné.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 64
Il faut savoir que la colonne vertébrale est érigée à partir du bassin.
Regardez : je me mets de profil. Si je m’assois à l’arrière de mes ischions, ces os situés à la base de mon
bassin, je roule en arrière, regardez mon dos, il s’arrondit. Si je roule à l’avant des ischions, je suis en
extension, mon dos est cambré, ma tête et mes yeux vont vers le haut. L’idée est de chercher le neutre des
ischions, cet endroit où je suis tranquille, et ma colonne le sera aussi. Vous comprenez ? Les chaines
musculaires antérieures et postérieures sont équilibrées, les épaules sont à leur place et tout va mieux.
Je trouve qu’il y a pas mal de recherches à faire avec les assises.
C : D’où l’importance d’acheter des fauteuils adaptés.
S : Je ne sais pas, je ne suis pas ergonome ni spécialiste des personnes grabataires mais je ne
suis pas favorable aux fauteuils moulés, aux coques. Ils enferment les personnes dans un
moule, dans une forme et cela fait que leur mobilité n’est plus stimulée.
Quand il n’y a plus de mouvements, la rigidité arrive au galop. On ne titille plus la vie, la respiration, les
muscles, on tire les personnes vers le bas.
Jo : Mais on est toujours mal assise.
S : Oui, mais ça se travaille, ça s’étudie et quand on trouve la position qui nous convient,
qu’est-ce qu’on est bien !
Jo : Si je m’assoie comme tu dis, ça me tire.
S : Oui, pendant un moment cela va tirer, c’est vrai. Changer les habitudes ça n’est pas
forcément confortable. Tu ne vas pas commencer au sol mais sur une chaise. Quand notre
structure est confortable, elle se relâche, les muscles se détendent. Ensuite lorsque tu
reviendras à ton habituel, ton système nerveux t’enverras des signaux et tu te rendras
compte que tu n’es pas alignée de manière adéquate.
Quand on débute un nouvel apprentissage, ce n’est pas toujours rigolo, non ?
Vous vous rappelez les gadins quand on a appris à faire du vélo ? Mais on sait le faire
maintenant.
C’est pareil pour l’assise, il faut s’exercer.
C : Pour la prochaine maison, il faudra bien choisir le mobilier.
S : Je suis d’accord pour vous aider à le choisir, il faudra le tester, en situation, une semaine
avec les résidents, pas moins.
Je suis contre tout ce qui est préformé. Pour moi, le mieux est une assise basique, un fond
plat, un adossement à peine incliné vers l’arrière et une panière remplie de supports, des
coussins de toutes tailles, des galettes, des rouleaux de densité de mousses différentes et
vous jouez avec : ça n’est pas le siège qui te rend confortable, c’est la manière dont tu utilises ce siège qui
va faire que tu te sens bien.
Il faut arrêter la dictature de l’environnement et du mobilier, inversons.
Agissons dessus, ne nous adaptons pas à eux, c’est le contraire qui est juste.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 65
C : Et puis on n’a pas tous la même morphologie, la même taille. Le canapé que je veux
acheter ne conviendra sans doute pas à mon mari qui mesure 1,80m.
S : J’aimerai bien discuter avec des designers de meubles contemporains et travailler en
atelier avec leurs objets et eux-mêmes, spécialement avec ceux qui dessinent les fauteuils de
bureau … Mais c’est un autre sujet …
J’ai plein d’histoires à raconter là-dessus. Nous avons perdu notre bon sens.
C : Je me rappelle que ma grand-mère se promenait avec son petit tabouret et elle était
partout bien positionnée.
S : Elle avait du bon sens.
C : Oui. On pense maintenant que l’on crée des choses plus adaptées, mais ça n’est pas le
cas ».
Fin.
Comme vous l’avez lu, la collecte de retours, réflexions, questions, découvertes, est
abondante.
Les supports ont été des carnets de notes prises sur le vif, des enregistrements audio de
PCM, d’ateliers, de bilans, de réunions d’équipes que j’ai transcrits, la mémoire…
J’ai distingué trois modes de recueil :
Dans cette immersion dans la structure, je me suis attachée à la fois à garder une juste
distance vis-à-vis des personnes que j’observais, personnel soignant et administratif en
action, de manière à exercer mon esprit critique, avoir la capacité de proposer d’autres
schémas, de questionner des habitudes, sans jugement ni interprétation hâtive.
J’ai souvent répété que je n’avais pas de pouvoir dans la maison, que je servais uniquement
de relais, que j’avais la possibilité de transmettre des observations qui semblaient à tous
importantes et pertinentes, dans les deux sens, de la directrice au personnel et inversement.
Je voulais être digne de confiance car les actes accomplis et les paroles reçues dans ce
contexte du monde du soin ne sont pas anodins. Être accueillie dans leur environnement
de travail, impliquait un respect mutuel.
J’ai donc échangé librement avec les aides-soignantes, dans les chambres, et aussi avec la
directrice, la secrétaire et l’adjointe des cadres, en les regardant travailler dans leurs espaces
respectifs, en questionnant leur assise, la hauteur de leur bureau, le rapport entre leurs yeux
et l’écran de l’ordinateur, les torsions et inclinaisons de leur buste, la mobilité de leur bassin
en rapport avec les articulations des hanches, par exemple.
Je pense qu’elles se sont confiées à moi de la même façon, que la qualité de nos relations
s’est améliorée sur la durée du projet.
Cette place d’observatrice/témoin et de formatrice/stagiaire non expérimentée a été
finalement un privilège, garante d’une liberté et d’une ouverture vers d’autres choix et
manières de « faire ».
15
- Moshe Feldenkrais, L’évidence en question, Paris, Editions L’inhabituel, 1997, pp. 146-147
Dans les bilans, dont j’ai placé une transcription dans l’annexe, p 85, je suis à la fois
praticienne, formatrice et chercheuse. Je me mets à leur diapason mais je garde toujours
mon esprit critique. J’ai besoin parfois de recadrer (les retards, les qualités d’écoute et de
formulation des retours).
Les résistances :
Lors de la mise en route du projet, elles se sont manifestées principalement par un
absentéisme lors des cours. Il a fallu éprouver la patience, repérer ces endroits où il
manquait des maillons dans la chaîne de l’information.
« Aller vite » dans les structures n’est pas la solution, je trouve, mais un problème. Les
informations fournies par la voie d’affichage, par exemple, ne passent pas car personne ne
prend le temps de s’arrêter pour les lire, tout simplement.
Par contre, le bouche à oreille est efficace et la transmission lors des pauses café ou
déjeuner est le meilleur médium.
Clarifier les conditions de présence pour la formation, prise ou non sur le temps de travail,
a demandé aussi de la pédagogie. Deux ou trois personnes ont assisté à des séances en
dehors du cadre du travail, pas plus.
Sur un groupe régulier de douze aides-soignantes, huit ont participé activement au projet.
Deux n’étaient pas intéressées du tout, deux autres partiellement. Je n’ai pas insisté car je
sais, de par mon expérience professionnelle, qu’une présence hostile dans un groupe
engagé dans un processus de recherches, avec un état d’esprit curieux et ludique, entrave et
perturbe ce processus. Je ne l’ai pas souhaité. Par contre j’ai remarqué, après quatre mois,
leur présence en cours, de manière sporadique certes, mais elles venaient.
Comme elles l’ont noté elles-mêmes lors de l’atelier du 18 février (cf. section II. C.), et du
bilan du 23 janvier (cf. section IV.C.), la qualité du travail en équipe s’est modifiée et le fait
que tout le monde ne soit pas au diapason les a gênées.
Les avancées :
Elles ont été repérées dans plusieurs domaines :
Dans la qualité des soins donnés (témoignage de Lu, p 80-81, dans la restitution du
bilan n°1).
Dans la qualité de la relation entre soignants et soignés.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 71
Dans une prise en compte et un ajustement du rythme général et du tonus
individuel.
Dans une prise en compte et une amélioration des gestes et postures
professionnels.
Dans un regard et une attention autre portés sur les résidents dans des soins de base
tels que la toilette en position assise et au lit, allongés sur le côté, mais aussi pour
emmener les personnes de la position couchée à assise en relevant la tête de lit.
Dans un questionnement sur le trousseau inadapté.
Dans une amélioration des relations entre les membres des équipes.
Mon autocritique :
Durant ces mois, de septembre 2013 à décembre 2014, j’ai amassé un énorme matériau afin
de constituer une banque de données dont il me semble que je ne dispose pas tout à fait du
logiciel adéquat pour traiter ces dernières, pas tout à fait et pas encore !
A chaque fin de cours, d’ateliers et bilans, dans les chambres, les couloirs et les bureaux,
dans la cour, le jardin et la cuisine, j’ai glané des informations, des réflexions, des critiques,
des souhaits, des requêtes, des demandes. Le temps passant et le filtre du temps agissant
comme un tamis, sont restées au-dessus des mailles les évidences, les méta-thèmes à traiter,
les questions essentielles, incontournables et propres au monde du soin telles que
l’interrelation, les différents types d’écoute, l’attention à soi-même, l’attention aux autres, la
bienveillance, la bientraitance, la capacité de moduler son tonus …
Ces nourritures ont enrichi ma pratique Feldenkrais et la personne que je suis, à bien des
niveaux.
J’ai beaucoup appris et je n’ai pas fini.
Je me suis entraînée au régime de l’humilité et de la patience, le tout avec une douce et
inébranlable (autant que possible !) ténacité.
Je sais qu’il me faudra du temps pour catégoriser tout cela, l’analyser.
Cela se fera ultérieurement, chemin faisant, je n’ai pas terminé mon travail à l’EHPAD.
J’ai investi ce terrain longtemps, j’ai conscience que prendre de la distance m’aidera à
réaliser vraiment et mesurer tout ce qui s’est passé.
Je suis quelqu’un du terrain, ma pratique professionnelle et mes compétences artistiques se
sont bâties sur ce socle. Je cultive en permanence l’adaptabilité, l’improvisation, l’intuition,
la prise de risques mesurés, c’est une force. Manier des outils analytiques n’est pas encore
une évidence et j’espère que cela viendra en continuant ce processus de réflexions critiques
vis-à-vis des institutions, des acteurs, des usagers et de moi-même.
Ce processus de la Prise de Conscience par le Mouvement est original dans le sens qu’il
remet en jeu une faculté primordiale dans le monde du soin : l’attention à soi-même.
En effet, si l’on l’oblitère, comment imaginer, écouter, porter attention à l’autre, en
l’occurrence la personne soignée ? Il ne reste que des routines, des protocoles de soins
désincarnés, désinvestis, des habitudes machinales.
A propos des habitudes, dans tous les contextes, lisons M. Feldenkrais :
« Nos habitudes nous servent à agir plus rapidement et avec à-propos. Mais des habitudes
utilisées à tort et à travers ou considérées comme des lois de la nature, autrement dit
comme immuables, ne font rien d’autre que témoigner du caractère opiniâtre et délibéré de
notre ignorance. La gamme des choix rendus possibles par nos ressources, nos fonctions et
nos structures est stupéfiante. Pourtant, tous ceux qui souffrent sont convaincus qu’ils sont
faits ainsi et que, comme pour leurs habitudes, ils ne peuvent rien y changer ; leurs
habitudes les rendent aveugles à toutes les alternatives qui leur sont disponibles. Les
habitudes s’utilisent si facilement et sans peine que nous préférons ne pas en changer.
Sachez qu’une grande variété d’ « habitudes » est à la portée de chacun de nous. Nous
pourrions en utiliser certaines le dimanche, d’autres les autres jours de la semaine, certaines
quand nous sommes debout et d’autres quand nous sommes couchés, et les choisir à
volonté pour chaque nouvelle situation ». 16
Comme l’expriment à plusieurs reprises les participantes lors des ateliers, « on ne sait même
plus ce que l’on fait », « je ne m’en rends pas compte », « on a tellement l’habitude … ».
16
- Moshe Feldenkrais, L’évidence en question, Paris, Editions l’inhabituel, 1997, p.148.
Le questionnement :
« Une solution évidente serait de nous préoccuper non de ce que nous faisons, mais de la manière
dont nous le faisons. C’est le « comment » qui, en tant que mode d’exploration du processus de
l’action, marque notre individualité de son sceau. Si nous observions comment nous faisons les
choses, nous trouverions peut-être d’autres façons de faire, c’est-à-dire un certain libre arbitre. Mais
sans solution de remplacement, nous n’avons plus le choix et nous aurons beau prétendre que nous
avons choisi la seule manière d’agir, notre conduite n’en aura pas moins été rendue compulsive par
le manque de choix ». 18
17
- Pierre Ancet, Le corps vécu chez la personne âgée et la personne handicapée, Paris, Editions Dunod,
2010, p.p.2-3.
18
- Moshe Feldenkrais, L’évidence en question, Paris, Editions l’inhabituel, 1997, p.11.
Le déplacement :
Ce qui m’a passionnée dans cette expérience, c’est de déplacer les sujets, de faire des
questionnées des questionneuses, qu’elles soient en capacité, ou qu’elles retrouvent cette
capacité, de prendre soin d’elles-mêmes et donc des autres, d’elles-mêmes et de leur travail.
Il s’agirait plutôt d’une réappropriation de leur contexte, envisagé différemment, autrement,
grâce à cet éclairage nouveau induit par « comment je le fais ? ». Et ceci concerne tous les
personnels, pas seulement les soignants.
L’expérience :
Je tiens à l’importance de mettre au premier plan le vécu expérientiel des soignants, les placer
dans le positionnement des soignés, leur donner à vivre les situations et les actes quotidiens
pour les amener à réinterroger les façons de les appréhender.
C’est l’objectif des ateliers.
Les ateliers constituent le noyau des modules de formation.
La problématique de la temporalité :
Elle est liée d’une part au temps nécessairement induit lorsqu’on ambitionne de modifier
les habitus dans des structures mais aussi aux évaluations à moyen et/ou long terme.
J’ai expérimenté que la temporalité du D.U ne correspond pas à celle du terrain. Il faut
beaucoup plus de temps sur le terrain pour expérimenter quoi que ce soit, la pensée étant
plus rapide que la mise en actes.
« Il faut imaginer des conditions de formation permettant l’émergence de la capacité créative – qui
est en chaque être humain- dans des cadres de formalisation repensés et s’engager dans un soutien
pédagogique fiable et sécurisant. C’est le seul moyen d’assurer la transformation des structures et,
en même temps, d’enrichir le patrimoine informationnel des soins en donnant du sens à ce qui
interfère dans la relation de soins déterminée par l’ordre médical et en créant des réponses (savoirs,
savoir- faire et savoir-être) adaptées et nécessairement évolutives ». 19
Proposition de rythme :
Le rythme qui s’est révélé le plus pertinent aux termes de cette expérience est le suivant :
- Un atelier et une séance d’observation in situ, détachée de l’atelier, pour chaque
groupe professionnel le premier mois.
19
- Marie-Annick Delomel, La toilette dévoilée, Paris, Editions Seli Arslan, 1999, 2008, p.207.
Proposition de format :
Le format que je retiens est le suivant :
- Une journée de formation pour deux groupes, un le matin, l’autre l’après-midi.
- 2h30 pour chacun.
- 2h30 est le format nécessaire pour un atelier composé de :
o une PCM de 60 mn
o un travail en binôme de 20 mn
o d’un travail in situ de 45 mn
o un temps d’échange verbal de 25 mn
- 2h est le format nécessaire pour la séance d’observation initiale
Le contenu pédagogique du D.U m’a passionné : c’est comme si d’une part je découvrais et
expérimentais la partie théorique de mon apprentissage professionnel de la méthode
Feldenkrais et des autres pratiques somatiques, et d’autre part les ponts et articulations
possibles avec le monde du soin, les mises en lien avec des publics, des structures, des
usages que je n’avais pas imaginés … Une magnifique découverte !
Dans le même temps, j’ai identifié une critique (limite ?) à ce type de projets : comment
apprécier les résultats sur la durée, le vécu expérientiel et subjectif restant central, comment
les restituer, les « acter » ?
Est-ce que je pourrais reproduire cette expérience à l’EHPAD sous l’angle des résidents et
en faire un sujet de mémoire ?
Mon choix politique est de semer des graines, métaphore naïve mais juste à mon sens, de
faire en sorte que le terreau soit propice et qu’elles puissent germer tranquillement, puis
pousser dans une structure rhizomatique chère à G. Deleuze et F. Guattari.
La rédaction de ce mémoire m’a permis de clarifier, d’adapter mes propositions pour une
approche spécifique d’une formation orientée vers ce public.
En d’autres termes il s’agit d’une interprétation personnelle de la méthode Feldenkrais
appliquée au monde du soin.
Pierre Ancet, Le corps vécu chez la personne âgée et la personne handicapée, Paris, Ed. Dunod, 2010.
Alain Berthoz, Le sens du mouvement, Paris, Ed. Odile Jacob, 1997, janvier 2013.
Arnaud Cousergue, L’esprit du geste – petite sagesse des arts martiaux, Paris, Ed.
Transboréal, 2009Marie-Annick Delomel, La toilette dévoilée, Paris, Ed. Seli Arslan, 1999,
2008.
Norman Doidge, Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau, Paris, Ed. Belfond, 2008.
Moshe Feldenkrais, Energie et bien-être par le mouvement, St-Jean-de-Braye, Ed. Dangles, 1993.
Moshe Feldenkrais, Le cas Doris, Paris, Ed. L’espace du temps présent, 1993.
Moshe Feldenkrais, L’être et la maturité du comportement, Paris, Ed. L’espace du temps présent,
1992.
Laurence Wm. Goldfarb, Articuler le changement, Paris, Ed. L’espace du temps présent, 1998.
I. Ginot, « Douceurs Somatiques », dans Cahier de repères danse, n° 32 (2013), Vitry, Ed. La
briqueterie, CDC du Val-de-marne.
Roland Jouvent, les rêveries du cerveau – émotions et technologies, Paris, Ed. Manucius, 2013.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 79
Catherine Malabou, Que faire de notre cerveau, Montrouge, Ed. Bayard, 2011.
Odile Rouquet, De la tête aux pieds, Pantin, Ed. Recherche En Mouvement, 1991.
Huit personnes.
Il s’agit du premier bilan qui clôt la phase préparatoire qui s’est déroulée de septembre à
décembre 2013 : durant ces quatre mois le personnel a suivi les cours collectifs.
Le travail d’observations dans les chambres a débuté en janvier 2014.
Lors de la transcription de ce bilan, j’avais passé une matinée à suivre l’aide-soignante Lu.
S : « Bonjour, l’objet de cette réunion c’est en fait une réunion/bilan sur vos ressentis à
propos du travail qu’on a fait ensemble.
Il y a des questions auxquelles je vais vous demander de répondre.
C’est une parole libre, on essaie juste de ne pas trop se couper, que cela soit audible, qu’on
puisse entendre mais je ne vais pas donner la parole …
La première question c’est : est-ce que pour vous ce projet est intéressant, ou pas ?
Vous prenez la question comme vous l’entendez, d’accord ?
Je rappelle la nature du projet : d’abord c’est les cours collectifs, les PCM, puis au deuxième
niveau le travail d’observation dans les chambres, ce que j’ai fait avec Lu. qui est ici et
personne d’autre pour le moment. C’est un travail où j’observe, je fais des retours, des
propositions et le troisième niveau qu’on n’a pas encore fait, puisque cela va dépendre du
matériau collecté dans les chambres, va être un atelier « Gestes et Postures », d’une durée
de deux heures, une fois par mois, et on va questionner ensemble quelles sont les postures,
les gestes, les relations, les touchers. Voilà une brève récapitulation du projet. A vous …
H : Moi je réponds oui mais il y a un mais, car j’ai du mal à venir à toutes les séances, il y a
des choses à mettre en place, je ne sais pas …
S : Tu veux dire dans l’organisation de ton travail par rapport aux cours du mercredi ?
H : Oui, le mercredi, c’est le jour des livreurs, ils ne veulent pas en démordre de leurs
horaires et les trois dernières séances – voilà …
H : Oui, oui …
S : Tu sais quoi P. ? Moi je les mettrai sur des charriots à roulettes, déjà …
On fait un tour de table ?
Alors A., en rigolant, je ne t’ai pas vue du tout, ni cette année, ni en 2013.
A : C’est-à-dire qu’avec le travail qu’on avait, on ne pouvait pas trop être disponible.
A : Oui, voilà.
P : C’est toujours pareil, tout le monde est d’accord (je prends la parole pour tout le
monde) pour dire que c’est bien, que ça peut nous apporter un plus, que ça nous
A. : Parce qu’il y a le travail, tout ce qu’il y a à préparer au niveau des résidents, ensuite la
préparation pour la messe, il y a les cours avec vous … ça fait beaucoup de choses en
même temps voyez … Est-ce qu’il faut venir pendant le temps de travail, pendant le temps
de repos ?
S : C’est exactement la question qu’ont posé R. et MF. hier : mais pourquoi les ASH ne
sont pas là, car elles aussi font des manipulations, elles emmènent les personnes aux
toilettes … et aussi les personnes de nuit, qu’il y ait une continuité, qu’elles sachent de quoi
on parle.
Ce qu’elles m’ont dit d’intéressant c’est que maintenant quand elles travaillent avec des
personnes qui ne viennent jamais au cours ça commence à poser des problèmes.
P : Oui, il y en a certaines qui sont à canaliser plus que d’autres, donc il faut les prendre en
priorité.
S : Ma réponse a été celle-ci : prenez-les par le bras et emmenez-les. Je ne peux pas agir là-
dessus, à vous de persuader les collègues de venir, qu’elles mordent à l’hameçon, qu’elles
voient l’intérêt de ce travail …
L : C’est pour ça que c’est bien de le garder dans le temps de travail comme ça il y en aura
qui viendront.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 83
S : Vous voulez mon avis ? Je trouve que c’est plus juste pour vous que cela se passe dans
votre temps de travail, n’empêche que si vraiment vous trouvez que c’est bénéfique pour
vous, c’est quand même bien que vous veniez en dehors, sur votre temps personnel.
Na : Je suis en remplacement, j’ai assisté à quelques séances, je trouve que c’est très
intéressant. Seulement le truc c’est qu’à peine on se sent bien qu’il faut reprendre tout de
suite le travail, du coup ça casse un peu l’effet …
S : Tu sais que c’est beaucoup mieux qu’avant N. Les premières fois quand tout le monde
sortait du cours c’était terrible ! C’est comme si j’avais fait une belle calligraphie au tableau
et que quelqu’un prenait une éponge et vlam, effaçait tout brutalement. Tout le monde
partait, n’attendait pas la fin, reprenait l’armure et moi j’étais là, stupéfaite et je pensais : oh
non !!!
J : C’est vrai, je me rappelle, souvent vous partiez avant la fin, les infirmières.
S : Mais ça change ! Déjà, hier, la personne qui s’occupe de la messe s’est excusée de nous
déranger et j’ai pensé, mon Dieu ! Vous voyez, il faut beaucoup de temps pour que …
H : L’évêque !
S : Juste pour dire qu’il faut du temps pour changer les habitudes. Mais ça change, je peux
témoigner qu’hier, par exemple, P. n’a pas foncé, elle a pris le temps de revenir à elle …
A : Tout va bien !
S : On est moins épuisée à la fin de la journée. Mais je suis d’accord que pour changer ça,
c’est un mode, c’est comme les appareils qu’on a, si on n’a pas le wifi, ça ne marche pas, il
faut trouver la commande et ça, ça se travaille.
L : Et les éléments aussi, selon les éléments avec qui on travaille, et bien si on n’a pas le
même caractère on est sous tension.
P : C’est lourd !
S : Cela a été intéressant pour moi à entendre hier, parce que vous voyez je ne l’avais pas
imaginé. J’essaie d’anticiper sur votre travail, je ne m’étais pas rendue compte que cela
devenait problématique.
P : En chambre, il faudrait faire des listes, pour que tout le monde tourne, que cela ne soit
pas toujours les mêmes et pas uniquement au troisième étage.
L : Moi je n’aurais pas pensé que cela soit comme ça. Donc j’ai bien fait de m’inscrire parce
que je pensais que je n’allais pas aimer.
L : Je trouvais que c’était un peu trop calme mais bon ça va, c’est bien. Et quand tu es
venue dans la chambre j’ai trouvé cela encore mieux, disons, parce qu’il y a des choses
qu’on se serait jamais permises sinon. Elle s’adresse à sa voisine : c’est à toi que j’ai raconté
pour la chaise, ça ne serait jamais venu à l’idée de quelqu’un de s’asseoir pour faire une toilette. Ce n’est
pas ce qu’on nous apprend à l’école. Je ne l’ai pas refait par contre. C’est des idées en plus.
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S : Des pistes.
L : Comme de se servir de son corps d’une façon … On n’y pense pas, voilà !
C’est bien parce que cela va durer encore toute l’année, c’est à force, c’est à force … Ce
n’est pas encore rentré … Des fois j’y pense quand j’ai mal, fais pas ci, fais pas ça, ça n’est
pas encore automatique …
S : Il faut pratiquer.
S : Continue J. alors !
J : Moi j’ai aimé mais l’année dernière je ne suis pas beaucoup venue et je le regrette. Donc
cette année je vais essayer de faire mieux. Parce qu’en plus ça me plaisait, je me sentais bien
après.
P : J. est repassée ASH à un moment donné, elle a basculé dans une autre équipe, c’est pour
cela qu’elle est moins venue, maintenant elle va revenir parmi nous.
D : Moi je suis comme J. je ne suis venue que deux fois depuis le début de l’année.
J : On va faire des efforts. Oui, c’était bénéfique, je t’avais dit que quand je m’allongeais
j’avais mal et après cette séance ça allait beaucoup mieux, j’aurais dû continuer.
S : Surtout vous qui êtes toujours en train de prendre soin des autres. Si vous ne
contrebalancez pas avec du temps pour vous, ça ne va pas. A un moment votre structure,
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votre mental, vos émotions vous disent : oh, oh, et nous ! Et je trouve que là c’est vraiment
l’occasion géniale pour vous de mettre en route ce processus.
S : Mais justement …
L : Mais tu n’as pas des moments comme ça dans ta vie privée. Tu prévois de faire du
ménage, de faire ci, de faire ça, mais ça ne s’arrête jamais.
J : En ASH … Je n’ai qu’un jour de repos, est-ce que j’ai le temps d’en prendre ? Je n’ai pas
le temps, toute la semaine, j’ai mille choses à faire …
P : C’est une question de culture aussi, on ne nous a pas inculqué cela, on n’a pas vu nos
parents le faire donc on ne le fait pas. Les générations futures je pense qu’elles le feront,
qu’elles le font plus. Déjà. Elles s’occupent plus d’elles que nous on s’est occupé de nous.
S : C’est un apprentissage.
P : Oui.
S : On peut toujours revenir dessus, on n’est pas programmés pour fonctionner comme des
bêtes de somme.
L : C’est vrai, je ne travaille pas en ce moment, je me retrouve, j’ai le temps de faire des
choses et tout mais quand je travaille et bien j’oublie beaucoup de choses, pour moi, de
m’occuper de moi.
L : Quand je travaille c’est pareil ! Il faut dire à Mme L. : une fois par an, deux mois de
vacances d’affilée …
Rires
S : Est-ce que c’est absolument nécessaire de faire tout ce que j’ai mis sur la liste avant la fin
de la journée ? On n’est pas obligés de mettre en permanence une pression sur nos épaules.
J : Pour certaines choses je dois me mettre la pression, pour d’autres c’est une obligation.
V : Moi je croyais que pour plein de choses cela n’était pas possible, je croyais que c’était
boulot, enfants, maison et aujourd’hui le samedi matin c’est le sport …
D : Je n’ai pas beaucoup participé, deux fois c’est tout, mais je vais venir.
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Lu. : Je suis venue deux fois, comme D. et j’ai énormément apprécié et je pense continuer
si jamais ça continue encore.
S : D’accord. Et toi P. ?
P : Non, j’approuve tout, mais ce qui me fait souci c’est l’organisation mais bon …
S : On va y arriver, on va y arriver … Et V. ?
V : Moi je suis convaincue depuis longtemps. J’ai une remarque à propos du format. Au
début je venais aux ateliers une fois par mois et quand j’ai participé aux cours
hebdomadaires ça me posait un problème, je mettais du temps à m’y mettre et hop c’était
fini. Mais finalement, sur la durée c’est plus bénéfique.
S : Les ateliers qu’on va démarrer en février vont être plus longs, deux heures. Je vais
donner une PCM, on va travailler sur des thématiques, le bassin, les épaules, le dos …
P : Il faudra faire une liste bien en avance, et pas des gens qui travaillent pour ces deux
heures autrement cela ne sera pas possible.
S : C’est un autre format qui permet d’entrer plus profondément dans le sujet. On peut à la
fois revenir à soi, travailler avec l’autre, faire des simulations dans des fauteuils …
P : Oui.
V : Tu pourras passer dans nos bureaux et voir comment nous sommes installées ?
H : Je fais attention, je fais attention tout le temps, oui, c’est comme ça qu’on dure. J’essaie
d’être conscient de tout, de ma fatigue…
P : Elle était déjà dans cette démarche-là A., donc c’est plus facile pour elle.
Na : Moi, dans ma vie privée oui, mais dans le boulot pas du tout. Le matin je prends le
temps de me lever en douceur, de ne pas commencer la journée pressée.
J : Déjà elle arrive en diesel ! Quand elle arrive elle me fait rire.
P : C’est électrique !
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Na : C’est débranché ! C’est ma nature. Au travail j’essaie de me stresser pour être au
diapason des autres mais j’ai du mal.
Rires
H : Si je peux dire juste un mot ? J’essaie de travailler en équilibre, pas en force, surtout
quand on est seul. Voilà, c’est juste la petite parenthèse…
S : Et L. ?
L : Au travail, ça dépend des jours. Déjà il y a notre état personnel propre et celui que l’on
trouve en arrivant. Si je suis détendue, j’arrive à me dire : fais plutôt comme-ci que comme
ça. Mais ce n’est vraiment pas tout le temps. Les autres jours j’enchaine tout, tutututututut,
comme ça. On est obligé d’enclencher, d’enclencher, ça ne viendrait pas dans ma tête que
…
S : Et à la maison ?
L : Cela dépend. Je marque, parce qu’on m’a dit qu’il fallait marquer pour pas stresser.
J : Ah ouais ?
J : Je vais essayer.
Lu : Avec toi je n’ai eu que deux séances mais j’ai travaillé avec toi dans les chambres, ça
oui, ça m’a permis d’améliorer mes relations avec les résidents qui sont complètement alités
comme Mme C. et Mme R. avec qui je ne parlais pas et depuis que j’ai fait ce travail avec
Lu : A la maison je n’ai pas trop de soucis, quand je suis au repos, je suis au repos.
J : Tout à fait.
Silence puis rires
J : Si on est avec quelqu’un de zen, ça va mieux.
L : Déjà ça apaise.
Na : Des fois il y a un climat contagieux. On a beau être calme, s’il y a des tensions c’est
difficile.
L : Oui, ça se répercute sur nous. Moi ça me contente très bien de travailler avec A., avec
D. parce que l’un dans l’autre, avec mon caractère, avec le leur et bien ça ne fait qu’un.
V, L : A toi P. !
A, D : Elle est bien plus calme que quand elle est arrivée.
P : Quand je pense à tout ce que j’ai fait, je n’en reviens pas, je me dis ce n’est pas possible,
ce n’est pas toi qui a fait tout ça. Mais c’est parce que je ne pouvais pas faire autrement
donc il fallait bien que je le fasse.
S : Mais après quand on peut faire autrement et que l’occasion se présente … Et en même
temps il faut avoir cette envie – là.
P : Tout à fait !
S : S’il n’y a pas cette envie, il n’y aura pas de réaménagement, mais si tu sens cette
nécessité, oui. Ces ajustements se font quand parfois on arrive à un mal-être profond, on
est très loin de soi, on est un peu paumé. Je trouve que ce travail – là qui nous ramène vers
nos appuis, les axes, la ligne médiane, tout ce travail autour de la structure construit en fait.
Pas simplement ici dans les cours mais si tu prends le mouvement comme métaphore de la
vie …
A : Intérieure !
V : Quand je suis à la gym, maintenant que j’ai appris à ne pas bloquer ma respiration, à
laisser les mâchoires tranquilles, laisser le mouvement suivre le long de la colonne, par
exemple quand je fais des abdos … ça me sert énormément. Et à la maison je joue avec
mon bassin. C’est génial ! Je suis plus consciente de choses bêtes, de sentir des articulations
là, là …
S : Je n’ai pas d’autres questions précises, mais je voudrai savoir si vous, vous avez des
suggestions, des propositions, des désirs à formuler.
H : Le mieux-être.
P : C’est bien beau de faire un atelier deux heures par mois mais qu’est-ce que vous
attendez ?
L : De ne pas forcer.
Na : Les transferts, il faudrait réviser tous les transferts, les effectuer dans les meilleurs
conditions possibles sans se fatiguer, des piqures de rappel.
P : Et dans les deux heures, comment ça va se passer ? Tu vas juste travailler les transferts
ou bien il y aura autre chose à côté ? Est-ce qu’il n’y aura que des manipulations ?
S : Non, je voudrai aussi questionner les qualités de toucher et aussi travailler ce qui est de
l’ordre de la relation mais la relation au sens très large, quand vous travaillez en binôme
justement, la relation avec le résident, la relation avec l’équipe. C’est un thème que j’aime
bien.
Na : Est-ce qu’on prendra des cas, par exemple quand on a des difficultés avec un résident
en particulier ?
L : Oui et en plus ça reste, ce qu’on avait fait déjà pour les tourner : de monter la jambe et
de faire la bascule comme ça, ça par contre je m’en sers, ça a tellement bien marché que …
S : Et Lu aussi, tu m’as dit que tu avais fait ce travail, de toucher, de contact, de parler …
Lu : Oui, je l’ai fait avec Mme B. et j’ai remarqué qu’elle mange beaucoup plus quand je fais
ce truc de contact, que je lui parle, que je la touche … elle mange beaucoup plus et j’ai
moins de problèmes.
S : En pratiquant, je vais retourner avec vous dans les chambres, on ne va pas lâcher ça car
pour moi c’est hyper, hyper important. A partir du moment où on renoue avec cette
relation-là, il y a beaucoup de nœuds à mon avis qui vont se défaire. Ce qu’on a vu était
tellement flagrant avec ces deux dames … Quelqu’un d’autre encore veut répondre à la
question de P., qu’est-ce que vous attendez de ces ateliers ? Alors : ne pas forcer, les
transferts dans de bonnes conditions …
Lu : Tout à fait
S : Du contrepoids ?
L : De ne pas forcer … comme quand tu nous as dit de ne pas attraper comme ça, comme
une pince, quand on l’a fait entre nous et que ça nous faisait mal mais de se servir du poids,
c’est physique et moi j’ai aimé ça.
Lu : Après c’est pas sûr que cela marche avec tout le monde, avec Mme B. par exemple …
S : C’est quelque chose que j’aimerai bien questionner dans les ateliers : les pauses. Pas
seulement les pauses décrétées par l’établissement, mais les mini-pauses que vous vous
donnez à vous-même tout au long de ces douze heures et ça c’est tout à fait possible.
Exemple : quand je peux prendre une chaise pour m’asseoir en face d’un résident pour lui
faire la toilette, je suis beaucoup plus confortable, je peux faire une pause et je suis en
action.
S : Il faut essayer ! Ce travail ne consiste pas seulement à développer la conscience que l’on a de soi en
mouvement mais aussi il titille la curiosité, et il éveille d’autres facultés …
L : Il faut le temps de le mettre en place. Avant on ne s’asseyait pas pour les faire manger et
puis quelqu’un est allé en formation, on lui a dit qu’il fallait se tenir à la même hauteur que
le résident et maintenant on est toutes assises.
L : Pour la toilette c’est pareil, tu ne lèves pas le bras, tu ne te casses pas le dos, tu les
regardes dans les yeux.
S : Une autre suggestion de R. et de MF. : échanger tout du long soit après les cours, soit
quand je suis dans les étages. S’échanger les bonnes idées de peur de les oublier, les mettre
en pratique tout de suite.
C’est bien qu’on se voie pour entendre la parole des unes et des autres, de partager nos
expériences, nos réflexions, nos questions.
Elles avaient aussi la demande : pourquoi est-ce qu’on ne filmerait pas les ateliers, ça nous
aiderait car souvent on ne sait pas ce qu’on fait. Je suis d’accord si vous avez des portables
avec des vidéos incorporées, moi je n’en ai pas.
Je me reprends : je suis d’accord, mais j’ai une réserve. On intègre quand on sent. L’image,
la représentation extérieure c’est autre chose. On peut se dire : ok, je me vois, je
comprends, ah ! Quand je fais, je suis comme ça ! Mais tant qu’on n’a pas senti dans
l’expérience que c’est comme ça qu’on est bien, le système nerveux ne va pas l’intégrer. Ce
qui importe c’est de sentir. Voir c’est autre chose, c’est un autre mode informatif, le
système nerveux a besoin de l’expérience sensorielle pour que quelque chose change.
On a tout dit ? Jusqu’à la prochaine fois ?
L : Oui ».