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DU « TECHNIQUES DU CORPS ET

MONDE DU SOIN »

Titre du mémoire
Récits d’une expérience-pilote dans une structure résidentielle de type EHPAD :
De quelle manière l’usage d’une pratique somatique, telle que la méthode Feldenkrais,
permet la construction de modules de formation adaptés aux besoins des professionnels du
monde du soin ?
Propositions de formation.

Sous la direction d’Isabelle Ginot

Tuteur du mémoire : Michel Repellin

Tutrice de stage : Florence Laurent, directrice de l’EHPAD

Mémoire pour l’obtention du D.U. Techniques du corps et monde du soin

Présenté et soutenu publiquement par Surraya Mahmood

Le 3 septembre 2014

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014


Remerciements

Ils vont :

 Aux membres du personnel de l’EHPAD de Cucuron impliqués dans le projet.

 A la directrice, Mme L., qui a pris à cœur sa fonction de tutrice de stage et a su tout
le long de cette expérience pilote singulière, m’encourager, me soutenir et s’investir
dans les recherches, doutes et questionnements partagés.

 A tous les participants et intervenants du D.U « Techniques du corps et Monde du


soin » qui ont enrichi mes connaissances, mon processus de réflexion.

 A Isabelle Gontard pour sa disponibilité, sa patience à mon égard et son intelligence


critique.

 A Odile Berge pour nos discussions structurantes qui ont aidé cette aventure vers
l’écriture.

 A Hélène Froment et Claire Vialon qui ont lu et corrigé tout ou partie ce document.

 A Fabrice Domenet pour son soutien amical continu

 A mes élèves pour leur compréhension et leur adaptation durant ses 14 mois de
formation à Paris 8.

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Table des matières
Introduction ............................................................................................................................... 4
A. Présentation de la structure .......................................................................................... 4
Le cadre ............................................................................................................................. 4

L’environnement ............................................................................................................... 4

Les missions ....................................................................................................................... 5

Organisation ...................................................................................................................... 5

Tableau synthétique .......................................................................................................... 6

B. Historique du projet ...................................................................................................... 7


Mon parcours .................................................................................................................... 7

Un long voisinage .............................................................................................................. 7

La mise en place ................................................................................................................ 8

Financements .................................................................................................................... 9

I. La co-construction de l’expérience/pilote ....................................................................... 11


A. L’objectif premier : améliorer la qualité de vie au travail des soignantes .................. 11
B. Le repérage des besoins .............................................................................................. 12
C. Les objectifs pédagogiques de la praticienne : ce que j’ai imaginé et mis en place à
l’origine, l’évolution et les adaptations nécessaires, la réalité du terrain et du contexte. . 12
D. Les réponses de la praticienne dans le cadre d’une formation................................... 13
Description de la méthode Feldenkrais ou la méthode Feldenkrais en tant que
processus dynamique, vecteur de changement et qui questionne les habitus. ............. 13

Les outils proposés : ........................................................................................................ 14

a. Les leçons de prise de conscience par le mouvement (gestion du stress) ou PCM.


14

Un exemple de séance : PCM du 23/10/2013 ......................................................... 15

b. Les observations in situ, dans les chambres des personnes soignées, un


exemple : ..................................................................................................................... 19

Observation du 07/05/2014, en compagnie de MF., aide-soignante ..................... 19

c. Les ateliers « Gestes et postures ». ..................................................................... 20

d. La séance individuelle d’intégration fonctionnelle ou IF. .................................... 20

Le 26/02/2014, en compagnie de madame H ......................................................... 20


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II. La conduite du projet ...................................................................................................... 23
A. La ressource : les observations collectées in situ – une partition mobile, non figée. . 23
Observation in situ N°1 du 06/11/2013 .................................................................. 24

Observation N°2 du 29/01/2014 ............................................................................. 27

Observation in situ N°3 du 26/02/2014 .................................................................. 30

B. Les leçons de prise de conscience par le mouvement (PCM) en vue des ateliers
« Gestes et postures ». ........................................................................................................ 32
a. Les gestes et postures des soignants dans leur travail dans les chambres. ........ 32

b. Les positions et placements induits par leurs actions envers les soignés. .......... 33

C. Les recherches communes entre les soignantes et la praticienne dans les ateliers
« Gestes et Postures » : éprouver pour comprendre. ......................................................... 33
Atelier 1 du 18 février 2014 ..................................................................................... 34

Atelier 2 du 15 avril 2014 ........................................................................................ 44

Atelier 3 du 20 mai 2014 ......................................................................................... 55

III. Les différents éléments d’évaluation .......................................................................... 67


A. La parole formelle, à l’intérieur d’un collectif, réunions d’équipe, bilans de l’action de
formation. ............................................................................................................................ 67
B. La parole individuée, dans les chambres, les séances personnalisées dans les bureaux
du personnel administratif. ................................................................................................. 68
C. Ma parole, l’expression de mes observations, de ce que je vois à ce qui pourrait être
amélioré............................................................................................................................... 68
IV. L’analyse critique de l’expérience ............................................................................... 71
V. Les formations à venir ..................................................................................................... 73
A. Mes choix au terme de cette expérience. ................................................................... 73
B. Le contenu des modules de formation........................................................................ 76
C. Formats et déclinaisons possibles ............................................................................... 76
Bibliographie............................................................................................................................ 79
Annexe ..................................................................................................................................... 81
Bilan N°1 jeudi 23 janvier 2014 ............................................................................... 81

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Introduction

A. Présentation de la structure

Le cadre
L’EHPAD « L’âge d’or » est un établissement d’hébergement pour personnes âgées
dépendantes, établissement public autonome médicalisé de la Fonction Publique
Hospitalière. Il est situé à Cucuron, village du Vaucluse de 2000 habitants, au sud du massif
du Grand Luberon.
Sa capacité d’accueil est de 51 résidents de plus de 60 ans, toutes pathologies confondues.
La structure est habilitée à recevoir les personnes bénéficiaires de l’aide sociale et /ou de
l’allocation personnalisée d’autonomie, et à dispenser des soins. Le personnel titulaire a le
statut de la Fonction Publique Hospitalière.
L’équipe administrative est composée d’une directrice, d’une assistante de direction et
d’une adjointe administrative. Le conseil d’administration est présidé par le maire de la
commune.
Une femme médecin coordonnatrice supervise les soins et préside la commission de
coordination gérontologique de l’établissement une fois par an. Elle est responsable de
l’équipe soignante et du projet de soin sous délégation de la directrice.
Les équipes soignantes, sous sa responsabilité, se composent hiérarchiquement de la façon
suivante : deux infirmières diplômées d’état (IDE), une psychologue, douze aides-
soignantes (AS). Sont présents également onze agents de service hospitalier (ASH), des
ouvriers professionnels qualifiés (OPQ) en entretien et en cuisine, une animatrice, un agent
administratif sous la responsabilité de l’adjointe des cadres.
Cet ensemble d’employés représente environ trente salariés en équivalent temps plein
(ETP).
J’ai remarqué que beaucoup d’entre eux se définissent par leur acronyme dans l’institution
et il m’a fallu du temps pour m’y reconnaitre, me familiariser avec ce vocabulaire endogène.

L’environnement
La maison est à proximité de l’église, au centre du village.
La moyenne d’âge est de 86 ans, c’est plutôt une maison du 4ème âge.
A l’origine c’était un hospice tenu par les sœurs de la congrégation de Saint-François
d’Assise. Le bâtiment principal est conçu en deux parties datant du 17ème et du 18ème siècle.
Devant il y a un espace aménagé en terrasse avec des bancs, des chaises et des tables, des
parasols l’été, sous l’ombrage d’un grand tilleul.
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De l’autre côté, en contrebas, une salle polyvalente chauffée par le sol, accueille des
activités comme la gymnastique, la zoothérapie, des activités manuelles, la messe. Les
réunions d’équipes et les pauses du personnel se déroulent là, aussi.
Un peu plus haut se trouve un pavillon avec plusieurs chambres, dédié aux personnes
mobiles.
La salle et le pavillon ont chacun une façade qui donne sur un jardin arboré.
C’est un lieu agréable, mais les bâtiments ne peuvent plus répondre aux arrêtés de sécurité,
les locaux ne sont plus adaptés.
L’écriture du projet architectural de la future maison est finie mais le terrain n’est pas acquis
et les fonds sont attendus.

Les missions
« L’action de la maison de retraite s’inscrit dans la mission d’intérêt général et d’utilité
sociale suivante : l’accueil et l’hébergement des personnes âgées en perte d’autonomie ainsi
que l’accompagnement de la maladie d’Alzheimer dans un esprit gérontologique ». (Extrait
du Projet d’Etablissement 2007-2012. L’actualisation du nouveau projet est suspendue pour
des raisons financières).
Afin d’assurer sa mission médicale, l’équipe soignante est renforcée par les médecins
libéraux, les infirmières libérales, les kinésithérapeutes choisis par les résident-e-s ou leurs
familles.

Organisation
L’organigramme ci-dessous révèle une structure hiérarchique. La directrice exerce
énormément de fonctions dans des champs d’applications très divers. Les sollicitations sont
infinies, de la décision de changer les rideaux dans les chambres des résidents au temps
dédié à rencontrer des familles, gérer les budgets, organiser les équipes … La charge est
hétéroclite, lourde, cela m’a surpris.

Directrice

Personnel Personnel soignant : Personnel affecté aux


administratif : Médecin tâches logistiques :
Adjointe des cadres coordinateur IDE, entretien locaux,
Psychologue, AS, restauration, lingerie,
Agent administratif
Libéraux médecins, services techniques,
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IDE, Kinés
Tableau synthétique
Ce tableau reprend les documents et démarches mis en place au sein de l’EHPAD dans
différents contextes.
Positionnement Relation à
Contexte usager Contexte de l'équipe
institutionnel l'environnement
Chartre des droits et
EHPAD de Cucuron libertés de la personne
Maison de retraite âgée dépendante.
Personne de confiance Réunions d'équipe
"L'Age d'Or". Vaucluse.
(code de santé publique). bimensuelles.
Etablissement sanitaire
et médico-social
Convention tripartite,
renouvelée tous les 5 Prestataires privés:
ans(en instance). pédicure, coiffeur, soins
Evaluation interne(en Dossier administratif et esthétiques, kinés,
cours). Evaluation dossier médical. médecins … à la charge
externe (novembre du résident.
2014).

Document unique:
conformément à la
législation,
l'établissement a recensé Programme d'animation
Questionnaire de
de façon exhaustive affiché avec la possibilité
satisfaction des usagers.
l'ensemble des risques de présence des familles
Règlement de
professionnels. Moins de et amis. Bénévoles pour
fonctionnement. Fiche
50 salariés: suivi par le la lecture et pour la
habitudes de vie.
service de la médecine messe. Zoothérapie.
du travail, Centre
Hospitalier
Intercommunal de
Cavaillon-Lauris.

Chartre -Fondation Conseil de vie sociale : se


Nationale de réunit au moins trois fois
Gérontologie-Ministère par an).
de l'Emploi et de la
Solidarité (1997).
Projet de vie : respect et
dignité. Ecoute de la
personne âgée.
Valorisation d'elle-même
et de son
environnement. Accueil
du résident et de sa
famille tout au long du
séjour.

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En considérant ce tableau, j’observe qu’il y a peu d’espace et de propositions dédiés aux
équipes soignantes (colonne « contexte de l’équipe »), ce qui va justifier la mise en place de
mon projet de terrain au sein de la maison.

B. Historique du projet

Mon parcours
Avant d’entamer ce récit d’expérience, je pense qu’il est utile d’indiquer brièvement mon
parcours professionnel, afin de mieux comprendre mes points de vue, nécessairement
influencés par la singularité de ma trajectoire.
Mon monde est celui de l’artistique, des arts vivants. Je suis comédienne de formation
initiale et je suis devenue artiste des Arts du Cirque puis enseignante dans ce domaine-là,
spécifiquement coach d’artistes aériens. J’ai enseigné pendant plus de trente ans des
techniques circassiennes à des publics âgés de 7 à 50 ans. J’ai un savoir des gestes et
postures autre, une grille d’observation différente.
Ces métiers me permettent d’avoir aujourd’hui une expertise affutée des organisations des
personnes dans leurs mouvements, mais pas seulement : leurs intentions et les qualités sont
tout autant, si ce n’est plus, questionnées.

Un long voisinage
En 2011, j’étais à la recherche d’un espace pour donner un cours collectif de la méthode
Feldenkrais. Par l’intermédiaire d’une élève, habitante du village, j’ai rencontré la directrice
de l’EHPAD d’alors, Mme G. Nous avons convenu qu’en échange de la mise à disposition
de la salle de loisirs, le personnel de la maison, soignant et administratif, pourrait librement
et à titre gracieux profiter de mon enseignement. Un an a passé, une personne seulement
est venue.
En 2012, la directrice a démissionné, un directeur par intérim a été nommé. Les cours ont
continué, fréquentés essentiellement par des femmes du village et des environs.
En 2013, une nouvelle directrice, Mme L. est affectée à ce poste. Nous prenons rendez-
vous, je lui parle longuement de cette méthode d’éducation somatique, la méthode
Feldenkrais. Mme L. témoigne de son intérêt et nous décidons de co-construire un projet,
dans le cadre de mon terrain requis pour le DU de Paris 8, formation permanente,
« Techniques du corps et monde du soin ».

Je pense qu’il est utile de clarifier le terme de « méthode somatique » :

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« Les méthodes somatiques sont un ensemble de pratiques corporelles qui se sont
développées depuis la fin du 19ème siècle jusqu’à nos jours, bien que le terme lui-même n’ait
été proposé que dans les années 70 pour les regrouper.
Souvent présentées à la croisée entre médecines alternatives, gymnastiques douces,
éducation, et parfois pratique artistique, le terme n’est pas employé comme dans l’usage
courant par opposition à « psychique » (comme par exemple dans l’expression
« psychosomatique »). Au contraire, ces pratiques ont en commun une pensée holistique ou
globale du corps, qui se refuse à séparer ou hiérarchiser les champs traditionnels du corps,
de l’esprit et des émotions.
Elles s’appuient avant tout sur un travail autour de la prise de conscience du corps et du
geste, à partir de techniques diverses telles que la détente, la relaxation, l’exploration par le
toucher ou le mouvement… La plupart s’appuie aussi sur des modèles pédagogiques très
différents des modèles d’apprentissage dominants dans les domaines du sport, de la
gymnastique, de la rééducation, qui valorisent l’exploration individuelle plutôt que
l’imitation d’un modèle. Ces pratiques sont ainsi accessibles à tous puisqu’elles ne visent
pas une performance spécifique. Elles sont autant d’outils permettant une meilleure
maîtrise des variations du tonus (et de la détente), de libérer la respiration, améliorer les
coordinations, défaire les tensions chroniques et plus généralement améliorer le schéma
corporel et l’image du corps. A ce titre, elles trouvent leur usage aussi bien pour des experts
du mouvement (danseurs, sportifs, et toutes professions demandant un geste virtuose) que
pour lutter contre les effets variés du stress et de la répétition (troubles musculo-
squelettiques par exemple), améliorer la qualité de mouvement de personnes en situation de
handicap (moteur, sensoriel, psychique), ou encore pour soutenir les processus
d’apprentissage en général ».1

L’objectif final de la co-construction du projet étant l’amélioration de la qualité de vie au


travail des soignants, Mme L. et moi-même avons élaboré une stratégie en trois phases :
- Analyse des demandes et des besoins
- Interventions en collectif et en individuel
- Analyse des résultats

La mise en place

1
- Sources atelier 1 « Glossaire » : extrait synthèse « Outiller son métier » : DU Corps 2, 01/2012, S.
Cartellier et E. Seyer.

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Dans un premier du temps nous choisissons de communiquer largement auprès des AS et
des ASH, autour des cours collectifs de prise de conscience par le mouvement (PCM) qui
ont lieu régulièrement une fois par semaine dans l’enceinte de la maison, la salle de loisirs.
Leur temps de pause est juste avant, et à plusieurs reprises je le partage avec elles et leur
parle en détail de cette pratique, du contenu, de ses effets. Je développe des mini-
conférences. Mes élèves présentes témoignent de leurs ressentis et expériences. Nous les
informons aussi par voie d’affichage, sur les panneaux disposés dans la maison et à
l’infirmerie, lieu-clé de la circulation des informations.
Puis j’émets le souhait de venir en observation dans les chambres, afin de créer du lien
entre les thèmes de mes cours et les besoins des aides-soignantes que j’aurais au préalable
repérés in situ, les gestes et postures professionnels.
Enfin, de ce repérage des demandes et besoins, je propose de mettre en place un atelier
mensuel pour améliorer lesdits gestes, d’en élaborer d’autres, de chercher ensemble des
stratégies pour un mieux vivre et mieux-être au travail.

Financements
L’adjointe des cadres transmet à Mme L. une information pour un prix organisé par la
Mutuelle Nationale des Hospitaliers (MNH) autour de la prévention et de la promotion de
la santé au travail 2013 – 2014. Nous montons un dossier qui ne sera pas retenu au final.
Pour faire suite au lancement de la campagne d’information de prévention des Troubles
Musculo-Squelettiques (TMS) d’octobre 2011, la directrice demande une aide à
l’Association Nationale pour la Formation permanente du personnel Hospitalier (ANFH)
ainsi qu’à la Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé Au Travail (CARSAT) pour
permettre le financement de cette formation nommée « Gestion du stress et amélioration
des gestes et postures professionnels ».
L’ANFH donne son accord. La CARSAT ne répond pas.
Mme L., argumente ce choix ainsi :
« Le directeur d’un établissement privé ou public, quel que soit son champ d’action, a la
responsabilité au travail des agents qu’il embauche. Dans un premier temps, il a l’obligation
d’avoir l’aide de la Médecine du Travail. De plus, ces dernières années, de nombreuses
réflexions se sont portées sur le stress au travail et l’ampleur des TMS, plus
particulièrement dans le secteur médico-social. Les lois de réforme de l’action sociale de
2002 et les suivantes qui les complètent, mettent un accent particulier, par le biais
d’évaluation interne et externe, sur le bien-être au travail. Le stress ressenti par les agents
travaillant auprès des personnes âgées fort dépendantes est très important. Des formations
sur les bonnes postures existent depuis longtemps, mais restent très classiques dans leur
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approche. La méthode proposée, Feldenkrais, permet de sortir des sentiers battus et
d’intégrer deux paramètres : postures et de-stress. La position prise en commun pour la
mise en place de cette formation/gestion est la complémentarité de paramètres choisis et
de l’approche faite par cette méthode : pas de gestes, ni d’actions, en opposition avec les
possibilités corporelles de chacun-e. Tout s’effectue dans la douceur et le calme, avec la
possibilité de l’utiliser dans sa vie privée. L’observation en situation permet une réponse
adaptée au résident et à l’agent. C’est du gagnant-gagnant ».
L’ANFH ayant donné son accord et ainsi validé la phase préparatoire du projet, je me mets
à l’ouvrage.

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I. La co-construction de l’expérience/pilote

A. L’objectif premier : améliorer la qualité de vie au travail des


soignantes

C’est une des priorités de la directrice. Beaucoup d’aides-soignantes souffrent des épaules,
du dos, des genoux. La prévention des TMS est un sujet important, un enjeu majeur de la
santé au travail, un enjeu humain mais aussi économique pour les structures et dont un des
indicateurs est le nombre très élevé d’arrêts maladie.
Mme L. appuie cette formation sur la circulaire n°2013-295 du 19 juillet 2013 sur les
orientations en matière de développement des compétences des personnels mentionnés à
l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la
fonction publique hospitalière.
Dans l’annexe 1 de cette circulaire, au point 4, les éléments du programme sont :
« Disposer d’outils méthodologiques pour connaître, objectiver et prévenir tout
particulièrement les risques psychosociaux, les risques chimiques, notamment cancérigènes,
mutagènes ou reprotoxiques (CMR) et neurotoxiques dont l’amiante, les troubles musculo-
squelettiques (TMS).
Gabriel Fernandez, docteur en médecine et en psychologie, médecin du travail en activité
développe le point de vue suivant :
« Au bout du compte, il me semble que les troubles musculo-squelettiques sont une
pathologie du mouvement. Justement classés dans le groupe nosologique des maladies par
hyper sollicitation liée à une répétition, je pense cependant plus précis de dire qu’ils
résultent d’un développement pathologique du geste. C’est que le geste est répétitif chaque
fois que le mouvement est amputé de ses possibilités de développement. Autrement dit, il
est répétitif lorsqu’il ne peut être suffisamment répété dans des contextes hétérogènes.
L’hyper sollicitation pathogène est alors liée au sous-développement de la répétition, sous-
développement qui plonge ses racines dans celui de l’activité professionnelle. Les
formations aux gestes et postures, pour être efficaces ont tout à gagner de partir de la
situation réelle de travail car elle est la seule source du développement des gestes ».2
Je confirme cette position.
C’est ce qu’intuitivement j’ai placé en exergue dans la construction du projet et ce qui a été
réalisé dans l’EHPAD de Cucuron.

2
- Gabriel Fernandez, Soigner le travail, Toulouse, Editions érès, 2009, pp. 227-228.

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B. Le repérage des besoins

Il s’est fait en continu, tout le long du projet, au fur et à mesure du temps passé en
observation, et sur trois points évoqués dans le paragraphe « La mise en place » : les cours
collectifs, les observations dans les chambres, les ateliers « Gestes et postures ».
a) Lors du premier contact, à l’occasion des cours collectifs autrement dit PCM, leçons
de Prise de Conscience par le Mouvement. Pour beaucoup d’entre elles, rester en
position allongées sur le dos était difficile, couchées sur le côté les jambes pliées était
très inconfortable pour l’épaule du dessous. D’autres s’endormaient très vite, ou,
agitées, peinaient à suivre la leçon.
A l’issue du cours, elles exprimaient leurs ressentis, leurs besoins, leurs attentes.
b) Dans ma fonction d’observatrice dans les chambres, j’ai pu agrandir et clarifier le
champ des observations et faire le lien entre ces douleurs et leur pratique
professionnelle. Je me posais constamment la question « d’où vient que … ? ».
Il y a eu une première phase où je m’en tenais strictement à l’observation, avec des
prises de notes, une phase d’apprivoisement. Je repérais des évidences, des manques,
des incongruités. J’écrivais mes doutes, mes questionnements, je les gardais pour
moi, j’y réfléchissais.
Puis, dans un second temps, j’ai questionné leurs façons de faire, sans aucun
jugement, je leur demandais de m’expliquer. Je leur proposais une autre possibilité
qu’elles expérimentaient. Ainsi, petit à petit, leur boîte à outils s’est agrandie, leur
savoir s’est élargi.
La troisième phase a consisté à approuver et valider les nouvelles façons de faire, à
améliorer non seulement leurs gestes et postures mais aussi à revoir des protocoles
et des usages inadaptés pour certain.e.s résident.e.s.
c) Dans les ateliers de recherches partagées « Gestes et postures » :
C’est le moment de travailler en binôme et de questionner le toucher, ses différentes
qualités, la temporalité pour soi-même et dans le contexte de la maison,
l’interrelation avec les soigné.e.s, les collègues. Mais aussi d’étudier les organisations
de l’assise, de la marche, les actions de soutenir, lever, porter, coucher, tourner,
rouler, asseoir.

C. Les objectifs pédagogiques de la praticienne : ce que j’ai imaginé


et mis en place à l’origine, l’évolution et les adaptations
nécessaires, la réalité du terrain et du contexte.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 12
J’ai eu le loisir durant l’année de voisinage précédant celle de la mise en route du projet,
d’observer les problématiques du personnel, dont, par exemple, la difficulté pour les
soignantes à venir s’allonger sur le sol en compagnie de collègues, prendre une heure pour
elle-même à 14h et laisser d’autres travailler, sans elles, pendant ce temps. Ce sentiment de
culpabilité n’était pas partagé par la secrétaire et le technicien. En faisant remonter ces
difficultés auprès de la directrice, nous avons clarifié la situation : trois cours sur les quatre
mensuels seront pris en charge par la structure et un roulement dans le planning mis en
place pour permettre à toutes d’y participer. Une notice a été apposée sur les tableaux
d’affichage. Petit à petit, l’information a cheminé et la salle s’est remplie.

J’ai beaucoup réfléchi aux outils adéquats que je pourrais développer, à ceux que je devais
abandonner, à ma manière de faire : ne pas forcer les lignes, de travailler avec les personnes
présentes, de me et de leur faire confiance. Je postulais que si ces propositions étaient
bénéfiques pour tous et toutes, soignants, résidents et personnel administratif, les
personnes réticentes y viendraient. Dans les faits, c’est ce qui s’est passé, mais j’ai appris la
patience, j’ai milité pour le non-découragement.

Il était fondamental, de mon point de vue de praticienne de la méthode Feldenkrais,


d’immerger ce public dans un bain sensori-moteur que constituent les PCM. C’était la
condition sine qua non pour questionner les habitus de mouvements et permettre
l’apprentissage, la réinitialisation d’autres schémas.
Mais au cours de l’année il s’est avéré que la temporalité et le contexte coloraient ces leçons
et les orientaient vers un intitulé tout autre, celui de « Séances de détente et de relaxation ».
J’ai aiguillé les PCM dynamiques vers les « Ateliers gestes et postures ».

D. Les réponses de la praticienne dans le cadre d’une formation

Description de la méthode Feldenkrais ou la méthode Feldenkrais en tant que


processus dynamique, vecteur de changement et qui questionne les habitus.

Le créateur de cette méthode, Moshe Feldenkrais, dans son ouvrage « Le cas Doris », la
définit ainsi :
« L’homme dans son ensemble est une unité fonctionnelle et non statique. Dans les livres
de médecine, on distingue quatre éléments essentiels : le squelette qui est relativement
inerte, la musculature, le système nerveux et le milieu, ou environnement, qui agit par
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 13
action ou par réaction. En réalité ces quatre éléments fonctionnent tous ensemble. Le
squelette ne peut rien faire intentionnellement. Ce sont les muscles qui l’entraînent en se
contractant ou se décontractant, selon des schémas différents pour écrire, bouger, nager,
etc. mais les muscles eux-mêmes sont dirigés par le système nerveux central, lequel réagit
aux sollicitations du monde extérieur. C’est l’ensemble des quatre éléments qui produit le
mouvement de la vie… Cette conception ouvre des voies thérapeutiques nouvelles et
importantes. La tendance était, jusqu’à présent – lorsqu’un trouble fonctionnel surgissait –
de s’attaquer électivement soit aux habitudes musculaires, soit à l’environnement, soit au
squelette. En réalité, c’est sur l’ensemble qu’il faut agir, sur la relation entre les quatre
éléments.
Comment ? En considérant le mouvement comme révélateur de l’ensemble de
l’organisation humaine. En effet, il n’y a qu’un seul muscle pour chaque fonction alors que
le cerveau comporte, lui, plusieurs structures superposées : lobe antérieur, hypothalamus,
thalamus, tronc cérébral … Donc, même si les sollicitations du système nerveux sont
nombreuses, elles aboutissent à un seul geste, qui révèle l’ensemble de l’organisation (cette
organisation fonctionnant, comme un ordinateur, à coups de réponses stéréotypées à des
sollicitations). En observant le mouvement et en agissant sur le mouvement, c’est tout
l’ensemble de l’organisation que l’on apprend à mieux connaître, à mieux utiliser et
éventuellement à modifier ».3
Cette dernière phrase me porte tout le long de ma pratique, elle est le support de création
des modules de formation en gestation.

Les outils proposés :

a. Les leçons de prise de conscience par le mouvement (gestion du stress) ou


PCM.
« Si vous apprenez la Prise de Conscience par le Mouvement, procédez très lentement, assez
lentement du moins pour essayer de découvrir votre propre rythme d’apprentissage, loin des
exigences de votre ambition ou du rythme, trop rapide pour vous, imposé par un tiers. Dans les
cours de la Prise de Conscience par le Mouvement, on accorde à chacun tout loisir pour assimiler
l’idée du mouvement et s’habituer à la nouveauté de la situation. Il y a suffisamment de temps pour
se percevoir soi-même, s’organiser et répéter le mouvement aussi souvent qu’on en éprouve le
besoin. Aucun sifflet, aucun métronome ne sont utilisés, aucun rythme n’est prescrit, et il n’y a là ni

3
Moshe Feldenkrais, Le cas Doris, San Francisco, Ed Harper & Row, 1977. Traduction Française : Espace
du Temps Présent, Paris, 2007, pp. 131-132.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 14


musique, ni percussion pour vous influencer. Ainsi chacun selon ses structures peut apprendre
lentement à retrouver son rythme inné ».4

Un exemple de séance : PCM du 23/10/2013

« On pourrait finalement décrire les Somatiques comme une discipline d’érudition du sentir. Dans
les diverses méthodes somatiques, cette érudition invisible porte des appellations variées
(conscience, prise de conscience, attention) qui font écho, dans l’approche des pédagogies actives, à
la participation active de l’élève à son propre apprentissage, notamment avec tous les dispositifs
d’auto-évaluation et connaissance de sa position dans un programme d’apprentissage … Il ne s’agit
pas de se « comparer aux autres, ni à un modèle à atteindre (dont on serait plus ou moins proche),
mais de percevoir changements, différences, éventuellement améliorations, et ainsi, d’établir une
échelle de valeurs basée sur sa propre expérience ».5

Cinq participants : H, technicien, V, secrétaire et 3 aides-soignantes, J, M et N.

La séance :
La leçon s’intitule : « Rouler en pressant contre le sol ».
Il va s’agir de jouer avec différents moteurs d’initiation de mouvement, au–dessus, en–dessous,
d’expérimenter les mobilités articulaires et surtout de travailler sur la qualité, ce qui va induire un
changement profond au niveau du tonus et des tissus des couches profondes de la structure et des aponévroses.
Je les prie de s’allonger sur le dos.
Je passe entre eux et leur donne des supports en mousse à placer à l’arrière de leur tête.
Deux nouvelles aides-soignantes se présentent au cours et j’explique à nouveau
l’importance de placer la tête dans le prolongement de la colonne, qu’elle ne pende pas et
qu’elle ne produise pas non plus un double menton.
J’observe que J. et M. sont inconfortables, je place des rouleaux à l’arrière de leurs genoux,
elles soupirent d’aise. Je les rassure, après le balayage initial rituel, la leçon se fera sur le
côté.
Je commence le scan, j’interroge la perception qu’il, qu’elles ont de leur corps en termes de
poids, de volume, de longueur, de largeur.

4
- Moshe Feldenkrais, L’évidence en question, Paris, Editions L’inhabituel, 1997, pp. 116-117.
5
- I. Ginot, « Douceurs Somatiques », dans Cahier de repères danse, n° 32 (2013), Vitry, Ed. La
briqueterie, CDC du Val-de-marne, p.22.

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J’utilise l’imaginaire, quelle empreinte ce corps laisserait sur une plage de sable fin, quels
sont leurs appuis.
Perçoivent-ils la chaleur qui provient du sol et peuvent-ils s’abandonner un peu plus,
comment le font- ils ?
S (moi-même) : « Roulez sur votre côté gauche, la tête posée sur votre bras gauche, les
jambes pliées plus ou moins à 90°, les genoux et les bords intérieurs des pieds se
touchent ».
Je demande si tout le monde est confortable de ce côté et si non, c’est possible de changer.
Personne ne change.
Je distribue d’autres supports à rajouter sous la tête pour les personnes qui choisissent de
ne pas poser la tête sur leur bras.
Je rappelle quelques règles d’or de la méthode Feldenkrais : faire petit, faire peu, rester dans
le confort, ça n’est pas une nécessité de tout faire, on peut se reposer à tout moment,
n’attendez pas que je vous le dise.
S : « Pendant ce cours, je suis un moulin à paroles, je propose, je questionne, j’interroge et
vous, vous vous répondez à vous-même. Si vous ne comprenez pas quelque chose faites-
moi signe et je viendrai près de vous, surtout ne cherchez pas à bien faire, à tout faire bien
et vous allez voir, ça n’est pas si facile … ».
Structure de la séance :
S : « Faites ce mouvement de référence : roulez l’ensemble de vous-même vers
l’avant puis vers l’arrière et simplement sentez comment vous le faites, c’est tout.
Nous y reviendrons à la fin de la séance.
Roulez à présent vers l’avant avec la hanche droite (D) quelques fois, puis vers
l’arrière, sentez comment cela se passe. Permettez au genou D de glisser le long du
genou gauche (G). Combinez ces 2 mouvements.
J’observe que le mouvement est petit chez tous, infime chez J. et H., saccadé chez MF.
N. qui papillonnait, les yeux ouverts, est en train de se poser.
Emmenez votre épaule D vers l’avant quelques fois, puis vers l’arrière, comment
faites-vous cela et quelles sont les autres parties de vous–même qui suivent la
proposition. Alternez.
Maintenant le mouvement est un peu plus assuré chez tous, tout le monde est vraiment là, attentif. Je crois
que J. s’est endormie.
Sentez-vous, ou pas, des saccades, des à-coups à certains endroits, et si c’est le cas
pouvez-vous ralentir, comme pour apprivoiser cette partie-là, à cet endroit-là ?
Je note que V. est tout à fait absorbée par ce qu’elle fait.

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Emmenez votre tête à rouler vers l’avant quelques fois, puis vers l’arrière, en
pensant que c’est la partie droite de votre visage qui induit le mouvement. Quelles
sont les sensations là-haut, vers les yeux, la nuque, l’épaule peut-être … Allez et
venez.
Je les invite à présent à réorganiser les mousses sous leur tête, de manière à ce qu’elles ne les gênent pas.
Les mâchoires sont-elles tenues, quid de votre respiration ?
Je remarque que le mouvement est tout petit chez presque tous, infime chez J. qui somnole puis réapparait, il
va en être ainsi pendant tout le cours.
Emmenez l’ensemble de vous-même à rouler vers l’avant et vers l’arrière en
utilisant tous les moteurs d’initiation explorés jusqu’à maintenant, hanche, épaule,
tête avec la partie D du visage et sentez comme vous le faites, est-ce que le
mouvement est proportionnellement distribué tout le long ? C’est différent par
rapport au début ? Faites une pause sur le dos. Revenez lentement, résistez, si vous
le pouvez à la tentation de vous réajuster, enlevez le surplus de support sous votre
tête et sentez ce qui émerge, quelles sont les traces laissées par ces propositions …
Oui, les paysages corporels sont différents : moins de jambes ramassées vers elles-mêmes, une respiration plus
ample chez tous, il n’y a plus de mouvements parasites (tête, yeux, mains).
Revenez sur le même côté, dans la même configuration et écoutez avant de
l’exprimer, ne vous fatiguez pas : c’est parce que vous allez presser votre hanche G
sur le sol, la hanche du dessous, avec l’intention de l’emmener vers l’avant, puis vers
l’arrière que vous allez rouler vers l’avant, puis vers l’arrière. Et vous allez vivre de
l’intérieur ces mouvements avant de les exprimer. Donc le moteur d’initiation
change, c’est la hanche du dessous. Qu’est-ce qui est différent, que sentez-vous ?
Je marche lentement, parmi eux : pour M., V., N., la proposition est claire, le mouvement est fondu, le
moelleux apparait, pour H. et J. c’est très petit, mais juste.
Faites la même chose avec l’épaule du dessous, l’épaule G, roulez vers l’avant puis
vers l’arrière et combinez les deux. Qu’est-ce que ça donne avec cette partie-là,
quelles sont les parties pressées en dessous de vous, quelle est la qualité de ces
pressions ? Si vous étiez en train de repasser un tissu précieux de cette façon, un
tissu ancien, très fragile, un voile de soie, y aurait-il des faux plis, ou pas ?
Ralentissez, ne rentrez pas dans une routine mécanique. Faites une pause, restez
dans cette position si c’est possible pour vous, vous pouvez allonger votre bras sur
le côté, la main repose sur la cuisse. Vous sentez votre dos qui respire, ou pas ?
Le climat dans la pièce a changé. Je guette l’horloge. Je n’aurai pas le temps de faire quelques variations de
l’autre côté, tant pis. Il va falloir que je parle de la nécessité de commencer vraiment à l’heure.

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Une dernière fois revenez sur le même côté et cette fois-ci, roulez la tête vers
l’avant en pressant la joue G, la tempe G, la partie G de votre front peut-être contre
le sol, puis vers l’arrière et puis alternez et cherchez cette qualité que vous avez
trouvé, ne changez pas, n’allez pas plus vite pour le moment, ne brûlez pas le tissu
en dessous de vous, pas de faux plis non plus. Laissez ça.
Je m’approche de H. : il mobilise très peu sa tête, une session sur les mâchoires sera la bienvenue, pour J.
aussi. M. a relâché des freins, N. est présente, V. aussi.
Et maintenant roulez vers l’avant, puis vers l’arrière par le côté du dessous, en
pressant le sol et comment ça se passe ? Pressez-vous de manière égale tout du
long, ou pas ? Comment s’organiser pour cela ? Combinez les deux puis laissez.
Reprenez le mouvement de référence du début du cours, roulez vers l’avant, vers
l’arrière. Et vous pensez au côté du dessous ou au côté du dessus quand vous le
faites ? C’est le même ? Qui sent une différence, faites un petit signe avec un pied,
le pied du dessus …
Revenez doucement sur le dos et observez les changements, qu’est-ce qui s’est
modifié ?
Chez tous, maintenant, les jambes, les pieds ont lâché, ça respire.
Vous allez prendre le temps de rouler par le côté pour venir vous asseoir et vous
mettre debout et, écoutez bien, ne vous précipitez pas, utilisez les appuis de vos
mains, de vos avant-bras, trouvez une façon économique et écologique pour vous
relever. Une fois debout, les yeux mi-clos ou fermés, sentez comment vous êtes
dans cette relation à la gravité, que sentez-vous de vous, des appuis de vos pieds sur
le sol, des cylindres de vos jambes, de leur longueur, du volume de votre bassin, de
votre corbeille thoracique, comment vos bras, accrochés à cette corbeille pendent,
suspendus, vous n’avez pas besoin de les tenir. Sentez le cylindre de votre cou,
comment votre tête est posée dessus, est-elle lourde, légère ? Ouvrez les yeux,
laissez la lumière parvenir jusqu’à vous, ne mettez pas en route la mise au point, le
focus, pas encore, marchez ».
Je les laisse marcher deux minutes et leur demande de s’asseoir et d’échanger quelques mots sur leurs
ressentis, s’ils en ont en envie, ça n’est pas une obligation, du tout.
J : C’est dingue, j’avais tellement mal au dos au début et maintenant ça a disparu,
comment ça se fait ?
MF : Pareil pour moi, ça m’a fait un bien fou, j’en avais drôlement besoin.
N : Je ne connaissais pas, c’est génial, ça m’a fait penser à mes cours de préparation à
l’accouchement, ce travail d’attention à soi.
V : Je me sens complètement moelleuse, c’est un délice …
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H : Il me faut du temps pour rentrer dedans mais je sens les effets, beaucoup plus zen.
Fin.

b. Les observations in situ, dans les chambres des personnes soignées, un


exemple :

Observation du 07/05/2014, en compagnie de MF., aide-soignante

La toilette au lit :
3ème étage, chambre de Mme C. et de Mme R.
Je toque à la porte, les salue toutes les trois, MF. est déjà là, elle a commencé la toilette au
lit de Mme C.
Elle pose toujours une serviette sur le corps de la personne dévêtue, « elles ont toujours
froid ».
Je remarque que toutes ne le font pas, n’ont pas cette attention.
MF. a intégré le fait de lever le lit systématiquement pour ne pas avoir à se pencher. Par
contre, quand elle veut atteindre, toucher une partie distale, elle se penche à nouveau.
Je lui suggère de faire le tour du lit pour éviter cela.

Dans l’action de déplacer Mme C. de la position « sur le dos » à « rouler sur le côté », elle
engage beaucoup d’effort dans sa poussée.
Je l’encourage à prendre par-dessous en pliant les jambes et à pousser ensuite.
Ce qu’elle fait et adopte sur le champ, « c’est plus facile ».

L’habillage :
MF. commence à habiller Mme C.
Je perçois l’inconfort de celle-ci, j’observe et je propose à MF. de relever avec la commande la
tête du lit pour cette action.
Mme C. se détend, respire plus librement. MF. reconnait que c’est plus pratique.

Le lève-malade :
Mme C. semble le craindre.
MF. prend le temps de bien placer la sangle, surtout derrière la nuque.

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Je note que mes observations précédentes ainsi que le travail en atelier porte ses fruits : j’avais insisté sur
l’importance de placer un support derrière la tête des résidents dans cette manipulation, beaucoup d’entre
eux manifestant leur insécurité, leur inquiétude.
Au moment de déposer Mme C. sur son fauteuil roulant, je vois MF. dans une position
inconfortable : d’une main elle tient et appuie sur la commande, de l’autre elle conduit avec
beaucoup d’efforts Mme C. au fond du siège. Je l’arrête. Nous cherchons une prise sur la
sangle. Rien n’est prévu à cet effet. Je repère en bas du dos, au niveau du bassin, une couture. Nous
testons : il suffit de la prendre solidement avec une main, de la tirer vers soi et Mme C. se retrouve
correctement assise au fond de son fauteuil. MF. n’a plus à forcer.
Assise, Mme C. penche très fortement sa tête vers la droite.
Je propose de trouver un support, un petit coussin, de le placer entre l’oreille et l’épaule droite et d’observer
les effets sur une semaine.
MF. me dira ce qu’il en est la prochaine fois.

c. Les ateliers « Gestes et postures ».


Je les ai structurés de la façon suivante :
- Un temps pour une PCM (leçon de prise de conscience par le mouvement)
- Un temps d’exploration du mouvement en binôme
- Un temps d’expérimentation in situ
- Un temps de retours et d’échanges

d. La séance individuelle d’intégration fonctionnelle ou IF.


Mon intention était de travailler de manière distale avec les résidents : en améliorant la
qualité des gestes des soignants, j’ai subodoré que la qualité de leur vie en serait modifiée
elle aussi. Je n’ai utilisé l’IF que deux fois, exceptionnellement, avec madame H. Voici :

Le 26/02/2014, en compagnie de madame H

Mme H. est hémiplégique de ce côté suite à une crise, elle a une tumeur inopérable au cerveau.
Je la rejoins dans sa petite chambre, après mon cours, je dispose d’un peu de temps avant
l’arrivée du goûter.
Elle m’attend, assise dans son fauteuil roulant.

J’ai choisi de ne pas m’attarder, d’être à son écoute mais aussi de jouer avec l’efficacité, terme fétiche du
personnel soignant.

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Quelle est sa demande ? Elle répond qu’elle aurait préféré perdre un bras plutôt que sa
mobilité, être dépendante l’ennuie, l’encombre. Elle aimerait bien améliorer l’état de sa
main et de son bras gauche.

Je prends sa main, puis son bras tout doucement, je les touche.


J’observe qu’elle les regarde comme s’ils lui étaient étrangers, cela me trouble.
Je les repose sur elle.

Puis je prends sa main droite et je l’amène à toucher, presser gentiment l’autre main, l’autre bras.

Pause.
Je lui demande comment elle pourrait s’organiser avec cette main pour mobiliser sa
partenaire à gauche.
Elle me regarde, ne comprend pas.

Je répète et en même temps je prends à nouveau sa main droite que je place sous le coude gauche que je
soutiens et ensemble nous emmenons son bras droit dans des directions différentes, sur le côté, vers l’avant,
l’arrière, en haut, en bas.

Tout d’abord Mme H. est incrédule, elle semble ne pas y croire, ce qui me surprend.
Je continue, je la rassure.
Pause.
Elle est enchantée, elle rit, bafouille.

Elle n’y avait pas pensé.

Je lui demande de jouer avec ça jusqu’à notre prochaine rencontre.


Qu’elle stimule de cette façon son côté gauche.
Le goûter est là, je prends congé. Je suis émue par ce qui s’est passé. J’ai senti que Mme H
n’a pas été touchée avec cette qualité de douceur et d’attention depuis longtemps. J’ai fait
peu, très petit et ce qui s’est produit a été puissant. J’ai perçu son attente et sa demande de
communication tactile.
Peu après cette séance, j’ai pris connaissance de la notion de désafférentation en lisant
Pierre Ancet : « La désafférentation : la perception que nous avons de notre corps et sa
représentation mentale sont nourries sans arrêt par les mouvements, les contacts, les
pressions que nous ressentons, en fait toute l’information proprioceptive. Ces informations
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sont envoyées au cerveau via les systèmes nerveux afférents. Quand nous ne pouvons plus
bouger, le cerveau perd toute une partie de cette information, de cette stimulation et cela
crée une forme de « silence » dans la zone cérébrale où est représentée l’image du corps, sur
la base de laquelle nous construisons une certaine conscience de celui-ci. Certaines lésions
cérébrales nous enseignent l’importance de cette représentation et de ce ressenti dans la
coordination des mouvements et des actions passant par le corps, et par voie de
conséquence en partie dans la conscience de soi ». 6

A mon sens, la stimulation sensorielle est un champ de recherche à investir et à appliquer


dans les EHPAD afin d’améliorer la qualité de vie des résidents. Il y a beaucoup à faire. Je
décide de contribuer humblement à cette recherche, cette utopie – qui en est une pour le
moment.

6
- Pierre Ancet, Le corps vécu chez la personne âgée et la personne handicapée, Paris, Editions Dunod,
2010, p.52.

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II. La conduite du projet

A. La ressource : les observations collectées in situ – une partition


mobile, non figée.

Je veux revenir sur ce qui a motivé cette proposition de suivre les aides-soignantes dans les
chambres le matin mais aussi expliciter ma posture au sein de la maison.
Durant les cours de prise de conscience par le mouvement, j’ai été surprise de la façon dont
les soignantes vivaient et traversaient cet enseignement. Beaucoup d’entre elles arrivaient
exténuées à 14h, mal en point. La plupart des PCM débutant en position allongée, elles
étaient inconfortables, le contact avec le sol était douloureux malgré les tapis mousse.
Principalement les contacts à l’arrière du bassin, du dos et des épaules. Elles étaient dans un
état d’épuisement, de stress qui se manifestait soit par une agitation qui s’estompait
progressivement, soit par un sommeil superficiel ou profond.
Cet état de corps changeait au fil de la leçon et lorsqu’elles se relevaient, elles se sentaient
différentes, plus légères, apaisées, ce qui les déroutait beaucoup.
C’est à ce moment-là que je me suis interrogée sur cette notion de souffrance au travail.
Je me devais de connaitre leur contexte, d’appréhender leur connaissance des postures et
leur pratique de gestes professionnels pour les confronter à mon savoir.
Intuitivement, en les observant s’organiser pour exprimer tel ou tel mouvement sur le sol,
je me disais que l’outil qu’est cette pratique somatique Feldenkrais, pourrait grandement améliorer
l’usage qu’elles faisaient d’elles-mêmes, là, à cet instant, mais aussi et surtout dans l’exercice
de leur métier : cet usage était inadéquat.
Je leur ai donc proposé de les accompagner dans les étages, le matin, pour les levers, les
toilettes et l’habillage. Elles ont tout de suite accepté.

Avant de présenter quelques-unes de ces observations in situ, j’ai tenu également à clarifier
ma posture, ou position, dans la maison. Je suis une praticienne mais étudiante, stagiaire,
ignorante de leurs savoirs et du monde du soin dans lequel elles évoluent.
A l’instar de Gabriel Fernandez : « […] je me mêle du travail, jusqu’à tenter de le faire à la
place de mon patient, avec la quasi-certitude de la maladresse, celle dont fait preuve tout
nouvel arrivant dans un milieu de travail. Tout en sachant que cette maladresse, loin d’être
un handicap, peut s’avérer d’une grande efficacité dans cette situation, car le contraste avec

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 23


ce que fait ordinairement le travailleur à ce poste fait revivre en lui ses automatismes
qu’avec le temps il avait fini par réduire à de simples réactions machinales ».7

Observation in situ N°1 du 06/11/2013

« Bien plus que leurs qualités individuelles, c’est la qualité de la coopération entre les soignantes qui
est garante de leur humanité. Cette coopération ne s’instaure toutefois que sous certaines
conditions. Elle exige du temps. Dans le travail effectif, il s’agit, par exemple, d’être en mesure
d’aller à deux, au lieu d’une, s’occuper d’un patient qui suscite l’irritation ou le dégoût. Mais aussi, et
c’est primordial, du temps pour parler entre collègues : pour rompre l’isolement et surmonter le
ressentiment ou l’ambivalence. Pas besoin pour cela de psychologue, l’équipe se suffit à elle-même.
Les soignantes consacrent un temps non négligeable à discuter entre elles, de préférence autour
d’une tasse de café. Ces moments de convivialité sont nécessaires à la cohésion de l’équipe et à la
qualité du travail comme à la bonne santé mentale des personnels, mais tendent à disparaître dès
que le travail s’intensifie. Durant ces discussions informelles, les soignantes échangent des
informations précieuses pour le suivi du travail, mais aussi l’expression de leurs divers sentiments :
doute, inquiétude, impuissance, attirance ou dégoût. […]Cette activité spécifique doit être
interprétée dans le registre des stratégies collectives de défense ». 8

J’arrive à la pause prévue pour l’équipe avec qui je dois collaborer.


Il fait beau, nous nous installons à l’extérieur, au soleil.
Il y a là C., l’infirmière en chef, L. et R., jeunes aides-soignantes, F. qui est AMP (aide-
médico-psychologue), il est en stage dans la maison où il a déjà travaillé.
Je propose à C. de me présenter ainsi que le cadre de mon travail, c’est à dire mon statut de
stagiaire et mon projet de terrain dans l’EHPAD en vue de l’obtention d’un Diplôme
Universitaire à Paris 8.
Je leur dis que je préfère les accompagner pour les levers et pas tout de suite pour les
toilettes.
Je ne connais pas ce public de personnes du 4ème âge, je souhaite démarrer en douceur.
C. fait un bilan des actes qui ont été déjà faits, avec qui et à quel étage.
Nous décidons que je débute avec F. pour un premier lever et que je continuerai avec L.

1/ 2ème étage, lever de Mme R.

7
- Gabriel Fernandez, Soigner le travail, Toulouse, Editions érès, 2009, p.79.
8
- P. Molinier, « Ambivalence du travail de soin », dans Sciences Humaines, no 200 (2009), Auxerre,
p.75.

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F. est un homme jeune, jovial, énergique, il parle très fort.
Il salue Mme R. et me présente, je la salue à mon tour.
Je ne trouve pas de chaise où m’asseoir, un endroit où je pourrais être un témoin qui ne dérange pas, je reste
debout et je vais me trouver plusieurs fois sur son chemin. Je note que la prochaine fois j’apporterai un
tabouret pliant.
Je demande à F. l’âge de cette dame et depuis quand elle est ici. Il ne le sait pas.
Elle semble inquiète, ses yeux roulent, sans accroche, elle est désorientée.
F. lui parle, elle ne lui répond pas directement, elle profère des mots incompréhensibles.
Il me parle de son statut de stagiaire, nous échangeons.
Je souris à Mme R. Elle me paraît étrangère à elle-même.
F. lui présente des vêtements, lui demande si cela lui convient.
Il guette les signes sur son visage, il questionne et répond en fonction de ce qu’il perçoit.
Il la coiffe, gentiment.
Le transfert de couchée à assise dans le fauteuil roulant se fait rapidement, F. est costaud.
Il la sort de sa chambre, la conduit dans le salon où d’autres résidents regardent la
télévision.

Nous nous dirigeons à présent vers la chambre de Mme P. Elle dort, F. décide de la laisser
se reposer.
Il a fini les levers, c’est au tour des toilettes. Il m’accompagne pour me confier à L., elle n’a
pas terminé, elle est toujours avec son résident.
Je décide que bon ! Allons-y pour les toilettes, je continue avec F.

2/ 2ème étage, toilette de Mme P.


Les présentations à nouveau, et à nouveau je cherche ma place, je suis à l’arrière de Mme P., sur
le parcours de F., du lit à la salle de bain et j’aimerai me rapetisser.
Je vais la saluer en me plaçant devant elle mais je ne me sens pas de rester là, je tiens à
respecter son intimité, je reviens au niveau de la porte d’entrée. L’autre dame, Mme L., me
regarde longuement, je lui réponds avec les yeux, des sourires. Elle m’observera très
souvent.
F., de sa voix forte, tonique, engage Mme P. à changer de position dans le lit. Elle est
entourée de deux boudins en caoutchouc, tournée vers la gauche, en direction du mur, sa
main gauche s’agrippe au barreau, elle est agitée. Pendant tout le début de la toilette, allongée dans ce lit, ce
réflexe d’agrippement va être très fort puis s’estomper progressivement, tout comme ses mouvements
désordonnés. F. va beaucoup lui parler, l’encourager, blaguer.

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Mme P. répond, sourit timidement, elle est consciente, contente, il me semble, que l’on
s’occupe d’elle, elle coopère même si ses réflexes la contraignent, elle est de bonne volonté.
F. tout en allant et venant du chariot près du lit, où une bassine et des gants sont posés, à la
salle de bain, me raconte son parcours avec les enfants autistes avec qui il travaille dans une
structure privée, et la différence avec les résidents de la maison. Nous parlons à propos de la
reprise d’études, de la fatigue physique et psychologique ; je suis un peu gênée de bavarder ainsi devant ces
dames, mais F. est très attentif à ce qu’il fait, il est attentionné, j’ai l’impression que Mme P.
nous écoute.
Elle crie faiblement lorsqu’il bouge ses jambes, elle les ramène constamment croisées, ses
pieds sont déformés, elle a mal. Il lui demande plusieurs fois de les laisser tranquilles. Il
observe qu’elle s’est grattée, elle a des marques dans le dos. Il applique une crème dessus.
Vient la toilette intime, je sens l’embarras revenir, une pudeur dont je ne sais que faire. F.
est à l’aise, il lui sourit, la rassure : « c’est bientôt fini ! ».
Je me rends compte que je suis dans un transfert, que je m’imagine, vieillissante à la place de cette dame, en
ce même moment, et je me demande si je ne préfèrerais pas qu’une femme me lave … C’est une question,
qui fait écho à une situation personnelle que je viens de vivre : ma propre mère, très malade, refusant la
douche depuis des mois, ce que personne autour d’elle ne comprenait, obstinée, butée, incapable de formuler
un désir pourtant plein de bon sens : « Je ne veux pas montrer mon corps décrépi et dont j’ai honte à des
infirmiers, des jeunes hommes ! ». Il m’a fallu discuter longuement avec elle pour qu’elle l’exprime. Le
cabinet d’infirmiers a engagé une femme et le « problème » a été réglé illico.
F. lui présente des vêtements, je note qu’il les choisit avec goût. Elle acquiesce, il l’habille.
Elle est menue, il la porte dans son fauteuil. Il lui présente de l’eau de Cologne, badine avec
elle, elle est ravie. Il brosse ses cheveux.
Mme P. est détendue, le contraste entre le début et la fin de la toilette est saisissant.
F. l’emmène, en route pour le salon.
Au moment de la confier à une collègue pour la conduire au rez-de-chaussée, il se rend
compte qu’il a oublié la ceinture de contention qui va prévenir le risque de chute du
fauteuil. Tous deux s’affairent autour d’elle, elle est passive, objet de leurs soins.

Dans cette première observation je cherche ma place dans l’espace et dans ma toute nouvelle fonction. Je
prends des notes et mes questions sont relatives à l’identité des personnes. Je m’immerge dans le contexte, je
découvre les chambres, les ambiances, le rythme du travail. J’observe les chassés croisés entre les soignants, les
collaborations et les soutiens. Je suis aussi confrontée à mes représentations de la vieillesse, de la maladie, de
la démence.

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Observation N°2 du 29/01/2014

« Les Chinois n’ont pas un terme pour dire « corps » sans qualifier ce qu’il perçoit/agit car ils
pensent le monde en terme de processus, de dynamiques, alors que nous le pensons en terme
d’essences ou d’objets qui composent un monde. Et notre « corps » [physiologique], devient alors un objet
(comme souvent dans le champ médical) alors qu’il est la concrétion, la sédimentation de gestes
opérés dans la relation ». 9

P., infirmière, la directrice, les aides-soignantes et moi-même, avons bavardé avec celles qui
travaillaient ce jour-là et qui souhaitaient ma présence auprès d’elles. Elles semblent
contentes de l’intérêt que je porte à leur travail.
Mon intention est de les observer, toutes, en action mais aussi de rencontrer des résidents différents à chaque
séance.

1/J’accompagne MF. chez Mme H., au second étage.


MF. a eu des problèmes de santé importants. Elle a souvent mal au dos et de partout.
Elle a suivi plusieurs cours collectifs de la méthode Feldenkrais dans la salle de loisirs de la
maison et elle apprécie, cela lui fait beaucoup de bien, dit-elle.
Je rappelle que Mme H. a une tumeur cérébrale qui ne peut pas être opérée, elle est hémiplégique.
Nous entrons, MF. me présente, je salue et complète cette présentation. Cette dame
connait la méthode Feldenkraïs, elle en a entendu parler.
La chambre est minuscule, je ne peux pas m’asseoir, Mme H. s’en inquiète, je la rassure.
C’est une personne instruite, calme, sensée. Les murs sont couverts de tableaux, des
reproductions de Gustav Klimt, elle me détaille longuement l’une d’elle, il y aussi des
aquarelles d’un peintre Provençal dont elle me parle avec admiration.
Elle a beaucoup d’humour sur elle-même et les situations : quand MF. retire le drap du
dessus et la couverture elle s’exclame « on dévoile tout ! ».
MF. se place derrière elle pour la lever, Mme H. pousse un petit cri, MF. s’excuse et je note
dans mon carnet que l’organisation de MF. est à revoir. Je comprends une des raisons de son mal de dos.
Elle la place dans un fauteuil roulant qu’elle dirige vers la salle de bain.
Puis, du fauteuil elle l’engage à se mettre debout, elle l’aide, et de là vers la position assise
sur les toilettes.

9
- Christine Roquet, Encore le corps ?, Notes de séminaire, Université Paris 8, 2013.

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Ce mode opératoire d’asseoir les personnes sur le siège des toilettes, de les laisser dans cette position pour les
laver est très utilisé.
Certaines soignantes, les besoins faits, proposent une serviette et les recouvrent, d’autres non.
Mme H., elle, demande sa robe de chambre.
La porte de la salle de bain reste ouverte.
Pendant la toilette je me tiens en retrait, discrète, j’écoute, parfois je sors la tête pour observer quelques
instants et je retourne.
MF. tient ses jambes bien raides quand elle tourne autour de Mme H. pour la laver, quand elle se penche
elle engage ses épaules et son buste en bloc, le bassin n’est pas mobilisé.
Elle pourrait s’asseoir face à elle, l’espace est petit, il faudrait un tabouret pliable.
MF. parle tout le temps, elle annonce ce qu’elle va faire, la rassure en permanence.
Mme H. est menue, frêle. Elle accueille le rituel du déodorant avec ces mots : « Ah ! Mon
petit frisson du matin ! ».
Elle guette des instants de gaieté, de blague partagée, elle est vraiment dans une interrelation
avec le personnel, quel qu’il soit.
Après l’avoir habillée, elle est coquette, elle sait ce qu’elle veut, MF. dispose sur la table
roulante ses produits de beauté, sa brosse à dent avec un verre d’eau et une bassine, et nous
la laissons.
Dans le couloir, je fais part à MF. de mes observations concernant son organisation, son schéma corporel.
Je lui montre, lui démontre, lui explique l’utilité de mobiliser son bassin quand elle se penche en avant. Je
lui demande d’avoir la sensation de basculer les fesses en arrière, et d’écarter un peu plus les pieds. Je lui
donne une séance d’intégration fonctionnelle express de cinq minutes dans le couloir, à laquelle une
infirmière qui passait par là assiste avec intérêt.

2/En visite chez Mme B, avec R.


Elle me prévient que ça va être difficile : cette dame souffre de la maladie d’Alzheimer, à un stade avancé,
elle est très agressive.
La chambre est à l’étage au-dessus, au 3ème, celui des personnes grabataires et très malades.
Elle frappe à la porte, nous entrons.
Mme B. est seule dans la chambre, sa voisine est déjà descendue au rez-de-chaussée.
R. me présente, je complète avec quelques paroles courtoises.
Dès notre arrivée Mme B. s’agite, elle se contracte pour s’asseoir, ce qui n’est pas possible
car il y a un grand boudin à air pour soulever ses jambes, alléger le poids sur les talons qui
sont bandés, elle a deux escarres.
R. lui parle fort, Mme B. aussi. Elle est très confuse.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 28


Tout en lui parlant R. s’affaire autour du lit, la prise du matelas à air gêne, le fil n’est pas
assez long. Elle dégage la literie, va préparer le nécessaire pour la toilette dans la salle de
bain. Ici il y a davantage d’espace.
Mme B. n’arrête pas de parler, de fabuler.
J’écoute : il y a plusieurs histoires croisées, des névroses. Elle est très angoissée.
Je m’approche d’elle, touche doucement son avant-bras et reste là. Elle se calme une minute pas plus et elle
repart. Elle parle d’une somme d’argent qu’on lui demande. Je décide d’aller dans son sens et nous
arrivons à dialoguer un tout petit moment, puis à nouveau les peurs et les terreurs la submergent,
parfois c’est tout à fait incohérent, un délire.
R revient, nous discutons ensemble de ce qui se passe.
« C’est éprouvant à la fois de vivre et de subir ça, d’être démunie face à ce comportement, et en même temps
de la soigner, la laver, la vêtir. Il faudrait au moins être deux ».
R. me rappelle que Mme B. a perdu treize kilos en quelques semaines.
J’entrevois une des raisons : son système nerveux est en alerte de façon permanente, jamais de trêve, de
pause, il est en suractivité.
A un moment donné, Mme B. nous dit à toutes les deux qu’elle a envie de nous frapper,
elle est traversée par des pulsions qui l’effraient.
A un autre, elle a des hallucinations, elle touche R. et lui demande si elle est vraie.
Je pointe ce qui vient de se passer, R. l’admet, c’est nouveau, son état empire.
Une heure et quart ont été nécessaires pour son lever et la toilette. Elle est un peu plus
calme.
R. l’emmène dans le salon de l’étage, face à la fenêtre et au mur : si elle voit des gens elle ne peut
pas se calmer, elle ne s’arrête jamais.
Je lui propose d’allumer la radio et de choisir une musique qui pourrait l’apaiser.
J’informe R. que je vais partager mes observations à l’infirmière et à la directrice.
Je lui conseille, avec des résidents en proie à des angoisses, d’aller dans leur sens, de consolider et d’étayer
leurs histoires, de noter à quel moment le ballon peut dégonfler, s’il se dégonfle.
Je lui dis de ne pas gérer seule une pareille situation, mais de s’organiser entre soignantes pour partager cela
à deux.
En fait je valide les intuitions et pressentiments que les deux infirmières ont à propos de madame B.
De manière confidentielle et avec toutes les précautions nécessaires, dans ma situation de
stagiaire, je donne mon opinion à Mme L. sur ce cas : cette femme s’épuise.
Je clarifie : dans le cas de Mme B, on m’a demandé (les deux infirmières) d’observer puis de
donner mon opinion. Ce que je fais en tant que conseillère et non comme prescriptrice.
Mme L. me rassure.
Elle m’envoie un mail le lendemain, le médecin a prescrit un nouveau traitement.
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Une semaine plus tard je croise l’infirmière et lui demande des nouvelles de Mme B., elle
sourit et me dit d’aller la voir, elle est méconnaissable, le traitement a agi, elle dort à
nouveau, se nourrit, c’est une autre personne. Par contre le personnel est vigilant, son état
est instable malgré tout, il faut adapter la médication en fonction de cela.
Avec du recul, je conviens que je dois faire attention à me placer justement au carrefour des autoroutes de la
maison : être au bon endroit, assumer ma fonction, ne pas en endosser d’autres, garder cette souplesse et cette
grande liberté de praticienne et formatrice en éducation somatique.
Dans cette observation, je suis plus active, j’observe et je fais des propositions. Je n’impose rien.
En questionnant l’organisation de MF. je pointe un habitus, une façon de se mouvoir de manière
mécanique et nous cherchons ensemble des mouvements plus appropriés. Je l’invite à expérimenter dans le
moment présent, en situation, d’autres chemins congruents pour elle, je lui fait prendre conscience de la
manière dont elle fait tel ou tel geste professionnel, dont elle adopte telle ou telle posture pour en chercher
d’autres où l’ensemble d’elle-même sera engagé dans ces mouvements fonctionnels.

Observation in situ N°3 du 26/02/2014

En compagnie d’A., AS.


1/J’arrive à la fin de la toilette de Mme R. que j’ai déjà rencontrée avec le stagiaire F.
Je la trouve plus calme et je me souviens avoir entendu, lors de la dernière réunion
d’équipe, qu’elle reçoit un antidépresseur.
A. me dit que l’humeur des patients dépend beaucoup de celle des agents.
Nous continuons, elle pousse la porte de Mme N., m’informe de son état : Alzheimer très
avancé.
Elle dit qu’elle s’en occupe toujours en dernier car il faut prendre son temps avec elle sinon ça ne va
pas.
La toilette va se faire au lit.
Rituel de présentation. Mme N. me sourit.
La chambre est assez grande, quoique vétuste. Je le dis à A. qui répond qu’elle se sent bien
dans cette maison, elle a une âme. Elle a fait des formations dans des établissements
flambant neufs mais elle préfère ce lieu.
Elle prépare Mme N. pour la toilette au lit, elle repousse la literie, le boudin à air placé sous
les genoux. Elle rouspète contre le cache-barrière pas pratique mais nécessaire car Mme N.,
sans cela, glisse ses jambes à travers les barreaux.
A. lui parle doucement, sa voix est agréable, elle est compatissante, juste, elle n’en fait pas trop
non plus.

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Elle va chercher un gant de toilette. Ses gestes sont doux et lents, elle bavarde, stimule,
questionne Mme N. qui répond de manière, à mon sens, inintelligible mais de temps en
temps une phrase surgit, une réponse sensée.
A. est à l’aise, elle communique vraiment avec cette résidente.
Je vais lui parler de ça la prochaine fois, de la relation qu’elle établit avec les personnes qu’elle soigne.
Elle l’avertit : « je vais faire la toilette intime maintenant ».
Il y a beaucoup de passage de la position sur le dos à sur le côté, Mme N. proteste un peu à chaque fois.
Elle s’agrippe avec une main à un barreau. Je remarque que l’épaule du dessous est très en avant,
Mme N. ne doit pas être confortable, en déséquilibre vers l’arrière elle doit s’accrocher
d’autant plus pour ne pas revenir sur le dos. Je suggère de ramener cette épaule dans l’axe de l’épaule
du dessus, c’est beaucoup mieux.
Nous échangeons sur nos lieux de vie. A. habite le village. Elle ne voudrait pas travailler
dans un hôpital. Ce qui lui plaît ici c’est la stabilité, suivre les personnes dans la durée, faire de
son mieux pour améliorer leur état. Je lui demande si elle n’est pas touchée par la
détérioration progressive de leur état. Elle me répond par la négative. Elle fait de son
mieux. Ce qui la révolte par contre ce sont les collègues qui ne le font pas (de leur mieux).
Elle m’explique que les résidents avec Alzheimer répondent plus à leur prénom qu’à leur
nom.
D’habitude on ne s’adresse pas aux personnes par leur prénom. Je rétorque que je n’ai pas
de problème avec ça, qu’au contraire, en ce qui me concerne, je préfère qu’on m’appelle par
mon prénom, c’est moins impersonnel, que les protocoles ne font pas loi,
systématiquement. Elle rigole, elle est d’accord.
La toilette est finie.
Vient l’habillage.
Je remarque que le lit est resté tout le temps surélevé. A. m’explique que c’est plus pratique
pour elle, elle garde Mme N. à sa hauteur quand elle l’assoit sur le lit et de là, la porte, la
pivote, puis l’assoit dans le fauteuil.
Je note que du coup cette personne n’a le ressenti des appuis de ses pieds uniquement qu’assise dans son
fauteuil, elle ne tient pas debout, ne marche plus.
Mme N. chantonne, A. l’encourage.
Un nuage de parfum vers son cou, ses oreilles …
Nous partons.

Dans ce temps partagé, des observations très intéressantes ont apparu :

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 A propos d’un savoir-faire inadapté pour la personne soignée dans la situation d’être allongée sur
le côté pendant la toilette de l’arrière d’elle-même, les épaules non alignées en instabilité et
déséquilibre ce qui conduit à un sentiment d’insécurité doublé de fortes contractions musculaires.
 A propos d’un mode opératoire qui omet complètement la notion d’appuis des soigné.e.s, notion
élémentaire pour la posture érigée qu’il est fondamental de stimuler à cette étape de la vie.
 A propos de « soigner son travail » : A. n’est pas dans la simple exécution de ses tâches, elle est
compatissante, à l’écoute, elle a développé une qualité relationnelle spécifique, proche et attentive.

Je décide d’orienter mes futurs ateliers vers ces questions-là.

B. Les leçons de prise de conscience par le mouvement (PCM) en


vue des ateliers « Gestes et postures ».

Moshe Feldenkrais définit ainsi la séance individuelle (IF) et la PCM : « Pratiquement,


j’utilise deux techniques. L’une est « l’intégration fonctionnelle », c’est-à-dire la
manipulation individuelle sans recours à la parole, ou presque. L’autre, intitulée précisément
« la conscience par le mouvement » utilise la parole et se pratique en groupes assez vastes et
d’âges variés. Les deux techniques améliorent la conscience de soi et ont pour conséquence
une meilleure façon de vivre. Elles enseignent à utiliser méthodiquement nos facultés au
lieu d’abandonner au hasard leur connaissance et leur usage ».10

J’ai sélectionné les thèmes des PCM en fonction de mes observations concernant:

a. Les gestes et postures des soignants dans leur travail dans les chambres.

Le premier atelier, je l’ai dédié au toucher.


J’ai décidé de reprendre La PCM du 23/10/2013, décrite plus haut (cf. section II.D.). La
leçon est semblable mais la façon dont je la mène est différente.
Il s’agit d’un mouvement simple, celui de rouler vers l’avant et vers l’arrière en portant son
attention sur différents moteurs d’initiation, sur le côté du dessus, sur le côté du dessous.
Une leçon parfaite à mon sens pour questionner la qualité du mouvement, l’écoute à soi-
même, la façon dont on s’organise, le rythme, tout un travail d’éveil de la sensorialité.
Le second atelier était plus dynamique.

10
- Moshe Feldenkrais, Le cas Doris, Paris, Edition L’espace du temps présent, 1993, p. 133.

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La PCM proposée était complexe dans les propositions d’orientations dans l’espace, de
coordination, de timing (ajustement du rythme à cette coordination) : il s’agissait, en
position allongée sur le côté de lever la jambe de manière alternée par les orteils, par les
talons.
Délibérément, j’ai choisi deux leçons dans cette position de départ, couchée sur le côté, car
beaucoup d’entre elles souffraient à plat dos sur les tapis.
Elles ont pu le faire au troisième atelier, pour la leçon du « Trépied », à propos des appuis
du pied, de l’équilibre, de la stabilité.

b. Les positions et placements induits par leurs actions envers les soignés.

Dans l’observation in situ n°3, j’avais repéré ce non-sens de placer les personnes pour la
toilette au lit sur le côté, les épaules et le bassin non alignés dans l’axe, ce qui induisait un
déséquilibre et une insécurité qui se manifestait par un agrippement très fort de leurs mains
à la barrière du lit, une respiration contrariée, un inconfort certain au vu de leurs soupirs et
mimiques. La PCM du second atelier du 15 avril (cf. section II.C.) leur a permis d’éprouver
elles-mêmes l’importance d’un alignement organique pour être à l’aise.
Le troisième atelier a remis en questions les habitudes concernant les assises, mis l’accent
sur l’organisation du bassin dont elles ignoraient le rôle majeur dans cette position.

C. Les recherches communes entre les soignantes et la praticienne


dans les ateliers « Gestes et Postures » : éprouver pour
comprendre.

« Si nous aimons davantage nos routines que notre avenir, alors nous sommes liés de façon
fatale au passé. Chaque fois que nous sommes capables de renoncer à une conviction qui s’est
révélée fausse […] nous nous relions au monde ». Adam Phillips.11

J’ai emprunté cette citation du livre de Gabriel Fernandez, prélude à la préface de son
ouvrage « Soigner le travail ». Je la trouve très juste, tout à fait adaptée au sujet de ce
mémoire.
J’ai choisi de vous présenter trois de ces ateliers, représentatifs du processus de travail,
d’échange et de co-construction qui s’est progressivement mis en place entre les aides-
soignantes, les infirmières et moi-même tout au long du premier semestre 2014.

11
- Gabriel Fernandez, Soigner le travail, Toulouse, Editions ères, 2009, p.7.

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Atelier 1 du 18 février 2014
8 personnes.

« …nous sommes tous très loin d’éprouver les mêmes ressentis corporels, même si nous utilisons
les mêmes mots pour les désigner. Nos capacités d’empathie et de présence à l’autre sont variables,
et risquent toujours à un moment ou à un autre de nous faire défaut, dans nos regards, dans nos
gestes, dans nos choix, dans notre écoute. »12

Voici l’organisation de l’atelier d’une durée de 2h :


- 40 mn de PCM : « Allongée sur le côté, rouler vers l’avant et vers l’arrière ».
- 10 mn x 2 travail à 2.
- 10 mn de temps d’échange entre nous toutes suivi de la liste d’attentes, demandes et
besoins autour de ce thème « Gestes et Postures » afin que je puisse préparer les
ateliers à venir, catégoriser.
Préparation des supports et mise en condition des personnes sur le sol pour le balayage du
corps du début du cours.
[Rappel : PCM = Leçon de prise de conscience par le mouvement].
S : « Où va votre attention quand vous êtes allongées sur le sol et que sentez-vous de vous ?
Elle va vers des endroits confortables ou bien au contraire ?
Observez comment vous respirez. Où y a-t’ il le plus de mouvement quand vous respirez ?
Emmenez votre attention vers cet endroit-là. La respiration voyage vers l’avant seulement
ou aussi vers les côtés, dans le dos ? Faites ce mouvement de rouler la tête sur le côté sans
effort, vers la droite et vers la gauche.

Roulez par le côté pour vous installer sur votre côté droit, comme pour dormir.
Placez votre tête sur votre bras droit ou sur des supports, des mousses.
L’idée est que vous n’ayez pas la sensation que l’épaule du dessous soit écrasée.
Les genoux sont plus ou moins placés à 90°, ça c’est pour la stabilité, pour être sécurisé.
Prenez un temps pour sentir les appuis tout le long de votre côté droit, du bord extérieur
de votre pied jusqu’à votre épaule et observez comment naturellement vous l’avez
positionnée. Elle est à l’aplomb, plus en avant, en arrière ? Organisez-vous pour que vos
deux épaules soient à l’aplomb l’une au-dessus de l’autre.

12
- Pierre Ancet, Le corps vécu chez la personne âgée et la personne handicapée, Paris, Editions Dunod,
2010, p.1.

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Placez votre main gauche en appui léger sur le sol. La partie haute de votre bras gauche est
au repos, en contact avec les côtes. Vous ne le tenez pas, il est tout à fait passif.
Commencez à rouler l’ensemble de vous-même vers l’avant et de retour au point de départ.
Vous initiez le mouvement par le côté du dessus. Un mouvement doux, moelleux,
paresseux.
Quelle est la partie du dessus qui l’initie quand vous entendez cette consigne ?
Comment vous organisez-vous ?
Revenez au point de départ et maintenant gardez les bords intérieurs des pieds et des
genoux joints, en contact, c’est une contrainte.
A présent, roulez l’ensemble de vous-même vers l’arrière et de retour et vous pensez côté
du dessus toujours.
Observez si c’est la même organisation que précédemment.
Et puis enfin combinez l’avant et l’arrière, notez la qualité et où va votre préférence ?
Pause.

Allez vers l’avant par l’épaule du dessus. Emmenez l’épaule gauche vers l’avant et revenez,
attention, juste l’épaule, pas l’ensemble de vous-même. Un mouvement simple, lent et
doux. Vous êtes à l’école de la lenteur, de la douceur et de la paresse.
Profitez, dégustez …
C’est fluide, ou il y a des saccades, des à-coups ?
Faites-le encore plus lentement si c’est ça que vous ressentez.
Emmenez cette épaule vers l’arrière et de retour. Le bras suit, il n’est pas moteur.
Et quand je dis épaule vous pensez à quoi ? Au haut du bras, à votre omoplate à l’arrière
qui glisse sur les côtes, à la clavicule, cette petite barrette qui accueille les colliers ?
Quelle représentation avez-vous de votre épaule ?
Combinez, emmenez-la vers l’avant et vers l’arrière et trouvez une qualité de mouvement
qui vous plaît.
Pause.

Maintenant c’est votre hanche gauche, la partie gauche de votre bassin qui va aller vers
l’avant et revenir au point de départ, sans forcer. Comment s’organiser pour emmener cette
hanche vers l’avant et de retour ? Vous pouvez permettre à votre genou gauche de glisser
sur votre genou droit, mais laissez la jambe passive. Juste pensez que le genou glisse un peu
plus bas, lentement, doucement, à l’aller comme au retour.
Vous avez deux heures pour vous, donc prenez le temps, prenez le temps !

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 35


Qu’est-ce que vous sentez ? Au-delà de votre bassin, quelles parties répondent à cette
proposition de la hanche gauche qui va et qui revient ?
Vous sentez le mouvement remonter le long du dos, et jusqu’où le long du dos ?
Comment organisez-vous votre respiration ? Vous inspirez ou vous expirez quand vous
allez vers l’avant ? Pas plus, revenez.
Emmenez maintenant cette hanche gauche vers l’arrière.
Est-ce que la durée du voyage est la même dans cette direction ?
Combinez, allez vers l’avant puis vers l’arrière en passant par la maison, votre point de
départ.
Revenez et emmenez l’épaule gauche, la hanche gauche vers l’avant et vers l’arrière,
observez si cela s’est modifié depuis le début de la séance.
Est-ce qu’il y a un peu plus d’accords entre elles deux, qu’est-ce que vous sentez ?
Les appuis de votre visage se modifient dans une direction, dans l’autre ?
Pouvez-vous laisser la tête participer, la laisser rejoindre l’épaule et la hanche dans cette
proposition ?
A quel moment le nez se rapproche un peu plus du sol, à quel moment s’oriente t‘il vers le
plafond ?
Pas plus. Revenez au point de départ, vous pouvez allonger le bras le long de vous-même
et rester là.
Réajustez les deux épaules l’une au-dessus de l’autre, ne placez pas cette fois-ci votre bras
droit en dessous de votre tête, utilisez des mousses, des supports.
A présent, roulez vers l’avant en initiant le mouvement par l’épaule du dessous et de retour.
C’est comme si vous vouliez repasser un tissu précieux, fragile, un voile de coton, en
dessous de vous, avec finesse et délicatesse, avec votre épaule droite.
Notez jusqu’où vous pouvez aller sans effort et veillez à bien revenir au point de départ, au
point neutre. Vous pouvez prendre une ou deux secondes de pause avant de repasser
l’étoffe, de rouler vers l’avant.
Allez vers l’arrière la prochaine fois avec cette même épaule et puis combinez l’avant et
l’arrière.
Bien sûr je dis l’épaule du dessous mais comment réagit le côté du dessus ? Comment il
suit ? Ils sont partenaires ou fâchés ?
Laissez le côté du dessus suivre, ne le brimez pas, laissez aller …
Revenez.
Pause.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 36


Faites la même chose avec votre bassin. Emmenez votre bassin vers l’avant par la hanche
droite, et de retour, plusieurs fois, en pensant vraiment côté du dessous mais laissez aller le
côté du dessus.
Et vers l’arrière, comment cela se passe ?
Et quand vous voulez, combinez l’avant et l’arrière.
Pause.

Emmenez l’ensemble de vous-même à rouler vers l’avant et vers l’arrière en pensant côté
du dessous, notez la direction préférée, là où ça va le plus facilement.
Maintenant roulez vers l’avant et vers l’arrière, sans réfléchir, et observez si le mouvement a
changé, s’il s’est amélioré par rapport au début du cours. C’est le même ?
La prochaine fois que vous roulerez vers l’arrière vous en profiterez pour revenir sur le dos,
enlevez les mousses en surplus et sans vous étirer, réajuster, sentez les différences entre les
deux côtés.
Vous en sentez ? Faites un petit signe avec la main si c’est le cas.
Où les sentez-vous, ça sera plutôt au niveau des appuis, des espaces, des volumes ?
Goûtez. Sentir, être consciente de ces perceptions-là, c’est enrichir votre sensorialité, c’est
donner ces informations à votre système nerveux qui les enregistre, qui les stocke, qui fera
son travail de manière consciente comme maintenant mais aussi de manière autonome
puisque nous avons aussi un système nerveux autonome qui traite les informations et puis
les ressort quand il veut, quand il le décide et nous n’avons pas droit au chapitre.
Roulez par le côté pour vous asseoir.
On va travailler à deux, jouer avec le côté gauche.

En binôme.
Compréhension et recherche avec R. :
Son installation sur le côté droit, les mousses sous la tête, l’épaule droite ne doit pas être
écrasée.
Vous la regardez s’installer et vous lui proposez d’aligner l’épaule du dessous dans l’axe de l’épaule du
dessus. Le buste n’est pas emmené dans une rotation.
Voyez le bassin, c’est la même chose ?
Je lui demande de remonter un peu plus les genoux, je vérifie que ses talons sont en contact.
Puis je la touche, je pose ma main sur elle mais c’est très léger, je donne un peu de mon poids mais je ne
presse pas.
C’est très différent de placer une main et de presser, et de placer une main et de donner un peu de son poids
de manière à sentir la personne, et ça c’est un contact.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 37
Je demande à R. de rouler vers l’avant et de retour et je ne fais rien d’autre que de la suivre.
Il y a des saccades, je lui demande d’aller encore plus doucement.
Et vers l’arrière.
Est-ce que tout le monde voit que le mouvement est un peu saccadé ?
Je me place tout contre elle et cette fois-ci j’englobe l’épaule avec mes deux mains. D’abord je touche puis je
vérifie qu’elle ne tient pas son bras. Très souvent les personnes ne se rendent pas compte qu’elles le tiennent
et cela freine le mouvement.
J’englobe l’épaule et la pulpe de mes doigts touche la barrette de la clavicule, contact sécurisant, et je place
l’autre main sur l’omoplate. Je suis R. vers l’avant et de retour et maintenant c’est différent. Ne tiens pas
tes mâchoires, cherche le moelleux, moins de volonté…
Le mouvement a changé car je lui donne à sentir la globalité de son épaule, les trois parties (tête humérale,
clavicule, omoplate) travaillent ensemble.
Puis je fais la même chose vers l’arrière et je combine les deux.
Là je sens très bien que son omoplate s’est mise en route. Avant je ne sais pas où elle était, en vacances ?
Ok ? A vous.
Dix minutes pour chaque partenaire.
Donnez-lui des petites pauses.
C’est bien si la personne qui reçoit ferme les yeux.
Ne parlez pas si c’est possible, soyez à l’écoute de vos sensations quand vous recevez mais aussi quand vous
donnez.
J’insiste sur la lenteur et aussi la qualité de douceur. Rien ne peut se réorganiser si on sort de là.
Donnez-lui un temps sur le dos pour sentir les différences et échangez.
Je les conseille pour aligner la tête dans le prolongement de la colonne vertébrale.
L’idée, avec tous ces préparatifs, c’est de chercher le neutre de l’épaule, qu’elle soit tout à fait tranquille.
N’oubliez pas de toucher, puis de faire contact avant d’engager toute action ou tout mouvement.
Attendez d’être acceptée.
Poser simplement les mains là, clarifie le mouvement pour la personne.
C’est un travail d’écoute très fine entre partenaires.
Les personnes qui reçoivent, serrez les mâchoires. Que sentez-vous les autres ? Laissez bailler cette mâchoire
inférieure, continuez le mouvement, que sentez-vous ?
Je vous invite à mettre cela en route avec les résidents : toucher puis faire contact avant toute indication de
mouvement.
Le temps de toucher puis de contact est obligatoire.
Au fur et à mesure cela devient un duo.
Arrêtez ! Vous allez à présent directement suivre la personne, sans ce temps de toucher-contact-présentation.
Allez-y ! C’est confortable pour les partenaires ?
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 38
Pause.
Imaginez ce qui se passe quand on rentre dans les chambres, quand on fonce sur les résidents, qu’on les
touche pour n’importe quelle raison, toilette, lever …, sans ce temps de présentation, dans l’état où se
trouvent certains d’entre eux, avec un système nerveux altéré, sans tonus, avec des sens qui ne fonctionnent
plus ou peu … Que reste-t-il ? Il reste cette relation tactile qui devient essentielle pour eux.
Ce toucher puis ce contact avant toute chose change énormément.
Vous l’expérimentez à l’instant et nous, nous sommes en bonne santé, bien portantes.
Imaginez l’impact de ce travail sur le toucher à leur âge, dans leur état, avec leurs pathologies …
C’est une information très importante.
Retournez-y, avec le contact, ça change ?
Une discussion s’ensuit autour des saccades. J’explique qu’il faut prendre du temps, apprivoiser ces parties,
que cela n’est pas encore organisé, pour le moment. Il n’y a pas de normalité attendue dans cette pratique,
nous travaillons à faire un meilleur usage de nous-mêmes.
Je conclue en affirmant qu’une petite amélioration suffit, que c’est déjà beaucoup.
Pause.

Echanges autour de la table :

S : « Que retirez-vous comme infos intéressantes pour vous de cette séance d’une heure ?

MF : Une grande différence entre le début et la fin du cours.


P : Déjà le toucher, l’importance du toucher.
S : C’est pour cela que j’ai préparé cette leçon.
P : En fait je croyais que ça n’était pas ça le toucher. Je croyais que c’était la caresse, pas le
contact. On croit qu’on les touche, mais on les effleure juste.
S : Le toucher, ça n’est pas simplement toucher, c’est être touché.
P : Voilà !
S : C’est une relation. Et si on ne travaille pas cette relation-là, on ne travaille pas sur la relation, on
travaille sur la surface de la personne, sur une chose, comme un pétale qu’on caresse, une plume.
P : Se mettre en relation avec …
S : Je vous ai fait faire ça suite à mes observations dans les chambres. J’ai suivi plusieurs
matinées trois d’entre vous. J’ai vu cela tout de suite en fait mais je ne savais pas comment
l’aborder parce que c’est quand même énorme comme questionnement.
J’avais envie que vous l’expérimentiez vous-même, que vous jouiez entre vous pour
comprendre ce dont il s’agit. Nous allons étudier cette question durant les prochains
ateliers.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 39
Je me répète mais j’ai beaucoup travaillé au 3ème avec des personnes dans des états de corps
et de vie difficiles et très souvent j’ai perçu qu’elles se sentaient agressées, d’où les refus, les
agrippements, les réactions parfois violentes, ou alors complètement atones, ce qui est une
autre façon d’éviter le contact, se laissant manipuler passivement. Je me suis dit que
quelque chose n’allait pas, mais je ne pouvais pas intervenir dans ces moments - là parce
que je vois bien que vous courez, que vous avez un grand nombre de toilettes à effectuer
dans un temps restreint et que ce n’est pas le lieu pour le faire.
Voilà je vous donne cet outil.
Nous l’avons utilisé en détail avec Lu. pour Mme R., durant une heure. Ce qui s’est passé a
été très fort. Quand Lu. est entrée dans la chambre, Mme R s’est braquée immédiatement.
J’ai alors guidé verbalement Lu., comme dans les cours, et ça a marché. A partir du
moment où Mme R. a senti le toucher puis le contact elle s’est relâchée et après elle était
disponible pour participer, elle était détendue.
Il y a une autre indication très importante : après le toucher puis le contact, je parle, j’énonce ce que je vais
faire. En fonction de leur degré de surdité, je le fais à l’oreille, pas dans la face, ce qui peut être interprété
comme une agression, non, directement dans l’oreille, d’une voix ferme et calme. Vous lui dites ce que vous
allez faire et là, la personne comprend et il y a beaucoup moins, voir plus de problèmes.
La relation devient vraiment interpersonnelle et cela produit des effets.
J’aimerai que vous l’expérimentiez et que vous me donniez les retours, c’est possible ?
C : Oui, oui.
P : On l’a très bien senti entre nous, ce moment où on ne sait plus qui touche, qui est
touché, je ne vois pas pourquoi on n’y arriverait pas avec les résidents.
S : Ils n’attendent que ça et ça devrait vraiment devenir un protocole. A partir du moment
où ça marche, ça fait boule neige, on ne peut plus faire autrement.
P : Après il y a des résistances …
S : Oui, vous allez les rencontrer, il faut du temps pour changer les habitudes.
C : Ce qui est sûr c’est qu’il faut qu’on le fasse toutes, qu’on soit toutes sur ce même mode
de relation pour que cela change.
MF : Il faut dire aussi que parfois ça n’est pas possible quand elles sont trop agitées, il faut
qu’on se protège aussi.
S : Bien sûr ! C’est un protocole mais comme tout protocole, ou savoir, il y a des situations exceptionnelles,
des cas où tu t’adaptes mais si tu changes ta base, ton support, ce qui peut se passer est remarquable, cette
petite chose là emmène vers des grandes améliorations.
Il faut aussi contextualiser les états de vie de ces personnes, où elles en sont dans leur
parcours, leur environnement social, familial et pour beaucoup d’entre elles, renouer, entrer

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 40


en relation de cette façon est vital, se sentir accueillies, ne plus avoir la sensation d’être une
chose qu’on manipule, pour certaines d’entre elles ça va être la révolution.
Comment concrètement organiser ces retours que je vous demande ?
R : On peut l’écrire dans l’ordinateur.
MF : Ou en parler aux réunions du mardi.
S : Je n’assiste pas à toutes les réunions.
P : On pourrait faire un aparté dans ces réunions sur la relation soignant/soigné et ça serait
dans le CR de la réunion, tu pourrais le consulter.
S : Oui, je voudrais avoir une trace écrite de ces expériences.
MF : Il faut qu’on échange entre nous.
S : Oui, ça implique de changer les relations au niveau de l’équipe aussi. Je trouve ça chouette que vous
échangez des pistes entre vous, que vous cherchez et partager les informations.
Echange autour de Mme K.
C : Il faut lui tenir les mains, elle n’y voit plus, elle est en insécurité, il faut lui parler tout le
temps.

S : Je voudrais connaitre vos besoins concernant les gestes et postures professionnels.


Qu’est-ce que vous aimeriez améliorer ?

MF : Me baisser. J’ai mal aux genoux. Rester longtemps (baissée), ça me fait mal aux
jambes. Trouver la meilleure position pour travailler correctement.
S : Pour quelles fonctions ? A quels moments ?
MF : Au moment de la toilette. Surtout quand il faut mettre les chaussettes, les pantalons,
les chaussures …
R : Moi aussi je sens mon genou.
Toutes : On aimerait améliorer la façon de les habiller, on galère, c’est compliqué. Le bras
est lourd, il y a des rétractions, certains résidents ne veulent pas nous aider.
S : Vous me donnez des pistes, je pense aux bras …
L : Je force beaucoup dans ce que je fais.
S : C’est intéressant, oui, j’ai prévu de questionner cela aussi, moduler le tonus.
C : Tu utilises plus le physique que la posture elle-même.
L : Pas tout le temps ! J’utilise les postures pour les transferts et là je sais faire sans force.
S : Ce que j’ai observé dans les chambres c’est que souvent vous êtes dans un tonus qui n’est pas
proportionnel à la situation que vous vivez.
P : C’est une défense !

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 41


S : Oui. Je me suis demandé s’il ne serait pas intéressant de jouer avec des modulations du
tonus : à quel moment j’ai besoin d’avoir tel tonus et à quel autre je peux récupérer ? C’est
une boucle, action – récupération.
Qu’est-ce que cela produit de travailler avec un tonus très haut en permanence, sans aucune
pause, ni relâchement ? Vous êtes lessivées à 14h.
Vous avez noté qu’en Feldenkrais, pendant les cours, dans les séquences de mouvements,
on parle de revenir à la maison, son neutre, cet endroit où on est disponible, prêt à
s’engager dans n’importe quelle action.
L : On se dépêche, on va vers la rapidité.
S : Vous pouvez dans les chambres vous dépêcher sans vous stresser pour aller au bout, ça
vaut le coup d’essayer plusieurs façons d’opérer.
Je pense que c’est contagieux, tout comme la douceur et la lenteur. Ce stress-là peut être
insupportable à subir pour des personnes fragiles et démunies. Ce sont des vibrations qui
nous touchent.
D : C’est aussi contagieux au niveau des équipes.
C : Oui, je le constate avec les résidents. Selon les agents qui s’occupent d’eux, on a plus
vite des états d’agitation, d’énervement.
S : Un tonus élevé c’est bien, c’est la vitalité, c’est l’énergie, mais ça n’est qu’un mode d’induction. Il y en a
d’autres et plus vous allez vous enrichir d’humeurs, d’états différents, mieux vous allez vous sentir, vous
porter.
Vous pouvez faire tout ce que vous voulez du moment que vous vous accordez, il me
semble, des pauses. Et par pauses j’entends les pauses quand vous êtes en action : qu’est-ce
que je me donne comme pause personnelle entre deux toilettes ?
Vous courez partout dans un timing très serré.
Ce que j’entends par pause c’est un moment où vous revenez à vous, à votre neutre, à une disponibilité pour
quelqu’un d’autre.
P : Deux minutes …
A : Quelques secondes …
S : Je l’ai vu avec L. Il se passe quelque chose de difficile avec un résident, tu restes avec ça
et tu l’emmènes avec toi dans l’autre chambre. Tu ne sais pas que tu l’emmènes, mais
comme tu n’as pas pris le temps de le déposer sur une chaise, contre un mur ou ailleurs, à
vous de le ritualiser, tu arrives avec, et la prochaine personne dont vous vous occupez le
recevra, indirectement.
Il faut un sas.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 42


Il faut faire marcher les essuie-glaces sur le pare-brise pour pouvoir continuer la route.
Vous avez besoin de vous rafraichir. Imaginez l’état de votre fraicheur entre votre 1 ère
toilette et la 10ème ou la 12ème… et ce que vous apportez dans la chambre du dernier soigné.
Ma notion de pause c’est ça, des micro-pauses, pour arriver disponible vers la dernière personne.
C : On avait fait une formation où on nous avait dit que chaque fois avant de rentrer dans
une nouvelle chambre, il fallait prendre une pause de quelques secondes, ancrer nos pieds
dans le sol, et se dire que tout devait en sortir puis fondre dans le sol, avant de pousser la
porte.
MF : Moi je le fais inconsciemment quand je vais au chariot prendre le gant, les affaires
pour la personne suivante. Je me concentre, je pense à elle, je reviens vers elle, je laisse ce
que j’ai fait avant derrière moi.
S : Je crois que ce travail sur la qualité du toucher va améliorer beaucoup de choses et que,
du coup, tout le monde va être un peu plus apaisé. Pas seulement les résidents mais vous
aussi. Les pauses vont s’inviter plus facilement.
L : Mais aussi pour la toilette, quand tu m’as dit que je pouvais m’asseoir face à lui (au
résident). J’étais en train de raser Mr L. sur les toilettes et elle me dit : « Pourquoi tu ne
prends pas une chaise, assieds-toi devant lui ».
S : Elle m’a d’abord demandé de la regarder, elle m’a dit qu’elle avait mal partout dans cette
action de raser. Je l’ai regardée, j’ai pris une chaise qui se trouvait dans la chambre, je l’ai
placée devant Mr L., elle s’est assise et tout allait bien.
L : Je me suis sentie couillonne …
S : Elle culpabilisait parce qu’elle était en position assise.
L : Mine de rien je me suis reposée.
MF : Je la comprends, elle avait la sensation de perdre du temps. Et pourtant la qualité n’est
plus la même, on se regarde, on est à la même hauteur, on échange …
MF : On ne s’autorise pas à le faire et la qualité du travail elle s’en ressent.
P : On ne nous a jamais appris à faire cela, à prendre en compte notre confort …
J : … et celui du résident.
P : C’est l’efficacité avant tout … Maintenant on a la possibilité de travailler toutes dans la
même direction.
Echanges autour de Mme H.
S : Ce qui m’a interpellé dans les chambres, c’est cette relation du soignant par-dessus le
soigné. Je me suis demandée : pourquoi elles ne s’assoient pas à hauteur d’yeux ?
Finissons le tour de table, à toi P.
P : Comme L., je mets trop de force dans ce que je fais. Ah oui, apprends-moi à être zen …
C : Comment arriver à gérer l’agressivité qu’on a en face, le conflit, les refus …
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 43
P : Est-ce que tu peux nous donner des outils pour gérer ça, apprendre à être autoritaire et
zen à la fois ?
S : On pourrait travailler sur le cadre, comment créer une distance dans ces situations qui
vous permettrait de ne pas en être trop affectées.
Vous avez la possibilité de parler à la psychologue quand trop, c’est trop ?
C : Oui, si on avait vraiment de gros problèmes on pourrait les aborder avec elle.
P et MF : On parle beaucoup entre nous, on se libère comme ça.
S : Je souligne le mot cadre. En fait votre demande c’est comment gérer le trop-plein.
C : Oui.
J : Je voudrais m’améliorer quand je me baisse, dès fois j’ai du mal à remonter.
S : Ah oui, une autre évidence dont je voulais vous parler : pourquoi on n’impose pas aux
familles d’acheter des chemises, des t-shirts qui s’ouvrent par devant, avec des boutons
pressions, des vêtements lâches et confortables ?
P : Tu as raison, il n’y a rien de commode.
S : Il y a des cols roulés, des vêtements moulants … Pour moi, c’est une aberration totale.
J : Pour eux aussi.
C : Refaisons le trousseau. Il faut le repenser et le présenter différemment peut-être.
S : A ce propos, avant de terminer, on va faire une dernière chose entre nous. MF., allonge-
toi, s’il-te-plaît.
Tout ce que vous faites de manière distale, c’est-à-dire loin d’eux, ils n’aiment pas. Tout ce que vous faites
près d’eux, de manière proximale, est confortable, sécurisant.
Vous voyez, pour l’habiller, je ne lève pas son bras, je ne le tire pas, je ne l’éloigne pas
d’elle-même, ou à peine. Si je le fais, elle n’aime pas. Je mobilise peu les articulations.
Vous essaierez ? J’attends vos retours avec impatience.
Bonne journée ! ».
Fin.

Atelier 2 du 15 avril 2014


5 personnes.

« A travers le touché, deux personnes, le touchant et le touché, peuvent devenir un nouvel


ensemble : deux corps reliés l’un à l’autre par les bras et les mains forment une nouvelle entité. Les
mains sentent en même temps qu’elles dirigent. Tous deux, le touchant et le touché, sentent ce
qu’ils ressentent l’un et l’autre à travers leurs mains jointes, même s’ils ne comprennent pas et ne
savent pas ce qui est en train de se passer. La personne touchée devient consciente de ce que

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 44


ressent la personne qui la touche et, sans savoir pourquoi, modifie sa configuration pour se
conformer à ce qu’elle sent qu’on attend d’elle ».13

Ahhhhhh ! Bâillements ….
S : « Pendant que vous vous reposez, que vous déposez votre masse au sol, je vais vous
exposer le menu de l’après-midi.
[Rappel : PCM = Leçon de prise de conscience par le mouvement].
Nous allons faire une PCM de quarante-cinq minutes. Au cours de celle-ci nous
pratiquerons en binôme, vous êtes cinq, je le ferai donc avec vous. On va travailler le
toucher, ce qu’on a déjà fait une fois.
Le titre de la leçon c’est « Allongée sur le côté, lever la jambe par les orteils, par le talon ».
Nous irons ensuite dans une chambre, au 2ème étage, P. a préparé un lit. Nous étudierons
ces questions de hauteur de lit et de tête de lit qu’on relève ».
Ajustements des supports sous les têtes des participantes.

S : « Que sentez-vous de vous en cette mi-temps, au milieu de la journée, dans cette


position allongée. Est-ce que votre attention se dirige vers des parties où il y a des contacts
très forts comme les talons, le bassin, les épaules, l’arrière de la tête ?
Ou au contraire votre attention va vers des parties où vous sentez moins de densité, plus de
légèreté, voir même des parties qui ne touchent pas le sol.
Promenez votre attention.
Vous sentez-vous unifiée des talons jusqu’à la tête, ou plutôt morcelée, comme un
ensemble de parties mais pas forcément toutes reliées entre elles ?
Et ces états que l’on ressent, ces sensations qui viennent à nous, c’est changeant, en
perpétuel mouvement, c’est très variable en fonction de nos humeurs, de nos émotions.
Différents états peuvent être traversés dans une journée …
Maintenant, à l’instant T, juste observez comment vous êtes.

Portez attention à votre axe central, la ligne médiane, de la pointe du coccyx jusqu’au
sommet de la tête, attachez-vous à cette ligne, observez-là.
Est-ce que dans votre sensation c’est un trait continu ou il y a des blancs, des points de
suspension, des espaces entre un segment et un autre, qui ne sont pas clairement
représentés chez vous.

13
- Moshe Feldenkrais, L’évidence en question, paris, Editions l’inhabituel, p.16.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 45


Observez, quand vous respirez, de quelle manière votre respiration impacte cette ligne
médiane.
Votre colonne vertébrale y est-elle sensible? Vous sentez un écho ?
Et puis intéressez-vous aux lignes de vos jambes. Elles ont la même longueur, le même
poids, la même densité ?
Et les lignes de vos bras ? Vous sentez des grandes différences d’un côté par rapport à
l’autre ou pas ?
Faites ce tout petit mouvement, très fin, très lent, de rouler la tête d’un côté, revenez au
centre et roulez-là de l’autre côté, pas fort, pas loin, le tout début du mouvement, avec si
possible, des mâchoires complètement relâchées, ça veut dire que vous permettez à la
mâchoire du bas de bailler, de pendre légèrement. Délibérément vous créez un petit espace
entre vos lèvres et vos dents et vous faites voyager votre nez d’un côté et de l’autre très
doucement et vous sentez la qualité du mouvement.
Est-ce que ce roulé est égal ? Vous sentez plus de fluidité, de facilité vers la droite ou vers
la gauche ?
Revenez au centre et vous allez vous installer sur votre côté gauche, la tête posée sur votre
bras gauche ou sur des supports, les jambes pliées, en contact l’une avec l’autre, les pieds
ensemble.
Enlevez les rouleaux de dessous vos jambes, ils vont vous gêner.
Qui préfère avoir un peu plus de support sous la tête ? L’idée c’est que l’épaule du dessous
ne soit pas écrasée.
Les bords internes des pieds se touchent, c’est une contrainte, la main droite est devant
vous en appui sur le sol, un soutien léger, le bras tout contre les côtes, de cette façon vous
êtes sécurisée.
Vous avez le droit de dormir, ça n’est pas interdit.
Prenez un moment juste pour sentir comment ça se passe, quel est le contact, la relation, le
dialogue entre le sol et votre côté gauche.
Sentez-vous que vos épaules sont à l’aplomb l’une au-dessus de l’autre ou votre tendance
c’est d’avancer vers l’avant l’épaule du dessous ? Prenez un temps pour ajuster vos épaules
l’une au-dessus de l’autre et observez si c’est le même schéma d’aplomb au niveau de vos
hanches, ou bien vous avez une tendance à avancer ou reculer une hanche.
Le mouvement de référence de cette leçon va être de, très tranquillement, soulever
l’ensemble de votre jambe droite vers le haut, pas fort, pas loin, et de l’abaisser de la même
façon. C’est comme si cette jambe était posée sur un plateau et qu’on levait ce plateau.
C’est l’ensemble de la jambe, à plat, que vous levez vers le plafond et que vous reposez au
sol. Quel est son poids ?
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 46
Reposez-la, repositionnez les genoux et les pieds et cette fois-ci vous allez garder les
genoux en contact l’un avec l’autre et soulever uniquement le pied droit, l’éloigner du pied
gauche et de retour. Attention ce mouvement de retour n’est pas : plof, je reviens, je le
laisse tomber, non, c’est un mouvement en lui-même.
Qu’est-ce qui se passe au niveau de l’articulation du genou et de la hanche quand vous
suivez cette consigne de soulever le pied ?
Comment cela remonte tout le long de la jambe jusqu’à votre bassin ?
Quelle partie de votre pied décolle en premier quand vous le soulevez et quelle partie
touche le pied du dessous quand vous revenez ? Vous pouvez sentir ça, détailler comment
vous le faites ?
Reposez-vous quelques instants.

La prochaine fois que vous soulèverez le pied, toujours de la même façon, en gardant les
genoux en contact l’un avec l’autre, vous le soulèverez par le talon et vous le ramènerez par
les orteils, quelques fois. Le talon initie, puis c’est au tour des orteils et le bas de jambe suit.
Faites-le de manière paresseuse et sentez ce qui change vers vos articulations du genou, de
la hanche, quand vous emmenez votre pied à se lever par le talon. Vous sentez une rotation
interne ? Votre jambe tourne vers l’intérieur.
Puis vous inverserez, vous conduirez par les orteils et vous reviendrez par les talons. Les
orteils organisent l’aller et le talon le retour.
Faites une pause de quelques secondes quand vous revenez afin de vous assurer que les
muscles se désengagent, avant de recommencer.
Et de lever la jambe par les orteils qui vont tourner vers l’extérieur, vers le plafond, qu’est-
ce que ça change au niveau de l’orientation de la jambe dans l’espace ?
Pause.

Gardez les bords intérieurs des pieds en contact, réajustez-les si besoin, et cette fois gardez-
les en contact l’un avec l’autre et éloignez le genou du dessus de celui du dessous et puis
vous le ramenez gentiment à la maison.
Là aussi, observez-vous. Comment vous organisez-vous ? D’où ça part ? Vous prenez
appui sur vos pieds pour aider ce genou à se détacher de l’autre ?
De quelle manière ce mouvement convoque le bassin, l’invite à participer ?
De combien avez-vous besoin d’éloigner le genou pour sentir un écho vers le bassin ?
Vous sentez un frein, quelque chose qui pourrait entraver ?
Pause.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 47


Ecoutez : vous allez combiner les deux variations, c’est-à-dire que vous allez soulever votre
pied par le talon, en gardant les genoux en contact, et revenir par les orteils, puis vous
garderez les bords intérieurs des pieds ensemble et vous éloignerez le genou du dessus de
celui du dessous et vous continuez, vous alternez.
Trouvez le rythme qui vous convient.
Une fois le genou s’éloigne et les pieds restent ensemble puis le pied s’éloigne par le talon
et les genoux se rejoignent. Pas plus. Arrêtons-nous quelques instants !

S : MF., tu peux rester là, les autres vous voulez bien venir, on va clarifier cela et travailler à deux.
On va faire un petit jeu.
MF., tu veux bien reprendre ce petit mouvement de soulever le pied par le talon et tu reviens par les orteils.
Les genoux restent en contact, c’est un support, un pivot. Tu organises ce mouvement par rapport aux
genoux, c’est beaucoup plus facile, d’accord ? Reprends. Tu utilises ce contact, cet appui pour alléger le
travail du bas de la jambe, tu sens ?
Vous allez d’abord regarder comment votre camarade s’organise.
Vous allez regarder le pied, puis élargir le focus et noter ce qui se passe le long de la jambe jusqu’au bassin,
puis le dos et au-delà, pour voir jusqu’où le mouvement voyage.
Encore une fois.
C’est la première étape.
Ensuite vous allez toucher la personne, avant de faire quoi que ce soit vous allez entrer en contact, puis
maintenant elle ne va rien faire du tout et c’est moi qui vais agir : je l’invite par le talon et je reviens par les
orteils.
D’accord ? C’est la 1ère proposition.
Ensuite je lui demande : MF., tu veux bien éloigner ton genou gauche de ton genou droit ? Là aussi
j’observe comment se passent l’aller et le retour. Comment s’engagent le bassin, la cage thoracique, la tête.

Puis c’est à mon tour: tout d’abord je touche, je contacte avant d’agir.
Dans n’importe quelle action vis-à-vis d’une personne, pour moi, je le répète, il est très important de toucher
puis de contacter, sinon c’est trop intrusif.
Si je reviens à votre public, les résidents qui sont dans une temporalité toute autre que la nôtre, dont certains
sont très loin, absents à eux-mêmes et au monde qui les entoure, ce moment du contact consiste à les ramener
à eux et à vous, il est primordial.
Cette notion de temporalité, ce paradigme-là, est évidente vue de l’extérieur.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 48


Donc je contacte et ensuite par-dessous, très gentiment, j’attrape et je supporte le genou, je prends le poids de
sa jambe et si je sens de la résistance, vas-y MF., résiste, je reste là quelques secondes sans rien forcer,
j’attends, et normalement ça lâche.
Puis je prends ses pieds, mais il n’y a pas de force, je les maintiens simplement, je donne l’information à son
système nerveux que ses deux pieds restent ensemble, je suis là, et puis je fais.
Ce qui est très important c’est la façon dont moi je fais, comment je m’organise.
Je ne le fais pas de manière distale avec mes mains, sinon je vais avoir mal au dos. Je cherche, j’emmène mon
bassin avec elle, du coup je ne me fais pas mal, c’est une relation de squelette à squelette, nos squelettes
conversent.
Quand elle me donne vraiment sa jambe, là non tu la reprends un peu !, je sens comment le mouvement
passe et à quels endroits ça voyage chez elle, à quels moments elle reprend le poids, où il y a des blancs, des
saccades … Tu sens MF. ?
Vous vous souvenez on a parlé en cours de « continuum du mouvement », cette qualité de fluidité, de
mouvement continu, sans heurts ? Et bien avec cette proposition toute simple on peut jouer avec ça : quand
on rencontre ces endroits-là, où ça n’est pas encore organisé, on reste, on y va très doucement, avec délicatesse,
très respectueusement, on les apprivoise.
Là tu retiens au retour MF., tu n’as pas besoin …
Très souvent on ne sait pas qu’on tient. Donner son poids à quelqu’un d’autre c’est une manière très
intéressante de se rendre compte de tout ce qu’on tient inutilement.
C’est très agréable aussi, cette personne travaille pour toi, pourquoi se priver !!!
Allez-y, deux par deux.
On commence par le toucher, puis le temps du contact et on sent dans nos mains si la personne est d’accord,
ou pas encore.

C’est une règle : s’assurer qu’elle vous donne la permission de s’occuper d’elle, qu’elle est prête pour ça. Je
trouve que c’est très important.
Très souvent les modes de résistances que vous rencontrez, les agrippements, les contractions, c’est parce qu’il
n’y a pas eu ce temps de présentation, ce temps d’invitation.
J’aimerais bien que vous jouiez avec cela et que vous me disiez la prochaine fois si vous avez vu des effets
dans votre pratique, parce que ce petit temps, quelques minutes, n’est pas une perte, vous allez le retrouver
pendant la durée du soin car la personne ne sera plus en conflit avec vous, vous n’aurez plus à batailler avec
elle.

Vous observez la personne, vous établissez le contact et vous emmenez le pied par le talon, ça veut dire que
le talon s’oriente vers le plafond.
N’oubliez pas, ce sont les orteils qui ramènent la jambe !
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 49
Les personnes allongées, sentez toute la chaine squelettique, comment ça passe du pied vers le genou, le
bassin, le long de la colonne lombaire, dorsale, cervicale …
Reposez la jambe de votre camarade, donnez-lui un temps de repos.
Maintenant on va le faire de manière habituelle : « Bonjour madame, comment ça va ce matin ? », et hop,
hop, hop on prend le pied, on lève, on tourne, on pose …On ne demande pas la permission, on prend comme
on a l’habitude de prendre et hop, hop, clac, clac …
On essaie ? C’est un jeu !
Puis on leur laisse quelques secondes, on reprend le mode opératoire précédent, on demande la permission et
on le fait gentiment. Il y a une différence ? Oh oui ?
Vous voulez qu’on en parle, ça pose question ?
Je vous donne des outils, après ce que je voudrais c’est que vous expérimentiez.
J’ai travaillé sur cette qualité en compagnie de Lu. avec Mmes R. et C. et ça a été spectaculaire, en une
heure. Il a fallu ce temps d’introduction et de permission qui doit être modulé en fonction de l’état plus ou
moins grabataire des personnes.
C’est votre intention qui va changer la qualité et toute votre organisation, mais dans les deux modes
opératoires qu’on vient de tester, le mouvement est le même.
Changez de rôle.

Suite de la PCM

S : On y retourne, on revient au tapis pour finir la variation.


Allongez-vous sur le côté, ré-installez-vous.
Même configuration, les bords intérieurs des pieds qui se touchent, les genoux en contact,
la main droite devant vous sur le sol, reculez les mousses, qu’elles soient juste au niveau de
l’oreille et commencez à rouler la tête vers l’avant comme si vous vouliez que votre nez
plonge en direction du sol et puis roulez-la vers l’arrière, et le nez s’oriente vers le plafond,
tranquillement, sans serrer les dents.
Vous pouvez garder les yeux ouverts ou fermés mais en tout cas ils organisent le
mouvement.
Sentez le tracé que votre tête laisse sur les mousses.
Faites la même chose en serrant les dents, en contractant les mâchoires.
Quel est l’impact alors sur le mouvement de la tête ?
Relâchez complètement et continuez.
La prochaine fois, l’épaule accompagnera le mouvement de la tête. Comment l’épaule
engage votre corbeille thoracique ? Sentez le voyage de vos appuis le long du côté gauche,
le côté du dessous. Quelles côtes repassent le sol ?
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 50
Pause.

Vous allez combiner les mouvements suivants : éloignez le genou du dessus de celui du
dessous, vous permettrez à votre bassin, votre corbeille thoracique, votre épaule, votre tête
et vos yeux d’aller vers l’arrière, puis vous reviendrez à la maison et quand vous soulèverez
le pied par le talon en gardant les genoux ensemble, vous permettrez à votre côté droit de
rouler vers l’avant et vous vous bercerez comme cela.
Trouvez une façon de faire qui vous plaît …
A chaque fois que vous l’exprimez, vous modifiez légèrement un détail, vous cherchez une
piste, une organisation différente. Vous n’essayez pas de reproduire indéfiniment la même
chose. Vous êtes curieuse envers vous-même, vous cherchez. Quand les genoux s’écartent,
les pieds restent en contact, il y a toujours un contact.
Pas plus.
Venez, nous allons clarifier quelque chose (je m’approche de A. qui reste allongée) :
S : A. tu veux bien être mon cobaye cette fois-ci ? On va jouer une dernière fois en duo.
Tu peux reculer légèrement l’épaule du dessous ?

J’ai observé quand vous faites la toilette au lit des résidents, quand ils sont sur le côté, très souvent leur
épaule du dessous est en avant. C’est difficile pour eux de rester stable et en sécurité comme ça. Donc ils
agrippent le barreau du lit par nécessité car ils sont en déséquilibre. La première chose à leur demander c’est
de reculer cette épaule du dessous. Vous les accompagnez, vous les soulevez de manière globale et vous
ramenez l’épaule vers vous. Et là, la personne est stable.

A., tu veux bien reproduire ce mouvement ? Cette fois-ci on l’observe à l’arrière, on regarde le dos. Puis je
mets ma main sur son bassin et je la suis, je lui donne à sentir le mouvement de son bassin. Faites cela
quelques fois pour clarifier la mise en jeu du bassin, à l’aller comme au retour.
N’anticipez pas, écoutez, suivez.

Vous n’avez pas besoin d’appuyer fort, la tactilité est un moteur énorme au niveau de la communication, du
ressenti, ça peut générer des réactions très violentes si elles sont subies et non consenties, et là vous êtes sur le
front, en première ligne. Il suffit de très peu !
C’est insignifiant pour nous, quoi que …
Dans certains états de corps, à certains moments de la vie, la sensibilité peut être intense et quand surgit une
réaction de rejet, de l’agressivité, on peut se poser la question d’où vient que ? Qu’est-ce qui s’est passé et
chercher par là aussi, c’est une piste …

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 51


Par exemple A. si je fais ça et ça (je la manipule, comme un objet), tu n’as pas franchement envie d’y aller
hein ? Et pourtant tu te portes bien. Alors la personne qui est empêchée, dépendante, démunie, qui ne voit
pas bien, qui n’entend pas bien, tu rajoutes toutes ces couches-là et quand tu viens t’occuper d’elle, sans cette
qualité d’attention, tu sens comme c’est agressif ?

Tu es juste à son écoute, tu la suis, c’est de la bienveillance : simplement, par la qualité que tu donnes à ton
toucher, elle perçoit que tu prends vraiment soin d’elle, que tu es attentionnée...
Du coup ça change totalement la manière dont elle te reçoit et ce qu’elle a envie de partager avec toi à ce
moment-là.
Et même si vous échangez verbalement, « Bonjour, comment ça va ce matin ? » … pour elle c’est dans le
ressenti corporel que ça se passe, surtout quand elle parle peu, ou plus du tout.
Je trouve que c’est intéressant de l’expérimenter sur soi.
Bien sûr on l’entend, on le lit dans les manuels, on l’apprend en formation mais tant qu’on ne le sent pas
soi-même, qu’on n’en fait pas l’expérience, on ne peut pas mettre en route d’autres façons de faire.

Revenez une dernière fois sur votre tapis, roulez encore une fois l’ensemble de vous-même
vers l’avant et vers l’arrière, par le talon qui soulève le bas de jambe, puis le genou du
dessus qui s’éloigne de l’autre et vous allez à nouveau chercher un mouvement qui vous
satisfait esthétiquement, que vous trouvez harmonieux pour vous-même.
Veillez à ce que la tête et les yeux n’aillent pas plus vite que l’épaule qui ne va pas plus vite
que le bassin, la jambe. Vous cherchez une jolie coordination, comme si c’était un
mouvement dansé.
Soulevez l’ensemble de votre jambe posée sur un plateau imaginaire, quel est son poids à
présent, cela a changé ?
Revenez sur le dos, enlevez le trop plein de support et observez les différences entre le côté
droit et le côté gauche.
Il y en a ?
Où les sentez- vous? De quel côté? Vers l’épaule, le bassin, la jambe, un côté du visage ?
Si vous revenez à vos cinq lignes, que sentez-vous de la ligne médiane ? La sensation de
cette ligne s’est modifiée, ou pas ?
Et les lignes de vos jambes, y a t-il une grande différence entre elles ou pas ? Que sentez-
vous des lignes de vos bras et là aussi observez ce qui s’est modifié.
Reprenez ce tout petit roulé de la tête d’un côté et de l’autre, lentement et au passage notez
si les mâchoires se sont à nouveau contractées de manière involontaire, ou non.
Revenez au centre, suivez le trajet de votre respiration.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 52


D’où ça part ? Dans quelles directions elle se déploie ? Vous sentez les côtés et le dos
respirer ou tout cela reste sur un plan frontal, à l’avant de vous ?
Laissez cela, roulez par le côté pour vous asseoir et vous lever, prenez votre temps, et puis
debout, puisqu’il faut bien se mettre debout, que ça n’est pas encore les vacances …
Debout, les yeux mi-clos ou fermés, juste sentez comment vous êtes, les appuis sous le pied
droit, le pied gauche. On a travaillé uniquement d’un côté, vous le ressentez debout, ou
pas ?
Sentez les lignes de vos jambes, comment le bassin repose sur les fémurs, sentez la
longueur de l’axe central, comment vos bras pendent, suspendus à la corbeille thoracique et
comment votre tête est posée là-haut, comme la cerise sur le gâteau.
Et la sensation sera quoi ? La légèreté, la lourdeur ?
Ouvrez les yeux, marchez.
Je propose d’aller dans la chambre et d’explorer comment de couchée, on s’assoit, comment on se tourne.
Je tiens à ce qu’on revienne ici à 15h 45, qu’on prenne le temps de parler de tout ça, des retours
d’expériences ».

Dans la chambre – in situ :

P. s’allonge sur le lit.


S : « Je vais vous livrer en vrac mes observations.
Je me suis demandée pourquoi vous ne leviez pas le haut du lit pour permettre à la personne de s’asseoir.
J : Je le fais, c’est beaucoup plus pratique.
S : Tout le monde ne le fait pas ».
P. allongée, on lève le haut du lit. Elle proteste, elle est inconfortable. Nécessité de
- laisser un traversin sous sa tête
- la tirer vers le haut avec le drap avant d’actionner la télécommande sinon elle glisse vers le bas, ses
côtes sont comprimées, la respiration est bloquée. Maintenant, la pliure se fait au niveau des
articulations de hanche, elle respire.
On remarque que malgré tout, la tête part à la renverse en position assise. Nécessité de
- placer un oreiller derrière la tête qui englobera aussi les épaules.
Je leur raconte que ce sont les grimaces des soignés qui m’ont alerté. Les vertèbres cervicales sont les plus
fines, elles se fragilisent en vieillissant.
S : » Avez-vous remarqué combien les bébés apprécient qu’on soutienne leur tête ? Comment ce toucher, ce
contact derrière la nuque les calme tout comme les personnes âgées et agitées ? Essayez entre vous ».
Recherches sur les prises, pas les doigts mais plutôt le talon de la main.
S : « Il y a quelque chose au niveau du tonus qui se pose, vous sentez ? ».
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 53
Discussion autour de la différence entre rendre la personne confortable et la « caler », ce qui empêche la
mobilité.
MF. s’allonge. Elle préfère un oreiller au traversin.
Comme P., à un certain moment du relevé, elle sent une gêne au niveau du sternum et sa respiration est
affectée.
A. est à la commande, nous choisissons de repérer ce moment où MF. s’assiéra sur ses ischions, sur le
fondement du bassin, et là nous observons sa posture. Quand elle s’y trouve, elle se sent bien.
Je m’allonge à mon tour. Je leur demande de regarder comment cela se passe au niveau de la pliure des
articulations de hanche. J. lève la tête du lit, cette fois-ci en deux étapes pour mieux gérer ce léger glissement
dans la montée et éviter ce moment du souffle coupé. C’est beaucoup mieux.
A. va s’allonger. Nous nous attachons toujours à l’observation de l’assise. Je leur fais remarquer que nous
avons commencé ces explorations de manière distale, par le haut, la tête, et que nous finissons par le centre,
de manière proximale. MF. l’emmène un peu trop en avant. A. trouve que le contact des épaules avec
l’oreiller est très agréable.
Je rappelle que la colonne s’érige à partir du bassin, porter son attention à son placement va améliorer ces
actions-là.
Discussion autour du lève-malade et de ma proposition de garder l’oreiller qui soutient à la fois la tête et les
épaules pendant le transfert car j’ai vu plusieurs soignés appréhender fortement ce déplacement. Ils n’ont plus
de relation au sol, leur tête ballotte, les yeux roulent, ils sont perdus.

Les retours autour de la table :

S : « Qu’avez-vous avez retenu d’intéressant pour vous durant cet atelier ?

J : Ce qu’on a fait dans la chambre.


S : L’histoire du drap et l’organisation par rapport au bassin ?
MF : La position dans le lit et cette main derrière la tête, c’était bien aussi. Cette sensation
de support c’est vraiment agréable.
JU: Et puis l’impact du toucher quand on était au sol.
S : Oui, je trouve que c’est un monde qui s’ouvre. Les modalités de qualités par rapport au
toucher ont un fort impact au-delà de « c’est agréable ou ça ne l’est pas ». Il y a autre chose
qui se joue dans la relation. Je l’ai dit, je me répète, c’est la confiance, c’est être en sécurité.
A : C’est un échange.
S : Tout à fait, c’est toucher et être touché, c’est le seul moment de la journée où quelqu’un
va leur apporter une attention au niveau de leur intimité et c’est pour beaucoup d’entre eux
la seule manière de dialoguer, ça n’est pas rien comme mode d’induction au niveau de
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 54
l’interrelation. J’aimerai bien que vous expérimentiez tout cela, avec curiosité. Vous avez le
droit de vous tromper, d’être maladroite. Ce sont des nouveaux outils et l’erreur fait partie
de l’apprentissage de toutes les façons. Il n’y a pas de risque, ni pour les soignés, ni pour
vous.
J’ai oublié une autre action importante en relation avec la PCM !
Celle de ramener sur le dos, par la jambe, une personne allongée sur le côté et la réversibilité du mouvement.
On prend quelques minutes pour le voir ».
Recherches et compréhension avec P. :
- Importance de toucher, contacter et d’attendre la permission avant d’ouvrir
doucement la jambe, la main placée sous le genou de la jambe du dessus repliée,
au niveau de la rotule, pas plus haut. Les schémas de fermeture sont très
puissants.
- S’adapter avec les personnes qui ne peuvent pas plier les jambes.
- Le bassin emmène le reste, tout suit, la personne se retrouve sur le dos.
- Revenir par le même chemin.
S : « Faites-le deux par deux, afin de le mémoriser.
C’est du cas par cas, mais avec ces règles de base de toucher et de contacter, de soutenir, d’inviter, de
rassurer, de calmer, cela peut dénouer pas mal de choses.
S’ils ont été touchés de manière intrusive, leur système nerveux s’est « cuirassé ». C’est
étonnant de voir que ces petits gestes-là, ces intentions peuvent produire comme grandes
améliorations, ça vaut vraiment la peine de l’expérimenter mais sur la durée bien sûr,
n’espérez pas que cela change au bout de trois toilettes seulement, c’est un processus ».
Fin

Atelier 3 du 20 mai 2014


5 personnes.

« La notion d’étayage fait référence à la notion d’appui corporel, de confiance dans les capacités de
son corps à bouger dans l’espace, à éviter les dangers de l’environnement. Cela fonde en partie la
confiance en soi. La personne âgée qui a fait l’expérience d’une chute, par exemple, développe une
crainte permanente, une perte de fiabilité dans ses forces ou ses capacités d’équilibre et peut
développer un stress intense dès qu’elle doit bouger dans l’espace ».14

14
- Pierre Ancet, Le corps vécu chez la personne âgée et la personne handicapée, Paris, Editions Dunod,
2010, p.52.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 55


La PCM choisie, « Le trépied », est en lien avec le thème de l’atelier : « La position assise et
la stabilité debout ».
Elle est en rapport avec mes observations sur le contact des plantes des pieds des
personnes soignées avec le sol, leurs appuis qui sont peu sollicités.
Il va s’agir maintenant pour les soignantes d’éprouver ces sensations pour comprendre
l’importance de cet étayage, l’assurance et la stabilité qui en découlent.

La PCM :
S : « Voici le mouvement de référence : en position debout, laissez fondre votre masse dans
les pieds et portez attention aux appuis. Sentez les différences à droite et à gauche. Placez
un projecteur sur le pied droit puis sur le gauche. Comment respirez-vous ? Vos bras sont
relâchés.
Marchez lentement. Sentez le déroulé de vos pieds. Vous passez autant de temps sur un
pied que sur l’autre ?

Sur le dos, déposez votre masse. Quelle image avez-vous de vos pieds ? Elle est plus claire
de quel côté ? Suivez le trajet de votre respiration.
Jambes pliées, soulevez les orteils du pied droit pour aller en appui sur le talon droit et
laissez les retomber.
Soulevez le talon pour aller en appui sur les orteils et laissez-le retomber.
Emmenez le poids vers le bord extérieur et de retour en soulevant le bord intérieur,
lentement. Quid de la jambe ? Elle suit le pied ? Et de retour. Le moteur d’initiation est le
pied. Quid de l’articulation de la hanche ?
Soulevez le bord extérieur pour emmener le poids vers le bord intérieur, et puis faites
l’inverse.
L’autre jambe est tranquille. Le bassin n’est pas engagé. On est en train de travailler et de
réveiller ces trois articulations : chevilles, genoux, hanches.
Alternez. Lentement ! Mouvement de la jambe qui se déplace vers la droite, vers la gauche.
S’il y a des saccades, allez encore plus lentement.
Allongez les jambes en les laissant aller vers l’extérieur. Quels sont les effets de cette
variation sur vous ?
Nous avons trois points d’appuis importants sous nos pieds : le talon qui prend 1/3 de
notre poids, 1/3 est à la base du petit orteil, 1/3 à la base du gros orteil. On l’appelle le
trépied.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 56


Ces trois articulations chevilles, genoux et hanches fonctionnent de manière
proportionnelle, c’est à dire que l’angle des trois pliures se fait de la même façon vers les
trois.
Cela donne des informations à notre système nerveux sur l’équilibre, les propriocepteurs et
les télécepteurs.

J’ai choisi cette leçon afin que vous ressentiez et compreniez non seulement votre stabilité mais aussi celle des
résidents. Comment allez-vous transférer ces connaissances vers elles ?
Revenez les jambes pliées. On est à droite.
Alternez les deux mouvements et laissez voyager le genou droit vers l’intérieur, puis vers
l’extérieur.
Gardez le genou où il est, il ne voyage plus et soulevez le bord intérieur du pied.
On ne s’adresse qu’à l’articulation de la cheville – doucement.
Soulevez le bord extérieur du pied. Cela va vous permettre de sentir l’articulation complexe
de la cheville. Vous sentez ce qui se passe à l’avant, à l’arrière, sur les côtés ?
Alternez.
Dans quelle direction c’est plus facile pour vous ?
Le bassin et le genou sont tranquilles, on ne s’adresse qu’à la jambe droite.
Pause.
Soulevez les orteils droits pour mettre de l’appui sur votre talon. Si vous le faites
délicatement, vous allez connecter votre articulation de hanche.
Gardez les orteils au sol et soulevez le talon, pressez et laissez retomber le talon.
Vous utilisez vos orteils.
Accélérez et sentez l’écho remonter vers le bassin.
Alternez, une fois les orteils se lèvent puis c’est au tour des talons.
Si vous voulez accélérer il faut le faire plus petit.
Allongez les jambes et reposez-vous.
Vous pouvez rouler par le côté et laisser respirer votre dos.
Venez pour vous asseoir ».

En binôme :
S : « Combien y a t- il d’os dans le pied ? 26. Et d’articulations ? 16 ».
Expérience :
J’installe J. sur le dos, les jambes pliées, les pieds écartés plus ou moins à la largeur du
bassin.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 57


S : « Où se trouvent les articulations de hanche ? Où se situent les appuis du trépied ? L’idée est de réveiller
ces appuis.
Regardez : une personne est allongée, l’autre devant elle place une main légère sur l’avant du pied et va
suivre le mouvement d’un côté et de l’autre. On ne va pas très loin. Le mouvement de la jambe doit être
proportionnel à celui du pied. Trois ou quatre fois. Puis je garde le genou de J. stable et je m’intéresse à ce
qui se passe vers l’articulation de la cheville. Elle ne fait rien, c’est moi qui agis, je lui donne à sentir cette
articulation. Je m’intéresse toujours au trépied. Je vois qu’une direction n’est pas habituelle chez elle. Surtout
je ne force pas. Après je lui fais des propositions différentes et j’observe où cela va plus facilement.
Vous travaillez avec le pied droit. C’est à vous ! ».
Je passe d’un groupe, un duo, à l’autre, un trio.
Nous échangeons autour de la qualité de la verbalisation quand on travaille en confiance
avec une collègue.
S : « Attention à la formulation : il n’est pas question de juger ni de critiquer. Bien au contraire exercez-
vous à cultiver la bienveillance. Exemple : « Pour le moment je sens que chez toi le mouvement passe peu »
au lieu de « Je ne sens rien, ça ne passe pas du tout chez toi ».
J’observe que beaucoup d’entre elles engagent leur bassin, ce qui signifie qu’elles ne le
différencient pas encore des articulations de hanches.
Une grande qualité d’écoute s’est invitée.
S : « Plus vous sentez de la résistance, plus vous faites petit. Si vous forcez, le système nerveux bloque et
vous aggravez la situation.
C’est intéressant pour vous de le savoir, pour votre travail avec les résidents. Si vous êtes respectueuses, avec
des tous petits mouvements, ça lâche.
Ecoutez avec vos mains la réponse de votre partenaire allongée, vous êtes en train de leur apprendre quelque
chose.
Parlez peu ou ne parlez pas. Restez avec vos sensations.
Quand on parle on n’est plus dans le corps ».

Reprise de la PCM

S : « Allongez-vous sur le dos, pliez les jambes.


Dans l’imagination vous allez transposer à gauche quelques variations de cette série que
vous venez de faire. Sentez les appuis de votre pied gauche puis vous choisissez les
mouvements, vous décidez de l’ordre, mais vous ne les exprimez pas, vous les vivez de
l’intérieur.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 58


Quelle est votre capacité à suivre cette consigne? C’est quelque chose qui vous est familier,
facile, étrange, déroutant ? Vous mourrez d’envie de vous exprimer, c’est difficile de
s’empêcher de faire ?
Reposez votre attention, gardez les jambes pliées et faites dans la réalité ce mouvement de
faire voyager votre genou gauche vers l’intérieur et le bord extérieur du pied se soulève,
puis il va vers la gauche et le bord intérieur du pied se soulève.
Si vous sentez que votre bassin a tendance à suivre la proposition de la jambe, placez vos
mains sur les crêtes iliaques, ces os que vous sentez quand vous placez vos mains sur la
partie haute de votre bassin, juste pour calmer le jeu et clarifier ce lieu des articulations des
hanches.
Pause.

Gardez les genoux au calme, reproduisez la même chose mais maintenant cela va se passer
au niveau de la cheville. Faites-le suffisamment lentement de manière à être certaines que ce
sont les bases du gros orteil et du petit orteil qui contactent le sol, sans oublier cette
sensation d’appui fort de votre talon.
Pouvez-vous le faire millimètre par millimètre ? A chaque fois que vous ramenez votre
pied, vous y allez avec beaucoup de délicatesse.
Il s’agit de réveiller toutes ces articulations, de remettre en route les vingt-six os de votre
pied et la meilleure façon c’est de mouvoir ce pied à l’aller et au retour avec cette qualité.
Si on y va d’un bloc, il n’y a aucune chance que ces parties-là, cette zone-là endormie, ne se
réveillent.
Restez, gardez les mains sur votre bassin et emmenez les deux jambes vers la droite, avec
les genoux, les bords des pieds suivent, et de retour à la maison, plusieurs fois. N’allez pas
trop loin, n’engagez pas le bassin. Même chose de l’autre côté.
C’est beaucoup plus clair, vu de l’extérieur.
Alternez. Vos orteils sont au calme ou pas ? Que fait votre tête ? Où va-t-elle ?
Revenez.
Dans un tout petit mouvement, ramenez les bords internes des deux pieds un peu plus vers
l’intérieur et les genoux se rapprochent un peu aussi, même chose avec les bords externes
et les genoux s’éloignent.
Combinez. Vous essayez de le faire par vos chevilles, vous les mobilisez et bien sûr les
genoux puis les fémurs suivent.
Emmenez le poids vers les talons et soulevez les orteils et inversement. Cela fait écho vers
votre bassin et remonte le long de la colonne jusqu’à votre tête ou pas, pas encore ?

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 59


Placez les bras à côté de vous, écartez davantage vos genoux et vos pieds, emmenez vos
genoux vers la droite, ils initient, les pieds suivent, le bassin aussi, puis quelles côtes, où va
la tête ?
Revenez. Maintenant les pieds sont le moteur et vous emmènent, le bassin vous ramène à
la maison et les pieds suivent.
Encore une fois : les pieds démarrent, les genoux suivent, puis le bassin et jusqu’où vous
pouvez aller sans effort, sans force et vous revenez par le bassin. La hanche droite se
rapproche du sol, tracte le bassin, qui emmène les jambes et les pieds reviennent.
Pause.

Emmenez les genoux vers la gauche quelques fois, et de retour, les pieds accompagnent.
Les genoux suivent maintenant les pieds qui conduisent, puis le bassin, la cage thoracique
et où va la tête ? Vers la droite, la gauche ?
Initiez le mouvement par le bassin et revenez par le bassin.
Allongez les jambes.

Vous pouvez vous passer des rouleaux sous les genoux maintenant ?
De quelle manière contactez-vous le sol après ces explorations ? Qu’est-ce qui s’est
modifié ? Quelles sensations vers vos pieds, quelle image, quelle représentation ? Et vers
vos genoux, les articulations des hanches ? De quelle manière respirez-vous ? Vos yeux
flottent dans les orbites ? Vos mâchoires sont tenues ?

Roulez par le côté pour venir vous asseoir et de là vous mettre debout. Faîtes-le lentement,
si possible sans vous étirer, vous réajuster, chacune à son rythme. Placez-vous sur le
dallage, pas sur les tapis. Sentez comment vous êtes.
Qu’est-ce que vous sentez des appuis de vos pieds ? Vous vous sentez plus ou moins
stable ? Vous vous rappelez comment c’était en début de séance ? Le trépied de vos pieds
s’est-il clarifié ? Ces trois points d’appui sont un peu plus présents ? Notez l’espace entre
vos talons. Cela correspond à l’espace situé entre vos articulations de hanche ou pas ? Les
bras pendent, on n’a pas besoin de les tenir. Comment vous respirez ? Quelle est
l’orientation de votre tête ? Ouvrez les yeux et marchez à nouveau lentement et notez
comment ça se passe avec le déroulé de vos pieds ? C’est différent par rapport à tout à
l’heure ? Que sentez-vous de vos hanches, genoux et chevilles ? Vous sentez ce trio bien
accordé ou pas ?
Et puis marchez normalement ».

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 60


Les retours :

S : « Quels sont vos ressentis ? Peu importe : agréables ou pas, bizarres. Qu’est-ce qui vous
a intéressé, dérouté, surpris ? Si vous avez envie de vous exprimer bien sûr, ça n’est pas une
obligation. La parole est libre.
Vos retours m’aident pour construire mes ateliers, des modules de formation. J’ai besoin de vous, c’est
interactif. Je n’ai pas le monopole du savoir, je cherche.
J : C’était plus fluide et j’ai l’impression que j’étais plus allongée aussi. Mes jambes étaient
étirées.
L : J’ai senti une grande différence entre les deux jambes, l’une était beaucoup plus lourde.
S : Oui, on a davantage travaillé avec la jambe droite. Je vous rassure, dans dix minutes, cela
va s’équilibrer.
L : C’était plaisant de bouger, ça m’a fait du bien.
LO : Toutes les articulations, oui.
S : Vous avez compris qu’il fallait y aller doucement, avec délicatesse ?
L : Nous ne sommes pas habituées à ça, pas du tout.
S : Je sais, c’est pour ça que j’ai beaucoup insisté.
J’ai bien vu que vous êtes sur un mode d’induction volontaire, un tonus fort, une façon de faire et de
produire avec des efforts. Ce que je trouve intéressant pour vous de découvrir, c’est qu’il y a d’autres façons
de faire et de produire.
J’ai embêté J. quand vous travailliez tout à l’heure, car elle ne se rendait pas compte qu’elle
produisait le même mouvement répétitif. Non, non, c’est : tu fais tout doucement et tu
prends un temps de pause et tu recommences. C’est de cette façon que le cerveau
enregistre de nouvelles informations. C’est ainsi que se fait l’apprentissage au niveau
neurologique. C’est dans la lenteur, la douceur et le plaisir. S’il n’y a pas ça, aucune
information nouvelle ne passe.
JO : C’est vrai, nous on fait tout vite, tout rapidement.
C : On ne retient que ce qui est agréable en fait, ce qui ne l’est pas, on ne le retient pas.
S : Exactement.
C : Je me suis aperçue que je ne me servais jamais de l’extérieur du pied.
JO : Le contraire de moi.
C : Et là, quand on a marché à la fin de l’exercice, oui, je prenais appui sur les trois points,
alors que d’habitude c’est talon / intérieur, talon / intérieur.
S : C’était très différent la façon dont tu marchais à la fin, par rapport au début. Ta
démarche était féline.
C : Je le sentais bien.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 61
S : Du coup ça a changé toute ton organisation ».
[J’échange avec L. qui ne se sent pas bien. Elle me dit qu’elle s’est trop décontractée. Je lui
conseille d’aller marcher dans le jardin, de s’oxygéner].
S : « Vous avez entendu ce qu’a dit L. ? C’est très intéressant : elle se sent mal parce qu’elle
s’est trop décontractée, ce sont ses mots. C’est une piste pour une thématique d’atelier : il
faudra travailler sur le tonus pour avoir la capacité de le moduler.
J’ai plusieurs observations à partager avec vous :
C’est bien d’avoir un savoir-faire efficace car vous êtes là-dedans, vous êtes dans l’efficacité,
vous avez à gérer des paramètres comme le temps, les plannings, les stocks et ça vous
projette, moi je dirais plutôt que ça vous coince, dans des façons de faire qui, à terme, ne
sont pas toujours adaptées et bonnes pour toutes les situations. Mais je reconnais que vous
avez absolument besoin de ce cadre pour tenir le coup.
Ce que je vous renvoie en fait c’est, d’accord, c’est un cadre obligé, mais dans des
circonstances qui s’y prêtent, vous pouvez trouver d’autres façons de faire.
Il y a quand même des moments dans votre journée de travail où vous pouvez expérimenter d’autres gestes
professionnels.
Nous l’avons vu lors du précédent atelier : obliger une personne couchée sur le côté à se
maintenir en équilibre, agrippée aux barreaux du lit, si ses épaules ne sont pas à l’aplomb, si
elle ne se sent pas sécurisée ça ne marche pas, c’est contreproductif.
Et si vous exploriez la douceur, la lenteur ? Cela produit des effets très intéressants.
Je le répète, je suis tout à fait lucide sur le fait que votre cadre, le contexte ne favorise pas
cette approche.
Mais je pense que vous pouvez, de temps en temps, lâcher la locomotive qui part, emballée,
car elle peut vous emmener à saturation et cela produit des catastrophes.
Habiter de temps en temps des petits îlots où vous travaillez de manière différente, avec cette qualité, cette
attention et ce rythme, cela va vous poser, vous et les personnes que vous soignez. Cela va vous enrichir.
Pour en revenir à L. qui est revenue, tenir avec ce tonus, ça n’est pas bon pour le système
nerveux, c’est une source de stress. Cela impacte la respiration.
C’est à vous de vous demander parfois s’il est bien nécessaire de rester bloquée sur la
quatrième ou la cinquième vitesse, se poser la question c’est l’amorce du travail.
Mes propositions sont des outils, mais c’est à vous de les prendre, de les utiliser.
A quel moment, dans la journée, vous décidez de porter attention à vous-même et vous
vous demandez : « J’ai besoin vraiment de me mettre la pression, de me stresser, d’être sur
ce mode de tonus élevé, de production de gestes mécaniques ? ».
Ici, on fait des propositions de mouvements mais on attend la réponse de la personne à qui on s’adresse,
sinon cela n’a pas de sens, ni d’intérêt.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 62
Il y a une différence entre « être énervée », c’est un état, une humeur, et avoir un tonus
élevé, être hypertonique. Quand on est stressée, notre tonus est élevé, on dit qu’ « on tient
sur les nerfs ».
Ce qui serait intéressant pour toi, L., c’est de trouver le point neutre entre cette
hypertonicité et ce relâchement qui t’a déroutée à la fin de la leçon. La question est
comment tu en arrives là. Il faudrait guetter ces moments où hop, ça part.
L : Il faudrait que je réfléchisse.
S : Ce n’est pas tellement de l’ordre de la réflexion, mais plutôt de la sensation.
Quand tu vas être capable de réguler ton tonus, tu vas être beaucoup moins fatiguée. C’est
le début d’une recherche, c’est passionnant.
L : Je ne me rends pas compte.
C : C’est dans ta nature, c’est tout, cela ne date pas d’hier.
L : Je vais vous demander à toutes de me signaler quand je suis comme ça.
S : Elles vont t’aider… D’autres retours ?
LO : Moi, cela m’a détendue.
S : Je voudrais savoir comment vous pourriez transposer cela avec les résidents.
En lien avec le thème de l’atelier, la position assise, la stabilité debout.
Est-ce que, ce que l’on vient de faire vous inspire par rapport aux appuis, la stabilité, l’axe,
l’alignement chevilles-genoux-hanches ?
Cela vous donne des idées, pour améliorer le travail, les gestes, les postures avec les
résidents ?
Vous pensez à certains d’entre eux ?
C : C’est important pour l’équilibre. Quand on les verticalise ou quand on les assoit, la
façon dont leurs jambes seront positionnées, les appuis qu’on va leur donner parce qu’on
va leur donner des impulsions pour les aider, je pense que si nous sommes un peu plus
vigilantes vis-à-vis de ces postures-là, ça peut effectivement leur donner un équilibre et une
sécurité.
L : On n’y pense pas, on leur pose juste les pieds par terre et c’est tout.
C : Dans le même esprit que quand le corps est dans le lit, bien aligné, quand il est bien
rangé on peut dire, il est beaucoup plus facile de le mettre en position assise.
S : Une autre expérience, venez ! On va travailler en duo toujours ».
Je positionne une chaise avec une assise plate et je leur demande de s’approcher.
S : « Viens C., tu vas t’asseoir ici. Tu veux bien t’avancer un peu vers l’avant. Voilà ! Vous avez vu ce
que j’ai fait ?
Assise au fond de la chaise, ses pieds ne touchaient pas le sol. Il y a beaucoup de résidents dans cette
situation.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 63
Je lui ai demandé d’avancer et j’ai placé un support, un coussin dans son dos, et ainsi ses pieds contactent le
sol, elle est en appui dessus.
Je place son bassin de manière à ce qu’il supporte son poids et s’il reçoit le poids, les jambes reçoivent aussi le
poids puisqu’elles pendent du bassin.
Est-ce que ses pieds et ses genoux sont dans l’axe des articulations des hanches ?
A : Non.
J : Il faut qu’ils soient un peu plus serrés je pense.
S : Regardez-bien maintenant : je prends par-dessous le bas de la jambe, mes mains sont situées en dessous
de la rotule, pas dessus, et je vais soulever. J’attends qu’elle me donne son poids. Ce n'est pas si facile de
donner son poids. Quand mes mains sentent que c’est bon, je fais juste un petit mouvement de balancé, pour
vérifier qu’il n’y a pas de tension, puis doucement, je pose le pied au sol.
Je fais la même chose de l’autre côté.
Je n’ai pas cherché à placer, positionner sa jambe. Le fait qu’elle me l’a donnée a induit cet alignement
naturel chez elle.
Observez bien comment je m’organise : si je le fais de manière distale, comme ça avec mes épaules et mes
bras, je suis fichue car je fais des efforts et je vais me fatiguer très vite. Non, je garde la partie haute de mes
bras tout contre mes côtes, je me rapproche d’elle et c’est moi toute entière qui soulève sa jambe, pas
seulement mes bras et du coup c’est léger.
Ensuite je vais par-dessus-elle, je pose mes mains au-dessus des rotules, pas sur elles, attention, et de la
même façon, j’engage tout mon poids, j’appuie et je contacte ses talons de cette façon. C. est-ce que tu sens
que le poids va vers tes talons ?
C : Oui.
S : Et ça c’est une information importante pour les résidents, vous leur donnez à sentir leur base, le support
de leurs pieds.
Tu sens comme tu es bien assise ? Si tous les résidents pouvaient être assis comme ça, ça serait super.
LO : Quand on met leurs pieds dans les cale-pieds, souvent on les prend au niveau des jambes.
L : Oui, mais on le fait pas comme ça.
LO : C’est un peu ce geste-là.
S : Oui, ceux et celles qui sont dans les fauteuils avec les cale-pieds c’est une situation mais il y a aussi tous
les autres, ceux qui sont encore mobiles, qui peuvent marcher.
Ce que je vois dans leur assise c’est ça : je suis avachie, affalée, avec les fesses au bord. Qu’est-ce que vous
voulez qu’ils fassent ? Il n’y a plus de bassin, plus d’articulations de hanche.
C : Ils se laissent glisser, ils ne sont pas confortables.
S : Oui, ils ne sont pas en appui, disponibles, prêts à s’engager dans une action comme se lever, se tourner
… Ils ne sont pas dans un processus dynamique.
Là, on est dans une position de repos, confortable, tout est aligné.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 64
Il faut savoir que la colonne vertébrale est érigée à partir du bassin.
Regardez : je me mets de profil. Si je m’assois à l’arrière de mes ischions, ces os situés à la base de mon
bassin, je roule en arrière, regardez mon dos, il s’arrondit. Si je roule à l’avant des ischions, je suis en
extension, mon dos est cambré, ma tête et mes yeux vont vers le haut. L’idée est de chercher le neutre des
ischions, cet endroit où je suis tranquille, et ma colonne le sera aussi. Vous comprenez ? Les chaines
musculaires antérieures et postérieures sont équilibrées, les épaules sont à leur place et tout va mieux.
Je trouve qu’il y a pas mal de recherches à faire avec les assises.
C : D’où l’importance d’acheter des fauteuils adaptés.
S : Je ne sais pas, je ne suis pas ergonome ni spécialiste des personnes grabataires mais je ne
suis pas favorable aux fauteuils moulés, aux coques. Ils enferment les personnes dans un
moule, dans une forme et cela fait que leur mobilité n’est plus stimulée.
Quand il n’y a plus de mouvements, la rigidité arrive au galop. On ne titille plus la vie, la respiration, les
muscles, on tire les personnes vers le bas.
Jo : Mais on est toujours mal assise.
S : Oui, mais ça se travaille, ça s’étudie et quand on trouve la position qui nous convient,
qu’est-ce qu’on est bien !
Jo : Si je m’assoie comme tu dis, ça me tire.
S : Oui, pendant un moment cela va tirer, c’est vrai. Changer les habitudes ça n’est pas
forcément confortable. Tu ne vas pas commencer au sol mais sur une chaise. Quand notre
structure est confortable, elle se relâche, les muscles se détendent. Ensuite lorsque tu
reviendras à ton habituel, ton système nerveux t’enverras des signaux et tu te rendras
compte que tu n’es pas alignée de manière adéquate.
Quand on débute un nouvel apprentissage, ce n’est pas toujours rigolo, non ?
Vous vous rappelez les gadins quand on a appris à faire du vélo ? Mais on sait le faire
maintenant.
C’est pareil pour l’assise, il faut s’exercer.
C : Pour la prochaine maison, il faudra bien choisir le mobilier.
S : Je suis d’accord pour vous aider à le choisir, il faudra le tester, en situation, une semaine
avec les résidents, pas moins.
Je suis contre tout ce qui est préformé. Pour moi, le mieux est une assise basique, un fond
plat, un adossement à peine incliné vers l’arrière et une panière remplie de supports, des
coussins de toutes tailles, des galettes, des rouleaux de densité de mousses différentes et
vous jouez avec : ça n’est pas le siège qui te rend confortable, c’est la manière dont tu utilises ce siège qui
va faire que tu te sens bien.
Il faut arrêter la dictature de l’environnement et du mobilier, inversons.
Agissons dessus, ne nous adaptons pas à eux, c’est le contraire qui est juste.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 65
C : Et puis on n’a pas tous la même morphologie, la même taille. Le canapé que je veux
acheter ne conviendra sans doute pas à mon mari qui mesure 1,80m.
S : J’aimerai bien discuter avec des designers de meubles contemporains et travailler en
atelier avec leurs objets et eux-mêmes, spécialement avec ceux qui dessinent les fauteuils de
bureau … Mais c’est un autre sujet …
J’ai plein d’histoires à raconter là-dessus. Nous avons perdu notre bon sens.
C : Je me rappelle que ma grand-mère se promenait avec son petit tabouret et elle était
partout bien positionnée.
S : Elle avait du bon sens.
C : Oui. On pense maintenant que l’on crée des choses plus adaptées, mais ça n’est pas le
cas ».
Fin.

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III. Les différents éléments d’évaluation

Le projet se terminera en décembre 2014, l’évaluation n’est pas à l’ordre du jour au


moment où j’écris ces lignes, elle le sera au mois de novembre.
J’ai l’intention alors de travailler sur la traçabilité et la restitution écrite des améliorations
constatées chez les résidents, d’interroger les façons de relayer et d’échanger au mieux
toutes les informations collectées entre les soignantes, les équipes différentes.
Comment en faire un savoir collectif et comment ce décloisonnement et cette porosité,
peuvent-ils intéresser le médecin, les infirmières étant à présent complètement investies et
convaincues ?

Comme vous l’avez lu, la collecte de retours, réflexions, questions, découvertes, est
abondante.
Les supports ont été des carnets de notes prises sur le vif, des enregistrements audio de
PCM, d’ateliers, de bilans, de réunions d’équipes que j’ai transcrits, la mémoire…
J’ai distingué trois modes de recueil :

A. La parole formelle, à l’intérieur d’un collectif, réunions d’équipe,


bilans de l’action de formation.

J’ai participé à cinq réunions d’équipe, en observatrice principalement, je me suis peu


exprimée si ce n’est pour demander des explications par rapport aux termes endogènes de
la profession, sigles et informations médicales concernant des pathologies. J’en ai fait des
comptes rendus, de mon point de vue de stagiaire extérieure à la structure, que j’ai soumis à
Mme L. Cela la beaucoup intéressée, surtout cette posture de mise à distance, de petit pas
sur le côté qui éclaire différemment des enjeux, des questions relevant de l’organisation
structurelle comme par exemple la communication et le relayage des informations entre les
équipes.
Voici quelques exemples d’observations que j’ai retenus :
° Le personnel confond, mélange ce qui est affectif et fonctionnel. Il note les avancées et les
régressions, les anomalies ou les surprises. Il constate les manques mais aussi les limites des
aides possibles.
° Il y a un consensus général pour convenir qu’il manque du monde pour faire marcher les résidents.
° Je découvre qu’il existe une vie nocturne, un temps où ceux-ci s’expriment, s’habillent et se
déshabillent, déambulent, chantent.
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° Je peux avancer que la peur de la chute est un des paradigmes de la gériatrie.
° Lorsque le médecin est présent, les échanges concernent principalement les traitements, les médications,
l’état de santé desrésidents. Lorsqu’elle est absente, les soignantes s’engagent de manière significative lors des
débats, et il est davantage question de l’état « d’être » des personnes, des détails du quotidien.
° Comment donner plus de place à la parole des AS ?
° D’autre part, pourquoi les ASH ne viennent-elles pas ?
Quelle est leur place au sein de la structure ? Qu’est-ce qu’elles ont à dire ?
° Quels liens se tissent, ou pas, entre les AS et les ASH ?
° Et entre les AS, les ASH et la direction ?

B. La parole individuée, dans les chambres, les séances


personnalisées dans les bureaux du personnel administratif.

Dans cette immersion dans la structure, je me suis attachée à la fois à garder une juste
distance vis-à-vis des personnes que j’observais, personnel soignant et administratif en
action, de manière à exercer mon esprit critique, avoir la capacité de proposer d’autres
schémas, de questionner des habitudes, sans jugement ni interprétation hâtive.
J’ai souvent répété que je n’avais pas de pouvoir dans la maison, que je servais uniquement
de relais, que j’avais la possibilité de transmettre des observations qui semblaient à tous
importantes et pertinentes, dans les deux sens, de la directrice au personnel et inversement.
Je voulais être digne de confiance car les actes accomplis et les paroles reçues dans ce
contexte du monde du soin ne sont pas anodins. Être accueillie dans leur environnement
de travail, impliquait un respect mutuel.
J’ai donc échangé librement avec les aides-soignantes, dans les chambres, et aussi avec la
directrice, la secrétaire et l’adjointe des cadres, en les regardant travailler dans leurs espaces
respectifs, en questionnant leur assise, la hauteur de leur bureau, le rapport entre leurs yeux
et l’écran de l’ordinateur, les torsions et inclinaisons de leur buste, la mobilité de leur bassin
en rapport avec les articulations des hanches, par exemple.
Je pense qu’elles se sont confiées à moi de la même façon, que la qualité de nos relations
s’est améliorée sur la durée du projet.
Cette place d’observatrice/témoin et de formatrice/stagiaire non expérimentée a été
finalement un privilège, garante d’une liberté et d’une ouverture vers d’autres choix et
manières de « faire ».

C. Ma parole, l’expression de mes observations, de ce que je vois à


ce qui pourrait être amélioré.
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« Ma façon d’enseigner, ma façon d’agir avec les gens consistent à découvrir quel type
d’accomplissement est possible pour chacun d’eux. Les gens peuvent apprendre à se déplacer, à
marcher ou à se tenir debout différemment, mais ils y ont renoncé, car ils pensent qu’il est trop
tard, que leur croissance est terminée, qu’ils ne peuvent plus rien apprendre de nouveau, qu’ils n’en
ont ni le temps ni la capacité. Ils ignorent qu’on n’est pas obligé de redevenir un bébé pour
apprendre à fonctionner convenablement. On peut se « reconnecter » à n’importe quel moment de
la vie, à condition de se laisser convaincre qu’il n’y a rien de permanent ou de compulsif dans le
système nerveux humain ».15

En accompagnant les soignantes dans les chambres il y a eu deux phases :


 Une phase d’observation où je découvrais leurs gestes et postures durant les
toilettes au lit ou debout, en position assise dans la salle de bain, les levés, les
transferts du lit au fauteuil, mais aussi quand elles utilisaient le lève-malade.
J’étais attentive à leur tonus, leur rythme d’action, l’écoute visuelle, leur toucher,
l’interrelation avec la personne soignée, les échanges entre collègues,
l’environnement, l’espace de la chambre, les qualités sonores.
J’ai pu en voir plusieurs s’occuper d’une même personne et noter de grandes
différences.
J’avais un carnet dans la poche et je recueillais en vrac tout ce qui me semblait
inapproprié, étrange, décalé, déroutant, dangereux, dérangeant, vraiment tout, de
manière non sélective.
 Dans un deuxième temps, et quand je percevais que cela était possible au niveau de
leur emploi du temps, que cela ne les perturbait pas trop, je me suis exprimée. Je
leur ai dit ce que je voyais et je les ai interrogées sur leur façon de faire. S’en suivait
un temps de recherche et d’expérimentation que l’on prenait ensemble afin
d’améliorer ledit geste, ladite posture. J’ai beaucoup appris à ce moment-là car elles
m’ont initiée, j’ai pris conscience de la somme de leur savoir.
Alors, en retour, j’offrais mes outils, et nous testions, nous jouions avec différents
mouvements, différentes possibilités. Nous échangions, nous étions réellement en
interaction.

15
- Moshe Feldenkrais, L’évidence en question, Paris, Editions L’inhabituel, 1997, pp. 146-147

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Dans les ateliers, ma parole est pédagogique. Je suis la praticienne Feldenkrais et j’emmène
un groupe de personnes vers un type d’apprentissage spécifique.

Dans les bilans, dont j’ai placé une transcription dans l’annexe, p 85, je suis à la fois
praticienne, formatrice et chercheuse. Je me mets à leur diapason mais je garde toujours
mon esprit critique. J’ai besoin parfois de recadrer (les retards, les qualités d’écoute et de
formulation des retours).

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IV. L’analyse critique de l’expérience

Les pistes non abouties :


Comme je l’ai écrit précédemment, j’ai transformé les leçons collectives de Prise de
Conscience par le Mouvement, en séances de détente et de relaxation. Les aides-soignantes,
à ce moment-là de la journée, arrivaient au cours épuisées et j’ai dû prendre en compte leur
état. Mon programme a donc été freiné. Au bout de six mois de pratique, cela a changé,
elles étaient plus aptes à suivre une PCM dynamique.

Les résistances :
Lors de la mise en route du projet, elles se sont manifestées principalement par un
absentéisme lors des cours. Il a fallu éprouver la patience, repérer ces endroits où il
manquait des maillons dans la chaîne de l’information.
« Aller vite » dans les structures n’est pas la solution, je trouve, mais un problème. Les
informations fournies par la voie d’affichage, par exemple, ne passent pas car personne ne
prend le temps de s’arrêter pour les lire, tout simplement.
Par contre, le bouche à oreille est efficace et la transmission lors des pauses café ou
déjeuner est le meilleur médium.
Clarifier les conditions de présence pour la formation, prise ou non sur le temps de travail,
a demandé aussi de la pédagogie. Deux ou trois personnes ont assisté à des séances en
dehors du cadre du travail, pas plus.
Sur un groupe régulier de douze aides-soignantes, huit ont participé activement au projet.
Deux n’étaient pas intéressées du tout, deux autres partiellement. Je n’ai pas insisté car je
sais, de par mon expérience professionnelle, qu’une présence hostile dans un groupe
engagé dans un processus de recherches, avec un état d’esprit curieux et ludique, entrave et
perturbe ce processus. Je ne l’ai pas souhaité. Par contre j’ai remarqué, après quatre mois,
leur présence en cours, de manière sporadique certes, mais elles venaient.
Comme elles l’ont noté elles-mêmes lors de l’atelier du 18 février (cf. section II. C.), et du
bilan du 23 janvier (cf. section IV.C.), la qualité du travail en équipe s’est modifiée et le fait
que tout le monde ne soit pas au diapason les a gênées.

Les avancées :
Elles ont été repérées dans plusieurs domaines :
 Dans la qualité des soins donnés (témoignage de Lu, p 80-81, dans la restitution du
bilan n°1).
 Dans la qualité de la relation entre soignants et soignés.
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 Dans une prise en compte et un ajustement du rythme général et du tonus
individuel.
 Dans une prise en compte et une amélioration des gestes et postures
professionnels.
 Dans un regard et une attention autre portés sur les résidents dans des soins de base
tels que la toilette en position assise et au lit, allongés sur le côté, mais aussi pour
emmener les personnes de la position couchée à assise en relevant la tête de lit.
 Dans un questionnement sur le trousseau inadapté.
 Dans une amélioration des relations entre les membres des équipes.

Mon autocritique :
Durant ces mois, de septembre 2013 à décembre 2014, j’ai amassé un énorme matériau afin
de constituer une banque de données dont il me semble que je ne dispose pas tout à fait du
logiciel adéquat pour traiter ces dernières, pas tout à fait et pas encore !
A chaque fin de cours, d’ateliers et bilans, dans les chambres, les couloirs et les bureaux,
dans la cour, le jardin et la cuisine, j’ai glané des informations, des réflexions, des critiques,
des souhaits, des requêtes, des demandes. Le temps passant et le filtre du temps agissant
comme un tamis, sont restées au-dessus des mailles les évidences, les méta-thèmes à traiter,
les questions essentielles, incontournables et propres au monde du soin telles que
l’interrelation, les différents types d’écoute, l’attention à soi-même, l’attention aux autres, la
bienveillance, la bientraitance, la capacité de moduler son tonus …
Ces nourritures ont enrichi ma pratique Feldenkrais et la personne que je suis, à bien des
niveaux.
J’ai beaucoup appris et je n’ai pas fini.
Je me suis entraînée au régime de l’humilité et de la patience, le tout avec une douce et
inébranlable (autant que possible !) ténacité.
Je sais qu’il me faudra du temps pour catégoriser tout cela, l’analyser.
Cela se fera ultérieurement, chemin faisant, je n’ai pas terminé mon travail à l’EHPAD.
J’ai investi ce terrain longtemps, j’ai conscience que prendre de la distance m’aidera à
réaliser vraiment et mesurer tout ce qui s’est passé.
Je suis quelqu’un du terrain, ma pratique professionnelle et mes compétences artistiques se
sont bâties sur ce socle. Je cultive en permanence l’adaptabilité, l’improvisation, l’intuition,
la prise de risques mesurés, c’est une force. Manier des outils analytiques n’est pas encore
une évidence et j’espère que cela viendra en continuant ce processus de réflexions critiques
vis-à-vis des institutions, des acteurs, des usagers et de moi-même.

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V. Les formations à venir

A. Mes choix au terme de cette expérience.


Confrontée à des situations inhabituelles dans un contexte inconnu, ma grille d’observation
Feldenkrais s’est invitée naturellement et les principes qui fondent la méthode m’ont servi
de cadre de référence, de support. Au terme de cette expérience, je me rends compte que
j’ai su les sélectionner, les analyser et les synthétiser.
Mon choix a été de travailler sur le thème des habitus.
Les moyens que j’ai utilisés sont le questionnement, l’expérience (éprouver pour
comprendre), et le déplacement du point de vue.

Ce processus de la Prise de Conscience par le Mouvement est original dans le sens qu’il
remet en jeu une faculté primordiale dans le monde du soin : l’attention à soi-même.
En effet, si l’on l’oblitère, comment imaginer, écouter, porter attention à l’autre, en
l’occurrence la personne soignée ? Il ne reste que des routines, des protocoles de soins
désincarnés, désinvestis, des habitudes machinales.
A propos des habitudes, dans tous les contextes, lisons M. Feldenkrais :
« Nos habitudes nous servent à agir plus rapidement et avec à-propos. Mais des habitudes
utilisées à tort et à travers ou considérées comme des lois de la nature, autrement dit
comme immuables, ne font rien d’autre que témoigner du caractère opiniâtre et délibéré de
notre ignorance. La gamme des choix rendus possibles par nos ressources, nos fonctions et
nos structures est stupéfiante. Pourtant, tous ceux qui souffrent sont convaincus qu’ils sont
faits ainsi et que, comme pour leurs habitudes, ils ne peuvent rien y changer ; leurs
habitudes les rendent aveugles à toutes les alternatives qui leur sont disponibles. Les
habitudes s’utilisent si facilement et sans peine que nous préférons ne pas en changer.
Sachez qu’une grande variété d’ « habitudes » est à la portée de chacun de nous. Nous
pourrions en utiliser certaines le dimanche, d’autres les autres jours de la semaine, certaines
quand nous sommes debout et d’autres quand nous sommes couchés, et les choisir à
volonté pour chaque nouvelle situation ». 16
Comme l’expriment à plusieurs reprises les participantes lors des ateliers, « on ne sait même
plus ce que l’on fait », « je ne m’en rends pas compte », « on a tellement l’habitude … ».

16
- Moshe Feldenkrais, L’évidence en question, Paris, Editions l’inhabituel, 1997, p.148.

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De ce fait, un regard extérieur que je me suis efforcée de rendre neutre est en capacité de
pointer ces habitus, de les questionner, de jouer avec, de les modifier, de les retourner et
d’habitudes destructrices les transformer en gestes créatifs, inventifs.
Même si je connais le paradoxe de cette double contrainte subie par les soignants et dont
parle Pierre Ancet dans ce qui suit, nous avons expérimenté dans l’EHPAD qu’ « une
somme de petits gestes de rien et d’attention », peut grandement bousculer les routines :
« Il n’y a pas si longtemps encore, les formations destinées aux infirmières et aides-
soignantes insistaient sur la nécessité de techniciser le soin en laissant de côté affects et
émotions. L’émotion était perçue comme un danger, un risque de manque de
professionnalisme. Aujourd’hui la contrainte est différente et prend la forme d’une
injonction contradictoire : devoir respecter un certain nombre de valeurs morales, mais en
travaillant dans un temps restreint qui limite très fortement la possibilité d’avoir une
attention à l’autre et à ses besoins. C’est une autre façon de laisser de côté les affects et
l’empathie qui font tout l’intérêt et l’importance humaine d’un travail d’aide ou de soin
auprès des personnes. Il est vrai que s’en remettre à des routines permet de gagner en
efficacité technique et que l’apitoiement n’est pas nécessaire. Mais les routines qui
véhiculent des valeurs d’efficacité, de rentabilité, rentrent en conflit avec d’autres attentes
des personnels, liées aux besoins de contact et d’affect qu’ils ressentent chez les personnes
qu’ils soignent et dont ils prennent soin ». 17

Le questionnement :
« Une solution évidente serait de nous préoccuper non de ce que nous faisons, mais de la manière
dont nous le faisons. C’est le « comment » qui, en tant que mode d’exploration du processus de
l’action, marque notre individualité de son sceau. Si nous observions comment nous faisons les
choses, nous trouverions peut-être d’autres façons de faire, c’est-à-dire un certain libre arbitre. Mais
sans solution de remplacement, nous n’avons plus le choix et nous aurons beau prétendre que nous
avons choisi la seule manière d’agir, notre conduite n’en aura pas moins été rendue compulsive par
le manque de choix ». 18

Je tiens à l’originalité du point de vue, suivant : questionner le « Comment ? », plutôt que le


« Quoi ? » : c’est une des clés de cette pratique somatique.
Cette clé est la base de mon enseignement, le support de ma pédagogie.

17
- Pierre Ancet, Le corps vécu chez la personne âgée et la personne handicapée, Paris, Editions Dunod,
2010, p.p.2-3.
18
- Moshe Feldenkrais, L’évidence en question, Paris, Editions l’inhabituel, 1997, p.11.

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En effet, cette question toute simple induit un processus réflectif puissant, individuel mais
aussi relationnel. Si de plus le cadre de l’enseignement est sécurisé, ludique, joyeux, ce
processus devient contagieux et l’équipe toute entière s’implique. Le climat du lieu se
modifie. Lors d’un rendez-vous de suivi de la formation, Mme L. m’a signalé qu’elle était en
mesure de reconnaitre les personnes qui participaient aux cours et aux ateliers et celles qui
n’étaient pas impliquées. Lorsque je lui ai demandé des précisions concernant cette
observation, elle a répondu que les différences concernaient les qualités de présence, de
calme et d’attention. Ceci induisait un changement au niveau de « l’atmosphère » de la
maison, elles étaient davantage disponibles pour les résidents et du coup ceux-ci étaient
plus apaisés.
C’est comme si la bientraitance qu’elles s’accordaient à elles-mêmes se réfléchissait, en
miroir, vers les personnes qu’elles soignaient.

Le déplacement :
Ce qui m’a passionnée dans cette expérience, c’est de déplacer les sujets, de faire des
questionnées des questionneuses, qu’elles soient en capacité, ou qu’elles retrouvent cette
capacité, de prendre soin d’elles-mêmes et donc des autres, d’elles-mêmes et de leur travail.
Il s’agirait plutôt d’une réappropriation de leur contexte, envisagé différemment, autrement,
grâce à cet éclairage nouveau induit par « comment je le fais ? ». Et ceci concerne tous les
personnels, pas seulement les soignants.

L’expérience :
Je tiens à l’importance de mettre au premier plan le vécu expérientiel des soignants, les placer
dans le positionnement des soignés, leur donner à vivre les situations et les actes quotidiens
pour les amener à réinterroger les façons de les appréhender.
C’est l’objectif des ateliers.
Les ateliers constituent le noyau des modules de formation.

La problématique de la temporalité :
Elle est liée d’une part au temps nécessairement induit lorsqu’on ambitionne de modifier
les habitus dans des structures mais aussi aux évaluations à moyen et/ou long terme.
J’ai expérimenté que la temporalité du D.U ne correspond pas à celle du terrain. Il faut
beaucoup plus de temps sur le terrain pour expérimenter quoi que ce soit, la pensée étant
plus rapide que la mise en actes.

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B. Le contenu des modules de formation.
Les thèmes que je choisis d’inclure sont :
- Le toucher, la fonction haptique, l’interrelation
- Les gestes de coucher - rouler
- Les gestes de lever
- Les gestes du portage
- Les gestes des transferts
- L’assise
- La stabilité et le confort debout
- Le tonus et la détente
- L’attention et la bienveillance

C. Formats et déclinaisons possibles

« Il faut imaginer des conditions de formation permettant l’émergence de la capacité créative – qui
est en chaque être humain- dans des cadres de formalisation repensés et s’engager dans un soutien
pédagogique fiable et sécurisant. C’est le seul moyen d’assurer la transformation des structures et,
en même temps, d’enrichir le patrimoine informationnel des soins en donnant du sens à ce qui
interfère dans la relation de soins déterminée par l’ordre médical et en créant des réponses (savoirs,
savoir- faire et savoir-être) adaptées et nécessairement évolutives ». 19

Ce que je projette d’approfondir :


Ces modules ne sont pas uniquement destinés au personnel soignant, infirmières, AS,
AMP, ASH.
En fonction des structures, de leur taille, de leurs demandes, de leurs attentes, je propose ce
travail d’observations in situ aux administratifs, aux techniciens, aux agents d’entretien …
Dès lors, des séances dans les bureaux, les cuisines, lingeries, lieux de stockage pour
appréhender toutes les actions des personnes, questionner leurs gestes et postures
professionnels sont à mettre en place.

Proposition de rythme :
Le rythme qui s’est révélé le plus pertinent aux termes de cette expérience est le suivant :
- Un atelier et une séance d’observation in situ, détachée de l’atelier, pour chaque
groupe professionnel le premier mois.

19
- Marie-Annick Delomel, La toilette dévoilée, Paris, Editions Seli Arslan, 1999, 2008, p.207.

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- Un atelier par mois pendant 5 mois, soit six ateliers.
- Sur un minimum de cinq ateliers pour une intégration et prise en compte réelle de
cette formation

Proposition de format :
Le format que je retiens est le suivant :
- Une journée de formation pour deux groupes, un le matin, l’autre l’après-midi.
- 2h30 pour chacun.
- 2h30 est le format nécessaire pour un atelier composé de :
o une PCM de 60 mn
o un travail en binôme de 20 mn
o d’un travail in situ de 45 mn
o un temps d’échange verbal de 25 mn
- 2h est le format nécessaire pour la séance d’observation initiale

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CONCLUSION

Après la pause estivale, la formation reprend à l’EHPAD de Cucuron en septembre, elle se


terminera début décembre 2014.
L’adjointe des cadres d’un EHPAD voisin, à sept kilomètres, m’a contactée, la directrice de
cet établissement souhaite mettre en place ce dispositif particulier de formation en 2015.
Particulier dans le sens où ce qui les intéresse est surtout ce travail in situ, produisant des
réponses adaptées à chaque personne en particulier, et aussi ce questionnement sur les
habitus.
Je souhaite proposer mes compétences à d’autres structures résidentielles, travailler dans le
secteur hospitalier, rencontrer des publics différents.
Je compte enrichir la palette des modules graduellement et commencer avec ce que j’ai dans
ma boîte à outils.

Le contenu pédagogique du D.U m’a passionné : c’est comme si d’une part je découvrais et
expérimentais la partie théorique de mon apprentissage professionnel de la méthode
Feldenkrais et des autres pratiques somatiques, et d’autre part les ponts et articulations
possibles avec le monde du soin, les mises en lien avec des publics, des structures, des
usages que je n’avais pas imaginés … Une magnifique découverte !
Dans le même temps, j’ai identifié une critique (limite ?) à ce type de projets : comment
apprécier les résultats sur la durée, le vécu expérientiel et subjectif restant central, comment
les restituer, les « acter » ?
Est-ce que je pourrais reproduire cette expérience à l’EHPAD sous l’angle des résidents et
en faire un sujet de mémoire ?
Mon choix politique est de semer des graines, métaphore naïve mais juste à mon sens, de
faire en sorte que le terreau soit propice et qu’elles puissent germer tranquillement, puis
pousser dans une structure rhizomatique chère à G. Deleuze et F. Guattari.
La rédaction de ce mémoire m’a permis de clarifier, d’adapter mes propositions pour une
approche spécifique d’une formation orientée vers ce public.
En d’autres termes il s’agit d’une interprétation personnelle de la méthode Feldenkrais
appliquée au monde du soin.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 78


Bibliographie

Pierre Ancet, Le corps vécu chez la personne âgée et la personne handicapée, Paris, Ed. Dunod, 2010.

Didier Anzieu, Le Moi-peau, Paris, Ed. Dunod, 1995.

Marie Bardet, Isabelle Ginot, "Variabilités : inventer le temps", in Isabelle


Ginot (dir.), Esthétiques et politiques d’une pratique corporelle- Penser les somatiques avec Feldenkrais,
Lavérune, Ed. L'Entretemps, à paraître, 2014.

Alain Berthoz, Le sens du mouvement, Paris, Ed. Odile Jacob, 1997, janvier 2013.

Arnaud Cousergue, L’esprit du geste – petite sagesse des arts martiaux, Paris, Ed.

Transboréal, 2009Marie-Annick Delomel, La toilette dévoilée, Paris, Ed. Seli Arslan, 1999,
2008.

Norman Doidge, Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau, Paris, Ed. Belfond, 2008.

Moshe Feldenkrais, Energie et bien-être par le mouvement, St-Jean-de-Braye, Ed. Dangles, 1993.

Moshe Feldenkrais, Le cas Doris, Paris, Ed. L’espace du temps présent, 1993.

Moshe Feldenkrais, L’être et la maturité du comportement, Paris, Ed. L’espace du temps présent,
1992.

Moshe Feldenkrais, L’évidence en question, Paris, Ed. L’inhabituel, 1997.

Gabriel Fernandez, Soigner le travail, Toulouse, Ed. érès, 2009.

Laurence Wm. Goldfarb, Articuler le changement, Paris, Ed. L’espace du temps présent, 1998.

I. Ginot, « Douceurs Somatiques », dans Cahier de repères danse, n° 32 (2013), Vitry, Ed. La
briqueterie, CDC du Val-de-marne.

Roland Jouvent, les rêveries du cerveau – émotions et technologies, Paris, Ed. Manucius, 2013.
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Catherine Malabou, Que faire de notre cerveau, Montrouge, Ed. Bayard, 2011.

P. Molinier, « Ambivalence du travail de soin », dans Sciences Humaines, n° 200 (2009),


Auxerre, p.75.

Jacques Rancière, Le maitre ignorant, Paris, Ed. Fayard, 1987.

Christine Roquet, Encore le corps ?, Notes de séminaire, Université Paris 8, 2013.

Odile Rouquet, De la tête aux pieds, Pantin, Ed. Recherche En Mouvement, 1991.

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Annexe

Bilan N°1 jeudi 23 janvier 2014

Huit personnes.
Il s’agit du premier bilan qui clôt la phase préparatoire qui s’est déroulée de septembre à
décembre 2013 : durant ces quatre mois le personnel a suivi les cours collectifs.
Le travail d’observations dans les chambres a débuté en janvier 2014.
Lors de la transcription de ce bilan, j’avais passé une matinée à suivre l’aide-soignante Lu.

S : « Bonjour, l’objet de cette réunion c’est en fait une réunion/bilan sur vos ressentis à
propos du travail qu’on a fait ensemble.
Il y a des questions auxquelles je vais vous demander de répondre.
C’est une parole libre, on essaie juste de ne pas trop se couper, que cela soit audible, qu’on
puisse entendre mais je ne vais pas donner la parole …
La première question c’est : est-ce que pour vous ce projet est intéressant, ou pas ?
Vous prenez la question comme vous l’entendez, d’accord ?
Je rappelle la nature du projet : d’abord c’est les cours collectifs, les PCM, puis au deuxième
niveau le travail d’observation dans les chambres, ce que j’ai fait avec Lu. qui est ici et
personne d’autre pour le moment. C’est un travail où j’observe, je fais des retours, des
propositions et le troisième niveau qu’on n’a pas encore fait, puisque cela va dépendre du
matériau collecté dans les chambres, va être un atelier « Gestes et Postures », d’une durée
de deux heures, une fois par mois, et on va questionner ensemble quelles sont les postures,
les gestes, les relations, les touchers. Voilà une brève récapitulation du projet. A vous …

H : Moi je réponds oui mais il y a un mais, car j’ai du mal à venir à toutes les séances, il y a
des choses à mettre en place, je ne sais pas …

S : Tu veux dire dans l’organisation de ton travail par rapport aux cours du mercredi ?

H : Oui, le mercredi, c’est le jour des livreurs, ils ne veulent pas en démordre de leurs
horaires et les trois dernières séances – voilà …

S : Oui, j’ai vu. Tu en as parlé à Mme L. ou pas ?

H : Non, je pensais qu’elle serait là mais non …


D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 81
S : Je peux le lui rapporter mais rien ne t’empêche de lui en parler, toi. Il faut t’exprimer
aussi, elle ne peut pas le deviner.

H : Oui, oui …

S : Elle ne sait peut-être pas ton attachement à ce travail.


Je pourrais tout à fait entreprendre avec toi, H., un travail d’observation de tes gestes au
quotidien, comment tu prends, tu manipules. Cerner avec toi : c’est quoi mes gestes et
postures, mon organisation. Il faudra qu’on le mette en place, plutôt le matin. Tu serais
d’accord pour ça ?

P : Oh, vous porterez bien une télé ensemble ! Ou un four à micro-ondes …

S : Non je ne porterai rien.

P., en riant : Tu le regarderas faire !

S : Tu sais quoi P. ? Moi je les mettrai sur des charriots à roulettes, déjà …
On fait un tour de table ?
Alors A., en rigolant, je ne t’ai pas vue du tout, ni cette année, ni en 2013.

A : C’est-à-dire qu’avec le travail qu’on avait, on ne pouvait pas trop être disponible.

S : Tu veux dire par rapport à l’organisation de la maison, du personnel, tu ne pouvais pas


t’échapper ?

A : Oui, voilà.

S : Est-ce que tu as envie de prendre le train en route, de nous rejoindre ?

A : Oui, ça apporte toujours quelque chose, ça ne peut être que bénéfique.

P : C’est toujours pareil, tout le monde est d’accord (je prends la parole pour tout le
monde) pour dire que c’est bien, que ça peut nous apporter un plus, que ça nous

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 82


décontracte et tout ça, mais après au niveau de l’organisation du travail on est
toujours…Voilà elles sont quatre donc c’est toi et toi qui y va et moi je reste …

A. : Parce qu’il y a le travail, tout ce qu’il y a à préparer au niveau des résidents, ensuite la
préparation pour la messe, il y a les cours avec vous … ça fait beaucoup de choses en
même temps voyez … Est-ce qu’il faut venir pendant le temps de travail, pendant le temps
de repos ?

P : C’est très difficile à organiser je trouve. De toute façon tu as au moins généralement


deux AS, une infirmière, tu as H., parfois V. du bureau et des gens de l’extérieur, voilà … Il
faudrait englober les ASH, les filles de nuit qui ne sont absolument pas au courant de ton
projet.

S : C’est exactement la question qu’ont posé R. et MF. hier : mais pourquoi les ASH ne
sont pas là, car elles aussi font des manipulations, elles emmènent les personnes aux
toilettes … et aussi les personnes de nuit, qu’il y ait une continuité, qu’elles sachent de quoi
on parle.
Ce qu’elles m’ont dit d’intéressant c’est que maintenant quand elles travaillent avec des
personnes qui ne viennent jamais au cours ça commence à poser des problèmes.

P : Il y a les énervées et les non-énervées.

A : Les zen et les non zen.


Rires
S : Elles m’ont dit que c’était dingue mais que depuis ça devenait flagrant … et que du coup
elles se trouvaient démunies.

P : Oui, il y en a certaines qui sont à canaliser plus que d’autres, donc il faut les prendre en
priorité.

S : Ma réponse a été celle-ci : prenez-les par le bras et emmenez-les. Je ne peux pas agir là-
dessus, à vous de persuader les collègues de venir, qu’elles mordent à l’hameçon, qu’elles
voient l’intérêt de ce travail …

L : C’est pour ça que c’est bien de le garder dans le temps de travail comme ça il y en aura
qui viendront.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 83
S : Vous voulez mon avis ? Je trouve que c’est plus juste pour vous que cela se passe dans
votre temps de travail, n’empêche que si vraiment vous trouvez que c’est bénéfique pour
vous, c’est quand même bien que vous veniez en dehors, sur votre temps personnel.

L : C’est pour ça que ça m’arrangerait un autre jour …

Na : Je suis en remplacement, j’ai assisté à quelques séances, je trouve que c’est très
intéressant. Seulement le truc c’est qu’à peine on se sent bien qu’il faut reprendre tout de
suite le travail, du coup ça casse un peu l’effet …

S : Tu sais que c’est beaucoup mieux qu’avant N. Les premières fois quand tout le monde
sortait du cours c’était terrible ! C’est comme si j’avais fait une belle calligraphie au tableau
et que quelqu’un prenait une éponge et vlam, effaçait tout brutalement. Tout le monde
partait, n’attendait pas la fin, reprenait l’armure et moi j’étais là, stupéfaite et je pensais : oh
non !!!

J : C’est vrai, je me rappelle, souvent vous partiez avant la fin, les infirmières.

S : Mais ça change ! Déjà, hier, la personne qui s’occupe de la messe s’est excusée de nous
déranger et j’ai pensé, mon Dieu ! Vous voyez, il faut beaucoup de temps pour que …

P : Et pourtant on avait l’archevêque !

H : L’évêque !

S : Juste pour dire qu’il faut du temps pour changer les habitudes. Mais ça change, je peux
témoigner qu’hier, par exemple, P. n’a pas foncé, elle a pris le temps de revenir à elle …

P : Elle vieillit P.!


Rires
S : Non, ça n’est pas qu’elle vieillit, c’est qu’elle prend un peu plus conscience d’elle-même,
de ce qu’elle fait. Ce dont on a beaucoup débattu avec R. et MF. c’est qu’en fait cette idée
qu’il faut une armure, un tonus pour être efficace ça ne marche pas du tout et qu’à la limite
c’est contreproductif.

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 84


A : Bien sûr !

S : Et quand on est détendue, tranquille, à l’écoute, et qu’on prend du temps …

P : Et qu’on est organisée !

A : Tout va bien !

S : On est moins épuisée à la fin de la journée. Mais je suis d’accord que pour changer ça,
c’est un mode, c’est comme les appareils qu’on a, si on n’a pas le wifi, ça ne marche pas, il
faut trouver la commande et ça, ça se travaille.

L : Et les éléments aussi, selon les éléments avec qui on travaille, et bien si on n’a pas le
même caractère on est sous tension.

P : C’est lourd !

L : Si on travaille toutes sur le même mode, ça n’est pas pareil.

S : Cela a été intéressant pour moi à entendre hier, parce que vous voyez je ne l’avais pas
imaginé. J’essaie d’anticiper sur votre travail, je ne m’étais pas rendue compte que cela
devenait problématique.

P : En chambre, il faudrait faire des listes, pour que tout le monde tourne, que cela ne soit
pas toujours les mêmes et pas uniquement au troisième étage.

L : Moi je n’aurais pas pensé que cela soit comme ça. Donc j’ai bien fait de m’inscrire parce
que je pensais que je n’allais pas aimer.

S : D’accord, tu es partie avec un apriori.

L : Je trouvais que c’était un peu trop calme mais bon ça va, c’est bien. Et quand tu es
venue dans la chambre j’ai trouvé cela encore mieux, disons, parce qu’il y a des choses
qu’on se serait jamais permises sinon. Elle s’adresse à sa voisine : c’est à toi que j’ai raconté
pour la chaise, ça ne serait jamais venu à l’idée de quelqu’un de s’asseoir pour faire une toilette. Ce n’est
pas ce qu’on nous apprend à l’école. Je ne l’ai pas refait par contre. C’est des idées en plus.
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S : Des pistes.

L : Comme de se servir de son corps d’une façon … On n’y pense pas, voilà !
C’est bien parce que cela va durer encore toute l’année, c’est à force, c’est à force … Ce
n’est pas encore rentré … Des fois j’y pense quand j’ai mal, fais pas ci, fais pas ça, ça n’est
pas encore automatique …

S : Il faut pratiquer.

L : C’est surtout la force, on est toujours en train de forcer.

J : Et puis tu as des automatismes et tu as du mal à les enlever.

S : Continue J. alors !

J : Moi j’ai aimé mais l’année dernière je ne suis pas beaucoup venue et je le regrette. Donc
cette année je vais essayer de faire mieux. Parce qu’en plus ça me plaisait, je me sentais bien
après.

P : J. est repassée ASH à un moment donné, elle a basculé dans une autre équipe, c’est pour
cela qu’elle est moins venue, maintenant elle va revenir parmi nous.

D : Moi je suis comme J. je ne suis venue que deux fois depuis le début de l’année.

J : On va faire des efforts. Oui, c’était bénéfique, je t’avais dit que quand je m’allongeais
j’avais mal et après cette séance ça allait beaucoup mieux, j’aurais dû continuer.

S : Vous savez quoi ? Il faut apprendre à prendre soin de vous.

J : On n’a pas le temps.

A : Ce n’est pas une question de temps.

S : Surtout vous qui êtes toujours en train de prendre soin des autres. Si vous ne
contrebalancez pas avec du temps pour vous, ça ne va pas. A un moment votre structure,
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votre mental, vos émotions vous disent : oh, oh, et nous ! Et je trouve que là c’est vraiment
l’occasion géniale pour vous de mettre en route ce processus.

J : Oui, au travail, mais après tu as ta vie privée, tu as plein de choses à faire …

S : Mais justement …

L : Mais tu n’as pas des moments comme ça dans ta vie privée. Tu prévois de faire du
ménage, de faire ci, de faire ça, mais ça ne s’arrête jamais.

A : On dit que ça va s’arrêter de temps en temps …

J : En ASH … Je n’ai qu’un jour de repos, est-ce que j’ai le temps d’en prendre ? Je n’ai pas
le temps, toute la semaine, j’ai mille choses à faire …

A : Mille choses ? Non, tu n’as que douze heures …

S : Je pense que ce sont des choix.

P : C’est une question de culture aussi, on ne nous a pas inculqué cela, on n’a pas vu nos
parents le faire donc on ne le fait pas. Les générations futures je pense qu’elles le feront,
qu’elles le font plus. Déjà. Elles s’occupent plus d’elles que nous on s’est occupé de nous.

S : C’est un apprentissage.

P : Oui.

S : On peut toujours revenir dessus, on n’est pas programmés pour fonctionner comme des
bêtes de somme.

A : Tu prends une heure ! Une heure c’est quoi ?

L : C’est vrai, je ne travaille pas en ce moment, je me retrouve, j’ai le temps de faire des
choses et tout mais quand je travaille et bien j’oublie beaucoup de choses, pour moi, de
m’occuper de moi.

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J : Déjà tu te lèves le matin, tu arrives juste là et à sept heures du soir tu te dis je n’ai pas fait
ci, je n’ai pas fait ça, je vis comme ça quoi !

L : Quand je travaille c’est pareil ! Il faut dire à Mme L. : une fois par an, deux mois de
vacances d’affilée …
Rires
S : Est-ce que c’est absolument nécessaire de faire tout ce que j’ai mis sur la liste avant la fin
de la journée ? On n’est pas obligés de mettre en permanence une pression sur nos épaules.

J : Pour certaines choses je dois me mettre la pression, pour d’autres c’est une obligation.

S : Alors il faut peut-être changer les priorités, il faut essayer …

L : Ce sont des habitudes de vie.

S : C’est comme en Feldenkrais, il n’y a jamais qu’une seule façon de faire, il y en a au


moins trois ! On peut très bien se mettre la pression, on peut en mettre un peu moins, ne
pas s’en mettre du tout …

V : Moi je croyais que pour plein de choses cela n’était pas possible, je croyais que c’était
boulot, enfants, maison et aujourd’hui le samedi matin c’est le sport …

J : Le samedi matin je suis ici.

V : En semaine il y a Feldenkrais, il y a aussi l’association, on arrive à se réunir et tout ça …


C’est possible et pourtant mon ménage je le fais, j’ai déménagé, j’ai divorcé, plein de choses
et tu peux tout caser. Evidemment certaines choses tu les fais passer après. L’aspirateur
c’est plus tous les jours, c’est une fois par semaine …

H : Justement à la télévision il y a eu une émission intéressante sur le « burn out »…


Arrivée de Lu.
Lu : Désolée pour le retard !

S : Bonjour Lu. ! A toi D. !

D : Je n’ai pas beaucoup participé, deux fois c’est tout, mais je vais venir.
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 88
Lu. : Je suis venue deux fois, comme D. et j’ai énormément apprécié et je pense continuer
si jamais ça continue encore.

S : D’accord. Et toi P. ?

P. : Oh, j’ai assez parlé moi !


Rires.
V : Tu as parlé de plein de choses mais pas de toi.

P : Non, j’approuve tout, mais ce qui me fait souci c’est l’organisation mais bon …

S : On va y arriver, on va y arriver … Et V. ?

V : Moi je suis convaincue depuis longtemps. J’ai une remarque à propos du format. Au
début je venais aux ateliers une fois par mois et quand j’ai participé aux cours
hebdomadaires ça me posait un problème, je mettais du temps à m’y mettre et hop c’était
fini. Mais finalement, sur la durée c’est plus bénéfique.

S : Les ateliers qu’on va démarrer en février vont être plus longs, deux heures. Je vais
donner une PCM, on va travailler sur des thématiques, le bassin, les épaules, le dos …

P : Il faudra faire une liste bien en avance, et pas des gens qui travaillent pour ces deux
heures autrement cela ne sera pas possible.

S : C’est un autre format qui permet d’entrer plus profondément dans le sujet. On peut à la
fois revenir à soi, travailler avec l’autre, faire des simulations dans des fauteuils …

P : On appellera ça « Atelier » et ça sera pour tout le monde ?

S : Oui. C’est pris en charge par l’ANFH normalement …

P : Oui.

S : C’est une formation, c’est une obligation.

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P : Tu veux combien de personnes ?

S : Un minimum de six, on va travailler en binôme. Un atelier par mois. Je suis consciente


que c’est difficile, vous travaillez en roulement mais au moins que tout le monde le fasse
deux fois dans l’année.

V : Tu pourras passer dans nos bureaux et voir comment nous sommes installées ?

S : Tout à fait ! Absolument ! Merci de me le rappeler.

S : On s’occupe de la seconde question :


Qu’est-ce que ce travail a permis d’améliorer pour vous personnellement ?
Ou alors : qu’est-ce que cela a amélioré pour vous dans votre vie ?
Est-ce que vous avez réussi à transférer les notions travaillées dans les cours, comme
l’attention, l’écoute à soi-même, les qualités, plusieurs façons de faire un mouvement, pas
une seule …

H : Je fais attention, je fais attention tout le temps, oui, c’est comme ça qu’on dure. J’essaie
d’être conscient de tout, de ma fatigue…

A : Moi je n’ai pas trop de soucis.

S : Cela fait partie de ta nature, la conscience de toi-même.

A. rit : C’est clair, je n’ai pas de problème spécial.

P : Elle était déjà dans cette démarche-là A., donc c’est plus facile pour elle.

Na : Moi, dans ma vie privée oui, mais dans le boulot pas du tout. Le matin je prends le
temps de me lever en douceur, de ne pas commencer la journée pressée.

J : Déjà elle arrive en diesel ! Quand elle arrive elle me fait rire.

Na : Quand je suis chez moi il n’y a pas de carburant …

P : C’est électrique !
D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 90
Na : C’est débranché ! C’est ma nature. Au travail j’essaie de me stresser pour être au
diapason des autres mais j’ai du mal.
Rires
H : Si je peux dire juste un mot ? J’essaie de travailler en équilibre, pas en force, surtout
quand on est seul. Voilà, c’est juste la petite parenthèse…

S : Et L. ?

L : Au travail, ça dépend des jours. Déjà il y a notre état personnel propre et celui que l’on
trouve en arrivant. Si je suis détendue, j’arrive à me dire : fais plutôt comme-ci que comme
ça. Mais ce n’est vraiment pas tout le temps. Les autres jours j’enchaine tout, tutututututut,
comme ça. On est obligé d’enclencher, d’enclencher, ça ne viendrait pas dans ma tête que

S : Tu pourrais faire autrement ?

L : Comme je ne me vois pas … Il faudrait qu’on me filme.

S : Et à la maison ?

L : Cela dépend. Je marque, parce qu’on m’a dit qu’il fallait marquer pour pas stresser.

J : Ah ouais ?

L : Ouais. Si tu as beaucoup de choses à faire tu marques tout et le fait de tout marquer ça


ne te perturbe plus d’y penser. Le fait de le marquer tu sais que c’est là et ça ne te perturbe
plus dans ta tête.
Aujourd’hui je suis cool, je suis allée courir ce matin. Il y a des jours avec et des jours sans.

J : Je vais essayer.

Lu : Avec toi je n’ai eu que deux séances mais j’ai travaillé avec toi dans les chambres, ça
oui, ça m’a permis d’améliorer mes relations avec les résidents qui sont complètement alités
comme Mme C. et Mme R. avec qui je ne parlais pas et depuis que j’ai fait ce travail avec

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toi je leur parle et ça se passe beaucoup mieux, ça oui je le fais, voilà … Le travail dans les
chambres ça m’a servie.

S : Ok. Et le transfert à la maison ?

Lu : A la maison je n’ai pas trop de soucis, quand je suis au repos, je suis au repos.

D : A la maison ça va et ici ça dépend du cadre, de l’équipe avec qui on travaille, ça y fait


beaucoup.

J : Tout à fait.
Silence puis rires
J : Si on est avec quelqu’un de zen, ça va mieux.

L : Déjà ça apaise.

J : Cela dépend aussi de comment tu commences ta journée, si tu commences bien ou si tu


commences mal.

Na : Des fois il y a un climat contagieux. On a beau être calme, s’il y a des tensions c’est
difficile.

L : Oui, ça se répercute sur nous. Moi ça me contente très bien de travailler avec A., avec
D. parce que l’un dans l’autre, avec mon caractère, avec le leur et bien ça ne fait qu’un.

V, L : A toi P. !

J : N’en parlons pas ! Deux-cent-vingt volts !

P : Non, moi j’ai bien changé. J’ai fait un saut de … cabri.

A, D : Elle est bien plus calme que quand elle est arrivée.

S : Je l’ai senti, quelque chose s’est posé.

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P : Bien oui, parce que les responsabilités ne sont plus les mêmes, les enfants ont grandi et
voilà … Avant et maintenant, c’est le jour et la nuit !

S : C’est la faculté de l’être humain de s’adapter aux situations.

P : Quand je pense à tout ce que j’ai fait, je n’en reviens pas, je me dis ce n’est pas possible,
ce n’est pas toi qui a fait tout ça. Mais c’est parce que je ne pouvais pas faire autrement
donc il fallait bien que je le fasse.

S : Mais après quand on peut faire autrement et que l’occasion se présente … Et en même
temps il faut avoir cette envie – là.

P : Tout à fait !

S : S’il n’y a pas cette envie, il n’y aura pas de réaménagement, mais si tu sens cette
nécessité, oui. Ces ajustements se font quand parfois on arrive à un mal-être profond, on
est très loin de soi, on est un peu paumé. Je trouve que ce travail – là qui nous ramène vers
nos appuis, les axes, la ligne médiane, tout ce travail autour de la structure construit en fait.
Pas simplement ici dans les cours mais si tu prends le mouvement comme métaphore de la
vie …

P : Je suis en pleine construction !

A : Intérieure !

V : Quand je suis à la gym, maintenant que j’ai appris à ne pas bloquer ma respiration, à
laisser les mâchoires tranquilles, laisser le mouvement suivre le long de la colonne, par
exemple quand je fais des abdos … ça me sert énormément. Et à la maison je joue avec
mon bassin. C’est génial ! Je suis plus consciente de choses bêtes, de sentir des articulations
là, là …

S : Je n’ai pas d’autres questions précises, mais je voudrai savoir si vous, vous avez des
suggestions, des propositions, des désirs à formuler.

P : Déjà dans les ateliers vous attendez quoi ?

D.U Techniques du corps et monde du soin - Surraya Mahmood - Septembre 2014 93


L : Et bien on attend de travailler sans se fatiguer … le miracle, non je rigole !

H : Le mieux-être.

P : C’est bien beau de faire un atelier deux heures par mois mais qu’est-ce que vous
attendez ?

L : De ne pas forcer.

J : Pour le bien-être du résident et pour soi-même.

Lu : Moi je dis que ça me fait du bien moralement.

Na : Les transferts, il faudrait réviser tous les transferts, les effectuer dans les meilleurs
conditions possibles sans se fatiguer, des piqures de rappel.

P : Et dans les deux heures, comment ça va se passer ? Tu vas juste travailler les transferts
ou bien il y aura autre chose à côté ? Est-ce qu’il n’y aura que des manipulations ?

S : Non, je voudrai aussi questionner les qualités de toucher et aussi travailler ce qui est de
l’ordre de la relation mais la relation au sens très large, quand vous travaillez en binôme
justement, la relation avec le résident, la relation avec l’équipe. C’est un thème que j’aime
bien.

Na : Est-ce qu’on prendra des cas, par exemple quand on a des difficultés avec un résident
en particulier ?

S : Oui bien sûr, c’est ce qu’on a fait avec Lu.

N : Profiter des ateliers pour faire plus de travail sur un résident …

L : Oui et en plus ça reste, ce qu’on avait fait déjà pour les tourner : de monter la jambe et
de faire la bascule comme ça, ça par contre je m’en sers, ça a tellement bien marché que …

S : Vous l’avez pris.

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P : Oui, ça marque.

S : Et Lu aussi, tu m’as dit que tu avais fait ce travail, de toucher, de contact, de parler …

Lu : Oui, je l’ai fait avec Mme B. et j’ai remarqué qu’elle mange beaucoup plus quand je fais
ce truc de contact, que je lui parle, que je la touche … elle mange beaucoup plus et j’ai
moins de problèmes.

S : En pratiquant, je vais retourner avec vous dans les chambres, on ne va pas lâcher ça car
pour moi c’est hyper, hyper important. A partir du moment où on renoue avec cette
relation-là, il y a beaucoup de nœuds à mon avis qui vont se défaire. Ce qu’on a vu était
tellement flagrant avec ces deux dames … Quelqu’un d’autre encore veut répondre à la
question de P., qu’est-ce que vous attendez de ces ateliers ? Alors : ne pas forcer, les
transferts dans de bonnes conditions …

J : Et le bien-être du résident aussi car si on est mieux, il est mieux.

Lu : Tout à fait

P : En fait je crois qu’il faut appuyer sur un travail d’équipe, là.

J : Parce que quand on stresse on n’arrive à rien !

A : C’est obligé et ça se communique

L : Moi j’aime bien me servir du poids de l’autre, comment dire ?

S : Du contrepoids ?

L : De ne pas forcer … comme quand tu nous as dit de ne pas attraper comme ça, comme
une pince, quand on l’a fait entre nous et que ça nous faisait mal mais de se servir du poids,
c’est physique et moi j’ai aimé ça.

S : On va le reprendre dans les ateliers et continuer également cette proposition de travailler


entre vous et vous allez explorer la relation. Parce que quand on touche ce n’est pas
seulement le touchant, c’est touchant et touché, c’est comme voir et être vu, ça marche
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dans les deux sens, tu ne peux pas toucher un résident … si tu le touches sans porter
attention à la personne qui est touchée, l’autre action, ça veut dire que tu considères la
personne comme une chose et pas comme une personne. C’est tout un monde cette
relation touchant /touché et ça c’est le début de la relation

Lu : Après c’est pas sûr que cela marche avec tout le monde, avec Mme B. par exemple …

S : Il faut essayer. Là on est en laboratoire, on fait de la recherche.


Il faut toujours se méfier des présupposés, on ne sait pas en fait.
Si je trouve des écrits théoriques qui me plaisent, que je trouve intéressants, concernant la
toilette, des textes écrits par des chercheurs qui questionnent justement le corps vécu chez
la personne âgée, est-ce que je peux faire des photocopies, vous les communiquer et vous
les faites circuler entre vous ?
Je trouve que c’est bien tout ce travail que l’on fait, physiquement, mais gamberger, avoir
des points de vue pour questionner des fonctions qu’on a eu, ou qu’on vit, c’est pas mal, ça
donne des idées, du moment que ce ne sont pas des modes d’emplois, des grilles. Il n’y a
pas de mode d’emploi. On travaille sur l’humain, il n’y a pas de grille figée, c’est pour ça
que ça que ce travail vous demande autant, parce que vous êtes tout le temps dans la
construction, la relation, c’est très fluctuant. Comme vous dites il y a les émotions, il y a le
climat quand j’arrive le matin, il y a l’équipe …

Na : Il faut tenir toute la journée, douze heures …

S : C’est quelque chose que j’aimerai bien questionner dans les ateliers : les pauses. Pas
seulement les pauses décrétées par l’établissement, mais les mini-pauses que vous vous
donnez à vous-même tout au long de ces douze heures et ça c’est tout à fait possible.
Exemple : quand je peux prendre une chaise pour m’asseoir en face d’un résident pour lui
faire la toilette, je suis beaucoup plus confortable, je peux faire une pause et je suis en
action.

La: Mais ça fait culpabiliser !

J : Cela ne prend pas plus de temps ?

L : Non, non, c’est trop bien, pour raser.

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S : Elle est très tranquille, mais comme ça sort des habitudes, des protocoles …

V : Tu travailles plus intelligemment, c’est tout !

S : Il faut essayer ! Ce travail ne consiste pas seulement à développer la conscience que l’on a de soi en
mouvement mais aussi il titille la curiosité, et il éveille d’autres facultés …

L : Il faut le temps de le mettre en place. Avant on ne s’asseyait pas pour les faire manger et
puis quelqu’un est allé en formation, on lui a dit qu’il fallait se tenir à la même hauteur que
le résident et maintenant on est toutes assises.

S : C’est du bon sens.

L : Pour la toilette c’est pareil, tu ne lèves pas le bras, tu ne te casses pas le dos, tu les
regardes dans les yeux.

S : Une autre suggestion de R. et de MF. : échanger tout du long soit après les cours, soit
quand je suis dans les étages. S’échanger les bonnes idées de peur de les oublier, les mettre
en pratique tout de suite.
C’est bien qu’on se voie pour entendre la parole des unes et des autres, de partager nos
expériences, nos réflexions, nos questions.
Elles avaient aussi la demande : pourquoi est-ce qu’on ne filmerait pas les ateliers, ça nous
aiderait car souvent on ne sait pas ce qu’on fait. Je suis d’accord si vous avez des portables
avec des vidéos incorporées, moi je n’en ai pas.
Je me reprends : je suis d’accord, mais j’ai une réserve. On intègre quand on sent. L’image,
la représentation extérieure c’est autre chose. On peut se dire : ok, je me vois, je
comprends, ah ! Quand je fais, je suis comme ça ! Mais tant qu’on n’a pas senti dans
l’expérience que c’est comme ça qu’on est bien, le système nerveux ne va pas l’intégrer. Ce
qui importe c’est de sentir. Voir c’est autre chose, c’est un autre mode informatif, le
système nerveux a besoin de l’expérience sensorielle pour que quelque chose change.
On a tout dit ? Jusqu’à la prochaine fois ?

L : Oui ».

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