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« TECHNIQUES DU CORPS ET
MONDE DU SOIN »
D’usager à acteur
Le 26/09/ 2014
Avec mes remerciements à
Tous les participants de l’atelier et Sophie, avec qui s’est créée cette belle
aventure dansée,
Mes amis, pour leur soutien, leur regard et leurs précieux conseils,
SOMMAIRE p.3
INTRODUCTION p.5
CONCLUSION p.57
BIBLIOGRAPHIE p.60
ANNEXES p.64
4
INTRODUCTION
1
Sous cet intitulé, Gérard Bonnefon rassemble éducateurs spécialisés, moniteurs éducateurs, éducateurs
techniques, chef de services, etc., exerçant dans les établissements du médico-social. Cf. Gérard Bonnefon, Art et
lien social : des pratiques artistiques : pédagogie, créativité et handicap, Lyon, Chronique sociale (2ème édition),
2010, p.24.
2
Jocelyne Vaysse, La danse thérapie, L’Harmattan, 1997, p.27.
3
Ibid., p.30.
5
dont une pratique corporelle non thérapeutique ayant une approche globale de la personne
pouvait soutenir les missions d’une institution médico-sociale.
Inviter à rencontrer cette matière sensible qui nous constitue afin d’ouvrir la porte des
sensations, des perceptions, se mettre à l’écoute de son mouvement dans l’espace - sentir là où
telle impulsion naît et jusqu’où elle va – m’apparaissent des axes fondamentaux du travail en
danse-thérapie autant que de la pratique de l’improvisation en danse. Les deux partagent
fondamentalement un intérêt pour deux dimensions : une qui a trait à l’ordre de la perception,
l’autre à l’ordre de l’expressivité. Pour Michel Bernard, il s’agit là de processus
fondamentaux à la base de l’expérience que nous faisons de nous-mêmes, des autres et du
monde4. Tout mouvement « laissant aller l’activité énonciative du corps » 5 invite à sa façon
à s’enraciner dans le présent, à être avec ce qui est là pour le bouger, l’investir dans un geste,
le transformer. Proposer une expérience de danse se révèle toujours à mon sens à la fois
source de création, d’expression et de transformation. La différence essentielle réside alors
dans l’intention fondamentale qui préside à la construction d’un projet et donne lieu à des
cadres d’ateliers distincts, produisant des modes d’expérience et de relations très différents,
selon qu’on se trouve dans un cadre d’activité artistique ou thérapeutique.
C’est à la pratique elle-même et à l’expérience à laquelle elle a donné lieu avec les
personnes de ce foyer que je souhaite m’intéresser dans le cadre de ce mémoire. A quelle
expérience singulière peut donner lieu l’activité artistique ? Quel intérêt peut-on lui accorder
dans ce contexte spécifique ?
Dans ce cas précis, il y avait le désir d’expérimenter comment cet espace d’atelier danse
pouvait permettre d’engager chacun dans un processus créatif, à partir de cette pratique
d’improvisation, qui s’éloigne de la recherche d’une forme pour orienter l’attention sur
4
Michel Bernard, « De la corporéité comme anticorps », in De la création chorégraphique, Centre National de
la danse, 2001, p.19.
5
Vaysse, op.cit., p109.
6
l’expérience sensible du corps, sa relation et son dialogue avec ce qui l’environne, sa
créativité et son engagement dans le mouvement dansé. En outre, il m’intéressait
particulièrement de mener ce travail avec des personnes « placées » en institution, en raison
d’une déficience mentale. A partir du moment où la vie d’un individu se trouve régie par une
organisation institutionnelle, une forme de pouvoir « normalisateur » des faits et gestes
s’insère nécessairement dans la vie quotidienne. La prise en charge d’une personne au sein
d’une institution conduit tout à la fois cette personne à recevoir, bénéficier et à être pris dans
la contrainte de ce qui lui est proposé. De ce fait, on peut questionner les espaces de choix,
d’agir, de décision qui lui restent en propre. Dans une perspective politique et de
transformation sociale, cela amène à interroger le rôle que peut jouer une pratique de danse et
de création dans la contestation du pouvoir qu’exercent les processus de normalisation : en
quoi l’atelier danse est susceptible de soutenir cette mission consistant à permettre à chacun
d’agir en sujet capable ? Dans quelle mesure peut-il se mettre au service pour promouvoir une
plus grande puissance d’agir d’une minorité ?
C’est autour de ces questionnements que s’est construit ce mémoire. Mon propos vise
à comprendre des éléments du processus par lequel d’usagers, les personnes du groupe sont
devenus acteurs, et à dégager certains enjeux sociaux plus larges soulevés dans la rencontre.
Participer à un atelier proposant de nouvelles expériences corporelles en mouvement et, a
fortiori, devenir acteur d’un projet de création, sollicitent nécessairement l’engagement et les
capacités d’action des personnes. La première partie de ce mémoire se propose de relater la
rencontre avec le Foyer Bercy et les conditions dans lesquelles ce projet est né. La deuxième
partie est une invitation à plonger au cœur de l’aventure de ce terrain. Elle se donne pour objet
de mettre en lumière la pratique d’improvisation et de création qui a été proposée et
l’expérience qui en a résulté. Sur quels outils cette pratique se fonde-t-elle ? A quelle
expérience a-t-elle donné lieu dans ce groupe ? La dernière partie, plus analytique, a pour but
de mettre en évidence les enjeux soulevés par cette pratique auprès d’un public concerné par
un handicap mental et de réfléchir à la valeur qu’on peut reconnaître à une pratique de danse
et de co-création dans le contexte d’une institution.
7
1ère PARTIE : RENCONTRE AVEC LE FOYER BERCY
A/ PRESENTATION DU LIEU
1. Le Foyer Bercy
Un lieu de vie, qui accueille depuis 20 ans des personnes vivant avec un handicap
mental. Certaines d’entre elles sont là depuis l’ouverture. Jeunes et moins jeunes partagent et
cohabitent au quotidien.
• Le Centre d’accueil de jour (CAJ), qui est rattaché au Foyer de vie. Les résidents du
Foyer de vie y sont accompagnés la journée par une équipe pluridisciplinaire
proposant diverses activités. Parmi les professionnels, la plupart ont une double
compétence de travailleur social et d’intervenant dans le champ artistique ou sportif.
8
• Le Foyer d’hébergement, qui accueille 18 résidents exerçant une activité
professionnelle pendant la journée en ESAT6, en ateliers protégés ou en milieu
ordinaire.
Ma première visite fait l’objet d’une prise de contact avec la directrice et d’un rapide
tour des lieux. Il ressort de cette rencontre un intérêt mutuel pour construire ce projet d’atelier
danse. Le Foyer se situe déjà dans une dynamique d’ouverture sur l’extérieur et de
partenariats divers, ce qui est favorable au développement du projet. Par ailleurs, beaucoup de
choses existent autour des interventions plastiques, moins concernant le travail corporel. La
proposition d’un atelier danse semble pouvoir intéresser la structure et les résidents qu’elle
accueille. En revanche, le nombre de professionnels étant limité par rapport au nombre de
résidents, il paraît concrètement impossible (aux yeux de la direction ?) de mobiliser plusieurs
professionnels en vue de proposer un atelier s’adressant autant à l’équipe qu’aux résidents,
comme suggéré dans l’un des dispositifs. Au vu des différentes activités déjà existantes au
sein du CAJ, j’évoque avec la directrice l’éventualité de travailler en lien avec un autre atelier,
par exemple avec le groupe de musique polyinstrumentale ou de vidéo. Réfléchir à la façon de
faire se rencontrer de façon transversale différents groupes de pratiques m’intéresse
particulièrement.
6
Anciennement appelé Centre d’aide par le travail (CAT), l’Etablissement et service d’aide par le travail (ESAT)
donne la possibilité aux personnes en situation de handicap d’exercer un travail dans un environnement adapté.
7
Cf. Annexe 1
9
Le tour d’horizon proposé par la directrice me donne un premier aperçu, et nourrit
mon imaginaire quant au fonctionnement de ce lieu dont j’ignore tout encore. Je suis reçue en
bas, au rez-de-chaussée, base du Foyer où se trouvent, à côté du hall d’entrée et du bureau
d’accueil, le bureau de la directrice et le bureau de réunion. Au premier étage, plusieurs salles
dédiées au CAJ, où se font les activités proposées par différents intervenants. Le réfectoire
également, qui fait office de temps en temps de lieu de représentation. Et quelques chambres
sur lesquelles je vois affichés les noms colorés des personnes qui résident ici. Le Foyer
d’hébergement se situe essentiellement au 2ème étage. Je ne le connais pas. C’est là que se fait
le retour des résidents en fin de journée, à 16h30. La visite du 1er étage me donne l’occasion
de croiser certains résidents et certains professionnels. J’aperçois pour la première fois la
professionnelle8 avec qui va se mener le projet par la suite. Au sein des ateliers, elle sera la
représentante de l’institution et mon principal relais. Nous sommes présentées très rapidement
par la directrice. Aide médico-psychologique, P. travaille depuis 3 ans au Foyer Bercy. Un
accident grave il y a quelques années l’a amenée à une récente reconversion et à choisir ce
métier. P. a pratiqué pendant de nombreuses années la danse classique et a une grande passion
pour le mouvement. En janvier, lorsque je la rencontre, cela fait quatre mois qu’elle propose
des ateliers d’expression corporelle, les lundi et jeudi après-midis, avec deux groupes
différents de six résidents.
8
Intervenante que je nommerai P. dans ce mémoire.
10
B/ LA CO-CONSTRUCTION DU PROJET
1. Le pré-projet9
Gardant le fil de mon idée d’échanges entre résidents et professionnels, je présente comme
objectif dans ce pré-projet de développer une expérience artistique en danse tournée vers la
co-création. Il se fonde d’une part sur une proposition d’animation d’ateliers basés sur le
mouvement et l’improvisation en danse, dans lesquels les participants puissent être à la fois
receveurs et acteurs dans la partition de la séance. D’autre part, une seconde proposition est
d’inscrire le travail au sein du foyer en développant des espaces d’échanges et/ou de
croisement avec ce qui existe déjà. L’atelier danse est un espace d’expression et de création,
j’y vois l’opportunité dans le contexte de créer une rencontre avec un ou plusieurs autres
ateliers. Ce temps de partage pourrait être préparé et prendre différentes formes, l’idée étant
de permettre à chacun de se saisir de son expérience vécue pour en partager quelque chose
avec d’autres. Plusieurs propositions sont avancées dans ce pré-projet, qui seront
finalement mises de côté :
- Les résidents de l’atelier danse et d’un autre atelier pourraient avoir l’occasion de se
montrer réciproquement un aperçu de leur travail au sein de chaque atelier sous forme
d’une petite présentation. Ex. : danse et théâtre.
- Les résidents de l’atelier danse pourraient proposer quelques petites expériences de
leur choix qu’ils ont envie de partager/ faire découvrir aux résidents d’un autre atelier.
9
Cf. Annexe 2.
11
- Une autre proposition est de combiner les pratiques respectives de deux ateliers,
d’inventer une façon de les allier ensemble.
Ex. : danse et percussions / danse et atelier vidéo / danse et peinture.
Seule la proposition que le dernier atelier fasse l’objet d’une petite restitution d’expérience
partageable aux autres personnes du CAJ est retenue.
Avec le recul et l’expérience du peu de mise en lien qui se fera par la suite avec le
foyer, je m’interroge sur les conditions préalables sur lesquelles il aurait été intéressant
d’insister pour poser les bases d’une rencontre qui concerne non seulement le groupe de
l’atelier danse, mais aussi les autres personnes du foyer, résidents et professionnels.
12
Lors du dernier atelier, une rencontre avec la directrice adjointe (qui remplace la directrice en
son absence) est l’occasion d’une discussion à propos de la dimension corporelle abordée
dans l’atelier. Celle-ci fait le lien avec les questions concernant le corps auxquelles l’équipe
réfléchit en réunion. Cet épisode me fait penser que nous sommes passés, au moment du pré-
projet, à côté d’un débat collectif sur les questions autour du corps qui se posent au quotidien
et dans l’atelier danse. Peut-être aurait-il fallu au départ creuser le sillon pour ouvrir cette
voie-là. Mais je me demande aussi jusqu’où une intervention extérieure a-t-elle la permission
de venir s’immiscer dans la vie institutionnelle et de déjouer certains fonctionnements ?
Très peu d’informations, volontairement, me sont données sur les six participantes.
Toutes sont des femmes d’âges variés, qui ont l’habitude de travailler ensemble. Je vais donc
rencontrer un groupe déjà formé qui se connaît bien. Qui et comment leur parle-t-on de ce
projet ? Je l’ignore. Dans ce montage de projet, les participantes ne sont pas impliquées. La
rencontre avec le groupe, la découverte de chaque personne se feront en dehors du foyer, sur
le chemin qui nous mène à la salle de danse, et au sein de l’atelier.
Une structure citadine n’a pas facilement à disposition de grands espaces. Lors de ma
première visite, la directrice me montre le lieu où se déroulent les ateliers d’expression
corporelle proposés par P. : un ancien bureau d’infirmerie (une double pièce de 15 m2
maximum) qui vient d’être transformé en salle d’activités, pour le sport notamment. C’est là
que pourrait avoir lieu l’atelier danse. Autre possibilité évoquée durant la rencontre et que je
soutiens comme étant la meilleure solution et la seule possibilité envisageable en fait : la salle
de danse du centre d’animation sociale. Le foyer dispose d’un créneau de deux heures tous les
jeudis après-midi, excepté pendant les vacances, dédié jusqu’alors à l’atelier de relaxation.
Disposer d’une salle ayant un espace suffisant (qui garantit la sécurité des résidents et la
possibilité à chacun de se mouvoir et de se déplacer librement) et un revêtement permettant un
10
Céline Roux, Danse(s) performative(s). Enjeux et développements dans le champ chorégraphique français
(1993-2003), L’Harmattan, 2007, p.86.
13
travail au sol (pas de carrelage par exemple) est une des conditions essentielle pour mener à
bien ce travail d’atelier danse.
Le fait que les ateliers aient finalement pu avoir lieu dans une salle de danse du centre
d’animation sociale me semble important à plusieurs égards :
- N’est-ce pas là une façon de considérer au juste endroit la pratique d’activité proposée et
d’offrir réellement de bonnes conditions de pratique pour chacun ? De même qu’il existe des
conditions de travail meilleures que d’autres qui témoignent de la considération qu’une
structure professionnelle accorde à ses employés, on peut voir là une indication renseignant
sur la façon dont l’institution reconnaît et fait place à ce travail du corps offert à ses usagers.
- D’autre part, le fait que les ateliers se passent au centre d’animation sociale situait
concrètement le projet « en dehors » du foyer. Nous étions ainsi déjà invitées dans une
dynamique tournée vers l’extérieur (plus ou moins savoureuse selon les jours de pluie) et nous
étions par cet ancrage rattachées à quelque chose de plus vaste que le foyer. Un espace social
ouvert, public, hétérogène où se rencontraient aux heures de notre venue, danseuses de
zumba, joueurs/joueuses de cartes ayant pour la plupart la soixantaine passée, ou encore des
mamans avec leur poussette…
Aussi, ce fut une façon de faire transition et d’ouvrir une nouvelle page pour cette
aventure qui venait prendre sa place dans le cadre d’un groupe déjà constitué ayant l’habitude
de se retrouver en interne pour l’expression corporelle.
14
pouvions avoir. Le changement d’espace a sans doute, là aussi, aidé à clarifier ma position
d’intervenante invitée et à installer les nouveaux repères de cette aventure différente.
Là encore, créer l’espace d’une rencontre avec le groupe en amont, venir assister à
leurs ateliers auraient pu être des voies pour me présenter à eux et faire connaissance. Des
voies prenant en compte quelque chose d’essentiel, l’espace de discussion et d’ouverture qui
donne une place à chacun, aussi complexe que soit la réalité de la rencontre. En dépit de sa
mission et de sa revendication citoyenne, difficile pour un système institutionnel de se sortir
d’un fonctionnement qui repose sur une organisation hiérarchique définissant des rapports
spécifiques, asymétriques et contrôlés entre direction, professionnels, et usagers.
15
2ème PARTIE : L’expérience danse
La pratique in situ est avant tout création d’un espace de rencontre et de transmission
dans lequel les outils du travail corporel et dansé prennent vie. Pour cette raison, une pratique
vivante est finalement toujours en train de s’expérimenter et de se recréer au moment où elle
est transmise.
11
Le Contact Improvisation est une pratique dansée et improvisée initiée par Steve Paxton aux Etats-Unis dans
les années 60. Basée sur l’écoute et le contact physique entre deux ou plusieurs partenaires, elle permet
d’explorer le dialogue possible entre des corporéités à travers un accordage tonique. Elle ouvre à une conscience
globale de l’espace et à une prise en compte de l’ensemble des informations perceptives, kinesthésiques,
énergétiques.
12
Fondée par Mary Starks Whitehouse dans les années 50 puis développée par Janet Adler, cette pratique invite
à deux formes d’expérience : celle de se laisser être en mouvement en présence d’un témoin, celle d’être témoin
de la danse de l’autre. L’intention est ici de laisser émerger le geste et la danse à partir d’une écoute de soi, de
son imaginaire et de sa sensation, ou bien de se laisser son regard recevoir la danse de l’autre.
13
Anna Halprin s’est beaucoup intéressée aux connexions possibles entre danse, mouvement et art. Dans son
travail, elle s’est intéressée entre autres aux expériences de vie des personnes comme source pour l’expression
artistique, à des fins non seulement artistiques mais pouvant aussi être éducatives ou thérapeutiques.
14
Le terme de somatique est utilisé selon le sens donné par Thomas Hanna aux pratiques proposant un
accompagnement sensoriel qui se fonde sur la conscience et le vécu à la première personne. Thomas Hanna, «
What is Somatics ? », in D.H. Johnson (éd.), Bone, Breath, & Gesture. Practices of Embodiment, Berkeley CA,
North Atlantic Books, 1995.
16
A/ LA PRATIQUE D’ATELIER
1. Le cadre de l’atelier
D’une durée de deux heures, l’atelier a eu lieu tous les jeudis de janvier à avril, soit 15
séances au total. L’avant-dernier atelier a fait l’objet d’une présentation sous forme de
« spectacle » et le dernier fut l’occasion d’un moment de bilan réunissant le groupe entier,
excepté E., une des participantes absente ce jour-là.
J’ai retrouvé la plupart des fois le groupe des six résidents et P. dans le hall d’accueil du foyer
à 13h45 afin que nous nous rendions ensemble au centre d’animation sociale, où se trouvait
l’espace de danse. À plusieurs reprises néanmoins, durant les vacances scolaires et les deux
fois où P. fut absente, l’atelier eut lieu sur place, dans l’ancien bureau infirmier faisant office
à présent de petite salle d’activité. À défaut d’espace, nous bénéficions ces fois-là de
davantage de temps. Les résidents étant déjà sur place, la transition avec le repas tout juste
terminé se faisait pour eux de façon plus douce et nous pouvions terminer tranquillement à
16h. Le chemin pour aller au centre d’animation sociale, à un peu moins d’un kilomètre,
demandait de prévoir une bonne vingtaine de minutes. Démarrer à 14h n’était donc pas
réalisable, d’autant que la transition d’après repas vers l’atelier demandait de prendre du
temps. Plus d’une fois, nous avons démarré aux alentours de 14h20 et plus d’une fois j’ai
frôlé de les mettre en retard en ne prévoyant pas d’arrêter l’atelier assez tôt, avant 16 h. Il était
en effet impératif que les résidents soient rentrés avant 16h30, moment de fermeture du CAJ
et du retour à l’étage des chambres.
2. Le fil de l’atelier
Chaque atelier se déployait autour d’une intention directrice, qui constituait le fil
rouge à partir duquel se tissait son déroulement. J’ai organisé et élaboré les ateliers en
m’appuyant sur différents outils de travail, articulant la pratique entre un versant d’éducation
somatique, au sens défini par Thomas Hanna15, et un autre versant plus spécifiquement orienté
vers la créativité et la libre expressivité dans la danse. Ce sont les grands axes qui ont formé la
structure de ces ateliers dont je souhaite donner ici un aperçu, en illustrant par quelques
propositions faites en atelier.
Chacune d’entre elles visait à sa manière, non à produire ou chercher un mouvement idéal,
mais à orienter l’attention sur l’expérience sensible du corps, sa relation et son dialogue avec
15
Hanna, Idem.
17
ce qui l’environne, sa créativité et son engagement dans le mouvement dansé. Chacun, dans le
cadre qui est défini, était invité à trouver son propre rythme et confort. La façon dont les
participants se sont saisis des propositions a parfois déplacé les intentions originelles vers
autre chose que ce qui était envisagé au départ.
16
J’utilise ici le concept de corporéité, proposé par Michel Bernard et défini comme le lieu où se renouvelle en
permanence l’expérience que nous pouvons faire de nous-mêmes, des autres et du monde. Rompant avec l’idée
du corps comme entité, l’approche de l’image du corps qu’il propose est plastique, ouverte aux croisements
multiples de forces et dynamiques constamment nouvelles, et traversée par l’imaginaire à la fois culturel et
propre à l’histoire d’une personne. Cf. Michel Bernard, « Sens et fiction », dans De la création chorégraphique,
CND, 2001.
17
Roux, op.cit., p.37.
18
Le tonus désigne la capacité qu’a un muscle de se laisser étirer, et donc sa disponibilité. Il s’établit par
ajustement réflexe avec les fonctions métaboliques et assure le maintien de la cohésion des différentes parties du
corps. Impliquée dans la régulation de l’activité perceptive. La modulation tonique conditionne à la fois la
charge expressive du mouvement et le flux postural c’est-à-dire l’aisance avec laquelle une personne passe d’une
posture à l‘autre.Cf. Benoit Lesage, La danse dans le processus thérapeutique. Fondements, outils et clinique en
danse thérapie. Erès ; collection « l’ailleurs du corps », 2005, p.19.
19
Nous nous référons à l’approche du fonctionnement sensoriel que Michel Bernard à partir de la théorie
chiasmatique de la sensorialité de Merleau-Ponty. Tel que défini par Michel Bernard, le chiasme intrasensoriel
réfère au croisement des fonctions actives et passives présent dans tout sentir. Le chiasme intersensoriel
concerne le croisement des sens entre eux. Cf. Bernard, op.cit., p. 96.
18
• La dimension de la respiration. Se mettre en lien, à l’écoute de sa propre respiration.
• La dimension du poids. Inviter à sentir les parties en contact près du sol ; changer ses
appuis ; explorations des qualités du lourd et léger ; mouvement soulever-relâcher.
• L’implication des différents sens. Jouer avec le regard focal et périphérique ; évoluer
dans l’espace yeux fermés. S’accorder sur un même rythme ; s’arrêter — repartir avec
la musique. Automassage ou explorations de différentes formes de contact (tapoter,
frotter, pétrir…) en duo ; propositions invitant le contact dans le mouvement : dos à
dos, guider/être guidé.
Nous travaillions ainsi à échauffer nos muscles, autant que notre imaginaire et notre
écoute. Je leur ai fait des propositions assez variées, debout ou au sol, individuellement, en
duo, petits groupes ou grand groupe. Au départ, ce fut une manière pour moi d’expérimenter
et de voir ce qui fonctionnait plus ou moins. Au fur et à mesure, certaines propositions que
nous avons reprises se sont aussi transformées.
En voici une qui a fonctionné dès le début et qui est devenue un petit rituel que nous
avons souvent refait.
Le travail se fait en cercle et consiste à se passer le relais du mouvement. Au milieu se trouve
le chaudron du mouvement. Le premier qui commence (moi dans les premiers temps) puise
dans le chaudron imaginaire, propose sa petite danse, puis passe le relais du mouvement à
son voisin, et ainsi de suite. Nous avons joué avec de nombreuses variantes incluant regard,
geste, déplacement : parfois le mouvement faisait le tour du cercle, parfois il traversait grâce
aux intentions des regards dirigés vers un partenaire en face de soi. D’autres fois, chacun à
son tour proposait un geste en énonçant son prénom et nous reprenions tous ensemble le
geste proposé. Une autre variante consistait à aller prendre au centre une posture d’équilibre
quelques instants puis de passer le relais en prenant la place de quelqu’un dans le cercle.
Autant de façons d’inviter le mouvement à s’exprimer et à explorer l’arrêt, l’équilibre, la
connexion aux uns et aux autres.
19
Pour cela, je me suis beaucoup appuyée sur les objets, véritables médiateurs
permettant d’appréhender sa propre sphère de mouvement et l’espace qui relie aux autres.
Tissus, galets, ballons, autant de partenaires avec lesquels jouer et danser qui permettaient
d’ouvrir au mouvement spiralé, d’inscrire son mouvement dans l’espace de l’autre, de
construire des formes, de se mouvoir dans l’espace en jouant des distances entre chacun.
Jeux de marches, de trajectoires, de traversées constituaient les fondements de ces
propositions. Marche en avant, en arrière, sur les côtés, permettait une exploration simple
conduisant à établir un lien avec de nombreux aspects concernant l’espace : jouer à passer
entre les partenaires, s’approcher, s’éloigner, se réunir là où quelqu’un s’arrête, suivre le dos
de quelqu’un, voyager d’un point à un autre et souffler…
J’ai également proposé certains petits enchaînements de mouvements pour structurer
l’exploration de la kinésphère20 et des différentes directions du corps dans l’espace. Une façon
structurante d’inviter le geste à parcourir de nouveaux chemins. Dans ces moments-là, des
indications qualitatives étaient associées aux consignes cinématiques (dessiner un arc de
cercle devant soi de bas en haut avec son bras puis un autre de haut en bas en se retournant, en
imaginant son bras comme un pinceau, ou une grande aile...). L’idée était d’éviter l’exécution
d’un simple mouvement directionnel et de guider ces petits enchaînements afin de permettre
d’habiter des qualités gestuelles. Ainsi que l’explique Hubert Godard, « ce n’est donc pas la
répétition d’un mouvement mais l’expérience du geste et par là la “fabrique du sens” qui
donne le sens (direction) aux sens ».21 Si le mouvement peut être défini d’un point de vue
cinématique, en considérant le trajet effectué par les segments du corps dans l’espace, le geste
renvoie quant à lui à la charge expressive qui prend naissance « dans l’écart entre ce
mouvement et la toile de fond tonique et gravitaire du sujet »22, c’est-à-dire dans l’écart
toujours mouvant entre le fond(s) et la figure, et que Hubert Godard nomme pré-mouvement.
20
La kinésphère est un terme théorisé par Rudolph Laban pour désigner l'espace (sphérique) disponible en
déployant ses membres dans toutes les directions sans se déplacer.
21
H. Godard, « Le souffle, le lien », dans Marsyas, n°32, 1994.
22
Godard, Idem.
23
J.J. Gibson, « The Ecological approach to visual perception », Psychology Press, New York – London, 1986.
20
qui met en lumière comment les possibilités d’action offertes par un milieu et les capacités
d’action d’un sujet doivent être pensées réciproquement en vertu de l’action déployée par un
sujet. C’est à travers des explorations dynamiques sensori-motrices et kinesthésiques que l’on
peut penser l’interaction avec l’espace. Comme le montre Hubert Godard24, la corporéité est
déjà comprise dans un espace imaginaire et dynamique et l’espace est toujours « espace
d’action » relatif à nos modes de perceptions, nos affects et élans insconscients dont nos
muscles gravitaires portent la mémoire.
24
« Des trous noirs ». Entretien avec Hubert Godard par P. Kuypers, dans I. CORIN, Scientifiquement Danse,
Revue Nouvelles de Danse, N°53, Contredanse, Bruxelles, 2006.
25
Muriel Guigou, La danse intégrée : danser avec un handicap, L’Harmattan, 2010, p. 39.
26
Aurore Després, « La relation pédagogique dans le Contact Improvisation : le partage en mouvement », in
Incorporer, Revue Nouvelles de danse, N°46-47, Bruxelles : Contredanse, 2003, pp.130-145.
21
• Des compositions collectives. Création de tableaux, développement d’une situation à
partir d’un objet. Chacun improvise dans l’espace de danse : dès que l’un s’assoit sur
une chaise placée dans l’espace, tous viennent prendre contact dans une posture
immobile autour de lui. Evolution des tableaux, puis tout le monde repart.
Il pouvait s’agir de danser seul, en duo, en trio ou tout le groupe ensemble. À part dans
le cas de compositions collectives, ces moments de danse avaient ceci de spécifique de se
réaliser sous le regard des autres, présents comme témoins. Quoique chacun dans le groupe ait
l’habitude de travailler devant les autres en expression corporelle, la salle du foyer étant trop
petite pour que tous s’y meuvent en même temps, il s’agissait de continuer à apprivoiser le
regard du témoin/spectateur et aussi le sens/la signification d’être dans un espace scénique.
Nous sommes entrés dans une autre dimension de ce travail lorsque nous nous sommes
engagés dans la préparation de ce que nous allions donner à voir et partager à un public
extérieur. Nous avons continué nos expérimentations à partir d’une trame de travail qui est
devenue notre partition. Affinée, répétée, travaillée, elle a servi de fil conducteur au processus
de création et de composition.
B/ EXPERIENCE IN SITU
Il y a ce qui leur a été proposé. Par le foyer, un nouveau temps d’atelier avec une
nouvelle intervenante. Par moi, une nouvelle pratique dans un lieu différent. Qu’en ont-ils fait
? Qu’ont-ils vécu ? Une expérience qui leur appartient et dont je ne peux réellement rendre
compte sinon partiellement, en m’intéressant à la façon dont ils m’ont interpellée en retour, et
à ce que j’ai pu constater qu’ils vivaient dans le travail proposé. Au fil des ateliers, c’est la
réception autant que l’engagement de chacun dans le mouvement et plus largement dans
22
l’atelier qui m’a intéressée : gestes partagés, implications verbales, tactiles, gestuelles,
initiatives et réutilisations, et leur évolution dans le temps. Je propose à cette occasion
quelques vignettes cliniques présentant chaque personne du groupe.
N. et l’espace
N. énonce dès le premier atelier que ce nouvel espace lui pose problème. Elle s’y sent mal à
l’aise et préfère quand l’atelier a lieu au foyer.
Elle est, de tous, celle qui est la plus aisée dans la parole, partageant assez spontanément ce
qui se passe pour elle, et de fait une de celles pour qui cela me fut le plus facile, le plus visible
de suivre l’évolution. Quoique l’attitude de N. puisse être ambivalente et changeante, le
chemin parcouru tout au long de cette série d’ateliers témoigne de transformations et de
mouvements.
Saisissant vite les choses et captant assez finement les situations, par exemple lorsque
quelqu’un ne comprend pas, je l’entends partager ce qui lui plaît et lui déplaît, formuler des
demandes, comme de refaire « l’exercice du mur » ou de préciser la consigne qui n’est pas
claire pour elle. En même temps, la très faible estime qu’elle a d’elle-même l’amène vite à se
sentir incapable. Une petite précision donnée à N. pendant une consigne peut suffire à la
déstabiliser et lui passer l’envie de participer. Elle a ainsi beaucoup d’angoisses qui peuvent
vite la submerger. Dans ces moments, j’observe chez elle un besoin insatiable d’expliquer et
de répéter ce qui l’inquiète ou ce qui lui est arrivé, notamment un accident survenu toute
petite qui l’empêche aujourd’hui de sentir et de mouvoir sans douleur son bras gauche.
23
La taille de la salle et la notion d’espace se révèlent être une grande source d’angoisses. En
témoignent les comparaisons qu’elle fait : l’espace apparaît comme « le néant », « le vide
absolu ». Une autre fois, elle nous parle d’une piste de ski, avec le sentiment d’être au bord
d’un précipice. Le mot lui-même à entendre est angoissant. P. lui répond que c’est normal
d’être effrayé par cet espace inconnu et toute la nouveauté et qu’il faut du temps pour
s’habituer. N. n’y croit pas. Elle préfère être au foyer : « là-bas, c’est plus petit, ça me
contient plus », dira-t-elle.
Cette perception va bouger et osciller. Lors du 5ème atelier, N. partage ce qu’il lui a plu, le
fait qu’elle s’habitue à l’espace et qu’elle croit même qu’elle va bientôt le préférer à l’autre.
Quelques ateliers plus tard, à nouveau, l’angoisse revient. Cette fois cependant, elle ne se met
pas en retrait, mais vient partager que m’entendre à nouveau prononcer le mot d’espace
l’effraie. Je l’entends aussi dire que le mur et le sol sont sa seule sécurité. Autant de choses
nouvellement captées puisque le travail au sol ne lui plaisait pas au départ et que le mur fait
partie des explorations qui l’ont intéressée lors de précédents ateliers.
24
Lors des moments plus dansants, je découvre aussi le potentiel de D.
D. a besoin de temps pour entrer dans une proposition. Son rythme à elle est beaucoup plus
lent que la plupart. Manifestant souvent un certain retrait au départ, cela demande d’aller la
chercher pour l’inviter dans le groupe. Une fois lancée dans la danse, D. devient autonome.
Son potentiel est grand. On devine que plusieurs cours de danse sont passés par là. Il y a
cette aisance du geste surtout lorsqu’il s’agit de danser en flux continu. Proposer un geste
spontané ou une posture l’inhibe très vite. Elle hésite, réfléchit, murmure qu’elle n’y arrive
pas, amorce un mouvement et cherche en portant attention aux détails : comment placer ses
mains, entremêler ses doigts. Elle organise son corps alors avec minutie et précision,
s’installe et grandit sa présence. Elle a la conscience de comment déployer son geste et une
grande force expressive, mais paradoxalement cette recherche appliquée pour arriver au
résultat l’empêche de laisser venir spontanément des formes inédites.
J’observe néanmoins chez D. beaucoup de créativité, notamment lors des improvisations avec
un objet comme le galet ou une balle : par les changements de rythme qu’elle opère, les
façons d’inclure l’objet à sa danse en jouant à le lancer, le faire tourner, ou le faire rebondir
dans ses mains, c’est tout l’espace autour d’elle qui devient vivant.
25
moments quelque chose surgir qui vient faire écho à ce qui a été dit ou fait plus tôt. C’est tout
petit, mais c’est de l’existant. C’est à cela que F. m’invite à m’intéresser, à cela que je me
mets à l’écoute et que je vois comme un fil. Déjà de le voir comme un lien, n’est-ce pas faire
du lien pour elle ?
Ainsi lors d’un atelier où nous avons exploré les différents touchers pendant l’échauffement,
je la vois, dans la danse, tapoter, malaxer et donner le nom des parties du corps de P. Cela
m’apparaît comme une forme d’intégration, de réappropriation. Une hypothèse que je me
formulerai plusieurs fois. Tout semble s’enregistrer dans son propre temps à elle.
L’assimilation des informations n’est pas toujours lisible pour moi, mais j’ai la conviction
qu’elle se passe…
E. quant à elle se montre épuisée lors des premiers ateliers. P. m’explique que c’est une grosse
journée pour elle, car elle est déjà de sortie le matin. Plusieurs fois d’ailleurs, elle arrive avec
le plan du Louvre à la main et parle de la visite. Plusieurs fois aussi je constate qu’elle ne veut
pas participer.
Lors du deuxième atelier, E. s’est allongé sur le ventre et ne bouge pas. Plus tard, quand P.
vient vers elle, elle participe un peu. Lorsque je lui propose à un moment de la séance si elle
veut essayer l’expérience de « se relever », elle dit « je veux essayer et je veux pas essayer ».
Je rigole et lui dis que les deux à la fois, c’est compliqué. Je lui demande si elle veut essayer
avec moi. Elle répond alors : « je veux pas essayer ». Ce jour là, au moment où nous
terminons en cercle pour échanger ensemble, E. part aux toilettes. À son retour, nous lui
demandons si elle souhaite dire quelque chose. Marmonnant d’abord de façon
incompréhensible, elle dit « c’est juste mon opinion ». Puis nous l’entendons dire qu’elle
préfère faire du sport et les lieux de là-bas (le foyer). Finalement, lors du 3ème atelier, P.
évoque avec elle le fait d’arrêter l’atelier. Sur le chemin, elle répète, comme P. le lui a dit,
que c’est à elle de choisir. Elle ne sait pas. La fois d’après, elle n’est pas là et ne reviendra
plus.
26
et imagées pour guider leur attention pendant le mouvement. Une fois que tout le monde l’a
fait, H. me dit : « À toi ». Je suis surprise, je l’ai déjà fait pour leur montrer, mais j’accepte.
Il commence alors à me réexpliquer, comment je dois faire. Je me prête un peu au jeu de
suivre ses indications tandis que lui s’affirme dans le rôle de « celui qui dit comment on
fait ».
2. Du côté de la transmission
M’engager dans cette aventure était une première. Et au cœur de cette intervention,
improviser a été une clé d’invention autant pour eux que pour moi. En me mettant à l’écoute
de ce que nous vivions dans l’instant et en m’appuyant sur ma propre capacité à improviser,
j’ai trouvé, tout au long, des ressources pour conduire le fil de l’animation.
Lorsque je découvre le groupe, je n’ai aucune idée de ce qui va pouvoir avoir lieu ou
pas. Comment allons-nous danser ensemble ? Quels types de propositions et quelles modalités
de transmission seront à privilégier ? Quelle réception sera possible ?
Très peu m’en a été dit avant de démarrer. C’est un choix qui m’offre de découvrir sans a
priori chacune des participantes. Les premiers ateliers consistent à expérimenter, accueillir,
écouter, tester. Pour comprendre où se situe notre « territoire des possibles »27 : où nous
pourrons nous rencontrer et ce qu’il y a besoin pour inviter au travail somatique et dansé. Il
s’agit de pénétrer leur univers pour les inviter à voyager dans le mien. Il s’agit de nous
accorder.
Les ateliers eux-mêmes peuvent être envisagés comme des partitions ouvertes
d’improvisation. En permanence, il y a eu ce jeu, cette marge entre ce que j’ai prévu, ce qui se
passe, ce qui apparait comme la suite. L’atelier peut ainsi s’envisager comme un espace de re-
création qui déplace la pratique jusqu’à l’endroit nécessaire pour qu’elle soit reçue. À
l’arrivée, à chaque fois, une composition advient, émerge, à partir des ressources en présence
et des circonstances du jour. La démarche dans laquelle je suis est un processus
d’expérimentation permanente, qui demande une mobilisation intérieure continue. D’atelier
en atelier, je déroule un fil en choisissant des axes d’exploration et de travail tout en cherchant
à m’adapter et en m’inspirant de ce qui s’est passé la fois précédente.
27
Expression employée par Claire Filmon, danseuse improvisatrice et pédagogue, dans la cadre de son
enseignement.
27
à celui qui improvise : état de disponibilité et d’engagement, où il s’agit tantôt de faire ou de
laisser faire, d’écouter ou d’initier, de suivre ou de relancer… Le rôle que joue P. va s’inclure
au fur et à mesure, dans la façon dont il lui arrive d’accompagner, de réguler, d’inciter chacun
à se saisir de ce qui est proposé… C’est un bain de nouveauté pour elle aussi. Plus tard, elle
me dira qu’elle a découvert et commencé à comprendre petit à petit ma façon de travailler.
28
Maintenant que j’ai commencé, chacune attend que je vienne vers elle. Je propose à P. de
venir soutenir ce travail. J’utilise mon propre toucher pour lui faire percevoir comment je
procède. Cela l’intéresse pour ses prochains ateliers.
29
dans l’instant, et dans le fait de « faire ensemble » que s’ouvraient des possibilités. Plusieurs
choses ont permis de travailler à cet alliage d’individuel et de collectif. Premièrement, le
travail en binôme est à cet égard d’un grand intérêt et une vraie force quand l’accordage se
fait. La présence de P., qui assurait une fonction de relais, et sa réceptivité au travail proposé,
a amené et permis beaucoup de fluidité dans le travail en groupe. Deuxièmement, je me suis
beaucoup appuyée sur le travail en cercle, espace collectif propice à l’échange, et à
l’expression individuelle. Ces moments-là faisaient apparaître clairement la forte contagion à
l’œuvre dans la dynamique du groupe et la fonction de moteur et de soutien de ce dernier se
repérait dans les échanges entre les participants.
2.2.2. Le vocabulaire
Les mots par leur pouvoir d’évocation sont une source importante du travail en danse,
pour amener un certain vécu corporel ou convoquer une certaine qualité gestuelle. Encore
faut-il que ce langage « parle » et évoque. Dans ce contexte, il fut facile de constater les
différences pour chacun.
Plusieurs aspects dans mon discours verbal nécessitaient d’être repensés. J’ai
notamment rencontré rapidement la limite à utiliser un vocabulaire abstrait. Me référer à des
indications cinématiques de direction dans mes propositions ne me permettait pas facilement
d’être comprise. Ainsi, parler en termes de côté gauche et droit ne donnait pas des indications
fiables pour chacun, et avait davantage tendance à déstabiliser. Les notions issues du travail
en danse, telle la dimension du poids, avaient besoin d’un imaginaire concret pour pouvoir
être appréhendées. Par exemple, inviter le poids à passer d’un pied sur l’autre pouvait ne rien
signifier et n’amener à aucune perception relativement au changement de poids. Faire la
marche des canards, ou encore, se transformer de fourmi en éléphant, amenaient en revanche
les corps à osciller de diverses façons et laissaient deviner que le transfert de poids d’un pied
sur l’autre était en train d’être expérimenté et perçu. En conséquence, c’est tout un pan du
travail qu’il a fallu ajuster afin de trouver mots et métaphores venant résonner avec leur
imaginaire, leur propre rapport sensible aux autres et aux choses, et pouvant servir de support
pour nourrir le geste dansé. De façon générale, l’imaginaire vivant et concret était le plus
parlant : actions, êtres vivants, émotions permettaient d’éveiller à toutes sortes de qualités de
mouvements. Si l’on considère avec Michel Bernard28 l’imaginaire comme un processus se
logeant au cœur même du fonctionnement de nos modes de sentir, on comprend qu’il
constitue un des fondements sur lesquels s’appuie la pratique.
28
Bernard, op.cit.
30
2.2.3. Le toucher et le kinesthésique
Outil de relation, d’écoute et de communication, le travail avec le toucher est une vraie
piste de travail que j’ai investie. D’une part, parce que le travail avec le toucher est
extrêmement riche et puissant dans sa capacité à informer les corporéités et à modifier les
états de corps. D’autre part, parce qu’il a été un outil formidable d’accompagnement, vecteur
de transmission essentiel. Là où c’est difficile d’induire par les mots, le toucher devient un
autre langage d’information et d’échange. Au cœur de la question de la relation, il est une
façon d’entrer en relation avec une personne ou un environnement.
31
quotidien. Muriel Guigou parle de deux « hexis corporelles » 29 qui se trouvent confrontées,
celle du monde de la danse et celle de l’institution médico-sociale, où le contact physique est
défini par d’autres normes et codes gestuels, liés notamment à l’accompagnement à la
mobilité, l’hygiène ou la toilette.
29
Définie par Pierre Bourdieu, « l’hexis corporelle fait partie de l’habitus (résultat de l’intériorisation des
conditions de socialisation de l’individu). Il s’agit de l’ensemble des comportements corporels, des bonnes
manières légitimes d’un groupe ». Cf. Guigou, op.cit., pp.86- 87.
32
disponible à suivre le fil de ce qui est prêt à se vivre. Au début de l’aventure, je décide donc
de réserver la préparation de ce moment final pour le dernier tiers du projet.
Le 8ème atelier arrive, et avec lui, un inattendu qui va marquer le départ de cette
expérience collective orientée vers la création que nous allons partager. Voilà plusieurs fois
que nous ne nous sommes pas retrouvés en cercle pour échanger en fin d’atelier, et P. m’a par
ailleurs incitée à demander aux résidents comment cela se passe pour eux. Je prévois un temps
de parole pour clore l’atelier du jour. Comme souvent, la plupart de ceux qui prennent la
parole disent ce qu’ils ont aimé dans la séance.
Tandis que je demande s’il y a d’autres choses à exprimer concernant l’atelier
d’aujourd’hui, mais peut être aussi le travail d’ensemble, P. évoque le fait que des questions
reviennent souvent au foyer, et — elle s’en dit étonnée — dont personne ne parle là. Elle
attend un peu, et comme personne ne dit mot, finit par formuler que beaucoup de questions se
posent concernant le spectacle final. Je demande d’abord de quoi il s’agit. N. directement
reprend la parole, voulant savoir si elle pourra inviter ses parents. P. répondant par la
négative. N. discute et veut savoir pourquoi et si ça pourrait se faire à l’occasion de la fête
organisée pour les 20 ans du foyer. Le sujet est en effet loin d’avoir été oublié ! Je voudrais
permettre à autre chose d’être dit autour du spectacle et en même temps je vois l’heure bientôt
passée et souhaite aussi répondre à la question qui vient d’être posée. De mon côté, ma
réaction est d’exposer comment je vois les choses à ce moment-là, telles qu’elles sont restées
dessinées dans ma tête depuis le début, notamment le fait que je conçois plus l’idée de
préparer une restitution d’atelier permettant de partager une partie de l’expérience vécue
ensemble qu’un spectacle proprement dit. J’ajoute pour rassurer le groupe qu’on va prendre le
temps de préparer cela, en décidant à partir de ce qui leur a plu de ce qu’on donnera à voir.
Il y a quelque chose d’inattendu dans ce qui s’est formulé en cette fin d’atelier, qui vient me
rappeler mes premières paroles et d’une certaine façon, mettre à l’épreuve mon dispositif.
2. Laissez-moi comprendre…
33
évidence le décalage existant entre les endroits où nous nous situions respectivement. Elle
raconte aussi mes propres réticences par rapport à cette idée de spectacle.
30
Expression empruntée à Emmanuel Grivet, chorégraphe et danseur.
34
2.2 La partition
Si l’invitation à élaborer ensemble le concret d’une trame est illusoire parce que nous
disposons d’un temps restreint, et ce n’est pas évident que chacun puisse s’impliquer dans le
groupe, quelles autres voies possibles vont permettre de passer d’un état de receveur d’atelier
à un état d’acteur, de créateur ? Comment les solliciter pour convoquer leurs idées créatives ?
31
Défintition issue des méthodes de travail de Maja Carcano, chorégraphe et danseuse.
32
Marie Colmont, Perlette goutte d’eau, Père Castor Flammarion, 1993.
35
3ème PARTIE : D’usager à acteur
Avec le recul, quoiqu’ils ne puissent être dissociés l’un de l’autre, on pourrait dire
qu’il y a eu l’expérience de deux dispositifs d’ateliers. L’un, au départ, davantage guidé par
des objectifs touchant à l’expérience personnelle que chacun pouvait faire de la pratique, le
second reposant, quant à lui, sur un enjeu de création, avec une finalité de partage collectif
dans un cadre spatio-temporel précis. Au regard de l’évolution de cette aventure de quatre
mois et de ce qui en a été dit, quels éléments peuvent être dégagés, permettant de comprendre
la façon dont chacun dans le groupe s’est projeté et engagé, et d’usager est devenu acteur ?
33
Dominique Coulin-Praud, « L’atelier en danse, une pratique de l’utopique ? » dans Danse et Utopie,
Université de Paris VIII. Département danse, Paris – Montréal : L’Harmattan, 1999, p.150.
36
l’instant s’est développée à partir des années 60, notamment avec de nombreux artistes et
chorégraphes du Judson Dance Theater35. Ces artistes ont fait émerger « une nouvelle
conception de la danse pensée non plus comme un objet artistique fini, mais comme une
forme en mouvement dans laquelle chaque intervenant cherche, dans l’instant présent,
l’équilibre (préconisé par Dunn) entre la gravité et le jeu, la nécessité et la possibilité.»36.
Des pratiques de danse et d’improvisation très diversifiées ont vu le jour, parfois qualifiées
par les termes de composition instantanée, danse performative ou performance dansée.
Chéryl Gréciet identifie néanmoins certaines caractéristiques communes : l’importance
accordée à la « dimension sensorielle de l’expérience physique », notamment à travers des
pratiques somatiques, l’orientation du travail autour de la présence dans l’instant et enfin
l’implication des choix et engagements personnels de chacun dans la construction collective
de l’improvisation.37
34
Terme employé pour la première fois par Yvonne Rainer en 1962. Cf. Bruno Couderc, « L’improvisation en
danse : une présence à l’instant », Thèse de doctorat en Sciences et Techniques des Activités Physiques et
Sportives sous la direction de Yvon Léziart, 2009, p.926.
35
Le Judson Church Dance Theater (1962-1964) fut le lieu où Robert Dunn donnait ses cours de composition
(de 1961 à 1962 puis à nouveau en 1964) et le nom pris par le collectif formé par un certain nombre d’artistes se
produisant à la Judson Church comme Steve Paxton, Yvonne Rainer, David Gordon, Robert Morris puis Trisha
Brown, Robert Rauschenberg, Meredith Monk, Lucinda Childs et Douglas Dunn... Cf : BANES, Sally,
Terpsichore en baskets. Post-modern dance, trad. Denise Luccioni, Paris, Éditions Chiron, 2002 (1ère éd.
Hougton Mifflin Company, 1987).
36
C. Gréciet, “Danser avec l’inconnu”, dans Improviser, Revue Théâtre S, n°24, Rennes, Presses Universitaires
de Rennes, 2e semestre, 2006, p.70.
37
Ibid., p.73.
38
Marcelle Bonjour, dans Expérience et transmission, Colloque danse, Pascalines 98, Festival de la pensée,
Clermond-Ferrand, Billom : brut de béton production, 1998, p.13.
37
pas lieu à une évaluation, mais est le support d’un travail de recherche sur le processus des
mouvements39.
Que peut-on dire de cette pratique dans ce contexte spécifique qui était le nôtre ?
Quels possibles engendre-t-elle ? Comment l’improvisation dansée offre-t-elle un terrain
privilégié en présence de handicap pour jouer de ces mobilités différentes qui ne sont pas
celles socialement et esthétiquement valorisées, reconnues ?
Ce qui ressort de ce qui vient d’être dit plus haut, c’est finalement le fait que
l’expérience artistique en improvisation s’adresse aux sujets, aux corporéités en devenir.
Danse valorisant l’expression de la singularité, elle s’intéresse à toute expérience de mobilité.
Toute sa difficulté réside sans doute dans le fait d’apprendre à dompter de nouveaux
territoires. Toute sa force aussi. Danse non encore advenue, en permanence en train de se
chercher... de se trouver... Colette Mauri, avec d’autres, nomme danse performative ce
processus d’expérimentation qui vise « un indéterminé propice à déclencher du hors habitude,
hors quotidien, de l’extra ordinaire, à l’encontre de la fixité des codes appris, hérités, qui font
barrage aux gestes innovants ».42
Prendre pour principe l’indéterminé nous semble particulièrement intéressant quand il s’agit
de travailler avec des personnes dont la situation de handicap mental existe relativement à la
représentation qu’on accorde à leur déficience, comme déterminant limitant les possibles. A
fortiori dans un contexte institutionnel où l’organisation de la vie quotidienne réduit les
marges de l’indéterminé.
On ne quitte pas le terrain de ses propres habitudes facilement, en improvisation
comme ailleurs. Mais n’y a-t-il pas dans cette liberté du mouvement corporel et dans
39
Després, op.cit., p.132.
40
Coulin-Praud, op.cit., p.150.
41
Table ronde « La danse peut-elle naître autrement par le mouvement du non-danseur ? », Journée Culture et
Handicap, Résonance Contemporaine, octobre 2004. Cf. M.Guigou, op.cit., p.39.
42
Colette Mauri, « Ce qui insiste dans l'acte de danse », Insistance, 2010/1 n° 4, p. 68.
38
l’ouverture de la sphère perceptive une voie par laquelle peut se modifier et s’agrandir le
rapport du sujet à sa corporéité et par la même à ce qu’il lui est possible de vouloir et de
former comme action43 pour lui-même ? Là où le handicap mental installe parfois quelque
chose du côté de la fixité et du répétitif qui peut sembler enfermant, il s’agit dans la pratique
d’improvisation « de re-produire au sens de produire à nouveau et cela implique le sujet dans
un acte, cet acte du corps au travail. »44
Le corps est un lieu traversé de pouvoir, une entité sur laquelle s’exerce le pouvoir
normatif d’une société qui semble engager ses membres à une perfection corporelle
permanente et durable45. Ici, les analyses foucaldiennes montrent avec force les différentes
façons par lesquelles l’exercice du pouvoir sur le corps s’est manifesté à travers les époques.
Dans Surveiller et Punir46, Foucault met en évidence le projet normatif et disciplinaire qui a
donné lieu à partir de la fin du 18ème et au début du 19ème siècle à une nouvelle anatomie
politique reposant sur un ensemble de méthodes de codification et de coercition
individualisantes et hiérarchisantes, permettant un contrôle minutieux des corps et un
assujettissement de leurs formes. S’il montre comment celui-ci est devenu « objet
biopolitique », il considère par la suite l’existence de pratiques d’émancipation ou
« techniques de soi ». Susceptibles de définir de nouvelles modalités de rapport à soi, par
lesquelles chacun de nous, individuellement et collectivement, peut s’inventer soi-même et se
reconnaitre comme sujet, ces pratiques d’auto-gouvernement sont autant de formes de
résistance au pouvoir.
Qu’en est-il de l’improvisation dansée ? Peut-on penser cette pratique comme un lieu
où jouer des regards et des représentations sur sa propre corporéité, un moyen par lequel
l’arracher à son statut d’objet et à son impuissance ?
43
Je m’appuie ici la conception de la corporéité chez Ricoeur, telle qu’en rend compte Daniel Frey. Définie
come « le « Je peux » du « Je veux » », la corporéité apparaît comme la condition de l’action propre du sujet.
L’habitude quant à elle est définie par Ricoeur comme « spontanéité vivante et imitation de l’automate, retour à
la chose ». Mémoire du corps, qui s’origine dans « l’histoire des mes actes », l’habitude est inhérente à toute
action du sujet, la facilitant tout en étant susceptible de la freiner du fait de son automatisme. Mais comme le
rappelle Daniel Frey, il appartient au sujet agissant de « faire droit à la conscience par delà l’habitude d’agir » de
façon à garder le sens et la liberté de sa propre action. Cf. Daniel Frey, « Du corps, sujet ou objet, au sujet,
agissant et souffrant » dans Le Corps : le sensible et le sens, Gilbert Vincent (dir.), Strasbourg : Presses
universitaires de Strasbourg, 2004, p.224.
44
Mauri, op.cit., p. 69.
45
Frey, op.cit., p.219.
46
Michel Foucault, Surveiller et Punir, Paris : Gallimard, 2011.
39
Les propos de Wiewiorka ouvrent la piste de façon éclairante : « le corps trouve en
revanche sa place et s’inscrit dans une dynamique de constitution ou d’affirmation du sujet
quand il est non pas asservi à un pouvoir, non pas enraciné dans des processus qui échappent
à la volonté des acteurs et qui tendent à toujours mieux contrôler les affects personnels, mais
reconnu comme susceptible de plaisir, exploré, transformé dans ses possibilités, valorisé ».47
Plutôt que d’appréhender le corps comme un extérieur à soi, l’approche somatique développée
en improvisation, déplace la perspective en amenant à considérer une corporéité en
permanence en train de devenir, en permanence traversée, en train de se défaire et de se
reconstituer. L’approche de la corporéité, développée par Michel Bernard, permet
d’appréhender un enjeu fondamental de cette pratique. En proposant le terme de
« corporéité », Michel Bernard rompt avec l’idée traditionnelle du corps comme entité en
montrant comment ce concept, façonné par le langage et emprunt de mythe, est une
représentation prise dans un champ de forces culturelles, sociales et politiques. À cela, il
substitue une approche de l’image du corps plastique, ouverte aux croisements multiples de
forces et de dynamiques constamment nouvelles, et traversée par l’imaginaire à la fois
culturel et propre à l’histoire d’une personne. Toute corporéité se constitue ainsi dans une
manière d’agir, de sentir et de percevoir au sein d’un environnement et sous l’influence de
mémoires inconscientes. Comme le souligne Christine Roquet, « c'est une manière (faite de
mille manières) singulière d'agir-percevoir au sein d'un environnement qui va façonner une
corporéité. Aussi il ne saurait y avoir de corporéité 'en soi' mais seulement de multiples
phénomènes de corporéités, chacune se définissant par un certain usage de soi. »48
Ainsi, plutôt que de soustraire aux injonctions normalisantes visant à régler et formater
les comportements et les attitudes, laisser advenir le mouvement en prenant pour point
d’appui l’expérience vécue et pour référence la « norme intime »49 du sujet, est ce qui permet
aux corporéités d’apparaître dans leur singularité et leur multiplicité. Si cela signifie faire
avec les limites propres à chacun, cela conduit aussi à envisager celles-ci autrement, au point
que se transforme parfois le regard porté sur elles.
Le témoignage de N., lors du bilan final, en est une bonne illustration. Nous en présentons un
extrait :
47
Michel Wieviorka, La différence : Identités culturelles : enjeux, débats et politiques. La tour d’Algue : ED. de
l’Aubre, 2005, p.113-114.
48
Séminaire « Encore le corps », Christine Roquet, dans le cadre du DU « Techniques du corps et monde du
soin », Université Paris 8, 2013.
49
Terme emprunté au psychanalyste Pierre Benoit par Isabelle Joly. Cf. I. Joly, « Du corps monstrueux de la
femme malade au corps érotique. Esquisse d’une phénoménologie du Moi-peau abimé », dans La figure du
monstre, Phénoménologie de la monstruosité dans l’imaginaire contemporain, Didier Manuel (dir.), Nancy :
Presses Universitaires de Nancy, 2009, p.121
40
Stéphane : Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui se souviennent de ça et
qui ont envie de partager sur les moments où on a travaillé le toucher ?
Stéphane : Alors qu’est-ce qui a fait que vous avez bien aimé justement ?
Stéphane : D’accord…?
Stéphane : Et est-ce qu’il y a des choses plus précises que vous diriez dans
la danse qu’on a fait qui ont justement aidé ce côté gauche à venir se faire
sentir ?
N. : L’espace. L’espace…
Stéphane : C’est-à-dire ?
N. : Je dirais que j’ai réussi à surmonter, mais que ce n’est pas encore
complètement passé, je veux dire… ce n’est pas passé complètement
complètement, hein, je ne suis pas à l’aise complètement encore. Mais
disons que… si c’était à refaire, pourquoi pas. Mais je ne me relancerai pas
dans l’aventure. Je ne referai pas l’aventure. Je l’ai fait, bon, certes, mais je
ne referai pas un deuxième trimestre.
N. : Eh ben le mur, quand on s’est frotté contre le mur, quand j’étais en duo
avec A., quand j’étais en duo avec S., ou T., ou toi ou P.
41
N. est une des rares personnes du groupe à pouvoir formuler avec autant de précision un
retour sur son expérience. Ce dernier fait apparaître une évolution majeure concernant sa
relation à l’espace, et une nouvelle histoire dans le rapport à ce bras gauche, de nouveau
traversé par une perception vivante.
Mon hypothèse est donc qu’à travers cette expérience de danse peut s’inventer de
nouvelles cartographies50 du corps. Je reprends ici une expression choisie par Carla Bottiglieri
pour qualifier l’apprentissage qui est au cœur des pratiques somatiques. En effet :
Si nos équipements perceptifs et leur corrélat d’action, d’affect et de pensée
sont transformables, autant l’est notre capacité à construire et à inventer
des territoires d’existence et d’y projeter constamment des hypothèses
d’action. La subjectivité n’est pas réductible à la sphère d’une “destinée
identitaire”, produit immuable de clivages sociaux et culturels, mais elle
définit le champ d’agencement multiple avec les différentes dimensions de
la réalité, ses modes variables d’appréhension, d’expérience et
d’articulation. Cet art de (se) sentir, que maintes approches somatiques
élaborent et transmettent n’est donc que le condensé et l’intensification
d’une expérience perceptive que nous faisons nôtre, en apprenant à isoler et
articuler ses composants sensoriels.51
Sujet et monde ne sont ainsi jamais séparés, mais au contraire toujours en train de co-advenir
et se recréer dans l’expérience.
L’approche de l’image du corps proposé par Shawn Gallagher nous semble un outil
éclairant pour penser la façon dont la pratique d’improvisation dansée « met le corps au
travail »52. Elle est définie par l’auteur comme « système conscient d’éléments intentionnels
et d’attitudes, principes, croyances, expériences, émotions, dont l’objet est le corps propre et
qui vient délimiter « un sentiment de soi cohérent ».53 Shawn Gallagher distingue trois sortes
de représentations à partir desquelles s’organise une image du corps singulière et plastique.
Les percepts corporels réfèrent à toutes les perceptions tournées vers son propre corps. Les
concepts corporels réfèrent aux savoirs et croyances concernant son corps. Les affects
corporels renvoient quant à eux aux affects, émotions, liés à au corps propre. Un ou plusieurs
50
Carla Bottiglieri, “D’un sujet qui ‘prend corps’. L’expérience somatique entre modes de subjectivation et
processus d’individuation”, coll., De l’une à l’autre, Composer, apprendre et partager en mouvement, Bruxelles:
Contredanse, 2010, pp. 250. Dans Mille plateaux, Gilles Deleuze et Félix Guattari développent les concepts de
carte et de cartographie qui peuvent nous aider comme grille de lecture. La carte n’est jamais une simple
représentation, un instrument mimétique, c’est toujours une construction, une invention. Elle permet de
multiplier les voix d’accès au réel. C’est une production de sens qui n’est jamais donnée préalablement.
51
Bottiglieri, ibid.
52
Laurence Louppe, « Médium : danse », Revue Art press, spécial n° 23, 2002.
53
Shawn Gallagher, How the body shapes the mind, Oxford University Press, 2005.
42
de ces aspects peuvent être mobilisés dans les ateliers de danse. Par exemple, certaines
explorations sont susceptibles d’influencer les percepts corporels, comme celles qui font appel
aux appuis ou au contact entre partenaires par exemple. Les explorations directement en lien
avec une anatomie spécifique peuvent à leur tour avoir un impact sur les concepts corporels.
Si sentiment de soi il n’y a pas, si l’image de soi est affectée, élément souvent présent dans le
diagnostic des personnes ayant un handicap mental, ne peut-on néanmoins concevoir que
quelque chose se tisse dans et à travers les corporéités, qui informe nouvellement et creuse
son sillon ?
Comme l’écrit Daniel Frey « c’est par le langage que le corps, jusque dans sa
souffrance, se donne à vivre et à comprendre comme corps sujet »54. N’est-ce pas là le propre
de l’acte de danse ?
Cette seconde phase de l’aventure a eu un goût différent. Nous sommes rentrés dans
un autre temps de travail, tourné vers la finalité de ce projet spectacle, et ni eux ni moi ne
nous sommes engagés de la même façon. À partir de là s’est tissée notre partition, et sans
doute aussi le cœur de notre rencontre.
54
Frey, op.cit., p.235.
43
1. Bribes d’une trajectoire
Plusieurs éléments marquants racontent à leur façon quelque chose de cet engagement.
Dans la pratique elle-même, initiatives et audaces sont au rendez-vous. Une autre façon de
s’impliquer et de participer se fait jour. L’échauffement à chaque début d’atelier se fait
désormais à partir de ce que chacun propose comme mouvement que nous reprenons tous
ensemble. Une étape est franchie.
Je découvre bientôt M. sous un nouveau jour. Elle est particulièrement adepte de ces
moments d’échauffements. Elle a plein d’envies et multiplie les propositions. Je l’entends dire
« on peut faire ça aussi ». Lors d’un atelier où nous n’avons pas fait ce petit rituel qui
consiste à balayer les différentes parties de notre corps afin de nous débarrasser de « nos
toiles d’araignées » et laisser fondre nos tensions, elle me regarde puis nous invite par son
mouvement à la suivre. Tandis que nous suivons son exemple, deux personnes du groupe
décident de le faire ensemble. D’autres duos se forment alors, en écho.
Je pense aussi au chemin entre le foyer et le centre d’animation qui petit à petit se transforme
pour certains en espace de danse.
F. chemine tout autrement qu’au début vers le centre d’animation sociale. Tandis que dans
les premiers temps, F. marchait souvent bras dessus bras dessous avec N. et L., ou bien à
l’arrière pas loin de H., nous la voyons se lancer devant en courant lors des derniers allers-
retours au centre. La voilà qui se colle contre un arbre, s’arrête, fait des mouvements avec
ses doigts qui dansent, en nous regardant et en souriant, et puis détourne la tête.
Prise d’espace nouvelle, jeu et plaisir se lisent sur les visages en mouvement. Et se retrouvent
lors du bilan final dans certains partages :
P. : Je dis bien vous m’avez dit, vous, le groupe… « Mais quand est-ce
qu’on fait le spectacle ? » et à partir de ce moment-là – on a posé la
question à Stéphane, on a dit : « Stéphane, est-ce qu’on fait un spectacle et
comment ça va s’organiser ? » – et moi j’ai ressenti des choses à ce
moment-là. Vous avez pas ressenti des choses, qui ont changé pour vous ?
44
N. : Moi j’avais peur. Honnêtement, j’avais peur. Moi j’étais pas à l’aise,
je les avais là.
N. : Du plaisir.
P. : Du plaisir ?
N. : Oui du plaisir.
P. : Et vous L. ?
L. : Du plaisir.
P. : Y a pas quelque chose que vous avez ressenti ? Vous avez ressenti le
plaisir, et qu’est-ce que vous avez ressenti d’autre ?
L. : La voix.
P. : La voix ?
L. : Non la…
P. : La joie ?
L. : Voilà.
2. Se projeter
Le désir de ce spectacle s’est manifesté à travers les questions qui se sont posées à
propos de sa réalisation. Si l’on peut interpréter ces questions comme des manifestations
d’inquiétude face à l’indéterminé à venir, on peut aussi y voir le fait qu’en anticipant ce projet
ils s’y projetaient et prenaient part au dispositif. Si on peut pointer l’incertitude laissée quant à
la réalisation de ce temps final dont j’avais parlé au départ, on peut aussi considérer qu’il y
avait là un vide fertile, un indéterminé qui a laissé un espace dont eux se sont saisis pour se
projeter et manifester leur désir. Que ce soit le groupe qui fasse ressurgir ce projet de création
les plaçait chacun, dès lors, non plus seulement participants, mais déjà acteurs du processus.
45
Au cours de mes recherches dans le cadre de ce mémoire, une lecture d’un article de
Daniel Frey55 autour de la notion de « sujet agissant et souffrant » a particulièrement retenu
mon attention. Je propose un court détour par la pensée de Ricoeur, à qui l’on doit cette
expression.
Chez Ricoeur, le corps-sujet est directement pensé à partir du champ de l’action
humaine, et l’agir de l’homme apparaît comme sa caractéristique la plus propre. C’est dans
l’interaction avec les contraintes indissociables qui pèsent sur lui que s’incarne la liberté du
sujet, d’où l’expression de « sujet agissant et souffrant » employé par le philosophe. Au
principe de cette liberté, la capacité de chaque sujet à « simultanément, projeter son action, se
considérer soi-même comme l’auteur de celle-ci et fonder son projet sur les raisons et les
valeurs qui sont les siennes ». Philosophie du sujet concret ainsi que le souligne Daniel Frey,
la pensée de Ricoeur me semble pouvoir contribuer à éclairer l’expérience de ce terrain.
« Pouvoir parler, pouvoir intervenir dans le cours des choses, pouvoir raconter, pouvoir se
laisser imputer une action comme en constituant soi-même le véritable auteur »56, autant de
choses qui prenne rapidement l’allure d’impossibles lorsqu’on pense à des personnes vivant
avec un handicap mental. Et pourtant. La déficience mentale, limitante en certains endroits de
l’existence, n’en rend pas moins les sujets concernés capables d’agir en tant que tels et dignes
d’être considérés comme tels. L’acte de danser n’est-il pas une voie par laquelle n’importe
quel être humain peut entrer en contact avec sa liberté, une voie par laquelle le sujet atteste
être lui-même « agissant et souffrant » ? Et même si l’involontaire réside plus qu’ailleurs chez
des sujets vivant avec un handicap mental, peut-on les y réduire assurément ? Il y a dans
l’acte de danser une distance toujours possible par rapport à ce qui en chacun porte la marque
de l’involontaire.
Le premier moment du vouloir, tel que distingué par Ricoeur, nous intéresse en ce
qu’il met en évidence la nécessité, pour vouloir, de se projeter et de décider57. La création
n’est-elle pas ce moment où le groupe, en se projetant, s’est approprié quelque chose de ce
projet ? Moment où les engagements, de part et d’autre, se sont mobilisés différemment pour
permettre qu’advienne un « imprévu ». La préparation du spectacle a en effet permis d’entrer
dans un autre temps d’atelier où le projet s’est élaboré et décidé avec eux et je crois que c’est
un élément très important à considérer, dans la réception du travail et dans les possibles que
cette pratique peut ouvrir. Au départ, la proposition venait de l’extérieur. Elle impliquait
d’accepter de changer de repères par rapport à l’atelier d’expression corporelle et de découvrir
autre chose qu’ils n’avaient pas véritablement choisi. Une première hypothèse m’amène ainsi
55
Frey, op.cit.
56
Paul Ricoeur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris : Seuil, 2000, p.32.
57
Daniel Frey revient sur les trois moments du vouloir présentés par Ricoeur : le moment du projet, le moment
de l’action proprement dite, le moment du consentement. Cf. Frey, op.cit.
46
à entrevoir ce moment où s’est décidé la préparation du spectacle comme un tremplin qui a
permis aux personnes de se projeter et de se mobiliser dans l’expérience proposée.
3. La peur au rendez-vous
Autre invitée durant ce temps de création, la peur. Qui témoigne de l’enjeu et qu’ils
rencontrent en même temps qu’ils se mobilisent pour ce qui se prépare. Face cachée de l’élan.
Elle est évoquée à chaque fois, souvent en début ou en fin d’atelier. Partagée par tous, elle est
finalement un élément qui nous réunit. Notre petit rituel consistant à se débarrasser des toiles
de peur, à l’image des toiles d’araignées qui nous collent à la peau, est très efficace. Il nous
arrive même d’aller les mettre à la porte. Le rire prend alors le relais. Et sans doute, un court
moment, le soulagement…
Enthousiasme, peurs, retraits, excitation, joie. Autant de dynamiques et d’états
intérieurs qui ont parcouru le groupe durant les ateliers de répétition qui ont précédé le
spectacle. Lors du bilan final, lorsque je lui demande ce qui lui a plu dans « préparer un
spectacle », N. s’exprime ainsi :
N. : Pour moi l’entraînement, c’est toujours revenir sur des choses qu’on a
déjà faites et essayer d’aller plus loin. On allait plus loin, oui. D’essayer
d’aller plus loin et d’essayer d’avancer. Et qu’on peut essayer de le faire
même si on a peur, on peut vaincre sa peur. Ça, je pense que c’est quand
même pas mal… !
Préparer un spectacle signifie entre autres se préparer à donner quelque chose de soi à
d’autres personnes. Le désir de spectacle, ou l’importance accordée aux photos et à la vidéo
par certains, témoigne de la dimension essentielle qui existait dans le fait de donner à voir.
Une expérience scénique implique de s’exposer au regard de l’autre et réveille simultanément
la peur d’être vu, d’être jugé, de ne pas y arriver. Préparer un spectacle signifiait donc se
rendre capable de dépasser sa peur et accepter de se rendre visible.
Que ressort-il d’important de cette expérience de spectacle ? C’est ce qu’il nous intéresse de
mettre en discussion dans la partie qui suit.
47
C/ DONNER A VOIR, PARTAGER
1. Devenir visible
Un premier enjeu de ce spectacle nous semble tenir au fait qu’il rend visible la
singularité de personnes dont les corps ne répondent pas aux critères d’usage de la
représentation, que ce soit sur un plan esthétique ou politique. Certes, en danse
contemporaine, ainsi que l’expliquent Jean-Claude Polack et Mariem Guellouz, la tentative
« d’échapper aux injonctions d’un corps bien fait, beau, consommateur et consommé,
socialisé a permis d’explorer des territoires inconnus »58 et ainsi d’ouvrir le champ des
possibles. En considérant le corps dansant « producteur de signe et de sens »59
indépendamment d’une optique narrative et symbolique, l’art de la danse s’est défait des
codes hérités de la représentation classique. Pour ces auteurs, dans cette subversion à l’ordre
établi, le corps du danseur prend la figure du monstre dans « sa multiplicité, son
hétérogénéité, sa désobéissance aux habitudes, par l’étrangeté et la bizarrerie de ses postures
et de ses gestes… ». S’il est possible pour celui qui n’est pas identifié par la marque d’une
différence de s’installer dans ce jeu et cette marge du bizarre ou du mystérieux et de pousser
les frontières des représentations, en est-il de même pour celui dont le corps est considéré
« atypique », hors norme ?
58
Jean-Claude Polack et Mariem Guellouz, « Clinique et esthétique du monstre » dans La figure du monstre :
Phénoménologie de la monstruosité dans l’imaginaire contemporain, sous la direction de Didier Manuel,
Nancy : Presses Universitaires de Nancy, 2009.
59
C. Roux, op.cit.
48
1.1 Handicap et liminalité.
Si le handicap est un terme qui apparait au 19ème siècle et se construit simultanément à
la notion de norme et de normalité, la considération par la société des corps « perçus de
l’extérieur comme différents » a reposé au cours des siècles sur tout un tas de représentations
socialement discriminantes, qui ont nourri les mécanismes d’exclusion et impactent encore
aujourd’hui les attitudes et les comportements, malgré l’apparition et l’évolution d’une
reconnaissance politique et juridique.
Différentes approches du handicap existent, comme en témoignent les différentes
classifications qui ont vu le jour après la première loi de 1975 en faveur des personnes
handicapées60. Une distinction majeure s’est établie entre un premier courant, qui envisage le
handicap comme un attribut caractéristique de l’individu et le définit comme la conséquence
d’une altération fonctionnelle et/ou organique, et un second, qui se focalise sur les
conséquences sociales et le désavantage résultant de la confrontation d’un être humain et de
ses capacités avec un environnement et ses exigences. Ainsi l’expression de handicap mental
est utilisée à la fois pour désigner une déficience intellectuelle et les conséquences sociales
qu’elles entrainent.
Distinct du champ de la maladie et de la logique du traitement, et substitué à la notion
d’infirmité, le handicap a d’abord désigné un écart, une déviation par rapport au
fonctionnement de personnes dites « bien portantes », « normales », performantes.
Relativement à cet écart s’est institué un double mouvement paradoxal, d’intégration des
individus les plus semblables, via une logique rééducative, et d’exclusion des plus
différents61.
À la suite de Erwin Goffman qui parlait de stigmate pour qualifier la marque physique,
mentale ou sociale discréditant les individus par rapport aux attentes normatives d’un milieu,
Robert Murphy et d’autres chercheurs ont développé une approche à partir du concept de
liminalité, afin de rendre compte de la situation sociale spécifique associée au handicap62. À
l’origine, la notion d’état liminal est utilisée par Arnold Van Gennep dans ses analyses
anthropologiques sur les rites de passage et désigne la situation de seuil et d’indétermination
sociale caractéristique d’un individu en phase de transition et d’isolement, qui précède à sa
60
Ordonner le réel sans stigmatiser, Rhizome, ONSMP (Observatoire national de santé mentale et précarité),
N°26, Mars 2007, p.3.
61
Séminaire « Théories critiques du corps : Genre et Handicap ». Violeta Salvatierra, dans le cadre du DU
« Techniques du corps et monde du soin ». Session 6, 2014.
62
M. Calvez, La liminalité comme analyse socioculturelle du handicap, in Prévenir 39, 2000/2, p.83-89
49
renaissance.63Ce concept intéresse Murphy à plusieurs égards. D’une part, il met en avant la
dimension sociale et culturelle, et non pas biologique, du handicap et d’autre part, il permet de
pointer l’isolement et l’absence de place dans lesquels les personnes en situation de handicap
se retrouvent assignées. D’après lui : « les handicapés à long terme ne sont ni malades, ni en
bonne santé, ni morts, ni pleinement vivants, ni en dehors de la société ni totalement à
l’intérieur »64. La notion de liminalité souligne ainsi une dimension essentielle et spécifique
du handicap, comme « rapport social qui exploite une déficience physique ou mentale d’un
individu et l’institue en mise à l’écart »65 et conduit à des « relations sociales particulières
faites de mise à distance, de rejet voilé et d’ambiguïté, qui renvoient plus ou moins à des
situations seuils »66.
Prendre la place du centre est ici à double titre un enjeu fort, tout comme être soi-
même avec d’autres inventeurs, créateurs de quelque chose. C’est mettre en lumière des
ressources et des compétences souvent mises de côté et dévaluées socialement, car elles ne
s’inscrivent pas dans les sentiers bien établis d’un certain savoir-faire. Les personnes de ce
groupe vivent au foyer au quotidien. Certaines depuis quelques années, d’autres depuis bien
plus de temps. Excepté L. qui a travaillé par le passé en ESAT, elles sont au CAJ parce
qu’elles ne sont pas reconnues aptes à intégrer le monde du travail, en référence aux critères
de production et d’efficacité qui le définissent aujourd’hui. Produire un spectacle est ainsi une
façon de mettre en acte une puissance créative qui a besoin pour exister de prendre forme, de
se donner. Contrairement au monde du travail, dans lequel l’adaptation à la norme est
obligatoire, l’espace de la création offre un cadre plus souple permettant de valoriser les
63
Calvez, Ibid.p.65.
64
Robert Murphy, Vivre à corps perdu. Le témoignage et le combat d’un anthropologue paralysé, Paris, Plon,
Coll. Terre humaine, 1990 (1987).
65
M.Calvez « Le handicap comme situation de seuil : éléments pour une sociologie de la liminalité », dans
Sciences sociales et santé, Volume 12, n°1, 1994. pp.61-88
66
Calvez, Ibid. p.65.
50
ressources et la participation des personnes placées en marge du système de production et
associé à une forme d’inutile sociale67.
En outre, c’est une façon de prendre l’espace pour s’exprimer et se faire reconnaître
au-delà de sa différence. Pourrait-il exister une forme d’attente, d’espoir d’être vu
nouvellement ? Adressée à un public, la création dansée pourrait-elle porter inconsciemment
un message ? Car devenir visible c’est peut-être se rendre visible autrement qu’à travers le
filtre du handicap.
S’agit-il pour cela de s’affirmer semblable ? Selon Philippe Chéhère, l’improvisation
dansée tout au contraire est un espace dans lequel la différence peut s’apprivoiser
différemment. Elle propose « un véritable projet esthétique, une poétique qui fait se croiser la
fragilité, la faiblesse, l’instabilité, le déséquilibre, les gestes répétitifs, la peur…»68. Parmi les
rares retours entendus à la suite du spectacle, je retiens celui d’une professionnelle qui raconte
avoir été touchée par la présence dansante d’L., qu’elle connaît depuis longtemps, et qu’elle
découvre sous un jour nouveau.
Dans cette histoire, le regard de l’autre est primordial. Ces quelques échanges, extraits
du bilan final, le montrent bien :
M. : Oui.
P. : Il y a un mot ou un geste ?
M : Oui.
P. : … qui applaudissaient ?
M. : Oui.
M. : Oui.
67
Guigou, op.cit., p.30.
68
Philippe Chéhère, « Mon handicap ? C'est cette danse qui ne me lâche plus ». La danse à l'hôpital ou
l'ouverture de nouveaux possibles », dans Simone Korff-Sausse , Art et handicap, ERES « Connaissances de la
diversité », 2012 p. 144.
51
S : Et ça changeait quelque chose pour vous, M., qu’il y ait un public qui
vienne regarder la danse ?
M. : Oui. (…)
M. : J’ai peur.
L. : On aurait été quand même contents. S’ils étaient pas venus, peut-être
qu’on aurait été quand même contents.
(…)
S : Hum. M., le fait que les gens soient venus nous voir, qu’est-ce que ça a
fait pour vous que les gens viennent vous voir danser ?
M. : Danser…
M. : Le cœur. Le cœur.
S : Le cœur ?
M. : Oui, le cœur.
N. : C’était très émouvant. Vraiment, j’étais très fière. Très, très fière.
N. : Je me suis dit pour une fois que je réussis quelque chose jusqu’au
bout, c’est rare… c’est la première fois que je vais au bout de quelque
chose. Parce que d’habitude… je commence et je ne vais jamais jusqu’au
bout. Et là j’ai réussi à aller jusqu’au bout, et c’est la première fois.
52
N. : C’est toi. C’est toi. C’est toi qui m’a poussée à continuer.
N. : Non mais même, P.. Même, même, même. Même. Rien que le
phénomène de me dire qu’on va y arriver, que je pouvais y arriver, c’est
ça qui m’a donné envie de continuer.
L’autre apparaît comme un témoin nécessaire, qui acte avec moi de ce que je réalise, de ce
que je suis autant que mon altérité.
2. Réceptions
La scène est donc le lieu d’une mise en lumière. Lors du spectacle, la tribu de danseurs
que nous formions a dansé devant les autres résidents et l’équipe des professionnels présents
ce jour-là, dans le réfectoire du foyer, transformé en scène pour l’occasion. J’ai considéré
jusqu’ici cette expérience de danse et de création du côté des acteurs. Qu’en est-il du côté de
la réception ? Que nous apprend le regard de ceux à qui ce moment fut adressé ? Ceux qui
furent spectateurs et témoins.
Penser la réception de ce travail, la résonnance et l’impact de ce qui a eu lieu, de ce
qui s’est vécu est difficile. Partie prenante de ce moment de spectacle, parfois dans la danse
avec le groupe sur scène, parfois sur le côté en train de soutenir par mon regard les danses des
uns et des autres, j’ai le regard d’un témoin, mais pas le point de vue ni le recul du spectateur.
J’ai observé et senti des présences au rendez-vous, des corps se laissant aller à danser et vu
des duos s’engager ensemble, concentrés. J’ai observé aussi des danseurs dissimulés au fond
de la scène, des visages tournés dos au public, des regards cherchant « la suite à faire » ou
encore des décrochages.
J’ai été assez surprise par l’absence de réactions de la part des professionnels présents,
y compris de la directrice, le fameux jour du spectacle. À peine terminée, la directrice quitte la
salle, puis l’équipe se met à ranger les tables, remettre en ordre la salle à manger et aucun
échange n’a lieu. Seule une professionnelle, tandis que nous réinstallons une table, partage
quelques mots avec moi. « C’est bien pour eux », me dit-elle après m’avoir demandé si ça
s’est bien passé. Avant de me parler de son plaisir à avoir vu L. danser, elle me partage que
l’on voit bien que tous ne savent pas bouger « pareil », même si cela n’est pas grave.
Les résidents quant à eux se lèvent et plusieurs d’entre eux viennent partager leurs
émotions, leur enthousiasme et leur propre façon de danser. Certains autres remercient et
53
complimentent. Il est manifeste qu’eux se sont projetés et ont reçu quelque chose. Leurs
retours racontent quelque chose de la diffusion qui s’est faite entre corporéités dansantes et
spectatrices.
Banalisation ?
Je sais que régulièrement des petits spectacles préparés dans les ateliers sont présentés. En
voilà un de plus. La chose est-elle si peu inhabituelle pour être nouvelle ? Y a-t-il quelque
chose de la routinisation de l’institution qui dévitalise tout ce qui se passe ?
J’entends aussi que « c’est bien pour eux ». De quel regard s’agit-il ? Celui d’un professionnel
dans sa mission d’accompagnement ou celui d’un spectateur ?
Gène ?
Les propos de la directrice lors du bilan clôturant le projet font part de cette préoccupation
concernant le regard qui peut être porté sur les résidents. Ce rendez-vous est l’occasion pour
moi de solliciter son retour : elle me parle d’abord de certains moments de grâce qu’elle a pu
voir, d’autres moments un peu longs et de ses craintes que ça flirte avec le ridicule. Elle
rapporte aussi le mimétisme très profond qu’elle a observé chez les résidents lorsqu’ils
dansent avec moi.
Si le spectacle peut être un espace de renversement, on voit là aussi qu’il peut faire courir le
risque d’une accentuation… Il est intéressant de mettre ici en parallèle cette préoccupation de
la directrice avec ma propre peur de départ et celle du groupe par la suite. Se pourrait-il
qu’elles aient en commun un sentiment de risque par rapport à ce qui va être vu d’eux ? Le
risque de la confrontation au mur des représentations ? Éviter le ridicule, protéger, s’en
protéger. Je crois que chacun, à notre manière, nous tenions en nous, dissimulée, cette
considération.
54
3. Limites
Ces questions relatives au regard que peut porter le spectateur m’amènent à considérer
les risques et limites inhérents à cette forme de projet.
Une première chose qui m’interpelle et m’interroge : à travers ce qui est montré, que voit le
regard, qu’est-ce qui est regardé ? Si la pratique participe à introduire d’autres modes de
représentations et de nouveaux espaces d’action69 chez la personne qui danse, qu’en est-il des
modes de représentation du spectateur ? De l’institution ? Quelles sont les attentes qui
peuvent être à l’œuvre chez le spectateur, en lien avec la virtuosité et le savoir-faire ? Dans
notre cadre, on peut pointer deux formes de représentations avec lesquelles il faut composer :
celle du danseur amateur, et celle du danseur en situation de handicap.
Par rapport à cette question des attentes du spectateur, se référer à notre champ
artistique et dire quelques mots sur l’improvisation comme danse performative ou
performance70 peut être une façon intéressante de situer le projet et de sensibiliser le
spectateur à ce qu’il va voir.
Enfin, un autre point peut être soulevé. Dans le cas précis, le lieu du spectacle était le
lieu du foyer et les spectateurs étaient les résidents et les professionnels. On peut voir là une
condition « protectrice », dans le sens entendu par la directrice. On peut aussi concevoir cela
comme une forme de maintien d’un état liminal. La visibilité donnée à cette expérience
spectaculaire n’accède pas au dehors. Si l’on ne peut dénier l’existence d’une prise de risque
69
Godard, op.cit.
70
Les termes de performance ou de danse performative ont été utilisés par des critiques et chercheurs pour
qualifier un certain nombre de projets dans lesquels disparaît la frontière entre démarche expérimentale et
présentation. Il nous semble approprié dans la cadre d’un projet comme celui-ci, de par son étymologie,
« accomplir » et sa définition comme invitation à produire un être au monde. Il résonne en outre d’une marque
historique subversive, politique qui le détache des pratiques établies au sein d’un champ artistique. N’est-ce pas
justement là quelque chose à l’œuvre dans le processus de création dont nous parlons ici ?
55
pour les personnes elles-mêmes et la responsabilité qu’engage un projet de création à
l’extérieur, il semble intéressant de réfléchir aux ouvertures possibles qui pourraient être
pratiquées. Par exemple, présenter un spectacle ouvert sur l’extérieur ou encore construire un
projet mixte, qui soit basé sur la rencontre de publics différents seraient susceptibles de rendre
poreux ces murs des représentations, et aussi ceux de l’institution…
56
CONCLUSION
71
Patrick BRUN, « Croisement des savoirs et pouvoir des acteurs », Vie sociale et traitements, Erès, n°76,
2002/4, p.56.
57
expérience a été l’occasion de saisir davantage les enjeux, les conditions de possibilités et les
réalités que recouvre cette notion de participation, en vogue dans le champ du médico-social
et au cœur du projet de nombreuses institutions.
Complexe à mettre en œuvre, il s’agit néanmoins de penser cette participation de
façon interactive72. En ce sens le montage du projet devrait pouvoir impliquer les différents
acteurs dans une forme de construction. Faire place à du commun dès le départ, c’est une
façon de se déplacer de la considération d’usager à celle de personne.
Tout cela est-il un brin utopique ? Certes, la réalité fait place à de nombreux obstacles
relationnels, notamment en ce qui concerne la compréhension et l’échange verbal. Le
quotidien est une confrontation permanente à ce qui limite, ce qui empêche et il est plus aisé
sans aucun doute d’occuper une place extérieure pour cultiver un regard qui se porte vers de
nouveaux possibles, qui considère en termes de puissances plutôt que d’impuissances. Cela
n’empêche pas de nombreux professionnels dans le champ médico-social d’y parvenir. C’est
davantage l’institution qui est prise au piège de ce qu’elle institue : elle court le risque
d’accentuer par son existence même l’impuissance à laquelle toute situation de handicap
confronte, aussi bien résident et professionnel, quoique de façon très différente. Je préfère
choisir l’utopie à l’idéologie, si l’on voit, comme Ricoeur73, l’une comme une réponse
adressée à l’autre. L’utopie, comme voie pour inventer d’autres manières d’exister, pour
penser dans le sens du vivant, en direction de toujours plus de vivant. Dans le sens du
mouvement plutôt que de l’immobilité, de l’engagement plutôt que du retrait, du partage et de
la circulation plutôt que du cloisonnement et de la délimitation. Patrick Brun choisit, quant à
lui la métaphore biologique de l’interfécondation74 pour dénommer la dynamique d’échanges
réciproques qui préside au croisement des savoirs et à la logique de toute co-construction75.
C’est ce sillon qu’il m’intéresse de continuer à creuser.
Creuser les manières de faire se croiser nos savoirs et explorer, dans des temps
d’aventure plus longs, les manières de créer et de composer ensemble, sachant que cela est
voué à être inventé chaque fois. La temporalité joue un rôle particulier et est un aspect
important à considérer. Il est clair que dans ce contexte la durée de l’intervention était courte.
Or on a vu que c’est dans le temps, dans le déroulement du fil de la rencontre de semaine en
72
Marc Fourdrignier, « L’implication et la participation », 1ère rencontre régionale entre personnes en situation
de précarité et acteurs sociaux. 29 novembre 2005, Reims, p. 5.
73
Ricoeur définit l’idéologie comme « tentative de légitimer le pouvoir » et l’utopie comme « effort de la
remplacer par autre chose ». Il écrit « à une époque où tout est bloqué par des systèmes qui ont échoués mais qui
ne peuvent pas être vaincus (…), l’utopie est notre ressource. ». Cf. Département Danse-Université Paris 8,
Danse et Utopie, Paris-Montréal, L’Harmattan, Collection Arts8, 1999, p.22.
74
Patrick Brun, « Croisement des savoirs et pouvoir des acteurs » L'expérience d'ATD-Quart Monde, VST - Vie
sociale et traitements, 2002/4 no 76, p. 56.
75
Idem.
58
semaine, que des éléments s’inscrivaient, et réapparaissaient bien après, témoignant du temps
spécifique à chacun dans le processus d’appropriation et d’intégration. Nous aurions pu
continuer. Après ces 4 mois qui nous ont permis de nous rencontrer, de nous apprivoiser et de
découvrir une façon de travailler ensemble, les corps étaient préparés à entrer dans une
nouvelle couche d’exploration du geste, plus affiné, et les personnes du groupe davantage
prêtes à prendre part.
J’ai appris dans la mesure où je me suis laissée touchée par ceux qui m’entouraient et
par ce qui se passait. Non seulement je me suis appuyée sur les ressources de ceux avec qui je
faisais l’atelier, mais il m’a fallu accepter de ne pas savoir, de vaciller, de faire place à leurs
propres savoirs. Au sortir de cette aventure, me voilà mise une nouvelle fois face à la
nécessité de croire en l’autre et de faire confiance à l’interaction, au génie collectif présent
dans toute rencontre si on lui fait la place !
Cette expérience me ramène aussi à mon désir de départ, de concevoir des dispositifs
mixtes où prennent part dans la danse résidents et professionnels. Décloisonner. Parier sur
l’interfécondation de la rencontre pouvant advenir dans le lieu de l’atelier. Une des stratégies
permettant de travailler à renouveler une façon d’être ensemble consiste à créer du décalage
par rapport aux situations habituelles76. Ana Maria Fernandes, chorégraphe et danseuse de la
compagnie DANA, avec qui j’ai travaillé, m’a permis d’entrevoir la force d’un tel travail. Le
documentaire « Un pas de côté »77, réalisé au sein d‘un IME où membres de l’équipe et
résidents se retrouvent pour danser, témoigne de la façon dont ces rencontres dansées sont
capables de bouger les frontières.
Comme le souligne Muriel Guigou, « c’est surtout dans le partage au sein d’ateliers
que les mentalités évoluent. Car c’est bien dans la pratique, dans le « faire ensemble » que la
connaissance mutuelle est la plus grande, en estompant les préjugés »78. L’atelier danse est un
formidable terreau de rencontre pour faire exister, hors du cadre quotidien, dégagé du rapport
d’accompagnement proprement dit, une dynamique d’interaction consistant à partager une
expérience commune et à instaurer des relations de sujet à sujet.
Ainsi, qu’il y ait ou non création spectaculaire, c’est avant tout le désir d’inventer des
manières d’être et de « faire ensemble » qui reste au cœur de ma démarche, le seul aussi qui
peut promettre des horizons mouvants.
76
Fourdrignier, loc. cit.
77
Um passo de lado / Un pas de côté, est un film documentaire réalisé par Ana Maria Fernandes et Michel
Charron, en 2010, dans l’établissement Le Placis Vert, à Thorigné Fouillard.
78
Guigou, op.cit., p.76.
59
BIBLIOGRAPHIE
CHAMP DE LA DANSE
Danse et Improvisation
BANES, Sally, Terpsichore en baskets. Post-modern dance, trad. Denise Luccioni, Paris,
Éditions Chiron, 2002 (1ère éd. Hougton Mifflin Company, 1987).
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Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2e semestre, 2006.
LOUPPE, Laurence, « Médium : danse », Revue Art press, spécial n° 23, 2002.
MAURI, Colette , « Ce qui insiste dans l’acte de danse », Insistance, n°4, 2010/1, pp.67-74.
60
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BONNEFON, Gérard, Art et lien social : des pratiques artistiques : pédagogie, créativité et
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CHEHERE, Philippe, « Mon handicap ? C'est cette danse qui ne me lâche plus. La danse à
l'hôpital ou l'ouverture de nouveaux possibles », dans Korff-Sausse Simone, Art et handicap,
ERES, « Connaissances de la diversité », 2012 pp.133-147.
GUIGOU, Muriel, La danse intégrée : danser avec un handicap, Paris, L’Harmattan, 2010.
BOTTIGLIERI, Carla, « D’un sujet qui « prend corps ». L’expérience somatique entre modes
de subjectivation et processus d’individuation, dans De l’une à l’autre, Bruxelles,
Contredanse, pp. 246-261.
FREY, Daniel, « Du corps, sujet ou objet, au sujet, agissant et souffrant », dans Gilbert
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Strasbourg, 2004, pp.219-235.
GALLAGHER, Shawn, How the body shapes the mind, Oxford University Press, 2005.
GIBSON, James Jerome, « The Ecological approach to visual perception », Psychology Press,
New York – London, 1986.
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61
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d’une phénoménologie du Moi-peau abimé », dans Manuel Didier (dir.), La figure du
monstre. Phénoménologie de la monstruosité dans l’imaginaire contemporain, Nancy,
Presses Universitaires de Nancy, 2009.
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CALVEZ, Marcel, « Le handicap comme situation de seuil : éléments pour une sociologie de
la liminalité », Sciences sociales et santé, Volume 12, n°1, 1994, pp.61-88.
AUTRE OUVRAGE
SEMINAIRES
62
SOURCES NUMERIQUES
DVD Un passo de lado / Un pas de côté. Réalisation : Ana maria Fernandes et Michel
Charron, Compagnie DANA, 2010.
63
ANNEXES
• Annexe 2 : Pré-projet
64
ANNEXE 1 : Dispositifs d’interventions proposés au Foyer Bercy
Coconstruction
- présentation du contenu d’un projet d’ateliers danse / éducation somatique à l’adresse des personnes
accueillies
- réflexion commune avec les professionnels à propos des intérêts d’un travail corporel pour les
personnes accueillies, des besoins identifiés au sein de l’équipe.
La question concernant la perspective de donner à voir quelque chose de ce processus de création est
également à discuter.
Actions
Ateliers de 1h30 / 2h – l’idée d’un groupe ouvert ou fermé est décidé avec l’équipe.
Ces ateliers pourraient avoir lieu chaque semaine sur un semestre.
Evaluations
En lien avec les objectifs identifiés et afin de pouvoir avoir une lecture des influences ou impacts
possibles d’un tel projet.
A partir des usagers et menées avec le/les professionnels associé(s) au projet
Coconstruction
- présentation du contenu d’un projet d’ateliers danse / éducation somatique à l’adresse des
professionnels de la structure
- réflexion commune avec les professionnels concernant les intérêts d’un travail de mouvement et
danse pour eux mêmes
ce dispositif peut ouvrir un espace de pratique et de réflexion sur les questions de soin de soi au
travail
il peut permettre de favoriser et développer des modes de coopération internes entre les
professionnels.
il peut aussi s’agir de proposer des outils complémentaires fondés sur des expériences corporelles
pour soutenir/ nourrir la relation d’accompagnement
Actions
Ateliers de 1h30/2h – l’idée d’un groupe ouvert ou fermé est décidé avec l’équipe.
Ces ateliers pourraient avoir lieu chaque semaine sur un semestre.
Travail proposé dans l’atelier répondant aux objectifs identifiés : soin de soi / communication /
relation…
Evaluations
À réfléchir en fonction des objectifs posés au sein de l’institution.
Sous modes de questionnaires ou d’entretiens semi directifs.
65
ANNEXE 2 : Pré-projet à destination du Foyer Bercy
I / Contexte et Objectifs
Le projet s’élabore donc en référence à cette mission et tend à y répondre d’une façon originale en y
proposant une approche nouvelle qui puisse être source d’intérêts et bénéficier aux personnes côtoyant
le CAJ. Il est conçu à partir d’une intention double :
- d’une part, il se fonde sur une proposition d’animation d’ateliers de pratique artistique, basée sur le
mouvement et l’improvisation en danse.
- d’autre part, ces ateliers qui sont des espaces destinés à l’expression et la création, peuvent être
l’opportunité dans le contexte de créer une rencontre entre un ou plusieurs ateliers déjà existants et cet
atelier danse, dont les résidents comme les professionnels soient ensemble les acteurs.
Il existe actuellement un atelier d’expression corporelle proposé par une professionnelle du foyer. Les
ateliers proposés dans ce projet se feront en partenariat avec cette professionnelle, qui sera incluse
dans ce travail et pourra s’enrichir des outils proposés.
Intention du projet
La finalité du projet est de développer une expérience artistique en danse tournée vers la co-création et
l’échange entre des résidents et des professionnels.
Objectifs visés :
- construire des ateliers dans lesquels les participants pourront être à la fois receveurs et acteurs dans la
partition de la séance.
- inscrire le travail dans une pluridisciplinarité en développant des espaces d’échanges et/ou de
croisement entre les pratiques proposées
66
II / Description de la pratique proposée
• le rapport à son propre corps : sentir, percevoir, prendre soin, prendre du plaisir, se
réapproprier son espace d’action et sa façon de bouger, son autonomie dans l’expérience du
mouvement…
• la relation à l’autre : créer des espaces de rencontres, inventer de nouveaux chemins pour se
rencontrer et dialoguer dans la danse, communiquer, partager, s’amuser, participer à un projet
de création collective où chacun est à la fois cocréateur et acteur du projet..
Les outils utilisés sont issus de deux grands champs d’exploration qui ont nourri mon parcours: celui
de la danse thérapie et celui de l’improvisation en danse. Ils partagent fondamentalement un intérêt
pour deux dimensions : une qui a trait à l’ordre de la perception, l’autre à l’ordre de l’expressivité, et
qui feront la base de la pratique proposée.
Chacun des participants, dans le cadre qui est défini, est invité à trouver son propre rythme et confort.
Il ne s’agit pas de produire ou rechercher un mouvement idéal, mais d’une invitation à être à l’écoute
de l’expérience qui est faite.
Cette pratique s’adresse à toute personne ayant l’envie et ne nécessite pas de ressources particulières.
79 Les méthodes somatiques sont un ensemble de pratiques corporelles qui se sont développées depuis la fin du 19ème siècle jusqu’à nos jours bien que le terme lui-même
n’ait été proposé que dans les années 70 pour les regrouper. Souvent présentées à la croisée entre médecines alternatives, gymnastiques douces, éducation, et parfois pratique
artistique, le terme n’est pas employé comme dans l’usage courant par opposition à «psychique» (comme par exemple dans l’expression «psycho-somatique»). Au contraire,
ces pratiques ont en commun une pensée holistique ou globale du corps, qui se refuse à séparer ou hiérarchiser les champs traditionnels du corps, de l’esprit et des émotions.
Elles s’appuient avant tout sur un travail autour de la prise de conscience du corps et du geste, à partir de techniques diverses (détente, relaxation, exploration par le toucher
ou par le mouvement...). Elles sont autant d’outils permettant une meilleure maîtrise des variations du tonus (et de la détente), de libérer la respiration, améliorer les
coordinations, défaire des tensions chroniques et plus généralement améliorer schéma corporel et image du corps.
67
III/ Cadre de travail et modalités envisagées.
Plusieurs principes sont à observer dans le cadre de la mise en place de ces ateliers danse :
- le volontariat
- la mise en place d’un travail de collaboration avec la professionnelle du foyer associée au projet
d’atelier.
- la participation dans la durée pour permettre à chacun de construire des repères solides pour
développer le travail.
- pouvoir disposer d’une salle ayant un espace suffisant (qui garantit la possibilité de la danse et des
déplacements, et la sécurité des résidents) et un revêtement permettant un travail au sol (pas de
carrelage par exemple). Par ailleurs il est souhaitable que l’espace soit équipé d’une sonorisation sur
place. Les autres accessoires (ballons, tissus) peuvent être amenés sur place.
La salle mise à disposition par le Centre d’animation sociale en lien avec le CAJ apparaît comme la
meilleure solution proposée par le CAJ.
Le dispositif est proposé pour une période allant de janvier 2014 à avril 2014, à raison environ d’un
atelier hebdomadaire (15 ateliers au total).
Les ateliers, d’une durée de 2h, pourraient s’adresser à 6 ou 7 résidents.
Un temps de présence en amont et en aval de l’atelier (1h environ) permettra un travail de préparation
et d’échange en binôme.
Le dernier atelier pourrait être l’objet d’une petite restitution de leur expérience sous forme de
performance ouverte aux autres personnes du CAJ.
Les ateliers pourront également préparer à une forme de partage avec d’autres résidents. Concernant
l’organisation éventuelle d’une rencontre entre l’atelier danse et un autre atelier, ce temps de partage
peut prendre différentes formes, l’idée étant de permettre à chacun de se saisir de son expérience vécue
pour en partager quelque chose avec d’autres.
Exemples de propositions :
• les résidents de l’atelier danse et d’un autre atelier pourraient avoir l’occasion de se montrer
réciproquement un aperçu de leur travail au sein de chaque atelier sous forme d’une petite
présentation. Ex : danse et théâtre..
• les résidents de l’atelier danse pourraient proposer quelques petites expériences de leur choix
qu’ils ont envie de partager/ faire découvrir aux résidents d’un autre atelier.
• une autre proposition est de combiner les pratiques respectives de deux ateliers, d’inventer une
façon de les allier ensemble.
Ex : danse et percussions / danse et atelier vidéo / danse et peinture…
68
IV / Déroulement de l’intervention
V/ Calendrier prévisionnel
Nb de demi-journées ateliers : 15
Temps de présence évalué : 3h chaque jeudi
(2h d’ateliers + 1h incluant préparation et échange)
Temps de préparation et d’évaluation du projet : évalué à 35h
Les ateliers proposant des rencontres pourraient avoir lieu une fois en mars, une fois en avril.
69
V/ Description d’atelier
Le fil de l’atelier...
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