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Paulina Flores Peñaloza, 

art-thérapeute,
Manuel Molina, psychologue,centre de santé mentale (Cosam), Santiago du Chili.

C osam Independencia travaille depuis 1999 avec l’art comme stra-


tégie de soutien aux processus thérapeutiques. Depuis 2010, il
intègre des ateliers d’art-thérapie dans un pôle de psychothérapie
à travers l’art où les objectifs thérapeutiques sont destinés à des
populations spécifiques.
L’art prend une dimension particulière dans le travail thérapeutique ; les
lignes directrices centrales dans la mise en œuvre de l’atelier d’art-thérapie
pourraient être résumées comme suit :
ATELIERS D’ART-THÉRAPIE 1. L’accent est mis sur le processus
POUR LES VICTIMES DE de création et les résultats produits  ;
VIOLENCES DOMESTIQUES l’expérience vécue est au centre de la
pratique de l’art. L’œuvre apparaît
comme un facilitateur et un articulateur de significations — un producteur
de sens (Barthes, 2009). L’émergence des résultats du processus de création
génère une ouverture qui permet d’alléger le fardeau de ce que signifie parler
de soi, mais en sachant que, lorsqu’on parle de la création, on parle de soi.
Cette focalisation sur le processus est marquée dès le début comme un
cadre ; il est expliqué que les objectifs de l’atelier ne sont pas dans le résultat,
mais dans ce qui arrive aux créateurs, et que, par conséquent, aucune com-
pétence artistique n’est requise (Marxen, 2006).
2. Cela fonctionne à partir de l’écoute thérapeutique et du non-jugment,
dans un regard d’ouverture et d’acceptation de ce qui apparaît. Cette atti-
tude s’applique également aux activités artistiques, où le non-jugement et la
non-directivité permettent d’ouvrir le processus de création sans pression.
Ce non-jugement cherche à faire en sorte que ce soit la personne elle-même
qui construise ses façons d’évaluer ou de regarder. La violence à l’égard des
femmes est vécue comme un espace de perte d’autonomie, de vulnérabilité,
de peur, et un processus important est nécessaire pour que chacune puisse
se réparer.
L’absence de jugement tente également de fonctionner comme un moyen
de relation dans le groupe. Il n’implique pas de taire son opinion, mais de
la croiser réciproquement dans le groupe, en sachant que ces échanges de re-
gards « non objectifs » n’ont qu’une « objectivité entre parenthèses » (Matu-
rana, 1996). Là, le processus créatif devient un espace ouvert au dialogue, où
les images et leurs significations peuvent être continuellement transfigurées
et ne revendiquent pas des sens univoques.
3. La création dans une perspective transversale et interdisciplinaire : la
proposition de travail souhaite couvrir différents langages et approches  :
des collages, des chansons, des peintures, des histoires et des jeux sont appa-
rus. Ceci dans une vision de l’art comme espace ouvert d’expérimentation
et de nouveaux modes d’expression. Des éléments de la thérapie narrative

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chevauchent le mode de travail de la thérapie par l’art, car le moment d’ap-
préciation, de lecture et d’interprétation des images est déjà un processus
de construction narrative du sens. Construire des histoires, quelles qu’elles
soient, c’est mobiliser et articuler des significations (Epson et White, 1990).
Il ressort du récit que cela mobilise de nouveaux regards et de nouvelles dé-
cisions chez la personne, enfin une nouvelle histoire sur elle-même.
4.  La créativité et l’art dans leurs différentes modalités permettent une
entrée dans l’inconscient et nous placent dans un endroit spécial où les
regards avec lesquels nous opérons habituellement dans la vie quotidienne
s’articulent presque sans le savoir. L’appel à créer est un appel à se connecter
avec soi-même. Fiorini (2006), psychanalyste argentin, qui a étudié le pro-
cessus de créativité, parle de sauver le caractère bifrontal de la création, ce
qui permet de concilier le contradictoire. L’art-thérapie s’articule autour du
travail avec l’inconscient et avec nos vulnérabilités (Klein, 2006) qui doit
être protégé dans un espace sûr de la thérapie.
Nous nous situons à la suite de Bruner (1996) et de sa distinction entre
deux modes de pensée, le logico-scientifique et le récit ; il souligne que les
gens attribuent généralement une signification à leur vie en convertissant
des expériences en histoires, et que ces histoires façonnent leur vie et leurs
relations. Les conversations les plus quotidiennes sur soi acquièrent la struc-
ture d’un récit : approche, nœud et résultat.
5. Apprentissage : la thérapie par l’art est en soi un processus d’appren-
tissage d’observation de soi, de ce qu’un travail implique, du processus de
création, en se connectant avec soi-même à partir du lien avec le travail. Cela
correspond aux objectifs implicites de responsabilisation par rapport à la
démarche, à savoir que la personne est celle qui sait le mieux ce qui lui ar-
rive, qui cherche à jouer un rôle actif dans son propre processus. Winnicott
(1972) mentionne que le patient, et lui seul, connaît les réponses.
Journal des séances :
nous avons choisi d’en présenter quatre :
1. Séance initiale : elle est destinée à établir les liens et les relations de
confiance nécessaires pour créer un espace émotionnel qui permette d’ou-
vrir les histoires et de les regarder. La séance se déroule à partir d’un exercice
qui est presque une mise en scène : des objets de la vie quotidienne (choisis
pour leur capacité à ramener des souvenirs) sont disposés sur une table au-
tour de laquelle des personnes sont assises. La consigne est indiquée :
«  Ces objets sont ici, vous pouvez les regarder, les toucher si vous voulez  ; puis
cherchez un ou plusieurs de ceux qui résonnent avec vous. »
L’exercice, tel qu’il est présenté, permet l’apparition de récits, de différents
éléments de la biographie, de projections particulières ; et c’est très intéressant,
car cela met en avant, dès le départ, l’idée que le regard dépend de l’observateur :
devant le même fait ou le même objet, chacun a sa propre lecture et ses propres
associations — une lecture unique, différente pour chacun et donc valide.
L’exercice met en jeu la dynamique communicationnelle, à partir de l’inter-
prétation et de la lecture des images, du récit personnel.
2. Collage : un travail de groupe est effectué sur la base des attentes de

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chacun vis-à-vis de cet atelier d’art-thérapie. La technique du collage a été
utilisée. Elle aide ceux qui peuvent ne pas se sentir en sécurité dans le travail
artistique, car elle fonctionne avec des images toutes faites, ce qui permet de
projeter un sens lors du choix. Des textes et des récits parlent de recherche
personnelle, d’observation de soi, d’estime de soi et enfin de redéfinition :
« Quand recourir à un changement ; Libérez ; Tant que j’ai regardé comme ils le
voulaient, maintenant vous regardez de mon point de vue  ; C’est le temps des
femmes ; Réinvention. »
3. Histoires de vie : l’objectif est de faciliter l’observation de soi, ce qui
contribue à redéfinir la vision de soi-même et des mondes possibles. Chacun
est invité à écrire « l’histoire de sa vie » et à le faire comme s’il s’agissait d’un
roman, d’un film ou d’une chanson : partir de son propre processus pour
créer de nouveaux contes.
Les titres de certaines de ces histoires :
« Le miracle ; Ma vie à partir d’aujourd’hui ; Allez, un autre jour ; Le changement de
Jeannette ; Seulement la déception et la solitude ; La rébellion ; Tout est possible. »
Une des participantes à cette séance dit :
« La scène la plus importante de cette histoire est la scène finale, voyez-moi en train
de faire quelque chose et mes enfants arrivent, soyez heureux, pensez à moi et soyez
heureux1. »
4.  Travail final  : l’objectif de ce travail était de connaître, d’évaluer le
processus de psychothérapie en cours par rapport aux attentes initiales. La
consigne : Choisissez les matériaux librement et évaluez votre processus. Au
cours de cette dernière séance, les participantes ont pu réaliser les change-
ments intervenus et leur propre évolution.
« Par la créativité, j’ai commencé à me libérer de beaucoup de choses et à libérer les
sentiments tortueux que j’avais et qui ne me laissaient pas vraiment vivre2. »

CONCLUSION
La présente étude montre l’impact de l’art-thérapie sur les femmes vic-
times de violences domestiques et traitées dans ce centre de santé mentale.
Au total, 26 femmes ont bénéficié d’une intervention de groupe en art-thé-
rapie entre 2017 et 2019.
En termes d’évaluation, les résultats observés montrent une avancée dans
la capacité d’observation de soi des femmes participantes et des effets d’auto-
nomisation, de reconnaissance émotionnelle, principalement de la peur, de
la colère et de la honte, On observe une redéfinition de l’image de soi qui in-
tègre une nouvelle histoire avec des histoires sur elles-mêmes où apparaissent
d’autres perspectives de vie incluant des aspects tels que : liberté, autonomie,
auto-évaluation, sécurité personnelle et capacité de prise de décision.
L’art-thérapie est proposée comme espace thérapeutique issu d’un para-
digme constructiviste qui permet l’émergence d’autres langages. En ce sens,
l’art est un outil qui permet de raconter des expériences de vie associées à
des évènements de souffrance en incorporant de nouvelles significations.
Elle facilite les processus de récupération en créant un espace horizontal de
rencontres, mettant l’accent sur l’empathie, l’acceptation et l’appréciation
de l’autre.
« Je pense que cet atelier est bon parce que nous y abordons l’art, et nous avons tous
le moyen de communiquer ; ça peut être dans un dessin, dans un mot, dans un son,

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c’est un tout. Ce type de travail qui, en plus de relier tous les domaines d’expression,
vous connecte avec vous-même3. »

NOTES

1. Histoire obtenue à partir du journal de séance.


2. Histoire de groupe de discussion.
3. Ibid.

BIBLIOGRAPHIE

Barthes R., El susurro del lenguaje, Paidós, Barcelona, 2009.


Bruner J., Realidad Mental y Mundos Posibles, Gedisa, Barcelona, 1996.
Epston D., & White M., Medios Narrativos para fines terapéuticos, Paidós, Barcelona,
1990.
Fiorini H., El psiquismo creador: Teoría y técnica de los procesos terciarios, Nueva
Visión Argentina, Buenos Aires, 2006.
Klein J. P., Arteterapia: Una introducción, Octaedro, Cataluña, 2006.
Marxen E., Diálogos entre arte y terapia, Paidós, Barcelona, 2011.
Maturana H., La realidad: ¿objetiva o construida?, Anthropos, Mexico, 1996.
Winnicott R., Realidad y juego, Gedisa, Barcelona, 1972.

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