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Eden

AINSI SOIT-ELLE
Serge BOUDOUX et Cécile de LAGET

Eden
AINSI SOIT - ELLE

LIVRE TROISIÈME
© 7 écrit – Serge Boudoux - Cécile de Laget
ISBN : 979-10-326-0351-2
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soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code
de la propriété intellectuelle.
EDEN - ainsi soit-elle

Femmes et Hommes, féminin et masculin : deux mondes qui se


frôlent, se touchent, se cherchent, se repoussent, se côtoient dans un
même univers sans jamais se rejoindre ou se confondre, aussi
différents que Vénus et Mars le sont dans notre système solaire.

Mardi 5 juillet 2011. Hôtel Campanile. Grasse, Alpes maritimes.


12h30. La femme de ménage, Véronique, vérifie que tout est
parfaitement en ordre, jette un dernier coup d'œil et ferme derrière
elle la porte n°18. Encore deux chambres à nettoyer et sa matinée
commencée très tôt sera terminée, elle pourra enfin rentrer chez elle.
Sa vie est dure, le gentil compagnon partageant son existence l'a
courageusement abandonnée avec un enfant à charge, sans doute
timide, il n'a pas laissé d'adresse. Heureusement sa mère n'habite pas
loin de son modeste logement et peut s'occuper du petit garçon en
cas de nécessité, en cette période de vacances Véronique a bien
besoin d'aide.
Elle frappe deux fois à la porte de la chambre 19, malgré
l'affichette portant la mention “ne pas déranger” pendue à la poignée.
Sans réponse elle contacte la réception qui lui donne le feu vert, elle
déverrouille la serrure avec sa carte magnétique, pénètre dans le sas,
pousse la seconde porte... et horrifiée, s'évanouit.

Âmes sensibles refermez vite ce livre, esprits téméraires préparez-


vous à un voyage dans lequel Eden n'est pas du tout synonyme de
paradis.

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EDEN - ainsi soit-elle

Première partie

L' irrésistible ascension

Un journal intime est un texte rédigé de façon régulière ou


intermittente présentant les actions, les réflexions ou les sentiments
d'un auteur.

Habituellement daté, il est tenu de façon plus ou moins régulière


tout au long d’une existence ou seulement sur une période
particulière...... maladie, guerre, deuil, problèmes familiaux,
évènements exceptionnels de la vie...

En général destiné à être gardé secret, il est quelquefois écrit


comme s'il devait être lu par un ou des interlocuteurs inconnus à qui
le rédacteur s'adresse en justifiant ses actions pour avoir le beau
rôle.
Synonymes : chroniques privées, livre de vie, Diare (vieux français),
livre de raison, livre d'heures, livre de bord, cahier journalier, carnet
de notes, mémoires, etc...

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EDEN - ainsi soit-elle

La Belle

Le jour précédent, 8h.


Eden, journal intime.

Le soleil de juillet tape déjà fort sur Cannes. De ma terrasse, je


m'émerveille comme chaque matin devant la magie du paysage. Des
bosquets de bananiers, palmiers, oliviers, pins, eucalyptus ombragent
le square Mistral situé juste en face de ma résidence, La Belle Bleue,
les plages du midi commencent à se couvrir de corps allongés plus
ou moins bronzés, au loin les iles de Lérins sont cernées de bateaux.
Un énorme paquebot de croisières semble barrer l'accès à la baie,
comme le navire la Sardine qui avait autrefois bouché le port de
Marseille et laissé aux provençaux incompris une solide réputation
d'exagération. Je gonfle mes poumons avec gourmandise, le parfum
des fleurs embaume encore ce paradis, dans peu de temps leur senteur
sera couverte par l'odeur des gaz d'échappement et par celle des
cuisines des restaurants proches.

Mon vrai nom est Marguerite Leroy mais je déteste mon prénom,
alors pour tout le monde je prétends m'appeler Eden. Je m'étire avec
bonheur, adresse quelques mots et un baiser à ma tante Christiane qui

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EDEN - ainsi soit-elle

arrose ses plantations sur son balcon deux étages au-dessous.


Trois ados en bermudas, torse nu, lèvent la tête et m'interpellent
joyeusement, parodiant le vieux sketch des Inconnus :

- Eh madame vous êtes trop bonne, à midi on mange chinois ou chez


toi ?

Je les salue d'un geste en riant et rentre dans mon salon qui sent
bon le café. La vie est douce, j'ai presque tout pour être heureuse :

- La jeunesse. J'aurai 33 ans dans quelques jours et les hommes


disent, mais il ne faut pas toujours les croire, que je suis belle comme
cela ne devrait pas être permis.
- Une santé de fer. Très sportive, championne de Taekwondo art
martial coréen, j' ai adopté la maxime de mon coach : un corps faible
commande, un corps fort obéit, le mien répond parfaitement à mes
exigences. De plus je suis enceinte je viens d'en avoir confirmation,
bonheur total je désirais cet enfant plus que tout.
- L'argent. L'agence immobilière dont je suis maintenant l'unique
propriétaire a obtenu, disons plutôt gagné grâce à la réussite de ma
mission visant à démolir un homme politique français à New York,
la commercialisation exclusive d'un nouvel immeuble sur la
Croisette, honoraires escomptés un peu plus de deux millions d'euros.
Pas mal pour démarrer une vie professionnelle à son compte, non ?
Ma première acquisition a été l'appartement de 90 m2 en vente juste
au-dessus du mien qui va rapidement devenir trop petit pour moi et
mon bébé. Me voici propriétaire, j'en avais marre de payer un loyer.
- La reconnaissance sociale. Je serai dans un premier temps la
suppléante d'Eric d'Alban candidat de la droite aux législatives de
2012, mais je vise beaucoup plus haut. Depuis toujours je pense que
seule une femme peut diriger une société humaine moderne et les
faits semblent me donner raison. Les hommes politiques par
aveuglement, inconséquence et lâcheté ont amené les nations à la
faillite et réveillé le monstre du fondamentalisme religieux. Il est
temps que le sexe dit faible prenne le manche pour faire le ménage !

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EDEN - ainsi soit-elle

Une seule ombre, noirceur terrible, assombrit ce tableau. J'ai tué


de mes mains sans le vouloir Michel Ange le père de mon futur
enfant. Le 21 mai dernier, invités par une de mes clientes, je l'ai
emmené pique-niquer à Montauroux, village varois situé à une
trentaine de kms de Cannes. L'invitation a tourné au désastre intégral.
Je ne me sens pas responsable du drame, je me suis retrouvée tout à
fait par hasard face au seul être au monde qui pouvait m'identifier,
Maurice Grondin, policier à la retraite à La Réunion revenu quelques
jours en Métropole. Le hasard pour une fois avait très mal fait les
choses.

Mon bel amour, en me voyant en danger, n'avait pas réagi très


subtilement et abattu tous les participants au pique-nique plus un
cycliste anglais qui passait malencontreusement par là. J'étais restée
simple spectatrice admirative du massacre jusqu'au moment où
Michel Ange, très élégant dans sa chemise noire sans manches,
avait voulu écraser la tête de la petite Cerise, cinq ans, innocente
participante aux réjouissances. Entrainée dans ce tourbillon meurtrier
je l'ai confondu avec l'homme en noir de mes cauchemars.
En intervenant, un peu brutalement je l'admets, pour sauver la
vie de la fillette, je lui ai porté un mauvais coup dans le plexus,
traumatisme rajouté au fait que son cœur souffrait d'un trouble du
rythme congénital il en est mort. Crise cardiaque ont diagnostiqué les
médecins des urgences.
Depuis je vis seule, alors j'ai ressorti le journal intime de mon
adolescence sur lequel j'écris maintenant sans tabou les évènements
de ma vie, mes espoirs, mes doutes, mes désespoirs. Quelquefois je
parle à Michel Ange qui reste très présent dans mon cœur et mon
esprit. Il me manque terriblement mais à tout prendre je préfère un
manque à un vide. Tout me ramène à lui, toujours. Je crois que je le
chercherai toujours chez mes futurs amants de passage, même si je
sais qu’aucun homme ne lui arrivera jamais à la cheville.

Ce matin je glande un peu, j'ai le temps. J'ai pris un seul rendez


vous à 13 heures avec deux Taïwanais qui souhaitent acheter un

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EDEN - ainsi soit-elle

appartement de 80 m2 dans l'immeuble en construction sur la


Croisette avec vue imprenable sur la baie de Cannes. À 45 000 € le
m2 dont 2.5 % pour mes honoraires, je vous laisse calculer le gain
escompté : 90 000 € ttc. Même en enlevant la Tva à 20 % la somme
reste coquette.

Après ce rendez vous je vais m'éclater, j'en salive déjà. Depuis


quelques jours une envie irrésistible torturait mon corps, mes ovaires
frétillaient sans discontinuer, sans doute le cocktail hormonal
consécutif à mon tout début de grossesse, il parait qu'à ce stade
certaines femmes souffrent de nausées et autres désagréments, moi
je pète la forme, j'ai envie de dévorer la vie à pleines dents et à pleine
bouche, ne dit-on pas que la gourmandise est un vilain défaut alors
je n’ai plus qu’une envie... être très vilaine, nous ne sommes pas
toutes égales devant la maternité.

Mes désirs ont atteint la cote d'alerte, alors hier soir je me suis
décidée à retourner à Nice dans le bar en bord de mer où j'avais été
abordée il y a quelques semaines par deux hommes très jeunes,
presque des adolescents qui avaient établi là leur quartier général, ils
s'y retrouvaient dès la nuit tombée. Mon attente a été courte, ils ont
débarqué d'une vieille Golf grise, m'ont repérée, reconnue tout de
suite et se sont assis sans façon à ma table. Lors de notre première et
platonique rencontre, j'avais repoussé gentiment leur tentative de
drague. Ils m'ont interprété à nouveau la grande scène des jeunes
chiens fous séducteurs et prédateurs sans trop parier sur la réussite
de leur entreprise. Cette fois j'ai joué leur jeu, posé ma main sur la
cuisse du plus hardi, effleuré son entre-jambes, vrillé mes yeux dans
son beau regard sombre et clarifié brièvement la situation. Avec
les représentants de cette génération “Playstation” il faut adapter
son discours, il est inutile de faire des phrases glamour ou trop
sophistiquées.

- Si je comprends bien vous voulez faire l'amour avec moi tous les
deux en même temps ? Et bien je suis d'accord !

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EDEN - ainsi soit-elle

Je représentais sans doute un rêve inaccessible pour ces garçons


qui devaient à peine avoir quarante ans à eux deux et j' acceptais leur
“plan cul” à trois ? Ils n'en crurent pas leurs oreilles et se regardèrent
éberlués. Voyant leur incrédulité, j'ai posé un billet de 200 € sur la
table et dicté mes conditions, plaisir ultime que celui d’ordonner.

- Soyez demain à 17h au Campanile de Grasse avec une bouteille


d'Aberlour 18 ans d'âge et ce qu'il faut pour fumer un peu. Prenez
une chambre, laissez un papier avec son numéro sous un de vos
essuie-glaces et je vous rejoindrai. Soyez en forme les garçons, vous
allez vivre des moments inoubliables.

Avant de les quitter, j'ai suggéré :

- Dépêchez-vous d'appeler l’hôtel avant qu'il ne soit complet, on est


au mois de juillet.

Ils ont sauté sur leur téléphone, par chance il y avait encore quelques
disponibilités, la côte d'azur n'est plus ce qu'elle était.

J'ai choisi un hôtel Campanile pour la discrétion. Les chambres sont


directement accessibles de l'extérieur sans obligation de passer
par la réception. Mon visage sera bientôt sur toutes les affiches
électorales à Cannes, il faut que j' apprenne à dissimuler ma vie privée
et à passer incognito. Avec mon physique ce n'est pas gagné.

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EDEN - ainsi soit-elle

La belle EST la bête

Eden, journal intime.

Après mon rendez-vous avec les Taïwanais qui s'est conclu à 16 h


30 par la signature d'une réservation comme je l'espérais, je me suis
enfermée à l'intérieur de mon bureau. Pour Michel Ange mon amour
trop tôt disparu que j'appelais M A, le qualificatif “salope” était un
compliment, la louange ultime saluant une femme capable d'aller au
bout de ses désirs, cet homme a toujours été très différent des autres,
pour moi il était l'Unique. J'ai donc revêtu fièrement ma panoplie
de salope : guêpière et dessous noirs extraits d'un sac à dos. J'ai
caparaçonné ensuite mon joli corps ainsi mis en valeur dans un
vieux jean et un tee-shirt large, noué mes cheveux en un chignon
approximatif tenu par une casquette Lacoste à longue visière
enfoncée sur mes yeux cachés par des lunettes de soleil.
Méconnaissable je l'espère et tremblante d'impatience, sabots
“crocs” aux pieds, j'ai bouclé l'espace de vente et me suis dirigée vers
Grasse au volant de ma nouvelle acquisition, un range rover Evoque
rouge au toit noir. En cette période de vacances il m'a fallu presque
trois quarts d'heure pour parcourir les 20 kms me séparant de la vieille
ville des parfums, ancienne gloire déchue. Je me suis garée 100 m

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EDEN - ainsi soit-elle

avant l'hôtel. Sous un essuie-glace de la Golf grise fatiguée de mes


soupirants rangée sur le parking du Campanile est glissé un papier
portant le nombre 19.
Au dernier moment j' ai failli reculer, ultime scrupule, le visage
de Michel Ange à qui j'avais été rigoureusement fidèle depuis qu'il
avait tout quitté pour moi s'est brutalement imposé à mon esprit, mais
la voix dans ma tête que je nomme “le serpent”, s'est fâchée.

- Tu ne vas pas vivre comme une nonne le restant de tes jours. Il est
mort, décédé, dead, muerto, kaput ! Toi tu es vivante et maintenant
tu vas t'éclater avec deux beaux gosses bien plus jeunes que toi.
Comme dit Max Boublil « Ce soir tu vas prendre » exit tes états
d’âme et ton amour pour M A, place à ta véritable nature, ce soir tu
baises !

Il a raison, je frappe rapidement à la vitre de la chambre 19. Après


quelques secondes la première porte s'entrouvre, je me glisse dans le
petit sas et pousse la seconde.
À l'intérieur un grand lit occupe presque tout l'espace.
Sur une petite table trône une bouteille d'Aberlour 18 ans d'âge
déjà largement entamée, de nombreux mégots tapissent le fond d'un
verre rebaptisé cendrier, une fumée bleue flotte dans l'air malgré
l'affichette “non fumeur” punaisée au mur. Les deux garçons, sans
doute intimidés, se sont manifestement donnés du cœur au ventre en
m'attendant.

Je dépose quelques préservatifs sur un chevet avant d'abandonner


mon sac par terre près du lit et demande :
- Vous me servez un verre?

Je glisse un regard admiratif et gourmand vers mes deux soupirants


futurs pourvoyeurs de jouissance. Pour une fois c'est moi qui paie et
je compte bien en profiter. Dans dix ou quinze ans ils auront sans
doute un début d'embonpoint et de calvitie, mais à cet instant fiers
de leur corps ils sont déjà torse nu et se ressemblent beaucoup. Taille

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EDEN - ainsi soit-elle

mince, muscles saillants, épaules larges, le plus grand a une aile


tatouée sur chaque omoplate, j’adore. Abdominaux en carrés de
chocolat, cuisses et pectoraux puissants, dans la splendeur de leurs
vingt ans ils ont tout les attributs des antiques statues grecques. Des
cheveux noirs épais et bouclés encadrent leur visage lisse. Fesses
rondes serrées dans un short, sexes dessinant une bosse sous
les boutons de leur braguette, ils sentent le jeune mâle, une odeur
envoûtante qui m'excite.

Ils ne savent rien de moi, tant mieux. À part qu'ils aient le même
prénom, Robin, et qu’ils me fassent frétiller les ovaires, je ne sais
rien d'eux et je m'en fous, on n'a pas besoin de connaître le pedigree
du pâtissier pour déguster ses gâteaux. J'avale lentement le contenu
de mon verre, les 43° d'alcool explosent dans ma gorge, incendient
mon ventre, gommant mes dernières inhibitions. Le plus proche tend
un pétard dont je tire de larges bouffées, grisée je n'y tiens plus.
Sans un mot je libère mes cheveux qui tombent sur mes épaules, me
déshabille rapidement, dégrafe la ceinture, déboutonne et descend le
short d'un des garçons, le pousse sur le lit et engloutis son sexe dressé
dans ma bouche.

Quatre mains délacent ma guêpière, arrachent fébrilement mes


sous-vêtements, caressent mon corps nu, deux langues lèchent mon
cou, mon petit abricot, mes épaules, des dents mordillent le bout de
mes seins tendus. Je ne sais plus où donner de la bouche, trop ardent
l'un des garçons éjacule rapidement sur ma poitrine en poussant un
grognement. Amusée, je pense « Celle-ci je te la fais gratuite ». Mon
corps tremble, j’attrape la bouteille de whisky et bois au goulot, ma
tête tourne, j’ai l’impression de me perdre. Je déroule un préservatif
sur l'autre gros sexe dressé qui a su attendre et le chevauche, c'est
moi qui domine le mâle allongé.

À vingt ans la plupart des hommes sont insatiables, et quelques


minutes plus tard l'éjaculateur prématuré est déjà à nouveau en
érection derrière moi. Toujours empalée et couchée sur son copain

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EDEN - ainsi soit-elle

je l'invite à participer aux réjouissances en écartant mes jolies fesses,


il me pénètre sans préservatif. J'étais en manque depuis trop
longtemps, ces deux massues de chair s'activant en moi au même
moment me déclenchent rapidement un orgasme ravageur, un second,
après le troisième j'arrête de compter.

Notre délire sensuel a duré longtemps puis saouls d'alcool, de


cannabis et de sexe nous nous sommes endormis, affalés enchevêtrés
les uns sur les autres. Mes seins mordus sont douloureux , la douleur
me réveille j'essaie de bouger, le plus grand Robin m’écrase, ses ailes
tatouées me paraissent maintenant ridicules je suis prise de dégout...
Je le pousse brutalement, il ouvre un œil, se lève et se dirige vers la
salle de bains... et le problème a resurgi.

Depuis toujours, sauf avec Michel Ange, après mes orgasmes une
nausée tord mon estomac, je rejette mes partenaires érotiques qui ne
comprennent pas ce revirement brutal, comment pourraient-ils savoir
que mes besoins d'homme se transforment en phobie meurtrière qui
m'oblige à fuir ? J'appelle cela pratiquer du “one shot”: un coup et je
disparais. Cette fois ce serait plutôt du “multi shots”, maintenant
repue je veux m'en aller, vite, avant qu'un malheur n'arrive. J'enfile
mon string, attache mon soutien-gorge, dans la salle de bains la
douche coule, le second garçon ouvre un œil et chuchote :

- Où vas-tu ?

- Dors, je suis obligée de partir.

Il bondit comme un diable, me saisit par les cheveux, murmure à


mon oreille :

- Où crois-tu aller ma belle ? Tu ne pars pas, d'autres potes vont


bientôt arriver, salope, tu vas voir ce qu'est une vraie tournante.

- Lâche-moi !

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EDEN - ainsi soit-elle

- On va te défoncer ! Tu ne sauras même plus où tu habites, on t’a


laissée commencer maintenant c’est à notre tour, prépare-toi ma jolie,
crois-moi tu t’en souviendras toute ta vie de petite chienne.

- D'accord, mais lâche moi ou ça va mal aller.

Le pauvre ne parait pas méchant, il n'y avait sans doute pas de


potes ni de tournante, il voulait juste faire son “kakou”, maintenant
c'est trop tard il a réveillé la bête nichée au plus profond de mon
cerveau et déclenché l'apocalypse. Une lumière rouge s'est allumée
dans ma tête qui s'est mise à tourner, le serpent s'est réveillé, déchaîné
il me hurle :

- Il veut te faire du mal, tue-le, tue-les tous les deux !

Forte de mes 13 ans de taekwondo, je me libère facilement en


tordant le bras de mon agresseur qui se retrouve face au sol sur la
moquette, je l'immobilise en posant un pied sur son dos, sort un
couteau de mon sac, me baisse. À genoux, de ma main gauche je
crochète les cheveux et tire en arrière la tête du jeune garçon qui
murmure difficilement :
- Déconne-pas, c'était pour t'exciter, tu es trop belle tu penses bien
qu'on ne voulait pas te partag...

Il a dû sentir sur sa gorge un courant d'air froid qui s'est sans doute
transformé en une brûlure insupportable, puis le sang jaillit en
saccades de son cou. Après quelques spasmes son corps s'immobilise
entre le lit et la cloison.

La douche a cessé de couler, le deuxième garçon réapparait précédé


d'une érection impressionnante. Ebloui par la lumière crue de la salle
de bains, il ne voit pas ce qui s'est passé en silence dans la pénombre
de la chambre. Je m'approche de lui, souriante, le regard fiévreux,
une main derrière le dos, de l'autre je saisis le sexe dressé, joueuse
en apparence. Il ferme les yeux pour mieux profiter de la caresse

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EDEN - ainsi soit-elle

annonciatrice de nouvelles et délicieuses jouissances, je le poignarde,


un seul coup au niveau du cœur il tombe à plat ventre sur le lit.

Le serpent exulte dans ma tête :


- Quel pied !

J'essuie le manche du couteau toujours enfoncé dans la poitrine


musclée, referme sur lui les doigts de la main droite du garçon. Une
douche rapide, je me rhabille, récupère la guêpière, la dépose avec
mon verre dans mon sac. Après une ultime et généreuse gorgée je
vide le reste de whisky sur les corps, nettoie la bouteille, la repose
sur la table après y avoir imprimé les empreintes de la main du garçon
égorgé, jette le mégot du joint que j'ai partagé dans la cuvette du wc
et tire la chasse.

La nuit est tombée depuis longtemps. Je soulève un coin du rideau,


vérifie que la voie soit libre, claque la porte de la chambre derrière
moi après avoir pendu à la poignée le carton “Ne pas déranger” et
rejoins ma voiture. Je me sens bien, repue comme après un repas
délicieux, je sens encore les deux sexes me pénétrer en même temps,
un spasme me parcourt du ventre jusqu’à la tête.

Je rentre chez moi, cinquième symphonie de Beethoven à fond


dans les oreilles.

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EDEN - ainsi soit-elle

Les Auteurs
`

Le lendemain à 12h30 la femme de ménage ouvre la chambre, se


retrouve face à deux cadavres baignant dans le sang et couverts de
whisky, scène d'horreur absolue devant laquelle elle s'évanouit. Dans
un premier temps la piste de la dispute ayant dégénérée fut
privilégiée, on imagina que l'une des victimes s'était suicidée après
avoir égorgé son ami sous l'emprise de l'alcool et de la drogue. Tout
indiquait toutefois que les deux garçons avaient eu des relations
sexuelles juste avant leur mort, ce qui fut confirmé par les autopsies
et analyses diverses. Comme ils n'étaient pas connus pour être
homosexuels on commença à soupçonner la culpabilité probable
d'une ou plusieurs autres personnes présentes dans la chambre au
moment des faits.

Certaines scènes de crimes manquent d'indices, ici il y en eut


beaucoup trop, des générations de clients ayant semé des traces Adn
partout. Frédéric Lachand du commissariat de Grasse fut chargé
d'éclaircir l'affaire.

- Merci du cadeau ! maugréa-t-il.

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EDEN - ainsi soit-elle

Il n'imaginait pas qu'il allait consacrer plusieurs années de sa


vie à la quête de ce nouveau Graal...

Les deux premiers tomes de cette trilogie auraient, parait-il,


choqué certains esprits chagrins par nos réflexions presque sacrilèges
sur les religions, quelques crimes abominables et des scènes de sexe
trop explicites, pornographes nous a-t-on reproché. La pornographie
étant à l'érotisme ce que le fastfood est à la gastronomie, ne dites pas
qu'un bon hamburger de temps à autre ne vous fait pas saliver et celui
qui n'a jamais eu envie de tuer son prochain, son lointain, ou se
gausser des obscurantismes religieux nous jettera la première pierre.

Il faut bien reconnaître que notre vie est dictée en grande partie
par nos appétits de sexe, notre soif d'argent ou de pouvoir et cette
peur de la mort à laquelle les religions sont censées apporter des
réponses. Eden est le symbole de la femme qui pense avoir surmonté
les démons de son enfance volée, elle se croit libre de mener sa vie
comme elle l'entend, elle ne cache pas son corps, ne voile pas
ses cheveux, va au bout de ses envies, ne se soumet pas aux règles
édictées par d'autres. Ce comportement la met souvent en danger,
mais elle sait se défendre et malheureusement ses réactions sont
toujours disproportionnées, guidées par cette haine farouche envers
tous ces machos qu'elle assimile à celui qui a démoli la petite fille
qu'elle était, l'enfance est une maladie dont on ne guérit jamais.
Contrairement à ce que vous pensez peut-être, dans nos descriptions
il n'y a nulle obsession ni voyeurisme de notre part mais une pure
réalité que nous voulons montrer, sans cela cette histoire échapperait
à votre compréhension.

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EDEN - ainsi soit-elle

Les Passantes

Henri.
Suite de mes mémoires, rédigée de janvier à avril 2016.

7 juillet 2011.
Lamothe - Goas, Gers.

6h30. J'aime me lever tôt pour admirer le soleil qui commence sa


journée. Vous vous demandez peut-être à quel âge meurt une étoile ?
Tout dépend de sa taille et de sa couleur. Les étoiles massives brûlent
leur vie par les deux bouts et ne brillent que quelques millions
d'années, notre astre classé dans la catégorie poids moyens poursuivra
son existence encore cinq milliards d'années environ. Lors de son
agonie qui devrait s'achever en implosion, l'humanité qu'il a éclairée
un instant aura disparu depuis des temps immémoriaux et ne sera
même plus poussière, cette certitude relativise nos petits soucis et nos
grandes vanités.
Bon voilà encore que le cafard me ronge, pourtant aujourd'hui je
n'ai pas de douleur physique, mes rhumatismes me laissent en paix

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EDEN - ainsi soit-elle

l'été mais j'ai mal à l'âme. Michel Ange mon fils spirituel me manque,
je n'ai pas de nouvelles de lui il m'a sans doute déjà oublié, son
téléphone ne répond plus. Je suis vraiment seul au monde et j'ai très
envie de revoir la sublime Eden. J'en suis accro mais je ne sais pas
encore à ce moment dans quel guêpier je me suis fourvoyé, sa beauté
est un leurre je n'ai appris la vérité que fin 2012.

Assis sur mon banc en pierre j'attends mon journal comme tous
les matins. Pour me changer les idées je recherche dans ma tête
quelques strophes du texte d'Antoine Pol que Michel Ange m'a
conseillé d'apprendre pour muscler mon cerveau.

Je veux dédier ce poème


à toutes les femmes qu'on aime
pendant quelques instants secrets
à celle qu'on connait à peine
qu'un destin différent entraîne
et qu'on ne retrouve jamais.

À celle qu'on voit apparaître


une seconde à sa fenêtre
et qui preste s'évanouit
mais dont la frêle silhouette
est si gracieuse et fluette
qu'on en demeure épanoui.

À celles qui sont déjà prises


et qui vivant des heures grises
auprès d'un être trop différent
nous ont inutile folie
laissé voir la mélancolie
d'un avenir désespérant.

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EDEN - ainsi soit-elle

Mais si on a manqué sa vie


on songe avec un peu d'envie
à tous ces bonheurs entrevus
aux baisers qu'on n'osa pas prendre
aux cœurs qui doivent nous attendre
aux yeux qu'on n'a jamais revus.

aussi aux soirs de lassitude


tout en peuplant sa solitude
des fantômes du souvenir
on pleure les lèvres absentes
de toutes ces belles passantes
que l'on n'a pas su retenir.

Lorsque je me regarde je me désespère, quand je me compare je


me rassure d'avoir encore toute ma tête “mon vieil Henri tu as
toujours eu une excellente mémoire, et beaucoup de plus jeunes
souhaiteraient avoir la même”.
Ces vers me donnent des frissons, je ferme les yeux et essaye de
revoir le visage de toutes les belles passantes qui m'ont aimé. Sont-
elles encore vivantes, à quoi ressemblent-elles aujourd'hui, pensent-
elles quelquefois à moi ? Certaines nuits lorsque je ne peux pas
dormir je les repasse en revue en commençant par celle qui m'appela
un jour il y a longtemps pour me dire: “tu es le seul homme que j'aie
jamais aimé” juste avant de s'ouvrir les veines, mais invariablement
leur souvenir est cannibalisé par un visage qui s'impose à moi, celui
d'Eden ! Je ne connais presque rien d'elle, je ne l'ai rencontrée que
quelques instants mais cette femme m'obsède, alors si mon insomnie
persiste je prends la moitié d'un quart de Rohypnol. Mon copain
Maurice, 79 printemps et anesthésiste à la retraite, m'en a confié un
tube en me recommandant une extrême modération. En plaisantant à
peine il m'a dit “si un jour tu en as marre de la vie, tu avales quatre
de ces comprimés dosés à 2 mg et tu te réveilles en enfer”...

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EDEN - ainsi soit-elle

Hou là, Henri mon ami, tu files du mauvais coton, remue-toi !


Je rentre me faire un café bien fort et exceptionnellement je rajoute
dans la tasse une bonne rasade de gnole. Le préposé au service postal
comme on le nomme maintenant arrive, il est en avance et dépose
sur mon banc La Dépêche du midi. Je l' invite.

- Viens boire un coup facteur.

Je le taquine un peu en l'interpellant ainsi, il a horreur de cette


appellation.

- Merci mais aujourd'hui je suis pressé, j'ai une réunion syndicale à


onze heures, la perte d'activité liée à la baisse du courrier s'accentue
d'après la direction qui veut nous confier de nouvelles tâches, alors
on se mobilise !
Il est parti grognon.

Je sais bien que vous vous moqueriez si vous lisiez mes


élucubrations, vous dont les journées commencent par la consultation
de tablettes, smartphones, ordinateurs, vous pour qui les journaux
sont des objets des siècles passés tout juste dignes des musées. Moi
j'aime l'odeur de l'encre, le bruit du papier sous mes doigts. Je lis
toujours mon journal de la même manière : je commence par la
rubrique nécrologique histoire de voir les gens du canton qui sont
morts, ensuite je consulte les prévisions météo puis l'horoscope pour
les natifs de La Balance, en octobre de cette année 2011 j'aurai 88
ans. Comme tout le monde je n'y crois pas mais comme tout le monde
je regarde quand même, et je termine ma lecture par la première page.

Je parcours distraitement l'article à la une qui parle de deux


jeunes garçons poignardés à Grasse lorsque quelque chose m'inter-
pelle. Je rentre et fouille dans la pile de journaux que je conserve dans
mon garage, je sais exactement ce que je recherche, c'est le seul
moment depuis longtemps où il s'était passé un évènement marquant
dans la suite monotone de mes jours de retraité au long cours, alors

28
EDEN - ainsi soit-elle

vous pensez si je m'en souviens, celui-ci je l'ai lu des dizaines de fois!


Par jeu j'ai mis en parallèle l'exemplaire du 19 mai 2010 et celui de
ce jour.

Le 19 mai 2010 en première page s'étalait un article sur un couple


d'Ecossais tenant des chambres d'hôte retrouvés mort à Eauze, une
petite ville toute proche d'ici. La femme avait été poignardée, par son
mari a-t-on dit, qui s'était d'après la police suicidé en s'empalant sur
le couteau encore enfoncé dans sa poitrine. Sur la table de leur cuisine
trônaient une bouteille de Whisky Aberlour 18 ans d'âge presque vide,
de nombreux mégots de joints, ils avaient eu une relation sexuelle
juste avant leur décès. “Drame d'une dispute due à la jalousie ayant
dégénéré” conclurent les enquêteurs. Date présumée de la tragédie,
la nuit du 17 mai 2010. Juste le jour où Eden s'est assise sur mon
banc.

Aujourd'hui 7 juillet 2011 en première page s'étale un article sur


deux jeunes gens retrouvés morts dans un hôtel à Grasse, l'un deux a
été égorgé et le second se serait suicidé en s'empalant sur le couteau
meurtrier resté planté dans son cœur. Sur une table de la chambre on
a retrouvé une bouteille d'Aberlour 18 ans d'âge vide et de nombreux
mégots de joints. Les premières constatations laissent à penser qu'il
s'agirait d'une dispute ayant mal tourné, mais le journaliste ne s'est
pas laissé berner, il a appris d'un enquêteur que les deux garçons
auraient eu des relations sexuelles juste avant leur décès. Comme ils
étaient farouchement hétéros, un peu trop d'après certains proches, il
termine son article en utilisant l'exclamation d'un héros d'Alexandre
Dumas : “cherchez la femme !”... Pourquoi dit-il “la” ? Il y avait deux
hommes, il aurait dû dire “les” femmes. Il faut reconnaître que ce
scribouillard a du nez ou des informations exclusives, sa réflexion
m'a ouvert des horizons et a conforté mes soupçons.

Grasse est à moins de 20 kms de Cannes où habite Eden. Je ne


sais pas ce que vous en pensez, vous allez encore dire que je suis
exagérément suspicieux et que je ramène tout à moi ou plutôt à elle,

29
EDEN - ainsi soit-elle

mais faisons un effort d'imagination. Il faut bien avouer que les deux
affaires présentent d'étranges similitudes, non ?

Je n'avais pas encore tous les éléments en main mais je commençais


à supposer que dans l'hypothèse où la sublime Eden ne craindrait pas
le triolisme je ne l'aurais pas surnommée l'ange de la mort en vain...

Bizarrement c'est ainsi que j'aimais cette fabuleuse passante :


fantasmatique, mystérieuse, peut-être terriblement dangereuse.

30
EDEN - ainsi soit-elle

Les fauves sourient

30 Août 2011.
Eden. Journal intime

Dans mes oreilles les écouteurs diffusent la 5ème de Beethoven en


sourdine, je feins de dormir. Eric d'Alban futur député de la dixième
circonscription des Alpes maritimes, glisse un regard furtif vers moi.
Le tgv sera dans une heure en gare de St Raphaël où sa voiture nous
attend, il n'a pas voulu arriver en gare de Cannes il ne tient pas à ce
qu'on nous voit revenir de Paris, notre déplacement était confidentiel.
Il m'a présentée aux concepteurs du projet Icare qui a permis de
démolir D S K à New York. Comme il l'espérait, “ils ont été
subjugués” m'a-t-il dit. J'ai toujours su que je plaisais aux hommes
mais là je commence vraiment à croire que je suis irrésistible, il
faudra que j'apprenne à mieux me servir de ce pouvoir sur les mâles.

Il me fixe maintenant, je sais ce qu’il pense, il est fier, il pense


m’avoir apprivoisée, s'il avait la culture de M A, il murmurerait à
mon oreille :

31
EDEN - ainsi soit-elle

À ces compagnes de voyage


dont les yeux charmants paysages
font paraître court le chemin
qu'on est seul peut-être à comprendre
mais qu'on laisse pourtant descendre
sans avoir effleuré la main.

Il n'effleurera pas ma main, car son admiration est uniquement


esthétique, sa nature gay le porte vers d'autres émotions. Camille, son
jeune amant somnole sur son épaule, il le couve d'un regard attendri,
à son âge on dort n'importe où.

Le visage d'Eric est creusé par la fatigue mais il est satisfait. Les
caciques de l'UMP, adeptes du “TSS - Tout Sauf Sarkozy”, l'ont
chaleureusement félicité de la réussite de la manipulation ultra secrète
baptisée un peu puérilement projet Icare qui a eu pour conséquence
de précipiter D S K en enfer et par ricochet de priver Sarkozy de toute
chance de gagner sa réélection en 2012. Leur haine envers lui était
si forte qu'ils ont préféré faire perdre leur camp, la droite
aime régulièrement réactiver la machine à claques. Par contre, en
professionnels de la politique, ils savent qu'ils vont entrainer dans la
chute de Sarkozy bon nombre de députés UMP. Les Français élisent
maintenant leurs parlementaires après le président, en toute cohérence
si François Hollande est élu par défaut comme tous les sondages le
prédisent, non parce qu'il est souhaité, mais par ras le bol du président
sortant, la prochaine assemblée nationale sera à majorité socialiste.

Eric s'en moque totalement, la dixième circonscription des Alpes


Maritimes a toujours voté pour le candidat de droite. Lui, le beau
gosse blond athlétique et moi, sa sublime suppléante comme il me
qualifie gentiment, formons le couple idéal, c'est dans la poche, il se
voit déjà député en titre, “personne ne peut imaginer un socialo
député de la région Cannoise” dit-il à qui veut l'entendre !

32
EDEN - ainsi soit-elle

Il est fatigué, après la réunion Camille l'a entrainé dans un endroit


très spécial et très secret rue d'Artois, un club échangiste homo où il
a ses entrées et des amitiés louches, réminiscence de sa vie
tumultueuse parisienne. Camille est redoutablement jaloux, il veut se
rendre indispensable, pour cela il anticipe, organise et participe à tous
les délires sensuels du grand homme. Ils se sont éclatés m'ont-ils dit
et sont rentrés à l'hôtel à quatre heures du matin.

Camille n' est pas assoupi sur l'épaule d'Eric, j'imagine qu'il rumine
sa rancœur, il joue double jeu et me raconte parfois ses manipulations
pour se vanter, se faire valoir à mes yeux ou peut-être me narguer.
Eric ne sait pas qu'il a été filmé pendant ses ébats. Son jeune
amant aime bien le cinéma, l'ami ivoirien initiateur de ses débuts en
escroquerie sur le web a du très bon matériel, malgré la pénombre il
a assuré qu'on distinguerait parfaitement les participants à cette orgie
gay carrément choquante pour le bon peuple. Camille assure ainsi ses
arrières, sans vilain jeu de mots, au cas où l'affection d'Eric viendrait
à défaillir. Récemment il m'a avoué qu' il commence à me trouver un
peu trop envahissante dans leur vie, il ne comprend pas pourquoi il
ne serait pas, lui, de la seconde génération d'une famille maghrébine
intégrée, le suppléant d'Eric ? Après tout, le représentant d'une
minorité ethnique vaut bien une féministe, si belle soit-elle rajoute-
t-il pour m'amadouer. Il ne doute de rien le petit con, il est temps que
je calme ses ardeurs !

Assise en face d'Eric, je ne dors pas, j'ai fermé les yeux pour éviter
de parler, je ne me sens pas très bien. Je suis enceinte de trois mois
maintenant, hier soir après la réunion je suis rentrée directement à
l'hôtel, secouée de frissons et de nausées. Ma grossesse se devine
à peine, j'arrive encore facilement à cacher le petit ventre rond se
dessinant jour après jour, j'ai arrêté mes entrainements de taekwondo
bien sûr, je ne voudrais pas risquer de perdre mon bébé.

Je compte discrètement sur mes doigts. Si tout va bien j'accoucherai


fin février 2012. La campagne électorale débutera le 21 mai et les

33
EDEN - ainsi soit-elle

élections auront lieu les 10 et 17 juin. Le timing semble parfait. Je


pourrai confier mon enfant à ma sœur Noémie qui le ou la gardera à
Saint Gervazy, Puy de Dôme, dans la maison que je viens d'acheter.

Il y a cinq jours, après signature de l'acte de vente chez le notaire


d'Issoire, j'ai couché pour la première fois dans ma nouvelle résidence
secondaire, mon futur havre de paix. En arrivant à St Gervazy j'ai
croisé une voiture immatriculée dans les Bouches du Rhône qui
sortait de la cour de la maison des parents de la petite Cerise, c'est
étonnant on voit rarement des Marseillais par ici. Après mes rendez-
vous qui se sont éternisés avec des artisans locaux chargés de
redécorer la maison selon mes goûts, j'ai diné d'un sandwich et dormi
installée sommairement dans un sac à viande. Appelée en urgence
par Eric attendu à Paris je suis repartie au petit matin.

Les idées se bousculent dans ma tête. Selon toute vraisemblance


Eric sera élu député de la 10e circonscription des Alpes Maritimes,
je serai sa suppléante, c'est-à-dire que je ne représenterai... RIEN.
Comment pourrais-je exister, politiquement parlant ? En France,
le suppléant, élu en même temps que le député, reprend les
fonctions du député seulement si celui-ci décède, entre au
gouvernement, dispose d'une mission de plus de six mois confiée par
le Gouvernement ou accepte les fonctions de membre du conseil
constitutionnel. Comme Eric, député de droite, n'a pratiquement
aucune chance de faire partie du prochain gouvernement qui sera
forcément de gauche, je ne serai donc RIEN dans le microcosme
politique tant qu'Eric vivra et il risque d'être longtemps en travers de
mon chemin, sa cinquantaine sportive lui vaut une belle santé et
présage une longue carrière.

Je n'ai pas l'intention de patienter, mon ambition étant sans limite,


je veux arriver rapidement au sommet de la pyramide dont la
députation est la première pierre indispensable, une solution simple
soufflée par la voix dans ma tête s'impose naturellement à moi pour
résoudre ce problème compliqué. Devinez laquelle !

34
EDEN - ainsi soit-elle

Je calcule : si je reprends les fonctions de députée fin 2012 / début


2013 suite au regrettable décès d'Eric, il me restera quatre ans pour
monter dans l'organigramme de l'UMP, me créer des relations, trouver
des appuis et me présenter au premier tour de la présidentielle de
2017. Tout cela va coûter très cher, j'aurai besoin d'argent, de
beaucoup d'argent. Et là revient en ma mémoire une des dernières
paroles de Michel Ange :
“Dès lundi je te dévoilerai le secret du vieil Henri, cette histoire
fera notre fortune”.

M A était un homme d'affaires, il ne parlait jamais en vain quand


il s'agissait de “pognon”. Il semblait juger que ce secret avait un grand
prix, mais cette valeur était-elle financière ou simplement historique
voire archéologique ? Son dernier message codé concernant ce
mystère est toujours dans mon ordinateur, je n'ai pas tenté de l'ouvrir,
peut-être par incrédulité, par désintérêt ou par superstition je ne sais
pas trop. Il faut bien le reconnaître, nous les femmes, même moi bien
que j'ai de la peine à l'admettre, sommes bien plus superstitieuses que
les machos grossiers qui nous entourent, nous avons sans doute plus
d'imagination ou sentons confusément des dangers latents qu'ils
n'imaginent même pas ?

Pour moi, je crois plutôt que la blessure de la disparition brutale


de M A est encore douloureuse, je fuis tout ce qui pourrait me rappeler
cet épisode fou. J'ai enfoui au plus profond de mon armoire le flacon
d'eau de toilette La vie est belle de Lancôme qu'il m'avait offert, j'ai
porté une seule fois ce parfum sur ma peau, le jour de sa mort. Michel
Ange était tout pour moi, l'amant, le père, le confident, le phare dans
ma nuit, le refuge lors de mes tempêtes. Vous connaissez l'adage : on
reconnait le bonheur au fracas qu'il fait en s'en allant, son absence
commence à faire beaucoup de bruit. Un petit coup de cafard me
vient, j'avais assuré à M A être née pour lui, en fait il est mort pour et
par moi.

Michel Ange m'a appris un certain nombre de règles...

35
EDEN - ainsi soit-elle

Je vous conseille d'utiliser souvent celle-ci : zéro mépris, ce qui


signifie apporter beaucoup plus d'attention aux choses et aux êtres
qui vous semblent de prime abord sans intérêt, vous y découvrirez
des trésors négligés par les autres.
En application de cette règle du Zéro mépris que j'ai bêtement
négligée, je me promets de m'atteler à résoudre cette énigme
rapidement.

J'entrouvre les yeux et croise le regard froid de Camille. Malgré


notre camaraderie de façade, je ne l'aime pas, me méfiant de sa
jalousie maladive. Je devrai sans doute régler également ce problème,
avec un peu de chance je ferai d'une pierre deux coups, ou peut-être
pire. Je ne peux me débarrasser de l'un sans détruire l'autre, c'est
évident, quand il y en a pour un il y en a pour deux. Cette évocation
est cruelle mais elle me réjouit et chasse mes idées noires, je souris.
Camille se redresse et sourit à son tour. Eric, rassuré du bon climat
apparent régnant dans son équipe sourit également... Les sourires qui
nous sont adressés émanent de gens qui ne nous veulent pas toujours
du bien.

Quelqu'un m'a dit un jour : vous n'êtes jamais aussi dangereuse


que lorsque vous souriez.

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EDEN - ainsi soit-elle

Sur la piste de la bête

Les Auteurs

Frédéric Lachand, du commissariat de Grasse est sidéré, nous


n'avons pas d'adjectif mieux adapté. Ce matin il a reçu du labo de
Marseille une information qui l'a laissé sans voix, lui qui d'habitude
n'hésite pas à se faire entendre.

Son enquête l'a d'abord mené à Nice où il a passé “à la moulinette”


la personnalité et l'emploi du temps des deux victimes du Campanile
de Grasse, travail de fourmi mais payant. Les suppliciés, issus de
vieilles familles niçoises sans histoire, n'étaient pas connus des
services de police. Il a appris assez rapidement que les jeunes garçons
se retrouvaient chaque nuit dans un bar pour draguer les belles
touristes esseulées, souvent avec succès semble-t-il. Le soir précédant
l'holocauste, le barman les a vus en grande discussion avec une
femme superbe d'une trentaine d'années. Après son départ les deux
Robin ne tenaient plus en place, ils ont beaucoup bu et payé leurs
consommations avec un billet de 200 €, eux qui étaient toujours
fauchés.

37
EDEN - ainsi soit-elle

Mystérieux ils lui ont dit :


- Avec cette meuf on vient de toucher le gros lot, c'est normal, nous
on a un physique...

Comme il est petit, grassouillet, dégarni sur le dessus du crâne,


il a pris cette réflexion pour une insulte personnelle et a tourné les
talons sans plus écouter leurs vantardises.

Deuxième axe d'investigations : L'hôtel Campanile n'a pas de


caméra extérieure pour surveiller son parking mais la petite start-up
située à 50m en a une dont le champ d'enregistrement couvre une
partie des bâtiments de l'hôtel. Les images ont été visionnées plusieurs
fois et il a remarqué quelque chose de curieux. Vers une heure du
matin on distingue vaguement une ombre, une silhouette coiffée d'une
casquette sort du bâtiment où a eu lieu le massacre, disparait en
s'éloignant dans la nuit et ne revient pas. À cette heure, aucun
employé de l'hôtel n'était présent à part le directeur et sa famille qui
dorment sur place dans un logement de fonction attenant. Bien sûr
on ne pas peut jurer que la personne sortait de la chambre 19, mais
s'il ne s'agit ni d'un employé ni d'un client sorti prendre l'air, qui est-
ce ?
La police scientifique a bien fait son métier et relevé un nombre
astronomiques d'empreintes, collecté des dizaines de cheveux de
toutes couleurs, des traces de liquides corporels, débris de peau,
rognures d'ongles, mégots de cigarettes, traces de sang qui ont été
envoyés au laboratoire de Marseille. Les résultats sont tombés ce
matin par mail. Parmi tous les profils Adn obtenus, aucun ne peut être
rattaché à un nom figurant au fichier national automatisé des
empreintes génétiques, par contre le croisement des informations
nationales, possible depuis peu, a montré que l'un des profils
correspondait à un même individu présent sur plusieurs scènes de
crimes enregistrées l'année dernière sur le chemin de Saint Jacques
de Compostelle.

Une femme !

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EDEN - ainsi soit-elle

Frédéric Lachand en a été sidéré donc, puis ravi, il a enfin un début


de piste fragile. Les traces Adn ne constituent qu'une preuve
de présence sans préjuger d'une culpabilité quelconque mais le fait
que cette femme soit présente sur les lieux de chaque agression
sans en être la responsable serait tout de même une coïncidence
extraordinaire et Frédéric ne croit pas aux coïncidences..

Reste à l'identifier !

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EDEN - ainsi soit-elle

L'avorton de Dieu

Eden. Journal intime

Vendredi 2 septembre 2011.

Je suis épuisée, plus je dors plus j’ai sommeil. Sans doute une
conséquence du fait que ma grossesse m'a contrainte à supprimer peu
ou prou le café, les cigarettes, l’alcool, le sport intense et tout ce qui
est excitant dans la vie.

Une fois douchée j’arrive à retrouver ma vitalité, l’énergie me


revient avec une envie monstrueuse de bouffer le monde. Mon
bureau de vente est resté fermé ce matin, j'avais trop besoin de dormir.
Mais me revoici d’attaque, j'envisage sérieusement de faire venir ma
jeune sœur Noémie à Cannes pour m'aider dans mon travail, j'ai
toujours rêvé de la former à mon métier d'agent immobilier et puis
elle pourrait m’assister lors de mon accouchement.

Je n’ai pas envie d’accoucher seule, je veux partager ça avec la


personne que j’aime le plus au monde maintenant que M A est parti.
Surtout il va falloir que Noémie accepte de s’occuper de mon enfant,

41
EDEN - ainsi soit-elle

je vais avoir bien trop à faire. De toutes façons un nourrisson n’est


qu’un tube digestif, j’avoue que je comptais plutôt sur M A pour jouer
les mères poules et je me voyais plutôt dans le rôle du jeune coq. Cette
idée m’amuse follement, raz le bol du cliché, je vais pondre mais je
ne sais pas couver, voilà tout. Je m’emploierai à construire un monde
pour ELLE, je suis certaine que c’est une fille, il ne peut en être
autrement !
Allongée sur mon canapé, j'allume la télé pour voir les
informations.
Premier titre : le père d'une famille d'accueil est écroué pour
viol et agression sexuelle sur mineure. Je suis écœurée, cette info
renforce ma volonté : accéder aux plus hautes fonctions pour faire
voter des lois à la hauteur du scandale.
Dans notre beau pays de France :
Une femme sur dix est victime de violences physiques.
Cent vingt femmes meurent chaque année sous les coups de leur
conjoint soit une tous les 3 jours.
Neuf sont violées chaque heure soit plus de 75 000 par an, sans
parler des enfants battus, torturés, enfermés, affamés, violentés . Dans
une société d'hommes, qui se préoccupe de ces problèmes ? J'ai
commencé a étudier l'arsenal juridique de lutte contre ces violences
sexistes et sexuelles et découvert avec stupeur la vérité :

Le délit de harcèlement sexuel n'a été créé qu'en 1992, le viol conjugal
a été défini comme tel dans le code pénal seulement en 2006, l'inceste
sur mineur en 2010 !! J'ai vu également l'autre jour à la télé une
histoire hallucinante : une femme violée avait déposé plainte et remis
aux enquêteurs des sous-vêtements imprégnés du sperme de son
agresseur. Vous n'allez pas me croire.... le laboratoire demandant
380 € pour l'examen des preuves, la justice n'a pas fait rechercher les
traces ADN, ce qui a permis au violeur en série de faire sept nouvelles
victimes avant d'être enfin arrêté. Il était déjà fiché et une simple
analyse à 380 € aurait permis de le mettre immédiatement hors d'état
de nuire, mais quelques femmes violées en plus ou en moins, qui s'en
soucie ? Elles n'ont qu'à rester chez elle m'a dit un abruti !

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EDEN - ainsi soit-elle

Je sais que seule une femme pourra faire bouger les choses, la
dernière qui a eu les couilles s'appelle Simone Veil. Soutenue par le
premier ministre de l'époque Jacques Chirac, elle s'est battue contre
un parlement majoritairement masculin et a su trouver les mots pour
expliquer la réalité du drame vécu par des femmes contraintes
d' interrompre leur grossesse dans la clandestinité au péril de leur vie
et leur permettre d'accomplir cet acte terrifiant avec un minimum de
dignité et de suivi médical.
Ma volonté est de plus en plus forte, la voix dans ma tête me répète
sans cesse :
- Tu seras la nouvelle Simone Veil, celle qui fera cesser ce scandale.
- Tu seras bientôt suppléante d'Eric d'Alban.
- Un peu plus tard tu te débarrasseras de lui et de son Camille.
- Devenue député en titre, il te suffira de monter dans l'organigramme
du parti, te faire des relations, un carnet d'adresses, des soutiens, tu
te serviras de ton physique s'il le faut, les hommes sont si prévisibles
et faciles à manipuler.
- Tu te présenteras à la primaire de la droite en 2016 si elle a lieu ou
au premier tour des présidentielles de 2017, même si tu ne gagnes
pas tu deviendras incontournable, tu négocieras le report de tes voix
contre une place au gouvernement et pourras enfin faire voter une
loi impitoyable pour punir tous ces enfoirés responsables de ces
atrocités...

Le serpent logé dans mon crâne me harcèle, ce projet est vraiment


devenu une obsession pour moi. Les dispositions législatives que je
prévois feront l'effet d'une bombe, je vous en parlerai plus tard.
Tout cela parait à ma portée, mais subsiste une contrainte, il me
faudra beaucoup d'argent, une campagne électorale nécessite des
déplacements, hôtels, restaurants, affiches, location de salles pour
meetings, tracts, publicité, etc.. Je sais que je ne pourrai pas compter
sur les finances du parti, pas encore. Le serpent siffle dans ma tête :
- Ou tu te dégotes un amant richissime, ou le secret du vieil Henri
pourra peut-être se monnayer bien que j'en doute fort, complètement
gâteux le vieux, mais ça ne coûte rien de regarder.

43
EDEN - ainsi soit-elle

Cette voix dans ma tête fait partie de moi. Gilles Davier mon
psychiatre m'a expliqué avant que je ne le fasse disparaître, je m'en
veux un peu pour cette violence qu'il ne méritait pas, mais je n'avais
pas le choix:

- Nous avons tous en nous un inconscient plus ou moins monstrueux


qui revendique une existence. Le vôtre est juste beaucoup plus
vindicatif que la normale...

Hier j'ai voulu ouvrir le mail posthume de Michel Ange mais ai


renoncé au dernier moment, c'est la première fois que je suis
paralysée par un tel blocage psychologique, ce message m'effraye
confusément. Depuis quelque temps j'ai l'impression que mon
caractère se modifie, se ramollit.
Je me force à allumer mon ordinateur.
Quelques jours avant la tragédie du 21 mai, pendant ma mission
secrète à New York, M A m' a transmis du Gers un mail comportant
une pièce jointe intitulée “Discussion Henri.zip” accompagné de
quatre alexandrins.

Qu'importe le délire peu importe le mot


la vie vient et s'en va l'univers nous depasse :
la mort un certain jour a oublié sa faux
et l'avorton de Dieu mentit près de Damas.

En ouvrant la pièce jointe, une fenêtre apparait : “mot de passe


requis, le fichier est protégé par un mot de passe. Entrez le mot de
passe, ci-dessous”.
M A était coutumier de telles gamineries, il adorait me taquiner
en se servant de sa culture d'un autre âge. Aujourd'hui j'aimerais qu'il
soit près de moi, il m'aurait enlacée, décoché son beau sourire, aurait
murmuré à mon oreille: “viens mon ange je vais te montrer la beauté
du monde” avant de m'entraîner vers la chambre à coucher. Cet
homme était insatiable, il avait constamment envie de moi.
Il était l'Unique, le seul qui trouvait grâce à mes yeux, j'avais

44
EDEN - ainsi soit-elle

également inlassablement besoin de lui, il me manque, son corps me


manque, sa voix, son odeur, la douceur de sa peau, son sourire me
manquent. Avec lui j'avais l'impression qu'il ne pouvait rien m'arriver
de grave, près de lui j'étais en sécurité, il trouvait toujours une issue
gagnante à chaque problème. Ensemble nous étions invincibles !

Je relis plusieurs fois les vers, la solution semble évidente : en


utilisant seulement le dernier mot de chaque phrase j'obtiens : mot de
passe faux damas, ce qui explique également la faute d'accent sur
“depasse”. Connaissant l'esprit compliqué de MA, cela parait trop
simple mais on peut toujours essayer.
Je tape : faux damas.
Réponse :
“le mot de passe entré est incorrect. Entrez le à nouveau”.
Deuxième essai “Damas” même résultat négatif avec et sans
majuscule. Je vérifie sur Wikipedia ce que Damas, capitale de la Syrie
comme chacun sait, présente comme particularité remarquable.
Jusqu'au 17ème siècle les orientaux savaient forger un acier de très
grande qualité appelé acier de Damas que les occidentaux essayèrent
de copier sans jamais l'égaler, ce qui collerait avec la notion de faux.
Contente de moi j' essaie le mot “acier”, toujours avec et sans
majuscule, verdict : mot de passe incorrect.

Je commence à en avoir marre, la patience n'est pas ma vertu


dominante, le recours à une attaque brute solutionnerait sans doute
l'énigme, je résiste à cette tentation, après tout je ne suis pas plus bête
que M A qui me nargue même au-delà de la mort.
Je relis plusieurs fois les vers, il me semble alors distinguer une
cohérence dans le texte :

Qu'importe le délire peu importe le mot


la vie vient et s'en va l'univers nous depasse :
la mort un certain jour a oublié sa faux
et l'avorton de Dieu mentit près de Damas.

45
EDEN - ainsi soit-elle

Si l'on n'utilise que la phonétique, une phrase un peu tirée par les
cheveux apparait :
Le mot depasse et l'avorton de Dieu.

Wikipedia m'apprend que l'Avorton de Dieu est le vocable par


lequel se désignait lui-même l'apôtre Paul, persécuteur des premiers
chrétiens avant sa conversion consécutive à une vision sur le chemin
de Damas. Une excitation m'envahit, cette fois tous les éléments sont
réunis, le vieil Henri m'a déjà orientée dans cette direction lors de
notre rencontre et je suis certaine que M A m’en avait parlé lors de
nos discutions interminables sur l’histoire et la religion. Excitée
je tape Paul. L'ordinateur répond : incorrect, puis apôtre Paul :
incorrect. Et merde !

Je me sers un café serré, M A m’a surestimée, j’ai besoin d’aide,


j’appelle ma tante aussi calée que lui sur le sujet de la religion.
Je suis confiante, c'est un puits de science, elle va trouver, elle
habite deux étages en dessous de moi. Elle m'a élevée, était même là
le jour où j'ai rencontré M A lors d'une randonnée, m'a soutenue
lorsqu'il est mort. Depuis quelque temps elle me regarde bizarrement.
L'autre jour elle m'a avoué avoir un mauvais pressentiment, mon
psychiatre puis mon amant sont morts brutalement, plusieurs
personnes ont été assassinées après mon passage sur le chemin de
Saint Jacques de Compostelle, sans être parano ou mytho, elle trouve
que cela commence à faire beaucoup ! Bref, pour le moment tout ce
qui m’importe est qu'elle réponde à ma question :

- Bonjour Tantine Christiane, que sais-tu de l'apôtre Paul ?

- Paul est un personnage extraordinaire. Un peu plus jeune que Jésus,


chef de la police du Sanhédrin l'assemblée des grands prêtres, il
a tout d'abord persécuté férocement les premiers chrétiens
juifs considérés comme des hérétiques par leurs coreligionnaires.
Parti pour Damas avec mission d'exterminer une des premières
communautés chrétiennes, il aurait eu la vision d'une lumière

46
EDEN - ainsi soit-elle

aveuglante et entendu une voix lui disant “Paul, Paul pourquoi me


persécutes-tu ? Je suis jésus que tu persécutes”. Il sortit de cette
rencontre profondément bouleversé et définitivement persuadé que
celui qu'il venait d'entendre était Jésus mort et ressuscité. Suite à ce
bouleversement il aurait perdu la vue pendant trois jours. Le chef de
la communauté chrétienne de Damas, un certain Ananias imposa ses
mains sur ses yeux, Paul recouvrit la vue, se convertit et fut celui qui
créa le christianisme universel. Ce type était très particulier, on dirait
de nos jours qu'il avait une double nationalité, il était juif et citoyen
romain. Mais comment se fait-il que tu t'intéresses à lui ?

- J'essaie de résoudre une énigme pour passer le temps. Merci


tantine.

- Tu ne travailles pas aujourd'hui, comment vas-tu, as-tu besoin de


quelque chose ? Il faudra qu'on discute un peu un de ces jours, je ne
te vois plus.

- Je suis un peu fatiguée, sans doute ma grossesse, demain tout ira


bien. Bises.

Je ne suis pas plus avancée.


Après quelques minutes Christiane rappelle.

- J'ai oublié de te dire, le nom romain de Paul était Paulus mais il


avait également un patronyme hébreu : Saul.

- Merci, merci.

Je me précipite et tape Paulus dans la fenêtre réservée au mot de


passe, incorrect, puis Saul, incorrect. J'ai les boules...
Je rappelle ma tante :

- Comment écris-tu Saul ?

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EDEN - ainsi soit-elle

- S, a, u, trémas sur le u, l.

À la limite de l'impolitesse, je raccroche en catastrophe et tape


Saül avec le trémas sur le u.

Bingo ! Le message s'ouvre sur les phrases suivantes :

Bonjour mon ange, tu me manques. Si tu lis ce texte sans moi,


c'est que tu auras trouvé le mot de passe, ce dont je ne doute pas,
mais ce qui me gêne un peu si je ne suis pas à tes côtés, de toute
évidence je serai mort. Comment, pourquoi, quand ? nul n'est maître
de son destin. De mon petit hôtel du Gers, je vais te résumer la
conversation que nous avons eue cet après-midi, le vieil Henri et moi.
Nous avons beaucoup parlé de toi, le vieux est aussi fou que moi !

48
EDEN - ainsi soit-elle

Le secret du vieil Henri

- Le vieux est aussi fou que moi, je crois bien qu'il fait une fixation
sur toi, il attend chaque jour ton retour... le pauvre !
Tu sais que j'ai une excellente mémoire visuelle mais une mauvaise
mémoire auditive, aussi pour ne rien oublier je vais sauvegarder
immédiatement le texte de notre entretien qui a duré tout l'après-midi.
Avec cette découverte notre fortune est faite. Je vais procéder en deux
étapes. Tout d'abord je vais t'expliquer le secret tel que me l'a livré
Henri, dans un second temps je prendrai le temps de te donner des
détails pour que tu comprennes mieux son intérêt, la manière de s'en
servir et le danger qu'il représente.

Voici l'histoire : Au 16ème siècle un artiste juif espagnol nommé


Ernesto Guttierez contraint de fuir les persécutions de l'inquisition se
réfugia en France. Son voyage le mena successivement à Rennes le
Château près de Limoux, à Meylieu - Montrond devenu depuis
Montrond les bains dans la Loire, il se fixa définitivement dans le
Gers en 1532 dans un petit hameau appelé aujourd'hui Lamothe,
proche de la ville d'Eauze. Il cachait dans ses bagages un document
extrêmement précieux et fragile mais terriblement dangereux dont
ses ancêtres faisaient régulièrement des copies au fil des siècles pour

49
EDEN - ainsi soit-elle

que l'information ne se perde pas. À son tour il en fit trois copies. La


première fut dissimulée dans un pilier en bois supportant le maître
autel de l'église de Rennes le château, la deuxième sous une dalle de
l'église de Meylieu - Montrond en cours de travaux.

Ernesto Guttierez, de son vrai nom Mosche Sanche, s'établit dans


le Gers. Les habitants de la région repérèrent vite qu'il refusait de
manger du porc et comprirent rapidement qu'il était juif, l'horreur
absolue. En cette époque farouche où les protestants commençaient
à souffrir des persécutions, prémices des effroyables guerres de
religion, les juifs étaient considérés comme les assassins du fils de
Dieu, responsables des épidémies humaines ou animales, soupçonnés
d'empoisonner les puits, de répandre la peste, faire tomber la grêle et
de cent autres forfaits.
Il tenta d'amadouer les bons catholiques en réalisant et faisant don
à la paroisse d'un portrait grandeur nature de Saint Pierre et de la
sublime sculpture en bois représentant la Piéta, Marie recueillant
le corps de son fils au pied de la croix. C'est à l'intérieur de cette
sculpture que serait caché la troisième copie ainsi que le document
original qui, selon Henri, serait écrit de la main même de l'apôtre
Paul, tu te rends compte ? Malgré tous ses efforts d'intégration,
Ernesto fut agressé un soir par une bande de fanatiques, son corps fut
jeté dans un puits.

Voici la teneur du fameux document, une vraie bombe, ou... une


machine à cash ! Bien entendu je me borne à rapporter ce que m'a dit
Henri :

Jésus est arrêté par les grands prêtres juifs qui veulent le faire
mourir, présenté au gouverneur romain Ponce Pilate qui seul a
autorité pour le mettre à mort. Au tribunal, en cours d'audience, un
message lui parvint de son épouse, Claudia Procula, qui lui demande
de ne pas condamner Jésus dont elle apprécie l'ouverture d'esprit
féministe avant l'heure et ses promesses de vie éternelle après la mort
pour ceux qui croient en lui.

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EDEN - ainsi soit-elle

Pilate est très embêté. Il voudrait tellement faire plaisir à sa femme


à qui il doit son ascension sociale, d'autant qu'elle aurait été parente
de l'empereur Tibère ou la petite-fille de l'empereur Auguste, on ne
sait pas trop. D'autre part, il ne comprend pas vraiment ce que les
prêtres reprochent au prisonnier, les histoires religieuses juives
l'ennuient profondément. Il tente alors de le sauver en proposant un
marché au peuple qui réclame du sang, libérer Jésus ou Barabbas,
personnage célèbre coupable d'un meurtre. Malheureusement Pilate
est piégé, la foule chauffée à blanc par les prêtres, réclame la mort
de Jésus et la libération de Barabbas. Redoutant une émeute il cède
et prononce la fameuse condamnation tout en s'en lavant les mains.

Claudia Procula, en vaillante femme romaine épouse de


gouverneur ne s'avoue pas vaincue. Elle veut absolument tirer Jésus
des griffes de ses accusateurs. Dès que celui-ci fut remis entre les
mains des soldats romains, Claudia Procula fit venir le centurion
Longinus commandant la troupe chargée de la mise à mort... En
contre partie d'une grosse somme assortie d'une menace non voilée
en cas de désobéissance, Longinus fut contraint d'exécuter ses
instructions. Parallèlement elle fit contacter discrètement Joseph
d'Arimathie et Nicodème, membres du sanhédrin l'assemblée des
prêtres. Ces deux personnages sont secrètement amis de Jésus et n'ont
pas voté sa mort.

Toute la difficulté consiste à sauver la vie de Jésus tout en


paraissant le mettre à mort. Ponce Pilate ordonne la flagellation et la
crucifixion de Jésus. En fait de flagellation, les soldats le frappent
avec un roseau (évangile de Matthieu), réquisitionnent un certain
Simon de Cyrène pour porter la croix jusqu'au lieu d'exécution.

La crucifixion était un supplice terriblement long et cruel, les


suppliciés mouraient lentement d'asphyxie sous leur propre poids, la
plupart agonisaient plusieurs jours, surtout si leurs pieds étaient
soutenus par une petite planche de bois sur lequel ils s'appuyaient
pour reprendre un peu d'air. Dans certaines circonstances on brisait

51
EDEN - ainsi soit-elle

leurs jambes pour “abréger leurs souffrances”, on savait être délicat,


j'imagine que la famille devait un peu graisser la patte des bourreaux.

Jésus est donc crucifié ainsi que deux voleurs. Contrairement à


une idée répandue, aucun évangile ne précise le fait qu'il ait été cloué
sur sa croix j'ai vérifié. Un soldat lui donne un mélange d'eau, de vin
et de jus de pavot connu à l'époque sous le nom de “Opion” dont
vient le nom d'opium. Le mélange alcool / opion est détonnant,
instantanément “il remit l'esprit”. Le moment du shabbat approchant
il était interdit de laisser des condamnés sur les croix, les soldats
brisèrent les jambes des deux voleurs toujours vivants, pas celles de
Jésus apparemment décédé. Joseph d'Arimathie demanda son corps
à Ponce Pilate qui s'étonna qu'il soit déjà mort. Jésus toujours inanimé
est alors placé dans le caveau construit par Joseph d'Arimathie, en
fait un trou creusé dans le flanc d'un rocher, puis exfiltré trois jours
plus tard, vivant...

La suite tout le monde la connait.

Mort aux yeux de tous il réapparait à ses apôtres, gens primaires


et crédules, puis Paul aurait eu une vision de lui sous forme d'une
lumière aveuglante sur le chemin de Damas, perpétuant ainsi pour
les siècles des siècles le dogme de la résurrection, Paul sut en faire
surgir le christianisme qui devint peu à peu la religion officielle du
monde romain puis domina une grande partie du monde.

Le document caché dans l'église serait donc le récit de la


véritable rencontre entre Paul et Jésus vivant et non ressuscité
après la mort, récit bien éloigné de l'histoire officielle de la vision
de Paul fondatrice de la chrétienté.

Je ferme le mail, éberluée et impressionnée. M A avait raison, si


le vieil Henri détient vraiment un tel document, écrit de la main même
de Saint Paul, ma fortune est faite, les occasions d'en tirer beaucoup
d'argent ne manqueront pas. Le Vatican sera prêt à payer pour le faire

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EDEN - ainsi soit-elle

disparaître, les religions concurrentes se battront pour l'avoir. Une


certitude, il faudra que je me protège, je risque de gagner beaucoup
de fric mais aussi de me faire tuer à chaque coin de rue, chaque
chapelle a ses fanatiques.

Provisoirement, je ne suis pas très en forme et ne me sens pas


capable d'assumer tous ces problèmes on verra un peu plus tard, après
mon accouchement et les élections, les documents sont à l'abri depuis
le 16ème siècle, ils m'attendront bien encore quelques mois.

53
EDEN - ainsi soit-elle

Dans l'œil du cyclone

Les auteurs.

Un cyclone est une perturbation atmosphérique monstrueuse qui


se déplace en tournoyant sur elle-même, générant des vents
cataclysmiques pouvant atteindre une vitesse de plus de 300 kms/
heure. La zone située en son centre, appelée « l’œil du cyclone », est
étrangement calme, épargnée par la tempête alors que tout est détruit
sur son passage en périphérie. Ce calme est toujours précaire car le
monstre avance...
De septembre 2011 à juillet 2012 Eden se retrouva dans l'œil du
cyclone, loin de tout problème autre que celui de sa grossesse.
Thierry Gould, le réanimateur qui avait constaté le décès de MA,
après un remplacement de deux mois sur l'ile de Saint Martin, se vit
proposer une mission en Australie. Le professeur Samueli dont nous
parlerons plus tard, n'arriva pas à le joindre et fut préoccupé par
d'autres soucis, son épouse Marie étant atteinte d'un cancer du sein.
Frédéric Lachand du commissariat de Grasse, au vu des résultats des
analyses Adn, reprit toute l'enquête avec son équipe sur les meurtres
du chemin de Saint Jacques de Compostelle, travail de titan. Il tira
un fil et toute la pelote se dévida petit à petit. Il mit plusieurs mois à

55
EDEN - ainsi soit-elle

se forger une opinion solide, tout d'abord il resta sceptique puis peu
à peu il fut bien obligé de se rendre à l'évidence et alerta sa hiérarchie:
une seule et même femme était vraisemblablement responsable d'au
moins six morts sur le chemin meurtrier et des deux jeunes garçons
de l'hôtel Campanile de Grasse, mais il ne put identifier la coupable.
Il était probablement confronté à une des plus grosses affaires de ces
vingt dernières années, pourtant il n'avait vu que la face émergée de
l'iceberg.
Henri le Solitaire était malheureux, plus aucune nouvelle de MA,
celui qu'il avait imaginé en sa naïveté être son fils spirituel. Il ne
savait pas encore qu'il était mort. Chaque jour il se rendait sur le banc
vert de la place, espérant toujours revoir Eden la sublime apparition
qui avait promis de revenir.
Eden accoucha le 2 février 2012, un peu avant terme, d'une jolie
petite fille qu'elle prénomma Emma en souvenir de Michel Ange, le
papa du bébé qu'elle surnommait M A. Emma est un dérivé du
prénom Emmanuelle qui signifie “dieu est avec nous”. Fin avril elle
avait retrouvé sa silhouette de rêve et repris ses entraînements de
taekwondo.
Grâce au scandale D S K qu'elle déclencha, vous vous en
souvenez peut-être, le 6 mai 2012 François Hollande, devenu le
candidat inattendu de la gauche, fut élu président de la république
française avec 51.64 % des suffrages exprimés, non par adhésion à
sa personne ou à son programme mais par rejet de son concurrent
Sarkozy. Il devint donc président par défaut, ce fut le début d'un grand
malentendu.
Le 10 juin, au terme d'une campagne électorale sans grand
suspens, Eric d'Alban fut élu député de la dixième circonscription des
Alpes Maritimes dès le premier tour de scrutin avec 56 % des voix .
De nombreux électeurs s'extasièrent devant le couple hollywoodien
formé par le nouveau parlementaire et sa ravissante colistière. À partir
de ce jour, la préoccupation majeure d'Eden fut de trouver le moyen
de se débarrasser rapidement et discrètement du bel Eric et de Camille
son jeune amant gay, pour s'installer dans le fauteuil du parlementaire
et atteindre ses objectif

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EDEN - ainsi soit-elle

Comme un vol de gerfauts

Cannes, 1er novembre 2012


Eden. Journal intime

Depuis plusieurs mois j'assiste à toutes les réunions en compagnie


d'Eric et je côtois les barons de L'UMP. Au début je dois plusieurs
fois me fâcher, confrontée au machisme et à la grossièreté de certains
parlementaires qui se croient tout permis, jusqu'au jour où dans un
couloir du palais Bourbon, je claque la figure d' un ministre socialiste
bien connu qui voulait caresser mes fesses, je décide moi-même de
qui peut toucher ou pas mon corps. Depuis ce jour, le microcosme
politique tient ses distances.

La construction de l'immeuble que je commercialise à Cannes


avance bien, le gros œuvre est pratiquement terminé fin octobre,
l'appartement témoin est décoré et meublé.
Le 1er novembre j'invite alors Eric d'Alban et Camille dans un
restaurant du bord de mer, le Cristal Beach. Après un repas bien
arrosé, dans un but bien précis je leur propose de visiter l'espace de
vente.

57
EDEN - ainsi soit-elle

Les deux hommes s'extasient poliment devant la décoration,


Camille par jeu enserre tendrement mon cou, ma tête commence à
tourner, j'ai chaud, je caresse chastement sa joue, il me serre dans ses
bras, je pose ma tête sur son épaule. Il cherche mes lèvres et m'em-
brasse goulûment, je déboutonne sa chemise, pose ma main sur son
torse, griffe légèrement son dos, effleure ses fesses, je défais sa cein-
ture, il ne bouge plus, tétanisé.

Je m’accroupis lentement devant lui en faisant glisser son


pantalon le long de ses fesses et de ses cuisses musclées, libère son
sexe gonflé, l'embrasse tout doucement du bout des lèvres, de ma
langue, joue avec sensuellement. Je le prends délicatement tout entier
dans ma bouche. Après quelques délicieuses secondes, je me redresse,
enlève mon pull over, le laisse tomber au sol, dégrafe mon soutien
gorge, provocante je caresse mes seins avec gourmandise. Il me
déshabille tout en embrassant ma nuque, mordillant mes épaules. Je
l'entraine sur le canapé, je pose ses mains sur ma poitrine, descend
ma petite culotte en dentelle noire et m'empale sur son sexe dressé.

Eric tout d'abord réticent et bougon se joint à nous..... il se


déshabille fébrilement se place derrière moi et me pénètre lentement
avec délectation, j'adore faire l'amour avec deux hommes, les deux
sexes s'activant en moi m'arrachent un gémissement sourd, mon
ventre palpite comme un petit animal. Tout s'accélère, après quelques
minutes, nous crions tous les trois. Les deux gays jouissent en moi
pendant un temps qui me parait infini, ils sont donc bi ?... Une voix
lointaine me parvient, on m’appelle, un homme m’appelle « Eden,
EDEN ! » cette voix me demande :
- Vous êtes souffrante ?

J'ouvre les yeux, je suis assise sur le canapé, habillée. Eric très
élégant dans son costume gris, debout devant moi, répète :
- Eden, vous êtes souffrante ?

- Non pourquoi ?

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EDEN - ainsi soit-elle

- Vous nous avez fichu la trouille, vous étiez absente et gémissiez


comme si vous étiez malade.

- Un petit vertige, rien de grave, je travaille trop.

Qu'est ce qui m'arrive... ? Le serpent dans ma tête se déchaîne, la


lumière rouge s'allume dans mon cerveau, si mes orgasmes ont été
imaginaires la nausée qui tord mon estomac est bien réelle. Comme
d'habitude, après, mes besoins d'homme se transforment en une
phobie meurtrière qui conforte mon projet originel.

Je convie mes pseudos amants à monter jusqu'au toit-terrasse


histoire d'admirer la vue panoramique sur la baie. Je sais que les
ouvriers n'ont pas fini de monter le garde-corps provisoire et en ce
jour férié de la Toussaint le chantier est désert. Je m'avance tout près
du vide, le vent souffle en rafales, Eric a peur et reste en arrière. Je
lui adresse alors mon sourire le plus aguicheur pour narguer Camille
et par jeu mets en doute le courage de ce petit con.

- Camille, tu n'es pas chiche de t'approcher !

Les hommes sont vraiment bêtes, ils veulent toujours montrer


qu'ils pissent plus loin que les autres, il suffit d'agiter la muleta. Gay
mais pas marrant, jaloux et blessé dans son orgueil de mâle, jamais
en retard d'une vantardise, Camille veut manifester sa vaillance en se
tenant tout près du bord comme moi. Il prend la main d'Eric terrorisé,
le tire vers lui. Je recule de trois pas. Levant leurs deux bras, imitant
De Caprio dans Titanic il crie “Nous sommes les maîtres du monde"
puis il serre son grand homme dans ses bras et tente de l'embrasser
sur la bouche, Eric le repousse en riant, quelques passants dans la rue
lèvent la tête.
Je mets mes écouteurs dans mes oreilles, cinquième symphonie
de Beethoven en sourdine je suggère d'un ton admiratif :

- Vous êtes trop beaux vous deux, vous devriez faire un selfie.

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EDEN - ainsi soit-elle

Il fouille dans sa poche pour sortir son portable et tenant toujours


Eric par la main se dirige vers le bord surplombant la cour pour être
face au soleil. Finalement c'est plus facile que je ne le pensais, je les
pousse dans le vide pendant qu'ils ont le dos tourné, comme j'avais
poussé Loïc mon frère violeur en 1989, mais cette fois je ne tombe
pas. Je monte le son de mes écouteurs, cette cinquième symphonie
est totalement à mon image, violente, intense, sauvage. En les
regardant chuter et s'écraser lourdement au sol je pense au vers de
Heredia : comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
malheureusement pour eux n'étant pas des faucons, les deux
tourtereaux rejoignent brutalement la cour encombrée de ferraille
cinq étages plus bas. Leurs corps mutilés ne sont pas beaux à voir...

Le responsable du chantier fut condamné à six mois de prison


avec sursis pour n'avoir pas respecté la législation sur la protection
contre les chutes en hauteur en rive de dalle conforme à la norme
NFEN 13374.

Moi, faible femme, inconsolable d'avoir perdu mon protecteur


et un bon camarade, j'expliquai aux enquêteurs que je n'avais rien pu
faire pour les empêcher de s'approcher du bord et horrifiée avais vu
Eric perdre l'équilibre en raison du vent et tenté de se raccrocher à
Camille, l'entraînant ainsi dans sa chute mortelle, des passants
témoignèrent de leurs gesticulations dangereuses.

Un des policiers fut ému par mes grands yeux innocents noyés
de larmes et me laissa son numéro de téléphone personnel, “au cas
où j'aurais besoin de lui”. Je sais ce que ça veut dire, mais après tout
un ami policier peut toujours servir et puis, quitte à séduire autant
séduire utile.

Martin Saubago, précédent député de notre circonscription et


mentor d'Eric d'Alban, me rappela en caressant mon épaule qu'il avait
toujours prédit que ce voyou de Camille causerait un malheur. Le
quotidien Nice Matin fit un bel article pour saluer le dévouement d'un

60
EDEN - ainsi soit-elle

député mort dans l'exercice de ses fonctions, les parlementaires


observèrent une minute de silence.

En application du premier alinéa de l'article LO 176 du code


électoral, le ministère de l'intérieur adressa une lettre au président de
l'assemblée nationale en lui indiquant que le siège d'Eric d'Alban
devenu vacant par suite de son décès, serait désormais occupé par
Marguerite Leroy, sa suppléante, jusqu'à la prochaine élection. Je
m'empressai de confirmer Marie Josée l'attachée parlementaire d'Eric
dans ses fonctions. Cette femme avait été la collaboratrice de Martin
Saubago pendant près de dix ans. Conscient de ses multiples qualités
et de ses connaissances du milieu politique, Eric l'avait gardée à son
service, elle me sera précieuse pour expédier les affaires courantes et
me mettre au courant des ficelles du métier.

La première partie de mes projets et non la moindre étant réalisée,


je m'apprête à passer à la suite prévue dans ma feuille de route : je
suis maintenant en pleine forme pour récupérer le secret du vieil
Henri et en tirer le financement dont je vais avoir besoin.

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EDEN - ainsi soit-elle

Eden... députée ?

Henri. Mémoires très privées


2 novembre 2012.

Le facteur a déposé La Dépêche du Midi sur le banc.


L'information s'étale en première page : “Eric d'Alban, député
de la 10e circonscription des Alpes Maritimes se tue, victime d'un
terrible accident”.

Je prends connaissance des circonstances du drame relatées dans


l'article qui se termine ainsi : “Conformément à la législation, la
suppléante d'Eric D'Alban, Madame Marguerite Leroy, occupera son
siège à l'assemblée nationale jusqu'aux prochaines élections”, et là
les bras m'en tombent, qui vois-je en photo ? Eden la sublimissime...
Je ne connaissais pas son vrai nom.
Là pour une fois je suis sûr qu'elle n'y est pour rien, je dois être
un peu parano, j'ai un peu honte de l'avoir soupçonnée des meurtres
d'Eauze et de ceux des deux jeunes garçons de Grasse, une députée
de la république ne peut pas être une meurtrière sinon où irions nous,
pauvre France !

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EDEN - ainsi soit-elle

Eden et Henri

Samedi 24 novembre 2012. 13 h. Lamothe Goas, Gers.


Henri. Mémoires très privées

Comme tous les jours après manger je vais sur la place et j'attends
Dieu sait quoi, assis sur le banc vert. Aujourd'hui j'ai froid je ne vais
pas rester longtemps.
Dans un mois tout juste ce sera Noël, je déteste cette fête qui me
fait prendre conscience un peu plus de ma solitude, pour moi pas de
cadeau, aucun bambin avec des étoiles dans les yeux, pas de cris de
joie ni de mystification délicieuse sur la prétendue existence du Père
Noël. La découverte de l 'inexistence du vieil homme rouge à barbe
blanche est un des premiers grands chagrins des gosses lorsqu'ils
apprennent la vérité, étonnez-vous après ça que les enfants se méfient
des adultes. Moi ce qui me surprend le plus c'est qu'ils continuent à
croire en Dieu.

En parlant de mensonge, vous savez sans doute que Jésus n'est


pas né le 25 décembre, l'Eglise ne pouvant éradiquer la célébration
du “Solis invicti, le soleil invaincu” marquant le solstice d'hiver,
décida finalement de récupérer cette fête païenne pour en faire

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EDEN - ainsi soit-elle

l'anniversaire du Christ, il n'y a pas de petit profit. Il n'est pas né non


plus l'année 0 de notre ère mais vraisemblablement au moins 4 ou au
moins 7 avant lui-même, amusant non ? Avec moi vous irez de
surprise en surprise, les miracles sont quelquefois là où on les attend
le moins !

Comme tous les jours je ferme les yeux et essaye de ressusciter


l'image du visage de la sublime Eden qui disparait peu à peu de ma
mémoire, il y a si longtemps que je l'espère en vain, reviendra-t-elle?
Se souvient-elle seulement que j'existe? Pourquoi Michel Ange ne
donne-t-il plus signe de vie, il avait promis de me rappeler, pourquoi
son numéro ne répond-il plus ?

Soudain je sens une présence, un parfum féminin, j'ouvre les yeux,


C'EST ELLE !

Alléluia, c'est Noël avant l'heure j'adore cette fête... ! Eden est là
devant moi avec ce regard fiévreux qui me transperce, son visage
d'ange, sa silhouette de déesse, elle a maintenant de longs cheveux
châtains cuivrés. Comment dois-je l'appeler, Madame le député ou la
députée ? Mon cœur s'affole j'ai peur de mourir sur le champ, je suis
sûr à ce moment de l'aimer jusqu'à mon dernier souffle. Je comprends
mieux l'expression tomber amoureux, pour certains il s'agit d'une
chute au cours de laquelle on perd toute faculté de réflexion et de
sens critique, pour moi cela signifie aimer au-delà de la tombe. Je ne
sais pas alors combien cette formule va se révéler malheureusement
adaptée à la situation.

Je sais que certains esprits chagrins doutent de ce que je viens de


dire et considèrent que les vieillards ne peuvent être amoureux. Que
savent-ils de ce qui se passe dans nos têtes et nos cœurs, de nos
voyages nocturnes au pays des remords et des regrets, croient-ils à la
fiction de l'eau calme de nos renoncements ? Pour nous le passé est
bien trop lointain, le futur se limite au lendemain, chaque jour
nouveau est un cadeau, c'est pourquoi chaque nouveau jour est appelé

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EDEN - ainsi soit-elle

le présent. Après tout, que nous ayons trente ou quatre vingt neuf ans,
chacun d'entre nous a l'âge de l'univers, croyez-en un physicien
nucléaire à la retraite, rien ne se perd rien ne se crée, tout se
transforme, les atomes constituant notre corps se recyclent sans fin,
ils ont peut-être été fleur, poisson, dinosaure, en tout cas ils ont tous
13 milliards huit cents millions d'années, à un ou deux jours près, hé
hé. Alors ne faites pas les malins, votre jeunesse est un état précaire
qui ne présage rien de bon.

Le temps aux plus belles choses


se plait à faire un affront
et saura faner vos roses
comme il a ridé mon front.

Ça fait moins rire, non ?

Avec sa belle voix douce légèrement enrouée terriblement sensuelle


elle me dit simplement :
- Bonjour Henri.

Soudain je suis heureux, un bonheur primaire et animal comme lors


des premiers moments de douceur du printemps lorsque d'odorants
feux d'herbes sèches embaument l'atmosphère. Cette banale salutation
est plus harmonieuse pour moi que toutes les musiques de l'univers,
comment ai-je pu vivre tout ce temps sans elle, ces mois
interminables où je croyais entendre sa voix dans tous les bruits du
monde ? Des larmes coulent de mes yeux, je suis trop heureux, oui
je sais je l'ai déjà dit. Elle rajoute avec un petit rire :

- Je vous fais une petite pipe de bienvenue ou préférez-vous voir mes


seins ?
Elle se souvenait de notre première rencontre, on avait bien rigolé.
Elle porte autour de son cou gracieux ma chaîne en or de chez Cartier.
Je fais tourner ma grosse chevalière autour de mon annulaire droit,
rituel secret pour canaliser mes périodes de forte émotivité, je cherche

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EDEN - ainsi soit-elle

M A du regard, peut-être est-il en train de garer leur voiture. Je lui


demande s'il est venu aussi, elle murmure à mon oreille :

- Je suis seule, il est mort, je l'ai tué.

Bien sûr je souris, la blague n'est pas du meilleur goût mais je


comprends parfaitement le second degré, elle suggère :

- On peut aller chez vous pour discuter?

Tout fier je l' emmène dans ma petite maison qui me parait d'abord
indigne d'elle puis illuminée par sa radieuse présence. Heureusement
ma femme de ménage avait bien tout rangé comme toujours. Michel
Ange sait où j'habite il nous rejoindra, je sors trois verres et la
bouteille de chartreuse verte que je n'avais pas touchée depuis sa
visite l'année dernière.

Elle répète doucement :

- Deux verres suffiront, Michel Ange est mort, je l'ai tué et pour moi
ce sera plutôt un whisky.

Je ne réalise toujours pas. Chaque être vit dans son monde, moi
imbécile heureux, je me crois encore au paradis. Il me reste une demi
bouteille de Chivas, nous trinquons comme deux vieux copains, à ma
grande surprise elle fait cul sec de son premier verre de whisky puis
allume deux Lucky Strike, m'en tend une. Je la ressers, elle descend
le deuxième verre comme s'il contenait une grenadine, puis un
troisième. Si les ivrognes du coin avaient assisté à la scène ils auraient
sûrement employé leur expression favorite pour exprimer leur
admiration envers ceux qui boivent comme des trous : elle a une
descente que je ne voudrais pas remonter en vélo. Les cons !
Elle ne vit manifestement pas sur la même planète, sans doute
désinhibée par l'alcool elle commence à parler, à sortir de sa tête tout
ce qu'elle gardait enfoui. Alors je comprends, enfin !

68
EDEN - ainsi soit-elle

Elle doit me prendre à ce moment pour son grand-père, son ami,


son confident, elle s'est sans doute imaginée que notre complicité
était totale, elle m'a peut-être vu comme un Michel Ange de
remplacement, alors elle m'a tout sorti.
Son enfance martyrisée par son aîné Loïc, sa rencontre avec MA,
leur brouille, son pèlerinage meurtrier, sa soirée partouzarde et
assassine avec le couple d' Ecossais d'Eauze, la découverte de
l'existence et de la mort de son violeur de frère, les demis aveux de
son père, les retrouvailles avec M A, l'exécution de son psychiatre,
de la policière et de ses deux adjoints s'étant trop rapprochés d'elle,
de Patrice Villemagne le violeur de randonneuses, l'existence du
Professeur Samueli, la rencontre avec Eric d'Alban, leur élection aux
législatives des Alpes Maritimes, son voyage à New-York où elle
prétend avoir manipulé D S K, la tuerie de la clairière divine,
l'exécution de Michel Ange, les deux adolescents saignés au
Campanile de Grasse après son délire sexuel, la poussée et la chute
mortelle d'Eric et Camille, la naissance de sa petite Emma, tout, et
avec beaucoup d'auto satisfaction.

Elle n'en finit pas de détailler et vanter ses techniques de combat,


elle est particulièrement fière de l'atemi mortel dans la trachée d'un
des adjoints de la policière mort par détresse respiratoire et du coup
fatal dans la poitrine de l'autre.

Vous voyez, finalement je ne la soupçonnais pas en vain, j'étais


même au-dessous de la vérité, je bénéficie sans doute d'un sens
supplémentaire sinon je ne sais pas pourquoi j'aurais toujours reconnu
en elle l'ange de la mort, c'est comme cela que je l'aimais dans mes
fantasmes sans vraiment réaliser ce que cela impliquait concrètement!

Trop isolée dans son monde, trop seule dans sa folie, elle ne peut
pas vivre sans partager ses délires. Devenue riche et députée des
Alpes-Maritimes, elle ne risque pas grand-chose et pense sans doute
que son immunité est totale, qui croirait aux divagations d'un vieux
fou s'il me venait l'idée de la dénoncer.

69
EDEN - ainsi soit-elle

J'en reste sur le cul, mon cœur se glace, c'est tellement énorme.
Tout d'abord je crois à une plaisanterie, puis à une affabulation
mais quand elle me sort qu'une voix nommée le serpent parle dans
sa tête et l'oblige à agresser certaines personnes, je prends la trouille
alors je fais le gars subjugué par son physique, elle a tellement
l'habitude de mener tous les hommes par le bout du sexe que plus
rien ne l'étonne.

Le malaise s'est vite installé, je me rends compte que j'avais


idéalisé quelqu'un qui n'existait pas, on ne jouait plus. La beauté, si
elle n'est pas adossée à des qualités plus solides, devient rapidement
invisible, très vite je n'ai plus vu en elle que sa monstruosité.

Après quelques heures passées en sa compagnie, un paquet de


Lucky Strike et la demi-bouteille de whisky, plus tard je ne sais plus
quoi penser, je suis face à un démon ou à une folle pour qui la
vie d'un être humain y compris la mienne semble n'avoir pas plus
d'importance que celle d'un poulet. Cette femme a, d'après son récit,
tué une douzaine de personnes de ses propres mains, assisté à
l'exécution de quatre autres, laissé agresser un gosse de dix ans mais
sauvé une fillette de 5 ans, cette dernière action l'ayant sanctifiée
d'après son cerveau malade. Elle me raconte tout cela en détail,
tranquille, certaine de mon approbation et de notre complicité.

Cerise sur le gâteau elle m'annonce avoir pris connaissance du


secret que je garde et son intention de repartir avec les documents.
Comme j'objecte fermement que ce n'est pas possible elle sourit
tendrement, fouille dans son sac, en sort un couteau qu'elle déplie
d'un coup sec.
De sa belle voix douce un peu enrouée terriblement sensuelle,
sans hausser le ton elle me dit :

- Henri, croyez-vous sérieusement que votre vie vaille moins que


quelques papiers moisis ?

70
EDEN - ainsi soit-elle

Tout bien considéré, envisagée sous cet angle, mon opposition


à ses projets parait nettement moins solide. Plus le terme de notre
existence se rapproche, plus on y tient, vous verrez.

En fait je vais vous faire une confession, je suis plutôt content


de cette menace, sous la contrainte je me sens libéré de toute
responsabilité. Finalement je suis impatient, depuis toutes ces années
j'ai été le gardien intellectuel de ce secret sans l'avoir jamais vu ! Une
petite angoisse me serre la poitrine, et si tout cela n'était que foutaises,
une blague de mon père, et si il n'y avait jamais rien eu dans la
sculpture, Eden risque de mal le prendre ? Allez j'avoue, je me doute
de ce qu'elle a derrière la tête mais là tout en trainant un peu les pieds
pour la forme, j'agis en modeste auxiliaire, de toutes façons je n'ai
pas le choix, une personne qui agite un couteau bien aiguisé à
cinquante centimètres de votre cou avec la ferme intention de s'en
servir contre vous a toujours raison.

Nous allons ensemble chez Robert un de mes vieux potes, c'est lui
qui détient les clés de l'église en sa qualité d'adjoint au maire. Sous
prétexte de montrer la Piéta à une journaliste de Cannes qui veut faire
un article sur les trésors religieux de notre France profonde, je lui
emprunte le lourd trousseau. Avec un clin d'œil complice il enfile son
manteau, nous suit et murmure en montant dans sa vieille Peugeot
504 noire :

- Sacré Henri, toujours sur les bons coups ! Tu me rendras les clés
demain, ce soir je vais faire mes courses.

J'explique à Eden :

- C'est mon meilleur ami. Mossieu Robert a ses habitudes, il part tous
les samedis à 17h tapantes faire ses courses au magasin Leclerc
d'Eauze, seul, ça lui permet d'échapper à la surveillance de sa femme
Monique, il peut fumer deux ou trois clopes et boire un coup.

71
EDEN - ainsi soit-elle

- Il conduit encore à son âge ?

- Bien sûr, il n'a que 86 ans, de plus l'antiquité qui lui sert de voiture
connait mieux la route que lui, elle l'a ramené plus d'une fois, hé hé.

J'aurais mieux fait de me taire, les seules paroles dont on n'est pas
responsable sont celles qu'on n'a pas prononcées, celles-ci furent de
trop vous comprendrez plus tard.

72
EDEN - ainsi soit-elle

Sacrilège

La nuit est presque tombée, l'église est dans la pénombre, je me


suis muni d'une lampe de poche et d'un long fil de fer. Les documents
se trouveraient dans le thorax du Christ d'après les indications de mon
père. Lorsque j'étais jeune, un jour il m'a expliqué :

- La Piéta qui mesure environ 1m20 représente la Vierge tenant dans


ses bras le cadavre dénudé de son fils. Une excroissance oblique en
bois partant de la sculpture de Marie aboutit dans un trou creusé dans
le corps de Jésus, ce système de tenon et mortaise permet de tenir
leurs corps pressés l'un dans l'autre. Les documents sont dans le trou
qui a été creusé également du haut vers le bas. Cachette simple
et géniale, les documents restent cachés au fond sous l'effet de la
gravité.

Eden est forte comme un homme, nous séparons les deux


sculptures. Le corps du Christ n'étant plus soutenu tombe sur
les dalles en pierre. Je ne suis pas très à l'aise, bien que je sois
pratiquement athée j'ai l'impression de commettre un sacrilège. Nous
retournons la statue en bois, relativement légère, tête en bas pour faire
sortir les documents. Rien ! J'examine le trou avec ma lampe de

73
EDEN - ainsi soit-elle

poche. Rien ! J'introduis le fil de fer et là je comprends, le trou est


bouché par ce qui doit être de la cire. Eden retire le bouchon avec la
pointe de son poignard et quelque chose glisse doucement sur le sol,
un cylindre sans doute en terre cuite d'une vingtaine de centimètres
de long et de cinq ou six centimètres de diamètre. Elle le met dans
son sac, sourit, me colle un baiser sur la joue et me dit :

- Henri, vous aviez raison depuis le début, il y avait une bombe dans
l'église, elle est maintenant à moi et j'ai bien l'intention de transformer
cette bombe en machine à cash, le Vatican va être ravi de payer pour
faire disparaître ces documents.

Nous replaçons les deux sculptures dans leur état initial. Elle est
partie tout de suite après, en possession de ce qu'elle est venue
chercher je ne l'intéresse plus. Je croyais naïvement que nous allions
faire équipe, je m'attendais un peu à une association. Je retiens mes
larmes. J'ai un vrai chagrin, depuis deux ans j'attendais son retour,
c'était devenu ma raison de vivre, mes derniers instants de pseudo-
jeunesse et tout s'effondre, je redeviens ce que je n'ai jamais cessé
d'être, un vieillard ordinaire. Pauvre Henri qu'est-ce que tu croyais ?
Même les vers que tu te racontes depuis si longtemps ne font plus
illusion...

Quant à moi j'ai quelques charmes


qui sont assez éclatants
pour n'avoir pas trop d'alarme
sur les ravages du temps.

Encore cinq minutes Monsieur le Bourreau, je voudrais aimer et


être aimé une dernière fois. Trop tard, tu es un ancêtre maintenant et
même si tu ressembles à Jean D'Ormesson, la carrure en plus, tu n'es
plus objet de désir, un jour ou l'autre il faudra bien l'admettre. Je
gardais tout de même au fond de moi un reste d'affection et
d'admiration pour elle, prêt à tout pardonner, je n'ai jamais su résister
à une jolie femme.

74
EDEN - ainsi soit-elle

Je prends quelques notes de tout ce qu'elle m'a raconté pendant


que je me souviens encore des noms, des dates, des lieux. Concernant
les documents je tourne deux jours le problème dans ma tête, que
faut-il faire ? Mon père m'a fait jurer de ne jamais chercher à utiliser
le secret à mon profit et de le défendre bec et ongles, je ne sais pas
s'il aurait mieux réussi que moi. J'ai tout de même un peu honte, si je
n'avais pas tant parlé pour faire mon intéressant aux yeux d'Eden, les
documents seraient toujours en sécurité dans leur cachette. Ce qui est
fait est fait, maintenant il faut réagir. Eden a parlé du Vatican, une
conclusion s'impose, le plus urgent serait de prévenir les autorités
catholiques.

Grâce à Pythagore le fils de ma voisine, et plus par acquit de


conscience que par souci d'efficacité, je contacte par mail le journal
La Croix sans trop espérer une réponse, si personne ne communique
en retour avec moi tant mieux, j'aurai fait mon boulot et me sentirai
dégagé de toute responsabilité quant à la suite. À ma grande surprise
ils m'ont répondu et mis en relation avec un de leurs chroniqueurs,
O… V….., le spécialiste des religions que je vois souvent sur la Cinq
dans l'émission C dans l'air. J'adore ce type étonnant.

Mon message a manifestement excité sa curiosité, intelligent,


immensément cultivé et amusant, il m'a reçu chez lui, écouté et a
tout de suite percuté. Il a ses entrées partout, grâce à lui je pus discuter
par Skype quelques instants avec Aquilino Savarotti, le nouveau
majordome de Benoit XVI, j'espère qu'il a discerné l'importance de
mon récit. Je lui ai proposé de l'aider il m'a remercié poliment mais
je ne suis pas sûr de sa sincérité. M'a-t-il seulement cru ? Il est vrai
que mon histoire est tellement dingue...

75
EDEN - ainsi soit-elle

Le secret de Paul

Eden. Journal intime

J'ai récupéré le fameux secret de mon vieil adorateur. Je dois dire


que jusqu'au bout je suis restée sceptique, il y a de quoi. Une petite
église du Gers abritait un document qui va reléguer les manuscrits de
la mer morte et ceux de Nag Hammadi au rang d'aimable plaisanterie.
Je suis repartie tout de suite pour Cannes où je suis arrivée au petit
matin.

Le cylindre en terre cuite est maintenant sur ma table, porteur de


tous mes espoirs et de tous les dangers, il va falloir la jouer fine. S'il
abrite effectivement les documents relatant la rencontre entre Paul et
Jésus vivant et non ressuscité, récit bien éloigné de l'histoire officielle
de la vision lumineuse, fondatrice de la chrétienté, ma fortune est
faite mais je risque d'être assassinée à tous moments si je dévoile mon
identité, alors je commence à imaginer une astuce pour ne jamais
apparaître dans les transactions futures.
Dans la seconde partie de son mail codé, M A m'a donnée des
instructions et une mise en garde. J'ai la désagréable impression qu'il
me prenait pour une blonde :

77
EDEN - ainsi soit-elle

“Il y a sur terre 2 milliards 400 millions de chrétiens se divisant entre


catholiques, orthodoxes, protestants, anglicans, chrétiens d'orient et
d' Ethiopie, nestoriens, évangélistes, témoins de Jéhovah, mormons,
baptistes, méthodistes, pentecôtistes, saints des derniers jours,
adventistes du septième jour, maronites, coptes, presbytériens,
puritains, moonistes, scientologues, méthodistes, cavaliers de
Collomb, il me faudrait plusieurs pages pour énumérer tous les
avatars et sectes exotiques se réclamant de la chrétienté... Tous ces
croyants, en toute liberté de choix apparemment, font vivre plus ou
moins bien, grâce à leurs dons, legs de fortunes financières ou
foncières, quêtes, denier du culte, impôt clérical etc... un nombre
ahurissant de prêtres, archiprêtres, évêques, archevêques, cardinaux,
pasteurs, prédicateurs, gourous, popes, métropolites, exarques,
higoumènes, archimandrites, cénobites, chanoines, abbés, abbesses,
diacres, moines, franciscains, jésuites, bénédictins, chartreux,
missionnaires, maristes, religieuses, carmélites, j'en passe et des
meilleurs.
Le christianisme, source claire et pure à l'origine, est devenu une
des structures maffieuses la plus élaborée de tous les temps. En
particulier l'Institut pour les œuvres de la religion, I.O.R. dit à tort
“banque du Vatican” l'organisme financier le plus montré du doigt
pour ses relations avec la Maffia, gère des milliards provenant en
principe du denier de Saint Pierre. De nombreux scandales sont
liés à son fonctionnement et à celui de l'aPSa (administration du
patrimoine du siège apostolique) : blanchiment de fonds issus de la
criminalité, meurtres, suicides, investissements plus que douteux dans
des activités de vente d'armes, trafics en tous genres, opacité totale
sur la provenance et l'utilisation des capitaux circulants... et les papes
n'y peuvent rien. Si le pauvre Jésus revenait sur terre, il ne saurait
plus où donner les coups de bâtons pour chasser les marchands du
temple.
Tout cela au nom du Christ qui assurait qu'il serait plus facile à
un chameau de passer dans le trou d'une aiguille qu'à un riche
d'entrer dans le royaume des cieux. Finalement ce royaume doit être
le seul endroit où l'on ne risque pas d'être emmerdé par les religieux.

78
EDEN - ainsi soit-elle

Tout ceci repose sur un fonds de commerce étonnant :


Jésus serait mort sur la croix puis serait ressuscité, démontrant
par son exemple la possibilité pour tous les hommes d'accéder à la
résurrection de leur chair et à la vie éternelle, ni plus ni moins !
Maintenant imaginons que quelqu'un dise :
« Ce fonds de commerce est une fumisterie, j'en ai la preuve
absolue ! »... Combien de temps pense-tu qu'il lui resterait à vivre ?
Il aurait contre lui l'agressivité des gens de bonne foi meurtris dans
leur croyance, celle des fous furieux toujours prêts à supprimer les
malheureux qui ne pensent pas comme eux et surtout les moins
visibles et les plus dangereux, tous ceux qui comprendraient
immédiatement que la fête financière est finie. Bien sûr, les Français
sont en majorité déchristianisés, ils ne verront pas immédiatement la
violence du message, mais va expliquer ça en amérique du Sud ou
en afrique !
Puis supposons que cette preuve tombe entre les mains d'une
femme ou d'un homme machiavélique pour ne pas dire diabolique,
suffisamment intelligent pour se prémunir préalablement contre toute
attaque, afin de se servir de ce pouvoir pour exercer un chantage
financier ou de toute autre nature contre les plus hautes instances du
système?
C'est exactement ce que nous allons faire.

Pour l'instant ne cherche surtout pas à ouvrir le cylindre dans


lequel sont préservés les documents, ils se détruiraient sans doute. Il
faut absolument que ce soit un laboratoire spécialisé disposant du
savoir faire, des équipements nécessaires, des locaux possédant les
caractéristiques adéquates : taux d'hygrométrie, température, etc...
qui fasse les analyses. D'après Henri, dans le cylindre en terre cuite
se trouveraient un rouleau de papyrus datant du 1er siècle de notre
ère, écrit de la main même de l'apôtre Paul en Grec de la Koinè et
un rouleau de parchemin datant du 16ème siècle rédigé en hébreu,
copie de précaution du papyrus dont il reprend scrupuleusement les
termes plus un ajout concernant le livre sacré d'une autre religion.
Oublie cet ajout, il est trop dangereux.

79
EDEN - ainsi soit-elle

Dans un premier temps, si le papyrus est trop dégradé il ne faudra


en réaliser qu'une datation, le texte du parchemin sera suffisamment
éloquent pour monnayer l'ensemble...”

J'arrête ma lecture. Je ne sais pas ce que vous en pensez, il a voulu


bien faire et me protéger mais je trouve qu'il me prend un peu pour
une courge, non ? En parlant de courge, une petite angoisse me vient,
l'impression d'avoir fait une erreur. J'aurais peut-être dû supprimer le
vieil Henri, il m'a fait boire, je lui ai raconté trop de choses. D'un
autre côté M A avait raison, il est dingue de moi, un de plus. Il sera
toujours temps de le faire taire s'il s'agite et puis qui écouterait son
histoire ? La parole d'un vieux sénile contre celle d'une députée de la
république..

Comme disait un SS gardien au camp d'Auswitch à un des rares


évadés repris : tu voulais raconter ce qui se passe ici, c'est trop
énorme qui t'aurait cru ?

80
EDEN - ainsi soit-elle

Le chiffre de la bête

20 décembre 2012 . Rome, place Navone.

Dans un des petits salons particuliers de l'hôtel Martis Palace


quatre hommes sont assis autour d'une table ronde : Aquilino
Savarotti, nouveau majordome du pape Benoît XVI, Lorenzo
Bartolozzi récent président du comité de surveillance de L'Institut
pour les œuvres de la religion ( IOR), “banque du Vatican”, Adolfo
Nicolaïs supérieur général des jésuites dit “le général” et Claude
Ange Dubost un jeune jésuite français en mission au Mexique rappelé
en urgence à Rome.
Le majordome prend la parole :

- Messieurs, je vous remercie de la rapidité avec laquelle vous avez


bien voulu répondre à mon appel. L'affaire qui nous réunit est d'une
gravité extrême et demande de notre part un secret absolu, si quelque
information que ce soit devait sortir de cette pièce, je ne répondrais
pas des conséquences. Nous avons reçu il y a quelques jours, en
provenance d'un cabinet d'avocats parisiens, une offre de vente de
documents très particuliers, cette offre est limitée dans le temps.
Analysé par deux laboratoires distincts indépendants au moyen de la

81
EDEN - ainsi soit-elle

méthode dite du carbone 14, il s'agirait d'un papyrus datant du 1er


siècle de notre ère chrétienne, donc plus ou moins contemporain de
l'existence de Jésus, et d'un parchemin du 16ème siècle. Comme
vous pouvez le remarquer je parle au conditionnel, je ne sais pas
encore si nous sommes face à une énorme escroquerie, une mauvaise
plaisanterie, une tentative de chantage ou pire. À tout hasard j'ai mis
une option sur la vente sous condition d'expertise des pièces vendues
et de la vérification de leur authenticité. L'option est valable vingt et
un jours depuis hier.

Le président de l'IOR consulte sa Rolex :


- J'ai une réunion de mon conseil de surveillance dans une heure et
je ne vois pas en quoi je peux être concerné par une antiquité
quelconque, je ne suis qu'un financier.

- Rassurez-vous il va être aussi question de finances. Dans le livre de


l'Apocalypse le nombre de la bête est 666, le chiffre de celle qui nous
menace est plus élevé, vingt millions pour être plus précis et il s'agit
d'euros !

- C'est une blague ? Vingt millions d'euros pour un faux qui va nous
apprendre encore que Jésus était marié, ou lesté de nombreux frères
et sœurs ce qui remettrait en cause votre dogme de l'immaculée
conception, ou pourquoi pas homosexuel ?

Aquilino Savarotti tape brutalement sur la table :

- Ecoutez moi. Quel est le montant des dépôts enregistrés l'an dernier
par l'organisme que vous dirigez ?

- Officiellement 6 milliards d'euros, officieusement beaucoup plus.

- Vous êtes la banque du Vatican, il y a deux milliards quatre cents


millions de chrétiens dans le monde dont un milliard deux cent
cinquante millions de catholiques et ce sont eux qui nous font vivre,

82
EDEN - ainsi soit-elle

moi, vous, votre banque et votre conseil de surveillance. Quel est


l'évènement qui a fait de notre église ce qu'elle est ?

- L'existence de Jésus.

- Non, ce qui a fait la grandeur et la richesse de notre religion à travers


les siècles, qui a occasionné tant d'espoir, de guerres, de morts et de
douleurs c'est le fait que Jésus soit mort sur la croix et qu'il soit
RESSUCITÉ. Et bien messieurs, le document du 1er siècle qui nous
est proposé serait tout simplement la preuve que cette mort et cette
résurrection sont des foutaises, je vous laisse imaginer la suite si cette
information se révélait exacte et était portée à la connaissance du
public.

Le jeune jésuite consulte son supérieur général du regard.


Encouragé il demande d'une voix douce :
- Excusez moi, mais justement je n'imagine pas comment un tel
document pourrait exister et même, dans ce cas sa datation au carbone
14 ne préjugerait pas de son authenticité mais seulement de son
ancienneté.

Le majordome soupire :
- Vous avez presque raison, c'est d'ailleurs pour nous aider à démêler
le vrai du faux que j'aimerais que vous partiez rapidement pour la
France, nous avons peu de temps pour nous faire une opinion et
prendre une décision, vous disposerez seulement de sept jours.

Il se tourne vers le banquier :


- Lorenzo avant que je vous libère pour rejoindre votre réunion
j'aimerais que vous me répondiez franchement. En cas de besoin,
pourriez-vous, en toute discrétion et rapidement faire virer vingt
millions d'euros au vendeur des documents.

- Comme vous le savez, la Deutsche Banque gère les paiements


monétiques au sein de la cité Vaticane et l'IOR est actuellement dans

83
EDEN - ainsi soit-elle

le collimateur du comité d'experts Moneyval, dépendant du conseil


de l'Europe. Nous sommes soupçonnés de blanchiment de capitaux
et même de financement occulte du terrorisme, nous marchons sur
des œufs, nous devons être extrêmement prudents. S'il s'agit d'un
paiement officiel et légal pas de problème, vous n'aurez pas besoin
de moi par contre, si vous envisagez un virement très discret, il faudra
un habillage, un montage très complexe et une infinie prudence,
et je ne tiens pas à être acculé à la démission comme Ettore
Gomi Tedescho mon prédécesseur.... Pour vous répondre clairement,
l'opération sera longue et compliquée mais pas impossible.

- Je vous remercie.

84
EDEN - ainsi soit-elle

Abracadabrantesque

Lorenzo quitte le petit salon, Aquilino Savarotti fait signe aux


deux jésuites de rester assis.
Dès qu'ils sont seuls, le majordome reprend :
- Messieurs, je n'ai pas voulu tout dire à notre ami banquier, les
banquiers ne comprennent rien aux valeurs spirituelles. L'affaire est
bien plus grave que vous ne le pensez. Il y a tout juste quinze jours
j'ai eu un contact par Skype avec un français, un vieillard nommé
Henri, recommandé par mon ami Odon V…... Pour faire plaisir à
Odon, j'ai écouté poliment son protégé mais d'une oreille distraite, il
m'a paru totalement farfelu, l'histoire qu'il m'a racontée est tellement...
je cherche le mot adapté et je ne le trouve pas...

Le jeune jésuite sourit et suggère gentiment :


- Si vous cherchez un terme qui désigne une histoire folle, il existe
en français l'expression “abracadabrantesque”.

- Voilà, c'est abracadabrantesque, merci. Votre général m'a dit


beaucoup de bien de vous, il m'a loué votre intelligence et votre
habileté à résoudre des problèmes ardus, mais c'est surtout votre
qualité de spécialiste en langues anciennes qui nous intéresse. Avec

85
EDEN - ainsi soit-elle

son accord vous allez repartir pour la France et enquêter sur cette
affaire. J'aimerais que vous me donniez votre avis sur les documents
proposés puis rencontriez le vieillard qui nous a contacté et semble
vouloir nous aider mais je me méfie. Toute la manipulation serait,
d'après lui, initiée par une femme et motivée uniquement par l'argent
ce qui serait moindre mal. Essayez de clarifier tout cela, discerner le
vrai du faux, nous aviserons alors de l'attitude à adopter : discuter,
payer ou... contre-attaquer.

- Sa sainteté Benoit XVI est-il au courant de ce problème et de ma


mission ?

- Non. Pour le moment je préfère protéger le Saint Père qui est


actuellement très affecté par des soucis de gouvernance et de
nombreuses accusations de pédophilie concernant des membres de
notre clergé, son prédécesseur Jean Paul II ne s'était jamais intéressé
à ce sujet douloureux, il avait d'autres préoccupations.

- Puis-je savoir en quoi les documents en cause sont différents de tous


ceux qui surgissent régulièrement et que l'église traite par le mépris.
Aquilino et Adolfo se consultent du regard. C'est le général des
jésuites qui s'y colle :

- Vous voulez vraiment savoir ? Vous connaissez bien sûr celui qui
se définissait comme “l'avorton de Dieu”.

- Bien sûr.

- Et bien un papyrus a été découvert en France dans une petite église


du Gers. Rédigé en grec de la koinê, il a été vraisemblablement été
écrit par “l'avorton de Dieu”... l'apôtre Paul lui-même. Vous lisez le
grec ancien je crois ?

- Outre ma langue maternelle je parle anglais, italien, espagnol, russe,


je lis le latin bien sûr, le grec ancien et moderne, l'arabe, les

86
EDEN - ainsi soit-elle

hiéroglyphes égyptiens, l'hébreu et passablement l'Araméen. En ce


moment je m'initie aux glyphes mayas.

La voix du général des jésuites se transforme en murmure :


- Vous savez que Paul était le chef de la police du Sanhédrin, à ce
titre il était en route pour Damas afin d'exécuter tous les adeptes de
la nouvelle secte que l'on commençait à appeler “Chrétiens”. Sur son
chemin il aurait eu la vision d'une lumière intense, entendu la voix
de Jésus et se serait converti, en fait il serait pratiquement le vrai
inventeur du christianisme universel. Dans ce document écrit de sa
main, Paul donne une version très différente de sa rencontre avec
Jésus sur le chemin de Damas. En résumé, il aurait été approché par
Jésus, vivant. Celui-ci lui aurait expliqué avoir été sauvé par Claudia
Procula la femme de Ponce Pilate, elle aurait payé le centurion
Longinus pour qu'il lui administre une boisson anesthésiante, ne lui
brise pas les jambes sur sa croix et le mette à l'abri dans le tombeau
prêté par Joseph d'Arimathie, en fait un trou creusé dans un rocher.
Je vous épargne provisoirement les détails. Prions pour que nous
soyons en présence d'un faux.

- Pardonnez-moi mais qui saura dire la vérité ? Le document est peut-


être authentique mais l'histoire qu'il raconte totalement imaginaire.

- Claude, vous avez raison, mais les évangiles eux-mêmes ne sont-


ils pas sujets à caution ? Ils ont été écrits près d'un siècle après des
évènements qui sont passés totalement inaperçus au moment où ils
se déroulaient, racontés par des gens qui rapportaient des faits qui
leur avaient été confiés par des narrateurs qui souvent étaient absents
de l'endroit où tout ceci se passait. L'église a retenu quatre récits, ceux
selon Marc, Mathieu, Jean et Luc.

Savarotti renchérit :
- Marc et Mathieu n'étaient pas présents lors de la crucifixion
puisqu'ils s'étaient enfuis lors de l'arrestation de Jésus. Il y a tellement
de Jean dans cette histoire que personne ne connait exactement celui

87
EDEN - ainsi soit-elle

de l'évangile, et Luc était un médecin grec qui vivait bien loin de


Jérusalem à cette époque, les textes sont donc fortement sujets à
caution. Pour en revenir au document du 1er siècle qui nous
préoccupe, il me semble que si la datation est juste, le document est
forcément authentique, nul à son époque ne connaissait Saint Paul
sous l'appellation “l'avorton de Dieu”, formule qu'il était seul à
utiliser. Quant à l'histoire qu'il raconte, si l'on fait pour une fois
abstraction de notre foi pour se concentrer sur les faits relatés, elle
tient tout à fait la route. En résumé, si ce document tombe entre les
mains de gens mal intentionnés, ce qui est peut-être le cas, nous allons
au-devant d'un cataclysme, l'apocalypse prédite par un autre Jean :
l'explosion de la chrétienté.

- Pardonnez-moi encore mais l'Eglise a survécu a bien d'autres


avanies.

- Puisque vous êtes français, je vais vous raconter un incident


directement lié à notre préoccupation, avez-vous déjà entendu parler
du trésor de Rennes le Château découvert par l'abbé Saunière, curé
de ce petit village de l'Aude, à la fin du 19e siècle ?

- Oui, je me suis même rendu sur les lieux avec mes parents lorsque
j'étais adolescent, à l'époque beaucoup de gens étaient fascinés par
ce mystère. Le sous-sol de la commune a été transformé en gruyère
par des aventuriers avides de trouver ce que l'on pensait être la fortune
de Blanche de Castille, celle des Mérovingiens ou même la caisse
commune des cathares prétendument enfouie quelque part sous le
village, jusqu'en 1965 où un chercheur lassé d'utiliser la pelle et la
pioche utilisa la dynamite pour avancer plus vite, le maire prit alors
un arrêté interdisant toute fouille.

- Il n'y avait pas de trésor. Lors de travaux dans l'église en 1892, l'abbé
Saunière découvrit dans un des piliers en bois supportant l'autel
une fiole contenant un parchemin. Sous une dalle il trouva aussi
une marmite contenant quelques objets précieux cachés durant la

88
EDEN - ainsi soit-elle

révolution. À partir de ce moment, Saunière commença à disposer


d'un train de vie somptueux. Vous n'allez pas en croire vos oreilles,
cette richesse subite était tout simplement le fruit d'un chantage
exercé par l'abbé au détriment du Saint Siège. Il avait trouvé ce que
le vieillard nous a assuré être une copie du document original que
l'on cherche à nous vendre aujourd'hui. Dans le contexte de la fin du
19ème siècle où la république française cherchait à “bouffer du curé”,
ce qui a d'ailleurs abouti à la loi de 1905 sur la séparation des églises
et de l'état, catastrophique pour les catholiques, un tel document, vrai
ou faux, aurait fait l'effet d'une bombe. L'abbé n'étant pas trop
gourmand,, le Vatican a préféré payer. Saunière fit alors courir le
bruit qu'il avait trouvé un trésor, passa plusieurs nuits à effacer des
inscriptions sur quelques tombes dans le cimetière communal pour
accréditer sa thèse. L'évêque de Carcassonne, supérieur hiérarchique
du curé fut tenu à l'écart des tractations. Alerté par certains paroissiens
inquiets des dérives de leur prêtre et de ses fréquentes absences, il lui
interdit d'exercer son ministère, interdiction qui fut cassée par Rome.
Le document fut brûlé à sa mort par sa servante Marie Dénarnaud.
Nous nous retrouvons cent ans plus tard victime du même chantage
mais à la puissance mille. Avec la montée en puissance de l'Islam,
imaginez ce qui arriverait si l'Arabie Saoudite, l'Iran ou une secte
djihadiste se retrouvait en possession d'un tel document. Le séisme
religieux qui en découlerait... mais je préfère ne pas y penser !

- Pouvez vous me préciser l'étendue de ma mission ?

- Il faut impérativement que vous accédiez aux documents, que vous


les authentifiez dans la mesure du possible puis contactiez Henri pour
connaître la genèse de cette affaire. Dans un second temps, essayez
d'identifier celui ou celle qui est derrière tout cela, évaluez sa fiabilité,
assurez-vous que cette proposition de vente n'a pas été faite à d'autres.
Je me répète, mais vous disposez pour cela de sept jours pas un
de plus, nous vous donnerons alors éventuellement de nouvelles
instructions. Nous sommes face à un dilemme terrible, soit nous ne
payons pas et le document atterrira dans d'autres mains, soit nous

89
EDEN - ainsi soit-elle

payons et le fait même de payer crédibilisera un maître-chanteur qui


n'attend peut-être que cela pour déclencher un séisme médiatique.
Vous trouverez dans cette enveloppe les coordonnées du cabinet
d'avocats, celles du vieillard français, 2 000 € en espèces pour vos
premiers frais ainsi qu'une carte de crédit, votre billet d'avion et à
votre arrivée en France la réservation d'une voiture pour six jours.
J'insiste sur le caractère ultra confidentiel de nos démarches, pour le
moment nous agissons de notre propre initiative en marge de la
légalité et serons peut-être amenés à prendre des mesures radicales.
En cas de bavures, nous risquons notre réputation et notre tête,
la condamnation de Paolo Gabriele, l'ancien majordome de sa
sainteté est encore dans toutes les mémoires, vous pouvez bien
entendu “refuser” d'effectuer ces démarches.

Le jeune jésuite sourit.

- Vous n' ignorez pas le vœu d'obéissance qui nous lie au supérieur
de notre ordre, nous sommes tenus d'observer ses instructions Perinde
ac cadaver, à la manière d'un cadavre, dès qu'il a parlé nous ne nous
appartenons plus.

Adolfo Nicolaï, supérieur général des jésuites, confirme :

- Vous êtes notre meilleure chance de régler ce problème en douceur,


je compte sur vous, ramenez-nous la certitude que ce document est
un faux, dans le cas contraire que Dieu ait pitié de nous, en attendant
qu'il vous guide et nous garde.

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EDEN - ainsi soit-elle

Moins visible, plus dangereux

Lorenzo Bartolozzi, nouveau président du conseil de surveillance


de l'IOR banque du Vatican, avait semblé, à tort, peu préoccupé par
l'affaire. Contrairement aux apparences il avait immédiatement
compris la gravité du problème et ne comptait pas sur Dieu pour le
régler, il avait une opinion plus tranchée sur le sujet...

Michel Ange dans son mail post-mortem, pensait sans doute à


quelqu'un comme lui lorsqu'il attirait l'attention d'Eden sur “les
moins visibles et les plus dangereux, ceux qui comprendraient
immédiatement que la fête financière est finie”...

Dès sa sortie du Martis Palace, bien décidé à siffler la fin de la


récréation, il passa un coup de téléphone qui déclencha une grande
agitation dans un certain milieu.

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EDEN - ainsi soit-elle

Le visage de la bête

Samedi 28 décembre 2012, 11h.


Henri. Mémoires très privées

Le garçon qui est devant moi me plait bien. Il doit avoir trente
cinq ans tout au plus, il s'appelle Claude Ange Dubost. C'est un grand
gaillard de 1m80, ses cheveux frisés sont très bruns, une petite
cicatrice barre son sourcil gauche. Au début je ne l'ai pas cru lorsqu'il
m'a annoncé être jésuite, je n'avais encore jamais vu de religieux en
jean rouler en BMW, de location m'at-il précisé, preuve qu'il ne
faut pas se fier aux apparences. Il m'a appelé mardi de Rome pour
m'annoncer son arrivée, Eden essaie sans doute de monnayer mon
secret alors le Vatican me prend enfin au sérieux.
J'aime bien ce type et ses manières. Poliment il me serre la main,
m'adresse un beau sourire triste et aborde tout de suite le sujet. Sur
sa demande je lui raconte tout ce que je sais sur cette histoire ainsi
que l'implication d'Eden. Il écoute attentivement sans m'interrompre
puis suggère :

- Vous êtes le seul qui puissiez m'aider, vous semblez connaitre les
tenants et les aboutissants de cette histoire, il faut absolument que je

93
EDEN - ainsi soit-elle

sache qui se cache derrière tout ça, quelle est sa vraie motivation.

Semblez connaitre ! il est gonflé, il commence à moins me plaire,


s'il doute de ce que je lui raconte la discussion va se terminer très
rapidement :
- La motivation d'Eden, je viens de te la dire, sans aucun doute le fric.

- Une femme seule aurait d'après vous les capacités et l'envergure


nécessaires pour monter une opération à vingt millions d'euros,
permettez-moi d'en douter ! Il faut absolument que je m'assure que
le fait de payer ne donne pas une crédibilité à quelques islamistes
radicaux qui disposeraient alors d'une arme plus destructrice qu'une
bombe atomique.

Vingt millions d'euros ! Elle n'a peur de rien la gamine, que veut-
elle faire avec autant d'argent. Elle pourrait au moins un peu partager,
non ? En attendant, le jeune jésuite me parait bien têtu et macho, il
ne m'a pas cru pas lorsque je lui ai expliqué qu'une seule et unique
diablesse était derrière tout ça, en fait il applique une vieille méthode
dont on avait discuté avec Michel Ange, ne jamais croire une
information tant que l'on ne l'a pas vérifiée par soi-même, il envisage
donc toutes les hypothèses, même celle de mon implication dans le
chantage, mais il comprend vite que je suis de son côté.

Je ne lui en veux pas, il a l'air très malheureux. Je n'ai plus de


Whisky depuis le passage d'Eden alors je lui sers un petit verre de
Chartreuse pour le réconforter.
Il sort de sa poche ce qui ressemble à une petite gomme, il l'insère
sur le côté de son ordinateur ouvert sur la table de ma cuisine en
m'expliquant :

- Je suis passé mercredi à Paris au cabinet d'avocats qui nous propose


cette transaction dans laquelle nous avons tout à perdre. Deux
costauds m'ont emmené en voiture les yeux bandés jusqu'à un
laboratoire spécialisé avec atmosphère stérile et hygrométrie

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EDEN - ainsi soit-elle

contrôlée. J'ai pu avoir accès au parchemin exposé entre deux vitres,


le papyrus, lui, n'était pas déroulé en totalité, je n'ai pu en voir qu'une
cinquantaine de lignes, suffisamment pour constater la concordance
absolue de l'original et de la copie. Pendant tout le temps de
mon analyse, j'étais surveillé par les deux “anges-gardiens” qui
m'interdisaient de toucher les documents. Ils m'ont montré également
les résultats de la datation par la méthode du carbone 14. Le
parchemin est sans conteste du 16ème siècle, le papyrus date du 1er
siècle de notre ère avec une marge d'erreur de plus ou moins 50 ans.
Un des avocats m'a remis à mon départ cette clé USB dans laquelle
figurent les photos des textes des documents et les conclusions des
datations. Il ne connait pas le nom du ou de la commanditaire qui
serait représenté par un Lawyer londonien. Nous avons quinze jours
pour nous positionner sur la vente, passé ce délai les documents
seront proposés discrètement à d'autres personnes qui seront, d'après
ses dires, rapides à se décider.

Assis près du jésuite comme au spectacle, je vais enfin voir en


détail ce que je savais déjà mais résumé par mon père lorsqu'il m'a
initié au secret. Je ne comprends pas bien comment le texte des
documents et celui des analyses peuvent tenir dans un si petit volume!
Je chausse mes lunettes, jusqu'à mes 80 ans je voyais parfaitement
sans elles de près comme de loin, depuis j'ai de la peine à voir les
petites lettres.
Sur l'écran de l'ordinateur des signes incompréhensibles qui
ressemblent à peu près à ça apparaissent, j'en ai dessiné quelques uns:

‫…הפלה אלוהי אני‬

Il faudra que je change mes verres je ne distingue pas nettement


les lettres. Je lui dis en rigolant :

- Pour moi c'est du chinois.

Il me répond avec un petit air désolé.

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EDEN - ainsi soit-elle

- Non c'est de l'hébreu ! Le texte du parchemin du 16ème siècle est écrit


en hébreu, celui du papyrus, pour ce que j'ai pu en voir, est rédigé en
grec de la Koinè. Je vais vous les traduire.

Bon, mes lunettes et mes yeux ne sont pas en cause, ouf.


- Tu lis l'hébreu ?

J'ai l'habitude de tutoyer tous les gens plus jeunes que moi, je ne
vais pas faire une exception pour lui.

- Oui et aussi le latin bien sûr, le grec ancien, l'arabe, les hiéroglyphes
égyptiens, l'araméen et un peu les glyphes mayas, avant de revenir
en France je travaillais sur le site de l'ancienne cité maya de Palenque
au Mexique. Je vais vous traduire le texte du document avec les mots
d'aujourd'hui. C'est Saint Paul qui a écrit ce qui suit, vous vous rendez
compte ?!

Je reste silencieux. Si je savais lire toutes ces langues........ je ne


traînerais pas cet air sombre, mais au fur et à mesure qu'il me traduit
les pattes de mouches qui apparaissent à l'écran, je comprends
l'étendue de son désespoir.

‫הפלה אלוהי אני‬... Je suis l'avorton de Dieu.

J'ai appris la condamnation de Jésus sans rien dire, j'ai assisté à


l'exécution d'Etienne mais je n'ai pas participé personnellement à sa
lapidation, j'ai commandé les persécutions contre la nouvelle secte
que l'on commence à appeler les chrétiens, tous ces crimes perpétrés
contre des juifs comme moi commencent à me révulser. Les grands
prêtres ont décidé d'anéantir la communauté des disciples de Jésus
qui prend de l'ampleur à Damas. En ma qualité de chef de la police
du Sanhédrin j'ai revendiqué l'honneur de commander les exécuteurs,
mais maintenant je doute... Notre religion doit-elle vraiment se main-
tenir par le meurtre et la terreur...

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EDEN - ainsi soit-elle

ότι ο Θεός του Μωυσή,με συγχωρείτε... Que le Dieu de Moïse


me pardonne...

Voici maintenant la vérité sur ce qui s'est passé sur le chemin. Le


soir du 7ème jour, un homme venant de Damas a rejoint notre
campement. Il paraissait très fragile et voyageait sur un âne.
Descendu de sa monture il se déplaçait péniblement en boitant. Il
s'est assis près de moi, je lui ai tendu un morceau de pain et ma
gourde. Il me regardait fixement, ses yeux semblaient voir à travers
moi, d'une voix douce il m'a dit :

- Saül, Saül pourquoi me persécutes-tu ?

Il doit être fou. Je lui ai répondu :

- Je ne t'ai fait aucun mal, je partage mon pain avec toi.

- L'homme ne vit pas que de pain. Je suis Jésus, tu persécutes mes


disciples et ce que tu fais au plus petit d'entre eux tu le fais à moi.

- Jésus est mort, tu es un imposteur !

- Je ne suis pas mort, Claudia Procula la femme de Pilate, Joseph


d'arimathie et Nicodème m'ont sauvé la vie.

Je me suis souvenu des doutes de Pilate qui ne croyait pas en sa


mort, aux élucubrations de ses disciples qui criaient partout qu'il
était mort et ressuscité, comme si un homme pouvait revenir des
enfers ! Il est resté trois jours avec nous. J'ai été bouleversé par son
humanité...

Je l'interromps et lui demande :

- Le document est authentique ?

97
EDEN - ainsi soit-elle

La réponse est contenue dans la question, elle se devine dans la


voix du jeune jésuite qui se brise, il est également bouleversé mais
pas pour les mêmes raisons, il poursuit sa lecture péniblement
quelques secondes puis s'arrête, des larmes coulent de ses yeux.
Pour un athée comme moi, les tribulations de Saint Paul, le fait
qu'il ait rencontré le Christ vivant ou eu la vision d'une lumière
aveuglante avec une voix tonitruante ne me fait ni chaud ni
froid, mais ce gars devant moi a fait vœu de pauvreté, de chasteté,
d'obéissance et voué son existence à sa foi. Subitement, il découvre
qu'il a été trahi et a perdu sa jeunesse pour une fumisterie, encore
puceau à 35 ans, il doit l'avoir mauvaise.
Remarquez il n'est ni le premier ni le dernier, il parait qu'il y a
des gars qui font pire, des kamikazes les nomme-t-on, eux ils
préfèrent le terme “martyrs” qui les emmène directement au paradis
d'Allah à condition que leur ceinture d'explosifs fasse un maximum
de victimes. Je ne sais pas qui leur a mis cette idée dans la tête ?
Toujours cette tentation de l'extrême chez les jeunes. Curieuse
philosophie consistant à rendre grâce à un créateur en détruisant ses
créatures, enfin tant qu'ils ne se font pas exploser devant chez moi...
Pour le consoler, je lui prépare une bonne omelette baveuse avec les
œufs de mes poules qui courent en liberté dans mon jardin, suivie
d'un saint Marcellin bien coulant le tout arrosé d'un Châteauneuf
2009, Châteauneuf du Pape, gentille attention non ? Après le repas,
en buvant le café, je lui raconte tout ce que Eden elle-même m'a
appris. Je lui fais promettre de ne jamais parler de moi mais je suis
vraiment naïf, je ne sais pas encore qu'elle a verrouillé toutes les
pistes qui mènent à elle, le simple fait que le jésuite arrive chez elle
me désignera comme celui qui l'a balancée et déclenchera la guerre.
En attendant, avant son départ je mets Claude en garde :

- Mon petit gars fais bien attention, tu n'as pas l'habitude des femmes,
celle-ci n'est pas ordinaire, il s'agit du diable dans un corps de déesse.
Tu vas être en présence de l'antechrist, tu contempleras le visage de
la bête, elle saura se rendre séduisante pour te perdre. Souviens-toi
de ce que je te dis, une femme n'est jamais aussi dangereuse que

98
EDEN - ainsi soit-elle

lorsqu'elle parait fragile. S'il te vient l'envie de la protéger, pars en


courant !
J'ai prêché dans le désert.... pourtant j'ai utilisé les mots de
l'Apocalypse pour être bien compris, Eden était trop forte pour lui,
j'aurais dû m'en douter.

J'accompagne du regard sa voiture sur la route qui mène à Eauze.


Après quelques secondes, une Peugeot 308 blanche garée sur la
place démarre à son tour et prend la même direction, avec un peu
d'imagination on pourrait croire qu'elle suit la BMW du jésuite !

Je deviens complètement parano...

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EDEN - ainsi soit-elle

Ainsi suis-je...

Cannes le 30 décembre 2012. 11h.


Eden. Journal intime

La majorité des agents immobiliers ferment leur bureau pendant


les fêtes, le mien reste ouvert, c'est le moment où je fais mes
meilleures affaires, souvent avec des étrangers en vacances.
Je coupe la communication, quelqu'un vient de pousser la porte de
mon espace de vente. J'étais en liaison par Skype avec ma sœur
Noémie qui s'occupe actuellement de ma petite Emma, cette enfant
est trop belle, elle a mes yeux et le sourire de son père. Pour le
moment elles sont toutes deux à Saint Gervazy dans ma maison de
campagne, la petite Cerise notre voisine à qui j'ai sauvé la vie en tuant
M A sans qu'elle le sache vient souvent jouer. Elle nous raconte
quelquefois le drame qui s'est déroulé tout près d'elle et auquel elle
n'a rien compris, n'ayant pas vu mon visage ce funeste jour, elle ne
peut pas me reconnaître. Une partie de son récit m'a un peu inquiétée,
elle a dit qu'un gentil monsieur très vieux avec une drôle de tête est
venu chez ses parents pour l'interroger sur son aventure !
Provisoirement je ne peux pas m'occuper de ma fille comme je le
voudrais. Nous avons passé Noël ensemble, je les ai couvertes de

101
EDEN - ainsi soit-elle

cadeaux mais je ne serai pas avec elles cette fin d'année, mon agence
immobilière, mes activités politiques balbutiantes, les premiers
voyages à Paris prennent beaucoup de temps, heureusement en cette
période de fêtes l'assemblée nationale se repose. Dès janvier il faudra
que je m'y colle sérieusement, en attendant Marie-Josée mon
assistante parlementaire, fait le job et expédie les affaires courantes,
Eric d'Alban avait raison, être députée est un apostolat.

Dès son regrettable et bête “accident”, j'ai embauché un


négociateur, Cédric, pour me soulager mais il n'est pas encore tout à
fait opérationnel, je ne voulais pas d'un vieux cheval de retour qui
croirait avoir tout vu tout fait, j'ai tenu à recruter un novice, à le
former moi-même à mon image et à mes méthodes, mes clients sont
tous des gens fortunés qu'il faut traiter avec classe et compétence.
Provisoirement il assiste à mes rendez-vous et prend des notes, il y a
tellement de choses à apprendre, ne serait-ce que faire correctement
un plan de financement de haut-vol avec montage sophistiqué, entre
autres des prêts à remboursement in-fine adossés à des placements
de divers pays. Un de ces jours je vous expliquerai comment gagner
beaucoup d'argent avec un peu d'intelligence. Heureusement la
semaine prochaine Cédric pourra assurer seul ses premiers entretiens
de vente et me libérer.

Je me lève pour accueillir le beau garçon brun frisé en jean qui


a poussé la porte, sûrement un Italien, les bourgeois de Vintimille,
Bordighera ou San Remo adorent Cannes. Après les salutations
d'usage je lui propose un café qu'il accepte.

Une bonne commercialisation doit toujours démarrer par une


création d'ambiance alors pendant quelques minutes je fais l'œil de
velours, nous parlons de tout et de rien, je lui demande son nom. Je
me suis trompée il n'est pas italien il s'appelle Claude Ange Dubost,
à entendre son accent traînant il doit être lyonnais ou stéphanois.
Une petite cicatrice barre son sourcil gauche, il a l'air stressé ou
impressionné je ne sais pas trop, mais j'ai l'habitude de troubler les

102
EDEN - ainsi soit-elle

hommes. Mon élève négociateur prépare les cafés, le visiteur glisse


timidement dans la conversation :
- Puis-je vous parler en tête à tête ?

Encore un mec qui veut me draguer ? Pourtant il a l'air très réservé.


Non, je pense plutôt qu'il veut acheter un appartement et en payer
une partie en espèces. Je demande à Cédric de nous laisser, d'ordinaire
il ne s'étonne de rien, il commence à avoir l'habitude des transactions
très discrètes, mais là il fait quand même un peu la gueule en quittant
le bureau et en me laissant en tête-à-tête avec le visiteur. Je le
soupçonne d'être amoureux de moi mais il ne faut jamais mélanger
le bisness et le sexe.
Lorsque nous sommes seuls le beau gosse brun me regarde droit
dans les yeux et prononce une phrase qui fait monter ma tension de
quelques centimètres de mercure :

- Je suis l'avorton de Dieu !

Bordel de merde, c'est qui ce type ? Comprenant vite d'où il arrive,


je panique un peu, heureusement en quelques secondes je reprends
mes esprits et applique la règle n°4 de M A : d'un inconvénient faisons
un avantage. D'une voix gourmande je lui lance sans trop réfléchir
une provocation qui aurait pu me mener à la catastrophe.

- Vous n'êtes pas Saint Paul mais vous êtes plutôt canon pour un
avorton.

Vous n'allez pas me croire, il rougit. Au 21ème siècle trouver un bel


homme qui se trouble lorsqu'on le complimente sur son physique c'est
inespéré, non ? Croyez le ou non, sa timidité m'excite.
La seule personne qui a pu lui donner mes coordonnées est mon
vieil adorateur du Gers, nul autre ne sait que je suis derrière tout ça.
En Angleterre on crée des sociétés en quelques jours à peu de frais,
un de mes collègues député m'a conseillée un Lawyer londonien
spécialisé. Par son intermédiaire, j'ai immatriculé deux structures

103
EDEN - ainsi soit-elle

écrans off-shore imbriquées, l'une ayant son siège social en Irlande


détenue par une autre enregistrée en Islande avec un compte numéroté
à l'Alpha Bank of Jersey sur lequel arriveront les fonds provenant de
la vente des documents et un autre ouvert sur la place financière de
Singapour. Je suis l'unique détentrice des codes permettant d'y
accéder et d'effectuer les virements et retraits. Je n'ai pas la mémoire
exceptionnelle de M A, alors en pense-bête j'ai noté les références
des comptes ainsi que les chiffres des codes d'accès près de l'anneau
d'or de l'ancêtre de Bassompierre, comprenne qui pourra. Je vous
fais grâce des détails des montages clés en main fastidieux mais
imparables, à aucun moment mon nom n'apparait, le Lawyer a
même fourni les prête-noms, l'un deux s'appelle Kärl Vilhjàlmsson
Guöjohnsen, amusant non ? Celui qui me trouvera derrière tous ces
noms imprononçables n'est pas encore né, enfin je l'espère, si mon
identité apparait au grand jour je suis morte !

La meilleure défense étant l'attaque, sans me démonter je réponds:

- Je vois que vous avez rencontré le vieil Henri, comment va-t-il ?

C'est forcément lui qui m'a trahie, vieux débris j'aurais vraiment
dû te supprimer, je suis trop bonne cela me servira de leçon, mais
comme dit la sagesse populaire, il ne perd rien pour attendre, je vais
m'occuper de lui dès que j'aurai un moment. Une idée me vient, je
vais m'amuser un peu et allumer un contre-feu :

- Il vous a raconté son histoire de secret caché dans l'église et, je


présume, mon implication dans une série impressionnante de
meurtres ? Il est complètement dingue avec son secret de polichinelle,
tout le monde dans son village le traite de vieux fou sénile, ils finiront
par le faire enfermer. Je l'ai rencontré une fois lors d'un pèlerinage
sur le chemin de St Jacques de Compostelle il y a deux ans, depuis il
est complètement obsédé par moi, il n'arrête pas de me harceler par
téléphone ou par courrier, si je vous montrais ce qu'il m'écrit... il est
vrai qu'à son âge il est normal qu'il n'ait plus toute sa tête.

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EDEN - ainsi soit-elle

Parler de pèlerinage à un catho c'est se le mettre à moitié dans la


poche, mon interlocuteur pensait sans doute me déstabiliser avec son
entrée en matière, il est mal tombé. Je poursuis :
- Qu'a-t-il encore fait ou dit comme conn... excusez-moi, comme
bêtises ?

Le gars est perdu, il ne sait sans doute plus quoi penser, mettez
vous à sa place. Il hésite et me lâche :
- Je suis jésuite, je viens spécialement de Rome pour rencontrer la
personne qui souhaite vendre le document très ancien dérobé dans
l'église de Lamothe-Goas. Je l'ai vu de très près, il nous intéresse et
je suis habilité à négocier l'affaire.

La ficelle est grosse, il me prend pour un lapin de trois semaines.


- Alors il y avait bien un secret ? C'est fou ! Mais vous vous êtes
trompé d'adresse malheureusement je ne dispose d'aucun document
ancien susceptible d'intéresser Rome et je le regrette bien, la seule
chose que je puisse vous vendre c'est un appartement sur la Croisette.
D'autre part si vous avez vu l'objet de la vente vous avez dû rencontrer
le vendeur non ?

- Non, je suis en contact avec un cabinet d'avocats parisiens chargé


de représenter le vendeur qui veut rester dans l'ombre.

- Et vous avez cru que c'était moi ! Vous avez fait tous ces kilomètres
uniquement sur la foi des racontars du vieil Henri ?

Je consulte ostensiblement ma montre :


- Pour vous faire pardonner d'avoir adhéré à ses élucubrations me
concernant je vous autorise à m'inviter à déjeuner. Il est midi, j'ai faim
et vous allez me révéler la teneur de ce fameux secret.

Avant de partir la voix dans ma tête me suggère un plan d'une


amusante perversité, je prétexte un mail urgent à transmettre, je veux
vérifier quelque chose sur Wikipedia. C'est bien ce que je pensais,

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EDEN - ainsi soit-elle

les jésuites font vœu de pauvreté, d'obéissance et de chasteté. Je


regarde discrètement ses pieds, à vue de nez il chausse du 43, il rentre
dans mes critères d'acceptation, vous savez que je déteste les hommes
aux petits pieds.

Il y a bien longtemps que je n'ai pas chassé un tel gibier.


On va vraiment se marrer.
Ainsi soit-il... Ainsi suis-je !

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EDEN - ainsi soit-elle

Urbi et Orbi...

Eden. Journal intime

Je démarre en trombe comme à mon habitude, je me fais peut-être


des idées mais une 308 blanche arrêtée en double file semble nous
emboiter le pas, ses pneus crissent... Je gare ma Rover le long du
square Mistral juste en face de mon immeuble. Nous descendons dans
un des restaurants de bord de mer, le Cristal Beach, celui dans lequel
j'avais invité Eric et Camille le jour de leur regrettable accident, cet
établissement me porte bonheur et les patrons sont aux petits soins
pour moi. Ils sont peut-être honorés d'accueillir la nouvelle députée
du secteur ?

Le soleil brille, la mer calme resplendit, le fond de l'air est doux,


les tables de la terrasse extérieure sont presque toutes occupées.
J'adore Cannes, cette ville est animée en toutes saisons contrairement
à Saint - Tropez qui devient sinistre après le 15 octobre. Claude Ange,
le beau jésuite fait la gueule, il se méfie de moi il n'a pas tort. Pour le
dérider un peu je lui demande s'il souhaite un apéritif, il n'en veut
pas, moi si. Un Aberlour 18 ans d'âge !

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EDEN - ainsi soit-elle

Un homme descend l'escalier moquetté, s'assied à l'intérieur et


me fixe, je lui souris. J'ai l'habitude d'être regardée, parfois un
inconnu me fait porter une coupe de champagne, j'accepte rarement
un tel cadeau, certains mâles ont vite fait de se croire propriétaires
de celle à qui ils paient à boire et deviennent relous. Il me semble,
mais je n'en suis pas sûre, qu'il m'a prise discrètement en photo avec
son portable posé droit sur la carte. À une table proche de la nôtre
des étrangers tentent désespérément de passer une commande auprès
d'un serveur qui ne comprend rien. Claude intervient spontanément
et joue au traducteur dans une langue que je n'arrive pas clairement
à identifier, du russe me semble-t-il.

Admirative je lui demande :


- Je ne voudrais pas être indiscrète (formule que l'on emploie toujours
lorsqu'on va l'être) mais combien de langues parlez-vous ?

- Outre le français je parle couramment anglais, italien, espagnol,


russe, je lis aussi le grec ancien, l'hébreu, l'araméen, l'arabe, les
hiéroglyphes Egyptiens et.... je commence à déchiffrer un peu les
glyphes Mayas.

Je comprends mieux pourquoi le Vatican l'a choisi pour expertiser


le parchemin, ce type est remarquable, il ne faut pas que je le sous-
estime.
Il me regarde fixement, il a de beaux yeux noirs et son regard
pétille :
- Je suis certain maintenant de l'identité de la personne qui veut nous
faire du chantage et nous soutirer une fortune, c'est bien vous.

- Qu'est ce qui vous permet de dire ça ?

Il appelle d'un signe un garçon qui accourt, lui demande :

- Savez-vous qui est l'avorton de Dieu ?

108
EDEN - ainsi soit-elle

Le serveur ne manque pas d'humour ni de répartie, il répond


malicieusement :
- Non monsieur, mais je suis nouveau ici et très loin de connaître tous
les habitués de la maison.

J'éclate de rire, ce type est génial, je lui laisserai un bon pourboire.


Claude questionne maintenant deux jeunes femmes attablées près de
nous et pianotant leur portable :
- Connaissez vous l'avorton de Dieu ?

Les deux filles se regardent, l'une d'elles répond avec un petit


sourire :
- Non, c'est une nouvelle application à télécharger ?

Aujourd'hui le soleil donne de l'esprit à tout le monde.


Et là le jésuite me lance :
- Voilà ce qui me fait dire que vous êtes derrière cette histoire, il n'y
a pas une personne sur dix mille en France qui sache le nom de
“l'avorton de Dieu” et vous, spontanément vous m'avez parlé de Saint
Paul.

Je vous avais bien dit que ma provocation était dangereuse elle


aurait pu me trahir. Ce religieux est rusé mais moi aussi, j'ai eu le
temps de préparer ma réponse :
- Je vivais avec un homme très cultivé qui connaissait la bible sur le
bout des doigts. Je peux vous raconter l'histoire de Pierre, Paul, Jean
et tous les autres, je connais même la vérité sur Judas que vous avez
toujours voulu faire passer à tort pour un traître. Si vous cherchez le
vendeur du document volé, comme le vieil Henri n'a cessé de parler
Urbi Orbi et à tous les passants d'un secret caché dans son église ce
ne sont pas les suspects qui vont vous manquer.

Urbi et Orbi, à la ville et au monde, moi aussi j'ai de la culture.


Visiblement il commence à me considérer d'un autre œil. Ce type
m'excite, je crois qu'il ne me voit pas comme un beau morceau de

109
EDEN - ainsi soit-elle

viande, pour lui, si je me réfère aux paroles de la chanson de Notre


Dame de Paris :

Est-ce le diable qui s'est incarné en elle


Pour détourner mes yeux du Dieu éternel
Qui a mis dans mon être ce désir charnel
Pour m'empêcher de regarder vers le Ciel

Je dois représenter Le Péché, c'est ce sentiment qui me stimule,


j'ai envie de m'éclater. J'entrouvre un peu mon corsage je n'ai pas
encore inscrit de curé à mon tableau de chasse. Ce gars-là est
sûrement vierge, je vais le dépuceler et, comme il ne peut pas
véhiculer de MST, pour une fois je pourrai me passer de préservatif,
ce sera un vrai plaisir bio.

Pendant le repas, côtelettes d'agneau au foie gras arrosées d'un


Crozes-Hermitage 2010 (je n'aime que les vins rouges) je l'interroge
sur les glyphes Mayas. Le Crozes est traitre, il descend facilement
mais remonte rapidement au cerveau, celui qui n'en a pas l'habitude
a quelquefois des surprises. Subrepticement pendant qu'il me parle
de la culture des anciennes sociétés mésoaméricaines et de la ville de
Palenque où il participe à des recherches archéologiques, je remplis
son verre, le chemin du cœur passe par celui de l'estomac.

Coluche prétendait que l'alcool avait été créé par Dieu afin que
les femmes moches puissent baiser, moi je dirais aussi pour que les
hommes coincés puissent bander !

110
EDEN - ainsi soit-elle

Vatican-Mafia connexion

Il est très bavard, je pose ma main sur la sienne, il s'interrompt et


retire vivement son bras comme si je l'avais brûlé c'est très amusant.
Je vais lui sortir le grand jeu. Je démarre le bal des faux-culs :
- Claude, parlez-moi donc de ce secret qui nous permet de nous
rencontrer.

Il me regarde, soupçonneux et agressif :


- Vous en savez plus que moi sur le sujet ! Vous feriez mieux de
m'avouer la vérité, je pourrai peut-être vous protéger.

- Vous êtes vraiment têtu je vous ai dit la vérité pure et simple, je ne


suis pas celle que vous cherchez.

- Vous n'avez aucune idée de ce à quoi vous vous attaquez. Toute


personne menaçant de près ou de loin les finances du Vatican est en
danger de mort. Vous voulez quelques exemples ? Michele Sindona,
homme d'affaires sicilien lié à la mafia était un des principaux
exportateurs de capitaux du Vatican à travers la banco Ambrosiano.
Il a été assassiné avec un café empoisonné dans la prison de haute
sécurité de Voghera. Il était en train de purger une peine de prison à

111
EDEN - ainsi soit-elle

vie pour l'homicide d' Ambrosoli, le commissaire liquidateur de cette


même Banco Ambrosiano après sa faillite. Alors que plusieurs cadres
de la banque s'étaient déjà “suicidés”, Roberto Calvi, directeur et
responsable de cette fameuse Banco Ambrosiano disparaît de son
appartement de Rome le 10 juin 1982 avec un faux passeport au nom
de Gian Roberto Calvini. Une semaine après sa disparition, sa
secrétaire se “suicide” à son tour. Le 18 juin Roberto est retrouvé
pendu sous un pont à Londres, ne croyez pas qu'il se soit pendu tout
seul ! Souvenez-vous de la mort plus que suspecte de Jean-Paul Ier.
33 jours après son investiture, le pape est mort mystérieusement. Il
avait annoncé un coup de balai dans l'empire financier du Vatican
pour mettre un terme au blanchiment de l'argent de la drogue
mafieuse, via la Banque du Vatican, par son président de l'époque,
l'archevêque américain Paul Marcinkus. Jean-Paul Ier n'a pas vécu
assez longtemps pour accomplir sa promesse. Quelques mois plus
tard le journaliste Mino Peccorelli qui voulait faire arrêter Marcinkus
mourait lui aussi, vous voulez rajouter votre nom à la liste?

- Vous me dites que le Vatican est dirigé par la Mafia ?

- Non, rendons à César ce qui est à César, quelques brebis galeuses


ne doivent pas faire condamner tout le troupeau, le ménage est en
train de se faire mais il vaut mieux provisoirement se méfier.

Je soupire :
- Vous êtes presque vexant de continuer à me soupçonner mais je suis
tout de même flattée que vous m'envisagiez moi faible femme,
capable de me mesurer à tout ce beau monde. Bon, puisque vous
insistez, je veux bien jouer un peu, imaginons que je sois la personne
ayant manigancé cette histoire, ça change quoi ?

- Tout ! Notre principal souci est la personnalité du vendeur. Nous


ne voulons pas que notre paiement éventuel soit une arme
supplémentaire mise entre ses mains. En résumé avant de payer 20
millions d'euros, nous avons besoin de certaines garanties.

112
EDEN - ainsi soit-elle

J'émets un petit sifflement :

- 20 millions d'euros ! Je comprends que vous vouliez des garanties,


ce n'est plus un secret c'est un trésor.

- Un trésor ou une malédiction. La planète va être trop petite pour


cacher celui ou celle qui espère négocier ces documents. Menacer la
foi de deux milliards cinq cents millions de chrétiens est une pure
folie, s'attaquer aux finances du Vatican une vraie inconscience.

Un peu hypocrite je prêche le vrai pour savoir le faux :


- Je présume que vous ne voulez pas me révéler ce qui vaut aussi
cher.

- D'après vous, qu'est ce que cela peut-être ?

- Je résume ce que vous m'avez dit : vous êtes spécialiste en langues


mortes, vraisemblablement chargé de faire l'expertise d'un document
très ancien qui menacerait votre foi s'il était rendu publique, vous
venez du Vatican pour négocier son achat. Le vendeur se cache car
il se sait en danger. Qu'est-ce qui pourrait bien mettre votre religion
en péril ?

- Ma religion ! Vous n'êtes pas croyante, pourtant vous m'avez bien


dit avoir fait le pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle ?

- Oui, mais j'avais d'autres motivations plus personnelles, j'ai été


élevée par ma tante qui est totalement athée, moi je n'ai aucune
opinion religieuse, ce concept est totalement sans intérêt pour moi et
ce que vous venez de m'expliquer sur votre panier de crabes me
conforte dans mon indifférence. Pour en revenir à notre discussion,
les documents touchent donc à un point dogmatique existentiel
fondamental sans lequel votre foi s'effondrera et Saint Paul est dans
le coup. J'ai déjà une petite idée sur le sujet, si je ne me trompe pas
je suis tentée de dire ce n'est pas cher, payez vite et qu'on n'en parle

113
EDEN - ainsi soit-elle

plus, le Vatican n'est pas à vingt millions près, quand on pense que le
moindre dessin de Léonard de Vinci vaut quinze millions de dollars...

- Céder à un chantage est toujours le début d'un engrenage meurtrier.

- Pourquoi parlez-vous de chantage, en fait si je comprends bien le


détenteur des documents veut seulement vous les vendre, vous êtes
libre d'accepter ou de refuser, non ?

De plus en plus agressif, il me répond méchamment :

- Vous êtes naïve ou vous vous moquez de moi ? Le vendeur nous


tient à la gorge il sait que nous ne pouvons pas laisser ces
informations tomber en de mauvaises mains et comme il ne pourra
jamais justifier de la propriété régulière de ce qu'il veut négocier, la
transaction sera forcément difficile pour les deux parties condamnées
à agir dans l'illégalité.

Je fais mine de bouder. Je vais lui la jouer petite fille fragile, avec
les hommes ça ne loupe jamais.

- Je ne sais pas pourquoi vous êtes aussi désagréable avec moi, vous
envahissez mon bureau comme un flic de la Gestapo, vous ne cessez
de me menacer : empoisonnement, suicide, pendaison, c’est tout juste
si vous ne rétablissez pas l'inquisition pour moi, peut-être souhaitez
vous torturer mon petit corps pour me faire avouer votre vérité. Je
me rends, faites de moi ce que vous voulez.

Je lui tends mes deux mains avec la moue qui faisait craquer Michel
Ange. Je me rends compte que ce prénom me poursuit : Michel Ange
et maintenant Claude Ange, c' est sûrement un signe du ciel... ou de
l'enfer.
Pour moi c'est la même chose...

114
EDEN - ainsi soit-elle

Post coïtum anima tristis

J'ai visé juste, Claude Ange s'humanise enfin :


- Pardonnez-moi de ma grossièreté mais cette histoire me rend fou,
vous comprenez pourquoi ?

Si je comprends ? Il doit être malade de constater que le fameux


Saint Paul les a tous menés en bateau avec sa prétendue vision d'une
lumière sur le chemin de Damas qui l'a fait passer en quelques jours
du statut de minable policier à celui de créateur d'une nouvelle
religion, il a dû prendre un pied d'enfer.

- Je vous pardonne mais à une condition, arrêtez de m'agresser et je


ne veux plus que vous me parliez de cette affaire à laquelle je ne suis
mêlée en rien.

Faible femme vulnérable... mais vicieuse, en me forçant un peu


à penser à l'absence de ma petite Emma, j'arrive à faire perler un
semblant de larme au coin de mes yeux. Je fixe ses lèvres :

- Vous avez une jolie bouche j'espère qu'elle sait aussi prononcer des
mots tendres. Demandez l'addition je voudrais partir, j'ai un peu froid.

115
EDEN - ainsi soit-elle

Il se civilise totalement et couvre mes épaules avec sa veste.


Yesss !

Si vous voulez séduire un homme dites que vous avez froid, s'il
vous prête sa veste il devient votre protecteur et se sent responsable
de votre bien-être. Il suffit de s'abandonner et tout s'enchaîne jusqu'à
l'inéluctable. Personne n'a jamais appris à celui-ci que la perversité
d'une femme est inversement proportionnelle à sa fragilité apparente,
c'est presque trop facile. Pendant qu'il paie au comptoir je glisse 10
euros dans la main du serveur qui m'avait beaucoup amusé.

Nous grimpons l'escalier moquetté et rejoignons le boulevard


du Midi, là j'attends quelques secondes je veux vérifier quelque
chose. L'homme qui me fixait sort à son tour, sans un regard il nous
dépasse, s'assied dans une Peugeot 308 blanche garée près du square
Mistral, il ne démarre pas. Une alerte s'allume dans mon cerveau mais
pour le moment mes priorités et mes envies sont ailleurs.

Nous allons chez moi sous prétexte de récupérer des papiers


avant de retourner au bureau, mon appartement est situé juste en face
du Square. Dès l'entrée je prends les choses en main au propre comme
au figuré, je me serre doucement contre Claude Ange, tout d'abord
il se fige, complètement bloqué, subitement il dit “et merde” et se
décoince, l'érection ne se maîtrise pas toujours. L'esprit est fort, la
chair est faible, le Crozes-Hermitage est traître, celui qui n'a jamais
péché jettera la première pêche à mon jésuite. J'enseigne à sa jolie
bouche sensuelle des paroles, des baisers et des caresses tendres, il
est maladroit mais très doux. Je fais en sorte qu'il soit fou amoureux
de moi il ne sera que plus désespéré lorsque je le virerai. Les vrais
hommes adorent les femmes qu'ils font jouir, je simule un orgasme
ravageur et crie un peu fort. Il ne se lasse pas de me caresser, de
m'embrasser comme un affamé, il chuchote : “tu as la beauté du
diable”. Il est insatiable comme un jeune homme qui découvre enfin
les plaisirs de l'existence.

116
EDEN - ainsi soit-elle

Après un très long moment de folie sensuelle au cours duquel


je dois reconnaître que je me suis bien éclatée, je me love contre lui,
curieusement je ne ressens pas ma phobie meurtrière habituelle, je
caresse ses cheveux bouclés, il murmure :

- Post coïtum anima tristis.

- Traduction ?

- C'est du latin, après l'amour l'âme est triste. Je suis maudit, j'ai trahi
mes vœux de chasteté et d'obéissance.

Je n'aime pas les hommes faibles qui s'apitoient sur eux-mêmes,


je vais le secouer un peu :

- Tu as trahi tes vœux ? Il y a plus grave, tu m'as mise en danger, tu


es maintenant responsable de ma protection.

- Moi je t'ai mise en danger ?

- Oui, je crois que tu es suivi et le simple fait que tu sois entré en


contact avec moi m'a compromise aux yeux de gens dangereux, c'est
toi-même qui me l'a dit.

- Je suis suivi ?

Il connait beaucoup de langues mais pour l'instant son vocabulaire


se réduit à répéter chacune de mes affirmations, c'est lassant.

- Nous avons été suivis par un type dans une 308 blanche, tu ne l'as
pas remarqué ?

- Je ne voyais que toi.

117
EDEN - ainsi soit-elle

Il est craquant non ? Il apprend vite, je crois que je l'ai conquis


définitivement avec “le sel du baiser de ma bouche”. Avec un peu
d'adresse il devrait pouvoir bien me servir...
Lorsque nous rejoignons ma voiture vers 17h, la 308 blanche n'est
plus là.

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EDEN - ainsi soit-elle

Vox Bestia. La voix de la bête

Lamothe - Goas 31 décembre 2012.


Henri. Mémoires de colère

Je suis assis sur le banc en pierre devant chez moi, je vais de moins
en moins sur la place je n'attends plus grand-monde, mais au fond de
moi je garde quand même un petit espoir de revoir Eden, après
tout on n'est pas fâchés, elle avait peut-être une raison de partir en
catastrophe et elle ne m'a fait aucun mal.

Je suis vraiment incorrigible, je cherche encore à lui trouver des


excuses, n'ayant jamais su résister à une jolie femme. On peut
ne pas aimer les femmes, mais quand on les aime ce ne peut être
qu'excessivement, l'excès conduit tout droit à la bêtise et moi je suis
vraiment trop bête. Je crois encore qu'elle ne comprendra pas qui lui
a expédié Claude Ange Dubost, mais pouvais-je savoir qu'elle créerait
des sociétés off-shore pour brouiller les pistes, je ne savais même pas
que cela existait.
Le téléphone sonne, je me lève péniblement et rentre dans ma
maison pour répondre, trop tard, la sonnerie s'interrompt. Quelques
secondes plus tard il klaxonne à nouveau, cette fois je décroche

119
EDEN - ainsi soit-elle

immédiatement. Une belle voix douce un peu enrouée terriblement


sensuelle réjouit mes oreilles, mon cœur bat plus fort, Eden veut peut-
être s'excuser de son départ précipité et renouer le contact, me
proposer enfin une association, me présenter ses vœux pour la
nouvelle année. Naïveté quand tu nous tiens.

La douche est glacée !

- Bonjour Henri, alors on balance les copines ?

- Pardon ?

- J'ai bien apprécié la visite de votre jésuite, trop mignon ce garçon.


J'en ai fait mon quatre heures et vous, vieux bavard, je vais
définitivement vous faire taire, j'ai été trop bonne, un vieux débris
comme vous devrait être mort depuis longtemps. Je vais m'occuper
rapidement de rectifier cet oubli de la nature, j'espère que vous avez
un caveau de famille confortable .

Je ne rêve pas, elle me menace ? Je prends un coup de colère, en


une fraction de seconde mes sentiments basculent définitivement.
Elle commence à me faire chier la connasse, le peu d'amour,
d'affection ou d'admiration qui subsistaient en moi se transforment
carrément en haine farouche. Combien de frères, de sœurs,
d'amis unis comme les doigts de la main depuis des années se sont
transformés instantanément en ennemis irréconciliables suite à un
mot ou une réflexion de travers ?

Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, la haine n'est


pas la manifestation d'un reste d'amour déçu, pour moi il s'agit d'un
tout autre sentiment, une aversion profonde, une répulsion irraisonnée
envers celle qui veut me faire du mal mais la haine est un piège, elle
nous enlace trop étroitement à la personne haïe, mon obsession pour
elle demeure plus présente que jamais.

120
EDEN - ainsi soit-elle

La première chose que je déteste chez elle c'est sa voix que


j'adorais encore quelques secondes auparavant. De douce, un peu
enrouée, terriblement sensuelle elle devient maintenant pour moi le
coassement sournois et rauque d'une alcoolique mondaine, fumeuse
forcenée. Si elle croit que je vais me laisser faire elle se trompe. Je
lui assène :

- Ma mort précédera ta destruction de quelques jours seulement. Mon


notaire est en possession d'une lettre à transmettre à la brigade de
recherche d'Auch au cas où je viendrais à disparaître des suites d'un
accident, d'un suicide ou d'un mal de ventre soudain. À partir
d'aujourd'hui nos destins sont liés, prie pour que j'aie une longue vie
et oublie moi.

- Henri il faut vous taire, je ne plaisante pas vous allez bientôt le


constater.

- Je t'emmerde.

Je lui raccroche au nez, l'histoire de la lettre protectrice m'est


venue spontanément, c'est une bonne idée non ? Elle m'a été inspirée
par cette anecdote plus ou moins authentique mais amusante :
Le bouffon de François Premier nommé Triboulet avait
gravement offensé une des maîtresses du roi qui avait décidé
secrètement de le faire pendre. Par jeu ou sadisme, quelques jours
avant l'exécution de la sentence dont le bouffon commençait à se
douter, le roi lui demanda : toi qui sais tout, connais-tu la date de ta
mort ? Triboulet lui répondit: “Sire, ma science n'est pas si profonde,
la seule chose dont je suis certain c'est que vous mourrez exactement
trois jours après moi”. Le roi, superstitieux comme la majorité des
gens de son époque prit peur et renonça à son sinistre projet.

Cette lettre il faudra que je l'écrive vraiment, car elle sera mon
assurance vie. Paradoxalement je me sens libéré, rajeuni de vingt ans.
Elle veut ma mort, c'est moi qui vais la démolir, mais j'ai bien

121
EDEN - ainsi soit-elle

conscience que je suis désormais en danger, c'est la guerre. Les


psychopathes sont incontrôlables, imprévisibles et irrationnels, cet
appel en est la preuve. Elle n'a pas pu se retenir, c'était une réaction
impulsive et stupide, elle aurait pu venir un soir, m'étouffer avec mon
oreiller en toute impunité, qui se serait étonné de la mort subite d'un
si vieux monsieur ?

Maintenant je suis prévenu, depuis je dors avec un fusil de chasse


chargé près de mon lit et je me réveille à chaque bruit inhabituel, j'ai
même tendu une corde fine à dix centimètres du sol en travers de mon
couloir près de mon entrée.

Mes vieux potes Albert, Maurice et Robert ont été extraordinaires,


ils ont bien vu que quelque chose ne tournait pas rond, ils ont
vraiment insisté alors je leur ai tout expliqué, ils se sont un peu
moqués de moi mais au final cette histoire les a excités comme des
gosses, ils avaient l'impression de vivre une vraie aventure avec moi
et nous nous connaissons depuis si longtemps que rien ne les surprend
plus. Je me rends compte que je suis riche de leur amitié indéfectible.
J'ai lu je ne sais plus où la définition suivante : un vrai ami est celui
qu'on appelle à minuit pour lui apprendre que l'on vient de commettre
un meurtre et qui vous répond : j'arrive, où veux-tu cacher le corps !
hé hé . Je ne croyais pas si bien dire.

Un verre à la main nous avons institué l'union sacrée.


Article premier et dernier de cette confrérie de papys flingueurs:
un pour tous, tous pour un. Après moultes discussions nous arrivons
à la même conclusion, ma vie sera en danger tant qu'Eden sera
vivante alors nous élaborons des tas de stratégies, nous convenons
d'un code. Mes copains ont dit : si l'un de nous appelle en prononçant
le nom de “Paul” les autres rappliqueront immédiatement à la
rescousse. Ils sont plein de délicatesse, le seul qui peut être menacé
et mettre ses potes en péril, c'est moi. Deux jours plus tard, nous
avons vécu ensemble une mésaventure qui a fait définitivement
émerger le côté obscur de mon inconscient...

122
EDEN - ainsi soit-elle

Corvée de bois

2 janvier 2013. 17h30.


Henri. Mémoires très privées

J'ai perdu mon ange mais gagné un démon. Des vers de Victor
Hugo trottent dans ma tête :

Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange,


Il vivait. Il mourut quand il n'eut plus son ange ;
La chose simplement d'elle-même arriva,
Comme la nuit se fait lorsque le jour s'en va.

Le jour s'en va, la nuit se fait, je sors fermer mes volets, tiens ça
rime ! moi aussi je fais des vers. Ange perdu ou pas j'ai bien l'intention
de vivre encore une bonne dizaine d'années, après tout je n'aurai que
90 ans en octobre, je me sens très en forme à part quelques ratés et
autres impertinences de mon cœur de temps à autre, de banales
extrasystoles selon mon généraliste. Ma famille bénéficie d'une rare
longévité, ma mère est morte à 103 ans, mon père à 96, s'il n'avait
pas tant fumé ses horribles Boyards papier maïs, il serait peut être
encore là.

123
EDEN - ainsi soit-elle

Une 308 blanche se gare dans la cour derrière ma maison, un


homme en descend et s'approche de moi. Je m'apprête à pousser un
coup de gueule pour déplorer un tel sans-gêne, sans un mot il me
prend par le bras et me force à rentrer. À l'intérieur il sort son
téléphone, met son écran sous mon nez et dit avec un fort accent
italien :

- Che questa donna. Qui est cette femme, qu'a-t-elle à voir avec le
jésuite qui est venu chez vous samedi dernier ?

Manifestement personne n'a jamais expliqué à ce monsieur la


réalité des relations humaines, on attire plus de mouches avec une
cuillère de miel qu'avec deux tonneaux de vinaigre, je vais lui
apprendre la politesse.

- Attends il faut que je trouve mes lunettes, assieds-toi je vais tout


t'expliquer.

Je distingue maintenant parfaitement la photo sur laquelle trônent


la belle Eden et Claude Ange attablés, se regardant comme deux
amoureux. Pauvre jésuite elle va le détruire, il est déjà mort et il ne
le sait pas encore, je suis triste pour lui. Pour le moment il me faut
sortir de ce mauvais pas, le gars en face de moi ne rigole pas alors je
lui dis la vérité, l'honnêteté est la suprême habileté disait Winston
Churchill.

- Cette femme se fait appeler Eden.

- So che. Je sais cela !

- Elle habite Cannes.

- So che.

- Elle est députée.

124
EDEN - ainsi soit-elle

- So che.

- Bon, si tu sais tout, pourquoi me poser des questions ?

- Parlez-moi de ce que vous et elle avez à voir dans l'affaire du


chantage aux documents.

On rentre dans le dur. Voyant que je réponds honnêtement à ses


questions, le gars se radoucit un peu. Je lui décoche mon plus beau
sourire.

- Je vais tout te raconter, mais avant il faut que je prenne mon


médicament pour le cœur sinon je vais avoir un malaise, tu m'as fait
peur, j'ai les jambes qui tremblent.

- Rendere veloce. Faites vite. Je sors prendre mon chargeur dans ma


voiture et pas de blagues sinon ça ira très mal pour vous.

Le tube de Rohypnol est sur mon chevet. J'écrase cinq comprimés


et dilue la poudre obtenue dans un verre de ma gnole la plus forte. Je
reviens dans ma cuisine juste avant lui, pose la bouteille et deux
verres sur la table, je finis ostensiblement de remplir le mien.

- On va boire un coup, l'histoire est longue.

Il ne boit pas. Je trempe mes lèvres dans mon verre et commence


mon histoire.

Il prend peu à peu confiance et baisse sa garde, après quelques


minutes je lui propose de trinquer, il boit son verre d'un trait, il
grimace, ne s'attendant pas à ce que l'alcool le brûle autant, notre
distillation artisanale de pays est sévère, c'est une boisson d'homme
elle titre plus de 43°. Mélange d'eau de vie brute et d'Armagnac, le
liquide est trouble, blanchâtre avec des reflets ambrés.

125
EDEN - ainsi soit-elle

Je poursuis mon récit après avoir rempli les verres, vingt minutes
plus tard il commence à lutter contre le sommeil, je parle toujours, il
s'endort sur la table. Je le secoue, le cocktail Rohypnol / alcool doit
être terrible il ne bouge plus, seule sa respiration sifflante indique
qu'il est encore en vie.

J'appelle Albert puis Robert et Maurice en utilisant notre code :


- Peux-tu venir tout de suite, Paul est ici.

Robert est là presque immédiatement, Maurice arrive au volant


de sa Twingo flambant neuve moins de 5 mn après mon appel. Albert
vient à pieds, il les suit de peu en s'excusant de son retard, sa femme
Geneviève lui a cherché des noises, elle n'aime pas qu'il sorte après
la tombée de la nuit. Mes potes sont extraordinaires non ?

L'inconnu est affalé sur la table, Maurice demande :

- Qui est-ce ?

- Je ne sais pas.

- Il est mort ?

- Non mais il a cinq Rohypnol et un verre de gnole dans l'estomac.

- Tu lui as donné cinq comprimés de deux mg et un verre de gnole,


ça va pas la tête ?

- Il me menaçait.

- Tu nous raconteras tout à l'heure, pour le moment il faut solutionner


le problème, que veux-tu faire de lui ?

- Je ne sais pas.

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EDEN - ainsi soit-elle

Je fouille la veste du beau au bois dormant, de son portefeuille


j'extraie une carte gold de la Monte dei Paschi , 1000 € en liquide,
une carte d'identité et un permis de conduire italiens au nom d' Ettore
Teissaro, d'une de ses poches je sors un mince câble métallique de
50 cm de long comportant une poignée à chaque bout et un petit
carnet que je commence à feuilleter.

À la vue du câble, Maurice semble soucieux, il m'interrompt :

- Laisse tomber ta lecture, ton “ami Paul” ne va pas bien, il souffre


sans doute d'une insuffisance cardiaque préexistante..... tu lui as
administré une dose trop forte.

Le visage du dormeur a viré au gris, il respire avec difficulté.


Albert, lui, est vert de trouille, Robert et moi-même n'en menons
pas large, heureusement Maurice prend les choses en main. C'est un
vrai dur il a fait la guerre d'Algérie, 30 mois dont 14 dans les Aurès.
Un jour il m'a avoué avoir vu et fait des choses qui l'ont marqué à
vie. En particulier il a commandé certaines des fameuses corvées de
bois. « Corvée de bois » était l’expression utilisée par les soldats
français entre eux pour désigner les exécutions sommaires des
prisonniers algériens, le plus souvent des civils qui devaient creuser
leurs propres tombes.

Efficace il commande :

- On va le balancer dans le lac des trois vallées avec sa voiture.


Remets ses affaires dans sa veste, glisse quelques comprimés dans sa
poche .
Albert objecte :

- On ne va pas quand même pas le...

Maurice le coupe :

127
EDEN - ainsi soit-elle

- Si tu as une meilleure idée je suis preneur. Le câble est une arme de


tueur professionnel, j'ai déjà vu le même en Algérie. Le gars arrive
derrière toi sans bruit, il entoure ta gorge et serre très fort, vingt
secondes plus tard tu es mort. Ensuite il lui suffit de passer une corde
autour de ton cou, de te suspendre à la première branche disponible
et aux yeux d'un enquêteur peu regardant tu fais un suicidé très
présentable. Exécution propre et sans bavure aucune trace de
violence, très économique c'est bien mieux que le revolver ou le
couteau, alors ne culpabilise pas, c'est lui ou Henri ! De toutes façons
avec la dose de Rohypnol qu'il a dans le sang il va y passer, c'est une
question de minutes. Ne trainons pas il ne faut pas qu'il meure ici, il
est important qu'il ait de l'eau dans les poumons, preuve de noyade
accidentelle au cas où on le retrouverait.

Il pense à tout. Nous ne sommes pas trop de quatre pour installer


l'homme sur la banquette arrière de la 308.
Le lac est à moins de 10 kms, nous le connaissons bien, lorsque
nous étions gosses nous passions là-bas tous nos étés, un de nos
copains s' y était noyé victime d'une hydrocution. À certains endroits
il est profond de plus de 20 mètres.

Nous partons avec les deux voitures et en dix minutes rejoignons


un petit chemin de terre en déclivité menant à un des trous d'eau du
lac. Nous plaçons “l'ami Paul” qui respire difficilement sur le siège
du conducteur bien maintenu par sa ceinture de sécurité et desserrons
le frein à main. Une bonne poussée, la voiture descend dans l'eau et
disparait dans un tourbillon de bulles et un bruit de succion... Dans
le silence de la nuit nous restons figés quelques minutes, comme dans
un film d'horreur je redoute de voir réapparaitre subitement l'inconnu
jaillissant de l'eau mais rien ne se passe. Il fait froid nous montons
sans un mot dans la Twingo.

Maurice se retourne vers nous il détend l'atmosphère en faisant


semblant de transmettre un message dans une radio imaginaire
nichée au creux de sa main :

128
EDEN - ainsi soit-elle

- La corvée de bois s'est bien terminée.

Nous éclatons de rire, mais notre rire est nerveux et gêné, c'était
mon premier meurtre... Nous sommes maintenant soudés par un vrai
secret. Revenus chez moi nous tenons conseil. Maurice est persuadé
que le tueur m'a été envoyé par Eden mais je ne crois pas à sa version,
l'inconnu semblait vouloir uniquement des informations, mais il
insiste :

- Il voulait noyer le poisson avant de t'expédier en enfer sans bruit,


cette fois la guerre est vraiment déclarée avec ta pétasse, qui aurait
pu t'envoyer un tueur à part elle ? Tant que cette fille sera vivante tu
seras en danger, ce sera elle ou toi.

Noyer le poisson expression paradoxale, qui pourrait croire à la


noyade d'un poisson ? En fait certains requins peuvent se noyer s'ils
arrêtent de nager.

- Tu crois ? Elle est coincée en croyant que j'ai déposé une lettre
accusatrice chez mon notaire à ouvrir s'il m'arrivait malheur, pour
le moment si on peut parler d'hostilités c'est plutôt la guerre froide,
chacun campe sur ses positions.

Robert s'y est mis aussi :

- Moi je pense que Maurice a raison, avec les fous on peut s'attendre
à tout. Tu as vraiment le don de te retrouver dans la merde, mais
qu'est-ce qu'on se marre ! Bon vous m'excuserez messieurs, mais moi
il faut que je rentre at home, après 23 heures j'ai une vie privée.

Pauvre vieux Robert, nul ne savait alors que tes jours étaient
comptés, par ma faute.

Mea maxima culpa, c'est ma plus grande faute !

129
EDEN - ainsi soit-elle

Les auteurs

Si Henri avait eu le temps de lire le carnet il aurait constaté qu'il


avait raison, Maurice et Robert se trompaient. Lorsqu'on retrouva
l'inconnu comme vous le verrez plus tard, on put constater qu'il
n'avait rien à voir avec Eden, les dernières pages étaient couvertes de
notes écrites au stylo bille largement effacées par l'eau, seul le titre
pouvait plus ou moins se deviner :

Segnalazione Investigation trasmissione Sabato 4 gennaio per posta


a lorenzo.bartolozzi@ior.it~~V.

Compte-rendu d'enquête à transmettre Samedi 4 janvier par mail


à lorenzo.bartolozzi@ior.it.

Les conclusions de son enquête gisant par 20 m de fond ne seraient


jamais lues par son destinataire, Lorenzo Bartolozzi, président du
conseil de surveillance de L' Institut des œuvres du Vatican...

131
EDEN - ainsi soit-elle

Les documents sont authentiques

Le même jour Claude Ange Dubost s'envola pour Rome après


avoir restitué sa BMW de location. Il se rendit directement au Vatican
où l'attendaient impatiemment dans un bureau discret Aquilino
Savarotti, nouveau majordome de Benoit XVI, ainsi que le général
des Jésuites Adolfo Nicolaïs.

Le jeune religieux avait longuement hésité sur la conduite à tenir.


Un moment il avait envisagé de quitter l'église mais qu'aurait-il fait?
La religion catholique était sa seule famille, tous les aspects et besoins
de sa vie étaient pris en charge par cette institution bimillénaire, il
côtoyait les meilleurs archéologues, les plus grands linguistes, en un
mot au sein de cette communauté il était tout, au dehors il ne serait
plus rien. Cela valait bien un petit arrangement avec le dogme de la
résurrection.
Parmi toutes les options se présentant à lui il prit le parti de cacher
sa relation amoureuse d'un jour avec sa principale suspecte et décida
d'oublier cet épisode peu glorieux pour lui. Contrairement à ce que
la belle Eden imaginait, leur après-midi torride n'avait pas suscité
chez lui une reconnaissance éternelle, pour le moment sa culpabilité
était la plus forte.

133
EDEN - ainsi soit-elle

Les informations figurant sur la clé USB remise par les avocats
parisiens chargés de la vente furent scrutées à la loupe, son rapport
fut long mais peut se résumer ainsi :

- Les documents sont authentiques, mais dans tous les cas il faut
absolument qu'ils disparaissent de la circulation. Le vieillard nommé
Henri qui avait pris contact avec vous dit apparemment la vérité, la
vendeuse est vraisemblablement une femme nommée Marguerite
Leroy, surnommée Eden, demeurant 6 rue Brougham à Cannes, mais
nous ne pourrons jamais le prouver elle a verrouillé toutes les pistes
menant à elle. La faire disparaitre ne règlerait rien, ce serait le plus
sûr moyen de tout faire sortir dans la presse internationale. L'avocat
m'a prévenu, nous avons jusqu'au 9 janvier minuit pour lever notre
option, passé ce délai il proposera les documents à d'autres.

Restaient deux questions en suspens, pourquoi Saint Paul a-t-il


écrit un tel document et par quel miracle est-il parvenu jusqu'à nous?
Le Majordome hasarda une hypothèse :

- Il nous est impossible de comprendre le système de pensée des ces


hommes qui vivaient plusieurs millénaires avant nous. Physiquement
ils nous ressemblaient, mentalement pour eux nous serions des extra
terrestres. Ils n'avaient pas nos valeurs, notre espérance de vie, nos
connaissances, notre technologie, ils voyaient des miracles partout et
chaque catastrophe naturelle était pour eux une manifestation de la
colère divine. Ils attendaient chaque jour la fin du monde, la vie pour
eux n'était que dure absence aux félicités célestes éternelles. Nous ne
saurons donc jamais ce qui a poussé Paul a écrire un tel document,
peut-être voulait il se garantir vis-à-vis des grands prêtres au cas où
son aventure tournerait mal, peut-être voulait-il faire pression
sur Pierre et les apôtres qui contestaient sa volonté d'étendre
l'enseignement de Jésus aux non-juifs. Concernant la manière dont
ce document est parvenu jusqu'à nous, sans doute en a-t-il confié la
garde à l’un de ses proches moins exposé que lui qui l'a conservé et
transmis de génération en génération.

134
EDEN - ainsi soit-elle

Claude Ange posa une troisième question qui le turlupinait depuis


longtemps :

- Jésus participait sûrement chaque année depuis plus de trente ans


aux fêtes de la Pâque juive à Jérusalem sans aucun problème, que
s'était-il donc passé de spécial cette fois pour que les grands prêtres
soient obsédés par lui au point de le faire mourir.

Le général des jésuites répondit:

- Tous les achats d'animaux destinés aux sacrifices, change monétaire


etc... étaient traditionnellement réalisées sur le mont des oliviers situé
à quelques centaines de mètres du temple. Une grande partie des
bénéfices énormes réalisés échappant ainsi au clergé, il fut décidé
cette année-là de rapatrier toutes les transactions commerciales liées
à la fête de Pâques dans l'enceinte du temple. Jésus en fut scandalisé,
agressa les commerçants en les accusant d'être des voleurs, les prêtres
ne lui pardonnèrent pas le manque à gagner. Mais surtout se sentant
investi d'une mission, il voulait mourir. Vous connaissez la suite.

135
EDEN - ainsi soit-elle

Affaire conclue

Le 4 janvier, Lorenzo Bertholozzi, président du conseil de


surveillance de L'IOR, attendit en vain le mail d'Ettore Teissaro
l'homme de main chargé de solutionner définitivement le problème.
Celui-ci avait pour mission de récupérer les documents et d'éliminer
toute personne ayant eu connaissance de l'affaire mais il avait disparu,
comme rayé de la surface de la terre. Il n'était plus qu'un tas d'atomes
informes au fond de l'eau.

Le 6 janvier, Aquilino Savarotti prit contact avec les avocats


parisiens et tenta de négocier. Les avocats ayant consigne de ne pas
discuter le prix, malgré l'opposition timide de Lorenzo qui espérait
toujours des nouvelles de son tueur et voulait gagner du temps, le 8
janvier un protocole d'accord fut signé, le 9 après un savant habillage
comptable, un virement officiel de 20 millions d'euros partit pour une
banque de Jersey, objet du règlement : acquisition d'antiquités
touchant de près l'origine du christianisme. Dès réception des
fonds, les documents furent remis à un émissaire spécial du Vatican
accompagné de Claude Ange Dubost, seule personne capable de les
authentifier.

137
EDEN - ainsi soit-elle

Habemus Papam

Le 20 janvier 2013 Joseph Ratzinger plus connu sous le nom de


Benoit XVI, fut informé après coup de la transaction et de l'existence
de documents remettant formellement en cause le dogme de la
résurrection de Jésus, il ne maîtrisait déjà plus tous les rouages de la
Curie.
Benoit XVI portait déjà sur ses épaules fatiguées la croix des
fautes de ses prédécesseurs :
Pie XII et son silence complice ou tout au moins impuissant face
aux atrocités nazis envers les juifs.
La reconnaissance aveugle de Paul VI envers Monseigneur
Marcinkus qui l'avait sauvé d'un attentat mais avait introduit la Mafia
au sein de la banque du Vatican devenue une machine à blanchir
l'argent sale du crime.
L'indifférence coupable de Jean Paul II envers les agressions
sexuelles perpétrées par des membres du clergé un peu partout dans
le monde, ce pape avait une autre priorité, libérer la Pologne du
communisme.

Homme de foi et de dossiers, intellectuel, cultivé, éloigné du


peuple, pour Joseph Ratzinger la religion était avant tout dogmatique.

139
EDEN - ainsi soit-elle

L'existence des documents prouvant le mensonge de Paul sur le


chemin de Damas et mettant formellement en cause la résurrection
de Jésus fut pour lui, non la goutte d'eau qui fit déborder le vase, mais
la tempête qui emporta tout.
Le 11 février 2013, devant les médias de la planète médusée, il
présenta sa démission qui prit effet le 28 février. Un tel évènement
ne s'était pas produit depuis la renonciation de Grégoire XII en 1415.
Le 13 mars, le Cardinal protodiacre français Jean-Louis Tauran
annonça sobrement à la foule des fidèles massés sur la place Saint
Pierre en délire : Habemus Papam, locution latine signifiant “nous
avons un Pape”, Jorge Mario Bergoglio venait d'être élu et prenait le
nom de François.
Originaire d'Amérique du sud il n'avait pas le même rapport avec
les dogmes que les européens, pour lui résurrection ou non, la religion
était d'abord humaniste donc au service des hommes. Il prit
connaissance des documents, ordonna qu'ils fussent enfouis dans la
partie de la bibliothèque du Vatican réservée aux livres interdits
nommée l'Enfer et entreprit de faire le ménage.

Claude Ange Dubost retourna à ses chères études sur le site


archéologique de Palenque (Mexique). Il avait présumé de ses forces,
après quelques semaines, initié au plaisir sexuel par Eden, obsédé par
le démon de la chair qu'elle avait réveillé, il commença à fréquenter
les prostituées de la ville de Villahermosa.
Torturé par le remords et par le cataclysme intellectuel de ce qu'il
avait lu, il se mit à boire, à consommer des drogues illicites puis à
délirer. Il parlait trop, en particulier d'un certain document hallucinant
qu'il avait tenu entre ses mains. Prétendant être suivi il craignait pour
sa vie, on le retrouva un soir pendu à un arbre.

L'original et une copie des documents étaient maintenant en


sécurité au Vatican, la seconde copie avait disparu, brûlée en 1917
par la servante du curé de Rennes le Château. Personne ne savait qu'il
subsistait un exemplaire des documents caché sous une dalle de
l'église de Meylieu-Montrond dans le département de la Loire.

140
EDEN - ainsi soit-elle

La dernière tentation d'Eden

Eden. Journal intime


10 janvier 2013

Je viens d'être informée discrètement par un mail crypté de


l'arrivée d'un virement de 20 millions d'euros sur le compte dont
je détiens les codes cachés près de l'anneau d'or de l'ancêtre de
Bassompierre..... mes sociétés écrans semblent avoir parfaitement
rempli leur rôle. Après paiement des honoraires d'avocat, frais
d'analyses des laboratoires, et dépenses diverses, je dispose
maintenant d'un trésor de guerre de 19 750 000 €. Je vire 5 000 000
sur le compte de Singapour et conserve le reste à Jersey à portée de
main.

J'avoue que je suis tentée de tout arrêter, avec autant d'argent je


pourrais m'occuper de ma petite fille, gâter ma tante et ma sœur
Noémie et vivre dans les plus beaux pays du monde sans travailler.
La majorité des hommes et des femmes politiques ne sont pas
motivés par l'argent, sinon ils travailleraient dans le privé et si
quelquefois ils sont pris avec les doigts dans le pot de confiture ce
n'est pas pour s'enrichir personnellement mais simplement pour

141
EDEN - ainsi soit-elle

financer leurs ambitions. Il faut beaucoup d'argent pour arriver au


sommet de l'échelle et acquérir le Pouvoir.

Le Pouvoir, voilà la vraie motivation, la drogue dure, la passion


ultime. Quelle jouissance : décider, commander, faire plier le monde
autour de soi, être reconnu dans la rue. Tout homme qui a du pouvoir
est porté à en abuser, une femme détenant le pouvoir sera-t-elle
différente ? Serai-je différente ?

Ma tentation de tout arrêter n'a pas duré longtemps, la voix dans


ma tête m'a remise sur le droit chemin..... de toutes façons et
provisoirement je ne changerai rien à mon train de vie, il est important
que je n'attire pas l'attention sinon je suis morte, mon beau petit
jésuite a été clair sur les dangers courus par le vendeur des
documents. En parlant de lui, je suis très surprise de ne pas avoir de
ses nouvelles, quelle leçon d'humilité, je suis moins inoubliable que
je ne l'imaginais. Je n'ai pas revu non plus la 308 blanche, je me suis
sans doute fait des idées.

Pour en revenir à mes projets, un boulevard se présente devant


moi, j'ai tout : la jeunesse, la beauté, la santé, une petite fille belle
comme le jour et le fric, beaucoup de fric, je vais monter au sommet
de l'échelle sociale et dompter ces salopards de machos !

Le seul problème récurent est le vieil Henri, l'autre jour j'ai fait
une grosse connerie en le menaçant par téléphone il va falloir que
j'apprenne à refréner mes instincts. Je ne sais pas trop quoi penser de
son histoire de lettre déposée chez son notaire mais avec les vieux
la méfiance est de rigueur, provisoirement il devient pour moi
intouchable. Je vais tout de même lui donner un avertissement
indirect pour qu'il comprenne que je ne plaisante pas, un petit voyage
rapide dans le Gers va le conforter dans l'idée qu'il lui faut se taire.
Si le fait de m'attaquer frontalement à lui est trop risqué, je peux le
terroriser autrement et je ne vais pas m'en priver.

142
EDEN - ainsi soit-elle

L'action que je vais mener est la toute dernière, promis ! Après, je


deviendrai une gentille fille exemplaire uniquement préoccupée de
réaliser ses objectifs politiques.

J'ai relu récemment le mail de Michel Ange et me suis intéressée


au mystère de Rennes le Château, ce village de l'Aude ou Ernesto
Gutierrez aurait caché la seconde copie de la lettre de Saint Paul. La
fortune de l'abbé Saunière avait-elle un lien avec ce document ? En
tout cas un incident m'a donné une idée.

Peu de temps après l’extraordinaire découverte du fameux “trésor”


faite par Bérenger Saunière, un de ses amis, l’abbé Gélis curé de
Coustaussa, un village proche de Rennes-Le-Château, fut retrouvé
dans sa cuisine le crâne fracassé. Dans la maison les tiroirs étaient
ouverts les meubles avaient été fouillés, pourtant une importante
somme d’argent pour l'époque, mille cinq cents francs en billets, n’a
pas été volée. Aucun témoin, aucune piste, le meurtre de l’abbé Gélis
n'a jamais été élucidé ! Les gens du village affirmèrent que deux
étrangers lui avaient rendu visite la veille. Je suis certaine qu'on a
agressé cet ecclésiastique pour intimider Saunière, intouchable
personnellement pour des raisons inconnues, l'obliger à se taire... et
il s'est tu, son secret est parti avec lui dans sa tombe.

C'est la technique du billard : frapper la boule blanche pour toucher


la rouge, tuer Pierre pour clore le bec à Paul, voilà une affaire bien
pensée et rondement menée, il faut quelquefois s'inspirer des anciens.

143
EDEN - ainsi soit-elle

Une gentille fille exemplaire !

Samedi 23 février 2013. Eauze, Gers.


Eden. Journal intime

Depuis 17h, je suis stationnée juste après l'entrée du parking du


magasin Leclerc avenue Touyarou, celui que j'attends ne devrait pas
tarder. Pour tout le monde je suis à Paris, j'ai éteint mon portable il
ne faudrait pas qu'un appel intempestif transite par l'antenne locale
et permette de me géolocaliser ultérieurement. Je me fais un peu de
programmation neuro linguistique en répétant : l'action que je vais
mener est la toute dernière, promis, juré ! Après, je deviendrai une
gentille fille exemplaire uniquement préoccupée de réaliser ses
objectifs politiques.

Vingt minutes plus tard une vieille 504 noire arrive et se gare,
Robert le meilleur ami d'Henri en descend. Je dois reconnaître qu'il
a encore fière allure, cette génération d'octogénaires a su bien vieillir,
j'aurais aimé les rencontrer quand ils avaient quarante ans, ils devaient
être diablement sexys.
Il dégage un caddie et entre dans le magasin, après quelques
secondes je démarre et me rapproche de sa voiture. Je suis obligée

145
EDEN - ainsi soit-elle

de renoncer à ma première idée, j'avais envisagé de crever deux de


ses pneus avec un tournevis pour l'immobiliser et l'attirer vers moi
mais il y a trop de monde alors je rabats la capuche de ma veste pour
cacher mon visage et je patiente en compagnie de Beethoven et mes
Lucky Strike, j'ai définitivement abandonné les cigarettes fines avec
lesquelles j'essayais de décrocher du tabagisme, après tout mourir de
ça ou d'autre chose... J'en profite pour mettre à jour mon journal
intime que j'emmène maintenant partout avec moi depuis que je suis
devenue presque nomade et préparer des réponses aux mails de
Marie-Josée mon assistante parlementaire. Une heure plus tard, le
parking s'est vidé Robert arrive enfin, charge ses emplettes dans son
coffre, remet le chariot dans la file, récupère son euro et s'installe
dans l'auto.

Je me précipite, ouvre la porte passager :

- Je suis en panne, pouvez vous m'aider?

Sans attendre la réponse je m'assieds, il n'est pas inquiet, au


contraire il parait ravi de voir une femme quémander son aide, il
pense sans doute qu'il aura pour une fois une aventure à raconter à
son épouse. Il ne me reconnait pas immédiatement, il ne m'a vue
qu' une seule fois.
Je baisse ma capuche, à l'expression de son visage on pourrait
presque suivre ce qui se passe dans son cerveau, il réalise enfin et
terrifié balbutie :

- Mais... vous êtes...

Il n'a pas le temps d'en dire plus, pour solde de tous comptes avec
son ami Henri, je cogne trois fois : deux atemis sur la trachée, le
troisième coup avec le poing fermé dans la poitrine.
Il est instantanément en détresse respiratoire, après quelques
secondes je contrôle son pouls, son vieux cœur s'est arrêté, en langage
commando c'est ce que l'on appelle une victime collatérale.

146
EDEN - ainsi soit-elle

Je subtilise son portefeuille, les enquêteurs concluront à une


agression crapuleuse mais Henri comprendra le message et se tiendra
enfin tranquille.
Personne n'a rien vu, je remonte dans ma Rover direction Paris,
mon GPS prévoit 6h 46 de trajet, j'adore conduire la nuit en écoutant
la 5e de Beethoven, la 3e de Brahms, le concerto de Tchaïkovski,
l'adagio d'Albinoni, depuis peu j'ai élargi la liste de mes favoris en
enregistrant les concerts de Cesaria Evora, Hôtel California en huit
versions différentes dont une orientale, une chinoise et pour finir
Stromae.
Programme éclectique !

147
EDEN - ainsi soit-elle

Robert n'est pas rentré

Henri. Mémoires très privées

Je viens de me coucher, de grands coups sont tapés à ma porte.


Je me rhabille en râlant et crie :

- Qu'est ce que c'est ?

- Ouvre, c'est Maurice et Monique. Robert n'est pas rentré !

Je suis tenté de répondre :

- Qu'est ce que tu veux que j'y fasse.

Je pense au sketch d'Elie Kakou travesti en Madame Sarfati


appelant la police à 18h30 parce que son mari n'est pas rentré à 18h
comme d'habitude. Je n'avais pas réalisé qu'il était 21h30, pour Robert
c'est déjà très tard et terriblement inquiétant. J'ouvre, Monique est en
larmes, Maurice la rassure comme il peut :

- Il a dû rencontrer une charrette qui lui a payé un coup à boire.

149
EDEN - ainsi soit-elle

Elle est en panique...

- Non, il m'aurait appelée, le samedi il part toujours à 17h et rentre


toujours à 20h au plus tard pour regarder les infos, je suis sûre qu'il
lui est arrivé quelque chose.

À 22h30 nous le retrouvons dans sa voiture garée sur le parking


désert du Leclerc d'Eauze, affalé sur son volant. La police constate
qu'il a reçu des coups de poing dans la gorge et dans la poitrine, son
portefeuille ayant disparu, l'enquête privilégia la piste d'un vol avec
violences. J'ai compris d'où venait l'attaque, pour moi c'était signé,
Eden m'avait déjà raconté les dégâts occasionnés par un atémi dans
la trachée, une de ses saloperies préférées. Je n'ai parlé à personne de
mes certitudes, j'avais trop honte d'être indirectement responsable de
la mort d'un de mes meilleurs amis. Cette fois c'est la guerre totale.
Pour parer au plus pressé dès le lundi matin j'ai acheté un téléphone
portable basique et ai transmis un sms sur son numéro personnel.

Vous allez m'en vouloir mais je ne peux vous révéler qu'une moitié
de la teneur exacte de ce message, le reste fait partie de mon jardin
secret. Tout le monde a un jardin secret, non ? Ces mémoires ont
beau être très privées, cette fois elles seront privées de certaines
informations mais je ne le ferai plus, promis !

Elle m'a répondu :

Henri vieux brigand c’est


d'accord je vous adore...

À manipulatrice, manipulateur et demi. Rien ne rapproche autant


que des vices communs, j'ai transmis :

... Ok, tu n'entendras plus


parler de moi
Je t' adore moi aussi

150
EDEN - ainsi soit-elle

Bon, puisque apparemment tout le monde s'aime tout va bien,


pour elle désormais je suis inoffensif et c'est l'essentiel. Je n'ai pas
menti, elle n'a plus jamais entendu parler du vieil Henri, je ne suis
pas sûr qu'elle ait gagné au change. Maintenant laissons passer un
peu de temps et retomber la pression mais ne vous inquiétez pas, je
vais mettre un terme à cette folie moi-même, dussè-je y laisser le peu
qui me reste de vie.

Je sais je l'ai déjà dit, je serai plus pervers que la sublime


psychopathe, ma vengeance sera au-delà de ce que vous imaginez en
comparaison de ce que je lui mijote, l'enfer de Dante ne sera qu'un
banal amusement, vous allez pouvoir en juger.

Parfois je me fais peur à moi-même !

151
EDEN - ainsi soit-elle

Deuxième partie

Le complot

Théorie du complot. Définitions :

1/ appelée aussi cabinet noir ou vérité alternative. Explication util-


isée en dernier recours par tout homme politique français pris la
main dans le sac. Eléments de langage communément employés suite
à la découverte d'une malversation : “Je suis victime d'un complot”.

2/ Hypothèse imbécile expliquant que des sociétés secrètes, le


gouvernement, la science ou la médecine “officielle” manipulent
notre destin individuel ou collectif par la désinformation voire le men-
songe. Ce concept commode permet d'expliquer tous les échecs de
l'existence et exonère les perdants de la vie de toute responsabilité
personnelle. Selon cette doctrine auschwitz était une aimable colonie
de vacances, les américains ne sont pas allés sur la lune, les avions
du 11 septembre 2001 n'ont pas fait tomber les Twin Towers, la base
de Roswell dissimule des petits hommes verts, les pyramides ont été
construites par des extraterrestres, Elvis Presley et Michael Jackson
sont toujours vivants, les attentats islamistes sont fomentés par le
gouvernement et les services secrets, etc... Tous ceux qui pensent le

153
EDEN - ainsi soit-elle

contraire font partie d'un vaste dessein à la finalité obscure, c'est Le


Complot !

albert Einstein avait une idée forte parfaitement applicable à


ces élucubrations : « Deux choses sont infinies, l'univers et la bêtise
humaine mais en ce qui concerne l'univers je n'en n'ai pas encore
acquis la certitude absolue ».

Il faut toutefois se méfier, il existe de faux complots et de vraies


conjurations.

154
EDEN - ainsi soit-elle

Vénus aux deux visages

Henri. Mémoires très privées

Avant de déclencher les grandes manœuvres guerrières, j'ai voulu


savoir l'entière vérité sur Eden pour affiner mon plan d'attaque, je
n'irai sûrement pas à la police pour solder mes comptes, je n'ai pas
confiance en la justice de ce pays, avec son immunité parlementaire
ce démon serait encore capable de passer à travers les mailles du filet
et j'ai une autre raison très personnelle, dont je n'ai pas encore envie
de parler, de régler cette affaire moi-même.
J'ai enquêté pendant des mois qui se sont transformés en années,
lu de multiples journaux parlant de toute cette aberration, interrogé
des dizaines de gens, la réalité est bien pire que ce que j'imaginais.

J’ai mis mon costume bleu, mes souliers qui me serrent et me suis
fait conduire par un petit-fils de mon copain Albert, ça lui a procuré
une occupation, malgré son bagage intellectuel, Bac + 4, il est
chômeur..... Je suis allé partout où elle a laissé directement ou
indirectement des marques de son passage... Surtout des cadavres.
J'avais une idée assez précise de la manière dont j'allais solutionner
le problème.

155
EDEN - ainsi soit-elle

J'ai été obligé de prendre plus de temps que je n'aurais souhaité


mais tous ces déplacements me fatiguaient et coûtaient très cher.
Heureusement j'ai une belle retraite, les économies de toute une vie
et surtout depuis peu une rentrée secrète que j'appelle du chocolat,
avec tout ça je suis à l'abri du besoin, c'est une grande jouissance
d'avoir assez de fric pour vivre sans compter, peu de gens ont cette
chance. Sur les conseils du petit-fils d'Albert, j'ai finalement acheté
un Apple pour tout noter, synthétiser, croiser les informations et me
suis fait expliquer son fonctionnement par le gamin de la voisine, un
petit génie des algorithmes, celui que je surnomme Pythagore. Avec
lui j'ai l'impression d'être devenu un vrai pro du web, ensemble nous
sommes même arrivés à prendre la main en douce sur certains
ordinateurs, en toute illégalité, qui n'a jamais rêvé d'être transgressif!

Hacker de 90 ans, j'ai appris ce que je n'aurais pas dû apprendre,


je sais ce que je n'aurais pas dû savoir, j'ai vu ce que je n'aurais pas
dû voir, j'ai compris ce que je n'aurais pas dû comprendre, j'ai entendu
ce que je n'aurais pas dû entendre. Elle a anéanti ma seule affection
filiale en tuant Michel Ange, cet homme que j'aurais pu aimer comme
mon propre enfant, elle a exécuté mon vieux pote Robert, elle a volé
et monnayé des documents redoutables, que va-t-elle faire de tout cet
argent, on peut tout craindre de ce démon. De plus, goutte d'eau dans
l'océan des raisons de ma détestation, elle m'a pris pour un con, aucun
homme jeune ou vieux ne pardonne cette atteinte à son ego, mon
adoration pour elle s'est transformée en haine inextinguible.

Les femmes viennent de Vénus dit-on, Vénus était déesse de


l'amour, de la séduction et de la beauté pour les anciens Romains mais
aussi planète infernale, on le sait maintenant.

Eden, déesse aux deux visages, résume trop bien cette dualité.

156
EDEN - ainsi soit-elle

Professeur Samueli

Marseille, juin 2013


Henri. Mémoires très privées

Le professeur Jean Luc Samueli est le premier témoin que j'ai


rencontré, il était le maître, l'ami de Gilles Davier psychiatre d'Eden
et le plus facile à identifier de tous ceux dont elle a évoqué l'existence.
J'ai pris rendez-vous à sa consultation privée de psychiatrie de
l'hôpital de la Conception à Marseille en prétendant avoir été un
des patients réguliers de Gilles Davier son élève...... Il m'a fallu
attendre presque trois mois pour avoir accès à cette sommité de la
psychiatrie.

Deux choses interpellent chez lui :


- Ses yeux. Ils tirent sur le gris bleuté, mais ce n'est pas leur couleur
qui séduit, ils pétillent d'intelligence. Quand on croise son regard
on a l'impression qu'il lit en nous mais sans insistance déplacée ou
agressivité. Il fait partie de ces gens rencontrés pour la première fois
et que l'on croit connaître depuis toujours, ces êtres chaleureux dont
le contact fait du bien sans pouvoir se l'expliquer, on a envie de
l'aimer, mais surtout on voudrait qu'il nous aime.

157
EDEN - ainsi soit-elle

- Sa voix. Il a une belle voix grave et douce incitant à la confidence,


un peu la voix du curé qui me posait des questions un peu trop
insistantes sur l'éveil de ma sexualité lors des confessions de mon
enfance et m'a incité sans le savoir à devenir athée, moi Henri
l'Agnostique.

À 61 ans, il est totalement chauve. Pas très grand, il promène


avec bonhommie un petit ventre rond, il a sans doute adopté la devise
de Winston Churchill, surtout jamais de sport ! C'est un peu comme
s'abstenir de fumer, au début il faut une certaine volonté, hé hé.

Il a démarré l'entretien d'un ton las :

- Je ne prends plus de nouveaux patients, j'ai accepté de vous recevoir


uniquement parce que vous avez été précédemment suivi par Gilles,
vous alliez à sa consultation de Cannes ?

- Oui, malheureusement il est mort dans un accident.

Des larmes lui sont venues aux yeux il a vite enchaîné :

- Pourquoi étiez vous traité ?

Il s'est mis dans la position d'écoute de quelqu'un qui s'apprête


à beaucoup s'ennuyer. Je l'ai vite détrompé :

- Chaque nuit je fais de terribles cauchemars... Je vois une femme qui


tue Gilles Davier et une policière, puis aidée de son amant elle charge
les deux corps dans une voiture qu'elle précipite dans un ravin après
l'avoir incendiée pour faire croire à un accident.

Incrédule, il m'a regardé comme si j'étais le Sauveur.

J'ai poursuivi :

158
EDEN - ainsi soit-elle

- Certains soirs je vois des cadavres dans une clairière, un jeune


garçon avec la tête ensanglantée et une petite fille cachée dans une
voiture.

Il a sauté sur son téléphone :

- Nathalie, vous annulez tous mes rendez-vous....... Oui...... et bien


démerdez-vous, répartissez-les entre les internes présents.

Il s'est tourné vers moi :

- Bon dieu mais qui êtes-vous ?

- Mon nom ne vous dirait rien mais je détiens les réponses à certaines
de vos questions.

J'ai bien cru qu'il allait m'embrasser.


Comme au poker je n'avais pas envie de montrer mes cartes avant
qu'il ait payé pour voir, alors je suis resté mystérieux sur mon identité,
je n'ai pas eu besoin de beaucoup insister pour qu'il me divulgue ses
informations avant de me dévoiler. Je ne me suis pas trompé, ce
psychiatre est devenu sans le savoir le personnage central de cette
histoire.

Il m'a montré le mail d'outre tombe transmis par Gilles Davier


avant sa disparition, ceux échangés avec le lieutenant Brocka du
commissariat de Cannes. Ce policier était sans doute tout près
d'arrêter Eden quand le drame s'est déroulé. J'ai hésité un peu avant
de vous raconter ce que m'a dit le professeur Samueli, j'avais peur de
vous ennuyer.
Il était tellement soulagé de rencontrer quelqu'un susceptible de
le croire et d'apporter de l'eau à son moulin que son récit fut très long
mais très instructif. Je vous le restitue fidèlement, enfin j'essaie...

159
EDEN - ainsi soit-elle

Premier comploteur : Jean Luc Samueli

“En mai 2011 s'est produit dans le Var un évènement dont je me


sens indirectement responsable, La Tuerie de la Clairière Divine,
encore dans toutes les mémoires. Le sommeil m'a fuit pendant
plusieurs semaines. Les policiers du commissariat de Cannes avaient
un coupable idéal, ils n'ont pas cru à mon histoire de diablesse qui
aurait tué mon ancien disciple le psychiatre cannois Gilles Davier et
déclenché ce massacre, je suis très en colère, terriblement angoissé
donc désagréable. Marié depuis treize ans en secondes noces avec
Marie, pharmacienne en ville âgée de 46 ans, nous avons deux
enfants, des filles, dix et douze ans. Ma femme n'a pas l'habitude de
me voir en colère et angoissé, cela ne me ressemble pas..... N'ayant
pas l'intention de supporter plus longtemps cette situation, un soir elle
m'a pris à partie calmement et m'a demandé d'exposer le problème
qui me rendait si chiant.

Je lui ai tout expliqué, elle m'a écouté avec attention comme


toujours, ne s'est pas moquée de moi comme je le craignais et a
résumé l'histoire en quelques phrases :

- Tu penses envers et contre tous qu'il y a une psychopathe multi

161
EDEN - ainsi soit-elle

criminelle en liberté qui risque de récidiver, tu as sans doute raison,


mais je crois aussi que tu abordes un sujet qui peut devenir dangereux
pour toi et nous, ta famille. Je suis catégorique, laisse tomber.

Nous avons discuté calmement de la situation et conclu un deal.


Je vais faire ma petite enquête personnelle, tout dans le feutré pour
ne pas mettre quiconque en danger, je considère que c'est mon devoir
de rendre justice à mon ancien élève et je me sens indirectement
responsable du massacre qui a suivi mes révélations au commissariat
de Cannes, je ne peux pas vivre désormais comme si rien ne s'était
passé. J'ai besoin de savoir. Je pensais qu'ainsi je pourrais exorciser
mes angoisses.

J'ai retrouvé mon sourire, parler m'a fait du bien et je suis ravi
d'avoir trouvé chez mon épouse une oreille complaisante. Je m'en
veux un peu de ne pas lui avoir fait confiance plus tôt et pourri
l'ambiance familiale. Marie est contente d'avoir rétabli l'harmonie
conjugale.

Dès le lendemain j'appelle les parents de la petite Cerise, seule


survivante de la tuerie de Montauroux, leurs noms et leur adresse
figurent dans tous les journaux relatant le drame. J'ai conservé les ar-
ticles pour les relire sans fin, cherchant à faire surgir ma vérité entre
les lignes, traquant un détail qui m'aurait échappé.

Mes interlocuteurs ont semblé être très impressionnés par mon titre
de professeur et ont accepté de me rencontrer un peu plus tard
chez eux à Saint Gervazy, près d'Issoire. Je n'ai pas parlé de ma
spécialisation, psychiatre, pour ne pas inquiéter la famille de l'enfant,
on mélange encore trop souvent psychiatrie et folie, j'ai seulement
dit que j'étais un ami des Davier et voulais leur faire une visite
amicale.

162
EDEN - ainsi soit-elle

Je pars le 24 août 2011 à 14h. J'ai préparé mon itinéraire, pour


l'aller je passerai par Nîmes et Montpellier, le retour se fera par Saint
Etienne et Vienne.

Après un voyage de presque 500 kms je dors dans un hôtel à Issoire.


Le lendemain, j'arrive à 10h à Saint Gervazy, je suis charmé par la
beauté des lieux, le château, les maisons en pierres, le ruisseau qui
traverse le village”.

163
EDEN - ainsi soit-elle

La petite fille et la fée qui sentait bon

Suite du récit de Jean Luc Samueli :

“Les parents de la fillette habitent une belle demeure en pierres


jointoyées de chaux blanche, ils me reçoivent dans leur salle à manger
au plafond voûté en pierres également. Il a été facile de faire parler
la fillette, adorable petite pipelette, elle avait pris l'habitude d'être le
centre des attentions, c'est elle qui a tenu à me raconter son histoire.
Ne soyez pas surpris j'utilise bien sûr mes propres mots tout en
essayant de ne pas trahir sa pensée :

- Avec tatie Chantal nous avons acheté plein de bonnes choses pour
la dînette, du jambon, deux poulets rôtis, des chips j'adore les chips,
du taboulé, des parts de pizzas, des carottes râpées, des tomates beurk
j'aime pas les tomates, des baguettes, des yaourts à boire à la fraise,
du coca et du vin mais pas de dessert, elle a dit que c'était Marguerite
qui amènerait le dessert. Après on est allées dans une grande forêt ou
il y avait un très gros bidon. Tatie Chantal a pleuré un peu, j'ai vu des
larmes dans ses yeux, moi je suis descendue de la voiture et je l'ai
aidée à sortir les affaires du coffre. Comme ses larmes continuaient
à couler, je lui ai fait un gros câlin et je suis allée ramasser plein de

165
EDEN - ainsi soit-elle

fleurs pour lui faire un beau bouquet. Timothé, son papa et un autre
monsieur sont arrivés, Timothé a grimpé sur le gros bidon, tout en
haut et m'a appelée pour que je monte aussi.

- Tu connaissais déjà Timothé ?

- Oui, lui et son papa sont venus chez tatie Chantal pour Noël.

- Tu es montée sur le gros bidon ?

- Non, l'échelle était trop haute et toute sale, j'avais peur de salir ma
robe et il y avait des toiles d'araignées, j'ai peur des araignées et aussi
des grillons.

Cerise me regardait sans crainte. On sentait qu'elle avait envie de


rire, mon crâne est tout luisant, comme un miroir, c'était sans doute
la première fois qu'elle voyait un monsieur avec une tête pareille. Je
lui parlais comme à une adulte avec ma voix grave, pas du tout avec
la voix bête que les grandes personnes se croient obligées d'employer
pour parler aux enfants, je crois qu'elle m'aimait bien.

- Tu as bien fait de ne pas salir ta robe. Et après ?

- Après, j'ai vu un papillon, je l'ai suivi, il s'est posé sur une fleur à
côté d'un autre papillon, ils se sont parlés.

- Ils se sont parlés ?

- Oui, quand les papillons se touchent, ils se parlent mais nous on ne


peut pas les entendre, c'est tatie Chantal qui me l'a dit l'année dernière.

- Qu'est ce qu'ils se disent ?

- Ils se disent qu'ils s'aiment et qu'ils veulent faire des bébés.

166
EDEN - ainsi soit-elle

- Ils ont bien de la chance de s'aimer.

- Oui mais ils ont eu peur et se sont envolés.

- Ils ont eu peur de toi?

- Non, des pétards.

- Des pétards ?

- Oui, j'ai entendu des pétards, les papillons se sont envolés et un


méchant monsieur a fait tomber Timothé du gros bidon et a tapé sur
sa tête avec un bout de fer. J'ai eu peur, j'ai fermé mes yeux et j'ai mis
ma tête entre mes bras.

- À quoi ressemblait ce méchant ?

- Un monsieur très grand et très vieux avec des cheveux tout gris. Il
a dit Aïe il avait mal à la main et il était très en colère.

L'instant était magique, nous retenions notre souffle. Les parents


de la fillette paraissaient en confiance, je m'étais présenté comme un
ami des Davier venu leur faire une visite de courtoisie. Cerise parlait
avec beaucoup de spontanéité et de calme et ne semblait pas perturbée
par son aventure incroyable. Ce serait une chance inouïe qu'elle
soit capable d'une telle résilience, cette capacité innée qu'ont certains
êtres de digérer un choc traumatique et de le surmonter pour se
reconstruire. Il faut toutefois être prudent, je suis bien placé pour le
savoir, les séquelles d'un traumatisme psychologique de cette ampleur
peuvent ressurgir très longtemps après l'évènement perturbateur.

- Le méchant a ramassé une grosse pierre, il m'a attrapée par le cou


il voulait “m'étranguer”.

- Qu'est-ce qu'il voulait te faire ?

167
EDEN - ainsi soit-elle

- Il voulait m'étranguer, me serrer le cou quoi ! la fée est arrivée, elle


a crié : ne touche pas à la petite fille.

- Une fée est arrivée ?

- Oui, entre mes doigts j'ai vu une dame très belle et très grande
habillée tout en blanc, une fée quoi !

Ce mot “quoi” semblait l' amuser beaucoup, en le prononçant peut-


être avait-elle l'impression d'être une grenouille. Elle a mis sa main
devant sa bouche et s'est moquée gentiment :

- Pfft! Tu n'as jamais vu de fées Jean Luc, quoi ?

- Si mais il y a tellement longtemps que j'avais oublié leur apparence.

En pensant à ma première épouse, je me suis souvenu du dicton :


le mariage transforme les fées en sorcières et les princes charmants
en bonobos. C'est pas faux !

- La fée a crié : ne touche pas à la petite fille. J'ai ouvert les yeux, j'ai
vu son dos, comme le méchant voulait me taper quand même avec la
grosse pierre pour me “tuver” elle lui a donné un coup de poing là -
elle a montré sa poitrine - et le méchant est tombé par terre, j'ai vite
refermé les yeux.

- La fée a donné un coup de poing au méchant ?

- Elle lui a donné un grand coup de poing, le méchant est tombé par
terre, la fée m'a prise dans ses bras, elle sentait bon.

- Tu as vu son visage ?

- Non, elle a mis sa main sur mes yeux, elle a caressé mes cheveux,
elle sentait trop bon, elle m'a cachée dans la voiture sous la jupe de

168
EDEN - ainsi soit-elle

tatie Chantal qui dormait. Elle m'a dit de ne pas ouvrir les yeux et de
ne plus bouger. Comme j'avais peur que le méchant revienne, je n'ai
pas bougé, j'ai un peu pleuré mais doucement pour ne pas réveiller
tatie Chantal, j'avais soif et puis je me suis endormie. Quand je me
suis réveillée j'avais très soif et il y avait plein de gens et des
gendarmes autour de la voiture. Je n'ai pas bougé mais un gendarme
a crié : “il y a une petite fille cachée dans la voiture” il m'a donné à
boire et tout le monde a été très gentil avec moi, ils m'ont prise en
photos. Le méchant et la fée étaient partis. La nuit des fois je rêve
que la fée devient le méchant et veut me tuver. Mon papa et ma
maman sont venus me chercher à l'hôpital, ils m'ont dit que tatie
Chantal était partie en voyage, je lui ferai un gros bouquet quand elle
reviendra.

Fatiguée d'un si long discours elle a demandé :

- Maman, je peux aller jouer dehors maintenant ? "

169
EDEN - ainsi soit-elle

Un ange dans une Rover rouge…

“Clément, le père de Cerise m'a proposé un second café que j'ai


accepté avec reconnaissance.
Le récit de la petite fille était hallucinant, très riche d'enseignements.
Catherine, la mère de Cerise semblait un peu subjuguée par mon titre
de professeur dans un grand hôpital de Marseille et ami des Davier.
Manifestement elle appréciait mon désir de comprendre et partager
leur désarroi face à des évènements catastrophiques s'étant subitement
abattus sur leur vie et leur environnement qui avaient été jusqu'ici un
long fleuve tranquille : Gilles Davier qui venait chaque année
en vacances à Saint Gervazy mort dans un accident de voiture
rocambolesque. Sa sœur Chantal leur voisine et amie intime
assassinée presque sous les yeux de leur petite fille, seule survivante
d'un massacre insensé, devenue bien malgré eux une vedette
internationale.
Ils ont été obligés de la cacher quelques jours pour la soustraire
à la curiosité malsaine de certains journalistes, un paparazzi a même
loué une blouse à un infirmier pour tenter de la photographier sur son
lit à l'hôpital de Fréjus où elle était restée en observation. Clément l'a
sorti manu-militari de l'hôpital à grands coups de pied aux fesses.
Sur les conseils des médecins, ils ont dans un premier temps refusé

171
EDEN - ainsi soit-elle

catégoriquement l'audition de leur fillette par les enquêteurs. Plus


tard ils ont essayé de parler mais personne n'avait alors envie
d'écouter, l'affaire étant élucidée, l'audition était devenue inutile. Le
calme est revenu mais le silence a été pire pour eux, ils doivent vivre
avec ce drame toujours présent dans leurs têtes. Ils ne peuvent
s'empêcher de craindre pour la vie de Cerise et chaque nuit Catherine
se réveille en sursaut, guettant les bruits suspects. Elle sent rôder un
danger autour de son enfant qui leur a déjà raconté cette histoire de
méchant et de fée, ils ont pris son récit très au sérieux.
Clément a remonté du sous-sol sa vieille carabine 22 long rifle à
un coup. Ma visite les a un peu rassurés, quelqu'un partage leurs
préoccupations, ils se sentent moins seuls.
J'ai poursuivi :
- Vous avez envisagé un suivi psychologique pour Cerise? C'est
indispensable.

- Vous doutez de son récit ?

- Non, non, je crois que tout ce qu'elle raconte est digne de foi. Je
suis très surpris par sa maturité, la manière dont elle a perçu son
aventure et le naturel avec lequel elle la raconte. Je ne vous ai pas
encore expliqués pourquoi je suis là. Je suis le chef du service de
psychiatrie de l'hôpital de la Conception, Gilles a été un de mes
“étudiants” puis m'a secondé en qualité d'interne. J'ai été terriblement
affecté par son décès et par cette tragédie, plus que vous ne pouvez
l'imaginer, je crois en avoir été malheureusement le responsable
indirect.

Je leur ai alors raconté toute l'histoire.


Clément et Catherine se sont regardés, éberlués ! Ils donnaient
l'impression d'être dans un film d'horreur, il est vrai que je ne les ai
pas épargnés : une patiente psychopathe de Gilles aurait tué des gens
en pèlerinant sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle,
précipité Gilles et une policière dans un ravin puis aurait sans doute,
enfin c'est ce que je crois, exécuté quatre adultes par balles, défoncé

172
EDEN - ainsi soit-elle

le crâne d'un gamin et finalement épargné leur petite fille ! Les fées
sont plutôt sanguinaires mais heureusement sélectives cette année.

- Mais alors qui serait celui qu'elle nomme le méchant ? demande


Catherine.

- Sans doute l'amant de la psychopathe. Reste à comprendre pourquoi


elle l'a frappé pour sauver votre fille. Avez-vous l'impression que
Cerise modifie son récit au fur et à mesure que le temps passe, fait-
elle des rajouts?

- Pas du tout, elle n'a pas varié depuis le début.

- Puis je me permettre de vous poser quelques questions?

- Bien sûr.

- Cerise nous a dit qu'elle connaissait déjà le fils du policier qui était
venu passer Noël chez Chantal Davier. Qu'elle était la nature des
relations de ce policier avec votre voisine ?

Catherine gênée regarde Clément qui répond.

- Je crois bien qu'ils étaient amoureux, ce qui intriguait beaucoup les


gens du village, il devait avoir environ 35 ans, elle en avait 54.
Derrière son dos certains imbéciles la traitait de cougar !

- Comment se sont-ils retrouvés dans cette clairière pour pique-niquer


et pourquoi pleurait-elle ?

- C'était une artiste, une musicienne. Les questions d'intendance et


de finance ne l'intéressaient absolument pas. Elle tenait avant tout à
se débarrasser rapidement de la maison de son frère qui la tenait en
souci, elle craignait les squatteurs et tous les problèmes liés à la
gestion de ce patrimoine. Elle était partie à Cannes pour signer un

173
EDEN - ainsi soit-elle

deuxième compromis pour la vente de cette maison, le premier


compromis avait été annulé, ses acquéreurs n'ayant pas pu avoir leur
prêt. Elle avait décidé de faire un pique-nique pour arroser cette
nouvelle transaction qui lui paraissait solide cette fois et avait insisté
pour emmener Cerise avec elle. Comme elle n'avait pas eu d'enfant,
elle considérait un peu notre fille, qui l'appelait tatie Chantal, comme
la sienne.

- Vous lui avez fait manquer l'école ?

- C'était exceptionnel. La maîtresse nous a dit que ce serait sans


grande conséquence, le mois de mai est truffé de ponts et jours fériés,
les classes sont souvent clairsemées et tournent au ralenti et Chantal
s'occupait toujours bien de ses devoirs.

- Avez-vous une idée de qui peut bien être cette Marguerite qui devait
amener le dessert, vraisemblablement la psychopathe que Cerise
appelle la fée ?

Clément se tourne vers Catherine :

- Tu as une réponse? moi je ne vois pas du tout, je n'ai jamais entendu


Chantal parler d'une Marguerite quelconque. Catherine ne connait
personne qui porte ce prénom totalement démodé. -

- Sans doute une personne déjà un peu âgée suggère-t-elle.

- J'ai une dernière question, Cerise a insisté deux fois sur le fait que
la “fée” sentait très bon, est-elle particulièrement sensible aux
odeurs?

- Oui, elle adore se parfumer. Nous en ferons peut-être un “nez”


comme on nomme les spécialistes des mélanges dans les grandes
maisons de création de fragrances.

174
EDEN - ainsi soit-elle

Clément et Catherine auraient voulu me garder à déjeuner, j'ai dé-


cliné leur invitation je devais rentrer à Marseille, ce n'est pas la porte
à côté. Je suis reparti à regret après avoir embrassé Cerise et donné
quelques conseils concernant son suivi psychologique.

Nous nous sommes promis de rester en contact.


Le premier qui aura du nouveau appellera l'autre. En partant j'ai
croisé un Range Rover Evoque rouge à toit noir immatriculé PACA
conduit par une fille qui m'a paru splendide pour ce que j'ai pu en voir
à travers les vitres légèrement teintées, j'ai cru voir un ange, ma
journée en a été toute illuminée”.

175
EDEN - ainsi soit-elle

Ange ou démon ?

“25 août. Le long ruban de voitures roule lentement sur l'A7, l'été
il y a toujours un ralentissement entre Tain l'Hermitage et Orange.
J'ai prévenu Marie que je rentrerai tard.
J'essaie de me remémorer le beau visage angélique entrevu dans
la Rover rouge. La rencontre a été trop furtive pour susciter un
fantasme, de toutes façons j'ai toujours été fidèle à Marie, même en
pensées.

Pour me changer les idées je repasse en boucle dans ma tête le


récit de Cerise...

C'est incroyable, même confrontée à un danger mortel, la fillette


a d'abord retenu de son aventure la danse amoureuse des papillons et
a reconnu une fée dans la femme habillée en blanc, j'en ai les larmes
aux yeux, soudain j'ai envie de voir mes enfants et les serrer contre
moi, je ne leur dis pas assez “je vous aime”. J'ai été très ému par cette
histoire de papillons qui se parlent et se disent qu'ils s'aiment, la
poésie est partout autour de nous mais on ne la voit plus, seuls les
enfants perçoivent la magie du monde, on devrait les écouter avec
plus d'attention.

177
EDEN - ainsi soit-elle

Je reviens sur la terre bêtement réelle des adultes. Cerise a dit :

- Le méchant était très vieux avec des cheveux gris, il a tapé sur la
tête de Timothé avec un bout de fer et a dit “Aïe”. La fée a donné un
grand coup de poing dans la poitrine du méchant, il est tombé par
terre.

Il est bien évident que pour une fillette de cinq ans toute personne
de plus de vingt ans est terriblement vieille mais elle a donné un
élément objectif, l'homme avait des cheveux gris, on peut donc
raisonnablement estimer qu'il devait avoir au moins 55 ans.
Il a frappé la tête de Timothé avec un bout de fer, sans doute le
pistolet qui lui a servi à exécuter les quatre adultes. Il a dit Aïe, donc
il s'est fait mal à la main en cognant le gamin ce qui montre la
violence des coups portés. Ce salopard est cruel et lâche il faut
absolument que j'appelle Ambre la maman de Timothé, ex-femme
du lieutenant Brocka, pour avoir des nouvelles.

La fée a dit “ne touche pas à la petite fille” puis donné un grand
coup de poing dans la poitrine de l'homme. Lors de mes cours
d'anatomie, il y a longtemps, mes professeurs m'ont appris a identifier
plusieurs points vitaux dans une poitrine. Un coup violent porté dans
la région du plexus solaire peut tuer une personne de santé fragile.
Cet enfoiré a disparu. Soit il a pu se relever seul, soit la “fée” l'a
récupéré. Dans tous les cas elle est complice puisqu'elle est partie
également. La bizarrerie de cette affaire, c'est le fait qu'elle n'ait pas
bougé pour défendre le garçon mais qu'elle ait ressenti le besoin de
s'interposer et de frapper son complice pour sauver la fillette...
Si l'homme a pu se relever seul on ne le retrouvera pas, par contre
il existe une chance infime pour que la femme ait été obligée de
l'emmener chez le médecin le plus proche ou dans un service
d'urgence.

Je m'arrête sur l'aire de Mornas. Une ancienne forteresse couronne


la falaise qui domine l'autoroute. Je me fais une réflexion : il y a au

178
EDEN - ainsi soit-elle

moins quarante ans que je passe ici et je n'ai jamais pris le temps de
voir cette merveille de près, je suis vraiment un gros nul. Je roule à
toute allure comme un abruti, mon existence court chaque seconde
vers sa fin et je ne sais pas profiter du présent. J'ai l'air malin, moi
qui donne des leçons de vie à mes patients à grands coups de “carpe
diem” et de “prenez le temps de vivre” !

J'ai quelquefois l'impression désagréable de passer à côté de ma


vie. Alors je me permets de m’arrêter un jour pour flâner un peu et
visiter tranquillement ce village de Mornas dont le nom ne représente
aujourd’hui pour moi qu’une aire d’autoroute.

Il faut que je réapprenne à voir les merveilles du monde.


Je m'installe avec un coca dans le patio à ciel ouvert de l'aire après
avoir fait le plein de carburant. Je consulte sur Google les numéros
de téléphone des divers médecins et des hôpitaux les plus proches de
Montauroux et les note. Je les appellerai de ma voiture, cela me
passera le temps, Marseille est encore à deux heures de route. Le
Bluetooth avec commande vocale m'autorise à téléphoner en roulant.
Je repars, mon premier appel est pour Ambre. Elle est inquiète, je la
comprends :

- Timothé est sorti du coma, il ne se souvient pas de ce qui s'est passé,


il reste pour le moment un peu handicapé du côté gauche, il réclame
sans cesse son père. Ce qui m'inquiète beaucoup c'est son changement
de personnalité, il est devenu violent, il frappe les infirmières il a
même essayé de mordre un médecin.

Je tente de la rassurer :

- Ne vous inquiétez pas, un comportement violent chez un enfant ne


signifie pas que la violence va durablement s'installer, il exprime
toujours une perturbation ou une souffrance. Les repères sécurisants
de votre enfant ont volé en éclats, mais vous allez l'aider à se
reconstruire, avec le temps il retrouvera son équilibre. Par contre il

179
EDEN - ainsi soit-elle

est indispensable d'envisager une prise en charge psychiatrique,


n'hésitez pas à me recontacter si vous pensez que je puisse vous être
utile.

- Merci, vous êtes adorable, j'aurai bien besoin de vous.

Je raccroche et appelle les services médicaux proches de


Montauroux, le village où a eu lieu la tuerie du 21 mai. Ma qualité
de professeur et chef d'un service de l'hôpital de La Conception me
facilite l'accès à mes interlocuteurs.
Aucun médecin du pays de Fayence n'a eu le 21 mai de patient
nécessitant des soins vitaux. L'hôpital de Fréjus, l'hôpital de
Draguignan, le centre de cardiologie la Chènevière à Callian n'ont
pas eu d'hospitalisation d'urgence d'un homme en danger vital suite
à un choc dans la poitrine. Je suis un peu désappointé, il me reste
deux possibilités : l'hôpital des Broussailles à Cannes et le centre
hospitalier de Grasse chemin Clavary. Si ni l'un ni l'autre n'a de
réponse positive, je laisse tomber.

L'interne du service des urgences de Grasse se rappelle


parfaitement avoir reçu le 21 mai vers 13h un appel de détresse d'une
femme désespérée dont le compagnon était en syncope. En fait il se
souvient surtout de la grande beauté de la femme. L'interne étant
débordé, Thierry Gould le senior réanimateur anesthésiste d'astreinte
a assuré la prise en charge de l'urgence mais l'homme était déjà mort
d'un arrêt du cœur en arrivant à l'hôpital. Je demande à parler au
senior réanimateur.

- Vous n'avez pas de chance, il est actuellement dans le secteur de


l'ile de Saint Martin où il fait un remplacement, il rentre dans deux
mois.

Fin provisoire de la piste pour moi, depuis avec le cancer du


sein de Marie, j'ai eu bien d'autres préoccupations”.

180
EDEN - ainsi soit-elle

Ange et démon

Henri...

J'ai hésité quelques secondes avant de me décider :


- Professeur, vous étiez tout près de la vérité. Je vais vous révéler un
secret mais avant vous allez me jurer sur la tête de vos deux filles de
garder provisoirement cette information pour vous.

Il m'a regardé, a souri et dit :


- Je le jure.

- Non, vous souriez, moi je suis sérieux, votre famille et vous-mêmes


êtes en danger, la psychopathe vous connait, la sœur de Gilles Davier
lui a parlé de vous sans penser à mal, pour le moment elle vous a sans
doute oublié, si vous parlez à qui que ce soit de ce que je vais dire les
conséquences peuvent être dramatiques, elle n'hésitera pas une
seconde à vous supprimer, vous et votre famille.

Il a levé la main droite, et cette fois gravement il a répété :


- Je le jure.

181
EDEN - ainsi soit-elle

- Vous avez croisé une Rover rouge à toit noir en partant de Saint
Gervazy ?

- Oui.

- Au volant de cette voiture vous avez entrevu une femme avec un


visage d'ange ?

- Oui, c'est ce que j'ai dit.

Son souffle s'est fait plus court, il commençait à comprendre où


je voulais en venir.

- Ce n'était pas un ange mais le démon que vous recherchez, elle a


racheté la maison des Davier. Sa sœur et sa petite fille habitent là-
bas en ce moment.

Il est resté sans voix, son visage est passé par toutes les couleurs,
il était à deux doigts de la crise cardiaque.

J'ai rajouté :

- Le culot et la dangerosité de cette femme dépassent tout ce que vous


pouvez imaginer, lisez la première page des journaux du 7 juillet 2011
(celui relatant l'exécution des deux jeunes garçons au Campanile de
Grasse) pour vous en convaincre. Son nom est Marguerite Leroy mais
elle se fait appeler Eden, elle est actuellement députée. J'ai beaucoup
réfléchi à la manière de l'affronter. Bien sûr nous pouvons aller à la
police, dans l'hypothèse où l'on nous croirait, ce qui n'est pas sûr du
tout vous en savez quelque chose, avant toute poursuite il faudrait
faire lever son immunité parlementaire, nous serions tous morts avant
la fin de la procédure. Nous n'avons pas le choix, nous devons la
mettre hors d'état de nuire nous-mêmes. Dans quelles conditions
pouvez-vous faire hospitaliser d'urgence et d'office une psychopathe
dangereuse ?

182
EDEN - ainsi soit-elle

- La loi actuelle doit-être modifiée et complétée incessamment, de


nouvelles dispositions vont réformer les modalités de prise en charge
psychiatrique. La notion d'hospitalisation sans consentement va être
remplacée par celle de soins psychiatriques sans consentement définis
dans le Code de santé publique. Des trois modes de soins obligatoires
prévus, un me parait particulièrement bien adapté au problème, celui
appelé : cas de péril imminent (SPI). L'internement provisoire
ne nécessite alors pas l'avis d'un tiers familial et peut être effectué
sur production d'un certificat médical et décision du directeur
d'établissement de santé, c'est-à-dire moi.
Une période d'hospitalisation forcée d'une durée maximum de 72
heures est possible avant de décider du type de prise en charge :
sortie, hospitalisation ou soins ambulatoires libres ou hospitalisation
complète sans consentement. Bien entendu l'internement pour péril
imminent reste rarissime et doit-être justifié par un évènement
exceptionnel.

Croyez-en le vieil Henri, rien ne vaut les conseils éclairés d'un


professionnel avisé..... Reste donc pour moi à créer cet évènement
exceptionnel propre à justifier un internement forcé consécutif à un
péril imminent, j'aurai alors trois jours pour régler définitivement le
problème, il peut s'en passer des choses en trois jours ! J'ai déjà
quelques idées amusantes. On considère que l’activité du cerveau
cesse, au plus tard, dans les deux minutes qui suivent l’arrêt des
battements cardiaques. Des chercheurs canadiens qui voulaient
étudier précisément ce qui se passait au moment du décès de quatre
patients ayant donné leur consentement, ont eu une grosse surprise,
pour l’un d’entre eux, un homme de 67 ans, ils ont observé des
signaux électriques persistants à l’électroencéphalographe pendant
10 minutes et 38 secondes, après que le cœur ait cessé de battre ! Si
cela est vrai je vous promets quelques motifs de réjouissance, la
vengeance pour moi est un plat qui se mange bien assaisonné.

Nous nous sommes quittés en promettant de nous contacter


régulièrement, je lui ai demandé les coordonnées de la mère de

183
EDEN - ainsi soit-elle

Timothé, Ambre, ex femme du lieutenant Jean Michel Brocka exécuté


d'une balle de parabellum dans la tuerie de Montauroux. Il l'a appelée
devant moi pour me recommander à elle.
Avant mon départ il m'a redemandé mon nom, après quelques
secondes d'hésitation je lui ai dit qui j'étais et lui ai donné mon
numéro de portable.

Une heure après mon départ le professeur Samueli m'a rappelé,


sa voix tremblait :

- Je viens de regarder sur internet la première page de Var-matin du


7 juillet 2011 comme vous me l'avez suggéré, ne me dites pas qu'elle
est responsable du carnage du Campanile de Grasse !

- C'est elle.

- C'est le diable cette femme, comment est-ce possible ?

- Elle est championne de Taekwondo art martial coréen et pourrait


vous tuer d'une seule main, vous comprenez mieux pourquoi il est
impératif que vous ne vous rappeliez pas à son bon souvenir. J'insiste,
ne bougez surtout pas je m'occupe de tout, il nous faudra du temps
mais nous l'aurons.

184
EDEN - ainsi soit-elle

De battre, mon cœur s'arrête parfois

15 août 2013.
Henri. Mémoires très privées

Depuis quelques jours je suis un peu fatigué. Aujourd'hui avec les


copains on a décidé d'aller manger à Auch mais quand ils frappent à
ma porte j'ai de la difficulté à me lever, je n'ai mal nulle part mais je
me sens tout faible, j'ai l'impression par moments que mon cœur
s'arrête.

Maurice, anesthésiste à la retraite vous vous en souvenez, prend


mon pouls et pose la paume de sa main sur mon front, effaré il
annonce 40. Je m'insurge :

- Tu te trompes, je n'ai pas de fièvre.

- 40 ce n'est pas ta température mais le nombre de tes pulsations


cardiaques à la minute, la norme est de 60 je crois bien que tu nous
fais une bonne bradycardie, de plus ton cœur a des ratés, actuellement
il manque un coup sur quatre ou sur cinq.

185
EDEN - ainsi soit-elle

C'est curieux, Michel Ange, celui que j'aurais aimé considérer


comme mon fils spirituel, souffrait de ce même trouble du rythme,
existe-t-il une génétique de l'amour filial virtuel ?
Je tente maladroitement quelques mots d'humour :

- Je me demande d'où cela peut bien provenir, ce n'est pourtant pas


l'âge, je n'ai que 90 ans.

- Moi je sais, Rimbaud écrivait : et puis voici mon cœur qui ne bat
que pour vous. Le tien ne pulse plus pour personne tu as découragé
toutes les femmes du département, il n'est donc pas étonnant qu'il
fasse l'impertinent et tape à l'économie.

Bon public je m'étrangle de rire, je ne lui fais pas l'affront de


rectifier le nom de l'auteur de la citation, n'étant pas un littéraire
il confond Rimbaud et Verlaine défaut véniel, il a bien d'autres
qualités. Après une batterie d'examens: électrocardiogramme, holter,
doppler, exploration du faisceau de His et autres joyeusetés, le corps
médical unanime décida de m'implanter un stimulateur cardiaque,
pacemaker en anglais.
Maurice insista pour que l'opération ait lieu au CHU de Toulouse
haut lieu de la cardiologie du sud-ouest et non à Agen qui ne méritait
pas d'après lui d'accueillir un patient tel que moi. Pour apaiser mon
stress il a essayé de plaisanter :

- Les infirmières toulousaines sont toutes d'anciens mannequins


obligées de porter des bas résilles et un string sous leur blouse, elles
sont tenues par leur contrat de travail de faire au moins un strip-tease
chaque soir.

Hé hé, sacré Maurice, je t'aime. Il a même proposé de s'occuper


de mes poules.

Fin 2013 je me suis enfin décidé, en fait l'opération était bénigne.


Un médecin a implanté sous la peau de mon pectoral droit une “pile

186
EDEN - ainsi soit-elle

sentinelle”, reliée au cœur par une sonde intraveineuse se terminant


par des électrodes, elle ne se déclenche qu'au-dessous d'une certaine
fréquence pour relancer “la pompe”. Au début, l'intervention d'une
force étrangère forçant le cœur à taper plus vite est très désagréable,
puis on s'habitue et finalement on est rassuré.

Quelques jours plus tard je pouvais m'enorgueillir d'être un papy


bionique dans une forme éblouissante.

Début 2014, je repris mes pérégrinations complotistes.

187
EDEN - ainsi soit-elle

Second comploteur : Timothé

Mars 2014. Cannes.


Henri. Mémoires très privées

Cannes est une très belle ville, le boulevard du midi longe la plage
sur plusieurs kilomètres, le soleil se reflète sur la mer, les îles de
Lérins semblent à portée de main. Nous arrivons dans le secteur de
La Banane sur le coup des onze heures, je suis en peu angoissé, nous
sommes sur le territoire d'Eden, il serait catastrophique que je la
croise mais je n'ai pas le choix alors je descends ma casquette à
carreaux sur mes yeux et m'enfonce dans mon siège.

J'ai rendez-vous avec Ambre Brocka, la femme d' un des policiers


abattus par Michel Ange lors de la tuerie de la clairière divine, elle
habite un petit appartement situé au 5e étage de la rue d'Antibes, au
n°57, juste en face de la galerie du Gray d'Albion.

Lorsque j'entre chez elle, je remarque immédiatement l'ado affalé


dans un fauteuil avec des écouteurs dans les oreilles et un ordinateur
sur les genoux. Une large balafre court sur son front et se poursuit
sur son crâne dégarni de part et d'autre de la cicatrice, je présume que

189
EDEN - ainsi soit-elle

je suis en présence de Timothé, les stigmates marquant son visage


sont vraisemblablement les traces laissées par la sauvage agression
qu'il a subie en mai 2011. Une bouteille de coca-cola, un paquet
de chips et une part de pizza sont posés sur un carton à même
le carrelage, il ne me fait pas l'aumône d'un regard, et pour lui
manifestement je n'existe pas. Vous allez me prendre pour un vieux
con, mais je trouve que cette génération n'a jamais eu autant d'outils
fantastiques de communication à sa disposition et n'a jamais aussi
mal communiqué avec son environnement proche.

Ambre est une brunette appétissante qui doit friser la quarantaine,


on ne peut pas dire qu'elle soit belle mais comme on disait de mon
temps “elle a du chien”. Mes yeux sont attirés irrésistiblement par sa
poitrine que l'on pourrait qualifier de généreuse, il serait dommage
qu'elle soit avare de son corps avec de tels attributs. Tartuffe aurait
dit :
Par de pareils objets les âmes sont blessées
et cela fait venir de coupables pensées.

Elle s'adresse à son fils d'une voix forte :


- Timothé tu pourrais dire bonjour.

Un grognement sort de la bouche du garçon, sans doute une


salutation, je réponds :
- Moi aussi je suis content de te rencontrer.

Sa mère tente une explication :


- Depuis le drame il a beaucoup changé, il est presque sourd de
l'oreille gauche et a perdu son œil gauche. Il est devenu très agressif,
il n'a peur de rien ni de personne et il se bagarre à la moindre
contrariété, j'en ai marre je suis à bout, à cause de lui aucun mec ne
reste avec moi.

Elle me fait assoir et me propose un apéro que j'accepte :


- Vous venez me voir de la part du professeur Samueli ?

190
EDEN - ainsi soit-elle

- Je suis écrivain, je rédige un livre sur les évènements du samedi 21


mai 2011, je connais un peu le professeur Samueli qui m'a conseillé
de vous rencontrer, acceptez-vous de répondre à quelques questions?

Le nom de Samueli est un sésame qui détend l'atmosphère, assise


face à moi elle passe plusieurs fois sa langue sur ses lèvres
entrouvertes. Je sens que cette femme aime les hommes mais
comment pourrais-je lui plaire, je suis vieux, laid, ridé ? Je l'ai déjà
dit, sur ce sujet ma vieillesse est un vrai calvaire, mon désir du beau
sexe est intact mais enfermé comme un papillon dans un scaphandre
à l'intérieur d'un corps qui me trahit. Henri arrête de rêver, secoue-
toi et reviens à tes moutons, ou plutôt à la blanche brebis pour laquelle
tu as fait autant de route. Je sors un carnet pour prendre des notes et
accréditer mon personnage de romancier.

- Vous êtes la femme de Jean Michel Brocka le policier abattu ?

- J'étais sa femme, nous étions divorcés.

- Que s'est-il passé ce 21 mai 2011 ?

- Vers 11h30 Jean Michel est venu récupérer Timothé c'était son
week-end. Je l'attendais depuis 9h, il est arrivé avec un de ses
collègues à la retraite, a dit à Timothé “on va faire un pique-nique”
puis est parti comme d'habitude sans un mot pour excuser pour son
retard comme si j'étais à sa disposition, j'étais folle de rage. La
gendarmerie de Fayence m'a prévenue de la catastrophe vers 17h.
Jean Michel était mort, Timothé, lui, avait été massacré, démoli,
comment un être humain peut-il faire ça à un gamin de douze ans qui
n'avait rien à voir avec le métier de son père, heureusement le salaud
responsable du drame s'est suicidé.

Elle croyait encore la version officielle. Vous vous souvenez peut-


être, quelques jours après le drame un petit cambrioleur récemment
sorti de prison fut retrouvé victime d'une overdose d'héroïne dans son

191
EDEN - ainsi soit-elle

appartement. Sur sa table, outre le matériel nécessaire à l'injection,


était déposée une lettre manuscrite par laquelle il s'accusait de la
tuerie de la clairière divine, et déclarait ne plus pouvoir supporter la
vie avec ce poids sur la conscience.

Elle poursuit :
- Le lieutenant Thierry Truchet de la gendarmerie de Fayence m'a
expliqué les raisons du drame : ce cambrioleur était un des trois
voyous qui avaient agressé plusieurs familles du canton de Fayence
et un tailleur de pierres à Seillans. Arrêtés par mon ex-mari grâce à
la collaboration des gendarmes, il avait juré de se venger. Jean Michel
et son ami policier à la retraite ont sans doute été les victimes directes
des représailles, Chantal Davier, le cycliste Anglais et Timothé
vraisemblablement témoins de ce qu'ils n'auraient pas dû voir,
présents au mauvais endroit au mauvais moment. Plus près de la
mort que de la vie, l'état de mon fils était tellement désespéré qu'en
désespoir de cause il fut décidé de tenter le tout pour le tout et de le
transporter en hélicoptère au service neurologique de l'hôpital de la
Timone à Marseille. Personne ne pariait sur ses chances de survie,
contre toute attente grâce à Dieu il est là, bien vivant mais il n'a aucun
souvenir de ce qui s'est passé.

Ses yeux se sont remplis de larmes :


- Ce qui m'avait le plus impressionnée ce jour là c'était le récit d'un
des gendarmes à un journaliste, un essaim de mouches tourbillonnait
autour de la tête ensanglantée de Timothé et il n'arrivait pas à les
repousser.

Je ne sais pas si s'agissant de mouches on peut vraiment utiliser


le mot d'essaim qui me semble plutôt concerner des abeilles, mais
basta, ne mégotons pas, je lui bourdonne un tout autre scénario :

- Le cambrioleur n'est pas le coupable du massacre. Je serai bientôt


en mesure de vous révéler la vérité.

192
EDEN - ainsi soit-elle

La foudre tombant dans l'appartement n'aurait pas fait plus d'effet.


Ambre est blanche comme une morte :

- Vous allez bientôt nous révéler la vérité ?

- Oui c'est ce que j'ai dit.

- Je ne comprends pas.

- Je reprends l'enquête à Zéro, et tout le monde s'est trompé, le


cambrioleur ne s'est pas suicidé, il n'est pas l'auteur de la tuerie ni de
l'agression de votre fils, la réalité est beaucoup plus complexe. Ce
jour là il y avait une femme et un autre homme, c'est lui qui a frappé
Timothé, mais c'est la femme qui est responsable de tout et je suis
sur le point de les identifier.

Je reste prudent, la réussite de mon opération nécessite une extrême


discrétion, surtout sur le territoire cannois, il ne s'agirait pas qu'un
agité du bocal se lance prématurément à l'attaque d'Eden.

Timothé qui semblait bien loin de notre discussion se lève de son


fauteuil. Cette génération est vraiment surprenante, à un peu plus de
14 ans ce garçon est déjà aussi grand que moi pourtant je ne suis pas
petit. Ses épaules larges sont impressionnantes, de ce corps de colosse
sort la voix caractéristique de l'adolescent en train de muer et qui
rencontre des difficultés à maîtriser la hauteur des sons émis par ses
cordes vocales.

- Si je retrouve le bâtard qui m'a frappé et mutilé, je le crève !

- Timothé, est-ce que tu te rappelles d'un détail quelconque, un son,


une odeur.

- Non rien, je ne me souviens de rien, mais si je retrouve le bâtard


qui a tué mon père je le crève.

193
EDEN - ainsi soit-elle

Bon, voilà une envie solidement ancrée dans son esprit et un outil
précieux pour mon projet.

- Ambre, vous n'avez jamais pris contact avec Cerise la petite fille
cachée dans la voiture ?

- Après le drame, pensant préserver leur enfant, ses parents n'ont pas
souhaité nous recevoir. J'ai respecté leur décision, par la suite je n'ai
pas cherché à les revoir, je voudrais oublier et tourner la page pour
vivre à nouveau.

Je repose la question à Timothé :

- Tu ne te souviens pas d'une citerne sur laquelle tu es monté ?

- Non

- Une femme habillée en blanc ?

- Non, j'ai un trou noir dans ma tête.

N'insistons pas, son amnésie m'arrange. Après un tel effort de


discussion il récupère son ordinateur, son coca, sa pizza et sort de
l'appartement en faisant claquer la porte d'entrée.
Je demande à Ambre de me recommander à un des policiers collègues
de son ex-mari, elle en appelle un sur le champ et inscrit son nom et
son téléphone sur un papier qu'elle me tend.

Au moment de partir je n'ai pas pu résister :

- Puis-je me permettre de vous poser une dernière question indiscrète


et personnelle ?

- Bien sûr.

194
EDEN - ainsi soit-elle

- Pourquoi avoir divorcé ?

- J'en avais marre d'être toujours seule, du fait de sa profession mon


ex n'était jamais là. Peu après notre mariage il était devenu plus un
frère pour moi qu'un amant si vous voyez ce que je veux dire, il n'était
pas très porté sur la chose. J'avais espéré un prince charmant qui
m'aurait apporté aisance financière, fringues de luxe, belle voiture,
orgasmes à répétition, malheureusement je me suis retrouvée épouse
d'un courant d'air aux érections incertaines et au budget serré. J'en
avais assez d'être frustrée et de mendier sans cesse les plaisirs
auxquels une femme peut prétendre, je ne suis tout de même pas si
repoussante, non ?

Elle a raison la gamine, si j'avais vingt ans de moins je l'aurais


comblée dans tous les sens, à 70 ans j'étais encore plutôt porté sur la
chose pour reprendre son expression et je ne l'aurais sûrement ni
délaissée ni repoussée !
Je n'étais pas au bout de mes surprises avec elle, d'un petit air
coquin elle m'a demandé :

- À mon tour de poser une question, vous bandez encore à votre âge?

- Certains matins je me lève précédé d'une petite érection mais je dois


reconnaître que je suis beaucoup plus performant avec ma bouche et
ma langue.

Je m'arrête ici, vous allez me prendre pour un gros obsédé. Les


femmes de cette génération n'ont peur de rien et n'ont aucun respect
pour les anciens, “on ne respecte que ceux que l'on ne désire pas” dit
le proverbe. La petite n'a ni respect ni désir pour moi mais une simple
curiosité pour les chefs d'œuvre en péril, dommage.

195
EDEN - ainsi soit-elle

Drôles de dames

Mai 2014
Eden. Journal intime

J'ai bien structuré mes activités :


Cédric s'occupe de la commercialisation de l'immeuble de la
Croisette, il se débrouille comme un grand maintenant.
Marie-Josée mon assistante parlementaire principale demeure à
Paris, elle gère mes contacts, mon agenda, règle les problèmes
administratifs, rédige des notes de synthèse, organise mes réunions.
Vanessa ma community manager bordelaise anime à distance mes
comptes Facebook, Twitter et mon blog.
Localement j'ai ouvert un bureau rue des Serbes à Cannes et
embauché à temps partiel une ravissante eurasienne qui répond au
doux prénom de Vicky, elle assure des permanences un jour sur deux
et le samedi.

Une fois par mois j'invite Marie-Josée et Vicky dans un restaurant


proche de l'assemblée nationale, chez Françoise. Notre trio de choc
a été surnommé par nos collègues députés masculins “les drôles de
dames”, j'ai pris cela pour un compliment, la différence avec les

197
EDEN - ainsi soit-elle

vraies Dames c'est que nous n'avons nul besoin d'un Bosley ou d'un
Charlie pour dicter notre conduite.

Je partage mon temps entre Cannes, Paris et Saint Gervazy où je


me ressource dès que je le peux près de ma sœur Noémie et surtout
de ma petite Emma, régulièrement ma tante Christiane nous rejoint
pour quelques jours, notre relation est devenue beaucoup moins
chaleureuse je ne sais pas pourquoi. Noémie, ma petite sœur est
vraiment belle. Très courtisée par tous les mâles du canton elle tient
ma comptabilité officielle, je la rétribue sur les crédits affectés à la
rémunération des collaborateurs de parlementaires, ces revenus
réguliers lui permettent de poursuivre d'Auvergne des études de droit
international tout en s'occupant de ma petite Emma qui grandit trop
vite.
Bien qu'ayant très peu écorné mon trésor de guerre, petit à petit
je m'entoure de gens importants. Récemment j'ai rencontré et séduit,
en tout bien tout honneur, un chef de service de l'administration de
Bercy, il a accès à tous les secrets fiscaux de mes concurrents
potentiels.

Je me prépare à la future primaire présidentielle puisque primaire


il y aura. Mon contact de Bercy m'a confié les photocopies de certains
dossiers compromettants, en particulier une affaire concernant un des
candidats qui a peu de chance d'arriver en tête, mais je garde l'info
au chaud au cas où. S'il en était besoin je dégoupillerai la grenade et
un certain chevalier blanc à tête de premier communiant en prendrait
plein la figure.

Je ne suis pas encore très connue du grand public mais depuis


quelque temps il parait que je suis devenue la coqueluche des médias.
Un journaliste du Monde a écrit sur moi :
“Outre son physique qui rappelle un peu Brigitte Bardot du temps
de sa jeunesse c'est surtout sa fameuse question au gouvernement
qui a mis sur le devant de la scène Marguerite Leroy, députée des
alpes Maritimes”.

198
EDEN - ainsi soit-elle

Pourquoi les hommes se croient-ils toujours obligés de parler en


priorité du physique des femmes politiques ? Cesseront-ils un jour
de nous considérer comme un simple joli morceau de viande?
“Quand on montre la lune à un imbécile il ne regarde que le doigt”
disait toujours Michel Ange, il n'avait pas tort.

J'avais bien préparé mon intervention, mon discours avait été


retravaillé par mes assistantes, tous les parlementaires étaient
prévenus que la drôle de dame allait parler. L'Hémicycle ce jour-là
était très silencieux et la Garde des Sceaux Madame Taubira muette,
contrairement à son habitude.

Ma prose est parue au journal officiel :

Madame la Ministre,
Sur le sol de notre beau pays de France et dans l'indifférence
générale :
- Une femme sur dix est victime de violences physiques.
- Cent vingt femmes meurent chaque année sous les coups de leur
conjoint soit une tous les 3 jours.
- Neuf sont violées chaque heure soit plus de 75 000 par an,
- Des enfants sont battus, torturés, enfermés, affamés, agressés
sexuellement, violentés.
D'après les statistiques il existe aujourd’hui en France plus de
98 000 cas connus d’enfants en danger, c’est-à-dire 10% de plus qu’il
y a dix ans.
Parmi eux :
19 000 sont victimes de maltraitance
78 000 se trouvent dans des situations à risque
44 % des enfants maltraités ont moins de 6 ans
60 % des cas de maltraitance sexuelle ont lieu dans la famille des
victimes
46 % des cas de maltraitance sont imputables aux pères
25 % des cas de maltraitance sont imputables aux mères
9 % des cas de maltraitance sont imputables aux beaux-pères

199
EDEN - ainsi soit-elle

600 à 700 décès sont imputables à de mauvais traitements infligés


par les parents.
Le délit de harcèlement sexuel n'a été créé qu'en 1992, le viol
conjugal a été défini comme tel dans le code pénal seulement en
2006, l'inceste sur mineur en 2010 et malgré ces mesures timides le
scandale continue et s'amplifie !
Ceci n'est plus acceptable, il convient de faire un big bang législatif
sur ce sujet !
Ne serait-il pas temps :
- de faire adopter la déclaration des droits de la femme et des
citoyennes rédigée par Olympe de Gouges en 1791 et rejetée par la
Convention, en rajoutant un article 18 affirmant la sanctuarisation
du corps des femmes et des enfants entrainant de facto l'incarcération
immédiate de toute personne ayant fait subir de mauvais traitements
à une femme ou à un enfant dès le premier signalement à la police
avéré et authentifié. Ce signalement présumera désormais de ré-
cidive de faits graves et répétés, les tribunaux devront prononcer très
rapidement des condamnations fermes sévères comportant les peines
planchers incompressibles applicables aux récidivistes.
- l'extension du droit de légitime défense et sans notion de
proportionnalité immédiate de la réponse au profit des femmes
battues comme l'ont fait déjà certains pays. aujourd'hui, une femme
victime depuis trente ans de sévices de la part de son mari, frappée
sauvagement à 10 heures sera lourdement condamnée pour avoir
abattu son tortionnaire à 11heures sous prétexte que sa défense
n'était plus proportionnelle ni justifiée une heure après les faits.
La notion de crime contre l'humanité désigne une “violation
délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d'un individu
ou d'un groupe d'individus inspirée par des motifs politiques,
philosophiques, raciaux ou religieux”. Il convient de rajouter à cette
liste “ou sexuels”. L'article 7 du Statut de Rome donne la liste des
crimes de droit commun qui sont des crimes contre l'humanité dès
lors qu'ils sont commis dans le cadre d'une attaque généralisée
ou systématique dirigée contre toute population civile : meurtre,
esclavage, déportation, emprisonnement abusif, torture, abus sex-

200
EDEN - ainsi soit-elle

uels, je propose d'appliquer dorénavant cette qualification à toute


atteinte des droits des femmes et des enfants, groupes d'individus
subissant une violation délibérée et ignominieuse de tous leurs droits
fondamentaux.
Madame la Ministre je vous remercie de votre réponse.
Si celle-ci n'était pas conforme à nos attentes, notre pays saura que
mon groupe parlementaire sera porteur sans faiblir de cette réforme
indispensable dans une démocratie moderne et civilisée dès sa
prochaine arrivée au pouvoir.

Le silence qui suivit fut d'abord troublé par quelques acclamations


qui devinrent une tempête se terminant par une standing ovation
hypocrite, ce jour-là environ 400 députés masculins occupaient les
bancs de l'assemblée nationale donc statistiquement 40 tyrans ou
tortionnaires domestiques m'applaudirent alors même que je les
dénonçais, ce que les journalistes ne manquèrent pas de souligner.

Comme on pouvait s'y attendre, la réponse de la ministre de la


justice qui était déjà dans les tuyaux fut exactement le contraire de
ce que j'avais réclamé... la loi 2014-896 du 15 08 2014 supprima
les peines planchers applicables aux récidivistes instituées par la
précédente équipe gouvernementale. Les deux partis principaux,
gauche et droite semblaient avoir comme principale préoccupation
de défaire dès leur arrivée au pouvoir toute réalisation de leurs
prédécesseurs. Avec un pas en avant un pas en arrière on ne va pas
très loin.
Je suis folle de rage et confortée dans mon désir d'arriver au
pouvoir, personne ne m'arrêtera. Mon programme sera clairement de
casser du macho et de rendre aux femmes leurs droits fondamentaux,
je joue sur du velours, 52.6 % des 45 millions d'électeurs sont des
femmes.
Le fonds de commerce de la patronne du front national, ma
principale rivale féminine, consiste à promettre un repli de la société
française sur son passé, stopper l'immigration et renvoyer les illégaux

201
EDEN - ainsi soit-elle

chez eux, vaste programme. Je voudrais voir comment elle va faire,


les Français sont schizophrènes : farouchement hostiles à l'accueil
des immigrés en général et pourtant les premiers à se mobiliser
en particulier pour s'opposer au pouvoir en place lorsqu'il décide
par exemple d'expulser en toute légalité Léonarda et sa famille en
direction du Kosovo.

Je ne sais pas ce que vous en pensez mais renvoyer quelques


kosovars ou afghans chez eux et revenir au bon vieux temps qui n'a
de bon que d'être passé, fantasme ordinaire des invalides de la
cervelle incapables de concevoir l'avenir, ne me parait pas constituer
un programme suffisant pour diriger notre beau pays. Le futur ne se
construit pas en regardant uniquement en arrière.

202
EDEN - ainsi soit-elle

Angoisses nocturnes

Eden. Journal intime

Cette nuit à Cannes je ne peux pas dormir. Je pense à ma petite


Emma, je sais qu'elle souffre de mes absences continuelles.

Je suis seule dans mon lit. Bien sûr de temps à autre j'ai un amant
de passage il faut bien que le corps exulte. Récemment je me suis
éclatée en baisant avec un étalon extraordinaire beau comme un dieu.
Je sais que certaines de mes sœurs en humanité seront choquées et
préfèreront l'expression faire l'amour mais je crois qu'elles chipotent,
faire l'amour ou baiser c'est toujours le même scénario, on connait
déjà le début, le milieu et l'aboutissement ultime du film, de toutes
façons moi dès le mot fin inscrit sur le sexe en débandade de mon
partenaire masculin, je le vire. L'étalon a moyennement apprécié son
exfiltration au milieu de la nuit.

Je n'accepte pas de dormir avec un homme, c'est ma façon d'être


fidèle à Michel Ange, il reste pour moi l'Unique, en chaque homme
rencontré c'est un peu lui que je recherche, j'aimerais avoir le pouvoir
de le ressusciter une seule minute. Je suis désespérée, son visage,

203
EDEN - ainsi soit-elle

son corps, son odeur, son sourire disparaissent peu à peu de ma


mémoire, je lutte contre l'oubli mais bientôt il sera dans le néant, c'est
vertigineux et angoissant, le vide qui s'installe est pire que le manque.
Personne ne peut partager ma détresse j'en ai des frissons, dans le
noir les moindres petits problèmes, les plus subtiles préoccupations
prennent des proportions irraisonnables.

Subitement la voix dans ma tête s'est déchaînée :

- Il faut supprimer le vieil Henri.

- Non, c'est trop risqué.

- Il faut supprimer le vieil Henri.

- Non, on a passé un deal il n'est pas dangereux pour le moment.

- Il faut supprimer le vieil Henri.

- Non, ce serait l'erreur fatale.

- Il faut supprimer le vieil Henri.

Cette voix est insupportable, capable de répéter la même phrase


pendant des heures, elle me tuera.

- Il faut supprimer le Lawyer.

Là, je suis presque d'accord, je réfléchis sérieusement à la question,


celui qui a monté mes sociétés off-shore représente-t-il un danger ?
Je refais le schéma dans ma tête : j'ai pris contact avec lui uniquement
par téléphone en utilisant une carte prépayée, il ne me connait pas,
mon nom ne figure nulle part, ses honoraires, les frais de création et
d'immatriculation ont été réglés à son correspondant parisien au
moyen d'espèces contenues dans une enveloppe portée par coursier,

204
EDEN - ainsi soit-elle

aucun mail n'a été transmis, tous l.es courriers concernant l'affaire et
en particulier les codes bancaires ont transité par une boîte postale
louée provisoirement à la poste de Nice et abandonnée dès la fin de
l'opération.
Le montage est clean et sans risque. Ce soir on ne décidera de
supprimer personne, tant mieux, j'ai promis de devenir une gentille
fille exemplaire.

Je commence à m'assoupir, rassurée, lorsqu'une terrible angoisse


tord mon estomac, j'avais complètement oublié ce détail. Lors d'un
de mes derniers passages à Saint Gervazy, la petite Cerise a dit
qu'un gentil monsieur très vieux avec une drôle de tête était venu chez
ses parents pour l'interroger sur son aventure ! Je ne vois pas du tout
qui peut bien être ce vieux avec une drôle de tête. Je passe en revue
les différentes personnes pouvant répondre à cette description, je ne
trouve pas... et soudain me revient en mémoire une discussion avec
Chantal Davier, sœur de mon regretté psy, au cours d'un repas elle
m'avait parlé d'un mail transmis par son frère quelques heures avant
son “accident” à son ancien maître, le professeur... comment
s'appelle-t-il déjà ? Ce message d'outre tombe exprimait ses soupçons
sur certains “évènements” s'étant produits sur le chemin de Saint
Jacques de Compostelle et ses craintes concernant sa propre sécurité,
serait-il l'explication de la présence de ce policier qui m'a reconnue
le jour du pique-nique meurtrier et déclenché le massacre ?

Comment s'appelle le maître de Gilles Davier ? Impossible de me


souvenir de son nom, j'ai beau me torturer l'esprit, le trou noir, et
soudain la lumière se fait, j'ai noté son curriculum dans le répertoire
de mon téléphone à la lettre P comme professeur.

Il s'appelle Jean Luc Samueli et vit à Marseille. Je saute de mon


lit, peut-être a-t-il un compte Facebook comportant une photo ?

Banco, la description de Cerise pourrait correspondre, car il a


effectivement une drôle de tête avec son crâne chauve et luisant...

205
EDEN - ainsi soit-elle

Avant de me recoucher j'exhume de mon armoire le flacon d'eau


de toilette La vie est belle de Lancôme, cadeau de Michel Ange, j'en
verse quelques gouttes sur mon oreiller avant d'enfouir mon visage
tout au fond du creux tiède et odorant. La magie opère, M A est de
retour, la mémoire olfactive est un véhicule émotionnel puissant.

206
EDEN - ainsi soit-elle

Drôle de drame

Eden. Journal intime

J'ai longuement réfléchi. Une image m'est revenue en mémoire


j'ai croisé un jour à Saint Gervazy une voiture immatriculée 13 -
Bouches du Rhône. Je n'ai plus aucun doute, le vieux avec une tête
curieuse est sûrement le Professeur Samueli, je suis arrivée à la
conclusion qu'il représentait peut-être un danger pour moi, qu'avait-
il derrière la tête quand il est allé jusqu'en Auvergne pour interviewer
la petite Cerise ? Après enquête et une bonne préparation j'ai attaqué.
Pour mes actions spéciales, j'utilise toujours un autre téléphone avec
carte prépayée.

La secrétaire prend un ton supérieur pour m'expliquer qu'elle ne


peut pas me passer son patron, il est en consultation, dit-elle de la
voix précieuse de ceux qui se croient importants.

- Si vous ne me le passez pas, il va beaucoup vous en vouloir.

- C'est de la part de qui...

207
EDEN - ainsi soit-elle

- De la future ravisseuse de ses filles, les petites Valentine et Margot,


cet état civil vous parait convenable et suffisant pour remuer vos
grosses fesses ou faut-il que je vous envoie un doigt coupé pour vous
convaincre de courir le chercher !

Ravisseuse, personne qui enlève quelqu'un par la force ou par la


ruse, j'aime beaucoup ce mot, bien qu'exprimant une idée n'ayant rien
de commun avec celui de ravissante, il n'en est pas très éloigné
phonétiquement. J'entends des voix qui s'interpellent, des bruits de
chaises raclant le sol, des pas pressés. Je patiente quelques minutes,
il doit certainement appeler l'école de ses filles pour se rassurer puis
une voix chaude me demande :

- Je suis le professeur Samueli, si vous espériez me faire la trouille


de ma vie c'est réussi mais pas très drôle, comme blague intelligente
j'ai déjà connu mieux.

- Bonjour professeur, je suis la patiente citée dans le mail d'outre-


tombe de Gilles Davier, ce nom vous évoque quelque chose ?

Il est resté silencieux.

- Ok, alors c'est moi qui parle. Vous vous appelez Jean Luc Samueli,
vous habitez une jolie maison aux volets bleus allée du printemps
dans le 12e arrondissement, votre épouse se nomme Marie, elle est
propriétaire de la pharmacie des 5 avenues, 6 avenue des Chartreux,
vos délicieuses enfants se prénomment Margot et Valentine. Elles
vont toutes les deux à l'école privée catholique Sainte Marie
Blancarde, j'ai bon jusque là ?

J'ai bon. Amusante cette formulation du regretté Coluche, non ? il


disait aussi : j'aurais pu avoir tout faux !

- Poursuivez.

208
EDEN - ainsi soit-elle

- Je serai brève. Vous me cherchez au sens propre comme au figuré


il serait dramatique pour votre famille que vous me trouviez, suis- je
claire ?

- Très claire.

- La santé de vos filles ne dépend que de vous, je présume que vous


ne souhaitez pas qu'elles soient victimes d'un accident ou qu'elles
disparaissent un jour et vous soient restituées morceau par morceau?
Alors oubliez-moi et il n'y aura pas de drame..

J'ai raccroché. Je ne ferai jamais de mal aux deux gamines mais


Samueli n'en sait rien. Comme il l'a dit, je crois que je lui ai foutu la
trouille de sa vie, j'espère que cela suffira à le faire tenir tranquille,
sinon je n'aurai pas autant de scrupules avec lui ou sa femme. Vous
voyez, je tiens parole je suis devenue une gentille fille exemplaire je
me suis cantonnée à ce qui ressemble à une mauvaise plaisanterie,
un drôle de drame interprété par une drôle de dame.

209
EDEN - ainsi soit-elle

Moby Dick

Henri. Mémoires très privées

Le professeur Samueli est au bout du fil, hystérique et fou


d'inquiétude. Tout d'abord je ne comprends pas ce qu'il hurle dans
mon oreille :
- Elle vient de m'appeler, vous aviez raison cette femme est folle
furieuse, il faut l'arrêter immédiatement et l'enfermer !

- Qui vient de vous appeler ?

- Elle a menacé d'enlever mes filles et de les découper en morceaux.

- Mais qui vous a appelé ?

- Elle, le démon du Campanile de Grasse, la psychopathe de Gilles


Davier, bon dieu vous comprenez ou non ? Il faut l'arrêter tout de
suite, je file à la police.

- Surtout pas, vous déclencheriez l'apocalypse..... Calmez-vous, et


expliquez-moi ce qui vous arrive.

211
EDEN - ainsi soit-elle

Il s'apaise un peu et me raconte l'incident. Il faut reconnaître qu'elle


est gonflée d'aller menacer Samueli, son courage m'impressionne je
n'ai jamais rencontré une femme pareille, si j'avais eu trente ans de
moins j'aurais aimé faire équipe avec elle, nous aurions conquis le
monde et baisé toute la journée. Face à une telle personnalité j'oscille
sans cesse entre l'admiration et la haine, j'ai l'impression d'être le
capitaine Achab traquant obsessionnellement Moby Dick, ce chasseur
respectant la seule proie qu'il trouve digne de lui jusqu'à mourir avec
elle. Le trophée sera grandiose. Pour le moment il faut rassurer mon
interlocuteur.

- Imaginons que vous préveniez la police, qu'allez-vous dire? Vous


n'avez aucune preuve matérielle, quand elle fait des coups tordus elle
utilise toujours un téléphone intraçable. Provisoirement vous ne
risquez rien, vous avez beaucoup de chance elle ne vous considère
manifestement pas comme un danger immédiat, elle a pris la peine
de vous prévenir, elle aurait pu attaquer et personne ne l'aurait arrêtée.
Tenez-vous à l'écart et laissez-moi faire. Je vais bientôt intervenir et
j'aurai besoin de vous, dès que je suis prêt, je vous recontacte.

J'allais raccrocher, par acquit de conscience je lui ai demandé :

- Vous gagnez bien votre vie ?

- Oui, pourquoi.

- Non, c'est sans doute une connerie.

- Dites ce que vous pensez !

- Je me demandais s'il ne serait pas judicieux que vous embauchiez


un agent de sécurité pour quelques mois, il pourrait emmener et
récupérer vos filles à leur école et le reste du temps se montrer devant
la pharmacie de votre femme. Eden frappe toujours comme la foudre,
de ce fait elle ne prend jamais de risque, la moindre difficulté la

212
EDEN - ainsi soit-elle

dissuadera d'intervenir au cas où elle changerait d'avis sur votre degré


de dangerosité supposé. Si elle n'entend plus parler de vous, dans
deux mois vous serez sorti du cadre de ses préoccupations. Donnez-
moi aussi un numéro sur lequel je puisse vous joindre immédiatement
à toute heure en cas d'extrême urgence.

213
EDEN - ainsi soit-elle

Le flacon et l'ivresse

Henri. Mémoires très privées

Au cours des années 2014 et 2015 je rencontre pratiquement toutes


les personnes ayant eu maille à partir avec Eden sans le savoir. Plus
j'avance dans mes investigations plus je me rends compte que je vais
faire œuvre de salubrité publique, cette histoire défie le sens commun.
Rassurez-vous je ne vais pas vous narrer en détail l'ensemble de mes
démarches, je sais bien que vous n'auriez pas la patience de me lire,
nourris à l'instantanéité de l'information comme vous l'êtes, il faut
que je m'adapte et synthétise mes pensées mais en utilisant des
phrases se limitant à un sujet, un verbe, un complément, on ne raconte
pas grand-chose.

Le policier cannois ami de Jean Michel Brocka, m'a expliqué


l'arrivée impromptue de Maurice Grondin avec sa bouteille de
champagne la matinée précédant le pique-nique meurtrier.
Vers la fin de notre entretien, un de ses collègues est venu le
chercher, lorsqu'il est revenu il m'a sèchement salué et reconduit à la
porte de son bureau , son visage s'était fermé, sans doute a-t-il eu une
urgence ou une mauvaise nouvelle.

215
EDEN - ainsi soit-elle

Janvier 2015, la France est sous le choc de l'attentat contre Charlie


Hebdo. Comme l'immense majorité des Français, je suis Charlie.

Avril 2015. Je rencontre enfin à Paris le personnage prétendument


manipulé au Sofitel de New-York par Eden, vous voyez de qui je
veux parler ? Il refuse tout d'abord de me recevoir, je lui transmets
un message disant que je ne crois pas à la version selon laquelle il
aurait agressé sexuellement la femme de ménage à New-York et que
j'ai des révélations à lui faire sur les gens qui l'ont fait abattre. Il m'a
enfin reçu et croyez le ou non, il me confirme point par point le récit
d'Eden. Blasé il me dit “Il y a bien longtemps que je l'ai identifiée
mais que voulez-vous que je fasse, c'est trop tard”.

Il est plutôt sympathique, bien loin de la réputation monstrueuse


que les médias assassins lui ont faite, sa seule faiblesse est, comme
moi, de trop aimer les femmes, on ne pouvait que bien s'entendre.

Août 2015, je pars quelques jours à Rome, O… V…. m'a donné


une lettre de recommandation pour Aquilino Savarotti, majordome
de Benoît XVI. Il n'est plus en fonction, le nouveau Pape a placé ses
hommes aux postes clés.
Aquilino me remercie de ma tentative d'aide et me relate la fin de
l'aventure des documents et la mort de Claude Ange Dubost. Ce jour
là il est en besoin de confidences, il me susurre ses soupçons sous le
sceau du secret. Susurre ses soupçons sous le sceau du secret, j'aime
cette phrase qui siffle comme un serpent. Il pense que le jésuite a été
pendu sur les instructions de la nouvelle équipe tentant d'éliminer
toute personne ayant eu le parchemin entre les mains.
Curieusement il a eu recours à la même astuce que moi pour se pro-
téger, il a annoncé Urbi et Orbi avoir remis une lettre accusatrice à
son notaire avec instruction de la transmettre aux journaux en cas de
mort suspecte et suggéré en haut-lieu qu'une retraite dorée serait
déterminante pour oublier avoir eu connaissance des documents.
Confidence pour confidence je lui explique les tenants et aboutissants
de l'affaire ainsi que le destin aquatique de l'homme au câble immergé

216
EDEN - ainsi soit-elle

au fond du lac par nos soins attentifs. J'apprends avec stupeur que ce
gars là, maffieux notoire avait été envoyé par Lorenzo Bartolozzi,
nouveau président du conseil de surveillance de l'IOR banque du
Vatican pour récupérer les documents gratuitement et au besoin
se débarrasser des gêneurs. Nous avons eu du flair de le mettre hors
d'état de nuire mais cette discussion m'a mis un peu la trouille,
Aquilino a bien dit : la nouvelle équipe tente d'éliminer toute
personne ayant eu le parchemin entre les mains !

De retour en France, j'apprends par les journaux que ma cible, la


députée des Alpes Maritimes vient de créer son courant d'opinions
baptisé “Invictus” qui signifie Invaincue. Elle a utilisé la fin du
poème préféré de Nelson Mandela pour en faire son slogan : “Maîtres
de notre destin, capitaines de notre âme”, cela ne veut pas dire grand-
chose mais sonne agréablement à l'oreille et se situe un cran au-dessus
des nullités du type : “la France forte”, “La France insoumise”,
“Le changement c'est maintenant”, “le changement c'est demain” ou
autres fadaises. Je me marre, le peuple réclame le changement mais
descend dans la rue dès que l'on change quelque chose.

Nous vivons actuellement une démocratie de la petite phrase,


contrairement à la citation de Musset, aujourd'hui le flacon est plus
important que l'ivresse, remarquez avec Eden on a les deux, le flacon
et l'ivresse.

L'UMP est devenue Les Républicains, son université d'été a mis


Eden en lumière..... Elle a pris de l'assurance, ses discours sont
ovationnés par une cinquantaine de parlementaires et plusieurs
centaines de militantes et militants, elle a offert un banquet monstre
à tous les députés adhérents à son mouvement, ils se sont déclarés
définitivement sous le charme après le gueuleton, le chemin du cœur
passe par celui de l'estomac. Mine de rien elle monte, tant mieux plus
dure sera la chute. Quelques journalistes commencent à s'interroger
sur l'origine de son financement...

217
EDEN - ainsi soit-elle

Culte de la personnalité ?

Eden. Journal intime

Depuis quelque temps mes initiatives rencontrent un succès certain,


une cinquantaine de parlementaires et non des moindres m'ont suivi
à l' université d'été de Nice accompagnés de centaines de militantes
et militants de base.

À la fin d'un de mes discours, une jeune femme m'a prise par le
cou pour faire un selfie, elle m'a assuré être complètement fan, m'a
demandé un autographe et coupé une petite mèche de mes cheveux
qu'elle a serrée sur son cœur. Je découvre le plaisir d'être un peu
l'objet d'un culte de la personnalité, c'est grisant.

Il est des moments bénis dans la vie où tout vous sourit, le ciel de
votre destinée est uniformément bleu sans aucun nuage à l'horizon.
J'ai expédié ad patres les pénibles, les gêneurs, Henri et Samueli sont
muselés, tout baigne.

219
EDEN - ainsi soit-elle

Troisième comploteur : Michaël

Fin septembre 2015.


Henri. Mémoires très privées

Je rencontre Brigitte, l'ex-femme de Michel Ange. Elle me raconte


trois fois ses malheurs et tout le mal qu'elle pense d'Eden, cette salope
qui lui a pris son homme. Nous palabrons un moment, elle ne
m'écoute pas, elle entame pour la quatrième fois son histoire qui dure,
qui dure... mais je n'entends plus, ma tête est ailleurs. Grande
bourgeoise séduisante encore comestible, beaucoup de classe mais il
ne faut pas qu'elle ouvre la bouche elle semble avoir un petit pois
dans la tête, mais méfiance, certaines personnes adorent jouer à
l'imbécile, mon instituteur employait l'expression faire “l'âne pour
avoir du son”. Avec une rivale du niveau d'Eden elle n'avait aucune
chance de conserver son mari, il a été très patient de rester marié aussi
longtemps avec une telle emmerdeuse. Je me garde bien de lui confier
quoi que ce soit, pour elle un secret est sans doute une histoire qu'on
ne raconte qu'à une seule personne à la fois, hé hé. Je me sers
toutefois d'elle pour accéder facilement à ses enfants.

221
EDEN - ainsi soit-elle

Octobre 2015. Montpellier.


En leur promettant une révélation fracassante j'ai invité les deux
enfants de Michel Ange au restaurant, ce que j'ai à dire ne regarde
qu'eux, je ne veux pas être en contact avec leur famille. Michaël le
fils et Séverine la fille arrivent ensemble. Je n'en crois pas mes yeux,
Michaël ressemble trait pour trait à son père, à 40 ans il a la même
prestance, on ne peut pas dire qu'il soit beau, mais il a le même
charisme, les mêmes cheveux gris, le même charme indéfinissable.
Ils sont à la fois surpris que j'aie voulu les rencontrer, impatients
d'entendre ce que je vais leur dire et émus que je leur parle de leur
père de cette manière, je suis intarissable sur son ouverture d'esprit,
Michel Ange était un des hommes les plus intéressants et intelligents
que j'aie eu la chance de côtoyer.

Ils me regardent avec de grands yeux interrogateurs, pour eux je


suis sans doute un extra-terrestre ou une antiquité et ne savent pas où
je veux en venir. Séverine m'interrompt :
- Comment avez-vous connu notre père, il ne nous a jamais parlé de
vous ?

J'ai décidé de leur dire la vérité, enfin une partie de la vérité, il


n'est pas question pour moi de salir sa mémoire en leur révélant ses
exploits funestes lors de la tuerie de Montauroux.

- Je l'ai connu grâce à sa... - comment vais-je la qualifier - ... à sa


compagne Eden.

À l'énoncé de ce nom, leurs visages se ferment.

- Nous lui en avons longtemps voulu d'avoir quitté notre mère pour
cette femme, mais quelques jours avant sa crise cardiaque nous nous
étions enfin réconciliés et étions prêts à la rencontrer avec notre père,
c'était vraiment pour lui faire plaisir, il aurait tellement été heureux.

- Vous ne l'avez jamais vue ?

222
EDEN - ainsi soit-elle

- Non, et nous lui avons aussi demandé de s'abstenir d'assister à


l'enterrement. Notre mère s'est également opposée au texte qu'il
souhaitait faire graver sur sa tombe et qui rendait un peu hommage à
sa maîtr... son amie.

Séverine fouille dans sa poche, sort son portable.

- Une fois par an, il avait l'habitude de nous transmettre des


instructions sur ses affaires et des recommandations en cas de
malheur. J'ai conservé ses derniers mails, lisez celui-ci.

Je chausse mes lunettes.

“Mes chers enfants, si je devais disparaître j'aimerais être enterré


dans le cimetière de Saint Cézaire (alpes maritimes), ma tombe sera
un simple tumulus de terre planté d'un lys, mon nom et le texte suivant
seront gravés sur une grosse pierre brute :

Quand prenant ma butte en guide d'oreiller


Mon ange gentiment viendra sommeiller
avec moins que rien de costume
j'en demande pardon par avance à Jésus
si l'ombre de ma croix s'y couche un peu dessus
pour un petit bonheur posthume.

Je sais que je peux compter sur vous pour faire respecter ma volonté,
je vous aime”.

J'en ai des frissons, sacré Michel Ange, extraordinaire et surprenant


même dans l'au-delà.
Michaël poursuit :

- Vous pensez bien qu'il n'était pas possible d'inscrire ces mots sur sa
tombe, cela aurait été trop incorrect vis-à-vis de notre mère.

223
EDEN - ainsi soit-elle

Pauvre fils spirituel, trahi par tous rien ne t'aura été épargné. Bon,
les enfants sont à l'image de la mère, un peu bêtes où un peu coincés,
je vais les encanailler, ils ne vont pas tarder à avoir la surprise de leur
vie. J'attaque à la sournoise :

- Je regrette que votre père soit mort si jeune, à 58 ans il commençait


tout juste à vivre son existence dorée de jeune retraité.

- Oui, il avait beaucoup travaillé et bien mérité un peu de repos.


Depuis toujours nous savions qu'il avait une anomalie cardiaque mais
nous étions loin d'imaginer que sa vie était en danger.

- Sa vie n'était pas en danger, il n'a pas eu de crise cardiaque.

Ils se regardent, Michaël me fait répéter, je détache distinctement


chacun de mes mots :
- Il n'est pas mort d'une crise cardiaque. Il a été assassiné ou plus
exactement exécuté !

Séverine s'étouffe, je lui donne plusieurs tapes dans le dos, elle


finit par recracher son morceau de viande dans son assiette.
Mettez-vous à sa place, leur vie bien proprette vient de basculer.

- Pouvez-vous me jurer de ne révéler à personne et surtout pas à votre


mère ce que je vais vous dire.

Ils jurent en ajoutant :

- Pourquoi notre mère n'a-t-elle pas le droit de savoir ?

Ne pouvant avouer tout les réserves qu'elle m'inspire je botte en


touche.

- La vérité lui ferait trop de mal... Votre père a été tué par Eden.

224
EDEN - ainsi soit-elle

Je vois bien qu'ils ne me croient pas, ils doivent être persuadés


que je suis sénile alors j'envoie toute la sauce, édulcorée de quelques
pieuses omissions.

- Cette femme est une psychopathe dangereuse qui était suivie par un
psychiatre depuis sa tendre enfance, votre père est tombé sous le
charme de sa face angélique mais il y avait une partie pile
monstrueuse. Lorsqu'elle est arrivée à l'hôpital de Grasse, le médecin
a bien vu un hématome sur son sternum ?

- Oui.

- Elle a prétexté un massage cardiaque très appuyé pour expliquer cet


hématome ?

- Je crois, oui.

- Personne ne s'est étonné ?

- Non, les médecins nous ont parlé de fibrillation, bloc aurico... je ne


sais plus quoi et autres termes incompréhensibles. Ils ont conclu
à une mort naturelle, que vouliez-vous que l'on dise. Pourquoi et
comment aurait-elle exécuté notre père, d'après ce qu'il nous a dit, ils
étaient heureux ensemble, elle n'avait pas d'intérêt financier à sa mort,
nous savons également qu'elle a eu un enfant posthume de lui. De
plus ce n'était pas une mauviette il était très sportif, une force de la
nature, pas du genre à se laisser marcher sur les pieds ou se laisser
frapper par une femme.

Comment leur expliquer et les convaincre.... sans évoquer la


responsabilité de Michel Ange dans la folle tuerie de la clairière
divine et la vraie raison de la frappe ?

- Saviez-vous qu'elle a été vice-championne de France de taekwondo?

225
EDEN - ainsi soit-elle

- Non.

- Elle pourrait vous terrasser tous les deux d'une seule main. Cette
femme a subi un traumatisme profond dans son enfance, depuis elle
souffre de schizophrénie, elle entend une voix dans sa tête qui lui
impose de commettre des actes complètement irrationnels, elle a tué
votre père lors d'une crise de démence.

- Si ce que vous dites est vrai il faut prévenir la police et la faire


enfermer.

Je m'y prends mal, je sors mon téléphone je vais leur mettre les
points sur les i.

- Non, dès votre première démarche en ce sens, vous et votre famille


seriez en danger, elle ne recule devant rien pour se protéger. J'appelle
le Professeur Samueli, chef du service psychiatrique de l'hôpital de
la Conception à Marseille, il vous confirmera la véracité de mes
accusations.

Quelques instants plus tard, horrifiés, Michaël et Céline s'excusent


d'avoir douté de moi. Après avoir commandé les desserts, j'adore les
sucreries et la crème chantilly, je propose :

- Voila ce que nous allons faire si vous êtes d'accord...

Lorsque je les ai quittés, j'ai pris une décision. Michel Ange, tu


l'auras quand même ton petit bonheur posthume le vieil Henri va s'en
occuper. L'inscription qu'il souhaite voir sur sa pierre tombale est une
simple adaptation du poème de Brassens, Supplique pour être enterré
sur la plage de Sète, m'en souvenir sera facile il n'a changé que deux
mots.

226
EDEN - ainsi soit-elle

L'Horreur

Novembre 2015.

Je suis épouvanté mais pour une fois l'horreur ne provient pas


d'Eden, le 13 des zombis ont pris en plein Paris la vie de 130 humains
qui ne demandaient rien à personne, goutte d'eau dans un océan de
crimes et de violence, fleuve de sang annonciateur de la catastrophe
qui se prépare. Des monstres issus d'une ancienne espèce d'homo
abruticus non sapiens endormie depuis dix siècles, les haschischins,
manipulés par un descendant du Vieux de la montagne, démon
assoupi réveillé par des dirigeants occidentaux irresponsables et
ignorants des cultures fondamentalistes sanguinaires dont ils ne
comprennent rien, ont frappé au hasard des innocents coupables
d'aimer la vie.

“Courageusement” d'après leur idéologie démente présentant une


conception dévoyée de la vaillance, armés jusqu'aux dents, ils ont
entraîné dans leur néant des hommes, des femmes, des enfants sans
défense, réclamant à leur dieu miséricordieux une récompense
éternelle pour leurs “exploits” misérables.

227
EDEN - ainsi soit-elle

Ces gens ont franchi une étape de plus dans la folie religieuse,
ils ne se réclament plus de Satan mais directement du créateur
qu'ils prétendre glorifier en détruisant ses créatures ! Je n'avais
malheureusement pas tort en attirant votre attention sur la parenthèse
de liberté de pensée que certains cherchent à refermer sans imaginer
une seule seconde qu'ainsi c'est Allah, Dieu ou Jéhovah qu'ils
assassinent.

Le curé desservant les communes du canton nous a rejoints ce


matin sur notre banc, il avait envie de discuter :

- Facebook, Twitter ou Périscope sont sûrement les nouveaux


évangiles du démon. Ces réseaux sociaux sont ses nouvelles
interfaces virtuelles, il déploie ainsi ses filets en restant dans l'ombre,
sinon comment expliquer la radicalisation en quelques jours de tous
ces jeunes hommes qui n'ont plus ensuite qu'une seule idéologie
en tête, se détruire en entrainant dans leur mort un maximum
d'inconnus. Lorsque le dernier homme aura supprimé son dernier
frère, apparemment pour la plus grande gloire de Dieu, Satan lui
révèlera enfin qu'il a commis en réalité toutes ces abominations en
son nom, alors ce dernier homme comprendra le plaisir que le démon
a pris à jouer ainsi avec lui, désespéré il retournera son arme contre
sa poitrine pour se tuer et la planète appartiendra entièrement à la
bête qui pourra dire à Dieu : “Ta création s'est détruite elle-même, en
ton nom, pour mon plus grand plaisir et ma plus grande gloire, je
suis plus fort que toi”. Mais où sera sa victoire, veut-il régner sur un
désert ? Vainqueur ou vaincu Satan perd toujours.

Comme on se regardait en rigolant, sèchement il a conclu :


- Ne riez pas, je sais que vous ne croyez pas en son existence mais la
plus grande ruse du diable est de faire croire aux hommes qu'il
n'existe pas !

Moi je pense plutôt que la plus grande ruse des hommes est de
soutenir qu'il existe !

228
EDEN - ainsi soit-elle

One Woman show

Eden. Journal intime


2015.

Je poursuis ma carrière politique. Je me prépare pour la primaire


prévue en novembre 2016, j'ai commencé par organiser des meetings
en province, louant de petites salles d'une centaine de places à
Chamalières, au nouveau Casino de Montrond les bains dans la Loire,
à la Tour du Pin (isère), puis plus grandes, Saint Etienne, Bordeaux,
Nantes, Poitiers, Lyon, Nice. Les salles sont prises d'assaut, mon
discours est maintenant parfaitement rodé et déclenche régulièrement
la ferveur des passionarias engagées dans les combats féministes
bien sûr mais aussi, plus surprenant, de nombreux hommes venus
d'horizons divers. Les propos hostiles à L' IVG de la petite Marion
Maréchal Le Pen, les thèses sexistes des fondamentalistes islamistes,
les photos et vidéos provenant des territoires occupés par Daesh
montrant les femmes condamnées à vivre comme des fantômes,
renforcent l'impact de mes paroles : “Voila mes sœurs ce qui nous
attend si nous baissons la garde”.

229
EDEN - ainsi soit-elle

Un des journalistes du Canard enchaîné qui m'aime bien et


espère sans doute plus, laissons-le croire, m'a mise en garde, certains
de ses confrères commencent à s'interroger sur l'origine des
fonds me permettant de financer le début de ce qui commence à
ressembler à une campagne pré-électorale. J'ai immédiatement créé
une association loi 1901 chargé de récolter des dons en toute légalité
ce qui me permet de blanchir des espèces provenant de mon compte
caché à Jersey.

Pour remercier mon ami journaliste de sa sollicitude, je lui ai


offert un scoop sur un plateau. Des documents m'ayant été remis par
un admirateur bien placé dans l'organigramme de l'administration
de Bercy montrent que l'un des futurs prétendants à la primaire
paie un salaire important à sa femme et à ses enfants mineurs
grâce aux crédits affectés à la rémunération des collaborateurs de
parlementaires. En soi la manœuvre n'est pas illégale, j'ai fait de
même avec Noémie, mais là s'il s'agit d'emplois fictifs comme on
peut le supposer elle pourrait être juridiquement et moralement
dévastatrice. Mon ami fera ce qu'il voudra de l'information.

Je suis maintenant entourée de filles hyperdouées collaborant


avec moi en freelance : une spécialiste en communication, une
attachée de presse chargée des relations avec les journaux écrits,
radiodiffusés et télévisés, deux techniciennes sons et lumières, ma
community manager gère les réseaux sociaux et internet. Marie-Josée
et Vicky sont dans la coulisse, leur présence me rassure.

Sur les conseils de ces super nanas nous avons réglé mes
meetings comme un show.
J'arrive toujours en traversant la salle, fendant la foule jusqu'à la
scène entre deux beaux gars, mes gardes du corps. Les lumières
s'éteignent, l'ingénieure du son lance les quatre premières notes de la
cinquième symphonie de Beethoven “pa.pa.pa.pa.” les projecteurs
s'allument et balaient la salle avant de s'arrêter sur moi, le public
a pris l'habitude de répondre par les quatre notes suivantes de la

230
EDEN - ainsi soit-elle

symphonie “pa.pa.pa.pa”, puis Beethoven se déchaîne jusqu'à mon


arrivée sur scène, soudain la musique s'arrête, quelques secondes de
silence puis les acclamations montent, c'est grisant j'en frissonne à
chaque fois.

Je n'oublie jamais de vaporiser sur mon cou quelques gouttes de


mon eau de toilette la vie est belle de Lancôme, grâce à ce parfum je
porte Michel Ange en moi, il me communique sa force, j'entre dans
sa lumière, quelquefois je me surprends à le chercher dans le public.

Avant de me lancer sur Paris je voudrais tester mon comportement


face à une grande assemblée, pour le jour de Pâques nous avons loué
Le Dôme à Marseille, une salle modulable pouvant accueillir jusqu'à
8500 personnes. Je pense que la configuration permettant de recevoir
5000 fans sera suffisante.

231
EDEN - ainsi soit-elle

Quelques gouttes d'eau de toilette

Noël 2015.

Ce noël fut un de mes grands bonheurs, je suis restée en Auvergne


les 24, 25 et 26, trois jours extraordinaires avec Emma, Noémie, Tante
Christiane, Maman était là aussi. J'avais apporté des cadeaux pour
tout le monde et même une divine surprise pour les pépettes, deux
vraies petites tortues, une pour Emma et une pour Cerise âgée
maintenant de 9 ans.

J'avais mis une belle robe blanche et vaporisé sur mon cou quelques
gouttes de mon eau de toilette pour associer un peu Michel Ange à la
fête. Cerise et Emma étaient émerveillées par les mignonnes tortues
trottant sans relâche dans leur petit enclos improvisé, Cerise fut folle
de joie en apprenant que celle portant un C tracé au marqueur sur sa
carapace était pour elle. Les larmes aux yeux elle prit sa tortue dans
sa main, décida immédiatement de l'appeler Cacahuète et se pendit
à mon cou pour me faire un gros baiser, dix secondes après elle me
repoussa brutalement et décampa en emportant Cacahuète sans
aucun remerciement.

233
EDEN - ainsi soit-elle

Les préadolescents d'aujourd'hui ont parfois des réactions


imprévisibles.

Je suis repartie le 27 au matin pour Cannes sans avoir revu


Cerise, j'ai rendez-vous avec deux journalistes qui souhaitent écrire
sur moi et mon parcours quelques articles et même un livre je crois.

234
EDEN - ainsi soit-elle

Intervention prévue le 27 mars 2016

27 décembre 2015.
Henri. Mémoires très privées

9h du matin, le professeur Samueli est au bout du fil.


Heureusement pour lui j'ai déjà bu mon café, avant mon petit-
déjeuner je suis d'humeur exécrable.

- Je suis en double appel avec Saint Gervazy, Clément et Catherine


les parents de la petite Cerise sont très inquiets, hier soir leur gamine
est rentrée chez eux tout près de la crise de nerfs, elle a pleuré une
grande partie de la nuit, angoissée. Elle tenait dans la main une petite
tortue et prétendait que la maman d'Emma était la femme qui se
trouvait dans la clairière le jour de la tuerie de Montauroux, elle aurait
reconnu son parfum et sa robe, tout le traumatisme est remonté d'un
coup elle est dans un état... Clément et Catherine me demandent un
conseil, ils envisagent d'aller s'excuser du comportement impoli de
leur fille, ils ne croient pas à son histoire considérant qu'un parfum
n'est pas une preuve suffisante, des milliers de femmes peuvent
utiliser le même.

235
EDEN - ainsi soit-elle

- Nom de dieu surtout pas, si Eden se doute une seule seconde que
Cerise l'a reconnue ils sont tous morts. Dites-leur que la gamine a
raison, raccrochez avec eux vous les rappellerez dans une heure pour
transmettre vos instructions, je vous attends.

Une minute plus tard il revient à moi, en colère :


- Quand allons-nous mettre cette folle hors d'état de nuire, faut-il
encore qu'il y ait d'autres drames pour agir ?

- Nous interviendrons le 27 mars, voilà comment nous allons nous y


prendre.

Avant de lui expliquer les détails du dispositif que j'ai imaginé j'ai
besoin de son expertise sur un point fondamental :
- Plusieurs chocs psychologiques consécutifs sont-ils susceptibles de
déclencher une crise de démence chez un sujet tel qu'Eden ?

- Un stress important peut déclencher nombre de problèmes, crise


cardiaque, AVC, chez elle compte tenu de l'ancienneté de ses troubles
on peut envisager la survenance de bouffées délirantes aigües avec
hallucinations.

C'est bien ce que je pensais, l'opération est risquée mais jouable,


de toutes façons je n'ai pas mieux à proposer, alors j'essaie d'être
convaincant autant pour lui que pour moi. Il écoute attentivement et
conclut :

- Votre plan est génial sur le papier mais il comporte beaucoup de


“si” et d'hypothèses hasardeuses.

- Henri IV disait : on ne fait pas la guerre sans jeter beaucoup de


choses au hasard, ce jour de Pâques est le seul où nous aurons toutes
nos chances, nous disposons de cette unique fenêtre de tir, en cas
d'échec j'abandonne, après vous ferez ce que vous voulez.

236
EDEN - ainsi soit-elle

J'aurais pu aussi citer Machiavel, le choix n'est pas entre le bon et


le mauvais, le bien ou le mal mais entre le pire et le moindre mal,
mais je sais que j'énerve tout le monde avec mes citations.

- Professeur, sans vouloir vous commander, pouvez-vous user de


votre influence sur Clément et Catherine pour qu'ils se tiennent
tranquille, ils pourraient tout faire capoter, je prendrai contact avec
eux dans la semaine pour leur proposer de se joindre à notre combat,
expliquez-leur que c'est dans leur intérêt et celui de Cerise.

237
EDEN - ainsi soit-elle

Les deux journalistes

Cannes, 28 Décembre 2015.


Eden. Journal intime

Les deux journalistes sont arrivés à l'heure, ils veulent écrire des
articles et peut-être un livre sur moi. Je suis agréablement surprise
par leur manière de fonctionner, ils ne sont pas du tout agressifs
comme certains de leurs collègues qui n'attendent et ne sont intéressés
que par la petite phrase qui fera le buzz, eux prennent le temps
d'écouter mes réponses à leurs questions.

Cécile, grande blonde aux yeux bleus, la quarantaine sportive,


parait très respectueuse de Serge, l'homme plus âgé qui l'accompagne
elle me le présente comme son père spirituel.

Spirituels ils le sont, sans doute pour me mettre à l'aise ils parlent
de tout et de rien, comme des gosses ils jouent à se chicaner, ils ne
sont d'accord sur rien en général mais d'accord sur tout en particulier
ou peut-être le contraire, c'est très amusant. Nous nous découvrons
rapidement des centres d'intérêt commun. En discutant de mes goûts
littéraires nous tombons d'accord pour désigner Robert Merle comme

239
EDEN - ainsi soit-elle

le meilleur écrivain français du dernier quart du vingtième siècle, en


particulier sa série Fortune de France nous a enthousiasmés.

Comme moi ils ont fait de ces chefs-d'œuvre leurs livres de chevet,
et ils relisent sans cesse les treize volumes depuis des années
prétendent-ils, Serge m'en cite de mémoire des passages entiers.

Comme moi ils considèrent comme une gourmandise intellectuelle


la langue fleurie par laquelle Pierre de Siorac et son valet Miroul
racontent leurs aventures au cours de ce 16ème siècle terrible qui vit
se développer les guerres de religion. Voyez plutôt, là où aujourd'hui
on demanderait bêtement “ouvre moi la porte”, à cette époque on
aurait dit:

- Je quiers de vous que vous ayez l'usance de me bailler l'entrant.

Ça a une autre gueule non ?

Cécile est très empathique avec moi, presque amicale, Serge


ressemble un peu à Michel Ange, avec dix ans de plus. C'est fou, le
temps passe et maintenant je le vois partout, c'est sans doute pour
cela que je me suis davantage épanchée qu'à mon habitude et leur ai
raconté des choses que je n'aurais peut-être pas dû. Ces deux-là
forment une équipe redoutable, un peu comme celle formée par
Michel Ange et moi, mais nous, nous étions un couple. Eux sont un
binôme, une équipe non polluée par l'affectivité amoureuse, je me
demande si ce n'est pas plus efficace. Je les envie.

240
EDEN - ainsi soit-elle

Le grand jour

27 mars 2016.
Eden. Journal intime

Ce dimanche de Pâques est un grand jour pour moi. Nous nous


sommes complètement plantés avec cette salle de 5000 places,
j'ai sous-estimé mon attractivité, il y a au moins 6000 personnes. Le
meeting commence à 14h mais vu l'affluence, à onze heures les
services de sécurité décident d'ouvrir les portes, à midi l'intérieur est
déjà bondé, au mépris des consignes une cinquantaine de personnes
se sont installées sur la scène près des quelques notables venus me
soutenir, la sécurité n'a pas pu les repousser. Nous avons prévu
deux écrans géants à l'extérieur où s'entassent plus d'un millier de
personnes venues de toute la région PACA, sous le soleil marseillais
qui tape dur on frôle l'émeute.

Si j'avais cédé aux inquiétudes de mon équipe paniquée par les


rumeurs d'attentat persistantes, j'aurais doublé ma garde rapprochée
mais je sais me défendre. Au dernier moment les deux gardes qui
m'entourent tentent de me dissuader de faire mon show habituel, ils
craignent de ne pas pouvoir maîtriser la situation. Je refuse leur

241
EDEN - ainsi soit-elle

proposition de faire mon arrivée directement par la scène, tous ces


gens sont venus pour me voir accomplir mon rituel je ne peux les
décevoir et me défiler à la première difficulté.

13h 45, je vaporise quelques gouttes de mon eau de toilette sur


mon cou, Michel Ange serait fier de me voir aujourd'hui, je revêts
une vilaine combinaison grise pour me rendre incognito à l'endroit
d'où je ferai mon entrée princière et commencerai mon show.
Avant de rejoindre les vigiles m'ayant précédée, je livre mes dernières
émotions à ce journal intime que je confie provisoirement à la
garde de Marie-Josée avec mon portable, à tout à l'heure mon
vieux compagnon.... tu seras le premier à recueillir mes premières
impressions après ce que j'espère être un triomphe.

242
EDEN - ainsi soit-elle

La petite fille qui avait peur de l'homme en noir

Henri. Mémoires très privées

L'opération est millimétrée rien n'a été laissé au hasard, enfin je


l'espère. Toute mon équipe est présente depuis neuf heures ce matin.
Michaël a suivi mes instructions, il est habillé d'une chemise noire
sans manches et a fait dessiner à l'encre noire un œil d'Horus sur le
haut de son bras gauche, on jurerait un tatouage.

Timothé qui a encore grandi et forci, est venu avec sa mère, dès
l'ouverture des portes il joue des coudes pour se tenir sur la scène
avec Samueli et moi, près des quelques notables présents. Nous avons
toutes les peines du monde à le retenir de se bagarrer avec un homme
qui se plaint d'être bousculé, il est chaud bouillant depuis deux jours,
je l'ai briefé maintenant il connait l'identité de celle ayant causé la
mort de son père et sa mutilation.
Samueli s'est porté volontaire pour assurer une permanence
médicale avec quelques secouristes de la Croix Rouge. Identifié par
le service d'ordre et les pompiers présents dans les coulisses, il a
conservé sa trousse de première urgence sous son bras, personne ne
sait que cette trousse est à l'usage unique de la belle Eden.

243
EDEN - ainsi soit-elle

À saint Gervazy aussi tout le monde est prêt.

Clément va assister en compagnie de Noémie à la retransmission


télévisée du meeting d'Eden qui se fera avec un léger différé, publicité
oblige, Cerise est chez une copine, Catherine s'est proposée de
surveiller la petite Emma qui a maintenant 4 ans et veut jouer dans
la cour en attendant le moment de voir sa maman à la télévision.

Le petit-fils d'Albert, mon chauffeur habituel, est déjà sur place,


tout vêtu de noir. Il a été un peu réticent à faire ce que je lui demande
mais un billet de deux cents euros lui a fait envisager les choses
différemment. C'est moi qui vais donner le top de départ par sms.

13h55 je transmets le sms attendu par le commando d' Auvergne:


“OK”. 14 heures tapantes les lumières s'éteignent.

C'est parti je suis angoissé, mon cœur s'arrête, le pacemaker


prend le relais, sans lui je serais déjà en syncope.

Les quatre premières notes de la cinquième symphonie de


Beethoven retentissent comme un appel, pa pa pa pa. La foule qui
n'attendait que ça répond pa pa pa pa. Les projecteurs s'allument,
balaient la salle à la recherche de l'idole tant désirée, après une
trentaine de secondes elle apparait enfin en pleine lumière tout en
haut du couloir central, se fraye difficilement un passage et descend
majestueusement vers la scène encadrée de ses deux gorilles. Vraie
bête de spectacle elle n'entre pas, elle fait son entrée.

Il faut reconnaître que cette femme est exceptionnelle, Cléopâtre


aurait sans doute eu de la difficulté à rivaliser avec cette beauté
irréelle, cette classe, cette silhouette parfaite, qui pourrait se douter
qu'un tel ange descendu du ciel héberge un monstre dans sa tête ?

244
EDEN - ainsi soit-elle

Premier choc.

Elle s'avance à pas lents, portée par l'adoration de toute la salle,


profite ma fille, profite. Soudain elle s'arrête, porte la main à son
cœur, ça y est elle l'a vu, il est tout près d'elle, j'essaie d'imaginer ce
qui se passe dans sa tête. Michel Ange est là, ressuscité, plus séduisant
que jamais avec son sourire, ses cheveux gris, sa chemise noire sans
manches, son tatouage égyptien sur le bras gauche. Elle chancèle, un
de ses gardes du corps la soutient, elle se ressaisit et avance. Je suis
de plus en plus admiratif, cette femme vient de croiser le regard du
seul homme qu'elle ait jamais aimé revenu d'entre les morts et elle
tient encore debout !

Second choc.

Eden est maintenant à quelques mètres de la scène, elle tourne la


tête en arrière sans doute pour revoir l'amour de sa vie sorti pour elle
de sa tombe, mais les projecteurs l'éblouissent, alors elle monte deux
marches et se positionne devant les micros. Comme d'habitude la
musique s'arrête brutalement, un grand silence se fait, il précède une
tempête. Une voix forte tonne dans le calme précaire, les premiers
rangs entendent : “Salope tu as tué mon père !” et Timothé se rue sur
elle, toujours éblouie elle ne le voit pas arriver, il lui porte deux coups
violents au visage, les gardes sont dépassés par les évènements, dans
la confusion il se fond dans l'obscurité et disparait dans la foule qui
n'a rien compris de ce qui s'est passé en quelques secondes.

Troisième choc.

Eden fait signe qu'elle n'a rien de grave et va prononcer son


discours mais une femme, son attachée parlementaire m'apprit-on
plus tard, surgit du côté droit de la scène lui montre un papier et la
prend par le bras pour l'attirer vers elle. Le désarroi est total, quelques
minutes plus tard une demande est formulée au micro : “le médecin
est attendu d'urgence”.

245
EDEN - ainsi soit-elle

Le professeur Samueli se rue dans les coulisses en criant “laissez-


moi passer je suis médecin”, il m'entraîne dans son sillage.
Eden est allongée sur une couverture, les yeux révulsés, son corps
est agité de tremblements, une mousse blanche sort de sa bouche, la
scène est irréelle. Comme sortie du film l'exorciste, une voix grave
sort de sa bouche, j'en ai froid dans le dos :

- Je vais tous vous crever, je vais tous vous crever.

Puis une voix de petite fille sortant des mêmes lèvres implore :

- Papa, aide-moi je t'en prie, reste ne t'en va pas, maman je t'en supplie
j'ai peur de l'homme en noir, il va encore me faire des choses.

J'en ai les larmes aux yeux, j'étais loin de la réalité lorsque je


prenais cette femme pour une Vénus aux deux visages, combien de
personnes cohabitent dans cette jolie tête ?

Pour être sûre d'être comprise dans un tel vacarme et alerter sa


patronne, l'attachée parlementaire a écrit son message sur le dos d'une
enveloppe qu'elle vient de poser sur une chaise, j'y jette un coup d'œil
discret : Votre sœur a envoyé un sms, un homme vient d'enlever
Emma en l'arrachant des mains de Catherine, il portait un habit noir
et lui a dit s'appeler Loïc, il a rajouté “dites à Eden que j'emmène
Emma où elle sait pour ce qu'elle sait”...

Loïc, prénom du frère aîné qui viola Eden enfant pendant plusieurs
années et dont elle se débarrassa en le poussant dans le vide. Second
fantôme revenu d'outre tombe pour enlever sa petite fille et lui faire
subir le même calvaire a-t-elle cru dans sa folie.

Mon équipe auvergnate a bien fait son boulot, ils ramèneront la


fillette, intacte bien sûr, chez Noémie dans un quart d'heure.
Etonnez-vous qu'après ces trois chocs cataclysmiques elle ait
disjoncté !

246
EDEN - ainsi soit-elle

Un secouriste s'affaire auprès d'elle, impuissant.


Soulagé il reconnait le professeur Samueli qui injecte deux
ampoules de Loxapac en intramusculaire dans la cuisse d'Eden. En
peu de temps les tremblements de la patiente cessent, il demande à
ce qu'elle soit transportée à l'hôpital de la Conception aux urgences
psychiatriques. Dans la foulée, je subtilise un cahier d'écolier sur
lequel est collée une étiquette portant un sens interdit et la mention
Eden, journal intime.

Sacrée Eden, elle me ressemble même sur ce sujet.

247
EDEN - ainsi soit-elle

Game over

Hôpital de la conception. 16h30


Henri. Mémoires très privées

Eden repose paisiblement dans le silence de sa chambre, pâle dans


son lit vert où la lumière pleut aurait dit Rimbaud, mais ici le lit
est blanc et la lumière plutôt tamisée. Samueli l'a faite hospitaliser
d'office et en toute urgence sous le régime juridique des soins
psychiatriques sans consentement, il m'a présenté à l'équipe soignante
comme le grand-père de la patiente célèbre. Timothé a eu la main
dure il ne l'a pas loupée, son visage est tuméfié mais détendu, une
seringue électrique auto pousseuse lui administre graduellement par
l'intermédiaire d'un cathéter planté dans son bras une petite dose
d'Hypnovel. “C'est un hypnotique et sédatif puissant permettant de
relâcher tous les muscles, votre petite fille ne peut pas bouger mais
elle entend tout ce qu'on dit, vous pouvez lui parler mais elle ne
pourra pas vous répondre”, m'explique gentiment l'infirmière avant
de sortir de la chambre.
Ça tombe bien, puisqu'elle peut m'entendre et que je suis seul avec
elle, je m'approche de son oreille et lui murmure sur le ton de la
confidence :

249
EDEN - ainsi soit-elle

- Tu vois ma belle, c'est dommage ça aurait pu coller entre nous


mais la vie est ainsi faite, un jour on gagne, le lendemain on perd et
aujourd'hui tu as perdu mais reconnais que tu as exagéré. Tu me tues
Michel Ange mon fils spirituel puis mon pote Robert, tu t'appropries
mon secret et me laisse des miettes, tu me menaces en me traitant de
vieux débris, tu veux couper en morceaux les filles de Samueli, ça je
dois dire qu'il n'a pas trop aimé, alors à force de chercher la bagarre
on trouve, certains s'énervent. Je vais t'expliquer la suite des
évènements, je viens d'injecter dans ton cathéter le volume d'air de
deux grosses seringues vides, ce qui va vraisemblablement faire des
dégâts dans ton joli corps, tu vas sûrement être victime d'une embolie
gazeuse ayant pour conséquence un arrêt cardiaque ou un accident
vasculaire cérébral d'après Samueli. Notre aimable professeur sait
que tu n'es pas opposée au don d'organes, nous avons vérifié, ton nom
ne figure pas sur le registre national des refus, tu es donc présumée
donneuse consentante de ton corps, toi qui en étais si avare de ton
vivant. Je me suis renseigné, après ta mort on va d'abord prélever ton
cœur sec puis tes poumons, ton foie, enfin le pancréas et pour finir
tes reins. N'aie pas peur, tu n'en n'auras plus besoin là où tu vas, et tu
ne seras pas seule de l'autre côté, je crois que tu es très attendue. Allez
Hasta Luego !

Je pars sans me retourner j'ai envie de revoir le soleil. alea Jacta


Est les dés sont jetés, Dieu ou Satan décidera de sa vie ou de sa mort.
Au passage je discute un peu avec l'infirmière.

- Elle dort, laissons-là se reposer tranquillement, je vais boire un café.

- Ne vous inquiétez pas, j'irai la voir toutes les demi-heures.

- Merci, je vous la confie, occupez-vous en bien.

À la sortie de l'hôpital un taxi me conduit à la gare saint Charles


et je prends in-extremis le train de 18h18 pour Toulouse, Pythagore
vient me récupérer pour me ramener chez moi.

250
EDEN - ainsi soit-elle

Pendant le trajet, mon voisin de banquette, de retour du wagon-


bar apprend à sa femme assise à côté de moi le décès de la députée
de Cannes, morte selon les premières constatations d'un AVC, une
hémorragie cérébrale vraisemblablement due au coup reçu sur la tête
pendant son discours. La police recherche activement le déséquilibré
qui l'a frappée, certains commencent à parler d'un attentat terroriste
que l'on imagine sûrement piloté par Daesh qui revendique
allègrement chaque épisode dramatique de notre vie sociétale, bientôt
le moindre accident de vélo sera attribué aux forcenés sanguinaires
de l'état islamique, on ne prête qu'aux riches.
Ils ont dû lire Cocteau : ces évènements nous dépassent feignons
d'en être les instigateurs...

10 avril 2016.
Voilà, l'histoire d'Eden est finie, game over. La vie est toujours
terriblement compliquée mais la mort est très simple, elle survient au
moment où on l'attend le moins, comme la nuit se fait lorsque le jour
s'en va. Nu on vient au monde, nu on en repart, je sais je radote. Pour
elle comme pour beaucoup d'entre nous, la roche Tarpéienne est tout
près du Capitole, regardez sur internet la signification de cette phrase
si vous ne la connaissez pas.

Finalement elle va me manquer, car je m'étais habitué à vivre


dangereusement. Sans ennemie intime contre qui me battre, je vais
vieillir vite maintenant. Blaise Pascal avait raison, l'homme est
infiniment malheureux, égaré par les puissances trompeuses de
l'imagination, il poursuit des plaisirs qu'il imagine délicieux mais dès
qu'il les a en sa possession il ne trouve plus en eux que dégoût et
ennui. Le bonheur de détruire Eden, qui me semblait sur le chaud du
moment surpasser tous les autres, ne m'inspire plus maintenant
qu'écœurement et aversion.

Vous allez vous moquer de moi mais je vais faire un geste à la


limite de la superstition, dans la Grèce et la Rome antiques, lorsqu'on
avait offensé une déesse, on se hâtait de déposer une offrande à ses

251
EDEN - ainsi soit-elle

pieds. Dès demain je mettrai une fleur sur le banc vert où j'ai
rencontré ma Vénus pour la première fois.

En ce qui me concerne ne vous inquiétez pas, je ne vais pas jouer


au Papet de Manon des sources qui se laisse mourir dans la nuit, dès
demain je lirai son journal intime pour voir si elle parle de moi et
surtout pour chercher des indices qu'elle aurait pu laisser, j'aimerais
bien récupérer son magot, même avec ce qu'elle a dépensé pour ses
meetings et ce qu'elle m'a déjà donné, il doit rester un sacré paquet.
Merde je viens de me trahir, heureusement personne ne lira jamais
mes mémoires, bientôt je les enfouirai au plus profond de la cachette
prévue, le temps qu'on les retrouve, si on les retrouve un jour, il y
aura bien longtemps que je n'aurai plus mal aux dents (c'est une
image, mes dents vont très bien merci).

Adieu Eden, je ne t'oublierai jamais.... Où que tu sois, sûrement


pas au purgatoire cet endroit réservé aux tièdes, mais en enfer ou au
paradis des dingues, tu retrouveras sans doute ton bel amoureux. Vous
allez encore mettre un beau bordel là-haut tous les deux. Assis le jour
à la droite du maître des lieux, qu'il se nomme Dieu ou Satan et dans
son lit la nuit comme il sied à une sublime favorite, vous pourrez
organiser de beaux “plans culs”, avec un peu de chance tu pourras
te taper deux ou trois beaux étalons en même temps comme tu aimais
le faire ici-bas, sublimissime Salope ! (compliment ultime de Michel
Ange à qui tu transmettras l'expression de mes meilleurs sentiments).

Ainsi soit-il, concluraient les saintes écritures.


Mes écritures étant profanes, moi l'humble mécréant je dirai
simplement :
Ainsi soit-elle.

Fin des mémoires du vieil Henri

252
EDEN - ainsi soit-elle

Troisième partie

Le monsieur qui est dans ma tête

Vous qui entrez ici laissez toute espérance

Divine comédie : l'Enfer


Dante

253
EDEN - ainsi soit-elle

Mazarin

Cannes, 14 avril 2016.


Serge Boudoux :

J'attends Cécile de Laget devant l'Italian Caffe. Sur le dossier Eden


nous travaillons ensemble. Si l'exactitude est la politesse des rois
le retard des femmes est leur manière princière de nous montrer
qu'elles sont déjà bien bonnes d'être venues.... Croyant ainsi se
faire désirer, elles ne font que nous exaspérer, et certaines poussent
la condescendance jusqu'à donner des raisons expliquant nos torts :

- Bonjour Serge, je ne trouvais pas à me garer, vous prenez toujours


des rendez-vous dans des endroits impossibles.

Bon début. Nous traversons le boulevard du midi, à une centaine


de mètres nous descendons l'escalier moquetté qui mène à la terrasse
du Cristal Beach.
Notre informateur, un policier, nous l'appellerons Mazarin pour
conserver l'anonymat qu'il a exigé, est déjà là attablé en terrasse. Il
répond bien à la description qu'il a faite de lui-même : la soixantaine
dégarnie et un peu enveloppée, vêtu d'un jean et d'un tee-shirt noir

255
EDEN - ainsi soit-elle

griffé Dolce&Gabbana, il se lève à notre arrivée et dissipant ma gêne


de l'avoir fait attendre, s'incline devant Cécile, esquissant un
baisemain :

- La photo de votre profil Facebook n'est pas trompeuse, votre beauté


me fera oublier les minutes interminables où vous n'étiez pas là.

Molière aurait dit “le beau galant que voici”. Il ne s'est pas laissé
mourir de soif en nous attendant, son haleine empeste le pastis, il
m'énerve déjà. Je n'ai pas de sympathie pour les vices que je n'ai pas,
comme j'ai peu de vices et aucune addiction, je suis donc sûrement
profondément antipathique.
Certains confrères me disent “ton plus grand défaut est de ne pas
en avoir”, sans doute une manière polie de me suggérer... “tu es
abominablement chiant” !

Ce type a pris contact avec nous par l'intermédiaire de notre


éditeur, tout le monde sait que nous travaillons sur une biographie
d'Eden, nous lui avions déjà consacré quelques articles. Il semblerait
qu'il ait des révélations à nous faire, j'espère qu'il ne nous a pas faits
déplacer pour rien.
Le soleil se reflète sur la mer presqu'immobile, il fait très chaud,
le serveur déplace un parasol pour nous offrir un peu plus d'ombre et
nous amène un seau à glace contenant la bouteille de rosé de
Provence commandée par notre contact.
Mauvaise pioche, ma co-auteure a horreur du rosé.

Mazarin se cale sur sa chaise :


- Je vous ai demandés de venir pour vous proposer un marché.

- Un marché ?

- Ou un accord, ne jouons pas sur les mots. Voici l'affaire, je vous


raconte ce qui s'est réellement passé après la mort de votre “héroïne”,
Eden, en contrepartie vous me donnez la solution d'une énigme.

256
EDEN - ainsi soit-elle

Nous nous consultons du regard puis Cécile acquiesce :

- Ok, vous racontez et nous apportons des réponses à vos questions


si nous le pouvons.

- Vous êtes les seuls à pouvoir m'aider je crois, en tout cas c'est vous
qui connaissez le mieux sa psychologie. Tout d'abord je tiens à dire
que si ce que je vais vous révéler est la stricte vérité, je suis un simple
exécutant bien loin d'être dans les secrets des Dieux, mon récit sera
forcément incomplet mais tout de même passionnant pour vous. Si
comme je le souhaite, vous vous inspirez de mon histoire pour
documenter votre prochain bouquin, la loi permettant aux journalistes
de protéger leurs sources, veillez à faire en sorte que je ne puisse pas
être reconnu et attendez dix-huit mois avant de publier quoi que ce
soit. Nous sommes d'accord ?

- Nous sommes d'accord.

- Vous êtes prêts pour entendre le grand déballage?

Je déclenche mon enregistreur :

- Ok , allez-y.

Il descend d'un trait son verre de rosé, fait claquer sa langue se ressert
et répète :

- Voilà l'affaire.

257
EDEN - ainsi soit-elle

Coup de filet

Récit de Mazarin :

“Le coup de filet coordonné débuta comme vous le savez il y a trois


jours, le 11 avril au petit matin. Je suis un de ceux qui ont arrêté Henri
chez lui. Les policiers de diverses unités intervinrent simultanément
à Cannes, Lamothe-Goas, Marseille, Montpellier et Saint Gervazy.
Des agents du fisc et des douanes firent partie de l'équipe dans le
cadre du GIR, groupe d'intervention régional .

Furent arrêtés et placés en garde à vue :

Henri, Maurice, Albert et un de ses petit-fils


Un voisin d'Henri surnommé Pythagore
Le professeur Samueli.
Clément et Catherine.
Michaël et Séverine
Christiane Leroy, tante de Marguerite Leroy députée des Alpes
Maritimes surnommée Eden et Noémie Leroy sœur de la députée
récemment décédée. Les deux femmes furent libérées le lendemain.
Ambre et Timothé Brocka.

259
EDEN - ainsi soit-elle

Comme vous pouvez le constater nous avons ratissé large, c'est


ce que l'on appelle en pêche industrielle un coup de filet dérivant,
point final d'une très longue traque que je vais vous résumer
succinctement :

Le 28 février 2013 le directeur de la Banque Populaire d'Eauze


vit arriver sur le compte de son vieux client Henri Perret, physicien
à la retraite demeurant à Lamothe-Goas, un virement de 350 000 €
provenant de la DBS, Development Bank of Singapore. Craignant
une erreur son premier réflexe fut de téléphoner à Henri puis il se
ravisa juste à temps, ce jour là il a frisé la correctionnelle.
TRACFIN, acronyme de « Traitement du renseignement et action
contre les circuits financiers clandestins », l'organisme du ministère
de l'Économie et des Finances, chargé de la lutte contre le
blanchiment d'argent, redoutable car inconnu du grand public, ne
plaisante pas. Les banques doivent déclarer tout soupçon d'opération
susceptible de constituer une opération de blanchiment de capitaux,
trafic de drogue ou financement du terrorisme et ont interdiction de
faire état de l'existence et du contenu de la déclaration de soupçon, y
compris aux personnes citées dans cette déclaration.
Henri Perret n'avait pas le profil habituel du délinquant mais en
sa qualité d'ancien physicien nucléaire, détenait-il des secrets qu'il
vendait à l'étranger ou avait-il simplement bénéficié d'un héritage ?
En vertu de la théorie du Zéro mépris bien connue des policiers, dans
le doute il fut placé six mois sur écoutes, sans grands résultats
jusqu'en juin ou cette conversation fut interceptée et enregistrée :

Appel entrant :
- Je viens de regarder sur internet la première page de Var-matin du
7 juillet 2011 comme vous me l'avez suggéré, ne me dites pas qu'elle
est responsable du carnage du Campanile de Grasse...

- C'est elle.

- C'est le diable cette femme, comment est-ce possible ?

260
EDEN - ainsi soit-elle

- Elle est championne de Taekwondo art martial coréen et pourrait


vous tuer d'une seule main, vous comprenez mieux pourquoi il est
impératif que vous ne vous rappeliez pas à son bon souvenir. J'insiste,
ne bougez surtout pas je m'occupe de tout, il nous faudra du temps
mais nous l'aurons.

Dès réception de la transcription de l'appel, l'enquêteur se précipita


sur la première page du journal cité par le correspondant rapidement
identifié, un certain Samueli. L'affaire du virement qui semblait
n'avoir aucun prolongement intéressant jusqu'à ce jour prenait
subitement un relief inattendu.
Le personnage devenait singulièrement captivant, il fut décidé de
ne pas intervenir, de prolonger la durée des écoutes et de remonter
un peu dans le passé. L'opérateur Orange communiqua la courte liste
des appels antérieurs émis et reçus par le téléphone du vieil Henri
ainsi que le texte des rares sms entrants et sortants, l'un d'eux était
extraordinaire :
Ok, 500 000€
et tu n'entendras plus
parler de moi. H.

Henri vieux brigand c’est


d'accord pour 350000
je vous adore,
transmettez moi un rib...

... Je t'adore moi aussi

La correspondante était... Marguerite Leroy, députée de la dixième


circonscription des Alpes maritimes, surnommée Eden.
Une commission rogatoire internationale fut transmise aux autorités
Singapouriennes aux fins d'identification du titulaire du compte
émetteur du virement et confirmation des soupçons. Cette démarche
resta sans réponse, une autre transmise en 2014 subit le même sort,
la troisième en 2015 aboutit aux informations suivantes :

261
EDEN - ainsi soit-elle

Le compte ouvert à la DBS, émetteur du virement à destination


d'Henri Perret, était détenu par une société Irlandaise elle-même sous
contrôle d'une société Islandaise ayant pour actionnaire principal un
certain, attendez c'est noté ici, Kärl Vilhjàlmsson Guöjohnsen. Après
vérification, il s'avéra que cet homme au nom imprononçable
était décédé depuis plus de quinze ans, son identité avait servi de
prête-nom aux vrais propriétaires des sociétés. Fin de piste.

Les services de police n'aiment pas partager leurs informations


mais contact fut enfin pris, mieux vaut tard... avec le commissariat
de Grasse en charge de l'enquête sur les deux meurtres impunis cités
en première page du journal évoqué dans la conversation enregistrée.
Frédéric Lachand se gratta la tête, que pouvait bien savoir le vieil
Henri sur la députée Marguerite Leroy pour qu'elle accepte
aussi facilement de céder à ce chantage, serait-elle le monstre
féminin recherché par Frédéric depuis si longtemps ? Comment un
nonagénaire physicien nucléaire retraité habitant le Gers, pouvait-il
connaître l'identité de la responsable du carnage du Campanile
de Grasse dans les Alpes Maritimes et en discuter librement par
téléphone avec un professeur de psychiatrie marseillais ?

Elle était couverte par son immunité parlementaire. Pour faire


lever cette immunité, il fallait construire un dossier d'accusation
solide, un sms ambigu n'était pas suffisant. Des preuves ADN auraient
été précieuses, il fallait obtenir des prélèvements fiables. À la sortie
d'un des meetings de la parlementaire, une jeune policière se fit passer
pour une fan inconditionnelle, demanda un autographe et dans
l'euphorie ambiante coupa une petite mèche de cheveux de la députée
qui s'amusa beaucoup d'un tel culte de la personnalité, prit un selfie
avec elle, ravie de sa notoriété montante.

Les analyses furent sans ambiguïté, Marguerite Leroy surnommée


Eden était sans conteste la femme présente sur tous les lieux où avait
eu lieu les meurtres : le chemin de Saint Jacques de Compostelle, le
Campanile de Grasse.

262
EDEN - ainsi soit-elle

Les écoutes des téléphones d'Henri révélaient sans cesse de


nouvelles connexions, un célèbre personnage parisien et même le
Vatican furent contactés par le physicien nonagénaire, personne
n'y comprenait plus rien. Je vais vous faire rire, un beau jour au
commissariat de Cannes, qui voit-on arriver la bouche en cœur ?
Notre vieil Henri avec sa tête de premier de la classe, recommandé
par l'ex-femme du lieutenant Brocka et faisant tranquillement sa
petite enquête sur le pique-nique meurtrier de Montauroux, il n'a peur
de rien ce gars-là. On a su qu'il préparait quelque chose mais on ne
pouvait pas intervenir tant qu'il ne s'était rien passé, souhaiter du mal
à quelqu'un et élaborer des scénarios n'est pas un délit. De plus il avait
plus le profil d'un vieux gâteux que celui d'un islamiste radicalisé.

Celle que vous appelez Eden est morte le 27 mars comme vous
le savez, grâce à son don d'organes quatre vies furent sauvées, elle
acquit ainsi presque la réputation d'une sainte. Après avoir lu son
journal intime, j'ai vite changé d'avis mais... laissons-lui son auréole,
elle arrange tout le monde.

Décision fut enfin prise en haut-lieu d'intervenir, le temps de tout


organiser, les interpellations eurent lieu le 11 avril au petit matin. À
l'issue des 24h de gardes à vue, après les premiers interrogatoires,
j'ai participé à la perquisition de la maison d'Henri. Dans le garage,
sur le dessus d'une pile de vieux journaux étaient posés deux cahiers
d'écoliers portant sur la page de couverture du premier un sens interdit
et la mention : Eden journal intime et sur la couverture du second
Henri mémoires très privées. Comme je suis abominablement curieux
et que cette affaire paraissait bien bizarre, je fis une chose totalement
illégale, j'emmenai les deux cahiers chez moi pour les lire. Je serai à
la retraite dans deux mois, trente cinq ans de bons et loyaux services
à travailler nuit et jour sans vie de famille, résultat ma femme m'a
quitté, ma fille ne me parle plus et tout ça pour toucher royalement
un peu moins de 2 000 € de pension par mois, je ne vais pas rouler
sur l'or, alors vous comprendrez que le règlement maintenant je
m'assois dessus !

263
EDEN - ainsi soit-elle

Il faut payer pour voir

Cécile de Laget :

Les yeux de Mazarin se plissent, il glisse un regard rusé vers moi:

- J'ai lu d'un trait les deux cahiers. C'est là que vous intervenez,
d'après vous, que signifie sortant de la bouche d'Eden : près de
l'anneau d'or de l'ancêtre de Bassompierre.

- Qu'avons-nous à gagner de vous répondre, pour le moment vous ne


nous avez rien appris que nous ne sachions déjà.

- Vous allez gagner d'être les seuls à connaître tous les détails des
gardes à vue.

- Pas suffisant.

- Que voulez-vous d'autre ?

- Une copie des deux journaux intimes.

265
EDEN - ainsi soit-elle

Mazarin réfléchit quelques instants, le serveur apporte les


brochettes d'agneau, j'en salive déjà.

- Bon je ne suis pas certain de vous rendre un bon service mais vous
l'aurez voulu, c'est d'accord. Vous aurez les copies si vous êtes
capables de me donner la solution de l'énigme.

Je m'avance un peu mais je suis sûre que Serge a la réponse :

- Nous sommes en mesure de vous répondre, mais c'est donnant


donnant, copies contre énigme, vous devrez payer pour voir.

266
EDEN - ainsi soit-elle

L'anneau d'or de Bassompierre

Cécile de Laget :

Mazarin plonge sa main dans la serviette en cuir déposée sous sa


chaise, en sort une liasse de papiers format A4 :
- À tout hasard j'avais prévu des copies des journaux. Je vous les
remets ?

Il en profite pour mettre sa main sur la mienne, je me fais violence


pour ne pas lui coller une baffe.
Il poursuit :
- Vérifiez qu'il s'agit bien des documents se rapportant à notre affaire

Il est malin, comment pourrait-on juger de l'authenticité des textes,


nous serons bien obligé de lui faire confiance, la vie est faite de paris,
parfois on gagne, quelquefois on perd.
Je feuillette rapidement les papiers et lève un sourcil, signe chez
moi d'une grande perplexité.

Mazarin comprend nos réserves :


- Pour vous montrer ma bonne foi je vais vous révéler une découverte

267
EDEN - ainsi soit-elle

faite pendant les gardes à vue, un scoop. Personne n'est au courant


de la vérité vraie, avec ça vous allez faire monter le tirage de vos
journaux.

Maurice et Albert, interrogés séparément, allaient être libérés à


l'issue des 24 heures de garde à vue, quand par pure routine, avant
mon départ pour la perquisition de la maison d'Henri, je me suis
planté devant Maurice avec un air méchant et lui ai asséné :

- Vous feriez mieux de tout me dire, vos copains viennent d'avouer.

Il m'a regardé, amusé et a répondu :

- La seule chose qu'ils puissent avouer c'est le nom des sites pornos
qu'ils lorgnent en cachette.

Je suis sorti de la pièce et j'ai fait le même numéro à Albert.

Les vieilles recettes sont souvent les meilleures, et celle-ci me


rappelle une savoureuse anecdote qui serait authentique. Au début
du vingtième siècle, un journaliste voulait démontrer le degré de
corruption des députés. Il envoya à une centaine d'élus choisis
au hasard une lettre anonyme qui disait : “sauvez-vous tout est
découvert”, trois jours plus tard dix parlementaires avaient, parait-il,
quitté la France sous divers prétextes. Bref, j'ai donc fait le même
numéro à Albert sans trop de conviction, bingo, il m'a répondu :

- Moi je ne voulais pas, le gars respirait encore, c'est Maurice qui a


insisté pour qu'on le balance dans le lac avec sa voiture.

Je lui ai offert une cigarette, j'ai mis ma main sur son épaule :

- Vous allez tout me raconter tranquillement, je savais bien que vous


n'y étiez pour rien.

268
EDEN - ainsi soit-elle

Le coup de la sympathie, ça marche toujours, il m'a tout déballé.


Dès le lendemain on remontait la 308 blanche du fond du lac des trois
vallées, personne n'a pu dire comment et pourquoi le gars assis sur le
siège conducteur s'est retrouvé là, sauf moi mais je n'avais pas envie
de partager mes informations... Le contenu de ses poches nous a
beaucoup intrigués, en particulier un câble d'acier transformé en arme
et un carnet à moitié mangé par l'eau.

Alors c'est un scoop oui ou non ? Bon, c'est bien beau mais j'ai fait
ma part du deal, à vous maintenant.

269
EDEN - ainsi soit-elle

La solution de l'énigme

Serge Boudoux :

Il a raison, c'est à nous de parler. J'interroge Cécile du regard, d'un


clin d'œil elle confirme son accord, je me lance :

- Voilà la solution de votre énigme. Eden, comme nous, était une


grande lectrice, en particulier elle relisait régulièrement la série
Fortune de France écrite par Robert Merle. Elle détient l'intégralité
des livres de la série chez elle. Au début du volume 6, ou peut-être
7 je ne sais plus exactement, celui ayant pour titre La volte des
vertugadins, le Comte de Bassompierre raconte à un groupe de jeunes
femmes légères qu'il appelle pudiquement “ses nièces”, la légende
selon laquelle un de ses ancêtres aurait eu une liaison amoureuse avec
une fée qui lui aurait donné un anneau d'or en gage d'amour éternel.
Je pense que vous ne souhaitez pas forcément que je vous raconte la
vie du Comte de Bassompierre et sa place dans l'histoire de France ?

Mazarin a changé de visage et a jailli de sa chaise :

- Je suis obligé de partir, je vous laisse l'addition.

271
EDEN - ainsi soit-elle

Finis les sourires, les baisemains et les caresses, il a grimpé


l'escalier. Après quelques secondes Cécile l'a suivi. Cinq minutes plus
tard un peu essoufflée elle revient, s'assoit pour finir son repas :

- Notre homme a traversé le square Mistral, puis il est entré dans


l'immeuble la belle bleue, la résidence où habitait Eden. Je me
demande bien pourquoi il avait besoin de savoir ce que signifiait
pour Eden L'anneau d'or de Bassompierre. Vu l'effet que lui a fait
l'information, cela devait être terriblement important.

272
EDEN - ainsi soit-elle

Oubliez-moi

Après avoir lu le journal intime d'Eden et les mémoires d'Henri,


une réalité abominable et glaçante nous est apparue. Nous
comprenons maintenant la réflexion de Mazarin lorsqu'il nous a remis
les copies des journaux intimes : je ne suis pas sûr de vous rendre un
bon service mais vous l'aurez voulu.

Par chance il répond dès notre premier appel :

- Je suis à l'aéroport, soyez bref je pars pour Jersey, vous savez


pourquoi. Grâce à vous j'ai trouvé les codes des comptes d'Eden. Vous
aviez raison tout était écrit dans le livre de Robert Merle La volte des
vertugadins.

- Nous venons de lire la prose de nos deux “héros”, Eden et Henri.

- Intéressante et instructive n'est-ce pas ?

- Les jours précédant la mort d'Eden, Henri était toujours sur écoutes
non ?

273
EDEN - ainsi soit-elle

- Oui.

- Plus de deux ans d'écoutes, vous étiez donc dans la plus parfaite
illégalité.

- Oui et non, après les écoutes judicaires limitées dans le temps,


compte tenu du contexte, le cabinet du premier ministre a autorisé
des écoutes administratives qui sont moins encadrées juridiquement,
cela nous permettait de suivre indirectement la députée que vous
appelez Eden et nous n'étions pas les seuls à nous intéresser au sujet.

- Vous n'étiez pas les seuls ?

- Il semble que votre petite protégée se soit faite beaucoup d'ennemis,


en particulier nous avons collaboré et partagé nos informations avec
un état tout petit par la taille, énorme par ses ramifications et son
influence.

- Vous voulez parler du Vatican ?

- C'est vous qui le dites.

- Vos supérieurs ont donc eu connaissance de la conversation avec


Samueli où Henri expliquait ce qu'il préparait contre Eden?

- Oui.

- Pourquoi n'êtes-vous pas intervenu “avant” pour l'arrêter comme


vous le permettaient les pouvoirs spéciaux donnés aux policiers dans
le cadre de l'état d'urgence ?

- Vous êtes vraiment naïf, pourquoi se priver d'un outil qui allait faire
le sale boulot à notre place. On nous a interdit de bouger. Quelqu'un
voulait faire la peau aux dernières personnes ayant eu entre les mains
certains documents interdits.

274
EDEN - ainsi soit-elle

- Qui vous a interdit de bouger ?

- Seuls les islamistes sont radicaux, pensez-vous ? erreur grave.


D'autres le sont tout autant, mais plus discrets, culturellement les
occidentaux sont moins démonstratifs que les orientaux, ou plus
sournois. Votre Eden commençait à gêner beaucoup de monde, elle
était atteinte du syndrome d'Icare : à vouloir voler trop haut on se
brûle les ailes et Henri savait trop de choses.
Une dernière information pour vous, contrairement à la version
officielle, Eden n'est pas morte d'un AVC mais d'un arrêt cardiaque
dû à une embolie gazeuse, je ne sais pas si son cœur s'était déjà arrêté
lorsque le vieil Henri lui a détaillé la chronologie des prélèvements
de ses organes, en tous cas son cerveau fonctionnait encore, elle a
sans doute tout entendu, je vous laisse imaginer l'horreur de ses
derniers instants, en comparaison L'enfer de Dante n'était qu'un banal
amusement comme aurait dit notre aimable nonagénaire.
En parlant de lui vous apprendrez sûrement dans les prochains jours
qu'il sera mort dans sa cellule, victime d'une crise cardiaque due à
son intérêt trop prononcé pour certains documents écrits par le
dénommé Paul ou Saül, d'autres ne vont pas tarder à le suivre au
paradis des curieux. Bon je vous laisse on m'appelle, il ne faudrait
pas que l'avion parte sans moi, le fric d'Eden m'attend et va me
permettre de permettre de m'organiser une jolie retraite dorée mais
souvenez-vous, ne publiez rien avant dix-huit mois, je suis moi-même
en danger. Permettez-moi un ultime conseil, ne signez pas votre livre
de vos noms, utilisez des pseudonymes ou apprenez à vous méfier
de tout le monde et même de votre ombre.
Allez bye et oubliez-moi !

Soudain nous nous regardons, terrifiés, nous venons de réaliser.


Le seul fait d'avoir eu le journal d'Eden et les mémoires du vieil Henri
entre les mains nous condamne à mort, seule planche de salut
provisoire : secret total sur toute cette histoire.

275
EDEN - ainsi soit-ell

Le monsieur qui est dans ma tête

Nous venons d'apprendre que le vieil Henri était décédé dans sa


cellule, victime d'un arrêt cardiaque malgré son pacemaker. “À son
âge toute existence est terriblement précaire” ont écrit certains
confrères naïfs.

Après moultes réflexions nous avons décidé d'écrire tout de même


ce livre, ce sera la seule manière de nous protéger des menaces qui
pèsent sur nous. Lorsqu'il sera publié nous serons en sécurité, une
information cesse d'être dangereuse dès qu'elle devient publique. Les
“nettoyeurs” ne pourront pas couper les têtes de tous nos lecteurs. En
attendant, notre vie dépend du secret le plus absolu sur la teneur de
nos révélations. Les copies du journal intime d'Eden et des mémoires
du vieil Henri sont chez un notaire comme le préconisait le vieillard
irascible. Ne tentons pas le diable, qu'il existe ou non, au cas où il
nous arriverait malheur, le tabellion a pour instructions d'en expédier
une copie à trois journaux : le Canard Enchaîné, Marianne et
l'Express.

Le livre ne sortira pas avant fin 2017 début 2018 pour respecter
la promesse faite à Mazarin. Celui-ci coule sans doute des jours

277
EDEN - ainsi soit-elle

heureux aujourd'hui grâce au fric d'Eden, tant mieux pour lui. Ceux
qui prétendent que l'argent ne fait pas le bonheur n'en ont sûrement
jamais manqué.

16 avril 2017. Dimanche de Pâques.


Nous nous rejoignons à Saint Gervazy.
Avant de clore notre enquête et d'inscrire le mot fin à la dernière
page de notre livre, nous avons tous les deux ressenti le besoin
physique de voir la petite Emma.

La tante et la sœur d'Eden avaient été libérées le lendemain de


leur arrestation les policiers comprenant vite qu'elles n'avaient rien à
se reprocher. Agnelles au milieu d'une horde de loups que savent-
elles, qu'ont-elles compris de cette histoire ? Elles vivent aujourd'hui
provisoirement ensemble, couvant d'un regard vigilant la petite
Emma.

Elles la préservent en la tenant à l'écart du drame qu'elles ont


vécu, que lui ont-elles dit pour expliquer la disparition de sa maman?
Mystère. Nous marchons sur des œufs. Elles ont accepté de nous
recevoir, plutôt fières que des écrivains célèbrent leur illustre parente
dans une biographie que nous leur avons promis flatteuse, Eden étant
décédée quasiment en odeur de sainteté, ayant officiellement donné
ses organes et sauvé des vies.

Nous leur avons menti, la biographie ne sera pas flatteuse, elle


sera simplement l'expression de la vérité et fera sûrement l'effet d'une
bombe comme vous pouvez l'imaginer.

Emma a maintenant un peu plus de cinq ans, elle a de beaux


cheveux châtains clairs avec des reflets cuivrés, elle ne sourit pas

278
EDEN - ainsi soit-elle

souvent, c'est bien dommage car elle a un joli sourire, elle est grande
pour son âge et ses réflexions montrent une précocité intellectuelle
surprenante. Elle semble jouer avec sa tablette Samsung mais n'a pas
perdu un mot de nos discussions un peu hypocrites.

Soudain elle nous fixe avec ses beaux yeux vert émeraude qui
nous transpercent, distinctement elle prononce :

- Quand je serai grande je tuerai tous ceux qui ont fait du mal à ma
maman.

Noémie la prend dans ses bras.

- Mais ma chérie, personne n'a fait de mal à ta maman.

Ce qu'elle répond nous glace les os :

- Le monsieur qui est dans ma tête m'a tout dit...

Fin

279
EDEN - ainsi soit-elle

Le mot de la fin

Lorsque nous avons commencé en 2013 à écrire cette histoire,


inspirée de l'agression sexuelle d'une vraie petite fille, nous étions
loin de nous douter qu'elle nous entrainerait aussi loin.

Tout d'abord nous avons un peu joué à Dieu, croyant pouvoir


créer impunément des personnages et décider du cours de leur vie et
de leur mort. Peu à peu nous avons réalisé avec stupeur la vérité : le
récit nous menait où il voulait, nous le pensions serviteur il était notre
maître.

Eden nous a échappé, nous étions bien naïfs de penser que nous
pourrions contrôler un tel personnage. Elle se croyait libre de mener
sa vie comme elle l'entendait, ne cachait pas son corps, ne voilait pas
ses cheveux, allait au bout de ses envies, ne se soumettait pas aux
règles édictées par d'autres.

Nous l'avons vue partir, libre, fière, sauvage


Franchissant les rivières les vallées et les monts
Où ses désirs l'entraînent loin de nos esclavages
Où l'air que l'on respire fait chanter les poumons

281
EDEN - ainsi soit-elle

Elle voulait conquérir le pouvoir par n'importe quels moyens


pour mettre un terme légalement au scandale des femmes et des
enfants agressés, violés, battus à mort dans une société encore
patriarcale sourde à leurs appels. Nous avons écrits le mot “fin” au
bas de la dernière page juste le jour où la parole des femmes
commençait à se libérer, au moment où elles osaient dénoncer leurs
agresseurs.

Nous n'avons pas la prétention d'apporter des solutions à ce


problème, mais il n'est pas impossible que certaines femmes prennent
exemple sur Eden et décident un jour de régler elles-mêmes le
problème, à sa façon...

Nos personnages auraient-ils pu être différents ? Peut-être mais


c'eût été une autre histoire et la nôtre n'était pas disposée à se laisser
dénaturer.

Maintenant orphelins d'Eden, de Michel Ange, du vieil Henri et


des autres, il nous faudra désormais apprendre à vivre sans eux... et
sans vous.

Sans vous?
Nous nous retrouverons peut-être... la petite Emma va grandir...

Montauroux et Montrond les bains, le 8 novembre 2017.

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