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Les risques hydrauliques :

inondations, érosions, affouillements


Jean-Pierre LEVILLAIN

RESUME

Les risques hydrauliques recouvrent toutes les manifestations dues aux dégradations provoquées par les
eaux fluviales. Les inondations représentent 70 % des risques majeurs. Elles font l'objet de nombreuses
études méthodologiques de prévision ; les grands bassins sont équipés en dispositifs d'annonce de
crues et, depuis la loi du 13 juillet 1982, l'Etat a obligation d'élaborer des plans d'exposition aux
risques (PER) prévisibles.
Les phénomènes de transport solide du sédiment, les érosions qui en sont le corollaire, les affouille-
ments sont des phénomènes naturels qui provoquent la disparition des terres non protégées et
conduisent parfois à la ruine des ouvrages. Ces phénomènes, dont l'action était mal connue, se sont
manifestés plus particulièrement ces dernières années du fait d'interventions humaines sur les cours
d'eau et plus particulièrement du fait des extractions de granulats.
L'article donne des exemples de désordres occasionnés aux berges et aux ouvrages à la suite d'une
évolution du lit d'une rivière soumise à une extraction intensive de granulats.

MOTS CLÉS : 36 • Inondation - Érosion • Affouillement • Eau - Cours d'eau • Risque • Prévision •
Extraction - Granulat.

INTRODUCTION Le terme très général de risques hydrauliques recouvre


toutes les manifestations dues aux dégradations
L a presse se fait largement l'écho des catastrophes. provoquées par les eaux fluviales. Nous excluons ici
Les inondations, la chute d'un pont, surtout quand les actions de la houle sur les côtes ou les ouvrages
il est situé au centre d'une grande ville, permettent maritimes, ainsi que les actions liées aux torrents
de montrer au public des images saisissantes. Tous, de montagne, bien que les risques soient également
nous avons en mémoire les images de l'effondrement très élevés.
partiel du pont Wilson à Tours en avril 1978, ou
les étendues d'eau desquelles émergent des pavillons Il est certain que les conséquences des désordres
de la banlieue parisienne lors des inondations de provoqués n'ont pas toutes la même ampleur et ne
1983. Ces images, qui impressionnent quand on ne se traduisent pas par les mêmes termes économiques,
vit pas directement l'événement, montrent de façon dans la mesure o ù les sinistres affectent directement
évidente la puissance des eaux et les dégradations les particuliers ou la collectivité publique.
provoquées. Ce sont des illustrations frappantes des
risques hydrauliques. Il en est d'autres, certes moins Ainsi, la disparition naturelle des sols par érosion
spectaculaires, qui apparaissent lentement et dont des berges est une perte économique pour le
les désordres se manifestent essentiellement après propriétaire riverain, particulier ou la collectivité
quelques années, voire des dizaines d'années, et qui publique, mais ne constitue pas pour autant un
cependant représentent des coûts économiques de sinistre mettant en cause la vie des personnes en
réparation très élevés. général. L a ruine d'un ouvrage d'art porte un
préjudice considérable à la collectivité locale, laquelle,
Le risque hydraulique inclut tous les phénomènes outre le coût de reconstruction, subira la gêne
d'érosion et de transport solide, l'action des écou- importante et le surcoût correspondant à la durée
lements sur les ouvrages en terre et les ouvrages et à l'augmentation substantielle des frais de transport
d'art, les inondations, les abaissements ou remontées des biens et des personnes, si l'ouvrage assurait la
des nappes, les érosions des sols et les affouillements. liaison des quartiers d'une même ville par exemple.

158
Bull, liaison Labo P. et Ch. - 150/151 - j u M . - a o û t / sept.-oct. 1987 - Réf. 3228
Si ce type de sinistre est heureusement relativement Il revêt une place importante parmi les risques
rare, par contre l'inondation d'une commune, majeurs. Ce risque est connu depuis des millénaires
phénomène très courant, porte atteinte aux biens et i l fut et continue d'être l'objet du combat incessant
privés ainsi qu'aux biens de la collectivité. L ' i m - de l'homme pour s'en protéger. Les premières
portance des événements, leur étendue, ont un tentatives dateraient des cinquième et quatrième
caractère catastrophique nécessitant alors la mise en millénaires en Mésopotamie et du troisième millénaire
place de fonds de secours aux sinistrés. en Egypte sous le R o i Menés. Les protections
consistent en l'élévation de digues le long des fleuves
L a loi du 13 juillet 1982, relative aux indemnisations et des rivières, et en la création de réservoirs et
des victimes des catastrophes naturelles, permet barrages régulateurs de débit permettant d'étaler les
d'apporter des secours financiers aux sinistrés. Elle crues.
prévoit, en contrepartie, l'obligation pour l'État
d'élaborer des plans d'exposition aux risques (PER) Si le risque d'inondations est un événement bien
prévisibles. Le décret du 3 mai 1984, pris pour son connu, d'autres risques dus à l'action de l'eau, sans
application, fixe les conditions d'élaboration de ces présenter des aspects immédiats aussi catastrophiques,
plans. n'en nécessitent pas moins la mise en œuvre de
réparations ou de protections dont le coût est très
D'après un recensement effectué en 1982, plus de élevé et parfois difficilement supportable par la
10 000 communes, soit environ un tiers des communes collectivité.
de métropole, sont sujettes à des risques majeurs.
Nous évoquons ci-après certains aspects des risques
Sur l'ensemble de ces communes, les quatre risques
hydrauliques, en limitant notre propos aux érosions
majeurs pris en compte sont les séismes, les
du lit et aux affouillements, avec les conséquences
inondations, les avalanches et les mouvements de
sur la stabilité des berges et des fondations des
terrain, et ils se répartissent comme indiqué sur la
ponts ; le risque d'inondations n'est donné que dans
figure 1.
un bref rappel.

Pourcentage de
1
communes concernées
L E RISQUE D'INONDATIONS

Les inondations peuvent être provoquées par


débordement d'un cours d'eau, par infiltration au
travers d'un ouvrage de protection, par remontée
de la nappe phréatique, par insuffisance des réseaux
d'assainissement, par accumulation des eaux de pluie
ou de ruissellement sur des sols imperméables ou
par les inconséquences des activités humaines en
réduisant les champs d'épandage ou en barrant les
vallées par des ouvrages d'art insuffisamment d i -
mensionnés.

Nous évoquons pour mémoire les ruptures d'ouvrages


type barrages ou digues, pour citer également ce
risque encore plus grave dans la mesure où la
montée des eaux est extrêmement brutale, et la
destruction due aux actions dynamiques de l'eau.
Fig. 1. — Pourcentage de communes concernées par un risque
majeur donné (source : Délégation aux risques majeurs).

Le débordement du cours d'eau

Le débordement du cours d'eau en crue demeure


Pour établir un P E R , ont été jugées prioritaires en la principale cause d'inondations. C'est économi-
1982: quement l'un des risques majeurs.
— 941 communes pour les risques d'inondations,
— 433 communes pour les risques de mouvements Les études de prévention du risque d'inondations,
de terrain, ou l'élaboration des plans d'exposition correspon-
— 210 communes pour les risques de séismes, dants suivent la méthodologie suivante :
— 98 communes pour les risques d'avalanches.
— étude historique, cartographie des crues histo-
Le risque d'inondations est de loin celui qui revêt riques ; évolution temporelle de l'extension d'une
la plus grande importance économique : i l concerne crue de fréquence de retour donnée ;
deux millions d'habitants en France métropolitaine. — caractérisation des bassins versants par la forme,
Les inondations de 1983 ont touché 2 046 communes la superficie, l'occupation des sols, l'imperméa-
et le coût économique a été évalué entre deux et bilisation, les infiltrations et le ruissellement dans
trois milliards de francs. différents scénarios de pluviométrie ;

159
— pluviométrie dont les éléments sont fournis par O n observe alors un premier front de crue
la Météorologie nationale ou par les systèmes généralement brutal et dû à l'assainissement. Le
d'annonce de crue des grands bassins ; second front de crue correspond ensuite aux
eaux de l'amont et aux ruissellements sur les
— hydrologie : à partir des séries de débit, basées terres, le décalage entre ces deux derniers fronts
sur des relations pluie-débit, détermination des peut être de plusieurs heures, et généralement de
crues de projet ; plusieurs jours. Le rôle des bassins réservoirs est
d'éviter le premier front de crue en atténuant la
— calcul des lignes d'eau à l'aide de programmes vitesse de montée des eaux et d'en écrêter sa
de calcul plus ou moins complexes, en régime hauteur.
permanent graduellement varié unidimensionnel
ou maillé, ou en régime transitoire. Le calage O n observe un phénomène sensiblement analogue
des modèles est effectué sur les crues historiques au niveau du bassin versant dès lors que des
ou les courbes de tarage en diverses sections. remembrements ont été conduits avec des tracés
O n dispose alors d'une vue longitudinale des rectilignes des fossés, un recalibrage avec modification
cours d'eau avec les niveaux d'eau correspondant de la largeur des rus et une évacuation directe et
aux différentes crues de projet. immédiate des eaux de ruissellement vers le cours
d'eau. Les eaux météoriques sont alors évacuées
Disposant des hauteurs d'eau dans toutes les sections, dans un délai relativement court, et elles viennent
la phase protection vis-à-vis des risques encourus grossir les différents affluents, toutes en même temps
peut alors être entreprise en étudiant différentes et dans un laps de temps assez bref. Cette rapidité
d'évacuation des eaux, si elle assure un drainage
dispositions comme :
des terres agricoles, provoque par contre une montée
brutale des eaux. Les crues seraient alors plus
— les endiguements et les protections des berges : nombreuses, plus fortes et plus brèves qu'antérieu-
l'édification des levés et des digues sont des rement.
techniques anciennes qui ont prouvé leur efficacité.
Néanmoins, les activités humaines se concentrant
D u fait des aménagements supprimant les haies,
dans les vallées fluviales, les endiguements étant
transformant les ruisseaux tortueux en rigoles rec-
quasiment continus sur la longueur des cours
tilignes de drainage, i l y aurait modification des
d'eau, i l n'est pas rare d'observer pour de petits
débits de crue de type décennal une élévation paramètres traduisant les capacités d'emmagasine-
du plan d'eau qui correspondait antérieurement ment des sols du bassin versant. Les arrivées d'eau
à une crue de type centennal, voire millénal. à la rivière, qui étaient étalées dans le temps, seraient
Ainsi telle zone d'extension d'habitat de type maintenant plus brutales et plus brèves.
pavillonnaire ou de résidences collectives, ou telle
Effectivement, i l est constaté des modifications
zone industrielle, édifiées sur des remblais les
d'hydrogrammes de crues à l'exutoire de parcelles
mettant hors d'atteinte des crues connues de
drainées ou en terroir rural. Mais i l convient de
type centennal, se sont trouvées inondées sous
rester prudent quant aux conclusions de changement
plusieurs décimètres d'eau par une crue subite
de comportement de la rivière ; l'intégration des
de durée de retour inférieure à dix ans ;
résultats locaux à l'échelle du bassin étendu nécessite
de nombreuses mises au point méthodologiques
— la régularisation du cours de la rivière par des [Jacquet, 1984].
barrages écrêteurs ou des seuils avec bassins
réservoirs permettant de stocker une partie des Les chercheurs travaillent également sur les effets
eaux ; cette technique d'origine très ancienne parfois antagonistes des pratiques agricoles —
(Egypte, troisième millénaire) est généralement drainage et assainissement — dont i l est malaisé de
la solution bien adaptée au contexte actuel où prévoir la résultante sur les crues.
il est nécessaire de prendre en compte les activités
économiques implantées dans la vallée. Si elle Il apparaît par contre à l'examen des séries, que le
permet également d'assurer le soutien des étiages nombre et la distribution des crues fluviales n'ont
en période de déficit pluviométrique et de pas varié sur les derniers siècles étudiés.
contribuer à l'irrigation des terres agricoles, elle
nécessite de trouver des terrains aptes et relati- Quant aux crues en zones urbanisées, elles font
vement libres de constructions et d'activités l'objet de recherches, notamment au sein du
économiques pour permettre l'édification des C E R G R E N E * et du Laboratoire d'Hydrologie
ouvrages et le stockage du volume d'eau du mathématique de Montpellier.
réservoir ;
De nombreuses équipes de chercheurs étudient ces
— dans le même ordre d'idée, on construit à l'heure phénomènes, aussi laisserons-nous sans réponse
actuelle des bassins réservoirs de stockage des précise la question suivante :
eaux météoriques. Effectivement, du fait des Y-a-t-il augmentation du nombre et de l'importance
aménagements des villes, de leur extension, de des crues dues aux changements de régime des eaux
l'imperméabilisation sur des aires importantes, par l'action de l'homme ?
toutes les eaux fluviales sont directement recueillies
dans leur quasi-intégralité et collectées, puis
* C E R G R E N E : Centre de Recherche sur la Gestion des
évacuées directement dans un bref délai à la Ressources Naturelles et de l'Environnement, dépendant de
rivière la plus proche. l'ENPC.

160
Annonce des crues Il varie avec la hauteur d'eau, la pente d'énergie
de la rivière, la masse spécifique des grains et leurs
U n des éléments essentiels pour limiter les catas- diamètres moyens. Les modes de transport du
trophes dues aux inondations est bien entendu sédiment ont été étudiés au Laboratoire national
l'annonce des crues. d'Hydraulique ( L N H ) de Chatou [Ramette].

L a mission « annonce des crues » a évolué ces Le lit des rivières est constitué de limons, de sables,
dernières années. Les services concernés ont été de graviers ; i l est mobile. Dès que l'intensité de
réorganisés administrativement, et surtout ont été l'écoulement liquide dépasse un certain seuil, les
modernisés ou sont en cours de modernisation de sédiments sont entraînés sur une certaine épaisseur.
leurs méthodes de prévision. L a masse des matériaux en mouvement s'organise
de façon différente selon les caractéristiques de
A l'origine de cette évolution, l'action locale de l'écoulement.
certains services d'annonce des crues (SAC), tel celui
de Toulouse notamment ; elle est maintenant relayée Schématiquement, la mise en mouvement s'effectue
au niveau central et des crédits importants y sont selon les modes suivants (fig. 2) :
affectés. — transport sur fond plat, les sédiments se déplacent
en tapis sur une certaine épaisseur ;
L a méthode repose sur un certain nombre d'opé-
rations résumées ci-dessous [Leoussoff, 1984] : — transport en dunes, avec déplacement par trans-
lation d'une série d'ondes à front raide ;
— acquisition automatique des données météorolo-
— transport en rides, qui se forme pour un sédiment
giques et des mesures de hauteur d'eau ;
fin dont les grains ont un diamètre inférieur à
— télétransmission des informations jusqu'à un poste 0,6 mm ;
central ;
— transport en suspension, où le sédiment est véhiculé
— traitement des informations et calcul des lignes dans la masse même du fluide et en partie par
d'eau en régime transitoire ; saltation ;
— enregistrement et diffusion de messages d'alerte — les anti-dunes apparaissent pour des écoulements
aux autorités régionales et locales. torrentiels. Elles doivent leur nom à une progression
apparente de l'onde sableuse en sens inverse du
Le processus est encore loin de l'automatisation
courant.
complète. Le prévisionniste garde un rôle prépon-
dérant dans la validation des données, la répartition En régime fluvial, qui est celui intéressant la majorité
temporelle de l'apport des sous-bassins, l'appréciation des ouvrages, les sédiments se déplacent selon les
du temps de transfert des crues. modes donnés sur la figure 2. Pour les rivières
naturelles (non canalisées), ce déplacement intéresse
Bien entendu, toutes les données sont archivées et tous les sédiments situés au-dessus de la cote y,
les traitements des informations stockés pour per-
mesurée sous le niveau de la surface libre.
mettre de tester les modèles de prévision.

V
|y_. Î.
L'ÉROSION E T L E T R A N S P O R T SOLIDE —^ y

Les phénomènes d'érosion, de transport solide et de


Repos Dunes-suspension Susp
sédimentation sont la cause de nombreuses dégra-
dations dont le coût atteint parfois des sommes très
élevées. Les érosions sont la cause directe de la 0.045 0,062 0.1 2 5 :
— '
(X.
détérioration des berges, d'ouvrages en terre comme
les digues, et d'appuis d'ouvrages d'art. Fig. 2. — Domaine d'apparition des différents modes de
transport des sédiments (selon Ramette).
Le transport solide est responsable des atterrissements
qui se forment dans les zones où l'eau est plus
calme. Ces atterrissements qui obstruent le débouché
superficiel peuvent être responsables d'inondations L a connaissance de la cote y des fonds mobilisés
ou de modification du tracé du cours de la rivière. en période de crue est fondamentale pour déterminer
les risques encourus par les ouvrages d'art, quais,
L a bonne connaissance des mécanismes en jeu est berges, ou éléments de protection. D u fait du
essentielle pour les appréhender et étudier les transport solide, les sédiments charriés par le fleuve
protections. ou la rivière ont perdu leurs propriétés mécaniques
et ne concourent plus à la portance des ouvrages
qui y sont implantés. Dans cet horizon de sédiments
Transport de sédiment soumis au transport solide, et dont l'épaisseur varie
de 0,50 m à quelques mètres pour nos rivières, i l
A partir d'un certain seuil de débit, les sédiments y a perte totale des caractéristiques mécaniques des
de la rivière se mettent en mouvement. Ce phénomène sols. Les fondations qui y seraient implantées
naturel de toutes les rivières est le transport solide. s'effondreraient par disparition de leur force portante.

161
Les affouillements Nicollet [1982] et Ramette [1979] conseillent d'adopter
une profondeur maximale de l'affouillement égale à
En section courante d'une rivière naturelle, les deux fois la largeur du maître couple de l'appui.
sédiments se déplacent sur une certaine épaisseur y Pour les ouvrages modernes aux appuis élancés,
(fig. 2) lorsque certaines conditions d'écoulement sont l'affouillement local atteint des profondeurs de 2 à
remplies. 4 m environ.

Ces conditions, qui, en partie, portent sur le débit,


seront d'autant mieux remplies que la rivière Extractions dans le lit mineur
présentera une section rétrécie. Ce cas se présente
au franchissement des rivières par des ouvrages
Sur les 350 M t de granulats produits en France
d'art, ou dans les traversées des villes, ou encore
chaque année, les deux tiers proviennent de gisements
lors de la création de zones industrielles avec
alluvionnaires, dont une partie importante est extraite
remblaiement de la vallée.
du lit mineur des cours d'eau.
L'épaisseur des sédiments ainsi mobilisés pendant la Les lits des cours d'eau sont constitués très souvent
crue est appelée souvent affouillement général, et a de sables et graviers dont l'exploitation a commencé
fait l'objet d'études au L N H dès 1958. depuis très longtemps. Les matériaux extraits sont
destinés pour la majeure partie au génie civil et au
Dans une rivière stable en plan et contenue dans
bâtiment mais également à l'amendement agricole.
des endiguements sans risque d'érosion des berges
ni de contournement des culées, différentes pertur- O n croit souvent que les extractions de matériaux
bations se manifestent autour d'un ouvrage d'art : se limitent aux quantités charriées par les cours
d'eau. E n réalité, i l n'en est rien. Ainsi, sur la
— remous hydrauliques,
Loire, on estime que le volume des sédiments
— variation de niveau de la cote des fonds non 3
charriés annuellement est de l'ordre de 500 000 m
perturbés,
par an, et les extractions ont atteint le volume de
— affouillements locaux. 6 3
20.10 m . Pour les deux départements de Loire-
Atlantique et de Maine-et-Loire, la production de
Le pincement du lit aux abords d'un ouvrage d'art
sable par dragage dans le lit mineur entre Angers
provoque un remous d'exhaussement en amont avec (Les Ponts-de-Cé) et Nantes était de 1,5 .10 m en6 3

cote de l'eau en aval sensiblement identique à celle 6 3


1964, elle a atteint 2.10 m en 1972, puis 4,5.10 m 6 3

qu'elle était avant la construction du pont. en 1978. A ces chiffres, i l convient d'ajouter les
prélèvements occasionnels, mais importants, pour la
D u fait de la concentration du courant entre les réalisation de zones industrielles, de remblais routiers
culées, i l y a abaissement de la cote des fonds non 6 3
(1.10 m ) ou encore du quartier de l'Ile Beaulieu à
perturbés ; le lit ayant alors une largeur réduite Nantes (5.10 m ). 6 3

entre les appuis, l'affouillement général y est plus


profond que dans un lit non protégé.
Jusqu'en 1941, le volume des apports de la Loire
6 3
fluviale était estimé à l,2.10 m à l'aval des Ponts-
L a présence d'un obstacle dans le lit d'une rivière, 6 3
de-Cé ; en 1965 ce volume est estimé à 0,5.10 m .
comme une pile de pont, conduit à la formation
Le transport solide actuel lors des crues correspond
d'une nappe tourbillonnaire responsable de la création
aux emprunts de sables aux berges et au fond.
d'une érosion du lit de forme sensiblement conique :
l'affouillement local. Ces chiffres significatifs ne sont pas exclusifs à la
Loire, tous les fleuves et rivières sont concernés.
Les affouillements locaux autour des piles implantées
dans les rivières ont fait l'objet de très nombreuses Ces extractions posent des problèmes considérables
études depuis la fin du siècle dernier. Les publications qui se sont faits jour au cours des dix à quinze
sont importantes et bien que les auteurs aient du dernières années, et qui ont amené les pouvoirs
mal à s'accorder sur les paramètres à retenir pour publics à envisager l'arrêt progressif de ces instal-
rendre compte du phénomène, i l existe actuellement lations en édictant des recommandations : circulaire
des formules mathématiques qui permettent d'évaluer du 12 juin 1980 pour réduire les extractions, et
correctement les profondeurs atteintes [Levillain, circulaire du 15 septembre 1981 qui impose une
1986]. enquête publique et une étude d'impact pour autoriser
une extraction. Ces deux circulaires complètent le
L'étude expérimentale entreprise en 1956 au L N H décret du 20 décembre 1979 relatif aux autorisations
par Chabert et Engeldinger a mis en évidence deux de mise en exploitation des carrières [Arquié, 1983].
faits importants :

— l'affouillement maximal est obtenu pour des


conditions d'écoulement correspondant au début de Conséquences des extractions sur le régime hydraulique
charriage continu du sédiment pour une pile et un des cours d'eau
matériau du lit ;
— le tirant d'eau est sans influence sur la profondeur De nombreux facteurs interviennent pour modifier
d'affouillement dans la mesure où i l est supérieur le régime hydraulique des cours d'eau. Nous
au rayon de la pile. examinons ci-après l'influence des extractions de

162
granulats en rappelant au préalable les autres facteurs Hauteur à l'échelle de 'Montjean (m)
qui peuvent intervenir.
Q = SOOmVs
Autres facteurs concourant aux modifications du
régime hydraulique ^ 0 = 300mVs

Bien que les sables et graviers aient été surexploités


sur de nombreux fleuves et cours d'eau, i l y a
o.oo.
V
0 = 200mVs
d'autres facteurs qui concourent aux modifications \
\
du régime hydraulique du fleuve. Ce sont : V

— les approfondissements des chenaux d'accès par o


in o
io o
c-- <o -4 io Temps (Année)
t>
er* er» QÌ e co
r*- er* o
eor*
les dragages permettant l'accès de tonnages de plus
en plus élevés ; Fig. 3. ~ Évolution des lignes d'eau de la Loire à Ancenis,
— la suppression de seuils soit rocheux, soit de en fonction du temps.
radiers d'ouvrages anciens, la démolition d'ouvrages
datant des siècles derniers et qui par leurs fondations
larges et les arches étroites contribuaient à maintenir • Propagation de la marée — le marnage
des lignes d'eau d'étiage mais également participaient
à provoquer des inondations en réduisant notable- Une conséquence du surcreusemént apparaît dans
ment la section d'écoulement ; l'augmentation du marnage, voire à son apparition,
sur des sections où i l était inconnu des années
— l'augmentation des pompages qui diminuent le auparavant. Le marnage est la différence de hauteur
débit d'étiage. du niveau d'eau en marée haute et en marée basse.
Tous ces facteurs conjugués causent des changements Dans le cas de la Loire, si le lieu géométrique des
notables dans le régime hydraulique des fleuves ou hautes mers évolue peu, par contre les lieux
des rivières. Les conséquences sont les mêmes que géométriques des basses mers se sont beaucoup
celles provoquées par les extractions de granulats, modifiés (fig. 4).
à savoir :

— surcreusement du lit du cours d'eau ou du fleuve,


— abaissement de la ligne d'eau,
Propagation de la m a r é e /
— augmentation locale de la vitesse du courant ou
g m Lieux g é o m é t r i q u e s de haute mer et de basse mer en vive eau et é t i a g e /
sur l'ensemble du cours,
— amplification très substantielle du marnage en 7 y" À
amont des estuaires. 6
... y
5
• Surcreusement du lit 4 >

1903 /
Le surcreusement est généralement difficile à quan-
/
tifier, car peu de mesures de profils en long et en 2 /
j9_38_ t.
travers sont faites. Les bathymétries, peu nombreuses, 1
^/

ne sont pas toujours comparables. 1971


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La Rabotìère 1
Paimboeuf |

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Sur la Loire, l'abaissement moyen des fonds est S'S c


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évalué à 1 m sur les trente dernières années ; cet o a • Q_
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abaissement atteint 1 à 3 m en moyenne en aval ^ i iecti Section ^_Sec i o n .
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d'Ancenis et 4 à 5 m au droit de Nantes.
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1

Fi g. 4. — Propagation de la marée en Loire (document Port


• Abaissement de la ligne d'eau Autonome de Nantes — St-Nazaire).

L'abaissement de la ligne d'eau est mis en évidence


par les courbes de tarage qui donnent le débit du L a limite de propagation de la marée recule vers
fleuve en fonction de la hauteur d'eau mesurée à l'amont. E n 1910, elle était à 8 km en amont de
l'échelle du point considéré. Nantes en mortes eaux et à 15 km en marée de
vives eaux.
L a figure 3 donne un exemple d'évolution de la
ligne d'eau à Montjean entre Angers et Nantes sur L a limite de propagation de la marée a atteint la
la Loire, pour trois débits classés. distance de 38 km en amont de Nantes en 1938 et
44 km en 1978, soit une distance de 95 k m de
O n constate, et cela est également vérifié pour l'estuaire.
d'autres stations sur la Loire, que les lignes d'eau
à débit constant se sont notablement abaissées à Les conséquences du marnage sur la stabilité des
partir des années 1950, et surtout à partir des berges étaient insoupçonnées. Sur ce secteur main-
années 1970. U n arrêt brutal des extractions a tenant concerné à l'amont de Nantes, i l s'opère un
permis de limiter ce phénomène et, semble-t-il, de changement de régime d'écoulement dans les berges.
l'annuler. Les talus sont soumis à une érosion plus intense.

163
Le marnage a une action sur les berges équivalente moyen du sédiment, i l peut y avoir perte des
à une crue avec décrue rapide. propriétés mécaniques des sols du fond du lit par
affouillement général. Le phénomène est analogue à
• Augmentation de la vitesse du courant une augmentation de la hauteur du talus, au même
L'abaissement des lignes d'eau s'accompagne d'un titre que l'action des dragages, avec diminution ou
approfondissement du lit et d'un rétrécissement du disparition de la butée de pied de talus. Les
lit mineur du fait des endiguements, des protections matériaux du corps de talus glissent et sont emportés
des berges et des appuis des ouvrages implantés sur par charriage, la berge présente alors un surplomb.
le cours d'eau. Le débouché superficiel est réduit,
et, à débit constant, la vitesse du courant augmentée. A la décrue, ce surplomb se rompt par dessiccation
ou par effet de variation de pressions interstitielles
Sur la Loire on considère qu'en moyenne, pour le et des écoulements de la nappe dans le talus (fig. 5).
débit d'étiage, la vitesse du courant a sensiblement L a berge atteint un nouvel état d'équilibre après
doublé dans le chenal navigable sur les trente avoir subi une récession de tête.
dernières années.

L'augmentation du courant a pour conséquence Action du marnage


directe d'amplifier le charriage des sédiments et de
rendre instables les protections réalisées. Le diamètre Cette action, analogue à un phénomène de vidange
moyen de l'enrochement mis en œuvre, pour protéger rapide, est observée dans les zones d'estuaire et sur
le lit ou un appui, est directement proportionnel au la longueur du cours du fleuve où se propage la
carré de la vitesse moyenne de l'écoulement. Une marée (95 km pour la Loire).
augmentation de 30 à 40 % de la vitesse moyenne
Le marnage provoque une variation rapide du niveau
du courant conduit à doubler le diamètre moyen
de l'eau devant la berge et entraîne un écoulement
de l'enrochement pour obtenir une même protection.
de la nappe interne vers le pied du talus. Pour un
talus constitué d'un matériau frottant et soumis à
un écoulement parallèle à sa surface, la stabilité ne
INFLUENCE DES ÉCOULEMENTS FLUVIAUX sera assurée que pour un angle du talus égal à la
S U R L A STABILITÉ D E S B E R G E S moitié de l'angle de frottement interne du matériau.

A u fur et à mesure des remontées de la propagation


Le rôle des berges
de la marée à l'intérieur du cours des fleuves, des
berges qui étaient stables en régime fluvial deviennent
Les berges constituent la frontière naturelle entre le
instables géométriquement en régime fluvio-marin.
lit mineur et un champ d'inondation. Cette frontière
peut varier selon les conditions d'évolution de la
morphologie du fleuve ou de la rivière, aussi la Effet du batillage
fixer par une protection permet-il d'assurer la
conservation des terres de la plaine inondable. A u passage des bateaux i l se crée une onde de
houle qui se déplace avec le bateau. De même, sur
L'endiguement permet de retarder ou d'annuler la les plans d'eau assez larges, le vent engendre des
submersion des terres riveraines. Dans certaines vagues qui peuvent atteindre des amplitudes telles
régions, l'histoire locale est constituée pour beaucoup qu'il faille en tenir compte.
par les chroniques relatant les inondations catastro-
phiques et par la description de travaux souvent Si ces ondes de houle provoquent la déstabilisation
gigantesques pour s'en protéger. des berges, le phénomène le plus agressif est lié à
l'abaissement du plan d'eau au droit du navire
L a protection des berges et des digues est une quand -celui-ci est à proximité des berges. Le passage
obligation vitale. Il faut que les berges résistent à d'un bateau provoque une surélévation du plan
différentes agressions qui peuvent les rendre vulné- d'eau en amont et au droit de l'étrave, surélévation
rables et provoquer leur destruction. Une bonne suivie d'un abaissement brutal.
connaissance des mécanismes en jeu est essentielle
pour les appréhender et étudier des protections dont Ce surenfoncement du plan d'eau derrière l'étrave
le coût sera d'autant moins élevé que la dégradation du navire correspond à la mise en vitesse de l'eau
ne se sera pas produite. dans la section rétrécie. Il se produit dans un délai
très court et crée un courant déstabilisant au sein
du talus, d'autant plus que la pente du talus amplifie
Mécanismes d'érosion des berges l'amplitude de l'onde de batillage.

Les causes d'instabilité des berges peuvent être Sur la hauteur d'abaissement rapide du plan d'eau,
classées en différentes catégories [Levillain, 1980] il y a variation de la pression interstitielle à l'intérieur
(fig. 5). des sédiments, qui peut entraîner une liquéfaction
locale du matériau.
Pseudo « fluidification » du lit en crue et action des
dragages De plus, l'énergie de déferlement des ondes sur le
talus de la berge provoque une érosion par remise
Au-delà d'une certaine vitesse d'écoulement critique, en suspension et entraînement du sédiment par les
fonction de la hauteur du plan d'eau et du diamètre ondes réfléchies.

164
de morphologie fluviale qu'il
Ecoulement dans importe de réaliser pour r é -
Me talus
pondre au devenir d'une rivière
ou d'un fleuve modifié par
l'homme dans telle ou telle
partie de son cours. Cette
Ruptures
tures y. "•
science a beaucoup progressé
Action du marnage
ces dernières années ; d'essen-
Action directe des dragages
tiellement expérimentale et ré-
^ R e c e s s i o n de t ê t e
servée à des spécialistes che-
vronnés, elle a évolué, et, malgré
sa complexité, doit permettre à
l'ingénieur projeteur quelques
Glissement du talus
réflexions et critiques sur le
Nouveau profil >v.-
par érosion du pied devenir de la rivière étudiée
[Ramette, 1979].
Action du batillage Zone du fond fluidité .

Récession de t ê t e
L a pérennité d'une protection
Action des crues
ou d'un endiguement bien
conçu, respectant les critères de
morphologie fluviale du cours
Etiage
Fig. 5. — Influence
d'eau étudié, ne sera assurée
des actions hydrauliques cependant que moyennant une
sur les berges. surveillance, un entretien et le
Evolution de la berge vers respect de certaines réglemen-
un nouveau profil d'équilibre
tations régissant les travaux en
rivière.

Ces deux effets se conjuguent et on observe la


formation d'une lèvre qui entraîne la formation d'un
surplomb puis, par rupture, une récession de la tête
de talus par effondrement et glissement. ACTIONS HYDRAULIQUES
S U R L E S A P P U I S D ' O U V R A G E S E N RIVIÈRE

Autres agressions sur les berges


Diversité des fondations de pont
Les berges sont également soumises aux agressions
dues aux animaux, qu'il s'agisse des terriers de Si les ouvrages d'art récents de franchissement des
certains rongeurs ou des terrassements et piétinements rivières ont des fondations, établies soit sur le rocher
pour accéder à l'eau, et qui créent des points faibles. par l'intermédiaire de pieux, puits, caissons, massifs
de béton ou semelles, soit dans les alluvions mais
Les arbres, les buissons, quand ils sont à racines en dessous des niveaux affouillables, les ouvrages
superficielles, sont souvent plus perturbateurs anciens ont des fondations très vulnérables.
qu'utiles à la fixation des talus. Par ailleurs, i l ne
faut pas négliger l'action du vent sur les arbres en Les fondations anciennes peuvent être de type et
bordures de berges, qui provoque une déstabilisation de nature très variables entre les pilotis recépés à
de celles-ci. Sur les berges de Loire, i l était assuré quelques décimètres sous l'étiage et réunis par un
une coupe et un entretien réguliers des arbres pour platelage en bois, les massifs de béton de chaux
éviter une prise au vent trop importante. établis superficiellement après un encastrement de
un à quelques mètres dans les alluvions, les caissons
Les agressions chimiques par altération des matériaux havés à l'air comprimé, les caissons en bois échoués
de berge, tels certains micaschistes très altérables sur des pieux recépés à 2 ou 3 m sous l'étiage, etc.
ou gypse par exemple, ne sont citées que pour
mémoire, de même que les phénomènes de liqué- Ces fondations, ayant en moyenne un siècle à un
faction de limons ou sables fins sous-jacents à des siècle et demi, sont particulièrement sensibles aux
corps de digue dans des régions sujettes aux séismes. évolutions des lits et des régimes d'écoulement des
rivières, sans parler de l'action de l'eau (abrasion,
altération, corrosion sur les éléments constitutifs)
Évolution des talus des berges [Ministère des Transports, 1980].

U n projet de protection de berges doit tenir compte Bien qu'anciens, les ouvrages du siècle dernier
de toutes les agressions évoquées ci-dessus : courants constituent un patrimoine très important vis-à-vis
de crues, dragages, marnage éventuellement, batil- du nombre total des ouvrages de franchissement.
lage : mais i l doit également tenir compte des Par ailleurs, a priori moins vulnérables parce que
interventions humaines sur le cours de la rivière. théoriquement mieux fondés, les ouvrages récents
sont également agressés et parfois mis en péril par
U n cours d'eau sur lequel on vient perturber des évolutions du cours d'eau ou de l'environnement
l'environnement va réagir. C'est l'objet des études lors d'interventions humaines sur celui-ci.

165
Conséquences de l'abaissement des lignes d'eau Conséquences de l'abaissement du Ut

Une première conséquence immédiate sur les fon- L'abaissement du lit autour des appuis provoque
dations est la mise à l'air libre d'éléments toujours un déchaussement des fondations et une perte
immergés. Les pièces de bois qui, si elles sont d'encastrement. Par la suite, la stabilité des appuis
toujours immergées et protégées de l'érosion et de diminue notablement et la sécurité peut ne plus être
l'abrasion des sédiments charriés, ont une remar- assurée. O n est conduit à procéder à des travaux
quable tenue dans le temps, sont soumises à des de reprise en sous-œuvre des appuis.
alternances d'exposition à l'air et à l'eau.
A u droit des fondations anciennes, le creusement
Il y a risque de pourrissement plus ou moins rapide du lit consécutif à l'abaissement des fonds est
et d'attaque par des champignons provoquant à d'abord limité aux zones non protégées par les
terme la ruine des pièces de bois. enrochements. Les talus des massifs de protection
se raidissent, les enrochements de pied s'enfouissent
Une deuxième conséquence très importante est la dans les alluvions affouillées, le niveau perturbé du
diminution du débouché superficiel au droit de lit étant alors situé plus bas, et les protections
l'ouvrage. Les fondations anciennes, larges, généra- deviennent instables. Les alluvions peuvent disparaître
lement protégées par des massifs d'enrochements, sous la carapace d'enrochements par effet de vortex
constituent de véritables obstacles à l'écoulement : dû aux écoulements tourbillonnaires, comme on l'a
ce sont des barrages noyés sur lesquels l'eau déverse. observé au pont Wilson à Tours [Grattesat, 1980].
Il se crée, en aval des ponts des fosses d'érosion
dont la profondeur atteint plusieurs mètres (fig. 6). En règle générale, ces enrochements doivent impé-
rativement être maintenus autour des appuis dans
la mesure o ù ils font partie intégrante de la
fondation, ou alors un projet de confortation,
mettant en œuvre un corsetage et des radiers
inaffouillables, doit être réalisé en améliorant l'écou-
lement autour des appuis.

Conséquence de l'augmentation
des vitesses de courant

Profil en
octobre 1979
L'augmentation des vitesses de courant va avoir
Om NGF
plusieurs actions en augmentant le risque d'affouil-
lement, en déstabilisant la tenue des enrochements
de protection, et en provoquant un charriage plus
L e v é en rive gauche
-4,40m NGF Erosion r é g r e s s i v e -5.15V -¿.80
important.
de l'appui le 12-2-80
du talus \

Octobre 1979 Effectivement, la vitesse critique de début de charriage


continu du sédiment, qui est une frontière à
l'apparition ou non de l'affouillement local, sera
Toit du substratum rocheux plus rapidement atteinte. Par ailleurs, nous avons
vu qu'un enrochement stable dans un écoulement
Fig. 6. — Création de fosses d'érosion en aval
des appuis de ponts anciens. de vitesse donnée ne le sera plus si cette vitesse
augmente.

Ces fosses, d'abord localisées derrière les appuis, UN EXEMPLE DE RUPTURE D E BERGE
finissent par se rejoindre et former une véritable
vallée noyée transversale au fleuve ou à la rivière.
Lorsque des berges de rivière sont en équilibre
Sur la Loire, des fosses d'érosion de 3 à 4 m de précaire du fait de caractéristiques mécaniques faibles,
profondeur sont observées en aval d'appuis établis ou de pentes de talus trop raides ou encore du fait
superficiellement dans les alluvions, avec un encas- d'absence de protection, des variations rapides de
trement de 2 m en moyenne. niveau de la nappe peuvent entraîner des ruptures.

A u pont de Champtoceaux-Oudon, les fosses L'urbanisation croissante de ces zones naguère


atteignent 6 à 8 m en aval des appuis implantés délaissées a parfois des conséquences coûteuses pour
dans le chenal navigable, alors que les caissons sont la collectivité et qui pourraient être graves. C'est ce
encastrés de 5 à 6 mètres. que nous illustrons dans l'exemple ci-après.

En amont de Nantes, des fosses d'environ 15 à 20 m L a Sèvre Nantaise est un affluent de la Loire dont
de profondeur ont été observées et les ouvrages ont le confluent est situé légèrement en aval de
dû être confortés selon diverses techniques, dont l'agglomération nantaise. Sur son cours inférieur,
l'une a consisté à réaliser un pavage à l'aide de cette rivière est maintenant soumise au marnage dû
2
15 000 m de gabions (pont S N C F sur le bras de à la remontée de la marée en Loire. L'amplitude y
Pirmil en amont de Nantes). atteint 3 à 4 mètres.

166
A u cours de l'hiver 1982-1983, des crues importantes d'habitation se trouvait ainsi affecté par les ruptures
noient la vallée inondable et vraisemblablement ont («g. 7).
fait remonter le niveau de la nappe phréatique dans
la plaine. E n 1983, les étiages de la Sèvre suivent Une expertise effectuée sur les fondations du bâtiment
l'évolution du plan d'eau de la Loire qui s'abaisse a mis en évidence qu'après rupture i l y avait fluage
et, au mois de juin, ce sont plus de 400 m de berge lent du sol sur une certaine épaisseur, par suite de
en rive droite qui s'effondrent ; au mois de septembre, la disparition de la berge. Les sols de fondation du
ce sont à nouveau 300 m de berge, mais en rive bâtiment situés en arrière de la rupture et sur une
gauche. distance de 6 à 10 m avaient subi un déplacement
horizontal de plusieurs centimètres et provoqué la
Les ruptures présentent un décrochement vertical de rupture des pieux moulés non armés de fondation
l'ordre de 3 à 4 m de hauteur et affectent les terres du pignon. Cette partie de l'immeuble a été évacuée
riveraines sur une largeur de 3 à 6 m environ. Ce et ses occupants relogés provisoirement en attendant
sont généralement des ruptures de type rotationnel la réparation.
car les alluvions de la Sèvre sont des argiles
plastiques cohérentes. A u cours des reconnaissances L a berge de la Sèvre Nantaise a été confortée sur
effectuées par sondages carottés pour prélever des une longueur de 1 400 m, et une paroi moulée de
échantillons intacts, i l a été mis en évidence des 25 m de longueur encastrée dans le substratum
surfaces de rupture fossiles, preuve que ce phénomène rocheux, ancrée en tête par des tirants, a été réalisée
n'est pas particulier à notre époque. devant le pignon de l'immeuble dont les fondations
ont été reprises en sous-œuvre (fig. 8).
Toutefois, l'urbanisation conduit construire a
proximité immédiate des berges, un bâtiment Le montant des travaux de confortation s'est élevé
à 6,5 M F pour la rive droite dont 2 M F
pour les berges sur une longueur de
1 400 m, et à 4,5 M F pour la confortation

nn n n 0
Terrassement p r é a l a b l e et substitution de l'immeuble par paroi moulée
ancrée et reprise en sous-œuvre
0
n n n n par micropieux.
nn n n • nD. Niveau en crue

L a rive gauche fait ac-


IJ u u u -i
tuellement l'objet de tra-
vaux de confortation
pour un montant de
2 M F sur une longueur
de près de 2 000 mètres.

Confortation des berges


par massif de b u t é e en
Pieux repris en sous-oeuvre enrochements
par micropieux
Fig. 8. — Confortation d'une berge et des
fondations d'un immeuble établi près d'une
rivière.

167
CONCLUSION rivière à la suite des modifications apportées par
l'homme.
L a prévention contre les risques hydrauliques vise A ces évolutions de tracé en plan, de niveaux de
à limiter et, si possible, à éviter les conséquences lignes d'eau et de fond du lit que l'on sait déterminer
dommageables des actions permanentes ou occa- théoriquement, i l faut ajouter l'étude des actions
sionnelles de l'eau vis-à-vis des activités humaines. induites sur les berges qui sont la frontière naturelle
entre le lit mineur et la plaine alluviale, et les
De nombreux paramètres sont en jeu, le terme actions sur les fondations. Les phénomènes de
risque hydraulique recouvrant toutes les manifesta- transport solide, les érosions, les affouillements et
tions dues aux dégradations des écoulements fluviaux. les dépôts par sédimentation sont des actions
Le risque le plus important et également le plus naturelles qui provoquent la disparition des terres
spectaculaire est bien entendu le risque d'inondations. non protégées et conduisent parfois à la ruine des
Ce fléau est connu depuis des millénaires et l'homme fondations des ouvrages. Tous les phénomènes
lutte avec ténacité pour tenter de contenir les hydrauliques du cours d'eau, leur évolution prévisible,
débordements dus aux crues. L'urbanisation crois- doivent être pris en compte dans les études de
sante des vallées fluviales, les modifications apportées stabilité et de protection des berges et des fondations
par l'homme à l'environnement, ou directement au d'appuis d'ouvrages en site aquatique. Faute d'avoir
cours d'eau, provoquent des actions pas toujours maîtrisé cette étude des paramètres, les projets de
maîtrisées car elles ne se manifestent que quelques confortation peuvent devenir rapidement caducs.
années ou des dizaines d'années après réalisation de
l'aménagement.
Compte tenu de l'évolution de notre société où la
ruine d'un pont ou la chute de plusieurs centaines
Il est parfois bien difficile de mettre en évidence de mètres de berges sont devenues difficilement
l'origine d'un désordre, et pourtant nous avons acceptables, les travaux de protection ou de confor-
actuellement les moyens d'appréhender la plupart tation doivent être prévus et réalisés en leur temps
de ceux-ci. pour garantir la sécurité des ouvrages.
Les progrès réalisés, en matière de morphologie Ces travaux représentent un coût économique
fluviale en particulier, sont tels que l'on peut généralement élevé qu'il faut accepter si l'on veut
expliquer le comportement des cours d'eau. Cette éviter des sinistres.
science permet maintenant de quantifier les phéno-
mènes et le devenir de telle ou telle portion de Rédigé en avril 1987

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