Vous êtes sur la page 1sur 7

The Brain on Play - Stuart Brown

Les animaux qui jouent beaucoup apprennent comment fonctionner dans leur

environnement et s’adaptent à celui-ci. En bref, ils deviennent plus intelligents. Les

neuroscientifiques Sergio Pellis et Andrew Iwaniuk de l’Université de Lethbridge, au

Canada, et le biologiste John Neson de la Monash University à Melbourne, en Australie,

soulignent qu’il existe un lien positif entre la grosseur du cerveau et l’esprit ludique

(playfulness) chez les mammifères en général. Dans le cadre de leur étude, la

comparaison quantitative la plus exhaustive jamais publiée, ils ont mesuré la grosseur du

cerveau et observé et classé les comportements de jeu chez 15 espèces de mammifères

allant du chien au dauphin. Ils ont démontré qu’en normalisant pour le poids corporel, les

espèces avec des cerveaux plus gros en comparaison de leur corps jouaient beaucoup et,

inversement, ceux avec un plus petit cerveau jouaient moins. Un autre chercheur dans le

domaine du jeu, Jaak Panksepp, a démontré que le jeu actif stimule de façon sélective des

facteurs neurotrophiques qui favorisent la croissance des nerfs dans une partie du

cerveau qui gère les comportements émotionnels (amygdale) et dans une partie du

cerveau impliquée dans le processus de décision complexe (cortex préfrontal).

Johan Byers, un spécialiste du jeu chez les animaux, s’intéresse à l’évolution des

comportements de jeu. Il a entrepris une analyse détaillée de la relation entre la grosseur

du cerveau et l’esprit ludique corrélée avec l’échelon relatif auquel l’animal appartient dans

l’échelle évolutive. Il a démontré que la quantité de jeu est corrélée avec le

développement du cortex frontal. Cette partie du cerveau est importante dans ce que l’on

appelle la cognition : discriminer les informations pertinentes, organiser et superviser nos

pensées et nos émotions et planifier les activités à venir. De plus, la période avec la plus

grande quantité de temps de jeu, pour chaque espèce, est corrélée avec la grosseur du

cervelet. Cette partie du cerveau est située derrière et en dessous des hémisphères, et la

1
densité de cellules nerveuses (neurones) dans cette partie du cerveau est

particulièrement impressionnante. Les connexions et les fonctions du cervelet sont en

lien surtout avec la coordination et le contrôle des mouvements. Toutefois, des études

récentes en neuroimagerie ont permis de démontrer que le cervelet est important dans

des fonctions cognitives comme l’attention, le langage, la perception des rythmes

musicaux et beaucoup plus.

Byers spécule que durant une période de jeu, le cerveau se régule à travers

diverses stimulations par essais et erreurs. Le jeu aide à former le cerveau, parce que la

plupart du temps, dans le jeu, nous essayons des activités sans risque physique ou

émotif. Nous sommes en sécurité, parce que nous sommes impliqués dans un jeu. Pour

les humains, créer ces situations propices à des stimulations et à l’imagination représente

probablement un des bénéfices les plus importants du jeu. Dans les situations de jeu, on

peut imaginer et vivre des situations que nous n’avons jamais rencontrées avant et

apprendre de celles-ci. On fabrique de nouvelles connexions du point de vue cognitif qui

se retrouveront dans nos activités quotidiennes. On peut apprendre des habiletés sans

jamais être à risque.

Comment les humains créent-ils ces stimulations? En observant et pratiquant des

sports, des activités physiques, à travers la lecture, l’écoute de récits, les arts, le cinéma et

beaucoup plus encore. Quand on devient un vrai partisan de notre équipe de hockey

préférée, on apprend des choses sur la persévérance et comment convaincre nos amis

dans un débat sur qui est le meilleur joueur de centre de la ligue, d’une façon

constructive.

2
Sur la base de ses recherches très poussées et des spéculations à partir de ses

résultats, le détenteur du prix Nobel en neuroscience, Gerald Eldeman, a proposé une

théorie sur comment les nouvelles informations sont intégrées dans le cerveau. Quand je

corrèle ses opinions avec mes observations sur comment le jeu peut influencer le cerveau

en développement, ses commentaires m’apparaissent tout à fait pertinents. Edelman

décrit comment nos expériences perceptuelles sont codées dans le cerveau dans des

cartes dispersées, chacune d’elles étant composée d’un réseau complexe de neurones.

Par exemple, les différentes formes et grosseurs des arbres sont encodées comme un

code de ce qu’est un arbre, ce qui nous permet de reconnaître un arbre comme tel, même

si nous ne l’avons jamais vu. De cette façon, le cerveau développe une série de cartes

flexibles et enrichies d’informations qui favorise la reconnaissance d’une innombrable

quantité d’objets, de sons, de couleurs, d’environnements sociaux et bien plus.

La capacité de généralisation qui émerge de ces cartes est flexible et changeante.

De plus, elles ont une composante émotive. Nous trouvons notre chemin dans divers

environnements et situations en fonctionnant dans ces cartes de la vie. La vitalité de ces

cartes est fonction de l’orchestration d’un nombre incalculable de détails. Il semble qu’il

serait possible de croire que cette orchestration se produit de façon plus marquée dans le

jeu. Le jeu de faire semblant, par exemple, est un mélange riche de différentes

perceptions. Imaginons un enfant de 3 ans, assis au sol, jouant avec un animal en peluche

et qui lui parle avec différents tons de voix. Cet enfant construit des connexions

neuronales qui ont de plus en plus de sens à mesure qu’elles sont ajoutées aux

différentes cartes en développement. Les connexions entre les cartes sont nombreuses et

très fournies et elles sont changeantes et dynamiques et probablement stimulées de

façon optimale dans les périodes de jeu.

3
Comme enfant on imagine différentes possibilités, on simule dans notre tête et

dans nos jeux celles-ci, ce qui pourrait arriver, et ensuite on les confronte à la réalité.

Voilà comment dans l’enfance on construit notre compréhension de comment le monde

fonctionne. Même si ceci semble un trait de caractère enfantin, l’observation de la trame

narrative des adultes révèle plusieurs similarités avec celle des enfants. Notre imaginaire

comme adulte est très actif, on tente de prévoir le futur et d’examiner les conséquences

de nos comportements avant même leur mise en action. Comme les enfants, la trame

narrative des adultes est enrichie par des simulations qui ressemblent aux jeux

imaginaires des enfants. Dans le jeu, on construit des combinaisons cognitives

imaginaires, ce qui nous permet de mieux comprendre ce qui fonctionne bien dans

différentes situations.

Un biologiste qui étudiait les loutres a décidé de les entraîner à passer à travers un

cerceau en leur donnant une récompense alimentaire lors de la réussite de la tâche.

Quelque temps après que les loutres eurent appris cette tâche, elles ont commencé à

introduire leurs versions personnalisées de cette habileté. Elles nageaient au travers du

cerceau de reculons et attendaient de voir si elles auraient leurs récompenses. Elles

nageaient dans une direction, tournaient rapidement et repassaient dans le cerceau. Elles

nageaient dans le cerceau et s’arrêtaient au milieu. Après chacune de ces variations, elles

attendaient impatiemment pour voir si leur performance méritait une récompense ou

pas.

Par leurs comportements, les loutres évaluaient le système. Elles apprenaient les

règles du jeu, les règles qui gouvernent leur monde à ce moment précis. Cette stratégie

n’était pas planifiée; les loutres sont très enjouées et elles sont attirées par les nouveautés

dans leur environnement. Leur recherche de la nouveauté, pour éviter l’ennui, les a

amenées à essayer la tâche de différentes façons. En s’amusant et en mélangeant les

4
stratégies de mouvement, les loutres apprenaient plus sur le fonctionnement de leur

monde que si elle n’avait qu’exécuté la première tâche sans erreur. Cette leçon devrait

nous servir à tous. Comme le biologiste le notait, il avait tenté depuis plusieurs années

d’amener ses étudiants gradués à utiliser une recherche plus novatrice et différente plutôt

que la répétition des consignes habituelles dans leurs recherches personnelles.

Une recherche marquante sur le rôle du jeu dans le développement du cerveau a

eu lieu dans les années 60 à UC Berkeley sous la supervision de Marian Diamond. Le nom

de Diamond n’est pas très connu à l’extérieur du cercle scientifique, mais son travail est

connu par la plupart des parents. Au début des années 60, Diamond et ses collègues ont

mis en place un protocole expérimental qui a clairement mis en lumière que des rats

élevés dans un environnement enrichi sont devenus plus intelligents, et leurs cerveaux

étaient plus gros avec un cortex plus épais et plus complexe. Donc, la matière grise, siège

du traitement de l’information, était plus développée chez ces animaux.

L’idée est rapidement devenue populaire dans l’imaginaire collectif. Si les enfants

étaient élevés dans une pouponnière enrichie, avec beaucoup de couleurs et des mobiles,

ils pourraient aussi avoir un développement cortical supérieur. Toutefois, il y a de grandes

différences entre l’interprétation populaire et les travaux de la professeure Diamond. Les

rats qui ont développé des cerveaux plus gros et plus complexes et sont devenus plus

intelligents n’avaient pas qu’un plus grand nombre de stimuli dans leurs environnements.

Le secret du développement des cerveaux des animaux dans l’étude originale était qu’ils

jouaient avec une variété de jouets pour rat et qu’ils socialisaient avec les autres animaux.

La combinaison des jouets et des amis a été établie comme un facteur vital pour définir

un environnement considéré enrichi.

5
Le jeu était la clé du développement du cerveau des animaux. Les rats luttaient, se

débattaient entre eux, ils exploraient et interagissaient avec les jouets, ils invitaient les

autres à jouer avec eux. Les rats étaient impliqués dans l’exploration des objets et de

l’environnement.

La leçon à tirer de cette étude, pour les enfants, est que l’environnement de la

pouponnière n’a pas nécessairement besoin d’être coloré avec beaucoup de jouets

(même si cela peut ne pas nuire). Par contre, il est crucial pour le bébé et le jeune enfant

d’avoir des opportunités de jouer, de socialiser et d’interagir avec ses parents pour les

aider à atteindre leur plein potentiel.

La modification de l’environnement physique ou l’offre de nouveaux défis ne sont

pas suffisantes pour obtenir des changements significatifs au niveau du développement

du cerveau selon Diamond. Dans une série d’études, les rats devaient retrouver leur

chemin dans des labyrinthes pour obtenir une récompense. Cette activité solitaire, qui

n’était pas du jeu, a produit de la croissance dans uniquement une région du cerveau, en

opposition à la croissance du cerveau entier dans le cadre du jeu.

Diamond croit que la confusion chez les parents et dans les médias en lien avec ses

études proviennent de l’utilisation du terme enrichi, qui semble moins du jeu et

davantage un ingrédient qu’on peut ajouter dans la recette pour élever un enfant, et le

manque d’information sur les aspects ludiques dans l’étude. Elle souligne qu’au début des

années 60, les femmes devaient batailler ferme pour se faire reconnaitre comme

« scientifiques sérieuses ». On me voyait déjà comme cette femme bizarre qui observe

des rats jouer, donc j’ai évité les mots jouets et jeu dans mes publications.

6
Les études de la professeure Diamond sont largement reconnues comme faisant

partie des résultats probants qui démontrent que le jeu peut exercer un rôle crucial pour

le développement harmonieux du cerveau. Les questions fondamentales qui demeurent

sont : quel est le lien entre la croissance neuronale et le jeu? Pourquoi les activités de jeu

sont-elles corrélées avec le développement du cerveau? Qu'est-ce que le jeu change? La

vérité est que le jeu semble une des méthodes sophistiquées que la nature a inventées

pour permettre au cerveau complexe de se créer lui-même.

Pourquoi affirmer ceci? Considérez le fait qu’il n’existe pas de schéma directeur

pour créer le cerveau. L’information contenue dans notre code génétique est insuffisante

pour définir exactement comment les neurones devraient se connecter les uns aux

autres. Le cerveau se construit plutôt de lui-même en créant trop de neurones et trop de

connexions entre eux à travers le cortex. Suivant des règles d’interaction établies dans le

code génétique, les neurones envoient des signaux à travers les circuits pour renforcer

ceux qui fonctionnent et affaiblir ou éliminer ceux qui ne fonctionnent pas.

Vous aimerez peut-être aussi