3.40 € jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO - N° 24 685 - www.lefigaro.

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lefigaro.fr

VOYAGE LE FIGARO LITTÉRAIRE

LES 30 HÔTELS OÙ L’ON LA BIOGRAPHIE QUI RÉVÈLE
RÊVE DE DORMIR UNE FOIS LES DERNIERS SECRETS
DANS SA VIE PAGES 22 ET 23 D’UNE GRANDE REINE NOTRE SUPPLÉMENT

Risque d’embrasement après

MUNICIPALES
À Nice,
le mi-mandat

la mort d’un chef du Hamas

turbulent
d’Estrosi PAGE 5
EUROPE
Caractérisation
du viol : Le Hezbollah a pointé du doigt Israël et prévenu que l’assassinat ciblé, à Beyrouth, de Saleh
le positionnement
de la France
al-Arouri, numéro deux du mouvement palestinien, était une « grave agression contre le Liban ».
interpelle Bruxelles
PAGE 7
Les craintes d’une extension une frappe de drone, la veille, branche militaire du mouve- sem Soleimani, l’architecte è AVEC L’ÉLIMINATION DE
de la guerre entre Israël et le au Liban. ment, après avoir juré de des opérations militaires ira- SALEH AL-AROURI, LE MOSSAD
Hamas à l’ensemble du Pro- Bien que n’ayant pas revendi- « détruire » le Hamas en réac- niennes au Moyen-Orient, REPREND SES EXÉCUTIONS
MÉDICAMENTS che-Orient se sont renfor- qué l’élimination à Beyrouth, tion à son attaque sans précé- dont le pays célèbre le qua- è LA RECOLONISATION
DE GAZA PRÉCONISÉE PAR
Un nouvel cées, mercredi, après une mardi soir, de Saleh al-Arou- dent, le 7 octobre, sur le sol trième anniversaire de la
DES MINISTRES ISRAÉLIENS
antibiotique contre double explosion qui a fait au ri, 57 ans, numéro deux poli- israélien. mort, a rapporté un média è LES CHIITES LIBANAIS
moins 103 morts en Iran et tique du Hamas, Israël est En Iran, la double explosion d’État, évoquant une « atta- FONT BLOC DERRIÈRE
de graves l’élimination d’un haut res- pointé du doigt pour la frappe s’est produite, mercredi, près que terroriste » qui n’a pas été LE HEZBOLLAH
infections ponsable du Hamas tué par qui a visé le fondateur de la de la tombe du général Qas- revendiquée jusqu’ici. PAGES 2, 3, 12 ET L’ÉDITORIAL
nosocomiales PAGE 8
VOILE
Charles Caudrelier : Sébastien Lecornu, Harvard
« Les conséquences
de la moindre le réserviste du président veut en finir
erreur seront
énormes » PAGE 9 avec les
DISTRIBUTION dérives
Le Noël festif antisémites
mais économe des
Français PAGES 16 ET 17 Claudine Gay, présidente de la
prestigieuse université améri-
AMMAR ABD RABBO/ABACA POUR LE FIGARO

caine, a été contrainte à la dé-

MARCHÉS mission, après avoir laissé
Les « Sept prospérer une campagne anti-
Magnifiques » de la sémite sur le campus à la suite
des attaques du Hamas en Is-
tech, nouveaux rois raël. Première dirigeante noi-
de Wall Street PAGE 20 re de l’institution située à
Cambridge, dans le Massa-
chusetts, Claudine Gay, qui a
À Aurigny,
CHAMPS LIBRES

n
dénoncé une « campagne de
les camps dénigrement » dans sa lettre de
démission, était aussi ciblée
nazis sortent par des accusations de plagiat
de l’oubli Le ministre des Armées s’est progressivement imposé dans le premier cercle d’Emmanuel Macron. concernant sa thèse de docto-
n
Un entretien Au point que certains l’imaginent succéder à Élisabeth Borne. PAGE 4 rat, soutenue en 1997. PAGE 6
avec François
Huguenin
n
Les ÉDITORIAL par Patrick Saint-Paul psaintpaul@lefigaro.fr
chroniques
de Ran Halévi Vengeance et dissuasion maison de ventes aux enchères

G
et de Luc Ferry
eorge W. Bush avait résumé hors de portée, alors que le Hamas continue
n
L’analyse d’une formule expéditive, tirée de narguer Israël avec ses roquettes.
de Jean-Pierre de son lexique texan, l’enjeu de Pour Israël, il était urgent de conjurer l’im-
Robin l’invasion américaine de l’Afgha- puissance et de restaurer sa force de dissua-
PAGES 11 À 13 nistan après les attentats du sion. En éliminant le numéro deux du Ha-
11 Septembre. « Wanted dead or alive ». Il aura mas, Saleh al-Arouri, mardi, à Beyrouth,
fallu dix ans aux États-Unis pour éliminer l’État hébreu a mené son assassinat ciblé le

@ FIGARO OUI
FIGARO NON
Réponses à la question
Oussama Ben Laden et décapiter al-Qaida.
La nébuleuse djihadiste est revenue sous une
autre forme, plus dangereuse encore, avec
Daech. Le choc des attaques terroristes per-
plus retentissant depuis ceux de Cheikh Yas-
sine et Abdelaziz al-Rantissi, le fondateur du
La direction mouvement islamiste
et son successeur, à
de mercredi : pétrées par le Hamas en Israël le 7 octobre, les du Hamas Gaza, au début de la
Emmanuel Macron 1 200 morts et 250 otages israéliens font seconde Intifada. Le
doit-il changer étrangement écho aux événements de 2001. à l’étranger rappel est cinglant : la
de premier ministre ? Les ennemis publics du jour s’appellent Ya- n’est plus direction du Hamas à
hya Sinwar, cerveau des attentats, et Mo- l’étranger n’est à
OUI NON hammed Deïf, chef de la branche armée du à l’abri l’abri nulle part du
66 % 34 % Hamas. Ils ne se cachent ni dans les grottes long bras de la vengeance d’Israël.
TOTAL DE VOTANTS : 159 196 de Tora Bora ni dans les zones tribales du Pa- S’il est évidemment légitime pour Israël de Bernard Buffet, vendu 113 125 €
kistan mais à 70 kilomètres de la tour ultra- punir les auteurs de la barbarie du 7 octobre,
Votez aujourd’hui moderne du ministère israélien de la Défense il serait illusoire de croire qu’il pourra se dé-
Estimation gratuite
3’:HIKKLA=]UXYU]:?a@b@k@o@a";

sur lefigaro.fr à Tel-Aviv, dans les sous-sols de Gaza. barrasser d’un mouvement et d’une idéolo-

de vos œuvres d'art

Israël a-t-il eu raison Benyamin Netanyahou a juré d’éradiquer le gie aussi profondément enracinés dans les
Hamas, de désarmer et de déradicaliser la Territoires palestiniens. Menée dans un fief
M 00108 - 104 - F: 3,40 E

d’éliminer à Beyrouth le
numéro deux du Hamas ? bande de Gaza. Force est de constater du Hezbollah, l’opération comporte aussi un
qu’après trois mois de guerre 22 000 morts risque : elle menace de faire basculer l’« axe Prochaine vente le 24 mars 2024
palestiniens, selon le Hamas, et des dégâts de la résistance » dans un embrasement ré-
matériels considérables, ces objectifs restent gional. ■ Prenez rendez-vous dès maintenant :
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 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO
2 L'ÉVÉNEMENT
ATTENTAT
EN IRAN
L’Iran a décrété ce jeudi
journée de deuil national,
après la double explosion
qui a fait au moins
103 morts et plus de
180 blessés mercredi, près
de la tombe du général des
gardiens de la révolution
Qassem Soleimani. Cette
double explosion a eu lieu
près de la mosquée Saheb
al-Zaman, où se trouve
la tombe du général
Soleimani, à Kerman, dans
le sud de l’Iran. Une foule
compacte, composée
de représentants du régime
et d’anonymes, y était
rassemblée pour
une cérémonie, afin de
commémorer ce mercredi
le quatrième anniversaire
de la mort de l’architecte
des opérations militaires
iraniennes au Moyen-
Orient, le 3 janvier 2020.
L’exécution de Soleimani
avait été ordonnée par
le président Donald Trump.
L’attaque de mercredi,
la plus meurtrière en Iran
depuis 1979, aurait été
provoquée par des bombes
dissimulées dans deux
sacs, qui auraient été
activées à distance.
Les deux explosions
se sont produites
à dix minutes d’intervalle.
L’attaque a été
rapidement qualifiée
d’acte « terroriste »
par les autorités du pays.
L’ayatollah Ali Khamenei,
le guide suprême
de la révolution islamique,
a promis « une réponse
sévère » à cet attentat,
qui demeurait, mercredi,
non revendiqué.
Avec l’élimination de Saleh al-Arouri, le Mossad reprend ses exécutions
GEORGES MALBRUNOT
£@Malbrunot
ASSIS sous l’immense photogra-
phie iconique de Jérusalem, cette
vue plongeante sur l’esplanade des
Mosquées prise du mont des Oli-
viers, Khaled Mechaal semblait
faire fi des menaces d’Israël pour
l’éliminer. « Tant que nous sommes
dans notre combat contre l’occupa-
tion, nous ne craignons pas la mort,
ni les leaders du Hamas, ni notre
peuple », affirmait au Figaro l’un
des chefs de la branche politique
du mouvement islamiste, dans ses
bureaux à Doha, la capitale du Qa-
tar. C’était le 19 décembre, deux
semaines exactement avant la li-
quidation de Saleh al-Arouri, le
numéro deux du Hamas, dans ses
bureaux à Beyrouth. Une exécu-
tion imputée au Mossad, les servi-
ces secrets d’un État hébreu qui
s’est bien gardé de la revendiquer.
L’opération censée venger les
massacres du 7 octobre, qui firent
plus de 1 140 morts, en majorité des
civils, est lancée.
En veste grise et chemise blan-
che, Mechaal n’ignore pas qu’il est
sur la liste des « terroristes » à éli-
miner. Lui-même est un survivant.
En 1997, des agents israéliens lui
injectèrent un poison dans une
oreille en pleine rue d’Amman, la
capitale jordanienne. L’opération
vira au fiasco pour Benyamin Ne-
tanyahou, qui était déjà premier
ministre. Outré, le roi Hussein, qui
avait signé la paix avec Yitzhak Ra-
bin et Shimon Pérès trois ans aupa-
ravant, dut prendre son téléphone
pour appeler le patron du Mossad,
Danny Yatom, afin qu’il envoie
d’urgence le contrepoison qui sau-
va la vie de Mechaal.
« Celui qui a frôlé la mort comme
moi n’a pas peur des menaces, et
A
cela s’applique à tous nos leaders »,
confiait ce dernier dans ses bu-
Hassan
Nasrallah
réaffirme
ses menaces
envers Israël
Le chef du Hezbollah promet que l’assassinat du
numéro deux du Hamas ne restera pas impuni
et qu’il continuera de « protéger le Liban ».
PAR LA VOIX de son chef, Hassan
Nasrallah, le Hezbollah n’a pas an-
noncé mercredi de changement
dans sa stratégie attentiste adoptée
dans sa guerre contre Israël, vingt-
quatre heures après l’assassinat du
numéro deux du Hamas dans les
quartiers sud de Beyrouth, fief du
parti chiite pro-iranien.
La puissante milice chiite ne
semble pas prête à une escalade
militaire face à Tsahal, même si
Nasrallah a clairement mis en gar-
de l’État hébreu.
« Jusqu’à maintenant, notre pos-
ture a été calculée. Cependant, si
l’ennemi décide de lancer une guer-
re contre nous, nos hommes, nos
missiles sont prêts. Il n’y aura plus
de règles, plus de limites », a-t-il
affirmé.
Il a ajouté que le « crime » contre
Saleh al-Arouri ne resterait pas
impuni, sans donner plus de dé-
tails. Dans le passé, déjà, des assas-
sinats ciblés de certains hauts lea-
reaux du quartier des ambassades
à Doha, où aucune précaution sé-
curitaire n’était visible. Ses hôtes
qatariens l’ont-ils rassuré ? Selon
nos informations, en échange de
sa médiation pour la libération des
otages israéliens détenus par le
Hamas dans la bande de Gaza, le
Qatar aurait obtenu que le Mossad
ne vise pas les cadres islamistes
dans l’émirat. De son côté, le pré-
sident turc, Recep Tayyip Erdo-
gan, qui abrita pendant des an-
nées Saleh al-Arouri, aurait lancé
une « sévère mise en garde » à Is-
raël. Est-ce un hasard ? Mardi, les
autorités turques annonçaient
l’arrestation d’une trentaine
d’agents soupçonnés d’espionner
pour l’État hébreu. Ce qui ne lais-
sait plus guère que le Liban, pays à
la souveraineté limitée, pour lan-
cer des éliminations ciblées. Une
vieille tradition en Israël.
“la mort
Celui qui a frôlé
comme moi n’a
pas peur des menaces,
et cela s’applique
”
à tous nos leaders
KHALED MECHAAL, UN DES CHEFS DE LA
BRANCHE POLITIQUE DU HAMAS AU QATAR
Au cours des années qui suivi-
rent l’attentat qui tua 11 athlètes
israéliens aux Jeux olympiques de
Munich de 1972, le Mossad se mit
à la recherche des auteurs directs
ou indirects de cette tuerie qu’un
de ses architectes, Abou Daoud,
conçut pour faire connaître la
cause palestinienne, après l’hu-
miliation subie cinq ans plus tôt
lors de la guerre des Six-Jours, à
l’issue de laquelle l’État hébreu
conquit la Cisjordanie, Jérusalem-
Est et la bande de Gaza. Un à un,
une douzaine de cibles furent éli-
minées en Europe et dans des pays
arabes lors de l’opération Colère
ders du Hezbollah attribués à Israël
n’ont finalement pas été suivis de
représailles visibles, le Parti de
Dieu et son parrain iranien préfé-
rant opter pour des attaques contre
des intérêts israéliens, en Europe
ou en Asie.
Depuis bientôt trois mois, le
Hezbollah et l’État hébreu s’af-
frontent mais dans des limites qui
semblent communément admises
de part et d’autre. Sitôt la « liqui-
dation » d’al-Arouri connue mar-
di, les porte-parole israéliens se
sont abstenus de déclarer que le
Hezbollah et le Liban étaient vi-
sés, affirmant que seul le Hamas
était l’ennemi de l’État hébreu.
Dans sa dernière intervention de
quarante-cinq minutes, Cheikh
Hassan Nasrallah a paru se
contenter des « résultats » ac-
complis jusque-là par les groupes
palestiniens qui affrontent l’ar-
mée israélienne dans la bande de
Gaza. « Les 7 et 8 octobre, les Is-
de Dieu, qui dura plus de vingt
ans. La liste des « terroristes » à
abattre était assez extensive : elle
incluait Atef Bseiso, responsable
des services de renseignements de
l’OLP, assassiné en sortant de son
hôtel parisien en 1992, après avoir
été officiellement reçu par la DST,
les services de renseignements
intérieurs français, furieux de la
« vilaine manière » de leurs homo-
logues israéliens.
Colère de Dieu fournit égale-
ment l’occasion au jeune com-
mando Ehoud Barak, qui devint
plus tard premier ministre, d’aller
assassiner avec son unité trois ca-
dres palestiniens à Beyrouth, dans
la nuit du 9 au 10 avril 1973. Quel-
ques mois plus tard, un malheu-
reux serveur marocain laissa sa
vie en Norvège, lorsque les agents
du Mossad le prirent pour un Pa-
lestinien. Malgré ces erreurs, Gol-
da Meir, première ministre, ré-
pondit que les pays européens
Le chef du Hezbollah,
Hassan Nasrallah,
s’adresse à ses
partisans, mercredi
à Beyrouth, lors
d’une cérémonie
marquant le quatrième
anniversaire de la mort
du général des gardiens raéliens sont devenus fous de rage,
de la révolution ils ont craint pour leur survie », a
iranienne, Qassem déclaré le leader de la puissante
Soleimani, tué à Bagdad milice chiite pro-iranienne.
par une frappe
« Israël est sur la voie
de drone américaine.
MOHAMED AZAKIR/REUTERS de la destruction »
Nasrallah est revenu sur la posture
de son mouvement depuis le dé-
but de la guerre à Gaza. Le Hez-
bollah manifeste sa solidarité avec
le Hamas et les groupes palesti-
niens en ayant lancé 700 opéra-
tions contre Israël, a souligné son
chef. Mais dans le même temps, la
formation chiite semble maintenir
ses priorités, à savoir « protéger le
Liban » et ses intérêts nationaux, a
répété le chef du Parti de Dieu.
« J’attends de mourir
en martyr, je pense
que j’ai déjà vécu trop
n’étaient pas prêts à agir contre
« la menace terroriste ».
Après la naissance du Hamas, en
longtemps », déclarait 1987, les dirigeants du parti isla-
Saleh al-Arouri mo-nationaliste furent, à leur tour,
(ici à Beyrouth)
ciblés, en raison des attentats vi-
en août dernier.
HAMAS MEDIA OFFICE/AFP
sant des bus de civils en Israël, les-
quels causèrent de nombreux
morts. C’est ainsi qu’Israël tua à
Gaza plusieurs leaders du Hamas, à
commencer par son chef histori-
que, Cheikh Ahmed Yassine, en
2004, puis l’agent de liaison entre
les militaires et les politiques, Ab-
delaziz al-Rantissi ; un haut res-
ponsable militaire, Ahmed Jaabari,
mais aussi des figures plus modé-
rées, comme Ismaël Abou Shanab.
Les cadres à l’étranger ne furent
pas épargnés. Le 20 janvier 2010,
Mahmoud Abdel Raouf al-Mab-
houh fut électrocuté dans sa
chambre d’hôtel à Dubaï. Israël lui
attribuait un rôle de premier plan
dans la chaîne de livraison d’armes
au Hamas à Gaza depuis l’étranger.
Celui-ci semble satisfait de voir
Israël engagé dans une longue
guerre dans la bande de Gaza. Un
conflit qui l’affaiblit, s’est-il félici-
té, en rappelant les divisions au
sein de la société israélienne, cri-
tique envers son « élite politique ».
« Israël est sur la voie de la des-
truction », selon lui.
S’il a rendu hommage à « la ré-
sistance » palestinienne, Hassan
Nasrallah a surtout rappelé la mé-
moire son ami, le général iranien
Qassem Soleimani, assassiné il y a
quatre ans, jour pour jour, par un
tir de drones américains à Bagdad
aux côtés d’Abou Mahdi al-Mo-
handes, son adjoint pour l’Irak.
Un hommage d’autant plus actuel
C’était une des priorités des isla-
mistes, qui cherchaient à reconsti-
tuer leur arsenal, après la guerre
menée, l’année précédente, par
Tsahal. Les tueurs israéliens
étaient détenteurs de passeports
européens, dont plusieurs fran-
çais, le chef de l’unité répondant
au prénom de « Daniel ». Une
technique que d’autres agents du
Mossad à moto avaient déjà utili-
sée pour tuer Fathi al-Shiqaqi,
chef du Djihad islamique, à Malte
en 1995. Deux ans plus tard, les
services israéliens recoururent,
cette fois, à des passeports cana-
diens pour couvrir leur tentative
d’assassinat contre Mechaal.
À l’image de celui-ci, Saleh al-
Arouri ne se faisait guère d’illusion
sur le nombre d’années qu’il lui
restait à vivre. « J’attends de mou-
rir en martyr, je pense que j’ai déjà
vécu trop longtemps », confia, en
août dernier à l’agence Reuters,
celui qui avait déjà passé près de
vingt ans dans les geôles israélien-
nes et qui joua un rôle important
dans l’activisme militaire de ses
hommes en Cisjordanie, région
dont il était responsable dans l’or-
ganigramme du Hamas. Peu après
sa mort, Ismaël Haniyeh, chef de la
branche politique et lui aussi cible
potentielle du Mossad, a rappelé
que la disparition d’Arouri, après
celle de tant de leaders du Hamas,
resterait vaine et n’arrêterait pas la
« résistance » de leur mouvement.
Israël semble avoir élargi ses ci-
bles, au-delà du Hamas. Lundi, un
haut dirigeant iranien des gardiens
de la révolution, Razi Moussavi, a
été « liquidé » dans un tir de missi-
le, près de Damas. Téhéran a accu-
sé Israël, qui n’a pas démenti.
Quelques jours auparavant, dix
combattants pro-Iran, dont trois
Syriens, avaient été tués et
30 autres blessés dans au moins
neuf frappes aériennes imputées à
l’État hébreu. ■

que deux explosions au cimetière
de Kerman, en Iran, où il est en-
terré, ont tué, mercredi, plus de
cent personnes. Un acte « terro-
riste » aussitôt dénoncé par les
plus hauts dignitaires de la Répu-
blique islamique. Qassim Solei-
mani était le chef de la Brigade
al-Qods, l’unité d’élite en charge
des actions extérieures du régime
iranien. Parmi celles-ci figure
l’aide aux groupes palestiniens, le
Hamas et le Djihad islamique.
Hassan Nasrallah a rappelé « l’ap-
pui logistique » apporté par Solei-
mani aux formations islamistes
palestiniennes, sous forme d’en-
traînement et de livraisons d’ar-
mes notamment.
La recolonisation de Gaza préconisée
par des ministres israéliens
MARC HENRY
TEL-AVIV
UNE ÉMIGRATION « volontaire » de
centaines de milliers de Palestiniens
de la bande de Gaza : telle est la so-
lution préconisée, non seulement
par des ministres israéliens d’extrê-
me droite, mais aussi par des pro-
ches de Benyamin Netanyahou, qui
maintient un certain flou sur la
question. La campagne en faveur de
ces départs et parallèlement le re-
tour des colonies israéliennes dans
la bande de Gaza après la guerre
avec le Hamas, a pris une telle am-
pleur que les États-Unis ont dénon-
cé vertement ce projet.
Parmi les plus ardents défen-
seurs de ce scénario figure Bezalel
Smotrich, le ministre des Finances.
Ce chef d’un parti d’extrême droite
préconise le départ de « 2 millions
d’Arabes qui aspirent à la destruc-
tion de l’État d’Israël ». Selon lui,
« s’il ne restait que 100 000 à
200 000 » Palestiniens, « cela
changerait la donne pour l’après-
guerre ». Ceux qui partiraient « vo-
lontairement » devront « s’intégrer
dans d’autres pays avec l’aide de la
communauté internationale et des
pays arabes voisins », a-t-il ajouté.
Après avoir fait ainsi le vide, Beza-
lel Smotrich prône une résurrec-
tion de la colonisation. En 2005,
Ariel Sharon, alors premier minis-
tre, a ordonné le retrait de la bande
de Gaza et le démantèlement de
toutes les colonies où vivaient
8 000 Israéliens.
Sur la même longueur d’onde,
Itamar Ben Gvir, ministre de la Sé-
curité nationale et chef d’un autre
parti d’extrême droite, a lui aussi
évoqué la nécessité de redonner vie
au Gush Katif, un groupe de colo-
nies de la bande de Gaza. Ce scéna-
Le leader du Hezbollah a prévu
de délivrer un nouveau discours
vendredi afin d’approfondir la po-
sition de sa formation. « Bien sûr,
nous soutenons le droit du Hamas et
des Palestiniens afin qu’ils libèrent
leurs terres de l’occupation et qu’ils
résistent à l’occupation », confiait
un cadre du Hezbollah il y a quinze
jours. « Est-ce qu’on est en phase
ou tenu de participer à tout ce que le
Hamas fait ? Non, ni de notre côté,
ni du leur », ajoutait-il. « L’obser-
vateur qui suit la situation de près
constate qu’il y a des divergences
parfois entre nous, mais nous avons
un intérêt commun qui nous réunit
et un seul ennemi », Israël. En fait,
le Parti de Dieu a été surpris par
HILL DEBBIE/UPI/ABACA
Bezalel Smotrich, ministre
des Finances israélien, souhaite
le départ de Gaza de « 2 millions
d’Arabes qui aspirent à la destruction
de l’État d’Israël ».
rio est également évoqué au sein du
Likoud, le parti de Benyamin Neta-
nyahou. Plusieurs de ses proches,
dont Gila Gamliel, ministre chargée
des Renseignements, et Miri Regev,
ministre des Transports, se sont
prononcés pour une émigration
suivie d’une colonisation. Benya-
min Netanyahou s’est prononcé
pour le moment contre une relance
future de la colonisation, de crainte
de provoquer une levée de boucliers
dans le monde. Mais il n’a pas tota-
lement exclu l’option de l’émigra-
tion en masse des Palestiniens de
Gaza. Cité par les médias, il a expli-
qué, lors d’une réunion interne du
Likoud, que « le problème est de
trouver des pays » susceptibles
d’accueillir des centaines de mil-
liers de Gazaouis, tout en laissant
entendre que des contacts ont
l’attaque terroriste du Hamas, le
7 octobre. Hassan Nasrallah a réaf-
firmé mercredi que sa formation
n’avait pas été prévenue. C’est ain-
si que « l’axe de la résistance » à Is-
raël et aux États-Unis, établi ces
dernières années par le général So-
leimani, fonctionne, a précisé le
leader chiite. « Nous ne donnons
pas d’ordre, chaque partie (de cet
axe, NDLR) prend ses propres déci-
sions », a-t-il précisé, citant les re-
belles houthistes au Yémen, qui
s’en prennent aux navires com-
merciaux en mer Rouge, et les mi-
lices chiites en Irak et en Syrie, les-
quelles attaquent les dernières
positions américaines dans ces
deux pays. ■ G. M.
d’ores et déjà été pris dans ce but,
avec des pays qu’il n’a pas nommés.
Rappel à l’ordre
En réponse à ces déclarations et ces
ambiguïtés, les États-Unis se sont
livrés à un rappel à l’ordre. Le Dé-
partement d’État a dénoncé les
propos des ministres d’extrême
droite, en les qualifiant d’« incen-
diaires » et d’« irresponsables ». « Il
nous a été dit à plusieurs reprises par
le gouvernement israélien, y compris
par le premier ministre, que de telles
déclarations ne reflètent pas la politi-
que du gouvernement israélien. Ces
déclarations doivent cesser immé-
diatement », a souligné le Départe-
ment d’État. Un des principaux res-
ponsables visés, Itamar Ben Gvir, ne
s’en est pas laissé compter : « Nous
apprécions les États-Unis, mais Is-
raël n’est pas une étoile sur le dra-
peau américain. » Emmanuel Ma-
cron est également monté au
créneau. Lors d’un entretien télé-
phonique avec Benny Gantz, un
centriste ancien chef d’état-major
et membre du cabinet de guerre, le
président français a affirmé que
« les déclarations sur un déplacement
de force des habitats de Gaza sont
inacceptables ».
Benyamin Netanyahou n’avait
pas réagi, mercredi après-midi, à
ces critiques. Il a jusqu’à présent
toujours exclu un retrait total de la
bande de Gaza une fois le pouvoir
du Hamas éradiqué, à l’issue d’une
guerre qui va, selon lui, « durer de
nombreux mois ». Le premier mi-
nistre entend imposer ensuite une
présence militaire israélienne per-
manente notamment tout le long de
la frontière avec l’Égypte et établir
une zone tampon dite de « sécuri-
té » d’environ 1 km de largeur le
long de la bande de Gaza en territoi-
re palestinien. ■
L'ÉVÉNEMENT
Les chiites libanais
font bloc derrière
le Hezbollah
MURIEL ROZELIER
£@murielrozelier
BEYROUTH
QUAND ELLE Y RÉFLÉCHIT, Fati-
ma a l’impression d’avoir pro-
gressé toute sa vie pour arriver à
ce jour de juillet, en pleine guerre
de 2006, quand elle a su qu’elle
appartenait à la « communauté des
hommes libres », ainsi que la télé-
vision libanaise pro-Hezbollah,
al-Manar, décrit les partisans du
parti chiite, allié de l’Iran.
« J’avais 18 ans. J’ai vu les immeu-
bles tout autour de moi s’effondrer
sous les bombardements israéliens.
Ça m’a profondément changée », se
souvient la jeune femme qui vit
dans la banlieue sud de Beyrouth,
l’un des fiefs du Hezbollah.
Secrétaire administrative, issue
d’une famille peu impliquée poli-
tiquement, elle aurait pu en vou-
loir au parti chiite pour avoir kid-
nappé des soldats israéliens,
précipitant le pays dans une guer-
re où 1 200 Libanais sont morts.
Elle n’a au contraire retenu que
« le sacrifice de ses combattants,
qui nous ont protégés de la folie
meurtrière d’Israël », dit cette jeu-
ne femme attablée, il y a deux se-
maines, dans un café du quartier
de Badaro, à côté de sa maison.
Dix-sept ans plus tard, les bom-
bardements de Gaza, où plus de
22 000 Palestiniens, selon le mi-
nistère de la Santé local, ont péri,
confortent ses convictions. « Un
jour, nous prierons à Jérusalem,
ajoute-t-elle en reprenant la pro-
Jusqu’à messe du leader du Hezbollah,
maintenant Hassan Nasrallah, scandée dans
presque toutes les manifestations
notre posture en soutien à Gaza. Nous ne voulons
a été pas la guerre, mais nous sommes
calculée, prêts. »
Chahuté pour son implication
cependant militaire en Syrie, puis son soutien
si l’ennemi à une classe politique libanaise
décide corrompue à laquelle il a permis
de survivre, le Hezbollah retrouve
de lancer ici un nouveau souffle. Et ce,
une guerre même s’il est l’initiateur des pre-
contre nous, miers tirs survenus, dès le 8 octo-
nos hommes,
nos missiles
bre, sur la ligne de démarcation
séparant Israël du Liban. Sur ce
« front de soutien » à la guerre de
sont prêts. Gaza, qui pénètre maintenant sur
presque une vingtaine de kilomè-
Il n’y aura tres de profondeur côté libanais,
plus de le Beirut Urban Lab, de l’univer-
sité américaine de Beyrouth, a
règles, plus
»
comptabilisé 1 200 frappes israé-
de limites liennes entre le 7 octobre et le
LE CHEF DU HEZBOLLAH, 7 décembre 2023, contre 306 du
HASSAN NASRALLAH, Hezbollah et de ses alliés en Israël
MERCREDI À BEYROUTH
“ On a tellement
l’habitude de vivre dans
l’incertitude qu’avoir
peur n’a pas de sens
UN HABITANT DE BEYROUTH
” le Conseil de sécurité des Nations
sur la même période. Côté liba-
nais, une centaine de personnes,
dont une quinzaine de civils, ont
péri, et au moins 50 000 Liba-
nais - certains experts parlent de
100 000 - ont en outre évacué la
zone frontalière. « Mais la
confiance de la communauté lui
reste acquise », confirme Kamel
Mohanna, fondateur de l’associa-
tion Amel, qui a mis sur pied avec
le gouvernement un plan d’ur-
gence en cas d’extension du
conflit. « La population du Sud,
(essentiellement chiite, NDLR)
garde la mémoire de l’occupation
israélienne : elle fait corps avec les
Palestiniens et fait bloc derrière le
Hezbollah », reprend-il, alors que
l’enceinte de son centre médical
de Khiam a été détruite par un tir
d’obus israélien.
Cela fait maintenant presque
trente ans qu’Israël et le Hezbollah
vivent en état de guerre perma-
nente. Depuis l’opération Paix en
Galilée de 1982, quand les tanks
israéliens ont traversé la frontière
afin d’anéantir l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP) et
d’occuper le sud du Liban. Pour
une large partie de la population
de cette région, qui avait pu ap-
précier d’être débarrassée des Pa-
LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024
3
lestiniens, la brutalité de l’armée
israélienne et de ses supplétifs lo-
caux est vite devenue un autre
« mal absolu ». Le Hezbollah, dont
les premières opérations datent de
1982, a d’ailleurs construit sa légi-
timité sur sa résistance à l’« entité
sioniste » qu’il a juré de détruire.
Le retrait israélien du sud du Li-
ban en 2000 – pour la première
fois, Tsahal quittait un territoire
occupé sans condition - lui a en-
suite permis de conquérir sa place
au sein de l’État libanais, de plus
en plus gangrené par les intérêts
“Israël,
Se battre contre
c’est se battre
contre les États-Unis
tant ils sont impliqués
dans la défense
d’Israël
”
FATIMA, UNE HABITANTE DE BEYROUTH
communautaires, en même temps
qu’il a offert à l’Iran, parrain du
parti chiite libanais, un ticket
d’accès à la Méditerranée. « Je n’ai
pas peur de mourir, mais je m’in-
quiète pour mes enfants : si Israël
attaque, que se passera-t-il ? Je
n’ai aucun plan B, témoigne Mo-
hammed, un chauffeur de taxi de
45 ans, dont la famille était instal-
lée à une vingtaine de kilomètres
de la zone des combats, et qui l’a
rejointe en banlieue sud de Bey-
routh. Je suis sûr que le parti nous
aidera ainsi que toutes les person-
nes affectées par la guerre », ajou-
te-t-il. Le Hezbollah a d’ailleurs
commencé à indemniser ceux qui
avaient été « directement touchés »
par les frappes israéliennes.
Cela n’empêche pas la peur de
grandir. Beaucoup considèrent
qu’après Gaza ce sera leur tour,
comme Leïla, mère et grand-mère,
installée entre Saïda et Zrariyé, vil-
lage de l’arrière-pays sudiste mar-
qué par l’émigration en Afrique.
« En même temps, on a tellement
l’habitude de vivre dans l’incertitude
qu’avoir peur n’a pas de sens », lui
rétorque son fils, amusé. Depuis le
début du conflit, Israël, qui entend
remettre en place « l’équilibre de la
terreur » à sa frontière nord, me-
nace le pays tout entier des pires
châtiments. Son armée exerce
maintenant une pression maxima-
le, en ciblant davantage villes et
villages – dans des vidéos qui cir-
culent sur les réseaux sociaux,
Aitaroun a des airs de « petite
Gaza », tant les bombardements
israéliens se sont acharnés sur ce
village frontalier de 6 000 habi-
tants. L’objectif de l’État hébreu
est d’imposer un nouveau rapport
de force, avec une application plus
musclée de la résolution 1701, vo-
tée à la fin de la guerre de 2006 par
unies. « Personne ne nous privera
de nos terres une fois encore », pré-
vient Leïla, soudain belliqueuse, en
allusion à la récente déclaration du
ministre de la Défense israélien,
qui assure vouloir rejeter le Hez-
bollah au-delà du fleuve Litani, à
une quarantaine de kilomètres de
la frontière.
De ce point de vue, le renforce-
ment de la présence américaine
dans la région ne change pas
grand-chose. Au début du conflit,
les États-Unis ont déployé le
groupe aéronaval du Gerald Ford
ainsi que le sous-marin lanceur
d’engins Ohio pour patrouiller au
large des eaux syriennes et liba-
naises, afin de dissuader l’Iran.
Lundi, la marine américaine a an-
noncé que le porte-avions USS
Gerald Ford rejoindra prochaine-
ment les États-Unis, mais, dans le
golfe Persique, la présence de
l’USS Dwight Eisenhower a été
maintenue. « Se battre contre Is-
raël, c’est se battre contre les
États-Unis tant ils sont impliqués
dans la défense d’Israël. À eux de
décider s’ils veulent aller plus loin
alors que leur soutien indéfectible
leur a fait davantage de mal, no-
tamment en termes d’image, que ce
que la Chine ou la Russie n’auraient
A
jamais pu rêver de réaliser »,
conclut Fatima. ■
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO
4 POLITIQUE
Sébastien Lecornu, le réserviste
d’Emmanuel Macron
Peu connu du grand public, le ministre
des Armées s’est imposé dans
le premier cercle du président. Certains
l’imaginent succéder à Élisabeth Borne.
TRISTAN QUINAULT-MAUPOIL
£@TristanQM
ENVOYÉ SPÉCIAL À BEYROUTH (LIBAN)
EXÉCUTIF Serrer toutes les mains
sans en oublier une seule, impro-
viser un discours sans s’accrocher
à une fiche, accepter de trinquer
autant de fois que proposé… Ces
passages obligés de la politique
sont parfois négligés en macronie
mais pas au ministère des Armées
où Sébastien Lecornu déroule, à
37 ans, une partition bien rodée.
Au milieu des 700 militaires
français déployés dans le sud du
Liban dans le cadre de la Force in-
térimaire des Nations unies (Fi-
nul), le ministre qui se dit « néo-
gaulliste » « assume un côté vieille
école ». Chants militaires à gorge
déployée, Marseillaise tonitruante,
rites virils de l’institution parfaite-
ment assumés… Celui qui est aussi
colonel de réserve de gendarmerie
- où il a cheminé avec Alexandre
Benalla - se fond sans mal dans le
paysage. Sous le regard amusé du
général Joseph Aoun, le chef
d’état-major des armées libanaises
qu’il a invité à partager le repas du
Nouvel An avec les Casques bleus
de Deir Kifa.
“stratège,
C’est un vrai
un renard
politique. C’est
quelqu’un comme ça
qu’il nous faut. Il sait
”
parler aux gens
ANNE GENETET, DÉPUTÉE
Depuis qu’il a rejoint l’Hôtel de
Brienne il y a 19 mois, et plus en-
core avec le retour de la guerre au
Proche-Orient, il est devenu un
interlocuteur récurent des diri-
geants retors de la région. De
Doha à Tel-Aviv, du Caire à Riyad
en passant par les Émirats arabes
unis. Une aubaine pour ce mordu
de grande politique qui a trouvé là
un terrain autrement plus intense
et savoureux que celui aseptisé de
l’Hexagone. Quitte à occulter
l’action de Catherine Colonna
(Affaires étrangères), qui a cosigné
le mois dernier dans La Tribune un
texte avec son collègue avant de
participer à un déplacement com-
mun à Djibouti pour éteindre le
récit d’une mise sous tutelle.
Nommé ministre en juin 2017,
un mois après Élisabeth Borne,
Bruno Le Maire et Gérald Darma-
nin - les doyens de l’actuel gou-
vernement -, Sébastien Lecornu
s’est progressivement imposé
dans le premier cercle d’Emma-
nuel Macron en cultivant la dis-
crétion. Il n’est pas à la tête de la
grande muette pour rien. Et le
chef de l’État apprécie ce compa-
gnonnage avec ce personnage qui
apparaît pourtant comme son né-
gatif. Simplement diplômé d’une
licence de droit mais assidûment
formé par le militantisme dès son
plus jeune âge à l’UMP, il a très
vite gagné des scrutins locaux
dans l’Eure (mairie de Vernon,
présidence du conseil départe-
mental) où il a grandi, où sa fa-
mille réside toujours et où des
amis de lycée devenus agricul-
7 H -9 H
EUROPE 1 MATIN
1
Dimitri Pavlenko
Retrouvez l’Edito politique à 7h53 avec Alexis Brézet
A
et Vincent Trémolet de Villers du Figaro
teurs débattent encore avec lui de
transition écologique. Écho au
premier portefeuille qu’il a occu-
pé, de secrétaire d’État à la Tran-
sition écologique et solidaire.
« Mon département est une corde
de rappel », insiste-t-il, à rebours
de l’absence d’ancrage local du
chef de l’État.
Loin de la Normandie, c’est de-
puis la résidence des Pins de Bey-
routh, celle des ambassadeurs de
France au Liban, qu’il a suivi les
vœux télévisés d’Emmanuel Ma-
cron. Contraint pour raison de sé-
curité de passer la Saint-Sylvestre
à l’intérieur de cet « endroit din-
gue » chargé d’histoire, où le gé-
néral de Gaulle séjourna en 1941 et
1942, il a écouté le président pro-
mettre un « réarmement civique ».
Au moment où bruissent les ru-
meurs d’un profond remaniement
gouvernemental, il n’en fallait pas
moins pour relancer les spécula-
tions. N’était-il pas justement
chargé de mettre sur pied le servi-
ce national universel (SNU), que le
président rêve de généraliser ? Le
trentenaire jure n’être candidat à
rien, exaspéré que l’on imagine
l’inverse. Il a beau être un ami
proche de Gérald Darmanin, les
plans de conquête divergent.
Quand le Nordiste assume publi-
quement sa soif de promotion, le
Normand se fait discret. Il fallait le
voir à Tourcoing, au raout de ren-
trée du ministre de l’Intérieur.
Présent pour ne pas vexer le pa-
tron de Beauvau mais à bonne dis-
tance de l’axe des caméras pour ne
pas fâcher l’Élysée.
« C’est un vrai stratège, un re-
nard politique », relève la députée
macroniste Anne Genetet, mem-
bre de la commission de la défense
nationale. « Je suis fascinée par le
personnage », s’extasie l’élue
pourtant venue de la gauche mais
qui trouve que Sébastien Lecornu
« a l’étoffe d’un premier ministre ».
« C’est quelqu’un comme ça qu’il
nous faut. Il sait parler aux gens »,
certifie-t-elle après avoir été
coordinatrice politique de la loi de
programmation militaire au prin-
temps dernier. Surprise de la ma-
nière dont il a mené sa barque, en
allant convaincre les parlementai-
res les uns après les autres. Le tex-
te a été adopté avec les voix de la
droite, qui promettait pourtant de
se positionner en ordre dispersé.
Le très antimacroniste Olivier
Marleix a même voté pour et jus-
qu’aux bancs des Insoumis on fai-
sait preuve de beaucoup de man-
suétude à l’évocation de Sébastien
Lecornu. « C’est le carré magique
du président : pragmatique, straté-
gique, loyal et de droite », illustre le
député Karl Olive.
L’intéressé jure ses grands dieux
ne pas vouloir quitter les armées. À
quoi bon s’abîmer à la tête du gou-
vernement alors qu’il vit aujour-
d’hui la politique telle qu’il l’a
idéalisée, sans les projecteurs in-
quisiteurs qu’attire Matignon. « Il
aime les avantages de la politique
sans les inconvénients », relève un
conseiller de l’exécutif qui le
connaît de près. Anne Genetet
abonde : « La seule chose que l’on
sait de lui c’est qu’il a une chienne
magnifique, Tiga », dont il poste
quelques clichés sur Instagram et
qui accueille avec vivacité les visi-
Nommé ministre teurs de Brienne. Surtout, lorsqu’il
en juin 2017, s’installe sur les bancs du Palais
Sébastien Lecornu (ici, Bourbon pour assister aux ques-
le 2 janvier, à Beyrouth) tions au gouvernement, Sébastien
s’est progressivement Lecornu est sidéré par « le grand
imposé dans le premier
décalage entre la vie politique inté-
cercle du chef de l’État
en cultivant le culte rieure et la politique internationa-
de la discrétion. le ». « Il y a des débats âpres, durs,
AMMAR ABD RABBO/ et légitimes mais qui semblent par-
ABACA POUR LE FIGARO fois nous replier sur nous-mêmes,
qui nous empêchent de regarder le
monde tel qu’il est », affirme le mi-
nistre qui a récemment affirmé
que le « positionnement » de La
France insoumise « commence à
nous faire honte ». Une sortie poli-
tique incisive dont il a le secret
mais dont il n’use pas si souvent.
« Les militaires respectent ceux
qui s’engagent en politique mais je
ne peux rien faire qui pourrait mal-
mener ma fonction », s’excuse Sé-
bastien Lecornu, plus à l’aise dans
le dédale ouaté du Sénat où il s’est
fait élire en octobre 2020. Là, à
l’abri des oreilles indiscrètes, il
raffole de discussions politiques
exaltées où il passe en revue les
travers du monde politique. Le
propos est bien moins acéré quand
il s’agit de commenter publique-
ment le panorama hexagonal ou
de prendre position sur les der-
niers débats enflammés relatifs à
l’épineuse loi immigration. « Mes
fonctions me mettent à distance des
questions de politique intérieure »,
s’excuse-t-il, l’air de ne pas y
toucher. Bruno Le Maire, dont il a
été à 22 ans un très proche colla-
borateur pendant le quinquennat
Sarkozy, a dernièrement pris des
positions très fermes. D’abord en
plaidant pour le projet de loi im-
migration tel que remodelé très à
droite par le Palais du Luxem-
bourg. « Le Sénat ne devrait pas se
séparer de sa sagesse », rétorque
Sébastien Lecornu, qui n’abonde
pas davantage quand on lui sou-
met le constat dressé par le minis-
tre de l’Économie qui a listé « la
drogue et l’islam politique comme
des plaies qui rongent la société
française ». « Sébastien Lecornu
n’est pas quelqu’un qui prend des
risques. Il est resté dans le monde
des collaborateurs. Il n’aime pas le
risque de l’exposition. Il a le doigt
sur la couture du pantalon, sans
grande fulgurance. Ça peut conve-
nir au président d’avoir quelqu’un
qui ne prend pas la lumière », débi-
ne un proche comparse venu
comme lui de LR…
En oubliant que le ministre des
Armées a été très utile à Emma-
nuel Macron en 2019 en suggérant
puis en animant le grand débat
national pour sortir de l’impasse
de la crise des « gilets jaunes ». Un
moment de bascule qui lui a fait
gagner des galons à l’Élysée. Peut-
être parce que cette proximité
conquise par le plus jeune des trois
ralliés de LR est jalousée, il est
parfois dépeint comme « un Jean-
Pierre Raffarin avec 20 ans de
moins » pour mieux mettre en
exergue le côté rond (ou lisse) du
personnage.
Sur la terrasse ensoleillée de
l’ambassade de France à Beyrouth,
le ministre des Armées préfère
prendre la remarque tel un com-
pliment. Et s’embarque dans la
foulée dans une liste de louanges
appuyées. Autant pour Gabriel At-
tal (Éducation nationale) - dont il a
pourtant été dit qu’ils étaient ri-
vaux -, que pour Élisabeth Borne
dont il salue la solidité alors qu’elle
se trouve aux antipodes de sa
conception de la vie politique. La
trêve de Noël semble propice à la
paix des braves. Alors que François
Bayrou, comme une écrasante
majorité de responsables macro-
nistes, juge qu’une nouvelle im-
pulsion doit être donnée au quin-
quennat après la crise politique
autour de la loi immigration, Sé-
bastien Lecornu relativise. « C’est
une injure faite aux pères de la
Constitution que de dire que nos
institutions sont bloquées. Ce n’est
pas vrai. Les mots ont un sens et,
puisque nous sommes ici au Liban,
voilà un endroit où les institutions
sont réellement bloquées », argue-
t-il. Et le manœuvrier d’estimer
que « la majorité relative de Michel
Debré pendant la guerre d’Algérie
c’était bien plus difficile qu’aujour-
d’hui ». « Plus personne n’a de
culture historique », peste le tren-
tenaire, qui a « grandi avec le mur
de Berlin déjà tombé ».
“magique
C’est le carré
du président :
pragmatique,
stratégique, loyal
”
et de droite
KARL OLIVE, DÉPUTÉ
Inutile de lui suggérer qu’après
six années de progression éclair au
gouvernement, il pourrait être
tenté par d’autres cieux. La seule
échéance pour laquelle il accepte
de faire un pas a trait aux munici-
pales de 2026. « À Vernon, c’est un
rendez-vous qui peut potentielle-
ment me concerner », souffle celui
qui a embarqué dans sa délégation
au Liban François Ouzilleau, à qui il
a laissé les clés de la mairie en 2015.
L’échéance, encore lointaine, sera
un test puisque quatre des cinq cir-
conscriptions du département ont
basculé au Rassemblement natio-
nal en 2022. Ce que ne manquent
pas de rappeler les adversaires du
ministre. D’ici là, il promet de
s’impliquer, à sa manière, dans la
campagne des élections européen-
nes. « Tous les partis n’ont pas
compris que les chancelleries de
Moscou, Pékin et Téhéran regarde-
ront ce qui ressort des urnes des
européennes ». Des députés ont
déjà pris contact pour le faire venir
en circonscription. De nature à se
révéler davantage auprès du grand
public ? Il y a près de vingt ans,
Jean-Pierre Raffarin quittait Mati-
gnon sur l’échec du référendum
européen. Séguiniste convaincu, le
jeune Sébastien Lecornu venait
alors de glisser son premier bulle-
tin de vote en faveur du texte. ■
Le grand air du
L
a rumeur circule et enfle :
un remaniement serait
imminent. Emmanuel
Macron y serait, plus
que jamais, déterminé, et Élisabeth
Borne, déjà, résignée. Des proches
du président le souhaitent, les
ministres le sentent, les conseillers
ne démentent pas. Les journalistes,
en conséquence, l’écrivent,
la répétition donnant aux
hypothèses des airs d’information.
Rien de plus classique mais rien
de plus aléatoire que les rumeurs
de remaniement. En la matière,
un seul décide - le président
de la République - sans que les
premiers concernés par ses choix
- remerciés ou nommés - soient
forcément informés à l’avance.
Une confidence opportunément
distillée peut avoir pour objet de
préparer les esprits ; ou, à l’inverse,
de brouiller les pistes ; ou encore
de vérifier l’impact d’un scénario.
Il y a ceux qui pensent que faire
circuler un nom - leur nom -

À Nice,
le mi-mandat
turbulent
d’Estrosi
Malgré trois perquisitions en un an,
le maire Horizons ne doute pas de sa
réélection pour un quatrième mandat.
LUCAS HÉLIN £@LucasHelin
ET NICOLAS DAGUIN
£@DaguinNicolas
NICE
MUNICIPALES En plein conseil mu-
nicipal, jeudi 21 décembre, une di-
zaine de gendarmes ont discrète-
ment investi l’hôtel de ville de Nice
(Alpes-Maritimes), sans que person-
ne, ou presque, ne s’en aperçoive.
C’est en ce jour de débat de fin d’an-
née qu’ils ont choisi de venir y me-
ner des perquisitions. Pendant que
Christian Estrosi était figé sur son
siège à se quereller avec les oppo-
sants écologistes de son assemblée,
son directeur général des services -
ex-directeur de cabinet entre-temps
jugé pas assez politique pour le poste
- assurait ses arrières. Avec comme
un air de déjà-vu. En un an, il s’agis-
sait pour la ville et la métropole du
président-maire Christian Estrosi
(68 ans) d’une troisième série de
perquisitions de ce type, sans comp-
ter celle au domicile de son fidèle
premier adjoint, Anthony Borré.
Alors, même parmi les élus de la
majorité, certains grincent des
dents. « On a un peu enchaîné les
merdes », lâche l’un d’entre eux.
Mais pour « CE », le surnom de l’édi-
le, qui empile son troisième mandat
comme l’un des derniers maires di-
nosaures de l’Hexagone, rien de
nouveau sous le soleil de sa chère
Côte d’Azur. « Je n’ai pas l’angoisse
d’une échéance politique, je connais le
film par cœur », plastronne-t-il
auprès du Figaro. À peine reconnaît-
il quelques turbulences. « C’est sans
doute le mandat sur lequel on est le
plus exposé », confie-t-il.
Les enquêteurs lui ont rendu cet-
te nouvelle visite dans le cadre
de l’épineux et complexe dossier de
la reconstruction des vallées sinis-
trées par la tempête Alex, à laquelle
est venue s’ajouter la dépression
Aline, en novembre dernier. Le
21 avril, ils étaient déjà venus per-
quisitionner les locaux métropoli-
tains pour des « anomalies compta-
bles » dans le règlement de certains
chantiers. Des suspicions signalées
à l’époque par son précédent DGS,
qui, depuis, a curieusement été mis
CONTRE-POINT
PAR GUILLAUME TABARD £@GTabard
remaniement, éternelle rengaine de la vie politique
donnera des idées au chef de l’État ;
et ceux qui redoutent l’effet
contreproductif de toute
suggestion faite au président.
Il y a aussi les circonstances,
mais pas forcément de logique.
Il y a des équations politiques, mais,
aussi, et peut-être plus encore,
des réactions psychologiques.
Tout cela rend impossible toute
évidence avant le verdict final.
Parmi les critères politiques,
il y a évidemment la capacité à
construire une majorité plus large
ou plus stable. S’il s’agit d’obtenir
des majorités par projet, Élisabeth
Borne y est finalement parvenue,
même sur l’immigration.
Un Bruno Le Maire ou un Sébastien
Lecornu apportent-ils la garantie
d’une coalition pérenne avec LR ?
Et, sur le plan psychologique,
la question est de savoir si Macron
attend de son premier ministre
qu’il soit un poids lourd,
donc un prétendant, à court
ou moyen terme, à sa succession,
au placard. « Procédure classique »,
évacue à chaque fois la garde rap-
prochée de Christian Estrosi. En
privé, certains se montrent moins
catégoriques. « Il y a une sérénité qui
m’échappe, ça va forcément mal fi-
nir », ose tacler un collaborateur.
Fin janvier, c’était le dossier « Ico-
nic », du nom d’un immeuble en
forme de diamant à côté de la gare,
qui avait attiré l’attention des poli-
ciers. Là aussi, le financement et les
attributions de marché ont interro-
gé, ce qui avait enclenché, à la suite
d’une information judiciaire ouverte
par le parquet de Paris, une perquisi-
tion dans la capitale azuréenne.
Outre ces visites, jamais agréables
mais gérées avec la force de l’habitu-
de, Christian Estrosi, aujour-
d’hui rallié à Horizons, a vu son nom
cité dans bien d’autres dossiers sen-
sibles. Mais pour ses soldats les plus
loyaux, ce n’est rien d’autre que le
signe d’un maire en action, détermi-
né à tout donner pour sa ville.
Grands chantiers
En parallèle, la justice se penche à la
fois sur sa gestion du Grand Prix de
France de Formule 1, au Castellet,
qui a laissé une ardoise suspecte de
32 millions d’euros ; sur le finance-
ment de sa campagne de 2020 entre
dons et cotisations à son parti ; sans
parler, encore, de la requalification
des faits étendue aux chefs d’« ho-
micides et blessures involontaires »
s’agissant de l’attentat au camion-
bélier du 14 juillet 2016, sur la pro-
menade des Anglais.
Mais Christian Estrosi fait mine
de garder une zénitude déconcer-
tante et poursuit ses grands chan-
tiers, qui, pourtant, ne verront pas
tous le jour dans les temps, la faute
à des choix budgétaires. « Je n’ai pas
l’arrogance de dire que je suis insub-
mersible. À la tête d’une métropole
comme la nôtre, nous ne sommes ja-
mais à l’abri de rien, accorde-t-il. Si
mes projets sont livrés comme ils sont
programmés, mes adversaires sa-
vent qu’ils ont perdu. » Il ne citerait
pour être réélu que la réussite
de l’extension de la « coulée verte »
après les démolitions contestées du
Théâtre national de Nice et du palais
ou un second efficace qui fasse
avant tout « tourner la boutique ».
Ce qui était le cas d’Édouard
Philippe - avant que son renvoi
ne le mette en orbite présidentielle
- et de Jean Castex, et qui est
encore le cas d’Élisabeth Borne.
La question d’un nouvel élan
après - seulement ! - dix-huit mois,
la nécessité d’un « réarmement »
sont évidentes. Mais dans
le tempérament et la pratique
du pouvoir d’Emmanuel Macron,
cet élan ne peut venir que
de lui-même. Ses vagues
promesses de gouvernance plus
participative n’ont jamais été
crédibles. Le « rendez-vous avec
la nation » de janvier sera un
face-à-face entre le président et les
Français. Tout comme les motifs
de « fierté » qui baliseront 2024
(l’anniversaire du Débarquement,
les JO, la réouverture de Notre-
Dame) sont des occasions
d’exposition éminemment
présidentielles.
des congrès Acropolis, le réaména-
gement de la sortie de la voie rapi-
de, et encore le grand hôtel des po-
lices que lui offre presque sur un
plateau le président.
L’édile, qui se montre toujours
proche d’Emmanuel Macron - Nice
accueillera l’arrivée du Tour de
France, l’été prochain, et le Som-
met des océans, en juin 2025 - jure
avoir tiré un trait sur un rebond na-
tional. Son bonheur et ses aspira-
tions, il les nourrit à « Nissa la Bel-
la ». Lui et ses proches se rassurent à
la lecture des baromètres qui le pla-
cent toujours en bonne position. Un
sondage concernant sa personnalité
est aussi commandé régulièrement.
Pour ne citer qu’un chiffre, 59 %
des personnes interrogées le jugent
« honnête », et ce, juste après la
deuxième salve de perquisitions.
Aucun impact, selon lui : « Les inci-
dents que vous mentionnez n’ont pas
jeté, dans l’opinion des Niçois, le dis-
crédit sur mon honnêteté », sou-
tient-il. De quoi, en revanche, aga-
cer Éric Ciotti, son adversaire le
plus virulent (lire ci-contre). Avant
d’ajouter, en stratège : « Je choisis
toujours le terrain sur lequel on m’at-
taque, je tends les pièges, je laisse ve-
nir et je vois la cavalerie d’un côté et
l’artillerie de l’autre. » Une vigueur
dans l’affrontement nuancée par
l’opposition. « On ressent davanta-
ge l’usure et la fatigue du pouvoir
comparé aux précédents mandats »,
note Juliette Chesnel-Leroux, la
chef de file des Verts.
Christian Estrosi se rêve plutôt
dans la lignée d’un Gérard Collomb
à Lyon et d’un Alain Juppé à Bor-
deaux, dont on a vanté l’époque.
Lui aussi veut marquer sa ville de
son nom. « Ma seule ambition est
qu’on dise : “Estrosi, c’est le temps
de Nice.” » ■
Le vrai défi de Macron n’est donc
pas tant de trouver un nouvel hôte
pour Matignon que de porter de
nouvelles réformes à la fois utiles
et courageuses et de redonner
du souffle et de l’autorité. Sans
vision, sans projet et sans audace,
tout remaniement sera vain.
En laissant diffuser la rengaine
éculée du remaniement, Emmanuel
Macron entretient à l’inverse
un sentiment d’hésitation ou
d’absence d’imagination. Relancer
son quinquennat, c’est d’abord
mettre un terme à ce feuilleton
tant de fois rediffusé. Dans un sens
ou dans l’autre. Mais vite.
LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024
POLITIQUE 5
« À la tête
d’une métropole
comme la nôtre,
Adversaire acharné,
Éric Ciotti attend
nous ne sommes
jamais à l’abri de rien »,
son heure
confie Christian Estrosi
(ci-dessus,
le 8 décembre, à Nice).
FRÉDÉRIC DIDES/
HANS LUCAS VIA AFP
ALORS qu’il était censé enfin se chio-Fontimp, son ancienne di-
reposer un peu après l’intense rectrice de campagne et séna-
épisode de la loi immigration, trice maralpine. Il est déterminé
Éric Ciotti, de retour à Nice (Al- et dénonce ce que les Niçois
pes-Maritimes), s’est offert une ignorent. »
dernière tournée. Pour autant, le parlementaire
La veille de Noël, d’abord, dessine son ambition sans pro-
auprès des gendarmes, des poli- poser, à ce stade, une alternati-
ciers, des pompiers et des soi- ve. Ne serait-ce, au fond, qu’un
gnants niçois. Et le lendemain règlement de comptes ? « L’an-
matin, aussi, quand un incendie nonce d’un contre-projet n’est
s’est déclaré en plein centre- pas venue, j’avance séquence par
ville. Un affichage stratégique : séquence », explique Ciotti, cette
l’édile Christian Estrosi, lui, fois sûr de son coup, contraire-
n’était pas là. « On y va pour ment à 2020, où après avoir fait
marquer le terrain », glisse un de croire qu’il serait jusqu’au bout
ses proches. candidat, il s’était finalement
Depuis un an, le député de la retiré plutôt que de risquer un
1re circonscription des Alpes- échec cinglant.
Maritimes et président des Ré- L’élu du port de Nice confie
publicains jongle avec ses deux quand même travailler dans la
ambitions. Celle de redresser LR perspective des municipales. Il
et celle de devenir, en 2026, affirme avoir réuni 150 person-
maire de la capitale azuréenne nalités, dont des experts, et
en lieu et place de son ancien avoir formé des groupes de
mentor. travail « dans la discrétion ».
Contre lui, il ne nourrit plus Outre l’inimitié notoire avec
que haine et rancœur. Quand le Christian Estrosi, aujourd’hui
maire ose encore s’adresser à son chez Horizons, il existe des dé-
« Cher Éric » dans une récente saccords de fond.
lettre au vitriol, l’intéressé ré-
F. BOUCHON/LE FIGARO
torque d’un glacial « Monsieur ».
Pas un jour ne passe sans
qu’Éric Ciotti ne pense à sa ville,
au point que certains, dans son
“
L’annonce
d’un contre-
projet n’est
propre camp, l’alertent pour que
cela ne tourne pas à l’obsession. pas venue,
« Sans Nice, je ne suis rien », dé- j’avance séquence
clare-t-il à chaque fois.
”
par séquence
Pour parvenir à ses fins niçoi-
ÉRIC CIOTTI, PRÉSIDENT DE LR
ses, le patron de la droite appli-
que la méthode de la sangsue et
du poison lent. Il ne manque pas Pour Nice, Éric Ciotti jure
une occasion de critiquer les qu’il prônera « l’autorité,
moindres faits et gestes de l’ordre, le redressement budgé-
Christian Estrosi et distille des taire et l’arrêt de la bétonisation
attaques placées qui doivent in-
fuser. Le parlementaire s’en est
des derniers espaces naturels ».
Et cela dans un souci maniaque
pris, par exemple, aux notes de de vérité.
frais du maire et a empilé les Là où son futur opposant flatte
tweets et les courriers à l’en- le vote « bobo » à la vue d’un
contre de la municipalité. « Il embourgeoisement dans la cin-
Sans faut ouvrir la brèche, résume-t- quième ville de France, Éric
vision, il auprès du Figaro. C’est le Ciotti ne partage pas cette ana-
temps de la dénonciation, de l’en- lyse. « Nice perd de l’attractivité
sans treprise de déstabilisation. » économique et culturelle », tan-
Le député n’a cessé de s’alar- ce-t-il, quand même conscient
projet mer d’une « dérive budgétaire qu’il faudra aller se frotter à un
et sans bling-bling » de la collectivité à autre électorat que celui des
cause de projets « déraisonnés » « Nissarts », acquis à sa cause.
audace, telle la démolition du palais des En attendant, celui qui siège
congrès. « C’est la boule de neige toujours au conseil départemen-
tout qui grossit », compare-t-il, y tal en tant que président de la
rema- voyant « une fuite en avant
personnelle ».
commission des finances obser-
ve les affaires dans lesquelles
niement Un « contexte nouveau », qu’il Christian Estrosi est enlisé.
aime comparer à Paris et Anne Ce contexte pourrait évidem-
sera
vain » Hidalgo, propice pour avoir une
chance de l’emporter dans un
peu plus de deux ans ? « Ciotti
tape parce qu’il sait là où ça fait
ment le servir. Il présentera ses
vœux aux Niçois le 11 janvier au
palais de la Méditerranée, avant
le maire, le 14, à l’Opéra de Nice.
mal », décrypte un ancien pro- Éric Ciotti devra toutefois enco-
che des deux hommes, qui pour re patienter pour croiser direc-
autant, pense qu’il prépare plu- tement le fer avec son rival, ce
A
tôt « le coup d’après ». « Il ira !, dernier refusant pour l’instant
ne doute plus Alexandra Bor- tout débat. ■ N. D. ET L. H.
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO
6 INTERNATIONAL
La présidente de Harvard à son tour
forcée à la démission
Claudine Gay avait laissé prospérer une
campagne antisémite sur le campus
après les attaques du Hamas en Israël.
MAURIN PICARD
£@MaurinPicard
NEW YORK
ÉTATS-UNIS La polémique a eu
raison de la présidente de Harvard.
Contestée pour la tiédeur de ses
réactions face aux débordements
antisémites sur son campus,
Claudine Gay a démissionné, mar-
di, contrainte et forcée. La pre-
mière dirigeante noire de la presti-
gieuse université de Nouvelle-
Angleterre, sise à Cambridge
(Massachusetts), se trouvait sur la
sellette depuis une audition hou-
leuse au Congrès, le 5 décembre
dernier. Sommée par des élus de
condamner fermement les inci-
dents survenus sous son mandat et
tancée pour ses réponses évasives,
elle résistait jusqu’ici aux pressions
extérieures, similaires à celles
ayant coûté son poste à son homo-
logue de l’université de Pennsylva-
nie, Liz Magill. D’autres faits
étaient reprochés à la New-Yor-
kaise âgée de 53 ans : ils visaient
des accusations de plagiat concer-
nant sa thèse de doctorat, soutenue
en 1997, entre autres, quoique dé-
menties par un panel d’éminents
politologues.
Dans sa lettre d’adieux à une
université qu’elle dirigeait seule-
ment depuis juillet dernier, après
avoir commencé à y enseigner les
sciences sociales en 2006, Claudi-
ne Gay a laissé entendre qu’elle
cédait à regret face à une campa-
gne intense de dénigrement, tein-
tée selon elle de connotations ra-
ciales : « C’est le cœur lourd, mais
avec un profond amour pour Har-
vard, que je vous écris pour vous
annoncer que je vais quitter mon
poste de présidente. Ce n’est pas
une décision que j’ai prise facile-
ment. (…) Mais il est devenu clair
L’Éthiopie compte accéder à la mer grâce au Somaliland
Addis-Abeba a annoncé un accord avec la région séparatiste du nord de la Somalie, déclenchant la colère de ce pays.
MAYEUL ALDEBERT
£@MayeulAldebert
AFRIQUE DE L’EST. L’Éthiopie
est-elle en train de sortir de sa
« prison géographique », selon la
formule de son premier ministre ?
Un accord « historique » a été
trouvé avec le Somaliland voisin,
république autoproclamée du
nord de la Somalie, a annoncé
mardi le gouvernement éthiopien.
Le président somalilandais, Muse
Bihi Abdi, a affirmé qu’en échange
d’un accès à 20 kilomètres de ses
côtes et de la location d’une partie
du port de Berbera pour cinquan-
te ans, l’Éthiopie reconnaîtrait of-
ficiellement le Somaliland comme
nation indépendante.
Cette reconnaissance interna-
tionale serait une première depuis
que la région a proclamé son indé-
pendance en 1991, alors que le
reste de la Somalie tombait dans le
chaos après la chute du régime
militaire de Mohammed Siad Bar-
ré. L’accord a fait réagir fortement
la Somalie, qui a rappelé son am-
bassadeur en Éthiopie pour
« consultation ». « Nous protége-
rons chaque centimètre carré de
notre terre sacré », a promis son
président, qui a fustigé une
« agression ».
« Aucune loi n’a été transgres-
sée », a rétorqué ce mercredi le
gouvernement éthiopien. Privée
de façade maritime depuis la sé-
cession de l’Érythrée qui a entraî-
né une guerre civile entre 1998 et
A
2000, l’Éthiopie a érigé ces der-
nières années le retour à la mer en
qu’il est dans le meilleur intérêt de
Harvard que je démissionne, afin
que notre communauté puisse tra-
verser ce moment de défi extraordi-
naire en se concentrant sur l’insti-
tution plutôt que sur un individu en
particulier. Au milieu de tout cela, il
a été pénible de voir mes engage-
ments à lutter contre la haine et à
respecter la rigueur scientifique –
deux valeurs fondamentales de mon
identité – remis en question, et ef-
frayant d’être l’objet d’attaques
personnelles et de menaces alimen-
tées par des animosités raciales. »
De l’huile sur le feu
L’allusion vise le milliardaire Bill
Ackman. Cet ancien étudiant de
Harvard, âgé de 57 ans, patron du
hedge fund Pershing Square, a pris
la tête du mouvement pour l’évic-
tion de Claudine Gay. Sur X (ex-
Twitter), il désignait nommément
celle-ci, la soupçonnant d’avoir
hérité de la présidence de Harvard
très largement du fait de sa couleur
de peau. Il avait reçu le soutien de
Vivek Ramaswamy, candidat aux
primaires républicaines de la prési-
dentielle 2024 et électron libre tou-
jours prêt à jeter de l’huile sur le
feu. « Je vous propose une super idée
pour l’avenir : et si on commençait à
choisir les gens pour leurs méri-
tes ? », avait-il tweeté.
Trois jours après l’attaque sur-
prise du Hamas, le 7 octobre,
contre le territoire israélien, tren-
te-quatre associations étudiantes
du campus bostonien, pour la plu-
part d’obédience musulmane,
avaient pris la plume pour rejeter
sur Israël la responsabilité du dra-
me, sans un mot pour les civils sau-
vagement assassinés par les com-
mandos islamistes : « Nous, les
organisations étudiantes soussi-
gnées, tenons le régime israélien
pour entièrement responsable de
priorité nationale. En 2012, elle
avait tenté sans succès de s’enten-
dre avec le Kenya voisin, avant
d’ouvrir des discussions avec le
Soudan. En 2018, déjà, elle avait
acquis 19 % du port de Berbera
dans le cadre d’un accord tombé
depuis en désuétude.
L’expertise de la France
Le gouvernement éthiopien misait
depuis sur un accord avec Djibou-
ti. « Les négociations en sous-main
n’ont visiblement pas abouti. Entre
les deux, c’est un peu “je t’aime moi
non plus”, Djibouti a peur de se fai-
re absorber par l’Éthiopie », expli-
que un militaire français fin
connaisseur du dossier. En 2019,
Claudine Gay lors toute la violence qui se déroule. Les
de son audition jours à venir nécessiteront une prise
au Congrès, de position ferme contre les repré-
le 5 décembre sailles coloniales. Nous appelons la
à Washington. communauté de Harvard à prendre
KEN CEDENO/REUTERS
des mesures pour mettre fin à
l’anéantissement en cours des Pales-
tiniens. »
Partenariat interrompu
Face à ces propos, Claudine Gay
avait fini par condamner la barba-
rie du Hamas, mais beaucoup trop
tard, et sans grande conviction,
aux yeux de ses détracteurs.
Outrés, des milliardaires améri-
cains passés par les bancs de Har-
vard avaient laissé entendre qu’ils
pourraient retirer leur soutien fi-
nancier à l’institution, comme
Kenneth Griffin, PDG du fonds
d’investissement Citadel et géné-
reux mécène de Harvard – à hau-
teur de 350 millions de dollars en
2023 -, ou Les Wexner, fondateur
En échange le pays a sollicité l’expertise de la
de la reconnaissance France pour reconstituer sa mari-
officielle du Somaliland ne de guerre.
comme nation Ces derniers mois, le premier mi-
indépendante, l’Éthiopie nistre éthiopien, Abiy Ahmed, a
a obtenu un accès
notamment évoqué la mer Rouge
au Golfe d’Aden
et la location comme « frontière naturelle » de son
d’une partie pays. En octobre, lors d’un long
du port de Berbera discours télévisé, il avait même
(ci-dessus en 2021) prévenu que la paix régionale en
pour cinquante ans. AFP dépendait. Une population de
150 millions d’habitants (en 2030) ne
peut pas vivre dans une prison géo-
graphique , déclarait-il alors, affir-
mant que l’enclavement du pays lui
coûtait 20 % à 30 % de son PIB.
Historiquement, l’ancien royau-
me d’Aksoum, qui dominait la mer
Rouge et le golf d’Aden à son apo-
de l’enseigne de produits cosméti-
ques Bath & Body Works et de lin-
gerie Victoria’s Secret. La fonda-
tion Wexner, qui promeut la
formation d’élites de la commu-
nauté juive aux États-Unis, a mis
fin peu après à son partenariat avec
la Harvard Kennedy School, la fa-
culté d’administration publique de
l’université, dénonçant « l’échec
lamentable de la direction de Har-
vard à prendre une position claire et
sans équivoque contre les meurtres
barbares de civils israéliens inno-
cents ».
Bill Ackman s’était alors jeté
dans la mêlée : « Un certain nombre
de PDG m’ont demandé si Harvard
publierait une liste des membres de
chacune des organisations de Har-
vard qui ont publié la lettre attri-
buant l’entière responsabilité des
actes odieux du Hamas à Israël, afin
de s’assurer qu’aucun d’entre nous
n’embauche l’un d’eux par inadver-
ARABIE
SAOUDITE
Me
rR
ou
ge
ÉRYTHRÉE YÉMEN
SOU.
DJIB. Golfe d'Aden
ÉTHIOPIE
SOMALILAND
Port de Berbera
SOMALIE
KENYA Mogadiscio
TANZ. OCÉAN INDIEN
Infographie 400 km
gée il y a plus de deux mille ans, a
toujours vu son littoral disputé,
d’abord par les conquérants de l’is-
lam, puis, à l’époque moderne, par
l’Empire ottoman. Les colonisa-
teurs occidentaux ont ensuite cher-
ché à prendre le contrôle des côtes
pour maîtriser le corridor maritime
qui relie la mer Méditerranée à
l’océan Indien. L’Italie y parvient
dans l’entre-deux-guerres.
Le pays des négus retrouve en-
suite sa façade maritime après la
Seconde Guerre mondiale, pour
une quarantaine d’années seule-
ment. Depuis l’indépendance de
l’Érythrée, Addis-Abeba louait
pour 1,5 milliard d’euros le passage
par Djibouti qui lui permettait de
tance. Embaucheriez-vous quel-
qu’un qui attribuerait aux victimes
les violences ignobles d’un groupe
terroriste ? Je ne pense pas. Embau-
cheriez-vous un membre d’une as-
sociation scolaire qui aurait publié
une déclaration accusant les victi-
mes de lynchages perpétrés par le
Ku Klux Klan ? Je ne pense pas. »
Comme le rappelle le New York
Times, le fossé entre Ackman et
Gay ne datait pas d’hier : défenseur
autoproclamé des étudiants juifs de
Harvard, l’homme d’affaires aux
pratiques très intrusives tentait
d’infléchir l’utilisation des fonds
généreusement alloués, mais s’était
heurté aux fins de non-recevoir de
la direction. « Ce serait bien qu’elle
décroche le combiné une fois de
temps en temps », pestait le milliar-
daire en reprochant à Claudine Gay
d’avoir ainsi « perdu » des dizaines
de millions de dollars potentiels de
donations. ■
faire transiter 95 % de ses exporta-
tions et importations.
Pression des rebelles
houthistes du Yemen
Outre l’enjeu économique, l’Éthio-
pie compte avoir voix au chapitre
dans le jeu des puissances de cette
région sous haute tension, avec du
piratage au large de la Somalie et
un Yémen en guerre. Le détroit de
Bab al-Mandab, emprunté par le
commerce maritime mondial, est
sous la pression des rebelles hou-
thistes du Yémen, ce qui a
contraint plusieurs forces navales
occidentales, dont celle de la Fran-
ce, à y patrouiller.
Addis-Abeba veut aujourd’hui
reconstruire une puissance navale
régionale, comme au temps où
l’océan Indien s’appelait, sur cer-
taines cartes, l’« océan Éthio-
pien ». « L’objectif est de mettre en
œuvre à compter de 2024, depuis
cette base navale, deux pa-
trouilleurs hauturiers d’environ
60 mètres », précisait en 2019 le
conseiller militaire français déta-
ché auprès de la marine éthio-
pienne, dans la revue Cols bleus.
Le Somaliland, qui bénéficie
d’une relative stabilité, y trouve
également son compte. Il peut
s’appuyer sur le fameux port de
Berbera, un de ses principaux
atouts économiques puisque l’ex-
portation de son bétail compte
pour près de 60 % de son PIB. Mais
la région reste pauvre. Et, côté
éthiopien, la croissance ralentit. Le
nord du pays, après la guerre du
Tigré, pourrait être aussi frappé par
une nouvelle famine. ■

SOCIÉTÉ
Caractérisation
du viol : le
positionnement
de la France
interpelle Bruxelles
Depuis cet été, Paris bloque une définition
européenne basée sur l’absence de consentement.
SOLENN PAULIC £@SolPaulic
BRUXELLES
EUROPE « Faute politique », « ca-
mouflet » pour les victimes de
viol… Si le soutien affiché par Em-
manuel Macron à Gérard Depar-
dieu a déclenché une tempête
dans le pays, le doute s’empare
aussi de certains élus européens,
depuis plusieurs mois, à propos du
positionnement du président
français sur la question.
La France - avec d’autres pays,
comme l’Allemagne ou la Hon-
grie - bloque en effet depuis l’été
un projet de directive européenne
pour criminaliser les violences
faites aux femmes. Et c’est préci-
sément sur le viol qu’achoppent
les discussions, la Commission et
le Parlement européen souhaitant
définir celui-ci par l’absence de
consentement. Un projet qui, se-
lon Paris, mais aussi Berlin, outre-
passerait les traités et les compé-
tences dévolues à l’Union
européenne et affaiblirait même
leur action pénale.
Présentée le 8 mars 2022, cette
toute première loi européenne sur
les violences faites aux femmes
À Laval, polémique à l’hôpital public
Après avoir alerté sur le manque de moyens, la chef des urgences a été écartée. Depuis, les soutiens affluent.
ÉRIC DE LA CHESNAIS
£@plumedeschamps
SANTÉ Cela déjà fait plus d’un
mois que Caroline Brémaud, chef
du service des urgences de l’hôpi-
tal de Laval, a été écartée de son
poste. Très médiatique, elle aler-
tait depuis plusieurs années sur le
manque de moyens de l’hôpital
public, notamment dans les dé-
serts médicaux. Depuis, la mobili-
sation des élus, associations de
patients ou citoyens ne faiblit pas.
Tous demandent un éclaircisse-
ment de la situation. « Cette déci-
sion n’est pas passée en conseil de
surveillance. Elle nécessite que le
directeur et l’ARS puissent justifier
leur choix, remarque Florian Ber-
cault, maire de Laval (PS) et prési-
dent du conseil de surveillance de
l’hôpital de la ville. J’estime beau-
coup le combat de Caroline Bré-
maud pour défendre l’hôpital public
et je lui souhaite de continuer à
avoir une parole libre. »
Si elle ne dirige donc plus le ser-
vice qu’elle gérait depuis juillet
2020, Caroline Brémaud y tra-
vaille encore, avec la même abné-
gation. « Je reste médecin aux ur-
gences et au Samu, explique-t-elle
au Figaro. J’ai perdu la chefferie,
cela ressemble à une sanction dé-
guisée. Mais je le vis bien car j’ai
reçu de nombreux soutiens de syn-
dicats nationaux, de la population,
de médecins et paramédicaux de
toute la France, ainsi que de cer-
tains politiques.
Le député de la circonscription,
Guillaume Garot (PS), se dit très
attentif à l’évolution de la situa-
tion. « Je partage les convictions
qui sont les siennes, explique-t-il.
Elles ont lieu au sein de l’hôpital pu-
blic et doivent être respectées. Ca-
aurait vocation à harmoniser et à
durcir les peines prévues pour les
mutilations génitales, le cyber-
harcèlement, le partage non
consenti d’images intimes ou en-
core les mariages forcés. Elle in-
troduirait surtout pour la premiè-
re fois une définition européenne
du viol basée sur le non-
consentement, sans autre réfé-
rence à une contrainte physique
ou un recours à la force.
Situations de vulnérabilité
Cette définition, littéralement
supprimée par les États membres
en juin dernier sous la pression de
ces pays, a été renforcée par le
Parlement européen. Le viol, qui
concerne 1 femme sur 20 dans
l’Union, selon la Commission, se-
rait ainsi incriminé sur la base du
seul défaut de consentement, un
acte non consenti étant défini
comme « un acte accompli sans
que la femme ait donné son consen-
tement volontairement ou dans une
situation où la femme n’est pas en
mesure de se forger une volonté li-
bre en raison de son état physique
ou mental ». Les élus ont aussi dé-
taillé ces situations de vulnérabili-
té, comme l’emprise de l’alcool.
roline Brémaud contribue à alimen-
ter le débat national sur la déserti-
fication médicale et l’accès aux
soins. Notre santé ne peut pas dé-
pendre de notre code postal. Quel
que soit notre lieu d’habitation, le
principe d’égalité d’accès aux soins
doit être respecté. Il faut que cela
devienne une priorité nationale. »
La justification de son éviction a
été annoncée à Caroline Brémaud
début novembre par le directeur
de l’hôpital. Ce dernier s’est offi-
ciellement basé sur un audit da-
tant d’octobre 2021. Diligenté par
l’agence régionale de santé (ARS)
des Pays de la Loire, il recomman-
dait, pour gagner en efficience,
« une gouvernance unifiée au sein
du département de médecine d’ur-
gence ». Un même responsable,
donc, pour chapoter le service des
urgences à l’hôpital, la régulation
des appels au 15 et la gestion des
interventions sur le terrain de la
structure mobile d’urgence et de
réanimation (Smur).
La Commission et le
Parlement européen
souhaitent définir le viol
par l’absence
de consentement. Cette définition permettrait, se-
Un projet qui, selon
lon eux, de reconnaître plus faci-
Paris et Berlin,
outrepasserait lement les viols et d’aboutir à da-
les traités vantage de condamnations, alors
et les compétences qu’en France seulement 0,6 % des
dévolues à l’UE. plaintes pour viol vont jusqu’à
STOCK.ADOBE.COM cette étape. Elle permettrait aussi,
ont souligné des eurodéputés so-
cialistes, comme Raphaël Glucks-
mann ou encore l’Espagnole
Iratxe Garcia Pérez, de tenir
compte des états de sidération et
de l’incapacité de s’exprimer sur
le moment. Et d’en finir avec une
définition française du viol jugée
passéiste, supposant que le
consentement existe préalable-
ment à toute relation sexuelle.
La définition française est en ef-
fet tout autre, le viol étant carac-
térisé par tout acte de pénétration
commis par « violence, contrainte,
menace ou surprise ». Et, rappelle
la professeur de droit pénal à
l’université de Nanterre Audrey
Darsonville, « il faut aujourd’hui
pouvoir prouver l’un de ces quatre
éléments ». Ce qui est souvent dif-
ficile pour les victimes et aboutit à
Or, depuis ce rapport datant de
plus de deux ans, l’organisation de
ces trois services a fortement évo-
lué, avec la fermeture partielle des
urgences la nuit, cet été et pen-
dant les fêtes de fin d’année. Seu-
les les urgences médicales « vita-
les » ont été assurées entre 18 h 30
et 8 heures. Une situation ubues-
« laJ’aichefferie,
perdu
que que Caroline Brémaud n’a
cessé de dénoncer publiquement.
cela
Sans doute en subit-elle les ressemble
conséquences aujourd’hui. à une sanction
Continuer son combat déguisée. Mais
au niveau national je le vis bien
« Cela fait vingt ans que j’ai quitté car j’ai reçu
Paris pour Laval et que je vois la si-
tuation de l’hôpital se dégrader.
de nombreux
Avec la fermeture des urgences, des soutiens
gens peuvent mourir car ils ne sont de syndicats
pas pris en charge assez rapide-
ment, dénonce pour sa part Denis
nationaux,
Roth, représentant de l’Associa- de la
tion des citoyens contre les dé- population, de
serts médicaux. Cette éviction va
permettre aux responsables de res-
médecins et
paramédicaux
de toute
la France »
CAROLINE BREMAUD
Caroline Bremaud
alertait depuis
plusieurs années
sur le manque
de moyens de l’hôpital
public, notamment
dans les déserts
médicaux. FRANCOIS
LEPAGE/HANS LUCAS
VIA AFP
des acquittements, même quand
le viol semble manifeste.
Avec le magistrat François La-
vallière, notamment, la professeur
plaide pour l’intégration en droit
français du principe de consente-
ment, qui renverserait les choses
et consisterait à demander au mis
en cause « s’il a porté attention au
consentement de sa partenaire ».
Cela « sans sombrer dans un systè-
me à l’américaine avec une sorte de
contrat de consentement », ce qui
n’est pas non plus souhaitable.
Le principe de présomption
d’innocence ou le doute raisonna-
ble bénéficiant à l’accusé n’en se-
raient par ailleurs pas impactés,
ajoute la professeur, qui ne croit
pas du tout qu’une directive euro-
péenne se « traduirait du jour au
lendemain par de multiples
condamnations pour viol ». Très
active sur le sujet, l’eurodéputée
Les Centristes Nathalie Colin-
Oesterlé juge en tout cas la posi-
tion de Paris tout à fait « incom-
préhensible », surtout quand des
pays comme la Pologne ou l’Italie
tructurer toutes les urgences du
département à leur guise. » En at-
tendant cette nouvelle organisa-
tion, les médecins généralistes
comblent les défaillances du ser-
vice public.
« Les fermetures fréquentes des
urgences hospitalières la nuit en-
traînent une augmentation de nos
gardes de régulation (20 heures –
8 heures du matin). J’en ai effectué
deux en une semaine : l’une à Noël
et l’autre le premier de l’An, en plus
de mon activité au cabinet, s’agace
Luc Duquesnel, généraliste à
Mayenne, président de l’Associa-
tion départementale pour l’orga-
nisation de la permanence des
soins en Mayenne. À un moment,
le système va imploser, le nombre
de médecins généralistes, 180 ac-
tuellement, est en baisse constante
en Mayenne. »
En attendant, Caroline Bré-
maud dit vouloir continuer son
combat au niveau national : « Le
but est de sensibiliser la population
sur la dégradation des services de
santé. Nous voulons lancer le mou-
vement des “gilets blancs”, des
manifestations et une pétition, dé-
fendre l’hôpital qui s’effondre com-
plètement. » Elle a déjà au moins
une adepte : Esther Morel, une
enseignante des Hauts-de-Seine
qui a organisé plusieurs manifes-
tations devant l’hôpital de Laval -
la dernière en date, le 9 décembre,
a réuni 200 personnes. « C’est un
médecin extraordinaire, il faut
l’écouter pour être convaincu de
l’urgence de s’impliquer plus, indi-
que-t-elle. La dégradation d’un
service d’urgence nous concerne
tous. Même si je ne suis pas laval-
loise, je me sens impliquée. » Le
maire de Laval, lui, reste prudent :
« Pour l’instant, nous ne voyons pas
d’améliorations venir… » ■
LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024
7
« soutiennent, eux, cette défini-
tion ». Quant à l’aspect juridique,
elle le balaie d’un trait, « la France
n’ayant eu aucun problème à rati-
fier une directive européenne de
2011 sur les abus sexuels commis
contre les enfants basée sur le
même article du traité ». La France
a en outre ratifié la convention
d’Istanbul sur les violences contre
les femmes qui prévoit explicite-
ment cette notion de consente-
ment, ajoute la députée, assez peu
optimiste sur les négociations qui
reprendront fin janvier.
Pour Audrey Darsonville, pas
besoin de chercher très loin
les raisons du rejet français. « Il y a
une réticence d’ordre culturel avant
tout, et on en a la parfaite
illustration avec les récents com-
mentaires du président sur l’affaire
Depardieu », déplore-t-elle. Mais,
ajoute-t-elle, la France devient
« minoritaire en Europe » : de plus
en plus de pays, comme la Belgi-
que en 2022, ont fait le choix d’in-
troduire cette notion de consente-
ment. ■
EN BREF
Études de santé :
le gouvernement devra
revoir des modalités
d’accès en 2e année
Le gouvernement devra revoir
d’ici juin une partie des
modalités de sélection des
étudiants admis en deuxième
année d’études de santé car le
décret paru en 2019 est imprécis
et donne trop de marge de
manœuvre à chaque université,
a décidé le Conseil d’État.
Délais d’audiencement
trop longs : un meurtrier
condamné en première
instance remis en liberté
La chambre de l’instruction
de la cour d’appel de Nancy a
remis en liberté le 21 décembre
un trentenaire condamné en
première instance pour
meurtre, en raison de délais
d’audiencement dépassés pour
fixer la date de son procès
d’appel. Kevin Boulesteix a été
condamné à 18 ans de réclusion
criminelle pour le meurtre
de son cousin par alliance,
Logan Schmidt, 22 ans, tué
de trois balles en pleine rue
à Sarreguemines (Moselle)
en juin 2019.
Emmaüs : la préfecture
ordonne la fermeture
d’une communauté
en grève depuis six mois
La préfecture du Nord a
ordonné mercredi la fermeture
de la Halte Saint-Jean,
communauté Emmaüs dont
des compagnons sont en grève
depuis six mois pour dénoncer
leurs conditions de travail et
demander leur régularisation.
Les lieux doivent être mis aux
normes en raison d’anomalies,
notamment en matière de
sécurité incendie. La préfecture
souligne que cet arrêté « est
A
bien une mesure de protection et
non une mesure d’expulsion ».
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO

8 SCIENCES
Un nouvel
antibiotique contre
de graves infections
nosocomiales
Identifié parmi 45 000 composés, le zosurabalpin
cible une bactérie particulièrement résistante.
ELISA DORÉ edore@lefigaro.fr
RECHERCHE Face à l’utilisation
massive des antibiotiques, les
bactéries développent sans cesse
de nouvelles stratégies de défense
pour s’en protéger, au point d’y
devenir parfois complètement ré-
sistantes. Contre ces bactéries, les
traitements fonctionnent de
moins en moins, laissant de nom-
breux patients dans une impasse
thérapeutique. Chaque année,
cette antibiorésistance serait di-
rectement impliquée dans 1,3 mil-
lion de décès à l’échelle mondiale.
Les souches « multirésistantes »
sont les plus problématiques car
elles acquièrent une résistance à
plusieurs familles d’antibiotiques.
C’est majoritairement le cas des
bactéries Gram négatives (Gram-)
dont fait partie Acinetobacter bau-
mannii qui frappe surtout en mi-
lieu hospitalier. Cette bactérie est
à l’origine d’infections incluant
des pneumonies, des méningites
et des infections urinaires. Consi-
dérée comme une menace sérieu-
se par l’OMS, elle fait partie des
pathogènes dits « ESKAPE » qui
échappent efficacement à l’activi-
voire impossible, le passage des
antibiotiques, y compris du car-
bactéries, les traitements
bapénème, utilisé en dernier re-
cours en milieu hospitalier. Tout
l’intérêt de la nouvelle molécule
identifiée par les chercheurs est
qu’elle est capable de déjouer ce
mécanisme de protection en s’at-
taquant directement à ces compo-
sants membranaires.
Test sur des échantillons
in vitro
Pour l’identifier, les chercheurs
ont criblé près de 45 000 compo-
sés candidats. C’est l’objet de la
première étude publiée dans Na-
ture. Plus particulièrement, ils
ont ciblé une classe de molécules,
des peptides macrocycliques
(MCP) qui ont la particularité
d’avoir un poids moléculaire su-
périeur à la plupart des antibioti-
ques, et donc une plus grande ca-
pacité à traverser la membrane
des bactéries résistantes. En les
testant un à un sur des échan-
tillons in vitro et des modèles
animaux infectés par A. bauman-
nii, ils ont ensuite éliminé celles
qui se révélaient inefficaces.
Contre certaines
fonctionnent de moins
en moins, laissant
de nombreux patients
dans une impasse
thérapeutique.
VILEVI - STOCK.ADOBE.COM
« Petit à petit, nous avons fini par
sélectionner une molécule capable
de tuer les bactéries mais qui in-
duisait aussi des effets toxiques
chez des souris malades. Néan-
moins, en modifiant sa structure
chimique, nous avons réussi à
supprimer ces propriétés toxiques
pour aboutir à ce nouveau compo-
sé que nous avons nommé le zosu-
rabalpin », raconte Kenneth Bra-
dley. Chez des rats malades, ce
candidat a permis de détruire la
plupart des souches résistantes
d’A. baumannii responsables
d’infections de type pneumonie,
et donc d’améliorer les symptô-
mes des animaux.
Dans la seconde publication, les
auteurs identifient le mode d’ac-
tion par lequel ce composé agit. La
particularité du zosurabalpin est
qu’il cible le complexe protéique
(LptB2FGC) impliqué dans le
transport des molécules LPS chez
A. baumannii. D’ordinaire, ce
complexe permet l’apport des
molécules lipidiques vers la surfa-
ce bactérienne et est donc indis-
pensable à la consolidation de la
membrane externe. « En inhibant
ce complexe, le zosurabalpin déré-
gule le transport des LPS qui s’ac-
cumulent alors à des niveaux toxi-
ques pour la bactérie et finissent
par la détruire », explique Ken-
neth Bradley.
Feu vert pour des essais
cliniques de phase I
Point fort : contrairement à la
grande majorité des antibiotiques,
ce nouveau composé n’a pas be-
soin d’atteindre le cœur de la bac-
térie, son cytoplasme, pour être
efficace. « Mais il ne peut agir qu’en
présence de molécules LPS, souli-
gne Éric Oswald, professeur de
bactériologie à l’université de
Toulouse. Or, des études ont mon-
tré que la bactérie A. baumannii est
capable d’interrompre la synthèse
de ce composant en cas de menace,
sans pour autant perdre sa viabilité.
Cela laisse d’emblée présager une
capacité à détourner le mode d’ac-
tion de ce médicament », ajoute le
professeur. L’autre inconvénient
est que le zosurabalpin agit a priori
uniquement contre la bactérie
A. baumannii, car il vise son com-
plexe protéique particulier, ce qui
limite son potentiel d’action.
Selon les chercheurs, la décou-
verte de ce mécanisme serait
néanmoins un premier pas vers
l’identification de toute une nou-
velle classe de molécules ciblant

Deux molécules ciblant les staphylocoques

té des agents antimicrobiens. Mais les complexes protéiques trans-
ce statut pourrait bientôt changer. portant les LPS. « La plupart des
C’est en tout cas l’espoir porté par bactéries Gram- comme E. coli,

dorés multirésistants identifiés par une IA

l’équipe conduite par Kenneth responsable d’infections potentiel-
Bradley, chercheur au centre de lement fatales chez l’humain, de-
recherche et de développement viennent excessivement sensibles en
Roche (Suisse), et Daniel Kahne, l’absence de ces constituants mem-
chercheur à l’université de Har- DANS une étude parue le 20 dé- cela a permis pour identifier un staphylocoques, présentant des

« scientifiques
vard, qui vient d’identifier une
nouvelle molécule, le zosurabal-
pin. Dans deux études parues dans
Nature, les auteurs démontrent
son efficacité chez des souris in-
fectées. Des premiers essais clini-
ques de phase I chez l’humain sont
également en cours.
Comme la plupart des souches
Gram-, la capacité d’A. baumannii
à échapper à l’action antibiotique
repose en partie sur sa structure.
Sa membrane, constituée d’une
double couche interne et externe,
renferme de grosses molécules li-
pidiques, les lipopolysaccharides
(LPS), qui rendent très difficile,
Les cembre dans Nature, des cher-
cheurs du MIT, à Boston, ont
identifié de nouvelles substances
ont nourri l’IA aux propriétés antibiotiques après
avec 39 000 avoir passé au crible 12 millions de
molécules grâce à une intelligence
composés artificielle. Ces composés seraient
dont la efficaces pour traiter les infections
structure dues à une bactérie résistante à la
méticilline, le staphylocoque doré
chimique (Staphylococcus aureus). C’est la
et les effets première étude à utiliser un mo-
sur trois types dèle d’apprentissage pour prédire
l’activité antibiotique de compo-
de cellules sés ainsi que leur cytotoxicité.
humaines sont Une petite révolution étant donné
déjà connus » le gain de temps et d’argent que
candidat alternatif crédible aux
antibiotiques existants.
Dans un premier temps, les
scientifiques ont nourri l’IA avec
39 000 composés dont la structure
chimique et les effets sur trois ty-
pes de cellules humaines (issues
du foie, du muscle squelettique et
des poumons) sont déjà connus.
Une fois entraîné, le modèle a
réussi à prédire la toxicité et les
propriétés antimicrobiennes de
12 millions de composés cibles.
Après une forte sélection,
280 composés ont ainsi pu être
testés en laboratoire sur des ron-
geurs infectés par des souches de
atteintes cutanées typiques. Parmi
ces composés, deux candidats se
sont révélés prometteurs en ré-
duisant d’un facteur 10 la popula-
tion de bactéries infectieuses.
Selon les mêmes travaux, ces
composés nouvellement identi-
fiés viendraient perturber le gra-
dient électrochimique à travers
les membranes bactériennes, un
mécanisme essentiel à leur capa-
cité de reproduction. Cette pro-
priété, jusqu’à présent méconnue
chez ces composés, présente
l’avantage d’épargner l’équilibre
électrochimique présent dans les
cellules humaines. ■ E. D.
branaires. Le potentiel de ces molé-
cules est donc très intéressant »,
souligne Éric Oswald. Les scienti-
fiques ont d’ores et déjà obtenu le
feu vert pour des essais cliniques
de phase I, impliquant 64 partici-
pants sains volontaires. Pour le
moment, il semblerait que le zosu-
rabalpin soit bien toléré chez l’hu-
main, mais ces résultats sont très
préliminaires (et pas encore pu-
bliés). D’autres essais cliniques
devront permettre de vérifier l’ef-
ficacité de ce traitement et d’éva-
luer ses effets secondaires au long
terme. Le zosurabalpin ne sera
donc pas disponible avant plu-
sieurs années. ■

La sonde Juno observe Io,

sulfureuse lune de Jupiter
TRISTAN VEY£@veytristan
IO EST UN MONDE infernal. De la
taille de notre lune, le plus proche sa-
tellite de Jupiter est littéralement dé-
chiré de l’intérieur par les forces de
marée exercées par la géante gazeuse.
Cela génère de fantastiques quantités
de chaleur qui liquéfient ses entrailles.
La surface est ainsi en éruption perma-
nente, et des centaines de volcans ac-
tifs ne cessent de cracher du magma.
Des rideaux de lave de 50 km de long
et de 1 km d’altitude ont par exemple
sonde Juno, en orbite depuis 2016
autour de Jupiter, a effectué le 30 dé-
cembre un survol rapproché à
1 500 km d’altitude seulement. La Nasa
a en effet profité de l’extension de la
mission pour effectuer ces survols à
hauts risques. L’image ci-contre est
l’un des clichés pris à cette occasion.
On peut y voir avec une netteté im-
pressionnante des formations gigan-
tesques « qui mesurent 10 à 15 km d’al-
titude, commente Gabriel Tobie,
directeur de recherche CNRS au Labo-
ratoire de planétologie et géoscience à
Nantes. On ne comprend pas comment
NASA/JPL-CALTECH/SWRI/MSSS/TED STRYK

été observés dans les années 1990 par
la sonde Galileo. Les panaches de gaz et
de poussières émis par ces mégavol-
cans peuvent s’élever à plusieurs cen-
taines de kilomètres.
Se rendre sur place, ou à proximité,
est donc périlleux : tout engin doit tra-
verser ou naviguer dans le disque de
matériau éjecté par les centaines de
millions d’années de cette activité vol-
canique ininterrompue. Il faut aussi
affronter le champ magnétique très in-
tense et les particules accélérées à très
A
des reliefs aussi élevés peuvent subsister
sur un corps de cette taille avec un inté-
rieur aussi chaud. On s’attendrait à ce
qu’ils “coulent” et se relaxent, mais ce
n’est pas le cas. Ils conservent même cet
aspect anguleux étonnant. » Entre ces
montagnes, de grandes plaines très
plates sont probablement le résultat de
gigantesques épanchements de lave.
« La surface d’Io, poursuit le cher-
cheur, est globalement très jeune, à pei-
ne quelques millions d’années, et recou-
verte de soufre, ce qui donne cette teinte

haute vitesse qui y circulent. Mais la jaunâtre orangée. » ■


SPORT
Charles Caudrelier : « Les conséquences
de la moindre erreur seront énormes »
Le vainqueur de
la Route du rhum
2022 sera au
départ, dimanche,
de la nouvelle
course autour du
monde en Ultim.
PROPOS RECUEILLIS PAR
MARTIN COUTURIÉ
mcouturie@lefigaro.fr
ET GILLES FESTOR gfestor@lefigaro.fr
VOILE Ils seront six, ce dimanche à
Brest, au pied d’un nouveau défi.
Dont Charles Caudrelier, qui, après
avoir remporté la Route du rhum
2022 sur le Maxi Edmond de Roths-
child, rêve d’un doublé suprême, en
remportant l’Arkéa Ultim Challen-
ge, cet inédit tour du monde dispu-
té en course sur les trimarans Ul-
tim, ces mastodontes des océans.
De passage au Figaro avant les fê-
tes, le Parisien de naissance, 49 ans,
décrypte les enjeux et les incon-
nues de cette circumnavigation
hors norme. « C’est un sacré chal-
lenge », résume-t-il.
LE FIGARO. - Comment allez-vous
aborder mentalement cette course
autour du monde ?
Charles CAUDRELIER. – Je vais sû-
rement avoir du stress pour la
compétition, mais je n’ai pas peur
du parcours. L’inconnu en revan-
che, c’est moi tout seul sur 45 jours
avec la fatigue. Mon maximum en
mer en solo, c’est 26 ou 27 jours sur
le circuit Figaro. Je sais donc que ça
va être dur. Il y a des marins qui ont
déjà fait l’exercice plusieurs fois,
leur expérience sera un atout.
Après, même si je n’en ai pas fait
beaucoup, je me suis toujours senti
à l’aise en solitaire, je n’ai jamais
trouvé le temps long. Et je suis le
marin qui a le plus navigué sur son
bateau, sur ces Ultim en mode vo-
lant. Cela dit, les autres ont mainte-
nant aussi beaucoup navigué et
sont de plus en plus à l’aise…
“ce Depuis trois ans, tout
qu’on fait à l’échelle
du bateau, ce sont
des sprints, et là on va
”
passer au trail
CHARLES CAUDRELIER
Quels enseignements tirez-vous
de la dernière Transat
Jacques Vabre en double, que vous
avez terminée à la 3e place ?
C’était une bonne course d’entraî-
nement qui a permis de voir le po-
tentiel des bateaux. Nous avons eu
pas mal de problèmes techniques,
dont la casse d’un safran deux mi-
nutes après le départ, et cela nous
a rappelé que ça pouvait arriver.
J’ai pas mal bricolé. Sur une cour-
se, soit on gagne, soit on apprend.
J’ai appris qu’il vaut mieux ralen-
tir rapidement pour réparer et fai-
re les choses bien tout de suite que
bidouiller et attendre le moment
idéal, parce que cela peut vite em-
pirer. Je suis sûr qu’on ne va pas
passer ce tour du monde sans sor-
tir la caisse à outils. Il faut savoir
gérer ces moments-là, accorder
du temps au bateau, quitte à être
ensuite un peu fatigué. Les ba-
teaux sont très proches en poten-
tiel, les marins aussi. La difficulté,
ça va être de placer le curseur au
bon niveau et de bien gérer son
bateau sur la durée.
Comment allez-vous faire
pour bien positionner le curseur ?
On a fait deux tentatives de tour du
monde avortées pour des problè-
mes techniques. Je connais bien
mon bateau, je sais quand il souffre
ou pas. Je vois donc le rythme qu’il
est capable de supporter. Il va fal-
loir se tenir à ça. Je pense qu’il ne
faut pas s’enflammer. Depuis trois
ans, tout ce qu’on fait à l’échelle du
bateau, ce sont des sprints, et là on
va passer au trail. Il faut bien
connaître son bateau, les limites,
faire attention. Il va falloir être re-
posé et bien gérer son sommeil
parce que la fatigue peut vite te fai-
re faire des erreurs. Ce sont des ba-
teaux très complexes, le moindre
petit truc que tu oublies peut avoir
des conséquences lourdes. Je pense
qu’il faut aussi changer de rythme
dans les manœuvres et prendre
plus de temps. Sur la Route du
rhum, pour gagner des minutes
face à François (Gabart), j’ai effec-
tué des manœuvres qui se sont bien
passées, mais qui étaient risquées. Il
va falloir, à un moment, ne pas re-
garder le classement et se concen-
trer sur soi-même, être patient. Je
suis sûr que cela ne peut pas passer
au rythme auquel on navigue
aujourd’hui sur les courses.
Vous attendez-vous
à ce que certains partent à fond
dès le départ ?
C’est souvent moi qui tartinais et
imposais le rythme dans les courses
précédentes… Armel (Le Cléac’h) a
fait trois tours du monde, qu’il a fi-
nis en rentrant avec un bateau à
chaque fois nickel, donc ce n’est
pas du hasard. Thomas (Coville) est
un assez bon gestionnaire aussi.
Tom (Laperche) a la fougue de la
jeunesse. C’est peut-être lui qui va
mettre le feu parce qu’il se pose
moins de questions. Ou alors il va
avoir peur parce que, justement, il
ne sait pas… On va sans doute tous
se caler les uns sur les autres, mais,
après, il y aura les faits de course. Il
y en aura forcément un qui va met-
tre un peu plus de rythme et c’est
celui-là qui va gagner… ou casser.
(Rires.)
Quels sont les points forts
de votre bateau ?
J’ai une grande confiance dans sa
fiabilité et sa capacité à passer le
tour du monde. Il est très solide,
polyvalent, à l’aise dans la mer et
facile. Comme on a beaucoup tra-
vaillé sur le pilote automatique,
cela nous permet aussi d’être per-
formants en solitaire. Ses points
faibles, comme pour les autres, ce
sont les appendices et le système de
gouvernail, qui peuvent être victi-
mes d’avaries lors de chocs.
Alors que votre bateau a longtemps
dominé, et que la construction
de son successeur débute,
pensez-vous avoir toujours
un avantage en solitaire ?
Je me sens assez confiant, je pense
que j’ai une des meilleures armes.
LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024
9
Je suis passé quatre fois là-bas,
dont trois lors du tour du monde
en équipage avec escales (Volvo
Ocean Race, la quatrième en mo-
nocoque 50 pieds). Les trois fois,
c’était en mode course, à des
rythmes que personne n’a jamais
fait parce qu’on était en monoco-
que monotype et avec des
concurrents à vue. Je possède
donc l’expérience de pousser un
bateau dans les mers du Sud. Je
ne pense pas que je me ferai plus
peur cette fois-ci.
C’est là-bas que les bateaux
vont le plus souffrir ?
L’océan Indien est souvent très
mauvais, parce qu’il y a beau-
coup de courant et une mer ha-
chée. Mais, souvent, les bateaux,
tu les casses beaucoup plus près
de chez nous, dans le golfe de
Gascogne. Avec les plateaux
continentaux, c’est très actif,
dynamique, il y a beaucoup de
changements de vent. Dans le
Grand Sud, si tu te retrouves de-
vant une dépression qui te pous-
HUIT PASCAL/PRESSE SPORTS
se, tu peux avoir une super mer.
Après, si tu passes derrière, ef-
fectivement c’est casse-bateau…
Le vainqueur sera celui
qui cassera le moins ?
Cela va jouer, oui. C’est comme le
Paris-Dakar, il faut avoir la bon-
ne voiture, mais aussi finir. Il ne
faut pas prendre le mauvais nid-
meil, de l’alimentation et de la fati- de-poule. Mais j’espère que les
gue mentale. Parce que c’est usant bateaux sont arrivés à une certai-
d’aller vite si longtemps. Lorsqu’il ne maturité, qui fera qu’il y aura
y a moins de vent et que ça ralentit, quand même un match.
tu te dis que ça fait vraiment du
bien. Quand tu es tout le temps à Le risque existe-t-il qu’aucun
30-35 nœuds, avec le bruit, ça use. bateau ne soit à l’arrivée ?
Si cela arrive, il ne faudra pas
Comment bien gérer son sommeil ? dire : « C’est nul », mais : « On a
Ma règle, en solitaire, c’est : dès essayé de faire un truc qui est tel-
que je peux dormir, je dors. Parce lement difficile qu’on n’a pas
qu’il y a toujours un moment où tu réussi et on y retournera, et on y
vas te faire dépasser par les évé- arrivera un jour »… Si aucun ba-
nements ou par des faits de cour- teau n’est à l’arrivée, est-ce que
se. Si tu es déjà en dette de som- ce serait pour autant un échec ? Il
meil, tu t’épuises, et l’épuisement faut que les gens comprennent
provoque des erreurs. Fatigué, que la voile est un sport mécani-
comme mon cerveau ne fonction- que, que c’est très engagé, que les
ne pas bien, je peux faire des gros- Ultim dépassent les 40 nœuds et
ses boulettes. J’ai donc pour ob- vont en moyenne deux fois plus
jectif de dormir au moins 6 heures vite que les monocoques du Ven-
par 24 heures, avec des créneaux dée Globe. La vitesse, ça aug-
de 1 h 30 quand il ne se passera pas mente les risques de casse à cha-
FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO
grand-chose. Moins de 5-6 heu- que impact. À chaque problème,
res par jour, tu deviens fou. C’est
risqué, voire même une erreur.
Quand tu fais une boulette sur un
les efforts sont monstrueux.
Si vous le remportez, ce sera votre
Figaro Beneteau ou un Imoca, tu plus belle victoire de navigateur ?
peux la récupérer. Sur un Ultim, Ce sera un grand moment parce
les conséquences sont énormes. que ce n’est pas anodin. Les tours
du monde, Vendée Globe et Tro-
phée Jules Verne, m’ont beau-
En haut : le multicoque
Gitana-Edmond
de Rothschild,
Si je devais choisir un bateau, je
choisirais le mien. Après, je suis
conscient que les autres ont pro-
“deJ’aidormir
pour objectif
au moins
coup inspiré quand j’étais jeune.
C’est ce que j’avais envie de vivre
et que je n’ai jamais fait en soli-
taire. Donc, oui, je pense que tout
6 heures par 24 heures,
du skipper français gressé et osent plus pousser désor- marin qui va couper la ligne, peu
Charles Caudrelier avec des créneaux
mais. Et, si vous me demandiez un importe sa place, va lever les bras
(ci-dessus), seul favori, je dirais Armel (Le Cléa- de 1 h 30 quand parce que ça va être un grand
lors d’un entrainement c’h). Son bateau est aujourd’hui le il ne se passera pas moment. Même si tu n’as pas ga-
au large de Lorient
plus polyvalent, avec des points gné, tu auras fait quelque chose
”
(Bretagne), grand-chose
le 30 septembre 2023. forts au portant. Et son équipe a une de beau. Il y a le résultat et la ma-
CHARLES CAUDRELIER
grosse expérience sur les tours du nière, ça compte parfois autant.
monde, elle en a déjà fait deux avec Mais c’est sûr que je lève plus fa-
Armel (en monocoque, NDLR). Vous avez fixé l’objectif d’effectuer cilement les bras si j’ai gagné…
Bio
EXPRESS
Quand ils construisent un bateau,
ils ne sont jamais très innovants,
mais la fiabilité, l’efficacité et la
ce tour du monde en 45 jours…
Je prends 45 jours de nourriture.
En fonction de la météo, ce sera
(Rires.) ■
simplicité sont au rendez-vous. Le entre 40 et 50 jours. Mais, les 50, il
26 février 1974 bateau de Tom (Laperche) est ex- y a quelque temps, ce n’était déjà
Naissance à Paris. cellent dans certaines conditions, pas facile. Dès le départ, on va ZOOM
2004 mais on ne sait pas trop comment il pouvoir dire si on a perdu 3 ou
Vainqueur de la se comporte en solitaire et, dans la 4 jours sur les chronos des records Ligue 1 : 8 mois de prison
Solitaire du Figaro. mer formée, il a du mal. Celui de parce que là nous avons une date avec sursis pour Atal
2009, 2013 et 2021 Thomas (Coville), on ne l’a pas trop de départ imposée (au contraire Youcef Atal, international
Triple vainqueur vu, cette année. Pour l’instant, il des tentatives de records, NDLR). algérien de l’OGC Nice,
de la Transat Jacques est toujours en déficit de vitesse En course, tu ne choisis pas tou- a été condamné mercredi
Vabre (en double). dans de nombreuses conditions, jours ton rythme quand tu as des à 8 mois de prison avec sursis
2017-2018 avec des gros trous, et je pense qu’il concurrents. À certains moments, et à 45 000 euros d’amende.
Vainqueur de la Volvo n’est pas facile. Les deux autres ba- si tu veux aller cool et qu’un pous- Il était poursuivi
Ocean Race teaux, ceux d’Anthony (Marchand) se, tu sais que tu ne peux pas te pour provocation à la haine
en tant que skipper. et d’Éric (Péron), sont plus d’an- permettre d’être décroché. Pour à raison de la religion pour avoir
2018 cienne génération, donc avec un moi, un rythme de course est tou- partagé le 12 octobre sur son
Reçoit le prix gros delta de vitesse. Leur atout, jours plus élevé qu’un rythme de compte Instagram (3,2 millions
de Marin de l’année c’est leur fiabilité. record. Mais nous avons des d’abonnés) une vidéo appelant
décerné par la FFV. contraintes en plus, comme le à « un jour noir sur les juifs ».
2022 Le physique peut-il être décisif tracé, avec des points de passage Le défenseur n’est plus réapparu
Vainqueur de la Route pour la victoire ? obligés pour éviter de se retrouver sous le maillot des Aiglons
du rhum en battant Physiquement, on est tous bien face à des icebergs. depuis, suspendu « jusqu’à
le record de l’épreuve préparés et, si on gère correcte- nouvel ordre » par son club,
A
en 6 jours, 19 heures ment, cela va le faire. Le plus com- Connaissez-vous bien puis pour 7 matchs par la LFP,
et 47 minutes. pliqué va être la gestion du som- les mers du Grand Sud ? sanction désormais purgée.
Jeudi 4 Janvier 2024 le figaro
10 LE CARNET DU JOUR
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- Le temps et ses avatars
Etienne Klein,
- La valeur des personnes
Nathalie Heinich,
- Pourquoi se raconte-t-on
des histoires ?
Michel Eltchaninoff,
- L'art de la dispute
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- Stoïcisme et épicurisme
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- La psychologie de l'individu
contemporain
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Les conférences ont lieu
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deuils
Karine Massé-Allegrini,
sa fille,
Christian Brincourt,
son compagnon,
tous ses amis,
ses collaborateurs du Club Med
ont l'immense tristesse
de vous faire part du décès de
Annie-Claude ALLEGRINI
le 30 décembre 2023,
à l'âge de 79 ans.
Une bénédiction aura lieu
le lundi 8 janvier 2024,
à 15 heures,
au cimetière du Montparnasse,
Paris (14e).
Barville (Orne).
Marie-Christine Barthélemy,
son épouse,
ses enfants et petits-enfants,
ses frères, beaux-frères
et belles-sœurs
ont la douleur
de faire part du décès du
docteur Gilles BARTHÉLEMY
survenu le 1er janvier 2024.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
en l'église Saint-Gilles,
au Mêle-sur-Sarthe, le vendredi
5 janvier 2024, à 14 h 30.
Isabelle et Pierre Piffeteau,
Véronique et Bruno Gendre,
Philippe et Laurence Bataille,
Bénédicte et Xavier Piquart,
ses enfants,
Anne-Sophie et Sébastien
Chevalier,
Thibaut et Alexandra d'Arailh,
Fabienne et Iain Wooldridge,
Nicolas et Anaïs Gendre,
Ludivine et Vincent Mathieu,
Marie et Louis-Timothée
de Villèle,
Clément et Anaïs Auban,
Emmanuel,
Guillaume,
ses petits-enfants
et leurs conjoints,
ses quatorze
arrière-petits-enfants
ainsi que toute la famille
ont la douleur
de vous faire part du décès de
Georges BATAILLE
survenu le 31 décembre 2023,
à l'âge de 99 ans.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le lundi 8 janvier 2024,
à 14 heures,
en l'église de Vigoulet-Auzil
(Haute-Garonne).
Joëlle et Patrick Métayer,
ses amis,
et toute sa famille
ont la douleur
de vous faire part du décès de
M. Jean-Claude BOURNET
survenu
le lundi 25 décembre 2023,
dans sa 75e année.
La cérémonie civile aura lieu
le lundi 8 janvier 2024,
à 16 heures,
suivie de la crémation
au crématorium du cimetière
du Père-Lachaise,
71, rue des Rondeaux,
à Paris (20e), où l'on se réunira.
Ni fleurs ni couronnes.
2, place du Général-Leclerc,
94130 Nogent-sur-Marne.
« Le chagrin de l'avoir perdue
ne doit pas nous faire oublier
le bonheur de l'avoir connue. »
Son père,
Paul Dubrule,
ses enfants,
Noémie Lutier Dubrule,
Rudy Lutier Dubrule,
Simon Lutier Dubrule,
ses petits-enfants,
Rose, Emma et Elise Lutier,
ses sœurs,
Eléonore Mueth,
Ambre Baricault,
son frère par alliance,
David Poteaux-Razel,
ainsi que toute sa famille,
ses proches et ses amis
ont le profond chagrin
de faire part du décès de
Mme Laurel DUBRULE
survenu le 27 décembre 2023.
La cérémonie a eu lieu
à Genève (Suisse).
Jean et Pascale Casati-Ollier,
Ivan (†) et Bénédicte
de Saint-Pierre,
Louis et Sophie
Parjadis de Larivière,
Philippe et Sophie Chevalier,
Thomas et Dorothée Saugnac,
ses enfants,
Jérôme et Sophie Permingeat,
Charles et Lætitia de Roincé,
Agathe Casati-Ollier,
Gildas et Constance Frémont,
Augustin et Casilda d'Hotelans,
Vincent et Laure
Grandchamp des Raux,
Christophe de Saint-Pierre
et Agathe Houssin,
Daphné de Saint-Pierre,
Eugénie Parjadis de Larivière,
Théophile
Parjadis de Larivière (†),
Christophe et Apolline Jubert,
Juliette Parjadis de Larivière,
Margot Chevalier,
Tanguy Chevalier,
Mathis Chevalier,
Victoire Saugnac,
Quiterie Saugnac,
Diego Saugnac,
ses petits-enfants,
Philothée, Hélie, Hector,
Robinson, Ivana, Anna, Olivier,
ses arrière-petits-enfants,
ont la grande tristesse
de vous faire part, dans
l'espérance de la Résurrection,
du rappel à Dieu de
Jean-François CHEVALIER
le mercredi 3 janvier 2024,
dans sa 92e année.
Il a rejoint son épouse,
Mme Jean-François Chevalier
née Agnès Roy,
décédée le 13 juin 2015.
La messe d'À-Dieu
sera célébrée en l'église
Saint-Pierre de Roumoules
(Alpes-de-Haute-Provence),
le samedi 6 janvier 2024,
à 14 h 30, suivie de l'inhumation
au cimetière de Roumoules.
Une messe sera dite
ultérieurement en l'église
Notre-Dame-de-l'Assomption,
à Paris (16e).
La Ferté-Vidame
(Eure-et-Loir).
M. Jacques Dussutour,
son époux,
Marie-Ange, sa fille,
Bernard Guilpin,
son gendre,
ses petits-enfants,
ses arrière-petits-enfants
et toute la famille
ont la tristesse
de vous faire part du décès de
Mme Anne-Louise
DUSSUTOUR
née Philouze,
survenu le 30 décembre 2023.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le lundi 8 janvier 2024, à 14 h 30,
en l'église de La Ferté-Vidame,
suivie de l'inhumation
dans l'intimité.
Condoléances sur registre.
Ni fleurs ni plaques.
Des dons sont possibles
pour la Ligue contre le cancer
et Lions Alzheimer.
La famille remercie
toutes les personnes
qui s'associeront à sa peine.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Fabienne Geneste,
née Pinchon, son épouse,
Mathilde, Alix et Claire,
ses filles,
en union avec
Françoise et Bernard
Geneste (†),
ses parents,
Pascale et Hervé Thiard,
sa sœur et son beau-frère,
Louise, Paul-Henry
et Gabrielle,
ses nièces et neveu,
Geneviève et Michel Pinchon,
ses beaux-parents,
ont l'immense tristesse
de faire part du décès de
Eric GENESTE
survenu le 31 décembre 2023,
à l'âge de 57 ans,
à son domicile.
La cérémonie religieuse
sera célébrée en l'église
Saint-Pierre, à Senlis,
le samedi 6 janvier 2024,
à 10 h 30.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Ferme de Chamicy,
60810 Rully.
Mme Gilles Laraison,
née Gwénola Huguenin,
son épouse,
Philippe et Elsa Laraison,
Cyril et Delphine Colas,
ses enfants,
Philippe, Maxence, Raphaël,
Jules, Balthazar, Sacha,
Sébastien,
ses petits-enfants,
ont la douleur
de vous faire part
du rappel à Dieu de
M. Gilles LARAISON
dans sa 86e année.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le samedi 6 janvier 2024,
à 11 heures, en l'église
de Sainte-Marie-sur-Mer
(Loire-Atlantique),
suivie de l'inhumation
au cimetière.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Sèvres (Hauts-de-Seine).
Le docteur Jean-Charles
Le Balle,
son époux,
François et Dominique,
Catherine et Julien,
Yves et Aline,
Marie-Hélène (†),
Véronique,
Olivier et Murielle,
ses enfants et leurs conjoints,
ses petits-enfants
et arrière-petits-enfants
ont la douleur
de faire part du décès de
Mme Maryse LE BALLE
née Rapiné,
survenu le 30 décembre 2023,
dans sa 89e année, à Sèvres.
La cérémonie religieuse
sera célébrée en l'église
Notre-Dame-des-Bruyères,
25, rue du Docteur-Roux,
à Sèvres,
le lundi 8 janvier 2024,
à 10 heures,
suivie de l'inhumation
dans la plus stricte intimité
familiale,
au cimetière de Sèvres.
Aubigny-sur-Nère, Arçay
(Cher).
Georges Lefebvre,
son époux,
et toute la famille
vous font part
du rappel à Dieu de
Marie-Noëlle LEFEBVRE
née Callot,
ancienne directrice générale
des différents Intermarché
et Comptoir de la Bio
des Yvelines,
le 30 décembre 2023.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le mardi 9 janvier 2024,
à 10 h 30, en la cathédrale
Saint-Etienne de Bourges,
suivie de l'inhumation
au cimetière d'Arçay.
Selon sa volonté, il est souhaité
des fleurs naturelles.
Pas de plaques.
Une urne sera à disposition
dans la cathédrale
afin de recevoir
des dons au profit
de la recherche sur le cancer.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Lyon.
Véronique et Paul Burguburu,
Côme, Hugo et Noémie, Maylis,
Cédric et Haïlin Lepercq,
Yann, Alexandre et Loan,
Axelle et Laurent Sauzay,
Constance, Romain
vous font part
du rappel à Dieu de
M. André LEPERCQ
le 2 janvier 2024.
La cérémonie religieuse
aura lieu
le lundi 8 janvier 2024,
à 10 heures, en l'église
Saint-Paul, à Lyon (5e),
suivie de l'inhumation,
à 15 h 30, au cimetière
de Traize (Savoie).
Pas de fleurs
mais vous pouvez faire un don
pour Action contre la faim.
Croissy-sur-Seine (Yvelines).
Isabelle, Caroline,
Pierre-Edouard,
En vente
ses enfants,
vendredi 5
et samedi 6 janvier
ses petits-enfants
ses arrière-petits-enfants
ont la tristesse
de faire part du décès de
avec votre Figaro
Mme Isabelle NOËL
née Campos,
veuve de
M. Jacques Noël
survenu le 31 décembre 2023,
à l'âge de 100 ans.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
en l'église Saint-Léonard,
à Croissy-sur-Seine,
le vendredi 5 janvier 2024,
à 10 heures.
Fabrice et Marianne
Perreau-Saussine,
En couverture
Louis Perreau-Saussine,
Emile (†) et Amanda (†)
Perreau-Saussine,
ses enfants et ses belles-filles,
Gaspard, Dimitri, Clara, Alain Finkielkraut
Elisabeth et Martin
Perreau-Saussine,
ses petits-enfants,
ou le courage de la pensée
Jean-Claude Meyer,
Nathalie Bloch-Lainé,
Reportage
Sylvie Pierre-Brossolette,
son frère et ses belles-sœurs,
Avec les Israéliennes
ont l'immense tristesse
de vous faire part
de la disparition de
Marie-Christine en première ligne
PERREAU-SAUSSINE
née Meyer,
Témoignage
le 24 décembre 2023.
La cérémonie religieuse
« Arnaud Beltrame
sera célébrée
le mardi 9 janvier 2024,
à 10 h 30, en la basilique
Notre-Dame-des-Victoires,
à Paris (2e). est mort pour que je vive ! »
Le capitaine de corvette (h.)
Alain-Frédéric Simon,
son époux,
Mme Sylvie Simon,
M. et Mme Frédéric Simon,
M. et Mme Benoît Burgaud,
M. et Mme Luc Daigniez,
M. et Mme
Charles-Guillaume Simon,
ses enfants,
Amélie, Aurélien, Aloïse
et Augustin Sicart,
Thomas, Constance
et Charlotte Burgaud,
Caroline et Alexandre Daigniez,
Mayeul, Clotilde, Domitille,
Spécial livres
Maguelonne et Jeanne Simon,
ses petits-enfants,
Tout sur la rentrée
M. et Mme Sébastien Simon
et leurs enfants,
Mme Suzanne Simon
littéraire
et ses enfants,
M. et Mme Éric Arcelin,
leurs enfants et petits-enfants,
M. et Mme Christian Arcelin,
leurs enfants et petits-enfants,
sa tante,
Mme Alain Barbat du Closel, Cover story
ont la tristesse
de vous annoncer Sandra Hüller
Anatomie d’un succès
le rappel à Dieu de
Mme Alain-Frédéric SIMON
née Françoise Arcelin,
Rencontres
décédée à Mâcon,
le 31 décembre 2023,
Charlotte Casiraghi,
dans sa 83e année, munie
des sacrements de l'Église.
La messe d'obsèques aura lieu
le samedi 6 janvier 2024,
Emmanuelle Devos…
à 10 h 30,
en l'église Saint-Sorlin
de La Roche-Vineuse
(Saône-et-Loire).
Ni fleurs, ni couronnes,
Les éditions du Figaro
des messes.
remerciements
Cabris (Alpes-Maritimes).
Michel, Jacques
Cavallier-Belletrud,
ses fils,
Claire, Nicole,
ses belles-filles,
Camille, Clémence,
ses petites-filles,
Jacqueline Maccini,
Denise Piasco,
ses sœurs,
Bernard Maccini,
son neveu,
Christian Milheau,
très sensibles aux marques
de sympathie, d'affection
et d'union dans la prière que
Le Figaro Jeux :
vous leur avez témoignées
lors du décès de 100 mots fléchés
Marie-Madeleine En vente actuellement
CAVALLIER-BELLETRUD
« Maryse », En vente chez votre marchand de journaux
vous expriment
et sur www.figarostore.fr
leurs sincères remerciements.

Jean Chichizola
Envoyé spécial à Aurigny
lanté dans la Manche, au large du Co-
P
tentin, Aurigny est un roc de quelques
kilomètres carrés où l’histoire affleure
à chaque pas. Celle de l’antique mé-
sentente cordiale, d’abord. Car Auri-
gny l’anglo-normande est en fait Al-
derney, l’une des « Channel islands »
de Sa Majesté Charles III. Et l’on ne rejoint cette île,
située à 12 km des côtes françaises, qu’après un long
voyage. Nouvelle ironie, plus glaçante, de l’histoire,
l’avion qui vole vers Alderney est sorti des usines
d’un fabricant aéronautique allemand dont, quatre-
vingt-trois ans plus tôt, les bombardiers pilonnaient
Londres…
Alderney, ce « joyau caché », vanté à raison par les
brochures touristiques, fut le théâtre d’un des plus
atroces épisodes de l’histoire du Royaume-Uni. Ici,
sur cette terre large de 2,5 km et longue de 5, se trou-
vent les vestiges des seuls camps nazis établis sur le
sol britannique pendant l’occupation allemande des
îles anglo-normandes de 1940 à 1945. Des lieux de
souffrance et de mort où ont été détenus des tra-
vailleurs esclaves de toutes origines (Russes, Ukrai-
niens, Polonais, républicains espagnols, résistants
normands…), parmi lesquels au moins 590 juifs arrê-
tés en France.
Huit décennies plus tard, la polémique fait rage sur
un point essentiel : le nombre exact de prisonniers et
de morts dans l’île. On compterait de quelques cen-
taines à plusieurs milliers de victimes, selon les
meilleurs spécialistes, et même, selon d’anciens offi-
ciers britanniques, de 40 000 à 70 000 - cette derniè-
re estimation étant jugée « spéculative » par un
connaisseur du dossier… Un groupe d’experts rendra
un rapport au printemps. Il a été créé par lord Eric
Pickles, ancien ministre conservateur, en charge des
« questions post-Holocauste » au Royaume-Uni et
chef de la délégation britannique au sein de l’Alliance
internationale pour la mémoire de l’Holocauste
(IHRA). Onze archéologues et historiens sont à
l’œuvre. Venant du Royaume-Uni, de France, d’Al-
lemagne et du Canada, beaucoup ont déjà travaillé
sur Alderney ou sur la Shoah. Pour lord Pickles, « les
chiffres comptent parce que la vérité compte. Les morts
méritent la vérité ; les habitants d’Alderney méritent
des chiffres précis pour les libérer de la distorsion des
théoriciens du complot. » Un site internet (www.oc-
cupiedalderney.org) a été lancé, et toute personne
souhaitant soumettre des éléments est invitée à le
faire. Quant aux experts, ils se concentrent sur les
archives (allemandes, britanniques, françaises, bel-
ges, néerlandaises…) avec l’aide de l’Institut inter-
national pour la mémoire de la Shoah, Yad Vashem.
Des fouilles archéologiques ne sont pas prévues.
Au-delà du résultat de ses travaux, ce groupe
d’experts aura un double effet positif. Celui de rap-
peler une histoire méconnue et de transmettre une
mémoire dont les derniers détenteurs disparaissent.
Fin juin 1940, la bataille de France est perdue.
Winston Churchill, qui devient en ces jours de folie le
sauveur de la démocratie, décide qu’on ne peut dé-
fendre les îles anglo-normandes. Le 23 juin 1940, à
part quinze personnes, la population d’Alderney est
évacuée. Un véritable traumatisme. « On a averti
mes grands-parents quelques heures avant l’embar-
quement, explique un habitant, ils ne pouvaient em-
porter qu’un bagage et devaient laisser les animaux
domestiques. Mon grand-père a dû tuer son chien. » Le
2 juillet, les Allemands occupent l’île. Fin 1940, Hit-
ler, après l’échec de la bataille d’Angleterre, se tour-
ne vers l’est. Mais reste attaché à « ses » possessions
anglaises.
Un bagne à ciel ouvert
À l’automne 1941, il décide de fortifier les îles anglo-
normandes, puis de construire le mur de l’Atlanti-
que. Le projet est confié à l’Organisation Todt, utili-
sant massivement le travail forcé. Alderney a une
place de choix. Elle compte déjà un réseau de forts de
l’époque victorienne, bâtis face à la France. Si cer-
tains sont réaménagés contre l’Angleterre, il faut bâ-
tir de nouvelles fortifications en béton. Colin Par-
tridge, membre de la commission et expert de
l’architecture et de l’histoire locales, raconte : « Les
Allemands avaient pour les îles un plan de construction
sur huit ans. À Alderney, ils n’ont accompli que 39 %. »
Quand on voit aujourd’hui le nombre impression-
nant de blockhaus, on imagine l’ampleur du projet.
Problème pour les nazis : la main-d’œuvre manque.
On aura donc recours au travail forcé et, de 1942 à
1944, l’île devient un bagne à ciel ouvert. Quatre
camps sont créés, prenant le nom d’îles allemandes :
Sylt au sud, Norderney au nord, Helgoland à l’ouest
et Borkum à l’est.
En février 1942 arrivent les premiers déportés,
plus d’une trentaine de républicains espagnols livrés
par Vichy aux Allemands et détenus à Norderney.
Puis c’est un flux continu de contingents répartis
dans les camps. À Helgoland, des prisonniers de
guerre russes et des civils ukrainiens raflés sur le
front de l’Est en 1941-1942. À Sylt, des déportés rus-
ses, polonais, allemands et d’autres nationalités,
parmi lesquels des « Bibelforscher » (témoins de Jé-
hovah) de Sachsenhausen. À Borkum, des tra-
vailleurs spécialisés allemands, français, belges et
hollandais. En 1943, à Norderney, commandé par
deux SS, Evers et Adler, 590 juifs, majoritairement
époux de femmes non juives, arrivent de France. Ils
sont parqués dans des baraques cernées par des bar-
belés. La même année, 113 détenus, dont environ
deux tiers de Nord-Africains et des victimes de la ra-
fle du Vieux-Port de Marseille, en janvier 1943, sont
transférés. Membre de la commission, auteur de
l’ouvrage « Les Déportés de France vers Aurigny
ENQUÊTE CHAMPS LIBRES
À Aurigny, les camps
nazis sortent de l’oubli
(1942-1944) » (Eurocibles, 2010) et directeur de
Cette petite île l’ONACVG de Loire-Atlantique, Benoît Luc a dé-
nombré dans les archives 855 détenus venus de
anglo-normande France, parmi lesquels deux tiers de Français, le reste
se répartissant en 27 nationalités, dont un Américain
a hébergé, entre 1942 et un Chinois. Les esclaves du Reich sont soumis à
l’enfer : 12 à 15 heures de travail par jour, les coups et
et 1944, les seuls camps les atrocités, les corvées, la malnutrition, les vête-
ments insuffisants, les puces, les poux, les rats, les
de concentration établis maladies… Le tout pour des hommes arrachés à leur
vie et en rien préparés à ce calvaire.
sur le territoire
Disparition des derniers témoins
En mars 1943, une étape dans l’horreur est franchie à
britannique. Mandaté Sylt : le camp devient un « kommando » du camp de
concentration de Neuengamme, avec l’arrivée de SS
par le Royaume-Uni, et de 1 000 détenus. C’est en cette année 1943 que
l’on aurait atteint l’effectif maximum de captifs, soit
un groupe d’experts de 5 000 à 6 000. Vient ensuite le temps de la décrue.
Fin 1943, Helgoland est détruit après le transfert de
va faire la lumière, ses détenus sur le continent. En mai 1944, les prison-
niers juifs sont évacués. Le même mois, des résis-
au printemps, tants normands sont transférés de France, mais, le
25 juin, ils repartent avec l’ensemble des détenus, à
sur le nombre l’exception de quelques dizaines, qui resteront jus-
qu’à la libération de l’île, le 16 mai 1945, huit jours
de détenus ayant vécu,
après la fin de la guerre en Europe. En décembre
1945, après huit mois de déminage et de restauration
de fortune, la population, de retour, découvre une île
et parfois péri, dans ravagée. « Les arbres avaient tous été coupés, raconte
William, un habitant de l’île. Les Allemands avaient
« l’enfer d’Aurigny ». arraché aux maisons tout ce qui était en bois pour se
chauffer : charpentes, portes, fenêtres… » Les côtes,
les prairies, les rues sont truffées de blockhaus. Un
membre des services secrets britanniques, Theodore
Pantcheff, se rend sur les sites des camps détruits,
interroge des témoins et des soldats allemands, quel-
que 3 000 au total. Son rapport de juin 1945 parle de
« crimes systématiques commis sur le sol britannique »
et dresse une liste d’une bonne trentaine de crimi-
nels de guerre allemands. Les Britanniques, mais
aussi les Soviétiques qui se sont rendus place, évo-
quent des centaines ou des milliers de morts. Mais
rien ne vient du côté judiciaire.
En 1949, le procès des deux SS de Norderney,
Aurigny (Alderney) Manche Evers et Adler, devant le tribunal militaire de Paris se
déroule sans que Londres y soit mêlé. Sous le titre
« L’Enfer d’Aurigny », Le Figaro du 22 novembre
1949 évoque un « camp de concentration », « les
Guernesey Cherbourg-
coups qui fracturent les côtes, cassent les dents, flagel-
Herm en-Cotentin
lent les membres déjà squelettiques ». Un ancien déte-
Sercq
Saint-Pierre nu juif parle des deux accusés comme « des sadiques
dont la seule joie est de faire le mal », un autre d’un
Î L E S ANG LO - NOR MAN DE S Barneville- « régime de l’abrutissement progressif scientifique ».
Carterêt Dans cet immédiat après-guerre, Londres semblait
FRANCE
Jersey considérer que ces affaires regardaient les pays
Saint-Hélier
d’origine des victimes… Et se condamnait ainsi à être
hantée par cette histoire pendant des décennies.
Dans l’Alderney de 2023, la trace des camps dé-
Les Minquiers truits par les Allemands avant leur départ est ténue.
Îles Chausey
Un camping a pris la place de Norderney, les piliers
Granville
d’entrée de Helgoland sont devenus le portail d’une
maison particulière, à deux pas d’un tennis-club.
Erquy Saint-Malo Borkum a disparu, à l’exception de deux poteaux et
Cancale
Saint-Brieuc d’une plaque de béton au milieu des prés. Sylt, qui
jouxte l’aéroport, est le plus visible, avec trois piliers
de béton dégagés de la végétation et une plaque pré-
Infographie 20 km sente depuis 2008 : « Ces piliers marquent l’entrée de
LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024
11
L’entrée de l’ancien camp
de concentration Sylt, détruit par
les Allemands en 1944, dans le sud de l’île
d’Aurigny (Alderney pour les Britanniques).
ALAMY STOCK PHOTO VIA ABACA
l’ancien camp de concentration allemand SS Lager-
Sylt. Quelque 400 prisonniers sont morts ici entre
mars 1943 et juin 1944. Cette plaque a été apposée par
d’anciens prisonniers et leurs familles ».
L’île n’a toutefois jamais oublié son passé. Tous les
ans au mois de mai, elle se souvient des déportés. Les
cartes touristiques portent mention de Sylt, mais
aussi du « cimetière russe », où près de 400 person-
nes furent enterrées. Dans l’un des blockhaus
ouverts à la visite, un film détaille l’histoire des
camps. Point d’oubli, donc, mais un phénomène
classique : la disparition des derniers témoins. Et la
peur qu’avec leur mort s’installent l’oubli et l’igno-
rance des nouvelles générations. Pour surmonter
cette crainte, il faut écouter différentes mémoires. La
mémoire juive, bien sûr, soucieuse de rappeler que
cet extrême Occident, ce sol d’une des plus vieilles
démocraties du monde, fut un des lieux de déporta-
tion d’un peuple voué à l’extermination par les nazis
et leurs collaborateurs.
Mémoire des insulaires aussi, lestée d’un terrible
héritage qu’ils n’ont pas choisi. Plusieurs sensibilités
s’expriment à Alderney, du vieil homme, enfant en
1940, qui se dit rassuré par la présence d’un « local »
dans le groupe d’experts, à ce trentenaire jugeant
« que c’est du passé ». Il conviendrait aussi de ne pas
oublier d’autres mémoires, moins présentes : celle
des républicains espagnols, des Russes, des Ukrai-
niens, des Polonais, des Allemands antifascistes,
comme l’incroyable Otto Spehr, déporté dans les
camps allemands dès 1934, arrivé à Sylt en 1943,
évacué en 1944 et qui, après une rocambolesque éva-
sion, finira la guerre à Londres, un micro de la BBC à
la main.
Sondages archéologiques
Le futur rapport du groupe d’experts sera un élément
important de cette transmission des mémoires. Son
président, l’historien Paul Sanders, souhaite qu’il
permette « une communication meilleure et plus éten-
due, avec des chiffres exacts, sur le principal site des
crimes de masse nazis dans les îles anglo-normandes,
car des crimes ont aussi été commis à Jersey et à Guer-
nesey ». Sans oublier le fait de pouvoir « restaurer
l’identité et la dignité de victimes, qui sont souvent res-
tées sans visage ou sans nom ». D’autres projets sont
déjà en chantier comme la mise en place de plaques
pédagogiques sur les sites des camps et sur d’autres
lieux symboliques. En collaboration avec l’IHRA, les
autorités locales songent à des programmes éduca-
tifs, à des expositions… À terme, on voit mal com-
ment l’île pourrait faire l’économie de sondages ar-
chéologiques.
Au-delà des polémiques, des travaux universitai-
res, des hommages officiels, une vérité s’impose : les
déportés de 1942-1944, juifs de Drancy, rescapés de
Teruel, raflés d’Ukraine, les morts de faim, les corps
trébuchants et tombés sous les crosses sont à jamais
partie prenante de cette terre. Pour s’en convaincre,
il faut se rendre un soir de décembre dans le nord de
l’île. Le Hammond Memorial a été créé par une fa-
mille locale qui aujourd’hui encore veille à son en-
tretien. On y trouve un banc très britannique, un
mât des couleurs et des plaques mémorielles en hé-
breu, polonais, russe, français, espagnol et anglais.
Dans la nuit noire, les drisses qui hurlent dans le vent
A
glacé semblent crier leur supplique commune :
« N’oubliez jamais ! » ■
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO

12 CHAMPS LIBRES
DÉBATS

La mondialisation des haines idéologiques

+ » Lire aussi PAGES 2 ET 3 ne année s’achève, Mais, pour les militants des causes guerre, ne s’apparente ni à l’apartheid à la mer », une grosse moitié croyait que

U
l’autre commence
et la guerre de Gaza
se poursuit toujours,
peut-être pour de longs
mois, dans une grande
incertitude sur ses lendemains. Mais
les passions qu’elle a déchaînées loin du
Moyen-Orient continueront longtemps
de réverbérer. À commencer
par les haines idéologiques qu’elle
a pour ainsi dire « mondialisées ».
La haine possède un large répertoire,
comme l’illustre notre expérience
nationale : haines religieuses, sociales,
politiques ; haine du capitalisme,
de la bourgeoisie, de la « démocratie
formelle »… Depuis une trentaine
d’années, c’est la haine de la tradition
occidentale qui prospère. Elle a eu
des antécédents : les préceptes du
marxisme révolutionnaire, les chimères
maoïstes, les injures sartriennes
contre l’Européen colonisateur et les
« chiens » anticommunistes, plus tard
les réquisitoires d’Edward Saïd contre
l’impérialisme culturel de l’Occident.
Aujourd’hui, elle puise ses traits
dans l’islamisme radical
et l’idéologie identitaire. C’est cette
convergence « intersectionnelle », du
fondamentalisme et du progressisme,
qu’on a vu exploser le 7 octobre.
Le délire exterminateur des
terroristes du Hamas est plus facile
à décrire qu’à comprendre.
Qui peut expliquer le mélange
de jubilation et de bestialité avec
lesquelles ils ont éventré, décapité,
démembré, souillé leurs victimes,
vivants et morts, en s’appliquant
à « documenter » leur supplice ?
De semblables atrocités, les nazis
et le régime de Staline les ont commises
à grande échelle, mais en prenant
soin de les dérober à la connaissance
publique. C’est qu’ils les tenaient
pour des crimes. Les assaillants
du Hamas voient, eux, dans
leurs exactions un exploit digne
de célébration.
Les connaisseurs
de l’âme humaine
RAN HALÉVI et de la géopolitique
La convergence entre les luttes dites peinent à interpréter
« progressistes » et le fondamentalisme islamiste le dessein stratégique
et les pulsions
a éclaté au grand jour après le 7 octobre, barbares qui
et des années seront nécessaires pour en réparer présidaient
les dégâts intellectuels, analyse l’historien*. à ce pogrom.
identitaires, la réponse est toute ni à un génocide. Enfin, que cette la rivière, c’était le Nil, et la mer,
trouvée : elle renvoie à l’impératif de focalisation obsessionnelle sur Israël l’Atlantique. Présentés par une carte de
libérer la Palestine « de la rivière à la dénote par contraste l’indifférence la région, les trois quarts se sont ravisés
mer », soit de faire disparaître l’État de ses pourfendeurs à tant de tragédies (plus de 10 % pensaient que Yasser
d’Israël. Le Hamas est devenu le bras qui échappent à leur indignation. Arafat avait été le premier ministre
armé de leur ferveur décoloniale. Eux, Ce sont là des faits. Mais les faits sont d’Israël…). Un sondage de l’Institut
d’ordinaire si sensibles à la moindre inaudibles du moment qu’ils heurtent Harris en décembre révèle que
« microagression », s’accommodaient la logique binaire de l’idéologie les jeunes Américains de 18-24 ans
fièrement de cette féerie macabre, identitaire et ses postulats désormais soutiennent à 51 % le « transfert »
parce qu’elle participait d’une œuvre familiers : nous sommes tous rivés à nos d’Israël au Hamas, mais que les mêmes
de justice contre un ennemi commun : appartenances raciales ou ethniques ; reconnaissent à 69 % qu’Israël est…
non seulement Israël, mais ses toute relation humaine est régie par des « le foyer national du peuple juif » ; 60 %
« auxiliaires » juifs à travers le monde. rapports de pouvoir entre oppresseurs estiment que l’État hébreu commet un
Les manifestations de joie et les torrentset oppressés ; les valeurs dites génocide à Gaza et 70 % qu’il s’efforce…
de haine antisémite qui ont accueilli républicaines - liberté d’expression, d’épargner les civils ; 41 % croient que
l’attaque du 7 octobre ciblaient des Juifspluralisme intellectuel - ne sont que des le régime du Hamas est démocratique,
indistinctement, non pour des actes que instruments aux mains des dominants. qu’il tolère les couples homosexuels
ces derniers auraient commis mais pour L’attaque du Hamas a révélé la force (45 %), tout comme les minorités juive
des atrocités qu’ils venaient de subir. d’attraction et le pouvoir de nuisance et chrétienne (41 %).
de cette nouvelle Les militants progressistes ne
religion culturelle. souffrent pas tous de telles confusions.
« L’attaque du Hamas a révélé
la force d’attraction et le pouvoir
Les foules
qui l’ont célébrée
Et c’est peu de dire que les universités
américaines, phagocytées par la culture
transposaient woke, étaient mal préparées pour gérer
de nuisance de cette nouvelle religion leurs présomptions leurs outrances. Les réponses édifiantes
culturelle. Les foules qui l’ont célébrée idéologiques des présidentes de trois institutions
à l’échelle d’élite devant une commission
transposaient leurs présomptions
»
internationale : du Congrès en disent long sur
idéologiques à l’échelle internationale la « victoire » l’autocensure, la terreur de mal dire
du Hamas était et la prégnance suffocante des préjugés
De l’Europe à l’Amérique et ailleurs, aussi la leur. En écho, une éditorialiste « théoriques » qui rongent les campus.
comme sous l’effet d’un mot d’ordre, « diversitaire » du Washington Post Refuser de reconnaître qu’un appel
la haine s’est « globalisée » : voyait dans la riposte de Tsahal au génocide des Juifs viole le code de
mêmes slogans, mêmes invocations « une revitalisation du traumatisme conduite de leurs établissements, que
victimaires, mêmes appels inguérissable des violences occidentales « tout dépend du contexte », est l’aveu
à l’intifada, même genre d’agression, contre les Africains, les Noirs, d’une faillite morale dont on a pris
d’intimidation, dont les campus les Indiens, les musulmans… ». enfin la pleine mesure. Ces présidentes
américains étaient le principal foyer. Les alarmes qu’ont suscitées ces invoquaient le premier amendement
Elle est devenue l’instrument fureurs décoloniales appellent toutefois qui protège les paroles même les plus
de travail d’une guerre idéologique quelques nuances. Les démonstrations aberrantes. Auraient-elles appliqué
par procuration où les seules actions de haine sont forcément plus ce noble principe à qui aurait appelé
tangibles consistent à s’en prendre retentissantes que les expressions au génocide des Noirs, des lesbiennes
à des individus pour ce qu’ils sont. intimes de solidarité et de compassion. ou des transgenres ?
Les Juifs de sensibilité progressiste ont En Grande-Bretagne, Depuis le 7 octobre, la révolution
soudain découvert qu’ils n’avaient plus où les manifestations propalestiniennes identitaire ne se porte pas aussi bien
leur place dans le camp du Bien ; qu’ils ont attiré des centaines de milliers que le donnent à croire les dégâts
étaient, de naissance, les complices du de personnes, les sondages révèlent qu’elle provoque. La haine,
crime que figure l’existence de l’État que les sympathies sont partagées à les ressentiments, les pulsions
hébreu, donc passibles de la même proportions presque égales, cependant génocidaires ont soulevé par leurs
déshumanisation morale. que les deux tiers de l’opinion ne se excès une réprobation jamais vue
Ils ont beau objecter que la seule prononcent pas. Une grande majorité jusqu’ici. C’est sur son terreau originel,
population arabe qui connaît les de la génération Z ne sait pas s’il faut les universités, dont la cote est au plus
bienfaits de la démocratie est celle qui qualifier les assaillants du Hamas bas, qu’on devrait commencer à
vit en Israël (elle se montre exemplaire de terroristes ou de combattants réparer le saccage intellectuel et moral.
depuis le 7 octobre). Que les femmes et
les minorités sexuelles sont réprimées
de la liberté. La naïveté joue également
sa part et plus encore l’ignorance,
Il y faudra des années et une volonté
de fer. Sans garantie de résultat. ■
sans ménagement à Gaza. Que la une alliée redoutable des haines * Ran Halévi est directeur de recherche
politique funeste du gouvernement idéologiques. Des étudiants américains au CNRS et professeur au Centre d’études
israélien, y compris la gestion de cette qui ont entonné « De la rivière sociologiques et politiques Raymond Aron.

LA GRANDE
CONVERSION De la Révolution à Vatican II, comment
l’Église a évolué sur la liberté
L’Église
et la liberté
de la Révolution
à nos jours,
De François
Huguenin,
PROPOS RECUEILLIS PAR
Cerf,
GUILLAUME DAUDÉ gdaude@lefigaro.fr
528 p., 34 €.
LE FIGARO. - Vous décrivez dans
votre livre la conversion de l’Église
à la liberté. La conception de la liberté
défendue par le pape François
se distingue-t-elle des droits
de l’homme tels qu’ils sont compris
aujourd’hui ? Ce pape se situe-t-il dans
la continuité de ses prédécesseurs ?
François HUGUENIN. - La pensée de
l’Église sur la liberté, depuis soixan-
te ans, repose sur la notion de dignité
de la personne humaine. C’est parce
que l’homme, créé à l’image et à la
ressemblance de Dieu, est digne que la
liberté doit lui être garantie. Mais cette
liberté ne peut faire fi de la nécessaire
recherche de la vérité et du souci du
bien commun. C’est ce que Jean-
Paul II et Benoît XVI n’ont eu de cesse
de répéter. « La liberté religieuse est le
sommet de toutes les libertés. Elle est un
droit sacré et inaliénable », rappelait
DESSINS : FABIEN CLAIREFOND
François, ont articulé l’importance
des droits de l’homme avec l’impéra-
tif de la paix et les intérêts fondamen-
taux des nations et des peuples.
Lors du concile Vatican II,
comment l’Église est-elle passée
du refus à l’acceptation de la liberté
politique et religieuse ?
Le contexte explique en partie cette
mutation. La violence anticatholique de
la Révolution française, faite au nom de
la liberté, et accouchant du régime le
plus liberticide que la France ait jamais
connu, explique en partie les condam-
nations pontificales réitérées de la li-
berté, toujours considérée comme li-
cencieuse, monstrueuse, comme une
folie, une opposition à Dieu et aux prin-
ces qu’il a nommés. À rebours, l’appa-
rition des totalitarismes durant l’entre-
deux-guerres fait réaliser à l’Église que
les catholiques sont mieux protégés
dans une démocratie libérale, toute laï-
carde fût-elle. Mais, c’est surtout la
pensée des philosophes et des théolo-
secte juive persécutée à celui de religion
officielle de l’empire, il est sur orbite
pour devenir la religion de l’Occident.
Mais, après la chute de l’Empire ro-
main, l’Église devient la seule institu-
tion universelle, certes désarmée, mais
régissant les affaires du ciel et du salut,
et donc réglant indirectement les
conduites humaines. Du fait de la di-
gnité supérieure de son objet (la vie
éternelle), elle n’évite pas l’écueil de
vouloir peser sur le politique, mais ce
dernier a aussi parfois la tentation de
s’ériger en autorité spirituelle. Cette
confusion entraîne une compétition
entre l’autorité spirituelle et les pou-
voirs temporels (du Saint Empire, mais
aussi des monarchies émergentes),
mais épuise le Moyen Âge dans une in-
cessante querelle. Au tournant du
XIVe siècle, des chrétiens comme Dan-
te, Jean de Paris ou Marsile de Padoue
affirmeront l’autonomie de l’État en
théorisant une séparation entre le poli-
tique et le religieux qui est l’ancêtre de
notre laïcité. Ce sont les prémices de la
rupture est totale, mais elle est de l’or-
dre de la pensée politique. La foi de
l’Église dans le Christ unique sauveur et
l’affirmation que l’Église catholique est
« l’unique et vraie religion » (Dignitatis
humanae) n’ont pas varié d’un iota.
C’est l’unique continuité que les textes
montrent, mais elle est évidemment
cruciale sur le plan théologique.
Vous écrivez que la doctrine de l’Église
sur la liberté réconcilie la pensée
politique classique, marquée par
le souci du bien commun, et la pensée
moderne, reposant sur la protection
des droits et libertés individuelles.
Comment y parvient-elle ?
La liberté religieuse est une liberté poli-
tique, comme l’a compris l’Église au
XXe siècle, une immunité garantie pour
chaque personne de croire selon sa
conscience et de pouvoir avoir la liberté
de pratiquer son culte. Il est donc indis-
pensable de traiter la question pour ce
qu’elle est. Et, de fait, la pensée catholi-
que sort alors de cette opposition stérile

Benoît XVI en 2012 (exhortation apos-
tolique Ecclesia in Medio Oriente).
Le pape François a lui aussi rappelé
l’importance de la liberté religieuse
dans le monde, même s’il a eu moins
besoin d’expliciter cette notion très
bien codifiée par ses prédécesseurs.
La conception classique des droits de
l’homme à laquelle
se réfèrent les papes
FRANÇOIS HUGUENIN a cependant été dé-
voyée récemment
Dans « La Grande Conversion » (Cerf), l’historien par le droit-de-
1
giens les plus perspicaces des années
1940-1950 notamment, Maritain et
Henri de Lubac en tête, qui a donné au
discours de l’Église une tout autre te-
neur, et l’armature intellectuelle qui a
permis ensuite à Vatican II de promul-
guer la déclaration Dignitatis humanae
sur la liberté religieuse, de penser enfin
la notion de liberté, en tournant la page
de l’ère des imprécations.
Selon vous, du IVe siècle au XIXe siècle,
le problème théologico-politique a fait
pensée politique moderne.
L’Église semble avoir changé de
position et s’être convertie à la liberté
en fonction du contexte historique,
face aux totalitarismes. Est-ce par
opportunisme ? Y a-t-il malgré tout
une continuité dans son enseignement ?
Le contexte a son importance, mais la
pensée n’est pas inféodée aux circons-
tances. Tandis que les papes fustigent la
liberté, au XIXe siècle, un Montalembert
est à la fois un catholique parfaitement
entre souci du bien commun et défense
de la liberté. Elle comprend que ces
deux quêtes ne sont pas antinomiques,
mais que le bien commun intègre la
préservation des libertés individuelles.
Le point essentiel, sur le plan de la phi-
losophie politique, est que l’Église sort
d’une confusion entre la liberté et l’usa-
ge qui en est fait, la liberté et la nature -
bonne ou mauvaise - de l’acte posé.
Comme le disait Chateaubriand, « la li-
berté ne doit point être accusée des for-
faits que l’on commet en son nom ».

des idées* analyse la position de l’Église sur l’hommisme qui fait la spécificité de l’histoire de l’Occident
la liberté. Hostile à cette idée depuis la Révolution, des droits subjectifs chrétien, réglant les rapports entre
de l’homme l’absolu le spirituel et le temporel. En quoi
elle est selon lui sortie de l’opposition stérile de toute politique : consiste-t-il ? Comment en est-on sorti ?
A
orthodoxe et un libéral en politique. La
densité de la pensée catholique sur la li-
berté, depuis Vatican II, dont celle de
Joseph Ratzinger est sans doute la plus
L’Église a fini par le comprendre, ce qui
n’est en aucun cas un relativisme. Com-
me le disait déjà Montalembert, étouffer
la liberté ce n’est pas seulement étouffer

entre souci du bien commun et défense depuis Vatican II, les À partir du moment où le christianisme puissante, montre qu’il ne s’agit pas l’erreur, mais aussi la vérité ! C’est la
de la liberté lors du concile Vatican II. papes, y compris passe, en un siècle, du statut de petite d’opportunisme. Sur cette question, la parabole du bon grain et de l’ivraie. ■

CHRONIQUE
Luc Ferry
luc.ferry@yahoo.fr
www.lucferry.fr
@ 100 000 citations
et proverbes sur evene.fr
HAYK SHALUNTS / ALAMY VIA REUTERS
ANALYSE
Jean-Pierre Robin
jprobin@lefigaro.fr
Dassault Médias
(actionnaire à plus de 95 %)
23-25, rue de Provence
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Président-directeur général
Charles Edelstenne
Administrateurs
Thierry Dassault,
Olivier Costa de Beauregard,
Benoît Habert,
Rudi Roussillon
« Faites ce qu’ils disent, pas ce qu’ils font ! »
ouvel An, heure
N
des bonnes résolutions :
pourquoi ne pas écouter
cette injonction
du Christ ? Elle pourrait
servir de boussole
à nos politiques. Un de nos leaders
écologistes l’a illustrée de manière
emblématique : alors qu’il plaidait pour
une extrême frugalité, que ce grand
adversaire de la voiture la dépeignait
comme un engin diabolique
dévastateur de la planète, on
a découvert qu’il possédait à lui seul
et pour son usage personnel pas moins
de huit véhicules à moteur, dont
un puissant SUV particulièrement
énergivore. Il faisait aussi profession
de féminisme, mais, comme plusieurs
ENTRE GUILLEMETS
4 janvier 1960 : mort d’Albert Camus.
Albert Camus
Nous vivons avec
des idées qui, si nous
les éprouvions vraiment,
devraient bouleverser
toute notre vie»
L’affaire Depardieu a relancé
le conflit de générations
l n’existe à l’évidence aucun lien
I
entre le « feuilleton Depardieu »,
qui agite le pays depuis près
d’un mois, et la revalorisation des
pensions de la Sécurité sociale. Sauf
sur un point : chacun d’entre nous
se détermine désormais en fonction de
son âge, qu’il s’agisse d’avoir un avis sur
le monstre sacré du cinéma français ou
sur le relèvement de 5,3 % de la retraite
de base (Sécurité sociale) à compter du
1er janvier 2024. Ces deux dossiers phares
de l’actualité ont relancé l’un et l’autre
à leur façon le conflit des générations.
C’est particulièrement manifeste
dans la bataille médiatique qui a suivi
l’émission de France Télévisions
« Complément d’enquête » du
7 décembre. « N’effacez pas Gérard
Depardieu », plaide la tribune publiée
dans Le Figaro au moment de Noël, signée
par 50 personnalités du monde culturel,
dont Nathalie Baye, Pierre Richard
ou Jacques Dutronc. Indépendamment
des arguments mis en avant, notamment
la présomption d’innocence, les
innombrables commentateurs de ce texte
ont sans exception, et assez lourdement,
souligné « l’effet génération ». Le fait que
les signataires étaient pratiquement tous
nés dans les années 1950 ou 1960.
Et, depuis lors, la question de l’âge
est devenue obsessionnelle.
« Adresse au vieux monde », tel
est le titre de la pétition critique lancée
le week-end dernier sur le site
de Mediapart par un collectif
de 70 professionnels du cinéma. Ils
interpellent ainsi les 50 défenseurs de
Depardieu (dont certains ont pris leurs
distances avec leur texte, mais ce n’est
pas le sujet). Au-delà d’une personne et
de ses propos graveleux, voire obscènes,
c’est toute une génération que l’on entend
stigmatiser. Un « vieux monde » jugé
SOCIÉTÉ DU FIGARO SAS Directeur des rédactions Anne Huet-Wuillème (Édition,
(société éditrice) Alexis Brézet Photo, Révision, DA),
23-25, rue de Provence Directeur délégué de la rédaction
Jacques-Olivier Martin (directeur
75009 Paris
Vincent Trémolet de Villers de la rédaction du Figaro.fr),
Étienne de Montety (Figaro
Président
Charles Edelstenne Littéraire), Bertrand de Saint-
Directeurs adjoints de la rédaction
Vincent (Culture, Télévision),
Gaëtan de Capèle (Économie),
Yves Thréard (Enquêtes,
Directeur général, Laurence de Charette
directeur de la publication Opérations spéciales, Sports,
(pôle audiovisuel), Anne-Sophie
Sciences).
Marc Feuillée
von Claer (Style, Art de vivre, F),
Philippe Gélie (International),
OPINIONS CHAMPS LIBRES
femmes l’accusaient d’agression
sexuelle et que leurs propos
semblaient, hélas, crédibles, il
a finalement dû se retirer de la vie
publique. Il aurait dû écouter cette
adresse de Jésus à ses disciples qu’on
trouve dans Mattieu, 23 : « Les scribes
et les pharisiens sont assis dans la chaire
de Moïse. Faites donc et observez tout
ce qu’ils vous disent ; mais n’agissez pas
selon leurs œuvres. Car ils disent
et ne font pas. (…) Ils aiment la première
place dans les festins et les premiers
sièges dans les synagogues ; ils aiment
à être salués dans les places publiques
et à être appelés par les hommes Rabbi.
Mais vous, ne vous faites pas appeler
Rabbi ; car un seul est votre Maître
et vous êtes tous frères. »
ringard. La guerre des générations
est bel et bien enclenchée.
Dans un tout autre registre,
économique et social, loin des paillettes
du showbiz, certains économistes sans
mandat ni qualification particulière
ont cru bon de remettre en question la
revalorisation de 5,3 % de la pension de
base de la Sécurité sociale. Précisons que
ce chiffre est conforme au code de la Sécu
stipulant l’indexation des pensions sur
la hausse des prix (en moyenne annuelle).
Rappelons aussi que cette règle légale
n’a pas toujours été appliquée à la lettre
depuis 2016, loin s’en faut. Ainsi, en 2019,
la pension de base n’a été relevée que de
0,3 % au lieu de 1,6 % si l’indexation avait évoluent à grand pas. Qu’on le veuille
« Chacun d’entre nous se détermine
désormais en fonction de son âge,
qu’il s’agisse d’avoir un avis
sur le monstre sacré du cinéma
français ou sur le relèvement
de 5,3 % de la retraite de base
été respectée. Et, en 2020,
le gouvernement avait instauré une
« revalorisation différentiée », pénalisant 1990), et même la génération Alpha, qui
les pensions supérieures à 2 000 euros
par mois. Le Conseil constitutionnel avait
alors laissé passer cette rupture d’égalité, de rappeler la diversité des classes d’âge.
tout en rappelant que cela dénaturait
« le caractère contributif des régimes
d’assurance-vieillesse » (les prestations
sont, de droit, proportionnelles
aux cotisations).
Déjà, en octobre dernier, lorsque
le patronat et les syndicats s’étaient mis
d’accord pour relever les retraites
complémentaires du secteur privé (Agirc- fait aux retraités l’est moins. S’en
Arrco) de 4,9 %, ce même quarteron
d’économistes s’était fendu d’une tribune
dans le quotidien Les Échos : « La hausse
Directeur artistique
Pierre Bayle
Rédacteur en chef
Frédéric Picard (Web)
Directeur délégué
du pôle news
Bertrand Gié
Éditeurs
Robert Mergui
Anne Pican
LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024
13
On notera, c’est un thème qui nature », comme dit Molière,
revient souvent dans les paroles en s’appuyant sur cette conception
du Christ, qu’à ses yeux les hommes de l’œuvre comme incarnation d’un
sont tous à égalité devant Dieu : « tous bon sens dont Descartes nous dit
frères », comme il le dit dans ce passage qu’il est « du monde la chose la mieux
où il demande à ses disciples de refuser partagée », on touche le grand public :
les honneurs, de ne jamais se faire puisque la raison, qui saisit les vérités
appeler Rabbi, comme si l’un d’entre les plus essentielles, est commune
eux était supérieur aux autres. à l’humanité, l’illustration sensible
Tocqueville en tirera l’idée que l’égalité qu’en donnent les personnages
démocratique telle qu’elle s’est de comédies devront forcément faire
incarnée dans notre Déclaration des « sens commun ». Si le récepteur
droits de l’homme n’est finalement est identique en tous, ce qui vient
rien d’autre qu’une sécularisation le remplir de façon sensible sera
du christianisme, l’égalité des créatures également présent en tous ! C’est très
devant Dieu devenant égalité exactement cela que Molière tente
des citoyens devant la loi au moment de saisir avec ses Précieuses, son
où les privilèges de la noblesse sont Misanthrope ou son Tartuffe. Ce qu’il
abolis dans la fameuse nuit du 4 Août. met en scène, c’est l’équivalent pour
On peut penser aussi que ces mises les humains de ce que présente le jardin
en garde ont dû inspirer Molière lors de Versailles, une « vérité de raison »,
de la création d’un de ses personnages une « essence », une « nature
les plus célèbres, je pense bien sûr
à Tartuffe. Profitons-en pour faire un
petit rappel à propos de cet hypocrite
dont les réincarnations sont toujours
profonde » qui n’est pas la nature
sensible, seulement apparente,
mais celle que saisit l’entendement.
Il ne s’agit pas de dépeindre des
d’actualité. Pour bien saisir le personnages réels, comme ceux qu’on
personnage, il faut garder à l’esprit peut croiser dans la rue, mais d’aller
qu’aux yeux des classiques français, au-delà pour tracer le portrait-robot
l’œuvre d’art est la « présentation », de ces grands caractères humains,
comme on dit dans la philosophie
de l’époque, c’est-à-dire l’incarnation
de ces « essences » que seule
l’intelligence peut saisir à l’état
dans un matériau sensible (la couleur
du peintre, la pierre du sculpteur,
pour ainsi dire chimiquement pur.
Avec son Tartuffe, Molière
les vibrations sonores du compositeur, ne dépeint pas un homme empirique
les vers du dramaturge…) d’une idée (réalité sensible), mais un type humain
vraie, d’une grande vérité humaine. (réalité idéelle = nature humaine).
Pour en donner un exemple idéal- Nul personnage ne correspond tout
typique, on peut penser au jardin à fait au bourgeois gentilhomme
à la française, qui illustre à merveille, ou au malade imaginaire. Parfois,
avec ses arbres taillés en losanges, pourtant, certains, comme notre
en rectangles, en sphères écologiste pris la main dans le pot
ou en triangles, les vérités élémentaires de confiture, semblent bel et bien
de la géométrie. donner vie au type idéal. Raison de plus
C’est ainsi qu’en peignant « d’après pour écouter la parole du Christ !
VOX
…Bilan
« 2023, l’année
la plus triste »,
des retraites, une aberration économique
la chronique de Gilles-
et sociale. » Leur argument principal
- les retraités auraient un niveau de vie
supérieur aux actifs - n’est pourtant pas William Goldnadel.
vérifié statistiquement par l’Insee.
Par ailleurs, la direction des études du
ministère de la Santé (Drees) a rappelé
…Gauche
dans son rapport de 2023 que les retraités « Le “qu’en-dira-t-on
avaient perdu 0,9 % de pouvoir d’achat
chaque année de 2016 à 2021 gauchiste” tétanise
(plus pour les anciens cadres).
Sur le fond, personne ne conteste que le débat public »,
la démographie pose problème
(2,02 actifs cotisant pour un retraité un entretien avec
en 2004 et 1,71 en 2021). De même, autres
temps, autres mœurs, ces dernières
Thierry Keller, journaliste
ou non, six générations
et auteur de « Quand
cohabitent : celle qui
a connu la Seconde
Guerre mondiale, puis
les boomers (nés de
on n’ose plus rien dire.
De peur de passer
1946 à 1964), objets pour un réac »
de toutes les rancœurs,
la génération X (Éditions de l’aube).
» (de 1965 à 1979), les
millennials (qui ont eu
20 ans à partir de 2000), la génération Z
(née avec l’internet à la fin des années
LES RENCONTRES
aura 20 ans en 2030. Cette typologie
d’origine américaine a pour seul mérite
DU FIGARO
Leurs aspirations respectives sont
Mathieu Bock-Côté
conditionnées par les changements le mercredi 10 janvier 2024
technologiques ébouriffants, et leurs à 20 h, Salle Gaveau.
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23-25, rue de Provence, 75009 Paris 93290 Tremblay-en-France
Tél. : 01 56 52 20 00 Midi Print, 30600 Gallargues-le-Montueux Ce journal
ISSN 0182-5852 se compose de :
Fax : 01 56 52 23 07 Édition nationale
Commission paritaire n° 0426 C 83022
1er cahier 14 pages
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Président-directeur général sam. de 8 h à 13 h au 01 70 37 31 70. Fax : 01 55 56 70 11 . 6 pages
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est imprimé sur un papier UPM porteur de l’Ecolabel européen sous du territoire national
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> FOCUS
lefigaro.fr/economie MAISON
LEJABY EN
REDRESSEMENT
EMPLOI ATOS JUDICIAIRE
LES FRANÇAIS MOINS LE GROUPE SUR TOUS LES Difficultés en série pour l’homme
ENCLINS À CHANGER FRONTS POUR ASSURER d’affaires Thierry Le Guénic. Après
DE TRAVAIL PAGE 18 SA SURVIE PAGE 19 Habitat, liquidé le 28 décembre der-
nier, c’est une autre enseigne ra-
chetée par l’investisseur qui ren-
contre des difficultés financières.
Le spécialiste de la lingerie Maison

Les « Sept Magnifiques » Lejaby a été placé mardi en redres-

sement judiciaire, a révélé l’AFP.
« Afin de préserver son activité
future, face à une dette d’exploita-

hypnotisent Wall Street

tion principalement générée lors
de la période Covid, Maison Lejaby
a demandé au tribunal de commer-
ce sa mise en redressement judi-
ciaire », a indiqué Thierry Le Guénic
Le club formé par les géants américains de la tech Google, Amazon, Microsoft, dans un communiqué interne cité
par l’AFP. Maison Lejaby n’emploie
Meta, Apple, ainsi que Tesla et Nvidia, pèse 12 000 milliards de dollars en Bourse. plus que 55 salariés. La marque
dispose de deux boutiques, à Lyon
En 2022, ils ont vacillé. Mais en gnificent Seven » - clin d’oeil au posants sont incontournables est portée par le nouvel appétit et à Paris, et propose ses articles
2023, ils ont fait flamber les prin- titre original du film Les Sept dans l’intelligence artificielle, le des entreprises pour l’IA. Pour dans des corners, aux Galeries
cipaux indices boursiers améri- Mercenaires - a vu sa capitalisa- gain atteint même les 246 %, certains analystes, la capitalisa- Lafayette et au Bon Marché.
M. COHEN/HANS LUCAS VIA REUTERS CONNECT ; R. MILANI/HANS LUCAS VIA ; MAVOIMAGES/STOCK.ADOBE.COM ; S. MEYSSONNIER/REUTERS

cains. Formé par les Gafam aux-
quels s’ajoutent les voitures
électriques de Tesla et les proces-
seurs de Nvidia, le club des « Ma-
tion boursière cumulée s’envoler
de plus de 70 % en un an, attei-
gnant les 12 000 milliards de dol-
lars. Pour Nvidia, dont les com-
alors que Meta efface son annus
horribilis de 2022 avec une crois-
sance de son action de 184 %.
Cette domination des valeurs tech
tion de ce club aux poches pro-
fondes et aux fondamentaux des
plus solides devrait encore pro-
gresser de 30 % en 2024. PAGE 20
Son actionnaire assure qu’il conti-
nuera à soutenir financièrement
l’entreprise. Pour relancer la mar-
que, Thierry Le Guénic mise sur une
montée en gamme des articles pro-
posés, une augmentation des ven-
tes à l’international et sur internet.

Le Noël Le parcours de Maison Lejaby a été

semé d’embûches. La marque
créée dans les années 1930 n’en est
festif mais pas à son premier accident. Sym-
bole des difficultés à produire en

économe France, l’entreprise a été liquidée en

2011, suscitant un vif émoi. Arnaud

des Français Montebourg, ministre du Redresse-

ment productif en 2012, avait
même contribué à financer le lance-
ment des Atelières, coopérative
Les ménages ont créée par d’ex-salariés de Lejaby.
Las, elle a fini par être, elle aussi, li-
attendu le dernier quidée, en 2015.
moment pour faire Les actifs de Lejaby ont été repris
par Alain Prost en 2012, un ancien
leurs achats pour les dirigeant de Chantelle et de La Perla.
repas de fête, guettant Ils n’ont depuis cessé de changer de
mains : Maison Lejaby a été achetée
les promotions deux ans plus tard par Impala, puis
ou privilégiant des en 2019 par Thierry Le Guénic et
produits moins chers. son acolyte Stéphane Collaert. Les
stratégies de redressement ont va-
Une tendance aussi rié autant que l’identité des action-
visible dans les jouets, naires. Les difficultés à trouver des
débouchés n’ont pas été résolues
où les clients ont été pour autant.
plus raisonnables M. B.

cette année. PAGES 16 ET 17

le PLUS du L'HISTOIRE
FIGARO ÉCO
Faute de faire baisser les prix, l’exécutif
TURQUIE
Pour rattraper veut rendre les hausses plus visibles
l’hyperinflation,

C
hose dite, chose faite. à ses clients quelques produits concernés
le salaire minimum Le gouvernement est en effet par cette « shrinkflation ». Il n’empêche,
a doublé PAGE 17 bien décidé à encadrer la cette obligation générale fait sérieusement
« shrinkflation », cette pratique grincer des dents les distributeurs.
qui consiste à réduire la quantité « C’est l’industriel qui sait que son emballage
LA SÉANCE d’un produit tout en maintenant son prix, et a baissé, que la recette a été remise
DU MERCREDI 03 JANVIER 2024 qui s’est accentuée ces derniers mois avec en cause », a déploré Dominique Schelcher,
CAC 40 le retour de l’inflation. Un projet d’arrêté le PDG de Système U, sur France Inter.
7411,86 -1,58% a été envoyé à la Commission européenne, À la Fédération du commerce et
mercredi, pour imposer aux grandes de la distribution (FCD) aussi, on insiste
DOW JONES surfaces de plus de sur la responsabilité
37475,61 -0,63% 400 m2 de faire figurer des fabricants. « Compte
la baisse des quantités tenu du cadre juridique
ONCE D’OR et la hausse du prix européen, la seule piste
2054,05(2074,90) de ces produit, réaliste à court terme
« sur l’emballage ou sur est de faire porter
PÉTROLE (Brent) une étiquette attachée cette obligation d’informer
78,080 (76,080) ou placée à proximité ». les consommateurs par les
EUROSTOXX 50 Si l’institution bruxelloise distributeurs », justifie-t-on
4445,99 -1,48% ne retoque pas le texte, dans l’entourage de
qui doit être conforme la ministre au Commerce,
FOOTSIE aux règles européennes, Olivia Grégoire (ci-contre),
7682,33 -0,51% la mesure pourrait précisant qu’un travail
s’appliquer fin mars. sera mené pour
NASDAQ En septembre dernier, « que cette obligation
16393,72 -0,91% Carrefour a déjà pris d’affichage puisse reposer
les devants sur les industriels ». ■
NIKKEI en indiquant MANON MALHÈRE
A

33464,17 -0,22%
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO

16 L'ÉVÉNEMENT
Le Noël festif mais économe des Français
Les ménages ont attendu le dernier moment pour faire leurs achats en privilégiant des produits moins chers.
MARIE BARTNIK, OLIVIA DÉTROYAT
ET MANON MALHÈRE
DISTRIBUTION Les allées des ma-
gasins ont retrouvé l’affluence des
années fastes à l’approche de
Noël. Mais il ne faut pas s’y trom-
per : les Français n’ont pas basculé
dans une frénésie de consomma-
tion. Ils avaient en effet commen-
cé leurs courses de Noël très tôt,
fin novembre, pour bénéficier des
promotions du Black Friday. Ils ne
sont revenus dans les magasins fi-
Loin d’être une parenthèse en- mon fumé dans des proportions bien leurs chiffres d’affaires durant les fert des jouets plus raisonnables,
chantée, Noël n’aura finalement supérieures à d’habitude, constate fêtes de fin d’année. « Le marché moins extraordinaires cette année.
pas fait exception au reste de l’an- Jacques Trottier, le directeur gé- du jouet terminera probablement Ils ont misé sur des valeurs sûres »,
née. « Depuis le retour de l’infla- néral de Labeyrie. Mais il est vrai l’année à - 5 % ou - 6 % quand nous comme le Monopoly, jeu de socié-
tion, les clients privilégient les pro- qu’ils avaient été particulièrement tablions plutôt sur - 2 % ou - 3 %. té le plus acheté ce Noël.
duits les moins chers et délaissent prudents précédemment. » Chez King Jouet, nous avons fait De leur côté, les fabricants de
ceux qui représentent de plus gros- Les ménages ont également at- mieux que le marché mais il n’y a cosmétiques, parfums et ma-
ses dépenses, comme les produits tendu le dernier moment pour fi- pas de miracle : nous avons fait quillage, regroupés au sein de la
d’hygiène et de beauté, constate naliser leurs achats de cadeaux, se beaucoup de promotions cette an-
Juliette Favre, chez Circana. Il y a, précipitant dans les magasins le née », constate Philippe Gueydon,
depuis le début de la saison de Noël,
un écart très important entre les
ventes des produits de grande
week-end de Noël. « Il est encore
trop tôt pour connaître le bilan final
mais cette accélération n’aura sans
son directeur général, et coprési-
dent de la fédération des commer-
ces spécialistes du jouet.
“a besoin
On achète ce dont on
mais pas plus,
consommation en général, et les doute pas été suffisante pour Selon les experts du secteur, les
ce qui prouve qu’il y a
ventes de produits festifs, plus oné- rattraper le retard de certains raisons de ce repli ne sont pas liées aussi plus de sobriété

nir leurs cadeaux et acheter de
quoi préparer leurs repas de fête
qu’à la dernière minute, donnant
des sueurs froides aux commer-
çants. « Nous nous attendions à des
achats tardifs car les vacances ont
commencé très tard cette année,
explique Nicolas Neykov, direc-
teur général de Ferrero en France
et président du syndicat du cho-
colat. Les gens n’ont donc été plon-
gés qu’au dernier moment dans
l’ambiance des fêtes. »
Cet attentisme a aussi été stra-
tégique. Plus encore que les an-
reux. »
Les ventes globales, stables en
volumes, se sont plutôt mieux
portées en décembre que les mois
précédents, quand les produits
festifs font grise mine. Les profes-
sionnels ont encore l’espoir de se
refaire d’ici au 7 janvier, date de la
fin des vacances scolaires. « Les
distributeurs ont recommandé
après Noël du foie gras et du sau-
secteurs », estime Emmanuel
Le Roch, délégué général de la fé-
dération Procos qui regroupe
300 enseignes et 60 000 magasins
de proximité.
C’est en particulier le cas du
secteur des jouets. Les ventes
JOUETS étaient ainsi encore en recul de
Le secteur des jouets 6 % sur un an la semaine précé-
connaît une baisse dant Noël, alors même que les en-
notable de ses
seignes font la majeure partie de
ventes. Les clients
ont fait des arbitrages
au détriment des jeux
pour enfant.
à l’inflation des prix des jouets qui
n’a pas eu lieu en 2023. En revan-
che, les clients ont été contraints
de faire des arbitrages au détri-
ment des jeux pour enfant, déci-
dant d’en acheter moins et pour
moins cher. Michel-Édouard Le-
clerc, président du comité straté-
gique des centres E.Leclerc, le
constate dans les magasins du
groupement. « Nos clients ont of-
”
qu’en temps normal
EMMANUEL GUICHARD, DÉLÉGUÉ
GÉNÉRAL DE LA FEBEA
Febea (L’Oréal, Sephora, Cla-
rins…) ont eux le sourire et font un
peu figure d’exception. Les ten-
dances étaient porteuses avant
même le week-end de Noël. En
novembre et décembre, les calen-
driers de l’Avent – très en vogue

NICOLAS GUYONNET/HANS LUCAS VIA AFP ; MAGALI COHEN / HANS LUCAS VIA REUTERS CONNECT; SYSPEO/SIPA
nées précédentes, les clients ont
guetté les promotions et attendu la
dernière minute pour acheter
leurs produits festifs à moindre
coût. L’inflation alimentaire (7 %
sur un an et 20 % sur deux ans)
grignote le budget des ménages et
les incite à sacrifier certaines dé-
penses. Différents sondages anti-
cipaient avant Noël une baisse du
budget consacré aux fêtes de fin
d’année. 66 % des consomma-
teurs prévoyaient par exemple de
réduire leurs achats de cadeaux, et
la même proportion de concocter
des repas de fêtes moins élaborés,
selon Accenture.
Ces prévisions semblent s’être
vérifiées. C’est bien un Noël low
cost que les Français se sont offerts
cette année. « Les fêtes se sont bien
passées mais les Français ont cher-
ché à se payer un Noël moins cher,
constate Dominique Schelcher, le
patron de Système U, invité de
France 2, mercredi matin. Rare-

“desNosjouets
clients ont offert
plus
raisonnables, moins
extraordinaires cette
année. Ils ont misé sur

”
des valeurs sûres
MICHEL-ÉDOUARD LECLERC

ment ils auront autant arbitré sur

leurs dépenses alimentaires. »
Les consommateurs ont rusé
pour continuer à faire la fête sans
se ruiner. Ils n’ont pas hésité à sa-
crifier quelques traditions pour y
parvenir. Les ventes de champa-
gne, dont le prix a grimpé de 6 %
sur un an selon NielsenIQ, ont
chuté de 12,5 % en volume au
cours des cinq semaines qui ont
précédé Noël, constate l’institut
Circana. Les clients l’ont remplacé
par des crémants de Bourgogne ou
de Loire, moins onéreux. Les ven-
tes de vins effervescents progres-
sent de 6 % en volume.
Le foie gras et le saumon fumé
ont subi le même sort (- 13 %), au
profit de la truite fumée et des
crevettes, plus économiques. Chez
Système U, on remarque que les
cuisses de canard ont, dans cer-
tains cas, supplanté les tradition-
nelles volailles de Noël.
Le marché du chocolat est éga-
lement en baisse, de l’ordre de 5 %
en volume. Quant aux huîtres, el-
les ont pâti, entre Noël et le jour de
l’An, de la contre-publicité résul-
tant de la contamination de cer-
taines d’entre elles par le norovi-
rus. « Le gros succès inattendu du
Nouvel An, c’est la raclette,
constate enfin le distributeur in-
dépendant. C’est convivial, pas
compliqué et pas très cher. »
Les marques de distributeurs
ont encore raflé la mise pour les
fêtes, tandis que les marques na-
tionales, plus chères, sont à la pei-
ne. Même dans le chocolat, « les
marques de distributeurs font
A
COSMÉTIQUES
Les fabricants de
cosmétiques, parfums
et maquillage ont tiré
leur épingle du jeu.
Les ventes de 2023
devraient atteindre
le même niveau
La consommation doit redevenir le moteur de la croissance
qu’en 2022, qui était
une bonne année.
DÉCRYPTAGE
Anne de Guigné
adeguigne@lefigaro.fr
« Une société ne peut cesser de
produire, non plus que de consom-
mer », affirmait Karl Marx. Tradi-
tionnellement, les Français sont
plutôt spécialistes de la seconde
branche de la proposition. Et les
économistes en sont certains : leur
parcimonie à Noël fait figure de
dernier symptôme d’une tendan-
ce déjà dépassée. En 2024, le fleu-
ve de la croissance hexagonale re-
trouvera son lit traditionnel.
PRODUITS
FESTIFS
Les consommateurs
ont réduit leurs
achats de foie gras,
saumon fumé et
champagne au profit
de la truite fumée,
des crevettes ou des
crémants de Loire
et de Bourgogne.
coronavirus, aux restrictions sur penser les stocks d’épargne accu-
l’offre puis à la crise inflationnis- mulée. Traditionnellement, la
te, la consommation des ménages consommation génère près de la
redeviendra le premier moteur de moitié de la production de richesse
l’activité. Elle a déjà commencé à en France et représente le premier
frémir depuis quelques mois. Et le poste de la demande. Avant l’épi-
mouvement devrait s’accélérer. sode du Covid, au sein des grands
Selon la Banque de France, la agrégats macroéconomiques, les
contribution des achats des parti- dépenses des ménages s’étaient
culiers à l’évolution du Produit in- toujours distinguées par leur rela-
térieur brut (PIB) « augmenterait tive stabilité, une partie importan-
en 2024 de 0,8 point, après te d’entre elles étant pré-engagée
0,4 point en 2023 ». Ce rebond an- via des contrats ou abonnements
noncé de la consommation s’ex- tels le loyer, l’assurance, l’énergie,
plique simplement : le pouvoir les télécommunications…
d’achat devrait décoller en 2024 Ces dernières décennies, la
alors que les salaires ont enfin rat- consommation ne s’est ainsi véri-
trapé les hausses de prix, tandis tablement effondrée qu’à une
que la chute de l’inflation devrait seule reprise : au deuxième tri-
les confinements et fermetures
administratives de certains com-
merces. Depuis, elle avait peiné à
retrouver son allant des beaux
jours. Et ces derniers trimestres,
c’étaient l’investissement des en-
treprises et les exportations qui
avaient, dans une surprenante
volte-face, porté la croissance
française.
Les exportations
en soutien
Au deuxième trimestre 2023,
malgré une consommation des
ménages en repli, l’évolution du
PIB avait ainsi surpris tous les ob-
servateurs en rebondissant de
0,5 % en trois mois. Des résultats

mieux que le marché », constate Après plusieurs années de vaches redonner confiance aux ménages mestre 2020, elle chuta de plus de portés par le commerce extérieur,
Nicolas Neykov. maigres suite à la pandémie de et les inciter à commencer à dé- 16 % alors qu’étaient mis en place et notamment les exportations qui

chez les marques de beauté -
avaient donné le ton, avec des vo-
lumes vendus dans les mêmes
proportions que l’an dernier. Cet-
te tendance s’est plutôt confirmée
sur le reste des produits cosméti-
ques. « Au final, nous atteindrons
en 2023 les niveaux de vente de
2022 qui était une bonne année »,
explique Emmanuel Guichard,
délégué général de la Febea.
À fin novembre, les ventes de
maquillage s’affichaient ainsi en
hausse de 12 % en volume. « C’est
le fameux “lipstick effect”, c’est-à-
dire ce petit plaisir abordable que
l’on peut offrir ou s’offrir sans trop
faire de sacrifice », poursuit Em-
manuel Guichard. Les produits
capillaires - comme les sérums ou
les huiles pour les cheveux - affi-
chaient également une légère
hausse de 2 % par rapport à l’an
dernier. Enfin, les produits de soin
et parfums, habituelles stars des
cadeaux étaient bien présents aux
pieds des sapins. Seul signe que les
consommateurs se sont serré la
ceinture cette année, selon la
Febea : les performances déce-
vantes des coffrets multiproduits
qui comprennent, par exemple,
des parfums et du maquillage. Les
ventes reculaient de 10 % au début
du mois de décembre. « C’est par-
ticulièrement vrai sur les gros
packs. On achète ce dont on a be-
soin mais pas plus, ce qui prouve
qu’il y a aussi plus de sobriété qu’en
temps normal », conclut le porte-
parole.
Autre indice de la volonté des
Français de maîtriser leurs dépen-
ses pour Noël : ils étaient 38 %,
début décembre, à envisager de
choisir des produits de seconde
main pour offrir des cadeaux selon
une enquête réalisée par Toluna
Harris Interactive, en partenariat
avec la Fédération de l’e-com-
merce et de la vente à distance
(Fevad). Quant à la revente des
cadeaux de Noël en ligne, elle a at-
teint des niveaux records. Les
chiffres parlent d’eux-mêmes : la
plateforme eBay a enregistré
340 000 nouvelles annonces mises
en ligne par des particuliers le
25 décembre, soit une progression
de 15 % par rapport à 2022. Et, se-
lon elle, là encore, le climat moro-
se explique davantage cette forte
hausse des reventes de cadeaux
que des choix personnels. ■
française
avaient augmenté de 2,6 %. La li-
vraison du bateau MSC Euribia,
construit par les Chantiers de
l’Atlantique à Saint-Nazaire, à la
compagnie maritime MSC Croi-
sières expliquant cette soudaine
embellie. Une telle performance
ne devrait malheureusement pas
se reproduire si vite.
Les investissements des entre-
prises pourraient en revanche
mieux résister. Ils sont soutenus
par les défis colossaux des transi-
tions numérique et énergétique,
sur lesquels les entreprises se mo-
bilisent depuis des années, mais
aussi, par une succession de pro-
grammes publics volontaristes
depuis 2015 : CICE, France Relan-
ce et plan européen EU Next
Generation. ■
ÉCONOMIE
FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO
Rarement
les Français
auront autant
arbitré sur Sous la pression de l’inflation,
leurs dépenses
alimentaires » la Turquie double le salaire minimum
DOMINIQUE SCHELCHER,
PDG DE SYSTÈME U Sur l’ensemble de 2023, les hausses du « smic » ont dépassé 100 %.
CLARA GALTIER £@GaltierClara
CONJONCTURE Cent vingt et une
livres turques (3,70 euros) pour un
kilo de riz, contre 5 à 9 livres il y a
quatre ans. « Le riz est désormais un
rêve… », « Bientôt, nous allons com-
mencer à manger des insectes »,
Nous nous « Êtes-vous sûr que ce n’est pas du
plaqué or ? ». En Turquie, l’inflation
attendons galopante et persistante fait rire
à un rebond jaune les internautes sur les réseaux
sociaux. Sur X (ex-Twitter) le
des ventes compte Zam Haber, suivi par
de produits 680 000 personnes, publie chaque
jour des florilèges des hausses de
festifs, comme prix un peu partout dans le pays,
le foie gras, photos et tickets de caisse à l’appui.
La Turquie a terminé l’année 2023
d’ici à la fin en tant que quatrième pays du
monde avec l’inflation alimentaire
des vacances la plus élevée (+ 99 % sur un an),
de Noël »
JACQUES TROTTIER,
derrière le Liban (+ 208 %) et le
Zimbabwe (+ 321 %).
Selon les données officielles pu-
DG DE LABEYRIE
bliées mercredi, la hausse générale
des prix sur un an a atteint 64,8 %
en décembre. Mais les économistes
du groupe indépendant Enag
contestent toujours ces chiffres,
l’inflation s’établissant en réalité,
selon eux, à 123 % en 2023.
Dans ce contexte, pour atténuer
l’érosion du pouvoir d’achat, le mi-
nistre du Travail a annoncé une
nouvelle augmentation du salaire
minimum de 49 % pour les salariés
du privé. C’est la quatrième hausse
Le diamantaire russe Alrosa sanctionné
L’Europe cible le géant minier, contrôlé par l’État, et son patron.
FLORENTIN COLLOMP
fcollomp@lefigaro.fr
CHOCOLAT
Les Français ont RUSSIE L’Union européenne a
attendu la dernière annoncé mercredi avoir placé le
minute pour acheter géant russe du diamant Alrosa et
son patron sur la liste des entités
leurs chocolats.
Les ventes reculent
en volume par rapport
sanctionnées, en répercussion de
l’attaque de l’Ukraine par la Rus-
à l’année dernière.
Les consommateurs
ont acheté davantage
de produits de marque
de distributeur.
sie. Cette mesure vise à compléter
l’embargo sur les diamants russes
entré en vigueur le 1er janvier dans
le cadre du G7, qui a fait l’objet
d’un douzième train de sanctions
de l’UE, adopté mi-décembre.
Les ventes russes de diamants
sont estimées entre 4 et 5 milliards
de dollars par an. Alrosa en réalise
90 % de la production. C’est par
ailleurs le premier producteur
mondial, avec environ un tiers des
volumes vendus dans le monde,
devant De Beers.
L’entreprise, contrôlée par l’État
russe, est présente à tous les stades
de la chaîne de valeur : l’extraction
de diamants bruts dans plusieurs
mines, les diamants industriels, la
taille et la vente de pierres pré-
cieuses. En ciblant l’entreprise,
l’Union européenne cherche à
L'ÉVÉNEMENT
depuis début 2022. Au 1er janvier, le
salaire minimum a ainsi atteint son
plus haut niveau, 17 000 livres tur-
ques, soit 520 euros. Une annonce
capitale en Turquie, où 40 % de la
population touche cette rémunéra-
tion et où la hausse des prix aggrave
les inégalités. « En dépit des aug-
mentations régulières, les revenus
moyens diminuent comme l’atteste la
part de la valeur salariale dans l’éco-
nomie, qui décroît », note Deniz
Ünal, économiste au Cepii (centre
de recherches sur l’économie inter-
nationale). Ainsi, une majeure par-
tie des travailleurs s’enfonce dans la
pauvreté. Jusqu’en 2013, le « smic »
turc, précise l’experte, était plus
élevé qu’en Pologne et en Hongrie.
Il est aujourd’hui, « en deçà, sem-
blable à la Bulgarie ».
La gouverneur retourne
chez ses parents
L’inflation est un sujet hautement
inflammable pour l’exécutif, à trois
mois des élections municipales. Le
président, Recep Tayyip Erdogan,
réélu fin mai pour un troisième
mandat, s’est juré de récupérer les
deux plus grandes villes du pays,
Istanbul et la capitale économique
Ankara, dans les mains de l’opposi-
tion depuis 2019. « Cette hausse de
salaire lui donne une marge jus-
qu’aux élections mais compte tenu
des conditions, ça ne maintiendra pas
le pouvoir d’achat au-delà. Dans un
mois ou deux, les ménages revien-
« priver la Russie d’une importante
source de revenus », a précisé son
haut représentant pour les Affaires
étrangères, Josep Borrell.
Le nom du président d’Alrosa,
Pavel Marinitchev, est ajouté à la
liste de près de 2 000 individus et
entités sanctionnés depuis le début
de la guerre en Ukraine, dont les
biens à l’étranger peuvent être sai-
sis et gelés.
Contournement
Moscou se défie de ces mesures,
affirmant pouvoir facilement les
contourner. « Nous redirigerons
simplement les ventes vers d’autres
régions, a réagi mardi le ministre
des Finances, Anton Silouanov, en
voyage à Pékin. Je suis sûr que cela
ne profitera pas à ceux qui ont in-
troduit ces sanctions. »
La guerre en Ukraine a rebattu
les cartes de l’industrie mondiale
du diamant. Un embargo unilaté-
ral avait été mis en place par les
États-Unis dès mars 2022. Une
partie des diamants russes, boy-
cottés par des joailliers occiden-
taux, ont depuis trouvé preneur
sur les marchés chinois, aux Émi-
rats arabes unis ou en Inde. Alrosa
LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024
17
Un kilo de riz coûte
121 livres turques
(3,70 euros),
contre 5 à 9 livres
il y a quatre ans.
Une rue commerçante
d’Istanbul,
le 27 novembre dernier.
UMIT BEKTAS/REUTERS
dront sous le seuil de pauvreté »,
souligne Deniz Ünal. Et les augmen-
tations salariales, en entreprises,
alimentent à leur tour l’inflation, à
hauteur de 6 %, estime le célèbre
économiste turc Mahfi Egilmez.
La Banque centrale turque, qui a
relevé son taux directeur de 8,5 % à
un astronomique 42,5 % depuis juin,
« des
En dépit
a mis fin à sa politique de taux bas en
augmen-
vigueur depuis cinq ans, signature
de la mainmise d’Erdogan sur l’ins- tations
titution. La volonté passée du chef régulières,
de l’État de défendre le crédit bon
marché, en dépit de toute logique
les revenus
économique dans un contexte infla- moyens
tionniste, avait fait chuter la devise diminuent
nationale à son plus bas niveau his-
comme
torique. L’épuisement des réserves
de change pèse sur le prix des im- l’atteste
portations et contribue à nourrir la part
l’inflation. Aujourd’hui, avec une
inflation au moins deux fois supé-
de la valeur
rieure aux prévisions, la hausse des
taux d’intérêt ne sera pas assez effi-
salariale
dans
cace pour ramener l’inflation à un
chiffre. La politique monétaire, seu-
l’économie,
le, ne suffira pas, préviennent les
spécialistes, sans réformes structu-
qui décroît
DENIZ ÜNAL,
»
relles, notamment budgétaires me- ÉCONOMISTE AU CEPII
nées en parallèle. En attendant, iro- (CENTRE
DE RECHERCHES
nie du sort, l’inflation n’épargne SUR L’ÉCONOMIE
personne, pas même la gouverneur INTERNATIONALE)
de la Banque centrale, Hafize Gaye
Erkan, qui expliquait récemment
dans une interview au quotidien
Hürriyet s’être installée chez ses pa-
rents à Istanbul, tant les loyers ont
flambé ces derniers mois ! ■
n’aurait guère souffert de ces per-
turbations, sa production n’ayant
chuté que de 3 % en 2023 par rap-
port à l’année précédente.
La mise en place d’un embargo
par le G7 et l’Union européenne a
été longuement négociée. La Bel-
gique a dû vaincre les réticences
des diamantaires d’Anvers, qui
craignaient un effondrement de
leur activité. Plus de 200 millions
de dollars de diamants y sont
échangés chaque jour et 86 % des
diamants bruts mondiaux y tran-
sitent. Un système de traçage des
38 %de la
pierres a été décidé, dont les mo-
dalités d’application demeurent
production
floues. mondiale de diamants
« Sanctionner les diamants rus- (en volume) réalisée
ses est la bonne chose à faire », par Alrosa en 2021
avait finalement reconnu début
décembre le premier ministre
belge, Alexander De Croo. Les
pierres russes polies dans des pays
tiers devraient à leur tour faire
l’objet d’un embargo dans un se-
cond temps, à partir de septem-
bre. L’Inde, qui réalise 90 % de la
taille et du polissage de diamants
dans le monde, redoute d’être une
A
victime indirecte des décisions du
G7 ciblant la Russie. ■
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO

18 ENTREPRISES
Alors que le chômage remonte, les Français
de moins en moins prêts à changer d’emploi
Le marché du travail pourrait encore
se rigidifier si l’exécutif revient
sur la rupture conventionnelle.
THOMAS ENGRAND
£@EngrandThomas
EMPLOI Est-ce le bon moment
pour changer de poste ou vaut-il
mieux remettre à demain ses envies
d’ailleurs? Hier encore, la question
se posait à peine. Dans un marché
du travail dynamique, porté par la
reprise post-Covid, les besoins de
main-d’œuvre étaient immenses et
les opportunités professionnelles
également. Pour la première fois en
position de force lors des entretiens
d’embauche, les salariés pouvaient
même négocier des conditions de
travail plus avantageuses (télé-
travail, hausses de salaire…). Une
confiance qui s’est traduite par
l’augmentation des démissions et
des ruptures conventionnelles : leur
nombre a grimpé à 650 000 chaque
trimestre au lendemain de la
pandémie contre 500 000 environ
les années précédentes, selon les
chiffres de la Dares. Loin de la
« grande démission » américaine, le
marché du travail français faisait,
lui, l’expérience d’une « grande
rotation ». Dans le même temps, en
effet, la part des Français en emploi
atteignait des sommets historiques :
68,1 % des 15-64 ans étaient
en poste en 2022 contre 66,1 %
deux ans plus tôt.
Las, la parenthèse dorée n’aura
pas mis longtemps à se refermer.
Guerre en Ukraine, hausse des prix
de l’énergie et croissance anémique
ont rapidement mis fin à l’optimis-
me des patrons. Sans aller jusqu’à
relancer massivement les plans so-
ciaux, ces derniers ont mis un coup
d’arrêt brutal à leurs projets de re-
crutements. Selon l’Insee, le nom-
bre de créations nettes d’emplois
dans le privé est tombé de 300 000
au cours du deuxième trimestre
2021 à 12 000 deux ans plus tard.
Depuis, le solde est même passé
dans le rouge avec 17 700 destruc-
tions nettes de postes au cours du
troisième trimestre 2023. De quoi
faire réfléchir à deux fois les em-
ployés curieux d’aller voir ailleurs.
Déjà peu enviable, la situation
pourrait encore empirer en 2024.
Outre la poursuite de la remontée
du chômage, une nouvelle fois
confirmée par l’Insee, qui table
dorénavant sur un pic à 7,6 % à la
fin du premier trimestre 2024,
économistes et chefs d’entreprise
s’inquiètent du projet de la premiè-
re ministre de s’attaquer aux
ruptures conventionnelles. Le dis-
positif, crée en 2008, permet à un
patron et un salarié de se séparer en
cas d’accord des deux parties. Pour
le premier, cet outil permet d’éviter
les recours en justice fréquents lors Selon les partenaires sation du marché du travail et qu’y indique Olivier Guivarch, secrétai- veille de la crise de 2008. À la diffé-
des licenciements. Pour le second, sociaux, réduire toucher risquerait de gripper la ma- re national de la CFDT en charge de rence qu’à cette époque les embauches
cela ouvre les droits à une prime de les recours aux ruptures chine voire d’accentuer la hausse l’emploi, pointant même l’incohé- se faisaient nettement plus en CDD et
licenciement et l’ouverture des conventionnelles du chômage. « Il s’agit d’un acquis rence qu’aurait une telle mesure. moins en CDI par rapport à 2022. »
droits au chômage. risquerait d’accentuer majeur pour les entreprises et les sa- « Cette réforme est assez contradic- Une différence qu’il met notamment
la hausse du chômage.
lariés qui a permis de vaincre la peur toire avec l’idée de flexibilité et de sur le compte des opportunités
ANTONIO DIAZ-
Gagner en transparence de l’embauche et de limiter les re- compromis. C’est en quelque sorte offertes par la rupture convention-
STOCK.ADOBE.COM
Un accord gagnant-gagnant sur le cours en justice lors des ruptures du antimacroniste », souligne-t-il. nelle. En revanche, le dispositif
dos des comptes publics, selon contrat de travail », souligne le Me- L’utilisation massive de la rupture pourrait gagner en transparence, ju-
Matignon. Dans l’entourage def, tout en se disant conscient du conventionnelle tend plutôt à mon- ge-t-il. À l’heure actuelle, les don-
d’Élisabeth Borne, on estime qu’« il poids pour les finances publiques. trer que l’outil répond à un besoin nées sur la partie à l’origine de la
n’y a plus beaucoup de démissions, « On ne peut remettre en cause la sur le marché du travail, selon Bruno demande de rupture, ou les entre-
tout le monde veut négocier ». rupture conventionnelle sans rigidi- Coquet, économiste spécialiste des prises qui en font le plus grand usa-
Inquiet de la remontée du chômage, fier le droit du travail, a déclaré dans politiques publiques. « Avant 2008, ge, manquent. Un éclairage qui, à
le gouvernement envisage de L’Opinion Laurence Parisot, défen- pour se séparer à l’amiable avec un terme, pourrait permettre de dessi-
réduire le recours des salariés aux dant un dispositif dont elle a été à salarié, les entreprises devaient avoir ner des pistes d’amélioration.
ruptures conventionnelles, qui l’origine lorsqu’elle dirigeait le Me- recours à des licenciements pour mo- Pour autant, Bruno Coquet se
connaissent un vrai succès, la barre def. À l’époque, « la rigidité du droit tifs personnels. C’était à la fois plus veut confiant quant à la décision
du demi-million d’accords signés du travail français était un énorme cher et moins sûr juridiquement », finale qui sera prise par le gouver-
ayant été franchie en 2022. problème. Dans beaucoup d’entre- souligne-t-il. L’économiste rejoint nement. « L’actuel directeur de ca-
Pourtant, représentants du prises, le risque de conflit était extrê- le patronat sur l’idée qu’en suppri- binet d’Élisabeth Borne, Jean-Denis
patronat, organisations syndicales mement élevé », souligne-t-elle. mant « la peur de l’embauche » le dis- Combrexelle, était directeur général
et économistes, tous s’accordent à Même constat des syndicats. positif a fluidifié le marché du tra- du travail en 2008. Et à ce titre l’un
dire que la rupture conventionnelle « On ne demande pas de modifica- vail. « Le marché du travail de des pères de la rupture conven-
a été un outil efficace de flexibili- tions de la rupture conventionnelle », l’après-Covid ressemble à celui à la tionnelle », rappelle l’économiste. ■

Bouygues, cheville ouvrière

de la ligne à grande vitesse
Londres-Birmingham
Le groupe est chargé de l’un des sept lots du projet
de LGV « HS2 », dont le coût total a complètement dérapé.
REPORTAGE
EMMANUEL EGLOFF £@eegloff
À HILLINGDON (ANGLETERRE)
INFRASTRUCTURES À l’entrée de
chacun des deux tunnels est écrit
un prénom féminin : Cecilia et
Florence. C’est ainsi que sont
désignés les deux tunneliers de
170 mètres de long et 2 000 tonnes
qui creusent inlassablement depuis
des mois les flancs d’une colline où
se déploie le chantier HS2, une
ligne de train à grande vitesse qui
doit relier Londres à Birmingham,
la deuxième ville du pays. HS2
pour « High Speed 2 » (« grande
vitesse 2 »), le numéro indiquant le
nombre de ligne de train à grande
vitesse dans le pays. À ce jour, il
n’en existe qu’une : celle qui relie le
tunnel sous la Manche à la gare
londonienne de Saint-Pancras. En
cette fin d’année, à une heure du
centre de Londres et bientôt à
quelques minutes en train, Cecilia
et Florence ont déjà parcouru
14 kilomètres sous terre. Il leur en
reste deux pour déboucher de
l’autre côté de la colline. Après ça,
il faudra encore déposer les rails et
tous les équipements ferroviaires.
Situé dans l’arrondissement
d’Hillingdon, à l’extrême ouest de
A
HS2, qui coordonne l’ensemble de
la ligne. Il a été confié à une coen-
treprise nommée Align, dirigée par
le français Bouygues Travaux pu-
blics (à 60 %) associé aux britanni-
ques Robert McAlpine (à 20 %) et
VolkerFitzpatrick (à 20 %). « C’est
sans doute le tronçon le plus techni-
que de cette première partie de la li-
gne HS2 », indique Daniel Altier,
directeur du projet chez Bouygues
Travaux publics. Ce chantier est
technique car il ne comporte que
des ouvrages d’art. D’abord un
double tunnel de 16 kilomètres de
longueur, comportant 38 passages
latéraux entre les deux tunnels et
cinq puits d’aération de grand dia-
mètre. Ensuite, un viaduc de 3,4
kilomètres, passant au-dessus des
lacs de la Colne Valley. « Ce sera le
plus long viaduc ferroviaire d’An-
gleterre, précise Daniel Altier. HS2
a voulu en faire un symbole de cette
ligne à grande vitesse, avec un tra-
vail important en termes de design,
les piles en forme de V très élancées
donnant l’impression d’un ricochet
sur l’eau des lacs. »
Le constructeur a décidé de réa-
liser tous ces ouvrages d’art simul-
tanément. Pour y parvenir, une
véritable ville est sortie de terre.
Elle s’étend sur 550 000 m2,
« l’équivalent de 80 terrains de foot-
zone de bureaux, une plateforme
de traitement des sols et des boues,
deux centrales à béton et deux usi-
nes pour préfabriquer les éléments
utilisés pour construire le viaduc
ainsi que les tunnels. Plus de
110 000 segments seront nécessai-
res pour ces derniers, et 1 000 pour
le viaduc. Mais chacun, appelé
« voussoir » dans la terminologie
des travaux publics, est légèrement
différent en fonction de son empla-
cement sur l’ouvrage. Et leur poids
varie entre 60 et 140 tonnes !
Décision radicale
Le travail est minutieux. Et lent.
Les tunneliers avancent en moyen-
ne de 15 mètres par jour. Le viaduc
bien moins vite. Mais il est plus
petit. Les travaux proprement dits
ont débuté début 2021, après un
long travail de préparation (pour
les études, le design et la prépa-
ration des budgets). Bouygues avait
été désigné par la société HS2 en
2015. Aujourd’hui, le chantier pro-
gresse au rythme prévu. « Le tron-
çon dont nous avons la charge est le
plus avancé parmi l’ensemble des
contrats du projet HS2, se félicite
Daniel Altier. 14 km sur 16 ont été
excavés par les deux tunneliers et
plus de 50 % du tablier du viaduc a
été érigé. » Les travaux devraient
Une vue aérienne
du viaduc ferroviaire,
long de 3,4 km, passant
au-dessus des lacs
de la Colne Valley,
à une trentaine
de kilomètres au nord-
ouest de Londres.
HIGH SPEED TWO LTD
dres et Birmingham est bien plus
lointaine, puisqu’elle n’est pas
prévue avant 2029. Le budget de ce
tronçon de 21 km est, lui, bien
tenu : le contrat initial était de
1,2 milliard d’euros, en 2017, et il
sera achevé pour 2 milliards, ce qui
n’est pas excessif pour un tel chan-
tier dans un monde où est réappa-
rue l’inflation. En cela, il se distin-
gue des autres tranches de cette
ligne à grande vitesse. Depuis son
lancement, le budget du HS2 n’a en
effet cessé de déraper.
Ces contraintes ont obligé les
différents contractants à des
prouesses techniques extrêmement
coûteuses. Et ils s’en sont rendu
compte en cours de travaux. Avec
les aléas inhérents à ce type de
grand projet et les difficultés tota-
lement inattendues liées au Covid,
les coûts se sont envolés. De quoi
avoir un impact sur l’ensemble du
projet HS2. Le coût de la liaison
entre Londres et Birmingham est
aujourd’hui évalué entre 45 et
54 milliards de livres sterling. C’est
beaucoup plus que le coût total de
2013. Le budget était alors estimé à
37,5 milliards de livres pour relier
Londres à Manchester, avant une
première réévaluation, en 2015, à
67 milliards, et une dernière esti-
mation à plus de 100 milliards de
livres.
Face à cette longue glissade in-
contrôlée, le premier ministre bri-
tannique Rishi Sunak a pris, début
octobre 2023, une décision radi-
cale, en annulant purement et sim-
plement la deuxième partie de
cette ligne à grande vitesse, entre
Birmingham et Manchester. C’était
une décision d’autant plus difficile
à prendre que cette infrastructure
était devenue le projet phare de la
politique devant aider au rééquili-
brage entre les régions défavorisées
du nord et du centre de l’Angleter-
re, et celles, favorisées, autour de
Londres. Pour une entreprise com-
me Bouygues, cette décision repré-
sente une perte d’opportunité,
puisque, fort de sa réussite sur son
tronçon, le groupe était un can-
didat légitime pour la deuxième
partie de la ligne. Mais elle ne lui

Londres, le chantier est l’un des ball », selon le dirigeant de être terminés en 2025, mais la mise la ligne HS2 telle qu’elle était pré- coûte pas d’argent, car rien n’avait
sept lots déterminés par la société Bouygues TP, comporte une grande en service commercial entre Lon- vue lors du lancement du projet, en encore été réellement lancé. ■
 LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024

ENTREPRISES 19
Vente de la cyber
et du big data
à Airbus, cessions,
dette… Atos se
démultiplie pour
enrayer sa chute.

LUCAS MEDIAVILLA £@Lucas_Medv

TECH Atos réussira-t-il à enrayer

la spirale infernale en 2024 ? Sauf
surprise, l’année en cours devrait
être celle du démantèlement pour
l’ex-fleuron de la tech. À l’occasion
d’un « point de marché » sur sa si-
tuation, le groupe présidé depuis
octobre par Jean-Pierre Mustier a
annoncé mercredi l’ouverture avec
Airbus d’une phase de due diligen-
ce autour des activités de BDS (Big
Le couteau sous la gorge, Atos
Data and Security).
Comme révélé par Le Figaro,
l’avionneur est revenu en force
dans le dossier depuis plusieurs
entre en négociation avec Airbus
semaines. Il aurait envoyé à Atos
une marque d’intérêt valorisant Le siège d’Atos, tre de cette année. Mais les dis- préciser s’il songe à demander au conditions dans lesquelles le mil- qui pourrait à nouveau investir »,
les activités de BDS jusqu’à à Bezons (Val-d’Oise). cussions « prennent plus de temps tribunal de commerce de nommer liardaire tchèque pourrait être li- indique un proche.
1,8 milliard d’euros. Une Le groupe fait face à que prévu », a indiqué mercredi un conciliateur ou d’ouvrir une béré de son obligation de partici- En attendant, la valse au conseil
deuxième marque d’intérêt, d’un des échéances de dette Paul Saleh, directeur financier procédure de sauvegarde. per à l’augmentation de capital d’administration d’Atos continue.
acteur non dévoilé, a également de 2,5 milliards d’euros d’Atos. Celui-ci jugeant là encore Des négociations aussi variées initialement prévue pour Eviden. Trois membres (Valérie Bernis,
d’ici 2025. que complexes qui pourraient ne
été reçue. Selon nos informations, qu’il n’y avait « aucune certitude Atos cherchait initialement à ré- Aminata Niane, Vernon Sankey),
DAVID NIVIERE/
il s’agirait du français Thales. Elle ABACAPRESS.COM
qu’elles aboutissent à un accord ». pas aboutir, des cessions d’actifs cupérer 900 millions d’euros, dont en poste depuis près de dix ans,
portait sur une partie seulement Ces deux cessions sont pourtant supplémentaires, un passage pos- 200 millions apportés par Daniel viennent de quitter le navire. Le
du périmètre de BDS, contre l’in- déterminantes pour la pérennité sible au tribunal de commerce… Kretinsky. De quoi donner un peu départ de René Proglio, adminis-
tégralité du côté d’Airbus. Atos, financière d’Atos. Le groupe fait Le « point de marché » n’est pas d’oxygène à Eviden. Mais la trateur depuis 2022, est lui plus
qui confie n’avoir « aucune certi- face à des échéances de dette de des plus rassurants. « On reconnaît manœuvre est très risquée, vu le polémique. En opposition frontale
tude » que l’opération aboutira, 2,25 milliards d’euros d’ici 2025. la patte prudente et impassible de cours de Bourse. Le groupe cherche avec le projet de scission, il a
espère franchir une étape décisive Dégradé par les agences de nota- Jean-Pierre Mustier », glisse un à en réduire le montant. Les envoyé fin octobre un courrier à
d’ici fin mars au plus tard. tion fin novembre, Atos annonce banquier d’affaires aux prises cessions d’actifs, comme BDS à l’Autorité des marchés financiers,
La vente de BDS acterait une avoir entamé des négociations dans le dossier. Airbus, pourraient le lui permettre. s’inquiétant des « dysfonction-
nouvelle étape dans la dislocation avec les banques pour le maintien Reste à savoir si Eviden pourrait nements graves » au conseil. Pour
de l’ex-fleuron, après la scission des financements et l’octroi de Manœuvre risquée prospérer, une fois coupé de ses les remplacer, Atos a nommé
en deux du groupe avec d’un côté refinancement. La direction leur Si le dialogue démarre avec activités cybersécurité et big data. François Mercadal-Delassalles et
Eviden (cybersécurité, big data, met la pression, insistant sur le Airbus, les négociations avec La direction se veut rassurante, Jean-Jacques Morin. D’autres
digital, cloud) et de l’autre Tech- fait que, si ces négociations Daniel Kretinsky sont entamées jugeant que l’entité pèserait 4 mil- mouvements sont à prévoir,
Foundation (activités historiques venaient à achopper, « le groupe depuis plusieurs mois. Complexes, liards de revenus et plus de 40 000 d’autant qu’Atos doit faire de la
d’infogérance). Ce pôle est promis pourrait avoir recours à des méca- elles se poursuivent à la fois sur le employés. « Ce serait un groupe place dans son conseil d’adminis-
à un rachat par Daniel Kretinsky, nismes de protection juridiques », prix de vente, le sort de certains positionné sur des métiers en crois- tration à son premier actionnaire,
l’opération devant initialement selon Paul Saleh. Interrogé par contrats, le transfert des passifs sance, comme le cloud et le digital, OnePoint. En décembre, ce dernier
être conclue au deuxième trimes- Le Figaro, le groupe se refuse à d’Atos et, désormais, sur les mais aussi allégé de ses dettes et a réclamé trois sièges au conseil. ■

Comment Perfesco réduit la note d’électricité des industriels

La filiale d’EDF prend en charge les travaux d’amélioration que les entreprises négligent souvent.
Laurent Kraif, son président. Le réduite de 70 %, ce qui représente Toyota de la luminosité nécessaire d’un coup leurs équipements »,
ELSA BEMBARON £@elsabembaron

ÉNERGIE La hausse des prix de

discours politique sur l’efficacité
énergétique porte ses fruits. « Nos
interlocuteurs sont plus réactifs. »
« des
La mesure une économie de 6 gigawattheures
sur les 100 que consomme le site.
Changer de vieilles ampoules pour
aux différents métiers », explique
Laurent Kraif. Au final, le nombre
de points lumineux a été réduit de
complète-t-il. La marche peut
être haute, mais les résultats sont
à la mesure des attentes. Perfesco
l’énergie, les nécessaires efforts de En quinze ans, le paysage et les at- performances des LED, bien moins gourmandes 20 %, des contrôles à distance estime avoir réduit de 90 % les
sobriété et d’efficacité éner- tentes ont radicalement changé. énergétiques en électricité, est bien plus comple- connectés ont été ajoutés aux deux dépenses électriques de GE en
gétique ont mis sur le devant de la Une des originalités des démar- constitue xe que cela n’y paraît. Pour mener à tiers de ceux qui ont été installés. France, dans les sites dans
scène des dossiers souvent négli- ches initiées par Perfesco est de la colonne bien le chantier, Perfesco a d’abord « Nous estimons à six ans le temps lesquels il est intervenu.
gés par les grands groupes indus- porter sur les dépenses énergéti- étudié tout l’éclairage du site, soit nécessaire pour rentabiliser un tel L’éclairage n’est pas le seul che-
triels. Perfesco, une filiale d’EDF, ques qui ne sont pas directement vertébrale 10 000 points lumineux. Les exi- projet », ajoute le patron de val de bataille de Perfesco, qui élar-
s’est positionnée sur ce marché il liées au cœur de métier du site, de nos gences pour la lumière ne sont pas Perfesco, qui a noué un contrat de git son champ d’action. Chez le
y a une dizaine d’années, avec un
principe simple : « D’abord, on in-
mais qui n’en constituent pas moins
une charge importante. La société
contrats
LAURENT KRAIF,
» les mêmes selon qu’elle sert dans
un atelier de soudure, de peinture,
dix ans avec Toyota Valenciennes.
La filiale d’EDF prend en charge
cimentier Vicat, le chantier a porté
sur le renouvellement des moteurs
vestit, on baisse les consommations est ainsi intervenue chez Toyota, à PRÉSIDENT des bureaux, une activité logisti- le financement des études néces- des ventilateurs de refroidissement
énergétiques… Et ensuite on se ré- Valenciennes. La consommation DE PERFESCO que, un parc en extérieur… « Nous saires à la réalisation du chantier, utilisés dans le processus de pro-
munère sur la différence », résume d’énergie de l’éclairage a été avons discuté avec les ergonomes de les équipements, les travaux, leur duction. « Nous avons installé des
gestion. Elle se rémunère ensuite systèmes de régulation pour arriver à
sur les économies générées. Un un meilleur rendement, ce qui a per-
contrat gagnant-gagnant. « La mis de réduire de plusieurs GWh par
LA SÉANCE DU MERCREDI 3 JANVIER mesure des performances éner- an la consommation énergétique du
LE CAC JOUR %VAR. +HAUTJOUR +BAS JOUR %CAP.ECH 31/12 JOUR %VAR. +HAUTJOUR +BAS JOUR %CAP.ECH 31/12 gétiques constitue la colonne
vertébrale de nos contrats », ajoute
site », détaille Laurent Kraif. La me-
sure du gain réalisé a été faite grâce
AIR LIQUIDE ........................... 171,96 -1,68 174,74 171,08 0,119 -2,36 LVMH ..............................................695,4 -3,82 720,4 692,8 0,084 -5,21 Laurent Kraif. Les procédures sont à la pose de compteurs électriques
AIRBUS ..............................................137,16 -2,92 140,92 136,62 0,11 -1,87 MICHELIN ..............................................
32,19 -1,29 32,62 31,94 0,158 -0,83 validées par l’Ademe, sur la base avant la réalisation des travaux – le
ALSTOM ..............................................10,965 -9,9 12,005 10,66 1,947 -9,98 ORANGE ..............................................10,62 +1,22 10,666 10,552 0,203 +3,07
ARCELORMITTAL SA ........................... 25,39 -1,67 25,785 25,045 0,268 -1,11 PERNOD RICARD ...........................151,95 -2,31 156,2 151,15 0,144 -4,88
d’un indice de performance procédé étant très linéaire, quelques
AXA .............................................. 29,69 -0,1 30,1 29,55 0,114 +0,68 PUBLICIS GROUPE SA ..................... 83,64 -1,02 84,7 83,16 0,152 -0,43 international (IPMVP). jours de mesure ont suffi. Ces
BNP PARIBAS ACT.A ........................... 61,67 -2,67 63,75 61,42 0,175 -1,47 RENAULT ..............................................36,375 -2,56 37,48 36,075 0,335 -1,44 compteurs sont ensuite laissés à de-
BOUYGUES ..............................................
34,44 -0,63 34,87 34,24 0,198 +0,94 SAFRAN ..............................................158,66 -0,89 160,08 158,14 0,067 -0,5 Normes de sécurité meure pendant toute la durée du
CAPGEMINI ..............................................
186,5 -1,56 189,1 185,15 0,19 -1,19 SAINT GOBAIN ........................... 64,02 -3,26 65,96 63,61 0,247 -3,96
Chez Air France, ce sont 10 GWh contrat entre Vikat et Perfesco, ce
CARREFOUR ..............................................
16,635 -0,81 16,85 16,54 0,14 +0,42 SANOFI ..............................................91,98 +1,2 92,49 91,37 0,093 +2,47
CREDIT AGRICOLE ...........................12,952 -0,86 13,2 12,89 0,167 +0,78 SCHNEIDER ELECTRIC ..................... 174,92 -2,21 178,36 173,36 0,127 -3,77 qui sont économisés tous les ans, qui permet de déterminer la rému-
DANONE ..............................................60,56 +1,66 61,18 59,78 0,245 +3,2 SOCIETE GENERALE ........................... 23,94 -2,74 24,745 23,535 0,614 -0,35 grâce au renouvellement des nération de ce dernier. « La motori-
DASSAULT SYSTEMES ........................... 42,945 -0,58 43,245 42,48 0,074 -2,92 STELLANTIS NV ...........................20,455 -3,38 21,2 20,32 0,094 -3,26 éclairages des bâtiments au sol. sation électrique compte pour environ
EDENRED ..............................................53,46 -1,55 54,32 53,28 0,141 -1,26 STMICROELECTRONICS ..................... 43,04 -3,45 44,455 42,78 0,18 -4,87 CLÔTURE Des mesures de bon sens ont été 30 % des usages électriques de l’in-
ENGIE .............................................. 15,84
ESSILORLUXOTTICA ........................... 179,26
-0,69 15,954
-1,25 182,12
15,708
177,94
0,213
0,063
-0,49
-1,29
TELEPERFORMANCE ...........................
THALES ..............................................
128,3
134,25
-3,75
+0,6
133,4
134,8
126,35
132,9
0,333
0,135
-2,84
+0,22 DU CAC 40 mises en place, avec, par exemple, dustrie : les chaînes de convoyage de

- 1,58 %
EUROFINS SCIENT. ...........................57,86 -3,08 59,32 57,64 0,212 -1,9 TOTALENERGIES ...........................61,74 -0,4 62,07 61,27 0,14 +0,23 la réduction de l’intensité de bouteilles, les pompes pour l’eau… »,
HERMES INTL ........................... 1861,2 -1,91 1895,8 1846,8 0,046 -3 UNIBAIL-RODAMCO-WE ..................... 66,52 -1,39 67,86 66,06 0,396 -0,6 l’éclairage dans les zones logisti- explique Laurent Kraif, qui veut dé-
KERING ..............................................381,15 -3,03 394,15 378,1 0,23 -4,47 VEOLIA ENVIRON. ........................... 28,27 -0,46 28,71 28,19 0,236 -1,02 ques où les interventions sont réa- sormais œuvrer au renouvellement
L'OREAL ..............................................
438,8 -1,13 446,45 436,65 0,052 -2,63 VINCI .............................................. 112,94 -0,88 114,12 112,46 0,101 -0,67 à 7 411,86 points lisées par les robots qui n’ont pas de ces équipements qui « ne sont pas
LEGRAND ..............................................91,68 -1,57 92,68 90,8 0,181 -2,57 VIVENDI SE ........................... 9,672 -0,23 9,788 9,634 0,185 -0,04
besoin de beaucoup d’éclairage. tous de dernière génération ».
« Les grands industriels privilé- Il lorgne aussi le marché des
LES DEVISES MONNAIE 1 EURO=
LʼOR VEILLE 31/12 gient souvent les projets structu-
rants, nous nous concentrons sur
pompes à chaleur (PAC) à usage in-
dustriel. « Les PAC peuvent être uti-
AUSTRALIE ................................................................................
DOLLAR AUSTRALIEN 1,6236 AUD Cotation quotidienne assurée par Or en Cash
CANADA ................................................................................
DOLLAR CANADIEN 1,4574 CAD https://www.orencash.fr/investissement/ des dossiers moins impression- lisées pour chauffer les bâtiments ou
GDE BRETAGNE ................................................................................
LIVRE STERLING 0,8647 GBP Lingot 1KG ................................. 59 967,7€ -0,25 % nants », ajoute Laurent Kraif. Sa dans le processus industriel », men-
HONG KONG ................................................................................
DOLLAR DE HONG KONG 8,5257 HKD Lingot 100g ................................. 6 008,67€ -0,25 %
JAPON ................................................................................
YEN 156,16 JPY Lingot 50g ................................. 3 010,84€ -0,25 %
société est aussi intervenue sur tionne-t-il. Une partie de la cha-
SUISSE ................................................................................
FRANC SUISSE 0,9322 CHF 1 876,27€
Lingot ONCE (31,10g) ................................. -0,25 % des sites classés Seveso, là où les leur nécessaire au processus indus-
ETATS-UNIS ................................................................................
DOLLAR 1,0919 USD Lingot 10g ................................. 610,87€ -0,25 %
TUNISIE ................................................................................
DINAR TUNISIEN 3,386 TND Lingot 2,5g ................................. 160,64€ -0,24 % interventions s’avèrent souvent triel pourrait être fournie par une
MAROC ................................................................................
DIHRAM 11,103 MAD 2OFr NAPOLÉON .................................373,3€ -0,25 % très complexes notamment en PAC, assistée d’un brûleur à gaz.
20Fr SUISSE ................................. 369,13€ -0,25 %
TURQUIE ................................................................................
NOUVELLE LIVRE TURQUE 32,5178 TRY
SOUVERAIN ................................. 467,97€ -0,25 % raison des normes de sécurité. Cela permettrait de réduire la
EGYPTE ................................................................................
LIVRE EGYPTIENNE 33,7435 EGP
KRUGGERAND ................................. 1 995,51€ -0,25 % « Plutôt que d’effectuer des chan- consommation de gaz et donc de
A

CHINE ................................................................................
YUAN 7,8057 CNY 50 PESOS ................................. 2 382,48€ -0,25 %
INDE ................................................................................
ROUPIE 90,965 INR 10 DOLLARS ................................. 974,21€ -0,25 % gements au fil de l’eau, nous pro- participer à la décarbonation du
ALGERIE ................................................................................
DINAR ALGERIEN 146,9316 DZD 20 DOLLARS ................................. 1 948,42€ -0,25 % posons à nos clients de changer processus industriel. ■
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO

20 MÉDIAS et TECH
Publicité :
Google tourne
la page des
cookies tiers
Cet abandon marque un tournant
décisif pour la confidentialité en ligne.
CLAUDIA COHEN ccohen@lefigaro.fr
ADTECH Le compte à rebours est
lancé. Après quatre années de re-
bondissements, Google mettra
progressivement un point final
aux cookies tiers sur son naviga-
teur Chrome à partir de ce jeudi.
Les cookies tiers aident les entre-
prises à cibler leurs publicités de
manière efficace et par conséquent
à financer les contenus en ligne
gratuits. Ces petits traceurs publi-
citaires permettent aux annon-
ceurs d’obtenir des informations
sur le profil des internautes, leurs
préférences, leur historique de na-
vigation sur différents sites, s’ils
ont cliqué ou non sur une annonce
et à quel endroit de la page. Ils sont
générés automatiquement par le
site visité et donnent lieu à de la
publicité personnalisée. Cet aban-
don des cookies tiers, qui touchera
tout d’abord 1 % des utilisateurs de
Chrome, avant une généralisation
prévue au second semestre, mar-
quera un tournant décisif pour la
confidentialité en ligne.
En guise d’alternative, la nou-
velle initiative de Google, nom-
mée « Privacy Sandbox », et an-
noncée pour la première fois en
avril 2020, a pour but de laisser les
annonceurs continuer à récolter
des informations sur les utilisa-
teurs, mais dans un cadre plus
respectueux de leur vie privée.
Concrètement, à travers « Trac-
king Protection » (la première
étape de Sandbox), de nouvelles
API (interfaces de programmation
d’application) de Chrome empê-
cheront les sites internet d’impo-
ser des cookies tiers aux utilisa-
teurs et de les partager avec des
sites inconnus.
Des remous dans
l’écosystème publicitaire
En parallèle, le numéro un mon-
dial de la communication, WPP,
annonçait en novembre dernier
le lancement d’un programme
spécial de préparation à la dispa-
rition des cookies tiers, en parte-
nariat avec Google. L’objectif
étant de mener une grande colla-
boration pour aider les annon-
ceurs à tester différentes appro-
ches et à développer des outils
publicitaires adaptés à cette nou-
velle réalité, avec ou sans les API
de la Privacy Sandbox de la firme
de Mountain View.
Reporté deux fois depuis la pan-
démie, le projet d’abandon des
Utilisé par deux tiers cookies tiers sur Chrome, un na-
des internautes vigateur utilisé par deux tiers des
à travers le monde, internautes à travers le monde,
Chrome est soupçonné n’a eu de cesse de provoquer des
par les régulateurs remous au sein de l’écosystème
britannique et français
publicitaire. Google a fait face à la
de vouloir renforcer
sa position dominante. levée de boucliers de l’ensemble
WACHIWIT - des éditeurs de sites, mais égale-
STOCK.ADOBE.COM ment au régulateur britannique, la
Competition and Markets Autho-
rity (CMA), et à la Cnil française.
Tous deux le soupçonnent de des-
siner une nouvelle politique qui
renforcera sa position dominante
sur le marché de la publicité en li-
gne. La CMA se réserve un délai de
60 à 120 jours pour vérifier la
conformité du projet.
En attendant, les géants de la
communication et de l’adtech
sont sur le pied de guerre et pré-
parent les annonceurs à ce boule-
versement. « Ce sera l’opportunité
pour les entreprises du secteur de
mener des expérimentations en
conditions réelles pour évaluer leur
préparation et l’efficacité de leurs
produits », souligne Geoffroy
Martin, PDG de l’adtech française
Ogury. « Les niveaux de prépara-
tion des annonceurs varient vrai-
ment en fonction de leurs besoins »,
note un expert du secteur.
Des alternatives
aux cookies tiers
Au fil des mois, plusieurs alternati-
ves aux cookies tiers se sont déve-
loppées. À commencer par le ci-
blage contextuel, qui se focalise sur
le contexte éditorial d’une page
web ou d’une vidéo pour afficher
une publicité cohérente. Par
exemple, un site consacré à la pa-
rentalité affichera des publicités
autour de l’univers de petite en-
fance. Surtout, la maîtrise de la
donnée dite « logguée » (ou pro-
priétaire) est devenue globalement
un graal pour les éditeurs de sites
et les annonceurs. Ce terme dési-
gne les sites ou plateformes où
l’utilisateur doit être connecté à un
compte personnel, ce qui permet à
l’éditeur de collecter ses données
et de les relier à son profil.
Pour s’adapter à cette nouvelle
réalité, plusieurs spécialistes du
reciblage publicitaire, comme le
français Criteo, ont par ailleurs dû
faire pivoter leur modèle écono-
mique. Ils misent désormais sur le
« retail media », soit les inventai-
res et produits publicitaires pré-
sents sur les sites marchands des
grands commerçants. ■

Les « Sept Magnifiques » de la tech, nouveaux rois de Wall Street

Après une année 2022 compliquée, Apple, Microsoft, Alphabet, Amazon, Tesla, Meta et Nvidia affolent
les compteurs avec une capitalisation boursière cumulée en hausse de 73 % en un an, à 12 000 milliards de dollars.
2024 (…). Ce groupe devrait mentaux des entreprises. Or, les
LUCAS MEDIAVILLA
lmediavilla@lefigaro.fr
Une année boursière 11 981 mds connaître une nouvelle augmenta- « Sept Magnifiques » ont une
tion de 30 % en 2024 grâce à l’IA », croissance plus robuste et de

BOURSE Ce sont les entreprises

les plus puissantes de la planète.
Les « Magnificent Seven », un clin
d’œil des analystes de Wall Street
au titre original du film Les Sept
Mercenaires pour désigner le club
formé par Apple, Microsoft,
Alphabet, Amazon, Tesla, Meta et
Nvidia, vont-ils continuer en 2024
leur folle cavalcade boursière ?
Depuis plusieurs mois mainte-
nant, la performance sur les mar-
chés de ces sept sociétés américai-
nes de la tech affole les compteurs.
Sur un an, le géant des puces
Nvidia a vu sa valorisation grimper
de 246 %. Le géant des réseaux so-
ciaux Meta s’est relevé avec un
cours en hausse de 184 %. Le
constructeur de véhicule électri-
que Tesla, détenu par Elon Musk,
progresse, lui, de 130 %. Arrivent
plus loin, mais toujours en hausse
sensible, les mastodontes Amazon
(+ 77 %), Microsoft (+ 57 %), Alpha-
bet (+ 57 %) ainsi que le construc-
teur d’électronique Apple (+ 54 %).
Après un énorme trou d’air en
2022, qui avait vu leurs cours s’ef-
fondrer, ces géants américains ont
connu en 2023 une trajectoire sans
fausse note. Une prouesse méri-
tante dans un contexte pourtant
incertain marqué par la guerre en
Ukraine, les tensions géopoliti-
ques, la remontée des taux d’inté-
rêt, les craintes sur une récession
73 %
américaine qui, si elles s’estom-
pent un peu ces dernières semai-
nes, étaient encore tenaces au dé-
but de l’année 2023.
À elle seule, la capitalisation
boursière cumulée des sept mas-
todontes a explosé de 73 % en
A
exceptionnelle Tesla 790 mds écrivait il y a quelques jours les
analystes de Wedbush. Grâce à
meilleures marges que leurs pairs.
Selon Goldman Sachs, ce groupe
Nvidia
leur capacité d’innovation et leurs verra ses ventes augmenter de
CAPITALISATION BOURSIÈRE CUMULÉE, 1 220 mds
poches profondes, les Google, 11 % par an en moyenne jusqu’en
EN MILLIARDS DE DOLLARS Amazon, Apple, Microsoft et Meta 2025, « contre seulement 3 % pour
ont tous les moyens pour s’impo- le reste de l’indice S&P 500 ». Les
Microsoft ser dans le domaine. marges nettes sont elles « deux
2 790 mds La course est, cela dit, menée fois supérieures à celles du reste de
par Microsoft. Au travers de son l’indice, et le consensus s’attend à
partenariat avec OpenAI (créa- ce que cet écart persiste jusqu’en
6 869 mds teur de ChatGPT) et ses investis- 2025 », écrivent encore les ana-
Meta
389 mds 861 mds sements dans son cloud Azure lystes de la banque.
364 mds qu’il pourrait monétiser rapide- Bien sûr, 2024 apportera son lot
Google ment, le groupe de Satya Nadella de défis. Longtemps ultradomi-
1 790 mds 1 760 mds est considéré comme le plus nant sur le véhicule électrique,
avancé dans le domaine. Google Tesla voit la concurrence chinoi-
lui aussi avance très vite sur le su- se, incarnée notamment par BYD,
320 mds
jet,. En témoigne le lancement de venir lui mordre les mollets. Goo-
1 150 mds Apple son IA générative Gemini le 6 dé- gle est menacé par un procès-
2 990 mds cembre. Amazon, via sa filiale fleuve aux États-Unis qui pourrait
dans le cloud AWS, ou Apple, qui lui imposer rien de moins qu’un
devrait rapidement saisir l’op- démantèlement. Apple espère
2 000 mds portunité d’intégrer l’IA généra- un rebond des ventes de télépho-
tive à ses produits, seront évi- nes et de PC, mais vit toujours
Amazon demment de sérieux concurrents. sous la menace de perturbations
856 mds 1 570 mds Tout comme Meta, qui a large- sur son marché chinois. De son
ment redressé ses performances côté, Nvidia devra prouver qu’il
Janvier 2023 Janvier 2024 commerciales par rapport à l’an est en capacité de répondre à la
Source : Bloomberg Infographie passé, avec une hausse de ses re- demande pour ses puces dédiées à
venus de 23 % entre juillet et sep- l’IA. Microsoft, Google, Meta et
tembre et des bénéfices plus que Amazon devront aussi démontrer
poids de ces géants est devenu tel- ment colorée par l’essor de l’in- doublés à 11,5 milliards sur les qu’ils arriveront à monétiser effi-
lement important qu’il porte les telligence artificielle (IA). Quel trois derniers mois. Chez Mark cacement leurs dizaines de mil-
de hausse
indices phares de la bourse améri-
caine. Selon Goldman Sachs, les
« Sept Magnifiques » sont respon-
sables pour deux tiers des gains du
S&P 500 (+ 24 % en 2023). Ce club
meilleur exemple que Nvidia, l’un
des principaux équipementiers de
l’IA avec ses puces, qui a passé le
cap de 1 000 milliards de capitali-
sation boursière l’an passé.
Zuckerberg, l’IA promet égale-
ment de faire des miracles, aussi
bien dans l’activité publicitaire
que dans les produits de réalité
mixte du groupe, comme son
liards de dollars investis dans l’IA,
ce qui n’est pas encore tout à fait
évident à ce stade.
Certains investisseurs pour-
raient aussi être tentés de prendre
Capitalisation pèse désormais plus du quart de la Oculus Quest ou via son partena- leurs gains après cette année faste.
boursière cumulée capitalisation cumulée des 500 Nouvelle année faste riat avec Ray-Ban sur les lunettes Mais, à Wall Street, le sentiment
des « Magnificent plus puissantes entreprises améri- en 2024 grâce à l’IA augmentées. Cette bataille de l’IA général confie à l’optimisme pour
Seven » en 2023, caines, et près de 60 % du Nas- Loin de toute surchauffe, la dyna- et les promesses de croissance as- les titans américains de la tech. Si
passée de 6 950 daq 100. mique liée à l’IA devrait encore sociées attireront évidemment les les arbres ne montent pas jusqu’au
à 12 000 milliards À l’exception de Tesla, porté par porter ce groupe d’entreprises capitaux des marchés financiers. ciel, les « Sept Magnifiques » de-
de dollars l’électrification du parc automo- cette année. « Nous pensons que Dans une période troublée vraient donc continuer à pousser

2023, passant de 6 950 à bile, dont il est perçu comme le les “Magnificent Seven” connaî- comme actuellement, ces derniers un peu plus leurs branches vers les
12 000 milliards de dollars. Le champion, la hausse est évidem- tront une nouvelle année faste en s’attachent également aux fonda- sommets. ■
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO - N° 24 685 - Cahier N° 3 - Ne peut être vendu séparément - www.lefigaro.fr

HORLOGERIE CINÉMA
TROISIÈME VOLET DE NOTRE SÉRIE RICHARD PATRY, PATRON DE LA FÉDÉRATION
SUR LES MONTRES DE STARS : LES PLUS NATIONALE DES CINÉMAS, SE FÉLICITE
BELLES HEURES DU RAP ET DE LA POP PAGE 24 DU BON BILAN DES SALLES EN 2023 PAGE 27

VOYAGE : NOS 30 HÔTELS DE RÊVE

EN FRANCE COMME AU BOUT
DU MONDE, NOS REPORTAGES
NOUS ONT CONDUITS DANS
DES LIEUX D’EXCEPTION.
VOICI NOTRE PREMIÈRE
SÉLECTION. PAGES 22 ET 23
AUDEMARS PIGUET ; FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO ; RESORT GIRIJAALA ; COURTESY OF SOTHEBY’S

L’hôtel Amangiri,
dans le sud de l’Utah.

ENCHÈRES :
LA COLLECTION
YVES GASTOU,
UN SAVOUREUX
MÉLANGE
DE GENRES PAGE 26

PHILIPPE JOST, L’HOMME QUI ROUVRIRA NOTRE-DAME

NOMMÉ À LA TÊTE DE L’ÉTABLISSEMENT PUBLIC, IL ORCHESTRE LA RENAISSANCE DE LA CATHÉDRALE POUR FIN 2024.
devait reprendre le flambeau à la tête de l’intérieur est restauré et nettoyé. Il reste confiance, la fierté et l’entraide règnent, y mains et ont su susciter des vocations
CLAIRE BOMMELAER
cbommelaer@lefigaro.fr l’établissement public pour la recons- devant Jost et les 500 personnes tra- compris entre des entreprises d’ordinaire auprès des jeunes générations. On sent
truction de la cathédrale. Comment ima- vaillant sur place à achever les toitures et concurrentes. Mon rôle est de faire en sorte aussi ce catholique pratiquant touché par
giner perdre quelques précieuses semai- les couvertures en plomb. Il reste égale- que cet état d’esprit d’union perdure et que la renaissance du monument et ce qu’il
endant près de quatre ans, nes à transmettre et expliquer les travaux ment à traverser sans encombre la pé- l’on trouve des solutions quand il le faut », appelle des « moments de grâce et de

P Philippe Jost fut l’ombre du

général Georgelin, ce dernier
tenant le devant de la scène,
tandis que le directeur faisait
tourner la boutique. Le tandem aurait
pu durer jusqu’en décembre 2024,
moment choisi pour la réouverture de
à un nouvel entrant ? La plupart des en-
treprises du chantier plaidaient pour une
solution de continuité, ce qui fut fait.
En 2024, il revient donc à ce polytech-
nicien de 63 ans d’être le garant de la te-
nue des délais et de la promesse présiden-
tielle de reconstruire Notre-Dame en cinq
riode des Jeux olympiques, soit trois mois
minimum pendant lesquels le ballet des
camions de chantier devra se poursuivre
dans un Paris embolisé. Retard en vue ?
Bourreau de travail, très « ingénieur »
dans son approche (il adore les chiffres,
dont il maîtrise l’art), Philippe Jost n’a pas
indiquait-il il y a un mois au Figaro,
ajoutant : « Nous sommes une grande
équipe. Personne n’y arrivera seul, moi le
premier. »

Notre-Dame de Paris. Mais le sort en a
décidé autrement, avec la mort brutale du
général, en août 2023. Après avoir sondé
l’Église et les compagnons du chantier, il
ans. Les choses se présentent bien, même
si aucun chantier n’est à l’abri d’un aléa
climatique ou d’un autre coup du sort.
Pour l’instant, la flèche est redressée,
l’air de craindre l’année qui vient. No-
tamment parce qu’il se sent porté par
ceux qui travaillent pour la cathédrale.
« Sur le chantier, chacun apporte sa contri-
Une admiration
pour les compagnons
S’il a repris le bureau du général à
l’Élysée, le nouveau président se veut
proche de ses troupes. Dans sa voix, on
perçoit des marques d’admiration pour
beauté ». Déjà, certains compagnons,
dont des maîtres verriers ou charpen-
tiers, sont en train de quitter Notre-Da-
me, avec des souvenirs mais aussi des re-
grets de ne plus en être. Pour Philippe
Jost, l’aventure devrait s’achever moins
brutalement. Si la fin de l’année et la
réouverture de Notre-Dame sera très
politique, avec Emmanuel Macron en tête
de pont, le dirigeant de l’établissement
public poursuivra en 2025 la restauration
A

est rapidement apparu que Philippe Jost les charpentes en bois sont installées, bution à une réussite qui est collective. La ces compagnons qui ont de l’or dans les de l’extérieur de la cathédrale. ■
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO
22 L'ÉVÉNEMENT
CE SONT DES LIEUX
HORS DU COMMUN.
NOUS LES AVONS
TESTÉS, ILS NOUS
ONT ÉMERVEILLÉS.
VOICI NOTRE SÉLECTION,
FORCÉMENT
SUBJECTIVE…
YAN BERNARD-GUILBAUD
ybernard@lefigaro.fr,
BÉNÉDICTE MENU bmenu@lefigaro.fr,
MARIE-ANGÉLIQUE OZANNE
maozanne@lefigaro.fr
ET PHILIPPE VIGUIÉ DESPLACES
pviguiedesplaces@lefigaro.fr
ur les pentes d’un volcan, une
S plage abandonnée, un site ar-
chéologique, un paysage d’es-
tampe. Dans un bâtiment
classé, une folie d’architecte,
un lodge écolo… Quel choix cornélien
de devoir garder seulement trente hô-
tels parmi nos nombreux coups de
cœur à travers le monde ! Voici notre
première « bucket list » de l’année,
mixant grands classiques et petites pé-
pites pour combler tous les voyageurs
en quête d’exception.
LÉGENDAIRES
uChelsea Hotel, États-Unis
En 1884, Philip Hubert conçoit le
Chelsea Building à New York, pensé
pour les classes populaires. En 1905, il
devient un hôtel et accueille dès les se-
venties les icônes de la scène under-
ground new-yorkaise tels Jack Ke-
rouac, Bob Dylan ou Andy Warhol.
Après de longues années de fermeture,
le Chelsea vient de subir un lifting com-
plet. Tout a changé ou presque, sauf
l’âme du lieu et sa façade iconique de la
23e Rue en briques rouges. À partir de
350 € (1). Hotelchelsea.com
uSofitel Legend Old Cataract
Aswan, Égypte
Agatha Christie écrivait sur sa terrasse,
Churchill disposait d’une suite attitrée,
Mitterrand y abritait ses amours secrè-
tes, Jean-Claude Ellena y composa Un
Jardin sur le Nil… En Haute-Égypte, sur
la rive droite du fleuve mythique, Old
OWO RAFFLES, SERVICE DE PRESSE, STANISLAS FAUTRE/LE FIGARO MAGAZINE, TOMAS MUNITA/LE FIGARO MAGAZINE, FOGO ISLAND INN, SERVICE DE PRESSE, CROOKESANDJACKSON
Cataract est plus qu’un hôtel, c’est une
source d’inspiration intarissable. De-
puis 125 ans, le palace légendaire d’As-
souan, perché sur sa falaise de granit
rose, offre à chacun un fragment
d’éternité. À partir de 505 € avec petit
déjeuner. All.accor.com
uRoyal
Mansour, Maroc
C’est un royaume en soi, célébrant
l’art de vivre raffiné et l’excellence des
savoir-faire marocains, dans l’ambian-
ce feutrée d’un dédale de palais
(53 riads privés). Ses jardins divins ex-
halent la rose, le jasmin et la fleur
d’oranger. Cette bulle de 5 hectares,
aux portes de la médina de Marrakech,
est une ville dans la ville. Tables exqui-
ses, spa d’exception, kid’s club, service
aux petits oignons… Le luxe ultime. À
partir de 1 500 €. Royalmansour.com
uRitz
Hôtel, France
« J’ai trop aimé tous les Ritz de la ter-
re »… On doit à la princesse de Fauci-
gny-Lucinge ce joli mot qui fait du pres-
tigieux hôtel de luxe de la place
Vendôme, à Paris, l’un des plus connus
au monde. Il fut le préféré de Marcel
Proust, celui où mourut Coco Chanel et
le dernier toit qui abrita la princesse
Diana. Autant dire que le Ritz a
beaucoup fait l’histoire, avant de subir
une rénovation complète en 2016. Avec
71 suites sur 142 chambres, il n’a tou-
jours pas accédé à la distinction de pala-
ce ! À partir de 2 500 €. Ritzparis.com
uÀ nos pieds, les jardins du palais im-
Aman Tokyo, Japon
périal. À l’horizon, les neiges éternelles
du mont Fuji. Autour, le scintillement
frénétique de la capitale japonaise. Per-
ché entre les 33e et 38e étages de la tour
Otemachi, le premier hôtel urbain de la
chaîne hyperexclusive Aman semble en
lévitation au-dessus du tumulte du
monde. Tout est spectaculaire ici : le
lobby de 30 m de haut, le spa et sa pisci-
ne de 30 m de long, la délicatesse de la
cuisine, les chambres avec vue…
L’acmé de l’élégance japonaise. À partir
A
de 1 722 €, avec petit déjeuner.
Aman.com
1
2
INTO THE WILD
uL’avion de brousse se pose sur la
Ishara, Kenya
petite piste d’Olkiombo dans la ré-
serve du Masai-Mara. À 5 km de là, le
chapelet de tentes du lodge Ishara
s’égrène le long de la rivière Talek où
s’abreuvent les animaux sauvages.
Nous sommes aux premières loges
pour observer le spectacle de la na-
ture. Les chasseurs d’images dispo-
sent d’un studio photo équipé par Ca-
non, les sportifs d’un luxueux fitness,
et les contemplatifs d’un « starbed »,
un lit au-dessus de la canopée pour
embrasser les étoiles. À partir de
2 350 € avec pension complète,
safaris, accès au studio photo…
Ishara.ke
uWilderness
Bisate, Rwanda
À quelques minutes de l’entrée du
parc national des Volcans, où le
Rwanda veille sur les gorilles de mon-
tagne, Wilderness a conçu cet éco-
lodge singulier perché à 2 800 m
sur les pentes érodées d’un ancien
volcan. Les nids en papyrus et toit de
chaume qui le composent évoquent les
huttes traditionnelles des anciens rois
tutsis tandis que l’architecture in-
térieure joue avec brio une partition
géométrique inspirée de l’art imi-
gongo. Un lieu maintes fois primé, qui
enchante ses hôtes autant qu’il génère
de bienfaits pour sa terre d’accueil.
Compter 1 900 € en pension complète.
Wildernessdestinations.com
uJack’s
Camp, Botswana
À l’ivresse des immensités du
Makgadikgadi dans le Kalahari,
s’ajoute la magie de ce camp classé
musée national. S’y livre l’histoire du
safari depuis ses prémices dans les an-
nées 1940, dans les souvenirs de cinq
générations d’une lignée d’aventu-
riers. Jack Bousfield fut l’un d’eux. En
lisière du lac salé de Ntwetwe, l’en-
droit fut son QG jusqu’à sa mort en
1992. Un an plus tard, son fils Ralph
ouvrait aux voyageurs ce havre deve-
nu une légende au pays des San. Un ti-
tre de meilleur guide de safari, obtenu
aux Tatler Travel Awards 2023, le
confirme : la saga continue… À partir
de 3 642 € en pension complète.
Naturalselection.travel
uAlila
Jabal Akhdar,
sultanat d’Oman
Perché à 2 000 m sur les falaises du fer-
tile djebel Akhdar, la « montagne ver-
te » où pousse la rose de Damas, ce 5-
3
LES 30 HÔTELS
étoiles a la sobriété heureuse des lieux
qui savent sublimer la nature. Matières
brutes et tons neutres, hommages à
l’artisanat local, terrasses et jardins
ombragés en font un havre où profiter
DE DORMIR UNE
4
d’une vue à couper le souffle sur les
monts Hajar et, à la nuit tombée, sur le
ciel étoilé. Au paradis des géologues,
randonnées et via ferrata y sont aussi
un must. À partir de 550 € en demi-
pension. Alilahotels.com
uSanctuary
Lodge Machu Picchu,
Pérou
Parce que c’est le seul hôtel situé à l’en-
trée de l’ancienne cité inca à 2 430 m
d’altitude, parce qu’il permet de visiter
le site archéologique avant la foule,
parce que le paysage qui l’entoure est
sacré, parce qu’il nous réserve des mo-
ments hautement spirituels, le Sanc-
tuary Lodge Machu Picchu du groupe
Belmond est un endroit que l’on ne peut
oublier. 1 365 € en pension complète.
Belmond.com
uArctic
Bath, Suède
Au cœur de la Laponie suédoise,
Arctic Bath est un ensemble de petites
pépites architecturales saupoudrées sur
le fleuve Luleälven et à l’orée d’une fo-
rêt enchantée. Un bâtiment en forme
de donut dédié au bien-être nordique,
et, autour, des cabines pour amateurs
de design scandinave et de nature po-
laire. On y découvre la culture des Sa- désertique. Autour, le « royaume du
mis, le dernier peuple autochtone vent » souffle sur une nature spec-
d’Europe. À partir de 830 € en demi- taculaire sculptée de gorges et de me-
pension. Arcticbath.se sas. Hôtel culte depuis son ouverture il
uExplora
y a 15 ans, l’Amangiri est un rêve
Uyuni Lodge, Bolivie d’architecte minimaliste. Trente-qua-
Au pied du volcan Tunupa, près du tre suites, un restaurant, un spa
village de Jirira, un sobre rectangle noir sublimissime, une piscine creusée dans
aux larges baies vitrées domine le salar la roche et une multitude d’expérien-
d’Uyuni. Pensé par l’architecte chilien ces éblouissantes. À partir de 3 474 €
Max Nunez tel un module lunaire, il en pension complète. Aman.com
uPhum
disparaîtra un jour sans laisser de tra-
ce… Pour l’heure, il offre à une poignée Baitang Zannier, Cambodge
de chanceux, un confort absolu dans un À portée de touk-touk des temples
cadre minimaliste qui sied au plus d’Angkor, ce « village vert » (son nom
grand royaume de sel sur terre. Et en khmer) dissémine ses 45 villas sur
l’expérience d’un réveil sidérant face à pilotis dans un écrin végétal en sur-
10 500 km² de blancheur craquelée sous plomb des rizières. Côté déco, pièces
un ciel cobalt. Une fantasmagorie à d’artisanat choisies, lin et tapis
explorer, l’imagination en bandoulière. d’Orient évoquent une Indochine
À partir de 7 542 € les 3 nuits (séjour fantasmée. Mêmes atmosphères déli-
minimum) en pension complète, ex- cates au Cigar & Cocktail Lounge dans
cursions et transferts inclus. la ferme centenaire du domaine, et au
Explora.com Bay Phsar, la table des saveurs
uAmangiri,
cambodgiennes. Derrière une façade
États-Unis en pierre sculptée, le Spa Temple et
Au sud de l’Utah, comme un mirage son pavillon de yoga… Un rendez-vous
surgi des terres navajos de Canyon avec l’âme khmère et la sérénité.
Point, les deux ailes géométriques de À partir de 570 €.
l’Amangiri se fondent dans le paysage Zannierhotels.com

OÙ L’ON RÊVE
FOIS DANS SA VIE
SUR UNE ÎLE
u
Cheval Blanc St-Barth
Isle de France, France
Cette maison posée au bord de la plage
de sable blanc des Flamands, l’une des
plus belles de Saint-Barthélemy, mérite
son label Palace. Imaginée par Jacques
Grange, la déco incarne à la perfection
l’atmosphère si particulière des Caraï-
bes. Entre le personnel – parfait -, les
jardins tropicaux mis en scène par le
paysagiste star Madison Cox et la table
confiée à Jean Imbert, tout ici respire
l’excellence. À partir de 1 200 €. Che-
valblanc.com
uSoneva
Kiri, Thaïlande
« No news, no shoes » : c’est le slo-
gan de ce véritable écoresort (plastique
banni, déchets recyclés, production
d’eau potable…) à la Robinson Crusoé
sur l’île de Koh Kood entre la mer d’An-
daman et celle de Chine, à l’est d’une
Thaïlande encore inexplorée longeant le
Cambodge. Nichées à l’abri des regards,
les 36 villas XXL en bois accueillent des
voyageurs avertis en quête d’authenti-
cité et de luxe discret. Bienvenue au pa-
radis. À partir de 1 550 €. Soneva.com
uEntre mer et maquis, ce serait ici, à
Domaine de Murtoli, France
en croire certains, que pourrait se si-
tuer la genèse du jardin d’Éden. Sur
cette terre corse, à mi-chemin entre
Sartène et Bonifacio, un immense
herbier de 2 500 hectares aux paysa-
ges grandioses abrite un récent hôtel 5
étoiles (entre l’oliveraie et le potager)
qui complète les 20 demeures et ber-
geries. Pour une parenthèse corse
hors du temps. À partir de 300 €.
Murtoli.com
uThe
Brando, Polynésie française
Voici un hôtel hors norme né d’une
folie. Celle de Marlon Brando. Venu ici
en 1960 à l’occasion du tournage des
Révoltés du Bounty, il en repartit avec
une épouse, Tarita, et la ferme in-
tention d’acquérir Tetiaroa. À 50 km
au nord de l’île de Tahiti, la star de
Hollywood a voulu faire de cet atoll
du Pacifique son refuge, le seul des
îles du Vent. Aujourd’hui en cuisine,
Jean Imbert s’est même inspiré des
archives personnelles de Brando pour
concevoir ses cartes. À partir de
2 000 €.
Thebrando.com
5
6 de blancheur
7 victorienne est à la fois un superbe
uFogo
Island Inn, Canada
Paquebot futuriste tourné vers
l’Atlantique et ancré sur des pilotis
d’acier, ce boutique-hôtel à l’archi-
tecture en forme de X est un écrin
posé presque au milieu de nulle part,
sur la petite île de Fogo, au nord-est
au large des côtes de Terre-Neuve. Ce
Relais & Châteaux de 29 chambres, où
l’on passe le temps en observant les
baleines et les icebergs dérivant au
large, fait rêver tous les voyageurs en
quête d’ailleurs. À partir de 1 200 €.
Fogoislandinn.ca
uLaba
Fanjove, Tanzanie
Sur la plus petite des six îles de l’ar-
chipel Songo Songo, ouvrait il y a peu
le troisième opus d’une nouvelle col-
lection de lieux rares baptisée Laba
Laba. Son phare du XIXe qui abrite le
restaurant et sa terrasse en surplomb
de l’onde, confère à ce bout du monde
une âme unique. Une dizaine de co-
cons d’hôtes, tout en bois, tressage et
coquillages, s’éparpillent le long de
son ruban de sable où se nichent, sous
les frondaisons, un bar lounge, un spa
et un centre nautique. Au large, le ré-
cif corallien bruisse de vie… La quin-
tessence du rêve îlien. À partir de
1 790 € en pension complète, activités
et transferts inclus. Labalaba.com
uComo
Laucala Island, Fidji
Chérie par Malcolm Forbes, façon-
née en hôtel par le patron de Red Bull,
c’est une luxuriance volcanique de
14 km², sertie d’un récif corallien. Un
rêve de milliardaire, fuyant les artifices,
sur lequel veille désormais le groupe
hôtelier Como. S’y lovent 25 écrins
pour ses hôtes et plus qu’il ne faut pour
leur bien-être. Un vallon abrite le villa-
ge des traditions fidjiennes et le golf 18
trous. Plus loin, les serres hydroponi-
ques et la ferme qui rendent Laucala
autosuffisante à 85 %. Une icône du Pa-
cifique Sud… 20 174 € les 3 nuits en tout
inclus sauf les (non moins coûteux)
transferts… Comohotels.com
u20
Degrés Sud, Maurice
Si les hôtels de rêve ne manquent pas
sur l’île, le 20 Degrés Sud est son unique
Relais & Châteaux. Un trésor de raffi-
nement qui se dévoile derrière une
lourde porte en chêne aux abords du la-
L'ÉVÉNEMENT
gon de Grand Baie. Son joyau ? Il se
trouve amarré au bout du ponton sur la
plage, et répond au doux nom de Lady
Lisbeth. Tout en bois, ce bateau de col-
lection datant des années 1930, permet
à huit hôtes de voguer sous les étoiles le
temps d’une croisière gastronomique
sous la houlette du chef mauricien San-
jeev Purahoo. À partir de 460 €.
20degressud.net
ROMANTIQUES
u
Il Sereno Lago Di Como, Italie
Voici une merveille d’élégance qui se
fond, comme par magie, dans les rives du
lac de Côme. L’hôtel Sereno (petit frère
de celui de Saint-Barth) en respecte l’his-
toire et la nature. La prouesse de l’archi-
tecte et designer Patricia Urquiola est
d’avoir imaginé un décor à la fois em-
preint d’audace et de classicisme. Sans
aucune faute de goût. Le must, les petites
vedettes Riva mises à disposition des hô-
tes, sans besoin de permis. « What else ? »
À partir de 800 €. Serenohotels.com
uSix
Senses Fort Barwara, Inde
À deux heures et demie de route de
Jaipur, la campagne verte et ocre du
Rajasthan distille ses sortilèges. Dans
les vestiges d’un fort du XIVe siècle, le
groupe Six Senses a fait surgir un hôtel
digne d’un maharadja. Dans l’enceinte
de la forteresse : deux palais, deux
temples, 48 suites, 3 restaurants et un
sanctuaire dédié au bien-être. Une ca-
chette royale pour vivre un conte in-
dien. Et explorer le parc de Rantham-
bore, célèbre pour ses tigres. À partir
de 605 €. Sixsenses.com
uLuxchongzuo,
Chine
À la frontière du Vietnam et de la pro-
vince du Guangxi, dans un décor ciné-
matographique de rizières émeraude,
pains karstiques nimbés de brume, jar-
dins luxuriants… le groupe LUX* a planté
un boutique-hôtel tropical contempo-
rain. Une retraite hédoniste pour arpen-
ter la campagne chinoise et oublier le
temps, porté par les eaux de jade de la ri-
vière Mingshi. À partir de 584 € avec pe-
tit déjeuner. Luxresorts.com
uFife
Arms, Grande-Bretagne
Dans les Highlands, au cœur du
parc national des Cairngorms, cet an-
LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024
23
1. OWO Raffles, Grande-Bretagne.
2. Luxchongzuo, Chine.
3. Laba Fanjove, Tanzanie.
4. Explora Uyuni Lodge, Bolivie.
5. Fogo Island Inn, Canada.
6. Sofitel Legend Old Cataract
Aswan, Égypte.
7. Wilderness Bisate, Rwanda.
« d’un
L’expérience
réveil sidérant
face à 10 500 km²
craquelée
sous un ciel cobalt.
Une fantasmagorie
à explorer,
l’imagination
en bandoulière »
EXPLORA UYUNI LODGE, BOLIVIE
cien relais de poste écossais d’époque
hôtel, un musée, un cabinet de curio-
sités et le fantasme d’un décorateur
formé à Poudlard. « Cherry on the
cake », le personnel du Fife Arms
contribue à rendre souriant ce décor
de donjon hanté aux 46 chambres plus
surprenantes les unes que les autres.
À partir de 460 €. Thefifearms.com
DERNIERS-NÉS
uOWO Raffles, Grande-Bretagne
Qui aurait pensé qu’un haut lieu de
la guerre puisse être si accueillant ?
Assurément, Raffles (groupe Accor)
pour faire de l’Old War Office (OWO)
un luxueux hôtel sur Whitehall, artère
centrale de Londres. La restauration a
été titanesque, des centaines d’arti-
sans locaux ont travaillé d’arrache-
pied pour redonner à l’OWO son éclat
d’antan. Mauro Colagreco officie en
cuisine, quant au spa, il est signé
Guerlain. « Remarquable » : le mot
existe aussi dans la langue de Shakes-
peare et trouve tout son sens ici. À
partir de 1 270 €. Theowo.london
uBulgari
Hotel Roma, Italie
Sur la Piazza Augusto Imperatore,
face au mausolée d’Auguste, le Bulgari
Hotel Roma s’est glissé avec justesse
dans l’étui d’une imposante architec-
ture des années trente. Ouvert il y a
quelques mois, ce petit joyau de la
dolce vita romaine s’est offert, dans
un luxe discret, le meilleur de l’Italie.
Marbre travertin, appliques en cristal
de Murano, tissus Rubelli… Rien n’y
est ordinaire, pas même ce spa aux al-
lures de thermes et ce service à l’ita-
lienne, sur lequel souffle l’excellence.
À partir de 1 650 €.
Bulgarihotels.com
uRosewood
São Paulo, Brésil
Un projet pharaonique pour réen-
chanter la ville. Pensé par Jean Nouvel
comme un « bâtiment paysage » au
cœur de la jungle urbaine, l’hôtel se ni-
che dans le site historique de la cidade
Matarazzo et son parc arboré de 4,5
hectares. Décoré par Philippe Starck
avec la quintessence de l’artisanat bré-
silien contemporain, ce point de chute
atypique constitue un cocon réconfor-
tant où se replier et sociabiliser dans la
mégalopole brésilienne. À partir de
750 €. Rosewoodhotels.com
uOne
& Only Aesthesis, Grèce
Sur la mer Égée, aux portes du
quartier cosmopolite de Glyfada, le
One & Only Aesthesis a un goût de
madeleine, de réminiscence de la
grande époque, celle des années 1960
où la Riviera athénienne fréquentée
par des stars de cinéma, prenait des
airs hollywoodiens. De ce passé, il a
restitué un parfum de nostalgie, les
fastes et un sens de la fête. Le resort
flambant neuf compte bien écrire un
nouveau chapitre. À suivre… À partir
de 840 €. Oneandonlyresorts.com ■
(1) Tous les prix indiqués sont par nuit,
A
pour deux personnes occupant une cham-
bre double. Sauf mentions contraires.
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO

24 SÉRIE
STYLED’HIVER
DES MONTRES
ET DES STARS 3/5
LEURS POIGNETS SONT
AUSSI LIBRES QUE LEURS
COUPLETS… LES GRANDS
NOMS DE LA SCÈNE MUSICALE
ACTUELLE N’ONT PAS BESOIN
D’ÊTRE AMBASSADEURS DE
MARQUES HORLOGÈRES POUR
PORTER CE QU’ILS AIMENT.

LES PLUS BELLES

RS PIGUET
P ; AUDEMA
HEURES

AF
IMAGES VIA
DE LA

ETTY
AGOSTINI/G
POP MUSIC

SIO ; EVAN
& CO. ; CA
JUDIKAEL HIREL £@jhirel

JACOB
es stars de la musique sont

L sans doute trop libres, trop in-

HAYOUN ;
contrôlables, pour jouer sage-
ment les ambassadrices de
marques horlogères. Et ce,

SA - DENIS
même si leurs excès font bien souvent
partie de leur légende… Mais, peu im-
porte : elles peuvent ainsi porter, sur

DE
scène comme dans la vie, des montres

MILLE ; DIO
qui leur plaisent, qui leur ressemblent,
et en disent un peu plus sur eux. « Le
pionnier en la matière est Eric Clapton,

HARD
souligne Jean-Philippe Tarot, fondateur
du site horloger Montres de luxe. Entre

ROLEX ; RIC
ses Patek Philippe, ses Rolex et son Uni-
versal Genève Tricompax, il était déjà
amateur à un moment où cela n’intéres-

VIA AFP ;
sait pas grand monde. » Aujourd’hui,
Pharrell Williams, à la fois chanteur,
producteur et créateur de mode, est un

S
TTY IMAGE
de ces talents polymorphes qui cogitent
à mille à l’heure et mènent tous leurs
projets de front. Pour lui, « les objets dont
nous nous entourons sont comme des ta-

GE
DIPASUPIL/
lismans et des témoins qui libèrent une
sorte d’énergie ».
Celui qui a succédé au regretté Virgil
Abloh à la tête des collections masculi-
ARO - DIA

nes de Louis Vuitton ne cache pas sa

passion pour les garde-temps. Il aurait
même demandé à pouvoir continuer
TAGE LE FIG

à porter sa montre fétiche signée

Richard Mille. Comment s’est faite la
rencontre avec son horloger préféré ?
PHOTOMON

« C’est Pharrell qui est venu à nous,

confie Tim Malachart, directeur mar-
keting de la maison suisse. Il s’est pris
de passion pour la marque. En 2006, il a
écrit une chanson où il mentionne nos
montres (Can I Have It Like That, inter-
prétée en duo avec Gwen Stefani,
NDLR). Un jour, il a rencontré Richard.
Pharrell est le créatif par excellence qui
fourmille d’idées. Il veut comprendre
comment nous développons et nous fa-
briquons nos pièces. »
De gauche à droite et de haut en bas :
Ed Sheeran, grand fan de belles montres,
sa nouvelle G-Shock Réf. 6900 jaune
au poignet.
La Rolex Datejust unique de Jay-Z,
Mille toute sa vie. Il arbore actuellement
la RM UP-01 Ferrari, modèle extraplat
qui nous a demandé plus de cinq années
de développement. Avec Amanda Mille,
nous comptons organiser une visite avec
Pharrell de la manufacture aux Breuleux,
dans le Jura suisse, et nous avons d’autres
idées communes pour l’avenir. »
dernière portait d’ailleurs l’une de ses
montres joaillières autour du cou lors
du premier défilé Louis Vuitton
de Pharrell Williams, sur le Pont-Neuf,
à Paris, en juin dernier. Une incroyable
Brilliant Flying Tourbillon à Nautilus Tiffany Blue, bien sûr, aux cô-
600 000 euros, sertie de 338 diamants
blancs. Sur les tapis rouges ou sur scè-
ne, Rihanna assume aussi son étonnan-
te Rolex King Midas vintage en or, bien
plus âgée qu’elle. Un design iconique
personnelle, est sans doute : « Mais que
ne possède-t-il pas ? » Des Rolex et
Patek Philippe par dizaines, dont la
tés d’une Grandmaster Chime. Mais
aussi Audemars Piguet Royal Oak,
Jaeger-LeCoultre Reverso, Cartier
Crash, Jacob & Co, Richard Mille… La
valeur de certaines d’entre elles se

“
transformée par l’horloger Franck Muller
Pendant dix ans, en calendrier perpétuel. Si l’interprète de Happy adore les inspiré du Parthenon signé Gérald chiffre en millions d’euros, telle la
il n’y avait pas de contrat montres, cela ne l’empêche pas de s’en Genta, revisité ici par la créatrice de Hublot Big Bang sertie de 1 282 diamants
Pharrell Williams et sa RM-52-05, séparer, parfois. Ainsi, il n’a pas hésité bijoux contemporaine thaïlandaise de couleur, offerte par son épouse
avec Pharrell Williams. créée en 2019 avec Richard Mille. à vendre en ligne, pour la bonne cause, Patcharavipa Bodiratnangkura. Beyoncé, en 2012, pour ses 43 ans.
Puis nous avons officialisé de superbes créations signées Aude- Quels sont les points communs entre Bref, Shawn Carter (de son vrai nom)
notre relation avec cette La nouvelle Audemars Piguet Royal Oak mars Piguet ainsi que ses deux Casio Pharrell Williams et Ed Sheeran ? La possède et porte tout ce qui se fait de
Quantième Perpétuel Squelette Cactus G-Shock × Bape DW-6900, rhabillées passion pour les montres, et encore une plus élégant en matière de garde-
montre représentant Jack. d’or et de diamants par Jacob & Co. Des fois la G-Shock. « Ed Sheeran est connu temps. Au point de se voir consacrer
un astronaute regardant pièces uniques rachetées par le célèbre pour sa collection un peu folle, souligne par Audemars Piguet une Royal Oak
Rihanna aux côtés d’Asap Rocky portant

”
la Terre depuis Mars
TIM MALACHART,
DIRECTEUR MARKETING DE RICHARD MILLE
Au point de finir par en concevoir une
ensemble, en 2019 : « Pendant dix ans, il
n’y avait pas de contrat entre nous.
C’était juste une question de respect réci-
proque entre Richard et lui. Puis nous
avons officialisé la relation au moment de
cette cocréation. Nous avons eu l’idée
de cette montre qui représente un astro-
naute regardant la Terre depuis Mars car
Pharrell est un fou de l’espace. Nous
avons même conçu une pièce avec un boî-
tier en saphir rien que pour lui ! Ce n’est
pas simplement quelqu’un qui veut être
associé à la marque pour son image, c’est
A
la Choker Watch Tour de cou signée
Jacob & Co.
La G-Shock Réf. 6900-Substract
imaginée par Ed Sheeran avec le site
horloger new-yorkais Hodinkee.
Jay-Z en compagnie de Beyoncé, en
2003, son Audemars Piguet Calendrier
Perpétuel squelette en or jaune
au poignet.
La Jacob & Co Brilliant Flying Tourbillon
de Rihanna.
Photo de Travis Scott sous filtre vert
avec sa Royal Oak Quantième Perpétuel
Squelette Cactus Jack unique
(voir aussi en page 21).
rappeur Drake, qui poussera la galan-
terie jusqu’à en offrir une à une cer-
taine… Kim Kardashian !
Jacob & Co, voilà un nom que l’on
croise souvent au poignet des plus
grandes stars, et ce depuis des décen-
nies. C’est dans les années 1990, sur la
célèbre 47e Rue de Manhattan, connue
sous le nom de « Diamond District »,
que Jacob Arabo établit sa propre
boutique de diamants. C’est là qu’il
croisera le chemin de Jay-Z, alors en
pleine ascension musicale, et populari-
sera le port de brillants chez les hom-
mes. En 2003, Jay-Z fait sensation au
Madison Square Garden en arborant une
montre Five Time Zones sertie, lancée
l’année précédente. Au fil du temps,
Jean-Philippe Tarot, de Montres de
luxe. Nautilus Tiffany, Royal Oak Tour-
billon Extra-Fin, Richard Mille RM27-03,
voire MoonSwatch… Il en possède une
trentaine, et on sent qu’il sait ce qu’il
achète. » Le summum de sa collection ?
Une pièce unique Patek Philippe World
Time Réf. 5130R, sur laquelle figure le
nom de son village en Grande-Breta-
gne. Tout récemment, c’est son impo-
sante G-Shock Ref. 6900 jaune qui a
créé le buzz : une édition limitée inspi-
rée par son album Subtract, imaginée
avec le site horloger new-yorkais
Hodinkee. Ou comment permettre à
chacun de s’offrir la même montre que
sa star préférée pour 185 euros…
Pour autant, le collectionneur ultime
Offshore en édition limitée, accom-
pagnée d’un iPod contenant toute sa
discographie, pour ses dix ans de car-
rière. Et, dans la foulée, il collaborait
avec la manufacture du Brassus le
temps d’une Chocolate AP, une Royal
Oak Quantième Perpétuel Squelette
« Cactus Jack ». Mais la star au poignet
de Jay-Z, portée sous un smoking com-
me au stade en famille, se révèle être
une pièce unique : une Rolex Datejust
modifiée par le célèbre horloger Franck
Muller en personne, pour en faire un
calendrier perpétuel. Une Rolex qui
n’existe pas, qui dit mieux ? ■

un curieux, un passionné, il est réellement Jacob Arabo collaborera avec des icônes de la catégorie n’est autre que Jay-Z. La RETROUVEZ DEMAIN :
impliqué. Il dit qu’il portera une Richard telles que P. Diddy et Rihanna. Cette question, lorsqu’on voit sa collection Les plus belles heures de la mode
Bienvenue
au bureau !

Disponible dès le 4 janvier

en librairie
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO
26 CULTURE
COLLECTION
YVES GASTOU,
LE GALERISTE FOU
DES AVANT-GARDES
SOTHEBY’S DISPERSERA
EN MARS LE CONTENU
DE SON APPARTEMENT PARISIEN
ET DE SA MAISON BIARROTE.
DEUX UNIVERS QUI DESSINENT
LA FIGURE D’UN HOMME HYPER
CURIEUX ET ICONOCLASTE.
BÉATRICE DE ROCHEBOUËT
bdrochebouet@lefigaro.fr
élanger les genres et les
M époques avec des objets
d’exception et d’autres
anonymes, qui le tou-
chaient autant par leur
caractère atypique que par leur force
émotionnelle, voilà ce qu’était le goût
sans frontières et sans œillères d’Yves
Gastou. Ce marchand bien connu de la
rue des Beaux-Arts à Paris, plus anti-
quaire à l’ancienne que galeriste nou-
velle génération, « esprit rock’n’roll,
voire Easy Rider, à la conquête de liber-
tés, comme à l’époque du Far West »,
ainsi que le décrit son fils Victor Gastou,
fut un fervent et intrépide défenseur des
avant-gardes, dans le domaine des arts
décoratifs. « Le beau est aussi dans les
pièces en apparence banale, burinées par
le temps, cabossées par la vie, souvent
sans signature mais insolites, de par leurs
formes ou matières », aimait à répéter ce
chineur invétéré, décédé à 72 ans, en
2020, des suites d’un AVC (lire le
figaro.fr). Tel un Facteur Cheval, cet
impulsif, attachant, un tantinet ca-
naille, cherchait l’improbable aux pu-
ces, chez les brocanteurs ou dans les vi-
de-greniers. S’il rentrait bredouille de
sa chasse aux trésors, il s’en faisait une
défaite aussi dévastatrice que celle de
Napoléon à Waterloo !
On vient de l’apprendre de source
confidentielle, Sotheby’s va disperser à
la Galerie Charpentier, le 19 mars, le
contenu de son appartement du quai
Malaquais à Paris et celui de sa maison à
Biarritz. Soit 165 lots en live et
170 on line, pour une estimation à va-
leur de succession, donc très raisonna-
ble, de 1,5 à 2 millions d’euros. « Fonc-
tionnant à l’instinct, jamais passéiste, ce
marchand, tout autant collectionneur,
AVEC « INVISIBILI », AURÉLIEN BORY FAIT LE MUR
LE METTEUR EN SCÈNE A CRÉÉ SON NOUVEAU SPECTACLE À PALERME, DANS LEQUEL IL A MIS SES VISIONS TRÈS INSPIRÉES ET LA SPLENDEUR DE L’HISTOIRE DE L’ART.
ARIANE BAVELIER£@arianebavelier
ENVOYÉE SPÉCIALE À PALERME (SICILE)
alerme pour pèlerinage, sur
P les traces de Pina Bausch qui y
a créé Palermo, Palermo en
1989 au Théâtre Biondo. C’est
ainsi que l’histoire a com-
mencé pour Aurélien Bory : Pamela
Villoresi, naguère actrice de Giorgio
Strehler et aujourd’hui directrice de ce
théâtre, l’y a convié. « Pina Bausch est
pour moi le plus grand artiste du XXe siè-
cle, je ne pouvais pas refuser », dit-il.
Sauf à invoquer le trac. Comment, en
effet, se mettre à la hauteur ? Créé l’an-
née de la chute du mur de Berlin,
Palermo, Palermo s’ouvre par une ima-
ge prémonitoire et qui a fait date : un
mur s’effondre, dans un chaos de pier-
res, celles des palais, des églises, des ar-
chitectures de tous ces peuples d’Euro-
pe et d’Afrique qui ont érigé Palerme,
mais aussi des tremblements de terre,
des catacombes des Capucins. Dans sa
chute, il ouvre sur cet au-delà si parti-
culier à la capitale sicilienne, ruines et
verve tant intriquées que l’enfer habite
au ciel et le ciel aux enfers.
Pour créer à son tour, Aurélien Bory
A
devait trouver son mur à lui. Un objet
vertical qui porte ce chaos de vie et de
m’a toujours fasciné par son côté explo-
rateur, défrichant les années oubliées, de
1930-1940 à 1980-1990, avec l’enthou-
siasme des premiers jours, pour nous of-
frir du grand spectacle sur ses stands au
PAD de Paris ou Londres ou à la Biennale
des antiquaires, du temps du Grand
Palais », observe Florent Jeanniard, qui
a décroché sa collection, grâce à ses af-
finités avec la famille.
« C’était un trublion dans son milieu
qui a secoué le métier. Truculent dans ses
récits, volcanique dans ses actes, il ne
s’est jamais enfermé dans un style, à la
différence de certains de ses confrères
- Anne-Sophie Duval ou Bob et Cheska
Vallois pour l’Art déco, Philippe Jousse,
Philippe Seguin ou François Laffanour
pour Prouvé et Perriand », renchérit ce
spécialiste en design, vice-président de
Sotheby’s France. J’ai connu Yves
Gastou du temps où j’étais moi-même
marchand et son œil curieux de tout m’a
servi de guide », conclut-il.
« Une appétence
pour la découverte »
« Cette dispersion ne se veut pas un hom-
mage qui ressemblerait à la nécrologie
d’un galeriste qui a marqué son époque
mais une vente qui transmette sa gour-
mandise pour l’objet, son appétence pour
la découverte, sa quête d’une fraîcheur
restée intacte », explique son fils, Victor.
Ce dernier, qui avait rejoint son père,
son mentor, en 2007, et a partagé, en-
fant, ses univers, continue de perpétuer
l’héritage, à sa manière, dans la galerie à
la façade en terrazzo qu’Yves Gastou
avait commandé à Ettore Sottsass en
1986, à côté de l’École des beaux-arts.
« Avec ma sœur, Mathilde, nous voulions
raconter par cette vente son histoire, avec
les victoires et les défaites d’un homme
qui avait la foi en son métier. Nous ne
voulons pas garder tous ses objets dans
un garde-meuble. Nul besoin d’en avoir
autant pour garder son souvenir. Ce n’est
pas à moi non plus de les vendre aujour-
d’hui à la galerie. Notre désir est de les
passer à d’autres pour les faire renaître
autrement », ajoute encore Victor
Gastou.
Deux mondes, deux univers, dont
seul Yves Gastou avait la magie des mé-
langes insolites, vont ainsi revivre, le
temps des enchères. L’un à Paris, écrin
clair avec poutres sous les toits rempli à
craquer de grandes signatures : de Marc
Held et son célèbre fauteuil Primo
mort mêlées. Sa pièce s’appellera Invi-
sibili, c’est dire l’ampleur de sa quête.
Le voilà qui arpente Palerme. Il rencon-
tre les peintres qui taguent les murs, les
pupi - marionnettes siciliennes - jetées
dans la geste des chevaliers du Moyen
Âge, et arpente les salles du palais Aba-
tellis : « J’allais y rendre visite à L’An-
nunciata d’Antonello de Messine, avec
l’intuition de pouvoir travailler sur le
thème des mères en mal d’enfant. En
montant la contempler, je passais devant
Le Triomphe de la mort, fresque murale
du XVe siècle, peinte pour l’hospice des
pauvres au moment de la grande peste.
Cette toile m’a happé. »
Méditation sur la vie
Bory tient son mur à lui : dans une spi-
rale terminée par la lame courbe de sa
faux qui rejoint son nombril, la mort
aveugle galope sur un cheval à la bou-
che encore rose et décoche ses flèches.
Sous sa monture, un amas de morts,
princes et prélats de toutes confessions.
À droite, une jeune femme atteinte au
cou et au sein, et un jeune homme en
manteau à bord de fourrures lui aussi
mourant. Dans le coin gauche, au-des-
sus du peintre qui s’est représenté son
pinceau à la main, une femme promène
ses chiens en laisse. Sur la scène, la
fresque se dresse, reproduite grandeur
En plongeant dans le mobilier issu
de la collection d’Yves Gastou, on saisit
la personnalité de cette grande figure
du marché. COURTESY OF SOTHEBY’S
Une des scènes d’Invisibili,
d’Aurélien Bory, représente
une fresque reproduite grandeur
nature sur un rideau flottant.
ROSELLINA GARBO
Culbuto de 1965 à Maurice Calka et son
fameux bureau Boomerang de 1969, en
passant par Andrea Branzi ou les frères
Bouroullec, dont les créations étaient
mariées à d’autres plus pop et kitsch,
comme les « toys » de Mickey, des per-
sonnages de Walt Disney ou les figuri-
nes des sept nains se moquant de la
sculpture en bronze doré d’Actéon
d’André Arbus (20 000 à 30 000 euros,
fonte Coubertin signée et numéroté
2/8). L’autre sur la côte basque, petit
château néoclassique aux murs blancs
crénelés planté dans un jardin à la Alice
au pays des merveilles. Ce cabinet de
curiosités était représentatif du côté
chineur d’Yves Gastou, qui aimait les
accumulations de pendules et de bou-
geoirs en marbre, de bronzes d’éphè-
bes, de coffrets à tête de lion, d’effigies
de taureaux bucranes devenues le sym-
bole de la galerie, de photos vintage, de
cadres noircis, d’encensoirs dorés, de
couronnes de rois, de croix de bagnards
nature sur un rideau flottant. Avec
d’abord quatre danseuses, une en nui-
sette bleue et trois en robes noires.
Aurélien Bory les utilise comme s’ils
sortaient du tableau. Les trois en noir
jouent les Parques : « Les positions de
leurs mains sur la fresque indiquent
qu’elles sont des danseuses », précise
Bory qui a cherché dans le chaos de la
toile les traces d’une danse macabre.
Elles ramènent vers la fresque la jeune
en perle, de vanités en tous genres. Sans
oublier sa collection de 150 chapelets et
autres trophées d’église lui rappelant la
petite ville de Limoux, proche de Car-
cassonne, où il avait grandi dans le ber-
ceau médiéval des preux chevaliers. « Il
vouait aussi une passion à Jeanne d’Arc,
la guerrière insoumise, la femme andro-
gyne en armure. Elle a construit son ima-
ginaire pour former sa collection », se
souvient Victor.
Fabuleuse collection de bagues
Ces deux lieux de vie incarnent son chez
lui intime. Le premier est peut-être
moins surprenant que le second, mais il
comprend les artistes qui ont jalonné sa
florissante carrière. Ceux qu’il a fait
connaître avant le succès : le duo fran-
çais Élisabeth Garouste et Mattia Bonetti
(avant leur séparation en 2000), défen-
du à ses débuts par la galerie En atten-
dant les Barbares (30 000 à 40 000
euros, le cabinet Rhinocéros de 1986, en
fer forgé et terre cuite patinée, Biarritz).
Ceux qu’il a imposés : le Belge Ado
Chale, fournisseur attitré de Baudouin et
Fabiola de Belgique, dont l’entrée en
2002 à la Galerie Gastou, lui fit décro-
cher des collaborations avec les réputés
décorateurs Alberto Pinto, Peter Marino
ou Jacques Grange (40 000 à 60 000
euros, la grande table en fonte d’alumi-
nium, Biarritz). Ceux qu’il a remis au
goût du jour : le Français Philippe
Hiquily, le roi des sculptures érotiques
et du mobilier onirique (80 000 à
120 000 euros, pour la table de salle à
manger Van Zuylen, de 1967, en laiton
martelé et plateau en verre, édition de 6,
plus 2 d’artiste). Et beaucoup d’autres
plus historiques : le Marseillais César
(60 000 à 80 000 euros, l’expansion mu-
rale en résine blanche de 1970), le Japo-
nais Shiro Kuramata (15 000 à 20 000
euros, le guéridon Placebo, en Plexiglas,
1989, mais la chaise Miss Blanche n’est
pas à la vente, car déjà vendue), le Fran-
çais Gilbert Poillerat (18 000 à 24 000
euros, la paire de consoles en fer forgé,
aux inspirations des XVIIIe et XIXe siè-
cles) ou les Italiens Ettore Sottsass
(30 000 à 40 000 euros, le cabinet
L’Amatore del Magnetofono, 2005) ou
Carlo Scarpa (20 000 à 30 000 euros, le
petit bureau et le tabouret de 1942).
Une collection est un autoportrait. Et
celle d’Yves Gastou le révèle totale-
ment. En plongeant dans l’envers du
décor, on saisit le cœur de l’homme au-
delà de la figure du marché qui a embar-
qué maints amateurs dans son épopée.
On peut regretter que pas un souvenir
de sa fabuleuse collection de bagues
d’hommes ne soit justement à la vente,
mais elle est impossible à dissocier, nous
dira-t-on. Exposée, en 2018, à l’École
des arts joailliers à Paris (près de
200 pièces avec des pierres semi-pré-
cieuses), elle racontait toute sa vie. Yves
Gastou en portait trois à chaque doigt et
en changeait souvent : des bagues épis-
copales à celles des bikers, ornées de tê-
tes de mort. Il aimait les toucher et les
caresser tout en vous racontant d’où el-
les venaient, d’où il venait… ■
www.sothebys.com
femme en bleu, dans l’exacte position
d’agonie où elle y a été peinte. On la
voit un instant assise sur une chaise,
encerclée de trois médecins en blouse
blanche qui auscultent son cancer, puis
elle retourne dans la toile où la mort
l’enlève. Même sort réservé au jeune
homme arraché à la vie après avoir été
pris dans une tempête sur son bateau.
Palerme, ville portuaire, a de toute
éternité accueilli des migrants. Au soir
de la première, certaines références
saillaient, trop réalistes, trop télépho-
nées, elles interrompaient une splendi-
de méditation sur la vie. « Elles de-
vraient à mesure se fondre », dit Bory
qui revoit sa copie un soir après l’autre.
« Le peintre a représenté une spirale
qui est celle de la mort mais aussi celle de
la suite de Fibonacci qui met le monde au
nombre d’or », explique Aurélien Bory.
L’homme qui, des Sept Planches de la
ruse à aSH, pour Shantala Shivalingap-
pa, ou Taoub pour le cirque acrobatique
de Tanger, a signé maintes merveilles
en sait long sur la beauté et le mystère.
Invisibili les mêle. Elles surgissent une
image après l’autre où se confrontent la
splendeur de l’histoire de l’art et les vi-
sions très inspirées d’Aurélien Bory. ■
Invisibili, au Théâtre des Abbesses
(Paris 18e), du 5 au 20 janvier.
Puis en tournée en France.

LE PATRON DE LA FÉDÉRATION
NATIONALE DES CINÉMAS
FRANÇAIS DÉCRYPTE LA BONNE
SANTÉ DU CINÉMA HEXAGONAL.
MAIS CONSTATE QUE, MALGRÉ
LES CHIFFRES RASSURANTS,
LES HABITUDES DES CINÉPHILES
RESTENT MOUVANTES.
PROPOS RECUEILLIS PAR
LÉNA LUTAUD £@LenaLutaud
unaises de lit, fréquentation,
P diversité à l’écran, Jeux olym-
piques, grève à Hollywood, in-
novations techniques, Philippe
Lacheau et sa bande rois du
box-office, succès et polémiques… Le
patron de la Fédération nationale des ci-
némas français dresse le bilan de l’année
2023 dans les salles obscures et ses pro-
nostics pour 2024.
LE FIGARO. – En 2023, les salles
ont enregistré 181 millions d’entrées (1).
Êtes-vous satisfait ?
Richard PATRY. – Oui, nous sommes
contents. Les jeunes, les seniors, les adul-
tes, tous sont revenus. Avec son public le
plus cinéphile au monde, la France est le
premier pays à retrouver si rapidement
ses spectateurs. L’année a été exception-
nelle pour les films et les cinémas fran-
çais. Les exploitants sont allés rechercher
un par un chaque type de spectateur. Nos
salles ont quasiment retrouvé leurs en-
trées des années pré-Covid. Et enregis-
trent 25 % de plus par rapport à 2022. On
va arrêter de se référer à 2019, qui était un
record de la dernière décennie. La France
a de loin le plus beau parc de cinémas au
monde. Il suffit d’aller voir un film sur
grand écran à New York ou Stockholm
pour se rendre compte de la différence et
de la diversité de l’offre en France.
Finalement, avec ce chiffre, on revient
à la fréquentation d’il y a quinze ans ?
Pour le chiffre, oui ! (Rires) Mais la struc-
ture de la fréquentation a changé : ce ne
sont ni les mêmes films ni les mêmes ha-
bitudes de programmation ou de sortie
au cinéma. Après les trois ans de crise,
on se rapproche à nouveau des très bons
chiffres des années 2010.
Jérôme Seydoux fait le pari d’investir
dans des superproductions.
Les Trois Mousquetaires : Milady,
Astérix et Obélix : l’empire du Milieu
ont-ils été la baguette magique espérée ?
Dans le cinéma, il n’y a pas de magicien !
Certains de ces films ont eu un grand
succès en salle. Mais il faudrait y ajouter
les achats des chaînes TV, des platefor-
mes, les recettes à l’international. La
rentabilité de ces films s’évalue sur plu-
sieurs années.
“deLanotre
diversité et la qualité
cinématographie
nationale permettent
aux films français
de représenter 40 % des
entrées, contre 25 % en
Espagne, 20 % en Allemagne
”
et 15 % en Italie
La Cour des comptes souligne
que 33 % des films français ne font pas
d’entrées. Mais 2023 a tout de même été
une très bonne année ?
Il n’y a pas eu de films à plus de 5 millions
d’entrées mais beaucoup de films à plus
d’un million. Astérix a atteint 4,65 mil-
lions d’entrées, talonné par Alibi.com 2
avec 4,3 millions d’entrées. Les Trois
Mousquetaires, Anatomie d’une chute, Ti-
railleurs, Une année difficile, Bernadette, Le
Règne animal, Je verrai toujours vos visa-
ges, Mon crime… La diversité et la qualité
de notre cinématographie nationale per-
mettent aux films français de représenter
40 % des entrées, contre 25 % en Espagne,
20 % en Allemagne et 15 % en Italie.
Le Consentement, Le Règne animal…
Plusieurs films ont suscité un
engouement inattendu chez les jeunes…
Ces phénomènes échappent à toute ra-
tionalité et à toute prévision. Les jeunes
ont été profondément touchés et se sont
emparés de ces films. Le rôle des réseaux
sociaux a été très important. Pour Le
Consentement, il y a eu des « challenges »
sur TikTok. Des jeunes filles se sont fil-
mées émues avant, puis très émues après
la séance. C’est devenu un « trend ».
Quel a été l’impact de l’attaque en Israël
par les terroristes islamistes du Hamas,
le 7 octobre ?
Richard Patry : « La France
a, de loin, le plus beau parc
de cinémas au monde. »
FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO
RICHARD PATRY : « DANS LE CINÉMA,
IL N’Y A PAS DE MAGICIEN »
Il y a eu un impact mais il n’est pas quan-
tifiable. Pendant deux ou trois jours, les
gens sont restés devant leur télé. Puis
beaucoup ont décidé de se changer les
idées et sont venus au cinéma.
Quelle conséquence a eu la polémique
créée par Justine Triet recevant
sa palme d’or à Cannes ?
Anatomie d’une chute étant un film mar-
quant, le public a fait abstraction du dis-
cours de sa réalisatrice et est sorti
content après voir vu le film. La polémi-
que n’aide jamais. Beaucoup de gens,
dont moi, ne sont pas d’accord avec ses
propos. Ce film fait une carrière excep-
tionnelle et va peut-être aller aux Os-
cars, c’est formidable.
Camélia Jordana dit que si personne
n’est allé voir Avant que les flammes
ne s’éteignent, sur la famille Traoré,
c’est à cause de la fachosphère.
Qu’en dites-vous ?
Je suis désolée pour Camélia Jordana,
mais il ne faut pas tout vouloir expliquer.
La fréquentation est une affaire de désir
entre une personne et une proposition
culturelle.
Nombre d’entrées enregistrées
Le Collectif 50/50 dénonce toujours
le manque d’acteurs issus de la diversité
et de rôles pour les actrices de plus
de 40 ans. Êtes-vous d’accord ?
Regardez les affiches et les génériques.
Les producteurs et les agents ont fait
énormément de progrès. Le grand public
a découvert Eye Haïdara dans Le Sens de
la fête. Depuis, entre Les Femmes du squa-
re et Monsieur le maire, elle est très de-
mandée. Comme Ahmed Sylla, Claudia
Tagbo, Jean-Pascal Zadi, Malik Frikah,
Karim Leklou, Stéfi Celma, Pascal N’Zon-
zi, Dioucounda Koma, Oumar Diaw. À
l’image de leurs aînés, Tahar Rahim, Ros-
chdy Zem, Leïla Bekhti, Hafsia Herzi,
Reda Kateb, Omar Sy, tous vont briller en
haut des affiches et à l’international. Pa-
reil chez les cinéastes. Cette année, la pal-
me d’or a récompensé une réalisatrice. Et
les producteurs font confiance à des ci-
néastes français d’origine maghrébine
comme Mohamed Hamidi et Ladj Ly. En
2024, Mehdi Idir présentera le biopic
Monsieur Aznavour avec son coréalisa-
teur, Grand Corps Malade. Le renouvelle-
ment est là. Que les militants veuillent
toujours davantage, c’est normal.
Qui est indétrônable au box-office ?
Philippe Lacheau, 43 ans, et sa bande à
Fifi. Avec des comédies comme Baby Sit-
ting, 3 jours max, Super-héros malgré lui,
Épouse-moi mon pote, Nicky Larson et le
parfum de Cupidon, Paris à tout prix… et
bientôt Chien et chat, le 14 février, cette
bande fait un malheur au box-office. Les
jeunes les adorent mais ils arrivent aussi à
séduire des adultes avec Alibi.com 1 et 2.
Derrière le chef de file Philippe Lacheau,
il y a son frère Pierre, scénariste, Reem
Kherici, Nicolas Benamou, Tarek Bouda-
li, Julien Arruti, Élodie Fontan, Didier
Bourdon et des anciens du Splendid com-
me Christian Clavier et Gérard Jugnot.
La bande à Fifi attire huit spectateurs
en région contre un seul à Paris.
L’écart des goûts entre la capitale
et la province s’intensifie-t-il ?
L’écart classique est d’une entrée à Paris
pour quatre en province. Pour les films
américains comme Barbie, l’écart est de
un pour cinq. La différence la plus forte
se voit dans les comédies françaises po-
pulaires. Les Blagues de Toto attire un
Parisien pour quinze spectateurs en ré-
gion. L’an dernier, Les Bodin’s avait sur-
performé dans le Centre. Cette année, les
habitants de l’Ouest sont massivement
181
millions
allés voir Les Petites Victoires. Ils ont
adoré cette histoire d’élus et d’institutri-
ce dans une petite ville. À Marseille, Les
Segpa ont connu un même phénomène
régional mais pas autant que Les Petites
Victoires. On verra comment cela se pas-
par les salles françaises se pour Les Segpa au ski.
en 2023.
Soit 25 % de plus qu’en 2022 Faut-il toujours une star pour donner
envie de pousser la porte d’un cinéma ?
Sans Omar Sy, Tirailleurs n’aurait pas sé-
duit autant. Mais les temps ont changé.
400
millions d’euros
Dans les années 1980, on allait voir le
dernier Belmondo. C’est fini. Cette an-
née, Dany Boon et Kad Merad n’ont pas
eu le succès espéré avec La Vie pour de
vrai. Une star permet finalement de se fi-
vont être investis nancer et d’aider à la promotion. Les
pour enlever les lampes jeunes y restent néanmoins sensibles.
au xénon des projecteurs Avoir Timothée Chalamet dans Wonka et
et les remplacer François Civil dans Les Trois Mousquetai-
par des sources au laser res, c’est important.
Les super-héros seront quasi invisibles
en 2024. Leur déclin se confirme-t-il ?
Avec les six mois de grève à Hollywood,
les plannings des studios sont en pleine
réorganisation. Dune 2, par exemple, de-
vait sortir en octobre et a été repoussé à
mars, puis à février. 2024 sera une année
particulière avec peu de blockbusters
américains au premier semestre. Beau-
coup de superproductions sont décalées
au second semestre. De janvier à juin, le
public verra surtout des films français
dont ceux d’Yvan Attal, Dany Boon,
l’histoire du Boléro de Ravel ou celle de la
femme à barbe dans Rosalie.
À la rentrée, beaucoup de spectateurs
ont craint les punaises de lit…
Les punaises de lit ne sont pas cinéphiles.
LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024
CULTURE 27
Il y a eu quelques cas, immédiatement
traités. La surmédiatisation a été phéno-
ménale. Une campagne active pour se-
mer la panique a été menée sur les ré-
seaux sociaux. Puis, elle s’est arrêtée
d’un coup. La DGSE ne nous a pas com-
muniqué ses conclusions, mais on a dit
que des services secrets étrangers ont
“neLes punaises de lit
sont pas cinéphiles.
Il y a eu quelques cas,
immédiatement traités.
Une campagne active pour
semer la panique a été
menée sur les réseaux
sociaux. On a dit que des
services secrets étrangers
ont voulu déstabiliser la
France dans la perspective
”
des Jeux olympiques
voulu déstabiliser la France dans la pers-
pective des Jeux olympiques à travers les
cinémas, les hôtels et les transports
comme la RATP et la SNCF.
Alexandre Hellmann, patron du Grand
Rex, à Paris, va recevoir un prix
à Las Vegas. Nos acteurs et nos films
font carrière à l’international,
mais nos cinémas aussi ?
Pathé ouvre à Casablanca et à Abidjan.
MK2 est présent en Espagne. Les salles
immersives ICE de CGR se vendent en
Inde, à Los Angeles comme en Arabie
saoudite. UGC est en Belgique, Mégara-
ma en Espagne et au Maroc. Exporter
notre savoir-faire est une grande fierté.
Quel sera l’impact des JO à Paris,
notamment sur le télétravail, pendant
les phases de montage et de démontage
de fin mars à fin septembre ?
Nous avons regardé ce qu’il s’était passé
à Londres, Rio et Tokyo. À l’exception
des cinémas près des lieux de compéti-
tion à Paris, la fréquentation ne sera pas
impactée. Les JO tous les quatre ans ne
sont pas non plus un sujet pour Hol-
lywood, qui sort mondialement ses su-
perproductions dès le 4 juillet. Pendant
la période de montage et démontage à
Paris, les gens auront bien entendu tou-
jours envie d’aller au cinéma.
Où en êtes-vous en matière d’écologie ?
Nous sommes une industrie de lumière
qui éclaire des écrans et des façades.
Même si des cinémas 100 % vert sortent
de terre, comme à Châtellerault, dans la
Vienne, et celui de Colomiers, près de
Toulouse, et sont construits avec des
matériaux écoresponsables et de la cli-
matisation par géothermie, la réduction
de notre empreinte carbone est un tra-
vail sur la durée. Ce n’est pas une démar-
che commerciale mais citoyenne. Néan-
moins, notre budget pour l’énergie a plus
que doublé en un an. Il représente bien
plus de 10 % de nos chiffres d’affaires. En
2022, les cinémas ont été les premiers
dans la culture à se doter d’une charte de
sobriété énergétique. Nous visons une
amélioration de 25 % à 35 % de notre
consommation d’énergie. Cela passe par
des gestes simples comme éteindre les
serveurs, baisser le chauffage, acheter la
confiserie en circuit court, créer des
parcs à vélos, renvoyer vers des sites de
covoiturage et réguler la climatisation
pour être autour de 19-20 degrés dans les
salles. Nous allons investir 400 millions
d’euros pour enlever les lampes au xé-
non de nos projecteurs et les remplacer
par des sources au laser. Nous économi-
serons l’équivalent annuel de la consom-
mation d’une ville de 20 000 habitants.
Depuis la pandémie, avez-vous du mal
à recruter ?
Nous sommes moins atteints que les res-
taurants mais dans les petites villes, nous
avions le choix pour les cadres comme
pour les étudiants. Un étudiant qui s’en
allait laissait les CV des suivants. C’est
terminé. Les jeunes veulent un travail
qui ait du sens. Être payé pour aller au ci-
néma, difficile de faire mieux ! Nous
sommes les seuls établissements cultu-
rels à être ouverts 365 jours par an et les
seuls à être allumés tard le soir. Nous tra-
vaillons pendant que les autres s’amu-
sent. Le 24 décembre, vous êtes au ciné-
ma et ce n’est pas vous qui ouvrez les
huîtres. Mais ce jour-là, vous faites plai-
sir aux familles. Le 31 décembre, beau-
coup de personnes seules vont au ciné-
ma. Ce rôle social et culturel est crucial.
(1) Source : CNC.
» Lire aussi sur le WEB :
+@ les 50 films les plus attendus
A
des patrons de cinéma pour 2024.
www.lefigaro.fr
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO

28 TÉLÉVISION
« LE CERCLE DES NEIGES » LES VIVANTS ET LES MORTS
JUAN ANTONIO BAYONA MET EN SCÈNE L’HISTOIRE INCROYABLE
MAIS VRAIE DU CRASH DU VOL FUERZA AÉREA URUGUAYA 571
EN 1972 DANS LA CORDILLÈRE DES ANDES. ET RETRACE LE CALVAIRE
VÉCU PAR LES RUGBYMEN RESCAPÉS DE CETTE CATASTROPHE.
L’histoire de l’équipe des Old Chris-
ÉTIENNE SORIN esorin@lefigaro.fr tians a fait l’objet de nombreux docu-

L
e Festival Lumière, festin de
films de patrimoine et
d’avant-premières servis sur
le même plateau en octobre à
Lyon, sert aussi d’écrin à des
films Netflix, plateforme de streaming
qui donne de grands moyens à des
cinéastes pour tourner des longs-
métrages destinés à de petits écrans.
C’est ainsi que Le Cercle des neiges a été
montré dans la capitale des Gaules bien
avant sa diffusion, mais après sa présen-
tation à la Mostra de Venise et au
Festival de Saint-Sébastien. Son réali-
sateur, Juan Antonio Bayona, a mis en
garde les spectateurs lyonnais au début
de la séance : « Préparez-vous, ce film
n’est pas une comédie. » On ne savait pas
que le cinéaste espagnol, réputé pour ses
productions hyperboliques (L’Orphe-
linat, The Impossible, Jurassic World :
Fallen Kingdom), maîtrisait à ce point
l’art de la litote.
Le Cercle des neiges met en scène
l’histoire incroyable mais vraie du crash lors du crash dans les Andes, une
du vol Fuerza Aérea Uruguaya 571 en
1972 dans la cordillère des Andes. L’ap-
pareil transporte une équipe de rugby de
Montevideo en Uruguay à Santiago au
Chili. L’avion n’atteindra jamais sa
destination. Les 29 rescapés sur les
45 passagers et membres d’équipage ne
devront leur survie au cœur
d’une montagne hostile, coupés
du reste du monde, qu’à
l’anthropophagie. Les morts
servant de repas aux survivants. ○○○◐
mentaires et de plusieurs fictions, dont
la plus récente est le film de l’Américain
Frank Marshall, Les Survivants (1993).
Elle soude toujours l’équipe nationale de
rugby uruguayenne. Le dramaturge
français Michel Vinaver s’en est même
librement inspiré pour écrire une pièce
de théâtre, L’Ordinaire, créé à la
Comédie-Française en 2009. Juan
Antonio Bayona part, lui, du livre de
Pablo Vierci, La Sociedad de la nieve,
paru en 2009, et des témoignages de
certains rescapés. « Je me suis réuni avec
eux et j’ai senti qu’ils avaient encore plus
besoin que moi que je raconte cette histoi-
re, explique le réalisateur. Dans les récits
précédents, il manquait ce qu’avaient
vécu ceux qui étaient restés là-haut dans
la montagne. Mon film est devenu un pont
entre les vivants et les morts. »
Cannibalisme
De fait, Le Cercle des neiges respecte les
codes du film catastrophe. Bayona
atteint un degré de réalisme saisissant
contre-publicité pour l’avion bien plus
convaincante que n’importe quelle Après le crash de leur avion – le rugby est un sport de fils de bonne morts. Et l’anthropophagie apparaît non
campagne de fly shame. Le calvaire des au cœur d’une montagne hostile famille en Uruguay. Certains, en raison pas comme un acte monstrueux mais
rescapés, blessés ou non, ne fait que les survivants ne devront leur survie de leur foi ou de leur rectitude morale, comme une forme ultime de sacrifice.
commencer. Sa mise en scène des ava- qu’à l’anthropophagie. NETFLIX rejettent longtemps le recours au Ou de communion, aussi perturbante
lanches n’a rien à envier à celle de la va- cannibalisme. soit-elle, à rebours de l’idée que la civi-
gue de The Impossible, drame lacrymal Mais Le Cercle des neiges, élégie pour lisation cède ici face à un retour de la
sur une famille de touristes sé- un crash, offre aussi quelque chose de sauvagerie.
parée par le tsunami de 2004 en moins spectaculaire et de plus boule- Le Cercle des neiges a été choisi pour
Thaïlande. La neige, le froid, la versant qu’un film de survie ordinaire. représenter l’Espagne aux Oscars. Les
faim, rien n’est épargné à ces On y voit des hommes prenant soin votants de l’Académie sont prévenus :
jeunes gens beaux et insouciants d’autres hommes, vivants, blessés ou ce film n’est pas une comédie. ■

À LA RECHERCHE DE LA CAPITALE PERDUE DU NIL

LAURENT PORTES FILME LES FOUILLES INGRATES DES VESTIGES DE L’ÉPHÉMÈRE CAPITALE IMPÉRIALE DE RAMSÈS II AUX PORTES DU SINAÏ.
« Ils ont l’instinct des différents types de âge d’or du Nouvel Empire égyptien, subsistait de l’éphémère merveille ;
SIMON CHERNER £@SimonCherner sols », glisse, admiratif, le responsable l’ambition et les richesses de Ramsès le aucune colonne, aucune statue pour
allemand du chantier, Henning Grand, le Louis XIV de l’antiquité égyp- amorcer l’histoire ou le rêve. Il a donc

Une reconstitution en images
de synthèse de la cité Pi-Ramsès,
à Qantir, dans le delta du Nil. HISTOIRE TV
À
quoi tient un chantier de
fouille ? Est-ce à ses archéo-
logues de métier, son pro-
gramme scientifique, ses
équipements ? À Qantir, dans
le delta du Nil, les campagnes de recher-
che doivent tout à un drôle d’atout maî-
tre : les sens en or des terrassiers de Quft.
Ces hommes au turban blanc, originai-
res d’une petite ville du sud de l’Égypte,
communient par la vue, l’ouïe et le tou-
cher avec les terres creusées et le fond
des tranchées. Eux seuls savent l’art de
distinguer les briques anciennes de la
boue et du limon qui les emprisonnent.
Les Européens en restent bouche bée.
Franzmeier. Ces mages de la terre au
savoir-faire transmis de génération en
génération depuis le XIXe siècle se sont
rendus indispensables à la mission qui, à
Qantir, excave les vestiges de l’ancienne
capitale de Ramsès II – et l’hommage qui
leur est rendu par ce documentaire, au
détour de deux révélations, est l’une des
élégances de son réalisateur Laurent
Portes.
Souvenir de la mégalopole
Oui, il fallait bien ces habiles ouvriers pour
accompagner la fouille de Pi-Ramsès,
comme on appelait cette ville fondée il y a
trois millénaires. Et quelle cité ! En plein
tienne, lui avaient inspiré le projet d’une fallu creuser, lutter contre la terre gor-
nouvelle capitale, une perle sertie au cœur gée de l’eau du delta et tirer de ses en-
du delta oriental du Nil, à un carrefour trailles le souvenir de la mégapole, là où
stratégique entre les flots du divin fleuve des champs à perte de vue ont remplacé
et les portes du Sinaï. Émaillée de palais, les coquettes résidences royales et les
abreuvée de canaux et dotée de multiples myriades d’entrepôts.
casernes, Pi-Ramsès annonçait à sa Européens et Égyptiens œuvrent ainsi
fabuleuse manière le Versailles du Roi- de concert à ces recherches difficiles, un
Soleil, la Venise des doges et le Berlin de peu ingrates, où une découverte illumi-
Frédéric II. ne parfois les visages fatigués. De belles
Longtemps convoité par les archéo- reconstitutions numériques confirment,
logues, le site n’est s’il en était besoin, la fière
péniblement identifié allure passée de ces palais
qu’à partir des années
1960, après quelques
○○○◐
20.50 écroulés jusqu’à leurs
fondations. Un inattendu
fausses routes. Rien ne memento mori. ■

MOTS CROISÉS Par Vincent Labbé SU DO KU

1 2 3 4 5 6 7 8 GRILLE 4596 MOYEN GRILLE 4597 CHAMPION
PROBLÈME N° 6492
HORIZONTALEMENT 1
1. Animale en l’homme. - 2. Passer une couche de blanc 4 5 3 2 1 8 7
dans la salle de bains. - 3. Laisse une fine couche 2
de blanc. - 4. Bleu vert. Jeu de dés à combinaisons. - 5. 7 1 4 8 5 3 5 1 3
Sa clairette est pétillante. A pris un coup de blanc. - 6. 3
Pronom. Gratte avec le nez. - 7. Treillis d’osier. Poulbot
4
6 5 4
à moitié seulement. - 8. Bouée en maths. Terme de
voisinage. - 9. Dépourvu de crochets. - 10. Vient d’avoir. 2 8 1 2 1
Trou dans le Quercy. - 11. Porte manteau. - 12. Région 5
située à l’extrême nord de l’Yonne. 1 8 9 2 7 3 9
6
VERTICALEMENT
1. Faveurs tombées du ciel. - 2. Bien éveillée. - 3. Ignore
7 5 4 3 6 8
le mal. Un marquis de Sade à l’italienne aux sonnets 8
luxurieux. - 4. La queue chez le fleuriste. Partage un 7 7 1
certain caractère avec le paon, le pou et le coq. Invite à 9
partir. - 5. Noire pour Tintin. Poète à part entière ou en 6 9 8 1 3 4 2 9 4
partie. Lié à la première personne venue. - 6. On y taille 10
la bavette. Laissa en partant. - 7. Cause de décès. Éclat 9 3 8 5 6 6 9 2 7 8
de bauxite. - 8. Mode de vie ascétique. 11
12
SOLUTION DU NUMÉRO PRÉCÉDENT MOTS À MOT
En regroupant et en mélangeant les lettres des
MOTS À CASER deux mots de trois lettres proposés, composez
B U I L D I N G P U B Y 3 4 5 7 8 6 9 1 2 9 2 6 7 8 5 3 1 4
SOLUTION DU PROBLÈME N° 6491 un troisième mot de six lettres.
SOLUTION DU N°4594

SOLUTION DU N°4595

A N N U E L E B I S E L E R 6 7 1 5 9 2 4 8 3 1 7 4 6 3 9 5 2 8
HORIZONTALEMENT 1. Fermière. - 2. Éborgnés. - 3. Rougon. - 4. L I S C C R O C C O N E 8 9 2 3 1 4 5 6 7 5 8 3 4 1 2 7 6 9
TÉLÉCHARGEZ
Rut. Ruer. - 5. Ores. Iso. - 6. Nièce. Bq. - 7. NF. Ope. - 8. Effronté. - 9. L’APPLICATION
A V E L I N I
D E C O E D
E
R
R
E
P A T
D O N
T
E R
5
7
8
6
4
9
2
8
6
5
1
3
7
2
3
4
9
1
2
4
1
6
9
8
5
2
7
9
8
3
4
1
3
5
6
7
EST + TAU=S
Râle. Ter. - 10. INA. Cari. - 11. Étier. Ce. - 12. Serviles.
2 1 3 9 4 7 8 5 6 7 3 5 1 6 4 8 9 2
VERTICALEMENT 1. Ferronneries. - 2. Ébouriffante. - 3. Routée.
E R A F L E R
U S B A E
A
C L
R I E T
O S H
T E
I C 9 3 6 4 7 8 1 2 5 6 5 2 3 4 7 9 8 1
DER+NON= N
A

Flair. - 4. MRG. Score. EV. - 5. Igor. EPO. Cri. - 6. Ennui. Enta. - 7. Ré. S E L E C T P E L O T A R I 4 2 7 1 3 5 6 9 8 3 9 7 8 2 1 6 4 5
ESB. Terce. - 8. Escroqueries. E L E V E U S E E N V I E R 1 5 8 6 2 9 3 7 4 8 4 1 9 5 6 2 7 3 TAO+BUG= U

04_01_24_P2 19 13/11/2023 16:14

 LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024

TÉLÉVISION Tous les programmes

dans TV Magazine et sur l’appli TV Mag MÉTÉO PAR 29
ÉPHÉMÉRIDE St-Odilon
À LA DEMANDE Soleil : Lever 08h43 - Coucher 17h07 - Dernier quartier de Lune

21.10 21.10 21.10 MATIN

Spider-Man : Prodiges Délicieux L’esprit s’amuse 7
Homecoming Divertissement Film. Comédie dramatique 40
7
7 6 6
7 7
6 8
10
7 7 7
6
8
9 8 7
8
F i l m . F a n t a s t iq u e 2h13. 10 ans ! Douze virtuoses se Fra/Blg. 2021. Réal. : Éric Besnard. Un célèbre écrivain victime du
EU. 2017. Réal. : Jon Watts. 2h20. Avec retrouvent pour la inale de cette 1h48. Avec Grégory Gadebois, Isabelle syndrome de la page blanche fait 30 8
édition anniversaire. Toujours sous Carré, Benjamin Lavernhe. Inédit. En appel à une médium pour l’aider à 5
Tom Holland, Michael Keaton. Après 7
avoir brillé auprès des Avengers, le les regards bienveillants de Faustine 1789, un maître cuisinier et son élève retrouver l’inspiration. En compa- 5
jeune Spider-Man, qui veut prouver Bollaert et du jury composé de Marie- développent une idée prometteuse gnie de sa nouvelle femme et de 9 8
à Iron Man qu’il a l’étofe d’un supe- Claude Pietragalla, de Julie Fuchs et et surtout novatrice : créer un lieu où quelques convives, il organise une 2 8
rhéros, afronte un nouvel ennemi. du violoncelliste Gautier Capuçon. des convives peuvent s’attabler. séance de spiritisme qui ne donne 7
rien… du moins pas le résultat 6 5
23.30 Aquaman. Film. Fantastique. 23.23 Bon anniversaire, Prodiges, 22.58 Downton Abbey. Film. Drame. 8 14
attendu. L’excentrique médium a
Avec Jason Momoa, Amber Heard. 10 ans d’aventure ! Divertissement. Avec Hugh Bonneville, Maggie Smith.
accidentellement réveillé l’esprit 6 60
de la défunte première femme de
l’écrivain, qui désormais, ne lâche 7
plus le couple. Les cinéphiles APRÈS-MIDI
auront reconnu le titre et l’intrigue
21.09 20.55 21.10 d’un ilm de David Lean tourné en
60
9
Bandit La saison du Verseau Destination X : 1945 d’après une pièce de théâtre
des années 30. Dans ce remake, 9
T é l é fi l m . S u s p e n s e Série. Dramatique sauront-ils se repérer ? 10 8 8
Judi Dench reprend le rôle de la
11 11
médium tenu à l’époque par Mar-
9 10
garet Rutherford. Le réalisateur 11
Edward Hall reste idèle à l’esthé- 12 11 10
8
tique art nouveau de l’original. 12
13 11 10
12

Can. 2022. Réal. : Allan Ungar. 2h02. All/Blg. 2023. Saison 1. Avec Stefanie Jeu
APPLICATION 10 11
Avec Josh Duhamel. Inédit. Dans les Reinsperger, Morgane Ferru, Merlin 1h45. Les 9 passagers encore en lice 50 11 10
années 1980, au Canada, un criminel Rose. 2 épisodes. Inédit. Réunis pour ont repris la route à bord du X-Bus. 14 12
qui est parvenu à s’évader de prison un événement heureux, le mariage de Pour débuter, Philippe Bas leur a 13 16
multiplie les cambriolages de banques la benjamine de la famille, les Schwarz, organisé un jeu au sommet d’une 15
et de bijouteries sans violence. de riches industriels, voient ressurgir mystérieuse carrière. Verticale 8 : 17 14
un ancien traumatisme. 15
23.11 Misanthrope. Film. hriller. Avec 22.55 Destination X : ce qu’il fallait 19
Shailene Woodley, Ben Mendelsohn. 22.25 La saison du Verseau. Série. voir. Divertissement. Inédit. réunion de 18 50

quartier 17

T (en °c)
<-10 à 0 0 à 10 10 à 20 20 à 30 30 à >40
19.11 Touche pas à mon poste ! Div. 19.50 Marié(e) à tout prix. Div. 19.15 Quotidien. Divertissement.
21.18 Y’a que la vérité 21.05 Tout le monde chante : 21.15 he Good Criminal
qui compte les stars relèvent le déi Film. hriller. EU. 2020. Réal. : Mark ALGER 12/20 AMSTERDAM 7/8 ATHÈNES 12/17
Magazine. Prés. : Pascal Bataille et Concert. Prés. : Jérôme Anthony Williams. 1h45. Avec Liam Neeson, 10/16 9/10 2/8
BARCELONE BELGRADE BERLIN
Laurent Fontaine. 1h37. « Y’a que et Élodie Gossuin. 2h. Inédit. Des Kate Walsh. Injustement accusé du
la vérité qui compte » est de retour vedettes de la chanson française meurtre d’un agent du FBI, un ancien Téléchargez BERNE 5/8 BRUXELLES 7/9 BUDAPEST 4/11
avec des émissions inédites, de nou- chantent pour la bonne cause. cambrioleur de haut vol veut se l'application COPENHAGUE -4/-2 DUBLIN 6/8 LISBONNE 13/17
veaux participants et de nouvelles venger des ripoux assassins et leur LONDRES 6/8 MADRID 9/13 PRAGUE 7/8
23.05 Les 20 chansons de Jean-
histoires de vie incroyables. faire avouer leur crime. RABAT 10/20 ROME 11/17 TUNIS 12/20
Jacques Goldman préférées des
22.55 Y’a que la vérité qui compte. Français. Documentaire. 23.00 90’ Enquêtes. Magazine.
Michel Laclos, mots croisés VENDREDI SAMEDI DIMANCHE
du Figaro, mots fléchés, mots
mêlés, sept lettres…Découvrez 5/8 4/5 1/2
20.03 C à vous la suite. Talk-show. 19.55 Wheeler Dealers France. Doc. 19.55 Francs-maçons : l’obsession ou retrouvez les jeux de lettres 5/8
5/9 6/7 3/5 4/6 1/2
des dictateurs. Documentaire. exclusifs du Figaro.
21.02 La guerre des trônes, 21.10 Camions XXL : 6/9 3/6
la véritable histoire de l’Europe les rois du convoi exceptionnel 20.50 La cité oubliée L’intégralité de Figaro jeux est 2/4
Documentaire. Fra. 2023. Réal. : Documentaire. Fra. 2023. Réal. : de Ramsès 2 incluse dans 6/7 10/12 5/8 7/10 3/6 6/8
Vanessa Pontet, Samuel Collardey. Mélodie Tissot. 1h20. Transports Documentaire. Fra. 2023. Réal. : les abonnements Premium et
1h35. 2 épisodes. Inédit. Louis XVI à risques. En Dordogne, un convoi Laurent Portes. 1h30. En immersion Premium+.
et la famille royale sont enfermés rarissime transporte un poids lourd avec une équipe d’archéologues sur
à la prison du Temple, à Paris. victime d’un accident de la route. le site de Pi-Ramsès. lachainemeteo.com
Par téléphone : LIVE 24/24 Sur L’APPLI
22.36 C dans l’air. Magazine. 22.30 Camions XXL : les rois du 22.20 Égypte, une passion française.
GRATUITE
23.45 C à vous. Talk-show. convoi exceptionnel. Documentaire. Documentaire. Réal. : Frédéric Wilner. 2,99 €/appel La Chaîne Météo

MOTS FLÉCHÉS DU FIGARO N°3719

PAS GAI MAXIMAL IL AVANCE QUALITÉ EST- MÈRE DEUX- PROJEC- DISTANCE N’A AUCUN
PAR BELLE DE PAPIER NORD-EST D’ISAAC RÉALISE UN SON BUSTE ROUES TILE ROND ANGLAISE GENRE
BOUQUET ALLURE À EST À LA
DE NIN DANS RAMES AMUSES, IL ÉTOUFFE PRO- RETRAIT ÉTAT COUVERTS ARTICLE
L’INTIMITÉ VINCENNES MAIRIE PALUCHE
TOMATES LIMITÉ DÉRIDES LA FLAMME TECTION DES USA DE GLACE D’ARAGON
QUI A COR- DISCOURS
RIGÉ SES ÉLOGIEUX
FAUTES CONTRE-
ADAPTÉE FAÇON
QUI POSE ÉCRASE
DES LE CHROME
QUESTIONS AU LABO-
ÉPUISAIT RATOIRE
IL FORME SECTION
SOUTIENT UN DUO À L’ONU LAITUE S’ÉCHAPPE
UN MUR AVEC TIC DE MER PAR
PRUNE DERRIÈRE
PAS À MOI INDIGESTE
IL MANQUE DE TOUTES RAMENER A MONTRÉ
D’ASSU- LES AU PAYS DES
RANCE COULEURS VILLE DE CAPACITÉS
ONGUENT CANARD VIGNOBLES A GLOUSSÉ
ANCÊTRE SOIRÉE AIR CUBÉE
DE L’UE BRILLANTE ESCLAVE
OPUS CALME, DU DER-
SORTI ABRÉGÉ SEREIN NIER CRI
ANCIENNE SERVICE ÉLÈVE IL PERMET CE N’EST
GEÔLE EN LEP DE RÊVER
ASSIS- MILITAIRE PAS UN
TANTE MA- D’AUTRE- PORTE DES BASE DE LIEU
TERNELLE FOIS CHAPON COMMUN
PYRÉNÉES GOLFEUR
CHEF DE COLPOR- SOLUTION DU NUMÉRO PRÉCÉDENT
BANDE PRÊTRE TEUR DE CRACHEUR S A E L P A S A L T A B A
MOINS UKRAINIEN RAGOTS SICILIEN
D I S T I N G U E R A S P A R T A M E R A L E R
QUE CELA ACTE CIVIL
M U R V E I N E R L E S T D I R E C T E M
FLANQUÉE INTELLI-
VÊTEMENT VIEUX M I R O T O N A P E S A N T E U R N N E M I E
DE GENCE
GORILLES ARTIFI- COUVRANT CHEVALIER L E C A I R E A M I N C I L E V I T A T I O N
LE TRONC ESPION (D’)
AGRESSER CIELLE P A L E T E N G R A N G E A C R E R U E D I
R E M E T S A E R O R E V E I L L E T U E E
GRAND
ENCLINE À
A

CONSOM- P I V E R T S T R I C T P E R E C V
LA MATEUR DE T E N A C I T E E S E R I N E R A U
VIOLENCE
BIBERONS S E R T I P E R T E C H E E R O D E

04_01_24_P1 3717 13/11/2023 16:13

 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO
30
PORTRAIT LA CÉLÈBRE
VIOLONISTE VIENT DE PUBLIER
UN LIVRE DANS LEQUEL
ELLE RACONTE SA VIE,
ET NOTAMMENT SON ENFANCE
DANS LA CHINE COMMUNISTE
DES ANNÉES 1970,
À L’ÉPOQUE DE LA RÉVOLUTION
CULTURELLE. UN DESTIN
HORS DU COMMUN.
ZHANG ZHANG
VOIE SINGULIÈRE
Ronan Planchon
rplanchon@lefigaro.fr
ela aurait pu rester une
C
passe d’armes numéri-
que. L’une de ces jou-
tes verbales et virtuel-
les comme les réseaux
sociaux en offrent cha-
que jour par centaines,
rarement pour le
meilleur. En janvier 2021, le trompet-
tiste et compositeur Ibrahim Maalouf
met en cause, dans un tweet, le man-
que d’artistes issus de minorités ethni-
ques et de musiciennes au sein de l’Or-
chestre philharmonique de Vienne.
Zhang Zhang, premier violon de
l’Orchestre philharmonique de Monte-
Carlo lui répond, et rappelle, entre
autres, que lors du concours de recru-
tement, un paravent sépare le jury du
candidat. Les « artistes sont choisis par
leur musique » et non en fonction
Le Figaro TV
Votre nouvelle chaîne
décryptage et culture
&(!
  
!%! , %$  
&$$ $&#
A
d’éventuels critères ethniques, souli-
gne-t-elle. Dans le monde ouaté de la
musique classique, peu habitué aux
« clashs » en public, la polémique entre
les deux virtuoses fait l’effet d’un petit
tremblement de terre. Ibrahim Maalouf
est invité sur France 5 pour étayer ses
propos sur l’existence d’un prétendu
« racisme systémique » au sein des or-
chestres, pas Zhang Zhang.
« J’ai mal vécu cet épisode, confesse
la violoniste. D’autant que les artistes
qui m’ont soutenue ne l’ont fait qu’en
privé. » Cette semaine-là, Zhang
&)  $%)
'$ #)#
  ! %!&
 +#$%!" &$$!
&& ##&%
%!# !#
Bienvenue sur
 

   % *""
Zhang, qui s’est fait connaître par son
art, accède, malgré elle, au statut de
personnalité publique. Depuis cet épi-
sode, elle prend régulièrement la pa-
role dans les médias, tantôt pour dé-
noncer la discrimination positive au
sein de la musique classique, tantôt
pour balayer l’idée selon laquelle la
musique classique serait élitiste.
« C’est du baratin ! N’importe quelle
église en France propose des concerts
gratuits », assure l’artiste, quitte à
bousculer son milieu. Dernièrement,
en mai, elle s’est également opposée,
&% &%#
"" )
SÉBASTIEN SORIANO/LE FIGARO
dans le Figaro, à un podcast de France muniste. Difficile de faire une grande
Musique qui dépeignait Nina Simone carrière dans ce contexte, encore plus
en militante ethno-raciale. Simone de faire fortune.
« est une véritable ambassadrice de « On vivait à quatre, avec mon frère,
l’universalisme », assure la violoniste. dans une pièce de 9 m² », raconte Zhang
Lorsqu’on la rencontre, début dé- Zhang. La fratrie n’est pas scolarisée.
cembre 2023, dans un salon de thé Côté musique, le père enseigne d’abord
chinois du 6e arrondissement de Paris, le piano à sa fille avant de lui coller un
la violoniste de 52 ans semble peu violon dans les mains dès l’âge de 4 ans.
prompte à parler politique. Encore Elle dit ne pas avoir eu « une éducation
moins à revenir sur son altercation musicale mais un dressage ». Et dans le
avec Ibrahim Maalouf. Près de trois huis clos de l’appartement familial, les
années sont passées et elle a enchaîné coups pleuvent régulièrement.
depuis les tournées et les concerts phi- Dès que l’occasion se présente, la
lanthropiques avec son association famille fuit. Direction la Thaïlande,
Zhangomusiq - les bénéfices du pro- d’abord, à trois. « Le gouvernement a
chain seront reversés à une école clan- conditionné le départ de mes parents à
destine de Kaboul. Mais surtout, la l’abandon d’un de leurs deux enfants. »
musicienne vient de publier un livre, C’est le petit frère, qui n’a pas la chance
La Voie de l’archet (Éditions Fayard), où de jouer d’un instrument aussi bien que
elle raconte son parcours entamé dans sa sœur, qui est laissé sur le carreau.
le Pékin des années 1970. Là-bas, les parents enchaînent les
concerts et se font à nouveau un nom à
défaut d’un visa. En 1984, faute de pa-
“chinois
Le gouvernement
a conditionné
piers, ils sont contraints de s’envoler à
Toronto. Zhang Zhang découvre le
mode de vie nord-américain, le froid et
le départ de mes parents l’école. Dépaysement garanti.
à l’abandon d’un En 2000, un diplôme du prestigieux
conservatoire de Lausanne en poche,
”
de leurs deux enfants l’artiste chinoise fait partie des six
ZHANG ZHANG
violonistes sur 100 candidats sélec-
tionnés par l’Orchestre philharmoni-
Osons l’euphémisme : à cette épo- que de Monte-Carlo, institution
que en Chine, la liberté d’expression et qu’elle ne quittera plus. Son frère en-
la liberté en général ne sont pas les seigne aujourd’hui la musique au Ca-
maîtres-mots. La Chine vient d’enta- nada. Le paternel, lui, est décédé en
mer sa révolution culturelle ; jouer li- octobre 2021. Devant son thé fumant,
brement d’un instrument relève de elle lâche un laconique « ce n’était pas
l’impossible. La mère de la musicien- quelqu’un de bien ».
ne, actrice reconnue, est envoyée Parfois, Zhang Zhang retourne dans
dans un camp de rééducation. Son son pays natal où les journalistes lui
violoniste de père, lui, est super-solis- chantent systématiquement les louan-
te dans le seul orchestre qui avait droit ges de ses parents. Est-ce aussi pour
de cité dans l’empire du Milieu, celui cela qu’elle répète sans cesse devant
de Mme Mao Zedong. L’homme est une nous son amour de Monaco, où elle vit
vedette dans son pays, mais il a un dans un studio, de la France et de sa
gros défaut aux yeux du régime, c’est culture ? Peut-être. Car ici, Zhang
de ne pas avoir sa carte au Parti com- Zhang a su tracer sa voie. ■
UN DERNIER MOT
edemontety@lefigaro.fr
Par Étienne de Montety
Numéro (nu-mé-ro) n. m.
Chiffre qui peut se faire aligner.
L
’armée israélienne a tué à Beyrouth le numéro 2 du Hamas.
Le mot vient de l’italien numero, qui signifie « nombre », et est apposé
sur un objet (ou une personne) pour le distinguer des autres.
En l’occurrence, les responsables du Hamas. Tous les nombres ne sont pas premiers.
Mais, comme les autres, le 2 était depuis le 7 octobre ennemi public numéro 1.
Pour Israël, il y avait quelque urgence à se débarrasser de lui. On ne sait si cet homme
a jamais eu recours à la numérologie, mais, ces temps-ci, les nombres ne devaient pas
donner cher de son avenir.
Pour régler son compte à ce numéro, Israël avait le choix de le mettre derrière
les grilles (on y met parfois des numéros) ou de l’éliminer. Au cinéma, l’assassin
habite au 21, mais là il demeurait à Beyrouth. Numéro caché, évidemment.
On ne sait pas si c’est le bon, mais les soldats de Tsahal ont finalement tiré
ce numéro-là. La suite au prochain. On serait les autres responsables du Hamas,
ce sont ses abattis qu’on numéroterait. ■
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO - N° 24685 - Cahier N° 4 - Ne peut être vendu séparément - www.lefigaro.fr

lefigaro.fr/livres

OLIVIER ROLIN ANTOINE

LE ROMANCIER RESSUSCITE
DEUX PERSONNAGES
VOLODINE
DEMAIN, L’APOCALYPSE ? PAGE 5
DES « MISÉRABLES » PAGE 3

Marie-
Antoinette,
WWW.BRIDGEMANIMAGES.COM/BRIDGEMAN IMAGES ; JOEL SAGET/AFP ; GRANDFAILURE - STOCK.ADOBE.COM

qui êtes-
vous ?
dossier Une magnifique
biographie de la dernière
souveraine de l’Ancien
Régime affine son portrait
et corrige certains préjugés.
PAGE 2
Marie-Antoinette à la rose,
par Élisabeth Vigée Le Brun,
(1783).

L’ombre de l’aigle

L
A FASCINATION dure toujours.
Quelque deux cents ans après
les événements, après Cha-
teaubriand, Hugo, Stendhal et
Tolstoï, Napoléon continue d’ins-
pirer les écrivains. Jean-Marie Rouart lui a
consacré un Napoléon ou la Destinée. Dans
son nouveau roman, il ne nomme guère ce-
lui-ci que par un titre : « le grand proscrit ».
Nous sommes en 1815 à l’île d’Elbe, où les
coalisés ont exilé l’Empereur. Ils l’ont vain-
cu mais ils ont encore les yeux rivés sur le
lieu-dit Les Mulini, ce palais face à la mer
érigé pour la circonstance où, espère-t-on,
il consentira à mener une vie de monarque
en exil. Les circonstances et son tempéra-
ment en décideront autrement.
Est-on ici en présence d’un roman histori-
que ? Non, si l’on entend par là un livre d’ac-
Seul le diabolique Talleyrand jouit de la
nouvelle configuration politique, s’amuse
dans les rapports de force, dominant Met-
ternich par son intelligence et profitant de la
compagnie de sa jolie nièce Dorothée.
Pas de coup d’épée ou de canon dans ce ro-
man, mais un Kriegsspiel qui se joue dans les
têtes. Abandonné, même de l’impératrice,
Napoléon ne reste pas longtemps sans se
LA CHRONIQUE
d’Étienne
de Montety
ressaisir. Stratège-né, il organise, étudie les
rapports de force, les avantages de sa posi-
sente pas une intrigante, façon Milady de
Winter, et pourtant son rôle fut peut-être
capital pour réaliser le plus bel exploit de Bo-
naparte : la reconquête de la France par son Lancez-vous dans la formidable aventure de l’écriture !
seul retour sur le sol national.
Rouart, l’auteur du Cavalier blessé, est com-
me Julien Sorel, la lecture du Mémorial le fait
encore frémir. Il aime cette épopée qui exal-
ta le courage et l’audace de quelques-uns.
Mais il aime aussi l’ambivalence des hom-
mes, leurs faiblesses, leurs limites. Ce sont
celles d’un Murat, d’un Soult : l’héroïsme
peut aussi se dégager de l’ambiguïté, voire
de la médiocrité.
Jamais Rouart n’avait fait preuve d’une telle
maîtrise romanesque. Chaque chapitre dévoile
un fait, sans en dire plus de ce qui va suivre.
L’auteur conte avec précision la vie à Elbe,
peignant avec soin l’île et ses lumières du ma-

tion, rythmé de coups de théâtre. Rouart
procède habilement, par tableaux successifs,
parfois bien éloignés d’Elbe. On est à Paris,
on est à Vienne, même si l’ermitage impérial
reste le centre de l’Europe. Par un retourne-
ment inouï, le prisonnier domine la situation.
Autrichiens, Anglais, Français, il les obsède
tous. Ainsi, Louis XVIII, réinstallé sur le trône
par les coalisés - trop mal, trop tard -, sait
déjà que la restauration est fragile. Son pré-
décesseur a imprimé une marque au pays
qu’il ne parviendra jamais à effacer. L’ombre
de l’Aigle plane sur le pays.
tion et le défaut de la cuirasse du dispositif
mis en place par les alliés pour sa réclusion.
Ce défaut a un charme fou, il a pour nom la
comtesse Miniaci, « la coqueluche de Floren-
ce », dont l’auteur nous fait un portrait ma-
gnifique : cheveux blond vénitien, sourire
mutin. C’est elle, la « maîtresse italienne » qui
donne son titre au roman. Le colonel Neil
Campbell, geôlier de l’Empereur, en est fou.
Il suffit qu’une servante lui annonce que « la
contessa vi aspetta » (« la comtesse vous at-
tend ») pour qu’il oublie tout : sa mission,
son prestigieux détenu. Qu’on ne se repré-
tin, le port et ses navires gréés pour le com-
merce ou l’aventure. C’est pour mieux ména-
ger ses effets. Il fait de cette maîtresse italienne
le plus singulier personnage de la littérature
française : entre l’Arlésienne et Godot. ■
LA MAÎTRESSE
ITALIENNE
De Jean-Marie Rouart,
Gallimard,
170 p., 19 €.
NICOLAS FARGUES
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© Hannah Assouline/P.O.L
A
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO
2 par Jean-Baptiste Gautier Dagoty.
L'ÉVÉNEMENT
Littéraire
Marie-Antoinette,
la reine
mystérieuse
Dossier Quel fût le rôle exact
de la souveraine dans la tragédie
de la monarchie française ? Une magistrale
biographie de l’historien Charles-Éloi Vial
fait la part des choses.
LA CHRONIQUE
de Jacques
de Saint Victor
E
NCORE Marie-An-
«
toinette, toujours
Marie-Antoinet-
te », avait déjà
averti Sainte-Beu-
ve. Plus de deux siècles après sa
mort tragique, la dernière reine de
l’Ancien Régime en a vu de toutes
les couleurs. Elle fut tour à tour
« l’Autrichienne », la souveraine
dépensière et hypocrite, la bergè-
re de Trianon, jouant pendant que
le peuple meurt de faim (la sym-
pathique Mme de Staël contribua à
répandre ce mot apocryphe :
« S’ils n’ont pas de pain, qu’ils
mangent de la brioche »), puis, en
1793, elle devint la « veuve Ca-
pet » que l’ignoble Hébert accabla
de tous les maux, l’accusant
même d’inceste avec le dauphin.
Sous la Restauration, dans cette
France des larmes qui avait de
quoi s’accabler de la folie passée,
elle se métamorphosa en « reine
martyre », la « chevalière de la
Mort », comme l’appellera plus
tard Léon Bloy, admiratif, servant
à une légende pleurarde qui finit
par agacer même les esprits les
mieux disposés à son égard.
“le roi,
Pour le moment,
”
c’est moi
MARIE-ANTOINETTE,
SOUS LA PLUME D’ALEXANDRE DUMAS
L’école républicaine des Lavis-
se et autres hussards noirs, qu’on
est bien forcé d’encenser aujour-
d’hui vu le désastre du pédago-
gisme, la caricatura à nouveau à
partir de 1880 en l’opposant à son
bon gros mari, qui était censé, lui,
jouer le jeu de la « révolution mo-
dérée » (sic). Il suffit de voir le
film cocasse de Renoir La Mar-
seillaise, financé en partie par une
souscription de la CGT, pour se
souvenir de l’image de cette Ma-
rie-Antoinette hautaine et aristo-
cratique par contraste avec
Louis XVI, sorte de roi bourgeois
avant la lettre, plus attaché à dé-
vorer sa tête de veau qu’à sauver
son trône. Louis XVI fut ensuite
réhabilité. Pas la reine, jusqu’à ce
que, très récemment, le féminis-
me change tout. Depuis #MeToo,
les jacobins virilistes n’ont plus la
cote et la vision des frères Gon-
court d’une reine romantique et
frivole revient à la mode, comme
le monde des falbalas de la cour,
où les femmes avaient un pouvoir
qu’elles ne possédèrent plus après
1789 (Robespierre et Bonaparte
savaient ce qu’il en avait coûté à
l’ancienne société). La jeune rei-
ne fut absoute et ses mésaventu-
res, notamment après le livre de
A
Lady Antonia Fraser, inspirèrent
le film de Sofia Coppola où l’ar-
Portrait de Marie-Antoinette (1775),
ALAMY STOCK PHOTO VIA REUTERS
chiduchesse autrichienne finit
par se confondre avec une icône
ado de TikTok qui conquit les
cœurs par ses péripéties au sein
de l’affreuse cour de France.
Aucune de ces images de Ma-
rie-Antoinette n’est totalement
juste, ni totalement fausse non
plus. La fille de Marie-Thérèse,
plus encore qu’aucune autre sou-
veraine, restera à jamais une
énigme où sa personne se
confond avec le mythe. Elle sus-
citera toujours, du fait de la tra-
gédie qui l’entoure, son lot iné-
luctable de préjugés. Les amis de
Mélenchon n’auront jamais pour
elle la même tendresse que ceux
qui n’exaltent pas tous les matins
les charrettes de la guillotine.
Peut-on néanmoins espérer se
faire une idée à peu près juste de
cette princesse plongée dans le
monde furieux des révolutions ?
Peut-on surtout essayer de saisir,
derrière les couches successives
d’accusateurs et d’hagiographes,
le rôle exact qu’elle eut dans la
tragédie de l’ancienne monar-
chie ? C’est le pari - très réussi -
de cette magistrale biographie de
l’historien Charles-Éloi Vial. In-
déniablement, l’auteur s’impose
par ce travail comme le meilleur
spécialiste de cette fin de l’Ancien
Régime, à la fois par sa maîtrise
impressionnante des sources,
mais aussi par un art du récit qui
sait éviter autant les pièges de
l’érudition stérile que les erre-
ments de la petite histoire futile
(et dieu sait si le sujet y est mal-
heureusement propice). Le tra-
vail est impressionnant par son
ampleur, car l’auteur explique
tout. Mais on le lit avec une très
grande facilité, car Vial ne se perd
Stefan Zweig : les habits neufs d’une souveraine
jamais dans des méandres inutiles
du monde curial. Tout répond à
l’ambition de ce livre : essayer de
mieux cerner le rôle politique de
cette reine dans le flot de récits
qui en obscurcissent la vision.
On en ressort avec la conviction
que, même si l’histoire n’est ja-
mais écrite d’avance, la tragédie
rôdait dès la naissance même de
cette union entre le trône de
France et la couronne autrichien-
ne. Car le mariage du futur
Louis XVI et de la fille de l’impé-
ratrice d’Autriche répondait au
« retournement des alliances »
voulu par Louis XV. Jadis ennemie
héréditaire de la France depuis
Charles Quint, la couronne
d’Autriche fut jugée un appui né-
cessaire face à la perfide Albion,
alliée de la Prusse. Contre ce bloc
protestant qui menaçait de redéfi-
nir les contours de l’Europe, la
constitution d’un bloc catholique
paraissait salutaire. Mais, à Ver-
sailles, la vieille cour, par atavis-
me, ne vit pas d’un bon œil ce
nouvel équilibre. Ainsi, Marie-
Antoinette arrivait en terrain
miné. Les premiers quolibets à
l’égard de « l’Autrichienne » ne
vinrent pas des échoppes du fau-
bourg Saint-Antoine mais des al-
côves des princes. Par son éduca-
tion, dévote mais plutôt médiocre
(Vial le confirme), la jeune dau-
phine n’était pas préparée à un tel
accueil. D’une nature frivole, elle
MARIE- le géra mal. Marie-Antoinette
ANTOINETTE s’enferma dans une petite société
De Charles-Éloi Vial, parallèle, notamment à Trianon,
Perrin, qui renforça les rumeurs. Les
720 p., 28 €. confidents qu’elle se choisit (mal),
en particulier les Polignac, ne fi-
rent qu’aggraver son image, y
compris auprès de la noblesse. On
connaît le mot de Mirabeau :
« Mille livres à la famille d’Assas
pour avoir sauvé la France, 1 mil-
lion à la famille Polignac pour
l’avoir perdue. »
En général, les historiens esti-
ment que Marie-Antoinette
changea à partir de 1787, mais
Vial fait remonter ce tournant en
amont, dès la naissance du dau-
phin en 1778. Elle prend en assu-
rance. La mort de Maurepas, le
vieux confident de Louis XVI, en
1781, réveille chez elle, écrit-il,
« un appétit du pouvoir ». Mais
elle ne connaît pas la France. En
1785, l’affaire du collier révèle
SÉBASTIEN LAPAQUE
slapaque@lefigaro.fr
P
UBLIÉ en 1932, Marie-
Antoinette est le plus cé-
MARIE- lèbre livre de Stefan
ANTOINETTE, Zweig, dont l’œuvre
PORTRAIT conséquente de roman-
D’UNE PERSONNE cier, de nouvelliste, de dramaturge
ORDINAIRE et de poète est accompagnée de cinq
De Stefan Zweig, autres grandes biographies : Joseph
traduction nouvelle
Fouché (1929), Érasme, Grandeur et
et intégrale de
Jean-Jacques Pollet, décadence d’une idée (1935), Marie
Les Belles Lettres, Stuart (1936), Castellion contre Cal-
« Bibliothèque vin (1936) et Magellan (1936).
allemande », L’histoire selon Stefan Zweig n’est
610 p., 26,90 €. pas savante, mais ses livres sans ap-
pareil de notes sont cependant ap-
puyés sur une solide documentation.
Lors de ses séjours à Paris, le roman-
cier autrichien n’avait pas par ha-
sard ses habitudes à l’Hôtel Louvois,
juste en face de la Bibliothèque na-
tionale. De retour chez lui, à Salz-
bourg, il se faisait livrer des caisses
de documents, notamment des
autographes originaux dont il était
un collectionneur passionné. Diplô-
mé de philosophie, après avoir étu-
dié l’histoire de la littérature, la ro-
manistique et la germanistique à
l’université, Stefan Zweig écrivait
son impopularité. « Mais que leur
ai-je donc fait ? » Le mot est apo-
cryphe mais résume bien son
état d’esprit. Elle aurait mieux
fait de rester en retrait. Mais, à
partir de 1787, Louis XVI vacille.
Face au péril de banqueroute, il
est dépassé. Les biographes du
roi négligent parfois ce point,
car Louis XVI continue certes à
régner.
En 1787, c’est le début de sa
dépression. Il se noie dans la mé-
lancolie et la chasse. C’est alors
que Marie-Antoinette entre en
scène. « Pour le moment, le roi,
c’est moi », lui fait dire Alexandre
Dumas. C’est excessif mais Vial a
raison d’insister sur le rôle que
prend alors la reine. Elle n’a pas
de politique claire, zigzague, se
met d’abord à dos la noblesse en
décembre 1788. « Je suis la reine
du Tiers, moi », dit cette tête en
l’air, qui ajuste ensuite le tir et
incarne une ligne de fermeté,
celle de la contre-révolution
royale en liaison avec ses pa-
rents. Mais il est trop tard. Les
événements s’enchaînent, de
plus en plus tragiques, jusqu’à la
l’histoire comme l’écrivait Jacques
Bainville à la même époque. La veille
de sa mort, le 23 février 1942 à Pe-
tropolis, au Brésil, il était d’ailleurs
en train de lire le Napoléon de l’his-
torien royaliste.
« Lippe épaisse »
Dans la famille Bonaparte, l’auteur
du Monde d’hier était plutôt fasciné
par l’Aiglon, le duc de Reichstadt,
né d’un sang français et autrichien à
la fois. Dans ses Journaux, il rappor-
te qu’il est allé admirer son masque
mortuaire au Musée Carnavelet : il
« me fait une impression stupéfiante,
ce visage où s’apparient de façon in-
croyable la lippe épaisse des Habs-
bourg et le nez aquilin de Napoléon,
un visage audacieux, inoubliable et
point malade du tout ».
Cette « lippe épaisse des Habs-
bourg », Stefan Zweig ne l’observe
pas sur les portraits que l’on a
conservés de Marie-Antoinette,
quinzième et avant-dernière enfant
de l’empereur François Ier et de
l’impératrice Marie-Thérèse, « le
seul grand souverain de la maison
d’Autriche » aux dires de l’écrivain
qui est souvent allé visiter son mau-
solée à Vienne, dans la Crypte des
prison du Temple. Et c’est alors
que la reine frivole se métamor-
phose en reine martyre et se his-
se à la hauteur de la légende. Car,
si elle a pu manquer d’esprit, la
descendante des Habsbourg ne
manque pas de caractère. Jus-
qu’au bout, elle fera face avec un
courage inouï. Vial retrace so-
brement son procès abject qui
restera à jamais une marque
d’infamie pour les jacobins. Cette
fin héroïque révèle, derrière la
reine, une femme fragile. On a
depuis 2020 la preuve que Marie-
Antoinette n’était pas cette ar-
chiduchesse marmoréenne de la
légende noire et qu’elle a bien eu
pour Fersen une passion long-
temps niée. Zweig l’avait déjà
supposé, suscitant la fureur des
historiens de profession (lire ci-
dessous). Ainsi Vial nous montre
ici que l’hypothèse d’un écrivain
l’emporte. Dure leçon pour les
savants ! Décidément, Sainte-
Beuve avait raison. Marie-Antoi-
nette a encore bien des choses à
nous révéler. Encore et toujours !
Cette magnifique biographie
nous le confirme. ■
capucins chère à son ami Joseph
Roth. On le découvrira en lisant la
nouvelle traduction de sa monu-
mentale biographie que publient
Les Belles Lettres dans leur « Biblio-
thèque allemande » dirigée par Herr
Professor Doktor Jean-Marie Va-
lentin ou celle de Françoise Wuil-
mart que propose Bouquins (552 p.,
24,90 €).
Publiée en 1933, la première tra-
duction française, due aux soins
scrupuleux d’Alzir Hella, avait les
grandeurs et les limites d’une « belle
infidèle ». Zweig n’écrivait pas com-
me Thomas Mann, qui roulait cha-
que phrase deux cents fois dans son
cerveau jusqu’à ce qu’elle soit par-
faitement belle. Il jetait directement
sur le papier ce qui surgissait « de
son cœur et de son foie », comme l’a
observé un biographe allemand.
Pour faire connaître son œuvre au
public français, Alzir Hella, qui a
traduit une vingtaine de ses ouvra-
ges entre 1927 et 1950, n’a pas hésité
à couper quelques longueurs, à sup-
primer des répétitions, à corriger
des inexactitudes. Ce que ne se sont
autorisés ni Françoise Wuilmart
pour Bouquins ni Jean-Jacques Pol-
let pour Les Belles Lettres. ■
 LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024

En toutes 3
confidences
montagnes de Basse-Silésie. Là, l’étudiant Ionesco en «Quarto»
HORST GALUSCHKA/DPA VIA REUTERS

La montagne ensorcelée d’Olga
Tokarczuk
Lauréate du prix Nobel 2018, la Polonaise Olga
Tokarczuk publiera le 1er février chez Noir sur
Blanc Le Banquet des Empouses. Un récit sous-
titré Roman d’épouvante naturo-pathique. L’action
se déroule en 1912, dans un sanatorium perché dans les
Dans les pas d’Hugo
olivier rolin Un roman virtuose sur deux personnages des « Misérables », un officier de marine et un ouvrier.
PAR PATRICK GRAINVILLE
de l’Académie française
Wojnicz évolue au sein d’une société exclu-
sivement masculine, et venue de tous les
coins d’Europe. Une mort violente et l’ir-
ruption de sorcières réfugiées dans les
forêts vont le conduire à sortir de lui-
même. On l’aura deviné : Olga Tokarczuk
a composé là un roman où elle revisite et
transfigure La Montagne magique de
Thomas Mann, chef-d’œuvre publié il y a
exactement un siècle.
s’échappera du bagne de Brest. À ros dévoyé, grand gaillard
Londres, il tue d’abord un adver- braillard qu’Hugo admire. Olivier
Gallimard a la bonne idée de publier les œuvres
d’Eugène Ionesco dans sa collection « Quarto »,
qui prend de plus en plus d’envergure. De La Can-
tatrice chauve à La Leçon en passant par Rhino-
céros, cet ensemble (théâtre, romans, nouvelles)
permet de (re)découvrir les textes du génie de
l’absurde, mort en 1994. L’édition de Marie-
Claude Hubert, avec la collaboration de Marie-
France Ionesco, met en lumière son unité intellec- CRITIQUE
tuelle et artistique. En librairie le 15 février.
Littéraire
tas d’ordures et c’était le Sinaï… le révolutionnaire française les fait
hérissement sanglier et l’énormité rire. À Londres, on croise Marx,

R
OLIN, le fou, Rolin, le
sage. Olivier Rolin a
écrit L’Invention du
monde et Extérieur
monde, des épopées
géantes, planétaires, lyriques et
rocambolesques. Pas forcément
JUSQU’À CE QUE dans l’étroit goût français. Il nous
MORT S’ENSUIVE donne avec Jusqu’à ce que mort
D’Olivier Rolin, s’ensuive un roman plus court, de
Gallimard, grande minutie, sans mégaloma-
207 p., 19 €. nie cosmique. Mais on y retrouve
au niveau de la documentation
vertigineuse, jusqu’à la moindre
scorie, comme un délire du vrai.
Il nous campe deux personnages
évoqués brièvement par Hugo
dans Les Misérables, au cours de sa
description des barricades de
1848. Hugo, l’abominable homme
des mots, qu’il va citer souvent
avec une adulation que je partage.
Les Misérables si souvent mal lus
ou caricaturés. C’est dans Les Mi-
sérables qu’Hugo écrit : « Le com-
munisme… c’est une répartition fai-
te par le boucher qui tue ce qu’il
partage. »
Et de communisme, il va s’agir
dans les deux portraits antagonis-
tes des deux révolutionnaires dont
Rolin suit les destinées. Barthéle-
my, l’ouvrier, et Cournet, l’offi-
cier de marine en rupture de ban.
La vedette, c’est Barthélemy, un
jeune blanquiste d’un fanatisme
assez froid qu’Hugo qualifie de
« gamin tragique ». Jugement que
Rolin corrige en montrant la
farouche détermination d’un pro-
létaire entraîné dans plusieurs
crimes. Il tuera un sergent,
saire en duel, ce Cournet, le
deuxième protagoniste du roman,
un républicain social, ennemi po-
litique. Il trucide deux autres
hommes en préparant, sans doute,
l’assassinat de Napoléon III.
Le roman commence par un
duel suspendu et finit par Barthé-
lemy pendu. Cournet, la bête noire
de Barthélemy, est trop modéré,
partisan de Ledru-Rollin. Cet an-
cien officier de marine est un hé-
Barricade dans le faubourg Saint-Antoine, le 18 juin 1848. BRIDGEMAN IMAGES
Rolin n’est pas tout à fait d’accord,
mais il finit par dégoter la preuve
que Cournet a bien participé aux
barricades de 1848. Rolin constate
de même que pour la monstrueuse
barricade du faubourg Saint-An-
toine, évidemment Hugo exagère.
Mais comment se plaindre de cette
géniale chimère ? Ce collage for-
midable de mots, d’images folles
et d’objets, ce chaos épique qui
devient surréaliste : « C’était un
montagne. » Le monument litté-
raire de la barricade est plus réel et
durable que son original éphémère
et moins fantastique.
Le merveilleux travail
d’une fourmi maniaque
Rolin plonge dans les haines assas-
sines et mutuelles des exilés à
Londres, après le coup d’État de
Napoléon III. Les Anglais en sont
babas. Toute cette phraséologie
Louis Blanc, Ledru-Rollin,
Schoelcher… Description de la
plus grande ville du monde, noire
de fumées industrielles et de misè-
re. Comme il arpente et restitue le
fouillis du vieux Paris, avant la ha-
che d’Haussmann, Olivier Rolin
scrute les rues de Londres pour re-
trouver l’endroit où Barthélemy a
été pendu.
Dès le début, le bagne de Brest
est vu à la loupe. Et Rolin ne craint
pas de suivre toutes les circonvo-
lutions judiciaires des enquêtes sur
le duel et les assassinats de Barthé-
lemy. Ce n’est plus la passion du
tour du monde mais celle, aussi ef-
frénée, du tour des archives. Et
c’est un merveilleux travail de
fourmi maniaque. Le grand corps
du XIXe siècle, si mal aimé (c’est
plus chic d’adorer le XVIIIe), est
ouvert, disséqué, le cœur extrait,
palpitant sous la plume, quel pouls
politique ! Barthélemy, l’ouvrier
révolté et meurtrier, et Cournet,
l’officier de marine tué en duel,
sont les deux ventricules d’une ef-
fervescence militante dans laquel-
le le sang d’Hugo bat. Le voilà dans
les rues des barricades de 1848, ce
n’est pas du bluff. Et en 1851, il est
sur les dents ! Il écrit, comme y in-
siste Rolin, Histoire d’un crime, sur
le coup d’État de Napoléon le petit.
Qu’il fasse dans le grandiose
échevelé ou qu’il coupe les che-
veux en quatre, en quadrillant le
terrain, tel un limier flairant la
came du docu, il faut voir Rolin,
grand écrivain, à la manœuvre.
Virtuose toujours et artiste jusqu’à
la moelle. ■

Une merveilleuse errance avec Francis Bacon

Yannick Haenel L’écrivain raconte sa nuit au musée de Beaubourg en compagnie du peintre anglais. Suivez le guide !
MOHAMMED AÏSSAOUI propose de se rendre au Centre Une migraine ophtalmique l’atta- veilleuse errance : l’errance est la de la cruauté et de la violence »,
maissaoui@lefigaro.fr Georges-Pompidou, au moment que aussi sûrement qu’une crise façon d’écrire de Haenel. Il dit ce comme indiqué dans les premières

S
d’une grande exposition consa- BLEU BACON d’angoisse. « La tête me tournait, qu’il ressent, il n’a avec l’art lignes de l’encyclopédie Wikipé-
E RETROUVER seul, une crée à Bacon. L’écrivain veut pro- De Yannick Haenel, j’avais chaud, et les yeux commen- qu’une relation sensuelle, par mo- dia. Haenel s’insurge : « Soyons
nuit, dans un musée rien fiter de cette chance exception- Stock /« Ma nuit çaient à me brûler. » Il avance en ments charnelle. Pour sortir de la clairs : Francis Bacon n’est pas le
que pour soi ? L’expérien- nelle d’avoir ses tableaux pour lui au musée », titubant vers le couloir où un lit de douleur, il va vers le bleu de peintre de la violence et de la cruau-
ce fait rêver. Yannick tout seul, toute une nuit. Il en rê- 234 p., 19,50 €. camp était mis à sa disposition. Bacon, « une ligne bleue papillon- té, c’est la société qui est sadique et
Haenel a souvent associé vait : «Je voulais contempler cha- Que va-t-il pouvoir voir dans cet nait en effet d’un tableau à l’autre qui a intérêt à nous faire croire que
la peinture à la littérature, il a déjà cun d’eux sans me presser, passer état ? Il ne va tout de même pas avec l’intensité d’un sésame. » Il les artistes sont des détraqués. »
dit sa passion pour le Caravage, enfin du temps avec la peinture, la dormir toute la nuit ? Il hallucine, porte une attention toute particu- Son récit montre toute la lumiè-
écrit sur « la radicalité artistique » voir de mieux en mieux. J’attendais entend des voix. « Ma tête explo- lière au tableau Water From a Run- re, la foi, l’optimisme même,
d’Adrian Ghenie… Et une grande de la joie, j’espérais une métamor- sait, j’avais peur de m’évanouir ning Tap – il a des commentaires qu’on peut retrouver chez Francis
part de son œuvre est traversée phose. » avant d’atteindre le lit. » qui vous enchantent. Chez le ro- Bacon. « La peinture se médite elle-
par cet art, on songe aux scènes Des années qu’il attendait cette mancier, peinture, littérature et même, sa solitude appartient à
hallucinantes de Tiens ferme ta belle opportunité de se retrouver Une relation sensuelle physique sont inextricablement l’éclaircie. » Le livre est habité tout
couronne au Musée de la chasse. Il en tête à tête avec Bacon. Mais ça avec l’art liées : « Je me suis glissé dans ces entier par des phrases de toute
aime Francis Bacon depuis son commence par un cauchemar. Dès Petit à petit, il reprend le dessus. reflets, j’ai mêlé mon corps à ces beauté qui sont la signature de
adolescence… Cela tombe bien, les premières minutes où il entre à Commence alors ce que l’on pour- miroitements. » Haenel. Il nous dit que l’art ne peut
Alina Gurdiel, directrice de la col- Beaubourg à la rencontre de rait appeler un voyage autour des En passant, il fustige une idée être abstrait : il permet de vivre
lection « Ma nuit au musée », lui Bacon, Yannick Haenel vacille. tableaux de Bacon. Ou une mer- répandue : Bacon serait « le peintre intensément. ■

La gloire de sa mère
Magyd Cherfi Grâce à son fils, qui lui sert d’infirmier et de punching-ball, une vieille femme retrouve goût à la vie.
LA VIE
DE MA MÈRE !
De Magyd Cherfi, CHRISTIAN AUTHIER Kabyle de la deuxième génération : ma mère ! dresse le portrait sans la sortie de l’école », elle réserve gue commune, la tentative de se li-
Actes Sud, il doit renouer avec sa mère, Taos, pathos d’une femme « pliée par la quelques surprises aux siens. bérer des liens du sang sans les re-

C
272 p., 21,50 €.
ELA NE VA PAS très fort
pour Slimane Kaoui,
ancien chef dans un res-
taurant gastronomique
qui s’était lancé avec
son ami Boris dans un foodtruck de
burgers halal haut de gamme. Des
« fatwas culinaires » (comment un
Arabe peut-il s’associer à un
Juif ?), la concurrence et le Covid
ont plombé l’affaire.
Le chômeur, père de deux
grands fils, fraîchement séparé de
leur mère, digère son échec. Lors-
qu’il n’a pas revue depuis près d’un
an et qui vit dans un petit T2 à la
périphérie de la ville. Il faut solder
les rancœurs, ravaler son orgueil,
rattraper les occasions perdues
avant qu’il ne soit trop tard. Mais
comment « faire la paix » avec une
mère dure, injuste, ingrate, dont la
gentillesse va – dans ses bons mo-
ments – « de faible à modérée » ?
Après de remarquables récits
autobiographiques comme Ma part
de Gaulois et La Part du Sarrasin,
Magyd Cherfi s’engage avec son
cinquième livre dans une voie pu-
solitude et les douleurs articulai-
res ».
Une métamorphose
déroutante
Son existence pourrait se résumer
à une somme d’ordonnances, de
dossiers médicaux, de séjours à
l’hôpital, de maladies chroniques
et de grossesses. Le mari brutal
n’est plus de ce monde, les enfants
se sont éloignés. Alors, Slimane se
transforme auprès d’elle en infir-
mier, punching-ball, aide-ména-
gère, cuisinier, kiné remplaçant…
Déjouant les lieux communs,
l’ancien parolier et chanteur du
groupe Zebda signe le récit d’une
émancipation aussi tardive que
spectaculaire. Un déambulateur,
une nouvelle opération et un séjour
dans un centre de convalescence
vont offrir à Taos une seconde jeu-
nesse. La solitaire butée se décou-
vre même de nouveaux amis dont
une coiffeuse au profil détonnant.
Cette métamorphose déroute Sli-
mane ainsi que ses frères et sœurs.
Au fil de scènes irrésistibles de
drôlerie, de disputes familiales
nier pour autant.
Magyd Cherfi se moque des assi-
gnations et des tiraillements iden-
titaires, à l’image de la schizo-
phrénie de son narrateur, qui a
besoin de se « fondre en Arabe
quand trop de Blancs s’aggluti-
naient au mètre carré… et l’inverse
au milieu de trop d’Algériens ».
Bien que le roman débute et
s’achève par un enterrement, il se
révèle solaire et l’on entend dans
La Vie de ma mère ! « une voix irré-
sistible de douceur, une voix par en
dessous comme on l’a quand on n’a
A

qu’il se rend aux obsèques du père rement romanesque. Manière de Si la vieille femme ressemble par- échappées du Amarcord de Fellini, plus d’autre argument que celui du
de Boris, l’évidence s’impose à ce tragicomédie familiale, La Vie de fois à « une enfant que l’on quitte à on suit la difficile quête d’une lan- cœur ». ■
 &
jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO
4
ÇÀ
LÀ
La fin du monde
selon Boualem Sansal
Dans Vivre (Gallimard), sous-ti-
CRITIQUE tré Le compte à rebours, Boua-
Littéraire lem Sansal a imaginé un futur
L’insoutenable légèreté du monde
LA VIE HEUREUSE
De David Foenkinos,
Gallimard,
208 p., 19 €. David Foenkinos Que se passerait-il si l’on changeait de vie ? L’auteur imagine cette palingénésie.
ALICE DEVELEY
adeveley@lefigaro.fr
É
RIC KHERSON est
M. Tout-le-Monde. Il a
fait de bonnes études, il
est monté à la capitale, il
a cherché du travail et
puis, épuisé par les envois de son
CV, il a pris ce qu’il restait. Éric a un
peu moins de 20 ans, il se retrouve
au rayon tennis de Decathlon. Il
rencontre Isabelle, ils ont un fils. Les
années fuient. Isabelle aussi. « À quel
moment les choses avaient-elles
commencé à se ternir ?» Éric n’en
sait rien. Il enchaîne les postes et
devient directeur. Il a désormais
40 ans et la fatigue d’un homme de
Décadence
romaine
Simon Liberati Un frère
et une sœur délurés dans
le sillage de Truman Capote
et Andy Warhol, à Rome dans
les années 1970. Sulfureux.
BRUNO CORTY À Rome,
bcorty@lefigaro.fr
dans une ambiance
I
crépusculaire,
L Y A quatre ans, Simon Libe- les gloires passées
rati publiait Les Démons, entament un dernier
brillante et sulfureuse chro- et grotesque
nique du Tout-Paris des an- tour de piste.
nées 1960 vu à travers le re-
gard d’une fratrie composée
d’Alexis, Taïné et leur frère aîné,
Serge Tcherepakine. Ce dernier
disparaissait dans un accident de LA HYÈNE
voiture qui laissait Taïné, sa sœur DU CAPITOLE
trop adorée, défigurée. Après des De Simon Liberati,
mois de coma, de reconstruction Stock,
faciale, la jeune femme vénéneuse 303 p., 20,90 €.
trouvait refuge chez les Getty der-
nière génération, éprise de Talitha.
Après Morand, Aragon, Bardot,
Taïné et Alexis ont fait la connais-
sance de Truman Capote, qui raffole
de leur jeunesse, de leur beauté, de
leur perversité. Devenu célébrissi-
me après la parution en 1966 de De
sang-froid, le petit Sudiste à la lan-
gue acérée a signé cette même an-
née un contrat pour un livre qui se
veut son À la recherche du temps
perdu. Perdu, c’est bien le mot
UNE SALE
FRANÇAISE
Une Aline peut en cacher une autre
De Romain Slocombe,
Seuil, romain slocombe À partir de documents déclassifiés, le double portrait d’une femme sous l’occupation.
272 p., 20 €.
ISABELLE SPAAK
O
Ù SE TROUVE le
point de bascule en-
tre le bien et le mal ?
Si l’on présuppose
que cette frontière
existe et qu’il soit possible de la
franchir comme on franchirait un
gué. Plus ou moins profond. Car il
pourrait aussi s’agir d’une prédis-
position, d’un inexorable enchaî-
nement de faits, d’un impardonna-
ble aveuglement. À ces questions,
Romain Slocombe nous confronte
de livre en livre depuis plus d’une
décennie. Avec toujours le même
cadre, et à la même époque : les
heures sombres de l’histoire de
France sous l’occupation alleman-
A
de. Une période dont les prémisses
se jouent dès la fin des années 1930
proche où seule une minorité
d’élus sélectionnés selon des cri-
tères bien spéciaux échapperont
à la disparition de l’homme sur la
terre, afin de fonder une nouvelle
humanité. En librairie le 4 janvier.
Aragon
et le monde des rêves
Écrit quelques semaines avant la
parution du Manifeste du sur-
80. « Son physique avait comme pris
la trajectoire d’un renoncement. »
C’est à ce moment-là qu’arrive
Amélie Mortiers. La pimpante qua-
dragénaire, directrice de cabinet au
Commerce extérieur, doit former
une équipe pour conquérir des mar-
chés étrangers. Elle repense à Éric,
son ancien camarade de lycée, qui
hésite mais accepte. Éric croit chan-
ger de vie en changeant de poste.
Sauf qu’Amélie est comme lui. C’est
une apnéiste de compétition. Son
couple prend l’eau. Elle se noie sous
le travail. Un an passe comme le pré-
cédent. Mais cette fois-ci, l’existence
« sans encombre » ne va pas durer.
On est en janvier 2020. Le monde
s’apprête à retenir son souffle. Mais,
pour ce livre qui deviendra, vingt
ans durant, son obsession comme
la baleine fut celle du Capitaine
Achab. Dans un cas comme dans
l’autre, l’histoire finira mal. En at-
tendant cette issue fatale (1984)
que Simon Liberati racontera dans
le dernier volet de ses Démons, Ca-
pote glane ici et là des ragots, des
scènes, des ambiances pour écrire
son grand œuvre. Alexis et Taïé
sont de bons fournisseurs d’histoi-
res vécues, de coucheries sordides,
d’expériences limites.
Dolce vita agonisante
Lorsque commence La Hyène du
Capitole, ils sont à Rome, écumant
et se poursuivent après-guerre.
Fasciné par le bondage et le Japon,
avant de se consacrer quasi exclu-
sivement à la Seconde Guerre
mondiale, Romain Slocombe creu-
se inlassablement ses sujets.
Les lecteurs de l’écrivain franco-
britannique se souviennent de
Monsieur le Commandant (Nil, 2011).
Terrible confession du dénommé
Jean-Paul Huchon, héros de la
Grande Guerre et académicien, de-
venu pétainiste et dénonciateur de
sa jeune belle-fille d’origine juive.
Ou de sa série de polars, La Trilogie
des collabos (Robert Laffont 2016-
2018), pour laquelle il construit la
figure d’un enquêteur librement
inspiré du vrai profil d’un policier
français (Louis Sadovsky) ayant
œuvré à la brigade antijuive. Un
vrai salaud dont Romain Slocombe
réalisme, dont on fête en 2024 le
centenaire, revoilà Une vague
de rêves, de Louis Aragon.
Le poète y exprime la fascina-
tion que lui inspirent l’univers
du rêve, les « Rivieras de l’ir-
réel », les frissons du délire et
l’écriture du désastre. Ce vaste
poème, injustement tombé dans
l’oubli, s’achève sur ce vers
fulgurant : « Faites entrer l’infi-
avant cela, Éric et Amélie ont ren-
dez-vous chez Samsung en Corée.
L’air est lourd. Éric a la tête qui
tourne. Le ciel devient noir. Quel-
que chose se passe. Mais quoi ? Les
phrases ralentissent. Les deux collè-
gues prennent un verre, dansent,
marchent dans la nuit.
Le destin est un choix
Quand le matin revient, Éric n’est
plus là. Où est-il passé ? Les pages
accélèrent. Quand Amélie le re-
trouve, Éric reste mutique. Seul in-
dice de Foenkinos: « Éric essaya
d’expliquer ce qu’il venait de vivre,
mais il n’y parvint pas. Comme cela
se produit à l’occasion de certains
traumatismes… »
les fêtes et les dîners mondains où
l’on croise l’acteur Helmut Ber-
ger, amant de Visconti, Andy Wa-
rhol et sa clique, le réalisateur un-
derground Kenneth Anger et les
sœurs Kennedy. On retrouve aus-
si le personnage de Donatien, ma-
nipulateur qui finit de s’appro-
prier la fortune et le refuge des
Tcherepakine près de Fontaine-
bleau. Comme Alexis, il se veut
écrivain mais ses dons sont limi-
tés. Donatien a décidé d’occuper
auprès d’Alexis et de Taïné la pla-
ce laissée vacante par leur frère
aîné Serge. Il couve Taïné, la sou-
tient sans vraiment la désirer et
utilise Alexis. Et puis, pour que la
avait retrouvé la trace en effectuant
des recherches sur internet. Car
l’écrivain est passé maître dans
l’utilisation des archives, dossiers
d’épuration, lettres de dénoncia-
tion ou de justification. Autant de
documents qui lui servent à écha-
fauder ses intrigues. Chacune dé-
diée à un aspect différent de ce pas-
sé qui ne passe pas.
Une version féminine
du salopard
Dans Une sale Française, c’est à la
version féminine du salopard qu’il
se consacre. Ou plutôt à deux ver-
sions. Car le lecteur doute dès le dé-
part de l’authenticité de l’autopor-
trait fleuve signé d’Aline Beaucaire
après-guerre pour justifier son
aveuglement auprès du commissai-
re de police qui l’a interrogée.
ni. » Parution chez Seghers, le
18 janvier
Le climat
selon Benoît Duteurtre
« Plusieurs météorologues, à
travers le monde, firent simul-
tanément la même observa-
tion. (…) La tendance inexorable
au réchauffement de la planète
semblait provisoirement inter-
Le premier chapitre se clôt et
s’ouvre sur un autre, sorte de mé-
taphore de la vie d’Éric. Que lui est-
il donc arrivé ? Disons seulement
que le lecteur sera éberlué. D’une
apparente légèreté, le livre prend
en effet une étonnante gravité. Jus-
qu’ici, Éric dérivait comme un bal-
lon au vent, mais voilà qu’il re-
prend corps avec le monde
chtonien. Le destin est un choix.
« Nous voulons tous, à un moment de
notre existence, être un autre »,
écrit Foenkinos. La question subsé-
quente n’est pas de savoir qui, mais
quand ? Car c’est bien le temps qui
est le sujet de ce roman.
Notre temps. L’auteur, témoin
clairvoyant de notre époque, l’a
fête soit complète, débarque celle
qui donne son nom au roman,
cette Dominique Mirhage connu
pour ses addictions, sombre égé-
rie des nuits romaines.
Simon Liberati tient son casting.
La folie, la perversion, la mort lui
inspirent des pages qui pourraient
choquer les prudes. Comme les pa-
lais romains, les visages et les corps
se fissurent, se boursoufflent. « La
chaleur faisait fondre le masque adi-
peux de Capote, ses yeux tombèrent
à l’intérieur de sa tête, sa langue
laissa couler sur la nappe entre les
branches d’aubépine une flaque bos-
selée d’une teinte jaune (…). Le ma-
nège de l’alcool et des médicaments
N’est-elle vraiment que cette fem-
me de chambre alsacienne un peu
naïve (comme elle se dépeint) tom-
bée amoureuse à Stuttgart d’un
aviateur nommé Louis Cat ? Un
type qu’elle suit en zone libre lors
d’un épouvantable périple nocturne
sous la neige et qu’elle rêva d’ac-
compagner à Alger. Peut-être. Mais
peut-être ce récit, qui nous tient en
haleine jusqu’à son épilogue, n’est-
il qu’une couverture. Car, il y a une
Aline numéro 2 dans le collimateur
de la Direction de la sûreté nationa-
le. Romain Slocombe reproduit
d’ailleurs in extenso les courriers
déclassifiés qu’il a retrouvés à pro-
pos de ces deux affaires. Surnom-
mée la « Panthère rouge », l’Aline
numéro 2 s’appelle Bockert (et non
Beaucaire). Et elle ne s’est pas
contentée de fréquenter des mili-
rompue. Après s’être stabili-
sées depuis environ deux ans,
les températures moyennes
avaient même amorcé un
spectaculaire mouvement vers
le bas. » Ainsi Benoît Duteurtre
présente-t-il son nouveau ro-
man sous forme de fable clima-
tique. Le Grand Rafraîchisse-
ment paraîtra le 1er février, chez
Gallimard.
bien compris depuis le Covid : hier,
les nouvelles générations voulaient
de l’argent, aujourd’hui, elles veu-
lent du temps. Or comment le vivre
sans le subir ? Par la beauté. Infer-
nale et divine. Celle qui tue comme
elle sauve. À la lecture de ce livre
nous revient alors la phrase « La
beauté apaise » de Vers la beauté
(2018). Foenkinos renoue ici avec
cette quête, ce besoin d’élévation.
Éric et Amélie avancent comme
deux équilibristes sur ce fil fragile.
Les nuages se dispersent. La couleur
revient. Les émotions aussi. Qu’est
donc La Vie heureuse selon
l’auteur ? La beauté retrouvée. Un
memento mori au parfum d’amour
et de peinture. ■
PHOTOGRAMME TIRÉE DU FILM LA GRANDE BELLAZZA DE PAOLO SORRENTINO /MEDUSA/INDIGO/BABE FILM/PATHÉ
avalés à haute dose, la mésestime de
soi avaient noyé ses traits dans une
sorte de mélasse vernie couleur ven-
tre de poupée. » Dans cette dolce
vita agonisante, dans ces ambian-
ces crépusculaires où les corps et
les esprits s’abîment, les gloires
passées entament un dernier et
grotesque tour de piste.
Simon Liberati écrit à contre-
courant de son temps : il brille où il
faut être terne et passe-partout. Il
choque quand il faut être sage. Sur
les traces de Truman Capote, il
nage en eaux troubles et jouit de
cette décadence sans doute préfé-
rable à l’ennui. Vivement New
York et la fin des haricots ! ■
ciens aussi vils soient-ils. Elle tra-
vailla activement pour la Gestapo.
Tout au long de son roman, Romain
Slocombe entretient – comme tou-
jours - l’ambiguïté. Les courriers
déclassifiés sont-ils vrais ou faux ?
La confession est-elle sincère ou
non ? Les deux Aline ne sont-elles
qu’une même personne ? Et sur-
tout, il nous confronte à cette colla-
boration ordinaire décrite à lon-
gueur de confession par Aline
Beaucaire. Une femme qui clame
son innocence sans faire mystère du
plaisir qu’elle a pris à fréquenter les
lieux les plus huppés de Marseille, à
s’habiller et à se nourrir luxueuse-
ment dans une France mise à ge-
noux. Cela grâce aux liasses de
billets sortis de la poche de son
compagnon. Sans jamais se poser de
questions. ■
 &
LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024

5
ÇÀ ment breton, Philippe Le Guillou Éric Halphen et le footeux Les hantises Le Juif errant
est revenu à Brest, sa « seconde Le 11 janvier, l’ex-juge Halphen, de Justine Bo d’Albert Londres

LÀ
Brest chanté
par Philippe Le Guillou
Auteur des Marées du Faou, de
Fleurs de tempête, du Testa-
ville natale », « perchée en pen-
te douce, prête à glisser vers la
rade », pour en faire un bel élo-
ge. Brest, de brume et de feu
est annoncé chez Gallimard pour
le 1er février, peu de temps après
La Cité des flots, que publieront
les éditions Fata Morgana le
12 janvier.
devenu écrivain, publiera chez
Buchet-Chastel, Les Divisions,
un roman qui met en scène un
footballeur professionnel dont la
carrière, sans gloire, est soudain
mise en lumière par les accusa-
tions de violences conjugales
portées par sa femme. La ma-
chine médiatique s’emballe.
Le septième roman de Justine
Bo a pour titre Eve Melville,
cantique. L’auteur du Type qui
voulait arrêter de mourir y
conte l’histoire d’une New-Yor-
kaise rattrapée par les démons
de son siècle et qui bascule dans
la folie. Parution chez Grasset, le
10 janvier.
En 1929, Albert Londres se lance
dans une vaste enquête sur les
Juifs. Un périple qui, de Londres à
Prague, en passant par Varsovie
et la Transylvanie, le conduira
jusqu’en Palestine. Il en tirera
27 articles, réunis dans Le Juif
errant est arrivé. Arléa rééditera CRITIQUE
ce livre majeur le 1er février.
Littéraire

L’univers est en flammes

Antoine Volodine Sorcières, homoncules,
créatures fantastiques… L’auteur nous entraîne
dans un cauchemar grandeur nature.
ALICE DEVELEY
adeveley@lefigaro.fr
cauchemar ». Est-on en pleine
guerre du Vietnam ? « Chercher un
son âge n’a plus d’intérêt. Un tic
est un tac. Sam tire sur sa dernière
seconde avant la fin du monde. Il
se glisse dans cette faille temporel-
le et se souvient, ou peut-être qu’il
invente. On ne sait pas, lui non
plus. Sam souffre d’une drôle
d’amnésie qui le laisse sans souve-
Volodine décrit nirs depuis des siècles.
« un monde silencieux,

S
I VOUS AVEZ compris
Volodine, c’est que vous
n’avez rien compris.
Même à l’auteur, il fau-
drait son propre traduc-
teur. Il y a quelques années, il
expliquait suivre un projet roma-
nesque et esthétique nommé
« post-exotisme ». Qu’est-ce donc ?
Il s’agit d’une littérature de
l’ailleurs, à la fois étrange et étran-
gère, une sorte de monade qui
aurait ses règles et ses limites. C’est
une écriture en révolte, qui débor-
de et fuit vers les marges. De cette
tentative d’évasion du réel et du
sens, surgit dès lors le chaos, les
monstres, les cauchemars. Ses ro-
mans repoussent les lois de la nar-
rativité. On commence Vivre dans
le feu par le début, mais on pourrait
tout aussi bien le prendre par la fin.
Il est un cercle. Infernal.
« L’avion a commencé son épan-
dage de napalm en haut du village. »
Volodine a poussé les portes de
l’Hadès. On est en train de lâcher
des bombes incendiaires sur un
groupe de soldats indigènes, dont
fait partie Sam, le personnage
principal. Le liquide file droit sur
lui à la vitesse « d’un tsunami de
abri est une pauvre idée absurde. » Il
se retient de respirer. C’est la fin.
Non. « Je dispose d’une seconde. J’ai
donc tout mon temps. »
L’éternité tient en 160 pages.
D’un coup Volodine ouvre un nou-
veau chapitre. Sam vient de termi-
ner la lecture d’un cahier intitulé
Vivre dans le feu. Un recueil de ré-
flexions sur les rêves, la mort et
l’espace-temps qui aura un rôle
immense dans son histoire. Sa
grand-mère le lui prédit. « Vivre
au milieu des femmes, tu as ce des-
tin. » Commence alors un voyage
complètement halluciné qui nous
emporte dans le ventre de la terre,
les sorcières et les monstres
grouillent, la magie est noire,
comme l’espace devenu un han-
gar, une grotte ou une cave, « un
monde silencieux, puant, dange-
reux et désert ».
Volodine fait un cauchemar les
yeux ouverts. Sam paraît se mou-
voir, il prend son cheval pour aller
voir sa tante Moïrane. Mais tout se
fait avec la lenteur qu’on a dans les
rêves. Il ne bouge pas vraiment.
L’espace est une chimère. Le
temps aussi. Il est devenu cyclique,
un rond, une roue de rat.
D’ailleurs, Sam nous répète que
puant, dangereux L’urgence de raconter
et désert ». L’univers est en flammes. Un im-
SYBERIANMOON/ mense désert. Est-ce là le feu de la
STOCK.ADOBE.COM création ou de la destruction dans
lequel pénètre Sam ? Le monde de
Volodine est d’encre et de sang. La
morale s’est arrêtée aux portes
d’ivoire ou de corne qu’avait déjà
croisées Nerval ou bien à l’Empire
du rêve, désillusionné, d’Alfred Ku-
bin. Sam verse dans l’inceste et le
démonisme. Il pourrait s’indigner
de la violence dont il est témoin, il
décide d’y participer. Le voilà qui
prend part à un étrange mauvais
VIVRE sort derrière une porte de fer, à tirer
DANS LE FEU avec un bandit bientôt condamné à
D’Antoine Volodine, mort. Ce roman est-il donc l’œuvre
Seuil, d’un poète ou d’un fou ?
192 p., 19 €. Dans ce théâtre du désastre an-
noncé, Sam sait qu’il est fichu,
pourtant il continue. Il a l’espoir de
l’homme condamné, cette pulsion
de vie et de mort qui bat dans ses
veines. Le feu du début grignote les
rêves de Sam, l’urgence de racon-
ter se précise. Peut-être Volodine
met-il là en scène la condition de
l’écrivain ? D’une page à l’autre, il
pourrait tuer Sam, mais refuse que
sa voix s’éteigne. L’horreur, serait
finalement le silence, la mort du
langage. ■

Dans le hameau des âmes perdues

Cécile Coulon Une nuit, un jeune homme aux pouvoirs surnaturels est appelé au chevet d’un enfant malade
dans un village isolé. Un conte qui plonge dans les ténèbres de la condition humaine.
ASTRID DE LARMINAT Le héros, un jeune homme, n’a ment écho au Père et au Fils des l’antique table de cuisine. Ce sont voir, un épisode surgi du passé. LA LANGUE
adelarminat@lefigaro.fr pas de nom. Il est « le fils » qui Évangiles, lisent aussi à livre les cris d’une femme forcée par « La mère » avait été appelée DES CHOSES

P
ASSÉ le prologue où se
déploie une vision apo-
calyptique de l’histoire
de l’humanité, c’est
d’une poigne de fer que
Cécile Coulon, romancière et poé-
tesse de 33 ans déjà aguerrie, pousse
son héros et le lecteur à travers une
nuit noire, vers un hameau coincé
dans un goulet entre deux collines,
vingt maisons de part et d’autre
d’une rivière glaciale sur lesquelles
le soleil ne se lève jamais. Un lieu
mangé par les ombres et replié sur
lui-même. Seule échappatoire dans
le paysage : l’église qui tend « vers
les nuages son clocher silencieux ».
s’apprête à prendre la relève de
« la mère ». C’est elle que le curé a
appelée au chevet d’un enfant
mourant. Mais la mère a décidé
d’envoyer son fils. Elle a fait son
temps, un très long temps. L’un et
l’autre font partie de ces êtres,
lit-on, « qui connaissent la langue
des choses cachées », ont pouvoir
de vie et de mort, veillent à
l’équilibre du monde. Une lignée
de rebouteux ? C’est plus mysté-
rieux que cela, et jusqu’à l’épilo-
gue, on se demandera avec une
certaine inquiétude ce que l’un et
l’autre personnifient. Rien n’est
clair. « La mère » et « le fils », dé-
nominations qui font étrange-
ouvert dans les lieux, les gens, les
objets, et leur mémoire charrie
des siècles et des siècles.
Visions rimbaldiennes
L’auteur évoque leurs souvenirs,
qui remontent le temps et font le
tour du globe, à grand renfort de
visions rimbaldiennes, de sen-
tences et d’anaphores, puis bru-
talement revient au hameau dans
la nuit. Sous l’orbe du pont qui
enjambe la rivière, « le fils » voit
des hommes et des enfants pen-
dus en des temps reculés. Lors-
qu’il entre enfin dans la maison
où il est attendu, il entend des
cris de femme sortir du bois de
un homme dont on découvrira
qu’il a sévi aussi dans une autre
maison où « la mère » naguère
avait opéré.
Dans les premiers chapitres, on
a l’impression d’être plongé dans
un récit exploratoire, comme si
la narration avançait à la bougie
dans les ténèbres de la condition
humaine, cherchant quelque
chose sans savoir quoi, frappant
de grands coups de cymbales
poétiques pour faire parler ce
petit monde obscur. Puis sou-
dain, le suspense monte d’un
cran, le récit se resserre, comme
s’il avait repéré la scène finale
vers laquelle il tendait sans le sa-
auprès d’une jeune fille alitée, CACHÉES
malade de chagrin, le ventre De Cécile Coulon,
rond. Ce jour-là, pour que la fille L’Iconoclaste,
retrouve l’envie de vivre, la mère 144 p., 17,90 €.
avait décidé de tuer ce qui ger- En librairie
mait dans ses entrailles. Opéra- le 11 janvier.
tion inhumaine : « L’enfer a mon-
tré la couleur de ses flammes. »
Ce conte noir est empreint de
colère, d’effroi et d’interrogations
métaphysiques. Mais le ciel ne se
déchire pas. Point de lumière à
l’horizon. L’univers de Cécile
Coulon, qui rappelle à certains
égards celui de Carole Martinez,
est le théâtre d’un corps à corps
entre anges et démons qui semble
sans issue. Poignant. ■

L’amour, remède à tous les maux

sophie divry Le hasard pousse deux solitaires, un inspecteur du travail et une scientifique, dans les bras l’un de l’autre.
PAR ALICE FERNEY Bastien est sentimental, Maïa de, rien ne manque à son talent. ficulté d’être et fantaisie, créent ros, le lecteur éprouve des senti-
est physique et ne s’attache pas - Embarqué dans une composition une agréable variation de forme et ments répandus, se sentir inutile,

O
FANTASTIQUE N SAIT la romanciè-
HISTOIRE re Sophie Divry
D’AMOUR brillante et engagée.
De Sophie Divry, Plutôt que la seule
Seuil,
beauté qui risquerait
512 p., 24 €.
d’être falsificatrice, elle recher-
che la réalité. Elle crée de vérita-
bles ambiances de vie et de
conversation, ne craint pas le dé-
tail pourvu qu’il éclaire les per-
sonnages aux prises avec l’exis-
tence. Elle immerge le lecteur
dans la vraie vie. Bastien est ins-
pecteur du travail, Maïa est jour-
naliste scientifique en passe
d’être licenciée pour raisons éco-
nomiques, deux occasions pour
l’auteur de nous parler du monde
pourquoi se priver de renverser
les stéréotypes. Ils ne se connais-
sent pas mais se croisent au parc
de la Tête d’Or à Lyon. Chacun
est esseulé à sa façon – autre trait
d’époque. On se doute qu’ils
s’aimeront bientôt follement,
mais à l’issue d’une série d’aven-
tures qui font la matière palpi-
tante de Fantastique histoire
d’amour.
Si ce nouveau roman est épais,
il se lit à toute vitesse. L’auteur,
qui a écrit sa foi intacte dans le
pouvoir de la fiction (voir l’ex-
cellent Rouvrir le roman), révèle
ici l’amplitude de son art. Por-
traits, dialogues, descriptions,
qui orchestre l’effet de chaque
scène, le lecteur pressent, devi-
ne, conjecture, s’amuse et
s’émeut. Quand une révélation
secoue la narration, une loupe
s’approche et accroît la densité
d’un personnage. À mi-parcours,
le lecteur apprend quelque chose
que le héros masculin ignore. La
perspective change, il lit désor-
mais dans la situation du specta-
teur de Columbo : il sait et regar-
de l’enquête. Bien sûr, il ne sait
pas tout.
Les chapitres alternent entre
Bastien qui raconte à la première
personne et Maïa racontée à la
troisième personne. Ce « Je »,
de distance. Les deux histoires se
joignent dans l’entreprise Plasti-
rec où un accident du travail
mortel sollicite Bastien : une
compacteuse a broyé un ouvrier
et cette machine vient du centre
de recherche où la tante de Maïa
travaille sur les cristaux scin-
tillants…
Dureté du système
L’action prend place dans
l’après-Covid, il y a du chômage
en même temps que des métiers
en tension, la presse souffre, les
inégalités séparent même les
amis. Grâce à une foule de per-
sonnages secondaires qui vont du
avoir besoin d’aide, lâcher prise,
respirer…
La question de l’amour est om-
niprésente, le manque mais
l’amour aussi, dont l’auteur si
profond révèle la nature de force
cosmique. Réparateur, puissant
comme une drogue, l’amour est
l’antidote à la dureté d’un systè-
me figuré par la machine mons-
trueuse et le cristal, dont l’effet
d’« addiction furieuse » rappelle
évidemment l’attraction de l’ar-
gent et du pouvoir.
Avec la force de ces images, So-
phie Divry pointe deux grands
maux de nos sociétés : la dépres-
sion et l’agressivité. On reste
A

d’aujourd’hui, celui du travail et atmosphères, péripéties, suspen- vulnérable et plein d’autodéri- curé au magistrat, du libraire marqué par la justesse de ses
celui de la recherche. se, perspicacité, vision du mon- sion, puis ce « Elle » qui mêle dif- d’occasion aux collègues des hé- nombreuses notations. ■
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO

6 Coup d’arrêt pour Mario Vargas Llosa

parle
on en
L’ACADÉMICIEN HISPANO-PÉRUVIEN,
LAURÉAT DU NOBEL EN 2010,
A ANNONCÉ QU’IL METTAIT FIN
CRITIQUE À SA LONGUE CARRIÈRE DE
CHRONIQUEUR ET DE ROMANCIER.
Retraite
Le 17 décembre, Mario Vargas
Llosa, âgé de 87 ans, a annoncé
qu’il mettait un terme à la tribune
dominicale qu’il tenait dans El Pais
depuis trente-trois ans. Intitulée
Piedra de toque (« Pierre de tou-
térature, de politique intérieure,
de faits de société que de rela-
tions internationales. Et toujours
avec des positions bien tran-
chées.
Interrogé par le même quoti-
dien, le lauréat du Nobel en 2010,
et qui a eu les honneurs de la
« Pléiade » (en deux volumes), a
annoncé qu’il mettait un terme à sa
longue carrière de romancier (en-
tamée en 1963), après Le dedico
mi silencio, publié en 2023. Son
« chant du cygne », a-t-il égale-
cré à l’œuvre de Jean-Paul Sartre,
découvert lors de son exil parisien
à la fin des années 1950. Ensuite,
Mario Vargas Llosa prendra fait et
cause pour Albert Camus, puis
pour les penseurs libéraux (Aron,
Revel, Ortega y Gasset…)

Littéraire che »), il y traitait aussi bien de lit- élu à l’Académie française en 2021, ment confié, sera un essai consa- THIERRY CLERMONT

Le détective privé d’amour AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Par Éric Neuhoff eneuhoff@lefigaro.fr

jonathan
ames Un Une longue
pastiche réussi lettre au disparu
de roman noir E BONHEUR dure est imparable. Entre deux
à la Chandler
dans Los Angeles.

CHRISTOPHE MERCIER
L vingt ans. Ça n’est pas
assez. Quand Marcelo
meurt d’un cancer,
Irene ne s’en remet
pas. Sa vie s’effondre. Ses repè-
res s’effacent. Sans lui, elle est
perdue. Ils se sont tant aimés. Il
étreintes resurgissent la sil-
houette de sa mère qui était
partie pour un autre homme,
un séjour à Rome, la lecture des
Vagues de Virginia Woolf, la
chanson de Joan Baez intitulée
Farewell Angelina.

J
ONATHAN AMES est un
homme multiple. Roman-
cier, auteur de chroniques
journalistiques, il a donné
des one-man-shows hu-
moristiques à New York, et créé
deux séries télévisées. Il est aussi
l’auteur d’un roman graphique,
ainsi qu’on appelle de nos jours
les BD « sérieuses » (comme
Tintin). Et il a été modèle pour des
photographes de mode.
En ce qui concerne ses romans,
on le prenait jusqu’alors pour un
humoriste - le Wodehouse (Ré-
veillez-vous, Monsieur !, homma-
ge déclaré à l’auteur des Jeeves)
américian. Un humoriste qui
avait aussi quelque chose de
Woody Allen, comme le montrait
son meilleur roman, L’Homme de
compagnie (1999).
Peu d’humour, mais
beaucoup de suspense
Mais si Jonathan Ames est multi-
ple, on l’a dit, il est aussi fantas-
que, et il est difficile de le catalo-
guer. Il s’appelait Doll, comme
déjà Tu n’as jamais été vraiment
là, est du Ames à la façon de
Chandler, du roman très noir.
Peu d’humour là-dedans, ou alors
un humour sadique à la Polanski
de Chinatown, dans lequel Jack
Nicholson se faisait trancher le
nez.
Peu d’humour, mais beaucoup
de suspense, et toujours l’univers
et le héros typique de Ames.
Happy Doll, le mal nommé, est
un solitaire de 50 ans qui a des
problèmes sexuels : il n’a jamais
couché avec la femme qu’il aime,
et avec qui il se contente de
prendre un verre de temps en
temps dans le bar qu’elle tient à
côté de son officine de détective
privé. Son meilleur ami, c’est son
chien Georges, qui partage son
lit. Un jour, son vieux copain
Shelton, qui lui sauva la vie
quand tous deux appartenaient à
la police de Los Angeles, vient lui
demander de lui faire don d’un
de ses reins. Il hésite néanmoins,
et le temps qu’il accepte, Shelton
est assassiné, non sans avoir
Avec Happy Doll, le protagoniste, Jonathan Ames nous embarque dans une
enquête haletante dans le Grand Los Angeles, des maisons luxueuses aux
salons de massage minables. IMAGE’IN / STOCK.ADOBE.COM
trouvé un diamant qui réglera ses
soucis financiers et paiera l’opé-
ration.
Dès lors, à la suite de Happy
Doll, on participe à une enquête
haletante dans le Grand Los
Angeles, des maisons luxueuses
aux salons de massage minables,
et on fait connaissance avec le si-
nistre Dr Madvig, brillant chirur-
gien qui a été radié de l’Ordre
après le meurtre de sa femme, et
s’est reconverti dans la greffe
d’organes - fournis par les sans-
abri de Los Angeles -, qu’il fait
enlever par ses sbires, et qu’il dé-
coupe morceau par morceau. On
n’y avait pas d’équivalent. Ils
ne voyaient plus personne.
Leur union leur suffisait. Que
faire ? « Nous étions
deux imbéciles, son-
ge Irene à présent.
Deux parfaits imbé-
ciles : l’un est mort et
l’autre ne sait pas
quoi faire de leur ar-
gent. » Irene loue
une BMW 840 ca-
briolet et décide
d’effectuer le tour
de la Méditerranée.
Elle quitte Madrid,
s’arrête dans les
meilleurs hôtels, sé-
duit des inconnus
« est une
Si l’italien goutte au rythme de
(une nuit, rien
qu’une nuit), repart,
langue si
ne répond pas à merveil-
leurs messages en- leuse, c’est soudain comme des
fiévrés. Le fantôme
de Marcelo lui appa-
grâce aux
raît à chaque orgas- “i”, qui me
me. Pour elle, il font l’effet
s’agit du seul moyen
de le retrouver. Voi-
d’hiron-
là pourquoi cette delles dans luxe offre un rem-
femme si belle se une
lance dans un tour-
billon charnel. Le
plaisir est un mot de
église
EXTRAIT
passe pour l’éterni-
té. Malaga, Aiguablava, Col-
lioure, Sète, Nice, telles sont les
étapes de ce jeu de l’oie éroti-
que. L’accompagne un poème
IL S’APPELAIT DOLL de Quevedo.
De Jonathan Ames, Le souvenir de Marcelo ne la lâ-
traduit de l’anglais che pas, lui dont le père avait
n’en dira pas plus, pas plus qu’on (États-Unis) été décorateur pour Fellini et
ne dévoile la fin du Grand Som- par Lazare Bitoun, qui disait « si l’italien est une
meil. Joëlle Losfeld langue si merveilleuse, c’est
Il s’appelait Doll est un pastiche Éditions. grâce aux “i”, qui me font l’effet
réussi de roman noir au cours du- En librairie le 11 janvier. d’hirondelles dans une église ».
quel on visite un L.A. nocturne, Irene s’enfuit dans ses rêveries,
glauque à souhait. On reprochera plonge dans la mer, se noie
seulement au livre une fin quel- dans un flot de sensations, s’ar-
que peu grand-guignolesque, rête sur les tombes d’Antonio
mais tout compte fait assez ré- Machado et de Paul Valéry. Au
jouissante par ses excès mêmes. restaurant, elle choisit toujours
Sans renoncer à ses thèmes, une table donnant sur l’eau,
Jonathan Ames prouve que, à dé- commande du poisson et du vin
faut de redonner un nouvel blanc, observe les clients. Sa
Homme de compagnie, il est tou- technique : juste laisser le nu-
jours capable de mitonner un méro de sa chambre. Le résultat
pastiche glaçant. ■
Pour combler l’absence, l’hé-
roïne se perd dans des listes,
des énumérations, une mélopée
d’adjectifs. Cela crée
un vertige, produit
une poésie assez pro-
che de la musique
d’Erik Satie, ponc-
tuée d’aphorismes,
de considérations
philosophiques. Il y a
aussi cette passion
pour les montres de
prix - surtout pas de
cadran digital : le
temps mérite de
s’écouler goutte à
la trotteuse. Cartier,
Patek Philippe,
Omega, Panerai, ces
marques résonnent
sésames pour res-
susciter le passé.
« C’était le 2 juin, le
printemps agonisait,
annonciateur de l’ar-
rivée de l’été. » Le
part contre le cha-
» grin. Cela n’empê-
che pas de garder un
rasoir dans sa trous-
se de toilette. Manuel
Vilas (Ordesa), le meilleur ro-
mancier espagnol, signe une
cruelle carte du Tendre, un gui-
de touristique, un faire-part de
décès, un hymne au soleil, un
précis de ténèbres, une longue
lettre à un disparu. Il faut peut-
être le lire en écoutant Dance
Me to the End of Love de Leo-
nard Cohen. Irene vaut bien ça,
qui dépose un baiser sur une
brique abandonnée après des
travaux.
IRÈNE
De Manuel Vilas,
traduit de l’espagnol
par Isabelle Gugnon,
Éd. du Sous-Sol,
301 p.,
en librairie le 11 janvier.

MONTEVIDEO
D’Enrique
Aux portes du mystère
Vila-Matas,
traduit de l’espagnol enrique vila-matas Entre l’Europe et l’Amérique du Sud, une facétieuse dérive urbaine et littéraire.
par André Gabastou,
Actes Sud,
SÉBASTIEN LAPAQUE c’est frapper « à la grosse porte nin dans le sens d’ouverture, d’in- Ailleurs, il intègre dans la fic- nial compositeur paraguayen
266 p., 22,50 €. slapaque@lefigaro.fr du temps perdu » et voir que vitation à entrer dans le mystère. tion des éléments de la réalité ex- Agustin Barrios dédié à la Matriz

I
L FAUT avoir lu cent pages
de Montevideo avant d’ar-
river en Uruguay. Et le
narrateur ne s’y attarde
guère, même si une cer-
taine chambre de l’hôtel Cer-
vantès de la Calle Soriano et une
certaine porte condamnée dis-
simulée derrière une armoire
jouent un rôle fondamental
dans le livre d’Enrique
Vila-Mitas.
Une lecture exaltée de Paul
Valéry lors de sa jeunesse pas-
sée à Paris l’ayant fait partir en
guerre contre « les intrigues
dans les romans », l’écrivain es-
A
personne ne répond, observe-
t-il.
Cocasse, féroce,
un peu allumé
On songe au Pickpocket de Robert
Bresson, un film dans lequel les
portes ne s’ouvrent et se ferment
jamais par hasard. Dans le Dic-
tionnaire des symboles de son
compatriote Juan Eduardo Cirlot,
Enrique Vila-Mitas a trouvé une
excellente définition de l’objet :
« Les portes sont un seuil, un lieu
de transit, mais elles semblent aus-
si liées à l’idée de maison, de pa-
trie, de mondes que nous avons
quittés et vers lesquels nous re-
L’opposé du mur qui serait le mas-
culin. »
Livre plein de portes, Montevi-
deo n’est pas un roman à intrigue,
mais c’est un roman à mystère.
« Le grand mystère de l’univers était
qu’il y eut un mystère de l’univers. »
Cocasse, féroce, un peu allumé,
c’est une dérive urbaine à Paris,
Bogota, Cascais, Barcelone et Mon-
tevideo, avec une étape à Bâle,
pour saluer la tombe d’Érasme,
resté depuis cinq siècles l’Euro-
péen le plus moderne. Le facétieux
Vila-Mitas se permet tout, ou à peu
près, dans ce livre. Et lorsqu’il écrit
qu’il n’arrive pas à écrire, il réin-
vente le paradoxe d’Épiménide le
térieure, tout en jouant à l’inté-
rieur avec un certain nombre de
figures littéraires créées par Julio
Cortazar, Adolfo Bioy Casares ou
Jorge Luis Borges, tous les trois
argentins, tous les trois follement
amoureux de la rive nord du Rio
de la Plata.
Tremblement
magnétique
De la capitale uruguayenne, ville
inaccessible au progrès falla-
cieux, Vila-Mitas a le don de
transcrire le tremblement ma-
gnétique que le guitariste toulou-
sain Thibaut Garcia fait entendre
dans la version qu’il vient d’en-
de Montevideo (1).
Pour finir, saluons la mémoire
du Béarnais André Gabastou,
traducteur de douze livres d’En-
rique Vila-Matas, dont Montevi-
deo, mort le 15 novembre à l’âge
de 78 ans, après une vie de tra-
vail bien remplie depuis Ceux qui
aiment haïssent de Silvina
Ocampo et Adolfo Bioy Casares,
paru en 1989. « André Gabastou
avait une méthode aussi mysté-
rieuse qu’infaillible pour obtenir,
à chaque problème de traduction,
une amélioration automatique de
l’original », a juré l’auteur de
Montevideo en apprenant son
décès. ■

pagnol a conçu son livre comme tournons en passant toujours par Crétois jurant : « Tous les Crétois registrer de La catedral, un mor-
un traité sur les portes. Écrire, elles. La porte est un symbole fémi- sont des menteurs. » ceau en trois mouvements du gé- (1) El Bohemio (Erato).
 LE FIGARO jeudi 4 janvier 2024

7
JEAN-CHRISTOPHE MARMARA/LE FIGARO

Je ne lis que la presse. Je ne LE CHIFFRE DE LA SEMAINE

Retrouvez sur internet
regarde pas la télévision, la chronique
n’active pas de notifications sur
mon téléphone et ne suis pas
« Langue française »

SUR
482
C’est le nombre
@
WWW.LEFIGARO.FR/
connecté aux réseaux sociaux LANGUE-FRANCAISE de romans à paraître en janvier et février 2024.
JEAN-BAPTISTE ANDREA, PRIX GONCOURT 2023, Soit 6,7 % de moins qu’en 2023 qui, déjà, était en recul EN VUE
DANS « LA CROIX » par rapport à 2022. (chiffres Livres Hebdo).
Littéraire

Sur les traces de Dupont de Ligonnès ET AUSSI

Entrez dans la danse
Romain Puértolas Le romancier, qui a été policier, enquête sur cette affaire mystérieuse.
« La danse n’a pas besoin
des sous-titres de l’opéra ou du
cinéma, parce qu’elle parle une
langue universelle, un langage du
cœur et du geste. » Les premiers
THIERRY CLERMONT mots de ce charmant album
tclermont@lefigaro.fr sur les ballets sont de Dorothée

J
Gilbert. La danseuse étoile
E ME PROJETAIS dans à l’Opéra de Paris décrit le rideau

«
l’esprit de Ligonnès, me rouge qui se lève, la peur sous
forçant à penser comme les projecteurs et puis la joie,
lui. Qu’aurais-je fait à sa l’échange d’émotions avec le
place une fois les assassi- public. Ce, quel que soit son âge.
nats commis ? » Dans son dixième Astrid Valence donne une couleur
roman, l’ex-capitaine de police à cette sensation unique à travers
Romain Puértolas, révélé en 2013 des contes et des aquarelles qui
avec le succès international de réjouiront autant le petit comme
L’Extraordinaire Voyage du fakir le grand lecteur. Ou peut-être
qui était resté coincé dans une ar- devrions-nous dire le spectateur.
moire Ikea, a mené sa propre en- Le livre est un spectacle. Bleu,
quête sur l’affaire Xavier Dupont rouge, vert. Voilà la terrible Odile
de Ligonnès. L’homme qui en 2011

SEBASTIEN SALOM-GOMIS/AFP ET AFP

est soupçonné d’avoir assassiné sa
femme et ses quatre enfants, âgés
de 14 à 21 ans, au domicile familial
de Nantes, et qui a ensuite disparu
sans laisser la moindre trace. Une
tragédie suivie d’un mystère qui a
enflammé l’opinion publique com-
me en leur temps les affaires Domi-
nici ou du petit Grégory. Les ventes
records du récit de l’enquête en
deux volets, publiée dans le maga-
zine Society durant l’été 2020, en
témoignent.
Goût
de la dérision
Au-delà du titre racoleur, Puérto-
las a composé là une sorte de ro-
man gigogne, mêlant son histoire
personnelle à son enquête obses-
sionnelle, entrecoupé de séquen-
ces loufoques où l’auteur apparaît
devant le juge comme l’homme
qui a tué Dupont de Ligonnès en
2023, après l’avoir retrouvé, et ce,
à coups de couteau à beurre…
L’humour et le goût de la dérision,
que Puértolas manie avec gour-
mandise font ici des étincelles.
Notamment quand il pense recon-
naître l’assassin, se prétendant
À l’assaut des hautes terres blanches
Catalan, dans le jardin de son voi-
COMMENT sin, dans l’Ariège.
J’AI RETROUVÉ
Voilà donc plus de dix ans que le
XAVIER DUPONT
DE LIGONNÈS romancier s’est intéressé à l’affai-
De Romain Puértolas, re, embarquant dans sa quête ses
Albin Michel, lectures favorites : Les Misérables,
284 p., 19,90 €. pour Jean Valjean, Sherlock Hol-
En librairie le 11 janvier. mes, Harlan Coben (Disparu à ja-
mais) et même Bernard Minier et
son thriller, Glacé. En se permet-
tant même quelques parallèles
avec des histoires similaires, com-
me celle de ce John List, le meur-
trier rattrapé par la police améri-
caine après une cavale de dix-
huit ans.
Puértolas nous livre aussi bien ses
conclusions que ses égarements,
avec force pistes explorées, thèses et
métamorphosée en cygne noir
dans le ballet de Tchaïkovsky.
Coppélia la suit, la Belle au bois
dormant aussi, au milieu de ses
ronces. On reconnaît le monde
merveilleux de Casse-Noisette,
La maison nantaise où Xavier celui, tragique, de Roméo
Dupont de Ligonnès (en médaillon) et Juliette… Astrid Valence
est soupçonné d’avoir assassiné redécouvre avec talent les
sa famille en avril 2011, avant histoires de ces récits mythiques
de disparaître. et nous raconte même leurs
coulisses. Un joli moment de
lecture. A. D.
hypothèses, possibilités et conjectu- allaient bien et qu’il était inutile de les
res, avec lectures de PV, relevés de chercher (…). Ligonnès souhaitait ain-
bornages téléphoniques, témoigna- si acheter sa tranquillité. Pour pouvoir
ges, depuis la dernière apparition at- recommencer une vie ailleurs, loin de
testée, dans le Var, une dizaine de tout, sans famille, sans dettes. » Et,
jours après la tragédie : le suicide, « nourri au petit-lait d’Arsène Lupin
l’implication d’un complice, la et de Monte-Cristo », il ajoute : « Di-
chirurgie esthétique, la fuite à sons-le, une sorte de réincarnation
l’étranger… Sans oublier les possibles pour cet homme si religieux. »
mobiles du crime, sur lesquels Puér- On le dit être passé ensuite par
tolas aurait pu s’attarder davantage. l’Italie, l’Espagne, le Mexique, les
États-Unis, l’aéroport de Glasgow,
« Un plan mûrement et même Pattaya. La conclusion de CONTES DES PLUS GRANDS
réfléchi » Puértolas, mais on ne dévoilera pas BALLETS D’Astrid Valence,
Une chose est sûre : « C’était un plan l’incroyable et extravagant coup de La Martinière jeunesse,
froid, mûrement réfléchi, organisé de- théâtre final : Ligonnès est toujours 104 p., 19 €.
puis plusieurs mois (…), une mise en en vie, et il se trouverait de l’autre
scène destinée à faire croire que toute côté des Pyrénées, où il aurait ren-
la famille s’était volatilisée, mais qu’ils du visite à sa mère. ■ BD
Pasolini et la Callas
1969. Une luxueuse réception,
à Rome. La Callas est présente,
et absente, perdue en elle-même.

Mayeul et Aubin Aldebert Récit à quatre mains des grandes heures de la conquête des Alpes.
Onassis l’a délaissée et sa carrière
de cantatrice décline. Arrive
Pasolini, en smoking blanc.
ARNAUD DE LA GRANGE comme l’acte de naissance de l’al- par le savant genevois Horace sirer, n’est pas complètement satis- Lui aussi a été éconduit par
LA MONTAGNE adelagrange@lefigaro.fr pinisme. Bénédict de Saussure n’est pas fait », écrit-il après son ascension. son amant. Il retrouve la Callas à

À
SE SOUVIENT
De Mayeul et Aubin VOIR les alpinistes
Aldebert, d’aujourd’hui et leurs
Éditions du Rocher, équipements si poin-
182 p., 19 €. tus, on imagine mal
comment des hommes
pouvaient s’élancer vers les cimes
il y a plus de cinq cents ans ans. Et
pourtant, la fin du XVe siècle vit la
première conquête d’un grand
sommet alpin. Dans cette trace
pionnière, la geste pour la conquê-
te des Alpes fut semée d’exploits et
de tragédies, de figures célèbres ou
de héros oubliés. C’est cette formi-
dable aventure que content avec
brio Mayeul et Aubin Aldebert,
deux frères unis par les cordées et
désormais, la plume.
L’été 1492 vit bien se lever
l’aube royale de l’alpinisme. Un
capitaine valeureux du roi Charles
VIII part à l’assaut du mont
Aiguille. C’est une époque où la
montagne fascine et effraie. Cer-
tains sont persuadés que ce som-
met abrite un paradis terrestre,
d’autres au contraire que les hau-
tes crevasses sont le refuge de
créatures maléfiques. Que l’on
surnomme ce pic « le mont Inac-
cessible » ne décourage pas Antoi-
ne de Ville. À l’aide d’un échafau-
Au fil des pages s’égrènent les
siècles et avec eux les prouesses.
Le mont Blanc est vaincu en 1786
par le docteur Michel Paccard et le
paysan Jacques Balmat. Pour ce
dernier, la récompense promise
étrangère à la motivation. Un an Disant ainsi finement le tiraille- laquelle il avait confié le rôle-titre
plus tard, le scientifique atteint ment des alpinistes entre senti- de Médée dont le tournage vient
lui-même le mythique sommet, ment d’accomplissement et soif de s’achever. Deux âmes
guidé par Balmat. « On ressemble à d’absolu jamais étanchée. en peine, deux âmes sœurs.
l’homme arrivé au comble de ses Ensemble, ils s’échappent
vœux et qui, n’ayant plus rien à dé- Une connaissance intime de la fête et se promènent dans
du milieu la Ville éternelle. Une procession
Suit la conquête du mont Cervin, religieuse passe. Moments de
en 1865, payée de vies humaines. grâce. Plus tard, on les retrouve
Puis celle de la Meije, une douzaine à Rio, lors de la tournée de
d’années plus tard. En 1892, un promotion du film. Ils explorent les
épisode peu connu rappelle le rôle favelas. Pasolini replonge dans un
des troupes de montagne dans monde qui lui est familier mais dont
l’aventure des Alpes. Deux chas- il est désormais exclu : il est
seurs alpins perdent la vie lors de devenu riche. Jean Dufaux et une
l’ascension de la Grande Casse, jeune dessinatrice italienne, Sara
dans le massif de la Vanoise. Vient Briotti, transforment cet épisode
le XXe siècle, le Grépon, l’Eiger, le authentique en une belle
mont Blanc toujours, par des faces et poignante BD sur la puissance
ardues, jusqu’à un exploit ambiguë de l’argent et du désir, sur
contemporain avec une première le temps qui passe et flétrit. Et sur
hivernale en solitaire dans la face l’amour qui surgit où on ne l’attend
nord des Grandes Jorasses en 2022. pas, comme entre ces deux êtres
Les deux frères Aldebert suivent unis fugacement par un grand
des voies différentes, sauf lors- amour platonique et consolateur.
qu’ils grimpent les sommets. ASTRID DE LARMINAT
Mayeul est journaliste au Figaro
quand Aubin travaille dans la
fonction publique. Grenoblois, ils
sont tous deux passionnés de
montagne. Leur connaissance in-
time du milieu et leur pratique de
l’alpinisme transpirent à chaque
OBERTO/ STOCK.ADOBE.COM

dage fait de centaines d’échelles et page de ce récit passionnant. Ils

Les deux frères
grenoblois nous livrent
un récit passionnant,
où transpire, à chaque
de perches, il offre à son souverain savent dire les éléments comme
ce trophée alpin. Le capitaine n’est l’âme de ces hommes. « L’alpiniste
« pas un alpiniste des temps moder- est un être orgueilleux qui, parado-
nes, captivé par la poésie des hauts xalement, savoure son propre
sommets », écrivent les auteurs. oubli », écrivent-ils. Cherchant à LA CALLAS ET PASOLINI,
« C’est avant tout un militaire, qui assouvir sa volonté de puissance UN AMOUR IMPOSSIBLE
A

page, leur pratique réalise là un exploit technique. » tout en se fondant humblement De Dufaux et Briotti,
de l’alpinisme. Très politique aussi, et considéré dans l’infini. ■ Aire Libre, 104 p., 25€.
 jeudi 4 janvier 2024 LE FIGARO

8 L’histoire Le Tellier : après la dystopie, l’Antiquité

semaine
de la
LE GONCOURT 2020 PUBLIERA
EN AVRIL « LE NOM SUR LE MUR »
EN MARGE (GALLIMARD), UN ROMAN QUI
SE DÉROULE SOUS LES RÈGNES DE
Le Prix Goncourt 2020, Hervé
Le Tellier, auteur de L’Anomalie
(Gallimard), l’une des plus gros-
ses ventes du prix avec plus de
1 million d’exemplaires, a été très
présent en librairie depuis son
couronnement chez Drouant :
préfaces, éditions de poche…
Mais il n’y avait pas eu de vérita-
ble nouveauté. Ce sera chose
faite en avril 2024. L’écrivain l’a
révélé sur RTL : il publiera à cette
date Le Nom sur le mur.
Cette fois, il abandonne la
monter dans le temps avec un
roman historique situé au
IVe siècle avant J.-C., sous les
règnes de Constantin et de Ju-
lien l’Apostat ! 2024 pourrait
bien être une nouvelle année
Le Tellier : le 7 novembre, sera
liquides de Jaime Montestrela
(Gallimard, « L’arbalète »). Dans
sa préface, l’auteur brosse le
portrait de son double littéraire
Jaime Montestrela afin d’intro-
duire les contes de ce dernier.
À suivre…

Littéraire CONSTANTIN ET DE JULIEN L’APOSTAT. rééditions de ses anciens livres, dystopie qui l’a fait roi pour re- également programmé Contes MOHAMMED AÏSSAOUI

L’intuition mystérieuse de Valérie Zenatti

Portrait
Auteur
et traductrice
d’Aharon
Appelfeld, elle
publie un roman
sur une femme
qui fuit sur
un coup de tête
pour s’installer
en Israël.

THIERRY CLERMONT
tclermont@lefigaro.fr

C’
EST un petit ap-
partement calme,
sur les hauteurs du
20e arrondisse-
ment. Dans le sa-
lon trône un grand portrait de Kaf-
ka, face à une cheminée dont la
tablette accueille quelques dessins
encadrés. Près de la fenêtre, une
ancienne table de couture Singer
avec sa machine. Et, sur la table, un
vase où s’épanouit un bouquet de
tulipes blanches. Près du canapé,
un petit meuble où sont rangés des
ouvrages d’Andersen, un « Pléia-
de » consacré aux Misérables, des
récits de Svetlana Alexievitch, Al-
bert Camus, Charlotte Delbo, Dos-
toïevski, Jankélévitch, Proust, Vir-
ginia Woolf. « C’est là ma petite
bibliothèque idéale, constituée de ces
livres qui m’accompagnent depuis
longtemps », explique Valérie Ze-
Bio EXPRESS
natti, romancière, scénariste, tra-
ductrice, auteur également de li-
vres pour la jeunesse.
Jankélévitch et Kafka, juste-
ment : ce sont eux qu’elle a mis en
épigraphe de son nouveau roman,
Qui-vive. Une fiction où elle brosse
le portrait et dépeint la fuite de
Mathilde, professeur d’histoire-
géo, juive, insomniaque, heureuse
en ménage, comme on dit, ayant
perdu le sens du toucher, mais
ayant les autres sens très dévelop-
pés, voire déréglés, comme ceux
du poète rebelle d’Une saison en
enfer. Sur un coup de tête, elle
quitte son mari et sa fille, Lola, et
part en Israël. Les temps sont trou-
bles, hantés par les images des at-
tentats islamistes de Charlie Hebdo,
du Bataclan, puis de Nice, où a
grandi Valérie Zenatti. Puis vient
l’annonce de la mort de Leonard
Cohen, dont la protagoniste est
une inconditionnelle.
La question taraude Mathilde :
« Et donc, comment vivre ? » Seule
solution : chercher « le contact
avec le mutisme du monde ». À Tel-
Aviv, où elle semble faire corps
avec la ville, elle retrouve Raphy,
1970
Naissance à Nice.
1983-1990
Vit en Israël. Y effectue son
service militaire de deux ans.
2002
Quand j’étais soldate
(L’École des loisirs).
2004
Premières traductions
d’Aharon Appelfeld : Histoire
d’une vie et L’Amour, soudain.
2005
Une bouteille dans la mer
de Gaza (L’École des loisirs).
Adapté au cinéma en 2012
par Thierry Binisti.
2006
En retard pour la guerre.
Adapté au cinéma sous le titre
Ultimatum, par Alain Tasmat.
2011
Mensonges.
2014
Jacob, Jacob. Prix du livre Inter
et prix Méditerranée.
2018
Mort d’Aharon Appelfeld.
Se rend à Czernowitz
(Bucovine).
contre les Romains. Nous l’avions
découverte en Israël durant la
guerre du Golfe, et la voilà instal-
lée en Israël depuis plus de trente
ans, menant une carrière de met-
teur en scène. Et c’est justement
dans un théâtre que s’achève le
roman, dans une confusion san-
glante, parfaitement restituée.
Nous n’en dirons pas plus.
« Tous mes livres sont nés de bou-
leversements », a-t-elle confié,
ajoutant : « Et Qui-vive trouve ses
racines dans mes autres ouvrages,
à travers des échos et des corres-
pondances. » Livres où elle a puisé
dans ses souvenirs et ses réminis-
cences de lecture. Pour son éditri-
ce à L’Olivier, Nathalie Zberro,
« elle ne fait jamais deux fois le
même livre. Pas de recette. Elle se
laisse embarquer et prend des ris-
ques, écrit sur le fil, avec le souci de
faire et refaire jusqu’à atteindre le
point central d’un texte, sa version
la plus parfaite. Enfin, elle a une ri-
gueur dans son travail, mais aussi
une forme d’intuition presque mys-
térieuse. Quelque chose qui résiste à
l’explication rationnelle. Une jus-
tesse musicale. »
À 9 ans, la petite Valérie a déjà
lu les contes d’Andersen et Les
Misérables, d’où naîtra sa fascina-
tion pour Cosette ; elle se met à
étudier le violon, noircit des car-
vre pour la jeunesse, Quand j’étais
soldate. « C’était au moment de la
première Intifada, se souvient-elle.
Et c’est là qu’est née ma prise de
conscience politique, en découvrant
les conditions de vie des Palesti-
niens. » Elle rentre en France, seu-
le, en 1990 : « La fluidité du français
et l’Europe me manquaient. » Puis
elle s’inscrit aux Langues O pour
des études d’hébreu. Deux ans plus
tard, elle entame une carrière de
journaliste à la station RCJ. Ce qui
lui donnera l’occasion de couvrir le
siège de Sarajevo en 1994, et d’ac-
compagner Simone Veil lors d’un
voyage officiel à Auschwitz.
« J’étais pressée de vivre, impatien-
te. J’avais l’impression d’être dans
une salle d’attente. »
En 2005, elle publie Une bouteille
dans la mer de Gaza, traduit dans
une vingtaine de pays : un récit
d’espoir sur le conflit israélo-pa-
lestinien, vu à travers le personna-
ge féminin de Tal.
“deJemonconserve de la fin
enfance une
obsession, écrire, tout
noter, enregistrer en
quelque sorte ma vie
pour la revoir plus tard,
Ukraine, où avait grandi Appel- Valérie Zenatti :
feld, ainsi que Paul Celan. « L’hébreu est une
Valérie Zenatti le fait remar-
quer : comme Appelfeld, qui par-
lait allemand et yiddish, elle a ap-
langue dans laquelle j’ai
envie de me blottir. »
SÉBASTIEN SORIANO/
pris l’hébreu à 13 ans et demi. LE FIGARO
« L’hébreu est une langue dans la-
quelle j’ai envie de me blottir. Elle me
permet de penser. J’écris avec l’hé-
breu en moi, d’où mon obsession
pour les racines et l’étymologie. »
Racine des mots, racines fami-
liales. En 2014, après un voyage en
Algérie, Zenatti publie son roman
sans doute le plus ambitieux, cou-
ronné par le prix du livre Inter et le
prix Méditerranée : Jacob, Jacob.
On y découvre le destin de son
grand-oncle Jacob Melki, Juif de
Constantine, mort pour la France à
19 ans, pendant la bataille des Vos-
ges, après avoir participé au dé-
barquement de Provence.
Aujourd’hui, Valérie Zenatti a
repris le violon, juste après l’atten- QUI-VIVE
tat islamiste de la promenade des De Valérie Zenatti,
Anglais. « Je peux en jouer jusqu’à L’Olivier,
sept heures par jour. » Elle a même 180 p., 19,50 €.
intégré, au sein du pupitre des
deuxièmes violons, l’Orchestre des
grands amateurs de Radio France.
Passionnée par Bach, Bartok, et
donc par Leonard Cohen (« Dans
ses chansons, il y a toujours une
énigme qui nous accompagne »),
Bob Dylan et même le rappeur Lo-

fils de son grand-oncle, ancien
combattant de la guerre du Kip-
pour, puis file à Capharnaüm, le
« village de la consolation ». Ensui-
te, direction Cana et Nazareth, où
elle croise un vendeur de cerises,
indifférent au monde.
Inlassablement, Mathilde écou-
te Leonard Cohen, et passe en
boucle des extraits vidéo de son
concert de 1972 à Tel-Aviv et de
son récital improvisé face aux jeu-
nes soldats de Tsahal. « Mathilde
est confrontée à un moment où
l’Histoire devient aphone. Elle n’est
plus capable de transmettre, elle ne
voit plus le sens de l’Histoire. » À la
fin de son superbe récit, mené à la
première personne, parfois dé-
rangeant, à l’écriture sensible, on
retrouve le personnage principal
de son premier roman, En retard
pour la guerre, Constance Kahn,
A
2019 nets et écrit des histoires. Dans
Dans le faisceau des vivants. son récit autobiographique Men-
2024 songes, elle confiait : « Je conserve
Qui-vive. de la fin de mon enfance une obses-
sion, écrire, tout noter, enregistrer
en quelque sorte ma vie pour la re-
voir plus tard, et comprendre. »
Toujours en 1979, elle voit un épi-
sode de la série télé Holocauste.
C’est le choc, le « traumatisme
fondateur ». Celui qui lui fera dire :
« Être juif est encore terriblement
dangereux, voire mortel. »
Quatre ans plus tard, la famille
Zenatti s’installe en Israël, dans le
désert du Néguev, à Beersheba.
Elle y lit Zola, Gide, L’Étranger de
Camus, Raul Hilberg (La Destruc-
tion des Juifs en Europe), La Nuit,
d’Elie Wiesel. De 1988 à 1990, elle
effectue son service militaire. De
ses deux années passées dans les
services de renseignements, et de
”
et comprendre
VALÉRIE ZENATTI
L’année précédente, après
l’avoir découvert lors de la prépa-
ration de son agrégation, elle a tra-
duit deux romans de l’Israélien
Aharon Appelfeld (1932-2018),
rescapé de la Shoah : Histoire d’une
vie et L’Amour, soudain. « Cet écri-
vain m’apparaît comme Kafka,
Schnitzler et Zweig réunis, qui
auraient vécu la Catastrophe et lui
auraient survécu. » Depuis, elle a
permis aux lecteurs français de dé-
couvrir pas moins de treize romans
de ce grand auteur, qui inlassable-
ment reviendra sur sa petite en-
fance en Bucovine, la Shoah, puis
sa vie en Israël. Zenatti lui a rendu
un hommage poignant avec Dans le
faisceau des vivants, y rapportant
notamment son voyage, juste
mepal, elle se souvient avoir été
incapable d’écrire durant le confi-
nement de 2020, mais d’avoir pas-
sé des journées entières à écouter
en boucle les Variations Goldberg.
Parmi ses projets : la traduction
d’un nouveau livre d’Appelfeld, et
un scénario, après ceux de la série
Possessions et du film d’animation
Les Secrets de mon père, sorti en
2022. En novembre dernier, elle
est retournée en Israël, un peu
plus d’un mois après les massacres
du Hamas, en passant par
Beersheba, où vivent toujours ses
parents. Son commentaire : « Le
7 octobre 2023, c’est cinquante ans
et un jour après la guerre du Kip-
pour… Ce qui me frappe, c’est de
voir à quel point l’Histoire peut
convulser. Ce que les Européens ont
du mal à accepter. Accepter la part
importante ou déterminante que le

obsédée par l’historiographe Fla- sa découverte des territoires occu- après la mort de l’auteur, dans la religieux et le sacré peuvent exer-
vius Josèphe et sa Guerre des Juifs pés de Cisjordanie, elle tirera un li- ville de Czernowitz, aujourd’hui en cer sur la politique. » ■