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MIRÓ, PICASSO,

UNE MYTHOLOGIE
MONUMENTALE

THIERRY DUFRÊNE

Étudier la place de Miró et de Picasso dans


l’art public du XXe siècle et confronter leurs
apports semble tenir de la gageure. Si l’on en
croit Rosalind Krauss, ne seraient-ils pas les
parfaits exemples de la rencontre manquée
entre l’art moderne et la monumentalité1?
Leurs œuvres, de simples agrandissements
de sculptures conçues pour la main, placées
comme par raccroc dans des espaces avec
lesquels elles ne partagent rien, sinon le ha-
sard d’une commande ? Même Jacques Dupin
a des doutes sur l’œuvre de Miró à La Défense,
qu’il juge « aussi gigantesque que médiocre2».
Si la dérision d’un Claes Oldenburg (1929-
2022) s’est exercée aux dépens du Chicago
Picasso (1967) de la Daley Plaza, ne semble-t-
il pas – dans sa monumentalisation de l’ob-
jet de consommation avachi par l’usage – se
moquer également des archaïsmes de Miss
Chicago (1981, d’après l’Étude pour un monument
offert à la ville de Barcelone, 1968-1969) ? Mais,
outre le fait qu’un artiste ne cherche à ri-
valiser qu’avec ceux qu’il admire, on peut
soutenir l’idée que la génération 68, celle de
l’anti-monumentalité et de la réinvention du
rapport de l’art à l’espace public, s’est fina-
lement beaucoup intéressée à la dialectique

Pablo Picasso. Maquette pour une sculpture pour


le Richard J. Daley Center, 1962-1964 Pablo Picasso. Chicago Picasso, 1967, Daley Plaza, Chicago
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entre l’atelier et la place publique instaurée par les modernes Miró et Picasso. En somme, si
l’art public semble progresser vers l’art dit contemporain dans ses formes et ses enjeux avec
Calder, Moore, voire Dubuffet, il prend des voies post-modernes avec les artistes catalans.

Les racines surréalistes

L’archéologie de la fonction monumentale chez les deux artistes remonte à leur période sur-
réaliste – dans une émulation avec Dalí, Ernst et Giacometti. J’ai montré ailleurs ce que la nais-
sance des « Personnages » en sculpture doit au processus d’entification, c’est-à-dire de création
d’êtres hybrides, mi-humains, mi-objets, entrepris par Miró : ce phénomène se développe en-
suite à échelle monumentale3. Le second horizon que déplace depuis les années 1930 l’œuvre
monumentale de Miró est celui du théâtre : le décor, le cadre, les personnages campés comme sur
une scène. Déjà, dans Jeux d’enfants (1932), l’« apparition des esprits qui commandent aux jeux des

enfants » présente deux formes prototypales (renvoyant aux jouets et, plus encore, par leur atti-
tude, au jeu, au dialogue et à l’interférence – modernes conversation pieces) qui préfigurent le Couple
d’amoureux aux jeux de fleurs d’amandier (1975-1978) de La Défense. Quant à Picasso, la tension entre
son admiration de l’antique et la déconstruction surréaliste explique l’extrême complexité de
son rapport au volume, et donc au monumental, qui dérouta les commanditaires du Monument à
Guillaume Apollinaire qu’il esquisse en 1924-19274. Dès 1926, dans Le Peintre et son modèle, une pein-
ture à mettre en rapport avec l’illustration (1931) qu’il fera pour Vollard du Chef-d’œuvre inconnu
de Balzac, apparaît ce que je nomme le « complexe de Frenhofer/Füssli » : une tête minuscule,
un pied immense. Ne reste qu’un pied écrasant comme le vestige d’un gigantesque colosse an-
tique, auquel la sensibilité moderne ne parvient pas à donner un corps, encore moins un visage.

Pablo Picasso. Miss Chicago (d’après Étude pour un monument offert


Joan Miró. Figure, 1928 à la ville de Barcelone, 1968-1969), 1981, Brunswick Plaza, Chicago
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Le dessin et la peinture fournissent la trame sémantique de la sculpture irréalisable5: un grand


corps vide, distendu, aux lignes stridentes et, quelque part dans l’échafaudage, une face lunaire,
la persona, le masque d’Apollinaire [fig. 5]. Faisant face à l’échec de son monument, Picasso se
convertit à l’idée que la déconstruction de l’humanisme par les avant-gardes a rendu impossible
la figuration du corps et opte pour une tête monumentale à échelle urbanistique, transformant en
pensée la Croisette de Cannes en théâtre d’apparitions de sculptures. Daniel-Henry Kahnweiler
s’en souvient ainsi : « [Picasso] imaginait des monuments gigantesques en 1929 qui, maisons d’ha-
bitation et sculptures énormes figurant des têtes de femmes à la fois, se seraient dressés devant la
Méditerranée. “Je suis bien obligé de les peindre puisque personne ne m’en commande”, me dit-il.
Dans certains de ces tableaux, il alla jusqu’a ajouter des personnages peints en trompe-l’œil pour
donner l’échelle. Il songeait aux espaces qu’auraient renfermés ces “monuments” qui auraient été
architecture appliquée – utilitaire – et sculpture signe à la fois6.»

Deux approches

C’est parce qu’elles glissent sur l’échelle scalaire, irréductibles à une quelconque dimension,
que leurs œuvres, fruits d’une grammaire monumentale originale, jouant plutôt sur l’axe para-
digmatique pour Picasso et sur le syntagmatique pour Miró, apportent à la nouvelle axioma-
tique de l’in situ, qui se développe dans les années 1970-1980, un correctif qui dérange : le ver- Picasso part d’un prototype qu’il décline en plusieurs solutions formelles selon le voca-
tige de la modulation entre dimension petit et gigantisme, l’approche par les profils détachés bulaire utilisé (approche paradigmatique). Oiseau (1964, 1965, 1975), Femme aux bras écartés (1962),
sur l’horizon plutôt que par la ronde-bosse, ou, quand cette dernière reprend ses droits, par têtes de femmes aux profils enchâssés, Déjeuner sur l’herbe (1963) décliné d’après Manet pour une
les masses plutôt que par les volumes circonscrits, et enfin l’aspect dépliable et séquentiel, le salle de théâtre et de conseil, puis installé dans le jardin du Moderna Museet de Stockholm, Tête de
déploiement dans le temps davantage que dans l’espace. taureau (1966), Sylvette (1968, 1970), la plastique picassienne se nourrit de la conjugaison du modèle
selon l’éventail le plus complet du passage du dessin et de la bi-dimensionnalité de la peinture
à la troisième dimension : pli, pliage, profil, ombre portée, formes découpées. De plus, l’artiste
voudrait conférer du mouvement à la sculpture pour que s’interpénètrent les formes : Projet de
sculpture (1928) est conçu comme un tripode monté sur un socle hémisphérique mobile. Selon une
formule qui n’est pas sans rappeler Le Baiser (1909) de Constantin Brancusi ou Les Hommes n’en sau-
ront rien (1923) de Max Ernst, le corps-visage aurait oscillé entre les différents morphèmes qui le
constituent, synthétisés, concaténés dans le même ovale indenté en partie sommitale : deux pro-
fils d’amants s’embrassant, s’accouplant, glissement de l’œil au sexe avec crâne surimprimé qui
transforme la joute amoureuse en vanitas et survenue inopinée de la hantise de la mort. Ce mou-
vement qui intègre la dimension temporelle à la sculpture – par le biais du dynamisme imaginé de
celle-ci –, Picasso l’obtiendra bien plus tard, à partir de 1957, grâce à l’apport de la bétogravure
de Carl Nesjar. Des têtes de femmes ont été gravées sur de grands panneaux en ciment, à Barcarès
ou à Flaine, de la Norvège à Jérusalem. Ces panneaux sont placés en haut de mâts, si bien que le
spectateur découvre une tête après l’autre dans son cheminement. Le continuum et l’enchaînement
séquentiel ainsi établis ont pour effet de déplier dans l’espace, de façon cinématique, la figure
évolutive de la femme, de la jeunesse à la mort. Picasso obtient ainsi le développement à échelle
monumentale de l’idée qu’il concentrait dans le Projet de sculpture de 1928.

Pablo Picasso. Déjeuner sur l’herbe, 1963,Moderna Museet, Stockholm Pablo Picasso. Sylvette, 1968, University Village Plaza, New York
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À mesure que Miró développe son œuvre monumentale7, sa démarche s’affirme réso-
lument syntagmatique. C’est l’ordre des éléments, leur disposition dans la phrase spatiale, qui
confère le sens à chacun et à l’ensemble. Chaque élément participe à un monde, un cosmos, où
la place de chacun détermine sa propre signification et celle de tous les autres, comme dans
la logique d’appartenance de la théorie mathématique des ensembles de Cantor. De ce point
de vue, il n’est pas étonnant que l’artiste ait réalisé le pavement de La Rambla (mosaïque du Pla
de l’Os) en 1976 comme une marelle8. C ’est en effet le modèle logique de sa propre construc-
tion spatiale. Dans le jeu, le « ciel » est situé en effet à l’extrême opposé de la « terre ». C’est le
déplacement de l’enfant qui relie les cases, et son retournement qui inverse le haut et le bas. De
même, dans l’œuvre de Miró, que la structure soit au sol et circulaire ou au contraire verticale
(avec souvent une courbure au sommet qui projette en avant les éléments rapportés au corps
principal de l’œuvre, amorçant l’idée de chute et de cycle), la circulation du sens et sa redistri-
bution constante s’opèrent dans l’expérience que fait le spectateur de la transformation par la
sculpture de son propre schéma corporel intériorisé.
En effet, Miró conserve dans la verticalité une division en trois registres ou strates qui
rappelle le schéma membres inférieurs/buste/tête. Apparemment, une structure classique.
Pourtant, à l’intérieur de ce schème, il opère de constantes variations. Ainsi, dans le couple
opposé d’oiseaux astraux – solaire et lunaire – (1946-1949, puis 1968), sa première création
en grandes dimensions, proche des formes contemporaines de Hans Arp, le sommet (tête) est
occupé par le signe de l’oiseau (commun) ou croissant inversé, alors que la figure au registre
médian anthropomorphise les astres-oiseaux selon leur genre9. Enfin, le format-support est
une colonne pour élever l’Oiseau solaire au-dessus de la terre et une arche pour poser dans le
ciel l’Oiseau lunaire. Cosmique, le monde monumental de Miró associe le signe (écriture), l’icône

Joan Miró. Maqueta del Mosaic del Pla de l'Os, 1976 Pablo Picasso. Tête de femme, 1991, Flaine
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Joan Miró. Projet pour un monument , 1954 Joan Miró. Projet pour un monument , 1954 Joan Miró. Projet pour un monument , 1954 Joan Miró. Projet pour un monument , 1954
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Mythologie moderne
(figure) et le code (format). Il est synthétique, structural et contextuel. L’Arc de la Fondation
Maeght (1962-1963) pourrait ainsi être interprété comme l’association gigantesque des deux Pour les deux artistes, leur rapport au monumental commence par un échec – celui du Monument
oiseaux astraux, formant porte monumentale. à Apollinaire et celui de Chicago –, puis s’éprouve dans le passage par la céramique ou par une
La série Projet pour un monument (1951-1954) est conforme à la déclinaison signe/figure/ technique spéciale comme la bétogravure, avec l’apport d’un technicien-artiste d’exception
format déjà évoquée, à la différence que le signe y est porté par un objet intégré à la figure et à comme Josep Llorens Artigas, Joan Gardy Artigas ou Carl Nesjar, et réussit, par un contre-pied
la structure10. Cette introduction de l’objet est un renouvellement considérable de la pensée de ou un déplacement, dans la création d’une tête monumentale au XXe siècle pour le Malaguène
l’art public. Peut-être faut-il y voir un lointain écho des projets surréalistes de transformation – ce que Giacometti et Malraux avaient rêvé sans pouvoir le réaliser – et dans le surgissement
des monuments de Paris, ces derniers devenant souvent de simples objets d’usage11. Les projets de d’une mythologie hantée par la civilisation rurale millénaire chez Miró, une sculpture de la « rur-
monuments de 1969 et de 1970 sont respectivement conçus à partir d’une voiture-jouet et d’une banité ». Dans l’espace public, les sculptures de Picasso et de Miró sont, à leur manière, des fi-
savonnette percée avec un œuf placé de guingois. En 1981, Miró imagine « monumentaliser » un gures déviantes de l’imagerie populaire.
emballage de pellicule Kodak et une enveloppe pliée en deux. Faire un monument avec un mini- L’œuvre majeure de Picasso au Civic Center de Chicago (1967) réalise enfin le « monu-
mum, bref un « miniment » : Claes Oldenburg a décidément beaucoup à voir avec l’artiste cata- ment en rien » auquel l’artiste aspirait pour Apollinaire. Cette structure aérienne est comme un
lan ! Pour revenir aux projets de 1951, si l’on considère les objets choisis et le contexte historique, découpage de papier géant. Sa forme de parachute fait atterrir en douceur devant les gratte-ciel
on pourrait se demander – en l’absence d’une destination précise ou d’une commande – si Miró une face verticale de jeune femme aux yeux rapprochés de cyclope ou de dieu Thor-babouin de
n’aurait pas un temps pensé au concours pour le Monument au prisonnier politique inconnu lancé par l’Égypte antique, reliée aux ailes métalliques de la chevelure par des tiges d’acier crayonnant l’es-
l’ICA (Londres) en 1952-1953 : en ce sens iraient les éléments d’alerte, sonnette, cuivre, antenne pace. La sculpture de Picasso transcende les œuvres des géants du métal que sont Gabo, Pevsner
et ceux qui évoquent la souffrance (os percé d’une pointe, cuir entaillé). ou Calder en réintroduisant un visage dans la structure, une Ariane au cœur du labyrinthe. S’il a

10 Joan Miró. Oiseau solaire, 1946-1949 Joan Miró. Oiseau lunaire, 1946-1949
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Joan Miró. Sun, Moon and One Star, 1968 Joan Miró. Muchacha evadiéndose, 1967
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eu beau jeu d’en faire une soft sculpture, Oldenburg aurait pu aussi bien en faire le modèle de son
volant aérien de badminton, Shuttlecocks (1994), tombé dans le parc du Nelson-Atkins Museum of
Art (Kansas City). L’aspiration d’Icare à sortir du dédale des métropoles modernes !
Pour sa part, Miró transforme la dalle de La Défense en trottoirs de Buenos Aires où le
tango met aux prises deux figures, l’une phallique (masculine) qui est à la fois une figure solaire
et une sorte d’otarie porteuse d’un ballon, d’une part, et l’autre féminine, une lune rousse et
un poisson qui nage dans l’eau, d’autre part. À nouveau, la lecture doit s’opérer par strates –
marelle verticale – : rouge, lever du soleil ; jaune du rayonnement diurne ; bleu nuit (la terre
délaissée par le soleil), de façon séquentielle – pour le personnage phallique qui se dresse, se
lève – et par niveaux de compatibilité et d’exclusion : la couleur bleu nuit s’étend, s’allonge,
s’étire, tend à la fuite dans l’étendue alors que la lune pointe en revanche ses cornes – comme
un minotaure. Dans Projet pour Chicago-Barcelone (1967-1968) – qui deviendra Miss Chicago,
Chicago (1981) –, la fourche placée en position sommitale, d’élément terrien est transformée
en constellation – selon la logique spatiale qui convertit le sens d’un élément selon sa position
dans l’ensemble. Elle est aussi couronne : la femme – qui s’adresse à la ville – règne sur un
système astral : lune, soleil, étoile. Le Projet prend appui sur L’Objet du couchant (1936) surréa-
liste, avec sa souche qui sert de base. On peut considérer qu’il y a une séquence politique dans
l’œuvre sculpturale et monumentale de Miró. Commencée en 1936 par le crépuscule engendré
par la venue des troupes franquistes par l’ouest de l’Espagne – la guerre civile comme « objet

Joan Miró Couple d’amoureux aux jeux de fleurs


d’amandiers, 1975-1978 La Défense, Paris Joan Miró. Femme et oiseau, 1983, Barcelona
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1 Rosalind Krauss, « Échelle/monumentalité. Modernisme/post- 8 Rosa Maria Malet reproduit page 28 des coupures de presse
du couchant » –, poursuivie par le projet d’une sorte de Miss Liberty pour Chicago – finalement modernisme. La ruse de Brancusi », dans Margit Rowell (dir.), conservées par l’artiste montrant des enfants jouant à la marelle
Qu’est-ce que la sculpture moderne ? Paris, Centre Georges-Pompi- et une mosaïque de sol de la ville punique de Kerkouane, près de
convertie en monument pour Barcelone après l’échec de la commande américaine – et ache- dou, p. 247. Carthage.
vée, après la mort de Franco et le retour à la démocratie, par la sculpture Femme et oiseau de 2 Jacques Dupin, Miró. Paris, Flammarion, 2012, p. 400. 9 Associé au versant nocturne de Miró, un bronze de l’Oiseau lunaire
a été installé en 1975 dans le square de la rue Blomet, à Paris, à
22 mètres de haut réalisée en 1983, qui rivalise pour l’Histoire avec la grande sculpture, de plus 3 Thierry Dufrêne, « The ‘Personnages’ of Miró: Entification and
Sculpture », dans Robert Lubar Messeri (éd.), Miró and Twen- deux pas de son ancien atelier.
de 12 mètres de haut, Le Peuple espagnol possède un chemin qui conduit à une étoile, d’Alberto Sánchez tieth-Century Sculpture. Barcelone, Fundació Joan Miró, collection 10 Sauf celui qui dérive de Personnage (1931) et qui aura d’autres oc-
Pérez (1895-1962), qui fut exposée à côté de Guernica dans le pavillon espagnol de l’Exposition « Miró Documents », 2016, pp. 35 à 49. currences dans l’œuvre : en 1967 ou en 1974 sous la forme pop
4 Peter Read, Picasso et Apollinaire. Les métamorphoses de la mémoire. d’une caisse. Ithyphallique, il a la stature d’une figure masculine
universelle de 1937, à Paris12. et sur le front une forme cornue : est-il taureau, est-il oiseau-lune
1905-1973. Paris, Jean-Michel Place, 1995.
Joan Teixidor affirme que « l’œuvre de Miró est une mine inépuisable de monuments » 5 Voir les « monstres » rêvés par Picasso dans ses carnets : Bai-
? Il pourrait aussi synthétiser les lettres nécessaires pour former
le prénom « Joan » et donc être une manière d’autoportrait.
et parle de « totems énigmatiques13». Roland Penrose a mis l’accent sur le rêve de Picasso de gneuses (1927-1937), Métamorphose II (1928), d’après les dessins
réalisés pendant l’été 1927 à Cannes (polymorphes, bisexués), 11 Thierry Dufrêne, « Les “places” de Giacometti ou le “monumen-
réaliser des sculptures-architectures habitables14. Si leur approche du monument est diffé- puis les dessins de Dinard en 1928 et en 1929. Même la grande tal à rebours” », dans Histoire de l’art, nº 27, « Monuments », Paris,
rente, leur volonté fut de proposer un mythe moderne à échelle cosmique, la figure humaine sculpture de Boisgeloup en 1930, femme portant un vase, est dys- 1994, pp. 81 à 92, et « Sur certaines possibilités d’embellissement
morphique. irrationnel d’une ville (12 mars 1933) », dans Le Surréalisme au ser-
étant raccordée aux Éléments. L’échec de certains de leurs projets atteste de leur ambition vice de la révolution, nº 6, Paris, mai 1933, pp. 18 à 23.
6 Voir le récent article de Laurence Madeline qui pointe justement
dérangeante. On peut regretter que le Monument à la gloire du vent (1969) conçu par Miró n’ait le fait que le monumental est affaire de (dé)construction pour 12 L’interprétation que nous nous permettons du projet pour le mo-
nument de Chicago comme une sorte de figure de la Liberté en
jamais été réalisé15, ou encore qu’une tête de Dora Maar (1959) tienne lieu de monument à Picasso, soit une relation à l’architecture. Laurence Madeline, «
Les petits personnages ou Picasso sculpteur/architecte », dans plein franquisme pourrait être validée par la transfiguration de
Guillaume Apollinaire dans le square à côté de l’église Saint-Germain-des-Prés au lieu de la Thierry Dufrêne, Claire Maingon (dir.), « Sculpture et architec- L’Objet du couchant en Jeune fille s’évadant, ce bronze peint tout à fait
pop réalisé en 1967. Quant au modèle de la figure féminine pour
structure aérienne qu’avait prévue Picasso. Mais l’impulsion que les deux artistes catalans ont ture. Sens dessus-dessous », numéro thématique Sculptures, nº
9, Presses universitaires de Nanterre, 2022, pp. 171 à 177. Laurence le monument Barcelone/Chicago, l’exemple des images données
donné à la relance d’une imagination figurative hors limites, leur exaltation des savoir-faire Madeline cite Zervos et Daniel-Henry Kahnweiler, Les Sculptures à la Fundació Joan Miró par l’artiste lui-même en 1981 – voir Vic-
artisanaux et l’introduction de l’objet dans la grande dimension – qu’on songe, par exemple, de Picasso. Paris, éditions du Chêne, 1949, n. p. [p. 7]. toria Noel-Johnson, Joan Miró. L’essence des choses passées et présentes.
Mons, BAM, Musée des beaux-arts, éd. Snoeck, 2022 – inciterait
7 La statuaire de Miró dans l’espace public de Barcelone a fait l’ob-
qu’à la suite de l’Objet peint de 1931, c’est l’Horloge du vent (1967), façonnée à partir d’un carton de peut-être à le chercher du côté de la figurine de la Déesse aux
jet d’une remarquable étude de Rosa Maria Malet à laquelle cet
chapellerie Prats traversé par une cuiller, qui aurait servi de base au monument « à la gloire du serpents (Musée archéologique d’Héraklion, vers 1600 av. J.-C.),
article doit beaucoup. Voir Rosa Maria Malet, De Miró a BCN. Bar-
divinité chthonienne de la civilisation minoenne.
vent » que j’évoquais plus haut – ont fait de leurs œuvres respectives une source d’inspiration celone, Fundació Joan Miró, collection « Miró Documents » [cat.
expo. du 9 mai au 2 novembre 2014]. Son texte « De Miró a Bar- 13 Joan Teixidor, « Miró sculpteur », Miró sculptures. Maeght, 1974, pp.
pour la génération suivante, celle des Niki de Saint-Phalle, Tinguely, Claes Oldenburg, Rebecca celona », pp. 10 à 39, constitue désormais la référence dans le do- 81 à 160, respectivement p. 155 et p. 146.

Horn, voire du premier Jeff Koons, et une irruption de la démesure dans l’espace public, les maine. Voir aussi Joan Punyet Miró, « Joan Miró’s Last Sculpture 14 Roland Penrose, The Sculpture of Picasso. New York, MoMA, 1967,
Folder », dans William Jeffett (dir), Miró and the Object. Barcelone, p. 32.
passants expérimentant à la fois l’intimité des œuvres comme sorties des mains de l’artiste Fundació Joan Miró [cat. expo. du 29 octobre 2015 au 17 janvier 15 C’est en un sens Eduardo Chillida qui le réalisera avec le Peigne du
dans l’atelier et leur confrontation au monde urbain qu’elles métamorphosent. 2016], pp. 48 à 54. vent XV en 1977.

Joan Miró. Maqueta del mural de ceràmica de l'aeroport


de Barcelona, 1968-1969

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