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DU LIVRE JEUNESSE
Nous Voulons Lire encore !
TRIM/JUIN 2023 — N°236
© Marieke ten Berge in Grand Nord Éditions Rue du Monde.
POÉSIE p 49
PAROLE DE PRO(f) p 52
Collection Petite Poche (Thierry Magnier), Cathy DEMESTER et NVL p 53
NOUVELLES LECTURES p 54
ph
t te
s
aux lexicographes pour les mots nouveaux.
bro
chure e
http://www.orthographe-recommandee.info
www.renouvo.org
….Ainsi, vous trouverez écrit dans ce numéro : un écomotif, maitriser, maitresse, apparaitre,
disparaitre, naitre, la boite, il me plait, fraicheur, gageüre, ambigüité, interpeler, il renou-
vèle , un relai …
ÉDITO
1 Julien Defraeye et Élise Lepage, Etudes Littéraires, Volume 48, numéro 3, 2019 :
Approches écopoétiques des littératures française et québécoise de l’extrême contemporain.
3
Ecopoétique
ECO
POÉTIQUE
ET
LITTÉRATURE
JEUNESSE
POUR UNE DÉFINITION DE L’ÉCO-
POÉTIQUE
Régis LEFORT
LE POUVOIR DE LA LITTÉRATURE
L’écocritique, pluridisciplinaire, est une notion largement étudiée de-
puis des décennies : comment le concept plus récent d’écopoétique s’en dif-
férencie-t-il ? Dans le cadre du projet régional de l’université d’Angers Écolitt
qui « se propose de mettre en évidence l'émergence d'une réflexion éthique
sur le rapport de l'homme à la nature et la prise en charge de la notion d'in-
quiétude environnementale par la fiction », Nathalie Prince et Sébastian Thil-
tges ont consacré un axe de leur colloque 2015 à l’étude de cette frontière
entre écocritique et écopoétique. Si une première approche diachronique se
proposait d’étudier « les rapports entre la littérature de jeunesse et l’écolo-
gie » en s’intéressant aux fictions contemporaines, mais également en jetant
« un regard rétrospectif sur l’histoire littéraire de l’écologie pour voir com-
ment les genres émergents (écofictions, fantasy) puisent dans la tradition des
bestiaires, des fables, des contes merveilleux et autres robinsonnades », une
seconde approche, synchronique, envisageait de « croiser des perspectives
thématiques, poétiques ou encore philosophiques ». Un second colloque
(2022) faisant état de l’engagement écologique, s’intéressait aux genres litté-
raires, aux écomotifs, aux représentations ou bien encore aux façons d’habiter
le monde. Un troisième colloque ( Avignon 2023), revenait sur l’écopoétique
proposant de « renouveler l’enseignement de la littérature par les humanités
écologiques ».
Il semble que la spécificité même de l’écopoétique dépasse les repré-
sentations de l’écologie ou l’engagement écologique de l’écocritique et s’ins-
crive singulièrement dans le pouvoir de la littérature.
1 Sara Buekens, « L’écopoétique : une nouvelle approche de la littérature française », Elfe XX-XXI [En ligne] 8 |
2019, mis en ligne le 10 septembre 2019.
URL : http://journals.openedition.org/elfe/1299 ; DOI : https://doi.org/10.4000/elfe/1299
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Ecopoétique
L’écopoétique doit se montrer attentive à l’écologie, à la géographie, à l’his-
toire des idées ou à la notion de paysage mais doit dépasser la description
pour inclure le rôle de l’imagination et la recherche stylistique2. Certes, la réé-
valuation des rapports entre l’homme et la nature est au cœur des préoccupa-
tions et de la pensée contemporaines, mais l’attention doit aussi se porter sur
l’imaginaire poétique ainsi que sur la fabrique du texte.
C’est donc une chose de parler d’écologie, de défense de l'environne-
ment, de porter des jugements moraux sur telle ou telle action, ou de prôner
l’engagement pour la défense de la nature et une tout autre chose de considé-
rer le pouvoir de la littérature comme il existe un pouvoir des fables à diriger
les consciences. L’écopoétique trouve sa raison d’être dans ce pouvoir du lan-
gage et l’usage d’une énonciation singulière. Ainsi, la métaphore, la personni-
fication ou l’ironie, par exemple, peuvent-elles dénoncer certaines situations
ou souligner la gravité de problèmes environnementaux.
Il semble évident que « l’écologie nous impose d’abandonner [un
point de vue égo-centré] au profit d’un point de vue éco-centré ». Avec Michel
Collot, soulignons encore que « l’homme, étant lié à son lieu de vie et à son
milieu naturel, est inséparable de son environnement : il n’est pas d’égo sans
éco pas d’égo sans géo ».3
2 Michel Collot, Un nouveau sentiment de la nature, Paris, Éditions José Corti, 2022, p. 172-175.
3 Ibid., p. 225.
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un multivers4 composé d’une infinité de mondes parallèles peuplés d’humains
et de créatures surnaturelles, articulant ainsi un propos écocritique présent en
filigrane tout au long de l’œuvre. Ainsi, « le roman de fantasy offre à l’humanité
un moyen de se réintégrer dans le mode naturel ». Le choix de la fantasy, en
proposant un monde alternatif non anthropocentrique, ouvre sur un monde où
les espèces vivent en symbiose.
Claudine C. Stupar présente au fil du dossier trois ouvrages récents
emblématiques de ce positionnement : après l’album La chanson de l’étour-
neau et le conte Et c’est quoi la sagesse grand-père ?, elle déplie la ques-
tion du point de vue narratif posée par le roman Après nous, les animaux que
Camille Brunel situe après l’extinction de l’espèce humaine.
Enfin, au travers de quatre recueils de poèmes, Régis Lefort analyse
en quoi l’énonciation spécifique de chacun d’entre eux permet de les qualifier
d’œuvres écopoétiques. À la suite de Jean-Pierre Siméon qui pose la question
de la poésie comme moyen de sauver le monde, il met en évidence que le lan-
gage de l’arbre, au travers de la formulette « L’arbre a dit », permet d’entrer
dans un discours écopoétique. C’est un autre chant de l’arbre que propose Carl
Norac dans Poèmes pour y aller. Et les recueils d’Alain Serres, Les coquelicots
savent-ils qu’ils sont fragiles ? et d’Abbas Kiarostami, Quelques gouttes de
pluie sur la terre, sont analysés de façon à mettre en évidence l’approche
singulière qui les fait inscrire dans l’écopoétique.
Chaque fois, toucher juste par un moyen détourné : l’écopoétique
semble pouvoir se définir selon une multitude de langages spécifiques, cha-
cun ayant pour but de toucher le cœur de l’homme afin de développer sa
conscience écologique.
4 Le multivers est un ensemble fini ou infini d’univers, parmi lesquels figure l’Univers jusque-là observé (le
multivers est une hypothèse scientifique issue de la physique quantique).
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Ecopoétique
DES ALBUMS JEUNESSE POUR AIDER
LA PLANÈTE ?
Pistes pour une lecture écocritique
Chiara RAMERO
5 Les Nouvelles mesures pour l’éducation à l’environnement, Ministère de L’Éducation Nationale et de la Culture.
Direction de l’information et de la communication, 14 janvier 1993. Pour cette citation et les deux suivantes.
6 Voir par exemple la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021 qui renforce l’EDD comme éducation transver-
sale à travers les programmes de toutes les disciplines, de la première année de l’école maternelle à la terminale,
dans « Éducation au développement durable » ; https://eduscol.education.fr/1117/education-au-developpe-
ment-durable.
7 “Éducation au développement durable”, https://eduscol.education.fr/1117/education-au-developpement-durable.
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NVL juin 2023 – N° 236
transversale8» qui met en valeur les interactions qui existent entre l’environne-
ment, la société, l’économie, la politique et la culture.
Et la littérature, en particulier celle de jeunesse ? Quel est son rapport
à la nature ? Quelle place accorde-t-elle aujourd’hui à l’écologie et à l’environ-
nement ? Dans quelle mesure peut-elle stimuler ou éveiller chez l’enfant une
conscience écologique ? Contribue-t-elle à cette éducation à la nature et au
développement durable ?
Dans ces quelques pages, nous nous proposons d’évoquer des pistes
de lecture écopoétique à destination de la jeunesse. À partir d’un échantillon
d’albums issus de différentes littératures, nous allons essayer de mettre en
évidence la variété de la production littéraire autour de l’écologie.
8 Ibid.
9 « Jour de la Terre », https://www.earthday.org/.
10 « Vendredis pour le futur », https://fridaysforfuture.org/.
11 « Objectifs de développement durable », https://sdgs.un.org/goals.
12 « Publication du 6e rapport de synthèse du GIEC », https://www.ecologie.gouv.fr/publication-du-6e-rap-
port-synthese-du-giec.
13 Soares A. (2013), Comment parler d’écologie aux enfants, Le Baron perché.
9
Ecopoétique
fait traverser bois et forêts à ses personnages ; Hans Christian Andersen fait
virevolter sa Petite Sirène entre les vagues et les profondeurs de la mer, etc.
Cependant, la littérature de jeunesse, toujours attentive à la réalité
et à ses problèmes, ne pouvait pas rester passive face aux problèmes qui
intéressent la nature depuis des décennies. « L’engagement en faveur de la
préservation de la nature, menacée par le progrès scientifique et technolo-
gique aveugle et les comportements humains inconsidérés, ne saurait donc
rester étranger à la littérature de jeunesse, conformément à sa vocation éduca-
tive14 », comme l’affirment plusieurs chercheurs dont Angelo Nobile. De cadre
spatial privilégié, décor du récit, espace d’habitation, la nature se fait héroïne
ou co-héroïne. Dans un nombre de plus en plus croissant de livres de jeunesse,
elle devient personnage, un sujet à part entière à connaitre, à sauvegarder, à
protéger15. Cependant, de quelle nature parle-t-on ?
Nous nous concentrerons ici sur deux types d’œuvres de jeunesse :
celles qui souhaitent faire connaitre la planète et ses habitants pour favori-
ser une existence commune fondée sur le respect de l’autre, être animé ou
inanimé : celles qui illustrent, informent et aident l’enfant à protéger l’envi-
ronnement naturel. L’idée au cœur de ces dernières œuvres n’est pas forcé-
ment celle de présenter des modèles à suivre, mais de donner des pistes de
réflexion, de soulever des questionnements chez l’enfant et de le plonger dans
une sorte de laboratoire et de lieu d’exploration de tous les possibles.
14 Nobile A. (2022), « Dalla parte dell’écologia e degli animali. 75 anni di letteratura per bambini e ragazzi »,
Pagine Giovani, n. 182. Editoriale Anicia, p. 7. (trad. Ital.C Ramero)
15 Thiltges S. (2018). « L’écologie dans la littérature de jeunesse au Luxembourg : pour une écocritique comparée
intralittéraire », in Glesener J. E. (dir.), Lëtzebuerger Literaturen am Verglach, Les Cahiers luxembourgeois, n. 2, p. 98.
16 Terrusi M. (2015). «La nave verde: educazione naturale e letture per l’infanzia », LI.B.E.R. Libri per bambini
e ragazzi, vol. 106, p. 40.
17 Ibid., p. 40.
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ment mais plus au monde où les êtres humains vivent et à la manière dont ils
interagissent avec lui et avec les autres êtres vivants18. Ce qui compte, c’est la
possibilité donnée aux lecteurs de partager l’idée d’une citoyenneté commune
sur la planète Terre19.
Par exemple, Mouha20
nous plonge dans l’univers oni-
rique de Claude Ponti et accom-
pagne le lecteur à la découverte
du monde, des plantes, des ani-
maux, mais aussi des êtres non
vivants qui habitent la planète.
Après une existence passée sans
descendre de son monde, un
arbre majestueux et protecteur,
Mouha décide d’aller voir le sol
et ce qu’il y a sur terre : « Je suis
sûre qu’en bas de l’arbre mai-
son, sur le sol de par terre, où je
ne suis jamais allée, il y a plein de choses inconnues que je n’ai jamais vues,
des animaux et des personnes inconnues, belles et intéressantes, plein d’occa-
sions belles et intéressantes, plein de plantes belles et intéressantes, plein de
bruits, de couleurs, d’odeurs, d’aventures belles et intéressantes21 », affirme-
t-elle, pleine de curiosité. Et, page après page, elle expérimente tellement de
découvertes, de rencontres et des surprises qu’elle craint même ne pas pou-
voir se souvenir de tout. Tout est important, car « Ce qui est important, c’est
que tu es importante22 » lui rappelle Blaise, le poussin. D’observatrice passive,
Mouha se fait protagoniste de ses actions et les rencontres et les découvertes
font partie intégrante de sa nouvelle vie, comme de celle des enfants qui com-
prennent avec elle que nous sommes tous part d’un même univers.
DE LA FLORE…
La présence de l’arbre n’est pas une rareté dans les albums de jeu-
nesse. Dans Mouha, l’arbre représente la maison de la jeune héroïne. Dans
Gustave est un arbre de Claire Babin, illustré par Olivier Tallec23, il incarne un
rêve. Le petit Gustave s’endort dans la cour de l’école et rêve d’être un arbre.
Le vent souffle dans ses feuilles et le berce, il peut entendre les chouettes hu-
luler autour de lui, voir les chauves-souris virevolter pas loin de ses branches,
18 Mascia T. (2022). «L’ecologia nella letteratura non fiction per l’infanzia », Pagine Giovani, p. 28.
19 Terrusi M., op. cit., p. 42.
20 Ponti C. (2016), Mouha, L’école des loisirs.
21 Ibid., p. 7.
22 Ibid., p. 13.
23 B. Claire et Tallec O. (2004), Gustave est un arbre, Paris, A. Biro jeunesse.
11
Ecopoétique
sentir les pattes des écureuils sur son écorce, écouter le son de la pluie.
L’enfant lecteur découvre avec Gustave la forêt et ses habitants, et, à la fin
du livre, peut approfondir sa connaissance du vocabulaire de la forêt grâce
à un petit glossaire. Pour le protagoniste de L’arbre lecteur de Didier Lévy et
Tiziana Romanin24, ce drôle d’arbre dans le jardin en face de sa chambre est le
destinataire de ses curiosités.
Un arbre qui aime la lecture et
vole ses livres ? Pourquoi pas ?
Alors pourquoi ne pas le trans-
former en papier après sa mort
et fabriquer un livre? Une belle
histoire sur le recyclage qui se
veut « un enseignement du
cycle de la nature et des saisons
où chaque chose est éphémère,
mais réutilisée, recyclée dura-
blement25 ».
À la différence des albums évoqués jusqu’ici, dans Mama Miti, la
mère des arbres, écrit et illustré par Claire A. Nivola26, les arbres expriment
l’espoir d’une communauté. Cet album raconte l’histoire de Wangari Maathai,
biologiste, militante écologiste et première femme africaine à obtenir le prix
Nobel de la paix en 2004 pour sa contribution en faveur du développement
durable. Rentrée au Kenya après quelques années passées en Amérique,
Wangari Maathai ne reconnait plus son beau pays : « Presque tous les arbres
avaient été coupés pour faire place aux cultures, et les femmes et les enfants
devaient aller chercher du bois pour
le feu de plus en plus loin. […] Sans
arbres, il n’y avait plus d’ombre ni de
racines pour fixer la terre et empê-
cher l’érosion. Le sol se desséchait
et se transformait en poussière qui
s’envolait au vent du diable. La pluie
lessivait la terre, qui souillait les ri-
vières autrefois limpides27 ». L’arbre
ne représente plus seulement un lieu
protecteur, mais un élément à proté-
ger, et l’action de Wangari Maathai
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NVL juin 2023 – N° 236
en faveur de la protection de l’environnement est exemplaire. La préservation
de la nature, ici des arbres, est au cœur du récit et amène l’enfant à réfléchir
sur l’importance de la coopération. « - Quand la terre est nue, explique Wan-
gari, elle se retrouve sans défense et appelle au secours. Elle demande qu’on
la rhabille. C’est sa nature. Il lui faut de la couleur, il lui faut ses habits de
verdure! ». Dans cet album, la fiction rencontre la non-fiction, tandis que dans
d’autres œuvres, cette conjonction se réalise en recourant à des personnages
fictifs, inventés pour véhiculer des informations, et qui sont en mesure, eux
aussi, d’impliquer émotionnellement le lecteur28.
La préservation de la flore, en particulier des arbres, est au centre de
plusieurs albums. Dans La Chanson de l’arbre de Coralie Bickford-Smith29,
l’enfant lecteur vit un voyage poétique et esthétique à la découverte de cet élé-
ment de la nature, en suivant les aventures d’un petit oiseau : « Je connais cet
arbre, ses racines et ses feuilles. J’aime cet arbre, sa paix et son calme. J’adore
cet arbre et ses bras rassurants30 ». Et l’album se termine par une promesse :
« Quand les pluies tombent à verse, tout un peuple s’abrite sous tes branches.
Il fait bruisser tes feuilles, il caresse ton écorce et te berce le soir. Quand je ne
serai plus là, c’est lui qui protégera ». Ce livre illustre de manière extraordinaire
les relations entre les différents êtres et permet à l’enfant de s’interroger sur sa
relation à la nature. « Identifier les liens et l’interdépendance entre la nature
et l’homme pour reconstruire un sens de la communauté qui inclut toutes les
créatures vivantes parce que nous faisons partie du monde naturel31 » est l’un
des principes que les livres de jeunesse cherchent à transmettre aux enfants.
… À LA FAUNE
La littérature de jeunesse souhaite ouvrir les enfants à la variété et à
l’altérité. Non seulement la flore est au cœur de nombreux albums, mais éga-
lement la faune. Une littérature engagée en défense des animaux commence
à voir le jour dans les années 2000 et les albums dont le héros est un animal
en péril qui demande l’aide des enfants pour sa survie sont de plus en plus
nombreux. En France, Anne Simon parle de l’émergence d’un courant zoopoé-
tique32, qui fait écho aux animal studies développées quelques décennies plus
tôt dans les pays anglophones et dont l’objectif est l’étude des relations entre
l’animal et l’homme33.
Plusieurs albums développent leur récit autour de ce rapport, sou-
vent inattendu et surprenant entre les mondes animal et humain. Dans Je suis
13
Ecopoétique
la méduse, de Béatrice Fontanel avec des
illustrations d’Alexandra Huard34, le lecteur
découvre la nature et l’existence de ce fasci-
nant être marin, à travers un récit à la première
personne où c’est une méduse qui dévoile
son quotidien : « Je vogue, je flotte, m’évase
et dérive, évitant de m’envaser. Je ricoche et
j’effiloche mes froufrous au fil des flots. […] Je
gonfle ma cloche, puis la rétracte. C’est ainsi
que se meuvent les méduses35 », jusqu’au
jour où elle « pique » une fillette sans le faire
exprès. « Mais je ne peux pas m’en empêcher.
Je ne suis qu’une méduse rose, une guimauve
marine, marshmallow des mers, champignon
de gélatine ». Conséquence : on l’attrape avec
un filet, on la jette sur le sable, elle devient le spectacle de la plage ; mais une
leçon sur le respect de tous les êtres vivants est donnée par la fillette qui la
remet dans l’eau. Malgré le bonheur retrouvé, l’animal s’éloigne d’une réalité
jusque-là inconnue : « J’ai enlacé des choses que j’ai prises pour des amies
mais qui n’en étaient pas. J’ai failli m’étouffer avec un sac plastique mauve que
j’ai confondu avec une de mes sœurs, la Pelagia noctiluca, et j’ai étreint affec-
tueusement une grande bouteille orange… avant de la laisser tomber au fond
de l’océan ». Avec la méduse, l’enfant découvre la réalité des profondeurs des
mers et apprend des notions de culture écologique36. Avec Le Loup qui aimait
les arbres d’Orianne Lallemand, et illustré par Éléonore Thuillier37, le lecteur
découvre le thème de la déforestation. « Où sont passés les arbres ? »38, se
questionne le Loup. « … non pas un, mais vingt trous dans la terre ! Et tout
autour, des branches cassées, des feuilles écrasées… Les arbres avaient été
arrachés, la forêt massacrée ». Triste et en colère, il part à la recherche des
coupables et, grâce à l’aide de ses amis de la forêt, arrive à faire face au grand
méchant. Cet album se développe autour du respect envers toutes les espèces
et, encore une fois, met en valeur la relation entre les êtres.
14
NVL juin 2023 – N° 236
pas su le faire39 » affirment Nathalie Prince et Sébastian Thiltges. Les enfants,
adultes de demain, ont une responsabilité énorme vis-à-vis de la planète. Ce
que les adultes n’ont pas su faire, c’est à eux de s’en charger. Tomi Ungerer
disait vouloir donner aux enfants les moyens pour provoquer les adultes40. Ici,
il s’agit non seulement de provocation mais de connaissance aussi. Les livres
doivent donner aux enfants les moyens nécessaires pour qu’ils ne répètent
pas les erreurs des adultes. L’idée est d’éveiller et de stimuler en eux une
conscience écologique dès le plus jeune âge, de leur faire connaitre les élé-
ments de la nature et les possibilités de les protéger afin qu’ils deviennent des
citoyens responsables.
Planète, mon amour de Sylvie Girardet avec les illustrations de Puig
Rosado41 essaie de leur donner des
réponses à travers cinq fables ayant
comme protagonistes des animaux inté-
ressés par des problèmes comme la dé-
forestation, le réchauffement climatique,
la disparition de certaines espèces ani-
males, la pollution, etc. Ou encore, dans
Chaude la planète, de Sandrine Dumas
Roy et Emmanuelle Houssais42, les ani-
maux essaient ensemble de trouver l’ori-
gine du réchauffement climatique pour
chercher ensuite une solution pour limi-
ter les émissions de gaz : « La planète se
réchauffe… Et qui en est la cause ? Les
vaches ! In-cro-yable… mais vrai !43 ».
Les albums n’oublient pas non
plus les thèmes du recyclage et du tri et ils
sont nombreux à en parler et à prévenir les
enfants des conséquences néfastes de l’aug-
mentation incontrôlée des déchets. Voyage
à poubelle plage d’Élisabeth Brami44 en est
un exemple, car « À Poubelle-Plage quand les
vagues font rage elles ramènent sur le rivage
des tacs de trucs qui nagent mais pas de co-
15
Ecopoétique
quillage. Dommage !45 ». Une apostrophe finale lance un message fondamen-
tal : « Alors vous, enfants de tous âges, comprenez-vous bien ce message ?
Êtes-vous prêts pour le sauvetage de Poubelle-Plage ? Qui s’engage ? ».
Comme évoqué par Jack Lang, « Nos enfants, qui hériteront demain du
patrimoine d’environnement que nous leur lèguerons, doivent en apprendre
la valeur très tôt. Ils seront aussi un vecteur important de sensibilisation des
adultes à l’environnement46 ». Les albums de jeunesse contribuent largement
à cette mission et aident les enfants à appréhender le monde contemporain
dans toute sa complexité, à travers une expérience à la fois littéraire et esthé-
tique.
Les grandes questions sociales qui intéressent notre planète, des
problèmes liés au climat à la pandémie récente, etc., ont révélé la nécessité
d’une prise de conscience collective47 ; « il ne s’agit plus seulement d’instruire
l’enfant, mais de l’éduquer à éduquer48 ».
Les albums encouragent les jeunes lecteurs à mieux connaitre l’uni-
vers dans lequel ils vivent et les êtres vivants avec lesquels ils cohabitent sur
la planète et à s’engager dans un processus de changement49 avant qu’il soit
trop tard.
16
NVL juin 2023 – N° 236
La Terre s’est enrhumée50, elle
est désormais malade, grippée, mais il
faut la soigner car, quand Nous aurons
mangé la planète51 et tout détruit, gas-
pillé, anéanti, « il ne nous restera que
de l’or, mais l’or ne se respire pas ».
17
Ecopoétique
QUELLES INTERPRÉTATIONS DE L’ÉCOLO-
GIE À TRAVERS L’ÉCOMOTIF NARRATIF ET
LA COLORATION GRAPHIQUE DANS L’IL-
LUSTRATION JEUNESSE ?
Camille LANDREAU
18
NVL juin 2023 – N° 236
génération et celles à venir nous donnent l’obligation morale, éthique et affec-
tive d’en prendre soin52. »
Qu’évoque l’écologie ? Dans un premier temps, j’ai noté tous les mots
qui me venaient à l’esprit puis effectué des recherches lexicales étendues. Il
en ressort un vocabulaire riche et complexe que j’ai agencé sous la forme d’un
nuage de mots. Ceux-ci abordent plusieurs visions de l’écologie et ses enjeux
d’un point de vue négatif (déforestation, peur, pollution, déchet, survie…) et
positif (préservation, engage-
ment, biodiversité, écosystème,
prise de conscience…). Ce travail
m’aide à établir de nouvelles
connexions de pensées pour mes
différents visuels telles que les
planches d’ambiance.
52 RABHI Pierre, in DION Cyril, RABHI Pierre (dir.), Demain entre tes mains, Actes Sud Jeunesse 2017.
19
Ecopoétique
Ma thèse soutenue en mars 2023 s’intitule : Po(ï)étique de la colora-
tion : de la récolte en design à l’expérience créatrice du motif en illustration.
La réflexion porte sur l’invention, la conception de méthodologies propres à
la création de l’illustration, tout en s’appropriant, transférant et élargissant le
projet en design sous le prisme d’autres domaines de références tels que les
arts plastiques et la mode. Cette thèse opère dans la fabrique, pour la fabrica-
tion et dans l’objectif de fabriquer un conte illustré en, par et pour la couleur.
Dans mon travail de chercheuse designeuse illustratrice coloriste, le question-
nement sur les modèles de pensées, l’exploration en atelier-laboratoire de mo-
dèles chromatiques et l’instauration de nouveaux schèmes plastiques rendent
possible la création d’espaces où se croisent et se construisent les réflexions
et la pratique, des modélisations pour l’image dans les terrains de l’illustration
et de l’album jeunesse. Je défends une écriture graphique, textile, chromatique
et un design du dessein-dessin dans une mise en système de réécriture d’un
texte. En quoi la pensée couleur-motif peut-elle « desseigner », dessiner et
« designer » une narratologie visuelle et chromatique dans l’illustration ? Il
s’agit de mettre à l’épreuve la couleur dans l’illustration ; la coloration comme
intention, expérience et narration dans le motif de l’illustration c’est-à-dire
comme modalité de lecture et comme poïétique du projet (on entend par poïé-
tique, le processus instaurateur reflétant l’élaboration de l’œuvre et le rap-
port à son auteur ; la notion du « en train de se faire » où l’action est tout
aussi importante que la chose faite) ; l’expérimentation chromatique comme
pratique du dessin ; les couleurs comme textes. Pour ce faire, j’analyse des
images, j’expérimente des couleurs, je les classe à travers des cartographies
lexicales, chromatiques et sensorielles, je conçois des planches d’ambiance,
un répertoire de motifs narratifs, des créations illustrées et/ou textiles et un
lexique chromatique de l’album jeunesse.
Entre recherche-création, création-recherche et action de média-
tion ou de valorisation de la pratique de création, l’analyse part du général
(des autres) vers le particulier (ma pratique), et s’articule autour du détail de
l’image (pratique plastique), de l’ensemble sériel et illustré (pratique profes-
sionnelle).
20
NVL juin 2023 – N° 236
citer des sentiments53. » L’album jeunesse fait découvrir aux lecteurs le pou-
voir des mots et des images. Lorsqu’elle rencontre un texte, l’image apporte
de nombreux éléments esthétiques par son cadrage, sa forme, ses motifs, ses
couleurs. Elle constitue ainsi un outil d’aide à la lecture et un imaginaire en-soi.
« [...] dans sa force originelle, l’image ne se borne pas à informer les yeux et
l’intelligence : elle touche la sensibilité et l’imagination. Fille du mouvement,
elle incite au mouvement et à l’action, fille de l’observation, elle incite à l’ob-
servation et à la réflexion : elle stimule la pensée. Il faut donc s’ingénier à
employer l’image dans la plénitude de ses pouvoirs et à tirer les plus grands
avantages possibles de ses relations avec les mots. »54
L’album suscite aussi la curiosité et l’interprétation. C'est en cela qu'il
est formateur et porteur de messages. Les œuvres littéraires pour les enfants
touchent un public qui évolue avec elles, s’en nourrit et comprend le monde
qui l’entoure tout en créant son imaginaire.
53 Entrée « Image » rédigée par SOURIAU Anne (dir.) d’après des notes et écrits laissés par SOURIAU Étienne,
Vocabulaire d’esthétique, Presses Universitaires de France, 3ème édition, 2010, p. 902.
54 FAUCHER Paul, « Comment adapter la littérature enfantine aux besoins des enfants à partir des premières
lectures », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1958, n° 5, pp. 345-352, accessible en ligne, https://bbf.
enssib.fr/consulter/bbf-1958-05-0345-002
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Ecopoétique
Les productions de l’illustrateur, qu’elles soient ludiques, poé-
tiques, réalistes ou oniriques, tendent vers une transmission et un éveil pour
l’enfant. Par la création de signes et symboles visuels (de l’ordre de l’image
ou du texte), l’illustrateur fait passer à son lectorat des histoires, des émo-
tions, il donne du sens. L’album permet à l’enfant de s’ouvrir à la diversité
des pratiques et d’acquérir une éducation artistique et culturelle. « On sait
combien, dans un livre, on retient mieux certaines phrases quand c’est écrit
sous une image ».55
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NVL juin 2023 – N° 236
logie par une revisite graphique et chromatique.
Sur les couvertures d’albums autour de l’écologie, de nombreux
styles et univers d’illustrateurs se côtoient. Par leurs caractères hybrides et
narratifs, les images évoluent sous des formes plurielles. L’image avec un style
graphique et une composition attentive au motif et à la couleur apporte une
atmosphère singulière. Il n’y a pas de véritables frontières établies, le territoire
de l’album jeunesse s’aventure dans un espace de liberté artistique et, par des
regards croisés, offre des perspectives créatives :
« Dans le livre, l’image illustre une scène du récit dans un espace
limité à la page, tandis qu’elle se libère dans l’album, envahissant
le texte et le concurrençant dans ses fonctions narratives et didac-
tiques. Elle ne se contente plus d’illustrer, elle complète, précise,
explique, ou apporte un contrepoint ».56
Guidé par l’adulte, l’enfant réfléchit, argumente et essaie de répondre
aux problèmes environnementaux rencontrés. Ainsi sa conscience du dévelop-
pement durable et de l’écologie est sollicitée. L’objectif étant que cet éco-ci-
toyen en devenir apprenne à respecter la nature, à préserver les ressources et
à vivre en harmonie avec les autres espèces animales. Ci-après, j’ai conçu un
nuage de mots avec les termes extraits de mon corpus d’albums de jeunesse
Le vocabulaire employé stimule la
curiosité de l’enfant.
56 BNF Classes, L’album : emblèmes de l’évolution du livre pour enfants, BNF, accessible en ligne, https://
multimedia-ext.bnf.fr/pdf/albums.pdf
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Ecopoétique
vers de thématiques telles que la forêt, la ville, les fonds-marins et la jungle ?
Des zooms dans les illustrations permettent de cibler le motif gra-
phique qui m’intéresse. Sont associés des visuels de référence à un champ
lexical reflétant la sensation éprouvée au regard du motif et des couleurs. Le
motif passe nécessairement pour son identification au plan narratif par un
exercice de langage. L’approche lexicale et narrative est utilisée afin de classer
des domaines de couleurs (lien entre coloration et sensation visuelle).
C. Landreau, Cartographie de zooms de motifs illustrés de forêt issus d’albums jeunesse (2022).
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NVL juin 2023 – N° 236
C.Landreau, Cartographie de zooms de motifs illustrés de la ville issus d’albums jeunesse (2022).
C.Landreau, Cartographie de motifs illustrés des fonds marins d’albums jeunesse (2022).
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Ecopoétique
Pour le motif des fonds marins, on retrouve la question de la gestion
des déchets. Dans Rascasse, le vieux marin de Frédéric Cartier-Lange et Elsa
Huet (2012) la typographie symbolise chaque objet jeté à la mer puis récupéré
dans les filets du pêcheur. Les formes s’entrelacent dans un mouvement per-
pétuel créant un tourbillon de mots texturés et colorés. L’espace de la planche
est envahi amplifiant la narration autour de l’accumulation des déchets.
C.Landreau, Cartographie de zooms de motifs illustrés de la jungle issus d’albums jeunesse (2022)
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NVL juin 2023 – N° 236
laquelle il s’isole. À travers l’étude de l’environnement, je désire modéliser la
démarche de pensée (interprétation) et d’invention (illustration) qui s’opère
dans la création d’un paysage graphique et plastique (coloration).
La création de planche d’ambiance me permet d’apporter une vision
poétique et de rendre palpable un ressenti et une émotion. J’ai mis en image
le thème de la forêt par des textures, des détails, des effets et des couleurs.
La forêt possède une dualité chromatique. Elle est tour à tour sombre, hostile
et inquiétante puis merveilleuse, accueillante et rassurante. Il en découle un
univers particulier, des tonalités sombres ou colorées qui nous interpellent et
font ressortir l’intensité de l’atmosphère de la forêt. Cette étude permet d’affi-
ner mes perceptions chromatiques et le style en devenir de l’illustration.
57 PASTOUREAU Michel, Vert, Histoire d’une couleur, Points 2017, Coll. Histoire.
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Ecopoétique
motifs répertoriés s’apparente à un vocabulaire.
Dessin et broderie dialoguent et s’enrichissent pour donner naissance
à un projet plastique. À travers ces expérimentations poétiques, texturales et
paysagères, il s’agit de percevoir les multiples interprétations du motif grâce
au passage du dessin, le trait illustré, à une expérimentation textile, le fil bro-
dé. Le graphisme, papier et textile, prend couleur, la coloration verte envahit
progressivement le médium associé (papier ou tissu) pour révéler ses palettes.
Chaque perception d’une couleur et d’une matière fait naitre un imaginaire.
Ce passage évolutif met en évidence une matérialité graphique, plastique et
chromatique de la forêt.
C. Landreau, Du dessin motif à l’expérimentation textile : coloration du vert autour de la Forêt (Motifs, Nuancier,
Carnet de recherches, Créations graphiques et textiles (broderie, punch needle, couture), Composition Paysage
poétique d’Hansel et Gretel)) (2019, 2020, 2022)
Lors d’ateliers artistiques en classe primaire de CP/CE1, les enfants ont appro-
ché avec l’enseignant un comportement écologique responsable vis-à-vis de
l’environnement. Cela s’est traduit par une observation dans la nature, chacun
exprimant ses sensations : des fiches pédagogiques sur l’arbre, la forêt, la
faune et la flore ont été conçues pour explorer la diversité du site. Puis j’ai
utilisé la pratique artistique pour aborder avec les enfants la représentation de
la forêt dans le conte d’Hansel et Gretel. Chaque enfant a sa propre percep-
tion de la forêt et de l’ambiance qui s’en dégage. Les uns la composent avec
de nombreux troncs serrés, d’autres accentuent les feuillages touffus. Dans
une recherche intuitive, l’enfant construit au fur et à mesure sa planche par
touches de peinture et associations de couleurs, d’où une pluralité des inter-
prétations à partir d’une même consigne.
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C.Landreau, avec les 12 élèves de CP/CE1 de l'École de Courbessac, Atelier Peinture, Hansel et Gretel perdus dans la forêt (2018).
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Ecopoétique
ET C’EST QUOI LA SAGESSE, GRAND
PÈRE ?, CONTE
Claudine C. STUPAR
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L’ANIMAL AU CŒUR DE L’HOMME :
DE LA PLACE DU NON-HUMAIN
DANS LES TEXTES DU MULTIVERS DE
PHILIP PULLMAN
Sibylle DOUCET
Dans un article intitulé « The Critics, the Monsters, and the Fanta-
sists », Ursula K. Le Guin écrit que « ce que la fantasy
fait souvent, c’est inclure le non-anthropocentrique
et le rendre essentiel. »58 De cela, les textes du Multi-
vers59 de Philip Pullman sont un exemple frappant.
Comme bon nombre d’œuvres de littérature pour la
jeunesse, la trilogie À la croisée des mondes, mais
également les quatre nouvelles et la seconde trilo-
gie60 qui l’accompagnent, donnent la part belle aux
animaux, réels et imaginaires. Les personnages non-
humains fourmillent dans les mondes parallèles qui
se déploient au long des romans et des nouvelles.
Et personnages ils sont bel et bien, puisque certains
sont étoffés avec autant de soin et de détails que
nombre de protagonistes humains. Cette façon de leur donner corps (et âmes
et esprits) opère une forme de rééquilibrage des forces entre non-humain et
humain, ne serait-ce que parce qu’elle accorde à l’un presque autant d’espace
textuel qu’à l’autre. Le principe même du multivers permet à l’auteur de pro-
58 Le Guin, p. 87.
59 NDLR : Le multivers, univers parallèles ou réalité alternative, est devenu un thème-clé en science-fiction.
Le terme de multivers est utilisé par les scientifiques pour décrire l’idée selon laquelle, au-delà de l’Univers
observable, d’autres univers pourraient également exister. Des théories scientifiques prédisent les multivers
sous l’angle de différents scénarios possibles, allant de régions de l’espace situées dans d’autres plans de notre
Univers, à des univers-bulles indépendants du nôtre et qui naissent en permanence. Ces théories ont un point
commun : elles suggèrent que l’espace et le temps que nous connaissons ne sont pas la seule et unique réalité.
60 NDLR :En 2017 commence à paraitre en français la Trilogie de la Poussière avec La Belle Sauvage, 1 et La
Communauté des esprits, 2 en 2020.
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Ecopoétique
poser de multiples formes de vie différentes, et de les faire coexister avec la
réalité de ses jeunes lecteurs. Ceux-ci sont ainsi invités à réfléchir aux ques-
tions soulevées par cette réintégration du non-anthropocentrique au cœur de
l’intrigue, et du multivers.
L’article qui suit vise à explorer la façon dont Pullman met en scène
le lien entre humain et non-humain dans sa diégèse, de manière à question-
ner le rapport de l’Homme à la Nature dans le monde réel, et dans l’esprit de
son jeune lectorat. Il s’agira d’abord d’étudier l’inclusion et la présentation
d’alternatives non-anthropocentriques dans la trilogie, avant de se tourner
vers l’analyse de la figure essentielle du dæmon, véritable animal au cœur de
l’Homme, autour duquel s’articule un propos écocritique présent en filigrane
tout au long de l’œuvre.
61 Elgin, p. 269 : « literature, and particularly the fantasy novel, offers humanity a way to reintegrate itself into
the natural world and, in so doing, invites a new relationship between itself, its fellow creatures ».
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distinct des humains, mais doté de ses propres caractéristiques, us et cou-
tumes. Ils vivent sur la banquise, majoritairement en solitaires, mais obéissent
à des codes sociaux stricts : Iorek, héritier légitime du trône de Svalbard, s’est
vu exilé pour avoir agi de manière déshonorante. En atteignant l’âge adulte,
chaque ours fabrique sa propre armure, qui devient dès lors une part essen-
tielle de son identité. Cette identité propre est soulignée par contraste avec la
nature humaine, dont Lyra explique qu’elle est fondamentalement différente.
Elle confie à la sorcière Serafina Pekkala que même si parfois, « on pense qu’ils
sont comme une personne, ils font soudain quelque chose de si étrange et de
si féroce qu’on se dit qu’on ne les comprendra jamais. »62
62 Les Royaumes du Nord [Northern Lights], p. 314 : « [y]ou think they’re like a person, and then suddenly they
do something so strange or ferocious you think you’ll never understand them. ».
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Ecopoétique
des puissances humaines, l’usurpateur Iofur Rak-
nison s’est fait construire un palais en pierre plu-
tôt qu’en neige ; il s’est mis à porter une armure
ornée de plumes et dorée à la feuille, lançant une
mode à la cour. Dans les deux cas, les effets sont
désastreux : le palais, aussi grandiose qu’il soit,
est couvert d’excréments d’oiseaux, et rempli de
déchets de toutes sortes, que n’accumule norma-
lement pas la vie nomade des ours sur la banquise.
Quant aux armures rutilantes du nouveau roi et
de sa cour, elles sont plus décoratives que résis-
tantes. Ils s’en trouvent donc littéralement affaiblis
au combat – sans compter que leurs âmes, aupa-
ravant aussi fortes que leur volonté, sont mainte-
nant superficiellement belles mais incapables de résister au moindre coup.
Autrement dit, l’acculturation des Panserbjörne à l’humanité leur retire ce qui
fait leur identité, et les met dans une position de faiblesse. Le premier ordre
de Iorek Byrnison, une fois remonté sur le trône, est d’ailleurs de détruire le
palais de pierre pour revenir à la vie nomade naturelle des ours. Ils servent
ainsi d’exemple à l’effet délétère de la réduction d’un monde complexe à sa
seule interprétation anthropocentrique.
63 Suvin, p. 49.
64 Canavan, p. 18 : « our culture’s vast, shared, polyvocal archive of the possible. ».
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Mulefa, photogramme de la série His Dark Materials,
Bad Wolf et New Line Productions, saison 3, épisode 5, 2022.
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Ecopoétique
jours se meurent malgré leurs soins. La scientifique finit par découvrir que
c’est, là aussi, une conséquence des agissements des humains dans d’autres
mondes.
Ainsi, même une fois la différence et l’autonomie des espèces non-hu-
maines affirmées, la question de l’impact des sociétés humaines sur les autres
espèces reste entière. La solution ne se trouve donc pas dans la dissociation
de l’humain et du non-humain, mais dans l’affirmation d’un lien essentiel entre
eux, sans rapport hiérarchique, où l’existence de chacun doit être prise en
compte.
65 Hines, p. 42.
66 Kleczkowska, p. 130.
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NVL juin 2023 – N° 236
une forme animale, rappelle la parenté étymologique des mots « animal » et
« âme ». Comme l’explique Valérie Chansigaud, « [l]e mot animal vient du latin
animalis, -is qui désigne un être vivant mobile, et qui dérive d’anima, souffle
ou air, un mot souvent traduit par âme. »67 En d’autres termes, rien que des
points de vue étymologique et sémantique, les dæmons de À la croisée des
mondes postulent que l’âme humaine (marqueur traditionnel de la nature de
l’Homme) serait justement sa part animale. Ce qui donne vie et conscience à
l’Homme, c’est cette âme-animale au fond de lui. Ainsi, il ne peut se séparer de
l’animal sans en subir des conséquences terribles.
Au niveau diégétique, ces conséquences sont incarnées par les vic-
times, nombreuses, de séparations forcées. Certaines meurent, purement et
simplement (comme Roger et le Père McPhail) ; d’autres, comme le jeune Tony
Makarios, deviennent des « créatures hideusement mutilées »68. D’autres
encore, comme l’infirmière de Lyra et son dæmon, à Bolvangar, se retrouvent
dépourvues « pas seulement d’imagination, mais de curiosité aussi », « l’air
terre-à-terre, efficace et inexpressif ; l’air capable de suturer une plaie ou de
changer un pansement, mais pas de raconter une histoire. »69 Les humains,
privés de leur dæmon, sont privés de leur conscience et de leur imagination :
ils peuvent fonctionner, mais ne sont plus animés par leur âme-animale.
Celle-ci, si elle existe toujours, est reléguée à une place subalterne.
Mrs Coulter, la responsable des opérations d’intercision (le terme officiel de
la séparation de l’humain et de son dæmon) à la station Bolvangar, l’explique
à Lyra. Elle lui dit qu’après l’opération son « dæmon reste avec [elle], simple-
ment... il n’est plus connecté. Comme un... comme un merveilleux animal de
compagnie. Le meilleur animal de compagnie du monde ! »70 Autrement dit, la
partie animale est détachée, passant d’un rôle crucial au fonctionnement de
l’humain à un simple rôle d’accompagnement, obéissant et superflu.
Il est important de noter que la démarche est volontaire de la part de
Mrs Coulter et du Magisterium, pour qui elle travaille. Le but de l’intercision est
précisément de couper court à l’influence des dæmons, qui « apportent tout
un tas de pensées et de sentiments troublants »71 que l’idéologie chrétienne
extrémiste du Magisterium condamne. La station Bolvangar est un centre d’ex-
périmentation scientifique où des ingénieurs travaillent à rendre systématique
l’extraction de l’âme-animale des humains, en commençant par les enfants.
La hiérarchisation des espèces et la relégation de l’animal sont donc l’abou-
37
Ecopoétique
tissement d’une idéologie mise en œuvre par des institutions – les mêmes qui
cherchent à changer les coutumes des Panserbjörne dans Les Royaumes du
Nord, et qui attaquent les mulefa dans Le Miroir d’ambre. Le parallèle avec la
destruction des milieux naturels du monde réel et de leurs populations par les
pratiques colonialistes et ultra-capitalistes n’est pas difficile à faire. Le fait que,
dans la diégèse, l’institution responsable de ces exactions soit culturellement
très ancrée dans la Grande-Bretagne et l’Europe de l’Ouest contemporaines,
souligne la responsabilité de celles-ci dans la situation écologique réelle.
En cela, le lectorat cible de la trilogie est important : faire prendre
conscience aux enfants de l’importance fondamentale du non-humain permet,
en quelque sorte, de contrebalancer le processus d’intercision idéologique
dénoncé par le texte. La réaction de Lyra à la perspective que « son âme ado-
rée, le fier compagnon de son cœur, [soit] extrait d’elle et réduit à un simple
animal de compagnie obéissant » est viscérale : elle « bouillonn[e] presque de
haine. »72 À la suite de cela, elle se révolte contre ces pratiques contre-nature
et mène, inconsciemment, la révolution de l’idéologie de tout le multivers. Le
lecteur, qui s’identifie à elle, est encouragé à suivre le même chemin, et à voir
le reste de l’intrigue et son propre monde à travers cette lentille.
En effet, étant donné que le monde de Lyra est le premier à apparaitre
dans la trilogie, le lecteur et la majorité des focalisateurs ultérieurs perçoivent
les mondes parallèles par le prisme de l’existence des dæmons. Tout être vi-
vant (notamment humain) capable de penser par lui-même est vu comme ayant
un dæmon, même s’il n’est pas visible. Par exemple, lorsque Lyra rencontre
Will et Mary (et explore la version diégétique du monde réel), elle est d’abord
effrayée, mais conclut rapidement que leurs dæmons sont à l’intérieur. Ainsi,
dans les textes du Multivers, tout le monde a un dæmon, qu’il soit visible ou
pas. Tous les humains possèdent une âme-animale, qui les rend conscients et
vivants, et qu’ils doivent protéger.
Cela est confirmé par la sorcière Serafina Pekkala, qui enseigne
à Mary comment voir les dæmons des gens, même s’ils sont internes : tout
comme le rejet des animaux doit être inculqué dès le plus jeune âge, donc la
clairvoyance sur le sujet peut l’être également. C’est le rôle que semble tenir
la trilogie elle-même : rendre l’importance du non-humain visible aux yeux
des enfants lecteurs ou leur enseigner à le voir par eux-mêmes. Chacun peut
prendre conscience du rôle et de la place essentiels de l’animal, et ainsi contri-
buer à changer le rapport de force.
72 Les Royaumes du Nord [Northern Lights], p. 283 : « dæmons bring all sorts of troublesome thoughts and
feelings »
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NVL juin 2023 – N° 236
concrète. Le cadre générique de l’œuvre, qui mêle fantasy et science-fiction,
permet à l’auteur de proposer des alternatives aux sociétés et aux perspec-
tives anthropocentriques du monde réel. La critique écologique et politique
sous-jacente à l’œuvre se cristallise autour de la puissante métaphore du
dæmon. Celle-ci démontre l’absolue nécessité de reconnaitre et de préserver
le lien entre l’humain et l’animal, entre l’Homme et la Nature, dont la rupture
condamnerait irrémédiablement l’un comme l’autre.
Bibliographie :
Gerry CANAVAN, “Introduction: If This Goes On,” Green Planets: Ecology and
Science Fiction, edited by Gerry Canavan and K. Stanley Robinson, Wesleyan
University Press, 2014.
Valérie CHANSIGAUD, « ANIMAL », Encyclopædia Universalis [en ligne],
consulté le 14 mai 2023. URL: https://www.universalis.fr/encyclopedie/ani-
mal/
Don D. ELGIN, “Literary Fantasy and Ecological Comedy,” Fantastic Literature
– A Critical Reader, edited by David Sandner, Wesport, 2004.
Maud HINES, “Second Nature: Daemons and Ideology in The Golden Com-
pass,” His Dark Materials Illuminated: Critical Essays on Philip Pullman’s
Trilogy (Landscapes of Childhood Series), edited by Milicent Lenz and C. Scott,
Wayne State University Press, 2005.
Katarzyna KLECZKOWSKA, “Greek and Roman Elements in His Dark Materials
by Philip Pullman,” Światy alternatywne, Kraków, 2015.
Ursula K LE GUIN, “The Critics, the Monsters, and the Fantasists,” The
Wordsworth Circle 38.1/2, Winter/Spring 2007.
Philip PULLMAN, Northern Lights [Les Royaumes du Nord], 1995, Scholastic
Children’s Books, 2005.
The Subtle Knife [La Tour des Anges], 1997, Scholastic Children’s Books, 2005.
The Amber Spyglass[Le Miroir d’ambre],2000, Scholastic Children’sBooks,
2005.
The Secret Commonwealth [La Communauté des esprits], David Fickling
Books, 2019.
Darko SUVIN, Metamorphoses of Science Fiction: On the Poetics and History
of a Literary Genre, Yale University Press, 1980.
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Ecopoétique
APRÈS NOUS, LES ANIMAUX -
qui raconte dans ce roman
post-apocalypse ?
Claudine C. STUPAR
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NVL juin 2023 – N° 236
Camille Brunel, militant antispéciste, auteur d’un livre sur les repré-
sentations des animaux dans le cinéma et d’ouvrages remarqués, La guérilla
des animaux74 et le récent Eloge de la Baleine, fait prendre conscience que,
sans les hommes, la nature survit ! et les animaux aussi, après avoir noué de
nouvelles alliances.
La parole d’un narrateur n’était pas évidente dans un tel contexte.
Bien sûr, Camille Brunel fait « parler » parfois des animaux, on n’en est pas
choqué. L’auteur a su trouver une position non surplombante, épousant la
supposée pensée animale évoluant au gré des diverses expériences, encore
traversée de souvenirs des humains et trouvant des formes minimales et di-
verses de communication. Peu d’action dans ce roman post-apocalypse où le
temps, la lenteur, l’absence de sens sont propices à penser en particulier la
question de la souffrance, de la mort. Car la violence de la nature est grande,
l’Eden d’après les hommes est implacable.
Ce roman de la collection sous-titrée « Des romans qui regardent le
monde en face » est convaincant dans son propos, étonnant dans sa forme et
mérite d’être connu.
74 Camille Brunel, La guérilla des animaux, Alma, 2018, 9782362792854 ? Grand Prix de la Société des Gens de
Lettres en 2019 ; Éloge de la Baleine, Payot Rivages, 2022, 9782743655808
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Ecopoétique
POÉSIE ET ÉCOPOÉTIQUE
Régis LEFORT
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NVL juin 2023 – N° 236
sur le jeu enfantin de « Jacques
a dit », revisité en « L’arbre m’a
dit ».
De toute évidence, cette
injonction, comme celle du jeu,
est choisie pour toucher son
public plus directement, la règle
étant d’obéir à la loi de « L’arbre
m’a dit » comme à celle de
« Jacques a dit ». L’objectif sous-
jacent est de faire ressentir la
nature dans le corps de l’enfance
comme une part de soi qu’il faut
choyer, qu’il faut protéger, en
usant de l’analogie. L’énoncia-
tion est habile et conjugue le je,
le tu et le nous de telle sorte que
le lecteur ne puisse que se sentir
concerné. L’arbre m’a dit est une
façon douce d’assiéger le lec-
teur. Le poète circonscrit non pas
un paysage mais bien un regard
sur le paysage pour une nature
sensible à aimer, à contempler.
L’arbre réunit plusieurs dimen-
sions, affective, sensorielle, sym-
bolique et esthétique. L’écriture
mobilise une sensibilité, un imaginaire et un style.
Ainsi peut-on lire en ouverture ces deux poèmes qui entrent dans le
vif du sujet de telle sorte que le jeu accapare toute la disponibilité de l’enfant :
« L’arbre m’a dit : / si tu te sens seul, / fais comme moi, / ouvre grand les bras
/ et laisse le monde / te traverser » ; « L’arbre m’a dit : / pose ton oreille /
contre mon écorce, / entends-tu / notre cœur battre ? »
Parfois, certains messages relèvent du subliminal. C’est le cas, par
exemple, dans « L’arbre m’a dit : / Fais comme moi, / nourris-toi / par les pieds
/ autant que / par la tête. » ou bien dans « L’arbre m’a dit : / c’est la soif du ciel
qui fait grandir. » D’autres fois, le lecteur est pris à parti dans une formule qui
enjoint de s’interroger : « L’arbre m’a dit : / je donne ses couleurs / à la rivière,
/ qui me donne son eau, / et toi, / qui est ta rivière ? »
Sans cesse le rapprochement est fait entre ce que peut éprouver
l’arbre et ce que peut éprouver l’enfant. Les formules deviennent alors « j’ai le
bois tendre / comme tout le monde », « tu sens l’arbre en toi ? », « celui qui
me coupe / perd un ami ». Peu à peu, le jeu est détourné pour devenir plus
sérieux et l’énonciation épouse alors un système qui tient plutôt de formules
43
Ecopoétique
de sagesse : « n’oublie pas / que le plus beau fruit / fut d’abord fleur légère et
fragile ». L’union, comme un appel entre l’arbre et l’enfant, est scellée en guise
de conclusion : « L’arbre m’a dit : / finalement, / tu n’es qu’un arbre / qui parle
/ et qui marche. »
On le voit, le poème de Jean-Pierre Siméon souhaite jouer un rôle
essentiel dans la manière d’habiter le monde. Réel et imaginaire sont en inte-
raction constante et le choix du jeu bien connu « Jacques a dit » parait une voie
efficace pour réformer les comportements face à la nature. L’émotion éprou-
vée tend à faire sortir de soi par une forme de vertige rendu par la constante
invite à s’identifier à l’arbre.
Dans Poèmes pour y aller, publié
avec des illustrations d’Anne Her-
bauts, Carl Norac procède tout autre-
ment et encourage dès le titre : Il
faut y aller ! car « Il faut être poète
pour quelque chose / dans la vie »,
« il va falloir y aller, / sans hasard,
maintenant, / tous ensemble vrai-
ment / pour faire bouger le monde ».
Ici aussi, l’énonciation porte à une
attention de la nature mais là où
Jean-Pierre Siméon avait opté pour
la voie du détournement ou du biais,
Carl Norac est plus direct, même s’il
use du trésor que l’on confie comme
un secret et note : « Un poème, à la
fois, ce n’est pas grand-chose et tout
l’univers ».
Le poète convoque l’arbre, lui
aussi, ou plutôt les arbres, toute une
forêt d’arbres qui « dansent seuls, / se penchent sur les sentiers, / se touchent
branche à branche ». Il choisit le mode du secret – « pour te dire un secret »
– comme mode de transmission de la connaissance de la nature. Dire un se-
cret79, le murmurer à l’oreille, c’est faire comme le vent qui imite l’arbre, « c’est
chanter comme un arbre » pour le mieux comprendre et le protéger.
Pour comprendre ce monde, il faut aller vers le fond des choses, ne
pas en avoir peur, faire face, observer. Le poème permet cela : « C’est pour-
quoi nous traçons encore / nos poèmes, sans détour, / pour nager, moins va-
guement, / vers le fond des choses. » Dès l’éveil, il faut entrer en communion
79 Carl Norac, illustrations d’Anne Herbauts, Petits poèmes pour y aller, Éditions Pastel / l’école des loisirs,
2022 : « pour te dire un secret » (p. 6) ; « je te dis un secret encore » (p. 10) ; le poème entier « Comme un
secret » (p. 36) qui débute ainsi : « J’ai un silence à te dire. / Il est bavard ce silence. » ; « il y a des secrets bien
au-delà des mots » (p. 54) ; tout le poème « Une confidence » (p. 110).
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avec la nature – « Quand je me lève je suis loutre » – et si « je ne suis pas
doué » quand l’éléphant m’apprend à barrir, si mon cri n’a d’abord « rien d’un
cri d’éléphant », il suffit d’écouter ce « grand professeur » parler « des condi-
tions du zoo, du cirque, / des braconniers et collectionneurs de trophée, / puis
de la disparition de l’espèce, programmée ». Alors on barrit « sans effort »
avec « ceux qu’on aime, quand on est ému ». Et de conclure plus générale-
ment : « les langues étrangères n’ont jamais de frontières ».
Il s’agit d’être attentif aux moindres choses comme à telle goutte
de pluie dans laquelle se reflète le soleil et, de cette attention décuplée, le
poème le dit : « je lis l’avenir dans l’instant qui arrive ». Le poème conseille
encore : « Bois du thé de nuages », « respire un peu de pays inconnu »,
« n’oublie pas de rire d’un rien / et d’avoir, avant de dormir, / le nouveau
rêve d’un nouveau monde ». Sortir de la course effrénée vers l’avant, ralen-
tir, faire comme l’escargot, choisir « un autre rythme », contempler la nature,
contempler « comment la lune / tourne la page du soleil », autant d’attitudes
à adopter en observant le monde environnant. Si chacun doit faire un effort,
c’est « sans attendre » car « ton nid, c’est le monde », c’est « une histoire
d’appétit ».
Certains poèmes œuvrent dans un sens complémentaire à ce mé-
lange de réel et d’imaginaire en ouvrant sur l’ironie. Or l’ironie, selon Pierre
Schoentjes80, participe de l’écopoétique, tient une place dans l’écriture de la
nature et s’adresse aussi bien aux anti-écologistes qu’à ceux, donneurs de
leçons, qui sollicitent l’esprit moutonnier absent de réflexion :
La part de l’ironie tient ici aux ambiguités qu’elle fait naitre et qui de-
mandent un engagement du lecteur. Pour être capable de cet ensemble dans
la différence, peut-être – et le poème le dit aussi, qui n’oublie rien au passage
– faut-il être capable de « tomber nez à nez avec [soi] ». Exit la peur, mau-
vaise conseillère, exit l’oubli volontaire pour se déculpabiliser car « Je suis au
45
Ecopoétique
monde. / Je suis le monde quand je respire. » et bien sûr « Ici et maintenant, je
prends ma chance. / Je fais le monde. Je suis le temps. »
Le livre de Carl Norac, s’achève pratiquement sur le poème intitulé
« Écologie », non sans avoir donné au préalable les métiers d’avenirs que
sont, par exemple pour n’en citer que quelques-uns, « gardien d’icebergs »,
« pêcheur de plastique », « raccommodeur d’ozone », ou « rêveur d’autres
mondes », ni oublié de préciser ce que signifie être poète : ça fabrique « un
nuage qui a du sens, au-delà du vent qui le pousse » et « ça brindille pas mal
[…] et dans toute la forêt ». Enfin la poésie, ça mène « nulle part / mais au bout
du monde ».
Écologie
Nous prendrons enfin deux exemples qui montrent, selon deux voies
différentes encore, le lien de la poésie et de l’écologie selon le trait de l’éco-
poétique avec deux publications de Rue du monde au printemps 2023 : Les
coquelicots savent-ils qu’il sont fragiles ? d’Alain Serres et Quelques gouttes
de pluie sur la terre d’Abbas Kiarostami.
Alain Serres revient sur le coquelicot qu’il avait déjà mis en scène
avec Encore un coquelicot publié chez Cheyne éditeur, en 2007. Mais, dans ce
nouvel opus, l’esthétique choisie est celle des Questions/Réponses, système
peut-être plus efficace pour la prise de conscience écologique, qui opte parfois
pour la devinette. Le livre déplace le point de vue pour que chaque lecteur
s’interroge sur sa place dans le monde, comme élément y appartenant et non
comme entité supérieure réglant le devenir de tous et de tout. Et le poète se
prémunit dès le début de tout grincheux qui viendrait lui opposer son chapelet
de leçons écologiques :
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NVL juin 2023 – N° 236
Pourquoi y a-t-il un début à tout ?
Parce que chaque fruit a sa graine,
chaque graine, son poème
et que tout coule de source.
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Ecopoétique
moment de fleurir ? »
Dans chacun de ces livres, le poème tend à dépasser l’opposition entre
sujet et objet. Il s’agit moins de descriptions que de nature vivante, moins de
lyrisme que de proximité. Le décentrement du sujet lyrique permet l’éclosion
d’une conscience écologique. La perspective n’est plus ego-centrée mais éco-
centrée. Ce qui a lieu, le poème, est ce qui a lieu, notre terre.
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NVL juin 2023 – N° 236
PO
É
SIE
ODES À LA NATURE
NVL
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NVL juin 2023 – N° 236
DES POÈMES DU MONDE POUR VIVRE ICI
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Poésie
PAROLE
DE
PRO(f)
La COLLECTION PETITE POCHE chez
Thierry Magnier
Cathy DEMESTER et Claudine CHARAMNAC STUPAR
Avec les derniers titres parus dont beaucoup sont des rééditions, c’est
l’occasion de parler d’une riche collection qui est un soutien essentiel pour
ceux qui s’efforcent d’amener des lecteurs de 8 à 12 ans ( ou moins jeunes) en
difficulté de lecture ou simplement réticents, à lire des œuvres intégrales.
Ces courts romans sont écrits par des auteurs talentueux, de Jean Claude
Mourlevat à Christophe Léon, Hubert Ben Kemoun ou Susie Morgenstern, De-
dieu ou Jo Hoestland. Chaque auteur livre un texte de grande qualité, en prise
avec le monde contemporain et témoignant des interrogations et du vécu de
l'adolescent et de l'enfant. Le propos relève d’une certaine maturité mais la
mise en page prend en compte le rythme de lecture, les mots restent entiers,
les groupes de sens respectés pour faciliter la lecture.
Les couvertures unifiées par un graphisme pointilliste évitent élégam-
ment l’écueil de l’illustration. Tous les livres sont accessibles, 3,90€.
2023 : Réédition de Un train pour chez nous de l’auteur algérien Azouz Be-
gag paru en 2001 chez Magnard. C’est le souvenir de ce voyage annuel qui le ramène
de Lyon au « pays » et qui nourrit l'enfance de la richesse des partages en famille.
Réédition aussi de Je te hais et Je t’aime (encore) quand même, mini-
série de Susie Morgenstern sur les complications de l’amour.
Jo Hoestlandt est toujours aussi subtile dans La chambre verte aux
secrets. Daphné 10 ans, envoyée se refaire une santé à la montagne, se lie à
2 amis et pour fuir Louis, quatrième camarade jugé « énervant », ils se réu-
nissent dans une cachette au toit de branches pour se dire des secrets, des
vrais… mais celui de Louis s’avèrera au final plus personnel.
Dans Tout ira bien, Elsa Solal aborde les difficultés à apprendre à lire en
CP ; c’est l’animatrice du club lecture qui sera le soutien de Léo, et la magie opère !
Avec Primum bisourum, Gaëlle Mazars mène délicatement sur le chemin
du premier amour. Lucie, 11 ans, a une vie si ordinaire qu'elle pense qu'elle est
vide ; pourtant, elle sent qu'elle va devenir vivante ...un premier baiser suffit !
Tous ces titres : chez Thierry Magnier, 2023, 3€90, 8 -12 ans
53
Poésie
NOU
VELLES
LECTURES
Remarqué ! Très bon ouvrage Pas vraiment
Ouvrage
Bon ouvrage
controversé
Pourquoi pas ?
55
Nouvelles lectures
une narration en images : des personnages, un chat qui joue avec les objets
puis un enfant : on entre ici dans la séquence minimale d’un récit, c’est tout
aussi épatant ! CCS
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NVL juin 2023 – N° 236
Praline GayPara/ ill. Thoma Baas- Brise Montagnes
Actes Sud junior, 2023, 15,50€, 9782330162672. 2-3 ans
Mots-clés : album, enfant, volonté, moi
Un faux conte sur le moi naissant
Un livre qui amusera beaucoup car, à la première lecture, on croit avoir affaire
à un enfant monstrueux, un petit ogre qui casse tout, Brise Montagnes est son
nom. Jusqu’à ce qu’on saisisse que c’est un enfant comme les autres qui com-
mence à affirmer sa volonté en répétant qu’il fait tout seul… avant d’appeler
maman ! Belle image du moi naissant ! Une identification qui fera mouche. CCS
57
Nouvelles lectures
mettent les rieurs du côté de Léon. Mais tel est pris qui croyait prendre. Léon
n’a plus faim, et puisque la soupe était « ex-cel-lente », maman lui propose
la même le lendemain. Ouf ! L’honneur des parents est sauf. C’est drôle et ça
finit bien ! MDR
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NVL juin 2023 – N° 236
qui partage le même arbre que lui et remplit son nid de noisettes pour l'hiver.
Trouvant l'idée excellente, Renard décide d'entasser à son tour de belles pou-
lettes dans son terrier. Beaucoup plus facile qu'il n'y parait. Jusqu'à l'arrivée du
loup... L'auteur-illustrateur est le créateur de la maison d'édition Margot. Ses
dessins sont doux, aux contours flous, les animaux très expressifs, presque
un conte poétique... C'est sans compter avec l'humour piquant de la narration,
qui rappelle Grand Méchant Renard de Benjamin Renner. Album très drôle où
les vignettes alternent avec des illustrations pleine page pour dynamiser une
histoire de coopération dans la forêt. EM
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Nouvelles lectures
Avec son format bloc, entièrement au
service de la situation, on suit cette
partie de pêche en surface et sous
l'eau : l'enfant inuit pêcheur sur la
terre glacée (page du haut) et un petit
poisson gourmand sous l'eau ( page
du bas). Une seule phrase accom-
pagne les deux images et, jusqu' à la
fin, on peut se demander qui est Nouka. Une lecture qui capte l'attention de
l'enfant et l'amène à réfléchir sur la bonne interprétation du texte. Une histoire
cocasse sur l'amitié et la solidarité. Un vrai coup de cœur. CD
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NVL juin 2023 – N° 236
Middag touche le lecteur par sa finesse et sa justesse. Tous ces détails font de
l’ouvrage une pépite poétique qu’on prend plaisir à lire et relire. L’allégorie de
la danse donne un rythme doux au récit. Très réussi ! MS
Partir loin. C’est le rêve d’une gazelle qui suit des yeux les oiseaux qui s’envolent
au loin. Elle décide un jour de partir à
l’autre bout du monde. Son périple la
mène à la rencontre d’un ami précieux.
Dans ce petit album aux illustrations
incroyablement belles, l’autrice emmène
son lecteur dans un voyage tricolore
poétique : plasticienne et enseignante,
Louise Heugel transmet la force de l’ami-
tié, au-delà des distances, en peu de
texte et de la peinture sur verre sérigra-
phiée. Très juste, superbe. Un bijou. MS
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Nouvelles lectures
texte, répond à l'argument démontrant la nocivité écologique. L'album essaie
de montrer l'importance du débat écologique pour arriver à des solutions
propres. Le texte est court, les arguments sont donc simplifiés à l'extrême...
suffisants pour éveiller une conscience écologique chez les jeunes enfants ?
L'album a le mérite de prôner le dialogue et le débat. Les illustrations, des séri-
graphies, apportent une touche d'humour à ce sujet de société. EM
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Catherine Grive/Mathilde Grange – C’est quoi ce bruit ? / Chuuut !
Ed. du Pourquoi pas, 2023, 6,50€, 9791092353792. 5 ans +
Mots-clés : album, bruits, parents /enfants, bruits d’amour
Petit livre sur le bruit des parents la nuit…
La collection Faire société est engagée, souvent
originale, à contre-courant. Ce tout petit opus
souple est tout à fait surprenant avec des illustra-
tions vives peintes à gros traits visibles, où la cou-
leur fait forme, une sorte de fauvisme enfantin :
ce charme coloré cache un texte surprenant qui
dans son minimalisme évoque un sujet tabou du
moins jamais exprimé en LEJ, les bruits inconnus
dans la chambre des parents, expérience courante
pourtant, la scène primitive des psychanalystes,
fondamentale donc. C’est abordé avec finesse et
tendresse. L’âge du lecteur sera fonction de la
demande et de l’adulte. Bravo ! CCS
63
Nouvelles lectures
Emilie Boré / Vincent - Il est où Diouke ?
La joie de lire, 2023, 14,90€, 9782889086269. 5 ans +
Mots clés : amour, famille, peur, mort
Un album qui aborde la mort avec douceur
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NVL juin 2023 – N° 236
Mots-clés : Album, amitié, différences, séparation
Album sur la force de l’amitié entre un chat et un tigre
Tigre et Chat sont deux amis qui font tout ensemble. Ils jouent, dansent, boivent
le thé, visitent les environs, mais Tigre va devoir partir au Camp des tigres pour
vivre comme un vrai tigre dans la forêt en trouvant sa nourriture seul et sans
boire de thé. Chat est bien triste. Quand il rencontre Susie, une petite fille, il
lui raconte combien Tigre lui manque. Elle lui conseille d’écrire à son ami, de
lire la lettre tout haut le soir pour que Tigre la reçoive et de la glisser sous son
oreiller en s’endormant. Tigre qui ne se sent pas à sa place au Camp entend
le message et revient vers son ami. Joli conte sur la force de l’amitié malgré
les différences. Les illustrations simples, presque caricaturales, s’harmonisent
bien avec l’histoire. CK
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Nouvelles lectures
fantes nous entraine dans une expérience au cœur d’une nature sauvage qui
nous échappe et nous attend aussi. CD
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NVL juin 2023 – N° 236
Ximo Abadia - Tout ce que la guerre déteste
Rue du Monde, 2023, 17€, 9782355047282. 6 - 9 ans
Mots-clés : album, guerre, censure, violence, espoir
Album percutant aux mots simples pour dire comment la guerre bouscule nos vies
Un message fort en rouge et noir, des illustra-
tions en grand format qui rappellent les affiches
de propagande. Les mots de cet auteur espagnol
très engagé sont une invitation à ne pas oublier
les valeurs, les joies et la force d'une humanité
qui refuse la mort, la guerre et qui résiste, pour
repousser la censure et le désespoir, en par-
lant, créant, chantant. La dernière double page
montre un dictateur vaincu dérivant sur une mer
blanche, sous un soleil couchant rouge, symbole
de la mort de la guerre. Un coup de cœur, pour
ces mots qui résonnent et parlent du vécu des
civils. CD
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Nouvelles lectures
Alex Cousseau / Eva Offredo – Murdo, une enquête timbrée
Seuil jeunesse, 2023, 15€, 9791023516562. 6 ans+
Mots-clés : enquête, yéti, correspondance, amitié
Roman d’une enquête épistolaire entre un yéti et d'innombrables et improbables destinataires
Murdo est un yéti peu commun : c'est un
véritable épistolier. On ne lira pas moins de
53 courriers et 3 échanges téléphoniques
dans cet album étonnant. Cet abominable
homme des neiges écrit à ses amis, au vent,
à la lune, à un inconnu, au facteur. Il n'attend
pas vraiment de réponse, pourtant... un véri-
table facteur s'en mêle ! C'est d'ailleurs sur
ce dernier que l'enquête porte : qui est ce
facteur espéré mais inattendu ? À travers les
lettres, on découvre un yéti au grand cœur, at-
tentionné, sensible aux plaisirs simples de la
pluie qui aime les anniversaires et les clairs de
lune. Aventure et poésie, voilà qui résume les
écrits d'Alex Cousseau ; les illustrations d'Eva
Offredo, reconnaissables au premier coup d'œil, apportent joie et légèreté.
Les formes géométriques aux couleurs vives et tranchées créent des mondes
hypnotiques. Les timbres postes, les cartes indices, le ver de terre grincheux,
autant de variations qui pimentent la lecture et relancent l'enquête. Un deu-
xième opus pour Murdo, « timbrement » réussi ! EM
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NVL juin 2023 – N° 236
ROMANS GRAPHIQUES, BANDES DESSINÉES
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Nouvelles lectures
ensemble, loin de leur enfermement. Des illustrations drôles et expressives
pour un retour à la nature. CD
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NVL juin 2023 – N° 236
Sabine Lemire / Rasmus Bregnhøi / trad.danois Aude Pasquier-Mira - Mes
copains, mes copines et l’amour
Casterman, 2023, 9,90€, 978220324448.9 ans+
Mots-clés : BD, amitié, trahison, amour, jeux
BD qui dépeint avec justesse la période charnière entre l'enfance et l'adolescence.
Mira, pour la nouvelle année, écrit dans son journal non pas des résolutions
mais ses espoirs : une chambre cool, un profil Instagram et surtout tomber
amoureuse. C’est une petite fille bien dans sa peau jusqu’à l’arrivée d’une
nouvelle élève qui va détourner d’elle sa meilleure copine Naja : elles n'ont
plus les mêmes centres d'intérêts. Alors que Mira aime toujours jouer avec son
copain Louis, la nouvelle venue et Naja créent « un love club ». Mira se pose
beaucoup de questions : comment on fait pour tomber amoureuse, quelle est
la différence entre amitié et amour... Pas toujours facile d'être une préado !
Forme BD adaptée à cet âge, thèmes abordés proches de la vraie vie. Il y a une
parfaite concordance entre le graphisme minimaliste et le texte. ZEH
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Nouvelles lectures
Lidia Mathez - Embrasse-moi
La joie de lire, 2023, 14,90€, 9782889086207. 15 ans +
Mots clés : autobiographie, traumatisme, attouchement, catharsis, mémoire
Un roman graphique qui utilise le récit comme une catharsis des traumatismes.
Lidia s’endort souvent avec une sensation de
chute qui n’en finit pas. Dans son premier roman
graphique, l’autrice aborde les traumatismes
liés à son enfance. Elle raconte son ressenti,
les bribes de souvenirs, le mal-être, l’incompré-
hension… et l’acceptation. A travers ce livre très
réussi, Lidia Mathez écrit, se décrit et défait son
histoire d’enfant de 7 ans qui lui a laissé des
traces, indélébiles et douloureuses, une fois
devenue jeune adulte. On y croise sa mère et ses
amis. Cet ouvrage, qui a constitué son travail de
diplôme de l’École supérieure de bande dessinée
et d’illustration à Genève, a été sélectionné pour
le Prix Delémont’BD de la meilleure première
œuvre de bande dessinée suisse 2023. Une belle
leçon de libération de la parole et du pouvoir du psychisme. Très touchant. MS
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NVL juin 2023 – N° 236
NON-FICTIONS – DOCUMENTAIRES
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Nouvelles lectures
Jesse Goossens /ill. Marieke ten Berge – Grand Nord
Rue du monde, 2022. 21€ - 9782355047107. A partir de 5 ans.
Mots-clés : album, Arctique, faune, biodiversité, fragilité, protection.
Le monde polaire est menacé, connaitre sa faune pour le préserver.
Dans l’océan, le ciel, sous les glaces polaires
ou sur les plaines glacées, l’auteure donne une
voix à chacun des 35 animaux de la faune arc-
tique qu’elle a choisi de nous faire découvrir.
Sur une page, le texte à portée d’enfant donne
de précieuses informations sur le mammifère,
l’oiseau ou le poisson, rappelle la fragilité de ce
monde en péril et l’importance de la biodiver-
sité. En regard du texte, une illustration somp-
tueuse se déploie en pleine page. La technique
de la linogravure apporte force et poésie au
propos et la quadrichromie nous plonge dans
l’univers du Grand Nord. Ce magnifique album
documentaire rappelle à l’enfant que le petit
humain fait partie de la nature et a un rôle à
jouer dans la préservation de ce monde mena-
cé. A lire à tout âge ! JL
ROMANS, RÉCITS
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tré par Betty Bone -on songe aux films de Jacques Tati- le texte d’un humour
simple et efficace est d'une qualité remarquable. La chute est inattendue. Un
petit bonheur de 43 pages à savourer de 8 à 77 ans. CD
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Nouvelles lectures
cousin Théo va empêcher Manon de dormir alors
qu’ils sont allongés tous deux sous la tente dans
le jardin de Manon. Pas évident si l’on compare le
train de vie des deux cousins, maison minuscule
contre château, plage inventée contre piscine...
Mais Manon est très heureuse dans sa maison où
elle partage une petite chambre avec sa maman
et rêve dans son jardin. Théo, qui a peur de dormir
seul dans sa grande chambre, ne fait que répé-
ter des propos d’adulte et les deux enfants vont
se pencher sur la signification du mot pauvreté
et, déçus par la définition du dictionnaire, vont
en inventer une autre. Ce roman, de la collection
AlterEgaux avec des représentations simples et parlantes, est une jolie histoire
sur le ressenti des enfants bien différent de celui des adultes. ZEH
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NVL juin 2023 – N° 236
Crystal Cestari / trad.angl. Nolwenn Guilloud – Happily ever island
Hachette Heroes, 2022, 17,95€, 9782017164586, 10 ans+
Mots-clés : roman, Disney, vacances, rêve, amour, amitié
Roman dans le monde de Disney
Deux amies très différentes : Madison est rêveuse, fan inconditionnelle de
Disney alors que Lanie ne pense qu’à ses études. Madison gagne un voyage
pour deux sur l’ile Happily ever island sur laquelle il est possible d’incarner
le personnage Disney de ses rêves. La très studieuse Lanie découvre que les
loisirs et les études sont compatibles, Madison qu’il est possible d’aider les
autres à vivre leurs rêves. Magie, amour, amitié et Disney sont au rendez-vous
dans ce roman. Où tout est beau, parfait et enchanteur… MC
Léon fait son entrée en 6ème. L'an passé, il avait une AVS, auxiliaire de vie
scolaire, mais il a refusé sa présence pour le collège. Il est grand, il peut faire
seul. Ce roman parle de la différence et du handicap et aborde aussi la ques-
tion du harcèlement et de l'amitié : Léon réussit à se faire une amie réelle mais
aussi une amie imaginaire, la fiancée du pirate, qui n'est autre qu'une collé-
gienne suicidée en raison de harcèlement peu auparavant. L'auteur cherche
à démontrer à quel point les enfants porteurs d'un handicap ont une volonté
hors norme. Habitués aux difficultés, ils ont évidemment peur de les affronter
mais développent des stratégies, élaborent des tactiques pour contourner les
multiples problèmes. Ces enfants particuliers sont courageux, déterminés et
lucides. Il s'agit alors pour les adultes de les écouter et de leur faire confiance.
Pas facile pour des parents inquiets et souvent surprotecteurs de laisser son
enfant s'affirmer ! EM
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Nouvelles lectures
éprouvantes, d’autres pleines d’émotions. Très belle histoire de courage, de
prise de responsabilité et d’amour fraternel. CK
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NVL juin 2023 – N° 236
le grand méchant arrive, un ancien jeune du village : lui aussi va ouvrir ce
coffre. On a droit à une happy end en deux temps, d’abord la mort du méchant,
ensuite le retour du héros. Roman qui se veut à la fois merveilleux et réaliste
sans jamais se fixer dans un genre. Certaines scènes dignes de films d’action
donnent du relief aux passages plats. MC
79
Nouvelles lectures
mort, « concept le plus difficile à apprivoiser dans ce qu’elle a de définitif et
d’irrévocable et c’est sans doute pour cela qu’elle nourrit notre imaginaire » dit
l’auteure. Autour des sensations de présence qu’on peut ressentir, elle brode
une narration subtile où un adolescent un peu solitaire dans une vallée perdue
a des visions d’animaux sauvages qui lui adressent les messages des morts. Le
roman est donc à la fois un roman rural fantastique, un thriller avec l’horreur
de meurtre d’adolescentes, et un conte philosophique qui interroge nos igno-
rances sur la mort. Très bon roman. CCS
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NVL juin 2023 – N° 236
Un roman palpitant, bien écrit qui va plaire aux ados gé-
néralement fascinés par cette nouvelle figure du hacker
et les mystères effrayants du darkweb. Flow a un cha-
risme qui en fait le héros du lycée, d’autant plus qu’il
a l’air de dépenser sans compter. On le sait génial en
informatique mais nul ne sait qu’il est en lien avec le
darkweb et récupère des codes de cartes de crédit. C’est
comme un jeu grisant et il n’a pas clairement conscience
du délit. Mais la police le traque… L’originalité du roman
tient à ce qu’on le sait d’emblée pris par la police, les
interrogatoires successifs révèlant peu à peu le détail
de ses actes, et que cela n’ôte rien d’un suspens bien
ficelé et d’une ouverture sur la psychologie du hacker,
nouvelle figure de héros, le tout remarquable. CCS
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Nouvelles lectures
L'une pour dire sa lutte dans la convalescence, l'autre pour écrire son amour
dans des lettres passionnées retraçant leur relation. Roman puissant sur l'ado-
lescence, la volonté et la résilience. On le lit sans pause, embarqué par l'amour
d'Edgar et la force mentale de Tessa, par leur jeunesse remplie de doutes et
d'envie et finalement pleine de vie. EM
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NVL juin 2023 – N° 236
Mary Orchard – Sous les étoiles de Bloomstone Manor
Casterman, 2023, 16,90€, 9782203244450. 16 ans
Mots-clés : Roman, Angleterre victorienne, condition féminine, science, romance, secrets
Roman d’une jeune femme qui rêve de devenir une brillante scientifique
Londres, 1898. Agathe Langley, 19 ans, déteste les
mondanités auxquelles ses parents l’obligent à
assister dans le but de la marier à un bon parti.
Sa véritable passion est l’astrophysique qu’elle
étudie en cachette avec le soutien de sa gouver-
nante. Rebelle et érudite, la jeune femme a bien
l’intention de ne pas se laisser enfermer dans le
carcan de la vie d’une jeune lady. Quand la famille
déménage à la campagne, Agathe fait la connais-
sance de Lord Nathanael Stone, excentrique et an-
ticonformiste, et de son séduisant cousin Adrian
dont elle tombe amoureuse. Ancien professeur de
physique, celui-ci, impressionné par les connais-
sances d’Agathe, décide de soutenir sa participa-
tion à un prestigieux concours scientifique. Parviendra-t-elle à le gagner ? Et
surtout, pourquoi les deux gentlemen vivent-ils en retrait de la haute société ?
Quels secrets cache Bloomstone Manor ? Premier roman très prometteur de
Mary Orchard, le récit palpitant nous plonge au cœur du quotidien fastueux de
l’aristocratie britannique fin XIXème siècle ! LF
83
Nouvelles lectures
certains chapitres haletants. L’histoire d’amour est mignonne, sur le thème de
l’amour impossible, j’ai préféré de l’autrice My dear f***ing prince. MC
THÉÂTRE
Retrouvez l’INDEX des livres présentés dans ce numéro 236 sur notre site www.
nvl-larevue.fr recherche possible par titre, par éditeur, par auteur ou par illus-
trateur.
84
NVL juin 2023 – N° 236
NVL-Centre Denise Escarpit
85 cours Maréchal Juin
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CS51247
33000 Bordeaux pas de
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193 : De Nous voulons lire ! à NVL, même combat 2€
194 : N° spécial illustrateurs 2002-2012 N° spécial 2€
195 : Au printemps, des poètes 10 €
196 : Lire avec les tout-petits 10 €
197 : 3/6 ans, graines de lecteurs 10 €
198 : Faire face au sexisme épuisé téléchargeable sur site 10 €
199 : Quoi d’neuf dans l’ doc ? 10 €
200 : Abécéguerre - De Sarajevo à Sarajevo N° spécial 10 €
201 : Fées et sorcières, mauvais genre 10 €
202 : Homoparentalités 10 €
203 : C’est quand qu’on est vieux ? 10 €
204 : (P)Oser des mots sur les maux 10 €
205 : Transgressions de frontières, albums inclassables 10 €
206 : Littérature jeunesse et inégalités sociales 10 €
207 : Manger/être mangé 10 €
208 : Des livres d’artiste pour enfants 10 €
209 : La science et la fiction 10 €
210 : Des migrants et des migrations 10 €
211 : Grandir ensemble rue du Monde N° spécial 10 €
212 : Text-ile 10 €
213 : (Se) représenter le corps 10 €
214 : Ruralités 10 €
215 : A vos marques, prêts… Sport et LEJ, 12 €
216 : Figures de l’arbre 12 €
217 : Littérature multilingue pour enfants plurilingues 12 €
218 : La Laïcité 12 €
219 : Notre Père Castor, N° spécial 12 €
220 : Demain, ma planète ? 12 €
221 : Les 8-12 ans, quels lecteurs ?! 12 €
222 : Que d’émotions ! 12 €
223 : Les mythes grecs en littérature jeunesse, 14,50 €
224 : Philosopher avec les enfants ? 14,50 €
225 : Des usages des imagiers 14,50 €
226 : Défense et illustration de la Littérature jeunesse, N° spécial 15 €
227 : Par le bout de la langue 14,50 €
228 : Réécritures, nouveaux regards, nouvelle censure ? 14,50 €
229 : La couleur de l'enfance - Discriminations 2 14,50 €
230 : Masculin, féminin, autres - Discriminations 3 14,50 €
231 : Animaux anthropomorphes, notre miroir ? 14,50 €
232 : Considérons les animaux 14,50 €
233 : Arrêts sur image 14,50 €
234 : Cap pas cap Handicap 14,50 €
235 : Besoin des oiseaux 14,50 €
NVL la revue –
Trimestriel d’information sur le livre d’enfance et de
jeunesse publié par NVL-CENTRE DENISE ESCARPIT,
association sans but lucratif
Présidente
Claudine CHARAMNAC STUPAR
ADRESSE : Terrasse Rhin et Danube
85, cours du Maréchal Juin CS 51247 – 33075
Bordeaux Cedex France
Mail : abonnement@nvl-larevue.fr
Site : www.nvl-larevue.fr
Fondatrice
Denise Escarpit (1920-2015), universitaire à Bordeaux, a fondé la revue Nous voulons Lire !
en 1972 et le CRALEJ en 1991 avec le soutien du Maire de Bordeaux pour promouvoir une
littérature jeunesse de qualité et défendre la lecture précoce comme facteur d’égalité. Depuis
2011, une nouvelle équipe de bénévoles continue son combat sous le titre NVL larevue ; le
CRALEJ est devenu le Centre Denise Escarpit en 2017.