Vous êtes sur la page 1sur 8

Chapitre 2 : Facteurs spécifiques et répartition du

revenu
Prolongement de l’analyse néoclassique (Jones-Samuelson)

Dans ce chapitre, on cherche à répondre aux questions suivantes : Qui, dans la population, gagne
et qui perd à l’ouverture des échanges ? Quelle est l’origine des avantages comparatifs ?

Principales hypothèses

 Trois facteurs de production dont un mobile à l’intérieur des frontières nationales et


deux spécifiques ;
 Deux secteurs d’activité produisant chacun un bien ;
 Les dotations absolues en facteurs spécifiques sont différentes entre pays, mais chacun
à la même force de travail ;
 Les pays ont les mêmes techniques de production et des préférences identiques ;
 La spécialisation est incomplète ;
 Système économique concurrentiel.

1 L’équilibre autarcique

On considère une économie composée de deux secteurs, indicés par i, i  1, 2 , produisant


chacun un bien homogène. La production du bien 1 utilise deux facteurs de production le travail
et le capital. Le bien 2 est produit à l’aide de travail et de terre. L’input travail est parfaitement
mobile et les deux autres sont supposés fixes et spécifiques.

Les fonctions de production sectorielles sont Q1  F1 ( K , L1 ) et Q2  F2 (T , L2 ) . L’offre de


travail est supposée exogène et égale à L. Les rendements sont décroissants dans les deux
secteurs, car lorsque la quantité du facteur mobile augmente, il y a de moins en moins d’unités
de facteur spécifique par unité de travail (utilisation de plus en plus intensive du facteur fixe).
La décroissance des rendements et la disponibilité limitée du facteur mobile entraînent un coût
d’opportunité du bien 1 en termes de bien 2 croissant. Il est aisé de montrer que ce coût
d’opportunité est égal au rapport des productivités marginales du facteur mobile1. Ainsi, pour
1
augmenter la production du bien 1 d’une unité il faut déplacer unités de travail du
F1 / L1
secteur du bien 2 vers le secteur du bien 1. Ce qui correspond à une baisse de la production du
F2 / L2
bien 2 de . Puisque les rendements sont décroissants, alors lorsque la quantité de
F1 / L1
travail allouée au secteur du bien 1 augmente, son revenu marginal diminue ; et inversement

1
Pour démontrer ce résultat il faut tout d’abord remarquer que :
F F F F
dQ1  1 dT  1 dL1 , dQM  2 dK  2 dL2 et dL1  dL2  dL  0
T L1 K L2
On en déduit donc :
F2
dQ2 L2
 
dQ1 F1
L1
pour le secteur qui observe une baisse de sa quantité de travail. Par conséquent le coût
d’opportunité du bien 1 en termes de bien 2 est croissant.

𝐿1 + 𝐿2 = 𝐿

Figure 1 : La frontière des possibilités de production

Sous l’hypothèse d’un marché du travail fonctionnant selon une logique concurrentielle et une
offre exogène, à l’équilibre de celui-ci, on a l’égalité entre le coût d’opportunité et le prix relatif
du bien 1 en termes de bien 2. En effet, le marché du travail est en équilibre dès lors que les
revenus marginaux des deux secteurs sont égaux. Plus précisément, la demande de travail
rentable est donnée par l’égalité du salaire nominal et de la recette marginale du facteur travail
dans chaque secteur. Or, étant donné que le facteur travail est parfaitement mobile, l’on ne peut
pas observer des différences de salaires entre les secteurs de l’économie (la mobilité de ce
facteur de production est instantanée et n’entraîne aucun coût d’ajustement). Ainsi, l’allocation
de la force de travail disponible va s’établir en fonction des productivités relatives et des prix
relatifs. En effet, l’équilibre du marché du travail implique :
F1  L1 , K  F2  L2 , T 
p1  p2 w
L1 L2
F2  L2 , T 
(1)
p1 L2 dQ
  2
p2 F1  L1 , K  dQ1
L1

Cette égalité signifie qu’à l’équilibre du marché du travail la dernière heure de travail allouée à
un secteur rapporte ce qu’elle coûte. La demande de travail relative va donc dépendre des
productivités relatives et des prix relatifs.
Le graphique 2 montre qu’une hausse du prix du bien 1 de 10% entraîne un déplacement de la
courbe de recette marginale du travail ( Rm1 ). Il en résulte une hausse du salaire d’équilibre
moins que proportionnelle, et par conséquent, la demande de travail dans ce secteur augmente2.

,w

∆𝐾
>0
𝐾

2
3 4

w 1

Figure 2 : L’équilibre du marché du travail

L’effet de cette hausse du prix du bein1 sur les revenus des détenteurs du facteur mobile est
ambigu puisque le salaire horaire en termes de bien 1 a diminué et le même salaire en termes
de bien 2 a augmenté. Ainsi, la situation des travailleurs dépend de leurs préférences vis-à-vis
des deux biens. En revanche, le profit réel des propriétaires de bien capital augmente et celui
des propriétaires terriens diminue.

Proposition 1 : Cas où le prix du bien 1 augmente et le prix du bien 2 reste inchangé (i.e. Prix
relatif du bien 1 augmente). Il en résulte une hausse du salaire moins que proportionnelle.

2
Avec des notations évidentes, l’équation (1) implique :
p2 F2 L2 L2 dL2  F2 L2 dp2  p1 F1L1L1 dL1  F1L1 dp1  dw
ou encore :
 F1L1L1 dp   F2 L L dp  dw
 dL1  1    2 2 dL2  2  
 F1L1 p1   F2 L2 p2  w
Or, l’hypothèse de rendements décroissants correspond exactement à F1L1 L1  0 et F2 L2 L2  0 ; finalement on
montre que si seul le prix p1 des articles manufacturés augmente, alors le salaire horaire w s’accroît moins que
proportionnellement.
Pouvoir d’achat du Pouvoir d’achat du
revenu en termes de revenu en termes de
bien 1 bien 2
Salariés 𝑤 𝑤 Impact ambigu tout
↘ ↗
𝑝1 𝑝2 dépend des
préférences des
salariés
Capitalistes Π1 Π1 Gagnants
↗ ↗
𝑝1 𝑝2
Propriétaires terriens Π2 Π2 Perdants
↘ ↘
𝑝1 𝑝2
Proposition 2 : Les propriétaires du facteur spécifique capital (les capitalistes) enregistrent
une hausse de leur pouvoir d’achat en termes de bien 1 et de bien 2. Ces propriétaires du
facteur capital gagnent à ce changement de prix. En revanche, les propriétaires du facteur
terre enregistrent une baisse de leur pouvoir d’achat respectivement en terme de bien 1 et de
bien 2. Ces propriétaires terriens sont les perdants suite à ce changement de prix relatif du
bien 1.

𝑤
𝑝1

Π1 𝑄1∗
𝑤 ∗
𝑝1
𝑝1

𝐿∗1 L

Un autre exercice de statique comparative consiste à étudier l’effet d’une augmentation de la


quantité d’un facteur spécifique, par exemple le facteur capital. Cette augmentation entraîne
une hausse de la productivité dans le secteur du bien 1, et donc un déplacement de la main-
d’œuvre du secteur du bien 2 vers le secteur du bien 1. La production dans ce dernier va
augmenter, car la quantité de travail a augmenté et chaque travailleur dispose de plus d’unités
de bien capital. Ainsi, la production du bien 1 augmente et celle du bien 2 diminue.

Proposition 3 : une augmentation du stock d’un facteur spécifique (capital ou terre) améliore
le rendement du travail dans le secteur considéré et accroit sa production relative.

2 Spécialisation partielle et distribution du revenu

Afin d’étudier l’effet du commerce international sur le bien-être des agents dans le cadre du
modèle à facteurs spécifiques, on va considérer le cas de deux pays indicés par j , j   A, B ,
où chacun est doté de la même force de travail mais de stock de capital et de stock terre
différents. Le pays A est doté d’un stock de capital plus important que celui du pays B. Ce
dernier a un stock de terre plus grand que le pays A. L’abondance du facteur capital dans le
pays A permet de produire une quantité de bien 1 plus importante que la quantité produite de
bien 2. L'inverse est vrai dans l’autre pays. Il est très facile de montrer les inégalités suivantes:
Q1sB Q1sB  Q1sA Q1sA
 
Q2sB Q2sB  Q2s A Q1sB
L’offre relative mondiale de bien 1 est donc comprise entre les offres relatives autarciques de
ce même produit.
Si on suppose maintenant que les préférences des consommateurs dans les deux pays sont
identiques, alors la courbe de demande relative mondiale est identique à la courbe de demande
relative autarcique dans chaque pays. En effet, on peut facilement vérifier que :
Q1dB Q1dA Q1dB  Q1dA
DRB  d  DRA  d  DRW  d
Q2 B Q2 A Q2 B  Q2dA
Graphiquement, on montre aisément que le prix relatif du bien 1 est supérieur dans le pays B
en l’absence d’échange et que le prix relatif international p * est compris entre les deux prix
relatifs autarciques p A et pB .

Figure 3 : L’équilibre mondial

Avant d’examiner la structure des échanges, il est utile de préciser la contrainte budgétaire en
situation de libre échange. Chaque pays doit respecter sa contrainte de budget qui s’écrit :

p1  Q1dj  p2  Q2d j  p1  Q1sj  p2  Q2s j ; j  A, B


ou encore :
Q2d j  Q2s j 
p2
 Q1 j  Q1dj  ; j  A, B
p1 s

Q1dj  Q1sj 
p1
 Q2 j  Q2d j  ; j  A, B
p2 s
Ces dernières équations signifient que les quantités importées de bien 2 (bien 1) doivent être
égales aux exportations de bien 1 (bien 2) exprimées en termes de bien 2 (bien 1). Le commerce
bilatéral est ainsi équilibré.
Après l’ouverture des frontières, le pays A, en observant une hausse du prix du bien 1, va
augmenter sa production relative et diminuer sa demande relative de ce même bien. Dans le
pays voisin, l’effet inverse se produit de manière à ce que le pays B devient importateur de bien
1 et exportateur de bien 2. Ainsi, chaque pays exporte le bien qui utilise le facteur spécifique
dont il est richement doté. A l’équilibre, les importations d’un pays doivent être égales aux
exportations de l’autre pour le même.

On a montré que le commerce international conduit à un changement dans le prix relatif. Il est
donc judicieux d’étudier l’effet du commerce international sur les revenus de chaque facteur de
production puisqu'un changement du prix relatif affecte les offres et les demandes relatives.
D’après les résultats établis plus haut, on peut affirmer que suite à l’ouverture :

- Le revenu du facteur spécifique du secteur exportateur va augmenter ;


- Le revenu du facteur spécifique du secteur concurrent aux importations va baisser ;
- La variation du revenu du facteur mobile est ambiguë et dépend des préférences vis-à-vis
des deux biens.

Productivité marginale
du travail

L
Figure 4 : Le partage du revenu dans le secteur 2
du pays B

Bien qu’il y ait des perdants et des gagnants, le gain global est positif puisque l’on peut donner
à chaque consommateur plus des deux biens (voir la partie ombrée du graphique suivant).

Prix relatif d’équilibre


de libre-échange
Cet élargissement des choix de consommation autorise à penser qu’une politique de
redistribution du revenu permet de compenser les perdants à l’échange de manière à ce que tout
le monde y gagne.

Les principaux résultats

 Lorsque le prix d’un bien augmente (diminue), les propriétaires du facteur spécifique
utilisé dans sa production voient leur pouvoir d’achat augmenter (diminuer). Cependant,
les détenteurs du facteur mobile peuvent gagner ou perdre selon leurs préférences.
 Le commerce international augmente (diminue) dans chaque pays qui utilise le facteur
spécifique dont ce pays est richement (pauvrement) doté.
 Chaque pays exporte (importe) le bien qu’il utilise le facteur spécifique dont ce pays est
richement (pauvrement) doté.
 Les propriétés du facteur spécifique des secteurs exportateurs de chaque pays gagnent à
l’échange tandis que les facteurs spécifiques des secteurs concurrents des importations
y perdent. Les facteurs mobiles peuvent gagner ou perdre.
 Le commerce international donne néanmoins lieu à un gain global dans le sens où ceux
qui gagnent pourraient compenser ceux qui perdent tout en gardant une situation
meilleure qu’auparavant.

Enoncé type
A l’aide du modèle à facteurs spécifiques de Jones et Samuelson (1971), expliquez la rationalité
économique de ces faits stylisés :
La forte baisse du prix du pétrole en 2014 a des conséquences globalement positives sur
l’économie des Etats-Unis d’Amérique au vu de leur situation d’importateur net. Cependant la
même année 2014 fut au Texas et surtout au Dakota du Nord (économie moins diversifiée que
le Texas) une année de déclin économique. Pourquoi ?
Réponse
Les Etats-Unis d’Amérique sont importateurs nets de pétrole. La baisse du prix du pétrole
améliore les termes de l’échange des Etats-Unis. Il en résulte un gain global pour l’économie
américaine. En revanche, les détenteurs des équipements de forage observent une dégradation
de leur situation économique. En effet, le secteur du pétrole est exposé à la concurrence des
importations. L’effondrement du prix du pétrole et le changement des prix relatifs qui s’ensuit,
à en croire le modèle à facteurs spécifiques, diminue les revenus du Texas et du Dakota du
Nord, et ce malgré le gain de l’économie américaine dans son ensemble que procure le
commerce international. C’est à l’Etat fédéral que revient la responsabilité de redistribuer le
gain de l’échange de manière à ce que tous les détenteurs de facteurs de production et toutes
les régions gagnent à l’ouverture.

Vous aimerez peut-être aussi