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Année Universitaire : 2020/21

Mastère Banque Finance et Commerce International


Niveau : M1
LES NOUVELLES THEORIES DU COMMERCE INTERNATIONAL
Commerce et concurrence oligopolistique1
Riadh El Ferktaji

On considère des firmes en situation de monopole en autarcie. Lorsque les pays s’ouvrent aux
échanges, les firmes, qui produisent des biens homogènes, se comportent de manière
stratégique afin de s’accaparer une partie de la rente de monopole des marchés nouvellement
accessibles. On explique ainsi l’existence de commerce intra-branche en biens homogènes.

1. Le modèle de Cournot appliqué au cas international


On considère deux pays. En autarcie, chaque pays ne possède qu’une seule firme qui a le
monopole de production sur un bien internationalement homogène. A l’ouverture de
l’échange, les firmes 1 et 2 forment un duopole.

Le duopole se caractérise par les interactions stratégiques entre entreprises : chaque entreprise
ne s’intéresse pas uniquement aux conséquences de son action mais également à celles de la
firme adverse et à leurs influences mutuelles. Chaque firme cherche, en fixant un niveau de
production, à maximiser son profit en tenant compte de l’influence de la firme rivale.

- Les deux pays ont des caractéristiques identiques ;


- Les deux pays ont des fonctions de coût identiques ;
- Les deux pays ont des fonctions de demande identiques ;
- Il n’existe aucun coût de transport ;
- La production est la variable stratégique des firmes ;
- Les firmes supposent une variation conjecturale nulle ;
- Les marchés sont segmentés, il existe des fonctions de demande séparées sur chacun
des deux pays.

La fonction de coût pour les deux entreprises s’écrit :

𝐶(𝑞𝑖 ) = 𝐹 + 𝑐𝑞𝑖 ; 𝑐 > 0, 𝐹 > 0, 𝑖 = 1,2

La firme domestique et la firme étrangère produisent respectivement 𝒒𝟏 pour le marché


domestique, 𝑞1∗ pour le marché étranger, 𝒒𝟐 pour le marché domestique et 𝑞2∗ pour le marché
étranger.

1
Ces notes de cours sont directement inspirées de Brander et Krugman (1983) et de Mucchielli et Mayer (2010).

1
𝑀𝑎𝑟𝑐ℎé 𝑑𝑜𝑚𝑒𝑠𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑞1 + 𝑞2

Marché étranger 𝑞1∗ + 𝑞2∗

avec :

𝑄 = 𝑞1 + 𝑞2 𝑒𝑡 𝑄 ∗ = 𝑞1∗ + 𝑞2∗

et

𝑝 = 1 − 𝑄 𝑒𝑡 𝑝∗ = 1 − 𝑄 ∗
𝑞2
𝜎=
𝑄

c.a.d :

𝑞1 = (1 − 𝜎)𝑄

A partir des équations précédentes, les fonctions de profits sont :

𝜋 = 𝑞1 𝑝(𝑄) + 𝑞1∗ 𝑝∗ (𝑄 ∗ ) − 𝑐(𝑞1 + 𝑞1∗ ) − 𝐹

𝜋 ∗ = 𝑞2 𝑝(𝑄) + 𝑞2∗ 𝑝∗ (𝑄 ∗ ) − 𝑐(𝑞2 + 𝑞2∗ ) − 𝐹 ∗

On peut considérer que les problèmes de maximisation sur les deux marchés sont traités de
manière distincte par les firmes grâce à deux hypothèses. Premièrement, avec l’hypothèse de
segmentation des marchés, les fonctions de demande sont indépendantes. Deuxièmement,
grâce à l’hypothèse de coût marginal constant, le coût de production à destination d’un
marché est indépendant de la production sur l’autre marché.

Un bref examen des fonctions de profit révèle que le choix de 𝑞1 pour maximiser le profit est
indépendant du choix de 𝑞1∗ , et d’une manière similaire pour 𝑞2 et 𝑞2∗ . Chaque pays peut être
donc considéré séparément. Par symétrie, on considère les conditions du premier ordre sur le
marché domestique :

𝜋𝑞1 = 𝑞1 𝑝′ + 𝑝 − 𝑐 = 0

𝜋𝑞∗2 = 𝑞2 𝑝′ + 𝑝 − 𝑐 = 0

Ce sont les fonctions de meilleure réponse sous forme implicite. En utilisant la variable 𝜎
pour exprimer la part de la production étrangère 𝑞2 dans le marché domestique Q, on peut
réécrire les conditions précédentes comme suit :

𝑝′
𝜋𝑞1 = 𝑝 [(1 − 𝜎)𝑄 + 1] − 𝑐 = 0
𝑝

𝑝′
𝜋𝑞∗2 = 𝑝 [𝜎𝑄 + 1] − 𝑐 = 0
𝑝

2
ou encore :

1
𝜋𝑞1 = 𝑝 [−(1 − 𝜎) + 1] − 𝑐 = 0
𝜀
1
𝜋𝑞∗2 = 𝑝 [−𝜎 + 1] − 𝑐 = 0
𝜀
c’est-à-dire :
𝑐𝜀
𝑝=
𝜀+𝜎−1
𝑐𝜀
𝑝=
𝜀−𝜎
La solution de ce système d’équations est :

2𝑐𝜀
𝑝=
2𝜀 − 1
1
𝜎=
2
On suppose que les conditions du second ordre sont satisfaites.

𝑐𝜀
𝑝=
𝜀−1

0,5 𝜎

Cela signifie qu’il y a un échange intra-branche de produits homogènes. En situation


autarcique, la firme domestique réalise le profit de monopole. Lorsque la firme étrangère
commence à exporter, le revenu marginal de la première unité produite et exportée est égal au
prix domestique, lui-même supérieur au coût marginal.

3
L’échange international est donc un processus pro-compétitif qui se poursuit jusqu’à ce que
les quantités d’équilibre soient atteintes. Ce modèle fait apparaître un commerce intra-branche
de produits homogènes. L’ouverture à l’échange permet un gain représenté dans la figure
suivante :

P 𝐷

𝑝𝑚 GAIN

𝐴 𝐵

𝑝𝑑 𝐶 D E
𝐶𝑚 = 𝑐
c
𝑅𝑚

𝑞𝑑 𝑞𝑚 2𝑞𝑑 q

Avec l’ouverture, l’équilibre passe d’une situation de monopole (𝑞𝑚 , 𝑝𝑚 ) à une situation de
duopole (2𝑞𝑑 ,𝑝𝑑 ). La firme domestique perd donc les surfaces A et D, alors que la firme
étrangère gagne les surfaces D+E. Les consommateurs gagnent les surfaces A et B. Par
symétrie, la firme domestique gagne l’équivalent des surfaces D+E sur le marché étranger. Le
gain à l’échange pour l’économie domestique est donc B+E.

𝐴+𝐵−𝐴−𝐷+𝐷+𝐸 =𝐵+𝐸

2. Le dumping réciproque
Le modèle de dumping réciproque (Brander et Krugman, 1983) ajoute au modèle précédent
des coûts de transport. Les producteurs sont alors tentés d’absorber ces coûts en vendant
moins cher aux consommateurs étrangers qu’aux consommateurs nationaux.

Brander et Krugman intègrent à la fonction de profit des firmes un coût de transport de type
« Iceberg » qui suppose qu’une fraction fixe des exportations est absorbée par les coûts de
transport. Ainsi, lorsqu’une quantité 𝑞2 est exportée par la firme étrangère vers l’économie
nationale, seule la quantité 𝑔𝑞2 (avec 0 < 𝑔 < 1) arrive effectivement à destination. Le coût
marginal de production d’une firme sur son marché domestique est c et 𝑐 ⁄𝑔 pour
l’exportation. Il faut donc noter que la présence de coûts de transport désavantage chaque
firme par rapport à sa rivale sur le marché étranger.

Les fonctions de profits des firmes domestique et étrangère s’écrivent respectivement :

4
𝑞1∗
𝜋 = 𝑞1 𝑝(𝑄) + 𝑞1∗ 𝑝∗ (𝑄 ∗ ) − 𝑐 (𝑞1 + )−𝐹
𝑔
𝑞2
𝜋 ∗ = 𝑞2 𝑝(𝑄) + 𝑞2∗ 𝑝∗ (𝑄 ∗ ) − 𝑐 ( + 𝑞2∗ ) − 𝐹 ∗
𝑔

Les conditions nécessaires d’optimalité s’obtiennent aisément :

𝑝′
𝜋𝑞1 = 𝑝 [(1 − 𝜎)𝑄 + 1] − 𝑐 = 0
𝑝

𝑝′ 𝑐
𝜋𝑞∗2 = 𝑝 [𝜎𝑄 + 1] − = 0
𝑝 𝑔

En notant 𝜀 =– 𝑝/𝑄𝑝′ l’élasticité de demande, les fonctions de réactions implicites peuvent se


réécrire :
𝑐𝜀
𝑝= (1)
(𝜀 + 𝜎 − 1)
𝑐𝜀
𝑝= (2)
𝑔(𝜀 − 𝜎)

La résolution2 de ce système d’équations aboutit immédiatement à :

𝑐𝜀(1 + 𝑔)
𝑝= (3)
𝑔(2𝜀 − 1)

𝜀(𝑔 − 1) + 1
𝜎= (4)
1+𝑔

2
La solution forme un équilibre si les conditions du second d’ordre sont vérifiées :𝜋𝑞1 𝑞1 = 𝑞1 𝑝′′ + 2𝑝′ < 0,
𝜋𝑞∗2 𝑞2 = 𝑞2 𝑝′′ + 2𝑝′ < 0, 𝜋𝑞1𝑞2 = 𝑞1 𝑝′′ + 𝑝′ < 0 et 𝜋𝑞∗2 𝑞1 = 𝑞2 𝑝′′ + 𝑝′ < 0.

5
p

𝑐𝜀 𝑐𝜀
𝑝=
𝜀−1 𝑔(𝜀 − 𝜎)

𝑐𝜀
𝑐 𝑝=
(𝜀 + 𝜎 − 1)
𝑔

Une solution positive est envisageable si à l’équilibre 𝜀 < 1⁄(1 − 𝑔) puisque cela implique
que le prix est supérieur au coût marginal de chaque unité exportée (𝑝 > 𝑐⁄𝑔) et 𝜎 > 0. Il est
aussi aisé de montrer qu’à l’équilibre chaque firme a une part de marché à l’export plus faible
que sa part sur son marché domestique3.
1
Le cas de la demande isoélastique, = 𝐴𝑄 −𝜀 , est un cas particulier fort utile. La maximisation
du profit de la firme domestique aboutit à une relation décroissante entre p et 𝜎. En revanche,
la condition de maximisation du profit de la firme étrangère implique une relation croissante
𝑐
entre p et 𝜎. Les ordonnés à l’origine sont respectivement 𝑐𝜀/(𝜀 − 1) et 𝑔 (voir figure plus
haut). Par conséquent, pourvu que 𝑐𝜀/(𝜀 − 1) > 𝑐/𝑔, l’intersection correspond à une part de
marché de la firme étrangère positive. Cette condition a une interprétation économique
naturelle, puisque 𝑐𝜀/(𝜀 − 1) est le prix autarcique, 𝑐/𝑔 est le coût marginal des exportations.
Ce que dit la condition est que le dumping réciproque se produit si la marge du monopole
dépasse les coûts de transport.

Sur la figure ci-dessous, on constate une perte à l’échange due au fait qu’à la suite de
l’ouverture, une partie de la production de la firme domestique est remplacée par une
importation coûteuse en raison des frais de transport (surface D). La firme domestique gagne
en revanche l’équivalent de la surface C en exportant sur le marché étranger. Le gain des
consommateurs correspond, avec la baisse des prix, à la surface B. Le gain à l’échange pour le
pays va donc dépendre du niveau des coûts de transport. Avec des coûts de transports faibles,
l’effet pro-concurrentiel domine le coût de l’échange intra-branche, et il y a un gain à

1
3
L’équation (1) implique 𝜀 > 1 − 𝜎, alors que (2) implique 𝜀 > 𝜎, c’est-à-dire 𝜀 > . Il s’ensuit à l’aide de (4)
2
1
que 𝜎 < si 𝑔 < 1.
2

6
l’échange. A l’inverse, on peut démontrer qu’avec des coûts de transport prohibitifs au départ,
une faible baisse de ces coûts entraîne un échange désavantageux pour le pays4.

Gain

𝑝𝑀
A B
𝑝𝐷
𝑐 E C
𝑔
D
c
Perte

𝑞1 𝑄𝑚 𝑄𝑑
Importation 𝑞2

Références bibliographiques

Brander J., Krugman P.R. (1983), A “reciprocal dumping” model of international trade,
Journal of International Economics, 15, 313-321.

Krugman P.R., Obstfeld M., Melitz M.J. (2015), International Economics Theory and Policy,
Tenth edition, Pearson.

Mucchielli J.L., Mayer T. (2010), Economie Internationale, Dalloz.

4
Pour une démonstration de ce résultat voir Brander & Krugman (1983).

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