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Chapitre 2 : Les dotations en facteurs, les avantages comparatifs et la

distribution des revenus

Chapitre 2. Section 1. La théorie des proportions des facteurs :


L’école suédoise du commerce international (Eli Heckscher (1879-1952) et Bertil Ohlin
(1899-1979)) est à l’origine de l’idée selon laquelle la différence de rareté relative des
facteurs est le déterminant principal de l’échange. Le modèle de base connaîtra comme
prolongements l’approche dite néo-factorielle et le modèle à facteurs spécifiques. Ces deux
derniers remettent en cause une hypothèse fondamentale des modèles antérieurs, à savoir
l’homogénéité du facteur travail.

L’idée de départ sur laquelle est construite la théorie des proportions des facteurs considère
que les pays potentiellement partenaires à l’échange possèdent ou peuvent accéder à la même
technologie, mais diffèrent dans leurs dotations factorielles. Ce sont par conséquent ces
dernières qui conditionneront leurs spécialisations.

1.1. Les concepts de base du modèle :


La théorie des proportions des facteurs repose sur deux concepts fondamentaux. Il s’agit du
concept d’abondance factorielle relative et de celui d’intensité factorielle.

1.1.1. L’abondance factorielle relative :


Ce concept se présente en deux versions. La première fait référence à l’abondance physique
des facteurs de production et la deuxième est établie en termes de rémunération des services
des facteurs de production.

1.1.1.1. L’abondance physique des facteurs de production :


Si on considère, pour simplifier, deux facteurs de production, le travail (L) et le capital (K), la
mesure de l’abondance physique relative des facteurs de production serait donnée par le
rapport entre les volumes respectifs des deux facteurs. On dira ainsi qu’un pays A est
relativement plus abondant en travail qu’en capital qu’un pays B si :
(L / K)A > (L / K)B, ou encore (K / L)A < (K / L)B.
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Ce n’est donc pas le volume absolu de la population active qui est déterminant mais son
rapport au stock de capital. Il s’agit d’un concept relatif et non pas absolu. Ainsi, un pays
peut être plus abondant qu’un autre en termes absolus pour tous les facteurs de production,
mais moins qu’un autre en termes relatifs.

1.1.1.2. L’abondance économique des facteurs de production :


La difficulté à évaluer et à homogénéiser les quantités des facteurs a conduit à une définition
de l’abondance factorielle en termes de prix des facteurs. On dit qu’on se réfère à
l’abondance économique.
Le prix d’un facteur de production désigne le prix du service rendu par son utilisation. Pour le
travail, il s’agira du taux de salaire w, et pour le capital on retiendra le taux d’intérêt r.

L’abondance factorielle relative est alors mesurée à partir du rapport (w/r) :


Plus (w/r)A est faible par rapport à (w/r)B, plus la rémunération du travail est faible par
rapport à celle du capital dans le pays A par comparaison au pays B. Cette situation indique
que l’économie A est relativement plus abondant en facteur travail que l’économie B.
L’économie A sera dite relativement plus abondante en travail qu’en capital en présence de la
condition ci-après :
(w/r)A < (w/r)B

1.1.2. L’intensité factorielle :


Les abondances factorielles relatives des pays vont influencer leurs technologies de
production : les pays relativement plus abondants en travail qu’en capital adopteront des
technologies relativement plus consommatrices de travail que de capital, c’est à dire
intensives en travail, alors que les pays relativement plus abondants en capital qu’en travail
opteront pour des activités dont la production est intensive en capital.
On peut ainsi remarquer que les différents biens ne sont pas identiques en termes de
proportions des facteurs nécessaires à leur production. Ils ont des intensités factorielles
différentes. Un bien noté 2 est relativement plus intensif en capital qu’en travail qu’un
bien noté 1 si :
K2 / L2 > K1 / L1
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En termes relatifs, le bien 2 utilise plus de capital que le bien 1. Il est relativement plus
intensif en capital que le bien 1. En considérant Ki et Li respectivement les quantités des
facteurs capital et travail nécessaires à la production de la quantité Xi (i : 1 ;2), on peut écrire :
K1 = k1 X1 ; K2 = k2 X2.
L1 = l1X1 ; L2 = l2 X2.

ki et li désignent respectivement les quantités de travail et de capital utilisées par unité du


produit i.
K2 / L2 > K1 / L1
 k2 X2 / l2X2 > k1 X1 / l1X1
 k2 / l2 > k1 /l1

Les différences d’abondance relative des facteurs entre les pays, ainsi que les différences
d’intensité factorielle entre les biens vont conduire au processus de spécialisation et à
l’échange. Elles déterminent en fait les avantages comparatifs

1.2. Détermination des avantages comparatifs :


Raisonnons sur un exemple :
Soient deux pays, disons la France et la Tunisie, qui produisent deux biens, des téléviseurs et
des chemises. La France est relativement plus abondante en capital que la Tunisie et la
Tunisie est relativement plus abondante en travail que la France. Le téléviseur (la chemise) est
un bien plus (moins) intensif en capital (en travail) qu’en travail (capital).

La France, abondante en capital, va produire moins cher les téléviseurs intensifs en capital
que la Tunisie. Cette dernière, pour sa part, abondante en travail, fabriquera moins chères les
chemises intensives en travail que la France.

Soient ptT et ptF respectivement les prix d’une télé en Tunisie et en France et pcT et pcF les
prix d’une chemise en Tunisie et en France. Les différences d’abondances et d’intensités
factorielles relatives feront que :
ptF < ptT et pcT < pcF

Les rapports des prix donnent les inégalités suivantes :


ptT / pcT > ptF / pcF et, inversement, pcT / ptT < pcF / ptF.
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Le prix relatif d’une télé est ainsi moins élevé en France qu’en Tunisie ; à l’inverse le prix
relatif des chemises y est moins élevé. En Tunisie, la situation contraire est vérifiée, c’est à
dire que le prix relatif d’une télé est plus élevé qu’en France et celui des chemises y est moins
élevé.

La France aura ainsi intérêt à se spécialiser dans la production des téléviseurs et la


Tunisie dans celle des chemises. Les avantages de la spécialisation apparaîtront aussi bien
pour les producteurs que pour les consommateurs des deux pays. Les producteurs nationaux
pourront vendre leur production sur le marché étranger plus cher et les consommateurs
nationaux pourront satisfaire leur demande à des prix moins chers qu’auparavant.

Il sera donc de l’intérêt de chaque pays de se spécialiser en fonction de la rareté des facteurs
dont il dispose, privilégiant ainsi les productions intensives en facteur relativement
abondant, c’est à dire celles dont la production nécessite relativement plus de facteur
abondant que de facteur rare et où ils bénéficient en conséquence d’un avantage comparatif.
Le résultat obtenu de cet exemple peut être généralisé en un théorème connu sous le nom de
théorème d’Heckscher-Ohlin :
Un pays a un avantage comparatif dans le bien dont la production est intensive dans le facteur
relativement abondant dans ce pays ; ce bien sera exportable. Inversement, il aura un
désavantage comparatif dans le bien dont la production est intensive dans le facteur
relativement rare ; ce bien sera importable.

On retrouve ici l’idée de Ricardo d’une spécialisation selon les avantages comparatifs.
Cependant, contrairement à ce dernier, Heckscher et Ohlin soutiennent que cette
spécialisation est généralement incomplète. Cette dernière signifie que les pays conserveront
une production dans le bien pour lequel ils n’ont pas d’avantage comparatif.

1.3. La spécialisation incomplète :


Se basant sur l’hypothèse des coûts d’opportunités croissants (loi des rendements
décroissants), Heckscher et Ohlin montrent que la spécialisation est en général incomplète.
Cette hypothèse implique que la réallocation des ressources d’un secteur à un autre,
conséquence directe de la spécialisation, comporte un coût qui est croissant. Le processus de
spécialisation va se traduire par un accroissement de la demande du facteur relativement
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abondant et une diminution de la demande du facteur relativement rare. Le prix relatif du


premier par rapport au second va donc augmenter.

Reprenons l’exemple précédent :


La Tunisie dispose d’un avantage comparatif dans la production des chemises. Elle va donc
tenter de se spécialiser dans cette production en lui affectant plus des ressources dont elle
dispose. La demande du facteur travail va augmenter et celle du facteur capital va diminuer,
car l’abandon de l’activité produisant des télés va libérer une quantité importante de capital
qui sera moins demandée dans l’activité des chemises. Le taux d’intérêt (reflétant la
rémunération du facteur capital) aura tendance à diminuer alors que le taux de salaire aura
tendance à augmenter. Le prix relatif du capital par rapport au travail va donc diminuer.

Au fur et à mesure que le prix relatif diminue, la réallocation des ressources du secteur
intensif en facteur rare vers le secteur intensif en facteur jusque là relativement abondant
devient de moins en moins intéressante. Des producteurs de télé poursuivront par conséquent
leur activité parce que leurs coûts de production auront baissé (le taux d’intérêt ayant
diminué). En France, le même phénomène se produira conduisant à une spécialisation
incomplète dans la fabrication des télés.

Il en résulte qu’un pays peut être spécialisé dans les productions où il dispose d’un avantage
comparatif, tout en conservant des activités caractérisées par un désavantage comparatif. La
production locale dans ces dernières activités sera plus compétitive que les importations.

1.4. L’égalisation des prix des facteurs et le théorème H.O.S :


Selon Heckscher et Ohlin, l’échange est à l’origine d’un mouvement d’égalisation des prix
des biens et des facteurs. Le mécanisme qu’ils mettent en évidence est le suivant :
L’échange des biens, que les deux auteurs assimilent à un échange de facteurs rares contre des
facteurs abondants, va se traduire dans chacun des pays par une diminution du prix des
premiers et une élévation de celui des seconds. La convergence des prix des facteurs peut
alors aboutir à une égalisation complète de ceux – ci, toute entrave aux échanges étant exclue.
Ce résultat est connu sous le nom de théorème d’Hecksher -Ohlin-Samuelson (HOS).
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1.5. L’échange et la répartition interne des revenus :


Les conséquences de l’échange sur la répartition interne des revenus sont énoncées par le
théorème de Stolper-Samuelson (1941)1. Il indique que lorsque le prix relatif d’un bien
s’élève à la suite de l’échange, la rémunération du facteur de production dans lequel il est
intensif augmente, alors que celle du facteur moins sollicité diminue. Il en résulte une
distribution inégale du gain puisque les détenteurs du facteur dont la rémunération a baissé
vont être lésés au profit des détenteurs du facteur dont la rémunération a augmenté. Cette
inégalité des gains à l’échange crée une demande de protection par l’Etat qui constitue le
paradoxe de la spécialisation internationale basée sur la doctrine du libre échange.

1
Wolfgang F. Stolper, Paul A. Samuelson (1941) : « Protection and Real Wages », The Review of Economic
Studies, Volume 9, Issue 1, November, Pages 58–73.

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