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Waterloo :
Pourquoi Napoléon a perdu son
ultime bataille, qui semblait
pourtant gagnée d’avance ?
Au matin du 18 juin 1815, Napoléon est confiant : «cette bataille sera l’affaire
d’un déjeuner» dit-il à son état-major plutôt perplexe. Au soir, son armée est mise
totalement en déroute. Comment celui qu’on appelait le «dieu de la guerre» a-t-il pu
subir l’une des pires défaites de toute l’histoire militaire ?
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N
apoléon a livré plus de cinquante
batailles sous son commandement
direct, beaucoup plus que n’im-
porte quel autre chef de guerre
toutes époques confondues. Il les
a presque toutes gagnées, souvent
Pourquoi cette guerre ?
Quand Napoléon se réinstalle au
pouvoir le 20 mars 1815, à la suite de
son stupéfiant retour de l’île d’Elbe,
il est immédiatement confronté à
d’immenses difficultés. S’il a réussi
à reconquérir son trône sans vio-
lence, sa prise de pouvoir s’appuie
plus sur un ralliement militaire que
sur un véritable soutien populaire et
s’apparente en fait à un coup d’État.
ré «hors-la-loi» avant même son
arrivée à Paris. Formée en toute
hâte, la Septième Coalition réunit
quasiment toute l’Europe et les
États membres se sont engagés
à ne pas déposer les armes tant
qu’il ne sera pas vaincu. Napoléon
a beau multiplier les messages de
paix, «aucune réconciliation n’est
possible avec cet homme !» clame
le tsar de Russie.
de façon magistrale, démontrant un Il est très loin d’avoir l’adhésion Napoléon ne s’y attendait pas et
génie militaire très supérieur à celui générale de l’opinion publique, il doit se préparer à une guerre
de ses adversaires. Pourtant, il a fini la bourgeoisie est inquiète et en inévitable, mais qui ne s’annonce
par être battu et l’histoire retient haut lieu, tout n’est qu’intrigues pas du tout en sa faveur. Les Alliés
que c’est dans le fracas de Waterloo, et complots. Dans le Midi et dans disposent de 800 000 hommes et
que Napoléon pensait être une vic- l’Ouest, les nombreux foyers roya- ont la capacité de mobiliser 500
toire rapide et facile, que s’achève listes s’agitent. La Vendée entre 000 hommes supplémentaires,
définitivement l’épopée glorieuse, à nouveau en insurrection, ce qui tandis que l’armée française ne
mais sanglante, du Premier Empire. l’obligera à y envoyer des troupes compte plus que 235 000 hommes,
Or, pour comprendre Waterloo, il qui vont lui manquer. pour la plupart répartis sur les
ne faut pas l’observer comme un Si la situation intérieure ne se frontières. Il doit reconstituer une
fait d’armes isolé, mais comme le présente pas sous les meilleurs «grande armée» au plus vite pour
dernier acte d’une vaste bataille auspices pour Napoléon, la situation une guerre qu’il prévoit longue
de quatre jours, du 15 au 18 juin extérieure est bien plus inquiétante. et difficile, mais la tâche semble
1815, où Napoléon n’avait pas droit Un moment atterrés par sa fuite impossible. La France a été rame-
à l’erreur, mais où rien n’allait se de l’île d’Elbe, les diplomates du née dans ses frontières de 1792, la
passer comme prévu. Congrès de Vienne l’ont décla- privant des ressources humaines
Au contraire de
Napoléon qui le
sous-estime,
Wellington a
minutieusement
étudié toutes les
batailles de son
adversaire, dont
il redoute à juste
titre le génie
militaire.
Un «nouvel Austerlitz»
Dans l’urgence de la situation,
Napoléon ne peut rassembler que
128 000 hommes. Il est presque à un
contre deux, mais c’est une troupe
d’excellente qualité constituée de
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Napoléon a le choix entre rester sur la défensive, mais il risque d’être rapidement submergé par
le nombre, ou prendre les Alliés de vitesse en frappant un grand coup de tonnerre qui va les
Namur aux Prussiens. Au centre, ont progressé trop lentement, les plus l’aura qu’on lui connaissait. Il
Napoléon viendra d’abord appuyer ordres, mal retranscrits ou mal a pris beaucoup de poids et semble
Grouchy pour battre Blücher, puis interprétés, arrivant en retard ou las et accablé, comme si sa bonne
se retournera sur Ney pour battre n’arrivant pas du tout et le 15 au étoile l’avait quitté. Épuisé par la
Wellington. Ces deux armées bat- soir, les Français n’ont pas réalisé suractivité de ces derniers mois,
tront en retraite selon leurs routes leurs objectifs et l’effet de surprise souffrant de violents maux d’esto-
de communication, les Britanniques est passé. Un général a même dé- mac et parfois indisponible, il va
vers la côte pour rembarquer, les serté et informé les Prussiens de se montrer hésitant, apathique,
Prussiens vers l’est et la route de la situation ... irritable et s’en remettre au destin,
Bruxelles sera dégagée. Dès le début des opérations, tandis que ses lieutenants, habitués
Le plan de Napoléon est bon, mais Napoléon prend conscience de à obéir sans discuter, ne sauront
ses adversaires, qui ont appris à ces carences, mais il est trop tard pas prendre les bonnes initiatives.
le connaître, n’ont pas l’intention pour tenter d’y apporter des so- Aussi, et bien qu’il soit toujours
de se laisser manoeuvrer. De plus, lutions. L’empereur lui-même n’a autant redouté par ses adversaires,
son armée constituée en toute hâte
manque de cohésion. Les officiers,
bien qu’expérimentés, sont pour Battu à de
nombreuses
la plupart nouvellement promus
reprises en 1806,
à des niveaux de commandement 1813 et 1814,
supérieur et ils n’ont pas eu le Blücher haït
temps de se familiariser avec leurs Napoléon au plus
nouvelles responsabilités. La plu- haut point et veut
part des maréchaux sont absents, à tout prix prendre
soit parce qu’ils sont restés fidèles
à Louis XVIII, soit parce qu’ils ont
refusé de s’associer à cette aventure
en laquelle ils ne croient guère. Le
meilleur de tous, Davout, est resté à
Paris pour organiser la reconstruc-
tion de l’armée. S’il est un meneur
d’hommes exceptionnel, Ney est un
piètre manoeuvrier. Soult remplace
l’irremplaçable Berthier au poste
de chef d’état-major et durant toute
la campagne la transmission des
ordres sera gravement défaillante.
Grouchy a quant à lui tout juste
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La campagne
de Belgique
comporte deux
doubles batailles
: le 16 juin, le
match nul de
Quatre-Bras et
la demi-victoire
de Ligny ; le 18
juin, la bataille
décisive de
Waterloo et la
victoire inutile de
Wavre.
il semble assez évident qu’en ce toute la matinée est perdue dans 000 contre 38 000, il est incapable
mois de juin 1815, Napoléon n’est l’attente de diverses unités qui sont de remporter la position et compte
plus le Napoléon d’Austerlitz et à la traîne. Sur la gauche, Ney ne sur l’arrivée des 20 000 hommes
qu’il n’a plus l’outil militaire qui s’empare pas de Quatre-Bras alors du corps de Drouet d’Erlon. Sur la
lui a donné sa supériorité tactique. qu’il en avait l’occasion, mais ses droite, surpris par la vive résistance
instructions ne sont pas très claires des Prussiens, Grouchy n’a pas
L’occasion manquée et il ne sait pas ce qu’il a en face bougé depuis la veille et a attendu
Le 16 juin au matin, il serait en- de lui. Lorsqu’il se décide enfin à que le corps de Gérard soit arrivé
core temps pour les Français de attaquer, Wellington envoie des pour engager la bataille. Mais les
rattraper le retard de la veille, mais renforts constants et se battant à 23 Prussiens ont maintenant déployé
trois corps d’armée autour de la
Rappelé au bourgade de Ligny et ont trans-
dernier moment formé leurs positions en véritable
et laissé sans forteresse. Les ailes des armées
instructions britannique et prussienne ne sont
précises, Ney plus distantes que d’une vingtaine
va se montrer de kilomètres et Blücher espère
lent et hésitant
les 15 et 16 juin
que Wellington viendra lui prêter
et beaucoup main-forte.
trop brouillon Aussi, Napoléon est contraint de
et impétueux diviser ses forces, alors qu’elles
le 18. ne sont pas encore toutes regrou-
pées, pour livrer simultanément
une double bataille au lieu d’en
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Envoyé
tardivement
à la poursuite
des Prussiens
et s’en tenant
strictement
aux ordres,
Grouchy n’a pas
été en mesure
de participer
à la bataille
qui allait être
décisive et
a endossé le
rôle de bouc
émissaire.
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déjeuner.» Napoléon.
Napoléon vient de diviser ses forces du matin, il reçoit un courrier de : à cause de la pluie et du sol dé-
alors que l’ennemi va effectuer sa Grouchy l’informant que «des co- trempé, la bataille ne commence
jonction et disposer d’une impor- lonnes de Prussiens» se sont re- qu’en fin de matinée, donnant de
tante supériorité numérique. pliées sur Wavre. Napoléon ne s’en précieuses heures supplémentaires
Pendant ce temps, Napoléon est alarme pas, ne prend aucune dispo- aux Prussiens ; l’attaque de diver-
accouru à Quatre-Bras pour régler sition pour couvrir son flanc droit et sion sur la droite adverse bute sur
son compte à Wellington, mais c’est ne dicte sa réponse qu’à 10 heures la ferme fortifiée d’Hougoumont
pour constater que les Britanniques du matin. Elle confirme vaguement qui était cachée par un bois et
ont décampé, Ney n’ayant rien vu. la mission de Grouchy, mais il n’est mobilise trois divisions qui vont
La poursuite s’engage immédiate- en aucun cas question qu’il rejoigne subir des pertes considérables
ment, mais les routes détrempées le champ de bataille. Napoléon pour des résultats marginaux ; la
par un violent orage ralentissent commet une autre grave erreur : préparation d’artillerie est peu ef-
la progression. En fin de journée celle de sous-estimer Wellington, ficace, car Wellington a positionné
Wellington a déployé 68 000 hommes malgré les mises en garde de ceux le gros de ses troupes à l’abri de la
sur le plateau de Mont-Saint-Jean qui l’ont combattu en Espagne vue et des tirs sur la contrepente
et semble vouloir accepter la ba- quant à sa tactique défensive meur- du plateau et de plus, les boulets
taille. Napoléon dispose de 74 000 trière. Trop sûr de lui, il étale son s’enfoncent dans la terre détrempée
hommes, mais il est trop tard pour mépris pour ses adversaires comme et ne ricochent pas ; enfin, l’attaque
engager le combat et persuadé que pour ses subordonnés et il affirme du corps de Drouet d’Erlon censée
Wellington va se replier, il ne fait que la bataille «sera l’affaire d’un briser le centre gauche adverse est
pas effectuer une reconnaissance déjeuner». un fiasco total. Et la bataille est à
systématique du terrain. À 2 heures Or, l’affaire va très mal s’engager peine engagée qu’on apprend que
À Waterloo,
Napoléon ne
s’embarrasse
pas avec des
savantes
manoeuvres
: attaque
frontale
massive
pour briser
le dispositif
adverse.
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des Prussiens sont signalés à l’est. et sous la pression de la mitraille l’occasion pour lancer toutes ses
Là, Napoléon s’inquiète et envoie ennemie, elle recule. Au même troupes encore valides en avant.
un courrier à Grouchy lui deman- moment, un second corps prussien Épuisée et submergée de toutes
dant de le rejoindre. Il le recevra fait sa jonction avec l’aile gauche parts, l’armée française se désin-
beaucoup trop tard. britannique. À la stupéfaction de tègre et se débande dans un sauve-
Le déjeuner est passé depuis long- voir la Garde reculer, s’ajoute celle qui-peut général, abandonnant tous
temps et tout reste à faire, mais de voir les Prussiens arriver là les équipements sur place, tandis
vers 16 heures, la bataille entre où on avait annoncé Grouchy. Ce que Ney cherche la mort sur le
dans une seconde phase. Ney in- sont maintenant 50 000 hommes champ de bataille. Seule la Vieille
terprète un mouvement de repli qui enfoncent la droite française Garde, qui «meurt et ne se rend
comme une retraite générale et et un troisième corps prussien est pas», se sacrifie pour couvrir une
lance prématurément la cavalerie en vue. La panique se répand sur retraite qui est en fait une déroute
à l’assaut sans l’aval de Napoléon. l’ensemble de la ligne, des unités totale. À 21 heures, tout est fini.
Celle-ci va se briser sur l’infanterie entières refluent et Wellington saisit
anglaise formée en carrés. Les 32
000 hommes du corps intact de Les trois
Bülow débouchent sur les arrières, positions
menaçant de couper la ligne de re- fortifiées par
traite. Napoléon envoie des troupes Wellington
pour les contenir, mais elles vont en avant
manquer pour remporter la déci- de sa ligne
sion contre Wellington et vers 19 de défense
heures, il n’a quasiment plus de principale ont
parfaitement
réserves. Il a alors deux options : rempli leur rôle
battre en retraite ou tenter le tout de brise-lames
pour le tout et devant la nécessité des attaques
politique d’une victoire, il choisit françaises.
la seconde. La bataille entre alors
dans sa troisième phase. Napoléon
envoie la Garde à l’assaut du plateau
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Le village de
cas il n’y aurait pas eu Waterloo, car Plancenoit, sur
Wellington n’a accepté le combat les arrières, a
qu’avec la garantie que Blücher été le lieu de
allait venir à la rescousse avec au combats au
moins un corps d’armée. Son plan corps à corps
acharnés à un
n’était pas de battre Napoléon seul contre trois
par une bataille de manoeuvres qu’il entre Français
savait trop risquée, mais d’user et Prussiens.
l’armée française par une bataille
défensive jusqu’à l’arrivée des ren-
forts prussiens et Napoléon est
tombé dans le panneau. Pour au-
tant, ce n’était pas gagné d’avance
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pour les Alliés, mais l’arrivée, non
pas d’un, mais de deux, puis trois
corps prussiens, qui ont été sidérés
de ne rencontrer aucune opposition
durant leur progression, a rendu la
situation totalement sans espoir son naufrage et probablement jusqu’au bout. Napoléon aurait dû
pour Napoléon. ébranlé la coalition financée comme se retourner immédiatement sur
Malgré tout, imaginons Napoléon d’habitude par les Britanniques. le Rhin avec une armée durement
vainqueur de Wellington à Waterloo Du moins c’est ce que Napoléon éprouvée pour faire face à 200
au soir du 18 juin. De Bruxelles où il pouvait espérer. Mais son maintien 000 Autrichiens, avant qu’ils ne
aurait fait son entrée le 19, il aurait sur le trône de France était trop soient rejoints par 150 000 Russes.
tendu la main aux Alliés avec des contraire au nouvel ordre établi par Aussi, une victoire de Napoléon en
propositions de paix raisonnables. le Congrès de Vienne. Il n’était pas Belgique n’aurait fait que retarder
L’annonce de sa victoire aurait question de revenir sur l’équilibre l’échéance. Comme l’avait prévu
fait plonger la Bourse de Londres, européen si durement négocié et Talleyrand : «Il gagnera une ou deux
entraînant la Livre sterling dans les Alliés étaient déterminés à aller batailles, mais il perdra la suivante».
À son retour
à Paris, la
Chambre des
Députés exige
que Napoléon
renonce au
pouvoir. Épuisé
bibliographie
et découragé, Thierry Lentz, Nouvelle histoire du
il écarte l’idée Premier Empire, tome 4 : les Cent-
d’une dictature Jours, 1815, Fayard 2010
et abdique pour
la seconde fois,
Thierry Lentz, Waterloo, Perrin 2015
le 22 juin 1815.
Bernard Coppens, Waterloo : l’histoire
vraie de la bataille, PIXL 2015
Jacques Logie, Waterloo : l’inévitable
défaite, Duculot 1994
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