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les cahiers de l’histoire

Waterloo :
Pourquoi Napoléon a perdu son
ultime bataille, qui semblait
pourtant gagnée d’avance ?

Au matin du 18 juin 1815, Napoléon est confiant : «cette bataille sera l’affaire
d’un déjeuner» dit-il à son état-major plutôt perplexe. Au soir, son armée est mise
totalement en déroute. Comment celui qu’on appelait le «dieu de la guerre» a-t-il pu
subir l’une des pires défaites de toute l’histoire militaire ?

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86 les grandes Énigmes de l’histoire | n°5


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par Vincent Willaime

N
apoléon a livré plus de cinquante
batailles sous son commandement
direct, beaucoup plus que n’im-
porte quel autre chef de guerre
toutes époques confondues. Il les
a presque toutes gagnées, souvent
Pourquoi cette guerre ?
Quand Napoléon se réinstalle au
pouvoir le 20 mars 1815, à la suite de
son stupéfiant retour de l’île d’Elbe,
il est immédiatement confronté à
d’immenses difficultés. S’il a réussi
à reconquérir son trône sans vio-
lence, sa prise de pouvoir s’appuie
plus sur un ralliement militaire que
sur un véritable soutien populaire et
s’apparente en fait à un coup d’État.
ré «hors-la-loi» avant même son
arrivée à Paris. Formée en toute
hâte, la Septième Coalition réunit
quasiment toute l’Europe et les
États membres se sont engagés
à ne pas déposer les armes tant
qu’il ne sera pas vaincu. Napoléon
a beau multiplier les messages de
paix, «aucune réconciliation n’est
possible avec cet homme !» clame
le tsar de Russie.
de façon magistrale, démontrant un Il est très loin d’avoir l’adhésion Napoléon ne s’y attendait pas et
génie militaire très supérieur à celui générale de l’opinion publique, il doit se préparer à une guerre
de ses adversaires. Pourtant, il a fini la bourgeoisie est inquiète et en inévitable, mais qui ne s’annonce
par être battu et l’histoire retient haut lieu, tout n’est qu’intrigues pas du tout en sa faveur. Les Alliés
que c’est dans le fracas de Waterloo, et complots. Dans le Midi et dans disposent de 800 000 hommes et
que Napoléon pensait être une vic- l’Ouest, les nombreux foyers roya- ont la capacité de mobiliser 500
toire rapide et facile, que s’achève listes s’agitent. La Vendée entre 000 hommes supplémentaires,
définitivement l’épopée glorieuse, à nouveau en insurrection, ce qui tandis que l’armée française ne
mais sanglante, du Premier Empire. l’obligera à y envoyer des troupes compte plus que 235 000 hommes,
Or, pour comprendre Waterloo, il qui vont lui manquer. pour la plupart répartis sur les
ne faut pas l’observer comme un Si la situation intérieure ne se frontières. Il doit reconstituer une
fait d’armes isolé, mais comme le présente pas sous les meilleurs «grande armée» au plus vite pour
dernier acte d’une vaste bataille auspices pour Napoléon, la situation une guerre qu’il prévoit longue
de quatre jours, du 15 au 18 juin extérieure est bien plus inquiétante. et difficile, mais la tâche semble
1815, où Napoléon n’avait pas droit Un moment atterrés par sa fuite impossible. La France a été rame-
à l’erreur, mais où rien n’allait se de l’île d’Elbe, les diplomates du née dans ses frontières de 1792, la
passer comme prévu. Congrès de Vienne l’ont décla- privant des ressources humaines

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Au contraire de
Napoléon qui le
sous-estime,
Wellington a
minutieusement
étudié toutes les
batailles de son
adversaire, dont
il redoute à juste
titre le génie
militaire.

avec Ostende où mouille la flotte


britannique, Wellington a dispersé
son armée entre Gand et Bruxelles.
Ne sachant pas où il comptait atta-
quer, Blücher a disposé ses quatre
corps d’armée de part et d’autre
de la Meuse entre Liège et Namur.
Wellington et Blücher pensent que
Napoléon n’attaquera pas avant juil-
let et les ailes de leurs armées sont
encore distantes d’une soixantaine
de kilomètres.

Un «nouvel Austerlitz»
Dans l’urgence de la situation,
Napoléon ne peut rassembler que
128 000 hommes. Il est presque à un
contre deux, mais c’est une troupe
d’excellente qualité constituée de
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nombreux vétérans et son plan est


de se glisser par surprise entre
ces deux armées et de les battre
l’une après l’autre avant qu’elles
ne soient réunies, puis de faire son
et financières des conquêtes de la remportant au plus vite une grande entrée à Bruxelles d’où il fera de
Révolution et de l’Empire. Après victoire pour rassurer ses partisans, nouvelles propositions de paix. Le
plus de vingt années de guerre, le faire taire les oppositions, délier 12 juin Napoléon quitte Paris pour
pays est las, exsangue et de plus, les bourses et dissuader les Alliés rejoindre l’Armée du Nord avec
des royalistes aux républicains, de l’attaquer. Il aura alors plus de l’objectif de stupéfier le monde par
divisé quant à l’opportunité de temps et de moyens pour achever un «nouvel Austerlitz» et dans la
son retour. L’argent manque et la la reconstruction de l’armée et il nuit du 14 au 15 juin, la Sambre est
plupart des hommes qui ont rejoint sera en meilleure position pour franchie à Charleroi. Pour l’instant,
les casernes se tournent les pouces ouvrir des négociations. il a un coup d’avance.
en attendant qu’on leur fournisse La menace la plus immédiate est en Napoléon a divisé son armée en
armes et équipements. Belgique avec l’armée de Wellington, trois forces à peu près égales. L’aile
Aussi, Napoléon n’a pas le choix. constituée de Britanniques, Belges, gauche commandée par Ney doit
S’il reste sur la défensive, le pays Néerlandais et Allemands, forte de s’emparer d’un carrefour stra-
sera à nouveau envahi et il sera ra- 96 000 hommes et l’armée prus- tégique du nom de Quatre-Bras
pidement submergé par le nombre. sienne de Blücher, forte de 124 pour bloquer les Britanniques.
Il doit faire une nouvelle démons- 000 hommes. Craignant qu’il ne L’aile droite commandée par
tration de son génie militaire en coupe ses lignes de communication Grouchy doit couper la route de

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Napoléon a le choix entre rester sur la défensive, mais il risque d’être rapidement submergé par

le nombre, ou prendre les Alliés de vitesse en frappant un grand coup de tonnerre qui va les

ébranler et le mettre en position d’engager des négociations.

Namur aux Prussiens. Au centre, ont progressé trop lentement, les plus l’aura qu’on lui connaissait. Il
Napoléon viendra d’abord appuyer ordres, mal retranscrits ou mal a pris beaucoup de poids et semble
Grouchy pour battre Blücher, puis interprétés, arrivant en retard ou las et accablé, comme si sa bonne
se retournera sur Ney pour battre n’arrivant pas du tout et le 15 au étoile l’avait quitté. Épuisé par la
Wellington. Ces deux armées bat- soir, les Français n’ont pas réalisé suractivité de ces derniers mois,
tront en retraite selon leurs routes leurs objectifs et l’effet de surprise souffrant de violents maux d’esto-
de communication, les Britanniques est passé. Un général a même dé- mac et parfois indisponible, il va
vers la côte pour rembarquer, les serté et informé les Prussiens de se montrer hésitant, apathique,
Prussiens vers l’est et la route de la situation ... irritable et s’en remettre au destin,
Bruxelles sera dégagée. Dès le début des opérations, tandis que ses lieutenants, habitués
Le plan de Napoléon est bon, mais Napoléon prend conscience de à obéir sans discuter, ne sauront
ses adversaires, qui ont appris à ces carences, mais il est trop tard pas prendre les bonnes initiatives.
le connaître, n’ont pas l’intention pour tenter d’y apporter des so- Aussi, et bien qu’il soit toujours
de se laisser manoeuvrer. De plus, lutions. L’empereur lui-même n’a autant redouté par ses adversaires,
son armée constituée en toute hâte
manque de cohésion. Les officiers,
bien qu’expérimentés, sont pour Battu à de
nombreuses
la plupart nouvellement promus
reprises en 1806,
à des niveaux de commandement 1813 et 1814,
supérieur et ils n’ont pas eu le Blücher haït
temps de se familiariser avec leurs Napoléon au plus
nouvelles responsabilités. La plu- haut point et veut
part des maréchaux sont absents, à tout prix prendre
soit parce qu’ils sont restés fidèles
à Louis XVIII, soit parce qu’ils ont
refusé de s’associer à cette aventure
en laquelle ils ne croient guère. Le
meilleur de tous, Davout, est resté à
Paris pour organiser la reconstruc-
tion de l’armée. S’il est un meneur
d’hommes exceptionnel, Ney est un
piètre manoeuvrier. Soult remplace
l’irremplaçable Berthier au poste
de chef d’état-major et durant toute
la campagne la transmission des
ordres sera gravement défaillante.
Grouchy a quant à lui tout juste
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reçu son bâton de maréchal. C’est


un excellent général de cavalerie,
mais qui n’a jamais commandé
une armée. Résultat, les colonnes

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La campagne
de Belgique
comporte deux
doubles batailles
: le 16 juin, le
match nul de
Quatre-Bras et
la demi-victoire
de Ligny ; le 18
juin, la bataille
décisive de
Waterloo et la
victoire inutile de
Wavre.

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il semble assez évident qu’en ce toute la matinée est perdue dans 000 contre 38 000, il est incapable
mois de juin 1815, Napoléon n’est l’attente de diverses unités qui sont de remporter la position et compte
plus le Napoléon d’Austerlitz et à la traîne. Sur la gauche, Ney ne sur l’arrivée des 20 000 hommes
qu’il n’a plus l’outil militaire qui s’empare pas de Quatre-Bras alors du corps de Drouet d’Erlon. Sur la
lui a donné sa supériorité tactique. qu’il en avait l’occasion, mais ses droite, surpris par la vive résistance
instructions ne sont pas très claires des Prussiens, Grouchy n’a pas
L’occasion manquée et il ne sait pas ce qu’il a en face bougé depuis la veille et a attendu
Le 16 juin au matin, il serait en- de lui. Lorsqu’il se décide enfin à que le corps de Gérard soit arrivé
core temps pour les Français de attaquer, Wellington envoie des pour engager la bataille. Mais les
rattraper le retard de la veille, mais renforts constants et se battant à 23 Prussiens ont maintenant déployé
trois corps d’armée autour de la
Rappelé au bourgade de Ligny et ont trans-
dernier moment formé leurs positions en véritable
et laissé sans forteresse. Les ailes des armées
instructions britannique et prussienne ne sont
précises, Ney plus distantes que d’une vingtaine
va se montrer de kilomètres et Blücher espère
lent et hésitant
les 15 et 16 juin
que Wellington viendra lui prêter
et beaucoup main-forte.
trop brouillon Aussi, Napoléon est contraint de
et impétueux diviser ses forces, alors qu’elles
le 18. ne sont pas encore toutes regrou-
pées, pour livrer simultanément
une double bataille au lieu d’en
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concentrer un maximum sur un


seul adversaire. Réalisant que Ligny
est une action plus importante que

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En ce mois de juin 1815, alors qu’il tente un coup très


au sud de Bruxelles sur une solide
position défensive qu’il avait étu-
risqué à presque un contre deux, il semble assez évident diée un an auparavant, le plateau
de Mont-Saint-Jean.
que l’empereur n’est plus le Napoléon d’Austerlitz et qu’il
Le piège se referme
n’a plus l’outil militaire qui lui a donné sa supériorité Les deux généraux se sont enten-
dus : Wellington barrera la route à
Napoléon tandis que Blücher, qui
se replie sur Wavre, à une quinzaine
de kilomètres à l’est de Mont-Saint-
prévu, il prend la tête de l’aile droite sive à Napoléon. Ne le voyant pas Jean, accourra avec le plus de
avec l’objectif d’écraser Blücher qui venir, vers 20 heures, Napoléon troupes possible pour frapper la
lui impose la bataille avec 87 000 ordonne finalement à la Garde de droite des Français. Abusé par sa
hommes contre 72 000. Pensant que forcer le centre prussien, sous le demi-victoire à Ligny, Napoléon est
Ney tient Quatre-Bras, Napoléon lui couvert d’une violente préparation persuadé que les Prussiens sont
demande de détacher une partie d’artillerie. hors de combat et qu’ils se replient
de ses forces pour envelopper le Napoléon a réussi à empêcher la vers Namur et il ne donne l’ordre à
flanc droit des Prussiens, mais le jonction des deux armées adverses Grouchy de les poursuivre qu’en fin
maréchal est évidemment dans et vient de remporter une nouvelle de matinée. Grouchy part donc avec
l’impossibilité d’effectuer ce mouve- victoire, mais les pertes sont lourdes 33 000 hommes dans la mauvaise
ment. Napoléon envoie alors l’ordre et le bilan est très mitigé. S’ils ont direction, plutôt mollement, et
à Drouet d’Erlon de l’effectuer, mais été repoussés, les Prussiens n’ont ce n’est qu’en fin de journée qu’il
Ney, de plus en plus submergé, lui pas été détruits et se replient en comprend la feinte de l’ennemi.
envoie des contrordres désespé- bon ordre sans même être pour- Mais il a perdu le contact et les
rés pour qu’il vienne le soutenir. suivis, Napoléon, malade, épuisé et Prussiens sont déjà presque tous
Aussi, le corps de Drouet d’Erlon indisponible, n’ayant donné aucun regroupés sur Wavre. Blücher y
va passer la journée en marches et ordre. Le 17 vers 10 heures, informé laissera un corps d’armée chargé de
contremarches sans prendre part de la retraite de Blücher, Wellington le fixer pendant que les trois autres
à aucune bataille, faisant manquer ordonne le repli des troupes de corps seront déjà en marche vers
la victoire à Ney et la victoire déci- Quatre-Bras et leur concentration le champ de bataille principal. Et

Envoyé
tardivement
à la poursuite
des Prussiens
et s’en tenant
strictement
aux ordres,
Grouchy n’a pas
été en mesure
de participer
à la bataille
qui allait être
décisive et
a endossé le
rôle de bouc
émissaire.
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les grandes Énigmes de l’histoire | n°5 91  


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Tout au long de cette campagne, les


deux commandants alliés ont gardé
le contact et se sont entendus pour
affronter ensemble Napoléon, déjouant

«Parce que vous avez été battus

par Wellington, vous le regardez

comme un grand général. Et

moi, je vous dis que c’est un

mauvais général, que les Anglais

sont de mauvaises troupes

et que ce sera l’affaire d’un


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déjeuner.» Napoléon.

Napoléon vient de diviser ses forces du matin, il reçoit un courrier de : à cause de la pluie et du sol dé-
alors que l’ennemi va effectuer sa Grouchy l’informant que «des co- trempé, la bataille ne commence
jonction et disposer d’une impor- lonnes de Prussiens» se sont re- qu’en fin de matinée, donnant de
tante supériorité numérique. pliées sur Wavre. Napoléon ne s’en précieuses heures supplémentaires
Pendant ce temps, Napoléon est alarme pas, ne prend aucune dispo- aux Prussiens ; l’attaque de diver-
accouru à Quatre-Bras pour régler sition pour couvrir son flanc droit et sion sur la droite adverse bute sur
son compte à Wellington, mais c’est ne dicte sa réponse qu’à 10 heures la ferme fortifiée d’Hougoumont
pour constater que les Britanniques du matin. Elle confirme vaguement qui était cachée par un bois et
ont décampé, Ney n’ayant rien vu. la mission de Grouchy, mais il n’est mobilise trois divisions qui vont
La poursuite s’engage immédiate- en aucun cas question qu’il rejoigne subir des pertes considérables
ment, mais les routes détrempées le champ de bataille. Napoléon pour des résultats marginaux ; la
par un violent orage ralentissent commet une autre grave erreur : préparation d’artillerie est peu ef-
la progression. En fin de journée celle de sous-estimer Wellington, ficace, car Wellington a positionné
Wellington a déployé 68 000 hommes malgré les mises en garde de ceux le gros de ses troupes à l’abri de la
sur le plateau de Mont-Saint-Jean qui l’ont combattu en Espagne vue et des tirs sur la contrepente
et semble vouloir accepter la ba- quant à sa tactique défensive meur- du plateau et de plus, les boulets
taille. Napoléon dispose de 74 000 trière. Trop sûr de lui, il étale son s’enfoncent dans la terre détrempée
hommes, mais il est trop tard pour mépris pour ses adversaires comme et ne ricochent pas ; enfin, l’attaque
engager le combat et persuadé que pour ses subordonnés et il affirme du corps de Drouet d’Erlon censée
Wellington va se replier, il ne fait que la bataille «sera l’affaire d’un briser le centre gauche adverse est
pas effectuer une reconnaissance déjeuner». un fiasco total. Et la bataille est à
systématique du terrain. À 2 heures Or, l’affaire va très mal s’engager peine engagée qu’on apprend que

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À Waterloo,
Napoléon ne
s’embarrasse
pas avec des
savantes
manoeuvres
: attaque
frontale
massive
pour briser
le dispositif
adverse.

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des Prussiens sont signalés à l’est. et sous la pression de la mitraille l’occasion pour lancer toutes ses
Là, Napoléon s’inquiète et envoie ennemie, elle recule. Au même troupes encore valides en avant.
un courrier à Grouchy lui deman- moment, un second corps prussien Épuisée et submergée de toutes
dant de le rejoindre. Il le recevra fait sa jonction avec l’aile gauche parts, l’armée française se désin-
beaucoup trop tard. britannique. À la stupéfaction de tègre et se débande dans un sauve-
Le déjeuner est passé depuis long- voir la Garde reculer, s’ajoute celle qui-peut général, abandonnant tous
temps et tout reste à faire, mais de voir les Prussiens arriver là les équipements sur place, tandis
vers 16 heures, la bataille entre où on avait annoncé Grouchy. Ce que Ney cherche la mort sur le
dans une seconde phase. Ney in- sont maintenant 50 000 hommes champ de bataille. Seule la Vieille
terprète un mouvement de repli qui enfoncent la droite française Garde, qui «meurt et ne se rend
comme une retraite générale et et un troisième corps prussien est pas», se sacrifie pour couvrir une
lance prématurément la cavalerie en vue. La panique se répand sur retraite qui est en fait une déroute
à l’assaut sans l’aval de Napoléon. l’ensemble de la ligne, des unités totale. À 21 heures, tout est fini.
Celle-ci va se briser sur l’infanterie entières refluent et Wellington saisit
anglaise formée en carrés. Les 32
000 hommes du corps intact de Les trois
Bülow débouchent sur les arrières, positions
menaçant de couper la ligne de re- fortifiées par
traite. Napoléon envoie des troupes Wellington
pour les contenir, mais elles vont en avant
manquer pour remporter la déci- de sa ligne
sion contre Wellington et vers 19 de défense
heures, il n’a quasiment plus de principale ont
parfaitement
réserves. Il a alors deux options : rempli leur rôle
battre en retraite ou tenter le tout de brise-lames
pour le tout et devant la nécessité des attaques
politique d’une victoire, il choisit françaises.
la seconde. La bataille entre alors
dans sa troisième phase. Napoléon
envoie la Garde à l’assaut du plateau
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de Mont-Saint-Jean et fait courir


le bruit que Grouchy arrive. Mais
l’attaque de la Garde est trop faible

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Napoléon finira sa vie à Sainte-Hélène à ruminer amèrement


Épilogue
Dans la nuit, après avoir échappé
aux cavaliers prussiens qui vou- son échec, Ney sera fusillé pour s’être rallié à lui, Grouchy
laient le capturer pour le faire
fusiller, Napoléon s’arrête à Quatre- s’exilera aux États-Unis, Wellington deviendra Premier ministre
Bras. Debout, muet, les bras croisés
sur la poitrine, les yeux humides et Blücher voulait brûler Paris et faire sauter le pont d’Iena.
et le regard fixé vers Waterloo, il
ne comprend pas comment cela a
pu lui arriver, mais il sait qu’il ne
s’en remettra pas. «Le coup que
j’ai reçu est mortel», dira-t-il à son aux mains de l’ennemi. Maigre ont montré une grande ténacité.
retour à Paris. Car Waterloo, nom du consolation, Grouchy, qui était Son dispositif était sur le point de
petit village choisi par Wellington parvenu à prendre Wavre et ouvrir rompre, mais à l’issue d’un choc
pour nommer la bataille, est une la route de Bruxelles, échappera frontal confus, brutal et meurtrier.
victoire totale pour les Alliés, même habilement aux Prussiens et ramè- Cela suppose que Grouchy ait rem-
si elle est chèrement acquise. Le nera ses troupes en France. pli sa mission - tenir les Prussiens
bilan de la campagne de Belgique Napoléon aurait fini par l’emporter à distance - ou mieux - car que
s’établit à environ 24 000 morts à Waterloo si Blücher n’avait pas se serait-il passé si Blücher avait
et 65 000 blessés pour l’ensemble participé à la bataille, mais bien plus retourné toutes ses troupes contre
des combattants, plus du quart des difficilement qu’il ne le pensait, car lui ? - que les Prussiens aient été
effectifs engagés, une véritable même avant l’arrivée des Prussiens, écrasés à Ligny et c’est ce qui se
hécatombe pour seulement quatre la partie était serrée. Face à un serait produit si le corps de Drouet
jours de combat. Les pertes sont à Napoléon diminué, parfois absent d’Erlon était venu envelopper leur
peu près égales pour les Français et sans génie, le «mauvais géné- droite. Une poursuite immédiate et
et les Alliés, mais à Waterloo, en ral» a su contenir la furia francese énergique aurait parachevé leur
ajoutant 8 000 à 10 000 prisonniers, avec sang-froid et efficacité sur un déroute, écartant tout danger de ce
Napoléon a perdu plus de la moitié terrain qu’il a imposé à son adver- côté. Napoléon aurait remporté un
de ses effectifs, la cavalerie a été saire et ses «mauvaises troupes» «nouvel Austerlitz», mais dans ce
anéantie et l’artillerie est tombée
Lancées
prématurément
sans soutien
d’artillerie et
d’infanterie, les
furieuses charges
de cavalerie
menées par Ney
buteront en vain
sur l’infanterie
britannique
formée en carrés.
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94 les grandes Énigmes de l’histoire | n°5


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Le village de
cas il n’y aurait pas eu Waterloo, car Plancenoit, sur
Wellington n’a accepté le combat les arrières, a
qu’avec la garantie que Blücher été le lieu de
allait venir à la rescousse avec au combats au
moins un corps d’armée. Son plan corps à corps
acharnés à un
n’était pas de battre Napoléon seul contre trois
par une bataille de manoeuvres qu’il entre Français
savait trop risquée, mais d’user et Prussiens.
l’armée française par une bataille
défensive jusqu’à l’arrivée des ren-
forts prussiens et Napoléon est
tombé dans le panneau. Pour au-
tant, ce n’était pas gagné d’avance

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pour les Alliés, mais l’arrivée, non
pas d’un, mais de deux, puis trois
corps prussiens, qui ont été sidérés
de ne rencontrer aucune opposition
durant leur progression, a rendu la
situation totalement sans espoir son naufrage et probablement jusqu’au bout. Napoléon aurait dû
pour Napoléon. ébranlé la coalition financée comme se retourner immédiatement sur
Malgré tout, imaginons Napoléon d’habitude par les Britanniques. le Rhin avec une armée durement
vainqueur de Wellington à Waterloo Du moins c’est ce que Napoléon éprouvée pour faire face à 200
au soir du 18 juin. De Bruxelles où il pouvait espérer. Mais son maintien 000 Autrichiens, avant qu’ils ne
aurait fait son entrée le 19, il aurait sur le trône de France était trop soient rejoints par 150 000 Russes.
tendu la main aux Alliés avec des contraire au nouvel ordre établi par Aussi, une victoire de Napoléon en
propositions de paix raisonnables. le Congrès de Vienne. Il n’était pas Belgique n’aurait fait que retarder
L’annonce de sa victoire aurait question de revenir sur l’équilibre l’échéance. Comme l’avait prévu
fait plonger la Bourse de Londres, européen si durement négocié et Talleyrand : «Il gagnera une ou deux
entraînant la Livre sterling dans les Alliés étaient déterminés à aller batailles, mais il perdra la suivante».

À son retour
à Paris, la
Chambre des
Députés exige
que Napoléon
renonce au
pouvoir. Épuisé
bibliographie
et découragé, Thierry Lentz, Nouvelle histoire du
il écarte l’idée Premier Empire, tome 4 : les Cent-
d’une dictature Jours, 1815, Fayard 2010
et abdique pour
la seconde fois,
Thierry Lentz, Waterloo, Perrin 2015
le 22 juin 1815.
Bernard Coppens, Waterloo : l’histoire
vraie de la bataille, PIXL 2015
Jacques Logie, Waterloo : l’inévitable
défaite, Duculot 1994
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