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Numéro 1
Mars 2021
En 1786, John Molson, un immigrant de 22 ans, fonde sa brasserie à Montréal, au Québec. Son fils
Eric fait partie de la 6e génération de la famille Molson (la descendance de John Molson et son
épouse, Mary Elsdale, est illustrée en annexe).
Après des études en chimie au cours desquelles il se découvre une passion pour le brassage de la
bière, Eric Molson franchit divers échelons dans l’entreprise familiale en occupant plusieurs postes.
Assistant maître brasseur à 22 ans, Eric devient président des Brasseries Molson à 43 ans, et siège
au conseil d’administration de l’entreprise en 1974. Il en assume la présidence en 1988.
Avec son frère Stephen, Eric est actionnaire de contrôle de l’entreprise, détenant près de 50 % des
actions de classe B avec droit de vote. Patriarche du clan de Tom Molson et fidèle aux valeurs de
l’entreprise familiale, Eric Molson cherche à concilier plusieurs objectifs et principes de
gouvernance, notamment représenter, défendre et préserver les intérêts des membres de la famille
et le nom Molson, satisfaire les autres actionnaires de l’entreprise, mais aussi l’ensemble des parties
prenantes.
En 1995, Eric Molson accueille son cousin Robert Ian Molson (dorénavant Ian) au sein du conseil
d’administration avec le projet de lui céder la présidence en attendant que ses propres fils
(7e génération) puissent prendre le relais. Un projet qui ne se déroulera pas comme prévu. Les pages
suivantes relatent l’historique de l’entreprise Molson et décrivent les enjeux de gouvernance
rencontrés de 1995 à l’automne 2003.
1 Ce cas est basé sur l’ouvrage de Helen Antoniou : Le retour à la bière… et au hockey. L’histoire d’Eric Molson, McGill-Queen’s University
Press, Montréal et Kingston, 2018 (particulièrement les chapitres 10 et 11). Helen Antoniou est coach de leadership pour dirigeants de
société et propriétaires d’entreprise familiale. Elle est la belle-fille d’Eric Molson (et la femme d’Andrew Molson). Les auteurs remercient
chaleureusement Helen Antoniou et Eric Molson pour leur collaboration, ainsi que McGill-Queen’s University Press pour leur permission
de produire et de diffuser ce cas.
2 Sylvie St-Onge est professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal.
3 Michel Magnan est professeur et titulaire de la chaire Stephen-A.-Jarislowsky en gouvernance de sociétés à l’École de gestion
John-Molson à l’Université Concordia.
4 Anne Mesny est professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal.
© HEC Montréal 2021
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La Revue internationale de cas en gestion est une revue électronique (http://www.hec.ca/centredecas/ricg/), ISSN 1911-2599.
Ce cas est destiné à servir de cadre de discussion à caractère pédagogique et ne comporte aucun jugement sur la situation
administrative dont il traite. Déposé sous le n° 9 40 2021 005 au Centre de cas HEC Montréal, 3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine,
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
En 1958, le conseil d’administration de Molson décide d’émettre 500 000 actions de catégorie A
et de catégorie B et de fractionner les titres déjà émis à 2 pour 1 pour financer l’acquisition de
Sick’s Brewery dans l’Ouest canadien. Le prix des actions de Molson ayant monté en flèche au
cours des années, le fractionnement des actions, en réduisant le prix en Bourse de chaque action,
permet d’élargir le bassin d’investisseurs de l’entreprise. La veille de cette transaction, les frères
Tom et Hartland mettent sur pied la Fondation Molson pour y déposer plus de la moitié de leurs
actions de catégorie B. Cette fondation a comme mission de verser des dons aux hôpitaux, à la
recherche médicale et aux établissements d’enseignement partout au pays. Ce faisant, les deux
frères agissent en respectant une valeur de leur ancêtre John Molson, soit : « Nous sommes tous
membres d’une grande communauté où chacun doit faire sa part 1. » Simultanément, ils mettent
aussi sur pied une société de portefeuille pour y déposer le reste de leurs actions avec droit de vote
en faisant un gel de valeur pour « protéger » leurs actions des « prédateurs » et disposer de capitaux
pour financer la Fondation. Ainsi, cette société de portefeuille leur permet de conserver le contrôle
à long terme de l’entreprise et d’assurer l’avenir de leurs successeurs. Le frère d’Eric Molson,
Stephen, est le président de la Fondation Molson et travaille dans l’édifice où se trouvent les
bureaux de la direction sur la rue Notre-Dame, à Montréal (Québec).
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
une personne compétente et de confiance qui conclut que les volontés de Tom Molson sont claires :
les enfants doivent garder leurs actions. Ils conviennent donc de suivre ce conseil. Eric et Stephen
proposent alors un compromis à leur oncle : ils feront un don préétabli à la Fondation Molson d’une
durée de quinze ans.
En 1981, Eric Molson apprend que Bud Willmot, ex-chef de la direction de l’entreprise, a besoin
de liquidités et qu’il cherche à vendre les actions de catégories B qu’il a reçues en 1968 lors de la
fusion de Molson avec Anthes. Bud Willmot accepte la proposition d’Eric Molson de lui échanger
ses actions avec droit de vote pour une valeur équivalente d’actions de catégorie A qu’il peut
facilement vendre, car elles se transigent beaucoup plus sur le marché.
En 1990, le chef de direction de Molson, Mickey Cohen, recommande à Eric Molson d’adopter
une clause de protection (clause coat-tail) en cas d’offre publique d’achat d’actions de catégorie
B. Celle-ci vise à garantir aux détenteurs des deux types d’actions (A et B) d’obtenir la même offre
advenant un changement de propriétaire. En effet, une structure à deux catégories d’actions peut
nuire à la capacité de réunir des fonds sur les marchés financiers si, lors d’une prise de contrôle,
les actionnaires sans droit de vote (le public) n’obtiennent pas la même prime que ceux ayant des
droits de vote (majoritairement les membres de la famille Molson). Mickey Cohen comprend que
les intérêts des membres du clan de Tom Molson peuvent diverger de ceux d’autres actionnaires :
« Les Molson se préoccupaient davantage de leurs legs, de leur réputation et de la pérennité des
activités brassicoles. C’est ce qui comptait pour Eric… mais pas nécessairement pour les autres
actionnaires. Et c’est normal. Certains actionnaires se préoccupent du rendement à long terme,
alors que d’autres “ne font que passer”. Ils cherchent seulement à faire de l’argent vite 1. » Cette
clause est d’ailleurs obligatoire pour les entreprises à actions multiples inscrites en Bourse après
1987. Puisque son entrée en Bourse est antérieure à cette date, la société Molson en est exemptée.
Par contre, Eric Molson insiste pour l’adopter, car elle correspond à ses valeurs : « Si nous ne
partageons pas les avantages d’exercer le contrôle avec l’ensemble de nos actionnaires, nous
n’assumons pas nos responsabilités de manière judicieuse 2. »
Depuis que la société Molson est cotée en Bourse, Eric doit donc se plier à l’approbation des
décisions de l’équipe de direction par son conseil d’administration, et ce, même si le clan de Tom
Molson est actionnaire majoritaire. Par exemple, en juillet 1990, le chef de la direction Mickey
Cohen utilise les 300 millions de dollars recueillis lors d’une émission d’actions et d’obligations
non garanties (débentures) pour développer la division de produits chimiques, dans la foulée d’une
stratégie de diversification entamée en 1968, alors qu’Eric Molson, lui, aurait préféré un « retour à
la bière ».
1 Ibid., p. 189.
2 Ibid.
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
Ian est le fils de Mary Elizabeth Lyall et William (Bill) Molson, un cousin de Tom (père d’Eric) et
de son frère Hartland (oncle d’Eric) (voir annexe). En 1968, Tom et Hartland Molson ont vendu à
prix de faveur le club de hockey Canadien à William (Bill), David et Peter Molson, les trois fils de
John Henry Molson, un petit-cousin. En 1964, alors que David gravissait les échelons chez Molson
et qu’il était membre de son conseil d’administration, Hartland avait accepté de le nommer, à sa
demande, président du club comme il s’intéressait plus au hockey qu’à la bière. En poste, il a
rapidement proposé d’en acquérir – avec ses frères Peter et Bill – une participation majoritaire en
échange d’actions de la brasserie léguées en 1955 par leur oncle, Bert Molson. Même si la valeur
des actions détenues par les trois cousins était inférieure à la valeur marchande du Canadien, Tom
et Hartland avaient accepté l’offre en échange d’une promesse de conserver le club dans la famille.
Mais, dès 1972, les trois cousins l’ont vendu aux frères Edward et Peter Bronfman pour un prix
estimé à 15 millions de dollars, soit trois fois ce qu’ils avaient payé. Devant cette trahison des
cousins, Hartland a exprimé sa déception dans un communiqué de presse et informé David que sa
candidature ne sera pas présentée pour réélection au conseil d’administration de Molson. La vente
du club consacre le bris des liens entre Tom et Hartland et leurs trois cousins.
Au moment de la vente du club de hockey, Ian Molson le fils de William (Bill), était adolescent et
Eric Molson ne croit pas que les enfants doivent souffrir des erreurs de leurs parents. Pendant ses
études, Ian a d’ailleurs travaillé à la brasserie durant les étés. Eric a ainsi pu observer son parcours
aux écoles Selwyn House et Milton Academy, puis à l’Université Harvard. Après ses études, Ian
est parti travailler pour une des principales banques d’affaires de Londres, Crédit Suisse First
Boston, où il a vite été promu associé et directeur général pour ensuite diriger son service européen
de banques d’affaires. À partir de Londres, même après son mariage avec Verena Brigid Cayzer
en 1985, et la naissance de ses trois enfants, Ian a toujours suivi de près les activités et le cours
boursier de la société Molson.
Aux yeux d’Eric, son cousin et lui se complètent : Ian a la bosse des affaires et semble se plaire
avec les gros bonnets, alors que lui a une connaissance très pointue de l’industrie brassicole. Dès
son arrivée au conseil d’administration, les deux cousins éloignés forment un bon tandem : Eric
met de l’avant des dossiers et Ian ajoute un complément d’information, au besoin. Par contre, en
1996, un incident ébranle la confiance d’Eric en son cousin. Plusieurs raisons amènent Eric Molson
à penser que Norm Seagram, alors chef de la direction, n’a pas les compétences pour réorienter
l’entreprise vers un retour à la bière, et il veut proposer son départ aux membres du conseil
d’administration. Ian Molson se dit du même avis. Ils conviennent alors qu’Eric en fera la
recommandation à la prochaine réunion du conseil d’administration, recommandation que Ian
appuiera. Le moment venu, Eric Molson explique au CA que les plans de Norm Seagram ne les
rapprochent pas des objectifs d’affaires, et que l’entreprise a besoin d’un nouveau PDG. Alors qu’il
s’attend à ce qu’Ian renchérisse en donnant des exemples comme il devait le faire, celui-ci
n’intervient pas. Du coup, les membres du conseil décident d’accorder un délai de six mois à Norm
Seagram pour qu’il revienne avec un plan. Eric Molson se sent trahi et perçoit que son cousin n’est
pas fiable.
En 1997, Hartland Molson, 89 ans, fait sa planification successorale et se questionne sur ce qu’il
devrait faire de ses actions avec droit de vote (actions de catégorie B). Il envisage trois options :
les léguer à sa fille unique, Zoé; les transférer ou les vendre à ses neveux Eric et Stephen; ou encore,
comme Eric Molson le lui propose, s’en servir pour créer une fondation distincte de la Fondation
Molson qui soutiendrait d’autres causes. À la surprise de tous les membres du clan de Tom Molson,
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
Hartland décide de vendre ses actions à Ian Molson par blocs – le premier en 1997 et le second en
2002. Au total, Ian Molson acquiert 10 % des actions avec droit de vote de l’entreprise, soit
2,3 millions d’actions de catégorie B. Un mois après l’achat du premier bloc d’actions, Ian quitte
son poste en Angleterre pour s’immiscer dans les affaires de l’entreprise alors qu’officiellement, il
n’est que membre du conseil d’administration. À plusieurs reprises, Jim Arnett, alors chef de la
direction, explose de colère et se querelle avec Ian qui, sans même lui en parler, prend des initiatives
qui devraient plutôt relever de lui, comme rencontrer des représentants de brasseries ou des
brasseurs à l’étranger.
En 1995, lors d’un rassemblement à Montréal réunissant des membres de la grande famille Molson
qui vivent un peu partout dans le monde, Ian relance Eric pour savoir ce qu’il advient des étapes
qu’il lui a proposées en 1989, soit : 1) qu’il soit davantage impliqué dans l’entreprise; 2) que l’on
crée une société de portefeuille familiale conjointe (Molson Holdings) dont lui et les enfants du
clan de Tom Molson seraient actionnaires; 3) que tous les participants transfèrent leurs actions de
l’entreprise dans la nouvelle entité en échange d’actions de Molson Holdings. Pour Ian, cette
société de portefeuille s’avère un moyen fiscalement avantageux d’étendre et de diversifier les
intérêts de l’entreprise. De plus, le pouvoir d’emprunt de Molson Holdings donnerait aux
participants la possibilité de faire fructifier leur patrimoine en limitant leurs risques comme elle
permettrait aux actionnaires d’obtenir des sources additionnelles de revenus par l’entremise d’une
assiette d’immobilisations distincte et élargie. Eric reste aussi prudent qu’en 1989 et répond à Ian
qu’il doit réfléchir.
En 1997, après avoir amorcé le rachat par bloc des actions avec droit de vote de Hartland Molson,
Ian revient auprès d’Eric sur le projet Molson Holdings où il deviendrait le chef de la direction, et
Eric et Stephen Molson, respectivement président et vice-président du conseil d’administration.
Selon Ian, Molson Holdings devrait : 1) jouer un rôle proactif à titre d’actionnaire de contrôle de
l’entreprise; 2) agir comme un véhicule créateur de richesse en investissant surtout à l’extérieur du
Canada; 3) être le facteur déterminant pour les autres activités et intérêts liés à la famille Molson,
comme la Fondation Molson; et 4) être gérée de façon à obtenir le meilleur rapport coût-rendement.
Eric lui répond qu’il veut évaluer différentes façons de restructurer les actions avant d’aller de
l’avant. Impatient, Ian fait appel à la société de gestion de son cousin et conseiller personnel pour
mettre sur pied la nouvelle entité. Apprenant son initiative en mars 1998, Eric lui écrit une note de
protestation lui rappelant qu’il veut analyser d’autres options et en parler avec son frère, ses sœurs
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
et leurs enfants. Pour Eric Molson, une telle intégrité est essentielle à une dynamique familiale où
règne la confiance. Ian Molson se dit désolé et explique son geste hâtif par son empressement à
mettre sur pied le projet.
Quelques semaines plus tard, après discussions avec leurs conseillers respectifs, les membres du
clan de Tom Molson acceptent le plan d’Ian concernant Molson Holdings. Il faut alors parler
rémunération. Ian et Eric ont des opinions divergentes en la matière. Début novembre 1998, Ian
transmet à Eric et Stephen, une proposition de rémunération en deux volets : 100 000 $ par année,
plus une prime pour acquérir 10 % des actions de Molson Holdings à un prix d’exercice égal à sa
juste valeur marchande à la date de son incorporation. Autrement dit, Ian propose de se verser des
actions de Molson Holdings à titre de rémunération et de verser aux autres participants des
dividendes calculés en fonction de l’augmentation de la valeur de Molson Holdings. Pour Eric, son
frère et ses sœurs, c’est inacceptable : « Si Ian continue pendant dix ans, il finira par posséder
l’entreprise au complet! C’est comme une prise de contrôle insidieuse 1! »
Après un mois de négociations, Eric propose à Ian une rémunération modeste et un rendement
privilégié de 10 à 20 % sur la création de richesses de Molson Holdings. Ian reste sur sa position :
il veut se faire payer en options pour acquérir plus d’actions de Molson Holdings. Cette obstination
finit par dégoûter les membres du clan de Tom Molson et Eric leur recommande alors d’abandonner
le projet :
La plupart des membres des générations VI et VII, sinon tous, souhaitent conserver les actions
patrimoniales intactes et essayer de créer de la richesse avec les produits de ces actions; et la plupart
ont des réticences concernant Molson Holdings et R. Ian Molson. Ces conclusions me portent à croire
que nous devrions changer de direction et revenir à une ancienne idée : nous doter d’une convention
entre actionnaires plus simple et à plus long terme qui nous permettrait de décider régulièrement de
l’usage des actions de LCML 2 et d’éloigner les vautours 3.
Malgré tout, la famille reconnaît qu’Ian est un bon catalyseur de changement et, lors de
l’Assemblée annuelle de 1999, Eric annonce qu’Ian devient vice-président du conseil
d’administration.
1 Ibid., p. 274.
2 LCML : Les Compagnies Molson Limitée, nom de l’entreprise lors de la période où elle poursuit une stratégie de diversification
(1966-2000).
3 Antoniou, op. cit., p. 275.
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
fait, dès le 4 mai 2000, Eric Molson annonce que Dan O’Neill assumera le poste de chef de la
direction lors de l’assemblée générale du 27 juin.
Au sein de l’entreprise, Ian Molson exerce une certaine influence et ses opinions ont beaucoup de
poids. Il parle constamment avec Dan O’Neill et se mêle de tout, de la stratégie, du fonctionnement,
des employés et du recrutement. Des cadres en viennent même à chuchoter qu’Ian Molson est le
« vrai » chef de la direction, et que Dan O’Neill est son chef de l’exploitation. Les deux s’entendent
pour donner une priorité à la création de valeur pour les actionnaires. Pour Eric Molson, toutefois,
la priorité reste la santé de l’entreprise et la croissance de son héritage à long terme. Il souhaite en
faire bénéficier toutes les parties prenantes : les actionnaires, mais aussi les employés, créditeurs,
fournisseurs, consommateurs, communautés, etc. Pour lui, une famille qui détient le contrôle doit
agir comme la gardienne d’un patrimoine à protéger.
En tant que président du conseil, Eric Molson persiste à vouloir laisser le chef de direction faire
son travail et s’efforce de créer un climat propice aux discussions ouvertes entre administrateurs.
Il dirige les réunions sans trop intervenir afin d’écouter, d’analyser et de se forger sa propre opinion.
Il ne se lance jamais dans un débat au conseil, préférant que les membres proposent leurs propres
recommandations plutôt que d’imposer sa volonté. Ian Molson, le vice-président, y exerce toutefois
une influence et une emprise grandissantes et, comme membre de la grande famille « Molson » et
actionnaire, il exprime des opinions tranchées avec autorité. De plus, Ian s’investit dans le choix
des membres du conseil et y propose la candidature d’amis qui l’appuient. Au fur et à mesure, la
dynamique change dans la salle du CA et on sent de plus en plus une tension entre deux cliques :
celle des « gars de chiffres qui recherchent le rendement immédiat » du côté d’Ian Molson et celle
des « gars qui veulent augmenter la valeur intrinsèque de l’entreprise à long terme » du côté d’Eric
Molson.
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
À la prochaine réunion du conseil d’administration, en juin 2002, Eric Molson met les choses au
point, et les administrateurs décident de révoquer l’octroi annuel de 34 000 options d’achat
d’actions à Ian Molson. Eric leur explique que, pour maintenir l’intégrité de la structure à deux
catégories d’actions, nul ne doit croire que la famille Molson profite de sa situation d’actionnaire
dominant :
Le conseil d’administration doit savoir que nous avons une longue tradition de rémunérer modestement
les membres de la famille Molson qui y siègent. À titre de président, je considère que je rends service
à l’entreprise et à ses actionnaires. Ma mission consiste à aider l’entreprise à prospérer. C’était le cas
avec les Molson qui m’ont précédé, et nos efforts ont été, et demeurent, d’assurer les bénéfices à long
terme de tous les actionnaires. Trois membres de la famille Molson siégeant au conseil d’administration
contrôlent une très grande société faisant appel public à l’épargne avec 11,5 % du capital. Nos
actionnaires semblent avoir accepté ce fait. En consultant le paragraphe sur la divulgation de la
rémunération figurant dans la circulaire de la direction sollicitant des procurations, ils savent que nous
ne profitons pas de notre situation […]. Je crois que ce ne serait pas avisé d’accorder de grandes
quantités d’options aux Molson. L’intégrité de notre famille et de l’entreprise serait menacée et nous
ne devons pas courir ce risque. […] La gouvernance est le plus grand problème du monde des affaires
et nous devons nous assurer d’éviter de commettre l’erreur d’accorder un grand nombre d’options à
des membres de la famille Molson qui ne sont pas cadres de l’entreprise 1.
En parallèle, Eric Molson se documente sur la gouvernance d’entreprise pour trouver des réponses
à ses questions sur l’éthique et sur le rôle et les responsabilités d’une famille qui est actionnaire de
contrôle. Son fils Andrew, 35 ans, réfléchit lui aussi à cet aspect. Il vient de terminer un mémoire
de maîtrise sur le sujet. Au fil de leurs échanges, ils décident de rédiger ensemble Les principes de
la famille Molson afin de les faire connaître, tant à l’interne qu’à l’externe, auprès des Molson
comme des « non Molson » (voir encadré 1).
À l’été 2003, Andrew Molson porte à l’attention de son père Eric l’ouvrage Crooks and Cronies :
An Exposé of Corporate Corruption within the Law (en français : Crimes et copinage : exposé sur
la corruption d’entreprise dans les limites de la loi), écrit par Peter Teale en 2001. Ce livre relate
1 Ibid., p. 325.
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
le déclin rapide et la faillite d’Exfed inc., une entreprise point-com, et mentionne que Ian Molson,
vice-président du CA de Molson, fait partie de ses administrateurs. Eric va immédiatement voir Ian
pour lui demander des explications, craignant que ce livre nuise à l’image et à la réputation de
Molson. Ian réplique qu’il n’y a pas à s’en faire : l’auteur, un ancien employé d’Exfed, aurait écrit
un livre trompeur et diffamatoire et le conseil d’administration d’Exfed aurait fait une erreur en
décidant de ne pas le poursuivre.
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
Les descendants de la famille Molson doivent s’efforcer de se comporter avec la plus grande intégrité et
de respecter les normes éthiques les plus rigoureuses. Telle est la culture de la famille et celle de la
Société.
Depuis longtemps, les membres de la famille Molson sont reconnus pour être de bons citoyens,
pour créer de la richesse et pour l’utiliser au bénéfice du Canada. Les Molson de chaque génération ont
assumé ces responsabilités dans la communauté et se sont évertués à améliorer la vie de leurs concitoyens.
Cette tradition se poursuit aujourd’hui.
La Société exerce aussi son rôle de bon citoyen en respectant une tradition de générosité envers
les organismes de bienfaisance du pays tout entier. Un bon exemple est le programme des Héros locaux
qui encouragent les employés à s’investir dans la communauté pour aider les autres.
Ce sont les principes, l’éthique et les valeurs de la famille Molson. C’est la culture de Molson. Et
la famille et la Société s’engagent à assurer la réussite et à préserver la grande tradition de Molson.
Eric Molson constate qu’une déclaration de principes à l’intention de la famille, des actionnaires,
de la direction et des employés ne suffit pas. En mars 2003, afin de reprendre le contrôle sur la
destinée de l’entreprise, il demande aux membres de son conseil d’administration d’approuver un
programme en trois volets de révision de la gouvernance, à savoir : 1) comparer les pratiques de
gouvernance de Molson avec les meilleures pratiques en vigueur dans le monde; 2) sonder tous les
administrateurs sur l’efficacité du conseil d’administration dont ils sont membres; et 3) analyser
les conséquences de la structure de l’entreprise à deux catégories d’actions (avec ou sans droit de
vote). Le conseil l’approuve et décide de se faire aider dans sa mise en œuvre par des experts
externes.
À l’été 2003, un rapport de l’équipe de consultants montre que les membres du conseil
d’administration de Molson perçoivent trois problèmes : 1) absence de successeurs potentiels au
poste de chef de la direction et lacunes au sein de l’équipe de direction; 2) confusion quant à la
composition de la « famille Molson », sa succession et ses intentions; 3) incertitude quant au
1 Ibid., p. 346.
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
mandat du vice-président du CA et aux attentes qui y sont liées (certains administrateurs remettent
en question la pertinence de ce poste, occupé par Ian Molson).
Fin août 2003, Eric Molson décide de se rendre à Londres pour consulter sir George Adrian
Hayhurst Cadbury, auteur du célèbre rapport Cadbury sur la gouvernance publié en 1992 et
président du conseil d’administration de l’entreprise familiale, Cadbury Ltd (devenue par la suite
Cadbury Schweppes) pendant 24 ans. Sir Adrian Cadbury lui formule les recommandations
suivantes à l’égard du conseil d’administration de Molson :
1) former un comité de gouvernance;
2) abolir le comité de direction;
3) réduire sa taille à 10 ou 12 membres;
4) chercher deux nouveaux administrateurs experts en finances et en marketing;
5) définir des règles de présence aux réunions et en faire rapport aux actionnaires;
6) divulguer toutes les sommes versées aux administrateurs, en sus de leurs jetons de présence;
7) exiger que les administrateurs assistent aux réunions en personne et exceptionnellement, y
participent au téléphone;
8) abolir le poste de vice-président.
Selon cet expert, le vice-président actuel, Ian Molson, n’appuie manifestement pas le président du
conseil d’administration dans l’exécution de ses fonctions. Comme Ian interagit très souvent avec
le chef de la direction, les autres membres du conseil ne savent pas s’il le fait en tant que consultant,
grand investisseur ou vice-président du conseil. Ses interventions dans la gestion vont aussi à
l’encontre d’une norme énoncée dans Les principes de la famille Molson, soit de laisser l’équipe
de direction professionnelle faire son travail. Ian a également laissé entendre à des administrateurs
qu’il serait le successeur à la présidence du conseil. Selon sir Adrian Cadbury, cela peut être le cas
lorsque le président du conseil d’administration veut désigner son successeur pour le préparer à
occuper ses fonctions, pour agir en son nom pendant son absence ou encore, lorsque le président
donne à un administrateur un rôle particulier qui requiert d’être vice-président pour l’assumer. Eric
lui explique qu’il a déjà pensé qu’Ian serait un candidat idéal – considérant son âge, qu’il est un
Molson et qu’il est un actionnaire important – à la présidence du conseil avant que ses fils, Andrew
ou Geoff, puissent assumer ce poste (évidemment, si le conseil approuve leur nomination).
Cependant, aujourd’hui, il ne lui fait plus confiance. Considérant tout cela, sir Adrian recommande
d’éliminer le poste de vice-président.
En septembre 2003, Eric informe sir Adrian que les administrateurs ont accepté la plupart de ses
recommandations. En outre, il a mis en place et préside un comité de gouvernance composé de
deux membres. Toutefois, la recommandation d’abolir le poste de vice-président n’a pas été
retenue. Les membres du conseil ont plutôt préféré rédiger une description détaillée des fonctions
du titulaire du poste.
Pendant ce temps, Ian Molson continue d’attiser la division au sein du conseil d’administration. À
mots couverts, il dit aux membres qu’Eric Molson devrait prendre sa retraite et lui céder sa place,
puisqu’il a les compétences en finance et en négociation qui sont nécessaires pour faire face à des
sociétés d’investissement impitoyables. Ian s’adresse aussi aux médias en qualifiant ses rapports
avec Eric Molson de « chicanes de famille ». Pour Eric, c’est bien plus qu’une querelle de famille :
il a perdu confiance en son cousin et il n’est plus question de lui céder la présidence ni de prendre
sa retraite. Ian Molson a cependant des appuis au conseil d’administration. Comme il discute au
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
quotidien avec le chef de la direction, Dan O’Neill, pour préparer des transactions, Eric ne peut
plus avoir confiance en ce dernier non plus.
À l’automne 2003, Eric Molson veut défendre sa vision de Molson et ne pas s’enliser dans les
machinations et les « politicailleries » d’Ian Molson. En tant que président du conseil
d’administration, il doit utiliser son pouvoir de persuasion et d’influence et, si requis, l’artillerie
lourde (le contrôle) pour assurer la survie de l’entreprise familiale…
2021-05-04
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La quête de principes et d’une saine gouvernance chez Molson
Annexe
Les sept générations de la grande famille Molson
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