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AUTOPSIE
DES COMORES
Du même auteur
AUTOPSIE
DES COMORES
Cercle Repères
Cercle Repères
ISSN : 1245-2653
Imprimé en France
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ABoina Idi, Ali Adili de Moroni et Gaya, tous fusillés, les corps mutilés et embal-
lés dans des sacs plastiques en novembre 1987.
Mes remerciements
Àtoutes celles et à tous ceux qui, à différents moments, ont bien voulu répondre
à mes interrogations.
Je suis conscient des insuffisances de mon travail d'étude de l'histoire politique
mouvementée des Comores. Que chacun et chacune me pardonnent et m'éclai-
rent par des remarques constructives et des observations stimulantes !
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AVERTISSEMENT
• Relever les faits politiques de la période révolutionnaire incarnée par Ali Soilihi
(c'est-à-dire les ruptures qu'il a engagées après avoir réalisé, le 3 août 1975, le
premier coup d'État), dégager les effets (les changements opérés dans la société
comorienne) et présenter les exactions des mercenaires (les bouleversements
tragiques). Voilà le premier épisode d'un système qui se termine par l'assassinat
du président Ali Soilihi.
C'est cette situation chaotique, ponctuée d'une série de faits indéniables, que
traite ce livre sur la base d'une documentation étendue.
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INTRODUCTION
Moins d'un mois après avoir proclamé l'indépendance des Comores, le prési-
dent AhmedAbdallah est renversé par AliSoilihi. Cedernier réalise, le 3 août 1975,
le premier coup d'État avec l'appui de quelques soldats comoriens, soutenus peu
après par Bob Denard et ses hommes de guerre. En effet, dès son arrivée au pou-
voir, l'usurpateur Ali Soilihi annonce qu'il ne peut résoudre tous les problèmes ni
satisfaire entièrement tous les désirs des couches sociales comoriennes. Cependant,
il se fixe l'objectif d'édifier une nouvelle société où chaque citoyen doit être un
responsable mobilisé pour changer les mentalités et fonder un État d'équité socia-
le : d'où l'instauration d'une République « laïque, démocratique et sociale » orga-
nisée de façon révolutionnaire. Car la structure hiérarchique comorienne, fondée
sur la prééminence de la notabilité villageoise, réduit le sens des rapports humains
à la soumission des jeunes aux vieux. Les Comoriens évoluent dans des villages
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Le 13 mai 1978, les mercenaires commandés par le même Bob Denard revien-
nent en force aux Comores, se dressent contre Ali Soilihi enchaîné comme un dan-
gereux animal.
L'organisation militaire révolutionnaire s'écroule, les Comités des jeunes sau-
tent sans résistance. Et, le 29 mai 1978, « à la suite d'une tentative d'évasion »,
d'après la version officielle, Ali Soilihi est assassiné. Lesgens expriment, tout d'un
coup, des sentiments d'euphorie et de soulagement collectifs.
Bob Denard replace au pouvoir Ahmed Abdallah qui instaure la nouvelle
République « fédérale islamique », dénommée par les opposants, République
« fédharilé » qui signifie : détournement de l'argent public. Certes, la République
islamique restaure l'autorité et le prestige des notables, foulés aux pieds par la
République « laïque ». Les coutumes prohibées par le régime révolutionnaire
refont surface. La débrouillardise ou « mkarakara », le favoritisme à l'égard des
fils des dignitaires du nouveau pouvoir ou « wanahatru » dominent le système de
1Anda na mila.
2 Yetareh ndo hakim.
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Première partie
La Révolution
ou
La République « laïque »
(3 août 1975-13 mai 1978)
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Chapitre 1
LE CONTEXTE
méthodes entre ceux qui emploient la force des fusils et ceux qui usent de la force
des négociations pour parvenir à l'indépendance. Troisjours après l'adoption de
cette loi du 3juillet par le Parlement français, Ahmed Abdallah introduit, sans
perdre du temps, une troisième voie : proclamation, le 6juillet 1975, de l'indé-
pendance unilatérale des Comores sans recourir ni aux armes ni aux pourpar-
lers.
Ahmed Abdallah, soutenu par la majorité des députés comoriens, fonde donc
son action indépendantiste du 6juillet sur la force du droit des peuples à dispo-
ser d'eux-mêmes dont l'ONU demeure le garant et lejuge international. Et il béné-
ficie de l'appui de l'OUA, de la Ligue arabe, des Pays non-alignés. Sa tâche est rude
pour différentes raisons :
- Ensuite parce que Ahmed Abdallah a une idée bien précise des institutions des
Comores indépendantes auxquelles s'oppose le président Valéry Giscard d'Estaing
et son gouvernement de l'époque. Àce titre, Ahmed Abdallah fait preuve de tact
et de doigté pour éviter d'affronter et la France et ses adversaires comoriens. Il
réaffirme l'identité de l'Archipel, tout en étant conscient des liens étroits qui unis-
sent encore les Comores à la France avec laquelle une mésentente ou une mésal-
liance offre une chance à l'opposition comorienne de prendre le pouvoir. Il a donc
besoin d'une unité avec ses ennemis comoriens, mais c'est une unité de façade
4 Éditorial du journal Le Monde, 5 août 1975.
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que ses adversaires affichent, en cachant les vrais coups durs futurs.
Ahmed Abdallah signe l'acte de naissance de la République des Comores sans
le consentement des autorités françaises. Cet évènement majeur pour les Comoriens
constitue un acte historique que la France considère comme un coup dur impar-
donnable.
Chapitre 2
LE COUP DE FORCE
En réalisant ce coup de force le 3 août, Ali Soilihi annonce deux grandes pré-
occupations :
- « Nous préserverons les liens d'amitié et de coopération avec la France, liens
rompus par le président Abdallah.
- Une autre raison du coup d'État a été Mayotte ; Abdallah allait publier le 4 août
son décret sur la nouvelle Constitution et préparait une solution pour les trois îles,
laissant Mayotte à l'écart... Nous ne pouvions pas rester impassibles. Il fallait lever
l'obstacle Abdallah à l'intégrité territoriale ».
Àla place du gouvernement d'Ahmed Abdallah destitué, un « Conseil national
de la révolution » composé de quinze membres prend les rênes du pouvoir.
Peu de temps après, Ali Soilihi se rend compte que ce Conseil, formé à la hâte,
rassemble uniquement des personnalités politiques originaires de la Grande
Comore et plus particulièrement de Moroni. C'est une erreur politique considé-
rable, puisque les dirigeants de Mayotte doivent ysiéger conformément aux enga-
gements pris à Paris. Le Conseil de la révolution va devoir franchir quatre obs-
tacles de dimension à la fois nationale et internationale.
13 Lejournal Le Monde, 5 août 1975.
14 Propos d'Ali Soilihi publiés par lesjournaux Le Monde et Libération des 5 août et 8 septembre 1975.
15 Baraza la mapinduzi dont les membres figurent en annexes.
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Ali Soilihi assume le poste de délégué à la Défense, fonction dont il se sert pour
éclabousser, peu après, Saïd MohamedJaffar, président du Conseil exécutif natio-
nal. Les douze délégués membres de ce Conseil sont, en fait, des ministres. Aussi
les sept commissaires politiques nommés aux hautes fonctions de l'État sont, pra-
tiquement, des secrétaires d'État. Seule la terminologie change.
Pour comprendre les événements survenus en septembre 1975 (un mois après
le coup d'État), il est nécessaire de faire, d'abord, une approche théorique du fon-
dement du pouvoir :
« Le pouvoir est lié à la notion de légitimité. Unpouvoir est légitime quand il cor-
respond à la croyance de la population, aux aspirations profondes de celle-ci. Un
pouvoir légitime n'a pas besoin de la force pour durer : c'est parce qu'il y a un
accord profond entre gouvernants et gouvernés qui sont (du moins pour certains)
persuadés que l'ordre social existant, s'il est loin d'être parfait, apparaît tout de
même comme acceptable. Si l'accord disparaît, on se trouve en situation révolu-
tionnaire, et dans ce cas-là, un pouvoir non consenti essaiera d'employer la force
pour se maintenir, pour se faire obéir ; devant un tel pouvoir, est parfaitement légi-
time la résistance ».
On note aussi, d'après le président Mao, que « la révolution est un acte de vio-
lence, c'est le renversement d'une classe par une autre ». Cela engendre des bou-
leversements voire même des pertes humaines, en témoignent les révolutions chi-
noise, albanaise, cambodgienne et d'autres encore.
pire d'Ali Soilihi. Telle est la situation qui se présente aux yeux des nationaux,
inquiets de voir les quatre îles des Comores s'entre-déchirer et s'opposer les unes
aux autres. Ali Soilihi ne veut donc pas laisser la moindre marge de manoeuvre à
Ahmed Abdallah.
Les mercenaires, recrutés à Paris, débarquent à Ouani où se situe l'aérodrome,
et se dirigent vers Mutsamudu (capitale de l'île) en compagnie d'Ali Soilihi et de
quelques soldats comoriens. Àla suite de durs affrontements, neuf anjouanais sont
mitraillés et plusieurs personnes grièvement blessées. Seul le soldat Mohamed
Moissi, un des compagnons de route d'Ali Soilihi est abattu. Ses obsèques sont
organisées de façon officielle à N'tsoudjini, son village natal en Grande Comore,
avec tous les honneurs dus à un « martyr » de la révolution. Prononçant le dis-
cours d'éloge funèbre, Saïd MohamedJaffar, président du Conseil exécutif natio-
nal, dit : « Mohamed Moissi nous a fait une démonstration de sacrifice pour l'édi-
fication nationale ». Et, pour rendre hommage à la mémoire du soldat tué sur
le champ de bataille, la structure militaire regroupant les fidèles du régime est
baptisée « Commando Moissi ».
Toutes les interventions sanglantes, menées à Mbeni et à Anjouan en un seul
mois, inquiètent la population comorienne qui n'ose rien entreprendre. Les dis-
cours prononcés par Ali Soilihi, au cours de cette période marquée par le bain de
sang, effraient les hommes politiques de Mayotte. Et Christian Novou, représen-
tant mahorais du MPM, sort du Conseil exécutif national sur recommandation de
Marcel Henry qui appelle ses partisans à prendre les distances vis-à-vis du pou-
voir révolutionnaire. Mouzaoir Abdallah, un des piliers du régime, renoue le dia-
logue avec les dirigeants mahorais pour qu'ils renoncent à la scission. Mais en
vain.
Mohamed Ahmed. Ces deux hommes, deux grands commerçants originaires res-
pectivement de Domoni et de Mutsamudu, ont accumulé une grande expérience
politique. L'un, AhmedAbdallah, a été, au Palais de Luxembourg, sénateur de 1952
à 1972 et l'autre, Mohamed Ahmed, a siégé au Palais-Bourbon en qualité de dépu-
té des Comores de 1962 à 1975 ; ils disposent donc tous les deux de moyens pour
faire basculer les choses.
- Il ya enfin le poids politique de Mohamed Taki né à Mbeni. Taki et les habitants
de la région de Hamahamet se mettent toujours en première ligne du combat
contre les thèses de UMMA-MRANDAde Saïd Ibrahim et Ali Soilihi.
Il existe peut-être d'autres motivations et raisons qui incitent Ali Soilihi à gou-
verner par la force des armes. Àpartir de ses discours virulents, de ses convic-
tions politiques qu'il n'a jamais changées d'un iota, à regarder sa manière de
haranguer les foules avec fermeté, au vu enfin de ses méthodes d'action toujours
appliquées avec sang-froid, on peut déceler aujourd'hui le caractère autoritaire
d'un homme usurpateur.
Les nouvelles autorités comoriennes issues du coup d'État ne veulent pas se sépa-
rer de la France. « Maintenant que l'obstacle Abdallah est levé, nous allons voir
quelle est la position du gouvernement français auquel nous avons demandé une
rencontre bilatérale à Paris pour le mois de septembre. Nous considérons que le
Mouvement mahorais doit faire partie de la délégation de toutes les formations
politiques de l'État comorien. Une fois les positions de chacun clarifiées à l'échel-
le des Comores et sur le plan international, il ne sera plus possible de jouer à
cache-cache. Le seul obstacle était-il Abdallah ou bien la France veut-elle garder
Mayotte de toute façon »? Àce titre une délégation arrive à Paris et engage, du
7 au 15 octobre 1975, des pourparlers avec le gouvernement français sur :
• La réconciliation des Comoriens de toutes les îles quelle que soit leur origine
sociale ou tendance politique,
• La normalisation des relations avec la France sur la base de nouvelles struc-
tures,
• La convocation d'une conférence constitutionnelle regroupant toutes les forces
politiques comoriennees avec le gouvernement français comme principal coor-
dinateur,
• Le transfert des compétences, en soumettant une proposition de « protocole
d'accords pour la période transitoire jusqu'à la promulgation de la Constitution
de l'État comorien.
26 Propos d'Ali Soilihi, journal Libération, 8 septembre 1975.
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• Section 1
1° - La consultation organisée à Mayotte portera sur la question suivante : la popu-
lation de Mayotte accepte-t-elle ou non de faire partie de la République como-
rienne telle qu'elle est définie par le projet de Constitution élaboré par les ins-
tances comoriennes représentatives des 4 îles.
- Cette Assemblée sera composée de la manière suivante :
1/3 des représentants du Conseil exécutif
1/3 des représentants de Mayotte
1/3 des représentants des partis qui ont pris position pour le Oui lors de la
consultation du 22 décembre 1974.
2° - Ladate de la consultation sera fixée par l'État comorien sans que celle-ci puis-
se intervenir au-delà d'un délai de 5 mois à partir de la signature des accords tran-
sitoires.
3° - Le scrutin sera organisé à Mayotte par l'administration locale.
4° - Seront admis à faire campagne tous les partis politiques qui ont participé à
la campagne pour la consultation du 22 décembre 1974.
• Section II
5° - En attendant le résultat de la consultation, la loi d'autonomie interne demeu-
re applicable à Mayotte.
6° - Les institutions centrales de l'État comorien exercent à Mayotte toutes les attri-
butions qui étaient celles des autorités comoriennes dans l'ancien statut. Lerepré-
sentant français exerce à Mayotte les compétences anciennement dévolues aux
autorités françaises.
• Section III
7° - Toutes les aides ordinaires ou extraordinaires de la France aux Comores pas-
sent par le Trésor comorien.
8° - L'ordonnancement de ces crédits est effectué par les services financiers de
l'État comorien.
• Section IV
9° - Le gouvernement français s'engage à faire le maximum pour fournir, à la
demande de l'État comorien, les assistants techniques nécessaires pour combler
les postes actuellement vacants ».
Les débats franco-comoriens prennent très vite l'allure d'un dialogue que l'on
peut qualifier de malentendants (pour ne pas employer un autre terme). D'un
côté, la délégation comorienne fait part aux autorités françaises de la proposition
de transfert de l'exercice des compétences et de l'unité des quatre îles ; ce qui
peut servir de tremplin au renforcement des liens historiques d'amitié avec la
France. Et de l'autre côté, Olivier Stirn, secrétaire d'État aux DOM-TOM, exige que
la candidature d'admission de la République des Comores à l'ONU soit retirée.
Stirn explique que le gouvernement français entend consulter les Mahorais qui se
sont exprimés contre l'indépendance. La délégation comorienne se rend parfai-
tement compte que la voie du dialogue est un champ de mines. Elle quitte Paris
pour regagner Moroni, la capitale comorienne, sans parvenir au résultat escomp-
té.
Et Salim Himidi débarque précipitamment à New York pour accélérer dans les
coulisses « onusiennes » le processus d'admission des Comores, car il apparaît
désormais que tout est bloqué par la France et que les Nations unies demeurent
le seul recours. De ce fait, Olivier Stirn présente au Parlement français, le 31
octobre 1975, un « projet de loi relatif aux conséquences de l'autodétermination
des îles Comores ». Lebut est d'interroger les habitants de Mayotte par une consul-
tation : souhaitent-ils être rattachés à l'État comorien indépendant ou demeurer
au sein de la République française ? Ce projet de loi, voté après deux mois de
débats houleux au Palais-Bourbon, devient la loi n°75-1337 du 31 décembre 1975
qui entérine la partition des îles Comores et la séparation de Mayotte
27 Lire le livre du même auteur Mayotte le contentieux entre la France et les Comores, Editions L'Harmattan,
juin 1992.