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B N° 9

DECEMBRE 1967

U S
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E E QUELQUES l'ROBLEMES METHODOLOGIQUES

T N DES SCIENCES HUMAINES DANS L'ETUDE

1 C DES CIVILISATIONS DIFFERENTES

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E H DIFFUSION INTÉRIEURE
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O. R.S.TO.M.
QUELQUES PROBLEMES METHODOLOGIQUES

DES SCIENCES HUMAINES DANS L'ETUDE

DES CIVILISATIONS DIFFERENTES

par Roland DEVAUGES

avec la collaboration de Gérard ALTHABE, Edmond BERNOS,


Anne-Marie COTTEN, Marie-Madeleine GOUELLAIN, ~lichel JULLIEN,
Pierre LESSELINGUE, Hugues LHUILLIER, Claude ROBINEAU,
Vasile TARA et Pierre VENNETIER.
- J -

TABLE DES l\IT...ATIERES

PAGE

INTRODUCTION . ~ • ••" 0 o' ~ ~ ~ ~ " ~ ~ .. t:I .. ; .. .. .. .. .. • .. • • .. • .. .. 3

SECTION A ~ Aspects pratigues de l'Enguête •

. . . '1. ,. '- Aspects pratiques de la Recherche géographique en Afrique


francophone et plus particulièrement au Congo, par
Pierre VEi'J'NETIER (Géographe)...................................... 21
2. - Problemes d'Enquête en Milieu nomade, par Edmond BERNUS
(.Géographe) ,.1 1· D D ~ .. .. .. .. .. .. .. 29

SECTION B - Techniques d'Analyse des Données.

3. - L'Analyse de Contenu, par Pierre LESSELINGUE (Psychosociologue).. 37


. 4. - De quelques "Adjuvants au Calcu~ statistique, par Nichel
ll

JULLIEN (Psychosociologue)....................................... 46

SECTION C - La DéterminaJ~ion de l'Objet de Recherche.

5. - Une Expérience d'Approche du Fait géographique en Afrique de


l'Ouest par Anne-Marie COTTEN (Géographe)........................ 57
6. - Remarques sur l'Observation économique en Milieu ethnographique,
par Philippe COUTY (Economiste).................................. 64
7. - Approche biographique et Science économique (le Rôle du Fait
humain en Economie) par Philippe COUTY (Economiste).............. 72
8. - (Détermination et Observation du Fait économique) par Claude
ROBINEAU (Economis te) • . • • • • • • . . . • • • • . • • • • • • • . • • • • • • • • • . • • • • • • • • • • 86
- 2 - PAGE

SECTION D - Stratégies globales de Recherche et Interprétation


théorique.

9. - Une Monographie de Communauté villageoise à


M~dagascar, par
Gérard ALTHABE (Sociologue)...................................... 93
10. - (L'Anthropologue 8t l'UDivers viilo.geois), po.r Gérard ALTHABE
(Sociologue) " DO ••••••• CI ••• 0 •• 0 • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 100
11. - Une Etude de Psychologie sociale dans Q~ Groupe bi-acculturé,
po.r Rolo.nd DEV1I.UGES (Sociologue)................................. 11 3
12. - La Complémentarité des Modes d'Approche dans l'Etude d'un Phéno-
mène global, par Roland DEVAUGES (Sociologue).................... 125

SECTION E - Perspectives d'Application de 10. Recherche.

13 •. - Quelques Remarques 'sur 'les Recherches' interdisCiplinaires dans la


Région de la Sakai (Madagascar) par VasilG TARA (Socio-é::oncmistB).. 133
14. - Réflexions sur les Problèmes que posent les Etudes pour la Plani-
fication régionalë, par HugUes 1H.uiLLIÈR (Ëconomistë) .. .. •• .. .. .. 137

.CONGLUSION

Remarques pour une Recherche pluriG.isci;..:..~_r..8ire en Milieu·di.fférent.... 147

ANNEXE
Elaboration. Titre complet, par Marie-Madeleine GOUELLAIN (Géographe.... 155
ERRATUM

Table des matières page 2

Au lieu de : "Elaboration. Titre complet, par ~1arie-Madéleine GOUELLAIN (Géographe)",


il convient de lire :

"Elaboration d'une documentation cartographique - ses possibilités d'utilisation - "


par ~1arie-Madeleine GOUELLAIN (Géographe). j

1
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1
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- 3 -

l N T R 0 DUC T ION
- 4 -

Ce Cahier est composé, en proportions


.
inégales,
.
de trois types de
documents
des compte~rendus d 1 oxposés faits au cours d'un séminaire de
méthodologie tenu à l'ORSTOM au cours de l'année 1966-67, sous la responsa-
bilité de l'auteur de ces lignas.
- une étude comparative sur deux recherches de psychologie socialo
et culturelle demandée par le Comité technique do Sociologie ~tPsychosocio­

logie de l'ûRSTûM.
- enfin deux textes "isolés", dont un commentaire d'ouvrage.
Ces trois types de documents ont été réunis parce qu'ils conver-
geaient vers un objectif commun qui était de donner une image à la fois assez
générale et assez précise des problèmes rencontrés à une période donnée,
sinon par tous les chercheurs del'ORSTOM (1), du moins par un groupe assez
important et assez varié d'entre eux pour qu'il soit intéressant de rapprocher
et de confronter leurs expériences. Les chercheurs qui ont participé à ce
Cahier appartiennent en effet à la plupart des disciplines représentées à
l'ORSTOM : l'Economie, la Géographie., la Sociologie et la Psychosociologie.
Par un hasard regrettable, dû au fait qu'aucun chercheur en ces disciplines
ne siest trouvé à Paris à l'époque, les Ethnologues n'y figurent. pas. Mais
cette absence n'est en un sens qu'apparente car les conditions de travnil
des chercheurs de l'ORSTOM les oblige à posséder une culture ethnologique de
base et à tenir compte dans leurs recherches des travaux des ethnologues,
lors même qu'ils ne doivent pns - et c'est le cas le plus fréquent - entre-
prendre un long "défrichage"·· ethnologique de leur terrain dl enqu2te avant de
commencer leurs recherches spécifiques. On trouver~dans la plupart des arti-
cle~ des références à ces conditions de travail auxquelles nous serons amenés
à donner une importance toute particulière. Mais on peut d'ores et déjà
préciser que Ce sont elles qui donnent leur unité profonde aux recherches
dont i l sera question ici.
Ce Cahier ne constitue certes à aucun titre un traité sur los
méthodes d'enquêtes. D'une part, une formation de base.et la cpnnaissance

(1) A i;~xposé de M. Vasile TARA, qui appartient au Bureau pour le Dévelop-


pement de la Production Agricole (BDPA).
- 5-

des principaux ouvrages sur les problèmes abordés y sont supposées acquises
d'autre part, les textes présentés ne constituent pas un exposé méthodique
et complet sur la recherche dans des civilisations différentes. Ils traitent
simplement des problèmes les plus saillants rencontrés par leurs auteurs au
cours de leurs séjours sur le terrain. On peut cependant concevoir que ces
textes peuvent s'intégrer dans les différents chapitres d'un ouvrage de métho-
. "
dologie. C'est leur mise en place dans ce cadre et la signification qu'ils y
prendraient que nous nous proposons maintenant d 'esquisser.

*
* *

On ne peut dans le classement adopté ici, parler réellement d'un


. .

ordre logique. Le lien de causalité entre les parties d'une recherche n'est
pas linéaire, mais multiple et, de surcroît, rétroactif. Plusieurs textes
reviendront d'aili~urs sur ce caractère solidaire et global d'une "opération
de recherche", dans'laquelle'les faits observés déterminent la théorie, tan-
'dis que la théorie conditionne à son tour les faits à observer et ainsi de
suite. Poussé par la nécessité de prendre le processus à l'un de' ses moments,
on a simplement choisi d'adopter, autant que fai re se pouvait, uri ordre de
complexité croissante respectant d'ailleurs dans l'ensemble 'la chronologie
des opérations de recherche. Les textes composant la première et la seconde
partie se limitent pour cette raison aux aspects extérieurs de la recherche,
extérieurs du moins à son objet intrins~que : problèmes pratiques dé collecte
des données ou techniques de dépouillement et d'analyse; ceUx réUnis dans
la trOisième partie font apparaître la relation entre le "fait" scientifique
d'obserVation et la théorie, quo ce soit pour discuter la nature de ce fait
ou pour proposer des 'méthodes d'enquête ; dans la quatrième section, on
rapproche et on compare, dans un effort d'appréhension théorique globale, des
procédures de recherche différentes ; dans la dernièro partie on se préoccupe
de l'intervention des sciences humaines dans les applications concernant le
développement et la planification. La conclusion s'efforce enfin de .definir
un cadre commun pour les préoccupations et les tendances exprimées· par les
divers chercheurs.
- 6 -

SECTION A.

Deux textes, groupés sous une rubrique commune traitent des


aspects les plus pratiques de l'mquete. Pour paraître moins "noble" que
les réflexions théoriques, la connaissance de ces aspects pratiques cons-
titue la condition indispensable de toute réussite en matière de recherche
et l'on doit de la gratitude aux auteurs qui ont accepté d'en faire ici
leur propos. Documents déjà existants - généralement écrits - et matériaux
d'enquête recueillis p2r observation directe ou par voie orale constituent
les deux pôles de toute recherche. P. VENNETIER (texte 1) traite en géogra-
phe, mais d'une manière qui intéresse toutes les disciplines, des principaux
doc~~ents écrits disponibles sur les populations habituellement étudiées par
les chércheurs de l 'ORSTOfil. Dans la seconde partie, i l fait part d'une expé-
rience qu'on ne trouve sans doute dans aucun manuel et qui concerne les
aspects les plus pratiques et les plus quotidiens du travail sur le terrain
l'équipement, le véhicule, les conditions d'hygiène, et dans un autre· ordre
d'idée, les comportements à l'égard de la population et des hiérarchies
officielles ou locales.
La détermination de la population à étudier (texte 2) n'est géné-
ralement pas une chose immédiate ni facile. Elle suppose connues un certain
nombre des donné8s que l'on est venu précisément étudier : répartition dcïl1s
l'espace, structure lignagère, conditions techniques et économiques, etc ••.
Encore étudie-t-on habituellement des populations fixées, qu'elles soient
rurales ou urbaines. Même s'il existe une masse flo~tante plus ou moins
importante, on peut la définir et la situer par rapport à un noyau stable
de sédentaires. Il n'en va pas de même dans le cas des nomndes étudié par
E. BERNUS qui n'ont Iri village ni terroir, mE.Üs des campements souvent dissi-
mulés et des aires de nomadisation variant d'tille saison à l'autre ou sous
l'action des conditions météorologiques. De ce fait, tous les problèmes
classiques de l'enquête : détermi~~tion des groupes, de leur structure, de
leurs aires de circulation, a fortiori, comptage et prise de contact avec
des éléments déterminés, révêtent une difficulté nouvelle. BERNUSmontre la
complexité du problème et les échecs enregistrés par la faute de techniques
inadéquates. Il évoque également - et l'on regrettera qu'il n'ait pas pu
s'étendre davantage sur le sujet - les conséquences que leur état même a
sur les populations nomades, comparées aux sédentaires: structures sociales
- 7-

différentes, "mentalité" également différente. Cette situation pg.rticulière


oblige le chercheur à remettre en question tous les concepts classiques
relatifs à la relation au sol, au groupe, au lignage, ote ..• SE'J'1S parler
même de catégories aussi fondrunentales que le temps et l'espace.

SECTION B.

Avec les deux textes qui suivent, on passe directement à une étape
bea~coup plus avan~ée de la recherche, celle du dépouillement des matériaux.
On insère cependant ces text~s ici parce que, comme les précédents, ils n'ont
que des relations générales et surtout extérieures avec les objets propres
des recherches.
P. LESSELINGUE' (texte 3) ne se réfère lES· à line expé rience' de ter--
rain, 1l1:'1.Îs fait un compte rendu - largement interprétatif ... d 'un cours spécia-
lisé sur l'analyse de contenu qu'il a suivi (1). L'analyse de contenu, em-
ployéé surtout en psychologie sociale es~ on le sait, l'application à un ou
plusieurs textes écrits ou c.mregistrés, de catégories objectiv'3s de découpage
et d'interprétation.
Le problème fondamental est donc celui de l'objectivité, qui serait
matérialisée par exemple par l'accord des codeurs dans l'interprétation d'un
texte. Or, les causes de distorsion sont multiples, les plus importantes, en
sociologie et.en psychosociologie, étant dues à l'interprétation du chercheur.
Elles se manifestent aussi bien au niveau de l'interview qu'à celui de l'in-
terprétation. L'analyse de contenu propose certes des procédures techniques
pour corriger ces distorsions : allA.lyse séparée des textes pour éviter les
effets de suggestion, détermination des variables d'analyse et des catégories
qui les composent, adaptation du schéma général d'a~~lyse et interprétation
théOrique des résultats apparus dans ce cadre; Mais, et c1estson originalité,
l'analyse de contenu représente l'interrogation de textes qui, parfois,
n'étaient pas destinés à cela et pour lesquels o~ ne dispose pas du pré-
découpage que propose le questionnaire·classique. L'analyste doit donc pro-
céder lui-même à ce travail et, même si la procédure est en principe définie
à l'avanc~son application laisse une large place à l'intervention de ses
choix inconscients.

(1) Cours professé par G. et J. Pill'IADE à 1·' Association pour la· Recherche et
l!Intervention Psycho-scciologique (L.R.I.P.).
- 8 -

Une des conditions essentielles d'une analyse de contenu est la défi~

nition claire du ou des cadres théoriqlJes auxquels on se réfère. L'auteur en


cite quatre mais on peut en concevoir d'autres: la perspective psychanalytique
qui attire l'attention, au delà de l'interprétation directe des textes, sur
les intérêts profonds du sujet et sur les réactions projectives du chercheur
la perspective sociologique lirtitée ici à une interprétation fonctionnaliste
des phénomènes la perspective marxiste associée à la précédente et qui n:et
l'accent sur les conflits et sur l'action modificatrice qù'ils exercent sur
les structures existantes ; la perspective structuraliste enfin, qui nous
propose l'extension de la théorie du mythe, dans sa double fone tion rationa-
lisante et prospective, au discours de l'interviewé à l'intervieweur.
Le rôle de ces diverses théories est de fournir des cadres de mise
en relation des principaux concepts utilisés par la psychosociologie lors-
qu'elle a recours à l'analyse de contenu: attitude, motivation, etc ..• On
peut ajo~ter l'usage de celle~ci n'est pas limité à une seule discipline:
l'analyse de contenu peut être utilisée aussi bien par l'anthropologie, la
sociologie ou toute science éprouvant la nécessité d'une procédure objective
pour l'interprétation de docunrents complexes, tels en particulier que les
biographies qui seront évoquées plus loin. Insistons toutefois, et d'une
manière générale, avec LESSELINGUE, sur la nécessité qu'il y a pour les
chercheurs, sinon à subir 'une analyse didactique complète, du moins à être
sep~ibilisés au rôle que joue la projection je leur inconscient sur leurs
activités scientifiques.
C'est de procéduresstrictsment pratiques de traitement des données
quantitatives que traite l'article de JULLIEN (texte 4) qui donne quelques
lttrucs" de calcul à ceux que rebute parfois l'exploitation statistique de
leurs matériaux. L'auteur rappelle d'abord l'existence des abaques Ci.ont
l'utilité est d'indiquer simplement et l'apidament l'intérêt ou l'inutilité
de calculs complexes et de permettre ainsi des économies de raisonnerr.ent et
des spéculations inutiles sur des différences numériques sans signification.
Il propose ensuite des procédures d'utilisation des machines à calculer
s'inspirant - toutes proportions gardées - des programmes appliqués aux
ordinateurs. Lorsqu'on a maîtris é .le symbolisme, dont la di fficul té n'est
qu'ar.rparente, du "langage-machine" utilisé/on dispose de séquences d'opération
i
bien enchaînées et permettant d'effectuer facilement sur les "grosseq"
machines à calculer (du type Olivetti Tetractys par exemple) des calculs sur
- 9 -

les proportions et même' des opérations plus complexes; telles que l'analyse
de variance.

SECTION C.

Avec les quatre textes réunis ici nous entrons dans le domaine
intrinsèque de la recherche, sur le. thème de la relation entre les faits
d'observation et l'appareil de concepts et de théories qui constituent le
corps d'une science. Sous de;3 angles divers, tOtlS ces textes traitent des
difficultésspulevée~ parla détermination du fait scientifique, de l'objet
d'une science déterminée - ici la géographie et l'économie - dans sa double
. nature9-ui le fait "appartenir" à un ensemble théorique particulier et rester
cependant engagé dans le réseau d'implications multiples d'un phénomène
social total.
A.M.COTTEN étudie (texte 5) la détermination théorique et pra-
tique du fait géographique en milieu africain. Pour elle, l'ambition du
géographe est d'expliquer le paysage. Cette explication se fait -com~e elle
le précisera plus loin - à diverses échelles depuis le village jusqu'au
pays tout entier,en passant par la région, impliquant à chacune. de ces
dimensions le recours à des technique s différentes. L' 0 bj et du g;éographe
~ soulignons cette précision - n'est pas différent par essence en Afrique
de ce qu'il est en Europe, mais sa compréhension peut être masquée ici par
, des difficultés d'approche particulières. Ainsi l'écologie montre l comment
l'homme a maîtrisé le mili~u bio-climatique: les données naturelles expli-
quent le paysage en tant qu'elles bloquent un aménagement de l'espace;
l'homme de son côté peu~, on non, les dominer par la possession des techniques
appro1Jriées. Les perspectives d'observation du géographe ne sont toutefois
st8ti~uès et limitées au paysage actuel, mais s'attachent à discerner le$
facteurs d'apparition d'un nouvel ~nénagement et les conditions de ~évelop­

pement d'un nouvel équilibre. Cependant si les principes sont clairs, les
conditions particulières dûes au milieu africain rendent les observations
plus complexes~ C'est le cas de l'aspect déconcertant que présentent, pour
qui vient d,'Europe, les paysages africains : paysage de brousse où la
maîtrise de l'homme est relativement lâche, paysages forestiers où la domi-
nation de 1 'environnement végétal est plus grande encore, centres urbains
semblables à de gros villages. Ces caractères particuliers, n'entrant pas
-- 10 -

dans les classifications "classiques" de la géographie 1 définissent la


première tâche du géographe qui est de décrire. Cette description se fait
à partir d'une approche tout à fait concrète: circulation dans le pays 1
détermination des objets et de lçur dé:'DIDnat:ion en léLL1.gue locale. De ces
observations "élémentaires", on remonte ensuite aux techniques 1 aux struc-
tures et à l'histoire. On reconnaît là les fondements d'une procédure
familière à l'ethnographie.
Au cours de cette analyse descriptive apparaît rapidement une
autre difficulté, générale celle-là, qui est de "resituer le fait géogra-
phique dans une vision d'ensemble de la société". 1'appel aux données
d'autres disciplines paraît à ce niveau nécessaire: l'histoire d'abord,
pour nous faire comprendre les modalités d'occupation d'un territoire et
les relations entre les groupes qui l' oCCUpU.lt, mais aussi l'ethnologie 1
la sociologie, l'économie 1 la statistique qui expliqueront les méc~Dismes

de production, l'organisation du travail, etc ... Le géographe devra tou-


tefois conserver lLne attitude critique à l'égard des concepts utilisé par
ces disciplines et suppléer parfois à l'insuffisance des données en orga-
nisant, sur une base locale, des sondages qui lui perillettront d.e structurer
le-paysage et d'avoir une idée de la nature et du volume des activités qui
s'y déroulent. Il ne s'agit toutefois là que de points de détail. La tâche
essentielle du géographe demeure avant tout d'être sensible aux transfor-
mations économiques et à leurs conséquences pour une organisation de l'espace.
Constatant la nécessité pour l'économiste travaillant dans des
sociétés "ethnographiques" d'employer - particulièrement en raison de
l'absence de statistiques - dès techniquesethnographiqL~slPh. COUTY
(texte 6) se demande si cette différence des techniques implique une remise
en cause de l'unicité du fait économique. Il conclut pour sa part ~l'il

n'en est rien et s'emploie à justifier ce point de vue. _


Certes 1 si l'on consid8re que l'étude de l'échange constitue
les 9/10 de la sCience économique 1 les sociétés de consommation où cet
échange est inexistant ne peuvent donner lieu dans ce domaine qu'à des
analyses fort sommaires. De plus, dans les sociétés industrielles, les
données économiques sont saisies sous une forme quantitative 1 donc très
uni forwisée, alors que la méthode des techniques ethnographi~uesl réservées
selon Levi-Strauss aux groupes "qui diffèrent le plus du nôtre", est avant
tout particularisante. Comment formuler alors le problème? Les concepts
- 1-1 -

de nos sociétés machinistes seront-ils applicables ? Selon la réponse que


l'on fera, l'adoption des méthodes ethnographiques d'observation aura une
portée très différente.
Le refus de ces concepts pourrait se fonder sur le fait qùedans
ces milieux, et à la différence des nôtres, "l'activité économique n'est·
pas objectivée par les agents". La confusion du domaine économique avec
d'autres priverait alors des termes comme prix, offre, demande, etc .•. de
toute signification. A celà Couty oppose deux catégories d'arguments:
1. on a soùvent le droit de dire que tout se passe comme si les
membres de ces sociétés effectuaient des calculs économiques.
;On rencontre, d'ailleurs, dans certain8s nombre d'entre elles,
un· "secteur intermédiaire", à côté du secteur de· consommation,
où existent depuis très longtemps ill~ monnaie locale et un
calcul économique. Des travaux récents ont prouvé que l'étude
de ce secteur était parfaitement compatible avec l'emploi des
concepts économiques courants.
2. plus encore, est-il nécessaire que l'objectivation des rapports
économiques soit faite ou non dans la société considérée?
L'important n'est-il pas 0Me cette notion aide l'écbnomisteà
comprendre ce qui se passe, même si les schémas ainsi· construits
ne sont valables que pour sa propre culture? Et n'est-ce pas
finalement là, se demande Couty, la situation de l'ethnologue
lui-même qui ne "comprèncl" les autres cultures qu'à travers ses
propres catégories. Le problème revient~alors au fond à cons-
truiré des abstractions enrichissantes.
3. ce principe admis, aucune difficulté ne se présente lorsqu'il
s'agit d'effectuer des éalculs de rentabilité à partir de ren-
dements à l'hectare techniquement possibles ou de taille des
exploitations, etc; ..
4. Il n'en va plus de même lorsqu'on veut sortir de ce "squelette"
théorique pour faire intervenir les causes de variation dÛ8s
aux comportements humains. L'étude de l'homme, tel qu'il est,
introdui t évidemment ici les risques du "sociologisme" et. du
"psychologisme" attachés à cette ambition nouvelle.
De cette analyse, CoutY tire·deux conclusions: la première est
que l'on peut postuler - au moins à titre d'hypothèse - l'unicité du fait
- 12-

économique, qu'ils'agisse d'~rre société industrielle ou pré-industrielle.


Mais la considération des seules données statistiques est insuffisante.
Structures sociales, valeurs, représentations interfèrent avec les lois
économiques idéales d'une manière qu'aucun économisce ne peut plus ignorer.
Ceci nous conduit à la seconde conclusion, qu'il est nécessaire de consi-
dérer les systèmes économiques dans leur totalité et d'y faire intervenir,
par l'observation ethnographique, les éléments qualitatifs tenant aux
facteurs humains et à l'hétérogénéité des sociétés où ils apparaissent.
C'est Une mise en ar}lication théorique et pratique, de cette
dernière conclusion que propose le texte 7, également de Ph. COUTY. Une
recherche pluridisciplinaire actuellement en cours et faisant travailler
pôte à côte des étonomistes et des psycho-sociologues lui a permis de mettre
en application la conception du fait économique en milieu non-industriel
qu'il vient de développer. L'étude porte sur une population particulièrement
dynamique sur le plan économique' et le problème est de déterminer les causes
profondes de ce dynamisme. La recherche s'opère à deux niveaux: le relevé
statistique de données aisément observables - et par là quantifiables - et
la recherche, par le moyen d'interviews de longue durée, de phénomènes
plus complexes.
C'est précisément cette recherche en. profondeur,soulevant des
problèmes qu'on ne peut éluder, qui a conduit COUTY à analyser un olNrage
récent (1) consacré à la méthode biographique en Anthropologie.
Selon LANGNESS, l'intérêt pour les histoires de vie tient au fait
fondamental que "nous ne connai;:;cJI1S tout simplement pas assez les gens". Or
la méthode biographique constitue une approche psychologique qui redonne
précisément sa place à l'individu. Ses mérites sont multiples: elle permet
la description précise d'une culture en mettant en lumière des faits essen-
tiels, négligés par d'autres approches, tels que les déviations, les cultures
implicites, etc ••• Elle aborde directement l'étude de la personnalité et de
son interaction avec la culture à travers les rôles qu'elle joue, l'action
des circonstances contingentes sur ses comportements, le jeu réel des va-
leurs, les processus de socialisation, etc .•• Elle permet ainsi d'atteindre

(1) "The Lire History :i:!l..h-!?:.~h!oJ)~logic_~l...J3_c.)enc~. nRr L. LANGNESS Hol t,


Reinhart and Winston, Nevl-Yor:., 1965.
- 13 -

à sa source, dans les agents qui en sont les auteurs, la cause des change-
ments socio-culturels.
C'est par l'ensemble de ces aspects que l'emploi de la biographie
paraît fécond à COUTY pour l'observation viv&~te de ce secteur particulier
de l'univers socio-culturel que constituent les faits économiques. Certes,
il ne s'agit pas de renier l'aspect quantitatif et formalisé de l'Economie
qui en représente Sffi,S doute l'élément le plus spécifique et le plus effi-
cace. L'intention est d'adjoindre à cette connaissance structurale du comment,
la connaissance du pourquoi par une analyse des individus qui vivent cette
Acohomie et de leurs représentations mentales. Par le rapprochement des
comportements et des représentations Iton pourrait peser dans la séquence
vraie des choiX vécus, ·lapart du délibéré et de l'involontaire" et répon,;..
dre par ce moyen à la question posée par COUTY dans l'article qui précède
sur la double nature, à la fois formalisable et vécue, du fait économique.
Une" difficul té subsiste toutefois qui est de savoir si l'utilisa-
tion d'une méthode commune, recueillant des matériaux identiques, ne va pas
aboutir à une confusion· entre les disciplines. L'auteur, sans préciser les
raisons de sa conviction, ne le croit pas et estime, à juste titre,· que dans
le domaine des méthodes de travail l'unité des sciences humaines est réalisée,
voulant dire par là qu'aucune méthode nI est spécifique d'une science et ne
lui appartient en. propre. L'adoption de la méthode biographique représente
alors pour lui la volonté d'intégrer les variables psychologiques dans
l'étude des phénomènes économiques.
Cl •. ROBINEAU( texte 8) constate, de la même manière que COUTY, .
l'ltobsence d'une méthode propre au repérage des faits économiques sur le
terrain". L' économie politique actuelle; même si elle a renoncé à se can-
tonner dans les spéculations philosophiques du passé pour se tourner vers
l'observation des faits, n'a jamais réussi complètement cette conversion. En
outre, ses 'méthodes de travail, adaptées aux sociétés industrielles, sont
essentiellement statistiques, ce qui implique des faits mesurables ou, à
tout le moins, dénombrables, et un appareil d'enregistrement de ces faits.
Or ces deux conditions sont loin d'être réunies dans les sociétés non-indus-
trielles, et le dispositif d'enregistrement serait-il en place que cela ne
suffirait pas car les éléments dénombrables, et la notion même de fait éco-
nomique n'y existent pas de façon évidente. Les faits économiques y sont en
effet dans ln meilleure des hypothèses - celle·dans laquelle on :Peut définir
- 14 -

leur existence - étroitement mélangés aux différents aspects de la struc-


ture sociale. Où dès lors, se demande l'aute 1lr, se trouve l'économique, et
comment le saisir ? On retrouve ici un point de vue très voisin de celui
adopté par COUTY. En réponse à cette question, ROBINl!JAU répond d' abor,~
qu'il n'y a pas de faits économiques en soi mais des faits sociaux généraux
dont certains aspects intéressent l'économiste parce qu'ils concernent des
richesses ou des services et qu'ils donnent lieu à production et à échange.
Mais - et cette remarque incidente est importante sur le plan de la pluri-
disciplinarité - ils peuvent concerner également l'ethnologue, le sociologue,
le géographe, etc ••• On peut, en d'autres termes, discerner dans les faits
globaux deux ordres de phénomène, les uns proprement économiques, que
ROBINEAU appelle directs (tels l'emploi, la production, l'échange, etc ••• )
les autres relatifs à l'environnement, qu'il appelle indirects et que leur
ambivaleDCGÎ rend justiciables d'une étude pluridisciplinaire (la population
et les besoins, les rapports ITarchands, les stratifications sociales, etc •.• ).
ans les sociétés traditionnelles ces divers faits relèvent d'une
double approche: qualitative et voisine par là de celle de l'ethnologue
quantitative et pleinement conforme cette fois aux besoins de l'analyse
économique classique .Au stade micro-économique, qui correspond avant tout
à la phase qualitative de la recherche, on peut distinguer plusieurs niveaux
d' abord les phénomènes domestiques de production et de consommation, puis à
un niveau plus élevé les rapports de production mettant en jeu la strati-
fication sociale et les premiers rapports marchands ; à un troisième niveau
enfin intervient l'évolution du groupe ou de la zone, considérés dans la
dynamique de leur situation historique.
Se référant à ses propres enquêtes, ROBINEAU décrit ensuite la
façon dont il conçoit, dans la pratique, cette approche anthropologique du
fai t économique ainsi défini. Partant dl un thème large - par exemple le rap-
port homn~s/ressources - il cherche d'abord à appréhender globalement la
situation de la région prise pour objet d'étude. Au cours d'une tournée
générale, il effectue, village par village, un premier inventaire des grandes
zones et de leurs problèmes socio-économiques. Il choisit ensuite dans chaque
zone un village caractéristique qui fera l'objet d'une monographie approfondie.
Bien entendu, la diversité des problèmes rencontrés peut entraîner, d'une zone
à l'autre, le choix de·problématiques et de teGr~iques d'observation diffé-
rentes. Si la détermination des terrains d'enquête demeure encore très
- 15-

théorique, les choix primitifs seront affectés au cours de ll€nquête de


contraintes matérielles qui pourront amener à les modifier. L'auteur énu-
mère brièvement ces· contraintes qu'il considère comme des éléments valables
d'orientation de la recherche. Ainsi s'établira au cours de l'observation,
entre l'apnroche théorique et la situation concrète rencontrée sur le ter-
rain, une relation dialectique dont il appartient au chercheur de déter-
miner la co hérence •

SECTION D.

Les textes groupés ici ne sont pas des comptes-rendus de sémi-


naires. Ils .constituaient les éléments d'une étude analytique et comparative
; de deux recherches de psychologie culturelle et sodiÈi'le'. Les· tr6is"~rem:i~rs
(textes 9, 10 et 11) sont des présentations par leurs auteurs de ces études,
caractérisées surtout par les profondes différences qui existent dans leur
sujet, dans les populations choisies, dans leur problématique et dans leurs
techniques d'observation. L'étude de G. ALTHABE est la monographie d'un vil-
lage malgache dont l'auteur donne ici une présentation (texte 9) et la
conclusion (texte 10). Dans cette dernière, l'auteur se livre principalement
à une réflexion sur la phénoménologie du lien qui s'institue entre l'anthro-
pologue et son village et sur les transformations et les significations
successives de ce lien dans le cadre de l "'univers villageois". l ' étude de
R. DEVAUGES a pris'pour objet la situation de bi-acculturation - entre la
tradition et la modernité - de la jeunesse scolarisée du Togo. 110. surtout
présenté ici la méthode d'analyse des attitudes ambivalentes apparues à
l'intérieur de cette situation. Diins le dernier texte (texte 12) qui a fait
l'objet d'un~ discussion approfondie avec ALTHABE, DEVAUGES pose - comme
auparavant COillY et ROBINEAU - le problème du rapprochement dans une strà-
tégie globale des deux modes de recherche illustrés par ces études.
Cette confrontation soulève deUx ordres de préoccupation prin-
cipaux
- Le premier, déjà posé dans la partie précédente, est étendu cette
fois à la totalité d'une recherche et non plus seulement ~ la spécification
de son objet. Il s'agit du rôle de l'option théorique prise au départ, du
corps d' hypothèses cons truites en une pro blématique côhérente et découlant de
cette théorie, issue elle-même d'observations précédentes mais les dépassant
- 16 -

dans sa réflexion. Ainsi, dans les exemples présents, la perception phénomé-


nologique adoptée par ALTHABE n'est ni fortuite ni occasionelle : elle sous-
tend toute sa perception de la société étudiée. Il en est de même de la
perspective plus opératoire choisie par DEVAUGES. Or, il existe une relation
entre l'action théorique prise au départ, la méthode d'observation, l'aspect
de la réalité observée et, finalement, la "vérité" découverte. Ainsi l'adop-
tion d'une problématique phénoménologique conduit à une macro-observation de
type monographique, aboutissant à ~me perception qualitative et en profondeur
de la société observée. Une optique plus behavioriste au contraire - dans sa
forme sinon dans son fond - mènera, si l'on veut maîtriser la totalité du
champ d'observation, à une observation macroocopique et à la détermination de
critères homogènes d!observation constitués en variables. L'observation des
différences se fait alors à travers une analyse quantitative des matériaux}
analogue dans son support logique à l'analyse économique précédemment évoquée.
- COUTY et ROBlNEAU dans· la partie précédente avaient déjà prôné la
juxtaposition de ces deux modes d'approche. Mais ceci pose le problème de la
signification relative de ces différents ordres de vérité qui constituent le
deuxième ordre de préoccupation abordé dans cette section. Cherchant à dépas-
ser la dichotomie entre qualitatif et quantitatif, entre monographies compré-
hensives et sondages, le dernier chapitre s'interrOge précisément sur la
signification de ces vérités différentes, associées à des techniques et à des
problématiques différentes, et sur la possibilité de concevoir un cadre commun
permettant de les englober.

SECTION E.

Avec cette dernière partie, apparaît une intention nouvelle qui est
l'utilisation de la recherche et son application à des problèmes de dévelop-
pement ou de planification, préoccupationCOInII:Qle .!; tous les programmes de
recherche de l' ORSTOf-I et également du BDPA comme l'on peut en juger par le
texte de M. TARA. La nature complexe et la diversité des formes que peut
revêtir ce développement ne seront pas évoquées ici, mais seulement les
conditions selon lesquelles on peut appliquer aux transformations économiques,
culturelles et sociales qu'il implique les observations faites par les
Sciences humaines •.
- 17 -

C'est parle compte-rendu d'une expériènce lnaint~nantachevée que

V. TARA (texte 13)· présente son expérience du problème, Il rend compte d'Q~e
recherche pluridisciplinaire effectuée sur'une région sous-peuplée du Centre-
Ouest de ~~dagascar, voisine de.zones à fortes populations, dans laquelle
"les spécialistes des sciences humaines (sociologues, géographes et démo-
graphes) participent au programme de développement qui entraîne le peuplement
organisée de cette région". Il montre par cet exemple quels types d'informa-
tion ces études peuvent apporter à la réalisation d'un projet concret: il
s'agit ici de l'organisation d'un mouvement migratoire vers des terres neuves.
Une première expérience de peuplement, effectuée avec des Réunionais,
a permis de dégager certains des problèmes que posait l'organisation de ce
mouvement: utilité d'Une s~lection au départ, puis d'une formation in situ
avant l'implantation définitive; nécessité de laisser aux responsables lo-
caux des opérations la latitude nécessaire pour adapter les projets initiaux
- nécessairement théoriques.- aux réalités de la mise à exécution, etc .•• Par
la suite, les enquêtes ont montré la différenciation.qui s'opérait sur place
dans la capacité d'adaptation des immigrants,depuis la formation d'un noyau
d'élite jusqu'à ceux qui devaient renoncer à l'expérience.
L'expérience faite avec les Réunionais a servi d'expérience-pilote
pour organiser l'installation des Malgaches des Hauts-plateaux dans cette même
région. Les études humaines ont montré cette fois les précautions qu'il fallait
prendre pour effectuer cette extrapolation et les facteurs qui variaient d'une
population à l'autre. Les enquêtes ont ainsi prouvé leur utilisé en montrant
comment des connaissances précises et càntrôlées des phénomènes humains per-
mettaient dlorienter l'intervention des Pouvoirs publics. M. TARA souligne à
cet égard l'intérêt de. recherclles pluridisciplinaires pour l'étude des situations
globales et émet le voeu, auquel on ne peut que souscrire, que l'activité des
experts d'une part et des chercheurs des divers organismes d'autre part, soit
efficacement coordonnée, à la fois dans leur intérêt et dans celui de la zone
à développer.
Dans une perspective beaucoup plus générale et élargie aux dimensions
d'une nation, c'est un problème analogue que soulève H. LHUILLIER (texte 14)
qui prend pour point de départ de sa réflexion l'insuffisance des méthodes
employées jusque là en matière de planification appliquée au développement.
Cette inefficacité est particulièrement flagrante lorsqu'il s'agit des milieux
ruraux. Elle tient, selon l'auteur, au fait que les techniques macroscopiques
- 18 _.

employées demeurent trop éloignées des réalités et pèchent par une connais-
sance ilwuffisartte des milieux techniques et hunlains et, en particulier, de
leurs mécanismes économiques fondamentaux. La nécessité arparaîtalors de
restituer à l'espace au sens le ~ll~ concret - et à ses variétés régionales -
leur véritable importance. Sur le plan de la recherche d'application, cette
conception aboutit à considérer chaque région corrwe une entité propre et à
l'étudier cowne telle. Cette expérience a été faite notamment en Côte d'Ivoire
où six régions aussi homogènes que possible ont été confiées chacune à une
équipe pluridisciplinaire qui a intégré d~1S son étude à la fois des données
statistiques et les résultats de recherches monographiques. Les conclusions
ont été rédigées non pas dans les termes des disciplines représentées, éco-
nomique, géographique, etc .•. , mais en fonction des réalisations projetées.
Les propositions d'aménagement régional ainsi faites reposaient cette fois
sur une connaissance précise des conditions locales et des contraintes struc-
turelles.
Cependant, en dépit de leur valeur propre, l'utilisation de ces
résultats pour la formulation de propositions concrètes en termes de politique
d'aménagement n'a pas été sans difficultés. Certes, la potentialité réelle de
chaque région a pu être dégagée, des orientations générales ont été données et
certains arbitrages techniques ont pu être opérés. Mais l'insuffisance des
méthodes de projection, aussi bien que celle du cadre d'analyse régionale,
n'ont pas permis de définir autrement que d'une manière encore empirique la
localisation des actions et la prise en considération des contraintes locales.
Il s'est dégagé cependant de cette expérience lli~ certain nombre d'enseignements
que LHUILLIER s'efforce de tirer. Les méthodes habituelles de traitement des
chiffrées, valables pour des populations homogènes et stabilisées ne permettent
pas de percevoir les transformations internes. L'auteur propose alors quelques
catégories d'analyse et d'action destinées à nuancer, à régionaliser les don-
nées trop globales habituellement utilisées ; certaines de ces catégories sont
destinées à caractériser les différents milieux, d'autres à prendre en consi-
dération les catégories d'agents économiques associés à ces milieux, d'autres
enfin à proposer une hiérarchie des centres de décision et une méthode d'étude
des liaisons entre les catégories ainsi définies. Ces classifications peuvent
par~ître à un sociologue encore un peu fonmelles ; mais elles sont sans doute
adéquates pour rapprocher la réflexion économique à son niveau macroscopique
- 19 -

de la réalité et, en particulier, de la diversité des régions. LHUILLIER


estime en tous cas que la volonté de nuancement des réalités globales qu'elles
introduisent fera parvenir le planificateur à une meilleure connaissance de
l'organisation et des mécanismes internes des systèmes économiques, conditions
. nécessaires selon lui pou~ définir des actions de dévèloppement compatibles
avec ces systèmes.

R.D.
- 20 -

S ~ C T ION A

ASPECTS PRATIQUES DE L'ENQù~TE


- 21 -

1. ASPECTS PRATIQUES DE LA RECHERCHE GEOGRAPHIQUE EN .AFRIQUE


FRANCOPHONE ET PLUS PARTI CULIERE~1ENT AU CONGO

par Pierre VE:rn~ETIER (Géographe)

-:-:-:-:-

Co~~e ailleurs, la recherche géographique dans les pays franco-


phones d'Afrique comprend deux stades
- inventaire et analyse des documents écrits disponibles.
- enquête sur le terrain.
Mais le milieu particulier où elle doit s'exercer lui impose le
respect de certaines règles~ et une orientation qu'il est utile de rappeler ici.

l - La recherche des documents écrits.

L€s documents écrits sont moins nombreux qu'en Europe, et revêtent


des formes différentes 0 Ils sont souvent très dispersés, et dans bien des
cas, leur état de conservation laisse à désirero
Il en eXiste deux types principaux: les documents imprimés
(livres etartic1es de revuos ou debulletins),etles documents non-imprimés,
généralement des rapports à diffusion restreinte, plus ou moins étoffés,
dans lesquels sont consignées des données brutes, ou semi-élaborées.

Il est possible de les classer. en cinq groupes principaux.


1. Les livres et ouvrages divers.
Outre les ouvrages<récents, traitant d'un sujet général ~u régional,
et à propos desquels il est inutile d'insister, il est indispensable de lire
- 22 -

les récits de voyages ou d'explorations, écrits par les acteurs ou les


contemporains de la pénétration du continent. Les descriptions qu'ils
donnent contiennent souvent beaucoup d'indications ou de détails d'ordre
géographique, permettant la comparaison entre situation ancienne et situa-
tion actuelle.
La chronologie des évènements peut être trouvée dans les ouvrages
historiques (Histoire de la Colonisation, par exemple).
2. Journaux Officiels et publications administratives.
Le J.O.R.F., ou les Journaux Officiels des divers territoires
colonisés contiennent des qup~~tités de détails sur l'organisation admi-
nistrative, le fonctionnement des Services ; on y trouve les décrets accor-
dant les concessions urbaines ou rurales. Ils comportent parfois une partie
statistique où se trouvent consignées des données difficiles à se procurer
aujourd'hui (démographie, trafic portuaire, production agricole, etc .•• ).
On peut consulter également le "Bulletin Administratif".
Il a paru également pendant les premières années du XXe siècle un
"Bulletin de Colonisation Comparée" ; des articles d'inspiration officielle
y faisaient le bilan des actions régionales ou des actions d'ensemble en vue
du développement, dans les différents systèmes adoptés par les Français, les
Anglais, le s Espagnols, les Portugais, le s Allemands, en Afrique Noire.
3. Revues géographiques ou de voyages.
Les plus anciennes contiennent des récits de voyages et des des-
criptions ethno-démographiques souvent très précises. Parmi d'autres, citons
le Bulletin de la Société de Géographie de Lille, le Tour du Monde, les An-
nales des Voyages, les Nouvelles Annales des Voyages, la Revue Maritime.
1

Celles qui paraissent aujourd'hui sont plus techniques, et il est


inutile diinsister sur leur intéret : Cahiers d'Outre-Mer, Bulletin de la
Société dé'Géographie, B.A.G.F., Bulletin de la Sté RoYale de Géographie
(belge), Encyclopédie Mensuelle d'Outre-Mer, etc •••
4. Revues africanistes et publications statistiques.
Une source importante de documentation est, constituée par le
"Bulletin du Comité de 11 Afrique Française Il, qui publiait, outre -des arti-
- --

cles, des rapports offièiels et des statistiques. Lé Bulletin des rTissions


et les Annales des Pères du Saint Esprit ontévidEiIllffieniUhé-oÏ'iëhtatto'n
particulière. Certaines revues sont polyvalentes, ~orm.ne les I;C~iers Ency-
clopédiques d' Outre-r'~er" ; d' autres sont spécialisée~, teii~~ : Le Bulletin
- 23 -

Agricole du. Congo , Le Bulletin de l' lNEAC, Bois.et Forêts des Tropiques.
Des articles géographiques paraissent dans les publications des
insti tu ts de recherche (ORSTŒII, IFAN) , dans les Cahiers d' Etudes Africaines
(IPHE )., dans Zaïre, dans les publications de l' 3r,stl tut Royan des Sciences·
d'Cutre-l'Ier (autrefois IRCB) (classe des Sciences humaines).
Les Services Economiques publiaient avant 1960 un Bulletin
d'Inforrrmtions Economiques et Sociales, ou un Bulletin Statistique (terri-
torial ou fédéral), parfois un Annuaire Statistique. Les Services de la·
Statistique ont pris la suite dans las divers Etats. On trouve encore des
données chiffrées ou de courtes études dans les Bulletins de la Caisse Centralb
ou ceux des Chambres de Commerce.
5, Revues et Journaux locaux.
Leur intérêt est très inégal. Ils sont cependant à consulter.

Il s'agit essentiellement des rapports élaborés aux divers échelons


de l'administration, et dont certains constituaient autrefois de véritables
monographies.
1. Rapports de l'administration générale.
Tout fonctionnaire local (chef de district, chef de subdivision,
chef de région) devait adresser à son supérieur hiérarchique un rapport de
tournée et un rapport à périodicité variable (mensuelle, trimestrielle,
semestrielle, annuelle). Aujourd'hui, sous-préfets et préfets font également
des rapports destinés en définitive au Ministère de l'Intérieur. Le contenu
théorique en est le suivant :
a) Un rapport "politigue" comprenant un exposé de la situation
politique (atmosphère générale, chefferies, élections, police, etc ••• ) et de
la situation démographique, d'après les dénombrements et recensements que
constituent les "Monographies de Villages". Les possibilités d'exploitation
de celles-ci ont été étudiées par Monsieur SAUTTER dans un article paru dans
le "·Bulletin de l'I.E.C.". Les mieux faites permettent d'obtenir des rensei-
gnen~nts d'ordre démographique (classes d'âge, natalité, lieux de naissance,
migrations internes et externes). Les données sont toujours à utiliser avec
prudence ; leur valeur est à discuter.
- 24 -

b) Un, rapport économique: nature et superficie des clÙtures tra-


ditionnelles et des cilltures commerciales ,situation du commerce et des
transports, indications ethno-sociologiques, tableaux de production, notices
sur "les Sociétés, plans d'action, étnd~des revenus monétaires, etc •••
L'intérêt de ces rapports est très variable selon les cas., Les
plus récents se réduisent souvent à quelques feuillets dactylographiés,
d'un très maigre secours.
2. Rapports de Services spécialisés.
Un système de rapports, identique à celui de l'Administration
Générale,' avait été introdutt dans divers Services. Lorsqu'on peut disposer
d'une collection suivie, elle aide à comprendre l'évolution interne d'une
région ou d'un pays. Les plus intéressants émanaient (et,émanentencore)',
• __ , ".',,' '~p/., '. .~. ' •. _. ".. ; -_ •. 0 ~ : •

des Servic~s suivants :


a) Service de l'Agricillture : rapports des moniteurs d'agricillture,
des chefs de secteurs des chefs de région, des Services centraux : action
locale, commercialisation, distribution de plants, etc •.• Des rapports non
périodiques dressent un bilan concernant un produit particulier : cacao,
café, sisal, bananier, palmier .•• Par contre, la production vivrière tradi-
tionnelle y est en général ignorée.
b) Service des Eaux & ForêtS' :' rapports annuels par régions et
pour tout le pays sur l'exploitation forestière, les permis de coupe, les
opérations de reboisement, la situation des entreprises, la production et
les exportations, etc ••• Rapports occasionnels aussi sur tel ou tel point
particulier (étude forestière, essais de sylviculture).
c) Services gérant des voies de communication: chemins de fer,
ports, voies navigables: données sur le trafic, le matériel, les travaux,
les investissements.
'd) Services des Mines, des Travaux Publics, Enseignement, I.G.N....
publient aussi des rapports annuels.
3. Rapports des Inspecteurs Généraux.
Avant l'indépendance d~s Etats d'Afrique Noire, le passage plus
ou moins fréquent d':nspecteurs Généraux de l'Administration donnait lieu
de leur part à des rapports parfois très gros, faisant le point de la situa-
tion dans le domaine qui leur était assigné (T.P. E.&F. Agriculture, Santé ... ).
- 25 -

4. Rapports annuels du Conseil Economigue et Social.


Dans certains Etats, le Conseil publie un rapport faisant la
synthèse de la situation d'ensemble à l'échelon national. On y trouve des
indications sur le Plan de Développement, les statistiques de production,
les orientations de la politique économique ...

C - Les Archives.

On y retrouve les rapports ou copies des rapports cités plus haut,


la correspondance administrative, des cartes, des plans ..• Où sont les
principales ?
1. A Paris.
Archives de l'ancien Ministère de la F.O.M. (rue Oudinot, du Minis-
. . .
tère de la ~~rine, des Pères du Saint Esprit (rue Lho~ond ; a~torisation
préalable à demander).
2. A Aix-en-Provence.
Archives de l'ancien Gouvernement Général de lIA.E.F. évacuées en
1960. Emballées dans plusieurs dizaines de caisses, elles sont sans doute.
inaccessibles pour assèZ longtemps (non déballées, non classées).
3. Dans les chefs-lieux et les capitales.
Archives des Etats : faute de personnel spécialisé, elles sont
souvent abandonnées ; elles ont été en partie dispersées,. égarée~ ou détruites,
ou sont devenues inaccessibles pour des motifs locaux.
Archives régionales: la plupart du temps en mauvais état, surtout
dans les petits chefs-lieux de brousse, ou l'humidité et les insectes font
des ravages rapides. Quand elles subsistent, elles. sont souvent très inté-
ressantes (rapports anciens, cartes ou croquis).
Archives divérses : des services administratifs, des mairies, des
évêchés, des Chambres de Commerce. Elles doivent être dépouillées chaque
fois que possible. Par Gxemple, chaque Société d'exploitation minière avait
son dossier au Service des Mines ; on y retrouve les statistiques de pro-
duction, les chiffres concernant la n~in d'oeuvre, les ,rapports d'inspection,
les bilans financiers, etc ...
En définitive, il existe encore une nasse considérable de documents,
où la recherche doit être menée avec patience; c'est un travail très long et
parfois décevant quand les résultats obtenus sont maigres ; mais il est
indispensable pour la compréhelwion de la situation actuelle.
- 26 -

üù qu'elles soient menées, les enquêtes sur le terrain posent


des problèmes plus ou moins aigus d'ordre matériel, administratif, psycho-
logique, etc •••

Ils se posent surtout dans le cas des tournées, et de façon diffé-


rente selon les pays et les régions. La présence d'un chauffeur~écanicien

libère le chercheur des soucis essentiels, mais ne le dispense pas de


prendre certaines précautions qui lui évitent des désagréments.
1. Problèmes de véhicules. La nature du véhicule dépend de l'état général
des routes et de l'infrastructure en matière de services. Ainsi, au Congo,
il est exclu d'utiliser autre chose qu'un engin semi-lourd, de type deux-
ponts ; il faut prévoir des pièces de rechange pour les pannes les plus
courant8s (b0ugies, vis platinées, courroie de ventilateur, joints, bobine,
pneus et chambres à air ..• ), de l'outillage de réparatioh, du matériel de
désenlisement (tire-fort, câble, pelle-pioche, plaques d'envol), une matchette
ou une hache.
2. Problème d'équipement. Il est résolu selon les goûts et les habitudes de
chacun; mais un minimum indispensable évite de mauvaises surprises, lorsque
le chercheur ne trouve sur place aucune structure d'accueil.
Matériel mobilier : lit, moustiquaire, table, chaise, seau en
matière plastique ou en toile,réchaud et lampe à gaz.

- Alimentation: caisse popote ou valise de camping, filtre-bougie


pour l'eau, gourde. Ravitaillement plus ou moins abondant selon
la durée de la tournée.

- Logement: les cases'''de passage" n'existent pratiquement plus.


On peut aisément louer ou obtenir une case de type traditionnel,
pour un prix modi que.

- Vêtement : vêtements en nylon facilement lavables, ou vêtements


de type militaire. Chaussures souples et imp~rméables.
3. Problèmes de santé. Le climat tropical n'a rien de meurtrier, et le foie
est moins sensible ~ la chaleur qu'à l'abus de certaines boissons que celle-
. .

ci entraîne parfois. ~. On ne porte plus le casque "colonial 11 ce qui ni exclut


pas l'utilité du éhapeaupour les longues' st~tions au soleil; on peut ne
- 27 -

pas faire bouillir toute l'eau qu'on boit, et ne pas désinfecter au perman-
ganate les légumes qu'on mange! Certaines craintes sont ridicules, mais
certaines fanfaronnades le sont aussi : les moustiques infectés, les amibes
et les glossines ne sont pas des inventions ; une élémentaire prudence veut
donc qu'on prem1e de la nivaquine avec régularité, et qu'on filtre l'eau
qu'on boit en brousse. Une mnibiase ou une filariose sont très longues à
guérir •••

Quel que soit le type d'EJnquête qui est mené, il existe un certain
nombre de règ~es à respecter, qui découlent des conditions psycho-sociologiques
où vit la société traditionnelle, et de l'évolution politique des dix der-
nières années.
Il est indispensable de respecter la hiérarchie politico-administra-
tive; avant toute enquête, des contacts doivent être pris avec les autorités
officielles à l'échelon le plus élevé; les autorisations obtenues, réper-
cutées à l'échelon local, faciliteront la besogne. Il est non moins indispen-
sable de respecter, autant que faire se peut, la hiérarchie coutumière, à
l'intérieur de laquelle les nuances sont nombreuses et parfois subtiles tel
chef doit être visité avant tel autre, sous peine de palabres interminables.
Le choix d'un informateur-interprète est primordial: soh appar-
tenance ethnique co~~ande les questions de langue, de familiarité avec les
individus, de connaissance préa12ble des probJèmes. Il est bon d'insister
aussi sur le but désintéressé d'une enquête, auprès de gens qui subodorent
aisément des motifs fiscaux sous le questionnaire le plus anodin.
Attitud~is:~:~is ~~~_~~E~pé~~~ ; ils sont souvent prêts à rendre service ou
à accueillir le chercheur, au nom d'une hospitalité qui se dément rarerrent.
Mais celle-ci n'est pas un devoir: il est bon de le garder présent à
l'esprit. Ceux qui habitent en brousse depuis longtemps ont souvent une
connaissance précieuse du milieu, qui peut éviter des erreurs et rendre de
grands services; ceci est particulièrement vrai pour les Missionnaires.
Il est maladroit d'exprimer en leur présence des jugements tran-
chants, et de contester leurs propres opinions, si péremptoires soient-elles
la science infuse n'est le privilège de personne •••
- 28-

Attitude vis-à-vis des Africains,'Il est bon de; garder présent à l'esprit
---_._-------~~-----~----------
-que leur méfiance est légitime,
. .
~qu'ils ont leurs problèmes et leurs occupations, et ne sont pas
à la disposition ducherçheur,

-que leur conception de l'existence et du bonheur est parfaitement


légitime; la supériorité d'une civilisation différente n'èst pas
évidente.

Au cours de l'enquête elle-même, quelques précautions évitent bien


des déboires
ne poser que des questions simples, exigeant si possible une
réponse par oui, non, ou un chiffre. Il vaut rrüeux poser 10 pe-
tites ~~estions qu'une seule grande qui les résumerait toutes.

- les recoupements sont indispensables, la même question étant


posée à plusieurs.

- éviter le s questions qui suggèrent les réponses, car l'enquêté


répond volontiers dans le sens qui lui paraît souhaité.

- être immensément patient: l'Afrique Noire vit à un autre rythme


que le nôtre, et i l faut savoir perdre du temps .•• pour en gagner.

- ne jamais s'engager sur le terrain brûlant de la poli tique il


ne fait pas partie du domaine de la recherche scientifique.
- 29 -

2. PRO~~S D'ENQl~TES EN MILIEU NO~urnE

par Edmond BERNUS (Géographe)

-:-:-:-:-:-:-

Un chercheur qui a abordé l'Afrique par les paysans noirs rencontre


un certain nombre de difficultés spécifiques lorsqu'il vient travailler
chez les nomades. Ce sont ces difficultés particu~ières et les différences
fondamentales entre monde sédentaire et monde nomade que nous allons examiner.

A - Milieu sédentaire et milieu nomade.

1. Villages et tribus:
chez les sédentaires la notion de village et éventuellement
celle de hameau sont subsidiaires. Mais le village (ou le hameau) est une
unité de base que l'on peut repérer sur une carte ou que l'on peut y inscrire
assez facilement; c'est l'une des unités relativement fixes, au moins pour
quelques cycles saisonniers, que le canton regroupe. Tous ces termes et ces
concepts sont voisins de ceux connus en Europe car, ici comme là, nous
sommes en présence de paysans •
• chez les nomades: on ne parle plus de villages, mais de tribus
ou de fractions de tribus. Lorsque l'on consulte les recensements, on
découvre des tribus de 100 cowne de 2 à 3 000 personnes. Certaines sont
subdivisées en une poussière de fractions portant le même nom générique et
différenciée chacune par un simple chiffre (ex. : chez les Peuls de Tahoua
Gojawa, l, II ••• X••• ). Seconde difficulté: une tribu, ou une fraction même
recensée en un seul bloc, nia jamais ~e résidence groupée: elle est
éparpillée, surtout en saison sèche, sur de très nombreux puits, en cam-
pements. Or, le campement est une unité essentiellement variable, qui se
- 30 - .

regroupe et se disperse au fil des saisons. D'où, difficultés pour faire


figurer une tribu sur une carte. On ne peut que cerner une aire de nomadi-
sation où telle tribu a ses habitudes.
Au-dessus de la tribu, il n;y a pas de canton, mais le groupe qui
rassemble un certain nombre de tribus. Cette terminologie est importée et
nous y reviendrons plus loin.
2. a) Notion de terroir et de finage: c'est une notion liée au vil-
lage. On peut, sur une carte, déterminer plus' ou moins facilement les limites
de l'implantation des terres du village. Cette notion ne se retrouve pas chez
les nomades: le terroir est lié à des cultures qui fixent l'homme à un
espace donné qu'il exploite. Pour le nomade, on ne peut déterminer qu'une
aire de nomadisation. Chez les tribus sahéliennes, elle est double: d'une
part celle de saison sèche, en général assez pe~ étendue et s'ancrant autour
dlun certain nombre de puits auxquels la tribu est attachée; cette aire
varie d'une année à l'autre selon les circonstances climatiques, selon que
les pluies ont favorisé un point ou l'autre; en second lieu, il y a un noma-
disme de saison des pluies, selon un itinéraire assez régulier : c'est un
mouvement vers le nord qui suit la remontée estivale du Front Inter.Tropi-
cal (FIT).
Chez certaines tribus touarègues, les habitudes de nomadisation
très précises ne varient que dans le détail, ou sous la pression de la séche-
resse et du manque de pâturages.
On trouve, par contre, chez les groupes Peuls noreades, un très
grand détachement vis-à-vis du pays' ou de la région. Une dispute entre
nomades, un recensement pointilleux et la tribu décampe pour aller nomadiser
à 100 ou 200 kms de là.
b) Notion politique de région. de territoire. Le nomade n'a pas la
même idée de la terre que le paysan qui fait fructifier son sol. Le chef, à
quelque échelon que ce soit, n'est pas un chef territorial, mais un chef de
tribus et de groupes.
Chez les Touaregs,i'Amenokal cOlIllllande une zone d'influence oil
nomadisent des tribus qui reconnaissent son autorité. Son rôle change lors-
qu'il se sédentarise plus au sud et devient chef terrien. Dans de nombreuses
régions, des Touaregs appartenant à des groupes politiques différents, noma-
disent côte à la saison des pluies.
- 31 :-

- Chez les Peuls nomades, on note un détachement beaucoup plus


prononcé encore vis-à-vis de la région. Le chef, c'est l'Ardoo, c'est-à-dire,
le guide: i l conduit sa tribu là où les conditions de vie sont les mëil-
leures pour ses dépendants et leurs troupéaiJx.-
En résumé, il n'y a pas de territoire ou de royaumes chez les
nomades comme on en rencontre chez les sédentaires.
}. Le cycle annuel.
Les différences entre nomades et sédentaires rencontrées à propos
de la'notion d'espace, se retrouvent au sujet de la conception du temps, et
en particulier, du cycle annuel. Pasteurs et paysans connaissent au cours de
l'année des périodes d'abondance et de disette, mais ces périodes ne coïn-
cide:p.t pas: r"

- Chez les paysans,soudanais, la soudure se situe à la aison des


pluies, avant que la récolte ne soit faite et alors que les réserves sont
presque épuisées. L'abondance arrive en octobre-novembre, lorsque les
céréales peuvent être récoltées.
Chez les nomades, la soudure correspond à la dure saison chaude
qui précède les pluies de mars à juin. Les pâturages sont desséchés, les
mares vides; seuls certains puisards et les puits profonds fournissent
encore de l'eau. C'est l'époque des travaux les plus rudes de traction aux
puits, pour abreuver hommes et animaux. Le lait devient de plllS en plus
rare. C'est la saison la plus pénible des plus fortes chaleurs où hommes et
animaux sont sous-alimentés. Lorsque les' pluies reviennent en juillet et
surtout en août, les animaux reprennent des forces et donnent du lait.
C'est alors, pour les nomades, la cure lactée: il n'est plus nécessaire
d'abreuver les animaux qui trouvent l'eau stagnante dans tous les bas-fonds.
La conclusion de cet état de choses est que les deux économies
sont complémentaires : les nomades, qui consomment tous du mil, ont besoin
de se fournir en céréales à cette période de soudure où le lait se fait
rare. Ces remarques montrent les grands traits qui différencient ces deux
milieux dès le prewier abord. L'étude du monde nomade pose donc des
problèmes particuliers aussi bien dans l'enquête qualitative que dans
l'enquête quantitative.
- 32-

B- ~~~~~!~~~_~!ie~_~~~~~.·
1. LI enquête quali tative.
a) problèmes de localisation: lorsqu'on étudie une région, ou un
groupe nomade donné, la première difficu~té consiste à localiser les tribus,
Chacune·d'elle est disrersée en un nombre de campements variant selon les
saisons la dispersion est maximum lorsque les mares sont en eau et qu'il
n'y a pas de regroupements forcés autour des puits profonds. La difficulté
primaire est de retrouver sur le terrain un campement nomade : lm campement
Peul Bororo est quasiment invisible puisqu'une haie d'épineux seule le
matérialise,
- En plus, de nombreuses tribus nomadisent une partie de l'année
hors de la circonscription où elles sont recensées les Touaregs de Tahoua
sont dans le cercle d'Agadès pendant l'été.
- Les Peuls nomades, dont nous avons déjà dit la mobilité et le
peu d'attachement à la région, ont souvent quitté une circonscription pour
nomadiser sans retour plus au nord : les lenteurs admilristratives font qu'ils
sont toujours rec~nsés dans les cercles où ils ne vivent plus jamais.
- Si les hommes sont difficiles à localiser, les troupeaux ne le
sont pas moins: car les différentes variétés d'animaux, camelins, bovins,
ovins, caprins recherchent des pâturages différents qui imposent l'éclatement
des troupeaux,
b) Problèmes terminologiques (le cas des Touaregs) .
• problème des noms de tribus : les nomades rencontrés et inter-
rogés peuvent se définir de nombreuses manières : les noms de tribus sont
souvent précédés de kel, mot signifiant "ceux de", "les gens de". Il est
ainsi possible de composer n'importe quel nom avec un tel préfixe: des
nomades peuvent se dire kel Mold1ammed, des gens de Mokhammed, nom de leur
chef, ou encore kel Azawak, ceux de l'Azawak, qui désigne toute l'immense
région au nord de Tahoua, ou enfin kel Nan, nom véritable de tribu.
En second lieu, les nomades désignent souvent des tribus sous un
nom particulier, inventé par les intéressés eux-mêmes : les Touaregs de
l'Aïr, désignent ceux de Tahoua dans le nom de Tegarey-Garey , alors que
ceux-ci se disent Iull eme don , kel Dinnik.
- 33. -

problèmes~e to.ponymie. il est difficile de répert.orier les


itinéraires donnés par des nomades en fait, chaque particularité de
terrain, rocper, dune, arbre remarquable porte un nom. Les cartes, même les
meilleures, n'en portent qu'un nO'Ilbre limité. D'autre part, il y a de nom-
breux toponymes semblables: ceux des noms d'arbres par ex. : l'accacia
senegal est appelé in-tamat ou in tazzeit.
Plus au sud, où les Touaregs se sont implantés aux côtés des
paysans, il existe souvent une double toponymie: celle officiellement
adoptée est presque toujours celle des sédentaires, ex. : la rive droite
du Niger est.l'Arabenda pour les Touaregs, et rive Gurma pour les Songhay.
Le village d'Ayorou est appelé Imawen par les Touaregs, ce qui signifie
... "les bo.llçhes",; etc •••
• Difficultés dans la terminologie des groupes humains.
- il y a ceux encore très vivants de la tradition: confédération, fédération,
tribu: groupements politiques centrés autour du tambour de guerre (ettebel)
qui matérialise le pouvoir de l'Aménokal.
- et la terminologie introduite par l'administration qui a remodelé ce peuple
vaincu, en respectant plus ou moins les structures passées: on a disloqué
les confédérations et les fédérations pour créer des unités comparables à
celles du monde sédentaire: la tribu représente le village, le groupe, le
canton. On en est arrivé à Q~ puzzle incompréhensible si l'on n'a pas
connaissance des mesures successives et souvent contradictoires prises par
l'Administration. Des tribus se ~rouvent rattachées à un noùveau groupe,
c'est-à-dire à un chef distant parfois de plus de 100 km.
c) Problèmes spé~i!iCl1:!-~~~~S :
Ces problèmes sont liés à l'étude d'une société très diversifiée
et hiérarchisée. Chaque confédération, et aujourd'hui chaque groupe, ras~

semble une série de tribus dans un cadre 2~.')li tigue. Ces tri bus sont venues
se mettre sous la protection d'un Amenoka, d'un tambour de guerre (ettebel)
rien ne s'oppose àce que ces tribus soient arabes, comme celles du nord de
Tahoua (Daramshaka). Il peut s'agir aussi de tribus trouvées sur place par
une confédération touarègue conquérante. La première conséquence est qu'on
observe une très grande diversité de langag~~~: Prenons l'exemple de l'Azawak,
qui désigne la subdivision nomade de Tahoua.
,- 34 .-

- Le Tamasheg est la langue to~règue parlée par tous.


- L'Arabe est parlé par les tribus arabes du nord.
De très anciennes tribus, installées au sud de llAïr avant
l'arrivée des vagues suivantes, les IFlalen, parlent une langue mixte, le
Tagbalt, où termes Tamasheg et Songhay sont étroitement mêlés.
- De très nombreux idiomes (Talasarlalt-0hinsar) sont particuliers
à quelques tribus (kel erlal enniger-Attawari}
- Il existe une langue des forgerons.
- Les coutumes sont également très diverses selon les tribus,
selon les catégories sociales nob'es guerriers, tributaires, religieux,
serviteurs, affranchis, etc •••
~ Il résulte, de cette diversité d'origine, une très grande diyer-
sité économigue : l'élevage du chameau est plus important chez certains:
celui des bovins ou des ovins chez d'autres etc ••• L'élevage peut être lai~

tier ou fait en vue du transport caravanier, etc •••


Ces diversités de tribu à tribu, montrent que chaque exemple est
chez les Touaregs un cas particulier.
Chez les Peuls nomades, au contraire, la diversité est beaucoup
moins grande, dans une société égalitaire centrée sur le seul élevage bovin.
La difficulté de l'étude de la société touarègue provient du fait que l'on
se retrouve en face d'une société globale, hiérarchisée, dont chàque élément
était solidaire de l'autre.
2. L'enquête quantitative.
On retrouve ici toutes les difficultés déjà décrites, dispersion,
localisation auxquelles s'ajoutent les difficultés de repérage des tribus ou
des familles que l'on peut tirer au sort sur un cahier de recensement. Deux
exemples l'attestent
a) Enquête sur le_IL~1aures.. (cf. La moyenne vallée' du Sénégal,
Paris, P.U.F., 1962) On renonce à tirer des tentes sur les cahiers de recen-
sement, car elles sont trop dispersées et trop difficiles à retrouver: deux
tentes observées par tirage ont peu de Chances de se trouver dans le même
campement ou même dans des campements voisins.
On a p~éféré opérer par tirage des campements mais on ne connais-
sait pas la liste des campements: on a tiré à partir de là 0,5 %des tentes
recensées. On étudie ensuite les campements dont faisaient partie ces ten-
- 35 -

tes : sur 62 tentes de base servant à déterminer les campements à étudier,


22, soit 35 %, n'ont pas été retrouvées sur le terrain (soit en raison du
décès du chef de la tente, soit par une mauvaise transcription des noms).
b) Autre exemple: une enquête économique et pastorale menée en 1963
au Niger dans la subdivision nomade de Tahoua (cf. Etude démographique et éco-
nomique en milieu nomade. INSEE. Coopération. SEDES, Paris 1966, 2 fascicules).
L'enquête, prévue au départ pour toute la zone nomade, fut réduite à
une seule circonscription. Les difficultés du terrain obligèrent les respon-
sables à remanier constamment leurs méthodes: 1 fascicule de l'enquête est
consacré exclusivement à la méthodologie. En définitive les résultats furent
très décevants, eu égard aux moyens mis en oeuvre. Très modestement, les
auteurs concluent que cette enquête leur a permis de jeter les bases d'une
méthode en zone nomade. Six méthodes furent successivement utilisées : les
changements furent opérés en cours d'enquête, à la fois par approximations
successives et par le fait que les méthodes utilisées en saison sèche n'étaient
plus valables en hivernage.
L'enquête quantitative en milieu nomade se heurte à des difficultés
majeures de repérage. lfn chef n'est pas toujours capable d'indiquer l'empla-
cement des tentes de sa tribu. De plus, les distances, la possibilité et la
facilité qu'a tout nomade de se dissimuler et de cacher ses troupeaux, rendent
tout comptage numérique aléatoire.

En conclusion, on peut dire que l'étude du milieu nomade demande au


chercheur de se débarasser d'un certain nombre de concepts liés au monde paysan
dont il a l'habitude. Il lui faut faire un effort pour pénétrer une mentalité
très différente et acquérir une perception nouvelle du temps et de l'espace.
- 36 -

S E C T ION B

TECHNIQUES D'ANALYSE DES DONNEES


- 37 -

3. LI ANALYSE DE CONTEl'JU

par Pierre LESSELINGUE (Psycho-sociologue)

-:-:~:-:-:-:-:-

Après un stage de "perfectionnement ft l'analyse de contenu", suivi à


l'A.R.I.P. (Association pour la Recherche et l'Intervention Psychosociologique)
nous avons voulu réunir les données acquises pendant les séminaires dirigés
par M. Guy PALMADE et 11me Jacqueline P~UffiE, afin d1essayerde traiter plus
aisément cette partie du travail de recherche qui oblige le sociologùB(et a
fortiori le psychosociologue)à se distinguer de l'objet de l'enquête pour en
traiter les éléments recueillis suivant des méthodes inférant des hypothèses
propres à la person..'1e même du chercheur.
C'est ce phénomène de la projection du chercheur dans tout son tra-
vail de recherche, qui atteint son optimum au cours de l'analyse de contenu
que nous voudrions mettre en lumière dans ces quelques pages; phénomène qui
n'est pas sans nuire gravement à l'objectivité des résultats obtenus.
Dans un premier point, il sera question de la technique de l'analyse
de contenu, et dans un second, des concepts théoriques qui sous-tendent cette
activité.

DEFINITION et TECHNIQUES
l - Définition.
L'analyse de contenu consiste en la transformation de données brutes
en données traitables scientifiquement.
Par données traitables scientifiquement, nous entendons des données
objectives, mesurables, intégrées dans un système relationnel applicable à
partir des limites dès éléments qui lui ont permis l'existence (ce qui signifie
un schéma explicatif ayant valeur de généralisation).
- 38 '-

D'ores et déjà nous nous heurtons au principal problème de l'a-


nalyse de contenu: celui des données objectives.
Nous aboutirions à des données objectives si plusieurs analystes,
travaillant séparément, aboutissaient à une analyse identique.
En fait nous ne pouvons que tendre vers la donnée objective. Or
le matériel que nous analysons ne permet pas la lecture d'un comportement,
mais la lecture d'informations que~oIll1.e un individu sur ses conduites
(première distorsion) à quelqu'un -1 'enquêteur- (seconde distorsion) ; ces
informations seront traitées par l'analyste (troisième distorsion) en vue
d'un objectif ou pour un organisme défini (quatrième distorsion).
Il apparaît alors évident que tant· que tous ces éléments n'ont
pas été appréhendés dans leur nature la plus complète possible, l'analyse
de contenu objective relève de la théorie pure.
Il faut noter cependant que les distorsions entrevues n'ont pas
la même valeur qualitative selon la nature ,du travaiL
Par exemplet une analyse de contenu réalisée dans un but théra-
peutiquenécessite une attention accrue Sur les premières distorsions. Au
. con~raire, le travail réalisé dans un but sociologique exige que·l f bn consi-
dère avec le plus grand soin los distorsions du second et du troisième type.
Il faut donc, dans cette dernière hypothèse :
a) Que l'individu qui opère tente de s'objectiver au maximum par
rapport à la population ou au matériel sur lequel il travaille, ce qui
signifie qu'il ait pleine conscience des éléments réunis au travers du maté-
riel qu'il traite, c'est-à-dire, de la nature de la population enquêtée, de
la nature du destinataire du travail, et des objectifs proches ou lointains
de l'analyse (pour un chercheur, ses hypothèses "a priori" dont on ne peut
nier l'existence, et Sa personnalité propre).
b) Clarifier au maximum les motivations du chercheur et rendre
explicites les objectifs implicites ~ ...
c) Que le chercheur analyse son moi. CI est fondamental. :u ne se
passe pas d'études psychosociologiques bù chacun dos analystes ne cesse
d'inférer dans l'analyse ses propres distorsions caractérielles.
d) Et enfin considérer que le matériel obtenu a été réuni au cours
de procédés de communication qui ont eux·mêmes leurs limites (1).
----- .
(1) Surtout pour les chercheurs étrangers au pays ou à là culture sur le-
quel ils travaillent (problèmes de langues, de système de référence, etc ••• ).
- 39 -

Toutes ces mises au point devront être réalisées continuellement


au cours de l'analyse~ bi8n qu'il existe différents moyens procédés tendant
déjà à réduire ces distorsions, procédés que nous allons citer dans notre
seconde partie.
II - Technigue.
II - 1 - Il convient d'abord de traiter différemment chaque interview
ou questionnaire afin de réduire la projection possible de
l'analyse des premiers sur les suivants. Pour ce faire on
peut les regrouper par grandes distinctions (populations
homogènes, entreprises, villages par idéologie politique,
âge, sexe, etc .•. ) mais, déjà, en effectuant cette opératio~
on engage le matériel et-on infère certaines hypothèses
implicites. D'où la nécessité d'en prendre conscience. Car~

de toute façon, pour aboutir àun modèle explicatif global,


il convient de regrouper les différents matériaux en se
référant à une bypothèseexplicite (présente à la conscience
du chércheur).
II - 2 - Ceci étant réalisé~ chaque analyste doit
- fixer les variables d'analyse.
- définir les catégories à l'intérieur des variables.
- adapter le schéma d1anàlyse à l'ensemble du contenu.
- dégager alors un modèle théorique explicatif de l'ensemble
du contenu.
Nous ne reprendrons pas en détail chacun de ces ti tres, car
ils oonstituent un substrat technique que chaque chercheur possède,
ou peut trouver aisément dans les ouvrages spécialisés ( -1).
II - 2- ~ Détermination des variables d'analyse:
II - 2 - - 1 - Isolément de certaines unités d'analyse (ex.: sou-
pirs, silences~ perturbations, thèmes définis etc ••• ) qui peuvent
. être :
a) les plus petites unités de contenu.
b) les plus petites unités significatives (cf. 2e partie).
N.B. - Le trav~il mathématique (choix des modèles ou des épreuves
de signification) infère certaines hypothèses par rapport
au choix des unités d'analyse que l'on va définir
- 40 -

ex. Une échelle de Guttman nécessite une ana-


lyse tenant compte d'une certaine struc-
ture hiérarchisée des unités d'analyse;
la mise des unités en tableau carré infère
le traitement par Khi deux.
II - 2 - 1- 2 - Comment définir les unités d'analyse:
a) Thèmes principaux unitaires (conflit de classe,
problèmes sociaux, loisirs, etc •.• ) Qu'il convient
de choisir, significatifs de l'enQuête.
b) Système de valeurs de l'enQuête.
c) Attitudes de l'enquête (pour les concepts d'atti-
tudeet d'évaluation, voir 2epartie) Qui peuvent
être stéréotypées, explicités (conscientes au sujet
Qui émet les informations) ou implicités (décou-
vertes par l'analyste).
N.B. - Il existe en général une.corrélation posi-
tive entre les' attitudes de l'enQuête et
les attitudes vis-à-vis de l'enQuêteur.
d) Forme linguistiQue (JE; ON, ILS, NOUS, etc ••• ) ou
les changement s de forme, ou les lapsus, par exemple.
11-2 - 2 - Etablissement des catégories à l'intérieur des
variables :
par syst§matisation de la présence des varia-
bles (cf. le modèle dichotomiQue de Lazarsfeld).
- par expression de l' intensi té "des sentiments ou
des attitudes (ce Qui définit un critère d'éQui-
valence des unités d'analyse .•• ).
II .;;, 2 - 3 -' Création d'un schéma d'analyse explicatif
Ce modèle a appliQuer à· chaQue unité de contenu
~ à modifier suivant l'importance d8s éléments Qui
s'y int"grent ou Qui ne s'y intègrent pas.
L' exposé simplifié de ces quelQues techniQues permet déjà de
saisir la c:omplexité d'une telle opération Qu'il ne convient pas d'a-
border sans en avoir envisagé l'environnement théoriQue et les concepts.
- 41 -

THEORIES et CONCEPTS
Si l'on descend à un palier plus bas, il est nécessaire de déterminer
les opérations qui se déroulent dans le moi de l'analyste au cours de la
chronologie opératoire ci-dessous définie, d'où un premier point:
l - Description théorigue de l'analyse de contenu
l - 1 - Déterlnination des variables :
Les processus à envisager sont ceux de fermeture, de saturation
et d'interrogation faisant intervenir une certaine compréhension
ou interprétation du matériel.
l - 2 - Les processus :
l - 2 - l - F'ermeture : acte par lequel on décide à la lecture
de la donnée qu'il y a unité de sens.
l - 2 - 2 - Saturation : on procède à la fermeture quand le
sens est plein (unité de signification), ce qui
est lié au processus d'interrogation (comment
interroge-t-on le texte ? suivant quelles méthodes
ou quelles hypothèses préalables ?) Les processus
de saturation et de fermeture se produisent quand
on a suffisamment de réponse à l'interrogation,
l - 3 - Réalisation :
Empiriquement, on procède au découpage pièce à pièce
(quand on dispose d'un seul interview) comparatif (unités se
retrouvant dans plusieurs interviews) ou appliqué (catégorie3
fixées avant découpage).
La progression est alors la su5 ,'lllte
a) lecture générale sans catégorisation ou découpage,
b) découpage comparatif restreint,
c) catégorisation sur le découpage,
d) découpage par application plus étendue,
e) catégorisation,
f) découpage terminal.
Les processus de saturation, de fermeture,guidés par celui Qe
l'interrogation latente guident l'ensemble du travail.
- 42 -

l - 4 - On procède ensuite à la ~e?herc?e des structures :


Soit structure distributive sur les catégories, soit
rapports d'inclusion entre catégories (ce qui pose le pro-
blème irrésolu de la multi-appartenance de certaines
variables ?plusi.l3urs catégories) .
D'autres possibilités sont à retenir celle de la struc-
ture des' liaisons significations entre certaines variables,
ou celle des successions (~ssociations immédiatos).

II - Théories de l'Analyse de Contenu:


Ceci concerne la nature de l'interrogation contenue dans l'opé-
ration. On peut se reporter à divers systèmes de référence (perspectives
psychanalytique; sociologique, marxiste, structuraliste etc ••• ).
II - 1 - Perspective psychanalytique.
Dans la mesure où l'on passe par le langage, on ne
peut se passer de la psychanalyse. Pour l'Inconscient le
mot est le substrat de l'action ou de la pensée. La
manière dont le langage est structuré dépend des intérêts
libidinaux ou agressifs du sujet qui s'exprime.
Ex. : les paroles sont des attaques, les silences des
refus •
Il reste difficilement de percevoir la signification
de' l'exprimé si celui-ci n'est pas réduit à son sens
psychanalytique. En outre le processus de fermeture
implique aussi l'inconscient de l'analyste.
C'est pourquoi il est important de se méfier des
lectures directes des' désirs et pulsions dans ce qui
est exprimé. Il ne s'agit pas ici de l'expression du
~a, mais des nombreux mécanismes de défense (projection,
rationalisation, etc ••• ) aussi bien du côté de l' inter-
viewé que du côté de l'analyste.
En fait le chercheur se doit de se référer à une
représentation complète de l'individu (~a,Sur moi,
Idéal du ~~oi, mécanismes de la défense). .
Les perspectives culturalistes ont ajouté à ceci les
concepts de personnalité de base et d'institutions.
- 43 -

II - 2 - Dimension sociologigue.
En analyse de contenu, il s'agit uniquement des thèses
fonctionnalistes (Merton). Tout phénomène social ayant une
. fonction (ou une dysfonction) il convient de chercher cette
fonction dans le matériel dont on dispose.
II - 3 - Perspective marxiste.
Elle est basée en analyse de contenu sur la Théorie du
conflit défini sur une structure. Le conflit étant struc-
turant car inégalement réparti sur tous les éléments de
l'ensemble, on recherche alors tout ce qui est exprimé
en terme de conflit social dans le matériel à analyser.
II - 4 - Perspective structuraliste.
Le discours mythique a besoin d'une matière qui lui
serve de support et il l'emprunte au milieu naturel et
humain où il se trouve. Il tend ainsi à résoudre, sur 10
plan symbolique, les antinomies vécues dans le monde réel.
Ainsi il met en oeuvre la logique sous-jacente à l'or-
ganisation sociale, anticipe sur les formes ultérieures du
comportement en signifiant.';les . tr:; .. tures permanentes de
l'esprit •
C'est une mise en rap~ort du plan symbolique avec la vie
pratique dans unepersp~9:iv~_p'ro~pective.

Tout interviewé est placé dans une situatibn mytholo-


gisante dans la mesure où 10 mythe est un discours tenu par
un inconnu pour des inconnus.
Cependant la zone explorée n'est pas celle des grands
mythes ni celle de l'histoire articulée.
Toutes ces théories restent des théories de mise en rapport des
concepts. D'où notre troisième partie.

III - Les concepts.


Les concepts qui sous-tendent l'analyse de contenu sont d'ordre
essentiellement psychosociologiques : ils concernent attitude, motivation et
conduite de l'interviewé.
- 44 -

III - 1 - Attitude.
a) définition Organisation durable de processus
émotionnels, motivationnels, per-
ceptifs et cognitifs. Il y a un lien
~ntre le configurationnel (attitude
.au sens tri v.ial) et lepsychismo qui
définit l'aspect intégrateur de l'at-
titude. L'attitude reste spécifique
des structures latentes.
b) utilisation
- L'attitude est le point commun, le média entre
les conduites •..
- Pour l'analyste, l'attitude se situe entre
le verbal et l'actonal.
III - 2 - Motivation.
C'est un concept médiateur qui définit la voie par
où l'on peut saisir et appréhender les conduites. C'est
aussi un concept dYnamique qui Va vers les conduites,
mais qui ne les précède pas. La motivation, qui apparaît
à la fois actonale et verbale, caractérise l'émergence
de la conduite qui va vers le but où elle est dirigée.
III - 3 - Caractérlsation et conduite :
a) caractérisation: constitue le corps agencé de
l'information. Elle se situe
au coeur de l'Analyse de Contenu
car elle est toujours analyse du
langage et l'on passe du parlé
au comportement.
b) conduite : constitue la structure significative
des actions.
L'analyse de contenu consiste à établir un
rapport entre ces deux structures. Dans la pratique
c'est la totalité des connaissances sociologiques et
psychosociologiques de l'opérateur qui permet dans
une faible mesure d'appréhender la conduite et l'at-
titude au travers de la conduite exprimée.
- 45 -

Nous avons essayé par ces deux chapitres de montrer les limites de
l'analyse de contenu. En fait cette opération recrée la situation interviewer/
interviewé entre l'analyste et le matériel qu'il traite. C'est pourquoi toutes
les difficultés qui peuvent exister au niveau de la communication entre indi-
vidus se retrouvent ici. D'où la nécessité pour chaque chercheur de prendre
conscience de son coefficient personne1 1 de ses implications correspondant à
des attitudes implicites qui tendent à subjoctiver son travail d'analyste et
d'hypothèse. Bion sûr, l'idéal serait de subir la psychanalyse didactique que
M. BASTIDE recommande aux ethnologues. Mais dans le cadre de notre formation
relativement rapide de chercheur africaniste, il reste un autre moyen. Celui de
participer à un ou plusieurs groupes de sensibilisation tels que ceux organisés
par l'A.R.I.P., quoique cette association fasse un usage trop généralisé du
non-directivisme en portant l'accent sur les conflits de groupe d'une façon
systématique, sans traiter complètement les objectifs des stages organisés.
Il reste cependant que cette participation où l'on peut prendre
pleinement conscience de ses limites ou de ses possibilités dans la comnlU-
nication, si elle ne permet pas d'aboutir à l'objectivité scientifique dans
le travail de recherches 1 objectivité qui s'avère impossible, permet de s'en
rapprocher.
Ceci n'est réalisable que lorsque le chercheur a pris pleinement
conscience de sa subjectivité et de la façon dont elle s'exprime (différente
pour chacun) dans ce travail qui, situé entre la o~llecte des données et la
réalisation du schéma explicatif 1 constitue un secteur on ne peut plus propice
à la projection du moi.
- 46 -

4. DE QUELQUES "ADJUVANTS" AU CALCUL STATISTIQUE

par Michel JTJLLIEN (psycho-sociologue)

-:-:-:-:-:-:-

On rencontre de plus en plus de chercheurs en Sciences Humaines


conscients de la nécessité de recourir au calcul statistique dès qu'ils
veulent démonter une strù.cture de relations ou établir un pronostic : la
statistique est la seule voie qui puisse permettre aux Sciences du "fluctuant"
(Sciences de l'homme, biologie et toutes les disciplines où les facteurs sont
pratiquement impossibles à maîtriser ou à dénombrer) de se prétendre sciences
expérimentales; elle est pour ces sciences ce que sont les ballons, éprou-
vettes et balances pour 'la chimie : elle no remplace pas le chercheur et la
construction théorique, mais en est 10 support nécessaire. Les sciences de la
matière ont pu progressergrâco à de multiples petites trouvailles techniques
(appareils ou méthodes), fort humbles, mais sans lesquelles les théories
n'auraient pu sortir du stade des hypothèses - A l'inverse, dans les sciences
humaines, la théorie précède et déborde trop souvent les moyens méthodologiques
de "l'asseoir" ; ces moyens méthodologiques existent pourtant st sont parfois
cennus des chercheurs; mais ces cherchours sont facilement rebutés par l'as-
pect ingrat des calculs nécessaires : ceux-ci procèdent souvent par itérations
successives, et leurs résultats semblent souvent peu "payants Il en regard du
temps et de la tension intellectuelle qui leur sont consacrés.
C'est dans l'espoir de persuader mes collègues qu'il n'est pas tel-
'lement redoutable de se lancer dans un véritable traitement statistique de
l'information, que je rappelle ou propose' ci-après quelques."trucs".
- 47 -

1 0 ) Utilisation d'abaques.
A l'inverse des "tables", ils ont le mérite de permettre des f3sti-
mations rapides et d'indiquer si le calcul vaut d'être effectué en détail.
Par ailleurs ils peuvent être· confiés y après entraînement, à un personnel
subalterne d'un niveau B.E.P.C., ce qui permet d'envisager d'importantes
"campagnes de calcul".
A. Pour ma part je trouve très utile ceux qui se trouvent dans le "Morice
et Chartier- Méthodes statistiques Tome II - INSEE 1954" - On y trouve des
abaques sur :
10 ) Loi de Poisson (fluctuations d'échantillonnage de fréquences
fai bles).
20 ) Loi binomiale (Intervalle de confiance d'une fréquence).
Ces deux abaques éviteraient à bien des chercheurs de se lancer
dans de 'profonds raisonnem"mts - sur des différences entre "pourcentages -.
Ces raisonnements font un bel effet mais hélas il arrive que la différence
constatée n'ait aucune signification, i3U égard à l'échantillon utilisé.,
3 0 ) Test d'homogénéité de la variance (préalable à l'étude de la
différence entre moyennes).
40 ) Analyse de séquences (probabilité du nombre de séquences en
fonction des effectifs totaux et partiels).
50) Somme des carrés des différences successives (utile pour l'é-
tude de la variation ,d'une moyenne dans une population à
variance constante, sur ueti ts échantillons).
B. Par ailleurs j' avais signalé dans mon rapport annuel 1961, l'existence
d'abaques publiés par le Bulletin du CERP (tome X 1961 nO 1 - "De quelques
principes de nomographie").
Des abaques de grand modèle, plus pratiques, sont en vente au ~.

CERF, 13, rue Paul Chautard Paris XVe - D'upe précision suffisante pour
éviter la majorité des calculs, ils sont fondés sur l'épreuve du 1 . x:.
Ils indiquent
nO 1 et 2 : N (effectif de l'échantillon), au-dessus duquel la différence
entre deux distributions est significative ou non [tableau à (2 x2) cases].
nO 3 et 4 - Valeur numérique de x.tpour tableau à (2 x 2) cases - Valeur
absolue de Phi (un des coefficients de contingence).
nO 5 : comme 1, pour tableau à (2 x c) cases -
- 48 -

nO 6 comme 1, pour tableau à (1 lignes x c coloIL11.8s) cases.


n O 7' valeur numériqUe de X'<.: comparais on fréquence expérimentale à fréquenœ
théorique 0,50. Comparaison de deux fréquences dartsdes échantillons appariés.
nO 8 : comme 7, mais pour fréquence théorique quelconque.
2°) Utilisation des nechines à calculer.
A travers les nombreux contacts que j'ai eus à ce sujet, j'ai cons-
taté que nombreux sont ceux qui ne savent pas exploiter pleinement les possi-
bilites de leur machine, et par suite hésitent à entreprendre des calculs
intéressants - Les audacieux se bornent aux éternels calculs de pourcentage
(en ignorant parfois l'usage bien commode de l'inverse de l'effectif total
comme multiplicateur constant !).
Dès que l'on dépasse le calcul de ses propres dépenses ménagères et
le contrôle de son compte bancaire (utiles mais quand même accessoires dans
une activité de recherche), l'utilisation d'une machine doit être programmée,
"un peu ll comme pour un ordinateur (toute proportion gardée, bien entendu !).
Un programme de calcul consiste à analyser les opérations successives prévues,
déterminer los éventualités et leurs probabilités d'apparition, standardiser
les séquences en fonction des possibilités de la machine - Les notices accom-
pagnant les machines ne donnent bien souvent que des programmes de types com-
merciaux (tenue de stock, comptabilité, calculs d'intérêt), leurs auteurs
supposant peut-être que les chercheurs scientifiques sont normalement dotés de
moyens de calculs plus puissffi1ts (1).
En pratique i l est préférable de concevoir un programme pour chaque
campagne de calcul: certaines particularités du calcul envisagé permettent'
parfois de "sauter ll quelques maillons de la chaîne, et de gagner du temps. Un
programme bien fait doit permettre ...
1°) de rendre la succession des opérations automatique au point que
l'opérateur n'a plus à réfléchir sur chaque phase: d'où fatigue moindre pour
le chercheur et possibilité de confier les èalculs à un personnel moins
qualifié .••
2°) de gagner quelques secondes sur chaque opération élémentaire
ceci devient très avantageux dès que le nombre d'opérations est de l'ordre de
10 000, ce qui arrive facilement (par exemple: 12 000 opérations pour l'ana-
lyse des contingences dans 28 tableaux à environ 7 lignes x 8 èolonnes).
- 49 .-

Je propose ci-après, à titre d'exemples, quelques programmes conçus


pour des machines que je cOllilais: imprimantes à mémoire (c'est le minimum
admissible pour des calculs de recherche), (Lagomarsino Division, Olivetti
DiviSWJIla 24), et "à mémoire". et double totalisateur (c'est Ce que· nous de-
vrions normalement avoir), (Olivetti Tetractys) -. Il . existe d' autres machines
non imprimantes intéressantes (du type Facit à trois compteurs, transfert et
mémoire - ou Fridden à clavier multiple, extraction de racines carrées), mais
je n'ai pas eu l'occasion de travailler beaucoup sur.elles ; les principes
resteraient probablement les mêmes.
Symboles utilisés (ordre d'appuyer sur la touche correspondante)
C - inscription au clavier de .•.
lM ....;"- en niémoire (réalisée à l'enfoncement d'une autre touche)
M sortio de mémoire ( ------- id. -------)
X

=
= Neg.
D
:!:
.
T . total sur totalisateur ordinaire (noir ou vert solon les diverses
Tetractys)
S total partiel du totalisateur ordinaire

* total sur totalisateur annexe (bleu ou noir - respectivement sur


Tetractys)
q total partiel annexe
A
~
?JI les produits sont ou non dOllilés automatiquement
o ~)A transfert automatique du totalisateur ordinaire au totalisateur
annexe (Tetractys)
TR transfert automatique d'un produit comme multiplicande de l'opé-
ration suivante

nombres de 0 qu'il y a lieu de placer

. ... après le dernier chiffre inscrit .

Une uni té d "!lction sur la machine est signalée par un tiret.


- 50 -

1er programme - Calcul d'une moyenne ~ sur données groupées - par changement
d'origine et d'unité.
Xa = nouvelle origine
i = intervalle de classe
X' = !_=_!o (nouvelle variable)
i
N = effectif total de la distribution
Formule m = NXo + i (Z x,)
N
~~chine (sur N.A.)
C x' + ou -
C Xl 2 + ou -

C•••••• x' k •••••• pour les k classes


lM T
C i ..... (2 zéros de plus que le si T <0 = Neg.
nombre dechiffres·de N) si T > O·· =
C N••••• (autant de zéros que i) x
C Xl) =
C N ·
- Lecture de m à deux déci~qles (selon le nombra de
·
zéros attribués à i et N)
T (sortie du reste de la dernière division - machine à zéro).
2e programme - Calcul de l'Ecart-type (0 ) - sur données groupées -par
changeIœnt d' orig:i.ne et d'unité.

Formule
if" = V--~~~ ;~~~-=~~~~_
. N - 1
Machine (sur N.A.)
C ~x' x
C
C
T
~x'
N
(sortie du reste - totalisateur purgé)
..·
=

C ,2
x 1 + Î les ~,~ sont en général
,2 facile à obtenir :
x 2 +
••••••

c
III ••••••••••••••••••••••••••••

. x'~
M
(pour k classes)
~ •

+ J (~ x') x'

(rappel du précédent quotient)


- 5'1 -

m
lM
.2
C 1. =
C
o Lecture Variance
T (sortie du reste-purge)
P La lecture de (J peut se faire au .moyen de tables de carrés, ou par le
moyen de tables d'extraction par coefficient de division, en poursuivant
sans s' arrêter le calcul ainsi
C Nombre le plus proche de cr2 +
(lu sur la table)
M+ (rappel du dernier quotient)
C Coefficient correspondant
lu sur la table)
o Lecture
T (purge du dernier reste)
3e progrmnme - Calcul du t de student (homogénéité des variances admises)
Ce programme est conçu pour Tetractys (2 totalisateurs). Sur
machines plus simples i l y aurait lieu de "lire" quelques résultats pour
les réintroduire ultérieurement par clavier.
Formule: hl. = (MA - ~)

V02(~/NB )
Machine (~ur A)
- C 1 ••••••• D

- C
peut-être effectué plus
(totalisateur annexe)
rapidement au moyen de
- C 1 ••••••• D
tables des inverses (surtout
C NB
pour màchines plus simples)
M + (totalisateur annexe)
11\1 *
(Maohine sur N.A.) (attention !)
- C
(carré du dénominateur de la formule)
- 52 -

~.Lecture de S pour extraction de racines par tables ou calcul immédiat par


coefficient de division ainsi :
C Nombre le plus proche de S +
c Coefficient correspondant
.
..-
T (reste purgé)
D Lecture et conservation du quotient
C m (la plus élevée) +
C m (la plus faible)
-)- C quotient précédent ou 'YS ...
o Locture deltl
T (reste purgé)
Si on a le courage de s'y lancer, on s'aperçoit vite que ces pro-
grammes sont simples. Bien entendu il faut avoir compris la signification du
calcul entrepris (ce qui n'est pas toujours le cas chez les anciehs littéraires
que nous sommes pour la plupart).

*
* *
J'ai mis au point d'autres programmes (limites de confiance de
fréquences, coefficients de contingence, analyse de variance) pour Tetractys.
Je crois inutile de les publier dans le détail avant de savoir si cela
intéresse quelqu'un, mais serais heureux de correspondre éventuellement avec
des collègues à ce sujet. Je me bornerai, en attendant, à en exposer les
principes:
10 ) sur le calcul des fréguences.
Rappelons simplement ici l'utilité de se servir de l'inverse de l'affectif
total comme multiplicateur constant de chacun des effectifs partiels. Dans
certaines machines (Tetractys en particulier), tout quotient reste en mémoire
et peut donc intervenir directement comme multiplicateur dans la suite des
autres opérations.
De plus il est intéressant de reporter dans le totalisateur annexe
toutes les fréquences calculées, ct contrôler ainsi immédiatement la suffisante
précision des calculs si le total s'écarte exagérément de 1 (ou de 100 si
l'on tient aux %), il y aura lieu de faire un calcul plus précis de l'inverse
(source majeure dola divergence).
- 53 -

Ainsi l'on calculera ~ ••• - ce numérateur affecté d'un nombre


suffisant de 0 pour la précision désirée (il est bon d'obtenir au moins 3
décimales significatives à l'inverse) 1 on "purgera" le reste, et l'on pour-
suivra sans désemparer la multiplication de chacun des effectifs partiels.
A ce propos, je me permets de placer ici une remarque qui me "démange"
depuis que je lis des rapports de sciences humaines : combien de décimales
doit-on affecter à un "pourcentage" quelconque (ce qÙ:Lrevient à choisir
entre "pour cent", "pour mille", ou "pour dix-mille", etc ••• ) ?
Deux problèmes se posent: soit que l'on veuille se servir des %
dans une argumentation (donc prouver quelque chose à partir de différences
constatées), soit que l'on désire seulement présenter des résultats.
a) Dans le p:remier Cas l'élément dominant est l'interyalle de confiance des
fréquences calcUlées· (qui, soit dit en passant, ne dépend que partiellement
de l'importance de l'éch3ntillon, mais ceci est un autre problème). Les
seules preuves légitimes ne peuvent être fournies que par un calcul adéquat·
de limites de confiance ou par un "Khi Carré" ; pour le reste peU: importe
le nombre de décimales choisi.
b) Dans le deuxième cas le but est de présenter sous une forme simplifiée
(tableau de fréquences), des résultats complexes et ceci sans perdre "de
l'iriformation" mais aussl sans paraître fournir plus d'information que Iron
en a trouvée. Rappelons que 12,3 C;S ou 123 0/00 ~on:t strictement équivalents
et que c'est par une prétention mensongère au sérieux et à l'honnêteté
scientifique que l'on adopte souvent la première écri ture.
Si N = 900, il est légitime de présenter ses résultats au millième près
(0,123 ou 123 0/00)' car ce millième est "presque" un individu réel. Tl
serait dommage par contre· d'en rester au centième (0,12 ou12 56), car ce
centième représente presque 10 individus.
Si N = 150, le millième est moins légitime car i l représente une plus petite
fraction d'individu, mais se contenter de "pour cent" sans décimales serait
faire disparaître des individus peut-être significatifs (1 %représentant
plus d'un individu).
Si N - 90 présenter des résultats sous la forme 12,5 %, tendrait à faire
croire 'au lecteur que l'on est capable de distinguer entre 12,3 %et 12,4 %,
ce qui n'est nullement en' aCcord avec l'observation brute : le ",3" et le
",4" ne représentent même pas un dixième' d'individu
- 54 -

Si N = 8 on devra hêroiquement abandonner le sacro-saint pourcentage, et


s'exprimer en "pour dix" ou à la rigueur en 10, 20, 30... 70 %, en tout cas
ne pas donner négligemment au lecteur l'impression d'un potentiel bien plus
grand d'information.
En définitive la meilleure écriture, dans la présentation des ta-
bleaux de fréquences semble être le rapport brut (entre ° et 1) sous la forme
0,2 (de N = 1 à 9) ou 0,25 (de N = 10 à 99) ou 0,255 (de N = 100 à 999) (ou
mieux l'écriture anglo-saxonne.2 .25 .255 etc ... ).
0,2 ou .2 signifiera automatiquement que l'écbantillon de référence n'est pas
supérieur à 10 (et donnera par la même la possibilité de faire une estimation
des limites de confiance).
0,20 indiquera une fréquence équivalente mais sur échantillon de 10 à 99
individus.
0,02 ou .02 indiquera le dixième de la fréquence précédente, mais sur échan-
tillon équivalent ..
0,020 indiquera la même fréquence sur échantillon de 100 à 999.
0,001 représentera le 1 pour mille précisions habituellement réservées aux
démographes (sans justification d'ailleurs car il peut leur arriver de travail-
ler sur des villages de moins de 100 habitants, ou plus souvent sur des villes
de 9 000 habitants - auquel car le "pour dix mille" semble plus "informant" au
niveau de la présentation des résultats bien entendu).
20 ) Limites de confiance sur une fréquence.
Les procédés sont variés et appellent la réalisation des programmes
adaptés. Rappelons aussi qu'il est toujours préférable d'utiliser des abaques
à échelle suffisamment grande.
Cependant pour le cas où i l est souhaitable de faire. un calcul plus
precJ.s et si l'on utilise la formule f :!: \/ E{ voici quelques indi cations
a) Calculer d'abord l'expression sous radical en choisissant un nombre de
décimales adéquat (attention à l'extraction finale de la racine qui réduira
de moitié ce nombre).
- Produit p q passé en mémoire ou sur totalisateùr annexe.
- Division par N.
Si l'on extrait la racine par la méthode des coefficients de division, on
conservera automatiquement le dernier quotient en mémoire (après purge du
reste), on entrera f puis on fera M - pour avoir la limite inférieure et
M + M + (2 fois) pour avoir la limite supérieure.
- 55 -.

30 ) Analyse de Variance.
Il Y aura évidemment rupture entre les calculs des "sommes de
carrés "et l'analyse elle-même. Les premières devront être prélevées au
cours du programme II calcul de l'Ecart-type" (après la huitième "palier",
non compris les itérations des x'~)'
~ on cherchera évidemment à obtemr le F de Snédécor aussi directeIœnt que
possible.
- on sera obligé (du moin~ sur une Tetractys) de noter à part le dénominateur
de F (apr~s calcul de la somme des sommes de carrés et division par ~-k)
(k = nombre de groupes).
- on calculera ensuite le numé rateur (variance des moyennes), (que l'on
mettra en mémoire ou sur. totalisateur annexe) selon 1:' ordre suivant: dif-
férences' pondérations, somme des différences, pondérés, quotient par (k-1).
- on "entrera" à nouveau le dénominateur pour obtenir F.
La principale difficulté est de conserver une attitude constante
en ce qui congernele nombre de décimales, lequel devra être impérativement
fixé àl' avance, et prévu de façon à palier le manque de souplesse de ces·
machines à ce sujet. Si ces précautions sont prises la lecture de F se·
fera directement.
Les coefficients de contingence sont trop nombreux pour être
abordés ici: j'ai fait un programme pour le coefficient de liaison Tetra-
chorique (Lt) et pour Phi (à partir du Khi.C~rr~) don.t le.s.~tilisationsne
sont pas universelles. Chaque type de problème demande donc à être étudié.
L'important, dans la réalisation d'unprogramme, est de bien
étudier les éventualités possibles (en particulier le signe de certains
résultats) et •.• de l'écrire. C'est àce stade cpe l'on s'aperçoit souvent
des contradictions ou que l'on découvre de nouveaux cheminements plus courts.

Nota. A~ dernier SICOB (Salon du Matériel de Bureau) ont été présentés de


peti ts ordinateurs pour la recherche, lents mais souples et ne nécessitant
pas l'intervention d'un programmeur.
Un chercheur en économie de l' ORSTOM siest déjà intéressé à l'IBM 1 1.30.
J'ai découvert au SICOB l'~ 800 (produit par Dassault), qU~,a partir de
60 000 Fest déjà assez complet pour les calculs effectués dans les centres
Outre-Mer. Leur usage nous permettrait de varier et tester nos hypothèses
sans être rebutés par la longueur des calculs : en quelques dizaines de
secondes par exemple l'EMD 800 fournit un "t" de Student.
- 56 -

S E C T ION C
==

LA DETERMINATION DE L' OBJET DE RECHF.RCHE


I~

- 57 -

5. UNE EXPERIENCE D'APPROCHE DU FAIT GEOGRAPHIQUE


EN AFRIQUE DE LI OUEST

par Anne-Marie COTTEN (Géographe)

-:-:-:-:-:-:-

Dans les réflexions qui suivent, je wudrais dégager quelques pro-


blèmes posés par une étude de géographie en pays africain (1). L'objet de la
recherche ne diffère pas dans sa nature de ce qu'il est en pays occidental
mais peut être masqué par un certain nombre de difficultés d'approche qui
s'expliquent par les aspects particuliers aux Sociétés africaines. Le géographe
y rencontre un monde rural structuré (les plus importantes études de géographie
ont eu pour objet ju.squ'à présent l'analyse des structures agraires) mais
depuis peu les transformations de l'économie - développement des plantations,
des flux de commerce - soutenues par une infrastructure routière en particulier,
obligent à aborder les problèmes de croissance urbaine et leurs conséquences
sur la vi e régionale.
Dans cette situation, l'ambition du géographe est de saisir et d'ex-
.pliquer le paysage d'un pays donné. Ce paysage, dans des conditions physiques
particulières à la zone intertropicale, est plus ou moins façonné par l'homme.
La connaissance du milieu écologique permet de préciser dans quelle mesure une
société a maîtrisé le milieu bio-climatique et l'on sait de quel poids pèsent
ces conditions en forêt dense, en savane ou dans le Sahel (cf. Gourou: les
Pays tropicaux). L'alternance et la durée respective des saisons pluvieuse et

(1)Ces remarques sont le résultat de deux experlences de travail sur le terrain,


la première en région rurale, dans le delta central nigérien, la seconde dans
des centres urbains de Côte d'Ivoire. Nous excluonS volontairement les réfé-
rences bibliographiques qui, éviden~nt, sous-tendent notre réflexion.
r
- 58 ...

sèche, la spécificité de la végétation, la nature des sols sont autant de


données explicatives du paysage, soit qu'elles aient été prépondérantes
pour bloquer un aménagement de l'espace, soit que l'homme ait pu les dominer
""-'''~ par des techniques appropriées.
En se fondant sur cette connaissance du milieu physique, le géo-
graphe doit étudier les moyens mis en oeuvre par une collectivité pour tirer
parti~ des ressources locales. Il lui faut cQ~qStr~ les techniques de pro-
duction (agr~coles, artisanales, d '-élév~gG Ol! . Cil?_ pêche), les'-li:léthod~s d'.ex::' .
..... ploitation des ressoUrce~ de la-terre (rotation des. cul turèS', ' expl()i,ta.tion
- • '> i ,
d'un espace' par 'la transhumance et le nomadisme) et' les modes' d'appropriation
. .

des terres, partant la structure 'sœiale qui.,préside 'àl'organisa:tion-de


l'espace. 'Celle-èi, en même temps que les ~ donnéeséconomiqùés q~ chlffrent
les activi tés des hommes, permettent augéogr~phe d'expliquer Ir aménagement
actuel de l'espace •.
-
Maiscettep~rspective n'est pâsstatiquei:Le'g4ogràphehe'dresse
pas seulement ,un bilan, i l tient èompte
• ,
d~,<3 t'r~sfo:tmatcioriséc'i:moiniques'ét',
',-.: ' , , ,.' r'

.• politiques ,/.etpeut poseries jalons Ci'tùi nouvel' aménagement de' t'espace;


,\ '. " ,-, : ;,- ; ,,":. ' . ' . , ' . - ..
d' autantjüus:Ï;mportant
,
qùel' on passe de régions ( 1) rurales à des régions
qui Commencent à se polariser autQ'.1r des centres urbains. Il précisé .les
conditions d'un développement équilibré d'un Etat, ou d'un ensemble d'Etats
pour l'Afrique de l'Ouest. Une question se pose néanmoins :à quelle échelle
un géographe peut-il travailler? De l'étude minutieuse d'un terroir ou d'une
ville à une vision générale d'uri pays, i l n'y a pas de solution de continUité.
L'étude en profondeur de cas significatifs, limités dans l'espace, mais
situés dans un ensemble plus vaste permet d'appliquer une méthode de recher-
che et d'éclairer certains aspectsgeneraux de la géographie d'une région
(structures agraires, migrations ... ).
A chaque type d'études correspond bien sÜr une méthodologie .précise.

(1) Il n'est pas dans notre propos de discuter ici de la notion de région en
Afrique de l'Ouest. Nous cO!lf3idéronsque c'est Une unité de, base dans le,
cadre de laquelle travaille le géographe et qu'il arrive à définir seulement
au terme d' un travail. . . , . . . '
- 59 -

Ces quelques points rappelés 1 nous voudrions évoquer certains pro-


blèmes soulevés au cours d lune recherche en Afrique de l'Ouest et souligner
les faits géographiques à mettre en valeur.
*
* *
Le pr~mier temps de surprise èt de dépaysement passé, la difficulté
est d'établir dans UJ.'l milieu donné! des relations co rdiales avec le s habitants.
Cette démarche relève de la patie~ce et-d~~ t~ct de chacun et d'une adaptation
aux us et coutumes locaux. (Je ne reviendrai pas ici sur les remarques fort
justes de M. VENNETIER)
Il apparaît rapidemen t que les activi tés, la vie soci ale d'un groupe
humain enraciné dans une région forment un ensemble qui surprend, déconcerte
parfois et remet en question les schémas acquis en cours d'étude.
- le paysage surprend. A la campagne quadrillée, ordonnée et ratissée de
l'Europe occidentale s'oppose la "brousse" (terme significatif) où l'emprise
des'hommes apparaît fort lâche, étant donné la faible densité de la populat~on,

en Afrique occidentale du moins. Si en savane, on s'habitue à mon avis assez


rapidement à discerner les villages 1 les limites des terroirs, les champs en
culture ou en jachère, il n'en est pas de même en forêt dense où,~eules de
fortes densités détruisent la végétation "naturelle". L'occupation du sol est
généralement diffuse 1 les champs cultivés retournent dès la première armée de
jachère à la forêt secondaire et les limites de terroir sont difficiles à
préciser.
- de même, les centres urbains ne portent guère les marques d'une urba-
nisation, leur aspect reste celui d'un gros village: cases traditionnelles,
boutiques sommaires du type factorerie.
Ces deux exemples permettent de préciser la première tâche du
géographe qui est de décrire.
Dans un pays aussi profondément étranger, la description est une
approche concrète des faits géographiques. Décrire, c'est-à-dire parcourir le
pays, apprendre à "nommer" en langue veTl~aculaire les plantes cultivées les
différents types de sols, les secteurs d'un terroir, les quartiers d'une ville
ou les activités des hommes. On peut découvrir ainsi la variété des techniques
de mise en valeur de la terre ou dans un autre domaine l'organisation histo-
rique et sociale d'une ville, reflet des étapes de son peuplement.
- 60 -

Auterrne de cette analyse des activités ,des hommes, de l'organi..,


sationde leur travail et de leur temps, on se limite à une difficulté qui,
pour le géographe, l'oblige à resituer le fait géographique dans une vision
d'ensemble de la société africaine.
On constate en effet que ces paysages que l'on décrit sont la mani-
festation dans l'espace de la mainmise d'une collectivité, qu'un groupe hu-
main a élaboré une organisation sociale de: la vie v~llageoise, de la mise
en valeUr des· terres, de leur transmission, de la répartition et de la redis-
tribution des richesses. L'activité économique ne peut être dissociée de
cette réalité sociale. Plus qu'ailleurs peut-être, le~bgraphe est sensiblEi
à ce problème et doit rechercher un certain nombre de clés pour l'aborder.
'Dm.lx do~ines;lui permettent d'éclairer bleil"des:'a:spac~s"de:là>/"
géographie de l'Afrique de l'Ouest.
- L'1I.istoire.
Toute société africaine a hérité d'un large passé qui s'est par-
fois figé. Or cette histoire déconcerte par l' absence de documents écrits et
partant dl une connaissance des évènements. Elle relève de la. tradi tion orale,
elle est fragmentée et raconte les déplacements de groupes isolés, dont, sur-
tout en fait, on rattache mal les mouvements à des migrations plus amples. Il
doit ~tre possible à un géographe de recueillir des données historiques suscep;i,;.
tibles d'expliquer le peuplement actuel et l'organisation spatiale d'une région.
*En bordure du delta central nigérien, Par exemple, au Sud de Mopti
(Mali) les limites du plateau dogon sont occupées par une mosaïque de peuples
cn,~ont'entre eux des conflits d' antériorl té à propos de 1 1 occupation des
lieuk. Une reconstitution des étapes successives dloccupation du sol et des
invasions permet de reconstituer l'ordre chronologique d'appropriation des
terres et expliquer la cohabitation des groüpes et de techniques de cul-
tures variées.
*Dans une petitevill~,héritière d'une ancienne chefferie, comme
OdieOOé '(en pays Malinké, aunord de la Côte dl Ivoire) , la structure in-'
terne de la ville est le reflet de là mise en place' successive des grandes"
familles et de leur force politique traditionnelle respective.
L'Histoire apporte donc des éléments nécessaires à une compr~
;U'.e.'1=....."",.:'n~=,.,-:~...... ",.,."...~· ,-", ~ ~

hén~~on du présent, à condition d'éviter une érudition qui détournerait le


.
~-----...~~"~"""-..-

géographe de son objet.


- 61 -

- L'Ethnologie et la Sociologie sont également indispensables pour une


compréhension de la societé africaine. Elles apportent des éléments originaux
d'explication des mécanismes de production, de l'organisation du travail et
....>y ...-

de l'aménagement spatial. Les struét-ur~~-'d~' parenté expliquen:r'Te-s'ëYfi~r~a'onné


""""-"~':<~·:;Tii:ii;.>.!:-..F-!;·~,.""",
..".

à la famille, au lignage, aux relations à l'intérieur du village et s'inscri-


,,,'o.!.",", ~. . -, .. ,q'~,'=>, ... _··y~_... ,,,,,v,~

vent dans la taille des villages, les relations entre villages et donc la
cohésion ou l'émiettement d'une région.
Dans un autre domaine, la vie économique, que nous exprimons en
termes "occidentaux", reflète une imbrication étroite entre la circulation
monétaire de type moderne et les termes des échanges traditionnels représentés
par exemple par les funérailles ou la Qompensation matrimoniale. Des dépenses
et des habitudes de consommation se plaquent ainsi sur les comportements des
habitants. Aussi faut-il utiliser avec précaution les termes adoptés par les
économistes dans de nombreuses enquêtes.
*Choisir une unité de base pour une enquête villageoise 'ou urbaine
est difficile car la notion de "famille" a un sens fort différent en Afrique.
Une enquête devrait aboutir
,
à préciser le cadre dans lequel vit un individu
,,',

famille étendue matérialisée dans une unité spatiale, la "cour", qui existe
au village et survit dans les petits centres, ménage restreint 11abitant en
ville, forme de groupement intermédiaire. Selon les milieux, cette notion doit
être bien précise pour le géographe.
*Dans une ville, il est utile pour fixer les activités des habitants
et l'activité économique, de connaître la répartition professionnelle des
actifs. Nous utilisons des termes qui dans une ville européenne ont un sens
précis. Or, en Afrique, si l'on excepte les salariés de l'administration et
de quelques entreprises, la profession n'a pas une telle rigidité. On peut
être commerçant mais aussi planteur, colporteur, intermédiaire, simultanément
ou selon les activités dominantes de la saison. Le pourcentage d'agriculteur
fausse la définition que l'on peut donner d'une ville car il s'agit d'une
activité première ou seconde selon les périodes de l'année.
Une explication claire des concepts est donc nécessaire, si l'on
introduit cette dimension sociologique.
Une autre difficulté ffilrgit lors de l'analyse des faits géographiques.
Ce monde dont on cherche à comprendre l'organisation interne, on voudrait trou-
ver une méthode pour le "quantifier" et posséder des chiffres pour en estimer
· - 62 -

les activités économiques. Des données sont indispensables: le nombre des


hommes dans une régiOn, ,leur taux de croissance, la valeur des échanges
commerciaux à partir du moment où les prodUits agricoles entrent dans un
circuit d'exportation etc ..• 'Le géographe se heurte à l'absence de chiffres
dans ces domaines. Quelle peut être son attitude ? Il est certain qu'il
n'est pas du ressort du géographe d'élaborer des chiffres bruts car il ne
dispose pas, .en général, des moyens nécessaires et qu'un démQ.grapheou un
économiste mènerait ces travaux de manière plus rapide et efficace. Si au-
cune source n'existe, sur le plan démographique ou économique, il peut bien,
lui, rechercher des repères pour une compréhension géographique. Il n'est
pas possible de décrire toutes les méthodes possibles pour résoudre ces
difficUJ.t~s; Un .exemple de sondage dans une ville suffit à montrerl'ûsagé
que· peut e:p. faire un ~ographe. !
*La méthode suivante a été employée pourl'étuded'Odiedné :
1) analyse de la physionomie urbaine. On a dis tingué un Inoyau cen,.;
tra1 autour duquel se sont développés depuis 1960 des quartiers périphériques
très variés. Ceci est visible par la comparaison des couvertures aériennes et
par un·premiercontact avec la ville •.
2) analyse, au cours d'une pré-enquête, des structures sociales
traditionnelles de la ville.
On constate que les quartiers anciens correspondent au noyau central alors
que la population de la périphérie est beaucoup plus diversifiée.
Une enquête par sondage, tenant compte de cette opposition a permis de dé-
gager les caractères de la croissance de la ville.
Des exemples analogues pourraient être utilisés pour étudier la
commerce, le trafj,c routier,. etc •••
Dans tous les cas, ces chiffres ne sont, pour le géographe, qu'un
élément d'explication des activités humaines, dont l'importance d'ailleurs
n'est pas. perçue cormr.e telle par les utilisateurs eux-mêmes.

*
* *
- 63 -

Ces remarques n'ont pas la prétention d'aborder tous les aspects de


, la recherche géographique en Afrique. J:'ai seulement retenu certains points
pour lesquels une méthodologie semble nécessaire à mettre au point.
Tout en tenant compte de l'origilLalité des structures sociales
africaines, la tâche du géographe me pargît être une attention particulière
aux transformations économiques en cours et aux conséquences qu'elles entraî-
nent pour une réorganisation de l'espace.
- 64 -

6. REMARQUES SÛR L'OBSERVATION ECONOMIQUE


EN MILIEU ETHNOGRAPHIQUE

par Philippe COUTY' (Economiste)

~:-:-:-:-:-:-

Au seuil d'Un livre récent, J. MAQUET rappelle que l'ethnologie "se


définit par son objet, ~ les sociétés qui ne connaissant pas l'écriture - et
par les techniques de recherche imposées par cet objet: observat{ôndes con-
duites, interrogatoires oraux, etc •.• " (1). L'économiste appelé à travailler
en milieu dit "ethnographique" emploie nécessairement lui aussi des techniques
adaptées à ce milieu, c'est-à-dire à l'inexistence ou à la pauvreté des statis-
tiques. Encore pourrait-on faire observer, toujours avec J. MA QUET , que les
sociétés sans écriture sont devenues de rares, exceptions, et qu'il n'est donc
plus très justifié de qualifier d'ethnologie l'étude des phénomènes sociaux
africains •
Dans la mesure toutefois où l'économiste étudiant des sociétés afri-
caines particulièrement démunies
.
utilise encore des techniques d'observation
. .
. .
proches de celles qu'emploient - ou qu'employaient - les ethnographes, il faut
bien admettre qu'un problème se pose: cette façon d'observer les phénomènes
est-elle choisie simplement pour des raisons de convenance pratique, ou bien
parce qu 1 i l apparaît nécessaire dl envisager différemment le concept de fait
économique dans les milieux dits "ethnographiques" et dans ceux qui ont dépassé
ce stade ?

(1) J. ~1AQUET, Les civilisations noires, Marabout-Université, Gérard & Co,


Verviers (Belgique), 1966, p. 1~-15.
- 65 -

Il me. semble qu'il n'y a pas d'avantage scientifique sérieux à


mettre en cause l'unicité d'un concept aussi fondamental que celui de fait
économique, même lorsqu'il s'agit d'analyser des sociétés non-machinistes.
Cette opinion paraîtra peut-être moins provocante lorsqu'on se sera accordé
sur le sens des termes.
*
* *
Dans la classe des faits éco:rtOJIli.ques,. on :rongera, avec K.BOULDING
les manifestations de trois types ~'activité humaine: production, consom-
mation, échange (1). Remarquons avec le même auteur que l'échange constitue
les 9/10 du domaine de l'économiste; à supposer donc - ce qui est douteux -,
que certaines sociétés produisent et consomment sans échanger, elles ne se-
ront susceptibles que d'une analyse économique fort sommaire. Ajoutons enCOre
que les activités en question sont saisies de manière quantitative et que
l'économiste les appréhende sous forme d'objets scientif{ques (qu'il lui
faut construire) appelés "quanti tés économiques". 1'analyse économique a
pour triple tâche d'examiner la nature de ces quantités, les relationS qui'
les unissent, les forces qui les déterminent (2).
Selon LEVI-STRAUSS, "l'ethnographie consiste dans l'observation
"et l'analyse de groupes humains considérés dans leur particulari té (souvent
choisis, pour des raisons théoriques et pratiques, mais qui ne tiennent nul-
lement à la nature' de la recherche, parmi ceux qui diffèrent le plus du
nôtre)).:et vi:;;ant à la restitution aussi fidèle que possible de la vie de
chacun d'eux" (3). Aux termes de cette définition, tous les groupes sont
donc "ethnographiques" 'l'habitude est prise'toutefois de rés~rver ce quali-
ficatifaux groupes "qui diffèrent le plus du nôtre" (cf. MAQUET, citation de
la p. 1), et c'est ce sens que nous adopterons ici. Sa traduction économique
serait: milieu où la production et la consommation par tête sont faibles, où
échanges et investissements sont peu considérables, oùl'observàteur a du mal

(1) K. BOULDING, Economic Analysis, 3e éd. Harper, N. York 1955, chap. 1.

(2) Cette qéfinition d'un économiste n'est pas contredite par les anthropo-
logues auteurs de "Notes &. Queries on Anthropology", 6e édition, Routledge 8c. '
Kegan Paul, Londres 195.1, p. 156.

(3)Cl. LEVI-STRAUSS, ~thropologie' Structurale, Paris, Plon, 1958, p. 4.


- 66 -

à cerner les quantités économiques à cause ae l'ignorance générale de l'écri-


ture. On ne prend pas parti iClsur la question de savoir si les personnes
appartenant à un milieu ethnographique ont ou non conscience qu'il peut exister
des quantités économiques, et si elles sont en mesUl'e ou non de les apprécier.
*
* *
Ces définitions étant rappelées, essayons de reformuler le problème
avec plus de précision.
Doit-on penser que les concepts et les schémas qui permettent d'ana-
lyser les activités de production, de consommation et d'échange dans nos
sociétés machinistes nous seront d'un secours quelconque lorsque nous aborde-
rons l' ~tude des "groupes qui diffèrent le plus du nôtre", où les résultats de
,
l'activité économique ont un très faible poids - mRis non une très faible
importance ?
S'il y a lieu d'utiliser des concepts différents dans l'un et l'autre
cas, cette diversité du soubassement théorique de la recherche emportera
certainement des conséquences en ce qui concerne les méthodes·d'observation
au contraire, si les mêmes concepts, si le même langage peuvent avoir cours
partout, les méthodes d'observation ne diffèreront que pour des raisons tech-
niques et accidentelles.
La thèse qui, partant d'une contes tation de la valeur universelle des
concepts de la·théorie économique, exige de l'économiste une aI'Proche spéci-
fique en milieu ethnographique pourrait, sauf erreur, se résumer ainsi: dans
ce· type de milieu, l'activité économique n'est pas objectivée par les agents;
elle· n'est pas saisie en elle-même comme quelque chose que l'entendement humain
puisse isoler de 11 environnelnent social, des relations de parenté, etc. Elle ne
définit pas un champ de comportements à l'intérieur duquel les agents se sen-
tent en droit de juger exclusivement en fonction de critères économiques (celui
du profit par exemple). Du même coup, disparaît le champ épistémologique cor-
respondant : i l n,'y aurait pas de science éconolI'ique possible en milieu ethno-
graphique parce que le domaine économique se confond avec d'autres (1).·

( 1) Cf. la remarque de M. RODINSON sur "les ethnographes qui, en géné raI,


analysent le comportement de sociétés où·lafonction économique leur paraît
intimement liée à d' autres fonctions sociales ••. " (M. RTJDINSON, Islam et
Capitalisme, Paris, Seuil, 1966, p. 171).
- 67 -

L'abstraction économique, l'emploi de termes comme ceux dé prix, d'offre, de'


demande, de fonctions de transformation (fonctions de marché, fonctions de
production et de coût), de capital, de revenu, est illégitirœ parce qu'il
~. . .

déforme la réalité. Les techniques d'observation cherchant à isoier et à


mesurer les quantités correspondant à ces concepts sont fallacieuses puis-
qu'elles visent à appréhender quelque chose qui n'existe pas et qu'on ne peut
construire. Dans nos sociétés au contraire, une science économique devait
naître, et est née en effet, puisque l'habitude d'objectiver les relations
économiques est générale et découle tout naturèllement de l'énorme impor-
tance revêtue pa:r ces relatio~s; ainsi se trouve fixé sans ~bigüité le
contour d'un domaine épistémologique bien déterminé.

*
* *
Cette thèse appelle plusieurs observations
1) Même dans les milieux les plus ethnographiques, il est souvent possible
de découv?ir un champ de relations à propos duquel deux sortes d'affirmations
sont possibles :
- jusqu'à preuve du contraire d'abord, on a fréquemment le droit de dire que
tout se passe comme si les gens effectuaient des CalCuls économiques rap-
pelant assez bien ceux qui ont cours - ou qui paraissent avoir cours - dans
les sociétés plus avancées; tel est en tout eas souvent le résultat d'une
analyse approfendie, qui justifie économiauement des comportements à première
vue déconcertants.
- en second lieu, tout semble indiquer que l'objectivati~n des rapports éco-
nomiques n'est, en fait, nullerœnt étrangère aux agents. Cèla est particur
lièrement vrai de tout un ensemble d'activités.qu'on retrouve en zone de
savane africaine (1). Ce "secteur intermédiaire" se différencie nettemènt

-_._---.-
(1) Pour un exposé plus détaillé, mais encore provisoire, voir Ph. COUTY :
Sur un secteur intermédiaire dans les économies de savane africaine : l'exem-
ple du natron, ORSTOM, Paris, 1966 (ronéo.). 'On trouvera dans J. MAQUET , . "
op. cit. p. 132-133, une hypothèse intéressante sur les conditions qui·ont·
permis l'apparition de la "civilisation de la lance" dans certaines régions·
d'Afrique. Le point de vue de cet auteur sur le rôle d'un surplus céréalier
semble également susceptible d'éclairer les 'raisons pour lesquelles le '.'
secteur intermédiaire apparaît en savan.e et non en forêt.
- 68 -

du secteur d,~ subsistance en ce que 11 usage de la monnaie et du calcul écono-


mique y est répandu depuis une époque parfois très ancierme ; i l se sépare
aUSsi clairement· du secteur modernn rapporté, où les Africains jouent sauf
exception des rôles excluant toùte initiative et toute responsabilité.
Des recherches actuellement en cours montreront dans quelle mesure il
convient de rapprocher cette notion de "secteur intermédiaire", encore très
empirique, du concept de secteur capitalistique, - entendez du secteur couvert
par le capital marchand et le capital financier dans les sociétés précapi-
talistes (1). On sait de quelle façon convaincante M. RODINSON a montré comment
ce concept, d'origine marxiste, décrit bien certaines réalités de la société
islamique médiévale; il se pourrait qu'il fût également propre à éclairer
certaines situations africaines d'aujourd'hui.
Qu'il suffise d'ajouter ici que l'étude scientifique de ce secteur
dans certaines régions d'Afrique semble parfaitement compatible avec l'emploi
des concepts économiques courants ; cette conclusion serait vraisemblablement
renforcée par des recherches sur la productio~ et le commerce de la cola,
sujets auxquels bien peu de travaux ont été consacrés jusqu'ici. On n'a pas
oublié, à ce propos, les intéressantes observations que Cl. MEILLASSOUX"a
présentées sur le commerce de la cola chez les Gouro à l'époque précoloniale (2).
2) Allons plus loln. En réalité, la question n'est peut-être pas tellement de
savoir si l'objectivation des relations économiques est ou n'est pas pratiquée
dans le milieu considéré ; le problème est plutôt de juger si cette opération
mentale permet d'aboutir à des schémas qui ~ aident à comprendre ce q~ se
passe. Autrement dit, même si les agents n'objectivent pas les relations qu'ils
entretieruient, pourquoi serait-il interdit à l'observateur étranger de le faire
à leur place, si tant est que sa compréhension persormelle du phénomène lui

(1) M. RODINSON, op. cit. p. 25, et les textes de MARX cités à cet endroit
(MARX, Le Capital, t. VI, p. 335, dans la traduction des Ed. Sociales, 1957).

(2) Cl. Il'lEILLASSdUX, Anthropologie économique des Gourode Côte d'Ivoire,


Paris, Mouton &CO, 1964, chap. X. L'analyse de la dégradation des termes de
l'échange de la cola·· contre des bro (tiges de fer) au fur et à me surequ 'cm
s'éloigne de la savane repose su~ raisormement économique qui semble .
épuiser la réalité, - au moins du point de vue qui est le nôtre.
~ 69 -

paraît sien trouver améliorée (1)? Assurément, les schémas construits par
cet obser.vateur ne seront valables qU'à l'intérieur de sa propre culture et
ne pourront recevoir par conséquent qU'~Ule audience limitée. Autant se rendre
compte, ~ependant, qu'une telle situation est inévitable. Il est impossible -
de sorti r de sa propre culture, et la folie menàce, nous dit T. E. tA~lRENCE,

ceux qui prétendraient s'installer durablement a la frontière de deux cul-


tures. Nos élaborations théoriques relatives au contenu d'une culture font
elles-mêmes partie de notre propre culture, et nous ferions tout aussi bien
d'en prendre conscience.
On pourrait ajouter qu'accepter les limitations d'une analyse éco-
nomique objective, menée dans les termes auxquels nous sommes habitués, voilà
peut-être 11 ultime recours de ceUJt qui savent que leur ambition de particiPer
intimement à la vie des gens qu'ils étudient doit toujours finalement être
déçue. Le géologue MONTAN le rappelle brutalement à Wilhelm MEISTER : la
seule manière d'être utile parmi les h~mme5, c'est de servir d'entremetteur
et de payer ses dettes; et d'ajeuter, ironiquement, mais avec un soula-
gement non dissinulé : "Au moins n'ai-je pas à comprendre mes rochers ina- -
nimés ••• ". Quand 'on est bien sûr de tout cela, comment prétendre encore
entrer dans les faits sociaux comme et avec ceux qui les vivent?
Paradoxe? Atténuons-le aussitôt. L'opération consistant à objec-
tiver certaines relations pour leur donner un statut scientifique d'entités
indépendantes n'est pas qu'une abstraction appauvrissante ; elle est au
contraire l'aboutissement d'une quasi-identification (jamais réussie d'ail-
leUrs) de l'observateur à la relation observée, d'une connaissance, d'une
pénétration aussi totale que possible de cette relation par celui qui
l'isole, la-nomme et la mesure. Ascète et prince de l'abstraction, RICARDO
n'écrit son livre que sur le tard, après avoir fait fortune à la Bout"Se-;··'·
3) Ala vérité; aucun problème ne se pose lorsque l'économiste se borne à
dresser une sorte de carte du possible. Lorsqu'il détermine des seuils ou
des fourchettes dé rentabilité, il se limite à des données qui ont presque

(1) Il me semble que, dans un domaine différent mais voisin, les ethnologues
ne procèdent pas autrement, lorsqu'ils prétendent "organiser (leurs) données
par rapport aux conditions inconscientes de la vie sociale" (Cl. LEVI-STRAUSS,
op. cit. p. 25).
- 70 -

l'irréfutabilité de faits physiques. Ces données définissent des rapports qui


sont ce qu'ils sont, que le milieu humain soit ethIlOgraphique ou non. Les
rendements à l 'hectare techniquement I)Ossibles, la taille des exploitations, la
structure des prix et des coûts, permettent de tracer des frontières dont les
comportements hl®ains'devront n8cessairement s'accombder à court terme, si
tant est qu'ils se manifestent. Hien n'est dit sur la probabilité de cette
manifestation, rrais certaines situations sant clairement et définitiven~nt

exclues.
4) L'économique ne se réduit pas toutefois à ce squelette "qui a permis à la
science de marcher ll , pour reprendre l'expression de GIDS et RIST. Et 1'1. FOUCAULT
lui-'.nême, qui ne range pas l'économique parmi les sciences humaines, reconnaît
. - - .

qu'une IIdéviatioll ll toujours po~sible par rapport ~ux plans rigoureux du trièdre
des savoirs, peut IIfaire tomber" la pensée dans le domaine investi par les
sciences hwnaines (1). De là ce qu'il appelle "le danger du sOciolOgisme, du
psychologisme. •• qui devient menaçant dès qu'on n'analyse pas comme il faut les
modes d'être de la vie, du travail et du langagell. Ce danger-là, les plus grands
économistes, }UŒX, VEBLEN, WEBER, l'ont délibérément accepté et recherché,
donnant pleinement raison à MARSHAL1 l ()rS qu , i l affirme : 111es éc.nomistes
traitent de l'homme tel qu'il est: non pas d'un homme abstrait ou d'un homo
oeconomicus, rrais d'un homme de chair et de sang••• " (1). De là, toutes les
difficultés, de là l'ambition toujours nouvelle et toujours déçue de parvenir à
une explication vraiment synthétique faisant place d'une part au donné physique
et technique dont doivent tenir compte les eomportement~ humains, et d'autre
part à nos représentations mentales ainsi qu'à celles des agents que nous
observons.
*
* *
Mais alors, on ne peut dire que la planète puisse être partagée en
deux zones, l'une où les concepts et les' schémas de la théorie économique ren-
draient compte de la réalité des faits de production, de wnsommation et d·'é...

(1) A. MARSHALL, Principles of Economies, 8e édition, MACMIF.'.~~ & Co, 1956,


l, II, 7 (p. 22).
- 71 -

change,. et 11 autre où ces schémas devraient être tempérés ou remplacés par


une extrême attention portée aux facteurs sociologiques et psychologiques~

Quand nous lisons que dans le Sénégal dl aujourd 'hui, "le village de Dangalma
est divisé en deux parties parla voie ferrée: d'un côté, c'est le village
des nobles, et d.€? l'autre, le village des griots lambay .•• Des deux côtés,
personne ne yeut aller faire le marché dans le village opposé" (1), nous ne
pouvons voir là ~tn phénomène fondamentalement différent de phénomènes compa-
rables (mutatis mutandis) constatés dans nos sociétés. Chez nous aussi, tou~
tes sortes d'institutions, de préjugés, de représentations, s'opposent
puissamment au jeu des lois économiques idéales, et compartimentent à plai-:- .
sir les marchés; et i l ri. 1 est pas d'économiste qui l'ignore.
Autrement dit, et pour reprendre une phrase.de HERSKOVITScitée
par Cl. MEILLASSOUX au début d'un article bien connu (2) on peut trouver
légi time, - étant. donné la conscience très aigiie qui il convient d' avo:i,.r
des possibilités limitées de la science - de concevoir "la totalité des
.sys.tèmes économi que s .co~e a ppartenant à une so rte de continuum", et cela
même si la prudence nouê.ohLige à voir dans ce continuum un spectre cons-
titué deplage~ d'intensité variable. De ?e continuum, la preuve n'est pas
encore faite qu'on ne peut s'approcher avec un ensemble unitaire de concepts
théoriqlles~. L,es formes. varié~~ que revêtira· 11 observation directe sont donc
dues à des particularités parfois ;}rè,s int.éressantes au point de vue tech-
nique et anecdotique, mais qui n'ont probablement pas beaucoup d'importance
théorique.

_ .. -------
(1) Ousmane SILLA, Persistance des castes dans la société Wolof contemporaine,
Bull. IFAN, t. XXVIII,' série B, nOs 3-4, 1966,p. 734.

(2) Cl. MEILLASSOUX, Essai d'interprétation du phénomène économique dans


les sociétés traditionnelles d'auto-subsistance, Cahiers d'Etudes Afri-
caines, nO 4, déc. 1960, pp. 38-67.
- 72 -

7. APPROCHE BIOGRAPHIQUE ET SCIENCE ECONOMIQUE


(le rôle du fait humain en Economie) (1)

par Philippe COUTY (Economiste)

-: .... :-:-:-:-:-

Les recherches actuellement en cours sur les Mourides en zone arachi-


dière sénégalaise ont pris une double orientation: relevés quantitatifs
(budgets, emplois du temps etc.) d'une part, interviews approfondies d'autre
part. L'intérêt présenté par ces deux typés de n~tériaUx est très inégal, pour
deux raisons :
- Alors que les relevés ne peuvent guère être effectués que par des enquêteurs,
les interviews sont conduites par les chercheurs eux-mêmes. La confiance que
l'on peut accorder aux résultats diffère dans l'lli1 et l'autre cas.
- Les matériaux recueillis grâce aux relevés ne sauraient dorllEr lieu qu'à une
description toute extérieure, COlJillle i l en existe déjà abondamment. Au contraire,
on espère fonder sur les interviews une étude qualitative assez poussée des
comportements et des motivations économi~~es dans la zone de référence.
Ces interviews tournent autour de quelques thèmes, toujours les
mêmes installation dans le village, évènements de la vie collective ou
privée, problème de l'eau, problème foncier, coopératives, doctrine mouride et
orthodoxie musulmane ..• Un effort est tenté pour que les informateurs traitent
, .
ces thèmes dans le cadre d'un compte-rendu biographique personnel, ce qui veut
dire que des points de vue très subjectifs sont recueillis sans hési tation, et
même systématiquement recherchés. Cela ne va pas sans poser divers problèmes,

(1) Le sous-titre n'est pas de l'auteur (NDLR).


et c'est ce qui mla amené à lire l'ouvrage dont il va être rendu compte ici.
Il s'intitde "L'Histoire de vie en Anthropologie" (1) et fait
partie d'une série de II'.anuels qui exposent "un aspect maîtrisable (mana-
geable) de la méthodologie anthropolobique moderne". Dans tous ces manuels,
on trouve "des aspects significatifs des procédés de collecte, de classi-
fication et dl interprétation des dOnl1.ées" (2). Les auteurs sont tous des
professionnels ayant travaillé sur le terrain. L. L. LANGNESS, par exemple,
11 auteur du livre résum~ici:, est professe:ur.depsyctp.âtrie et d.tanthro-
pologie à- l'Universi té de vlashington.. IJ. a tr.fivaillé chez léS Indiens
Clallam (Côte NW de llAmérique du Nord) et en Nouvelle-Guinée. Son livre
paraît être le seul qu"on ait écri t sur le sujet depuis llouvrage de
KLUCKHOHN (qui date de 1945) (3). Très schématiquement, i l contient :
- une revue de la littérature permettant de se faire une idée des antécédents
et du statut actuel de l'approche biographique dans la recherche
- une discussion du contexte théorique dans lequel les histoires de vie
prennent:leur signification.;
- une description des .procédés d'enregistrement ·et des problèmes pratiques
à,surmonter ;
- une' copieuse bibliographie d'ouvrages biographiques ou méthodologiques.
Je me propose de donner de cet ouvrage un résumé plus détaillé
qu Ion ne fai t habituellement, de manière à éviter auX lecteurs d'avoir à
se reporter au texte original - dlailleurs assez peu agréable à lire. Je
poserai ensuite la question de savoir en quoi la technique des Histoires de
.vie peut intéresser des éCOlioTIÙsces.

(1) The Life History in Anthropological Science, par L .1. LANGNE~S,. HOLT,
RlNEHART & WINSTON, New-Yord ~ :·'65.
" .. ;

Autres titres parus dans la collection .


- Unde-:-standing an Arrican Kingdom : Bunyoro (par J. BEÀTTIE) •
- Manual for Kinship Analysis (par E. SCHU8KY).

(3) Clyde KLUCKIIOHN - 1945 .- The Personal document in Anthropological .


Science. In "The Use of Persona::' Documents in lIistory, Anthropology and
Sociology", NevT-York, Social Science Research Council Bulletin 53,
pp. 78-173.
- 74 -

Le livre s'ouvre sur une thèse intéressante: tout ce que raconte un


informateur est toujours conçu par lui comme lié à sa biographie personnelle.
1

Quant aux observations directes, le chercheur les vit elles aussi comme une
expérience personnelle. En un sens, par conséquent, et au moins virtuellement,
toute an,thropologie est biographique (p. 4). LAl'{GNESS ne s'intéresse toutefois
qu'aux biographies entendues au sens étroit du terme (ou histoires de vie),
c'est-à-dire aux compte-rendus détaillés de la vie d'lh~e personne, faits par
cette personne elle~nême, ou par une autre, ou provenant de ces deux sources
à la fois.
La suite du chapitre 1 examine les façons dont les ant~xopologues

ont utilisé jusqu'ici l'histoire de vie (1). Avant 1925, les biographies sont
généralement des documents non scientifiques, .dont le contenu n'offre que peu
d'intérêt au point de vue psychologique ou anthropologique. Avec "Crashing
Thunder", de Paul RADIN (1926) apparaît le premier travail rigoureux en ce
domaine, bien qu'à certains égards. la limite ainsi établie puisse être repoussée
à 1920 (parution de l'ouvrage de THOMAS et ZNANIECKI, "The Polish Peasant in
Europe and America").
A la différence dé RADIN, qui s'intéressait avant tout à la notion
de culture (et non au problème de la personnalité, ou de l'individu-dans-la-
culture), SAPIR s'employa à rapprocher psychologie et psychiâtrie d'une part,
anthropologie d'autre part; i l eut donc une grande influence sur l'école qui
a étudié les rapports entre culture et personnalité (Ruth BENEDICT). En 1935,
l'intérêt pour les histoires de vie augmenté (2) et culmina vers 1945, avec le
livre de KLUCKHOHN, déjà cité, pour retomber ensuite.
LANGNESS constate aux environs de 1945 une convergence entre les deux
tendances symbolisées par RADIN et- SAPIR. Cette convergence apparaît nettement
dans les ouvrages de Cora DUJ?OIS (The People of Alor, 1944) et deKARDI1'ER (The
Psychological fron:tiers of society,1945). Par la suite, "les chercheurs ne
paraissent pas .J'être concentrés sur les biographies autant qu'on aurait pu s'y

(1) L'auteur s'intéresse surtout aux ouvrages américains.

(2) Publication de "Criteria for the Life Hist~ry", de John DOLLARD, 1935.
_. 75 -

attendre ll (p. 12). Cette désaffection semble due aux délais exigés par cette
technique ainsi qu'à sa difficulté.
A quoi au juste cette technique a-t~elle serVi? D'abord à dépe~n­

dre une cult. ure , ou u.h phénomène de cnangement culturel - mais parfois dans
des buts littéraires (1). Egalement à décrire certains aspects d'une cul-
ture habituellement négligés - c'est le cas des biographies féminines, dont
un bon exemple est fourni par le livre que F. SMITH (Baba of Karo, 1954) a
écrit sur une femme Haoussa. Enfin pour enregistrer des faits 'culturels dif-
. .

ficiellement dissociables èe leur contexte biographique : rêves, hallucina-


tions, expériences rèligieuses ..•
Lorsqu'on utilise une biographie pour étudier l'évolution d'une
cul ture , conclut L.iliGNESS, on reconna:î t au moins implicitement l'intérêt
d'une approche psychologique qui redonne sa place à l'individu. Dès qu'on
s'intéresse au changement culturel, on peut en fait difficilement éviter de
postuler l'existence de variables psychologiques'et d'employer des concepts
tels que ceux de motïvation ou d'attitude. Or ces concepts et ces variables
ne peuvent s'appréhender qu'à travers des cas individuels.'
*
* *
Et aujôurd'hui ? Comment pourrait-on utiliser des biographies
recueillies de manière scientifique ? CI est à cette question que le chapi-
tre 2 (Usages potentiels de l'Histoire de vie) se propose de répondre •
. Voici, Vues par LANGNESS, les grandes rubriques d'utilisation
potentiel1~ des histoires de vie :
1) Descri~tion précise d'une culture.
2) Observation des déviants et mesure de l'extension possible des déviances.
Etude de la "culture implicitell.
3) Structure culturelle' découpage entre faits économiques, politiques,
religieux, etc.
IIS urtout si elle est recueillie d'une manière'non"':directive, une·
biographie n'entre pas nécessairement dans les limites des'caté-"
gories impoEées de l'extérieur ll (p. 22).

(1) LANGNESS rend à Oscar LEWIS' un hommage mé ri té, mais i l regrette que
cet auteur se soit peu préoccupé des. liaisons théoriques entre person-
nalité et structure sociale' etc :' ...
~c
- (0 -

4) Changement culturel: quel est le rôle des insatisfaits, des meneurs, des
déviants ? LANGNESS constate à ce sujet :
- que nos généralisations sur les modalités du changement sont encore très
grossières
- qu'elles sont souvent formulées en termes psychologiques (1) alors que les
états d'esprit n'ont p~ être étudiés psychologiquement dans la pluf,·l~t des tra-
vaux existants, lesquels sont de nature purement historique; aussi bien, les
renseignements sont obtenus auprès d'un grand nombre d'informateurs, sans souci
des nuances psychologiques. Quant aux tests, ils saisissent surtout des situa-
tions pathologiques (2). En fait, ces études ne permettent pas de raisonner
sérieusement sur les facteurs psychologiques du changenent - même si l'on
reconnaît 'que ce sont ces facteurs-là qui 'sont décisifs : '
11U:'ie théorie du changement plus significative et plus fine ne peut
'se construire que sur l'analyse intensive d'un nombre élevé de cas
individuels .. , L' histoire de vie cons titue la meilleure méthode pour'
obtenir les données requises ..• " b. 25).
5) Etude' de la personnalité. On a fai t de la culture ce qui explique la person-
nalité, alors que l'inverse est peut-être plus vrai. L'intérêt pour les cultures
a donc été très vif, tandis qu'on se contentai t d'explorer la personnalité
grâce à des tests qui sont loin de saisir toutes las variables (3) et qui, de
toute façon, ne visent qu'à connaître "peu de chose sur un grand nombre de
gens". Le danger est alors d'isoler de leur contexte biographique certaines
unités de comportement que l'on a arbitrairement déclarées comparables. Dans un
même échantillon de culture, on n'est pas assuré de rencontrer des personnali-
tés, des motivations, des significations semblables.
6) Etude des rôles joués par un même individu (le deuxièn:e stade de la recherche
étant constitué par la comparaison des rôles de plusieurs individus).

(1) Par exemple : "L 1 infériorité entraîne le changement". On pense aux hypo-
th~ses d'Everett HAGEN.

(2) Ils renforcent par là même l'hypothèse suivant laquelle les sentiments
dJinfériorité sont un important facteur de changement.

(3) Variables de persol1l1Ël.lité et de comportement.


-77-

7) Chanpe et accident. La critique assez vive de LM~GNESS à l'égard de ses


collègues anthropologues concerne aussi les économistes :
"Nous répugnons à admettre le facteur chance dans· nos schémas
parce qu'il ne nous paraît pas scientifique mais poUr être com~
plète, une théorie du changement doit tenir compte de ce fac-
teur" (p. 2S).
L'étude d~s cas individuels est encore ici irremplaçable.
S) Valeu.rs.lci plus qu'ailleurs, les généralisations sont dangereuses, de
même que les. versions abstraites tirées de réponses verbales. Le départ en-
tre les valeurs officiellement admises et celles que l'on respecte en fait
ne peut s '.opérerqu' en suivant dans tous leurs détails le déroUlement des
biographies.
9) Etudes de socialisat::i.on :. comment acquiert-on une culture (nouspollrri()ns
traduire: comment devient-on agent producteur et consommateur 7).
En conclusion, LANGNESS remarque que la tendance actuelle vers
l'empirisme et l'opérationnalisme, la vogue de la linguistique, l'intérêt
pour les problèmes de structure sociale, ont contribué à diminuer l'enthou-
siasme pour les recherches sur les rappor~s entre culture et personnalité ...
On a même paru craindre. que les anthropologues ne se tournent vers les pro::-
blèmes psychologiques,tout en reconnaissant (ce qui est assez contradictOire)
que les variables de cette catégorie font partie intégrante de la recherche
anthropologique. Trop souvent, avoue LANGNESS avec candeur, "nous ne connais-
sont.tout simplement pas assez les gens" (we simply do not know the people
well enough). Cela est déjà grave si l'on ne s'intéresse qu'à la culture,
mais cela devient crucial si l'on a des préoccupations psychologiques". Il
est temps de reconnaître la nécessité d'une réorientation de la méthodologie
"vers une connaissance plus intime et plus nuancée des agents individuels".
*
* *
Dans le dernier chapitre, consacré aux questions pratiques, on
trouve d'intéressantes remarques sur la technique de collecte dés biogra-
phies. Avec beaucoup de bon sens, par exemple, LANGNESS montre qu'on ne doit
pas hésiter à recueillir des histoires de vie si l'on ignore la langue
locale. On peut parfaitement se contenter d'apprendre quelques mots ou phra--
ses permettant de suivre la-conversation et de contrôler l'interprète. On
- 73 -

peut aussi - et c'est la solution que nous adoptons au Sénégal - enregistrer


toute l'entrevue au magnétophone. L'interprète n'est alors utilisé que pour
~.ndiquer très sommairement le contenu des déclarations, et pour traduire les
questi.ons. Le rythme de 11 intervievr ni est donc pas rompu par des intervalles
de traduction et de prise de notes. La transcription et·la traduction des
bandes sont faites à Dakar, et l'on peut y consacrer tout· le-temps voulu.
Notons aussi quelques observations sur la personnalité qUe devrait
- idéalement - avoir le chercheur (ceci intéresse les personnes chargées de le
recruter),sur les problèmes de présentation des données, et sur la grave
question de l'anonymat. Je dois dire que les problèmes sont bien énumérés, ce
qui est déjà un mérite, mais qu'ils ne sont IR8 résolus .•• LANGNESS termine
assez faiblement sur ces mots : "There is no substitute for gaod ju.Çpment"!

II

Je voudrais maintenant essayer d'apporter des éléments de réponse à


la question suivante : en quoi la technique des histoires de vie peut-elle
intéresser des économistes? Peut-être n'est-il pas inutile de· préciser dès le
départ qu'il ne saQ~ait être question pour nous de renier ce qüi rend notre
discipline différente des autrèsscierices humaines, je veux parler du souci'
qui lui est propre de formaliser les résultats obtenus, et des succès obtenus
dans cette voie (1). En même temps d'ailleurs, je ressens très vivement le
besoin d'une recherche qui ne vise pas, avant tout, à isoler des m~~anisn~s et
qui accepte d'inclure dans les schémas le flou qu'on doit bien y mettre si l'on
a vraiment pris conscience de l'imperfection des méthodes d'approche' (problèmes
du langage et des traductions) et de l'importance du hasard et de l'inconscient
dans les destinées économiques individuelles ou collectives (2).

---------
(1) "Les économistes, les plus formalistes de tous les' travailleurs en Sciences
Humaines ... " (C .\'1. MILLS, l' In1a:gination Sociologique, Maspèro, Paris, 1967).
Voir aussi, p. 214, un passage qui a le mérite de bien marquer'les relations
entre recherche empirique et recherche théorique, et la hiérarchie qui unit
ces deUX genres d'activité. .

(2) Il Il n'y a rien où il faille plus de précautions qu'en tout ce qui regarde
le peuple, parce".qu.!..iLn~ a rien de plus déréglé ... " (Retz).
'\
- 79 -

*
* *
Et d'abord, quelle pourrait être, dans la Science Economique, la
place d'une recherche tournée vers l'étude ~~nutieuse de cas individuels?
Peut-être devrait-on rappeler, à ce propos, que notre science,
"ch~z ,les Anglo-Saxons, rejoint la lignée des penseurs qui ••• débouche sur
WITTGENSTEIN et la philosophie analytique. Cette philosophie se caractérise
par une répugnance à généraliser, par le souci de l'investigation localisée
et poussée le plus loin possible ••. par une méthode qui pourrait être qua-
lifiée', d.' absence de méthode, par une réflexion tâtonnante, tâtillonne,
scrupuleuse" qui s'est révélée dans notre science la plus féconde des dis- ,
ciplin.e~ •• ~" ,(1). On peut ajouter. qu'à côté des théoriciens purs, il.a
toujours existé et il existe encore des historiens de l'économie dont l'ac-
tivité a pu être mise en question, mais dont l'importance et même la néces-
sité sont généralement reconnues (2).
L'exemple des Anglo-Saxons, celui des historiens, - on pourrai t
ajouter celui des statisticiens et des économètres - permettent d'assurer
qu 1 une recherche à ras de terre, collant de très près aux faits; n'aurait
rien d'hérétique par rapport aux traditions de la Science Economique. Ne nous
y trompons~~as d'ailleurs: la vogue (justifiée) des recherches d'économie
globale ne doit pas faire perdre de vue le renouveau d'intérêt pour l'étude
des comportements individuels d'agents saisis dans leurs .rôles complexes (3).

(1) P. DIETERLEN,L'idéologie économique, Paris, Cujas, 1964, p. 26.

(2) BarrY SUPPLE, Has the early history of develop3d countries any current
relevance ? American Economie Review, Papers & Proceedings, may ,1965,
pp. 99-103.

(3) "Après s'être confinée longtemps dans une micro-économie ••• la'Science
Economique, à la suite des intuitions de Quesnay et de Malthus, et surtout
des visions de Marx, s'est engagée dans une macro-économie dont la métho-
dologie difficile s'est précisée avec Keynes ••• Mais avec la recherche
opérationne:"J,e etl 'économétrie, un cOl1rant nouveaU a remis en valeur
l'approche micro-économique" (J. PIAGET, communication ~u Congrès d'Evian,
in "l'Homme et la Société", nO 2, oct. déc. 1966) ; à, la recherche opéra-
tionnelle et à l'économétrie, il faudrait sans doute ajouter la psychologie
économique.
- 80 _.

-*

* *
Ayant ainsi, je l'espère, dissipé les hésitations que pourraient
éprouver des économistes à l'idée de recueillir et à"analyser des histoires de
vie, je voudrais maintenant montrer ce que cette technique pourrait nous appor-
ter. A ce propos, j t ai déjà été tenté plusieurs fois, en résumant le livre de
LANGNESS, de transposer en termes économiques certaines de ses conclusions ; il
suffi t cependant d J indiquer la ligne générale de ces transpositions. Elle con-
si ste à remplacer le mot 11 cul ture" par le mot "éconorPie", ou à admettre expli-
citement, en tout cas, que les comportements économiques sont qilelque chose qui
fai t partie de la culturè. Les thèmes énumé rés par LANGNESS au chapitre 2 de
son liVre (Usages potentiels des Histoires de Vie) deviennent .alors :
- Description précise d'une économie concrète;
- Rôle des déviants (qui peuvent être des innovateurs)
- Découpage des faits politiques, économiques, religieux, tel que l'envisagent
illes agents intéressés
- Passage de l'économie de subsistance à l'économie monétaire; contact entre
économie pré-capitaliste et économie capitaliste, avec tout le cortège des
effets de choc (GENDARME), de percussion (WADE), de domination (PERROUX; etc ••
- Etude des 'rapportsentre économie et personnalité; lequel explique l'autre?
Les quatre dernières rubriques prévues p:tr LANGNESS n'ont même p:ts
besoin d'être transposées. Tout ce qu'il dit sur la nécessité de faire inter-
venir les variables psychologiques - saisies grâce aux histoires de vie - dans
l'étude de la relation entre personnalité et culture SI applique parfaitement à
celle des relations entre agent économique et économie globale (ou ~ectorielle).
On pourrait dire, pour être plus précis
Que les problèmes qui préoccupent les économistes (apparition de l'esprit
d'entreprise, apparition et propagation de l'ir~ovation, modalités vécues de
l'enrichissement, de l'épargne, de l'investissement, phénomènes d'êxploitation,
de frustration, d'angoisse économique, etc .•. ) ne s'éclairent pas nettement
si l'on n'a recours qu'aux sondages statistiques.
- Que 'les données: trop glQbales recueillies par sondages statistiques sont peu
utilisables. On nous a montré comment les pays concernés sont sous-développés,
on ne nous n pas expliqué pourquoi ils le sont ...
Grâce à l'.analyse de biographies économiques, on acquerrait d'abord
une bonne connai ssance des sur..:,or ts individ uels de l' éco nomie, ainsi que de
- 81 -

leurs représentations mentales ; on se familiariserait avec les modalités


de la formation des agents (apprentissage des us et coutumes économiques),
de l'entrée dans l'univers des producteurs-consommateurs, de l'enrichisse-
ment o~de l'appauvrissement individuels, des mutations brusques (migrations,
changements d'emploi), des relations entre les plans individuels et le plan
de base de grovpe. On pourrait peser, dans la séquence vraie des choix vé-
cus, la part du délibéré et de l'involontaire dans les processus économiques
(1). Pour finir, il faut bien reconnaître que l'aveu gênant de LANGNESS
("nous ne connaissons tout simpleIIBnt pas assez bien les gens") pourrait
et devrait ê'tre fait tout aussi bien par les économistes que far les anthro-
pologues ; le sentiment de cette grave insuffisance devrait, à lui seul,
contribuer à orienter les recherches vers l'étude des facteurs psychologiqUéS'
saisis dans des biographies individuelles. La cormaissance de l'économie
d'un groupe, tout comme celle de Sa culture, ne peut aller sans une connais-
sance intime des gens.
*
* *
Tout ceci emporte certaines conséquences. La plus saisissante
est peut-être celle-ci : une certaine confusion ne va-t-elle pas se produire
entre les diverses disciplines concel~ées, si les chercheurs recueillent et
analysent des, matériaux identiques ?
Je ne crois pas que cette considération mérite de nous arrêter
très longtemps. Autant reconnaître, avec C. Wright HILLS, que "depuis peu,
les anthropologues se sont penchés sur des communautés évoluées ... ; inver-
sement, sociologues et économistes se sont intéressés aux p3uples embryon-
naires. Aujourd'hui, ni l'objet ni la méthode ne distinguent plus l'anthro-
pologie des sciences économiques et de la sociologie" (2). En fait, tous

(1) "Le sujet économique est un être qui réfléchit ..• qui calcule, qui
projette, qui décide, selon le degré de .liberté que son statut social lui
assigne, mais toujours selon un certain degré de liberté, l'option minimale
qui lui est laissée étant celle que La Fontaine assigne au bûcheron : subsis-
ter.péniblement ou périr". P. DIETERLEN, op. cit. p. 45.

(2) C.W. MILLS, op. cit. p. 145.


- 82 -

les chercheurs de terrain utilisent des techniques à peu près identiques. Les
économistes, par exemple, ont le choix entre deux grandes orientatiol~ : ou
bien, 'se fondant sur un postulat behavioriste, ils recueillent des données
chiffrées au moyen de relevés sélectifs portant sur ~ grand nombre d'individus
(les unités d'information ainsi recueillies étant supposées sommables et compa-
rables) ; ou bien, conscients que certaines variables psychologiques se mêlent
inextricablement à la réalité, ils se tournent vers des interviews peu direc-
tives qui; tôt ou tard, devraient déboucher sur la biographie détaillée. Dans
tout cela, rien de bien spécifique. Sur le terrain, l'unification des Sciences
Hun~ines est réalisée depuis longtemps.

III

"La culture, écrit J eanCAZENEUVE, ne peut se définir vraiment qu'à


travers les hommes qui la vivent ..• Autrement dit, elle ne peut être comprise
qu'en'termes psychologiques Il (1). Si, au lieu de Il culture Il , nous lisons "éco-
nomie", nous justifions du même coup l'emploi des biographiJs dans notre disci-
pline. Les modèles théoriques ne deviendront réalistes - et utilisables - que
si, s'appuyant SlIT des cas concrets, ils montrent comment des individus sont
pris dans l'économie globale, comment ces individus tiennent compte de leur
'1;:"

situation pour, élaborer leurs choix


~r··
(ou pour ne pas ~~oisir), cOlnment ils
réagissent à leur tour sur les quantités globales dont ils sont le support (2).
Autre élément à inclure dans les modèles : ce~ lIensemble complexe de facteurs
qualitatifs ll
qui fait que les pays se situent à différents "stades de dévelop-
pement" (3), et qu'on ne peut'apprécier qu'en étudiant des cas individuels.
Pour conclure, revenons à 'LANG~œSS : la méthode biographique n'est
propre ni à l'anthropologie ni à aucune autre branche des Sciences Humaines. Le
seul problème est de savoir si l'on accepte d'intégrer les variables psycholo-

(1) J. CAZENEUVE, L'Et~~ologie, Paris, Larousse 1967. p.121.


(2) IIUne tonne de cuivre, un espace géographique ne deviennent éC01:omiquenent
significatifs que par] 'usage auxquels ils sont destinés ou qui en est fait,
c'est..,.à-dire par la médiation des sujets qui les mettent en oeuvre" P. DIETERLEN,
op. cit. p. 46.

(3) H. MYINT, Les Politiques de Développement, Paris, Ed. Ouvrières, 1966, p.14.
- 83 -

giques dans le domaine anthropologique ou économique, Tant qu'on ne s' inté-


resse qu'à la culture (à l'économie) considérée séparément des individus,
les biographies sont utiles, mais non nécessaires. Tel pourrait être le point
de vue des structuralistes, que les données purement psychologiques n'inté-
:r:essent }Jas (p. 51). Au contraire, les chercheurs préoccupés par le problème
des rapports entre culture (économQe) et personnalité ne peuvent se permettre
de néglighT l'approche biographique (et psychologique). Si l'on veut sérieu-
sement éclairer les problèmes de motivations et d'intériorisation (1), il
est indispensable de recueillir en profondeur des données sur la personna-
lité (llpersonality data in depth ll ),
Les histoires de vie représentent le type même de matériau .suscep-
tible d'être utilisé par n'importe quelle discipline des Sciences Humaines.
D'où l'utilité, soulignée par LANGNESS, de créer un fonds commun d'histoires
de vie comparables dont l'exploitation par différents spécialistes équivau-
drait à une recherche vraiment interdisciplinaire. On ne peut s'empêcher de
souhaiter que cette idée serve un jour de point de départ à un programme de
recherches systématiques.

Dakar, juillet 1967

(1) SPIRO Melford, 1961. An overview and a suggested reorientation in Psy-


chological Anthropol ogy , Francis L.K. HSU, ed., .Rom~wood. Ill. The IbrsGY
Cresso
- 84 -

Bibliographie

De la nombreuse bibliographie jointe à l'ouvrage~ j'ai extrait cer-


tains titres relatifs à l'Afrique, en co~plétant la liste ainsi obtenue par
quelques livres non cités par LANGNESS.
AWOLOIilO, Obafemi, 1960, The Autobiography of Chief Obafemi AW010\'l0, New York,
Cambridge University Press.
L'auteur a été Premier Ministre de la Région Occidentale de la Nigéria,
et leader de l'opposition au Parlement Fédéral. En 1963, il fut con-
damné à 10 ans de prison pour complot anti-gouvernemental.

BELLO, Sir Ahamadu, 1966, My Life, Cambridge University Press •


.Ahmadu BELLO était Sa:r:dauna de Sokoto, et Premier. 1I1inistre de la
Région du Nord de la Nigéria. Son livre éclaire les relations entre
Haoussa d'une part, Yoruba et Ibo d'autre part.

BLACKING, John, 1964, Black Background: The Childhood of a South African Girl,
New York : Abalard-Schuman.

CARY, Joyce, Mister Johnson, Penguin Books.


Avant de se consacrer à la littérature, Joyce CARY avait été adminis-
trateur au Borgu, en ~igéria. Ce roman retrace avec humour et vérité
la carrière d'un clerk africain.

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- 85 -

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-:-:-:-:-
- 86 -

8. DETERlviINATION ET OBSERVATION DU FAIT ECONmUQUE (1)

par Claude ROBINEAU (Economiste)

-:-:-: -:-:-

L'une des difficultés que les économistes plongés dans l'étude des
phénomènes des sociétés africaines ou asiatiques ont rencontré paraît tenir à
l'absence d'urie méthode propre au repérage des faits économiques sur le terrain.
A la différence des géographes et des ethnologues, dans une moindre mesure des
sociologues, les économistes sont littéralement désarmés devant la nécessité de
recueillir la matière première de leurs recherches, en ce sens que leur disci-
pline ne fournit qu'en de rares occasions une indication dans ce domaine.
Cela tient à mon sens à 2 causes: 1e •. l'Qrientation de.la disclpline
économiste dans le passé, 2e. les possibilités.. offertes sur le terraindanslè
cadre des sociétés industr:ielles.
Pour le premier point, il suffira de rappeler le développement de
l'économie politique, essentiellement théorique avec des essais d'ouverture vers
le concret qui ne réussissent pas (l'enlisement. de l'école h:i.stori que allemande
dans l'histoire, la dérivation du marginalisme selon l'école psychologique de
Vienne vers une systématique de type 1rJalrassien, le fiasco· de "l' insti tutio-
nalisee américain" (2). Notons aussi que ces essais s'ils tentaient de détourner

(1) Le titre n'est pas de l'auteur (NDLR).

(2) J'ai oublié Le Play et ses monographies f<:tlIliliales : il courait tout droit
vers la sociologie. Polanyi et son équipe s'inscrivent dans le fond da~ le cou-
rant institutionaliste et l'appliquent aux sociétés historiques; ils analysent
les définitions de l'économique, apportent quelques concepts utilisables sur le
terrain: la réciprocité, la redistribution; ils ne donnent pas la clé qui ou-
vre aux économistes l'accès de l'économie de village.
- 87 -

la science économique de ses perspectives théoriques n'impliquaient pas


pour autant illle prise de conscience et de la problématique économique dans
les sociétés différentes et de la méthode à y appliquer.
Si le passé de l'économie politique est peu riche d'enseignement
dans notre domaine, le présent ne l'est pas moins: l'économique est illle
science des choix opérés dans le double domaine qualitatif et quantitatif.
La statistique y est fondamentale i prenons les directions G()Iitemporaines
de l'économie: la planification, l'économétrie, la recherche théorique à
partir de la statistique (ex. l'école de l'INSEE dans le domaine de l'étude
des phénomènes de .la monnaie). Or, la statistique suppose deux conditions
a) l'existence d'individus statistiques, traitables ~~r la statistique;
b) le fonctionnement d'illl appareil de recueil et de traitement des données
s.tatistique s •
Ces conditions ne sont pas toujours remplies dans les sociétés
non-industrielles qui non seulement n'ont pas toujours d'appareil statis-
tique efficace mais encore sont telles que les faits économiques ne se
prêtent pas toujours à illl traitement statistique. C'est le lieu de faire
état de la formule de Polnnyi selon laquelle les faits économiques sont dans
les sociétés traditionnelles ou considérés comme telles, encastrés et pris
au filet - embedded et enmeshed - dans la structure sociale, thème qui re-
prend celui des Trois âges de l'économie de M. PIETTRE selon lequel l'éco-
nomie était "dominée" dans le passé par la société (1).
Où est l'économique dans illl village africain ou asiatique et com-
ment le saisir ?
La notion de fait économique observable.
L'économique ne constitue pas illl tiroir bien individualisé, il n'y
a pas de fait économique en eux-mêmes, i l Y a des faits sociaux qui ont des
aspects économiques parce qu'ils concernent des richesses matérielles ou des
relations de services, parce qu'ils sont rares et donnent lieu à production

(1) Fr. PERROUX a réservé illl sort plus fameux à l'idée de domination. La for-
mule de Polanyi paraît autrement plus parlante que celle de M. PIETTRE.
- 88-

et échange. Cela est très important à percevoir surtout pour nos collègues de
Sciences humaines. Je crois que cela est vrai aussi des phénomènes sociologiques
qui ne le sont pas, disons par nature, mais plutôt par rôle. Il y a une vision
sociologique des choses, lme vision économique, une vision géographique quine
s'excluent pas mais se complètent en se recoupant. Ceci est très important à
percevoir notamment dans les entreprises pluridisciplinaires.
Il y a évidemment des points qui· ne prêtent pas à con·COusion : les
prix, les relations commerciales sont terra incognita pour tous autres que le s
économistes (1). En revanche, pour les phénomènes de production les choses ne
sont pas si simples ou plutôt ces phénomènes sont apparemment ambivalents et ils
se laissent saisir relativement plus facilement au moins dans les sociétés
rurales: géographe, ethnologue, économiste, sociologue s'y intéressant. Que
dire alors de ce que les économistes appellent des faits d'environnement en ré-
ciprocité de perspectives avec des phénomènes plus économiques et qui par suite
de cette qualité sont indispensables à l'appréhension de l'économiste?
Il Y a des faits économigues directs et des faits économigues indirects.

Fai ts directs Faits indirects


---------_..-_---
.' ,.
-.l'emploi ~ la population et les besoins
- les modes de productïon - les rapports de production
- les revenus, leur répartition les entreprises et autres unités de pro-
duction
- les coûts de production
- les rapports marchands
- les formes d'échange
- l'organisation familiale et les unités
- les marchés et les prix
de consommation
- la monnaie et l'épargne - les stratifications sociales
- la consommation - la répartition des biens capitaux (ter-
- la circulation du capital et res comprises) dans la population
le rôle du crédit
- les valeurs culturelles
la3 lntsstizsements
Ces faits sont susceptibles dlun traitement préliminaire au cours du-
quel l'économiste utilise des méthodes d'enquête qualitative et intensive qui
s'apparentent à celles du sociologuè et de l'ethnologue et des méthodes d'enquêw
quantitative plus spécifiques : comptabilité, statistique, analyse économique
proprement di te ..

(1) Des prix traduisent des rapports de production, des rapports marchands. Ils
constituent par conséquent un moyen de lire une certaine structure sociale, un
sociologue économiste ne peut les négliger.
- 89 -

Il Y a un point que les chercheurs travaillant à un niveau micro-


économique ne peuvent négliger: les perspectives d'évolution.
A un niveau micro-économique, le repurage des phénomènes dans les
sociétés traditionnelles plus ou moins transformées peut se faire: 1°) à -
partir des activités, 2°) à partir des formes de sociabilité. Nécessairement
c'est en ce sens que l'on peut parler d'anthropologie économique; on rencon-
tre à ce niveau des processus domestiques de production et de consommation.
A un niveau plus élevé se situent des rapports de production qui mettent en
jeu la stratification sociale (propriétaire foncier/métayer ou fermier,
citadin/paysan, propriétaire absentéiste/gardien) et lJS prerncrs rapports
marchands (collecte des produits "riches", redistribution des biens manufac-
turés). C'est à un troisième niveau qu'intervient l'histoire, l'évolution
économique, la croissance du groupe ou de la zone considérée étant liée à la
situation historique dans laquelle elle s'est trouvée depuis un demi-siècle
ou un siècle.
- Sur les plateaux merina, rapports de production et rapports mar-
chands résultent- dans la société rurale de l'histoire économique et sociale
des trois derniers siècles des hautes terres de Madagascar.
- Dans le nord du Congo (Brazzaville) l'état stationnaire de l'éco-
nomie a résulté jusqu'en 1960 des avatars de la colonisation: recrutement et
travail forcé.
- Aux Comores (Canal de Mozambique), l'île d'Anjouan étudiée à ti-
tre d'exemple, aune économie dont la structure n'est compréhensible que d'un
côté par le recours à la manière dont s'est ~ffectuée la colonisation dans
l'archipel, de l'autre en référence au mode de constitution de la société
pré-européenne, féodalité arabe plaquée sur des strates d'esclaves amenés
d'Afrique orientale à plusieurs époques.
- Le paradoxe de la Polynésie orientale (française) ,d'une écohomie
dépendante compatible avec un niveau d'existence qui, très honorable, oblige
à recourir au passé et il se pose la question de savoir comment a pu s'efféc~

tuer la croissance dans cette région avec les résultats que l'on a aujourd'hUi,
et ce n'est pas le moindre des paradoxes de recourir à l'histoire dans un
pays neuf, dirions-nous, puisque son passé culturel s'est si radicalement
anéanti à la fin du 18e siècle.
- 90 -•

. Le choix du terrain.
·Je ne peux d 'aprèsJJlés expériences person..Ylelles que parler des choix
nécessités par l'étude de la croissance dans des groupes limités:
Ile d'Anjouan· (Comores) 70:à80 000 habitants aujourd'hui,
- Nord-Congo (région: de Sbuanké) 15 000 personnes.
Ce type d'étude exige que l'on ne se spécialise pas trop. A Anjouan, j'ai choisi
d'orienter ma recherche sur le problème si crucial du rapport Homme-ressources
à traVers une étude des structures socio~économiques ; au Gongo, le thème à été
l'évolution économique depuis l'arrivée des Européens, ses effets et les pers-
pectives àètuelles.
Dans ce tyPe de recherche une appréhension totale de la situation· est
d'abord nécessaire (1). La tournée de villages permettant de recueillir une
vision de la diversité locale et de la variété des problèmes socio-économiques
est très féconde. Elle oriente la recherche: à Anjouan apparaissent nettement
trois ensembles différents : les villages sous domination féodale, les villages
prolétarisés des plantations d'une des deux ·grandes entreprises; ceux où féo-
dalité et prolétarisation dirigéspa,rla seconde entreprise prévalent. Dans une
première démarche,il apparaît intéressant de choisir un terrain approfondé dans
chacun des trois ensembles distingués mais ensuite il apparut que 10. probléma-
tique n'était pas la même dans chacun d'eux et ne nécessitait pas la mise en
train de trois études monographiques approfondies
- une seule suffisait, à réaliser dans le 3e ensemble, le plus riche
du point de vue sociologique.
- le premier ensemble requit une tournée plus approfondie des villages
avec enquête sur la situation agraire et les comportements des notables citadins
propriétaires fonciers (d'où une ethnographie de ce milieu en ville).
- le second (villages prolétaires) m'orienta vers une étude de l'em-
ploi, des salaires et des budgets de famille.
A Souanké (Nord-Congo), les premières tournées orientèrent les recher-
ches vers d'une part les problèmes de démographie (ressentis par les habitants)
d'autre part ceux inhérents à la structure sociale (problème de la compensation
matrimoniale). Une étude comparative des deux ethnies actuelles qui se partagent

(1) Je ne parlerai pas des contacts nécessaires d'emblée avec les responsables
locaux : Administration générale souvent chargée de mettre en oeuvre le dévelop-
pement rural; services d'Agriculture, notables .•• La collaboration avec les
services d'Agriculture est souvent extrêmement féconde.
- 91 -

la région était la plus propre à creuser chacun de ces thèmes et il fut choisi
unnOIIlbre égal de points d'impact dans chaque groupe mais les contraintes de
temps et de circulation modifièrent le schéma général. Ce problème des con-
traintes est capital. A priori, on choisit le terrain en fonction de ce que
l'on veut chercher mais· cette règle si naturelle se trouve en fait contrariée
dans son application :
1°) contraintes d'ordre matériel, la difficulté ou l'impossibilité
d'atteindre une région donnée peut obliger le chercheur à renoncer à certains
thèmes donc à peine d'incohérence à réviser l'orientation. de sa recherche.
2°) le terrain choisi peut se révéler décevant pour la poursuite de
l'étude. Il .faut donc substituer un autre impact géographique qui peut lui
aussi peser sur l'orientation générale de la recherche.
3°) un terrain donné peut ouvrir par ses richesses des perspectives
non aperçues de façon logique par le plan de recherche. Il y a ainsi entre
l'objectif de la recherche et le terrain une multiplicité de relations dans
les deux sens - une dialectique .. qui fait que les deux termes de ces rela-
tions se déterminent mutuellement. Cette dialectique ne se produit pas seule-
ment au début de la recherche mais souvent pour une recherche un peu longue
tout au long du temps de la recherchè. Le problème essentiel est alors la
cohérence qui doit apparaître à travers les modifications de l'objectif et
la succession des terrains différents.
- 92 -

SEC T ION D

STRATEGIES GLOBALES DE RECHERCHE ET INTERPRETATION THEORIQUE


- 93 -

" 9. UNE MONOGRAPHIE DE COMMUNAUTE VILLAGEOISE A VJADAGASCAR

par Gérard ALTHABE (Sociologue)

-:-:-:-:-:-

Les commUnautés villageoises betsimasaraka auxquelles nous avons


affaire, tout comme l'e~~emble des populations africaines et malgaches, sont
prises dans .le processus global de la décolonisation. Pour donne~ quelque conte-
nu à ce moment historique nous analyserons, dans notre' étude, la structure colo-
male rUrale qui est présentée conine ayant été détruite: deux mondes rigoureu-
sement séparés étaient face à face, celui des maîtres européens enveloppant une
frange de satellites malgaches, celui des dominés, cette population villageoise
qui est objet de notre investigation. Quelle fonne d' existence possédait la
communauté villageoise prise dans cette domination coloniale ? Elle était orga-
nisée à travers une dichotomie générale : un même village, une même population
était intégré dans de~~ cadres de relations parfaitement séparés l'un de l'autre.
- Dans son rapport avec les llBîtres étrangers et léurs agents malgaches, la com-
munauté villageoise formaiturte'sorte de -collectif servile dans lequel la res-
ponsabilité envers l'Administration était indifférenciée; elle obéissait à des
chefs qui tiraient leur autorité de l'investiture reçue des Européens.
1

- Ce cadre de rapports où était réàlisée la subordination subie du pouvoir exté-


rieur n'était en quelqué sorte que l' ap:r:arence? l'image inauthentique que pré-
sentait l'univers villageois. En effet, :la communication que les villageois
établissaient entre eux étai torganisée par des déterminations qui lui étaient
propres (le rapport familial par exemple), et qui étaient étrangères à celles
présidant à l'existencë du cadre précédent surgissant du rapport avec le pouvoir
extérieur.
- 94 -

Ainsi les mêmes auteurs vivaient deux sphères de relations j celle


ou ils étaient serfs d'une autorité étr~~gèrej celle dans laquelle ils com-
muniquaient entre eux ; ces deux cadres ne se confondaient en aucune manière.
Cette autonomie n'implique nullement qu'ils n'exerçaient aucun effet l'un sur
/
l'autre. Ce qui se passait dans le cadre né du rapport avec le pouvoir étran-
ger exerçait des effets induits dans la sphère des relations internes. Des
éléments qui se créaient dans le premier cadre étaient utilisés dans le se-
cond, le passage entraînait· une vé~itable transmutation, leur mode d'existence
aussi bien que les principes de leur utilisation se situaient désormais dans
la cohérence de l'organisation des relations internes; nous suivrons l'uti-
lisation de l'argent qui est obtenu dans le cadre du rapport avec l'étranger
et qui est utilisé comme élément des rapports internes. De même, les transfor-
mations qui avaient lieu dans la première sphère entraînaient des effets dvns
la seconde, mais ces effets étaient déterminés par les principes de l'orga-
nisation de cette dernière: nous verrons que les bouleverse~~ntsde l'uni, .
vers villageois provoqués par l'indépendance se situent dans ce schéma; la
décolonisation crée une crise dans la première sphère, et cette crise entraîne
des bouleversements internes qui restent incompréhensibles si l'on ne voit pas
en eux des effets induits. L'analyse de ce mécanisme des effets induits (qui
suppose l'autonomie de deux cadres et une action du premier sur le second
conservant cette autonomie) est importante : une action de transformation
s'exerce généralement à l'intérieur du premier cadre de rapports j l'échec ou
la réussite dépendant des répercussions qù'elle a dans le deuxième cadre,
répercussions qui ne peuvent se manifester que d'une manière masquée.
Le premier moment de la décolonisation s'est traduit par le simple
transfert de l'autorité que les maîtres européens ont effectué en faveur .de
leurs subalternes malgaches; cette malgachisation des acteurs a été corré-
lative à la conservation de la forme de pouvoir contenue dans la structure
coloniale. Cette décolonisation au contenu si particulier a provoqué une crise
qui sera analysée dans deux domaine s .:
- celui du rapport entre la population villageoise et le nouveau pouvoir admi-
nistratif.
- celui de l'organisation de la communication à l'intérieur de l'univers vil~

lageois.
- 95--

(a) Le pouvoir_colonial était construit sur la présence omnipotente des Euro-


péens vainqueurs; les fonctionnaires malgaches ne tiraient leur autorité que de
leur position privilégiée dans la condition générale d'asservissement. Ils par-
tageaient avec les villageois le même état de suboraonnés, mais ils étaient
proches des. maîtres, ils étaient les interrnédiaires obligatoires; de cette
proximité, de ce rôle, ils tiraient leur pouvoir sur les villageois. La décolo-
nisation conserve la structure du pouvoir colonial en éliminant des Etrangers
dont la présence le conditionne entièrement, ainsi les agents actuels de l'Admi-
nistration n'ont plus de pouvoir légitime dans la mesure où sont partis ces
étrangers qui étaient la matrice d lune aU'~ori té impliquant le partage de la con-
dition de subordonnés par les fonctionnaires et les villageois. Nous suivrons
lesmànifestations de cette crise tant du côté de la population villageoise que
des groupuscules de fonctionnaires locaux.
(b) Ce refus de donner quelque légitimité à l'autorité de la nouvelle adminis-
tration entraîne, par le cheminement des effets induits, l'émergence, à 11inté-
rieur de l'univers villageois, d'un pouvoir qui se présente comme supérieur' à
l'appareil adffiinistratif, comme matrice unique du pouvoir légitime (le contenu
de cette émergence sera analysée à travers le phénomène Tromba - et ses consé-
quences - qui se manifeste dans des séances de possession où est réalisée la
domination de héros précoloniaux). Ce pouvoir interne, construit par les villa-
geois pour résoudre la crise provoquée par la décolonisation, a la même forme
lue le pouvoir colonial : présence de maîtres étrangers qui dominent une popu-
lation asservie' ; mais i l y a inversion : ce sont les villageois qui sont placés
dans la proximité de ces nouveaUX maîtres, ce sont eux qui jouent le rôle d'in-
termédiaires, et ils tirent de ce rôle, de cette proximité, la seule autorité
légitime. Tout comme celui que contenait la structure coloniale, ce nouveau pou-
voir implique la subordination de tous (dont celle des fonctionnaires), mais
dans cette subordination; ce sont les villageois et non les fonctionnaires qui
occupent la position privilégiée.
Le processus de décolonisation peut être résumé ainsi : le pouvoir
européen colonial créait une communauté villageoise bâtie sur la séparation de
deux cadres de communication, celui surgissant du rapport avec les Européens,
celui des relations entre les villageois eux-mêmes. La décolonisation a entraîné
la négation de la légitimité du pouvoir administratif nouveau, ce qui a eu pour
_. 96 '.

conséquence la résol~tion de la dichotc~ie. Nous analyserons le contenu de ce


processus de résorption: on assiste à la pénétration, dans l'univers de com-
munication interne, de cette domination qui était vécue dans la sphère du rap-
port avec les Européens ; cette doin~,,?+:i.on, les relations qui se créaient en
elle, deviennent cadre des rapports entre les villageois. Cette intériorisa-
tion s'accompagne d'une inversion des rôles, les villageois occupant désormais
la position favorable qui était celle des fonctionnaires subalternes lnalgaches
dans la période précédente.
*
.* *
Une des principales notions qui nous permettront de présenter le
mode de. communication élaboré par les villageois, est celle de "communauté
dans notre étude, ce terme prendra un contenu précis: les acteurs d'un évè-
nement actualisent, à travers leurs paroles, leurs vêtements, leurs g@stes,
l'organisation de leurs positions réciproques, une même condition; cette
condition provient de ce qu'ils'sont, ensemble, insérés dans le rapport avec
quelques personnages réels ou imaginaires que nous appelerons "médiateurs
personnalisés". Entre n'importe quell~s personnes mises en présence existe
une comIDUD8.uté potentielle, et l'évènement est bâti sur le processus de réa~

lisation de cette comnrunauté.


La cOlmnunauté contient donc :
- la condition partagée par le~ 'acteurs de l'évènement.
le rapport avec les médiateurs persnnalisés cormnuns, qui détermine le
contenu de la condition.
- les médiateurs personnalisés dont la présence, parfois réelle, est le plus
souvent cachée.
L'univers villageois est peuplé d'un grand nombre de telles éommu-
nautés, nous ne pouvons en donner une liste exhaustive, La condition de des-
cendant se situant dans le rapport avec les Ascendants .vivants (les Anciens)
ou morts (les Ancêtres) crée une multitude de petites communautés qui s'im-
briquent les unes daris les autres suivant les méandres de la généalogie ; la
condition d'homme et de femme, la complémentarité sexuelle productrice, qui
se réalise dmis le rapport avec une foule de divinités forestières ; la con-
dition générale d'existant surgissant du rapport avec la divinité; la condi-
- 97 -

tion de subordonnés aux maîtres européens; la condition d'asservis aux diffé-


rents Esprits-Tromba qui interviennent dans les cérémonies de possession. Ce ne
sont là que des cadres généraux qui se différencient à l'infini.
Ces cowmunautéssont hiérarchisées les unes par rapport aux autres~

et les transformations internes déclenchées par la décolonisation se situent


dans l'organisation même de cette hiérarchie. Aussi bien durant la période
coloniale que dans le moment actuel~ le cadre de base de la communication doit
être recherché dans la condition de descendant, déterminés par le partage d'un
~scendant qui peut être vivant ou mort. Il ne s'agit pas d'un espace homogène,
ce partage d'un ascendant provoque l'imbrication, les unes dans les autres, des
communautés de descendants, la sphère plus petite se trouvent contenue dans la
sphère plus grande : l'Ancten~ l'Ancêtre, qui était dans la position d'ascendant
dans la première~ est dans celle de descendant dans la seconde. Nous essaierons
de mettre à jour les principeE) qui sont à la base de cette articulation des
groupes de descendants, notœ mettrons l'accent sur le mode d'existence du
médiateur familial qui,· dans un tel processus. est nié chaque fois que l' qn
passe d'une sphère à l'autre.
La communauté des descendants surgit du rapport avec un ascendant qui
est un personnage singularisé: cette singularité attachée à la nature d~ média-
teur familial détermine la singularité du groupe de ceux qui cormnuniquent entre
eux par lui. Ainsi avons-nous des cosmos familiaux étrangers les uns aux autres ~
entre lesquels nulle communication n'est directement possible. Les villageois~

émiettés en groupes de descendants, communiqueront entre eux en réalisant une


communauté dans laquelle se trouvent dépassées leurs diverses appartenances
familiales. Nous développerons l'analyse de ces frontières dans lesquelles est
enfermée la communication dans l'organisation familiale et qui rendent néces-
saire le processus de dépassement.
jf; La décolonisation a entraîné un bouleversement des cadres ,de dépas-
rI
r
j
sement nous allons donc tout d'abord décrire ces cadres tels qu'ils étaient
\avant 1960 et tels qu'ils sont en train de devenir dans la pâriode actuelle.
Période 1.
Le système familial est construit sur la poursuite, en remontant dans
le passé généalogique, de l'Ancêtre commun; aussi y-a-t-il de plus en plus de
gens qui partagent la condition de descendant. Cette. poursuite s'achève dans le
. domaine flou des Ancêtres mythiques 'avec lesquels il n'est plus possible de
_. 98--

renouer les fils. Après la répression qui a suivi la révolte écrasée de 1947,
cette poursui te de l' .Ancêtre partagé SI arrête rapidement, à la 5e génération ;
et nous avons une série de li.gnages de peu d'importance qui sont :i=>0sés les uns
à côté des autres, étrangers les uns d~: autres. Ces gro-~.pes de descendants
dépassent leur rupture. en ré[Ù.isant la condition partagée par tous, de subor-
donnés au pouvoir européen.
La réalisation de cette communauté n'est Qu'une plate-forme pour
atteindre le cadre do dépassemcmt véritable :la communauté où est jouée la
complémentarité sexueJle productrice dé:<ils le rapport avec les divinités fr;-
restières. Le passage de la cO~~lli~uté de descendants à ce cadre de commu-
nication s'effectue dans la continuité: est extraite de la condition d&
descendant ce qui en est la matrice (la dualité sexuelle), et c'est cette:·
origine, partagée par tous les descend2~ts, quels que soient leurs médiateurs
familiaux, qui est réali~ ge. Les médiateurs se créent en une sorte de pro-
cessus d' abstraction : les divinités forestières sont de lointains Ancêtres
qui habitaient la région à une période précédant celle où vivaient les an-
cêtres connus des villageois aciuels.
Nous atteigllons enfin la cowilllQauté universelle dans laquelle la
simple conciition d'exister curgit du rapport avec dieu (Zanahary). Appar-
tiennent à cette comm~TIlauté non seulement les hommes et les fermnes, séparés
au palier précédent, mais.aussi les animaux et les morts.
La continuité qui constitue la passage d'un niveau à un autre vient
de ce que le contenu du cadre de dép2.3seJJlent se crée dans un processus d' abs-
tractionayan-c pour objet J.68 Jlt;meùco..: constitü:,ifs de la communauté qui doit
être dépassée; comme nous le verrons, cette continuité explique 'lue les
Anciens servént d'inte~médiaires avec les médiateurs, donc possèdent l'auto-
rité (les médiateurs ét~~t la matrice de tout pouvoir) à tous les niveaux de
la communication.
l'~I:h9.çL~_n .
Depuis Î 960 les SOTIlITlllYl8.utés de él.épassement que nous venons de si-
gnaler sont violerrment contestées parles agents du Tromba. Ils cherchent (et
réussissent) à imposer, comme cadre de relations, aux groupes de descendants,
la communauté née de l'asservi m:ement aux .cspri ts ; le passage se crée al ors
dans la (~iscor.tinui -t;P.: r::o:mne n0US J.! a-vons vu, le tromba surgit de contradic-
tions à l'intérieur du rapport entre la populatioYi villageoise et le pouvoir
:" :

extérieur ; aussi le contenu de la nouvelle conMunauté de dépassement (intério-


risation et inversion du pouvoir colonial) n'a-t-il plus rien à voir avec le
lignage qui se trouve coiffé de l'extérieur. Cette discontinuité entraîne un
transfert du pouvoir interne: les Anciens, enfermés dans l'organisation des
sphères de descendants, se retrouvent dominés par les agents du tromba, qui
puisent leur autorité auprès de médiateurs auxquels les médiateurs familiaux
sont subordonnés.
Les asservis au Tromba sont di visr~s en groupes, chacun étant relié a
ses propres Esprits ; un cadre dans lequ::ü ils peuvent communiquer entre eux est
nécessaire; nous le découvrirons, par l'interprétation des contraintes astrolo-
giques, dans une condition générale d'asservis à un maître unique (dieu, Ardria-
manitra) ; condition et médiateur provenant dlun processus d'abstraction ayant
eu pour objet la communauté particulière liée à des Esprits singuliers.
Nous ne venons de présenter qu'un résumé très schématique de l' orga-
nisation des rapports entre les villageois. Dans notre étude d'une part nous
donnerons un contenu à ce schéma, nous démonterons surtout le mécanisme du
passage dlune communauté à l'autre, nous approfondirons l'&~alyse des boulever-
sements actuels dont les cadres de dépassement sont l'objet, d'autre part nous
actualiserons cette communication en présentant des évènements dans lesquels
elle est réalisée; nous essaierons d'analyser le phénomène même de l'actuali-
sation dans l'évènement.
- 100 -

"- 10. L'ANTHROPOLOGUE ET L' "UNIVERS VIJUGEOIS" (1)

par Gérard ALTHABE (Sociologue)

-:-:-:-:-:-

Le mode de communication (dont les villageois et nous-même en tant


qu'anthropologue sommes le s acteurs), contraint d'organiser notre démarche
d'investigation de telle sorte qu'elle conserve l'unité évènementielle. E~ ef-
fet, son actualisation se situe à l'intérieur des frontières de l'évènement,
d'où il est impossible d'extraire les différentes manifestations qui la ponc-
tuent· ; leur sens ne peut être dévoilé, si ce n'est comme effet de l'ordre con-
tenu dans l'évènement singulier où elles sont apparues. La discipline que sup-
pose cet enfermement dans l'évènement est difficile quand en est l'objet cette
manifestation particulière du mode de communication que sont les paroles des
villageois; prises ou non dans le dialogue avec l'observateur, elles ne doivent
être dégagées en aucun cas du moment où elles sont dites, de la configuration
formée par les acteurs présents en un lieu précis ; il faut .éviter le piège. qui
fait que les paroles des villageois sont transformées en élément~ auxqu~ls SI ar-
. .

ticule directement l'analyse de l'observateur extérieur. Notre démarche d'inves-


tigation, tant dans le premier moment qui est celui de la collecte du matériau
et qui est le fait de la pratique de l'équipe d'enquête dans sa relation avec la
, .

population, que d~~ le second qui est celui du dépouillement dont ce matériau
est l'objet, doit conserver en elle les différentes unités évènementielles qui
ne doivent être dissoutes ni par les techniques d'enquête, ni par le traitement
dont les résultats sont l'objet.

(1) t~ eous-titren'est pas de l'auteur. Ce texte constitue la conclusion de


l'étude dont le précédent était la présÈmtation (NDL").
- 101 -

La collecte du matériau est donc orientée sur l'enregistrement des


évènements constituant l'existence du village. Deux catégories d'évènements
semblent dès l'abord pouvoir être différenciées: d'un côté ceux qui consti-
tuent la quotidienneté villageoise et dont nous pouvons 8tre les témoins pas-
sifs, d'un autre côté ceux qui sont provoqués par l'équipe d'étu~e elle-même,
comme les réunions dans lesquelles nous cherchons à dégager la conscience
verbale des villageois. Cette dualité est artificielle i elle suppose que
l'observateur peut être, à son gré, par un libre choix, acteur ou témoin,
qu'il peut être dans, ou hors de, l'évènement. L'évènement étant la réali-
sation de la communauté potentielle existant entre les acteurs présents,
l'observateur y est donc obligatoirement, il fait partie de ses acteurs et
ce, qu'il se veuille témoin ou animateur. L'observateur (1) est acteur de la
réalisation .de la communauté : il peut être objet ou sujet de la médiation,
c'est-à-dire il peut réaliser une communauté avec les viJlageois, ou être
lui-même le médiateur par rapport auquel se réalise une communauté. Cette
inclusion de l'observateur dans l'évènement est le secret de la situation
d'étude: les manifestations cérémonielles auxquelles il peut assisterse-,
ront organisées 'autour de sa présence;le sens apparent du contenu verbal
d'une réunion qu'il a suscitée est dominé par un sens c~ché qui doit être
recherché dans la communauté que les villageois actualisent dans, et par
leur rapport avec lui, lors de cet évènement particulier.
Si l'observateur est nécessairement acteur de l'évènement, il est
des évènements auxquels i l ne peut; avoir accès, par rapport auxquels il est.
un. étranger, plus exactement dans lesquels, il ne peut mêllEpas jouer son rôle
d'étranger. Ainsi l'U11iversvillageois, les évènements qui le composent, for-
ment un espace dont certaine~ zones sont accessibles et d r autres non. L'in-
.clusion ou l'exclusion de l'observateur dépend de la possibilité ou de l'im-
possibilité qu'il a d'être acteur de l'évènement, c'est-à-dire de sa possi-
bilité ou de son impossibilité de jouer le rôle de médiateur, ou d'être pris
dans une communauté p~rtagée avec les villageois. Cette exclusion ou·cette
inclusion se traduisent aussi bien dans l'accès possible ou impossible aux
évènements que dans les sujets traités dans les réunions, qui se divisent

(-1) Ce mot désigne une équipe compos~e d'un 'européen et de un ou deux colla-
bo rateurs malgaches.
- 102 -

en thèmes permis et en thèmes interdits. L'observateur court le risque de rester


. enfermé sans le savoir dans le tourbillonnement de la secle communauté dans
laquelle i l lui est possible d'être acteur et qui se IJ1.anifeste à lui sous des
formes des plus diverses.
Le personnage que joue l'observateur dans l'évènement n'est pas déter-
miné une fois pour toutes : pendant la durée de sa présence palni la population,
i l peut varier dans un possible dont les limites sont définies par l'univers
villageois lui-même; la stratégie dé la démarche d'enquête portera justemetit
sur la maîtrise des variations du personnage de l'observateur, obligatoirement
acteur de cette commurücation qui est objet de son investigation.
Quel contenu prend le rapport qui s'établit entre l'équipe d'étude et
une population villageoise qui est le lieu de son intrusion? Ces étrangers,
européens et malgaches, sont des agents du pouvoir extérieur; ils appartiennent
à ce "FANJAKANA" qui englobe en une même solidarité tous ceux qui, au dehors de
la masse villageoise, entrent en relation avec elle, ce contact contenantnéces-
sairement sa traduction en termes de domination .. Cette appartenance ne peut
qu'être confirmée par les démarches administratives nécessaires pour obtenir la
permission de s'installer dans un village. Notre appartenance objective au
pouvoir extérieur prend un contenu évident ~e par le mode même de fonctionnement
de ce pouvoir, qui ne nous permet pas de circuler et de nous installer librement
dans les villages; il nous faut un papier officiel, et il nous faut nous pré-
senter en tant qu 1 envoyés des autorités supérieures, à toUs les échelonsadm'i-
nistratifs, jusqu'au chef de canton, qui nous octroie un papier destiné aux
chefs de village. Ne point suivIe une telle procédure entraînerait notre dénon-
ciation immédiate (la dénonciation systématique des étrangers étant une des
nécessités élémentaires de ce système ·de pouvoir). Dès le départ, i l nous faut
connaître la situation régionale du rapport entre lés agents du pouvoir et la
population; cette situation varie suivant la personnalité du sous-préfet ou du
chef de canton (1) et suivant le moment (rentrée fiscale prenant des formes par
trop délirantes; période pré ou post électnrale). La présentation durant la-
quelle nous affirmons notre indépendance en ce qui concerne le pouvoir adminis-

(1) C'est le propre d'un tel pouvoir, de par la confusion du contenu des lois
et des règlements, que de permettre une autonomie considérable à l'expression
des particularités personnelles de ses acteurs.
- 1.03 -

tratif, partant, la non nocivité de 'notre présence, est p8rçue comme une ruse
dont l'objectif est d laccroître la domination par la découverte des moyens uti-
lisas par les villageois pour se protéger contre elle. Les relations entre les
deux termes peuvent être, dans une région particulière, dans une telle situa-
tion de tension ·qu'il nous est inutile de continuer: de par le jeu de notre
liaison avec les agents du pouvoir, nous risquons de ne point réussir à nous
libérer de cette solidarité, et de la ruse qui Gn est l'effet. Notre appar-
tenance au pouvoir extérieur nous est indirectement dévoilée par les villa~

geois eux-mêmes, qui nous font le récit d'évènements dans lesquels sont mises
en scène leurs relations avec les agents administratifs, récits 'où sont il-,
lustrés, sans passion, les turpitudes et l'arbitraire des 'fonctionnaires et
assimilés.' Ces récits ;peuv'ent être objets de contresens: ÙS 'ne: 's'ont inûlleriùmt
des dénonciations des agents locaux ï ils sont la réponse à notre présentation,
à notre demande de dialogue ; ils sont la forme prise par un refus ; les vil-
lageois désignent par eux la rupture existant entre eux et nous, il nous est
dit que notre ruse est découverte, qu'il nous faut partir.
La permanence de notre présence provoque une transfo:rrration du mode
d'existence que nous prenons, dans notre rapport avec les villageois~ Au dé-
but de la période d'enquête, nous sommes des agents indifférenciés du poti-
, voir extérieur; puis, peu à, peu, nous devenons un groupe composé d'un E;u-

ropéen entouré de subalternes malgaches. Nous devenons les acteurs involon-


taires d 'une reconstitution de la situation coloniale passée: ainsi l' obs,er-
vateur européen se reconstruit-il en tant que maître étr~ger,ses collabora-
teurs se retrouvent'-ils être des dominés colonisés. Cette transformation peut
être décelée, entre autres, par trois signes:
(1) Dans les évènements où nous sommes présents, la position la plus honorable
est donnée à l'Européen fonctionnaires, notables et villageois renouvellent
les· gestes et les paroles de leur subordination. Nos seuls interlocuteurs sont
les fonctionnaires lOcaux et les notables qui, d'ailleurs, mlQtiplient à plai-
sir les occasions de nous exhiber, qui nous invitent à tous les évènements
dans lesquels ils entrent en contact avec les villageois, et qui offrent à
ces derniers le spectacle de leur propre subordination à notre égard ) ce
n'est qu'après qu'ils jouent, éventuellement, le rôle de leur pouvoir sur
les assistants.
- 104 -

(2) Le processus peut être suivi, d'une ID8nière plus indirecte, par le s r8ci ts
qui nous sont faits. Alors que les premiers qui nous étaient présentés mettaient
en scène les agents actuels du pouvoir administratif, peu à peu ils prennent un
contenu ,historique, l'administration coloniale euro_~enne en devenant la \~QGtb.

Sont narrées avec détails les contraintes de l'exploitation coloniale, les hor-
reurs des répressions militaires. Des administrateurs européens, dont le nom
est précisé, deviennent les personnages terrifiants d'un passé d'asservissement
malheureux. Comme lors des premiers contacts, les récits. sont utilisés pour
dévoiler la situation : ils désignent la rupture entre nous, les étrangers, et
les villageois, et ils donnent à cette rupture son nouveau contenu.
(3) La légende de l'arracheur de COelIT (mpaka-fo) est une expression imaginaire
de la structure coloni.ale ; lentement, l' observateur •européen et se~ colla bo-
rateurs sont perçus corr~e les acteurs réels de la construction imaginaire, et
les terreurs qui accompagnent. cette nouvelle forme d'existence sont signes,
elles aussi, du travail qui fait de nous les personnages à travers lesquels
revit la situation coloniale.
Notre présence doit être placée dans la crise née de la décolonisation,
telle. qu'ell'3 a :été décri te, et qui a pour acteurs les villageois et les agents
du pouvoir extérieur. La conservation de la structure d'un pouvoir bâti sur la
présence de maîtres européens, et l'élimination.de ces étrangers au profit de
leurs subalternes malgaches a· provoqué une crise qui a été décelée dans deux
domaines:
- dans les relations entre les villageois et ·les fonctionnaires ,ces derniers
cherchent à recouvrer U!1e légi~i.l.,_i;é qui leur est délliée depuis l'exclusion des
Européens enmi~ant, avec frénésie, les anciens Dlaîtres, derranière à -être
reconnus comme leurs héritiers.
- dans le mode -de communication villageois, avec l 'appg.ri tion d'une -autori té -
interne imaginaire qui est inversion de la ~tructure coloniale au profit des
villageois, intermédiaires nécessaires auprès des maîtres auxquels, théorique-
ment, les fonctionnaires sont subordonnés,
La présence d'un groupe d'étrangers dans lequel il y a un Européen et
des collaborateurs malgaches est utilisée pour effacer la crise ouverte par la
disparition des Européens. Les dernières alTIlées sont gommées et la situation
coloniale perdue' se recrée. Cette .utilisation de notre présence se fait avec la
complicité des deux parties : les fonctionnaü'es, en exaltant devant tou::, leur
- 105 -

subordination à un Européen redol~nt légitimité à leur autorité; les vil-


lageois, témoins de ce spectacle, le préfèrent à celui qui leur est offert
depuis l'Indépendance, celui dans le quel les fonetion.YJ.aires se présentent
c~mme ·l~s anciens maîtres étrangers. Cette complicité des villageois ne doit
pas masquer le fait que notre présence dénoue la crise au profit du pouvoir
des fonctionnaires ; nous représentons une solution conservatrice qui brise
la contestation du pouvoir intervenue depuis 1960.
Qu'est donc véritablement cette sorte de solution de la crise pro-
voquée par notre présence ? Elle apparaît comme une dissolution artificielle
en effet, elle n'existe que dans les seuls évènements 011 nous sommes acteurs
en dehors de notre présence, la crise continue à se manifester normalement,
que ce soit dans le domaine des rapports directs entre les villageois et ies·
fonctionnaires, ou bien dans les effets induits qu'elle a dans la mode de
communication villageois. La crise disparaît uniquement dans les évènements
dans lesquels nous sommes acteurs ; ainsi nous sommes les seuls pour lesquels
elle semble avoir disparu; pour nos partenaires, il ne s'agit que d'un effa-
cement temporaire.
Les évènements dont nous sommes les vedettes sont l'actualisation
de la dissolution de la crise ; les gestes et les paroles de subordination
sont outrés. Il s'agit de cérémonies dans lesquelles les fonctionnaires et
les villageois réalisent la subordination en exagérant sos manife$tations
pour en rendre le sens évident i ces évènements ressemblent à ce moment de
l'enterrement dans lequel les anciens, les femmes et les hommes actualisent
les rôles respectifs de l'ffilcien, de ia femme et du mari, d'une manière appuyée
(ainsi les conseils donnés par les anciens) et sur un objet quasi inexistant
(ainsi l'homme qui fait semblant de nettoyer le pourtour de la maison avec un
simple bâton manié comme un balai). Malgré
. ,.
une apparence identique, ces deux
évènements ne peuvent être comparés. La réalisatio~,par les membres de la
délégation, des rôles contenus dans le foyer, est·prisedans la pratique de
l'articulation des communautés, l'outrance du jeu est un élément de la réali-
sation du dépassement ; les gestes et les paroles des acteurs ne prennent leur
sen~ que~orsqu'ils sont replacés dans la chaîne à travers laquelle s'arti-
culent ·les différentes communautés. Dans les évènements où nous sommes les
vedettes, il n'en est rien: le jeu de la subordination est théâtral, il se
suffit à lui-même, i l n'est en aucune façon.moment d'un dépassEimentsil est
en dehors du déroulement du mode de communication.
- 106 ...

Ces cérémonies sont réalisation d'une nostalgie : les adversaires,


séparés par la décolonisation, y jouent temporairement la communauté perdue,
celle qui existait dans la servitude aux maîtres européens. Elles sont une pause
dans laquelle nI est décelable aucune remise en question de la situation dontern-
poraine qui sépare villageois et agents du pouvoir extérieur, chaCUll poursuivant
une impossible domination de l'autre. Cette rupture est momentanément effacée
dans un jeu théâtral qui est pur spectacle, représentation de l'unité perdue
(c'est là le noeud de la complicité signalée précédemment). La seule leçon que
nous puissions tirer de nos mésaventures involontaires est la confirmation que
la crise $~ ~lt~e dans les fr0utières de la structure coloniale i il est néces-
saire qu'il en soit ain~i pour que puisse intervenir une opération consistant à
l'effacer artificiellement, en reconstituant, au niveau du spectac+e nostalgi~,

la situation dans laquelle s'inscrit la mise en question (1) (2).


Manipulés sans le savoir.dans un tel jeu, vedettes involontaires de
~ette reconstruction nostalgique, jouant des rôles qui nous restent inconnus,
exclus des évènements lorsqu'ils sont terminés ou qu'ils n'ont pas d~ raison
d'être, trimballés de fonctionnaires en commerçants, de commerçants en notables,
nous restons prisonniers de la construction théâtrale dans laquelle les gens
nous ont peu à peu enfermés et, en dehors d'elle, nous n'avons accès qu'à des
des bribes incohérentes pour nous de l'univers villageois.

(1) Les collaborateurs réagissent souvent contre leur propre emprisonnement .dans
cette reconstruction artificielle (qui les place dans une situation ambigiie en-
tre : être des satellites liés à l'Européen, et être dans la communauté des
asservis à ce même Européen) en se présentant faussement èomme des envoyés de
l'autorité centrale. .

(2) L'observateur enrermé dans cette situation nia acoès qu'à des manifestations
de l'univers villageois qui lui apparaissent cha.otiques dans la mesure où, sans
le savoir, d'une. part il n'a eu accès qu'à des zones limitées, non autonomes,
dont la rai son se situe hors d' elle, dans les espaces interdits, d'autre part il
~ été l'acteur des manifestations qu lil a enregistrées, et le sens de ~ propre
présence ne lui est pas intelligible. Alors, devant ce qui est pour.lui un chaos,
il cède à la tentation de placer ces manifestations désordonnées dans un ordre
qui leur est étranger, qu'il produit lui-même en dehors de son rapport avec
l'uniVers villageois. Peu à peu les diverses manifestations sont émiettées,
fossilisées ; elles sont extraites - rendues faussement autonomes - de la pra-
tique d'enquête et d'interprétation qui les produit, et elles deviennent des
exemples illustrant un ordre qui leur e·st étranger.
- 107 -

_ Notre présence créant des évènements théâtraux dans lesquels est jouée une
dissolution de la' crise, celle-ci s'effacB systématiquèmentdevant nous, tant
dans ses effets directs (relations fonctionnair~s-villageois) què dans ses
effets induits (pouvoir villageois imaginaire). Si, par un hasard veriant de
notre cohabitation, nous surprenons quelques parcelles des manifestations'de
tels effets, nos demandes d'éclaircissement se heurtant à un mutisme que rien
ne peut briser; il nous est en particUlier impossible d'établir la corréla-
tion entre la crise'et ses effets internes, si ce n'est, paradoxalement, par
cette' s6riede cohé:ri:mce existant entre les exclusions, les silences, les
refus de répo!Jd~e~'Si, parexemplo, nous sormOOs rejetés des cérémomes de
possesslon,' c'est parce que 18, tromba est la traduction, dans le mode de
communicat:i.àü'villageo:Ls, de la crise Gluverte'dans la relation avec le pou-
voir extérieur i o~nbtréprésence ne pouvant eXister que dans une disso-
lutic'm 'théâtr8l'e dera' crise; eile es't lmpossible dans un évènement céré-
mOnial'qUi est T' actUalisatiort 'de 'cètte' même' crise ~
- End8h~rsdesév~nements théâtraux' dansfesqu~is sléffaée, au niveau dù
spectaole, la crise;' nous •avons "accès à UIl Uriique domaine du mode de commu-
nicationvillageois , celui' dans lequel' les' gens' dépassent leurs différences
en actualisant leur communauté d'~sservis aux étrangers; nous pouvons être
présents, parce que nous jouons le ~ôl~de médiateur étranger, mais nous
restons incapable de situer la place de cette communauté particulière. En
effet, nous sommes expulsés des autres moments, notre rôle terminé ; "or Hi""
lieu de l'analyse n'est pas le contenu de la communauté, mais son articula-
tion avec ce"dont elle est le, dépasseIœnt et le cadre dont elle est la voie,
d'acéès.'Noùs n'avons même pas la 'possibilité de soupçonner l'existence d'une
telle articulation.
- Les entretiens individuels et les réunions que nous organisons ont un con-
tenu verbal déterminé par ,la communauté des asservis que nos interlocuteurs
jouèntà notre égard. Si le thème que nous proposons ne se situe pas dans
.~'espace limité de signification constitué par l'expression de cette commu-
"-nauté, il est objet d'un'refus de parler qui nous reste incompréhensible.
Doit donc être brisé le développement spontané inscrit dans la
situation de départ dans laquelle nous sommes ,des agents du pouvoir exté-
rieur: de parla présenced 'un Européen dans l'équipe cette appartenance"
nous transforme en acteurs de la solution artificielle de la crise 'qui,
- 108 -

depuis 1960, met aux prises les villageois et le pouvoir administratif. Le coup
d'arrêt à cet inéluctable peut être donné dans deux domaines:
(1) Il nous faut brutalement rompre tout contact avec les fonctionnaires locaux,
les commerçants et les notables qui sont tous objectivement des membres du pou-
voir extérieur ; ne pas accepter de fs.nger 8t de loger dans leurs maisons, ne
point répondre à leur invitation de servir d'introducteurs, voire d'interprètes,
dans les villages. Cet évitement systématique est difficile à réaliser du fait
de la complicité existant à notre égard entre les agents du pouvoir et les vil-
lageois : les premiers cherchent à nous attirer pour nous exhiber, les seconds
nous présentent les fonctionnaires et les notables comme étant leurs seuls
représentants rappelons nos mésaventures du début de l'enquête, dans lesquel-
les les seuls interlocuteurs gue nous rencontrions étaient les concessionnaires
merina qui répondaient à nos discours, au milieu des villageois devenus specta-
teurs passifs et faussement indifférents.
(2) Le deUxième domaine est celui des relations qui, dans l'équipe d'étude, se
créent entre l'Européen et les collaborateurs malgaches. Les rapports entre les
deux termes ne doivent pas pouvoir être vus comme étant l'actualisation de la
structure coloniale de domination ; cette perception renforce, accélère, le
processus de recréation de la situation coloniale artificielle dont nous sommes
les acteurs inconscients. Le piège contenu dans les rapports internes au groupe
d'étude est difficile à éviter dans la mesure où les simples relations d'auto-
rité sur lesquelles est construite l'organisation du travail d'enquête sont
obligatoirement interprétées en termes de domination coloniale, c'est elle qui
donne son mode d'existence à une autorité qui n'apparaît que comme étant un de
ses effets. L'étude doit donc êt~ebâtiè s~la participation effective de tous
. '. . ' . .

ses membreS; c'est erisemble, en particulier, qu' ils doivent élucider le mode
d'existence que prend l'équipodans la population, et qu'ils doivent mettre au
point une stratégie destinée à éliminer les blocages contenus dans ce mode
d'existence particulier. . .
. .
Notre pratique pour casser le développement contenu dans notre situa-
tion de départ ri'a été jusqu'à présent que négative, elle n'a fait que créer
une situation ouverte rendant possible la poursuite de l'investigation. En ef-
. .
fet, si cette phase négative reste isolée, elle ne peut qu'être réinterprétée à
travers la structure de domination, elle devient rapidement pour les villageois
un simple prolongement, un raffinement tortueux, de la ruse 'qui est celle de
l'observateur quand, dans ses premiers discoUrs, il se présente en offrant le
dialogue.
- 109 -

L'équipe d'étude est obligatoirement actrice des évènements dans


lesquels se manifeste le mode de communication villageois i si elle ne cons-
truit pas une pratique consciente maîtrisant son inclusion, celle-ci s'effectue
d'une manière telle que l' observateUl est rejeté, en perJanence, hors de l'u-
nivers villageois : i l e'st acteur d'une situation artificielle bâtie sur un
retour mythique au pas~é colonial. L'observateur est donc contraint de
s'intégre~d'une manière consciente, dans la dynamique dont l'univers villa-
, geois est actuellement le lieu, d'utiliser au maximum ce qui, dans cette
~yn~~ique, peut favoriser son objectif de connaissance. L'Indépendance, en
ouvrant une crise dans, les relations entre les villageois et les agents du
pouvoir extérieur, a provoqué une révolution interne! il y a intériorisation,
dans l'univers d~ communication villageois, du rapport avec l'étranger domi-
nant, qui devient un des cadres de relations entre les, villageois, alors que
précédemment i l était celui de leur relation avec le pouvoir administratif.
Cette intériorisation du rapport de domination exercé par un maHre étranger
se fait par l'émergence d'un pouvoir imaginaire qui est inversion de la
structure colonial,e disparue. Les villageois se présentent comme les inter-
médiaires des seuls maîtres légitimes, rendant ainsi illégi.time l'autorité
administrative réelle.
Rappelons que le tromba rend possible l'intériorisation de l'é-
tranger mais à la condition qu'elle s'effectue dans le cadre gBnéral de la
subordination aux esprits ( ••• ).
LI équipe d' investi.. ation doit se situer dans ce possiblE?, et se
lancer d'une ~nière consciente dans l'~venture de sa propre intériorisation
elle doit devenir acteur du processus qui est à la base du moment historique
contempora:in. L'étranger ne. peut s'intérioriser dans l'univers villageois
qu'en se s01J.ID.ettant au préalable à la domination du pouvoir imaginaire ,i

cette accePtation doit être dès l'abord-présentée verbalement aux villageois,


qui restent longtemps sceptiques. Cette affirmation réitérée sera couronné~

par l'invitation ~ participer à une cérémonie où les maîtres nouveaux se


,manifestent,
~.
et où se joue la nouvelle subordination
.
i les membres
. .
de l'équipe
d'étude sont alors impliqués dans une même communauté avec les villageois.
En acceptant la domination des esprits tromba, l'observateur devient
l'acteur ,d'un processus d'intériorisation dans lequel il est pris comme
étranger et qui le place au centre de l'univers villageois cette position
aun contenu qtJ,i peut être défini dans deux domaines :
- 110 '-

-Notre présence est insérée dans la crise des relations entre les villageois
et les agents administratifs, mais i l s'agit d'un mode nouveaU d'insertion qui
n'est, en aucune façon, identique à celui qui était le nôtre lors de la recréa-
tion artificielle de la situation coloniale passée.
- Placés au coeur de l'univers villageois, notre position est déterminée par
les effets induits de la crise; en particulier elle se situe dans le processus
qui enlève une part de leur autorité aux Anciens, intermédiaires de la médiation
familiale, au profit des agents du tromba.'
(1) Généralement, en ac~eptant la domination du pouvoir villageois
imaginaire, nous nous plaçons da~sune situation de conflit avec les agents
administratifs du pouvoir et les notables qui leur sont liés. Notre refus de
devenir les acteurs involon.taires de la r' ,,:ollstruction de la sit~tioncoloniale
perdue' provoque une a:nertume chez les agents du pouvoir ; nous avons refusé de
nous prêter' à la création d'une légitimation artificielle de leur pouvoir, rôle
qu'ils croyaient pouvoir attehdre évidemment dé la part d'Un Européen et de '
collaborateurs malgaches qui lui sont attachés~ Surtout, accepter la domination
du pouvoir ima€;inaire concurrent, crest résoudre la crise au pro fi t des villa-
geois : les fonctionnaires sont, pour les villageois, assujettis aux nouveaux
maîtres qu'ils servent ; Ina:lS, pour les fonctionnaires~ ce sont les villageois
qui leur sont subordonnés, dans la mesure où ils sont les héritiers des Euro-
péens, et ils rejetant léur subordination thé6rique contenue dans le pouvoir
villageo·is. Nous qui, Objectivement, appàrtenons à ce pouvoir exté:r:ieur, noUS
réalisons concrètement ce qui est théoriquement contenu dans le pouvoir concur-
rent, nous donnons' une victoire d'un poids considérable aux vil1a~ois en
présentantcomnie possible ce 'qui n'était, jusqu'à notre'a:rrivée, qu'imaginaire
et, en même temps, nous enlevons toute valeur à l'entreprise des fonctionnaires
de puiser,'dans le mime des Européens, leur propre légitimation. Le petit monde
. ..'
des agents administratifs locaux voit rapidement 'en nous un objet de scandale,
des ennemis à abattre. Ce cOnflit est urie nécessité, il est la condition de la
possibilité de poursuivre notre investigation, mais il est dangereux dans la
mesure où il peut très facilement se traduire par notre expulsion de la région
d'étude.
(2) Les effets de l'émergence d'un pouvoir imaginaire concurrent de
l'autorité réelle ne se limitent nullement aux seules relations avec les fonc-
tionnaires et les 'notables ; dans l'univers villageois lui-même, la communauté
- 111 -

des subordonnés aux esprits s'impose, sous l'impulsion de la fraction de pos-


sédés, comme le seul cadre de dépasselIEnt des lignages, éliminant ceux qui
s'élaboraient dans le système familial. Ce transfert se traduit par une mise
en tutelle des anciens par les servitel~s de la nouvelle autorité. Les chances
de réussite de notre intériorisation en tant qu'étrangers dépendant de la
position, au moment précis de l'étude, du tromba et de ses agents dans lluni-
vers villageois. Si nous nous présentons dans la phase de conflit aigü entre
les deux parties, nous sommes utilisés par les agents du tromba COffiJœ argument
dans leur attaque contre les anciens ; cette utilisation provoque notre rejet
systématique des cadres de conmunication familiaux : les Anciens, victimes de
notre présence, refusent avec une violence qui nous reste incompréhensible,
de prendre contact avec nous. Manipulés par les uns, rejetés par les autres,
nous sommes incapables d'avpréhender le conflit dont nous son~es les acteurs,
une fois de plus, involontaires et aveugles. Pour que notre intériori~ation

puisse s'effectuer sans qu'elle soit enjeu de ~onflits internes, il est néces-
saire que les agents du tromba aient remporté la victoire, que le mode de
communication villageois ait subi la mutation qui fait de la communauté
créée dans l'asservissement aux espri ts le seul cadre de dépassement des
lignages. Ainsi nous ne pouvons prendre place à l'intérieur de L'univers
villageois que par le possible ouvert par le tromba, cette opération ne peut
s'effectuer de manière favorable à notre objectif de connaissance que si la
nouvelle ~rganisation apportée par le tromba est largement mise en place.
Une fois situe dans l'univers villageois en tant qu'Etranger, nous
aVons l~bre accès à tous les évènements dans la mesure .où nous y avons tou-
jours un rôle à jouer; en effet, nous faisons partie de la communauté de
dépassement constituée par les rapports qui se créent dans le tromba, nous
nous reconstruisons à travers elle. L'évènement étant bâti sur le dépasse-
ment de l'appartenance familiale, nous devenons un acteur possible autour
duquel peut s'effectuer ce processus. Le seul àomaine où nous risquons de
rencontrer un certain rejet est celui des rapports familiaux i là, notre
présence est inutile dans la mesure où le dépasseœent se fait dans l'englo-
bement des acteurs dans la relation avec des médiateurs familiaux qui se
situent le long de l'échelle généalogique. Les cas de rejet seront peu nom-
breux il est rare que le dépassement par l'englobament des médiateurs fami-
liaux ne débouche pas sur le dépassement de la médiation familiale elle-même,
et alors les acteurs de l'évènement pénètrent dans le lieu où notre rôle
d'étrangers subordonnés aux esprits tr'Omba peut intervenir.
- 112 -

Nous ne po~wons nous contenter de profiter de la seule possibilité


d'accès ouverte par notre intériorisatian et dans laquelle nous conservons un
rôle passif qui fait de nous des objets définis par le jeu du déroulement du
mode de communication villageois. Nous pouvons désormais donner à nos per~on­

nages d'étrangers englobés dans les relations entre les villageois une pratique,
et cela en réalisant les potentialités contenues dans notre position de média-
teur telle qu'elle nous est donnée. Nous sorWJ~s, dans l'univers villageois, des
personnages extérieurs, en qui et par qui peuvent se dépasser les ruptures;
nous pouvons devenir l'acteur principal du processus constitutif du mode de
communication: la recréation continue de la communauté en per~anencebrisée,

nous pouvons faciliter le déroulement de cette recréation. Ce rôle nous est


dl ailleurs demandé parles villageois eux-mêmes, qui viennènt· nous proposer de
résoudre leurs conflits, de provoquer des réunions où s'élaborent les compromis,
d'ôtre présents aUX cérémonies où s'actualise la communauté reconstruite. Ces
propositions qui, à partir d'un moment précis, tendent à se multiplier sont des
signes nous permettant de suivre la progression de notre intériorisation. Nous
ne pouvons pas ne pas y répondre, et ainsi l'actualisation de l'organisation
des rapports entre les villageois tend à passer de plus en plus par l'équipe
d'enquête. En jouant pleinement notre rôle de médiateur, nous avons la possi-
bilité, par l'enregistrement des évènements où nous le réalisons, d'atteindre
le lieu le plus abstrait du mode de communication: la rupture et la recons-
truction des communautés, leur articulation par le dépassement, la durée qui se
créedans ce mouvement de cassure et de reconstitution, le mode de transformation
qui est tentative d'imposer une nouvelle forme de médiation ou une nouvelle
configuration des articulations des communautés. Ce domaine reste hors de notre
portée si nous nous contentons d'enregistrer les évènements (même si nous avons
accès à tous) et d'organiser des réunions qui nous enferment dans la seule
conscience verbale.
- 113 -

"- 11. UN3 ETUDE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE


DANS UN GROUPE BI-ACCULTURE

par Roland DEVAUGES (Sociologue)

-:-:-:-:-:-

L'étude dont il va être question ici n'est pas encore achevée: elle
est en cours d'analyse et d'interprétation. Pour cette raison, on ne donnera pas
de résultats, qui ne pourraient être que partiels ni de conclusions, mêml;:l provi-
soires. On se limitera à décrire les faits qui lui ont donné naissance, à défi-
nir le cadre théorique dans lequel on a choisi de les étudier et à indiquer les
méthodes suivies pour en faire une observation systématique. On s'attachera
surtout aux problèmes particuliers soulevés par une recherche de ce genre lors-
qu'elle est conduite en milieu "ethnographique".
1 • Définition et point de départ.
Cette étude a pour point de départ l'analyse dynamique -c'est~~dire
considérée dans leurs conditions d'apparition et de variation- de certaines
attitudes observées parmi des populations ayant subi la colonisation. 'Elle a
""":'~--'.~~

é,té suggérée par une série d'observations directes sur des comportements de
types très différents et apparaissant dans les circonstances les plus variées.
Ces comportements -individuels ou de groupes- avaient pour caractéristique
commune la réversibilité, l'instabilité des réactions affectives qui les accom-
pagnaient, leur extrême sensibilité aux évènements extérieurs ou à des circons-
tances délibérément provoquées et l'existence de contradictions entre ces com-
, ,

portements les uns avec les autres ou avec les opinions émises à leur propos,
etc ••• Ils donnaient l'impression que l'individu ne parvenait pas, à leur ni-
veau, à établir un "bilan" stable, et à y conformer ses actions.
Dans une première phase exploratoire, une observation plus attentive
des faits a permis de définir certaines "dimensions" importantes de ces phéno-
- 114 -

mènes. Il est apparu en premier lieu que les objets au sens large auxquels ils
s'attachaient n'étaient pas queiconques. Ils avaient toujours d'une manière
plus ou moins directe, plus ou moins durable, un.e relation avec l'un des deux
fonds socio-culturels en présence, coutumier ou "occidental". Le comportement
instable manifesté a leur endroit avait toujours pour arrière-plan une prise
de position définie a l'égard de l'un ou l'autre ;,qsi ces fonds ou, mieux encore,
l'expression d'un-choix entre les deux. La relation avec la situation colo-
niale antérieure paraissait évidente.
L'examen des circonstances qui le~ entouraient a montré de même
qu'ils étaient liés a des changements dans le contexte, dans la "situation"
dans laquelle intervenait l'objet qui provoquait ces réactions d'incertitude.
Là encore, on retrouvait, et de façon souvent très explicite, les deux fonds
culturels existant et, plus precisément encore, les divers épisodes histo-
riques, passés o~,actuels, ayant accompagné leur mise en présence.
Il est apparu enfin que ces attitudes ambivalentes se manifestaient
le plus 'fréquemment et le plus nettement parmi'les éléments les plus cultivés
, 1

de la population et qu'elles recevaient une forme particulièrement élaborée


dans les écrits politiques des essayistes africains. Toutefois, une obser-
vation plus attentive a montré <iu'elles existaient également dans les groupes
restés plus à l'écart du fait colonial et de la culture occidentale. Elles y
1
apparaissaient toutefois à propos d'objets différents, ou dans un sens parfois
contraire, et empruntaient généralement d'autres formesd'expression','--inéfiance
et évitement par exemple, que les modes d'expression polémiques adoptés par
les écrivains politiques.
,2. L'hyPothèse de départ.
r 1

e' L'hypothèse construite a partir de ces faits et prise pour point


de départ d'une étude systémat{que a été que la situation coloniale ~ par, la
mise en cçmtact, de sociétés et de cultures diffêrentes et inégales -et par les
conditions de rivalité que la domination exeraée dans divers domaines 'par un
groupe sur l'autrè- créait électivement ces types d'attitudes.
Les colonisés vivent en effet dans un,univers socio-cUlturelque
l'on peut se représenter comme bipolarisé entre la coutume et la modernité,
et rapport~nt un grand nombre d'él~ments de cet univers a un fond culturel
ou à l'autre. Cette attribution ~e fait d'ailleurs selon des mécanismes psycho-
logiques complexes et doit être étudiée non pas au niveau de l'origine objec-
tive des objets, mais a celui de la significai~on qui leur est attribuée :
- 115. -

par exemple, la bassine émaillée et lè pagne',' pourtant fabriqués en Europe,


sont devenus des symboles de la manière de vivre "à l'Africaine". Dans de mul-
. .
tiples circonstances de sa vie, l' ~,M.ividu esLcondui t à s'affirmer par rapport
à ces objets et par suite, à ce .qu'~lssymbolisent ; parfois même il doit
choisir entre deux objets, ou deux modes de vie., dont chacùn:'re,présente l'une
des orientations en présence.
La situation coloniale aurait pu aboutir à une simple juxtaposition
' . ,
des cultures et des modes d' organisation sociale, entre lesquelles l" individu
aurait choisi librement. En fait, l'~lément de domination qui lui était associé
et la réaction des colonisés à cette. domination ont introduitlll1 élément con-
flictuel, à la fois entre les populations, entre les structures sociales et
entre les cultures en provenance de cette double or~g1ne.

Là encore, on part de l'idéeque le conflit n'est pas simple. Les


Africains auraient pu accepter ourèjeter en bloc soit·lacoutume;
_--.-.""""",,,--
soit l'OcGi- ,..,""~~.

dent. Nais le caractère "attrayant" de'la culture apportée'p~r_le civilisateur

------
- rendant caduques, vo.ire, 'ridicules les productions de :la cultuie traditionnelJe-
..•
s'opposait aux reactions d'hostilité provoquées par sa domination,affectant
ainsi d'une dOUble
, signification
.. les divers aspects de son apport et de sa pré-
sence et -du même coup- les éléments couturriiers qui leur correspondaient •
./
Chacun des deux systèmes culturels double (ou multiple) participait ainsi à un
système de valeurs 'de sens, contrair~s, de telle.sbrte que chaque prise de posi-
tion ou chaque choix en faveurd'lffi objet identifié ·dans l'une de ces cultures,
s'il était approuvé dans t'un des systèmes, se trouvait rejeté dans l'autre.
Ainsi se constituaient dans la vie quotidienne une multiplicité de situations
.. ~

où l~s op~ions et les déCisions ne pouvaient être que conflictuelles~ L'impor-


taiice et le caractère ~ff~ctivement' ttès':chargé" d'es systèmes de valeurs mis 'en
,cause, - fierté nationale 'OU culturelle, désir de promotion sociale en termes
.,-'~-~,---'_
.........."~ , , - '

occid~ntaux, etc ••• - la multiplicité ~t la permanence des situationS dans .


lesquèlles ils intervenaient pouvaient alors être tenus pour responsables de la
création de ces attitudes d'ambivalence; dont les traits décrits précédemment
ne constituaient alors que des manifestations fragmentaires. On a supposé ici,
- et pris cette idée pour hypothèse de travail -que ces a1.~~e~~g~ambiya­
lence, se structuraient en syst~meB étendus et durables et conditionnaient de
façon profonde la personnalité du coloni~é. La force presque égale des systèmes
de valeur en antagonisme pris en jeu par ces attitudes expliquait alors la
- 116 -

réversibilité des choix, selon qU,lune stimulation, intérieure ou extérieure


privilégiait momentanément un système aux dépens de l'autre.
3. L"observation systématique des phénomènes.
3;1. La détermination des domaines particuliers de collecte.
La nature du problème à étu~ier et les hypothèses faites à son propos,
commandaient les principales caractéristiques ,du plan de recherche, et du
même coup les difficultés auxquelles s'attaquer.
Dans sa structure d'ensemble, l'étude comporte trois parties bien
distinctes: la recherche et l'observation systématique de faits significatifs
et la détermination des systèmes d'attitudes sous-jacentes; la déterrrùnatibn
des données de milieu ayant une action sur ces attitudes parti~ulières ; et
enfin l'étude des relatibns entre ces variables de milieu et les attitudes
définies~ C'.::st à Ge nivoau seulement que i'on dOVTEj.it 'ôtro' on'mesure do
, \ '; \'-
prendre position à pro~03 do l'hypothèse rorculéû nudépnrt. ,
Le bhoix du thème central - l'étude des attitudes liées à la situa-
tion de concurrence culturelle ~t de leurs conditions d'apparition - dérivait
directement de cette h~)othèse de départ. L'étude des attitudes impliquait
'une recherche desdornaines de comportement où apparaissait une prise de
position ou un. chbix dichotomique à '1 'é~ard des fonds culturels.en prés.ençe
et des tendances gén?ralesqu'ils symbolisaient : tradition ou m~dernisme.

On devait alors commencer par rechercher systematiquement, par observation


, ,
, '

et par hypothèse, lés domaines où cette situation devait se manifester. Ort


a ainsi défini t,rois cadres principau,'{ de recherche : le domaine de la cou-
turne et sesob:;,ertances, l'appartenance ethnique et les relations inter-
personnelles, les rôles comparés du milieu coutumier et du milieu sçolaire,
etc ••• , celui de la politique et des structures idéologiques (les idées sur
le Togo, les relations avec le reste du monde la langue nationale etc ..• ),
celui enfin des idées sur l'avenir individuel (Ia perception de cet ave:p.ir,
lesaspi~atlons et les projets).
Les éléments recueillis pour être analysés dans la seconde partie
sous forme de "variables de milieu" entraient dans deux catégories des
données g~néraies (sexe, niveau d'instruction, type d'ense~gnement officiel
ou privé, etc .•• ) ; des données particulières relatives le plus ~ouvent aux
domaines étudiés dans la première partie, mais concernant cette fois non
plus les idées
, des scolarisés à leur propos, mais la position objective qu'ils
... 117 ~.

1
y occupaient : milieu urbain ou rural, milieu familio-économique, milieu coutu-
mier, milieu scolaire Itcul turel", etc •.. ,
La troisième partie ne conéernait pas la collec~e des données mais
leur traitement et nous n'en par13rons pas ici.
·3.2. Le choix de la population et les conditions de la "p'assation.
Le problème était de choisir dans la population des éléments diver-
sement concernés par le problème afin de les comparer entre eux. Toutefois, pour
ne pas multiplier excessivement les causes de variation et aussi pour des rai-
sons d'économie pn s'est limité à la population scolarisée; au moment de lle.:1-
quête éliminant ainsi les adultes parmi lesquels les niveaux d'instruction élevés
étaient encore très peu répandus. Cette population - partagée ent!'e l'école et le
milieu familial et placée dans un état de déper.dance et dé soumission'à l'égard
de l'un comme de l'aut~e - pr~sentait l'intérêt de vivre, dans son existence
quotidienne, la situation. de bi-acculturation.' Elle' se trouvait, en. outre, placée
au sem'l de la vie, dans une situatîbnoù', en prin~ipe, tous les possibles lui
, étaient offerts. Elle devait donc ressentir, sous une forme particulièrement ai-
,gtie, les tensions ' nées de la concurrence. culturelle ·.:;..t de ses origines .cOloniales.
Le fait de se limiter àU11e population ainsi définie dans son volume,
son contenu et sa répartition offrait un certain nombre de possibilités q~e

l'on s'est efforcéd ' exploiter au mieux. En premier li.eu:, celle de Ittirer li
l'échantillon sur la totalité du p~~sé1fi:n, .de donner a1lXphénomènes de milieu
le maximum de variabilité. Outre le degré dl instruction (réparti en quah'ü ni-·
veaux: CM2, 5e, 3e, classes du baccalauréat) on a p" str~tifier certaines
variables importantes :seJte, t:,,":v' r'l 1 P'188ig::1err.8nt (0..:',:-:'cie1 ou pl'ivé), r,,;p:;;·... ·
t.ition par circonscription et par zones u~bair.es ou rurales. On a opéré pour'
cela un tirage à deux degrés: des établissements scolaires d'abord, ppis dàn8
ces établissements, de l'échantillon définitif; on a,vériïié ~ue les .~ariables

demeuré~s·.aléatoires, telles que l'ethnie, le s-:atut socio-économique, etc ..•


figuraient bien dans l'étendue maximtrn de leur variation.
Après de longues hésitatlons et une pro-enquête, ona décidé d'inter-
roger les élèves dans les écoles et non à domicile. Cette méthode avait l'a7an-
tage de rendre possible l'usage dlun mode de passaticn collectif- par ,écrit -
permettant au même enquêteur d'interroger "r." pel'sorilles au ].ieu. d ! '.111,8 seule.
pendant le même temps : on pouvait ainsi. accroïtre le I:omb:-e Ci 1 élèves irl~er-­

rogés et allonger la durée de la passation. L' j.nterrogation des élèves d1ll1..8 les
- 118 --

locaux scolaires présentait en outre l'avantage d ' unifier 1 par l'identité des
lieux, la situation d'enquête. Il restait toutefois à palier les difficultés
liées au caractère très stéréot~é dècette sitùation Qui demeurait cependant
moins artificielle ou insolite qu'une passation de. tests en laboratoire. On
verra plus loin de quelle manière le questionnaire l ' outil de l'interview, a
été établi en fonction de cette nécessi~é.

Le choix du pays lui-même où s'est déroulée l'étude était fortuit


et lié au hasard d'une affectation administrative. Ce choix s'est" d'ailleurs
révélé heureux, le Togo représentant, pour une sùperficie et une population
peu importantes,une étroite coupe nord-sud allant d'une zone côtière ~ de
,
climat équatorial - à une région de savanes dé climat franchement soudanien.
Si le taux de population p:dmairedeJœurait relativement peu élevé, l'ensei-
.\ .
gnement secondaire était relativement développé. En outre , le Togo se trouvait 1
au moment où cette étude a été faite, dans une situation historique très parti-
culière à un an de la proclamation de son Indépendance nationale. Cette situa-
tion avait le double avantage d'avoir "dramatisé" au maximum à une époque
encore récente les rapports avec la puissance de tutelle, cause présumée des
phénomènes étudiés et 1 en même temps, de laissor. U11 recul suffisant par
rapport à cette circonstance historique pour permettre de voir se dessiner
des problèmes politiques nouveaux.
3.3'. Les conditions dues au milieu.
La première des difficultés à résoudre était le choix de la langue
de communication. La multiplicité des langues coutumières et de leurs variétés
locales 1 qui aurait nécessité pour une étude "fine" un grand nombre de tra-
ductions difficiles à réaliser, leur inaptitude à exprimer les aspects occi-
dentalisés des problèmes étudiés, a fait prendre la décision d'utiliser pour
tout l' échanHUon une langue unique qui était le Français.
Cette solution avait l'avantage de la simplicité et de l'économie,
en temps et en moyens matériels; elle réalisait en outre un certain contrôle
de la situation d'enquête par l'emploi d'un moyen d'investigation unique par
rapport auquel on pouvait situer les divers éléments de l'échantillon.
Mais un tel choix n'était pas non plus sans inconvénients. La
médiocre compréhension du Français qu'avaient parfois les élèves - surtout
dans certaines é~oles primaires rurales - en restreignait les possibilités
comme instrument d'investigation; son usage, en outre 1 était particulièrement
- 119 -

inadéquat pour tous les aspects de la vie cOlituw~ère, aussi bien d'ailleurs que
pour l'expression de la vie affective, pour laquelle la langue de l'enfance eût
été mieux addaptée.
Un autre problème, d'une importance également primordiale, était la
nécessité d'appuyer la recherche sur des données ethnographiques suffisamment
précises, et ce, dans une multiplicité de groupes ethniques. Effectuée de façon
complète cette seule recherche eût été très longue surtout multipliées par
autant de fois qu'il y aVRit d'ethnies ou de groupes différents. Or, l'objet
même de cette étude montr~it'qu'il y avait des problèmes importants et urgents,
en évolution rapide de surcroît, et dont l'approche nécessitait ùue certaine
connaissance des conditions de vie coutumière sans que l'on puisse pour autant,
passer par le détour d'une recherche ethnographique complété.
On a donc adopté un biais - qui a au moins le mérite de l'efficacité
et de la rapidité - et qui consistait à interroger les gens sur leurs opinions
vis-à-vis des aspects signifiqnts de layie coutumi~re sans en connaître le
détail et en sachant seulement - par l'enquête prépara~oirG- qu'ils existaient
et qu'ils étaient importants. Certes cette procédureel..î.lptique:':'si elle
permet:de trouver, grâce à la quantification, des corrélations entre les don-
nées ainsi recueillies - ne peut pas, dans la plupart dès cas, prétendre
atteindre à un niveau d'explication très compréhensif. Elle a cependant perrn±s
de définir des directions de rechérche que l'analyse quantitative s'efforça
ensuite de préciser, au moins sur le plan des relations formelles. Bâtie sur
une pré-enquête suffisamment élaborée, elle a montré en outre qU'lme telle
méthode pouvait fournir une base de départ pour des enquêtes ethnographiqu~s

futures.
La nécessité de passor par le médiat de la quantification conduisait
à utiliser le questionnaire, c'est-à-dire ~~ instrument déjà très élaboré dont
l'établissement supposait déjà une connaissance suffisante,sur le plan quali-
tati~ des problèmes étudiés. Ces diverses exigences ont conduit à une répar-
tition tout à fait significative des tâches pendant les deux années qu'a duré
l'enquête. Là première anné~ a été consacrée à l'approche ethnologique prépa-
natoire et à la construction du questionnaire. Le sondage, bien qu'il repré-
sente l'outil essentiel de la collect~~}ie remplissage de plus de 3 000 ques-
tionnairG~n'a duré que cinq seillaines. L'année qui a suivi a été consacrée à
l'interprétation qualitative des réponses, à une première analyse do contenu
.,. 120 ••

suivie d'une transcription sur cartes porforées et à une séried'enquête8


complémentairessur;les éléments ethnographiques ramenés par le questionnaire
et sur l'interprétation qualitàtive de certaines données d'opinion.
Pour mener à bien cette tâche, une équipe d'enquêteurs a été cons-
tituée dès le début qui a participé à toutes ses phases depuis la pré-enquête
et l'établissement du questionnaire, jusQu'au dépouillement. Parallèlement,
on avait créé un réseau d'informateurs temporaires répartis à Lomé et dans
les différentes régions du pays. Ces informateurs, des deuX sexes, appar-
tenaient aux différentes ethnies'- du moins les principales - étaient d'âge
variable, plus âgés pour certains que l r échantillon sondé, et une partie
d'entre euxétait.illettrée. Ona cherché, par ces choix, à étendre au delà
de la jeunesse scolarisée ,!J.approche du problème ,étudié. Beàucoup de cohvero;;
sations. "fortuites", par ailleurs, en particulier avec des personnalités
officielles ou coutumières étaient utilisées dans ce sens.
3.4. L'établissement du guestionnaire.
Le questionnaire devait satisfaire'à l'ensemblé des conditions qui
viennent d'être décrites" D'une grande simplicité dg formé et de contenu pour
être compréhensible- et c'est là une condition essentielle - il'-devait aussi
déclancher les réactions spécifiques - d'ambivalence en particulier .. qui cons-
tituaient l'objet de l'étude. Ainsi conçu, ilsiàpparentait moins aux ques-
tionnaires d'opinion publique souvent utilisés dans les pays occidentaux et
pour lesquels on peut se permettre tille plus grande liberté, qu'aux "tests"
psychologiques, élaborés de façon plu~:; systématique èt en vue di obtenir des
effets déterminés.
Ce questionnaire devait'remplir deux fonctions d'égale importance.
Il s'agissait en premier lieu - étant donné la médiocre connaissance que l'on
avait du donné ethllographique de faire associer aux réponses d'opinion le
maximum d'explications.Ges explications devaient permettre de reconstituer
au moins partiellement les représentations et les~ "théories" spontanées
associées aux prises de position exprimées. Elles devaient également peTIuettre
à des phénomènes non-aperçus au cours de l'enquête préparatoire de se mani-
fester.Ce résultat a été recherché en associant aux questions d'opinion en
oui-non, des questions ouvertes d'explication.
Le deuxième objectif à atteindre - la production d'effets d'ambi-
valence - était plüscomplexe. On sIest efforcé d'y parvenir de deLŒ manières,
- 121 -

en ~epartant de l'idée, erprimée dans l'hypothèse, quo ces effets étaient liés
d'une part à la situation dans laquelle
,
étaient évoqués les divers objets de
pensée, d'autre part à l'existence de systèmes de valetœs contradictoires asso-
ciés à ces objets. Pour accroître 11 "effet de situation" on a groupé en batte-
ries toutes les questions relatives à un même domaine, par exemple les rela-
tions interethniques, la langue nationale, la ville et la brousse, etc •••
Le contenu des systèmes contradictoires de perceptions et de valeurs
associés à un même objet a été exploré, lorsque les thèmes s'y prêtaient,au
moyen de séries de questions réalisant une sorte de "discussion" de ces thèmes
proposé à l'examen des intorviE:n-rés. A propos du milieu de vie, IBr 8xemple, la
batterie de questions débutait par une question fermée d'opinion: "A votre
avis, où est-il le plus agréable de vi \ire : dans une ville de provincè .;. à··
Lomé - dans un village de brousse", suivi~ de quatre questions - ouvertes cette
fois - et constituant la discussion: "al Quels sont à votre avis les avantages
de la vie en ville ; bl les inconvénients , cl les avantages de la vie en
brousse; dl les inconvénients".
Il convient de faire une dernière remarque sur le questionnaire en
tant qu'instrument de stimulation spécifique. Los réàctions recherchées étant
relativement fines; il fallait donc tenir compte de l'effet particulier pro-
duit par la situation d'enquête entant que telle qui, n'étantpà$ naturelle,
risquait d'interférer avec celles provoquées expérimentalement par les ques-
tions. Pour uniformiser autant que possible cette situation on n'a pas hésité à
lui donner un aspect relativement contraignant en unifonrisant, pour l'ensemble
de l'échantillon, un certain nombre de dimensions importantos : conditions de
passation, langue, outil d' enquête. Ce dernier, le questionnaire, devait alors
constituer un instrument de stimulation suffisamment puissant pour provoquer
les effets recherchés compte ten11 de Ces contyaintes. Ce faisant, on spéculait
sur l'espoir que Ces aspects contraignants, s'ils atténuaient la richesse et la
spontanéité des 'réactions, n'altéraient ni leur nature ni loUrs réseaux d'in-
teraction. Des vérifications opérées sur des questionnaires remplis SOUE le
contrôle d'enquêt.eurs différents: hommes.. ot femmes, Africains et Européens,
ont montré qu'il n'y apparaissait aucuno distorsion significative.
- 122 -

3.5.' L'analyse qualitative des résultats et la post~enquête com-


plémentaire.
Le dépouillement des questionnaires devait aboutir à un plan de
codification en vue de la transcription sur cartos perforées. Les nombreuses
questions "ouvertes" néccssi,taient, pour parvenir à ce résultat, une analyse
de contenu détaillée. Celle..:ci a été faite selon deux ordros de critères: le
premier était la restitution aussi fidèle que possibl.e des catégories "natu-
relles" employées par la population. Pourcelà 10 réseau d'informateurs
constitué lors de la pré-enquête a été do nouveau mis à contribution de façon
systématique, soit pour expliquer le sens de certainës expressions ambigües
(par exemple, "les Européem n'ont pas honte"), soit pour traduire des expres-
sions en langue locale ou pour donner des eÀ~lications éur des aspects de:la
vie coutumière, des cérémonies etc ... évoqués dans les réponses. Une autre
analyse - en fonction cette fois de références purement psycho~sociologiques

a été faite ensuite et se poursuit en fonction des besoins de l'interprétation


et de la progression dans la connaissance des problèmes .Un mode' de perfo~'

ration des cartes mécanographiques adapté à ce genre de travail, le système


"binairel! appliqué à des cartes par 0aractéristique et perm8ttant desroma-'
niements commodes du fichier des catégories, a été adopté dans ce but.
4. L'exploitation et la vérification des hypothèses.
L'analyse et l'interprétation des données en vue de la vérification
de l'hypothèse ne posent pas de problèmes qui soient particuliers au milieu
africain sinon par l'importance qu'elles dOID1ent, à côté des analyses for_
melles, aux éléments descriptifs de, milieux différents des nôtres et diffé-
rentsentre eux. Nous serons donc plus brefs sur ce sujet. Comme il a été dit
il y a un instant, le plan d'analyse se divise en trois grandes parties
concernant successivement les éléments psychologiques, représentatifs et
affectifs, associés aux atti tudos à l'égard de la tradition ou de la ,moder-
nité, les conditions de milieu propres à la population et enfin la'mise à
l'épreuve de l'hypothèse relative à l'action des secondes sur les premières.
4.1. L'analyse des représentations et des attitudes.
On analyse ici deux séries de données, les images et'les repré-
sentations d'une part, les attitudes sous-jacentes de l'autro. Les premières
font l'objet d'une analyse thématique conduite sur deux plans: en premier
lieu, les images et les perceptions associées à chaque question et à chaque
- 123 -

sujet ensuite, les thèmes dominants, dégagés a travers l'ensemble du question-


naire expression spontanée du sentiment national, caractères dominants des
images du monde coutumier et du môdernisnle, thème dé la sécurité liée au sou-
tien familial, degré d'affabulation ou, au contraire, d'adaptation au réel, des
aspirations ou des idées relatives au futur, etc .•. A ce niveau on étudie
également, dans la perspective de l'hypothèse de départ, les phénomènes d'ambi-
valence manifestés par l'association d'images identiques à des opinions diffé-
rentes et los contradictions, qui en résultent. On s'efforcera égalerrlent
d'interpréter certaines non-réponses comme des comportements d'évitement
inhérents aux attitudes d'ambivalence.
L'analyse thématique est, avant tout, une interprétation qualitative
du contenu de l'opinion, empruntant beaucoup aux théories sociales propres aux
jeunes scolarisés. L'étude des structures d'attitude présente un caractère
beaucoup plus quantitatif et plus formalisé. Elle ne retient que les élémsnts
- posltifs neutres ou négatifs - des réponses, ceux qui fournissent des indi-
cations sur les attitudes sous-jacentes et s'efforcent d'en analyser la struc-
ture. Divers modèles mathématiques, et en particulier l'analyse hiérarchique,
leur sont appliqués jusqu'à déteTIDination du plus satisfaisant. Le résultat
sera la détermination de types d'attitudes caractérisés par leur degré d'orien-
tation vers le modernisme ou vers la coutume.
4.2. Les conditions de milieu.
On fera des données de milieu une analyse à deux degrés, identiques
dans sa forme à la précédente. Au niveau qualitatif, on associera, aux éléments
recueillis par le questionnaire, des données extérieures statistiques ou d'ob-
servation, pour obtenir une description pertinente des conditions de vie de la
jeunesse scolaire. A un niveau plus forn~lisé, on combinera les principaux
éléments pour constituer cette fois des indices - simples ou composés - de
position sociale qui serviront à classer les individus et seront utilisés dans
l'analyse corrélative réservée pour la troisième partie.
4.3. L'action du milieu sur les structures d'attitudes
On sera, à ce niveau de l'étude, en possession de deux séries de don-
nées les unes relatives aux attitudes à l'égard de la coutume et du moder~

nisme i les autres concernant les facteurs de milie~et dont la pré-enqu8te a


montré çu'ils avaient des chances d'exercer une action de conditionnement sur
les attitudes ainsi définies. L'objet de la troisième partie sera de tester
- 124 -

;.. l'hypothèse
.
selon laquelle
.
les
.
variables de milieu
,
opèrent comme des facteurs
de conditionnement de ces attitudes, particulièrement dans leurs caractères
d'ambivalence. Etant donné le faible niveau de IGesure de-ces différents phéno-
mènes, consistant surtout en échelles nominales, ou ordonnées daqs les cas
les plus favorables, on appliquera surtout à cette étude de corrélation les
techniques non-paramétriqul::s adaptées aux ensembles "mathématiquement pauvres".
L'analyse -empirique des relations de causalité utilisera surtout l'analyse
multivariée avec une ou deux variables intermédiaires. Le rôle de certaines
variables importantes: sexe, niveau d'instruction, indices de participation
coutumière, d'intégration au modernisme, etc .•• , sera particulièrement mis en
lumière. A la fin de cette analyse, on devr2 âtre en mesura de donner une
répon.se.sur:lavalidité: des hypothèses de départ. On devra pouvoir. dire. si,
effectivement, les attitudes ambivalentes constituent une réalité et si, dans
ce cas, et ce dans quelle mesure et selon quelles modalités, certains as~ects

objectifs nés de la situation de rivalité socio-culturelle exercent ou non


une action sur leur fo~tion.
- 125 -

12. LA COMPLEMEt'T.ARITE DES ~mDES D'APPROCHE DA11"S L'ETUDE


D'UN PHENOMENE GLOBAL (1)

par Roland DEVAUGES (Sociol~gue)

-:-:-:-:-:-:-

Le rapprochement des deux études qui précèdent se justifie par la


similitude des situations globales qu'elles ont eu à affronter. Leurs différen-
ces tiennent alors autant à des différences de degré dans cette situation qu'à
des partis-pris systématiques de méthode. La population étudiée par la première
se trouve à une distance culturelle maxima de l'enquêteur - et du même coup de
sa discipline - puisqu'il s'agit d'un village ne parlant pas le Français et
dont les attitudes culturelles à l'égard des apports étrangers sont~ pour des
raisons historiques, à un degré de refus maximum. La seconde étude a été effec-
tuée parmi une population déjà très scolarisée~ allant du CM2 jusqu'aux classes
du baccalauréat~ et présentant de cé fait, par opposition à la précédente, un
degré maximum d'introduction dans la culture occidentale. La première étude
devait pour cette raison conserver un caractère essentiellement qualitatif et
"compréhensif" tandis que l'autre~ s'appuyant sur des facilités de communica-
tions plus grandes, pouvait utiliser des méthodes de collecte systématique,
faisant intervenir la quantification. Mais les auteurs de ces études ne consi-
dèrent chacune que comme partielle et complémentaire de l'autre dans la stra-
tégie d'une recherche totale. C'est ce lien de complémentarité que nous allons
nous efforcer de préciser.
Il faut observer en premier lieu qu'une complémentarité ne prend son
sens que dans un cadre commun englobant ses parties. Ici, ce cadre est celui
d'une str~tégie globale de recherche appliquée à un même type de problèmes:

(1) Le texte qui suit a fait l'objet d'une discussion avec G. ALTHABE~ qui en
approuve les principes.
- 126 -

les comportements de populations ayant récemment accédé à l'Indépendance mais


continuant à subir l'action de forces de changement extérieures qui y provo-
quent, par suggestion ou par contrainte, des transformations rapides et qui
- surtout - n' étaient pas, comme l' écrit G. ALTHABE , "inscrites dans leur
possible ll •
Il serait dès lors étonnant, lorsqu'on essaie d'aborder un problème
aussi complexe et aussi étendu que celui-ci, que l'on puisse en faire le
tour - ou du moins saisir les principaux de ses déterminants - à partir dlune
seule approche, voire même d'une seule discipline. Tirant les conclusions
méthodologiques de cette situation, nous allons essayer de préciser dans
quels domaines les modes d'approche monographique et extensif se complètent
pour cerner un problème concret.
1. Le cadre d'étude et les conditions d'observation.
Au niveau le plus immédiat, celui des conditions d'observations,
il convient d'abord de préciser quels aspects différents de la réalité peut
saisir le chercheur - et dans quelles conditions - selon qu'il opère dans
le cadre d'une monographie ou dans celui d'une recherche extensive. La pre-
mière remarque est que les conditions de travail créées par l'étude mono-
graphique sont beaucoup plus concretb, beaucoup plus proches du réel que
celles de l'enquête extensive: l'étude monographique observe directement
les faits dans le contexte qui les a provoqués et leur donne leur signifi-
cation. Environnement, comportements spontanés et comportements provoqués
par l'enquêteur constituent donc trois registres sur lesquels elle fait
porter ses observations.
La seconde méthode au contraire, est limitée aux comportements pro-
voqués au cours de l'enquête. Elle doi~pour compenser cette infériorité, et
produire toute son efficacité, être plus systématique et se concentrer sur
des phénomènes déjà élaborés. Sur l'environnement et les comportements spon-
tanés passés ou anticipés, elle n'a que des renseignements de "seconde main",
rapportés et de ce fait interprétés - et interprétés dans une situation d'en-
quête qui n'est pas neutre - par les individus interrogés. Pour faire la
distinction entre la théorie sociale et la pratique elle est obligée de ruser,
d'interpréter les écarts entre les contradictions ou les aspects non-manifestes
des réponses. On a vu corr~ent elle cherchait systén~tiqueIDent ~ provoquer ces
- 127 -

écarts pour produire des effets spécifiques et mettre à l'épreuve une hypothèse
interprétative.
L'intervention du temps dans l'un et l'autre cas est également dif-
férente. Limitée d~~s l'espace, la monographie dispose par contre d'une cer-
taine durée dans l'ordre temporel. Dans le cas d:01' enquête d,' ALTl!ABE, celle-ci
a été suffisante ,pour permettre à l'enquêteur d'y jouer de son double statut
d'étranger introduit dans une communauté relativement fermée et de chercheur
ayant'à instaurer un type déterminé de dialogue avec cette communauté. Il a eu,
au cours des semaines, le temps d'approfondir la nature de la perturbation
qu'il apportait et de la différence des statùts qui lui était attribuée à
l'arrivée et au départ. Il a pu construire une stratégie afin de transformer
son statut original et de le rapprocher de celui qui devait être le sien pour
créer un dialogue "authentique" - au sens qu'il donnait en tant qu'anthropo-
logue à ce mot (1) - -avec la population. Il a pu observer les modalités de cette
transformatiùn, et l'effort de reconstruction culturelle que la'société opérait
sur elle-même à partir·desa présence avant d'arriver à faire de lui ce qu'il a
appelé un "étraIlger' intériorisé" .
L'étude sur questionnaire conduisait au contraire à placer les indi-
hors .
vidus /du tempS ... comme elle les avait mis hors de l'espace - et sinon à sup'-
primer, du moins à rendre égale pour tous les interviewés - en en renforçant
certains aspects formels- la perturbation introduite dans leur système de pen-
sée parla'présence de l'enquêteur. Dans ces conditions, les références'àux'
changements temporels ne pouvaient là encore être faites que par allusion au
passé ou au futur. Dans le cadre d'li effets" élaborés à l'avance, le mécanisme
de l'interrogatoire a donc cherché à faire décrire des cornportements passé$, à
les rapprocher d'opinions rapportées au présent sur des faits identiques et à
faire exprimer des intentions. Les différences, les contradictions observées
pouvaient renseigner sur le contenu des attitudes- et c'était l'effet recher-
ché ~ mais ne p~ent pas de faire de comparaison entre ces expressions de
la persoru~alité des individus et leurs comportements réels.
L'enquête sur questionnaire disposait par contre '- du fait qu'elle
n'était pas assujettie au réel - d'une latitude beaucoup plus grande pour

(1) Et dont les critèresd'''authenticité'' eussent été différents.Glil avait


été médecin, prêtre, poète ou même psychologue au lieu d'être anthropologue.
- 128 -

'. provoquer, des réactions que seul le hasard aurait pu faire apparaître dans,
les situations concrètes. Là encore les deux types de recherches' se'complé-
. ~ont, le premier pour déceler les faits existants et importants, le second
pour en systématiser et en généraliser l'étude.
2. Le cadre et les conditions d'interprétation.
Aux caractères relativement superficiels qui viennent d'être décrits,
en correspondent d'autres qui sont plus profonds. Les conditions' de ·travail
,différentes imposent en effet non seulement des possibilités d'observation
différentes mais des cadres d'interprétation qui ne sont plus les mêmes et
qui conditionnent les catégories de phénomènes observés et l'interprétation
qui en est donnée~ Le cadre de la monographie est limité dans l'espace. Il
. porte sur ù..'1 Villi:J.ge, è' est-à-dire sur une population formant une unité struc-
turelle réelle, dont tous les membres se connaissent et qui se définit en tant
qu'unité par rapport à l'extérieur. Cet "extérieur" lui-même est le siège de
phénomènes originaux par rapport auquel on peut définir pour les communautés
des rapports d'en-groupe/hors-groupe. Ainsi dans l'étuded'ALTHABEl'hors-
groupe conditionne l'en-groupe alors que la réciproque n'est.pratiquementpas
'vraie: l'autorité extérieure agit sur le village alors que celui-ci a peu
d'action &Pr elle. Ce que l'on observe alors ce sont les modifications in~

ternes de l'en-groupe induites par les changements de.llhors-groupe.


Cette relation intérieur-extérieurconstitue aussi en un sens
l'objet de l'étude.extensive. Mais .le. point de vue à partir duquel on la
considère conduit à choisir un modèle de représentation différent. Les traits
communs à la ,population étudiée ne constituent pas, en effet, les éléments
d'une communauté réelle mais de ce que l'on pourrait'appeler un groupe à
distance, celui des scolarisés. Lès éléments de ce groupe ne se connaissent
pas .t9us entre eux et ne se :reconnaissent pas, sinon peut-être de façon très
diffuse, comme membres de -ce groupe. Dans la perspective de ce groupe dis-
tinct- et qui n'a d' existence que pour le chercheur -ils :Qnt été considérés
comme partagés entre, d'une part leur appartenance à une multitude de commu-
nautés villageoises du type de celle décrite parALTHABE,et d'autre part une
appartenance non moins 'réelle au monde moderne ;représenté par le milieu sco-
laire, et parfois le fait de résider dans une ville.
Il fautiCi'bien préciser que la différence de degré 'entre les deux
popul~tioris prises porn:. objet par l:~s deux études est à cet égard si profonde
- 129 -

que l'on peut la prendre pour une différençe q,e nature ce <lui est~l1Il droit mais
non une nécessité. Le fait qu'il s'agisse dans le premier cas d'une population
rurale presque totalement illettrée et saisie~ pour les nécessités de l'analyse,
dans le cadre significatif d'un village permet de parler à son propos - dans
ses rapports aux incitations externes associées à la modernité - d'une relation
d'intériorité-extériorité. Dans le cas par contre de la population scolarisée
définie de façon abstraite, ce cadre de référence devient non-pertinent surIe
plan des structures coutumières alors que l'importance de l'engagement à l'é-
gard de la modernité rend plus exact de parler d'une bipolarité de tendances.
Ceci dit, si l'on considérait à part~ et en tant que tels; les scolarisés du
,village étudié par ALTHABE~ le second cadre serait sans doute le plus adéquat
pour rendre compte de leur double relation, à la fois à l'univers villa-
geois de la communauté où ils vivent, et à ce mondé extérieur <lue la sub-cul- ,
ture propre du village ne permet de percevoir que comme une pure extériorité.
On saisit ici, sur un exemple concret; l'importance du cadre de réfé-
rence,et celle aussi du modèle analogique d'explication dans lequel on s'ef-
force'dele comprendre. Le même comportement, lemêmè trait culturel, rapporté
à un univers villageois fermé sur lui-même prend une certaine signification. Il
en prendrait une tout autre, interprété dans une dualité bi-polaire entre deux
tendances. Aucune des deux interprétations n'est, dans l'absolu, vraie ou
fausse : elle ne vaut que comme cadre de référence. Il est toutefois intéres-
sant de montrer, à propos de recherches effectivement· réalisées, le caractère
précaire et pour tout dire métaphorique de ces cadres logiques qui ne sont que
des médiateurs'·entre.hotre activité intellectuelle et notre perception-du réel.
Il ne découle toutefois pas de là que ces cadres d'observation - qui
deviennent ainsi des cadres d'interprétation- soient purement arbitraires. Ils
sont liés au contraire à la nature du problèineétudié et avec lui, dans une
situation d'ajustement réciproque. Les problèmes saisis et interprétés dans le
cà.dre de l'univers villageois, même si celui-ci ne se limite pas au village au
sens étroit, ne sont pas ceux que l'on peut appréhender dans une population
considérée en dehors de son milieu quotidien et prise à l'échelle du pays.
C'est précisément cette complémentarité des approches~ dont chacune est par-
tielle et imparfaite, qui permet de mieux saisir les niveaux et les composantes
d'une situation globale.
- 130 -

· 3. La complémentarité des interprétations.


Si l'on va plus au fond des choses, on voit que c'est par commo ité
que la première étude est rangée sous la rubrique psycho.,-sociologique : elle
relève en fait.de l'anthropologie culturelle ou, plutât,' socio-culturelle.
Partant de l'observation d'un milieu et des comportements qui s'y déroulent.,
elle reconstitue par hypothèse un système culturel global qui sert de cadre'
· d'interprétation à ces structures et à ces comportements. Les représentations,
·les sentiments, les valeurs, les attitudes qu'elle fait entrer dans ce cadre
concernent soit toute la société, soit à la rigueur des groupes. Nais en tous
cas, l'auteur rejette explicitement de son schéma les variations nées des
différences existant dans la relation des individus à leur ~vers villageois.
··DaÎ1s 18. seconde. étude par contre, les sociétés villageoises· - consi-
dérées dans leur structure globale et dans les variétés du modelage culturel
qu'elles font subir à leurs membres - n'apparaissent jamais directement, mais
seulement par référence. Les différences apparues sont rapportées à de grandes
"variables", d'un contenu infiniment moins nuancées que dans une étude mono-
.graphique, et considérées seulement dans leurs variations: variations "in-
ternes" de degrés, ou lI externes'! et dûes à l'intervention dl autres variables.
On peut ainsi observer d'abord les différences globales entre ethnies, puis
approfondir la ~echerche en rapportant ces différences à d'autres, tenant par
exemple à la structure de ces ethnies, à la nature des observances coutumières
qu'elles imposent;: à leur degré de pression sur leurs membres, etc ••• On peut
également, pour une) mêmeothnie, observer les différence.s dûes aux facteurs
extérieure associés à la modernité: niveau d'instruction, .cadre. de vie rural
· ou urbain, etc. Dans tous les cas, on n'obtient toujours que des structures
numériques dont llinterprétation est basée sur des hypothèses. Mais' ces der-
nières sont moins facilement vérifiables que dans une recherche monographique.
Faute d'une observation directe suffisante, et surtout recommencée - et c'est
là sans doute l'essentiel - les modalités d'action des deux milieux, coutumier
ou modernist~ nous restent mal connues. Nous ne pouvons plus - sauf si nous
l'avons fait de façon suffisante lors de l'enquête préparatoire - retourner
observer dans le détail les théories sociales, les. systèmes de valeur nés
dans le groupe et qui conditionnent cesréaction~ que nous observons de l'ex-
térieur et de façon uniquement différentielle. Ce que nous en savons par les
explications des interviewés demeure en effet subjectif, c'est-à-dire lié à
- 131 -

leur personnalité et à leur double réaction à ce milieu et à la situation


d'enquête.
On a vu comment l'étude sur questionnaire avait essayé de tourner ces
difficultés. On comprend mieux ici les sacrifices, au niveau de la profondeur
de l'explication, qu'une telle procédure entraîne avec elle. ~~is on voit éga-
+ement de quelle manière les deux recherches sont complémentaires et comment
- à chaque étape de cette stratégie globale, prise il y a un instant comme point
de départ.·- chacune repart d'où l'autre s'arrête, dans une série d'opérations en
dépassement continu. L'étude en profondeur de microgroupes - qui peuvent d'ail-
leurs varier en nature avec le progrès de la connaissance - s'y trouvè en
situation de relai réciproque et constante avec une étude généralisante et
quantitative d'effets spécifiques déternûnés au cours des recherches en pro-
fondeur. Le rôle de la phase de quantification est alors de mesurer l'extension,
le degré de variabilité et, si possible, les conditions d'apparition, des phéno-
mènes observés au cours de la phase d'observation en profondeur.
- 132 -

SEC T ION E

PERSPECTIVES DI APPLICATION DE LA RECHERCHE


- 133 -

13. QUELQUES REMARQUES SUR LES RECHERCHES INTERDISCIPLINAIRES


DANS LA REGION DE LA Sl:K.AY (Madagascar)

par Vasile TARA (1) (Socio-économiste)

-:-:-:-:-:-:-

La région si tuée à 1.'. ouest des Hauts-Plateaux surpeuplés de Madagas-


car, a été jusqu'ici peu peuplée. Elle constituait un "no.wan's.land" entre les
populations Merinaet les ethnies de la Côte ouest.
Actuellement, cette région est en voie de peuplement et elle repré-
sente un exutoire démographique très proche pour les zones surpeuplées mention-
nées ci-dessus. Le peuplement de cette région dite du Milieu Ouest, se fait,
soit d'une manière spontanée et dans le cadre des formes de solidarité tradi-
tionnelle, soit d'une manière organisée avec des moyens matériels et une
assistance technique souvent importante.
Les spécialistes des sciences humaines (sociologues, géographes;
. démographes , etc ••• ) participent au programme de développement qui entraîne le
peuplement organisé de cette région.
L'observation sociologique et socio-économique porte à la fois sur
une émigration relativement plus ancienne, celle des fermiers réunionna:~sins­

tallés dans la région de la Sakay à partir de 1951, et sur les migrants d'ori-
1
gine malgache ou sur les populations malgaches déjà sur place.
Les principaux enseignements de nature socio-économique tirés lors
des différentes recherches interprofessionnelles menées dans cette région sont
les.suivants

(1) M. Vasile ·TARA, du Bureau pour le Développement de la Production Agricole a


bien voulu participer à un séIDinaire de l'ORSTOM et nous remettre ce texte.
Nous lui renouvelons ici l'expression de nos remerciements.
- 134 -

A - L'expérience réunionnaise.
- Toute opération de migration doit comporter une phase de sélection
dans le milieu de départ, une bonne connaissance de ce milieu et une phase de
formation et de stage avant l'implantation sur l'exploitation.
- Le modèle d'exploitation conçu au départ est presque toujours
modifié d'uno manière plus ou moins profonde à l'expérience des faits. Il,
convient donc de laisser une' marge importante de choix et de'décisionaux
responsables des opérations afin quiils puissent aliàpter' êhaque fois qu'il
en est besoin, les exploitations a~exigences et aux contextes nouveaux.
- Il faut prévoir qu'une fraction des cultivateurs considérés comme
valables après le stage initial, vont abandonner pour des raisons diverses:
psychologique, familiale, etc ••• Les autres fermiers se répartissent automa-
tiquement en plusieurs catégories : un groupe d' élites, un groupe "moyens" et
un autre "peu satisfaisant". A la Sakay, chacun de ces groupes constitue à
l'heure actuelle, approximati~ement environ 1/3 des effectifs: fermiers en
"compte courant", fermiers "sur convention programme" et fermier's à encadrement
serré. Il faut donc s'attendre dans d'autre cas d'émigration organisée (!NOSY,
ANDIRAMBE, etc ••• ) à la formation de ces différents groupes selon le critère
de la réussite et mettre au point à l'image de ce qui a été fait à la .SAKAY,
des structures de gestion adaptées à chaque groupe.
- Les spéculations animales de "transformation" (production lai-
tière) apparaissent.~e loin comme les plus difficiles. Elles exigent des
qualités particulières d'éleveur (douceur avec les bêtes, soins continus, etc.).
Sur les 200 fermiers réunionnais, 30 environ peuvent Gtre considérés comnle
ayant'vraiment r~ussi dans ce secteur.
B- L'expérience malgache.
L'évolution actuelle de cette région peut être considéréeplut6t
~omme un phénomène de géographie humaine que comme un fait, de développement,
économique dans le sens ,étroit du terme. En effet, cette région est devenue
l'exutoire démogr~phique des populations en surnombre des Hauts-Plateaux.
Cette poussée démographique vers le Moyen-Ouest a un caractère presque auto-
matique, obligatoire,car aucune autre possibilité valable ne s'offre actuel-
lement à l'excédent de la population de~,Hauts-Plateaux. En effet:
- le secteur secondaire et tertiaire est comme on 10 sait très peu
développé et dispose de peu d'emploi.
- 135 -

l'émigration vers les côtes des ressortissants des Hauts-Plateaux


est lente et peu populaire. Elle est en décroissance ces dernières
années pour des ràisons humaines, politiques, économiques, etc ••• :
- l'émigration sur l'axe Nord-Sud nlest pas possible dans le contexte
géographique, économique du pays.
Aussi, compte tenu des taux de croissance démographique allant jus-
qu'à 3 %par an, de la forte évolution des structures sociales et de mode de
vie de cette population, du morcellement des exploitations et de la dégradation
des sols épuisés, de la plupart des régions des Hauts-PlateauX, le Moyen-Ouest
tout proche est l' endroit tüut désigné qui s'offre à cette détente démographique.
Ceci est d'autant plus vrai que cette émigration ne comporte pas un
dépaysement total (que les populations évitent) ne pose: pas de problème fon- .
cier insolubl~1 . non plus des problèmes sérieux de coexistence inter-ethnique
Par ail1~urs, i l faut indiquer que l'expérience de la Sakay a facilité
le mouvement vers l'ouest, grâce à l'infrastructure de tous ordres mise en
place et à la lente pénétration de quelques techniques agricole~ nouvelles en
milieu malgache. Hais i l ne faut pa$ surestimer 11 importance de cette expérience
sur le mouvement de peuplement et de développement du Moyen-Ouest, pour les
raisons suivantes :
- l'intérêt primordial, presque atavique, des populations malgaches
émigrant vers l'ouest reste toujours l'exploitation des rizières de
bas-f?nds et l'élevage bovin.
- l'intégration de l'élevage à l'agriculture et la pratique de l'éle-
vage bovin et porcin auffilioré tel qu'ils se font chez les fenniers
réunionnais n'est extrapolable chez le cultivateur en milieu mal-
gache qu'après une très longue et très profonde adaptation aux
conditions psychologiques et économiques caractérisent ce milieu.
Il en découle que, pour longtemps encore, l'activité de l'assistance
technique sur le Moyen-Ouest devrait être axée en priorité sur l'organisation
et la rationalisation des mouvements des migrations spontanées actuelles, dans
le cadre d'une économie de subsistance améliorée avec des références pragma-
tiques plus ou moins étendues à l'expérience réunionnaise.
- 136 -.

*
* *
Ces très brèves indications donnent un aperçu de l'importance du
travail q'équipe dans les projets de développement où les spécialistes de
sciences humaines doivent intégrer et coordonner leurs méthodesd'investiga-
tion avec celles des techniciens (agronomes, zootechniciens, etc ••• ) chargés
des réalisations éconorrdques et techniques concrètes 0

Il apparaît toutefois que le travail. d'équipe mené ainsi par oes


·différents spécialistes n'est pas suffisammentexploi té et i l n' est presque
pas connu en dehors du milieu restreint de l'Assistance Technique •.
Une meilleure communication et une coordination plus efficace des
travaux, entre l' act.i vi té .des experts de l' assistance ~echn;i.que . (Ji:: cell~,:

des autres chercheurs (ORSTOM - CNRS etc ••• ) apparaît hautement souhaitable
dans l'intérêt commun des chercheurs et également dans l'intérêt des pays en
voie de développement.
En effet, un certain gaspillage intellectuel se produit du fai t de
ce manque de coordination, et la multiplication des études paral1èles~monées

souvBnt dans la même région et sur les mêmes problèmes par dos organismes
différents, ne peut que nuire à l'effort commun, à l'efficacité et au prestige
de la coopération scientifique et technique.
- 137 -

14. QUELQUES REFLEXIONS SUR LES PROBLEME;S


QUE POSENT LES ETUDES POUR LA PLANIFICATION REGIONALE

par Hugu~s LHUILLIER (Economiste)

-:-:-:-:-:-

1. L'exemple Ivoirien.
2. Difficultés techniques rencontrées en Côte d'Ivoire.
}. ~elquGS réflexions.
1. L'exemple Ivoirien.
a. Pourguoi des études régionales ? __
- de - -
Il Gst apparu en 1962 aux responsables des études7développement en
Côte d r Ivoire que les méthodes employées par eux jusqu'alors. étaient insuffi-
santes pour promouvoir un véritable développement économique intérieur et du-
rable.
Les travaux jusqu'à ce jour s'orientaient autour de deux axes prin-
cipaux _:
- études techniques et de marché pour de gros projots industriels ou
agro-industriels, souvent orientés vers l'extérieur.
- études de planification sectorielles nationales pour les secteurs
économiques très atomisés et projections sectorielles.
Les méthodes sectorielles et nationales n'avaient, directement ou
oC _

indirectement, qu'un effet mineur sur le développement économique dans l'inté-


rieur du pays, en particulier du milieu rural. De plus elles cond~saiont à des
"plans d'objectif" non en fait réalisables pratiquement. Cette insuffisance
provenait
d'une mauvaise connaissance du milieu technique et humain (en parti-
culier dans l' agriculture)._
d'une mauvaise connaissance de l'organisation et des mécanismes
économiques fondamentau~ De plus les méthodes employées assuraient une cohé-
- 138- '

rence comptable qui ne rospoctait pas nécessairement les cohérences structu-


relles (soit au niveau dos contraintes d'espaces, soit au niveau des contraintes
techniques et humaines).
La nécessité est donc apparue de restituer à l'espace en particulier
sa véri~able importance dans ~es mécanismes écono~~ues, et pour ceià d'entre-
prendre des études rigio~'aï'~'s~~',ë';"esi-à::'di~e-~qUi'ëc>ÎÏ~i(i'Greraient,la région comme
-'. .' • '. - . .:..•: , .... ' .1'" . . . .

un véritableorgamsme';"Uïiè'èÏ1ti té:pr6pre~"1)e Ïnê'me'iesé'qulpei:lèhargées des


études seraient pluridisciplinaire~ afin de saisir simultanément les différents
aspects du système économique et social.
b. Les études entreprises.
La Côte d'Ivoire a donc été divisée en six régions d'environ 500 000
habitants chacune correspondant à des ensembles aussi homogènes que possible
du point de vue des productions, des ~onsornmationq, des réseaux d'échanges et
.' :!" " ..

parfois des groupes ethniques.


'"

Sur chaque région a travaillé une équipe pluridisqiplinaire qui


comprenait le plus souved un statisticien'~' Uriéconè'-TIri'stè, un agronome, un .
. ' ......_--~ ..... " '."- .'.'. ~~' ..~-. --...
~,' "- .. _._. '. \ ~ -," . '.: . ,",

géographe et un sociologue •
Les méthodes d'étude employées relevaient de trois types:
",". '... ....., .. ' ." ,:",
- méthode statistique de recueil ,de l'~nformation : enquêtes par
sondage démographiques, ci; ~gricul ture (surface et ren~e~ntsY et de budgets
familiaux.
- méth~des monographiques de recueU( ~n p~ÏicuÙer sociologie et
géographie). Notons que le sociologue et le ~o~r:aphe on~. travaillé sur des
échantillons statis~iques."

confrontation et ,~~~égrati~n ~es d~fférents résultats en parti-


... i

culier dans le cadre éqonomique comptable •


.: .;. ' ..",. ,':':. ", .; ... : ".:", ":

La ;rédaction C?t FEl ,plan du rq,ppor~é:aien~, également intégrés et


organisés plus en fonction d'une, ligne. di,rectri.ce e~ progressive O,e présen-
;,: . ; •. ; • • _-".: ' • : '.," .":' i .' ~', • '. .• . " 7 -'~'.~ ,.__1 :.'

tations desr.~sultats qu'en fon~,ti~n du d~?()llpage entre les.. ~ifféren~es spé-


c,ialités.
~':. . On aboutissait ainsi à des propositions régio~al~~ de développement
ayant encore les trai tsll,O,u pJ,an d'objectifs ", ,mais reposant cette fois sur
une connaissance très précise des conditionsl~cales ,et ~a mi~e en~vidence

d1un certain nom~re de contraintes st~ucturell~s.


, ,

Finalement le rapport se présentait en trois parties·


- 139 -

- rapport de synthèse court destiné aux hommes-po-litiques et au lec-


teur non spécialiste.
- rapport principal plus volumir~ux destiné aux pla~ificateurs et
comprenant les parties analyse et propositions.
- rapports annexes spécialisés où un certain nombre de sujets parti-
culiers étaient spécialement développés, soit pour eux-mêmes, soit pour illus-
trer le rapport principal.
c. Le cadre méthodologique et lnstitutionnel.
Ces études se situaient dans un cadre constitutionnel national, car il
n'existai t au niveau régionai (ou départemental (1) "') ni pouvoir' de décisions,
ni centre d'étude. Ces régions étaient donc uniquement des régi ons d'étude.
Dans le cadre de la planification nationale,ces étudès constituaient
le deuxième volet à l'élaboration d'un plan à moyen terme en trois parties:
1. Perspectives nationales et sectorielles décennales (non régiona-
lisées)
2. Etudes régionales débouchant sur des propositions de développement
3. Synthèse nationale des études régionales et arbitrages. Plan à
moyen terme.
Remarquons que la phase régionale qui a débuté en1 962 s'est terminée en 1967
et a donc duré cinq ans: ceci parce que le' travail a été fait en deux phases
décalées d,fun 8n(3 régions' par phase) et d'autre part parce que de nombreuses
difficultés ont été rencontrées en particulier au niveau de l'exploitation méca-
nographique : l'ensemble du travail aurait pu ainsi être concentré en trois ans.
Il est bien 'entendu qu'un tel programme d'études régionales n'était
pas à entreprendre pour chaque p18..n à moyen terme, mais seulement tous les deux
ou trois plans (selon la rapidité d'évolution du système économique) afin d'ob-
server les modifications structurelles intervenues (les variations de flux
étaient dans l'intervalle mesurées par des dispositifs pluS légers et permanerrts~
2. Difficultés techniques rencontrées.
Elles sont de trois natures bien différentes elles tiennent à :
- l'articulation entre dispositifs national et régionaux d'étude.
-'l'insuffisance du cadre dianalyse .
... l ' insuffisance des méthodes de projection.

(1) non coïncidence des régions d'étude et des départements.


- 140 -

a. Articulation entre dispositifs national et régionaux.


Disons d'abord que les perspectives décennales nationales contenaient
trois types de prévision de valeur très inégale :
prévisions concernant les secteurs publics, bonnes.
- prévisions concernant les, gros investissements privés , ile' 'a-
lernent satisfaisantes, mais'à l'expérience déséquilibrées sectoriellement.
- preVlslOns concernant les activités très décentralisées (en parti-
culier agriculture et consomma.tions) ·-obtëii.~esc6I1lÎneobjëCtifs à priori, ou
comme extrapolations du passé, ou comme solde dans les comptes économiques.
Ces prévisions :sont 'souvent satisfaisaIrtes (comp~nsatio;l statistique' sur un
grand nombre) lorsqu,il 'siagit d'extr~polations, sur de.courtes périodes dans
l'~venir, des obser.vations du passé.
Quelle que soit leur nature, les perspectives n'étaient de toute
façon pas régionalisées.
Si les actions publiques sont assez bien réparties sur le territoire,
il n'en est pas de même des entreprises industrielles, ou de certaines produc-
tions très atomisées. Il eut été nécessaire de disposer pour les études régio-
nales d'une ébauche de stratégie d'aménagement de l'espace définissant à
priori un ou plusieurs corps d' hypothèses
concernant l'implantation des grosses entreprises.
- concernant les vocations probables de différentes régions (inte-
raction des choixpolit~quessur les critères techniques, en particulier dans
le but de réaliser un~ relative égalisation des revenus).
Il eut de même été nécessaire qu'il soit précisé au départ quel
','

type et quelles mesures de politique économique étaient politiquement envi-


,sageables ou souhai,tables pour réaliser des objectifs généraux inscrits dans
les perspectives.
. : . .

Dans de telles conditions les études régionales auraient sans doute


permis plus facilement de"têstëflë's"iriëidenëes ,le réalisme, ou les insuf-
fisances des perspe~tivesdécerin~les et' éventuellement . :..- ,.
de, susciter dans
certains cas des objectifs de rechange •
.: . ,',

En l'absence de stratégie nationale, les, études, régionales ont seu-


.. . . ..
lement permis de mettre en évidence les potentialités réelles de chaque région
et de donner des orientations générales en matière de propositions.
- 141 -

De la même façon au cours d'études régionales, une confrontation régu-


lière des échelons régionaux et nationaux eut permis pendant la progression du
travail de prendre certains arbitrages techniques entre obj~ctifsou entre
régions, arbitrages qui péüvent-ëtrO-fai'tsseulerilèht au-nîiiëàùhational.
Au niveau de chaque région il eut été ainsi progressivement possible
de préciser nùeux les objectifs de l'étude et de déboucher sur de véritables
perspectives régionales ne nécessitant au niveau national que des arbitrages
mineurs. Simultanément la confection du plan national à moyen terme eut été
grapdement facilitée et accélérée.
A chaque stade de l'étude (lancement de l'étude, orientation en cours
d'étude, orientation des dépouillements, orientation de l'analyse), le travail
aurait ainsi pu être plus efficace.
b. L'insuffisance de méthodes de projection.
Si les méthodes de projection employées à l'échelon national sont
souvent suffisantes, à court et moyen terme' pour dégrossir des prévisions en
matière de flux, elles ne permettent absolument pas de définir la loc Qliœation
des actions à entreprendre et a fortiori les actions d'accompagnement qui doi-
vent leur être associés localement. C'est d'ailleurs un des objectifs de l'étude
régionale.
Mais surtout, ces méthodes approximatives à l'échelon national devien-
nent tout à fait insuffisantes à l'échelon réglonal parce que:
- il n'existe pas de séries régionales.
- l'importance relative des études probables devient plus grande sur
un univers plus petit surtout lorsqu'il est soumis à des actions qui modifient
radicalement ces caractéristiques.
- enfin et surtout (ceci est aussi valable à l'échelon national) les
transformations structurelles (dont les conséquences à long terme sont souvent
non chiffrables) importent plus dans l'optique du développement que la réali-
sation d'objectifs physiques à moyen terme.
Les solutions adoptées ont donc toujours été un compromis entre un
empirisme total (prévision séquentielle des effets) résultaltt d'une bonne con-
naissance du milieu et des méthodes moins qualitatives (projecti)us de popu-
lati9n, de migrations, élasticité de consommations). Mais elles ne sont pas
satisfaisantes du point de vue de la maximisation des effets à long terme. Elles
ont simplement permis d'éviter qu'une illusoire maximation à moyen terme ne
.... 142 .-

cadre.et ne.fasse négliger les conditions d'existence d'un progr~s.économique

ultérieur.
c •.1 r insuffisanC€ du cadre· dl analyse régionale ..
. En l'absence d'un autre outil d'analyse, et ceci malgré line bonne
connaissance des différents aspects de la vie. économique régionale, nous
.avons été amenés à transposer à l'échelon régional les méthodes nationales
g;lobales et sectorielles, avec quelques précautions et quelques simplifications.
J'ai déjà critiqué au paragraphe lib" les insuffisances de telles méthodes.
Leur validité repose sur deux sériesd'hypùthèses non réalisées dans les faits
- elles supposent l' é.conomie régionale ponctuelle. ( concentrée en un
point) (sauf l'introduction dU.facteur transport).
- elles supposent les effetsd'entraînemont (en néglige'ant le facteur
transformation à l' appareil.à.pr.o_d.llcJi_ol1).~q.lltomÇlt;Lqw~s:et.
instantanés.
Au contraire un schéma de représentation aussi fidèle que possible
du système économique régional, qui en particulier tiendralt compte·
'.o. .d?s contraintes imposées par l'organisation de l'espace.
-des contraintes techniques ou humaines (au niveau des agents éco-
nomiquesou de groupes d'agents)
devrait permettre une prévision séquentielle '~.8S effe.:tS d'urie action
ou d'un ensemble d'actions. Encore faudrait-il que CG schéma permette de hié-
rarchiser et d'ordonner dans le. temps les conséquences dèS actions imposées
au système. De là vient l'idée d'un réseau de relations .préférentielles orien-
tée,s,porteuses de transformations de diverses nations, entre agents ou groupe
d:'agents.
Dans les études régionales ivoiriennes un tel schéma aurait été
d 'll?e grande utilité ':nonseulement au niveau de l'analyse et de la préseIlt~tion
de:données, mais encore a'l,l stade· de recueil de l'information et de son trâi-
tement(meilleureefficaci
. . ," . '. _. ..
té, gain de temps, hiérarchisation et orienta:t~'6h
-

des études).
De ,·ces diversesc.ritiques ré~urtent quelques réflexions <qui parais-
sent fondamentales ,pour toute analyse oüforp1ulation relatives. au ·pr6blèÙJ.~~ue
pose ull vpritab~edéveloppementéconomique(~isuppose entre autre une trillls-
f~rmation profonde des techniques, de l'organisation éco:p.onlique, mais aussi de
li' organisationsocia];e). Elles intéressent au même titre l'économiste, 'le 'so-
Ciologue ou le géographe.
- 143 -

3. Quelques réflexions très générales.


Quatre ont été retenuosparce qu'elles semblent particulièrement
importantes :
a. Le maniement des données-chiffrées.
Dans les prévisions effectuées, on 1.itilise en-général des "méthodes
moyennes" (variation des moyennes) et "différentielles" (variations à la marge).
Celles-ci sont valables, sans entrer dans le détail, lorsqu'on travaille ~

des populations homogènes, ou stationnaires (au sens des démographes) c'est-à-


dire qui "varient proportionnellement" sans changement de cortniDa coefficientes
caractér~stiques de répartition.
Les populations "en-cours de développement" sont au contraire des
populations hétérogènes dont certaines fractions représentent des structures
moyennes anciennes et d'autres des structures moyennes futures. De plus elles ne
sont pas stationnaires. Dans ces conditions, sans négliger les transformations
d'ensemble (qui peuvent d'ailleurs être pr0portionnelles ou non), il est plus
important de prévoir les déplacements de fractions de populations d'une struc~

ture ancienne à Une structure nouvelle. D'où l'idée de la dJfinition de struc-


tures-types en matière de consommation, ou de production (secteur agricole en
particulier) et d'un affinement des catégories de la comptabilité économique en
fonction de la taille des entreprises et des techniques de production.
b. L'espace économique.
L'espace économique n'est pas seulement un espace physique qui se
matérialise par des coûts supplémentaires (relativement à une économie ponc-
tuelle). Il est aussi social et administratif.Uné dés difficültés probablement
fondamentale du développement est qui il existe une sol1ition de ëoritinuité entre
les organisations de l'espace dites traditionnelles et qui reposent sur des
groupes économiques restreints et juxtaposés (villages ou groupe de villages)
et les organisations dites modernes où les nécessités techniques Superposent des
fractions d'espace de plus en plus vastes, tandis que certaines organisations se
développent '_et se spécialisent (métropoles régionàles, centres urbains, centres
ruraux ••• ) .
Un schéma d'analyse correct doit représenter la structuration de
l'espace qui existe, ou qui vient, ou qui est recherché. En nous basant sur
l'exemple ivoirien,-noUs proposons pour l'analyse et l'action les catégories
suivantes.
- 144 -

- Découpage de l'espace: Région (environ 500 000 habitants).


Zone Il
50 Il ),
Cellule de base Il
3 000 Il
) .
- Spécialisation des mllieux : - milieu ~bain (à fonction
régionalo·ou··sûprà ï;éil~iiàJ.e)
(chaque centre urbain constituant avec son environnement
une zone urbaine)
- Milieu semi urbain (contre de zones
rurales) •
- ~ülieu semi-rura~ (centres d'aetivité
non régionales en milieu rural).
- YJili eu rural.
A chaque catégorie de milieu correspondent des catégories d'a-
gents ou de producteurs particulières répondant ,aux besoins techniques de
ce milieu spécialisé.
Une telle 'représentation devrait permettre une spécialisation
'. - . . . "

des actions publiques en fonction des milieux auxquelles elles s'appli-


quent, et en particulier une meilleure orientation de la formation en
fonction des besoins réels de chaque milieu spécialisé,
c. La hiérarchisation des centres de décision:
Ils sont de quatre types :
centre de décision public, dont les décisionàontun caractère impératif.
- --~--~-~----. ext~rieurs,
. ,. .

------------- intérieurs, situés à un niveau géographique suffi.


samment large et par conséquent nécessairement intégrés aux.circuits
économiques modernes.
- centres de décision' intérieurs, dispersés et micro-économiques (qu'il
s'agisse d'individus, de groupements familiaux, ou de ,groupes sociaux
plus importants).
En matière de planification la puissance publique a un effet
direct sur les trois premiers types de' centres de décision (soit de
manière autoritaire, soit sur la base de considérations économiques et
financières). Dans la qUatrième cas, la réalisation .d'une révision sup-
- 145 -

à une organisation économique plus vasto que celle à laquelle il appartient


traditionnellement, et qui peut remettre en Cause également l'organisation so-
cigle dans laquelle il vit.
La réussite d'un développement du milieu rural, en particulier, sup-
pose donc de la part de l'agent (individu ou groupe) :
.. un intérêt économique réel.
- la perception d'une fonction économique nouvelle et durable.
- l'adhésion à une transformation de l'organisation sociale qui soit
à la fois possible et stable et compatible avec les impératifs techniques. En
fonction de ces facteurs il convient donc de distinguer les individus ou les
groupes sociàux afin de pouvoir apprécier réellement les chances dlune prévision.
d. Les réseaux de liaison entre catégories :
Partant des définitions de catégories que nous aVons esquissées plus
haut (organisation de l'espace et fonctions économiques attachées au milieu,
organisations techniques et structure de production et de consommation liées,
catégories de centres de décision) il convient alors de connaître les liens
économiques qui existent entre ces différentes catégories.
Ces liens peuvent d'ailleurs être de plusieurs types (flux matériels,
effets d'entraînement par la variation des flux matériels, la diffusion de
l'innovation, ou l'imitation). Les effets d'entraînement peuvent être eux-mêmes
plus ou moins automatiques.
L'important est que ces liaisons ne sont pas quelconques. De plus
elles sont orientées préférentiellement, c'est-à-dire qu'elles se produisent
dans un sens mieux que dans l'autre (ceci pour les effets d'entraînement).
Il s'ensuit que du point de vue de l'efficacité de l'action exogène
au système économique (action extérieure au système, publique ou privée), leur
connaissance est fondamentale. Le choix du point d'application de l'action
extérieure doit reposer à l'endroit qui transmettra las effets les plus favo-
rables (sans prendre parti sur le critère de mesure de ces effets).

CONCLUSION.
Le type d'informations et les méthodes dont on dispose traditionnel-
lement sont conçus pour la gestion d'ensembles économiques relativement déve-
loppés. Un développement économique à base régionale suppose des méthodes de
recueil de l'information, d'étude et de formulation en rapport avec le problème
- 146 -

posé : celles-ci ne peuvent vriasemblablemènt se trouver que dal~ la recherche


d'une meilleure connaissance de l'organisation et des mécanismes intimes du
système économique en voie de développement.
Dans le raisonnement il est sous-entendu, comme un fait d'expérience,
que 10 développement économique. au sens le plus général va de pair avec une
organisat~on tochnique nouvelle. Cette organisation technique suppose une cer-
taine organisation de ~'espace (et la spécialisation de fractions de colui-ci)
et n'est compatible qu'avec certaines organisations sociales. Il ne suppose
sciemment ou inconsciemment aucune adhésion ou préférence pour un système de
répartition' àu'un système social donnés. .-,
- 147 -

CONcr.lJsrON : REf1ft.P.QUES FOUR UNE RECHERCHE.


PLURIDISCIFLINAIRE FN NII.IEU DIFFERENT

"Lo monde est ( ••• ) moins notro roprésentation


.. quo notre vérificnti6nll G. BACHELARD (1)

~:-:-:-:-:-

Sans vouloir en forcer la signification, ni leur attribuer une repré-


sentativité qu'ils ne possèdent peut-être pas, i l apparaît que les textes qui
précèdent - tout en manifestant une certaine diversité de préoccupation ~ s'ins-
. .
.crivent dans le cadre d'une conception commune de la recherche dont on se
propose, pour conclure, d'esquisser les limites et les principales tendances.
On soUhaite ainsi contribuer - fut-ce de cette façon modeste- à fonder les
prémisses d'une réflexion méthodologique collective.
A. Toute activité scientifique s'inscrit dans la doubla exigence
Il circulaire" de l'observation des faits et de la réflGxion théorique, la se-
conde transcendant la première mais ne cessa: t finalement de lui être soumise.
A cet égard, c'est la nature des faits étudiés qui constitue la principale
caractéristique des recherches dont il a été question dans ce Cahier. C'est le
fait qu'elles s'effectuaient dans des sociétés et dans des cultures profondé-
ment hétérogènes à la tradition occidentale qui a conditionné toute la perspec-
tive méthodologique dans laquelle elles s'inscrivent. On peut définir, pour
préciser les idées, une notion de distance socio-culturelle entre la société
observée et son observateur. Cette di~tance est minimum lorsque celui-ci étudie
sa propre société dont il connaît parfaitement - du moins peut-on l'admettre -
la structure, la culture et bien entendu, la langue. Elle est au contraire
maximum lorsque tous ces éléments lui sont inconnus ou doivent être remis

(1) "Le Nouvel Esprit Scientifigue", PUF, p. 44.


- 148 ~

systématiquement en question. La position du chercheur est en principe la plus


favorable dans le premier cas: là connaissance qu'il possède dù milieu ,lui
permet d'aborder directement des ordres de recherche déjà très élaborés; on
a vu ici même comment l'analyse économique s'appuyait sur l'observation d'in-
dicateur.s qui n'avaient de sens que s'ils se rapportaient par exemple à des
conditions de l'échange parfaitement définies et. qui n!étaient pratiquement
.::: . . ~: _.' .".: .._:":: :_...
.' .. : .. _"::::~,.:: :~. :..;.,~-- .: :..
" '

tels que dans nos sociétés. industr:j..elles ~ Pe.. même, 1,Ule recherche psycho-socio-
..... .... .." .. , ", :..... _... _.:_....:....-..,,--_.•.. ~.:. __ .::. , ..... :
logique valable nécessite une connaissance étendue à la fois de la société et
. Au :)..q.ngage IUoyen de cOJl1~unicqtion entre .1' enquêteur et l'enquêté, nécessaire
pour:distinguor
. . '." .... ..
;'
le m~festedusous-jacent,
: . .
' . , :'.
10 descriptif
,
du projectif. - :.'.

Certaines disciplines comme l'économie, la sociologie, la psychologie, etc •••


ne sont donc applicables qu'à nos.PX'oPI:l';s.sociétés ou à des sociétés dont
les éléments de connaissance nécessaires ont au préalable été réunis.
,Lorsque .la. dista.ncE;l'·PWturelle est au contraire maximum, comme
c'est le cas ici, la recherche doit débuter par une l~ngue étape'descriptive
destinée à faire connaître au chercheur l'univers socio~cultureld.ela popu-

lation étudiée • Cette description nécessite.)' intervention ~e ces Utechniques


du dépaysement Il - selon l'expressioIldeLevi-Strauss - que l'on désigne sous
le .terme.générique de méthode etlmographiq.ue. Cette étape - qui est un but en
soi pour l'ethnologue, qui la poursuit pour les besoins de sa propre finalité
scientifique- ne constitue qu'un préalable,nécessaire mais non suffisant,
pour l~sdisciplines précédemment citées. Ainsi nous apparaît; dans le cas
des sociétés hétérogènes ,à la nbtre, :a nécessité d'un ordre chronologique
. d'intervention des différentes sciences, débutant par l'ethnologie et se pour-
suivant par les. disciplines plus abstrai tes et plus formal~sées..; .
,B. Slil conditionne. sa démarche méthodologique, le ,fait de .travail-
1er sur des civilisations différentes conduit également le chercheur à consi-
dérer d'une autre manière son objet de recherche et la nature même de sa
démarche scientifique. Opérant sur sa propre société, dont la connaissance
lui est implici te et .habituellement inconsçiente) et dans laquelle, i l ne puise
qu'à mesure de ses besQins, le chercheur finit par voir cette ~ociété d'une
façon fragmentaire, limitée à la seule optique de sa recherche. Lorsq~'il se
trouve au contraire en présence d une société dont i l ignore tout- ou dont 1

i l est du moins fondé à tout remettre en question - son extranéité par rap-
port à cet objet lui en, rend sensible à l'évidence la glo bali té et l'opacité.
- 149 --

Ce n'est pas un hasard si la notion de fait social total, si le fonctionnalisme,


puis le structuralisme, ont pris en anthropologie le développement que l'on
sait. Dans ce domaine l'objet proposé à notre connaissance passe en quelque
sorte au premier plan, aux dépens des aspects partiels étudiés par chaque dis-
cipline particulière. Face à cette résistance massive à son effort de connais-
sance, la nécessité méthodologique où il se trou~e de multiplier ct de coordon-
ner - seul ou en équipe - les approches multidisciplinaires, conduit le chercheur
à mettre en question la nature et les limites de la connaissance apportée par
chaque discipline.
A la conception "chosiste" d'une science tenant sa nécessité logique
d'un objet qui lui est ~ropre, il apparaît alors plus justifié d'opposer une
notion relativiste et, si l'on peut dire, complémentariste, dans laquelle chaque
discipline n'est plus qu'un point de vue partiel et particulier - privilégié,
d'une façon artificielle justifiée par sa seule fécondité - sur une réalité
globale qui le dépasse de toutes parts. S'agissant d'un objet ·de connaissance
possédant une totalité fonctionnelle - ou que l'on peut du moins postuler
telle - chaque discipline s'efforce alors de reconstruire cette totalité, mais
d'un point de vue et da.ns une perspective qui lui sont propres. Elle en met de
la sorte en relief un aspect particulier et reconstruit l'ensemble à partir de
cet aspect et.par rapport à lui. L'effet de perspective dû à ce choix partiel
et partial imposera donc une certaine déformation non pas certes aU réel, mais
à l'image que nous nous en ferons. Ainsi, et en simplifiant sans doute abusi-
vement, on peut dire que la géographie reconstruit la société à partir et autour
du paysage, l'économie à partir et autour des phénomènes de production-échange-
consommation, etc .•• Le plan du village et celui du terroir serviront 'de base au
sociologue pour. reconstituer la structure lignagère alors que celle-ci servira
réciproquement au géographe à expliquer la structure du village et celle du
terroir •••
L'approche pluridisciplinaire - inévitable de toutes façons dans
l'étude des civilisations différentes - se justifiera dans cette conception
comme la juxtàposition dynamique~ dans une perspective cette fois totalisante,
des images p8.rtielles obtenues par chacune des diverses disciplines. Cette
juxtaposition permettra de mieux lnesurer la pe~t d'explication que nous apporte
chacune, sa signification dans un cadre plus large et les distorsions inhérentes
,à son optique particulière. On pourra, à partir de là,. concevo~r une connaissance
plus complète de l'objet observé, intégrant la totalité de notre connaissance
sur cet objet.
C. Sur le plan théorique cetteconceptio~ relativis~e et complé-
. '. . ' , . . .-

inentariste de l'ordre entier des sCienC8$ hwnaines ne résout certes pas tous
les problèmes mais nous pormet de mieux comprendre, e.n leur donnant un cadre
théorique qui les justifie 0t les coordonne, un certain nombre de principes
exprimés dans les textes qui précèdent et quelques-uns de lours corrolaires
- le principe d'une approche multidisciplinaire, selon un ordre
chronologique détermin~, y trouve en particulier une telle justification.
Dans le même ordre d'idée une conception égalemênt relativiséo de l'objet
d'une science peut intégrer les différents points de vue exprimés à cet égard
dans les textes qui. précèdent. Au lieu que cet objet soit r~vendiquégans sa
totalité phénoménologique par une seule discipline, nous sommes amenés à nous
souvenir que celle-ci n'en retient que, certains aspects, conditionnés par sa
perspectiveparti~ulièreet pouvant varie~avec celle-ci. Il nous devient
. . .

ainsi naturel de concevoir qu'un même obj~t} considéré dans sa globalité,


puisse "appartenir" par des asp~cts différents à des disciplines différentes.
- par là aussi,le principe d'une unité des sciences. humaines au
niveau de la communauté des techniques de recherches, tels qu'il s'exprime
dans l'un des textes qui précèdent '. s 1 i l nous paraît compréhemsiblesur le
.plan opératoire} nous semble en même temps devoir être complété. etajlJ.sté sur
celui de la théorie. Il faut d'abord remarquer qu'il y a une adéquation cer-
taine entre une science, son point de vue sur le réel, sonobjet~ts~s tech~

niques d'observation. Ceci, qui est un aboutis$ement et non une nécessité


logique, tient au fait qu'une science, Ou une orientation de.recherche, n'est
généralement pas créée ex nihi~o, à part~r d'une déduction logique ; elle
naît d'un objet particulièrement évident
.
et facile.à
.
saisir, .
d'un problème ou
. ,

d'un besoin nouveau, quelquefois diune analogie féconde ou de l'apparition


d'une technique. Elle constitue alors son objet, sa méthode et sa théorie,
quelquefois sa "chapelle" et se montre généralement fort jalouse de son bien.
Dana la mesure où cette situation est un stimulant pour la réflexion sans lui
être une entrave, elle ne peut être que féconde. En tous cas, il n'Eist pas
tout à fait exact que les technologies soient d'emblée communes à toutes les
formes de recherche. Il vaudrait mieux dire que, en fait, chaque science reste
peu ou prou attachée à une méthodologie et ré ciproquelm nt , mais que chacune
- 151 -

peut et doit participer - lLOn seulement avec son appareil techniq,'I,le, màis avec
la problématique et la réflexion théorique qui lui sont attac4ées - à l'appré-
hension totale de l'objet de connaissance.
~ de même, on peut diro que certains probldDles·tels q1,l,e l'b.étérogé-
néitéradicale des sociétés, comme le pense volontiers l'ethnologie ou, au
contraire, leur comparabilité comme le postul2nt les disciplines plu§ forrna-
lisées, ne sont nullement liées à la nGture de ces sociétés. Elles résultent
d'un choix opéré par le chercheur selon qu'il s'attache à t~Q~er ce qyi les
'éJ-

distingue et à les reconstituer en entités sin~arisées pa~ la m~ltip~icité


des aspects retenus, ou qu'il Cherche aU contraire, par un e~rort d'abstraction
sur la totalité mouvante de leurs manifestatiops concrètes, des éléments iden-
tiques, comparables ou transposables. Le premier parti-pris est surtout attaché
à une recherche m?nographique, qualitative, v~sant à définir l'unité structurale
et la cohérence interne d'une unité d'observa~ion - un groupe par exemple - bien
déterminée. Dans le second cas, par contre, on se trouve en présence d'une ana-
lyse par "dimensions" cherchant à définir des variables et SI appuyamt sur l'ana-
lyse quantitative ,pour déterminer la signification de leurs différences ou de
leurs changements, et les relations existant entre elles.
Au total, on se rend compte que la caractéristique générale de cette
conception de la recherChe, liée répétons-le à une situation particulière à
l'égard de l'objet d'observation, aboutit à donner à cet objet l'importance
principale et à relativiser, à ordonner par rapport à lui, les différentes
formes d'approche qui peuvent lui être appliquées.
D. A côté de ces considérations théoriques on peut essayer de définir,
dans le même esprit, les principales conséquences pratiques de cette conception
de lâ recherche. On a vu cOlnment une mise en question totale de l'univers socio-
.culturel observé impliquai t la nécessité fondamentale d'appliquer à cel ui -ci une
pluralité de procédures de recherche, que celles-ci soient le fait d'un seul
chercheur ou d'une équipe multidisciplinaire. Il nous semble que l'on peut dis-
tinguer dans la relation qui s'instaure de la sorte entre les disciplines - et
les chercheurs qui les représentêht ~ trois étapes sucèessives~ Précisbna que
ces étapes ne se présentent pas nécessairement de façon t~anc~~e tout au long
d'une opération de recherche. Elle se différencient progresslvement &~ règard
de leur objectif mise au point d'un outil de recherche, c~écutiond'un son-

dage, et peuvent se constituer en cycles de longueur inégale pouvant être mo-


mentanément superposées.
- 152 ~

- la première étape est celle de lacollocte ; on peut y distinguer


deux moments. D'abord une phase d'approche descriptive, très générale, néces-
saire à la connaissance d'une s6ciét~ suppos~eentièrement inconnue. L'obser-
:':'

vation yutilise lè~ méthadés d'observation de l'ethnologie et s'appuie sur


. . -
tous les ~:Léments directement saisissables pouvant servir de "noeuds de
. ~ . i' ~.. :.'

questions" selon l'eipression de Griaule. Les objets, leur technologie et


• 1. :~

leurs US8;g8S, les individus ~vec-lEjUrs particularités et leur histoire, les


",V:0cqbulaires spéciali.sés Ëlervent aillsi dê' point de départ et de "témoins
raE!sur~m:(' pouterirprÙIlÙr une autre formule du même auteur. Dans une équipe
'pluridisciplinaire, la tâche de tollii :est à' ce stade identique et relève de
l'ethnogr.iphie.Mais tand,is que l'ethnologue y ostcornme on l'a déjà noté,
."; :

di éiiiblée auéoeur de sa:r'~cherche, il ne' s ' agit pour IGS autres que ci' un
'. préalable à ieur travai], "spécifique .La seconde phase de cette première étape
est caraet~risée par une différenciation progressive entre les chercheurs,
par rapport à leur objet de recherche. Chacun, selon sa spéèiali té, Y définit
'. 'ses 'dbJectifs propres et les instruriJeIlts ..;. IndicateUrs , questionnaires, etc •••
aumoyendesqueis Îl ch,:,rchera à los att~ind~e. Alors que la première phase
était surtout qualitative sauf pour des phénomènes immédiatement dénombrables,
c'ést ici que pout intervenir une quantification systématique. On peut con-
. devoir'- dans une équipe bién: soudée - une façon particulièrement intéressante
de concevoir cette partie du travail. On. suppose que les chercheurs opèrent
èhacun sur un terrain différent, choisi selon un plan d'échantillonnage dé-
terminé. Chacun construit alors, l'instrument d'observation adapté à ses
objectifs particuliers de telle manière qu'il puisse être confié aux cher-
cheurs des autres disciplines, qui jouent ainsi pour lui le rôle d'enquêteur,
sur le terrain qui leur est dévolu. Si certaines observations particulièrement
complexes restei;rt" à effectuer pour chaque spéciaÙste celui~ci dlspose:
au moins d'urte masse d' observations plus étendue et pius large que s'il opé-
rait seul, eninême temps qu'lI 'gagne: une VUe plus complète: et piusdiver-
sifiée de son propre terrain d'enquête .
.. Làse;onde étape de cette recherche en équipe pluridisciplinaire
serait la phase de dépouillement et d'exploitation. Après avoir été dans la
, ,

phase précédente ethnologue,puis chercheur dans sa discipline en même temps


qu'enquêteur pour les autres membres de l'équipe, chacun y retrouverait alors
sa pleine spécificité. C'est à ce niveau que l'économiste se retrouverait
- 153-

économiste, le géographe géographe, etc .•• Interprétant ses matériaux dans le


cadre théori~ue de sa discipline, ajustant l'un à l'autre, chacun reconstruirait
la société, objet commun de recherche, dans la perspective ~ui lui est propre.
En général c' est à ce stade ~uè Si arrête une rechercne "monodisciplinaire".
On peut concevoir une troisième étape ~ui soulève de nombreux pro-
blèmes mais ~ui devrait aussi se r(3véler féconde et originale. C' est celle où
l'é~uipe reconstituée en tant que telle s'efforcerait de coordonner les points
de vue et les connaissances particulières apportées par chacun pour en consti-
tuer une connaissance synthéti~ue et cohérente de l'objet commun de recherche.
Chaque chercheur continuerait à y assumer son propre point de vue de sociologue
ou de démographe, cette fois non plus isolément mais face aux autres et en
fonction de leur point de vue. On possède déjà des exemples remar~uables de
tentatives de ce genre (1) ~ui nous font espérerç'.le l'on pourrait en généra-
liser la pratique et en codifier - au cours de réflexions collectives - les
conditions et les objectifs. En termes concis, disons ~ue le problème serait. 0

définir un champ d'interprétation commun dans lequel les données spécifi~ues

recueillies dans 10 cadre de cha~ue discipline seraient définies. chacune - sous


forme par exemple de variables - dans leur position, leur rôle et leur poids
relatif par rapport aux autres. On pourrait alors les intégrer dans un ensemble
structural, dans un modèle intégrant de fa.çon cohérente la somme de nos connais-
sances sur l'objet de recherche initial. Ainsi passerait-on, comme le proposait
Bachelard, de l'observation à la vérification.
Pour complexe ~u'elle soit, et pour discutables qu'en soient peut-être
les premiers résultats, cette attitude épistémologique serait sûrement plus
fructueuse ~ue celle ~ui se borne à juxtaposer simplement des chapitres sur le
milieu naturel, la. démographie, les conditions techniques et économi~ues, les
facteurs religieux, sociaux, etc ..• sans intégrer réellement tous ces éléments
dans un schéma opératoire qui les rende comparables. De telles tentatives sou-
lèvent des problèmes techniques délicats, certes, mais face auxquels nous ne
sommes pas entièrement désarmés. Elles risquent par contre de se heurter, sur
le plan théorique et idéologique à des répugnances et des dogmatismes plus
enracinés. Une telle attitude méthodologique touche en effet à des options fon-
damentales acceptées souvent comme décisives et que l'on doit nèr;~ ·~trc de

(1) Notamment une étude pluridisciplinaire effectuée en Côte d'Ivoire et dans


laquelle H. LHUILLIER a joué un rôle très important.
- 154 -

remettre, au moins mom8ntaném~nt, en juu comme de simples hypothèses de travnil.


C'est pourtant l~ seule fnçon d'apporter un peu de lumière sur des problèmes
. .

fondrumontnuxtels quo les rôles com~~rés deus le fonctionnement et l~ tr~ns-


fo~~tion des sociétés dos fnct0urs cognitifs et nff~ctifs ot do fncteurs liés
nu nùlieu tel quo l'économique, le socinl ou 10 sncré. Ln maîtrise des méca-
nismes impliqués p~r une politique d'action directe quelle qu'en soit l'ins-
piration - et 10 développoment en est uno - est cependant à co prix.

:' .'
- 155 -

ANNEXE
, ; . ----:.---~~"":"-

ELABORATION D'UNE DOCUMENTATION CARTOGRAPHI Q1JE -


-----------------------------~-------~--------

SES POSSIBILITES D'UTILISATION


par IJI.JlI. GOUELLAIN ( Géogrnpho)

L'élaboration d'une telle documentation a pour but de fournir une


information de base SUr les réalisations cartographiques d'un pays et d'établir
une collection de références par thème les documents qui la constituent peu-
j

vent en effet servir de modèlroà la réalisation d'atlas nationaux ainsi qu'à


l'illustration des thèmes géographiques de recherche dans les pays en cours de
dévéloppement.

1°) Documents utilisés.

1 - Ils comprennent essentiellemen~ des .atlas : atlas nationaux (1)


et régionaux, atlas spécialisés, et accessoirement des cartes
thématiques, qu'elles s'inserren-':: ou non dans un pays (cartes
volantes ou planches hors-texte de revue).

2 - Ils intéressent pour un certain nombre d'entre eux les pays en


. cours de développement ,mais la majeure partie concerne les pg.ys
industrialisés bien que les réalisations cartographiques les j

atlas en particulier des pays de la zone intertropicale aient


retenu en premier l'attentio~.

3 - Ils comportent presque exclusivement des publications postérieures


à la seconde guerre mondiale.
~En effet à propos de la documentation consultée, parue
j

auparavant quelques remarques peuvent être formulées : dans


j

les pays encours de développement les atlas ne comportent


j

bien souvent que des cartes chorographiques ou ne proposent


que des généralités, les cartes thématiquës-intéressantes ne
recouvrent que des étendues restreintes et concornent
des secteurs bien précis de recherche. Cette documentation
généralement insuffisante et de présentation médiocre met en
évidence le caractère récent des recherches entreprises dans
ces pays et les mobiles daxmoIlÏq!.ics qui les. qntsuscitées. Par
. contre, dans le s pays industrialisés elles se caractérisent
j

par une grande diversité de réalisationS cartographiques,

(1)· On entend par "atlas nationaux" les atlas géographiques fondamentaux com-
plexés de pays distincts, contenant une récapitulation et une généràlisation des
connaissances scientifiques contemporaines dans le domaine de),B, ~C?gr13.phie
physique économique et politique du pays considéré (cf. K. SALICHTCHEV, Atlas
j

nationaux, 1960).
"'Ill r- C" "
- 1 JO -

ré sul tant de rechêr-cheï:î mUltiples dans des secteurs scien-


tifiques différenciés: de là, une certaine variété d'atlas,
perfectionnés systématiquement et une gamme relativement
étendue de. cartes thématiques dont la qualité d'infor-
mation et de préserltation est pour l'Ehoque satisfaisante
dans 11 ensemble.
- IJIais depuis la seconde, guerre mondiale 1 bon nombre de pays
ont pris conscience de la nécessité d'aménager et de pla-
nifier rationnellement le territoire. Le développement de
cette planification a eu pour conséquence une valorisation
de la carte. Pour répondre à ces préoccupations, les pays
industrialisés procèdent à l'établissement de diverses
so~tes d'atlas, atlas nationaux et régionaux notamment,
et à l'élaboration de multiples" cartes. Ces réalisations
basées sur une documentation statistique abondante et
diversifiée se caractérisent par une technique de rédaction,
desmoyens de reproduction et une exécution polygraphique
remarquables. Les publications des pays en cours de dévelop-
pement reflètent les mêmes préoccup~tions. L'information y
apparaît plus étendue et plus différenëiée'et l'utilisation
des moyens techniques actuels a permis une amélioration
,très nette de leur présentation,· qu'il s'agisse des atlas
nationaux ou régiona,ux ou des cartes thématiques. La ré-
édition de certains atla~ ,fait l'objet de miSffi à jour, de
remaniements de structure, parfois d'un agrandissement de
l'échelle (1). Il convient de so uligner .. le rôle déterminant
des cartes topographiques établies et parues à une date
récente, qui ont servi de fond aux cartes thématiques.'
Mentionnons également les progrès en étendue de la couver-
ture photographique aérienne de nombreux pays qui cn"'; p@rrois
aussi la rédaction de cartes topographiques à moyenne et
petite échelle.
Ainsi, pour ces différentes raisons~ la quasi-totalité
des documents utilisés est postérieure à 1950 et même la
majeure partie d'entre eux, précisons le, se si tue aux
environs ou au-delà de 1960.

20 ) Méthode (cf. tableau synoptique).

L'élaboration de cette documentation résulte desélections succes-


sives effectuées à différents niveaux.

a) Le recensement des atlas n'a pas été effectué exhaustivement. Les


références bibliographiques ont été sélectionnées d'après plusieurs critères
le cadre géographique, l'échelle, la nature et le genre de l'ouvrage, la date
de parution, la transcription linguistique, etc •..

Les cartes volantes ou planches hors-texte de revue ont étérecen~


sées dans la mesure où elles peuvent constitUer un appoint de dOCUtllentation

(1) Tel l'Atlas du Tanganyika.


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avec avec cote
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cote

I ~
OBSERVATIONS DIVERSES :
1. !la] eur ct expression-da.....J1A1las,.

l - Inf'ormation.
1) Information qualitative, .... -.. ....
2) Information quantitative,
3) Appréciation générale.
2 - Présentation et expression.
1) Couleurs et dessin,
2) Facture,
3) Expression cartographique
3 - Niveau d'analyse.
1j Les échelles,
2 Les unités de base,
3 Cartes d'analyse et cartes de synthèse,
4) Cartes prévisionnelles.
PROCESSUS D'ELABORATION DE LA DOCUMENTATION

Document
CONSULTE (inscrit systématiquement sur fiches
Catalogues ----r~ëapitulatives, instruments de travail).

éliminé ou
1 00,,-/
~
IDENTIFIE --~ fiches d'identification CIl.s:l
.-lPi
fichiers 1 Etablissement +> CIl
ATLAS éliminé ou CIl !-l
- QO
rcJ 0
INVENTORIE ---> fiches d'inventaire 'Q)
00 QO
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éliminé ou 'r-! ~
ouv:rages 1 d'un 00 al
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EXPLOITE --) fiches d'étude o Q)
A 00
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bibliogra- It
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fichier
phiques ~
'Q) Fichier analytique (II)
U)

(1) classement thématique


index 1 --71 bibliographi'iue
r
CARTES
al
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VOLANTES ~ Q)
analytique classement +> ~

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Document -
'al 0'
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CONSULTE (inscrit systématiquement Pi
00 CIl
PLANCI-IES Q) !-l
récapitulatives, instruments d

l
.s:lQO
<:,) 0
ou géographique HORS-TEXTE C;::'%b
éliminé ou
OO+>
EXPLOITE ---) fiches d'études al s::l
de ou
REVUE rcJ&
00 Q)
géographiqu !-l 00
D'OUVRAGES . Q) 00
.r-! CIl
OO,.-l
000
o
A
II. Structure de l'Atlas.

l - Milieu naturel.
1) Inventaire des thèmes,
2) Relief,
3) Sujets traités par thème.
2 - Les: ho~es et leurs a~tivités>
1). Inventaire des sujets selon les principaux thèmes histoire, popula,tion, faits sociaux et culturels, économie,
organisation administrative, villes. •
2) De l'observation des phénomènes à l'explication.
3) De la sireple investigation démographique aux:autres structures.
3 - Structure de l'Atlas.
1) Ordre de présentatio.n.
2) Des cartes les plus simples aux plus complexes.
3) Structure de l'atlas.
III. Conclusion sur la valeur descriQ!.:j,ye de ~~tlas.
Federation of Rhodesia and Nyassaland FICHE D'INVENTAIRE D'ATLAS Ge CC 42 40
Federal Atlas.
r
Titre des cartes
1 pr.1
ou Objet ,.. Echelle
--,
page
En couleurs.
Afrique : bistre
Réseau hydrographique et océan. (bleu),
L'Afrique du Sud. 2 Communications intérieures 1/p 000 000 chemin de fer et toponymie (noir),
Communications. 1961. et extérieures. routes terrestres et maritimes (rouge),
voies aériennes (violet) écritures en
bleu et noir.

En couleurs.
9 teintes hypsométriques (vert -->bistre
-->brun) .
En carton, croquis de la localisation de
la Fédération de Rhodésie et du Nyassa-
Fédération de Rhodésie 3 Oro-hydrographie 1 villes, 1/2 500 000 land en Afrique du Sud au 1/32 000 000 :
position relative de la Fédération. Même
fond mais sans voies aériennes.

Carte géologique de'la· En couleurs.


Fédération de Ffubdésie 4 Idem Il
18 caissons. courbes de niveau (bistre).
et Nyassalandc.1961. Même fond que 3.

En couleurs (6).
Gîtes minéraux: lettres rouges. Champs
aurifères : gris. Grands filons du Sud,
Carte minéralogique Identification des gîtes gisements de charbon et de cuivre :
provisoire de.Rhodésie minéraux et localisation Il
plages de couleurs.
et Nyassaland. 1960. des principaux gisements. Toponymie des gisements en n0ir diagram-
mes de même couleur retracent l'évo-
lution de la production de 1908 à 1958.
Fond identique gris, routes en rouge.

(1) Le signe + indique l'existenca d'une fiche d'étude


Le signe - correspond à une carte éliminée.
- ---~ 1"61--

appréciable, lors de l'illustration de certains thèmes. Les 'mêmes critères


président à.leur sélection. Notons toutefois, le rôle inportant de l'échelle qui
conditionne -en partie l'utilisation ultérieure du docunmnt.

b) L'exploitation d~s atlas ost fonction de l~intérêt de leur contenu


d'une part,de l'originalité _et ùe l'expressivité de lour représentation carto-
graphique d'autre part. On procède aU choix de ces représentations après con-
frontations successives de cartes traitant d'un même sujet, dans le cadre d'un
thème dOlli1é. Ainsi les transcriptions graphiques des phénomènes géographiques
les plus originales ,at répondant le mieux aux sujets traités forment la "col-
lection de références cartographiques". ~1ais il arrive que soient retenues éga-
lement les réalisations intéressantes susceptibles de convenir à d'autres mi-
lieux géographiques ou dl être appliquées à d'autres manifestations q'.le C€UX du
"phénOIaène étudié':

De l'exploitation des documents résultent: _ _


1 ~ des renseignements généraux sur la présentation matérielle et le
contenu des atlas •• Précisons toutefois que la rédaction de la
rubrique "observations diverses" suppOse une connaissance pra-
tique de l'ouvrage assez poussée, c'est pourquoi elle est établie
après exploitation de l'atlas. Un plan 'igrille" du corüllientaire de
cet-'W----fiohe a étéétabH à par-:irde l'expérience acquise d'un
certain nombre d'entre eux, en vue de normaliser la structure et
la présentation de ces observations.

2 - une série d'inventaire d'atlas. Les fiches d'inventaire d'atlas


(cf. exemple) indiquent les titres des cartes, l'information dont
elles font l'objet, leur échelle, et décrivent brièvement les pro-
cédés techniques utilisés ainsi que les illustrations annexes.

3- ~e collection de références cartographiques: fiche d'étude com-


portant l'analyse et la critique des rG~résentationssélectionnées
aveC reproductions photographiques : diapositive et éventuellement
photos annexes en noir et blanc.
La présentati:m de ces fiches varie selon l'origine du docu-
ment (cf. exemples).

c) En résumé, l'exploitation des matériaux a donné lieu jusquià présent à


. . .. .

- deux sortes de fichiers: l'un bibliographique (1) - (class~ment


géographique), 'llautre analytique (n)- (classement thématique).

- un certain nombre de dossiers qu'il s'agisse d1atlas (1) ou de car-


.- tes volantes o1J: de planchés hors-texte de revue.
--------. "

(1) Leur contenu varie selon l J intérêt de l'ouvrage. En principe un tel dossier
conprend -: :- une fiche d'identification, .
__ - un:ensemble de fiches d'inventaire - _
.--_.- --. - une ou plusieurs fiches d'étude de cart~s avec reproduction (s)
photographique (s) en noir et blanc: (tirage de la diapositive et des photos
annexés év~ntuelles) ; les diapositives faisant l'objet d'un classement séparé.
Il coinpqrteen outre accessoirement un certain nombre de fiches qui per-
mettent une' utilisation plus comrr~de de cette documentation.
Précisons que l'ensemble de ces docunlonts peut &tre conservé par les uti-
lisateurs éventuels ainsi que-lesreproduction-s'photograpl1iquèS en noir et
blanc: seules les diapositives sont prêtées pour la durée d'un mois.
~~B:~~=;Q~-~~J=~S

TITRE
Types ofa~··')omero.tions and
OBJET
Idem, Selon les actiyi tés de leur
, ORIGINE'
Titre dEil:Atlas du recueil des cartes:
l
rural districts. population.
~ .
Atlasover Sverige.
(Typesd'agglomératio~s et préparé" par :
districts ruraux 1950). Sveruka' Sallskapet for Antropologi och
,'Geographi .
(Printed in Sweden by AB Kart 0 grafiska
-'Institutet. Esselte AB stockholm. 1957).
'Editeur:
PAYS OU REGIONS INTERESSES- : Suède. Generalstabens Litografiska Anstalts
Forlag. Stockholm.'
Echelle : 1/2 000 000
Lieu d'édition et date:
Date de la carte: 1957. Stockholm. 1957.
Edition: Livraison :
Auteur (s) : Gerd ENEQUIST. l
PRESENTATION NATERIELLE DE LA CARTE
Langue (s) : Suédois ~~eeflée, reliée e~ non, en livret.
, Anglais : résumé et légendes.
Nombre de coupures et régions correspondantes :
Planche N° 59~60 Carte N°.: 59 - Nord du pays. " ,
60 - Sud du pays.
avec Notice •• sans
aVeS
Texte : saRS ~e~te-eR-±égeR~e Dimensions : H. 400 (x2) L. 420

Auteur: Gerd ENEQUIST. Couleurs : eR-Re~~, noir et couleur (s),


ee~elH's.
SOURCES ET DOCm~NTS UTILISES
Nombre: 10 Tonalités:
Recensement de 1950.

LIEUX DE CONSULTATION POSSIBLE


BN cote Ge DD 45 78
1
cote
cote
Ge DD 4578 (59-60)

ANALYSE ET CRITIQUE : LEGENDE


Fond de carte : en gris : infrastructure ferroviaire et réseau hydrographique N,.B. Certaines communes
en noir: (tiretés) : limites dèS comtés, noms des localités où chiffres qui ren- lorsqu"on superpose la carte
voient à une liste lorsque place manque. des communes, établie sur
calque transparent, appa-
La carte indique les types d'agglomérations et les districts ruraux en se référant raissent de deux couleurs,
aux activités des habitants. par exemple rose et tur-
quoise, jaune et vert •
• Secteurs d 1 activités : ( cf. stq.tis:ti.9.l.lè~ o!ff:j:.,ç~elles) agriculture (1) i Ceci prOvient de légères
industrie et mines (II), communic~tibns (III)~ commerce (IV), services variatlons dues à la réali-
publics (V), travaux domestiques (VI), divers (VII) - (IV), (V) == regroupés sation successive des cartes
en "activités de services". . à des périodes différentes,
le. 18c'teur en est prévenu
• Classement des communes: la proportion en %dugroupe d'activité prédo- éventuellement.
minant a été calculé pour chaque commune et d'après les données, leur
type a été déterminé. .

Classification des communes rurales :~ groupes


- a > 50 % f de personnes employées dans
- b <:: 50 % U' Agricul ture et activités annexes.

a) Subdivision du groupe l :
- en fonction de l'étendue des terres tenues par les agricultéurs.
Exploitations classées en 3 catégories, d'après leur taille
(cf. Légende).
- en fonction du nombre de personnes employées aux forêts et
pêches comparé au total d'employés, et variant selon l'impor-
~~~··des,superficies des terres forestières.
D'où différents types de commune :
- majorité des exploitations agricoles > 'ta ha: commune agricole;
- majorité des exploitations comprises entre 5et 10 ha , commune
occupant. lme .. posi tion intermédiaire., di te commune de petites
exploi tations i . .:
- majorité des exploitations <5 ha : commune d'exploitations
, miniatures i majorité des habitants appartenant au groupe l ;
-majorité des exploitations <5 ha, au moins 30 %des employés
relevant du groupe r', forestiers,' (tenant ou non une exploitation
miniature) les fermes couvrant de larges étendues de forôt ••• :
communes forestières, les dernières n'ont été distinguées que
dans le Norrland, Dalarna et Varmland du Nord i les coramunes de
pêche ont été incluses dans les communes d' exploi tations
miniatures.
, .... / ...
Ge DD 4578 (59-60)

Ces d~ffére~t~ types couvrant de vastes étendues. Il n'a, pas t~~jours été
pJsaible en effet, de rendre compte du type géographique' de chaque commune, VU
la généralisation qu'une représentation cartog:raphül'ie requi",rt. '
Une confrontation avec la fig. t (carte '61-62) de la répartition de cultures,
permet d'établir une correspondance r~gion agriGole'~ tyPe' de districts !-.ral:x.
ex •.: plaine agricole, paroisse agricoïe....~_..' ,
. b) paroisses mixtes sontlocalisé~s dans les superficie~ à activités
rurales, où elles jouent un
rÔle économique' important, elles se
trouvent aussi à la périphérie des a:gglomé.r8~tions.

• Les agglomérations : , "


statistiques officielles: agglomération d'oit avoir au moins 200 per-
sonn,es vivant dans des habitations conjointement groupées.

Classement adopte :
- èatégories sont les mêmes que dans' le reCensement de 1950 ; mais
zones suburbc;ünes incluses dans les vHli3setcentres <: 500
habitants: commUnes rurales.
- tableau 2 indique la répartition des agglomérations selon la
te.ille ; '., :.'
- Classement :, réf~J;'ence élU pourcentage dès gens employés dans les
différents secteurs dl activite ," màis à "la différence de celui
adopté pour les communes rurales". '
= les %sont calculés en se référant aux employés ayant des
salaires importants et sont classés en vue de faire des
comparaisons avec la distribution des autres agglomérations.
= le travail domestique et les activités non spécifiés ont été
répartis entre les différents groupes •

• Plusieurs diagrammes illustrent le texte:


le 1e montre les relations entre les 3 secteurs d'activités et
donne le schéma de leur distribution •.
- le 2e indique la. cOJ;gpo~i. tiqD- ..q.e~.Çl.cti vi:1;é.s. des. villes.
- le'3e, celle des communautés "semblables aux ~illes" avec plus
de 2 000 habitants.
- les 4e, 5e et 6e : celle des agglomérations groupamtrespectivement
une population de 1 000 à 1 999 habitants, de 500 à 999 habitants
et enfin de 200 à 499 habitants. '
Quant aux autres diagrammes, (24). il~.m9ntrent les variations
régionales par comtés.
. - . 1 ...
Ge DD 4578 (59-60)

• La taille et le type de chaque agglomération sont mis clairement en évidence.


La taille : distinction aisée entre villes et autres agglomérations C> 2 000
habitants et 500 à 2 000) : 2 sortes de symboles; carrés proportionnels,
cercles de 2 tailles selon l'importance des effectifs.
Le type: déterminé par l'importance des activités, compte tenu desdiffé-
rentes catégories sociales, et individualisé par une coUleur (cf ~légoride) ; "

• La carte établit une cert2ine corrélation entre le rôle économique des


campagnes et le type d'agglomération correspondant. En effet, les zones
industrialiséesrenferrnent généralement des ,agglomérations industrielles de
toutes tailles (cercles rouges) et les ~rand.s centres eux-mêmes sont aussi
des villes industrielles (carrés rouges). Les agglomérations y sont nom~ "
brouses. L'industrialisation des zones rurales de la Suède apparaît donc
très nettement sur cette carte. Quant aux régions agricoles, elles comptent
un nombre d'agglomérations moins élevé que les districts industrialisés,
bien souvent les pl~s gr&nds centres ne rencontrent pas de concurrence de
la part des agglomérations avoisinantes. La 'qualité de leur équipement en
services leur permet de desservir un vaste arrière-pays environnant.

Représentation cartographique très soignée, couleurs agréables, exemple intéressant.


En ,effet la plupart des cartes qui représentent une classification des agglomérations
selon les activités de leur population indiquent rarement les critères d'après los-
quels ce classement a été effectué. Le commentaire de cette carte au contraire
mentionne non seulement les principes de cette classification mais il reproduit sous
une forme sucainte les données statistiques concrètes ayant trait à chaque agglo-
mération. Ces informations complètent la carte et permettent une vérification du
travà:il 'du 'cartographe
0

'"
CARTE VOLANTE (1)

TITRE OBJET ORIGINE

La France laitière. Cheptel bovin laitier: densité, Auteur (s) : R. BROSSIER. Ingénieur Agronome.
Densité du cheptel bovin lai- répartition des races, leUlBapti-
tier et répartition des races. tudes. préparé par : -
Etablie par lilnstitut Géographique
National.

Editeur: idem.
PAYS OU REGIONS INTERESSES ': France. Lieu d'édition et date:
Paris. 1945.
,.
Echelle : 1/750 000.
Edition:
Date de la carte: 1945.'

Langue (s) : Français.


PRESENTATION IVJ.ATERIELLE DE LA CARTE :
Notice . avec Texte en légende : B:vee
sans sans
Nombre de coupur0s et régions correspondantes: 1
Auteur : non précisé.
Dimensions : H. 70 cm. L. 840 cm.
Couleurs : eR-fte~p, fte~p et ee~e~ (s),
SOURCES ET DOCUMENTS UTILISES couleurs.
Enquête effectuée en ,juin 1943 auprès des Comités lai tiers
départementaux. .",' Non.bre : 13 ... Tonalités:

LIEUX DE CONSULTATION POSSIBLE


cote Ge BB 482.
cote
. cote
(1) La présentation au verso"deêèt'"exemI)le"eraüsuivarit est semblable à celle du verso des fiches d'atlas.
CARTE IN/HORS-TEX~g~vu~_Ouvrage)

TITRE OBJET ORIGINE

münchens als Pendler Proportion des migrants vers Titre de la Revue ou de l'Ouvrage: .
ZentruriJ. 1950. münich en 9; de la population Berichte ZUT Deutschen Landeskunde.
münich, centre de migratiOI active de chaque commune.
pendulaire Auteur. :
Bundesanstalt für Landeskunde. Zentra-
larchiv für Landeskunde von Deutsch'.and.

Editeur:
PAYS Ou REGIONS INTERESSES: münich et sa banlieue. Selbstverlag der Bundesanstalt für
Landeskunde.
Echelle : 1/300 000
Lieu d'édition: Remagen.
Lieu d'édition.ct date de la carte: Remagen (s.d.)
N° de la Revue : Band· 19, Heft;2 Année : 1957.
Aute~r (s) : C. BORCHERDT, aus dem Geographischen Institut der
Technischen Hochschule, München.
PRESENTATION MATERIELLE DELA CARTE·
Langue c(s) : Allemand Page ou N° Hors-Texte : carte n02

Titre et auteur de l'article (pp.) : Die Wohn-und Ausflugsgebiete Nombre de coupures et régions correspondantes : 1
in der Umgebung Münchens.Eine sozialgeographische Skizze.
p. 173 à 187. C. BORCHERDT.
Dimensions : H. 345 L. 245

SOURCES ET DOCUMENTS UTILISES Couleurs : eR-Re;i,;p, noir et couleur (s)


Heft 188 der Beitrage zur Statistik Bayerns~ couleurs.
. (Cahier 188 des Rapports statistiques de ln Bavière).
Nombre: 7 Tonali tés :

LIEUX DE CONSULTATION POSSIBLE


BN cote Ge DD 40 29 (19-1)
ReVue cote Ge fF 16035
cote
Mais une typologie des transcriptions graphiques par phénomène et par pays
pourrait être envisagée.

3°) r~cun1entation et utilisation.


Une telle docUU1entation apparaît souhaitable aussi bien pour l'il-
lustration des thèmes géogr2phiques de recherche (1.) que pour l'établissement
des atlas nationaux (2).

a) Les chercheurs et cartographes qui ont des cartes à établir, que


ce soit dans une optique régionale ou à l'échelon du territoire, peuvent,
compte tenu de l'information dont ils disposent, choisir parnù les transcrip-
tions graphiques qui leur sont propoElées, analysées et critiquées celle qui
mettra le mieux en valour 10 phénomène géographique étudié qu'ils ont à
représenter"· ,
. D'autre part, si l'inventaire des nombreux atlas consultés a fait
ressortir une certe~ne diversité de présentation et de contenu, il nlen
demeure pas moins, que la fréquence et la constance de certains sujets (3)
ont été mises en lumière.
Ainsi, la présente documentation peut donc apporter un certain nom-
bre de suggestions.

b) L'exploitation des matériaux se poursuit en fonction des thènBs


._.prinçip9.ux~ de recherche mais aussi en se référant au ,progrannnedes atlas en
cours ou en préparation dans les Centres. Elle peut être orientée également
sur des sujets particuliers en vue de répondre à des demandes précises de
docUfficntation. .

c) Il va sans dire que cette documentation denBure toujours ouverte


car elle s'enrichit constamment par l'apport de nouvelles analyses et de
nouvelles parutions. De ce fait, elle reste toujours à reconsidérer.

Cette simple note a pour but d'informer chercheurs et techniciens


des possibilités d'inforn1ation qui leur sont offertes. (4)
Les conclusions que nous avons tirées de l'exan1en et de l'étude
des atlas et des cartes fera l'objet d'unprochain article.

(1) Les thèmes retenus sont - Expression cartographique régionale,


- Rapports villes/can1pagnes, ...
- Colonisation des terres neuves,
- Etude des terroirs "agri·coles".

(2) L'ORSTOM poursuit la publ:i,cation des atlas du CaIiloroun et du Congo


Brazzaville; l'atlas de Côte d~Ivoire est en cours de préparation; un
atlas provisoire au 1/1 000 000 en Haute-Volta est prévu dans le cadre du C.N.R.S.

(3) Si cet inventaire apporte d'excellents éléments d'information et de com-


paraison, il met aussi en évidence l'absence quasi-totale de représentations
cartographiques traitant de certains sujets. .
(4) Des listes récapituL"1.tives indiquant l' étntd' n.vOllcemcmt de l'él,.."born.tion
de cotte documontation sont à la disposition dos utilisateurs éventuels.
(çf.(~:KE3rnple table<:'eu,. çi'7.Çontri'J .pourÜ",.colloction .de référol1ces ..crtrtogrnphiquos.
II. POP U L A T ION

~~~~~~~~.

Migrations journalières. Z nes d'at Ge DD 46 56 (17) 1961 Frnnce 7 Nord.


trnction dos agglomérations. 1954

Migrntions journalièros. Types do Ge DD 46 56 (16) 1961 FrnncG, Nord.


communes. 1954.

L'ampleur des mouvements pendulairos. Ge AA 22 01 (16) 1955 Rhénanie-Westphalie.


carte 2

Bilan migratoire de chaque commune. Ge AA 22 01 (16) 1950 Rhénanie du Nord-Westphalie.


carte 1

Excédent des arrivées et des départs Ge AA 22 01 (15) 1955 Rhé~2Die-Westphalie.


dans les Lnnder. 1950-1954. Croquis
annexe

L'immigration et l'apport de la main Ge AA 01 (16) 1955 RhénaniG-Wüstp~~li8.


d'oeuvre féminine. carte 3

Les migr~tions de travailleurs dans


le département du Doubs 7 pays de SG 8° DIII3 (7) 1960 Département du Doubs.
Montbéliard et Besançon exclus. 1954.

Münich, centre de migrations pendu- Go DD 40 29 1957 r'iünich.


laires. 1939 (carte 1)

Münich 7 centre do migrations pendu- Ge DD 40 29 (19-1) 1957 Münich.


laires. 1950 carte 2

Contres de migrations dans la banlieue Ge DD 40 29 (19-1) 1957 Münich.


de Münich. Les communes los plus attrac- carte 3

A titre d'$xemple, un extrait de la liste des fiches d'étude, classéos par thèmes principaux et par
suj et : Thème: Population, suj et migrdions.

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