Vous êtes sur la page 1sur 5

18/06/2023 05:57 La lettre et le fétiche | Cairn.

info

Éditorial
La lettre et le fétiche
Le fétiche, l’objet et la jouissance
Didier Castanet
Dans L'en-je lacanien 2019/1 (n° 32), pages 5 à 9

Article

L e fétichisme est le paradigme des perversions, car dans toute perversion existe
un fétiche qui fonctionne comme objet a venant cacher ce qui a été ouvert par la
castration. L’objet fétiche dément la barre sur l’Autre et indique que la femme n’a
1

pas perdu le phallus, mais qu’elle peut le perdre. Au travers du fétiche, la castration
est à la fois a firmée et déniée, car le démenti se réfère à la perception du manque de
pénis chez la femme. Le fétichiste sait que la femme ne possède pas de pénis, mais il
conserve ce savoir à l’écart au moyen de l’objet fétiche. Pour le pervers, qui ne
reconnaît pas la castration et a firme la promesse de l’universalité phallique, l’objet
fétiche est le substitut du signifiant de la femme, c’est-à-dire qu’il vient supplanter la
méconnaissance de la jouissance féminine. C’est à partir de celle-ci que nous
pouvons mieux comprendre Freud quand il nous dit que les névroses sont le négatif PDF
des perversions, puisque c’est le désir – la castration – qui est refusé dans les Help

perversions.

C’est dans un texte plutôt méconnu de Restif de la Bretonne qu’on trouve ce qu’on 2
peut appeler la première description littéraire d’un fétichisme sexuel. Le pied de
Fanchette, paru en 1768, décrit l’e fet quasiment « clinique » que produit le charmant
pied de Fanchette Florangis sur une « foule d’hommes », de tous âges et de diverses
conditions. Admirée « de la tête au pied », cette Fanchette semble puiser son
« charme » dans cet appendice pédestre dont on ne sait pas ce qu’il possède en
propre, sinon qu’il leur fait cet e fet. Cet « appât » ne trouve pas fortuitement son
premier admirateur chez un certain Apatéon, qui ira jusqu’à dessiner pour ce pied-là
une « forme nouvelle » de chaussure : « Son joli pied battait la mesure, nous dit
Restif, et chaque mouvement qu’elle faisait portait de nouveaux désirs dans l’âme de
https://www.cairn.info/revue-l-en-je-lacanien-2019-1-page-5.htm 1/6
18/06/2023 05:57 La lettre et le fétiche | Cairn.info
[1]
M. Apatéon . » La spirale dès lors est ouverte : c’est en tant que pied que Fanchette
est à chaque fois convoitée, ce qui donne lieu à une étrange déclaration d’amour :
« Au plus joli pied, dira un soupirant, que j’eusse encore vu… je ne pouvais plus m’en
détourner… » Au point qu’il demandera… la main de la propriétaire d’un si joli pied,
digne du soulier de vair de Cendrillon.

Plus d’un siècle avant d’être homologué comme fétiche dans la nomenclature 3
sexologique, le pied chaussé trouve ici sa place : prise à la lettre de l’objet et de son
prestige fétichique.

Notons sans attendre davantage que c’est avec la question du fétichisme que Lacan, 4
en 1954, après le « Discours de Rome », met à l’épreuve le ternaire réel, symbolique et
imaginaire. Le fétichisme apparaît dès lors pour Lacan comme ce qui « articule, d’une
manière particulièrement frappante, ces trois champs de la réalité humaine que nous
avons appelés le symbolique, l’imaginaire et le réel [2] ».

L’invention du fétichisme a été un tournant chez Freud qui lui a permis de réorienter 5
ses élaborations. Pour lui, le fétiche « rambarde » le sujet contre l’horreur de sa
propre castration. Le fétiche n’est pas le phallus, mais le voile derrière lequel se laisse
dessiner la possibilité de sa présence cachée.

Sur ce point, Lacan dira dans son séminaire IV, La relation d’objet, lors de la leçon du 6
27 février 1957 : « Toutes les perversions jouent toujours, par quelque côté, avec cet
objet signifiant en tant qu’il est, de sa nature et par lui-même, un vrai signifiant,
c’est-à-dire quelque chose qui ne peut en aucun cas être pris à sa valeur faciale.
Quand on met la main dessus, quand on le trouve et qu’on s’y fixe définitivement,
comme c’est le cas dans la perversion des perversions, celle qui s’appelle le fétichisme
– c’est vraiment celle qui montre, non seulement où il est vraiment, mais ce qu’il est –
l’objet est exactement rien. C’est un vieil habit usé, une défroque. C’est ce qu’on voit
dans le transvestisme – un petit soulier usé. Quand il apparaît, quand il se dévoile
réellement, c’est le fétiche [3]. »

Qu’est-ce qui se trouve écrit, inscrit dans cet objet ? Freud a relevé le défi pour PDF7
débusquer le statut de cet objet qui porte bien une inscription. Il s’est fait le Help

Champollion de cet objet, y décelant une inscription particulière. Le fétichisme nous


semble un test clinique éminent de ce départage violent des puissances de l’objet et
des pouvoirs de la lettre.

Que le fétiche touche au regard, c’est ce qu’enseigne la clinique freudienne. De ce que 8


quelque chose n’a pas été vu que l’on attendait (le phallus sur le corps de la mère) s’est
produit paradoxalement cet enkystement du regard. Le fétichisme a le pouvoir
d’instaurer autour de son fétiche un voyeurisme légitimé. Le fétiche ne « donne rien
à lire », parce qu’il donne trop à voir. Mais parce qu’il sature le visible, il fait écrire.

https://www.cairn.info/revue-l-en-je-lacanien-2019-1-page-5.htm 2/6
18/06/2023 05:57 La lettre et le fétiche | Cairn.info
[4]
Dans son écrit sur le fétichisme , Freud nous explique que c’est une « partie du 9
corps » qui est choisie comme fétiche par son jeune patient, mais plus le signifiant
que l’appendice nasal anatomiquement repérable. La qualité de l’objet tient à un
certain « éclat », « ainsi le nez était ce fétiche auquel, du reste, il [le jeune homme]
pouvait au gré octroyer ce brillant que les autres ne pouvaient percevoir [5] ». Il y a
autre chose. Le nez n’est promu fétiche qu’à la faveur d’un jeu de mots. C’est un
court-circuit de deux langues, celle que le patient parle, l’allemand (Glanz : éclat), et
celle qu’il parlait « à l’école maternelle », l’anglais (Glance : regard). Regard et éclat
deviennent synonymes, confirmant l’être de regard du fétiche. Il y a bien
translittération (de glans à Glanz), mais celle-ci a aussi sa ligne de mire : le nez. Le
fétiche tient ici au fil fragile d’une lettre, mais celle-ci prend corps par cet index
anatomique.

Si on se réfère au cas de l’Homme aux loups, de Freud, la lettre V a toujours valeur de 10


chi frage de la jouissance puisqu’elle désigne, sur le versant fétichiste, la castration
« démentie » de l’Autre. Le volet pervers met en évidence le caractère essentiel de ce
sigle, qui est de susciter la présence instantanée de la jouissance. Cela met en
exergue les enjeux de la lettre dans le rêve terminal de l’Homme aux loups. Ce rêve
constituerait une sorte d’imaginarisation de l’opération du refoulement originaire,
qui présente sous un jour nouveau la nature de la castration en cause.

Fétiche, objet et jouissance ?

On peut trouver une réponse à cette question dans le virage qui se produit dans le 11
traitement du fétiche par Lacan entre le séminaire La relation d’objet et le séminaire
L’angoisse. À ce tournant, il se sert du fétiche pour dévoiler la dimension de l’objet a
comme cause du désir. « Qu’est-ce qui est désiré ? Ce n’est pas le petit soulier, ni le
sein, ni quoi que ce soit, où vous incarniez le fétiche. Le fétiche cause le désir. Le
désir, lui, s’en va accrocher où il peut […]. Le fétiche est la condition dont se soutient
son désir [6]. » C’est un détachement de l’objet par rapport au phallus en tant que PDF
signifiant, en tant qu’il fonctionne comme bouchon de la castration. Help

À la lettre

Ce qui se lit avant tout, c’est justement l’inconscient, comme message, à lire à la 12
lettre, dans les articulations signifiantes de ce qui s’en dit. Ce message est celui de la
vérité dans ses e fets sur le désir. L’inconscient, celui de Freud tout autant que celui
de Lacan, est déchi frage. La vérité, qui parle moyennant le processus primaire, est
une vérité de jouissance, étrangère au principe de plaisir, à la moindre tension, à
l’homéostase, à l’éthique du juste milieu.

https://www.cairn.info/revue-l-en-je-lacanien-2019-1-page-5.htm 3/6
18/06/2023 05:57 La lettre et le fétiche | Cairn.info

Ce qui règne dans l’inconscient, ce n’est pas le plaisir, mais la jouissance qui se 13
déchi fre dans un discours. Et ce discours, par les ombres de sens qu’il traîne derrière
lui, est à la fois méconnaissance de la jouissance, aliénation de la jouissance dans le
champ de l’Autre. S’il en est ainsi, on délimite la possibilité et le terrain de la
psychanalyse en tant que praxis éthique : à la recherche de la jouissance perdue.

L’analyse serait ainsi processus de lecture avec un stylet ou un rayon laser qui rende 14
audible ce qui est inscrit et inconnu du sujet : la jouissance elle-même. Il n’y a pas,
pour ce travail, de code caché à découvrir : il y a au plus un code ou une pierre de
Rosette à produire, celle de lalangue, où la jouissance serait chi frée, étrangère à la
batterie des signifiants de la signification conventionnelle. De l’impression, évitant le
refoulement et la répression, à l’expression, à la production de ce livre ou de cette
lettre cachée, volée en même temps qu’exposée, comme celle de Poe, dans chacun de
ceux qui parlent.

Comment alors comprendre cette fonction de la lettre comme condensation de 15


jouissance, comme fixation de jouissance ? La lettre a alors cet usage de provoquer
puis de chi frer la jouissance. Ce chi frage renvoie à la réalité essentielle du sujet,
celle du réel, au-delà de l’imaginaire et du symbolique, qui est touché et délimité par
les processus primaires qui règnent dans l’inconscient, par le dire de métaphores et
de métonymies qui nous accrochent la jouissance impossible à articuler. Jouir au
littoral de l’impossible, jouir du déchi frage de la jouissance chi frée, numérée,
comptabilisée ; jouir d’un savoir qui ne préexiste pas au dire et qui, donc, ne s’y
découvre pas mais qui se l’invente. Se retrouver avec cette jouissance qui gît sous le
fait de parler mais dont le sujet ne veut rien savoir, a firmer la jouissance par le style
ou le stylet de la parole (ou de l’écrit par la lettre) qui l’inscrit dans l’Autre qu’elle vise.

La jouissance est ce qui se déchi fre. On saisit peut-être mieux pourquoi, avec la 16
lettre, on parle de chi frage ou de récupération de jouissance, dans le sens où par
l’écriture, par la lettre, quelque chose du réel persiste, per-dure, retenu. Les processus
primaires sont déjà des déchi frages et ils sont susceptibles d’interprétation. Le
déchi fré révèle une écriture qui, en tant que telle, est non-sens et n’appelle pas PDF
l’Autre comme le fait la parole. Help

L’interprétation porte sur la lecture de cette écriture, elle « est du sens et va contre la 17
signification ». Cette distinction ne renvoie pas à une opposition où il faudrait
choisir entre déchi frage et interprétation, mais à une complémentarité qui montre
jusqu’à l’évidence que chacune des deux opérations porte sur un point di férent de
cette ligne droite qui va de la jouissance chi frée au jouir du déchi frage (jouis-sens,
jouis sens, jouissance). Faire passer la jouissance par le diaphragme de la parole,
l’articuler, la traduire, la passer à la comptabilité.

Dans le dossier du présent numéro, chaque texte avec son style abordera ces 18
questions.

https://www.cairn.info/revue-l-en-je-lacanien-2019-1-page-5.htm 4/6
18/06/2023 05:57 La lettre et le fétiche | Cairn.info

Notes

[1] N.-E. Restif de la Bretonne, Le pied de Fanchette, dans La vie de mon père, tome IV,
Paris, Éditions du Trianon, 1931, p. 253.

[2] J. Lacan, « Discours de Rome », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 133.

[3] J. Lacan, Le séminaire, Livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 194.

[4] S. Freud, « Le fétichisme », dans La vie sexuelle, Paris, PUF, 1977.

[5] Ibid., p. 133.

[6] J. Lacan, Le séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 122.

Plan
Fétiche, objet et jouissance ?

À la lettre

Auteur PDF
Help

Didier Castanet

Didier Castanet est psychanalyste à Toulouse et membre de l’EPFCL.

Mis en ligne sur Cairn.info le 17/06/2019


https://doi.org/10.3917/enje.032.0005

https://www.cairn.info/revue-l-en-je-lacanien-2019-1-page-5.htm 5/6

Vous aimerez peut-être aussi