Chapitre 5 : La dimension technique globale de gestion des risques
Cette démarche repose sur un cycle de quatre étapes : L’identification des
risques (Méthodes à posteriori), l’analyse et la hiérarchisation des risques pour déterminer les causes, le traitement par la mise en place d’actions de maîtrise des risques (Préventions / protections) et enfin la définition des modalités de suivi et d’évaluation des actions engagés.
Etape.1. Identification et signalement des risques:
L'identification des risques est un processus permettant de repérer,
lister, et signaler les risques potentiels ou avérés. Elle est facilitée par l'existence d'une politique de gestion des risques avec notamment la mise en place de systèmes de détection rapide des EI ou de toutes situations à risques, le développement d'une culture de la gestion des risques et du signalement, une organisation structurée du dispositif de gestion des risques et un système d'information performant. L’identification peut se réaliser à l’aide de deux méthodes complémentaires (a posteriori et a priori) afin d’identifier les risques de façon la plus exhaustive, leur but est de porter un diagnostic transversal sur lequel l’établissement puisse s’appuyer pour hiérarchiser les risques et élaborer un programme d’action : 1.1. Identification a priori (On anticipe l’incident / l’accident) : Les méthodes d’identification des risques a priori les plus utilisées sont : Analyse de processus : Identification des points critiques et amélioration des étapes de fonctionnement notamment aux interfaces ; HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point): Identification des points critiques de contrôle ; Cette méthode (à priori) est peu utilisée dans le monde médical . 1.2 Identification a posteriori (On constate l’incident/ l’accident): .1.2.1. Les méthodes d’identification des risques a posteriori les plus utilisées sont : o le signalement d'événements indésirables qui se fait par des fiches de déclaration qui contient des données concernant le lieu de survenu et la nature de l’événement, ses causes, ses circonstances et les mesures prises pour éviter la récidive. Le système de signalement doit être simple facile à utiliser et à remplir, il est souvent concrétisé par un guide d’utilisation diffusé dans tous les services et centre d’activités de l’établissement. Les limites de ce système de déclaration sont la sous-déclaration massive et la faible prise en compte des événements, incidents ou accidents survenues : Absence de consensus du système, protection incertaine des déclarants, mauvaise ergonomie des systèmes de signalement et acculturation insuffisante. Pour y remédier, Secker-Walker et Taylor- Adams, 2001 identifient les facteurs de réussite d'un système de recueil d'événements indésirables comme suit : La formation des équipes médicales et infirmières ; L'engagement de tous les professionnels dans le processus de déclaration ; L'élaboration d’une liste définie d'événements à relever adaptée aux secteurs d’activité ; La conception d’une fiche simple, facile à remplir ; L’établissement des modes opératoires précis ; La mise en place des incitations au recueil ; La nomination d’une personne responsable de la coordination ; L’établissement des règles de fonctionnement garantissant la confidentialité des données et une gestion non punitive des erreurs ; La définition de stratégies consensuelles pour réduire la survenue des incidents et une évaluation de l’efficacité de ces stratégies.
o les enquêtes épidémiologiques: enquête sur dossier du patient,
o Revue de mortalité – morbidité : Analyse collective et rétrospective des patients dont la prise en charge a été marquée par un événement indésirable ayant entraîné une complication ou le décès. o L’exploitation des informations disponibles dans l’ensemble de la vie de l’établissement, par exemple : réclamations et plaintes exprimées par les patients ou leurs familles, risques identifiés par la démarche qualité ou l'accréditation, risques identifiés par les professionnels, par les différentes instances, les audits organisationnels . 1.2.2 Les différents circuits du signalement des risques : Les vigilances sanitaires réglementées : Il existe différents types de vigilances sanitaires. Elles sont au nombre de huit : La Pharmacovigilance : La pharmacovigilance concerne la surveillance des médicaments. L’hémovigilance : L’hémovigilance concerne les produits sanguins labiles. La matériovigilance : La matériovigilance concerne les dispositifs médicaux. La réactovigilance : La réactovigilance concerne les réactifs de diagnostic in vitro. La toxicovigilance : La toxicovigilance concerne les intoxications. La nosovigilance / Infectiovigilance : La nosovigilance concerne les infections nosocomiales. La biovigilance : La biovigilance concerne les greffes. La cosmétovigilance : La cosmétovigilance concerne les produits cosmétiques. Les maladies à déclaration obligatoire ; Les infections associées aux soins; Les événements indésirables ou porteurs de risques graves; Les accidents de travail et les maladies professionnelles ; 1.2.3 Les sources d’identification: Les risques peuvent être identifié par : Des experts extérieurs à travers: Les rapports des inspections Les visites de risque Les rapports d’audits externes de certification… Les professionnels de l’établissement par: La déclaration des événements indésirables Les vigilances sanitaires Les rapports d’audits internes, de diagnostics Les accidents du travail Les revues de Mortalité-Morbidité… Les patients ou leurs proches à travers: Les lettres de réclamations, les plaintes… Etape.2 L’analyse des risques : L’analyse des risques permet d’approfondir la connaissance des risques identifiés .Elle comporte deux phases, la première consiste en la hiérarchisation des risques. Cette hiérarchisation peut être effectuée en fonction de la criticité du risque (produit de la fréquence et de la gravité de l’évènement), en fonction de l’acceptabilité du risque, en fonction de l’évitabilité du risque (des études internationales ont révélé que 30 à 50% des EI seraient potentiellement évitables [32]) et en fin en fonction du coût du risque. La seconde phase consiste à identifier les causes au moyen des méthodes pour ensuite décider des mesures de traitement sous formes d’actions préventives et/ou correctives prioritaires. Il s’agit à la fois d’identifier les causes proximales /Immédiates et de causes racines / profondes.
2.1 La hiérarchisation des risques :
En pratique, La hiérarchisation dans sa première phase vise à quantifier les risques par la détermination de la gravité et de la fréquence des risques afin d’établir des grilles d’appréciation du risque en termes de fréquence et de gravité pour ensuite les placer dans une grille de criticité caractériser par les deux valeurs de fréquence et de gravité déterminées. Un espace d’acceptabilité et de non acceptabilité se dégagent. .2.1.1 Détermination de la gravité et de la fréquence des risques (Quantification ): Chaque risque est caractérisé par sa fréquence et sa gravité : - La fréquence « F » : La probabilité de survenue ou d’apparition de l’événement, c’est- à-dire les chances raisonnables que l’événement se réalise, nombre d’observations d’un événement dans un laps de temps ; - La gravité « G » : L’estimation de l’effet ou de conséquences humaines, organisationnelles, financières…etc. .2.2 Identification des causes: L’identification des causes préalables au traitement des risques repose sur : Une analyse des EI signalés : c'est l'analyse rétrospective des causes réelles (Approche a posteriori) ; Une analyse des processus de prise en charge des patients afin d'identifier les risques inhérents à ces processus : c'est l'analyse prédictive des causes potentielles (Approche a priori). L’analyse des risques est essentielle si l’on souhaite agir sur le risque. Elle s’applique notamment à la démarche a posteriori. Les événements, qu’il s’agisse d’incident, ou d’accident, ou d’un dysfonctionnement, sont analysés afin d’identifier leur cause. Il s’agit à la fois de causes proximales (Immédiates) et de causes racines (Profondes). .2.2.1 Les méthodes : Les méthodes d’identification de causes a postériori les plus utilisées sont: Les 5 « POURQUOI » Diagramme causes effets : Les « 7M » et ISHIKAWA : analyse systémique d’un dysfonctionnement selon plusieurs axes en identifiant les causes potentielles et leurs causes racines ; L’arbre des causes : Méthode déductive simple et systématique qui consiste à recueillir les faits et, pour chaque fait, effectuer un arbre des causes de ces faits. Ce travail permet d'isoler parmi les causes, des causes anormales; La méthode ALARM (Association of Litigation And Risk Management): Cette méthode analyse l'EI en décomposant les dysfonctionnements en défauts de soins(acte durant la prise en charge jugé non satisfaisant) et erreurs système (facteur s politiques, organisationnels, liés aux protocoles, etc.) afin de proposer des mesures correctives. Revue de Morbidité-Mortalité (RMM) : analyse des causes d’un évènement pouvant être confrontées à un référentiel dans tous les domaines cliniques ; Retour d’expérience (REX) : Méthode de capitalisation des connaissances au sein d'une organisation, reposant sur les principes suivants : l'analyse des besoins l'identification des sources de connaissance, la formalisation de ces connaissances, l'analyse des données recueillies, la mise en place du système de gestion des connaissances. Les méthodes d’identification de causes a priori les plus utilisées sont : Analyse préliminaire des risques (APR) : cette méthode consiste à décomposer le système en processus, à construire une cartographie des situations dangereuses à évaluer l'impact des dangers sur le système. Après avoir cartographié les situations dangereuses, ces situations sont classées par niveau de gravité et de vraisemblance, et les différents scénarios sont analysés. Méthode AMDEC: (Analyse des modes de défaillance et de leur criticité) : Analyse méthodique d’un processus critique ; Méthode AMDE (Analyse des modes de défaillance et de leurs effets) : Analyse simplifiée /AMDEC en l’absence de données quantifiées ; Autres : Audits, Enquêtes de pratiques, Visite de risques (Observation directe suscite, Implication large des professionnels, Observation directe sur site, Recherche de solutions etc ..
Etape 3 .Le traitement des risques:
L’objectif de cette étape est de définir pour les événements indésirables
dont la criticité est jugé inacceptable, les actions préventives et/ou correctives qui puissent prévenir ou atténuer les effets des risques identifiés, le tout afin de faire passer le risque d’une zone inacceptable à une autre plus acceptable. Ces mesures sont souvent regroupées dans les catégories suivantes: - La prévention ou la récupération, c’est-à-dire agir en amont par la mise en place d'actions correctives afin de limiter la fréquence de survenue des événements indésirables ou des dysfonctionnements et réduire les conséquences dommageables de ceux-ci. - La protection ou l’atténuation c’est-à-dire agir en aval par la mise en place d'actions préventives pour diminuer la gravité potentielle des événements indésirables par la mise en place de moyens de détection précoce du risque et de barrières effectives ; Chacun de ces mécanismes de traitement des risques met en jeu des concepts, des stratégies, des outils, et des niveaux d’organisation qui lui sont propres. Ils doivent être utilisés de façon construite et coordonnée. 3.3.1 La prévention: La prévention vise à réduire la fréquence du risque et donc d’éviter la survenu d’un événement redouté. La prévention n’a pas d’effet sur la gravité lorsque le risque se réalise. Plusieurs stratégies sont possibles : Il peut s’agir de la suppression de l’activité, Il peut s’agir de ne pas s’engager dans une activité qui apparait comme risquée; Il peut s’agir d’une modification de processus. Il peut s’agir du respect de la réglementation (Élaboration de normes de sécurité) Il peut s’agir du Contrôle par inspection (Services de l’État, Assurance maladie) Il peut s’agir la mise en place de barrières contre les risques : Il peut s’agir d’une maîtrise de l’environnement et des processus (visite de risque / cartographie des risques) . Il peut s’agir d’actions sur la compétence des équipes (recrutement, qualification), la mise en place de procédures, la formation à ces procédures, les actions qualités sur un processus non maitrisé ; 3.3.2 La protection : La protection permet de réduire les conséquences d’un risque qui s’est réalisé. Elle repose sur des actions dont la mise en œuvre atténue les conséquences d’un risque qu’il est impossible d’éviter. La fréquence d’apparition du risque n’est pas modifiée mais sa gravité est diminuée. La protection consiste à prévoir les situations à risque, à mettre en place un dispositif adapté afin de limiter la gravité en cas de survenu du risque. il peut s’agir de prévoir une conduite à tenir et les ressources nécessaires (équipement et personnel disponible et formé) en cas de survenu de l’événement. Dans tout les cas, la situation est anticipée, les procédures à mettre en œuvre sont prédéterminées, les ressources requises sont en place, le personnel est formé à réagir. 3.3.3 Les barrières : Gérer de façon adaptée la survenue des risques consistent à mettre en place des barrières physiques / techniques, des barrières organisationnelles / immatérielles et des barrières individuelles ou d’équipe. Un système sûr possède une combinaison de trois types de barrières : ● Les barrières de prévention : elles empêchent la survenue de l’erreur et de l’accident (ex : la check-list chirurgicale, barrière destinée à empêcher l’oubli d’une antibioprophylaxie péri-interventionnelle). Il s’agit de répondre à la question suivante : Qu’est ce qui pourrait éviter la survenue de l’événement redouté sur la base des causes identifiées ? Comment prévenir ? ● Les barrières de récupération : l’erreur est commise mais récupérée avant d’avoir des conséquences (ex : une antibioprophylaxie est prescrite au bloc opératoire mais l’infirmière prend connaissance de l’existence d’une allergie à la pénicilline dans le dossier médical et alerte le prescripteur qui modifie la prescription en conséquence). Il s’agit de répondre à la question suivante : Comment gérer et contrôler l’événement redouté avant d’aboutir à un événement dommageable pour le patient ? Comment détecter, comprendre et agir ? ● Les barrières d’atténuation des effets : l’accident est avéré, mais les conséquences sont limitées (ex : un patient n’ayant pas bénéficié d’une antibioprophylaxie est en choc septique, mais des hémocultures ont été réalisées très tôt, le germe a été identifié rapidement, un lit en réanimation est immédiatement disponible, le traitement est engagé rapidement). Il s’agit de répondre à la question suivante: Comment gérer la gravité avérée ? Comment atténuer ? Aucune barrière n’est capable à elle seule de contenir tout le risque. Il faut associer plusieurs barrières pour obtenir la sécurité voulue. Parmi les barrières existantes pour traiter les risques en milieu hospitalier, nous avons : La bonne conception du matériel ; Des contrôles et vérifications techniques du matériel (check listes, alarmes…); La maintenance ; Le contrôle qualité (lors de la réception des produits médicaux) ; Le respect des procédures, des textes de loi, des règlements, des recommandations, des bonnes pratiques, ... ; Le respect des consignes de sécurité; Une ambiance de travail saine ; Des protections individuelles pour les agents hospitaliers (gants…) ; La formation des agents hospitaliers. Une fois les mesures d’amélioration sont proposer, il faut les prioriser à l’aide d’une matrice de pondération. Etape 4 .Le suivi et l’évaluation des actions: Une fois les risques traités, une évaluation de l'action menée sera réalisée et un suivi mis en place afin d'identifier les risques résiduels éventuels. Elle peut comporter en l’examen régulier et continu de la pertinence et de l’efficacité des actions engagées vis-à-vis des objectifs fixés. Celui-ci se réalise par le suivi en fréquence et en gravité des évènements à risque que l’on entend prévenir; et par la mise en place d’éventuels tableaux de bords, des indicateurs et des rapports d’activité de la politique de gestion des risques.