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Signalons que la peste a souvent été confondue avec d'autres maladies. Ainsi c'est plus
certainement le typhus qui a emporté Périclès à Athènes en 329 av. J.-C. et Saint Louis
devant Tunis en 1270.
Alban Dignat
Chaque année, depuis lors, le fléau va prélever son lot de victimes dans la population,
affaiblie par la misère et l'insécurité propres aux temps barbares. Puis, à partir de 767,
au temps de Charlemagne, les chroniques en perdent la trace... mais il reste endémique
en Orient, en Inde et en Chine.
En accostant à Marseille le 1er novembre 1347, ils vont ouvrir au fléau les portes de
l'Occident.
L'épidémie se développe d'autant mieux et plus vite que la population est épuisée. Après
trois siècles d'expansion démographique, l'Europe est saturée d'hommes que les sols
peinent à nourrir. Les disettes, famines et « chertés » se font plus fréquentes et à ces
pénuries alimentaires s'ajoute la guerre entre Français et Anglais.
Les Européens croient au début que les miasmes de la peste se répandent par voie
aérienne. Aussi n'ont-ils rien de plus pressé, lorsque l'épidémie atteint une ville, que de
fuir celle-ci. Le poète Boccace raconte cela dans le Décaméron, son recueil de contes
écrit après que Florence ait été atteinte par la Grande Peste de 1347.
Un précepte s'impose à ses contemporains : « Cito, Longe, Tarde » (en abrégé CLT ; en
français « Fuis vite, loin et reviens tard »). On l'attribue à tort au médecin grec Galien
(129-201)... Mais cette fuite est la pire attitude qui soit car elle a pour effet d'accélérer la
diffusion de l'épidémie.
Face au fléau, les Européens s'en remettent à la prière. Ils multiplient les processions
avec flagellation et invoquent saint Roch, patron des pestiférés.
Beaucoup se retournent aussi contre les juifs accusés d'empoisonner les puits. Des
bûchers s'élèvent en particulier dans la vallée du Rhône, en Suisse et en Rhénanie,
malgré les remontrances de l'Église et du pape Clément VI (note).
Ces massacres sont d'autant plus prisés par les bourgeois qu'ils permettent l'effacement
des dettes contractées auprès des prêteurs juifs. Le pire survient à Strasbourg avec le
« massacre de la Saint-Valentin » le 14 février 1349. 2 000 juifs auraient été brûlés ou
massacrés ce jour-là selon un chroniqueur (mais le chiffre est manifestement exagéré,
considérant que la ville ne comptait pas plus de 5 000 ou 6 000 habitants).
En 1377, trente ans après l'arrivée de la Grande Peste qui a tué la moitié de sa
population, la république de Raguse (aujourd'hui Dubrovnik, en Croatie) a l'idée
d'obliger les navires qui arrivent dans son port à patienter trente jours avant d'accoster
afin d'éviter un retour de l'épidémie dans la cité marchande. Cette attente obligatoire est
bientôt portée à quarante jours et pour cela appelée « quarantaine ».
L'idée de la
quarantaine
est reprise en
1423 par la
cité de
Venise, dont
Raguse est la
vassale. La
Sérénissime
République
aménage un
lieu de
confinement
pour les
marins et
marchands
astreints à la
quarantaine ;
il est appelé
lazaret, en
référence à
saint Lazare,
saint patron
des lépreux.
Au début du
XVIe siècle,
il ne s'agit
plus
seulement
d'empêcher
l'entrée du
fléau dans
une ville mais
d'éviter
qu'elle
s'étende à
partir des foyers déjà contaminés.
L'Italien Jérôme Fracastor conteste que la maladie se propage par voie aérienne et
suggère une contagion d'homme à homme ou d'animal à homme.
Dans ces conditions, il importe avant tout d'isoler les villes et les régions atteintes pour
empêcher la propagation de l'épidémie. En 1478, en Catalogne, pour la première fois, on
a l'idée d'isoler les villes contaminées par des cordons de soldats. Cette technique dite de
la « ligne » est peu à peu perfectionnée par les Espagnols avec un réel succès : l'armée
coupe les communications et tire à vue sur les personnes qui tentent de passer !
Les médecins confrontés à l'épidémie désinfectent à défaut de mieux les malades avec
des éponges imbibées de vinaigre et se dotent de masques étranges à bec d'oiseau
remplis d'épices et d'onguents, ce qui leur vaut le surnom de « docteurs bec ». Ils
portent une canne pour toucher à distance les malades.
Toutes ces précautions n'empêchent pas la peste de refaire son entrée en France sous le
règne de Louis XIII, toujours par le port de Marseille. En 1628-1631, elle touche
plusieurs dizaines de cités, de Toulouse à Dijon, et tue encore quelques centaines de
milliers de victimes. Le reste de l'Europe n'est pas épargné. En 1575 puis en 1630,
Venise, l'une des cités les plus opulentes d'Europe, perd ainsi un quart à un tiers de sa
population.
En 1656, plus grave encore, c'est Naples, alors une des villes les plus opulentes
d'Europe, qui est frappée. Pendant six mois, l'épidémie fait rage à un rythme
incontrôlable. Certains jours très chauds, elle emporte dix à quinze mille personnes. Au
total, la ville va perdre la moitié de sa population.
Les Animaux malades de la peste
Nul n'a mieux que La Fontaine exprimé la terreur séculaire inspirée par l'épidémie de la
peste :
« Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie. »
Le fléau n'a pas dit son dernier mot. Il va encore sévir en Extrême-Orient à la fin du
XIXe siècle. La « peste de Chine », apparue en 1894, va tuer des millions de personnes
en Asie. Mais, présent sur place, à Hongkong, le médecin pastorien Alexandre
Yersin va réussir enfin à identifier le vecteur de la maladie. Il va s'ensuivre un vaccin
qui aura raison du fléau.
La « peste de Chine » va lancer quelques piques en Europe, dans les milieux pauvres.
C'est ainsi que 27 cas de peste bubonique dont 14 mortels sont détectés en 1920 parmi
les chiffonniers qui peuplent la « zone » des anciennes fortifications parisiennes,
infestée par les rats.
Journal de la Peste de Londres
Yersinia pestis serait apparue vers 55 000 avant notre ère et aurait muté vers 3000 av. J.-
C. pour survivre dans l’intestin des puces et bloquer leur digestion. Pour se défendre, les
puces multiplièrent les piqûres à la recherche de sang, et cette contagion par piqûres (et
non plus uniquement par gouttelettes dans l’air) entraîna la forme bubonique de la peste,
avec inflammation des ganglions. Les analyses les plus récentes ont montré que les
premières épidémies mortelles de peste dateraient du Ier millénaire avant notre ère.
Yersinia pestis s’est développée en Asie centrale, sur le plateau du Tibet, où les puces
proliféraient sur les rongeurs comme les marmottes et les gerbilles. Les problèmes pour
l’homme apparurent lorsque les puces passèrent sur les rats noirs – bien que d’autres
transmetteurs soient possibles – puis à l’homme.
Peste et littérature
La peste a inspiré nombre d'auteurs depuis Sophocle (Ve siècle av. J.-C.). Elle est tout à
la fois en effet la métaphore de la tragédie absolue et un révélateur des grandeurs et des
faiblesses humaines. Dans Œdipe-Roi, les dieux en colère envoient la peste sur la ville
de Thèbes en sommant les habitants de découvrir et punir le meurtrier du roi Laïos. Ce
meurtrier n'est autre que son propre fils Œdipe. Accomplissant la prophétie de l'oracle
de Thèbes, il a tué le roi sans connaître son identité puis a épousé la reine Jocaste, qui
est aussi sa mère, avant de monter sur le trône vacant.
Dans Le Décaméron, publié en 1353, l'écrivain florentin Boccace décrit la peste qui a
sévi à Florence comme ailleurs en Europe cinq ans plus tôt puis imagine sept jeunes
filles et trois jeunes hommes confinés à la campagne, loin de l'épidémie, qui vont tuer le
temps en se racontant des histoires aussi bien lestes que surprenantes. Avec Le
Décaméron, Boccace a ainsi inventé la nouvelle.
La Peste, roman publié par Albert Camus en 1947, à l'issue de la Seconde Guerre
mondiale, est une allégorie de l'oppression. Le romancier et philosophe imagine une
épidémie qui aurait frappé sa bonne ville d'Oran, en Algérie, et conduit les hommes à
leurs extrémités, bonnes ou mauvaises (note).
La « peste justinienne »
La pandémie qui met fin à un monde
À son apogée, au milieu du VIème siècle, l’empire romain d’Orient est brutalement
affecté par une épidémie de peste, la première connue dans le monde méditerranéen.
Elle va ruiner les efforts de l’empereur Justinien pour restaurer la grandeur de Rome.
Elle va aussi préparer le terrain à l’arrivée des conquérants arabes sous la bannière de
l’islam au siècle suivant…
Arrivé sur le trône de Constantinople en 527 à la mort de son oncle Justin, Justinien
s’affirme rapidement comme un empereur à poigne. Très vite, il entreprend de réunifier
l'empire romain et de reprendre l'Occident aux rois barbares qui l'ont occupé au siècle
précédent. Mais la peste va se mettre en travers de ses plans.
Elle entre dans l’empire romain en suivant la route commerciale de la mer Rouge : elle
se manifeste à l’été 541 à Péluse, sur le delta du Nil. Une fièvre s’installe puis des
ganglions gonflent et les malades meurent très vite, provoquant un effet de sidération
dans la population.
Une fois à Alexandrie, elle profite des rats embarqués sur les navires pour gagner les
ports de toute la Méditerranée. Les puces commencent par s’en prendre aux rats du lieu,
puis après quelques jours, une fois tous les rongeurs tués, elles s’attaquent aux hommes.
La population n’a pas les moyens de se prémunir contre la pestilence alors même
qu’elle en est informée.
La pestilence ne s’arrête pas à la capitale de l’Empire, même si ses effets sont moins
bien connus ailleurs : elle frappe les villes d’Orient, de Jérusalem à Antioche mais aussi
de nombreuses bourgades dès lors que le rat est partout – ainsi que peut-être d’autres
vecteurs.
À court terme, l’empire byzantin semble surmonter la crise. Tant bien que mal, Justinien
et son général Bélisaire parviennent à compenser les pertes dans l’armée pour mener à
bien leurs entreprises militaires, mais la crise est aussi économique. Il n’y a plus
d’argent pour payer les soldats et malgré une pression fiscale maximale, les impôts ne
rentrent plus par manque de contribuables. En 553, Justinien est obligé d’effacer les
impôts dus depuis l’épidémie. Aucun de ses successeurs ne parviendra à surmonter la
situation : trop peu d’hommes pour gérer un empire trop grand qui ne parvient pas à
réduire ses ambitions et s’épuise dans d’interminables guerres avec la Perse...
(sigue de pago)