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I.

Définition :

Les maladies émergentes, selon l'Office international des épizooties (OIE), sont,


depuis 2006, des « infections nouvelles, causées par l'évolution ou la modification
d'un agent pathogène ou d'un parasite existant. » Le caractère « nouveau » de la
maladie se traduit par exemple par un changement d'hôtes, de vecteur, de
pathogénicité ou de souche. On parle souvent de maladies infectieuses
émergentes (MIE), et le Plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc)
français considère qu'elles pourraient devenir plus nombreuses dans le contexte
du réchauffement climatique.

Elles concernent surtout les pays en voie de développement et posent d'importants


problèmes de santé publique (selon un rapport de 1997 de l'OMS, les maladies
émergentes sont responsables de 33 % des décès dans le monde).

Le phénomène n'est pas récent (la syphilis ou la peste et quelques pandémies


grippales ont été historiquement bien documentées), mais elles semblent en hausse
rapide depuis un siècle (leur nombre a presque été multiplié par 4 en 50 ans) ; avec
l'apparition des virus très pathogènes et à potentiel élevé de
pandémie VIH/SIDA, Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), virus de la fièvre
du Nil occidental, virus Ebola, H5N1 (qui est la première à croiser les données
écologiques et sanitaires à échelle planétaire, sur la base de statistiques accumulées
depuis 1940), etc.

Ces maladies sont souvent aussi des maladies animales ou l'animal peut être utilisé
comme modèle pour l'étude des émergences.

L’aire occupée par certains parasites et/ou leurs vecteurs potentiels


(tiques, moustiques..) est également en forte augmentation, ce qui préoccupe l'OMS,
la FAO et l'OIE en particulier concernant le risque de pandémie grippale lié au H5N1.

Les ports et, plus récemment, les aéroports ou les détroits se sont souvent montrés


(depuis le Moyen Âge au moins) des portes fréquentes d'entrées d’épidémies ou
pandémies, puis d'espèces invasives et/ou porteuses de parasites ou germes
pathogènes. On parle parfois aussi de syndrome émergent.

II. Développement des maladies émergentes :


Depuis l'Antiquité, des maladies épidémiques ou « plaies », « pestes », semblent
apparaître de nulle part, et laissent leur marque dans l'Histoire.

Quand, à partir de Louis Pasteur, et plus encore après la grippe espagnole, les
mécanismes infectieux et pandémiques sont mieux cernés, on comprend que
l'augmentation des voyages est une source de diffusion de nouveaux agents
infectieux.

En 1930, le bactériologiste français Charles Nicolle écrivait « Il y aura des maladies


infectieuses nouvelles … qui apparaîtront comme Minerve apparut, sortie tout armée
du cerveau de Jupiter… Pour qu'on la reconnaisse plus vite, il faudrait que l'infection
nouvelle soit… douée d'un pouvoir marqué de contagiosité, telle autrefois la syphilis à
son débarquement en Europe ».

Le même Nicolle, ainsi que le grand public estimaient en 1935 que « la fièvre


méditerranéenne est, sans doute, le meilleur exemple que nous puissions donner d'une
maladie d'origine récente ; ce n'est pas le seul. On peut avancer avec vraisemblance
que la méningite cérébrospinale a faite son apparition, vers la même époque sans
doute, dans les régions septentrionales de l'Europe. La coqueluche n'est point, non
plus, très ancienne. Il y a probablement du vrai dans l'opinion vulgaire qui fait de
l'appendicite une maladie récente ».

Le cadre sémiologique de « maladie émergente » est créé aux États-Unis au début des
années 1990 en réponse à une demande de l’État fédéral américain saisi par
l'apparition de maladies infectieuses qualifiées de « nouvelles ». Stephen Morse
et Joshua Lederberg vont utiliser pour la première fois le terme. Le concept de
l'émergence de pathologies nouvelles sera pris en compte par la communauté
scientifique européenne quelques années plus tard avec la création d'équipes
spécialisées sur cette nouvelle thématique des maladies émergentes, et de
financements destinés à la recherche.

Les premiers résultats du projet EDENext (Emerging disease in a changing European


environment), qui s'intéresse notamment aux tandems vecteurs-agents pathogènes
confirment une augmentation de fréquence des apparitions de maladies infectieuses
émergentes (MIE) : en 10 ans, de 1940 à 1950, une vingtaine de tels événements ont
été enregistrés, alors qu'il y en a eu plus de 80 dans la décennie 1980-1990.

III. Diffusion des maladies émergentes :


1. L’Homme en voyageant et plus encore en colonisant de nouveaux milieux, ou
en chassant, entre de plus en plus en contact avec une faune sauvage qui lui
est immunitairement « étrangère ». Il prend contact avec de nouveaux
parasites qu’il peut contribuer à diffuser, y compris via ses animaux
domestiques (dont chiens et chats véhiculant par exemple des tiques, elles-
mêmes porteuses de 3 ou 4 maladies dont la maladie de Lyme, ou
des rickettsies par exemple).
Les mammifères, génétiquement et physiologiquement plus proches de nous,
seraient statistiquement les premières sources de risque, mais on sait que les
oiseaux en sont une autre pour certaines maladies, dont la grippe, que
beaucoup de mammifères peuvent aussi contracter et diffuser, dont pour
certains variants. Ainsi les chiens, chats, cochons et chevaux, proches de
l’homme, sont sensibles à de nombreux virus grippaux).
2. Les humains et leurs animaux d’élevage et de compagnie circulent de plus en
plus, et de plus en plus vite.
3. La généralisation des antibiotiques dans les soins vétérinaires ou humains,
voire localement dans la nourriture animale, a favorisé l’émergence de
souches nosocomiales — au même titre, paradoxalement, que certaines
formes d’hygiène (selon Peter Daszak, certaines souches mortelles de
bactéries communes E. coli se sont répandues largement et très vite via des
produits tels que des légumes crus désinfectés dans de grandes unités
agroalimentaires centralisées qui diffusent ensuite leur produit à grande
distance. Ces maladies pourraient être un des prix à payer des formes actuelles
du développement physiquement mondialisé, estime le Dr Daszak).
4. En détruisant et fragmentant les derniers milieux à haute naturalité, nous
repoussons toujours plus la faune sauvage dans des territoires de plus en plus
exigus, où leur promiscuité et la perte de diversité génétique favorisent les
pathogènes et la contagion, alerte le Dr Marc Levy.

Quand ces 4 facteurs sont réunis, le risque d'apparition et diffusion brutale d’un
pathogène devenu ou susceptible de rapidement devenir nosocomial devient très
élevé.

De même, concernant les maladies transmissibles au bétail et aux volailles, les zones
d’élevage industriel qui seraient aussi des carrefours portuaires et aéroportuaires sont
des zones à risque d’apparition et/ou diffusion de pandémie selon l’OMS, la FAO et
l’OIE (par exemple pour le H5N1).

IV. Type des maladies émergentes :

Parmi celles qui sont jugées préoccupantes pour leur gravité en terme sanitaire et/ou
pour l'importance de leurs impacts sociaux-économiques potentiels, on trouve par
exemple (ordre alphabétique) :

 Chikungunya
 Covid-19, MERS et SRAS (maladies à coronavirus)
 Ebola (virus)
 Fièvre de la vallée du Rift (virus)
 Fièvre catarrhale ovine (FCO ; maladie de la langue bleue)
 Grippe aviaire (virus)
 Maladie de Lyme (bactérie)
 Maladie de Newcastle (virus),
 Maladie de la vache folle et Chronic wasting desease (CWD) chez
les cervidés d'Amérique du Nord (maladies à prions)
 Marburg (virus)
 Peste des petits ruminants
 Peste porcine africaine (virus)
 Phlébovirus se développant aux États-Unis, cousin d'un phlébovirus récemment
identifié en Chine.
 Sida (VIH)
 Syndrome pulmonaire à hantavirus.
 Syndrome de fièvre sévère avec thrombocytopénie.
 Ulcère de Buruli (Mycobacterium ulcerans).
 Virus du Nil occidental (virus).

V. Cause de diffusion des maladies émergentes :

Tout contexte d’instabilité écologique, paysagère, environnementale ou sociale


(guerre, déplacements de réfugiés, appauvrissement de populations, etc.) peut
favoriser une maladie émergente ou sa diffusion.
Les facteurs suivants semblent compter parmi les premières causes de prolifération
des maladies infectieuses.

 promiscuité ; La promiscuité entre les personnes et les animaux


domestiques et/ou sauvages, et la promiscuité entre animaux domestiques et
animaux sauvages, qui augmentent avec la mondialisation des transports et des
échanges sont un facteur de contagion ;

 érosion de la biodiversité ; (incluant le recul des prédateurs);

 Changements climatiques : ils favorisent la propagation des agents pathogènes


émergents ou classiques à travers le monde ; des années 1970 à
200025 les isogéothermes (lignes marquant sur les cartes une température
moyenne donnée) se sont rapprochées des pôles à raison de 56 kilomètres par
décennie, offrant de nouveaux milieux à coloniser pour les pathogènes des zones
chaudes. De la même manière certains pathogènes colonisent de nouveaux
milieux (moins froids) en altitude. L'OMS et l'OIE craignent une diffusion accrue
de zoonoses transmissibles à l'homme. En 2008, les craintes de 126 pays
interrogés par l'OIE portaient sur 3 zoonoses (fièvre catarrhale
ovine (dite maladie de la langue bleue), fièvre de la vallée du Rift et virus du Nil
occidental, mais de nombreux autres pathogènes (grippaux notamment
avec H5N1 et H1N1 sont potentiellement concernés)26.
 L’introduction d’espèces exotiques pathogènes ou elles-mêmes porteuses de
microbes ou parasites (ex : rat + peste au Moyen Âge en Europe):

 Perturbation du cycle de l'eau. Par exemple, la perturbation du rôle hydrique


des forêts, ou leur drainage (en modifiant les points d’accès à l’eau pour la faune)
intervient également dans la propagation de pathogènes. Le recul ou la disparition
des prédateurs carnivores rend les animaux beaucoup plus sensibles au
parasitisme et aux maladies (les animaux malades ne sont plus mangés en premier
comme ils l'étaient autrefois). Les zones humides sont connectées entre elles par
la trame bleue et/ou les corridors de migration aviaire Assécher une zone
humide peut conduire une population animale à émigrer vers un autre habitat,
éventuellement avec des pathogènes qui ont profité du stress occasionné par le
drainage. Ou parfois ce sont les populations humaines qui doivent aller chercher
de l'eau dans des zones plus à risque de contact avec de « nouvelles » maladies.
Elles font l'attention de la veille écoépidémiologique27.
 Une modification importante du couvert végétal et de l’utilisation du sol. En
particulier la déforestation, mais aussi la fragmentation croissantes des forêts,
accompagnées d’une intensification de l’urbanisation et de l’agriculture et d’une
modification des usages de l’eau mettent brutalement en contact des pathogènes
autrefois isolés en forêt, sans le sol ou les sédiments, etc. avec des groupes
humains qui n’y avaient jamais été exposés et qui vivent dans des conditions de
promiscuité et/ou de déplacement favorisant la contagion. La disparition du
couvert forestier est facteur de stress pour certains microbes et organismes (cf.
rayonnement UV mutagène, déshydratation de l'air, incendies, etc.

Ce processus est connu depuis longtemps en forêt tropicale (ex : SIDA, Ebola, etc.),


mais il pourrait également être important en forêt tempérée. Par exemple,
l’échinococcose est principalement portée par un campagnol qui pullule en moyenne
montagne dans les milieux ouverts non densément bocagés autour des forêts
fragmentées où ses prédateurs sont moins nombreux (et en voulant empoisonner les
campagnols, on a souvent aussi empoisonné leurs prédateurs).
Quand on a pourchassé les renards, ces animaux territoriaux ont profité des "vides"
laissés par les campagnes d'éradication pour circuler beaucoup plus loin et plus vite..
en transportant la rage très rapidement à travers l'Europe.

On a récemment montré28 que la maladie de Lyme, transmise par les tiques, dans le


Nord-Est des États-Unis a énormément augmenté en profitant du morcellement des
forêts qui a favorisé le développement de deux espèces qui portent et véhiculent ce
parasite, tout en défavorisant leurs prédateurs. La souris à pattes blanches
(Peromyscus leucopus) et le cerf de Virginie prolifèrent dans les paysages forestiers
fragmentés. On a montré en Amérique du Nord que plus le morcellement est
important et plus les fragments sont petits ; plus la souris est présente et plus le taux
d’individus porteurs de tiques augmente, et plus le taux de tique porteuses du parasite
est élevé. Ces deux espèces sont adaptées aux lisières et elles ont moins de prédateurs
dans ces paysages. Dans les grands massifs de forêt non fragmentés par des routes (là
où elles ont subsisté), les tiques ne pullulent pas et sont moins porteuses de la maladie
de Lyme).
Un des défis de la recherche est une meilleure pluridisciplinarité
entre épidémiologistes et écologues et spécialistes des sciences sociales.

Références Bibliographiques :

 Charles Nicolle, « Destin des maladies infectieuses » Leçons du Collège de


France, "Les classiques des sciences sociales" Une bibliothèque numérique,
PDF, 196 pages (voir p. 108/196)
 Brève Actu environnement, intitulée « Changement climatique : vers une
meilleure prise en compte des maladies émergentes » [archive], 2011-07-29.
 Bégué A. et al. 2011. « Can a 25-year trend in vegetation dynamics (NOAA-
AVHRR NDVI) be interpreted in terms of land use change? A case study of
the Bani catchment in Mali » Global Environmental Change, 21 : 413-
420. DOI:10.1016/j.gloenvcha.2011.02.002
 Stephen S. Morse, Emerging Viruses, New York/Oxford, Oxford University
Press, 1993, 317 p. (ISBN 0-19-507444-0)
 Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture
(2014) Zoonoses émergentes et réémergentes : enjeux et perspectives ;
analyses publiées par le Centre d’études et de prospective du ministère de
l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt ; Analyse n° 66, janvier
2014 ; téléchargeable : http://agriculture.gouv.fr/publications-du-
cep [archive] ou http://agreste.agriculture.gouv.fr/publications/analyse/ 
[archive]
 Noël, P., 2002. Les invertébrés aquatiques introduits en France. Bulletin de
l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique, Biologie 72 suppl, 19-
27 .
 Louis Pasteur, CE Chamberlain et Émile Roux, « Compte rendu sommaire des
expériences faites à Pouilly-le-Fort, près Melun, sur la vaccination
charbonneuse », Comptes-rendus des séances de l’Académie des
Sciences, vol. 92, 1881, p. 1378–1383 (lire en ligne [archive]).
 Isabelle Schuffenecker, Isabelle Iteman, Alain Michault et
Séverine Murri, « Genome Microevolution of Chikungunya Viruses Causing
the Indian Ocean Outbreak », PLoS Medicine, vol. 3, no 7, 23 mai
2006 (ISSN 1549-1676, DOI 10.1371/journal.pmed.0030263, lire en
ligne [archive], consulté le 20 août 2017).

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