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www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-3678-7
La force est crainte par tous et adulée par beaucoup. Elle est tout à la
fois sollicitée – mais que fait la police ? – et redoutée dans ses abus. Je
crois que la démocratie exige un mode d’emploi de la force.
Pour Diderot, dans l’Encyclopédie, les deux sources de l’« autorité
politique » sont soit le consentement, soit le poids du tandem force et
violence : « Toute autre autorité vient d’une autre origine que la nature ;
qu’on examine bien, et on la fera toujours remonter à l’une de ces deux
sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé ; ou le
consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé
entre eux et celui à qui ils ont déféré l’autorité. » Croisons les sources.
Pensons le consentement à l’usage de la force. Quelles en sont les
conditions ?
La force n’est jamais aussi simple qu’il y paraît : elle n’est pas la
violence mais elle est dangereuse tant pour ceux qui sont face à elle que
pour ceux qui la commandent ou la manient.
La force ou comment la conserver ? La force ou comment s’en passer ?
La force ou comment s’en servir ? Quiconque détient ou croit détenir (en ce
domaine l’apparence est presque aussi importante que la réalité) une
parcelle de force va indéfiniment se poser ces questions. Et, pire, parfois,
exercer sa force sans se poser la moindre question…
Au nom de quoi, comment et jusqu’où une société démocratique peut-
elle utiliser la force à l’égard de ses « ennemis » et même de ses citoyens ?
La force dont il sera question ici est la force qui s’impose à l’autre, qui
dissuade et contraint quand elle est « force publique ». Qui impose à l’un
pour sauver l’autre, qui impose à tous pour sauver l’être collectif qui peut
être une ville, une nation, un peuple. À la fois la force comme notion
théorique et la force comme modalité de contrainte sociale.
Nous avons besoin de la force, car, malgré son aura sulfureuse ambiguë,
elle ne se confond pas avec la violence (partie I).
Malgré ses dangers, il faut l’assumer (partie II).
À condition de la maîtriser et de la subordonner à la loi (partie III).
Et de pouvoir et savoir l’exercer (partie IV), tant il est vrai que l’art de
la force est tout entier un art d’exécution.
PARTIE I
Penser la force
Il était une fois un préfet de police en poste qui théorisait et exposait sa
doctrine dans un livre… de droit ! Ce n’est pas un conte de fées, ni une
utopie pour École de la magistrature, ni même un objet d’ironie pour
congrès syndical policier… Louis Lépine (1846-1933) ne négligeait pas de
se projeter aussitôt sur les lieux des émeutes, accidents et événements que
ses troupes étaient chargées de maîtriser. Mais préfet de police presque sans
interruption de 1883 à 1912, notamment sous l’autorité de Clemenceau en
1906, il trouvait avantage à penser la force. Du droit de la police 1, paru en
1900, est un texte bref et nerveux qui commence par l’examen de la légalité
des règlements et par l’exposé des principales libertés : cultes, conscience,
aller et venir, commerce et industrie et par la mention de l’« égalité devant
la loi ». Ce petit livre pourrait utilement, encore aujourd’hui, être offert par
la République à tout préfet ou tout commissaire de police débutant.
Il faut penser la force malgré le caractère un peu dérisoire de l’ambition
de penser un tel phénomène. Peut-être aurions-nous dû prendre la
précaution de Jacques Delga dans son Penser et repenser le terrorisme 2.
Penser et repenser comme lire et relire. S’acharner, sans découragement, à
penser la force est la seule attitude qui respecte la modestie nécessaire.
Penser avec la conscience de la difficulté de penser juste en ce domaine.
Mais, en ce qui concerne la force, se souvenir qu’elle n’a pas toujours
raison et qu’il est impératif de l’interroger et de s’interroger avant d’y avoir
recours, ne serait-ce que pour sauver l’honneur et la vie. Des autres et de
soi-même.
Il faut penser la force parce qu’elle explique la société. En 1937,
Simone Weil 3 avançait cette hypothèse contre le marxisme : « La
connaissance du monde matériel où nous vivons a pu se développer à partir
du moment où Florence, après tant d’autres merveilles, a apporté à
l’humanité, par l’intermédiaire de Galilée, la notion de force, […] la notion
de force et non la notion de besoin constitue la clef qui permet de lire les
phénomènes sociaux. »
Il faut penser la force et, en même temps, rien de plus difficile. Javert
encore : « Une de ses anxiétés, c’était d’être contraint de penser […]. Il y a
toujours dans la pensée une certaine quantité de rébellion intérieure. Et il
s’irritait d’avoir cela en lui. » Alors, envers et contre tout, quel qu’en soit le
coût, personnel et collectif, suivons Javert. Usons collectivement de notre
capacité à penser les situations. Et utilisons les apports des penseurs
éternels, Machiavel, Pascal, Hobbes, Delamare 4, Rousseau, Georges Sorel
ou Max Weber. Sans négliger les chercheurs contemporains théoriciens de
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la société sans État, Pierre Clastres , et du rapport liberté et pouvoir, Claude
Lefort 6, et les explorateurs de la notion de police avec J.-M. Belorgey, J.-J.
Gleizal, Dominique Montjardet, Christian Mouhana ou F. Ocqueteau.
Penser la force implique de la distinguer nettement de la violence
(chapitre 1) puis d’éviter de la confondre avec son propre mythe (chapitre
2).
CHAPITRE 1
La théorie de la force
Différences entre force et violence,
vraie et fausse force
Le contraire de la force
Si un concept se définit par son opposé, la faiblesse nous parle de la
force. Et derrière la faiblesse, la mollesse, la peur, la résignation, la
soumission, la flatterie…
La faiblesse remet la force à demain. Encore n’est-elle pas désespérée si
elle rêve à la force de demain. Mais il est des faiblesses permanentes,
ontologiques qui entravent l’humanité de l’être. Et que l’humanité exècre
sans se l’avouer : « Le monde abhorre les douleurs et les infortunes, il les
redoute à l’égal des contagions, il n’hésite jamais entre elles et les vices : le
vice est un luxe. Quelque majestueux que soit un malheur, la société sait
l’amoindrir, le ridiculiser par une épigramme […] semblable aux jeunes
Romaines du cirque, elle ne fait jamais grâce au gladiateur qui tombe ; elle
vit d’or et de moquerie ; Mort aux faibles ! » La force publique, du
gouvernement comme de son appareil de sécurité, se souvient de cette
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maxime de Balzac . Mieux vaut s’abstenir que de paraître faible par
hésitation, contradiction ou concession subie. Or les causes de la faiblesse
sont multiples, comme autant d’icebergs sur la route tranquille du
responsable public.
La mollesse, temporairement délicieuse, ressemble à un coussin qui
accompagne l’amour mais sert aussi à étouffer en silence. Elle n’a pas
bonne presse quand La Boétie constate que les esclaves « entièrement
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dépourvus de courage et de vivacité ont le cœur bas et mou » et Gilles
Kepel analyse la stratégie de l’« État islamique » comme le souci de
« mettre à feu et à sang l’Europe, perçue comme le ventre mou de
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l’Occident ». Selon saint Thomas d’Aquin, « on est un homme mou, non
seulement lorsqu’on ne peut supporter la peine, mais encore lorsqu’on
recherche trop les délassements ou le repos 21 ». Dans les périodes
tumultueuses où les caractères sont indispensables, la mollesse est
catastrophe. Marc Bloch vilipende la « mollesse du commandement » qui
conduit directement à L’Étrange Défaite, en 1940. Il se souvenait d’Alain et
e
de ses « mollusques ministériels » de la III République. Dans ses conseils
machistes sur l’art de gouverner une épouse, Balzac refaisait du
Beaumarchais : « Maintenant nous allons avoir recours aux précautions à la
Bartholo. N’allez pas mollir. Il y a un courage marital, comme un courage
civil et militaire, comme un courage de garde national. » Regardons cette
pochade de La Physiologie du mariage, comme ironique sur l’art de
« veiller » sur sa femme-objet… Et Saint-Simon (1760-1825) entend que
les acteurs de la politique royale, à commencer par le duc d’Orléans, fassent
preuve de force « sans colère, sans émotion, quoi qu’il pût arriver, mais
aussi sans mollir sur quoi que ce fût, en lieu et en état de faire justice, en
droit de la rendre et de faire valoir l’autorité royale déposée en ses
mains 22 ». La mollesse, personnelle comme institutionnelle, manque
d’énergie et de rapidité dans l’action. Elle est émolliente. Elle sape la
justice. Elle retarde les décisions, tergiverse, procrastine. Et l’histoire passe.
La peur et, surtout, la Grande Peur peuvent, elles, accélérer l’histoire.
La peur des bien-pensants s’ajoute aux peurs du peuple. Elle grimace pour
nous inciter à prendre le faux chemin. Elle fige, paralyse et réduit le champ
des possibles en se contentant de constater l’impossible. La peur est à la
fois une panne de radar et de transmission. L’accident de circulation est
proche. Avant l’Euro 2016 de football organisé en France, la bataille de la
peur s’est engagée. Le 30 mai 2016, à dix jours du début de la compétition,
les États-Unis ont diffusé à leurs citoyens une note du département d’État
marquant l’événement comme « cible potentielle pour des attentats
terroristes ». Rien n’est arrivé. La distance entre informer et apeurer n’est
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pas aisée à tenir. De son côté, la presse grand public française montrait les
exercices de sécurité au pied des stades et les forces engagées, armes à la
main, pour clamer : « La France n’a pas peur. » Quoi qu’il doive arriver, la
peur ne devrait pas être ainsi attisée.
Mais elle continuera à exister parce que, même en l’abscence de
menaces extérieures, l’État ne déteste pas faire peur. Jean Carbonnier le
rappelait ainsi dans Flexible droit : « Comment se débarrasser de la peur si
son utilisation est un mécanisme normal du droit ? Et l’on en vient à
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comprendre l’absurde étymologie présentée dans le Digeste : territorium
a terrere. Le territoire est l’espace où l’État a compétence pour faire peur. »
Mais le citoyen n’est pas tenu d’accepter la peur. Le droit d’association peut
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l’aider à résister .
La résignation fait masse. « Il y a dans tout homme une énorme capacité
de résignation, l’homme est naturellement résigné. C’est d’ailleurs pourquoi
il dure. Car vous pensez bien qu’autrement l’animal logicien n’aurait pu
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supporter d’être le jouet des choses . » Sur les écrans de télévision, le
déferlement des sottises colorées et de ventes par correspondance
dissimulées serait inquiétant (« On nous explique gravement que les bébés
naissent dans les choux, que les grandes personnes sont sages, que le loup
dévore les petits garçons désobéissants, qu’une tisane guérit les bronchites,
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et que la soupe fait grandir ») s’il n’était pas déjà en train de mourir de sa
bonne mort sous l’effet de la location de cerveaux devenue trop chère et
de la vulgarité d’une autre époque. Ce type de télévision – de modèle TF1 –
a beaucoup fait pour la résignation de masse. Et la diffusion de ce qu’on
pourrait nommer une soumission de consommation.
La soumission cherche la protection, accepte de camper le rôle de l’outil
qui fonctionne sans penser. Le canard marche bien quelques pas sans tête…
Oui, mais il est déjà mort. L’odyssée de la servitude décrite dans Le Journal
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d’une femme de chambre montre bien ce poison de la soumission.
La flatterie est l’arme privilégiée de la société vis-à-vis des faux
rebelles, tribu partout présente qui roule des yeux et des muscles avant de
s’aligner, toujours sur le plus fort, avec des « mais » et des « à
condition que », avant les silences opportuns puis les repentirs tardifs.
Romain Rolland 29 décrivait bien comment la bourgeoisie ne combat pas
directement les révoltés mais les accapare sous les compliments et
propositions pour les gagner à sa cause. Mais cette incorporation consentie
ne fait pas les vrais forts.
L’imitation de la force
Les deux grandes imitations-dégradations de la force sont la fausse
gravité et la brutalité.
La fausse gravité n’est pas la force, elle est simplement fausseté. « Le
politique n’est pas sincère », ont constaté depuis longtemps Mme de
Macumer et son amie la vicomtesse de l’Estorade 30 : « Il a cet air calme et
posé qui me semble être la moitié de la politique. Selon moi, ma chère,
toute la politique, c’est de paraître grave. » « Paraître » et « grave », les
deux définitions du vide en action publique. La Fontaine ne pensait pas
autrement dans sa grande fable « Le renard et le buste », enseignée (peut-on
en rêver ?) dans toutes les écoles de fonctionnaires : « Les Grands pour la
plupart sont masques de théâtre », parce que les bustes ont belle allure mais
ils sont creux. Or le creux est fragile, ou même friable, ce qui ne fait pas
bon ménage avec la force.
Quand elle surjoue, la force se dégrade en brutalité. C’est l’intervention
« musclée », appuyée, celle qui va au-delà du strict nécessaire. Celle qui
préfère frapper fort que frapper juste. C’est aussi celle menée par l’esprit de
vengeance en réplique à telle blessure de fonctionnaire ou à telle
provocation, parfois subie stoïquement de longues heures. La force
dégradée donne les justiciers, les services plus ou moins parallèles, les
« ratonnades », les bastonnades et les « bavures ». C’est pourquoi un chef
de force ne « lâche » pas ses troupes sur une cible. Il leur désigne un
objectif, leur commande une méthode, leur fixe des limites, les pilote dans
l’exécution, modifie son dispositif en fonction des circonstances et exige
une évaluation précise après l’événement, à la fois retour d’expérience et
projet pour l’avenir.
Le renseignement 34
Précédé de sa réputation sulfureuse, de son armée supposée de
« rongeurs de fonds secrets, […] êtres infects recrutés dans toutes les
classes de la société », et de ses IM (Inoffizielle Mitarbeiter) rendus
célèbres par la Stasi de l’ancienne Allemagne de l’Est, le renseignement
pénètre toutes les sphères en subvertissant le bien et en manipulant le mal.
o
L’article 15-1 de la loi n 95-73 du 21 janvier 1995 dans sa version issue de
la loi du 3 août 2009 dispose : « Les services de police et de gendarmerie
peuvent rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques
qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la
découverte de crimes ou de délits, soit l’identification des auteurs de crimes
ou de délits… »
Mais que dire… Le renseignement a l’obsession du résultat : s’il faut
payer, il paye. D’autant qu’on se gaussera de ses échecs 35 alors que ses
succès resteront dissimulés. En tout état de cause, il faut se méfier de ses
archives comme l’ancien président Walesa en a fait, en 2016, l’amère
expérience par les « révélations » distillées pour tenter de dégrader son
épopée historique en déboires d’une marionnette du SB, la police politique
de la Pologne communiste. Devant des documents de quarante ans
opportunément sélectionnés et diffusés, Lech Walesa a dû s’expliquer 36.
Même morts, les services de renseignement mordent encore.
Pour faire son travail de renseignement, la force se maquille en Bureau
des légendes, abondamment célébré par Canal+ sous forme de série
télévisée en 2016. La même série, bien informée, est présentée par certaines
critiques comme la découverte des « sévices du renseignement ». Les
« services » apprécieront, eux qui ne sont pas des Malotrus (nom du
principal héros incarné à l’écran par M. Kassovitz). La presse allemande, en
2015 dans un article intitulé « Mon nom est Gisela – Gisela Bond », met en
garde : « Qui rencontre à Berlin une femme ennuyeuse qui dit qu’elle a un
travail ennuyeux dans un ministère ennuyeux, doit tendre l’oreille : ce peut
être une agente » du BND, la DGSE locale. Le renseignement, c’est son
charme, n’est jamais exactement là où on l’attend. Pourrait lui être
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appliquée la définition du football par Michel Platini : « Une activité très
complexe. Il faut voir avant. Savoir que le gars qui est là-bas, à 30 mètres,
sait que je sais et que je sais qu’il sait. » De plus, sur les terrains du
renseignement n’existent ni arbitre ni supporters, même s’il existe parfois
des prolongations.
La loi française no 2015-912 du 24 juillet 2015 n’a pas inventé le
renseignement. Les empereurs romains avaient déjà développé, avec leurs
speculatores, leurs frumentarii et leurs agentes in rebus, les fonctions de
transmission du courrier et de police de renseignement 38.
Pour utiliser la force à bon escient, l’autorité a besoin de renseignement.
Pour proportionner les effectifs et les moyens à la menace, pour choisir le
terrain d’affirmation et/ou d’intervention, pour négocier si c’est utile, avec
les auteurs des menaces ou les créateurs des situations dangereuses, pour
adapter ses tactiques y compris par la ruse et la dissuasion (cf. supra). Les
méthodes du renseignement sont aussi modernes que diversifiées comme le
montre l’échange du 2 avril 2015 entre le député Popelin (PS), rapporteur
de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le « maintien de
l’ordre républicain », et M. L. chef du service central du renseignement
territorial (SCRT) :
La suspicion
Sur le fondement du renseignement, ou même avant le renseignement,
l’homme de force fait du soupçon l’une de ses armes. Trop de suspicion
conduit à des erreurs. Mais un peu de suspicion peut sauver la vie, comme
le montre largement le roman : l’agent infiltré met en garde : « Quelqu’un
peut arriver et te dire bonjour. Tu l’as peut-être déjà rencontré et il te sourit.
Gentiment. Tout miel. Mais tu as une impression étrange ; une sensation
mal définie, comme si quelque chose n’était pas à sa place. Et, un instant
plus tard, tu es mort 46. » Deviner à qui on a affaire est tout aussi important
qu’enquêter pour le savoir. La vérité du roman, toujours : en Irlande en
1854, une bande mafieuse 47 attend sa victime derrière un petit mur de
pierres grises, au fond d’un chemin creux. « Mais avant d’y arriver, il leur
fallait passer devant le mur. Soudain, Micky eut l’intuition que quelque
chose clochait. » Par son sixième sens, Micky échappera au coup de
tromblon.
Le soupçon mêle l’observation, le raisonnement probabiliste, l’intuition,
le physionomisme, l’expérience et… les fichiers et algorithmes. Même, et
surtout, non exprimé, il est déjà une arme redoutable. Il sélectionne, écarte,
retarde, dissocie et peut proscrire. Après les attentats de novembre 2015 en
France, Pierre Rosanvallon, commentant le Patriot Act américain
postattentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, note : « Ce n’est pas
dans ce sens-là que nous devons aller. En particulier, la notion de suspect
doit être réfléchie ; on ne peut l’accepter simplement comme quelque chose
qui va de soi. » L’homme de force doit savoir traiter son propre soupçon.
L’exploiter sans être totalement gouverné par lui. Pour ce faire, il se
souvient de deux principes dans la bible de l’enquête et de la répression
qu’est le Code de procédure pénale :
En premier lieu, que le mot « suspect » ne figure pas en tant que tel
dans ce code. Il existe bien des causes de disparition (R. 53-10), des
billets (article 56), des blessures, des documents (article 642)
« suspects ». Mais de « personnes suspectes » point.
En second lieu, que le même code admet qu’on puisse suspecter mais
que la suspicion de police ne se départit jamais de ses « raisons
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plausibles de soupçonner ».
C’est que le « suspect » est un concept policier. Les « raisons plausibles
de soupçonner » sont un concept judiciaire. Le juge place une personne, à
l’encontre de laquelle sont trouvés des indices d’infraction, sous un statut
juridique avec droits et devoirs. Au contraire, le « suspect » est mis sous
observation puis sous pression, sans justification ni motivation. Une justice
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du suspect serait une justice de la dangerosité , devant laquelle il faudrait
prouver, si ce n’est son innocence, du moins son caractère inoffensif. À
l’opposé de nos principes fondamentaux.
En matière de liberté publique face à la force, la complication est
parfois utile. Le premier contact avec la force, la garde à vue, ne mentionne
pas le « suspect » (article 62-2 du Code de procédure pénale), ce serait trop
simple et donc trop arbitraire. Le code renvoie à « la personne à l’encontre
de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner
qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une
peine d’emprisonnement ». Suivent les motifs de mise en garde à vue, tels
que préserver des indices ou garantir la présentation de la personne en
empêchant sa fuite. La police judiciaire, maîtresse de la mise en garde à
vue, peut soupçonner mais elle ne qualifie pas l’intéressé de « suspect ».
Cette pratique ramène à l’individualisation du droit pénal, renvoie à la
recherche de la preuve et interdit la suspicion catégorielle ou collective.
C’est tout le débat sur la dangerosité qui conduirait à confondre la police
préventive et le droit pénal, à poursuivre la contrainte après la peine, à
privilégier le contrôle et la surveillance plutôt que la procédure pénale 50.
Débat relancé par les lois du 12 décembre 2005 sur la surveillance
judiciaire et du 25 février 2008 sur la surveillance et la rétention de sûreté.
Et débat cadré par à la fois la décision du Conseil constitutionnel du
21 février 2008, rappelant la distinction entre peines et mesures de sûreté, et
par les mises en garde des juristes 51.
Pour nos libertés, tout homme de force devrait pratiquer comme
discipline professionnelle une parfaite connaissance des mots et du contenu
du Code de procédure pénale. Maîtrisant le mode d’emploi démocratique du
soupçon, il pourra alors se poser la question de l’usage de la ruse.
La ruse
Rodrigue rend compte au roi de sa victoire surprise sur les Maures 52 :
« Se couche contre terre, et sans faire aucun bruit, / Passe une bonne part
d’une si belle nuit. / Par mon commandement la garde en fait de même, / Et
se tenant cachée, aide à mon stratagème. » Quand cette force tapie, se lève
d’un bloc, « […] les Maures se confondent / L’épouvante les prend à demi
descendus ; / Avant que de combattre, ils s’estiment perdus ». Telle est
l’histoire terrible et toujours recommencée de l’embuscade et de la stratégie
de la surprise.
La ruse est la sœur de la force. Elle est une arme vieille comme le
monde, inhérente à la stratégie. « Pour s’élever d’une condition médiocre à
la grandeur, la ruse sert plus que la force. » Et Machiavel précise 53 : « Je ne
crois pas qu’il y ait jamais eu d’homme qui, d’une condition obscure soit
parvenu à une grande puissance en n’employant franchement que la force
ouverte ; mais j’en ai vu réussir par la ruse seule. » La ruse est une arme en
tant que telle. Mais elle contient un effet boomerang qui peut être plus
terrible que le mal qu’elle entend traiter. « La ruse leur est nécessaire pour
persuader ceux qui sont trompés, qu’en obligeant ceux qui les trompent, ils
travaillent pour eux-mêmes […] mais la ruse une fois mise à découvert
attire à son auteur la haine la plus violente ; si elle reste cachée, elle ne lui
produit qu’un plaisir mêlé d’amertume et d’inquiétude 54. »
Aussi, la ruse, qui peut accompagner ou se substituer à la force, est
courante dans l’art militaire et consubstantielle à l’art du renseignement.
Elle est en revanche à déconseiller dans l’ordre public, où elle peut affaiblir
la force sous prétexte de l’appuyer.
Undercover, infiltrés 55, la ruse feint d’être aux côtés des méchants alors
qu’elle appartient aux forces de l’ordre. Elle prend tous les risques pour
tromper, pour l’honneur. Traître d’honneur. Et traître donneur.
La force dissimulée, la force travestie est efficace pour chercher des
preuves. Elle n’est pas pour autant toujours permise car la procédure pénale
ne se mène ni par stratagème ni par artifice, encore moins par provocation
au crime. La Cour de cassation veille à limiter la déloyauté des procédés de
preuve :
La dissuasion
On la trouve dans la « force de dissuasion », depuis Félix Gaillard et le
général de Gaulle, comme dans le « D » du RAID (Recherche, assistance,
intervention, dissuasion).
Certes, la confiance dans la dissuasion nucléaire est un facteur de paix.
Mais, d’une part, elle est construite non pour la confiance du possesseur de
l’arme mais sur la défiance des ennemis potentiels. Et, d’autre part, elle
n’assure pas la paix contre la guerre asymétrique faite de coups de main,
d’attentats et de prises d’otages. La notion de dissuasion est tout à la fois
exacte et fausse historiquement.
L’Institution d’un prince ou traité des qualités, des vertus et des devoirs
d’un souverain de l’abbé Duguet (1739) l’affirmait déjà : « Le prince doit
être armé, pour se maintenir en paix. […] il aime la paix mais il est prêt à se
la conserver par la guerre. Il ne se fait point d’ennemis mais il n’en craint
aucun. » Cette profonde maxime du XVIIIe siècle reste vraie. À une
condition : que les penseurs de la force ne lui fassent pas une confiance
aveugle. Il y a eu Pearl Harbor et le 11 septembre 2001.
Tel est bien le sens du chapitre « Les menaces de la force » dans le
Livre blanc de la défense de 2013 59 : « L’augmentation importante et rapide
des dépenses militaires et des arsenaux conventionnels dans certaines
régions du monde vient rappeler que la possibilité d’une résurgence de
conflits entre États existe et que la France et l’Europe ne peuvent pas
ignorer les menaces de la force. » La dissuasion reste une nécessité. Mais
elle n’est pas la panacée.
D’une part, la formation et la disponibilité de la force ne suffiront pas
dans tous les cas à assurer la paix. L’apparition de l’arme atomique tactique
face à des forces conventionnelles importantes montre que,
disproportionnée, la dissuasion n’est pas crédible.
D’autre part, trop de confiance en la force amène à la surinvestir et à la
renforcer sans cesse. Au risque de troubler et même de ruiner le pays.
L’abbé Duguet encore : « Il faut seulement prendre garde comme on l’a
remarqué ailleurs, à ne pas surcharger l’État d’un trop grand nombre de
troupes pendant la paix, en portant les précautions trop loin. » La dissuasion
se retournerait alors contre son bénéficiaire.
La dissuasion passe aussi par une forme de propagande qui peut devenir
envahissante. Obsédée par la sécurité nationale, la Chine alerte ses
ressortissants contre les menées étrangères. En avril 2016, elle lance pour la
première fois la journée annuelle de l’éducation à la sécurité.
L’administration de Pékin diffuse une bande dessinée, Les Dangers de
l’amour entre David et Xiao Li mettant en garde la gent féminine locale
contre les tentatives des beaux agents occidentaux. La force ne peut
pourtant pas se caricaturer en volume de la collection « Harlequin »…
Le stade ultime de la propagande est l’avertissement par sommation.
La sommation
Les formes de sommations sont variées. Elles visent à ce que ceux à
l’encontre desquels la force va être utilisée n’ignorent rien de ce qui les
attend. Elles tendent à économiser la force.
Elles peuvent être prudentes comme celles de la Garde face aux
ouvriers agricoles grévistes dans le Portugal des années 1920 60 : « Si
quelqu’un s’avise de s’enfuir, le premier tir sera en l’air, le deuxième dans
les jambes et si un troisième est nécessaire, on s’en tiendra là dans la
dépense de munitions, car ces gens-là ne valent pas autant. » Il revient à
chacun de comprendre la portée des premiers coups de feu en l’air.
Aujourd’hui, les sommations sont codifiées dans le Code de la sécurité
intérieure : article L. 211-9 pour appeler à la dispersion sans délai d’un
attroupement. Le même code précise les formules sacramentelles :
« Obéissance à la loi, dispersez-vous », puis : « Première sommation : on va
faire usage de la force. » Cette sommation pourra être répétée, elle devra
être entendue, diffusée par haut-parleur. Puis arrivera le moment de l’action.
Dans le projet de Constitution montagnarde de Saint-Just 61, le chapitre
« troubles publics » proposait un système de sommation étrange : les
communes devaient élire tous les deux ans « six vieillards » qui, en cas de
troubles, apparaissaient « décorés d’une écharpe tricolore et d’un panache
blanc » ; tout devait alors se calmer, le silence se faire, quiconque
poursuivant le tumulte devant être arrêté. Si leur sommation/médiation
échouait, les vieillards n’ordonnaient pas eux-mêmes l’usage de la force.
Dans l’esprit de Saint-Just, ils personnifiaient la continuité d’une société
sachant traiter les troubles autrement que par la force immédiate.
Car la sommation est démonstration de la force de la force. La force
proclame qu’elle est suffisamment forte pour décider de son usage ou de
son non-usage dans le calme et l’autonomie de pensée. Elle ne se laissera
pas dépasser par la pression extérieure, elle choisit le moment de son
intervention et s’offre l’élégance de laisser un temps à l’adversaire pour ne
pas insister et quitter les lieux. La sommation permet à la force de montrer
qu’elle est maîtresse du temps et surtout d’elle-même.
Toutes les sommations sont utiles mais la dernière ouvre des
perspectives toujours difficiles si ce n’est tragiques. Quand il commande la
première, l’homme de force doit calculer les conséquences de la dernière.
Car les guerres commencent par des ultimatums.
La force doit aussi être maîtresse de la géographie.
La géopolitique de la force
Du quartier à l’Europe et au monde,
selon les menaces
Boches orgueilleux, qui croyiez être les seuls forts, les seuls
organisés, les seuls capables de faire du colossal […], regardez !
Regardez cet interminable défilé du plus formidable matériel de
guerre que jamais peuple ait forgé : voitures hérissées de
mitrailleuses, camions lourds chargés de munitions, tanks
monumentaux, canons, blindés […], regardez ces hommes superbes,
de force et de résolution […] et dites si vous croyez encore à la
supériorité de votre race et de vos institutions ? Vous narguiez les
peuples libres et pensiez pouvoir leur imposer votre idéologie
rétrograde… Boches regardez, admirez et tremblez : Sa Majesté la
Force passe.
La force est exercice. « L’âme ayant besoin des forces du corps pour
augmenter les siennes et en faire un bon usage, les forces du corps
s’affaiblissant au lieu de se perfectionner lorsqu’on ne les exerce pas, la
raison en conclut que le travail convient à l’homme, que l’oisiveté lui est
31
contraire . »
La transformation de la violence en force commence par l’instruction
civique. Elle continue par une formation spécialisée approfondie pour ceux
à qui est délégué l’usage de la force.
En ce qui concerne l’instruction civique, une société est responsable de
l’image qu’elle donne de ses « forces de l’ordre ». Ainsi, vers 1890, L’École
du citoyen 32, à l’usage des cours d’adultes, explique : « […] l’homme n’est
pas un saint. S’il était tout à fait sage et vertueux, il lui suffirait d’avoir la
loi dans son cœur… on n’aurait pas eu besoin d’instituer pour l’appliquer
une police et des tribunaux, de mettre la force à son service. » En 1937, le
Cours de morale et instruction civiques 33, destiné aux écoles primaires
supérieures, consacre un chapitre aux devoirs du citoyen en citant
Ferdinand Buisson : « Obéir à un maître, roi ou seigneur quelconque, c’est
s’incliner devant la force […], obéir à la loi, c’est s’incliner devant la
décision qui est celle de l’unanimité ou de la majorité des représentants
librement choisis par la nation. » La société doit convier les policiers et
militaires dans les écoles, non pas seulement pour expliquer l’ordre public
dans ces établissements et à leurs alentours, mais pour donner des
perspectives sur le sens d’une force à la disposition de la République et de
ses citoyens.
En ce qui concerne la formation des militaires et policiers, elle doit
porter sur la maîtrise de la force c’est-à-dire, aussi, sur son non-usage. De
ce point de vue, les lois sont pleines de bonnes intentions : le Code de la
sécurité intérieure 34 prévoit que « l’autorité investie du pouvoir
hiérarchique conçoit et met en œuvre […] une formation adaptée, en
particulier dans les domaines touchant au respect de l’intégrité physique et
de la dignité des personnes ainsi qu’aux libertés publiques. Cette formation
est régulièrement mise à jour pour tenir compte des évolutions affectant
l’exercice des missions de police administrative et judiciaire ». L’État
s’efforce d’imaginer les formations adéquates : il a créé l’Académie du
renseignement par décret du 13 juillet 2010. Le renseignement territorial
35
prévoit, quant à lui, pour ses recrues des stages « surveillance et filature »
et « gestion et traitement des sources » à côté de sessions accueillant des
« intervenants issus de la société civile, responsables syndicaux,
consulaires ». La force vue des deux côtés, en somme…
En janvier 2016, le 6e escadron du 12e régiment de cavalerie a suivi,
avant d’être projeté au Liban, une formation de protection contre la foule au
centre d’entraînement aux actions en zone urbaine de Sissonne (Aisne). Les
cuirassiers ont été soumis à la pression violente d’une foule hostile, se
préparant ainsi aux futures circonstances qu’ils allaient affronter.
Au fur et à mesure que les effectifs mais aussi les fichiers et l’armement
des forces d’intervention de police s’alourdissent, le besoin en formation
devient plus vital encore : « apprendre à se servir d’une arme de guerre avec
uniquement 75 cartouches… c’est se préparer à des bavures en série »,
s’écrie en mars 2016 un policier anonyme 36.
Le ministre de l’Intérieur a clairement exposé à la commission
37
d’enquête sur le terrorisme , le 7 mars 2016, que la formation des policiers
venait d’être adaptée en fonction des attentats par un arrêté interministériel
du 27 juillet 2015 « relatif à la formation continue aux techniques et à la
sécurité en intervention des personnels actifs de la police nationale et des
adjoints de sécurité ». Il renforce le caractère obligatoire de cette formation,
qui recouvre le tir, l’emploi des armes, les bonnes pratiques
professionnelles, les techniques d’intervention, de défense et
d’interpellation, les réflexes de premiers secours. Il consolide les principes
d’un temps minimum annuel de douze heures d’entraînement au tir et aux
méthodes professionnelles en intervention. La force rassure en
s’autoqualifiant.
De son côté, la gendarmerie s’est dotée de référentiels appropriés pour
les compétences et les emplois types dont l’accès est conditionné par la
réussite à un cursus préalable de formation. Elle dispose aussi désormais
d’un référentiel des actions de formation 38.
Mais, au-delà des techniques, l’homme de la force doit être appelé à
réfléchir sur les finalités de son métier, sur sa place dans la cité. Apprendre
le tour de main qui mobilise un agresseur peut se faire dans le lieu
d’exercice, au contact des collègues, quitte à choisir ceux qui peuvent
former sans déformer. Mais la place de la force dans l’État et la relation de
force entre le fonctionnaire d’autorité et la population dans sa diversité
méritent du temps et de la pédagogie. C’est pourquoi la formation à la force
sera diversifiée. Le policier ou le gendarme devra être, tout à la fois, un
homme de droit – c’est le sens profond de la qualité d’OPJ, officier de
police judiciaire –, un stratège économe de ses mouvements face aux foules,
un chef donnant l’exemple en situation de stress, un observateur maître de
lui pour rendre compte complètement et précisément.
Par décret du 30 décembre 1981, Gaston Defferre crée la direction de la
formation des personnels de police. En 1985, Pierre Joxe donne son essor à
cette mission dans le cadre pluriannuel de la « modernisation » de la police
nationale. Il sait que la qualité d’une force dépend de ce que sera sa
formation. Et une formation bien menée vaut toutes les politiques
disciplinaires. En juin 2016, le ministre de l’Intérieur annonce la recréation
d’une direction du recrutement et de la formation de la police nationale.
Les penseurs de la formation de la force la nourrissent de l’essentiel : le
droit et la Constitution. Apprendre à sauter d’un car de police-secours, à
interroger un suspect, à fouiller une cellule, peut se théoriser mais doit
surtout s’apprendre « sur le tas ». Ainsi, Pompée s’adresse à Sertorius 39 en
élève admiratif pour apprendre de lui le bon usage de la force : « Je vois ce
qu’il faut faire, à voir ce que vous faites / Les sièges, les assauts, les
savantes retraites / Bien camper, bien choisir à chacun son emploi, / Votre
exemple est partout une étude pour moi. » Il est vrai que stratégie et
tactique de la force s’acquièrent par l’observation de maîtres de référence.
Au contraire, la logique de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen ne s’acquiert pas spontanément. Elle se conquiert par l’étude,
l’exemple et la théorie enseignée et discutée. Mieux vaut que la justice parle
à la force dès l’éducation de celle-ci.
Les réflexions en cours sur les programmes de « déradicalisation 40 »
préparent, si c’est possible, une formation adéquate diffusée auprès de ceux
qui sont confrontés à ces emportements.
Assumer la force
Dans sa contribution au numéro spécial de la revue de l’Institut national
des hautes études de la sécurité et de la justice 1, utilement consacré à la
question « sécurité-justice face à face ou côte à côte », le magistrat Pierre
Bilger titre son propos : « Une démocratie qui assume le droit de se
défendre ». Tel est bien le sujet et telle est bien la nécessité pour le pays.
La force est nécessaire. Ceux qui la servent le savent mieux que
personne. Ils modulent même leur comportement sur cette certitude de son
caractère indispensable. Le commissaire de police de Cadix ou la
Diagonale du fou 2 a traversé tous les régimes de l’Espagne du XVIIIe siècle :
« Il sait qu’avec les Français ou sans eux, avec des rois absolus, avec la
souveraineté nationale ou avec le premier chien coiffé assis à San Felipe
Neri, celui qui commandera en Espagne continuera, comme partout, d’avoir
besoin de prisons et de policiers. » Et Balzac 3 constatait que « la police
politique, de même que la police judiciaire, prenait ses hommes
principalement parmi les agents connus, immatriculés, habituels, et qui sont
comme les soldats de cette force secrète si nécessaire aux gouvernements
malgré les déclamations des philanthropes ou des moralistes à petite
morale ».
La question de l’existence de la force, en réalité, ne se pose pas. La
force est nécessaire même pour ceux qui ne le reconnaîtront jamais… tout
en faisant appel à elle en cas d’urgence. Seulement, quitte à assumer la
force, assumons-la pour ce qu’elle est vraiment, avec, à la fois, ses malaises
et ses risques et, en même temps, ses potentialités quand elle est bien
utilisée.
CHAPITRE 3
Le second malentendu
C’est lui qui fait vaciller la confiance en la force et il tient à ce que la
force peut s’entraîner elle-même dans un maelström périlleux.
Si l’on n’y prend garde, la force s’impose par le mirage de la facilité et
bouscule tout sur son passage. La force attire la force, la force se met en
scène et s’autocélèbre, ses titulaires et plus encore la population s’y
habituent. La force se renforce.
Et quand elle se renforce, elle se rengorge et se sourit à elle-même. La
complaisance de la force à son propre égard est dangereuse parce
qu’inépuisable. Le ministre Rougon est grisé par son métier de maître de
l’Intérieur. Le pays le craint, les manettes lui répondent, il est au centre de
tout parce que ministre de la force : « Il avait écrit dans une circulaire :
“C’est aux bons à se rassurer, aux méchants seuls à trembler.” Et il jouait
son rôle de Dieu damnant les uns, sauvant les autres, d’une main jalouse.
Un immense orgueil lui venait, l’idolâtrie de sa force et de son intelligence
23
se changeait en un culte réglé . » Pour Rougon, la force est à la fois une
esthétique de vie, un parfum qui l’enveloppe, et sa raison d’être.
Il s’agit de forcer la sécurité pour tous. Et c’est alors que la situation se
dégrade, quand la force devient majuscule… Avec Claude Simon décrivant
une perquisition, méfions-nous de la Force avec un grand F : « Il semblait
s’avérer que ce mot [sécurité] devait posséder un double sens car c’était
précisément celui-là que le chef de l’expédition avait articulé pour
s’annoncer en pénétrant dans la pièce, l’affublant – quoi qu’il ne fût pas
écrit, seulement prononcé – d’une majuscule, ce qui apparemment en
changeait le sens, la sécurité avec un grand S se révélait le contraire de celle
pourvue seulement d’une minuscule. »
Dès qu’elle se pare elle-même de majuscules, la force prend ses aises.
Elle revendique une place équivalente à celle des autres majuscules : la
Liberté, la Justice, l’État. La mission de la République est alors de la
remettre à sa place. C’est ce qu’avait bien fait le Conseil d’État quand, en
1994, le gouvernement lui présentait un projet de loi d’orientation et de
programmation relatif à la sécurité, en disjoignant le premier article sur le
« droit à la sécurité ». Le rapporteur notait :
Pour nous garantir de la violence qui veut nous ravir ces biens ou
pour la faire cesser, quelques fois il n’y a pas d’autre moyen efficace
que d’y opposer une force suffisante […], l’usage de la force
employée pour détourner le dommage ou pour le faire cesser est
appelé défense par la force. […] la crainte est salutaire à l’ennemi
de la paix. Il est de l’intérêt de la société pour n’avoir rien à
craindre, d’inspirer de la terreur aux hommes turbulents.
L’auteur du XVIIIe siècle ne s’arrête pas là ; admettant la nécessité de la
force, il en mesure aussitôt le coût et recommande de l’adapter aux
nécessités : « Il est quelques fois beaucoup plus avantageux de s’abstenir
des moyens violents que de repousser la force par la force. Tel est le cas où
le mal dont nous sommes menacés, ou que nous avons souffert, est léger et
facile à réparer par nos propres forces […]. »
Aujourd’hui, le Parlement réaffirme ces principes de « mise à distance
37
et de recours absolument nécessaire, proportionné et gradué à la force ».
Le juge des pouvoirs publics, le juge administratif, veille à la « nécessité et
proportionnalité dans la mise en œuvre de la force publique » : ainsi, pour
38
les règles d’utilisation par les forces de sécurité de l’arme non létale Taser .
Le Conseil d’État a eu raison d’imposer de sérieuses conditions de
formation et d’usage de cette arme. Car, comme le constate Pierre Joxe 39 :
Cet homme armé nous a fait un accueil civil. Il faut lui savoir gré.
Pour moi, chaque fois qu’il m’arrive de me montrer en face d’un
porteur d’armes, je suis un peu surpris qu’il ne me passe pas à
travers le ventre le sabre que la République lui a confié, tant l’étude
de l’histoire et l’observation du monde me persuadent que ce geste
est naturel à l’homme et tant on voit d’exemples dans l’univers de
45
l’ardeur destructive qui anime les guerriers …
Mais la force est autant ce qu’elle est que ce qu’elle donne à voir. Et la
loi de 2017 revient sur le sujet.
Restons confiants, une force républicaine se définit par sa maîtrise
absolue de l’ouverture du feu. Comme l’ont montré, le 18 mai 2016, quai de
Valmy (Paris, Xe), une gardienne de la paix et un adjoint de sécurité qui
réussissent de justesse à s’extraire d’une voiture de police incendiée par des
manifestants violents. Le policier sort son arme de service mais ne tire pas.
Le drame a été évité grâce à la maîtrise parfaite des fonctionnaires. Les
auteurs de ce crime doivent être punis.
Sur ce même sujet, les États-Unis connaissent de graves difficultés entre
policiers et jeunes Noirs. Parmi le millier d’hommes tués par la police en
2015, 41 % étaient noirs alors que les Noirs ne représentent que 13 % de la
population américaine. Souvent, les autorités fédérales sont obligées
d’intervenir pour que toute la vérité soit faite sur ces excès des polices
locales. C’est le sens du rapport sur la police de Chicago, rendu public le
13 janvier 2017 par la ministre de la Justice du président Obama : « usage
excessif de la force en violation de la Constitution ». Le 4 avril 2015,
encore une fois, un policier est filmé par des voisins alors qu’il tire huit
balles dans le dos d’un délinquant noir de 50 ans, Walter Scott. Le 6 juillet
2016, les autorités fédérales annoncent l’ouverture d’enquêtes sur la mort
par balles policières de deux jeunes Noirs, le premier, Alton Sterling, le
5 juillet en Louisiane et le second, Philando Castile, le lendemain dans la
banlieue de Saint Paul (Minnesota). Le 7 juillet, peut-être « en rétorsion »,
cinq policiers blancs sont assassinés à Dallas par un sniper, vétéran noir de
l’Afghanistan. Une fois de plus, après les émeutes de Ferguson et de
Baltimore, les deux années précédentes, les États-Unis basculent dans la
tension du fait de l’usage de la force par la police. Le 13 août 2016 46, un
jeune Noir de 23 ans est abattu par un policier afro-américain à Milwaukee.
La victime était armée et avait déjà fait l’objet de poursuites en 2015 pour
une fusillade. Le soir même, des heurts entre manifestants noirs et les forces
de l’ordre amènent le gouverneur du Wisconsin à mettre la garde nationale
en alerte.
Les policiers américains du Police Executive Reseach Forum appellent
à une redéfinition plus sévère de leur propre régime de tir : sur 990 tirs
mortels de policiers aux États-Unis en 2015, 9 % des victimes n’étaient pas
armées et 16 % armées « seulement » d’une arme blanche. La légitime
défense doit être strictement entendue : « Use of force must be objectively
reasonable. » Chaque policier doit être maître de son arme, sachant qu’une
réponse létale peut être « lawfull but awful » (« légale mais excessive »).
Aussi, la règle du tir permis quand la menace approche à moins de 21 pieds
du policier, résultant d’une décision de la Cour suprême de 1989 Graham v.
Connor, devrait être revue : « The shooting is found to be legally justified
(lawfull), but to many who witness it or see it later on video, it does not
appear to be proportional or necessary (awful). In other words, just
because the police can legally use deadly force doesn’t always mean they
47
should . » En 2014, le professeur Erwin Chemerinsky lance
l’avertissement « How the Supreme Court protects bad cops 48 » et demande
un infléchissement de la jurisprudence de la Cour suprême. Celle-ci est
critiquée pour trop favoriser les policiers, comme dans Connick
c/Thompson 2011 où la Cour, par 5 voix contre 4, refuse de voir la Ville de
New Orleans responsable d’une lourde erreur judiciaire. Mais la Cour est
encore plus restrictive, d’après l’auteur, quand il s’agit de mettre en cause
individuellement des policiers : « The Supreme Court, on an opinion by
Justice Antonin Scalia in 2011, ruled that a governement officer car be held
liable only if every reasonable official would have known that his conduct
was unlawfull. »
Comme candidat, le président Donald Trump avait bien compris ce qu’il
pouvait tirer de l’irritation des policiers face à tout contrôle juridictionnel. Il
affirmait le 5 juin 2016 : « Je pense que les policiers sont traités très
injustement dans ce pays. Ils ont peur de faire quoi que ce soit car ils
craignent de perdre leur travail. » Cette affirmation, bel exemple de
démagogie, rappelle ce qu’on peut périodiquement entendre en France :
qu’il faudrait lever les contrôles, ne pas entraver les policiers, les
« couvrir » par avance, tout glissement dont les conséquences seraient très
perturbatrices pour la bonne tenue de la force dans une République. Et ce
n’est pas un hasard si cette phrase du candidat américain, isolée du discours
dans son entier, a été mise en exergue par le journal gratuit donc populaire
Direct Matin 49.
Mieux vaudrait penser la force sans avoir à y intégrer la force précipitée
ou même dévoyée. Les grands du maintien de l’ordre savent limiter
strictement l’usage des grenades ou des armes du type Flash-Ball et suivent
les opérations, seconde par seconde. Ils interdisent les « courettes » pour
éviter que policiers et gendarmes coursent inutilement des manifestants,
avec le risque d’accidents divers dans la fuite éperdue, ils savent aussi ne
pas recréer les « charges de la brigade légère » à moto sur les trottoirs. Ils
savent donner leur place aux officiers de police judiciaire chargés
d’identifier et d’appréhender les délinquants au sein d’une manifestation. Ils
savent, enfin, tracer la ligne rouge au-delà de laquelle l’intervention change
de nature et pas seulement de degré. Dans tous les cas, le maintien de
l’ordre efficace est tenu d’une main ferme, avant même d’utiliser le poing.
Ces principes « antibavures » sont plus nécessaires que jamais. Car, ainsi
que le ministre de l’Intérieur Pasqua le notait en 1988 50 : « Tout décès
survenu au cours d’une opération de maintien de l’ordre est toujours un
drame et un échec pour les responsables des forces de l’ordre comme pour
les organisateurs de la manifestation. » Certes, la responsabilité est plus ou
moins partagée mais la force a le devoir d’éviter drame et échec.
Quoi qu’il en soit, en France, les forces de l’ordre, généralement bien
entraînées et bien commandées, ne sont pas des forces de violence. Sam,
51
dans Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon, a raison de forcer son ami, le
narrateur, à cesser de crier « CRS = SS » : il lui demande, face à la police,
s’il connaît Alois Brunner :
Cette scène n’a pas été écrite pour complaire à la direction centrale des
CRS. Elle rappelle que, s’il existe des bad cops, même eux ne sont pas des
nazis. Et l’immense majorité des exécutants de la force sont des
fonctionnaires qui obéissent au droit.
En même temps, l’heure du changement est peut-être venue. Le
changement tant dans la conception des interventions policières à risque
que dans le traitement transparent des « bavures » et des accidents.
Sur la conception, la comparaison à trois ans d’intervalle des deux
numéros spéciaux sur l’ordre public du journal Les Amis de la gendarmerie
est significative. L’inquiétude, étrangère au numéro de juillet 2013,
imprègne, au contraire, le numéro de novembre 2016. Celui-ci fait écho aux
multiples tags ACAB (« all cops are bastards »), aux blessures par balles
subies par les fonctionnaires et militaires à Beaumont et à Persan (95) en
juillet 2016, aux embuscades, aux réseaux sociaux qui ciblent les
personnels. La création, en 2014, d’un service unique spécialisé de
logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) pour concevoir les outils et les
armes adaptés au nouvel ordre public témoigne de la menace croissante
perçue par les forces de l’ordre.
52
Sur les « bavures », l’ACAT fait campagne contre les violences
policières avec un autocollant portant l’inscription suivante : « On sait
combien de personnes sont tuées par an par des guêpes. Par les violences
policières, on ne sait pas. Violences policières, brisons le silence ! » Le
14 mars 2016, l’association publie un rapport intitulé L’Ordre et la Force
consacré au recensement des violences policières. La thèse du rapport est
qu’il existe de graves défaillances dans le relevé et dans le traitement des
plaintes pour violences policières. L’association dresse une liste des causes :
« difficulté de déposer plainte, d’obtenir une enquête effective, disparition
d’éléments probants, déclarations manifestement mensongères des forces de
l’ordre, durée excessive des procédures pénales, menace de condamnation
pour outrage et rébellion ».
L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) réagit en même
temps. Plus que par le passé, elle communique sur le nombre et les
53
modalités de ses enquêtes . C’est la bonne direction qui rend mieux
compte des contrôles internes et des résultats de ceux-ci.
Le maintien de l’ordre public « à la française », fort et ferme mais non
violent est revenu à l’ordre du jour. Une réactualisation des doctrines
d’emploi est nécessaire pour faire face aux cocktails Molotov, aux bombes
agricoles des manifestants violents, aux tracteurs de deux tonnes qui
foncent vers les rangs des fonctionnaires de CRS, et faire face tout en
évitant strictement les atteintes physiques et les blessures infligées par les
forces publiques. Car, à toute époque, l’usage de la force en situation,
mérite réflexion.
La force de la pensée vient appuyer et, quand il le faut, seconder ou
même secourir la pensée de la force.
La force de la pensée
La force comme vertu de résistance
Subordonner la force
Charles Bradlaugh 1 « célèbre en Angleterre par sa propagande acharnée
en faveur de la libre-pensée voulant faire une conférence à Devonport » ne
trouve pas de salle et loue un pré pour parler en plein air. « Tout à coup une
main s’abat sur son épaule. C’est celle de l’inspecteur de police Edwards
que le maire de Devonport envoie pour l’arrêter. Fort bien. Bradlaugh le
suit docilement. L’arrestation est illégale car on l’a empoigné avant qu’il eût
ouvert la bouche. » Un juge le remet en liberté. Bradlaugh veut
recommencer. Mais, cette fois, il s’installe sur une barque au milieu du
cours d’eau qui ne dépend pas de la police de Devonport et harangue son
public depuis le milieu du gué. Inaccessible à la contrainte.
Cette petite histoire, racontée dans les cours d’instruction civique 2 en
France vers 1900, montre doublement la subordination de la force au droit,
à l’anglaise : une première fois par l’intervention du juge, une seconde fois
par le respect absolu du droit et donc de sa propre compétence, par la
police. Ce n’est pas sans rappeler, un siècle plus tard, la police britannique
montant la garde devant l’ambassade d’Équateur où Julian Assange est
cloîtré mais s’adresse aux journalistes depuis le balcon du premier étage.
Dans nombre de pays, l’ambassade aurait été forcée, ou menacée ou
asphyxiée et dans son discours aux Nations unies de février 2015 sur le
terrorisme, Mme Taubira, alors garde des Sceaux, concluait : « De
nombreux pays dans le monde savent que, dans les situations paroxystiques,
il faut que le droit et la justice disent leur fait à la force. »
CHAPITRE 5
1
Loi de la force et force de la loi
Il ne faut pas non plus céder à l’arbitraire, comme cela fut jadis
parfois le cas dans le domaine de la sécurité – je pense à certains
comportements du ministre Marcellin, dont certains se souviennent
encore. Grosso modo, l’arbitraire était alors sinon la règle, du moins
la réalité. Je pense aux fouilles, aux contrôles, aux portes forcées –
lorsque j’avais une petite tendance à manifester contre certains
gouvernements, jadis, j’ai moi-même connu cela. L’équilibre est
difficile à trouver entre une loi assurant la protection des personnes
et des biens et une autre assurant le respect de l’ordre public. Il faut
tenir cette ligne de crête…
Pour remplir son office, la justice nationale compte déjà sur la justice
internationale qui crée, dans une relative discrétion, un embryon de force au
service de sanctions internationales. Au-delà même des institutions de
l’Union européenne, les premiers résultats de la justice pénale mondiale
commencent à sanctionner la violence sauvage : en mars 2016, le TPI
(Tribunal pénal international) condamne Karadzic, chef politique des
Serbes de Bosnie, à quarante ans de détention pour génocide et crimes
contre l’humanité. Et la CPI (Cour pénale internationale) juge et condamne
à la même époque le djihadiste qui avait détruit les mausolées de
Tombouctou et exercé la terreur sur les populations.
La justice peut retrouver des certitudes.
1
Force reste à la loi
Le dernier mot ?
La force pour préserver la liberté
Pour mériter le dernier mot, la loi ne doit jamais oublier qu’elle sert la
liberté et qu’elle est servie par la force.
Parmi ceux qui, en toutes circonstances, répondent à ces appels de force
pour la liberté, il y a aussi l’armée.
Le premier mot de l’armée
L’action de l’armée sur le sol national :
à la fois utile et limitée
Les « forces armées » sont définies par la loi. Selon l’article L. 3211-2
du Code de la défense, « les forces armées de la République sont au service
de la nation. La mission des armées est de préparer et d’assurer par la force
des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation ».
L’armée, elle-même, et plus que tout autre, est encadrée par la loi pour
ses devoirs et ses droits conformément à la recommandation « les droits de
10
l’homme des membres des forces armées ». Mais toujours sous
« l’autorité et au contrôle suffisants » de leur État 11.
Force reste aussi à la loi de l’Union puisque, selon la Cour de justice de
l’Union dans sa décision du 26 octobre 1999, Mme Sirdar c/ The Army
Board : les décisions prises par les États membres en matière d’organisation
de leurs forces armées n’échappent pas au droit de l’Union 12.
L’armée française est éduquée au respect de la loi. Le magistrat Louis
Joinet 13 lui rend un hommage pour ses missions de « gardien de la paix » en
Krajina, République serbe autoproclamée quand, en 1992, un « colonel
français exceptionnel avait reconverti ses agents de renseignement en
enquêteurs (très exigeants) pour les droits de l’homme. Si bien que la SM
(sécurité militaire dont j’avais, aux temps jadis, combattu les méthodes avec
la Ligue des droits de l’homme) exfiltrait courageusement et mettait à l’abri
des victimes désignées de l’épuration ethnique… ». L’armée française est
l’une des plus engagées pour mettre la force au service du droit
international. Personne ne doit jamais l’oublier.
En même temps, l’armée, sans le dire, est fascinée par la force civile.
Elle entretient un rapport sensible avec la mission de police sur le territoire
national. Elle sait que tous les pouvoirs civils gardent un œil sur ses
tentations de présence et d’engagement. Elle attend son heure. Elle assure
qu’elle ne se dérobera pas à sa mission quand le pouvoir civil lui demandera
d’agir sur le territoire. Fin 2015, pour la première fois depuis la guerre
froide, le pays engage autant de militaires à l’intérieur et à l’extérieur. Le
mode normal alors de relation entre le pouvoir civil et l’armée est la
réquisition de celle-ci par celui-là. La réquisition est une condition légale
indispensable pour, à la fois, marquer le caractère incongru de l’armée
faisant la police et subordonner juridiquement et pédagogiquement le
militaire à l’autorité civile.
C’est la raison pour laquelle, on ne peut que regretter la décision de la
14
loi du 3 août 2009 de supprimer, en partie, le principe même de la
réquisition de la gendarmerie par les préfets instituée un siècle plus tôt par
Clemenceau et son ministre de la Guerre, Georges Picquart. Le décret
o
n 2011-794 du 30 juin 2011 « relatif à l’emploi de la force pour le maintien
de l’ordre public » marque le recul de la réquisition en forme désormais
limitée aux moyens lourds (comme les véhicules blindés). Devant la
commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le maintien de l’ordre
public républicain, le 12 février 2015, le général Favier, alors directeur
général de la gendarmerie, en convient à propos de la traçabilité des
directives données par l’autorité civile :
C’est la raison pour laquelle, aussi, l’ombre de l’état de siège plane sur
l’état d’urgence. Le transfert à l’armée du pouvoir de maintenir l’ordre
transforme aussitôt le fondement de l’État démocratique. C’est l’état de
15
siège qui fait peur, pas seulement au cinéma . En cas de péril imminent
pour la nation, l’armée s’érige en pouvoir. L’effacement du pouvoir civil est
en soi un péril national pour contrebattre un autre péril.
Le débat sans précédent (et sans vote) au Sénat le mardi 15 mars 2016,
et le lendemain à l’Assemblée nationale, sur « les conditions d’emploi des
armées sur le territoire national » doit interpeller le citoyen 16. « L’armée
dans les casernes » est un cri républicain rassurant. Pourquoi devrait-elle en
sortir ? Quand le ministre de la Défense écrit que la menace terroriste
« justifie la militarisation de notre réponse » et qu’« il ne s’agit plus de se
contenter d’apporter un complément d’effectifs, mais de conduire dans le
cadre de la sécurité intérieure, de véritables opérations militaires à la
disposition de l’autorité civile », il soulève quelques questions préalables :
Qui « conduira » ces opérations militaires ? Comment se combineront
l’armée et la police à la recherche des mêmes terroristes, comment les
renseignements civil et militaire convergeront ? Quels seront les rapports
entre l’armée et la justice dans de telles opérations ?
Déjà, le ministre de la Défense offre ses capacités militaires de
« collecte des informations d’ambiance ou d’environnement ». À
l’Assemblée nationale, le 16 mars 2016, il annonce :
Heureusement :
Pour la police, faire cinq morts au cours d’une poursuite lancée pour
capturer un terroriste de première importance serait perçu comme un
usage excessif de la force. Pour leur part, les soldats peuvent faire
des calculs de ce genre en zone de guerre (bien qu’ils les fassent
souvent de travers), mais la police n’y est pas autorisée en zone de
20
paix .
Et finalement, entre police et armée, quel dernier mot reviendra encore
à la Justice ?
L’opportunité de déléguer, puisque c’est de cela qu’il s’agit, l’exercice
de pouvoirs de police à l’armée doit vigoureusement se discuter. Comment
ne pas s’interroger quand on lit que le ministre de la Défense prépare déjà
les étapes suivantes ?
D’une part, en allégeant encore plus ce qu’il reste de réquisition : la
Défense souhaiterait que les réquisitions des préfets soient rédigées sous
forme de « buts à atteindre et non plus de listes de moyens » par
exemple « sécuriser le quartier X » plutôt que « mettre cinquante soldats
le jeudi devant tel site ». D’un point de vue militaire, la Défense, qui
aime les coudées franches, a raison de revendiquer une autonomie
opérationnelle de ses unités. Cette souplesse et cette autonomie du
colonel font la force des armées en opération. Mais cette même
autonomie dans la campagne ou la ville française serait une imprudence
si ce n’est une faiblesse. Une bonne et forte police, au service du
gouvernement quand il s’agit de prévenir et sous l’autorité de la justice
quand il s’agit d’appréhender et de punir, devrait suffire à faire face.
D’autre part, en envisageant d’engager ses blindés, drones ou radars et
grandes soucoupes d’écoute sur la terre et dans les airs de la
République. Au printemps de 2016, ce dévouement de l’armée se fait
plus pressant.
Le rapport sur l’opération Sentinelle remis au Premier ministre le
17 février 2016 21 présente « les évolutions permettant de garantir la
disponibilité, la capacité d’action et l’efficacité des effectifs militaires
engagés dans la mission de protection du territoire national ». Il y est
question de ministère de l’Intérieur « autorité menante » et de militaires
« concourants ». Les militaires ont un rôle à jouer mais seulement si le
besoin s’en fait ressentir et aux conditions du pouvoir civil. C’est le
moment d’en rester aux principes éternels que l’émotion légitime suscitée
par les horreurs terroristes ne doit pas modifier.
Ainsi encadrée par la loi et à son service exclusif, la force se civilise et
démontre son caractère à la fois indispensable et constitutionnel. Tout en
respectant à la fois :
la noblesse du métier des armes qui amène le général Jean-Pierre
22
Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre à rappeler utilement, en
janvier 2016, que son armée « ne veut ni devenir une force de sécurité
intérieure démarquée » ni être « reléguée au statut d’auxiliaire et de
supplétif » ;
la spécialité des armes qui fait écrire au chef d’état-major des armées, le
23
général de Villiers, en janvier 2016 , l’importance de la « vertu de la
Force » face à la violence et la nécessité de dépasser la force qui, si elle
est « agissante, n’est pas suffisante ».
Cette approche globale appelée de ses vœux par le général passe par une
pluralité de moyens.
Exercer la force
Nous voilà devant l’essentiel. Il ne s’agit plus seulement de penser, il
faut agir.
L’exercice de la force suppose une connaissance approfondie des
fonctions et des fonctionnaires de la force. Souvenons-nous que le slogan
des annonces de recrutement de la police nationale est
« #UtileAuxAutres ».
CHAPITRE 7
Toute force protège, mais elle se diversifie, aussi, compte tenu de ses
quatre objectifs prépondérants.
La force sauve la victime et veille à son réveil. Cette fois encore, ceux
qu’on apercevra en sortant de la brume de l’inconscience seront le médecin
et le policier. La force rapide, mobile. Malgré les phrases toutes faites, les
carabiniers sont souvent à l’heure.
Le képi n’est pas que jugulaire. Il peut être aussi, il est souvent, Croix-
2
Rouge… Il l’est jour et nuit. En 2015, le préfet de police de Paris explique
dans « La nuit enjeu de sécurité » comment concilier tranquillité des
riverains et attractivité de la ville lumière, ville monde.
La force a toujours à faire, et n’est jamais aussi appréciée que quand
elle est « casque bleu ». Du plus tragique au plus local. Qui tente de garantir
les différentes communautés du Liban par une force d’interposition à
Beyrouth entre 1982 et 1984 ? Qui va séparer, le 23 août 2014 à
Maubourguet (Hautes-Pyrénées), les pro- et les anticorrida ? Pour réussir à
éviter l’affrontement entre club taurin et CRAC (Comité radicalement
anticorrida), les fonctionnaires de CRS (compagnie républicaine de
sécurité) montreront leur équanimité, même « musclée ». Pour produire la
paix des braves, la force doit s’engager avec constance. Police et
gendarmerie mènent cette lourde mission. Sans état d’âme et sans état
d’armes.
En deuxième lieu, la force confirme la loi qui, elle aussi, protège. Un
peuple sans force publique jetterait le doute sur sa volonté d’imposer la loi.
Le monde n’avance pas seulement par la « force des choses » mais par la
force du droit. La force, en ce sens, ne se subit pas, elle se construit
exclusivement pour prêter main-forte à la loi.
En troisième lieu, la force ne vaut que si elle est reconnue et, pourquoi
pas, célébrée comme les autres institutions du pays. C’est pourquoi la
République assume la force. Pour la paix. C’est la nation qui salue ses
armes et ses armées par exemple lors des défilés militaires du 14 Juillet ou
des commémorations de novembre 1818 ou mai 1945.
Le héros par la force, le héros tombé pour la défense du pays dans les
armées, la police, les services d’incendie sont honorés parce qu’ils nous
protégeaient, chacun à leur façon et selon leurs fonctions.
Nous devons nous en souvenir. À cet égard, la nation pourrait faire plus
pour les familles des fonctionnaires et militaires tombés ou blessés
gravement en service. Aux États-Unis les anciens soldats se plaignent :
« Elites neglect veterans 3. » En France, les ministères de la Défense et de
l’Intérieur sont sensibles à ce devoir d’État mais la population pourrait être
mieux associée. Les formules de fondation ou d’association comme Terre
fraternité (qui, le 30 juin 2016, était reçue avec treize orphelins de l’armée
de terre par le chef d’état-major) pourraient être davantage utilisées pour
associer collègues, mais plus encore citoyens, au service de cette cause.
L’ENQUÊTE
Sous l’autorité directe de la justice, l’enquête reste le métier
fondamental de la police et de la gendarmerie, qui sont nées pour chercher
et se souvenir. Aussi est-il nécessaire de savoir nouer ensemble les trois
temps de l’enquête : le renseignement indispensable qui reste purement
policier, puis la phase de police judiciaire, en enquête préliminaire où le
parquet apparaît, puis la phase du juge, soit du juge d’instruction d’abord,
soit directement du juge de jugement.
L’enquête n’est pas une possibilité mais bien un impératif : la force n’a
pas le droit de ne pas savoir quand l’enquête est un devoir. En 2016, la Cour
européenne des droits de l’homme 4 condamne l’Autriche pour n’avoir pas
suffisamment enquêté sur les insultes et actes racistes survenus pendant une
marche contre les Roms, du fait d’un groupe paramilitaire d’extrême droite.
LE RENSEIGNEMENT-INTRUSION
La force d’arrêt est bien connue. C’est celle qui bloque, contrôle, file,
appréhende et arrête. La herse et le portique. S’en chargent la police, la
gendarmerie, la douane et les polices municipales.
D’une part, la force arrête en faisant barrage et contrôle. « Police
nationale, vos papiers s’il vous plaît », la célèbre formule sera bientôt
souvent remplacée par l’œil électronique de la reconnaissance faciale…
D’autre part, la force arrête en appréhendant les personnes. Ce sont « les
deux mains sur le capot » comme dans les films américains. « Passer les
pinces » à un récalcitrant peut demander de la « conviction » ou de
l’insistance qu’il convient de ne pas confondre avec de la violence.
LE MAINTIEN
La physique de la force
La physique nous apprend que les forces initiales se combinent pour
devenir une force nouvelle. Et le pouvoir est un « rapport de forces ».
Grand physicien des forces, Rousseau, explique le pacte social par la
nécessité de se grouper face au risque de l’état de nature : « Comme les
hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et
diriger celles qui existent, ils n’ont plus d’autre moyen pour se conserver
que de former par agrégation une somme de forces qui puisse l’emporter
sur la résistance, les mettre en jeu par un seul mobile et les faire agir de
34
concert . » Toujours la physique des forces. Et encore : « Tous les peuples
ont une espèce de force centrifuge, par laquelle ils agissent continuellement
les uns contre les autres […] nul ne peut guère se conserver qu’en se
mettant avec tous dans une espèce d’équilibre, qui rende la compression
partout à peu près égale 35. » Cette étude de la force menée par le jeu des
forces a inspiré maints théoriciens postérieurs. Faut-il alors présenter la
force publique comme la force centripète qui réunit plutôt que comme la
force centrifuge qui disperse et explose ?
Michel Foucault, après le Marx du Capital, rapproche forces armées et
36
forces productives dans son chapitre « La composition des forces ».
Chaque élément de force, chaque soldat avec son fusil, forme avec les
autres « une géométrie de segments divisibles […]. Mêmes problèmes
lorsqu’il s’agit de constituer une force productive dont l’effet doit être
supérieur à la somme des forces élémentaires qui la composent. »
Aujourd’hui plus encore, l’appareil d’État accumule et croise différentes
forces, agrège à lui des forces de nature et de statut différents. Il se voit en
chef d’orchestre des forces pour rechercher des effets de multiplication au
service de sa stratégie et célèbre la « coproduction » de la sécurité.
Mais cette combinatoire des forces crée et révèle en même temps la
fragilité du système. Un seul élément de force nous manque et tout est
dépeuplé… Aussi les concepteurs de la force ne cessent-ils d’imaginer des
forces, spéciales ou non, décentralisées, adaptables, mobiles et autonomes
capables de faire face sans attendre leur fédération par la force globale.
Pour que, même si la combinatoire des forces échoue, puisse émerger une
force publique stable, elle-même et créatrice de stabilité pour la société.
Cette dialectique de la partie et du tout caractérise le débat stratégique
contemporain qui tente de tirer les leçons des forces éléphantesques,
coûteuses, lourdes, agissant en masse et ne pratiquant pas assez le coup de
main et le coup de force mobile, inattendu. Ce diagnostic fait la fortune,
dans le domaine militaire, des « forces spéciales » conçues pour frapper dur
en étant à la fois imaginatives, mobiles et offensives. En 2015, les effectifs
de ces forces militaires d’élite sont élargis par la création d’un septième
commando marine de 150 hommes à Lorient. Ils atteindront 4 000 hommes
en 2019. Au-delà, l’heure est venue de s’interroger sur la place dévolue à
ces « forces spéciales » en passe de s’affirmer comme le normal de la force.
La nuit tombe sur Paris. Qui veille ? La force, avec la police, le soin à
l’hôpital, et le secours avec les pompiers. Le bleu, le blanc, le rouge. La
force est partie éminente de la nation.
Le 13 novembre 2015, des coups de feu éclatent au Bataclan. Un
brigadier entre dans l’établissement, seul, une arme de poing à la main au
risque de sa vie et abat l’un des criminels 1. La force juste appelle le respect
et la reconnaissance de la nation. Tous les jours, de tels actes d’héroïsme,
souvent discrets et même inconnus du public, font la démonstration de ce
que la force protège les citoyens sans reculer ni hésiter.
Le grand Waldeck-Rousseau le savait qui, dans sa préface de 1896 à
L’Histoire du corps des gardiens de la paix, notait : « Dans une société
appelée à demander chaque jour à la science des révélations nouvelles, à
conserver son rang dans un monde où se succèdent les révolutions
économiques, l’individu veut avant tout être affranchi du soin de veiller à sa
défense. C’est là le service essentiel que rend la Police. » Vigilat ut
quiescant 2.
La police se développe, se dilate, parce que nous nous empressons de le
lui demander. Et nous lui en demandons toujours plus. « Mais que fait la
police ? » Nous lui demandons de la disponibilité, de la mobilité, de
l’autorité, de l’anticipation, de la proportionnalité, de la courtoisie et des
résultats. La force doit être à disposition permanente, cette force que le
siècle nous a désappris à manier nous-mêmes.
Et, miracle républicain, la force publique répond à ces demandes.
Parfois tardivement, parfois maladroitement, mais elle répond au numéro
17. Parce qu’elle sait, mieux que personne, que répondre à un appelant en
détresse « ne quittez pas » peut signifier sans le vouloir « ne quittez pas la
vie… ». La formule « ne quittez pas » est pour chacun d’entre nous
tellement importante qu’un documentaire télévisé 3 de 2016 sur des
« tranches de vie » dans un commissariat de Toulouse l’a prise pour titre.
Pour les nouveaux, plus inquiétants, qui vont vers le même art de la
guerre que les soldats :
Ils allaient par groupes […], ils avaient même carrure et même
coupe que les policiers nationaux. Ils portaient à la ceinture des
bâtons de police à poignée latérale. Ils en imposaient […]. Je me
suis demandé combien la France, en plus de sa police d’État, compte
de policiers locaux, de surveillants, de vigiles, tous en chaussures
montantes, pantalons serrés aux chevilles, blouson de couleur
bleutée. La rue se militarise.
Avec une telle annonce en 2016, la ville ne tend pas la main au bon
élève de procédure pénale. Elle guette plutôt le biker musclé, avec
Eurolaser et instruments sonométriques en bandoulière. Il faut pourtant, à la
fois, des caméras embarquées dans le Zodiac et la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen embarquée dans le paquetage. Car la police
municipale, même montée en graine trop brutalement, est désormais
incontournable au nom de la présence et de la proximité. Qui d’autre, de
jour comme de nuit, fait des rondes et non des raids ? En outre, les textes
permettraient de passer demain d’une police municipale à une police
départementale ou régionale. D’ores et déjà, conformément à l’article
L. 511-5 du Code de la sécurité intérieure, les agents de police municipale
peuvent être autorisés par le préfet à porter une arme. Sur 16 344 policiers
municipaux, 7 500 environ 13 sont désormais dotés d’une arme à feu. Jean-
Luc Moudenc, maire de Toulouse en mars 2015, Jean-Claude Gaudin, maire
de Marseille en juillet 2015, Gérard Collomb, maire de Lyon, en
novembre 2015 ou François Bayrou, maire de Pau en août 2016, annoncent
qu’ils sont désormais prêts à armer leur police municipale. Restent des
« résistants », comme le maire de Besançon, Jean-Louis Fousseret, selon
lequel les agents de police municipale n’ont été ni recrutés, ni formés, ni
entraînés à l’usage des armes à feu. Dans le nuage de la pression sécuritaire,
il est bon qu’existent encore des références, originales, capables de dire que
tout n’est pas semblable, que police nationale et polices municipales n’ont
pas nécessairement la même mission et que la force ne se mesure pas au
calibre des armes. Nous avons besoin de police municipale. Mais que
chaque élu prenne ses responsabilités sur ses missions, son organisation et
son armement sans suivre automatiquement les sondages de l’opinion
prétendue.
En second lieu, les activités privées de sécurité (qu’il convient de ne pas
appeler « activités de sécurité privée ») prennent leur envol. Non sans poser
de nombreuses questions sur la coordination entre elles et avec les forces de
l’État, les inégalités territoriales, leurs doctrines d’emploi divergentes. La
14
Cour des comptes observe avec attention ce phénomène . 160 000 agents
travaillent dans 10 000 entreprises. Pour l’Euro 2016, la grande fête du foot,
la sécurité des stades, des camps de base, des hôtels des équipes et de
l’UEFA, ainsi que du centre des médias, sont du ressort de l’UEFA qui a
déployé dans ces zones environ 10 000 agents de sécurité privés. La
sécurité de l’événement, qui conduit le gouvernement à prolonger l’état
d’urgence, est menée par un pool État/Euro 2016 SAS société organisatrice.
Voir utiliser sans précaution particulière, dans un pays pourtant régi par
une loi antimercenaire 15, le concept de SMP (société militaire privée) peut
o er
laisser pantois. La nouvelle loi n 2014-742 du 1 juillet 2014 « relative aux
activités privées de protection des navires » franchit un pas significatif : la
force privée prend pied sur les passerelles de nos navires pour écarter les
pirates. Cette réinvention des corsaires, avec puissance de feu et prestations
armées vendues aux armateurs, ne restera pas cantonnée en haute mer. Le
modèle descendra, un jour ou l’autre, sur la terre ferme. Il reste à nous y
préparer ou à savoir nous y opposer. Le modèle de l’armée privée aux États-
Unis attire comme la lumière dans la nuit des périls même si la privatisation
partielle du pilotage de drones militaires soulève des difficultés de loyauté
et de discipline que l’armée américaine elle-même n’a pas encore levées.
Créé par le Code de la sécurité intérieure, un conseil national des
activités privées de sécurité – lui-même sinistré par le départ contraint en
2016 de son directeur empêtré dans des liens improbables avec les
entreprises qu’il était chargé de contrôler – tente de renforcer la moralité et
le professionnalisme de cette armée de second rang qui représente la force
au service des entreprises. Assumons, là aussi. Le rôle des activités privées
de sécurité est incontournable, il participe d’un effort civique des
entreprises pour contribuer par elles-mêmes, par leurs ressources et leurs
personnels, à la production de sécurité sans être suspendues au fil de
l’autorité publique. Charge à elle d’assurer à la population que le vigile
n’est pas le voyou repeint en uniforme. Les professionnels privés de la
sécurité sont tenus à tout un système d’agrément, tant pour les dirigeants
que pour les salariés. Il revient à la République de veiller aux armes qu’il ne
convient pas de mettre entre toutes les mains.
En troisième lieu, au-delà de la branche spécialisée en sécurité, les
entreprises des autres secteurs et les associations comprennent la nécessité
de penser leur force propre. Elles soutiennent le Club des directeurs de
sécurité des entreprises que préside Alain Juillet, ancien haut responsable
public chargé de l’intelligence économique. En juin 2016, ce club recrute,
comme directeur, l’ancienne secrétaire générale de la délégation chargée de
la lutte contre les cybermenaces du ministère de l’Intérieur. Expériences
publiques et privées se mêlent pour diffuser dans les entreprises une
vigilance nécessaire, et peut-être, une nouvelle culture de la sécurité si ce
n’est de la force.
Pour coordonner le tout, y compris les coordonnateurs sectoriels, le
ministère de l’Intérieur a créé par décret du 28 février 2014 un « délégué
aux coopérations de sécurité » dont la mission est de « conduire le dialogue
entre les services concernés du ministère de l’Intérieur et les acteurs
concourant à la sécurité publique, notamment les représentants des polices
municipales et du secteur de la sécurité privée. Il conduit également le
dialogue avec les professions et secteurs d’activité particulièrement exposés
à la délinquance. […] Il a un rôle d’impulsion et de coordination des actions
visant à développer les coopérations administratives, techniques et
opérationnelles avec ces partenaires ». Cette forte mission qui, prise au pied
de la lettre, équivaudrait à celle du ministre de toutes les polices, est remplie
depuis l’origine par d’anciens collaborateurs du ministre Hortefeux.
Commandement
Métier éminent que l’encadrement de la force. Le commandement de la
force implique la force de commandement. En 2015, l’historien Nicolas
Roussellier titre son étude du pouvoir exécutif La Force de gouverner 26. Et
pas seulement les forces de sécurité. Le commandement suppose de
connaître ses missions, ses moyens, ses droits et sa déontologie, ses
personnels et, surtout la population qu’il va falloir animer et, si ce n’est
maîtriser, au moins canaliser, dissuader. Surtout, il faut le courage de
commander. Bien des catastrophes sont survenues parce que les ordres
avaient été volontairement évasifs ou inexistants 27, laissant au subordonné,
qui peut prendre le silence pour une approbation, le risque et l’illégalité
éventuelle.
Le nouveau règlement général d’emploi de la police nationale 28
organise cet encadrement. Le commandement stratégique (qui revient au
ministre ou, plus largement, à l’autorité civile) aura à fixer l’objectif avec
quelques précautions fondamentales. Le commandant opérationnel (comme
le directeur départemental de la sécurité dans sa salle de commandement ou
le commandant d’une compagnie républicaine de sécurité) aura à prendre
des décisions dans l’instant : tenir, avancer, reculer, charger, déplacer des
forces, changer de matériel, appeler des moyens extraordinaires
(hélicoptères, forces d’intervention, canons à eau…), en dernier ressort,
exceptionnellement, ouvrir le feu.
Ces choix et orientations sont cauchemars récurrents tant commander
(réellement) la police est une gageure. Il faut toujours se souvenir de
l’avertissement de Jean-Jacques Gleizal 29, il y a trente ans : « La police est
une administration molle. Sa hiérarchie est faible, ses problèmes matériels
sont moins importants que ceux psychologiques, voire politiques. Y a-t-il
une police ? Nous savons qu’il en existe plusieurs. »
Commander suppose des cadres en nombre suffisant et soigneusement
formés à cette responsabilité.
Sur le nombre de cadres, une politique restrictive, sous influence des
syndicats de commissaires de police, a borné de manière insatisfaisante le
nombre de commissaires et plus encore des officiers, ce qui aboutit à un
sous-encadrement de la police nationale. Dès 2004, le rapporteur UMP du
projet de loi de finances sur la sécurité, M. Léonard notait : « Un cinquième
des effectifs de la Seine-Saint-Denis est renouvelé chaque année. Ce
mouvement déstabilise les services. Il conduit à une situation de sous-
encadrement des gardiens de la paix. » Dans le département des Yvelines
(1,4 million d’habitants) ne sont affectés, tous services confondus, que 40
commissaires, ce qui signifie qu’à un moment donné, et particulièrement la
nuit, ils sont très peu présents pour commander. Le risque est alors de
laisser les jeunes entre eux sans la sagesse de l’expérience. Alexis Jenni
perçoit physiquement ce manque de seniors à l’apparition d’une voiture de
police qui livre son équipe de jeunes fonctionnaires :
Pas un seul n’était un peu détaché du monde comme le sont ceux qui
ont un peu vécu, pas un seul qui puisse ne pas réagir aussitôt, pas un
qui puisse retarder la mise en œuvre de cette puissance de feu. Ils
étaient quatre de même âge, ces hommes d’armes dont on a aiguisé
les mâchoires de fer, très jeunes, et personne n’était là pour leur
tenir la bride. Les hommes plus âgés ne veulent plus patrouiller dans
les nuits de juin, alors on laisse rouler dans la rue des grenades
dégoupillées, on laisse des jeunes gens tendus chercher à tâtons dans
la nuit d’autres jeunes gens tendus qui jouent à leur échapper 30.
Pourtant, même les scouts ont des chefs. Et les apprentis des maîtres. La
police, plus que la gendarmerie, a sous-estimé dans la durée, le rôle des
sergents et des adjudants, ces cadres qui partagent le quotidien de leurs
hommes. La patrouille n’est pourtant pas un safari ni un parcours initiatique
mais une mission de base du service public. Elle n’est professionnelle et
légitime qu’encadrée strictement. Aujourd’hui, la police obéit plus souvent
à un RULP (responsable d’unité locale de police) qu’à un commissaire de
police. Comme dans la gendarmerie où l’arme devrait avoir moins de
généraux et plus de capitaines.
La formation et la sélection des cadres se portent mieux. Mais elles sont
toujours à améliorer.
Cela suppose, aussi, des comptes rendus exacts aux autorités. En
Allemagne, à Cologne et Hambourg le 31 décembre 2015 31, comme en
Suède, lors des festivals de Stockholm en 2014 et 2015, les chefs de la
police ont été directement mis en cause pour avoir caché les agressions
sexuelles commises en grand nombre par des groupes de migrants. Plus
généralement, l’histoire de la force publique est ponctuée de comptes
rendus effrontément erronés, où la brigade ou l’équipe se sont
manifestement concertées pour présenter à la hiérarchie une version
commune enjolivée que la justice met parfois des années à démonter. Le
meilleur compte rendu est encore celui que l’on fait avant l’événement en
l’anticipant. En 2016, la mairie et le directeur de la police de Cologne
prévoient dix fois plus de forces de police qu’en 2015 pour la nuit de la
Saint-Sylvestre. Et le font savoir.
Exécution
La force, un art d’exécution. La force n’est certainement pas
incompatible, bien au contraire, avec le tact et le sens des proportions. En
février 2016, le député de Rugy (écologiste) rappelle à l’Assemblée
nationale que, pour la sécurisation d’un match de football, des
« précautions » de police excessives relèvent de la mauvaise exécution de
l’opération de force : il s’agissait d’un match Nantes/Lens qui avait lieu à
Amiens.
Contrôle
Les techniques de contrôle 40 de la force doivent être bien maîtrisées. Or,
en France, elles se caractérisent par la multiplicité, la concurrence et
l’efficacité relative.
La force peut souffrir d’une multitude de contrôles, bien dénoncée à la
Chambre des députés le 26 septembre 1919 par le député Ernest Lafont :
Déontologie de la force
Pas de confiance sans code de bonne conduite
Depuis que la force existe, le prince lui demande le respect de quelques
principes qui la différencie de la bande, de la meute ou de la horde. La
déontologie n’est pas la seule qualité de l’agent chargé de la force mais elle
peut aider 44. La loi no 2014-1353 du 13 novembre 2014 introduit trois
articles dans le Code de la sécurité intérieure : L. 141-1, « La déontologie
des personnes exerçant des missions ou activités de sécurité est précisée par
décret en Conseil d’État » ; L. 142-1, « Le Défenseur des droits accomplit
sa mission de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant
des activités de sécurité dans les conditions fixées par la loi organique
no 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits » ; et L. 434-
1, « Un code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie
nationales est établi par décret en Conseil d’État » lequel a été pris par
décret en 2013. Il est en vigueur depuis le 1er janvier 2014.
Le dispositif est donc en principe très complet. Mais l’énoncé de la
norme déontologique ne suffit pas, n’a jamais suffi.
Dans son récent roman, Bien connu des services de police 45, Dominique
Manotti décrit un commissariat de police de banlieue qu’elle crédite de
presque toutes les turpitudes déontologiques qui menacent la force : ses
policiers sodomisent une prostituée, photocopient irrégulièrement des
documents, multiplient les perquisitions irrégulières, brutalisent les usagers,
font des comptes rendus incomplets, volent les Roms et les personnes en
situation de faiblesse, soustraient des preuves, se coalisent pour de faux
témoignages harmonisés. La force est ici désespérante.
Et pourtant…
Le premier commandement pour un homme de force est certainement :
« Tu ne tueras point. » Quand, en 2015, l’ancien chef de police chinois
Zhao Liping, en même temps auteur de poésies comme La Mort du policier,
est interpellé pour le meurtre de sa maîtresse, il avait oublié que sa bonne
gestion antérieure avait réduit le temps de réponse aux appels à Police
Secours. Grâce à cette amélioration du service (il faut toujours se méfier de
ses propres succès), sa maîtresse, blessée et poursuivie, avait eu le temps,
avant d’être abattue, de signaler à la police que Zhao était à ses trousses. Au
Brésil, aux Philippines, les militants des droits de l’homme protestent
contre les « policiers tueurs 46 ». En France, les procédures pour violences
ou viol ne sont pas rares comme pour la touriste canadienne agressée en
2014 dans les locaux du 36, quai des Orfèvres. En septembre 2015,
l’enquête amènera une centaine de policiers de cette prestigieuse unité à se
soumettre à un test ADN qui s’avérera négatif. L’affaire se termine (sous
réserve d’un appel) en juillet 2016 par un non-lieu pour les deux policiers
mis en cause.
Moins dramatique, le deuxième commandement : « Les secrets, tu
sauras garder. » Respecté, il aurait dû faire obstacle à ce qu’en moins de
deux ans, deux chefs successifs du célèbre 36, quai des Orfèvres soient
limogés : le premier en 2013 pour avoir « informé » un ancien ministre de
sa prochaine audition par la police – un « geste » qui lui coûtera son poste ;
et le second, début 2015, pour violation du secret de l’instruction. De
même, voir l’officier d’élite David Petraeus, ex-patron de la CIA, chuter
pour avoir été trop bavard avec sa biographe et maîtresse et condamné en
avril 2015 à deux ans de prison avec sursis et 100 000 dollars d’amende
prouve les conséquences imprévues d’un excès de confiance. Les propos
47
d’un ancien directeur technique de la DGSE rapportés par la presse en
septembre 2016 et relatifs à certaines opérations du service peuvent aussi
étonner.
Quant au troisième commandement, il est ultraclassique : « La probité,
tu n’oublieras jamais. » Même dans le maniement des scellés, dans les
œuvres sociales de la police 48, dans les rapports avec l’entreprise, la probité
n’est soluble ni dans l’amitié ni dans l’alcool. Les « livraisons surveillées »
sont en principe des fournitures de produits interdits tolérés par la police,
pour arriver jusqu’au chef du trafic. Il ne faut pas que ce soit l’inverse et
49
que le trafiquant profite de la protection mal avisée de la force . Enfin,
quand un « grand flic » est condamné le 5 juillet 2016 à deux ans et demi de
prison ferme pour corruption, du fait de rapports troubles avec ses
indicateurs, c’est toute la force publique qui souffre quand la presse titre
« flic et/ou voyou ». Et tout le service public quand le condamné estime
nécessaire d’écrire un livre sur ses « aventures ».
En décembre 1698, l’huissier Jean Belin « convaincu de concussion,
exactions, prévarications et malversations » est condamné à être forçat
pendant sept ans de galères. Il est exhibé « attaché au carcan à la porte du
marché public de Dijon […] portant sur la tête un écriteau contenant ces
mots : huissier concussionnaire ». On ne badine pas avec les agents de la
force qui oublient leur déontologie. Les principaux métiers de la force sont
désormais dotés de codes de déontologie : la police, pionnière à l’époque
avec le premier décret de déontologie pour les fonctionnaires du 18 mars
1986, et la gendarmerie se partagent le décret déontologique du 4 décembre
2013 50. Les fonctionnaires de la police nationale exécutent les missions
confiées par l’article R. 411-2 du Code de sécurité intérieure « dans le
respect des principes républicains et du Code de déontologie ». Les
pénitentiaires disposent de leur propre code de déontologie 51 publié après
dix ans de travaux, comme les activités privées de sécurité avec les articles
R. 631-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure, comme les agents de
surveillance de la SNCF et de la RATP 52 et, bientôt, les agents du Conseil
national des activités privées de sécurité.
Le jugement du siège général de la connétablie et maréchaussée de
France du 21 juillet 1740 interdit aux cavaliers de maréchaussée
Quand la force n’aime pas les couleurs, elle éteint la lumière de ses
geôles, déteste les veilleuses, ne croit pas en l’esprit des Lumières, agit en
secret, impose un uniforme bistre, savoure les crépuscules et attend dans la
noirceur que l’orage déchire le voile d’un coup de lumière blanche
insoutenable comme une lampe d’interrogatoire. Elle diffuse le « petit livre
rouge », organise de gigantesques manifestations en ordre noir et,
finalement, en servant fanatiquement une aube rouge ou un leader en noir,
précipite la déchéance de l’autorité qui la fondait, en accélérant la « fin de
l’homme rouge » ou le désastre des hommes en uniforme noir. La force mal
pensée, la force qui règne au lieu d’être commandée, est un bon outil de
catastrophe et le plus souvent une police d’assurance pour l’enfer. « Le
rouge et le noir » se termine dans le drame.
Quand la force sert la démocratie, au contraire, elle s’adresse à des
citoyens éclairés par l’école, ne charge pas mécaniquement la première
muleta rouge agitée sous ses canons, sait défendre quand il le faut le rouge
de la manifestation et le jaune de la liberté du travail, le vert de l’écologie et
le bleu des uniformes. Elle ne construit pas ses fichiers selon la couleur de
la peau mais seulement sur les signes objectifs des délinquants qu’elle
recherche, n’a pas peur des arcs-en-ciel et défend ceux qui sont fusillés
comme à Orlando, aux États-Unis le 12 juin 2016. Elle sait que les feux de
signalisation ne sont pas composés que d’optiques orange et rouge, mais
que le vert existe aussi. C’est la liberté. Démosthène aurait pu, comme
Diogène, porter une lanterne quand il a voulu restituer aux Athéniens le
courage de mettre la force au service de leur cité contre Philippe II de
Macédoine. Il leur enseignait que la force de leur adversaire vaut d’abord
par leur propre faiblesse et leur négligence. Ses Philippiques vont droit au
but comme une flèche, et la cible apprécie en connaisseur 1 : « Philippe […]
dit ingénument, après avoir lu ce discours : – J’aurais moi-même donné ma
voix à Démosthène pour me faire déclarer la guerre et je l’aurais nommé
général. » La vraie force sait apprécier celle de ses ennemis.
L’histoire, la géographie, la littérature, la chanson, la théorie politique
nous rappellent ce que nous savons mais préférons si souvent oublier : ne
pas subir passe par la construction d’une Autorité respectée et par
l’engagement d’une force adaptée.
Le salut de la collectivité est assuré quand celle-ci réussit à posséder
une force circonscrite à un mode d’emploi strict et, en même temps,
audacieuse et déterminée quand son emploi est décidé.
Si l’on est persuadé que la République juste doit être forte, au sens de
Pascal, la force fait partie des techniques qu’il faut confier à certains,
choisis et mandatés par la nation, au service de tous. Elle a un prix,
financier comme psychologique, généralement élevé et peut susciter des
protestations et des rancœurs. Mais, inversement, renoncer trop rapidement
à la force peut susciter aussi des révoltes sourdes et de la distance vis-à-vis
de toutes les autorités. Il s’agit donc de construire et d’entretenir une force
au service de tous et non de ceux qui l’emploient ou la servent.
Soumettons la force au droit, en commençant par quelques procédures
simples et préalables mais incontournables. Le pli se prend qui fait la bonne
police. Par la répétition, le réflexe, l’entraînement et l’exigence de
motivation. En ne perdant jamais de vue que la procédure donne la main à
la Constitution.
Peut-être – mais, dans ce peut-être, il y a toute l’espérance d’une culture
démocratique et résistante – obtiendrons-nous ainsi de construire et de faire
accepter une force raisonnable au service d’une République pacifique mais
défendue.
Index
Alain, Émile-Auguste Chartier, dit 3 31, 34
Augustin (saint) 2 26
Bilger, Pierre 95
Boucheron, Patrick 2, 3 74
Boyden, Joseph 1, 2
Brink, André 2 97
Christophe 2 295
Corneille, Pierre 3, 4 64, 161
Cossé, Laurence 2 75
Duguet (abbé) 54
Echenoz, Jean 1
Egolf, Tristan 2 18
Flaubert, Gustave 98
Heller, Peter 2 16
Houellebecq, Michel 2 47
Huberson, Laurent 2, 3, 4 76
Hugo, Victor 4, 5 14-15, 103
Mirbeau, Octave 1
Périé, Raphaël 1, 2
Potocki, Jan 1
Proust, Marcel 2 130
Rimbaud, Arthur 77
Rioufol, Ivan 2 176
Rosanvallon, Pierre 48
Rouaud, Jean 2 102
Saramago, José 1, 2
Sinclair, Upton 1
Swift, Jonathan 1
Takiji, Kobayashi 1
Tallemant des Réaux, Gédéon 2 191
Waldeck-Rousseau 271
Yourcenar, Marguerite 1
Titre
Copyright
Dédicace
Introduction
CHAPITRE 2 - La force ne doit pas être confondue avec son propre mythe
La force est injuste - Comme l’ordre social qu’elle est accusée de servir
La force sait avoir des prétentions - Cedant arma togae n’est pas une formule absolue
Les incertitudes de la loi - Changement du système pénal à petits coups de lime répétés
Les incertitudes du budget - Qui paye et comment pour la force publique et qui en profite ?
Les incertitudes de la justice - Trop souvent, la justice doute d’elle-même face à la force
Les incertitudes de l’urgence - L’urgence est à manier avec une extrême prudence
Le premier mot de l’armée - L’action de l’armée sur le sol national : à la fois utile et limitée
Par tous les moyens ? - Seulement les moyens appropriés, des fichiers à la contrainte
À chaque besoin du citoyen, une force adaptée - Disponibilité et diversification des forces
Force protectrice ou force protégée ? - La force plus que jamais sur ses gardes
Qui exerce la force ? - La guerre des polices fait la faiblesse, l’union fait la force
Conclusion
Index
Éditions Odile Jacob
Des idées qui font avancer les idées
Z-Access
https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
ffi
fi