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© ODILE JACOB, FÉVRIER 2017

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www.odilejacob.fr

ISBN : 978-2-7381-3678-7

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Remerciements à Michel D., Caroline F.,
Jean-Louis G., Michel P., Marie V.
Et à Françoise.
« Qu’importe que la conscience soit vivante, si le bras est mort ? »
Alfred de MUSSET, Lorenzaccio 1.

« La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force


publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non
pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. »
Article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de
1789.

« La France a connu à plusieurs reprises au cours de ce siècle, ces


paniques provoquées par certains attentats, savamment exploitées par
la réaction et qui ont toujours fait payer à la liberté les frais d’une
sécurité menteuse. »
Francis de Pressensé, Les Lois scélérates 2.
Introduction

La force est crainte par tous et adulée par beaucoup. Elle est tout à la
fois sollicitée – mais que fait la police ? – et redoutée dans ses abus. Je
crois que la démocratie exige un mode d’emploi de la force.
Pour Diderot, dans l’Encyclopédie, les deux sources de l’« autorité
politique » sont soit le consentement, soit le poids du tandem force et
violence : « Toute autre autorité vient d’une autre origine que la nature ;
qu’on examine bien, et on la fera toujours remonter à l’une de ces deux
sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé ; ou le
consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé
entre eux et celui à qui ils ont déféré l’autorité. » Croisons les sources.
Pensons le consentement à l’usage de la force. Quelles en sont les
conditions ?
La force n’est jamais aussi simple qu’il y paraît : elle n’est pas la
violence mais elle est dangereuse tant pour ceux qui sont face à elle que
pour ceux qui la commandent ou la manient.
La force ou comment la conserver ? La force ou comment s’en passer ?
La force ou comment s’en servir ? Quiconque détient ou croit détenir (en ce
domaine l’apparence est presque aussi importante que la réalité) une
parcelle de force va indéfiniment se poser ces questions. Et, pire, parfois,
exercer sa force sans se poser la moindre question…
Au nom de quoi, comment et jusqu’où une société démocratique peut-
elle utiliser la force à l’égard de ses « ennemis » et même de ses citoyens ?
La force dont il sera question ici est la force qui s’impose à l’autre, qui
dissuade et contraint quand elle est « force publique ». Qui impose à l’un
pour sauver l’autre, qui impose à tous pour sauver l’être collectif qui peut
être une ville, une nation, un peuple. À la fois la force comme notion
théorique et la force comme modalité de contrainte sociale.

Que souhaiter à un ami ? La Santé et la Force. Ce sont deux noms de


prison. Celle de La Force, installée en 1780 dans le Marais, hôtel des ducs
de La Force, est supprimée en 1850.
La prison résume la force parce qu’elle est à la fois outil de droit et
contrainte.
Tant d’expressions familières évoquent la force : rapports de forces,
épreuve de force, démonstration de force, coup de force, passage en force,
tour de force, force ouverte, forcer la main, à bout de forces, prêter main
forte, se porter fort, « esprit fort » (« les esprits forts savent-ils qu’on les
3
appelle ainsi par ironie ? »), la force des choses, « la raison du plus fort est
toujours la meilleure », fort des halles, « maison de force », travaux forcés,
4
forçat .
Force de dissuasion, forces spéciales, forces de l’ordre…
Force et retenue. Force parce que retenue ?
Ces expressions nimbent la force d’une aura quasi magique et parfois la
plongent dans les forces occultes…

Pour lever le mystère de la force, je reviens toujours à Javert, l’homme


5
de la force publique dans Les Misérables , planté dans le roman pour
incarner toutes les facettes de la force. Il est l’enquêteur, le chasseur, le
limier, le policier modèle. Il cultive et admire la force. Devant les témoins
de l’accident qui ne réussissent pas à soulever la charrette qui écrase le
charretier, Javert, le policier, s’adresse à Jean Valjean : « Ce n’est pas la
bonne volonté qui leur manque, c’est la force. Il faudrait être un terrible
homme pour faire la chose de lever une voiture comme cela sur son dos. »
Valjean va y réussir…
Baudelaire 6 exècre Javert :

Une figure horrible, répugnante, c’est le gendarme, le garde-


chiourme, la justice stricte, inexorable, […] l’intelligence sauvage
(peut-on appeler cela une intelligence) qui n’a jamais compris les
circonstances atténuantes […] Javert m’apparaît comme un monstre
incorrigible, affamé de justice comme la bête féroce l’est de chair
sanglante, bref, comme l’Ennemi absolu.

En réalité, je vois ces motifs de détestation comme autant de possibles


qualités : Javert incarne un certain modèle de policier, plus complexe que le
poète n’a bien voulu l’admettre.
Javert, l’homme d’ordre et de répression. Parfois, aussi de dépression.
Celui qui réduit les malandrins à merci. Il est sombre, rugueux, habité par
sa mission, il sait être brutal, autoritaire, acharné et, quand il le faut,
courageux. Il n’a peur de rien, il est obstiné, n’abandonne jamais, ni la
poursuite ni ses enquêtes. Il conduit les délinquants au bagne et les attend à
la sortie. Il est pessimiste, revenu de tout, prend la réinsertion pour faribole.
Il a désappris à croire en Dieu mais il croit en lui-même et plus encore à la
Préfecture. Il a la dureté des convaincus, l’inspiration des saints laïcs, sans
la miséricorde. Hugo le présente : « Il était stoïque, sérieux, austère, rêveur
triste ; humble et hautain, comme les fanatiques. Son regard était une vrille.
Cela était froid et cela perçait. Toute sa vie tenait dans ces deux mots :
veiller et surveiller. » Il a la simplicité des purs, une simplicité qui peut être
obscure et dangereuse mais jamais fausse. Il ne saurait accepter la moindre
montre en or de la part d’un indicateur et ne fait même pas sauter les
contraventions. À notre connaissance, il n’est pas syndiqué. Il paye son
engagement d’une certaine solitude.
D’une manière innée, il sait que la violence est une explosion et une
exception, une défense aussi, mais que la force, disciplinée et
proportionnée, est indispensable. Il ne ploie ni ne plie. Il suit son chemin et
ne cède que devant la loi.
Par cette discipline, dure comme une tragédie, il montre qu’il n’est en
rien un de ces policiers modernes et carriéristes, prêts à tout au service des
« organes », du « parti » ou de l’Ordre idéalisé. Quand Jean Valjean, ancien
forçat reconverti en M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, lui ordonne
de remettre en liberté Fantine, il refuse et ne ploie que devant l’apostrophe
juridique du maire 7 : « Le fait dont vous parlez est un fait de police
municipale. Aux termes des articles 9, 15 et 66 du Code d’instruction
criminelle, j’en suis juge. J’ordonne que cette femme soit remise en
liberté. » Javert, nous dit Hugo, « reçut le coup, debout, de face, et en pleine
poitrine comme un soldat russe ». Il souffre mille morts mais il obéit au
code. En cet instant, Javert est grand par son renoncement. Mais quand il
plie, il se brise. Prenant violemment conscience du dilemme qui le
bouleverse, le conflit de loyauté entre le respect de Jean Valjean qui l’a
sauvé et le devoir de le dénoncer (comme bagnard en fuite), il ne trouve pas
de solution. C’est l’objet du livre quatrième de la cinquième partie des
Misérables, si intense, « Javert déraillé ». Son Golgotha à lui, le moment où
tout bascule – préfet, règlement, pourquoi m’avez-vous abandonné ? –, la
tension est insupportable, ses références ne lui fournissent plus de clé. Lui
qui vivait dans la certitude rassurante de la circulation par rail, il déraille ou,
plutôt, Javert est « déraillé ». La forme passive retenue par Hugo montre
que, même face à sa propre fin, Javert subit les événements plus qu’il ne les
conduit. Il ne détruira plus personne sauf lui. Il ne plie pas, il se brise.

Celui qui porte la force se fait toujours violence.


Je vois quatre raisons impérieuses de réfléchir à la force, à sa nature et à
son usage.
En premier lieu, il ne s’agit pas d’ajouter un commentaire à tous ceux
qui ont suivi les attentats de 2015-2016 mais de se souvenir que tous les
États démocratiques font face aux menaces y compris terroristes, dans la
durée, en entretenant une force pour se défendre et, si nécessaire, prévenir
en attaquant. Mais justement parce qu’ils sont États démocratiques, leurs
agents réfléchissent avant de tirer et ne se gaspillent pas à mettre en doute
l’État de droit. L’État qui n’est plus de droit ou l’absence à la fois d’État et
de droit, vers lesquels certains « esprits forts » voudraient nous entraîner,
sont bien décrits par le romancier américain Peter Heller dans The Dog
Stars 8. La pandémie a décimé la population et ramené le monde à l’état de
jungle où se déchirent les derniers survivants : « Les règles d’avant ne
tiennent plus. Elles ont subi le même sort que le pivert. Disparues en même
temps que les glaciers et le gouvernement. C’est une nouvelle ère. Nouvelle
ère et nouvelles règles. Pas de négociations. » Mais nous ne sommes pas
des piverts, même en période électorale. Et il nous reste du temps pour
prouver que nous savons être des citoyens, des soldats quand il le faut, mais
pas des cow-boys.
En deuxième lieu, il ne s’agit pas d’infliger des jugements de valeur
mais de rappeler des principes. Nombreuses sont les évaluations et les
critiques des diverses mesures policières, militaires et judiciaires prises ces
dernières années. Mais, avant même les évaluations, il est utile d’examiner
les quelques principes et réalités à partir desquels se construisent toutes les
politiques de force maîtrisée : principe de nécessité, de proportionnalité, de
respect de la procédure et primauté du professionnalisme sur la
fantasmagorie. Car, mises ensemble, force et démagogie forment un
bouillon de culture propice à toutes les épidémies.
En troisième lieu, il ne s’agit pas de simplifier mais de clarifier. En
matière de simplification, certaines déclarations politiques témoignent d’un
art accompli. Et ne pourront être ni imitées ni a fortiori dépassées. Mais,
face à ces proclamations régressives, il n’est pas interdit de dépasser la
monosyllabe telle que le « oui » à toute mesure de sécurité quelle qu’elle
soit, pourvu qu’elle porte la tunique la plus rutilante de la force, ou le
« non » entêté à tout renforcement de l’arsenal sécuritaire parce que la force
serait toujours illégitime en elle-même. Vouloir préciser, c’est préférer le
mode d’emploi aux modes du moment. Il nous appartient de proposer un
mode d’emploi de la force plutôt que d’entrer ou de nous complaire dans les
débats trop tranchés entre la primauté de la force (« nous sommes en
guerre ») et l’inopportunité de la force (« délinquance et terrorisme ne
justifient aucune restriction à nos libertés »).
En quatrième lieu, il ne s’agit pas de faire peur mais de faire face.
Comme tous les peuples debout, nous honorons nos victimes et nos héros.
Puis, nous (ou du moins ceux qui nous représentent d’une manière ou d’une
autre, ministres, parlementaires, médias, professionnels…) nous engageons
dans la prévention des attaques et des agressions. Il faut alors observer,
rechercher, même imaginer, ce qui peut arriver, afin de construire, renforcer
et adapter nos défenses et notre renseignement. Si la petite colonie française
du XVIIe siècle, isolée au Canada, pressentant l’assaut imminent d’une forte
troupe d’Iroquois n’avait pas construit des fortins en pierre aux angles de sa
9
modeste forteresse de pieux aiguisés , aucun habitant n’aurait survécu
quand les Indiens insoumis sont sortis de la forêt couverts de leurs peintures
de guerre et les armes à la main… « Gouverner c’est prévoir », y compris
l’usage de la force.
Il ne s’agit pas de faire peur mais, au contraire, pour ne pas avoir peur,
de se mettre en garde. Diffuser les avertissements et se mettre en position de
combat comme en escrime : « En garde ! » avoir une épée en main, bien la
tenir et savoir s’en servir. À bon escient.
Je veux examiner la force même si elle n’est pas toujours belle à
contempler, comme ce fonctionnaire municipal, chef du service des ordures,
dans Le Seigneur des porcheries de l’Américain Tristan Egolf 10 : « Dans un
poing, il serrait une liasse de papiers froissés, dans l’autre une matraque de
policier militaire portant une inscription gravée en gros caractères sur toute
sa longueur : L’ORDRE PUBLIC. » C’est la continuité avec l’officier de
paix à la Révolution 11 qui portait pour « marque distinctive un bâton blanc
sur lequel seront gravés ces mots : force à la loi ; et sur la pomme sera
peinte la surveillance sous la forme d’un œil ».
Comment en arrive-t-on là ? Une notion gravée sur une matraque ? Pour
plaisanter ? pour menacer ? pour dissuader ? ou pour se rassurer soi-
même ?…
Ce livre est une interrogation sur le rapport entre la notion inscrite (le
droit) et la matraque (la force).

Nous avons besoin de la force, car, malgré son aura sulfureuse ambiguë,
elle ne se confond pas avec la violence (partie I).
Malgré ses dangers, il faut l’assumer (partie II).
À condition de la maîtriser et de la subordonner à la loi (partie III).
Et de pouvoir et savoir l’exercer (partie IV), tant il est vrai que l’art de
la force est tout entier un art d’exécution.
PARTIE I

Penser la force
Il était une fois un préfet de police en poste qui théorisait et exposait sa
doctrine dans un livre… de droit ! Ce n’est pas un conte de fées, ni une
utopie pour École de la magistrature, ni même un objet d’ironie pour
congrès syndical policier… Louis Lépine (1846-1933) ne négligeait pas de
se projeter aussitôt sur les lieux des émeutes, accidents et événements que
ses troupes étaient chargées de maîtriser. Mais préfet de police presque sans
interruption de 1883 à 1912, notamment sous l’autorité de Clemenceau en
1906, il trouvait avantage à penser la force. Du droit de la police 1, paru en
1900, est un texte bref et nerveux qui commence par l’examen de la légalité
des règlements et par l’exposé des principales libertés : cultes, conscience,
aller et venir, commerce et industrie et par la mention de l’« égalité devant
la loi ». Ce petit livre pourrait utilement, encore aujourd’hui, être offert par
la République à tout préfet ou tout commissaire de police débutant.
Il faut penser la force malgré le caractère un peu dérisoire de l’ambition
de penser un tel phénomène. Peut-être aurions-nous dû prendre la
précaution de Jacques Delga dans son Penser et repenser le terrorisme 2.
Penser et repenser comme lire et relire. S’acharner, sans découragement, à
penser la force est la seule attitude qui respecte la modestie nécessaire.
Penser avec la conscience de la difficulté de penser juste en ce domaine.
Mais, en ce qui concerne la force, se souvenir qu’elle n’a pas toujours
raison et qu’il est impératif de l’interroger et de s’interroger avant d’y avoir
recours, ne serait-ce que pour sauver l’honneur et la vie. Des autres et de
soi-même.
Il faut penser la force parce qu’elle explique la société. En 1937,
Simone Weil 3 avançait cette hypothèse contre le marxisme : « La
connaissance du monde matériel où nous vivons a pu se développer à partir
du moment où Florence, après tant d’autres merveilles, a apporté à
l’humanité, par l’intermédiaire de Galilée, la notion de force, […] la notion
de force et non la notion de besoin constitue la clef qui permet de lire les
phénomènes sociaux. »
Il faut penser la force et, en même temps, rien de plus difficile. Javert
encore : « Une de ses anxiétés, c’était d’être contraint de penser […]. Il y a
toujours dans la pensée une certaine quantité de rébellion intérieure. Et il
s’irritait d’avoir cela en lui. » Alors, envers et contre tout, quel qu’en soit le
coût, personnel et collectif, suivons Javert. Usons collectivement de notre
capacité à penser les situations. Et utilisons les apports des penseurs
éternels, Machiavel, Pascal, Hobbes, Delamare 4, Rousseau, Georges Sorel
ou Max Weber. Sans négliger les chercheurs contemporains théoriciens de
5
la société sans État, Pierre Clastres , et du rapport liberté et pouvoir, Claude
Lefort 6, et les explorateurs de la notion de police avec J.-M. Belorgey, J.-J.
Gleizal, Dominique Montjardet, Christian Mouhana ou F. Ocqueteau.
Penser la force implique de la distinguer nettement de la violence
(chapitre 1) puis d’éviter de la confondre avec son propre mythe (chapitre
2).
CHAPITRE 1

La force n’est pas la violence

Nul n’a d’illusion. Sans la dissuasion de la force, la violence avance tant


qu’elle ne bute pas sur une résistance : « dans la plupart des villes la
timidité des faibles est une rente constituée aux méchants » déplore en 1685
César de Rochefort dans son Dictionnaire général et curieux. Les loups
sont entrés dans Paris, chantait Reggiani. Qui leur dira poliment de sortir ?
et qui les reconduira si nécessaire ? ou leur dira de rester à condition de
devenir végétariens ?

La théorie de la force
Différences entre force et violence,
vraie et fausse force

La violence est spontanée, la force est disciplinée. Mais ce qui distingue


la première de la seconde, c’est le joug. Rousseau commence son Contrat
social par ces mots : « Si je ne considérais que la force et l’effet qui en
dérive, je dirais : tant qu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il obéit, il fait
bien. Sitôt qu’il peut secouer le joug et qu’il le secoue, il fait mieux
encore. » La violence impose le joug. La force est, en principe, conçue pour
l’éviter. Rousseau poursuit en évoquant le droit du plus fort : « Le plus fort
n’est jamais assez fort pour pouvoir être toujours le maître, s’il ne
transforme la force en droit et l’obéissance en devoir. » La force, dans son
intérêt même, va conduire à l’institution, en construisant le droit puis en
s’autolimitant par ce droit 1.
Les deux notions de violence et de force vont se combiner de diverses
façons : la force va limiter la violence, la violence va s’insinuer dans la
force, la force va se voir minée par ses contraires et, enfin, la force sera
souvent mimée et imitée en mode dégradé.

La force contre la violence


La violence de la société devrait être contenue par la force publique et
la perspective de la justice.
Certes, la société se construit et évolue dans la violence inhérente à tout
groupement humain : violence du gain, violence de la pauvreté et violence
2
de la richesse, violence sexuelle ou conjugale , violence de l’alcool et de la
drogue, violence de conquête de tel territoire et violence pour la violence.
Saint Augustin le constate 3 : « Que sont les empires quand la justice en est
bannie, sinon de grandes assemblées de brigands, puisqu’une assemblée
même de brigands n’est autre chose qu’un petit empire ? […] alors [la
violence] s’attribue ouvertement le nom de royaume, non parce que sa
cupidité est diminuée, mais parce que son impunité est accrue. » Les
oranges sont parfois mécaniques. La violence n’est interdite aux mineurs
que dans les films. Agressivité, brutalité, cruauté, sadisme, vengeance,
rétorsion, vendetta, menaces, les mots sont multiples pour qualifier
littérairement, journalistiquement ou pénalement le fait d’exercer violence
sur autrui.
Le « désir mimétique » décrit par René Girard, mélange d’envie,
d’ambition et de fascination pour le monde des autres, va susciter une
violence permanente. La violence rôde dans toute société et, sans préavis,
se concentre pour fondre sur son objet, pour le réduire et possiblement le
détruire. Les cours de récréation connaissent les désarrois de l’élève
Törless 4 et les lieux de privation de liberté la mise en esclavage du plus
5
faible qui ne s’est pas trouvé un protecteur . Périodiquement, les
manifestations sont accompagnées ou suivies de casseurs, comme le
montrent les heurts violents du printemps et de l’automne 2016 autour des
protestations contre le projet de loi Travail. Ce n’est pas nouveau, la loi
« anticasseurs » date de 1970, elle est abrogée en 1982 et reprise largement
par la loi du 2 mars 2010 6.
Qu’un individu ou un groupe social soit persécuté ou même simplement
bousculé, il lui reste l’autodéfense ou la justice. L’autodéfense avec l’aide
du clan, du gang, des frères, de la bande, ou de la tribu ; la justice avec
« Police Secours », les auditions, puis le tribunal.
La force possède alors tous les atouts pour lutter contre l’inacceptable.
Selon le dictionnaire Larousse de 1922, la force est « toute puissance
capable d’agir, de produire des effets ». Pour produire des effets utiles, donc
calculés et positifs, la force va s’écarter de la violence. Et c’est ce passage
de la violence à la force qui marque la naissance de l’institution. Sans
l’institution, le groupe humain ressemble à un troupeau aléatoire et
incontrôlé. Et troupeau pour troupeau, Panurge n’est pas loin. Les moutons
courent vers le vide.
Mais si les moutons se cotisent pour payer sept mercenaires, ou mieux,
élisent un représentant qui recrutera des soldats, la force va repousser la
violence.
L’État naît dans ce contexte. Le grand juriste Jean Carbonnier opposait à
ce sujet le gendarme du droit public et l’huissier du droit privé. Il
expliquait 7 : « Droit public et droit pénal attendent de l’État qu’il exerce à
leur service son monopole de la violence en le portant au paroxysme de la
violence physique : ils attendent de lui une police et des prisons. » L’auteur
leur comparait la méthode « douce » du droit civil : « L’appel lancé à la
main forte de tous les commandants de la force publique n’est que menace
d’une hypothèse. Sauf exceptions (la contrainte par corps autrefois, la garde
de l’enfant mineur aujourd’hui), le droit civil répugne à mettre la main sur
les personnes. »
Quel que soit le moyen, la force se construit par l’État et l’État bénéficie
du droit pénal qu’il a créé.

La violence dans la force


La violence puis la force furent sacrées. Avant René Girard, Fustel de
Coulanges le rappelle 8 :

C’était le prêtre qui, au moment du combat, égorgeait la victime et


qui attirait sur l’armée la protection des dieux. Il était bien naturel
qu’un homme armé d’une telle puissance fût accepté et reconnu
comme chef. De ce que la religion se mêlait au gouvernement, à la
justice, à la guerre, il résulta nécessairement que le prêtre fut en
même temps, magistrat, juge et chef militaire.

Des croisés au djihad, du Gott mit uns au Te Deum, la force aime à se


faire bénir. La force va se draper du sacré et s’en servir pour tout se
permettre. Le sacré est alors responsable de bien des nuits du bûcher 9, de
pogroms, de persécutions, de Saint-Barthélemy et de chasse aux chrétiens
d’Orient… Dans son 2084, Boualem Sansal reprend cette dénonciation des
excès de la « religion bigoterie bien réglée, érigée en monopole et
maintenue par une terreur omniprésente » dans son État totalitaire
Abistan 10.
La force a vocation naturelle à pousser ses propres limites jusqu’à la
vexation si ce n’est l’exaction.
En quoi consistait la force des jugements d’Ancien Régime qui avaient
besoin de la force publique des bourreaux ? Il existe bien des manières de
soumettre au droit la pure violence et de la codifier. Depuis le chapitre
« Des jugements et procès-verbaux de question et tortures » du manuel de
droit criminel de 1687 11 jusqu’au Code noir, la force publique peut cacher,
servir ou même proclamer la violence des institutions.
Construire et reconstruire cette frontière entre force légale et violence
est l’un des combats permanents de la démocratie. Il mérite d’être explicité,
spécialement au Parlement ou dans la presse et dans les formes modernes
de débat public. Ainsi, pourquoi ajouter au choc de l’arrestation,
l’humiliation des photos du mis en cause menotté ? À New York, que
gagne-t-on à livrer un ancien ministre français menotté au peloton de
photographie ? En 1994, le garde des Sceaux rappelait 12 par circulaire que
les services de police et de gendarmerie devaient « veiller au respect […] du
principe selon lequel lorsque des circonstances ne permettent pas d’éviter la
présence de la presse lors des opérations de défèrement, les fonctionnaires
ou militaires chargés de l’escorte doivent avoir pour souci, dans le respect
des exigences premières de sécurité, de protéger l’image et l’identité des
personnes mises en cause ». Six ans plus tard, Élisabeth Guigou faisait
voter, sous le feu de Paris-Match, le nouvel article 803 du Code de
procédure pénale : « Toutes mesures utiles doivent être prises, dans les
conditions compatibles avec les exigences de sécurité pour éviter qu’une
personne menottée ou entravée soit photographiée ou fasse l’objet d’un
enregistrement audiovisuel. » La force n’a pas besoin de la violence du
pilori. Elle est la sanction humaniste, non le sacrifice humain.
La violence s’analyse et se combat mais la force doit s’expliquer. Ceux
qui l’exercent doivent à ceux qui la subissent un mode d’emploi, une
évaluation de ses résultats, dressée en permanence et publiquement.
Les chefs militaires le savent avant les autres fonctionnaires. « Si l’on
se réfère à la distinction essentielle entre la force, vertu cardinale au service
du Droit et du Bien, et la violence qui est un usage dévoyé de la force, il
ressort clairement que le soldat est détenteur de la force qu’il doit exercer
contre les menaces étrangères et qu’il lui revient d’en dominer l’emploi
pour maîtriser la violence », expose l’ancien inspecteur général des armées
Jean-Philippe Wirth dans La Condition militaire 13. L’art de la guerre se
détermine par un jeu de forces, économie de forces, déplacement de forces,
convergence ou concentration de forces.
Même une République démocratique, apaisée et pacifique se confronte
en permanence à la violence et possiblement à la force : définies par leur
e
régime légal qui fleure les conceptions de la III République, les
manifestations sont force et se terminent parfois en violence, la grève est
force (Alain affirmait : « Il me semble que faire grève, c’est prendre le parti
14
de forcer ») et peut, elle aussi, s’accompagner de violences. Plus encore,
l’émeute ou l’attroupement 15 sont des coalitions imprévues, spontanées, qui
vont rouler avec elles la violence. Sous la IIIe République, le terrorisme
16
anarchiste des « trois martyrs » (Ravachol, Vaillant, Henry) frappe fort,
comme le décrit Bernanos 17 : « La police traque de quartier en quartier
l’insaisissable Ravachol, et finit par l’arrêter grâce au propriétaire d’une
modeste gargote du boulevard Magenta, M. Véry. La veille de la
comparution du coupable devant la cour d’assises, le restaurant Véry sautait
à son tour, et quelques semaines plus tard, le commissariat même de la rue
des Bons-Enfants, avec son commissaire. » C’est la violence qui attaque la
force. De nos jours, la grande distribution joue la force face aux agriculteurs
producteurs – la force Lactalis, par exemple – avec, en main, les codes du
commerce et de la consommation. Les contrôles exécutés par la force (de la
vérification d’identité à la fouille à corps dans les prisons) portent
inévitablement une dissymétrie de rapports qui ne peut être perçue que
comme violence. C’est pourquoi ces sujets sont constamment repris en
tentant une quasi impossible conciliation entre la contrainte nécessaire à la
sécurité et les limites qui commencent avec la dignité de la personne
contrôlée.
Aussi la République doit-elle affronter, à tout moment, sur son sol, la
réalité de la force nécessaire qui peut meurtrir les corps et les esprits. « La
force publique est celle qui se fait avec armes ou bâtons à la main, ou autres
instruments propres à faire violence », concèdent sèchement, dans les
mêmes termes, à la fois le Dictionnaire de droit et de pratique de Ferrière
(1749) et le Traité des matières criminelles de Rousseau de la Combe
(1768). Alors, reste à inventer, quand la contrainte physique devient
inévitable, une stricte règle de proportion des mesures applicables à chaque
situation.

Le contraire de la force
Si un concept se définit par son opposé, la faiblesse nous parle de la
force. Et derrière la faiblesse, la mollesse, la peur, la résignation, la
soumission, la flatterie…
La faiblesse remet la force à demain. Encore n’est-elle pas désespérée si
elle rêve à la force de demain. Mais il est des faiblesses permanentes,
ontologiques qui entravent l’humanité de l’être. Et que l’humanité exècre
sans se l’avouer : « Le monde abhorre les douleurs et les infortunes, il les
redoute à l’égal des contagions, il n’hésite jamais entre elles et les vices : le
vice est un luxe. Quelque majestueux que soit un malheur, la société sait
l’amoindrir, le ridiculiser par une épigramme […] semblable aux jeunes
Romaines du cirque, elle ne fait jamais grâce au gladiateur qui tombe ; elle
vit d’or et de moquerie ; Mort aux faibles ! » La force publique, du
gouvernement comme de son appareil de sécurité, se souvient de cette
18
maxime de Balzac . Mieux vaut s’abstenir que de paraître faible par
hésitation, contradiction ou concession subie. Or les causes de la faiblesse
sont multiples, comme autant d’icebergs sur la route tranquille du
responsable public.
La mollesse, temporairement délicieuse, ressemble à un coussin qui
accompagne l’amour mais sert aussi à étouffer en silence. Elle n’a pas
bonne presse quand La Boétie constate que les esclaves « entièrement
19
dépourvus de courage et de vivacité ont le cœur bas et mou » et Gilles
Kepel analyse la stratégie de l’« État islamique » comme le souci de
« mettre à feu et à sang l’Europe, perçue comme le ventre mou de
20
l’Occident ». Selon saint Thomas d’Aquin, « on est un homme mou, non
seulement lorsqu’on ne peut supporter la peine, mais encore lorsqu’on
recherche trop les délassements ou le repos 21 ». Dans les périodes
tumultueuses où les caractères sont indispensables, la mollesse est
catastrophe. Marc Bloch vilipende la « mollesse du commandement » qui
conduit directement à L’Étrange Défaite, en 1940. Il se souvenait d’Alain et
e
de ses « mollusques ministériels » de la III République. Dans ses conseils
machistes sur l’art de gouverner une épouse, Balzac refaisait du
Beaumarchais : « Maintenant nous allons avoir recours aux précautions à la
Bartholo. N’allez pas mollir. Il y a un courage marital, comme un courage
civil et militaire, comme un courage de garde national. » Regardons cette
pochade de La Physiologie du mariage, comme ironique sur l’art de
« veiller » sur sa femme-objet… Et Saint-Simon (1760-1825) entend que
les acteurs de la politique royale, à commencer par le duc d’Orléans, fassent
preuve de force « sans colère, sans émotion, quoi qu’il pût arriver, mais
aussi sans mollir sur quoi que ce fût, en lieu et en état de faire justice, en
droit de la rendre et de faire valoir l’autorité royale déposée en ses
mains 22 ». La mollesse, personnelle comme institutionnelle, manque
d’énergie et de rapidité dans l’action. Elle est émolliente. Elle sape la
justice. Elle retarde les décisions, tergiverse, procrastine. Et l’histoire passe.
La peur et, surtout, la Grande Peur peuvent, elles, accélérer l’histoire.
La peur des bien-pensants s’ajoute aux peurs du peuple. Elle grimace pour
nous inciter à prendre le faux chemin. Elle fige, paralyse et réduit le champ
des possibles en se contentant de constater l’impossible. La peur est à la
fois une panne de radar et de transmission. L’accident de circulation est
proche. Avant l’Euro 2016 de football organisé en France, la bataille de la
peur s’est engagée. Le 30 mai 2016, à dix jours du début de la compétition,
les États-Unis ont diffusé à leurs citoyens une note du département d’État
marquant l’événement comme « cible potentielle pour des attentats
terroristes ». Rien n’est arrivé. La distance entre informer et apeurer n’est
23
pas aisée à tenir. De son côté, la presse grand public française montrait les
exercices de sécurité au pied des stades et les forces engagées, armes à la
main, pour clamer : « La France n’a pas peur. » Quoi qu’il doive arriver, la
peur ne devrait pas être ainsi attisée.
Mais elle continuera à exister parce que, même en l’abscence de
menaces extérieures, l’État ne déteste pas faire peur. Jean Carbonnier le
rappelait ainsi dans Flexible droit : « Comment se débarrasser de la peur si
son utilisation est un mécanisme normal du droit ? Et l’on en vient à
24
comprendre l’absurde étymologie présentée dans le Digeste : territorium
a terrere. Le territoire est l’espace où l’État a compétence pour faire peur. »
Mais le citoyen n’est pas tenu d’accepter la peur. Le droit d’association peut
25
l’aider à résister .
La résignation fait masse. « Il y a dans tout homme une énorme capacité
de résignation, l’homme est naturellement résigné. C’est d’ailleurs pourquoi
il dure. Car vous pensez bien qu’autrement l’animal logicien n’aurait pu
26
supporter d’être le jouet des choses . » Sur les écrans de télévision, le
déferlement des sottises colorées et de ventes par correspondance
dissimulées serait inquiétant (« On nous explique gravement que les bébés
naissent dans les choux, que les grandes personnes sont sages, que le loup
dévore les petits garçons désobéissants, qu’une tisane guérit les bronchites,
27
et que la soupe fait grandir ») s’il n’était pas déjà en train de mourir de sa
bonne mort sous l’effet de la location de cerveaux devenue trop chère et
de la vulgarité d’une autre époque. Ce type de télévision – de modèle TF1 –
a beaucoup fait pour la résignation de masse. Et la diffusion de ce qu’on
pourrait nommer une soumission de consommation.
La soumission cherche la protection, accepte de camper le rôle de l’outil
qui fonctionne sans penser. Le canard marche bien quelques pas sans tête…
Oui, mais il est déjà mort. L’odyssée de la servitude décrite dans Le Journal
28
d’une femme de chambre montre bien ce poison de la soumission.
La flatterie est l’arme privilégiée de la société vis-à-vis des faux
rebelles, tribu partout présente qui roule des yeux et des muscles avant de
s’aligner, toujours sur le plus fort, avec des « mais » et des « à
condition que », avant les silences opportuns puis les repentirs tardifs.
Romain Rolland 29 décrivait bien comment la bourgeoisie ne combat pas
directement les révoltés mais les accapare sous les compliments et
propositions pour les gagner à sa cause. Mais cette incorporation consentie
ne fait pas les vrais forts.

L’imitation de la force
Les deux grandes imitations-dégradations de la force sont la fausse
gravité et la brutalité.
La fausse gravité n’est pas la force, elle est simplement fausseté. « Le
politique n’est pas sincère », ont constaté depuis longtemps Mme de
Macumer et son amie la vicomtesse de l’Estorade 30 : « Il a cet air calme et
posé qui me semble être la moitié de la politique. Selon moi, ma chère,
toute la politique, c’est de paraître grave. » « Paraître » et « grave », les
deux définitions du vide en action publique. La Fontaine ne pensait pas
autrement dans sa grande fable « Le renard et le buste », enseignée (peut-on
en rêver ?) dans toutes les écoles de fonctionnaires : « Les Grands pour la
plupart sont masques de théâtre », parce que les bustes ont belle allure mais
ils sont creux. Or le creux est fragile, ou même friable, ce qui ne fait pas
bon ménage avec la force.
Quand elle surjoue, la force se dégrade en brutalité. C’est l’intervention
« musclée », appuyée, celle qui va au-delà du strict nécessaire. Celle qui
préfère frapper fort que frapper juste. C’est aussi celle menée par l’esprit de
vengeance en réplique à telle blessure de fonctionnaire ou à telle
provocation, parfois subie stoïquement de longues heures. La force
dégradée donne les justiciers, les services plus ou moins parallèles, les
« ratonnades », les bastonnades et les « bavures ». C’est pourquoi un chef
de force ne « lâche » pas ses troupes sur une cible. Il leur désigne un
objectif, leur commande une méthode, leur fixe des limites, les pilote dans
l’exécution, modifie son dispositif en fonction des circonstances et exige
une évaluation précise après l’événement, à la fois retour d’expérience et
projet pour l’avenir.

Entre force et violence


L’arbitraire avec la violence,
la maîtrise avec la force

Entre force et violence, deux causes peuvent venir créer un rapport


organisé : l’arbitraire ou la maîtrise. Organisé ne veut pas dire juste.
Organisé signifie seulement que les institutions ont mis tout leur poids en
faveur de la recherche des résultats qu’elles se sont promis. Elles font le
choix entre l’arbitraire et la maîtrise.
L’arbitraire est gratuit, inexpliqué, imposé et inutile. L’arbitraire de la
dictature, du fascisme ou du stalinisme peut ériger une force qui organise,
dose, gère et exploite la violence comme une arme d’extermination de
l’autre. Puis, la force finit par absorber le régime même, ne faisant plus
qu’un avec lui. Dans les prisons et les camps, l’adversaire ou l’Autre haï, le
juif, le koulak ou l’homosexuel est saisi par la force d’un État organisé,
pour être livré aux pires des violences. La violence arbitraire est utilisée au
service de la force dévoyée. La force du régime tire alors son efficacité de
la menace de violence, des disparitions nocturnes, des suspects qui ne
reviennent pas et des condamnés à la néantisation dans les Nacht und
Nebel, « Nuit et Brouillard ».
En ce sens, la rafle du Vél’ d’Hiv’ de juillet 1942 révèle comment la
force peut se dégrader en arbitraire de violence absolue. Il a fallu une lourde
opération de force, une opération de police déployée mais dévoyée,
soigneusement préparée des semaines auparavant, pour fabriquer un crime
contre l’humanité à portée maximale. D’autant plus terrifiante que cette
opération est tout sauf improvisée, elle est pensée, organisée par une force
« d’État » qui avait volontairement oublié ce qu’était le droit et, plus
encore, la République. Dès l’automne 1940, la violence s’approprie le droit
commun et se glisse dans les oripeaux de la force d’État à finalité raciste et
génocidaire.
La maîtrise, au contraire, installe la force sans violence inutile, dans la
stricte proportion de ce qui est nécessaire, utile à une fin démocratique et
voulue par un gouvernement qui prend la devise républicaine – liberté,
égalité, fraternité – pour légitime. Seule la liberté n’a pas de titre à
présenter. C’est la force qui doit se soucier à la fois de disposer d’un mandat
et de prouver à chaque instant sa nécessité. Ces deux conditions, mandat et
preuve, inventent le droit et les institutions. Elles sont vitales pour toute
démocratie digne de ce nom.
Dès que la loi exige à la fois un motif prédéterminé pour son usage, des
modalités et des limites précises pour son exercice, un contrôle
indépendant, la violence devient force. Alors que la violence déchaînée ne
rend de compte à personne, même pas à celui qui la commet.
Précisément, les efforts des institutions démocratiques ont été de
proportionner l’usage de la force et de faire en sorte qu’il y ait des comptes
à rendre. Il s’agit de proscrire l’usage « de plus de force que nécessaire ».
La Cour de cassation rappelle les principes de la faute personnelle de
l’agent quand il interpelle avec brutalité, sans rapport avec les nécessités de
l’exercice de ses fonctions 31.
Le principe de maîtrise et de nécessité conduit à savoir écarter la force
là où elle n’est pas indispensable. Il est des occasions de tous ordres où
mieux vaut « tenter sans force et sans armure / d’atteindre l’inaccessible
32
étoile ».

Traits et techniques de la force


Renseignement/suspicion/ruse/dissuasion/sommation

Tout citoyen, qu’il se l’avoue ou non, fait confiance à la force publique


pour vivre libre. Après les attentats de Charlie Hebdo de janvier 2015,
Renaud chante « J’ai embrassé un flic / entre Nation et République ». La
confiance n’est pas toujours aussi brûlante mais elle est présente, plus ou
moins bougonne, plus ou moins hésitante car le citoyen a confiance… parce
qu’il faut bien faire confiance. Sinon qui appeler face à un péril ou à une
violence ?
Les institutions ont, elles aussi, confiance dans la force et elles le
proclament, comme la commission des lois de l’Assemblée nationale, le
8 janvier 2016 : son président, alors J.-J. Urvoas, demande à M. L., chef du
service central du renseignement territorial (SCRT), de transmettre à ses
fonctionnaires, très actifs pendant l’état d’urgence, la reconnaissance de la
Représentation nationale.
La confiance en la force se construit, parce qu’elle est fragile. La force
doit s’expliquer, se présenter, veiller à ce que son recrutement soit à l’image
de la population. Ne jamais oublier que la force est une part de la
population elle-même. Les policiers ont raison d’aller dans les écoles
expliquer leur mission, exposer le bon rapport avec les citoyens.
Inversement, cette présence pédagogique ne doit pas se transformer, sauf
nécessité limitée en temps et lieux, en présence d’ordre comme aux États-
Unis. La mobilisation de milliers de policiers armés dans les 84 000
établissements scolaires publics américains peut aboutir à des violences,
comme quand un policier a traîné au sol une jeune fille qui ne voulait pas
éteindre son portable en cours 33. Le contact des deux mondes, qui doit
produire de la confiance entre École et sécurité, suppose une définition
précise du rôle et des conditions de l’intrusion d’un monde dans l’autre.
La foi trop tranquille dans la force charrie aussi son lot de contresens.
La confiance raisonnée nécessite une analyse serrée des techniques de la
force. Car celle-ci n’existe pas sans le renseignement, la suspicion, la ruse,
la dissuasion et la sommation qui, tous les cinq ensemble, la construisent, la
complètent et peuvent l’économiser.

Le renseignement 34
Précédé de sa réputation sulfureuse, de son armée supposée de
« rongeurs de fonds secrets, […] êtres infects recrutés dans toutes les
classes de la société », et de ses IM (Inoffizielle Mitarbeiter) rendus
célèbres par la Stasi de l’ancienne Allemagne de l’Est, le renseignement
pénètre toutes les sphères en subvertissant le bien et en manipulant le mal.
o
L’article 15-1 de la loi n 95-73 du 21 janvier 1995 dans sa version issue de
la loi du 3 août 2009 dispose : « Les services de police et de gendarmerie
peuvent rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques
qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la
découverte de crimes ou de délits, soit l’identification des auteurs de crimes
ou de délits… »
Mais que dire… Le renseignement a l’obsession du résultat : s’il faut
payer, il paye. D’autant qu’on se gaussera de ses échecs 35 alors que ses
succès resteront dissimulés. En tout état de cause, il faut se méfier de ses
archives comme l’ancien président Walesa en a fait, en 2016, l’amère
expérience par les « révélations » distillées pour tenter de dégrader son
épopée historique en déboires d’une marionnette du SB, la police politique
de la Pologne communiste. Devant des documents de quarante ans
opportunément sélectionnés et diffusés, Lech Walesa a dû s’expliquer 36.
Même morts, les services de renseignement mordent encore.
Pour faire son travail de renseignement, la force se maquille en Bureau
des légendes, abondamment célébré par Canal+ sous forme de série
télévisée en 2016. La même série, bien informée, est présentée par certaines
critiques comme la découverte des « sévices du renseignement ». Les
« services » apprécieront, eux qui ne sont pas des Malotrus (nom du
principal héros incarné à l’écran par M. Kassovitz). La presse allemande, en
2015 dans un article intitulé « Mon nom est Gisela – Gisela Bond », met en
garde : « Qui rencontre à Berlin une femme ennuyeuse qui dit qu’elle a un
travail ennuyeux dans un ministère ennuyeux, doit tendre l’oreille : ce peut
être une agente » du BND, la DGSE locale. Le renseignement, c’est son
charme, n’est jamais exactement là où on l’attend. Pourrait lui être
37
appliquée la définition du football par Michel Platini : « Une activité très
complexe. Il faut voir avant. Savoir que le gars qui est là-bas, à 30 mètres,
sait que je sais et que je sais qu’il sait. » De plus, sur les terrains du
renseignement n’existent ni arbitre ni supporters, même s’il existe parfois
des prolongations.
La loi française no 2015-912 du 24 juillet 2015 n’a pas inventé le
renseignement. Les empereurs romains avaient déjà développé, avec leurs
speculatores, leurs frumentarii et leurs agentes in rebus, les fonctions de
transmission du courrier et de police de renseignement 38.
Pour utiliser la force à bon escient, l’autorité a besoin de renseignement.
Pour proportionner les effectifs et les moyens à la menace, pour choisir le
terrain d’affirmation et/ou d’intervention, pour négocier si c’est utile, avec
les auteurs des menaces ou les créateurs des situations dangereuses, pour
adapter ses tactiques y compris par la ruse et la dissuasion (cf. supra). Les
méthodes du renseignement sont aussi modernes que diversifiées comme le
montre l’échange du 2 avril 2015 entre le député Popelin (PS), rapporteur
de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le « maintien de
l’ordre républicain », et M. L. chef du service central du renseignement
territorial (SCRT) :

M. L. – L’adaptation aux moyens modernes est la marque de


fabrique de nos services […]. Je précise, pour dissiper toute
ambiguïté, que nous travaillons selon les méthodes du milieu ouvert.
Je ne dispose pas des moyens particuliers qui seront offerts
prochainement aux services de renseignement du premier cercle.
Le SCRT part du principe qu’Internet et les réseaux sociaux peuvent
l’informer. Beaucoup de mots d’ordre, nés dans le clandestin, sont
ouverts, ce qui semble logique puisque leurs auteurs veulent toucher
le plus grand nombre de personnes. Il n’y a aucune raison que le
renseignement territorial n’y ait pas accès. Dans le même esprit,
mutatis mutandis, j’ai été jadis un lecteur assidu de L’Humanité,
dont les dernières pages signalaient des rassemblements qui
n’étaient annoncés nulle part ailleurs.
M. le rapporteur. – Maintenant, vous lisez aussi Le Figaro
Magazine.
M. L. – Nous sommes très œcuméniques.

L’organisation du renseignement doit faire l’objet d’une attention


soutenue des autorités comme des citoyens. Spécialement quand il en fait
trop peu et trop à la fois.
Le renseignement en fait trop peu quand la création de la Direction
générale de sécurité intérieure (DCRI puis DGSI) suscite une dépression sur
le renseignement de premier niveau antérieurement assuré très utilement par
les célèbres « Renseignements généraux », les pieds dans la glaise mais les
oreilles toujours ouvertes 39. Il faut aujourd’hui tenter de remettre sur pied ce
40
renseignement territorial inutilement délaissé. Depuis quelques années,
un préfet, avant de recevoir un interlocuteur inconnu, en est réduit à googler
l’impétrant en l’absence de renseignements généraux et particuliers.
41
L’autonomisation de la DGSI fait qu’aujourd’hui le premier cercle de la
« communauté du renseignement 42 » comprend deux services des armées et
deux services des finances mais que ni la Direction générale de la police
nationale ni la Direction générale de la gendarmerie nationale n’en font
partie. Quel étrange pays qui, pour la première fois de son histoire, définit
le cœur du renseignement intérieur sans la police ni la gendarmerie !
Le renseignement en fait trop quand l’énormité des moyens techniques
développés depuis des années pour collecter et stocker indistinctement des
masses de données qui « peuvent toujours servir » jette une étrange lumière
43
sur l’« aveuglement français ». Il en fait trop si cette capacité géante n’est
contrôlée par personne, hormis ceux qui savent l’utiliser à la demande ou
même, et surtout, de leur propre initiative (cf. ci-après).
En matière de lutte antiterroriste contre les criminels radicalisés au nom
de l’islam, les responsables de la force publique se référeront utilement à la
lettre aux préfets du ministre de l’Intérieur du 27 fructidor an VI, quand les
violents de l’intérieur brandissait l’étendard d’une autre religion :

Si le fanatisme agite encore ses brandons dans quelques communes,


[les préfets] doivent en rechercher les causes et les auteurs ; éclairer
les citoyens, leur rappeler les désastres et les horreurs des guerres
horribles, nommées guerres de religion. Ils doivent leur apprendre à
distinguer la morale, qui est l’essentiel des cultes, d’avec les rites,
inventés pour l’intérêt des ministres, à séparer Dieu du prêtre. Ils
recommandent la tolérance envers les sectaires paisibles ; mais ils
prendront des renseignements précis sur les perturbateurs qui
cherchent dans le ciel un levier pour remuer la terre.

Ce beau texte de force marque l’éternelle intelligence du renseignement.


Il faut, sans faiblesse ni hésitation, prendre des renseignements sur les
sectaires non paisibles. Et ensuite, proportionner la force pour les empêcher
de « remuer la terre ».
Le renseignement économise, renforce et justifie l’usage de la force.
Celle-ci ne devrait jamais être engagée sans une sorte d’étude d’impact
nourrie par le renseignement. À condition de ne pas faire de celui-ci une
force à lui seul. Quand le renseignement, au lieu de préparer et de servir la
force, s’érige en force propre, quand la CIA lâche ses drones armés comme
on lâche ses chiens d’attaque, quand tel service met en œuvre, ou même
décide seul d’opérations de « neutralisation », les dangers se rapprochent.
Militons pour une séparation des forces, comme il existe une séparation des
pouvoirs.
Et puis il existe des moments où l’action prime tellement que la force
oublie, contre tous ses principes, de recueillir méthodiquement le
renseignement. Ferdinand Dupuy, alors secrétaire-chef du commissariat du
e 44
VI arrondissement de Paris, raconte la préfecture de police en août 1944 :

Nulle administration n’est plus paperassière que la nôtre. Tout est


consigné dans nos commissariats. Les moindres faits donnent lieu à
un rapport. Une branche d’arbre qui tombe, un pavé qui se soulève,
un bruit anormal et insolite, autant d’infimes incidents qui, portés à
la connaissance des gardiens, sont signalés par écrit « pour suite à
donner ». […] Or, après trois jours de combat au cours desquels sont
tombés en grand nombre morts et blessés, où se sont élevées des
barricades et ont été commises les déprédations les plus graves dans
les immeubles et édifices publics […] ; après tant de bruit, tant
d’agitation, tant de fièvre, je m’aperçois que les commissariats n’ont
rien consigné de tout ceci : on n’écrit plus, on agit.

Dans cette émouvante interrogation du policier qui contribue à libérer


Paris et, ce faisant, n’a plus ni la pensée ni le temps de consigner le
renseignement, il faut constater la grande utilité de l’appareil à remonter les
informations que constitue la police de terrain. Comme le fait la
gendarmerie dans ses propres zones. Du moins, si, en dehors des temps
héroïques, police et gendarmerie pensent scrupuleusement à observer et
accumuler du renseignement dans le cadre légal.
Et elles y pensent, comme s’en moque M. Houellebecq 45, quand il fige
un instant son roman dans la présentation officielle de la carrière d’un
fonctionnaire de police. Son commissaire Jasselin est toujours prêt à écrire
sur « son propre carnet de notes, un bloc Rhodia de modèle courant, au
format de 105 × 148 mm » le moindre détail, inutile à cette heure mais qui
peut – sait-on jamais – être utile demain. La force travaille toujours pour le
coup d’après, elle adore préparer l’avenir… à sa manière.

La suspicion
Sur le fondement du renseignement, ou même avant le renseignement,
l’homme de force fait du soupçon l’une de ses armes. Trop de suspicion
conduit à des erreurs. Mais un peu de suspicion peut sauver la vie, comme
le montre largement le roman : l’agent infiltré met en garde : « Quelqu’un
peut arriver et te dire bonjour. Tu l’as peut-être déjà rencontré et il te sourit.
Gentiment. Tout miel. Mais tu as une impression étrange ; une sensation
mal définie, comme si quelque chose n’était pas à sa place. Et, un instant
plus tard, tu es mort 46. » Deviner à qui on a affaire est tout aussi important
qu’enquêter pour le savoir. La vérité du roman, toujours : en Irlande en
1854, une bande mafieuse 47 attend sa victime derrière un petit mur de
pierres grises, au fond d’un chemin creux. « Mais avant d’y arriver, il leur
fallait passer devant le mur. Soudain, Micky eut l’intuition que quelque
chose clochait. » Par son sixième sens, Micky échappera au coup de
tromblon.
Le soupçon mêle l’observation, le raisonnement probabiliste, l’intuition,
le physionomisme, l’expérience et… les fichiers et algorithmes. Même, et
surtout, non exprimé, il est déjà une arme redoutable. Il sélectionne, écarte,
retarde, dissocie et peut proscrire. Après les attentats de novembre 2015 en
France, Pierre Rosanvallon, commentant le Patriot Act américain
postattentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, note : « Ce n’est pas
dans ce sens-là que nous devons aller. En particulier, la notion de suspect
doit être réfléchie ; on ne peut l’accepter simplement comme quelque chose
qui va de soi. » L’homme de force doit savoir traiter son propre soupçon.
L’exploiter sans être totalement gouverné par lui. Pour ce faire, il se
souvient de deux principes dans la bible de l’enquête et de la répression
qu’est le Code de procédure pénale :
En premier lieu, que le mot « suspect » ne figure pas en tant que tel
dans ce code. Il existe bien des causes de disparition (R. 53-10), des
billets (article 56), des blessures, des documents (article 642)
« suspects ». Mais de « personnes suspectes » point.
En second lieu, que le même code admet qu’on puisse suspecter mais
que la suspicion de police ne se départit jamais de ses « raisons
48
plausibles de soupçonner ».
C’est que le « suspect » est un concept policier. Les « raisons plausibles
de soupçonner » sont un concept judiciaire. Le juge place une personne, à
l’encontre de laquelle sont trouvés des indices d’infraction, sous un statut
juridique avec droits et devoirs. Au contraire, le « suspect » est mis sous
observation puis sous pression, sans justification ni motivation. Une justice
49
du suspect serait une justice de la dangerosité , devant laquelle il faudrait
prouver, si ce n’est son innocence, du moins son caractère inoffensif. À
l’opposé de nos principes fondamentaux.
En matière de liberté publique face à la force, la complication est
parfois utile. Le premier contact avec la force, la garde à vue, ne mentionne
pas le « suspect » (article 62-2 du Code de procédure pénale), ce serait trop
simple et donc trop arbitraire. Le code renvoie à « la personne à l’encontre
de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner
qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une
peine d’emprisonnement ». Suivent les motifs de mise en garde à vue, tels
que préserver des indices ou garantir la présentation de la personne en
empêchant sa fuite. La police judiciaire, maîtresse de la mise en garde à
vue, peut soupçonner mais elle ne qualifie pas l’intéressé de « suspect ».
Cette pratique ramène à l’individualisation du droit pénal, renvoie à la
recherche de la preuve et interdit la suspicion catégorielle ou collective.
C’est tout le débat sur la dangerosité qui conduirait à confondre la police
préventive et le droit pénal, à poursuivre la contrainte après la peine, à
privilégier le contrôle et la surveillance plutôt que la procédure pénale 50.
Débat relancé par les lois du 12 décembre 2005 sur la surveillance
judiciaire et du 25 février 2008 sur la surveillance et la rétention de sûreté.
Et débat cadré par à la fois la décision du Conseil constitutionnel du
21 février 2008, rappelant la distinction entre peines et mesures de sûreté, et
par les mises en garde des juristes 51.
Pour nos libertés, tout homme de force devrait pratiquer comme
discipline professionnelle une parfaite connaissance des mots et du contenu
du Code de procédure pénale. Maîtrisant le mode d’emploi démocratique du
soupçon, il pourra alors se poser la question de l’usage de la ruse.
La ruse
Rodrigue rend compte au roi de sa victoire surprise sur les Maures 52 :
« Se couche contre terre, et sans faire aucun bruit, / Passe une bonne part
d’une si belle nuit. / Par mon commandement la garde en fait de même, / Et
se tenant cachée, aide à mon stratagème. » Quand cette force tapie, se lève
d’un bloc, « […] les Maures se confondent / L’épouvante les prend à demi
descendus ; / Avant que de combattre, ils s’estiment perdus ». Telle est
l’histoire terrible et toujours recommencée de l’embuscade et de la stratégie
de la surprise.
La ruse est la sœur de la force. Elle est une arme vieille comme le
monde, inhérente à la stratégie. « Pour s’élever d’une condition médiocre à
la grandeur, la ruse sert plus que la force. » Et Machiavel précise 53 : « Je ne
crois pas qu’il y ait jamais eu d’homme qui, d’une condition obscure soit
parvenu à une grande puissance en n’employant franchement que la force
ouverte ; mais j’en ai vu réussir par la ruse seule. » La ruse est une arme en
tant que telle. Mais elle contient un effet boomerang qui peut être plus
terrible que le mal qu’elle entend traiter. « La ruse leur est nécessaire pour
persuader ceux qui sont trompés, qu’en obligeant ceux qui les trompent, ils
travaillent pour eux-mêmes […] mais la ruse une fois mise à découvert
attire à son auteur la haine la plus violente ; si elle reste cachée, elle ne lui
produit qu’un plaisir mêlé d’amertume et d’inquiétude 54. »
Aussi, la ruse, qui peut accompagner ou se substituer à la force, est
courante dans l’art militaire et consubstantielle à l’art du renseignement.
Elle est en revanche à déconseiller dans l’ordre public, où elle peut affaiblir
la force sous prétexte de l’appuyer.
Undercover, infiltrés 55, la ruse feint d’être aux côtés des méchants alors
qu’elle appartient aux forces de l’ordre. Elle prend tous les risques pour
tromper, pour l’honneur. Traître d’honneur. Et traître donneur.
La force dissimulée, la force travestie est efficace pour chercher des
preuves. Elle n’est pas pour autant toujours permise car la procédure pénale
ne se mène ni par stratagème ni par artifice, encore moins par provocation
au crime. La Cour de cassation veille à limiter la déloyauté des procédés de
preuve :

Ne constitue pas une provocation, par un agent public étranger, à la


commission d’une infraction, la création, par un service de police
new-yorkais, d’un site permettant aux internautes d’échanger sur des
pratiques de fraude à la carte bancaire, dès lors que ce site, dont la
consultation n’était pas prohibée, était destiné à rassembler les
preuves de la commission d’infractions et à en identifier les auteurs,
mais n’avait pas pour objet d’inciter les personnes qui y accédaient à
passer à l’acte 56.
De même, ne porte pas atteinte au principe de loyauté des preuves
l’exploitation, par le juge d’instruction, des interceptions, dûment
autorisées, des communications téléphoniques passées
clandestinement par un mis en examen à partir de sa cellule de
détention, dès lors que le recueil de ces preuves a été obtenu sans
actes positifs de l’autorité publique susceptibles de caractériser un
stratagème constituant un procédé déloyal 57.

Le juge pénal contrôle strictement ces procédés d’enquête.


La ruse a toujours un risque élevé et un coût pour les forces de l’ordre.
Qu’on se souvienne des confusions générées dans les services de police
et de douane par certaines « livraisons surveillées », quand les
fonctionnaires jouent aux faux délinquants pour débusquer les vrais (cf. ci-
dessous). Des services spécialisés de police forment et assistent les
infiltrés : article D. 15-1-1 du Code de procédure pénale issu d’un décret du
21 juillet 2014.
Les « services » s’en souviennent : « Patience et longueur de temps /
Font plus que force ni que rage 58 » : duper peut favoriser le renseignement
mais duper fragilise la procédure et donc le jugement.

La dissuasion
On la trouve dans la « force de dissuasion », depuis Félix Gaillard et le
général de Gaulle, comme dans le « D » du RAID (Recherche, assistance,
intervention, dissuasion).
Certes, la confiance dans la dissuasion nucléaire est un facteur de paix.
Mais, d’une part, elle est construite non pour la confiance du possesseur de
l’arme mais sur la défiance des ennemis potentiels. Et, d’autre part, elle
n’assure pas la paix contre la guerre asymétrique faite de coups de main,
d’attentats et de prises d’otages. La notion de dissuasion est tout à la fois
exacte et fausse historiquement.
L’Institution d’un prince ou traité des qualités, des vertus et des devoirs
d’un souverain de l’abbé Duguet (1739) l’affirmait déjà : « Le prince doit
être armé, pour se maintenir en paix. […] il aime la paix mais il est prêt à se
la conserver par la guerre. Il ne se fait point d’ennemis mais il n’en craint
aucun. » Cette profonde maxime du XVIIIe siècle reste vraie. À une
condition : que les penseurs de la force ne lui fassent pas une confiance
aveugle. Il y a eu Pearl Harbor et le 11 septembre 2001.
Tel est bien le sens du chapitre « Les menaces de la force » dans le
Livre blanc de la défense de 2013 59 : « L’augmentation importante et rapide
des dépenses militaires et des arsenaux conventionnels dans certaines
régions du monde vient rappeler que la possibilité d’une résurgence de
conflits entre États existe et que la France et l’Europe ne peuvent pas
ignorer les menaces de la force. » La dissuasion reste une nécessité. Mais
elle n’est pas la panacée.
D’une part, la formation et la disponibilité de la force ne suffiront pas
dans tous les cas à assurer la paix. L’apparition de l’arme atomique tactique
face à des forces conventionnelles importantes montre que,
disproportionnée, la dissuasion n’est pas crédible.
D’autre part, trop de confiance en la force amène à la surinvestir et à la
renforcer sans cesse. Au risque de troubler et même de ruiner le pays.
L’abbé Duguet encore : « Il faut seulement prendre garde comme on l’a
remarqué ailleurs, à ne pas surcharger l’État d’un trop grand nombre de
troupes pendant la paix, en portant les précautions trop loin. » La dissuasion
se retournerait alors contre son bénéficiaire.
La dissuasion passe aussi par une forme de propagande qui peut devenir
envahissante. Obsédée par la sécurité nationale, la Chine alerte ses
ressortissants contre les menées étrangères. En avril 2016, elle lance pour la
première fois la journée annuelle de l’éducation à la sécurité.
L’administration de Pékin diffuse une bande dessinée, Les Dangers de
l’amour entre David et Xiao Li mettant en garde la gent féminine locale
contre les tentatives des beaux agents occidentaux. La force ne peut
pourtant pas se caricaturer en volume de la collection « Harlequin »…
Le stade ultime de la propagande est l’avertissement par sommation.

La sommation
Les formes de sommations sont variées. Elles visent à ce que ceux à
l’encontre desquels la force va être utilisée n’ignorent rien de ce qui les
attend. Elles tendent à économiser la force.
Elles peuvent être prudentes comme celles de la Garde face aux
ouvriers agricoles grévistes dans le Portugal des années 1920 60 : « Si
quelqu’un s’avise de s’enfuir, le premier tir sera en l’air, le deuxième dans
les jambes et si un troisième est nécessaire, on s’en tiendra là dans la
dépense de munitions, car ces gens-là ne valent pas autant. » Il revient à
chacun de comprendre la portée des premiers coups de feu en l’air.
Aujourd’hui, les sommations sont codifiées dans le Code de la sécurité
intérieure : article L. 211-9 pour appeler à la dispersion sans délai d’un
attroupement. Le même code précise les formules sacramentelles :
« Obéissance à la loi, dispersez-vous », puis : « Première sommation : on va
faire usage de la force. » Cette sommation pourra être répétée, elle devra
être entendue, diffusée par haut-parleur. Puis arrivera le moment de l’action.
Dans le projet de Constitution montagnarde de Saint-Just 61, le chapitre
« troubles publics » proposait un système de sommation étrange : les
communes devaient élire tous les deux ans « six vieillards » qui, en cas de
troubles, apparaissaient « décorés d’une écharpe tricolore et d’un panache
blanc » ; tout devait alors se calmer, le silence se faire, quiconque
poursuivant le tumulte devant être arrêté. Si leur sommation/médiation
échouait, les vieillards n’ordonnaient pas eux-mêmes l’usage de la force.
Dans l’esprit de Saint-Just, ils personnifiaient la continuité d’une société
sachant traiter les troubles autrement que par la force immédiate.
Car la sommation est démonstration de la force de la force. La force
proclame qu’elle est suffisamment forte pour décider de son usage ou de
son non-usage dans le calme et l’autonomie de pensée. Elle ne se laissera
pas dépasser par la pression extérieure, elle choisit le moment de son
intervention et s’offre l’élégance de laisser un temps à l’adversaire pour ne
pas insister et quitter les lieux. La sommation permet à la force de montrer
qu’elle est maîtresse du temps et surtout d’elle-même.
Toutes les sommations sont utiles mais la dernière ouvre des
perspectives toujours difficiles si ce n’est tragiques. Quand il commande la
première, l’homme de force doit calculer les conséquences de la dernière.
Car les guerres commencent par des ultimatums.
La force doit aussi être maîtresse de la géographie.
La géopolitique de la force
Du quartier à l’Europe et au monde,
selon les menaces

La force est proche du terrain


Elle le parcourt, le connaît et, si nécessaire, le cartographie pour utiliser
au mieux ses propres capacités de prévention et de sanction. Sous l’Ancien
Régime, la police « de proximité » était confiée à des « quarteniers »,
proches des quartiers. Aujourd’hui, elle utilise largement les notions de
« zone », d’« aire », de « quartier », de circonscription et de périmètre.
Presque autant que l’éducation qui est une référence en ce domaine…
Trop brutalement abandonnée à partir de 2002, et reprise
laborieusement depuis 2010, la force territorialisée, polymorphe dans ses
interventions (oui, les policiers peuvent jouer au foot dans tel quartier avec
les jeunes si cela amène plus de sécurité), pourvoyeuse de renseignements,
porteuse de contacts si utiles en cas de crise, reste indispensable. Elle est le
terrain privilégié des expériences et des audaces. Dans notre pays d’égalité,
la police peut ne pas être, et n’a pas à être, la même partout.

La force contre le terrorisme et la grande


délinquance ne peut être qu’européenne
Qui contesterait le cri de Farhad Khosrokhavar 62 à propos des attentats
en France : « Il serait temps que l’Europe se dote d’un instrument puissant
et unifié, le noyau d’un système fédéral de la lutte contre le terrorisme si
l’on veut sauver la vie des futurs citoyens européens. » D’ailleurs, les
équipes conjointes d’enquête franco-belges d’Europol ont prouvé leur
efficacité à Molenbeek en 2015-2016.
Le problème est que l’Europe est magnifiquement en avance sur le droit
et parfaitement en retard sur la force, qu’elle soit civile ou militaire comme
63
le regrette le général de Langlois en 2016 . Il a fallu attendre le 2 août
2016 pour que la Commission européenne annonce la création d’un poste
de « commissaire pour l’Union à la sécurité », attribué à l’ambassadeur
britannique Julian King. À son programme, la mise en œuvre de la
résolution européenne du 1er avril 2015 64 dont le suivi des djihadistes
européens, le « PNR » (contrôle des passagers aériens), l’interconnexion
des fichiers judiciaires, ou bien encore le renforcement d’Europol. Le sujet
de sécurité intérieure est d’une importance telle qu’il aurait dû, depuis
longtemps, faire l’objet d’une priorité « politique » visible de l’Union, au-
delà des efforts utiles du coordinateur technique antiterroriste de la
Commission. Rêvons d’un Jean Monnet de la sécurité et de l’antiterrorisme.
Mais n’attendons pas trop longtemps…
Devant le Congrès de la République, le 16 novembre 2015, trois jours
après les terribles attentats de Paris, le président de la République française
a eu raison d’interpeller l’Europe : « J’ai demandé au ministre de la Défense
de saisir dès demain ses homologues européens au titre de l’article 42-7 du
traité de l’Union qui prévoit que lorsqu’un État est agressé, tous les États
membres doivent apporter leur solidarité face à cette agression car l’ennemi
n’est pas un ennemi de la France, c’est un ennemi de l’Europe. » Depuis,
les attentats de Bruxelles et celui de Berlin ont tragiquement justifié cet
appel.
Sur les questions de droit, les étoiles du pavillon européen illuminent le
ciel. Nombreux sont ceux qui maugréent contre les normes européennes
mais chacun s’y réfère avec empressement et reconnaissance dans le
domaine qui l’intéresse. Il est vrai que l’Europe, celle de Strasbourg (Cour
européenne des droits de l’homme) comme celle de Luxembourg (Cour de
justice de l’Union européenne) nous rend meilleurs : qui institue et met en
œuvre le mandat d’arrêt européen ? Bruxelles et Luxembourg. Qui veille à
la protection des données personnelles et ose imposer à Google le respect
des droits fondamentaux ? Luxembourg. Qui maintient la liberté
d’expression comme base de la démocratie ? Strasbourg. Qui a conduit la
France à réglementer les écoutes téléphoniques ? Strasbourg. Qui a imposé
le droit au silence et la présomption d’innocence ? Strasbourg. Qui freine
les pulsions récurrentes en faveur de peines définitivement perpétuelles ?
Strasbourg. Qui freine la tentation du retour aux travaux forcés ?
Strasbourg. Qui lutte contre les traitements dégradants en prison ?
65
Strasbourg . Qui interdit ou encadre strictement l’ouverture du feu contre
les suspects ? Strasbourg. Qui encadre l’usage dangereux de l’emploi du
gaz lacrymogène en ordre public ? Strasbourg 66.
Pour ce qui est de la force, en revanche, le bilan est plus mince. Peu de
défense européenne, et bien moins de défense intergouvernementale qu’il
n’en faudrait. Europol et Eurojust sont sous-utilisées. L’élan du sommet de
Tempere de 1999 s’est épuisé depuis longtemps. Certes, des fichiers
européens, des échanges de renseignements existent. Des initiatives
fonctionnent, comme le projet Empact (European Multidisciplinary
Plateform against Criminal Threats) contre les groupes criminels organisés
67
itinérants . Mais quand donc traduirons-nous DGSE par direction générale
de sécurité européenne ?
68
En avril 2016, la presse allemande appelait de ses vœux le passage à
la réalité pour l’espace commun de liberté, de sécurité et de droit. Elle citait
« les différents instruments qui doivent favoriser la coopération entre les
États membres dans le domaine de l’efficacité des politiques pénales et une
meilleure intégration politique ». Il faut y ajouter la mutualisation des
productions et achats d’équipements, la création d’une véritable police
commune des frontières de l’UE ou la coopération renforcée antiterroriste.
L’article 42.3 du traité de l’Union européenne relatif à la politique de
sécurité et de défense commune tente de fédérer des capacités militaires
dispersées pour créer une force européenne : « Les États membres mettent à
la disposition de l’Union, pour la mise en œuvre de la politique de sécurité
et de défense commune, des capacités civiles et militaires pour contribuer
aux objectifs définis par le Conseil. Les États membres qui constituent entre
eux des forces multinationales peuvent aussi les mettre à la disposition de la
politique de sécurité et de défense commune. » La force européenne se
créera par addition et rapprochement des forces nationales. Qu’on le veuille
ou non, la force unie est en marche.
L’Europe a réussi à se lancer dans le chantier du mandat d’arrêt
européen, dans plusieurs directives pénales et caresse, depuis des années,
l’idée d’un parquet européen qui connnaît une impulsion significative au
Conseil européen du 8 décembre 2016. S’ouvre devant nous le chemin « de
69
l’entraide pénale à l’Europe pénale ».
Pour ce qui est d’une force commune en revanche, elle reste à
construire, et les cours de Luxembourg et de Strasbourg ne se précipitent
pas pour coopérer. Pourtant, quand la force sera suffisamment européenne,
elle élargira alors utilement sa géographie au monde ; l’ONU et Interpol
prouveront, elles aussi, mieux encore qu’aujourd’hui, que la sécurité passe
par la force, casquée de bleu ou non, et que sécurité et force ne se
développent utilement qu’ensemble, dans un monde pensé et organisé
globalement.
Ce projet de force globalisée n’est pas un mythe. Mais la force, distincte
de la violence, ne doit pas, elle, se laisser dévorer par son propre mythe.
CHAPITRE 2

La force ne doit pas être confondue


avec son propre mythe

Le propre d’un mythe est de ne pas avoir à s’expliquer. Il s’impose et


inspire nombre de comportements. Il ne connaît pas la charge de la preuve
de sa propre existence. C’est pourquoi il importe de cerner la force face à
son image, face à l’écho de son mythe qui lui renvoie une fausse
représentation d’elle-même.
Le mythe de la force produit fascination et confiance aveugle. Il est
subtilement entretenu par les mots, exploité par le prince comme par le
marchand. Il peut toutefois être contenu par la formation et par la
Constitution.

Les mots de la force


Ni inexactitude, ni excès, ni slogan :
le poids des mots
La force ne doit pas se laisser emporter par les mots. Les mots de la
force doivent être impérieux mais, dans le même temps, respecter les
personnes. Ce n’est pas incompatible. Les plus grands se sont intéressés aux
mots de la force. Il faut avoir lu Voltaire 1 commenter – pour ne pas dire
corriger – Corneille sur son emploi du mot « force » dans sa tragédie
Sertorius… Le sage de Ferney critique ces deux vers de l’acte III, scène 1 :
« Venez, venez, madame, / Faire voir quel pouvoir j’usurpe sur votre âme, /
et montrer, s’il se peut, à tout le genre humain / La force qu’on vous fait
pour me donner la main. » « “La force qu’on vous fait”, disserte Voltaire,
est un barbarisme, on dit, prendre à force, faire force de rames, de voiles ;
céder à la force, employer la force ; mais non faire force à quelqu’un. Le
terme propre est faire violence ou forcer. » Reste qu’employée à tort ou à
raison, la force est au cœur de toute tragédie.
Le Vocabulaire juridique de G. Cornu donne quant à lui l’étymologie du
mot « force » comme venant du latin de basse époque, fortia, pluriel neutre
pris substantivement de fortis : « fort, courageux ». Le mot est proche de
puissance, de pouvoir, de contrainte, de coercition. Il est suffisamment
plastique pour se juridiciser : « force de loi » ; pour s’anarchiser : « force
ouverte » ; pour se policiser : « forces de l’ordre » ; pour se militariser :
« forces armées » ; pour s’excuser : « force majeure », ou « vimaire » (de
vis major, en latin) c’est-à-dire, en droit, une force imprévisible, irrésistible
et extérieure.
Chaque mot compte. Le « vous » n’est pas le « tu ». Pour proscrire le
tutoiement des citoyens, le code de déontologie commun à la police et à la
er
gendarmerie nationales en vigueur réglemente les mots : « Chapitre I .
Relation avec la population et respect des libertés. Relation avec la
population : le policier ou le gendarme est au service de la population. Sa
relation avec celle-ci est empreinte de courtoisie et requiert l’usage du
vouvoiement […]. »
Avoir des mots avec quelqu’un signifie que la violence n’est pas loin et
que la force aura peut-être l’occasion de séparer les adversaires. Et, dans le
domaine de la force, les mots ont une importance extrême.
En 1994, le gouvernement propose, dans un projet de loi, la création
d’une « étude d’impact de sécurité » pour les nouveaux programmes de
construction et d’équipement. Lors de l’examen du projet, un conseiller
d’État fait remarquer : « Je trouve l’expression “étude d’impact”
extrêmement malheureuse, car, pour moi, je comprenais qu’il s’agissait des
conséquences de l’utilisation d’armes à feu. » Il proposait – et il sera suivi –
de nommer ces études « études de prévention de l’insécurité [EPI], ce qui
donnera un plumage bucolique à ce qui est un peu austère ». Derrière
l’humour, se dissimule l’importance du choix des mots lorsqu’il est
question de sécurité.
Il suffit pour s’en convaincre de comparer des événements tragiques. En
1999, un individu remis en liberté par le substitut du parquet est à l’origine
de troubles à Vauvert (Gard) qui mènent à un mort et six blessés. Le
ministre de l’Intérieur de l’époque se rend sur place et évoque publiquement
le « relâchement de la magistrature » et les « comptes à rendre ». Le garde
des Sceaux défend le substitut. Division affichée de la force, débat trop
classique qui affaiblit l’État.
En mai 2016, le juge des libertés et de la détention remet en liberté sous
contrôle judiciaire trois des quatre personnes mises en examen à l’occasion
de l’incendie d’une voiture de police où auraient pu périr les deux
fonctionnaires concernés. Le parquet fait appel. Dans son commentaire
public du 26 mai, le Premier ministre laisse percevoir son indignation mais
contrôle son propos parce qu’il connaît la portée des mots dans de telles
situations : la remise en liberté « est le choix de la justice […], à la place
qui est la mienne je fais très attention à ce type de commentaire […], je
pense que quand on agresse des policiers, quand on veut se faire du flic,
qu’on veut tuer des policiers, la place est en prison ». Le commentaire est
millimétré. Les coupables doivent payer. Mais avant, le métier (et le risque)
de la justice est d’établir que les personnes interpellées et soupçonnées sont
les vrais coupables.
À l’opposé, les mots choisis par le ministre de l’Intérieur pour annoncer
triomphalement, le 4 juillet 2003, que « la police française a arrêté
2
l’assassin du préfet Érignac » sont inappropriés . La police a fait son travail
de poursuite des possibles auteurs d’un meurtre lâche et honteux.
L’ensemble du commando a été arrêté dès les 21-23 mai 1999. Restait le
dernier membre en fuite, Yvan Colonna. Mais, depuis 1789, nul n’est
assassin, ni même « présumé » tel, avant d’être jugé par un tribunal
indépendant. Des hommes sont recherchés parce qu’existent des « raisons
plausibles » de les suspecter d’assassinat mais ils sont présumés innocents.
Le devoir éminent d’un dirigeant républicain est de connaître cet
abécédaire. D’autres ministres de l’Intérieur s’étaient déjà signalés par des
déclarations définitives sur la culpabilité d’un suspect, avant toute
condamnation par un juge : la vraie condamnation avait été pour la France,
par la Cour européenne des droits de l’homme, à cause de ces déclarations
hasardeuses du ministre de l’Intérieur Poniatowski sur l’un des suspects de
l’affaire de Broglie de 1976. De même, le ministre de l’Intérieur Brice
Hortefeux annonçait-il à la radio le 6 octobre 2010 qu’un individu dont il
livrait l’identité précise était un dangereux « djihadiste » : le 12 décembre
2011, le Tribunal des conflits examina l’affaire et renvoya les intéressés
devant le juge administratif aux fins de vérification d’une éventuelle faute
3
de service du ministre pour atteinte à la présomption d’innocence .
Pour éviter ce genre de mésaventure, la force a tout à gagner à lire le
livre précité de l’un des siens, le préfet Lépine, qui traite de la loi dans son
Du droit de police : « La première en importance, sinon en date, des lois de
police est le Code pénal qui prévoit et réprime la plupart des crimes, délits
et contraventions qui peuvent compromettre l’ordre public, la sûreté de
l’État, la tranquillité de la cité, la sécurité des personnes, la conservation des
propriétés et la salubrité publique. » Le Code pénal et son alter ego, le Code
de procédure pénale. Munie de ces deux viatiques, la force n’a pas à
inventer des mots biaisés qui ne viennent de nulle part. Et, pourtant, il
arrive que, sous pression de manifestations policières, comme le 14 mars
2015, de hautes autorités de l’État empruntent l’un de ces mots-valises qui
participent d’une certaine déstructuration du débat police/justice : « Face à
ces menaces, le message c’est la cohérence de l’action de l’État, à la fois
dans l’action de la police, de la gendarmerie, et dans celle de la justice, les
deux sont un élément de ce qu’on appelle la chaîne pénale qui doivent être
absolument cohérents. » Qui est le « on » ? Pourquoi la police et la
gendarmerie ne sont-elles pas qualifiées de « nationales » ? Quelle loi exige
la « cohérence », quand la justice contrôle la police et la gendarmerie
nationales ?
Les mots du Code pénal comptent parmi les grands soubassements de
nos libertés. Leur respect est un devoir éminent de tout responsable public.
Or, pour s’assimiler aux spécialistes de la force, tel homme politique
s’appliquera à placer, aussi souvent que possible, cette notion de « chaîne
pénale » comme si l’action de la police et celle de la justice 4 devaient
s’assimiler l’une à l’autre sans différence, chaque maillon semblable
n’ayant vocation qu’à prendre le relais du précédent. Ni chaînon ni
chaînette, J.-J. Urvoas avait fermement mis en garde dès 2011 5 contre la
fausseté de cette notion : « La chaîne pénale est une notion qui repose sur
un contresens majeur. Et ce n’est pas parce qu’elle figure dans les
circulaires de l’actuel garde des Sceaux [M. Mercier] qu’il faut pour autant
y recourir. Personne n’évoque d’ailleurs la “chaîne de santé” ou la “chaîne
éducative”. Cette image suggère une similitude de tous les maillons et sous-
entend que seule la force de leur union permet l’efficacité […] dans une
démocratie, la police (ou la gendarmerie) ne fait qu’interpeller. C’est la
justice qui sanctionne. Ce sont deux fonctions distinctes… ». Devenu garde
des Sceaux, J.-J. Urvoas réitère très utilement cette mise en garde contre la
« chaîne pénale » le 7 novembre 2016 lors d’une réunion commune
préfets/procureurs : « Il ne faut pas prendre cette image en référence à des
maillons qui seraient tous identiques. Il ne peut y avoir de taylorisme ou de
fordisme dans notre domaine. Dans la lutte contre la délinquance, et a
fortiori contre le terrorisme, la force ne vient pas de la similitude mais de
l’union. » Comme le professeur Cadiet, dans son rapport sur la Justice de
2012, doutant du concept de « réponse pénale » : « Il ne faut pas négliger ce
que cette expression peut avoir de réducteur, surtout quand elle est couplée
à celle de “chaîne pénale”, l’une et l’autre lourdes d’impératif statistique,
avec le risque que la norme statistique finisse par imposer sa logique sinon
sa loi 6. » L’invention de ce terme, aussi réducteur qu’inadapté, participe
d’une confusion entretenue sur le rôle de la justice au service de la force, ce
qui est un renversement philosophique des institutions.
Plus généralement, nos libertés s’appuient sur des définitions de Code
pénal et du Code de procédure pénale qu’il convient de ne pas bousculer, ni
par des législations intempestives ni par des rodomontades où le politique
s’approprierait les succès des services enquêteurs.
De même, qualifier les forces – et spécialement les forces militaires en
appui aux autorités civiles – de « supplétives », « complémentaires » ou
« annexes » sera mal perçu. Car chacun comprendra « subalterne » et
« subordonné ».
Quand, le 16 mars 2016, un député qualifie la « réserve d’emploi » de
« réserve Manpower », il reprend cette minoration, très française, des forces
militaires d’appui. L’armée, avec raison, est vigilante sur la manière dont
ses missions sont qualifiées.
De même, la notion de « loup solitaire » a son sens au cinéma dans
Monsieur Klein de Joseph Losey (1976) mais moins dans la réalité du
terrorisme.
Enfin, l’insistance avec laquelle, au premier trimestre de 2016, les
autorités françaises répètent que « nous sommes en guerre » peut interroger.
Le 23 mars 2016, au lendemain des attentats de Bruxelles, le président de la
République française reprenait les mêmes termes que son Premier ministre :
« À travers les attentats de Bruxelles, c’est toute l’Europe qui est frappée
[…] la guerre contre le terrorisme doit être menée dans toute l’Europe, avec
les moyens qui sont nécessaires, notamment en matière de renseignement »
mais aussi « avec sang-froid, lucidité, détermination parce qu’elle sera
longue ». Sommes-nous en guerre ? Le droit n’a pas réponse à tout, mais il
aide à se poser les bonnes questions. Les moyens de la guerre sont utilisés
par la France en 2015-2016 en Irak puis en Syrie. Mais, sur le sol national,
même face à « une menace militarisée », il est plus prudent, donc plus
efficace, d’en rester aux infractions criminelles commises sur notre sol,
donc au déferrement à un juge pénal. Que chacun perçoive bien le
traitement réservé par la loi au terroriste : un maintien dans son statut de
criminel et non pas de guerrier ou de soldat. Non pas constat d’un
quelconque sacrifice ou héroïsme mais punition d’un crime issu d’une
certaine veulerie, d’une certaine vulgarité destructrice sur fond de pauvre
fascination pour les réseaux sociaux.
Pour ces raisons, il ne serait ni exact ni opportun de rechercher un
nouveau statut pour le terroriste, entre le soldat ennemi et le criminel. Le
terroriste nie la société qu’il combat et préfère la mort à la permanence du
combat. Il n’envisage pas le futur au-delà de sa propre disparition. Mais
suicidé n’est pas une qualité juridique. Enfermons le terroriste dans la
froideur du concept juridique : il n’est pas un soldat, donc il est un criminel.
7
Suivons en cela l’anticipation troublante de Bertrand de Jouvenel en 1963
à la sortie des années algériennes : « Lorsque les actes terroristes sont
commis au hasard, il arrive d’une manière pour ainsi dire inévitable que les
réactions se dispersent loin de l’objectif et frappent des innocents. Amener
les autorités à frapper les témoins innocents est le point essentiel de la
stratégie terroriste. Son efficacité consiste principalement à provoquer des
colères aveugles et des ripostes maladroites. […] la tactique du terrorisme
est sûre de provoquer les autorités à réagir d’une manière qui scandalise
l’opinion publique et tourmente les consciences à l’intérieur même du
gouvernement. » Avec cinquante ans d’avance, cette description précise de
nos réactions aux attentats de 2015 en France peut nous inciter à imiter les
Belges qu’à tort nous minorons parfois : au printemps 2016, trois mois
après les attentats de Bruxelles, sans modifier ni leurs lois ni, a fortiori, leur
Constitution, ils ont appréhendé l’ensemble du commando pour le déférer à
la Justice. Des criminels traités par la force comme des criminels. Ni plus ni
moins.
Le vocabulaire de la force doit être pesé avec précision. Entre les mots-
marketing (comme Vigipirate 8 ou Sentinelle pour les militaires en opération
de police début 2016), les mots procéduraux (mis en examen, témoin
assisté, audition libre), les mots inquiétants parce que conçus pour inquiéter
(menace, guerre civile, « mettre hors d’état de nuire », neutraliser, notes
blanches), les mots-barrages (alerte, urgence, « circulez », confidentiel-
défense), les mots-garanties (droit au silence, avocat, présomption
d’innocence, habeas corpus), les mots homonymes (policiers, flics, agents,
barbouzes, pandores, bleus, cognes), le fonctionnaire et le juge obéissent au
devoir absolu de ne tolérer ni jeux de mots ni confusion du langage.
En ce sens, « vidéoprotection » est un excès de langage qui tend à se
substituer à l’exacte « vidéosurveillance ». Les caméras ne font pas obstacle
à l’infraction, elles ont pour objet de permettre de mieux interpeller l’auteur.
Restons en là.
Enfin, un détour par les langues étrangères nous en dit plus. En
allemand, la force est quadruple : Kraft, « force physique », « énergie » ;
Gewalt entre pouvoir et violence ; Stärke « vigueur, solidité », quand la
Bavière en 2017 propose un programme sécuritaire, elle le nomme
« Sicherheit durch Stärke » (sécurité par la force) ; ou encore Macht,
« puissance », comme dans le titre de la pièce de Thomas Bernhard Die
Macht der Gewohnheit, La Force de l’habitude. En italien, la forza évoque
à Verdi : La Force du destin, La forza del destino ; en espagnol, la fuerza ou
9 10
pujanza . Enfin, chez les Hurons, l’orenda est la force vitale présente
aussi bien chez les hommes que chez les animaux ou les végétaux.

La fascination pour la force


L’idée de force idéalisée,
manipulée, commercialisée

La force fascine et cette fascination est d’autant plus importante qu’elle


va rapprocher, associer, réunir. La force appelle la force. Les jeunes rêvent
de force ; Michel Leiris se souvient : « L’idée de Rome, avec ses festins, ses
combats de gladiateurs et les autres atrocités du cirque, m’exalte
11
charnellement. Elle est aussi l’image de la force . »
Les vieux envient la force. Dans le Jean-Christophe de Romain
12
Rolland , le vieux banquier Lothar Mannheim interroge sa fille sur
Christophe qui n’a d’yeux que pour elle :

– Il est un peu braque, mais il n’est pas bête.


– Bon, fit Lothar, c’est aussi ce qu’il m’a semblé. Alors il peut
réussir ?
– Oui, je crois. Il est fort.
– Très bien, dit Lothar avec la logique magnifique des forts qui ne
s’intéressent qu’aux forts, il faudra donc l’aider.

Morale ou institutionnelle, la force fascine et attire.


La force est souvent représentée mais rarement seule. Elle se compare et
dialogue avec la justice, la sécurité ou la sagesse.
Il suffit de lever la tête vers le fronton de l’Assemblée nationale : « Le
motif sculpté entre 1838 et 1841 par Cortot (1787-1843) représente la
France […] debout devant son trône, accompagnée de la Force et de la
Justice appelant l’élite à la confection des lois. »
Sécurité et justice ne sont pas réductibles l’une à l’autre. La sécurité est
toujours plus « simple », directe et même brutale que la justice. Dans la
représentation du monde de la célèbre Fresque du bon gouvernement
d’Ambrogio Lorenzetti (1335) au Palais public de Sienne (Italie), la
Securitas est représentée une seule fois par une femme tenant dans sa main
un petit gibet où se balance un malandrin exécuté. Elle bénéficie
13
d’un cartouche traduit dans le beau livre de Patrick Boucheron consacré à
cette fresque : « Sans peur, que tout homme marche sans dommage et que
chacun cultive et sème aussi longtemps que cette commune restera sous la
seigneurie de cette dame car elle a ôté aux coupables tout pouvoir. »
La Justicia, elle, toujours plus compliquée, côtoie la Tempérance, la
Magnanimité et la Concorde.
Justice et sécurité manifestent toutes deux le besoin qu’elles ont de la
force. Dans les allégories de Lorenzetti, la Force-vertu, fortitudo, siège
entre la Paix et la Prudence, sous la forme d’une noble guerrière à la robe
sombre et à la main armée.
Securitas et Justicia n’ont donc pas le même sens mais elles se
rejoignent en 1335 dans l’objectif de bon gouvernement et dans le recours
impitoyable à la force quand elle est nécessaire. Ce double mouvement de
divergence et de convergence entre sécurité et justice ne nous est pas
inconnu aujourd’hui.

Le fronton du Palais-Royal, à Paris, sur l’aile ouest de la cour de


l’Horloge 14, sculpté par Augustin Pajou en 1765, oppose, à gauche, la
Justice avec un enfant tenant une balance et, à droite, la Force, casquée,
tenant dans sa main gauche la massue d’Hercule et dans la main droite un
bâton de commandement.
Le tandem force/justice se multiplie à l’envi dans nombre d’édifices
comme à Albi où la cathédrale montre dans son grand chœur une
représentation des quatre vertus cardinales dont la force, qui tient une masse
d’armes et un bouclier (fortitudo), et la justice qui tient une balance et une
épée (justicia).
Véronèse, s’en tenant à une autre dualité, a célébré L’Allégorie de la
Sagesse et de la Force (1580) : l’homme-Force reste derrière la femme-
Sagesse, resplendissante. La sagesse prime-t-elle la force ou ne fait-elle que
plastronner, manipulée par la force tapie en retrait ? La sagesse lève les
yeux vers l’idéal, la force regarde le sol où tout commence, tout se poursuit
et tout finit. Cette image nous incite à toujours observer la force, même et
surtout quand elle apparaît temporairement alanguie. Elle n’entend pas
nécessairement rester au second plan.
Les architectes – qui finissent souvent par être gouvernementaux, selon
Balzac – ne détestent pas non plus interpréter la force. Le ministère des
Finances, planté insolemment dans la Seine, barre-barrage perpendiculaire
au fleuve marquant que le prince est partout chez lui et sait marcher sur les
eaux, traduit bien le projet de force de l’architecte Paul Chemetov. Dans son
15
livre sur La Grande Arche à la Défense, Laurence Cossé rappelle que le
communiqué de l’Élysée dévoilant le projet de Johan Otto von Spreckelsen
utilisait les mots « pureté, force, ouverture ». Quand au nouveau palais de
Justice de Paris aux Batignolles, Renzo Piano a signé, pour la force de la
justice, un immeuble spectaculaire en marches d’escalier. Pour saisir la
prétention du nouveau palais comme un gigantesque podium olympique
avec sa montée vers le sommet, il faut le rapprocher de la maison du
16
Reich (das Reichshaus), sorte de tour babylonienne, elle aussi en marches
d’escalier, proposée par Otto Kohtz en 1920 à Berlin pour célébrer la jeune
république de Weimar. Le projet, jamais réalisé, était alors présenté comme
au service « du bien-être, de la santé, de la loi, de la force, de l’esprit et de
la beauté ». Vaste programme pour le nouveau palais de Justice de Paris qui
célèbre une autre république que celle de Weimar… La force apprécie la
monumentalité.
Policière ou militaire, la force plaît, elle est colorée, clinquante,
entraînante, assurée, elle attire, particulièrement ceux qui ne savent pas la
commander. Les interviews de onze anciens ministres de l’Intérieur sur leur
17
expérience place Beauvau dans le livre de Laurent Huberson offrent une
saisissante occasion de méditer sur la fascination de la force. Il est des
ministres qui racontent comment ils commandaient la police, d’autres
qui ne racontent pas comment la police les commandait, d’autres, enfin, qui
contemplaient la police en l’admirant.
Dans son récit, déjà cité plus haut, de la Libération Vue d’un
18
commissariat de police parisien, F. Dupuy consacre un paragraphe à
l’arrivée des Alliés dans Paris en 1944. Il l’intitule « Sa Majesté la Force ».
Sur un ton enfiévré, il s’emporte d’enthousiasme :

Boches orgueilleux, qui croyiez être les seuls forts, les seuls
organisés, les seuls capables de faire du colossal […], regardez !
Regardez cet interminable défilé du plus formidable matériel de
guerre que jamais peuple ait forgé : voitures hérissées de
mitrailleuses, camions lourds chargés de munitions, tanks
monumentaux, canons, blindés […], regardez ces hommes superbes,
de force et de résolution […] et dites si vous croyez encore à la
supériorité de votre race et de vos institutions ? Vous narguiez les
peuples libres et pensiez pouvoir leur imposer votre idéologie
rétrograde… Boches regardez, admirez et tremblez : Sa Majesté la
Force passe.

Ce 25 août 1944, quand le premier char français « Mort-Homme »


arrive devant la Préfecture de police, mettant un terme à quatre années
d’humiliations et de défaite, ce ton exalté se comprend. Mais le sentiment
exacerbé de fascination et de célébration devant « Sa Majesté la Force »
sommeille en chacun de nous.
La fascination peut être positive par l’admiration et l’exemple
automatiques. Elle peut être aussi négative, là où la suspicion mal dirigée
fausse la décision. Il y a quelques dizaines d’années, prenant ses fonctions,
un nouveau ministre précautionneux fait passer une équipe de
« dépollution » pour parer à toute éventualité de maintien d’appareil
indiscret dans ses bureaux ministériels. Puis, quelques jours plus tard, il
découvre sous son bureau, au milieu d’une série de câbles électriques qui
trouvaient chacun leur utilité vers les téléphones et ordinateurs, un câble
dont l’isolement et la vacuité le rendent suspect. Contrôler un câble consiste
à le tirer à soi. Au bout de dix mètres de longueur, le câble casse. Le
ministre, apaisé, se sent délivré du risque d’indiscrétion. Quelques jours
plus tard, il apprend, incidemment, que les archives du ministère situées
sous son bureau ont vécu une journée sans électricité « à la suite d’un
problème de câble ». Où la fascination/suspicion de la force ne renforce pas
l’éclairage !
Parfois sans le savoir, le plus souvent en s’en prévalant, la société
comme ses poètes célèbrent l’attrait sombre de la force. Celle-ci est
travestie en phénomène souriant comme, en d’autres temps, la « guerre
fraîche et joyeuse ». Elle attire, tel le « forçat intraitable » d’Une saison en
enfer de Rimbaud : « Il avait plus de force qu’un saint, plus de bon sens
qu’un voyageur – et lui seul ! pour témoin de sa gloire et de sa raison. » Le
fort est solitaire et croit qu’il n’a besoin de personne pas même de Dieu
puisqu’il dépasse le saint ou plutôt croit le dépasser. Erreur fatale,
contresens total mais assurance d’un certain succès…
Saint Christophe qui porte Jésus est accommodé par Michel Tournier :
l’ogre Abel Tiffauges remarque dans Le Roi des aulnes : « Les portefaix, les
forts de la ville, retiennent toute mon attention. […] on écrit grossièrement
forts des Halles, au lieu de phores des Halles. Le fort est la forme vulgaire
du phore. Et j’imagine aussitôt un vrai phore des Halles, superbe et
généreux, portant triomphalement sur ses épaules formidables une corne
d’abondance… ». Le fort ou le phore porte avec son fardeau, l’image de la
puissance et du service à l’autre. Le poids peut parfois en être trop lourd.

Trois mondes sont les hérauts insistants de la force et entretiennent la


fascination pour elle. La bande dessinée, les produits de beauté et les partis
politiques agitent devant nous le rêve de la force absolue.
Pour le premier, les Superman, Wonderman, Batman, Ironman,
19
Terminator, Mad Max et autres justiciers de la force, presque
exclusivement des hommes, se bousculent. Que sont devenues les
superwomen 20 ? Quand Hans Dietrich Genscher, l’ancien inamovible
ministre des Affaires étrangères allemand meurt en 2016, la presse, qui le
surnommait Genschman et le représentait avec le masque de Superman,
feint de s’étonner : depuis quand les superhéros disparaissent-ils ? Ces
justiciers en tous genres ne font qu’imiter les « hommes montagnes »,
géants et Hercule antiques. Et que dire de Gargantua ? de Tarzan ? et même
de James Bond ? Dashiell Hammett, lui aussi, s’y mettait avec son
personnage de superdétective X25. Mais lui se « rachètera » de ces
fantasmes de force en dévoilant son caractère inflexible face aux
interrogateurs des comités anticommunistes du maccarthysme.
La bande dessinée vocale, le rap, formaté pour les provocations dans les
bacs du grand commerce, ne déteste pas la force comme le montrent les
paroles de Médine « Rappeur 2 force 21 » : « J’ai la force de la culture face à
la culture de la force. » De son côté, Alice Aterianus-Owanga décrypte en
2013 22 « un rap incliné vers la force, la fabrique de la masculinité sur la
scène rap librevilloise ». Autrement dit, une part du rap s’applique à
populariser une image de la force lourdement virile et suffisamment
révoltée. En septembre 1997, Le Monde notait « la France aime envoyer ses
rappeurs devant les tribunaux » quand, après la condamnation de NTM en
juin, en novembre, le groupe Ministère AMER était condamné pour
provocation au meurtre de policier pour sa chanson « Sacrifice de poulets ».
Le 18 février 2016, la cour d’appel de Versailles, sur renvoi de la Cour de
cassation, relaxe le rappeur Aurélien Cotentin dit Orelsan, pourtant
condamné en première instance pour « injure et provocation à la violence à
l’égard des femmes ». Dans le prétoire, la liberté d’expression a primé.
Mais la distinction entre force et violence ne progresse pas vraiment à cette
occasion. Car sexuer la force serait un contresens, par ailleurs des plus
répandus. La virilité est une chose, la force en est une autre qui ne dépend
pas fondamentalement des caractéristiques physiques. À quand le triomphe
des femmes rappeuses ?
Le cinéma-bande dessinée s’en donne lui aussi à cœur joie : les films
américains formatent l’imaginaire mondial avec les Star Wars et leur Réveil
de la force en 2015, septième épisode d’une saga qui joue avec le mot
« force ». Et qui prouve qu’il est des occasions où mieux vaut laisser dormir
la force plutôt que la réveiller… Le poids de ce film est tel dans le monde
que maintes autres œuvres, petites productions sont « les dindons de la
force 23 ». Le récit Star Wars est repris par Lego, le fabricant de jeux de
construction pour enfants, la presse populaire ne s’y trompe pas : « La force
est avec les briques », s’écrie-t-elle, et pourtant ce n’est pas Noël tous les
jours… Les célèbres petites figurines sont laidement militarisées. Des séries
entières sont bâties sur les muscles de Rambo. Et quelle corde fait vibrer la
célébration des tireurs d’élite, image individuelle d’une force tapie, d’une
force secrète, signant des arrêts de mort dans des duels sans merci : qu’il
s’agisse de Stalingrad de Jean-Jacques Annaud (2001) ou de American
Sniper de Clint Eastwood en 2014, la force de l’homme-machine à tuer
révèle ce qu’est la guerre totale.
Le dessin et le cinéma, si l’on y regarde plus précisément, se partagent
entre les deux représentations de la force : d’un côté la force intelligente,
bonne ou mauvaise, des héros depuis Vidocq/Colin de Balzac qui peaufine
le lieu commun du fort : « gros et court, de larges mains, un large buste, une
force herculéenne, un regard terrible », jusqu’au comte de Monte-Cristo,
tout à ses malédictions de vengeance. De l’autre, la force immature et
conduite par un autre : que serait Obélix sans Astérix ? Sharkey sans Olrik
et Haddock sans Tintin ?

Le deuxième monde à s’inspirer de la force est celui du commerce. Pour


les produits de beauté : « Force 100 » de Biotherm, « Force vert » chez
Pétrole Hahn, eau de toilette suédoise « Native force » chez Oriflame,
Ushuaïa pour hommes « La nature est une force »… Les produits de beauté
se servent des formes des sportifs au corps sculpté, célébration de la force et
de la beauté des « forces de la nature ». Le slogan du comité pour la
candidature de Paris pour recevoir les jeux Olympiques de 2024 est dévoilé
en février 2016 : « La force d’un rêve ». Le caractère brumeux du rêve et le
coût du réveil atténuent quelque peu la force de la force…

Quant au troisième monde, celui des partis politiques, il recherche la


référence à la force. Le président Poutine affirme son adage « Strengh is a
virtue 24 » et se fait photographier en chasseur de tigres, en cavalier de
Sibérie, torse nu dans les montagnes ou encore en judoka sur le tatami. Seul
son adversaire, Garry Kasparov, le roi des échecs, ose commenter :
« Vladimir Poutine est un leader fort au sens où l’arsenic est une boisson
forte. »
En France, La « Troisième Force », annoncée par Léon Blum lors de sa
déclaration gouvernementale du 21 novembre 1947, s’affirme entre le Parti
communiste et le RPF : « Ce qu’on a appelé la Troisième Force 25 n’est pas
autre chose que l’union des républicains pour la liberté, pour la justice
sociale et pour la paix. » Blum n’obtiendra pas la majorité mais l’idée est
lancée. Et, avec elle, la notion de « Troisième Force internationale ». On
retrouve le mot avec la « force tranquille » des affiches de Mitterrand en
1981, devant l’église de Sermages (dans la Nièvre), la « Force démocrate »
qui se fond dans l’UDF en 1998, la « Force républicaine » mouvement de
soutien à l’action de François Fillon, la « Droite forte » courant important
de l’UMP puis du mouvement Les Républicains ou, encore, la « Gauche
forte » sous-titrée « la force, quand elle sert la justice, est une vraie valeur
de gauche », club du député Y. Galut. Alain Juppé fait quant à lui appel aux
« forces vives » pour réformer 26.
Cette idée de « forces vives » est ambiguë. Elle peut participer de
l’emprunt aux profondeurs opaques de la société. Les forces vives sont
autre chose que les forces institutionnelles. Elles ravivent le fond de doute
et de mise en cause des élites. Elles sont positives en tant qu’elles rappellent
qu’un pays a besoin de créateurs, d’entrepreneurs, d’entraîneurs mais elles
ne doivent pas suggérer, a contrario, que les institutions sont des forces
mortes.
Il faudra porter l’attention sur la prospérité de la notion d’« État fort »
qui apparaît à la fois dans le titre du livre d’Alain Juppé en 2016 27, dans les
déclarations du président du Sénat Gérard Larcher 28 – « l’État doit être fort
et la nation réunie » – et dans la réflexion beaucoup plus dubitative de
Pierre Birnbaum dans Les Désarrois d’un fou de l’État 29 entre force et
faiblesse d’un « État fort à la française ».
Plus profondément politique, ancrée dans les sociétés coloniales, la
force est aussi rêvée par l’apport obligé des opprimés : il ne faut pas oublier
La Force noire (Hachette, 1910) de l’Empire français, publié par le
lieutenant-colonel Mangin dans laquelle l’homme noir, contraint, est
transformé en machine de guerre. La force, alors, globalise et déshumanise.
La fascination est inhérente à la force car celle-ci est représentation.
Comme Michel Foucault l’affirme, « l’art de punir doit reposer sur toute
une technique de la représentation » et la force n’existe que si elle impose
sa propre représentation. Les protestataires de Mai 68 l’avaient bien
compris avec l’affiche « la police s’affiche à la Sorbonne, les beaux-arts
s’affichent dans la rue ».
En ce sens, l’armée, la police et les services de renseignement ne sont
pas avares de conseils et d’initiatives pour mettre en scène leur activité en
feuilleton et séries, comme nous l’avons vu plus haut.
Et même les expositions dénonciatrices de la force participent d’une
certaine façon à sa diffusion et à son importance. L’exposition Astro Noise
de 2016 au Museum of American Art de New York est révélatrice 30 : Laura
Poitras a consacré plusieurs films à la politique américaine de sécurité
depuis le 11 Septembre. C’est à elle qu’Edward Snowden avait confié des
documents avant de fuir. Elle présente différents textes, photos,
enregistrements des services de sécurité. Cette manière d’exposer les
secrets du renseignement en art est une manière d’esthétiser la surveillance.
Ou comment la critique peut être utilisée par sa cible.
Au contraire de la fascination, toujours fausse pour penser la force, la
confiance peut guider un juste rapport entre le peuple et la force publique.

La formation pour transformer la violence


en force
Entraînement et réflexion, la force intelligente

La force est exercice. « L’âme ayant besoin des forces du corps pour
augmenter les siennes et en faire un bon usage, les forces du corps
s’affaiblissant au lieu de se perfectionner lorsqu’on ne les exerce pas, la
raison en conclut que le travail convient à l’homme, que l’oisiveté lui est
31
contraire . »
La transformation de la violence en force commence par l’instruction
civique. Elle continue par une formation spécialisée approfondie pour ceux
à qui est délégué l’usage de la force.
En ce qui concerne l’instruction civique, une société est responsable de
l’image qu’elle donne de ses « forces de l’ordre ». Ainsi, vers 1890, L’École
du citoyen 32, à l’usage des cours d’adultes, explique : « […] l’homme n’est
pas un saint. S’il était tout à fait sage et vertueux, il lui suffirait d’avoir la
loi dans son cœur… on n’aurait pas eu besoin d’instituer pour l’appliquer
une police et des tribunaux, de mettre la force à son service. » En 1937, le
Cours de morale et instruction civiques 33, destiné aux écoles primaires
supérieures, consacre un chapitre aux devoirs du citoyen en citant
Ferdinand Buisson : « Obéir à un maître, roi ou seigneur quelconque, c’est
s’incliner devant la force […], obéir à la loi, c’est s’incliner devant la
décision qui est celle de l’unanimité ou de la majorité des représentants
librement choisis par la nation. » La société doit convier les policiers et
militaires dans les écoles, non pas seulement pour expliquer l’ordre public
dans ces établissements et à leurs alentours, mais pour donner des
perspectives sur le sens d’une force à la disposition de la République et de
ses citoyens.
En ce qui concerne la formation des militaires et policiers, elle doit
porter sur la maîtrise de la force c’est-à-dire, aussi, sur son non-usage. De
ce point de vue, les lois sont pleines de bonnes intentions : le Code de la
sécurité intérieure 34 prévoit que « l’autorité investie du pouvoir
hiérarchique conçoit et met en œuvre […] une formation adaptée, en
particulier dans les domaines touchant au respect de l’intégrité physique et
de la dignité des personnes ainsi qu’aux libertés publiques. Cette formation
est régulièrement mise à jour pour tenir compte des évolutions affectant
l’exercice des missions de police administrative et judiciaire ». L’État
s’efforce d’imaginer les formations adéquates : il a créé l’Académie du
renseignement par décret du 13 juillet 2010. Le renseignement territorial
35
prévoit, quant à lui, pour ses recrues des stages « surveillance et filature »
et « gestion et traitement des sources » à côté de sessions accueillant des
« intervenants issus de la société civile, responsables syndicaux,
consulaires ». La force vue des deux côtés, en somme…
En janvier 2016, le 6e escadron du 12e régiment de cavalerie a suivi,
avant d’être projeté au Liban, une formation de protection contre la foule au
centre d’entraînement aux actions en zone urbaine de Sissonne (Aisne). Les
cuirassiers ont été soumis à la pression violente d’une foule hostile, se
préparant ainsi aux futures circonstances qu’ils allaient affronter.
Au fur et à mesure que les effectifs mais aussi les fichiers et l’armement
des forces d’intervention de police s’alourdissent, le besoin en formation
devient plus vital encore : « apprendre à se servir d’une arme de guerre avec
uniquement 75 cartouches… c’est se préparer à des bavures en série »,
s’écrie en mars 2016 un policier anonyme 36.
Le ministre de l’Intérieur a clairement exposé à la commission
37
d’enquête sur le terrorisme , le 7 mars 2016, que la formation des policiers
venait d’être adaptée en fonction des attentats par un arrêté interministériel
du 27 juillet 2015 « relatif à la formation continue aux techniques et à la
sécurité en intervention des personnels actifs de la police nationale et des
adjoints de sécurité ». Il renforce le caractère obligatoire de cette formation,
qui recouvre le tir, l’emploi des armes, les bonnes pratiques
professionnelles, les techniques d’intervention, de défense et
d’interpellation, les réflexes de premiers secours. Il consolide les principes
d’un temps minimum annuel de douze heures d’entraînement au tir et aux
méthodes professionnelles en intervention. La force rassure en
s’autoqualifiant.
De son côté, la gendarmerie s’est dotée de référentiels appropriés pour
les compétences et les emplois types dont l’accès est conditionné par la
réussite à un cursus préalable de formation. Elle dispose aussi désormais
d’un référentiel des actions de formation 38.
Mais, au-delà des techniques, l’homme de la force doit être appelé à
réfléchir sur les finalités de son métier, sur sa place dans la cité. Apprendre
le tour de main qui mobilise un agresseur peut se faire dans le lieu
d’exercice, au contact des collègues, quitte à choisir ceux qui peuvent
former sans déformer. Mais la place de la force dans l’État et la relation de
force entre le fonctionnaire d’autorité et la population dans sa diversité
méritent du temps et de la pédagogie. C’est pourquoi la formation à la force
sera diversifiée. Le policier ou le gendarme devra être, tout à la fois, un
homme de droit – c’est le sens profond de la qualité d’OPJ, officier de
police judiciaire –, un stratège économe de ses mouvements face aux foules,
un chef donnant l’exemple en situation de stress, un observateur maître de
lui pour rendre compte complètement et précisément.
Par décret du 30 décembre 1981, Gaston Defferre crée la direction de la
formation des personnels de police. En 1985, Pierre Joxe donne son essor à
cette mission dans le cadre pluriannuel de la « modernisation » de la police
nationale. Il sait que la qualité d’une force dépend de ce que sera sa
formation. Et une formation bien menée vaut toutes les politiques
disciplinaires. En juin 2016, le ministre de l’Intérieur annonce la recréation
d’une direction du recrutement et de la formation de la police nationale.
Les penseurs de la formation de la force la nourrissent de l’essentiel : le
droit et la Constitution. Apprendre à sauter d’un car de police-secours, à
interroger un suspect, à fouiller une cellule, peut se théoriser mais doit
surtout s’apprendre « sur le tas ». Ainsi, Pompée s’adresse à Sertorius 39 en
élève admiratif pour apprendre de lui le bon usage de la force : « Je vois ce
qu’il faut faire, à voir ce que vous faites / Les sièges, les assauts, les
savantes retraites / Bien camper, bien choisir à chacun son emploi, / Votre
exemple est partout une étude pour moi. » Il est vrai que stratégie et
tactique de la force s’acquièrent par l’observation de maîtres de référence.
Au contraire, la logique de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen ne s’acquiert pas spontanément. Elle se conquiert par l’étude,
l’exemple et la théorie enseignée et discutée. Mieux vaut que la justice parle
à la force dès l’éducation de celle-ci.
Les réflexions en cours sur les programmes de « déradicalisation 40 »
préparent, si c’est possible, une formation adéquate diffusée auprès de ceux
qui sont confrontés à ces emportements.

La force est un aboutissement juridique


La force reprend les choses en main

Finalement, penser la force nous ramène à l’organisation de la société


contrainte de traiter sa part de violence.
Si la violence n’est définie que par des interdictions, la force est
constituée par la loi.
Si la violence se constate, la force se construit.
Si la violence suscite la crainte et appelle la rétorsion, la force ne vaut
que par le statut que la nation lui attribue.
Si la violence est combattue, la force est combattante.
Si la violence est défiance, la force est confiance.
La violence est surgissante, sans prévenir, elle peut être sauvage ou
calculée, involontaire ou intentionnelle, individuelle ou collective, en
embuscade ou en ligne, mais elle se définit par ses effets.
La loi se borne à l’empêcher par l’interdiction et la sanction. Le Code
pénal la punit et en fait à la fois une infraction propre, selon les
conséquences qu’elle a provoquées (incapacités, mort, etc., cf. articles 222-
7 et suivants), un élément d’infraction (comme la contrainte, la menace, ou
la surprise, article 212-12), une circonstance aggravante (articles 132-16-4
ou 225-4-2) ou bien encore, un justificatif de légitime défense (article 122-
6).
Mais répriment aussi, à leur façon, la violence :
le Code civil, avec la violence comme vice de consentement
(article 1109), comme pression sur personne raisonnable (article 515-9)
41
ou, depuis 2016 , la violence dans le contrat par abus de l’état de
dépendance ;
le Code du travail, conçu pour équilibrer le rapport salarié/patron et
limiter l’exploitation ;
le Code de l’éducation qui lutte par l’information à l’école sur les
violences (article 121-1) et contre le bizutage (article L. 511-3).
La violence n’a ni foi ni loi, elle frappe et piétine, elle veut nier l’autre.
Quand, par exception, la violence se codifie et s’organise, on bascule
progressivement dans d’autres situations, comme celle de la loi du talion, de
la vendetta qui rend coup pour coup à travers les générations puis, au-delà,
dans celle de la transgression et de la terreur. La conférence de Wannsee à
Berlin, le 20 juin 1942, montre ce qui arrive quand la violence est
« organisée ». Pour mener à bien la Shoah, les nazis industrialisent la
violence et recomposent le monde autour d’elle et à son service.
La force, au contraire n’existe que par sa définition. Elle a besoin d’une
définition légale qui précise son contour, ses degrés, ses procédés, ses
budgets et ses limites. Elle se définit par son objet et les résultats qu’elle
recherche. Son statut lui permet d’être crédible dans la population parce
qu’elle est en principe prévisible. Elle ne veut pas nier l’autre mais
seulement lui faire respecter le code commun. C’est le cas, qu’il s’agisse de
la simple force sportive, en rapport avec les règles de la compétition et le
barème des résultats, ou de la force publique en rapport avec les droits de
l’homme et les codes fondateurs (sécurité intérieure, défense, Code de
procédure pénale).
La force se définit avant d’être mise en œuvre (code de sécurité) alors
que la violence se décrit après avoir été mise en œuvre (procès-verbal de
constat) et se punit (Code pénal). La force sera le domaine des « officiers de
paix » quand la violence n’est que celui des officiers de police judiciaire.
PARTIE II

Assumer la force
Dans sa contribution au numéro spécial de la revue de l’Institut national
des hautes études de la sécurité et de la justice 1, utilement consacré à la
question « sécurité-justice face à face ou côte à côte », le magistrat Pierre
Bilger titre son propos : « Une démocratie qui assume le droit de se
défendre ». Tel est bien le sujet et telle est bien la nécessité pour le pays.
La force est nécessaire. Ceux qui la servent le savent mieux que
personne. Ils modulent même leur comportement sur cette certitude de son
caractère indispensable. Le commissaire de police de Cadix ou la
Diagonale du fou 2 a traversé tous les régimes de l’Espagne du XVIIIe siècle :
« Il sait qu’avec les Français ou sans eux, avec des rois absolus, avec la
souveraineté nationale ou avec le premier chien coiffé assis à San Felipe
Neri, celui qui commandera en Espagne continuera, comme partout, d’avoir
besoin de prisons et de policiers. » Et Balzac 3 constatait que « la police
politique, de même que la police judiciaire, prenait ses hommes
principalement parmi les agents connus, immatriculés, habituels, et qui sont
comme les soldats de cette force secrète si nécessaire aux gouvernements
malgré les déclamations des philanthropes ou des moralistes à petite
morale ».
La question de l’existence de la force, en réalité, ne se pose pas. La
force est nécessaire même pour ceux qui ne le reconnaîtront jamais… tout
en faisant appel à elle en cas d’urgence. Seulement, quitte à assumer la
force, assumons-la pour ce qu’elle est vraiment, avec, à la fois, ses malaises
et ses risques et, en même temps, ses potentialités quand elle est bien
utilisée.
CHAPITRE 3

Les malaises que suscite et subit


la force

Pourquoi la force serait-elle admise ou même supportée ? L’esclave


assassin d’André Brink 1 interpelle le magistrat qui va le juger : « Vous êtes
les plus forts actuellement c’est tout / Nous serons toujours les plus forts. /
Ce n’est pas parce que vous êtes les plus forts que vous avez raison. »
La force, qui ne va jamais de soi pour ceux qui la subissent, porte en
elle ses quatre maladies : elle est injuste, dangereuse, sait avoir des
prétentions et même s’autocélébrer.
Il faut connaître les maladies pour les dépasser.

La force est injuste


Comme l’ordre social qu’elle est accusée de servir

La force est-elle le mal ? La force est-elle dérive, la force est-elle


fasciste ? La force est-elle, par nature, facteur d’excès ? Les critiques de la
force peuvent, eux aussi, se laisser aller à des excès de langage en évoquant
la « loi des suspects » au début 2016 à propos des perquisitions
administratives de l’état d’urgence…
L’opinion française, dans une nation « mère des arts, des armes et des
lois », pratique toujours un peu ce que Hauriou 2 reprochait à Duguit, cet
« anarchisme de la chaire », où la grandeur est nécessairement la sœur de la
contestation, où la puissance publique n’est considérée au mieux que
comme une « simple force », au pire comme la force la plus dangereuse. Où
l’on oublie la question « mais que fait la police » pour passer directement à
la réponse « police bavure ». La valeur juridique propre du pouvoir est
toujours mise en doute ; Flaubert ne s’y trompait pas dans son Dictionnaire
des idées reçues : « Police : a toujours tort. » Même temporairement,
Bouvard et Pécuchet rejoignent alors, pour douter de la police, les radicaux
commerciaux tels que le rappeur Médine : « Pas de signe de gang avec les
doigts / Je me fais des crampes au majeur que pour l’État 3. »
Quand le Défenseur des droits publie, en mars 2016, une affiche sur les
contrôles d’identité, Le Figaro titre sobrement : « Le Défenseur des droits
braque la police ». Selon le quotidien, « on y voit une personne de dos, qui
ne semble pas avoir le type européen, contrôlée par une patrouille de
policiers en tenue, avec cette mention “être défendu est un droit pour moi
aussi !” En clair : pour l’individu contrôlé. Un message subliminal qui
sonne comme un avertissement contre le contrôle au faciès. » Unies comme
rarement, les organisations syndicales de la police s’insurgent contre cette
campagne conçue pour suggérer que les policiers « ne feraient pas preuve
d’un comportement déontologique ».
Un mois plus tard, en avril 2016, le « défenseur des travailleurs », la
CGT, emboîte le pas avec une affiche plus dure encore, où, derrière une
matraque ensanglantée, est proclamé : « La police doit protéger les
citoyens, non les frapper ! » Là encore, l’émotion est grande, le ministre de
l’Intérieur évoque une campagne « irresponsable et médiocre ». Le
secrétaire général de la CGT tente de dévier le coup en indiquant que « ce
ne sont pas ceux qui appliquent les ordres qui sont montrés du doigt, ce sont
ceux qui donnent les ordres ». Il reste que, lorsque la force publique est
présentée comme une ennemie menaçante et caractérisée par la violence,
quelque chose dérape dans le royaume de France… Du coup, la tension
monte avec des casseurs violents au printemps 2016, jusqu’au 18 mai 2016
avec des heurts entre une manifestation pro-police et les contre-
manifestants. La force publique est là qui fait son métier, même quand les
manifestants sont policiers.
L’injustice de la force est vivement perçue à propos des contrôles
d’identité. La question du contrôle au faciès est réelle et insuffisamment
traitée comme l’ont montré avec fracas trois des neuf arrêts de la première
4
chambre civile de la Cour de cassation du 9 novembre 2016 , infirmant le
jugement du tribunal de Paris, et condamnant l’État à dommages et intérêts
pour un « contrôle systématique et exclusif d’un type de population en
raison de la couleur de sa peau et de son origine ». Ce contrôle d’identité (à
La Défense, à Paris) avait été observé par un témoin dont la cour d’appel
utilisait le constat. La fonction constitutionnelle du Défenseur des droits,
gardien de la déontologie policière, comme la fonction hiérarchique
ministérielle doivent s’exercer pleinement et le faire savoir. Mais sans
heurter inutilement les personnels. Si le gouvernement récuse la remise
5
d’un récépissé à chaque contrôle , il lui faut trouver d’autres solutions pour
« objectiver » ces contrôles 6 qui exaspèrent ceux qui en sont victimes à
répétition sans grand gain pour la sécurité générale. Encadrement rapproché
et formation continue en sont certainement les piliers.
Car la réalité du monde n’est ni un conte pour enfants ni une robinade
des bois.
Ces flottements autour de la force relèvent de deux malentendus.
Le premier malentendu
Il tient à ce que la force publique va défendre un état du droit lui-même
issu de forces contradictoires et souvent perçu comme « consacrant,
sacralisant un état de forces ». « L’ordre présent est le désordre mis en
lois 7. » La force préserve la domination du puissant du moment, qu’il
s’agisse du magnat de la mine 8, de l’industriel de la viande 9, de l’armateur
de la pêche au crabe 10, ou du propriétaire latifundiaire 11. Dans tous ces
romans de l’exploitation du travail, le policier ou le soldat n’est jamais loin.
Derrière le sabre se cache le propriétaire ou le capitaliste. Car, ainsi que
l’enseignait Hauriou, encore, « l’écueil de la théorie serait d’en arriver à
justifier le simple fait accompli ; on retomberait ainsi dans la maxime
d’Ihering “la force crée le droit” traduit par Bismarck “la force prime le
droit”. » Vladimir Jankélévitch aboutit à la même conclusion 12 : « La
tactique des violents n’est-elle pas de fabriquer des faits accomplis ? Quand
ce ne serait que parce que la violence victorieuse crée, par sa victoire
même, un état de fait […]. La guerre n’est pas juridique ; mais elle est
jurigène, source de normativité et principe d’une légalité nouvelle, et c’est
en cela que la “force crée le droit” ou, plus exactement, que la valeur naît
du fait pur. »
La force sert le droit mais quel droit ? Les Évangiles (Marc 11, 21 ; Luc
19, 45 ; Jean 2, 14) décrivent les vendeurs chassés du Temple. Tendance
constante à forcer l’autre. À le contraindre à respecter l’idée qu’on se fait de
la loi. Avant de saisir son fouet, Jésus aurait pu se demander quel était le
règlement d’usage du Temple et quelles traditions municipales toléraient les
marchands… La force utilisée ici pour faire prévaloir sa propre conception
de la justice participe de sa possible injustice. Ce célèbre passage a suscité
bien des commentaires dont celui de Paul Gadenne 13 : « Maudite cette
activité vénale et bruyante, maudit le péché de vendre et de gagner – gagner
l’horrible chose ! Comme on comprend la colère de Jésus devant la
camelote sordide de ces marchands acharnés à leur bénéfice, avec quelle
joie pure il avait renversé à coups de pied leurs étals sanguinolents, leurs
tréteaux ridicules, dans une envolée de colombes ! Le fouet, le fouet pour
les marchands, beurre, immeubles ou canons ! » Chez Gadenne, la force
apparaît mise au service d’un quasi-lynchage, dans un parfum suspect
d’impureté de l’argent et de marché noir, possible réminiscence des
perversions de l’Occupation. Pour d’autres, qui relèvent que le fouet n’est
pas manié contre les marchands mais contre leurs étals, le message de
l’Évangile est que la justice doit parfois s’imposer par l’autorité de moyens
contraignants.
Car, avant d’utiliser la force, chacun peut et doit se demander quel ordre
cette force va servir 14. Si, avec Jean Rouaud 15, on retient que « l’ordre n’est
qu’une variation algorithmique 16 subjective du désordre », il arrive souvent
qu’à vouloir produire de l’ordre, notamment par la force, on substitue
simplement « au chaos, un autre chaos avec cette différence pour nous que
celui-là ne nous était pas familier ». Dans quels cas alors, et dans quelles
circonstances la force crée-t-elle un désordre nouveau ?
Jean-Jacques Gleizal expose dans Le Désordre policier 17 que la police
ne se réduit pas à un instrument de domination : « Ce n’est pas un hasard si
ce sont les marxistes [il se réfère ici à Althusser] qui ont forgé le concept
d’appareil répressif d’État pour désigner la place de la police dans le
processus de domination. » Au-delà du marxisme, la police démocratique
accroche aussi le puissant pour corruption ou discrimination.
Mais qu’en est-il quand la force fait face à l’insurgé, de Vallès au lycéen
contemporain, qui est l’avenir du pays ? En certaines heures, Zola, de
Gaulle, Jean Moulin ont été des insurgés… De cette incertitude
fondamentale naît ce permanent soupçon contre la force du moment.
C’est là que nous devons être rattrapés par la sociologie. Comme pour
la question « à qui profite le crime ? », il faut s’interroger : quelle est la
cible de la force ? Quelle situation cherche-t-elle à rétablir ? De ce point de
vue, il est facile de constater que, de fait, la cible de la force publique reste,
fonctionnellement et quantitativement, les pauvres, les étrangers, les jeunes,
les classes laborieuses, classes dangereuses ou, aujourd’hui, dangereuses
parce qu’elles ne sont même plus laborieuses du fait du chômage. Le
« nettoyez-moi ça » utilisé contre les gens du voyage est déjà dénoncé dans
L’Homme qui rit de Victor Hugo (1869) ; les voisins se sont plaints : « Le
shérif a pris des mesures. Ce soir il n’y aura plus une seule baraque de
bateleur sur cette place. Fin des scandales […], l’honorable gentleman […]
est arrivé cette nuit de Windsor. Il apporte des ordres. Sa Majesté a dit – il
faut nettoyer cela. » L’Autre est mal supporté. Alfred Polgar (1873-1955)
reste sans illusion : « La pauvreté et la police ne s’entendent pas bien
ensemble (celle-ci ayant pour rôle essentiel de faire obstacle aux trop
bonnes idées qui pourraient venir à l’autre), entre ces deux-là s’est établie
une hostilité naturelle comme entre le rat et le chien, l’œil et le poing,
18
l’imagination et le règlement . »
En comparaison, la litanie constante et plus ou moins volontariste 19 sur
la lutte contre la délinquance en « col blanc » ne donne pas les résultats
attendus. L’ordre de la rue mobilise plus la force que la lutte contre les
coffres-forts suspects. Peut-être parce que le coffre est fort.
Il n’en va pas différemment aux États-Unis où la question est posée 20 :
« Is it a crime to be poor ? »
Pour être force, la force doit être, sinon légitime, du moins acceptée et
reconnue comme « la nôtre », celle de chacun d’entre nous, les citoyens. Si
par nature, par apparence ou par comportement, elle s’affiche comme la
force des autres, elle ne sera jamais la force légitime. Quand la police de
Nouvelle-Calédonie recrutait, par inconséquence de ses concours de
gardiens de la paix, 95 % de Caldoches pour une population locale mêlant
Caldoches et Kanaks à égalité, la force était une « institution
malentendu(e) ». C’était la « force blanche » tout aussi tragique, en sens
inverse, que la précitée « force noire » de Mangin.
Chaque citoyen doit se souvenir, lors des élections politiques, qu’il
choisit aussi ceux dans les mains desquels il va remettre la force publique.
Il sait que, successivement, Engels dans L’Origine de la famille, de la
propriété privée et de l’État (1887), Lénine dans L’État et la Révolution
(1917) ou John Strachey avec The Theory and Practice of Socialism (1936)
ont théorisé l’idée que la force organisée n’est nécessaire que lorsque existe
un conflit d’intérêts au sein de la société. Le livre récemment traduit en
français du juriste suédois Karl Olivecrona, De la loi et de l’État 21, campe
exactement cette suspicion fondamentale portée sur la force au regard des
soubassements sociologiques et politiques de l’État, qui la modèlent et la
commandent.
Dans la même tradition, le livre récent de Geoffroy de Lagasnerie,
22
Juger. L’État pénal face à la sociologie , s’il fleure bon la tradition
marxiste et décrit, après d’autres, un droit biaisé par les antagonismes
sociaux, n’a pas tort d’évaluer notre système pénal aussi au regard des
personnes saisies par une force non préparée à la diversité de la société.

Le second malentendu
C’est lui qui fait vaciller la confiance en la force et il tient à ce que la
force peut s’entraîner elle-même dans un maelström périlleux.
Si l’on n’y prend garde, la force s’impose par le mirage de la facilité et
bouscule tout sur son passage. La force attire la force, la force se met en
scène et s’autocélèbre, ses titulaires et plus encore la population s’y
habituent. La force se renforce.
Et quand elle se renforce, elle se rengorge et se sourit à elle-même. La
complaisance de la force à son propre égard est dangereuse parce
qu’inépuisable. Le ministre Rougon est grisé par son métier de maître de
l’Intérieur. Le pays le craint, les manettes lui répondent, il est au centre de
tout parce que ministre de la force : « Il avait écrit dans une circulaire :
“C’est aux bons à se rassurer, aux méchants seuls à trembler.” Et il jouait
son rôle de Dieu damnant les uns, sauvant les autres, d’une main jalouse.
Un immense orgueil lui venait, l’idolâtrie de sa force et de son intelligence
23
se changeait en un culte réglé . » Pour Rougon, la force est à la fois une
esthétique de vie, un parfum qui l’enveloppe, et sa raison d’être.
Il s’agit de forcer la sécurité pour tous. Et c’est alors que la situation se
dégrade, quand la force devient majuscule… Avec Claude Simon décrivant
une perquisition, méfions-nous de la Force avec un grand F : « Il semblait
s’avérer que ce mot [sécurité] devait posséder un double sens car c’était
précisément celui-là que le chef de l’expédition avait articulé pour
s’annoncer en pénétrant dans la pièce, l’affublant – quoi qu’il ne fût pas
écrit, seulement prononcé – d’une majuscule, ce qui apparemment en
changeait le sens, la sécurité avec un grand S se révélait le contraire de celle
pourvue seulement d’une minuscule. »
Dès qu’elle se pare elle-même de majuscules, la force prend ses aises.
Elle revendique une place équivalente à celle des autres majuscules : la
Liberté, la Justice, l’État. La mission de la République est alors de la
remettre à sa place. C’est ce qu’avait bien fait le Conseil d’État quand, en
1994, le gouvernement lui présentait un projet de loi d’orientation et de
programmation relatif à la sécurité, en disjoignant le premier article sur le
« droit à la sécurité ». Le rapporteur notait :

Le texte montre […] dans la situation actuelle et prévisible, un


certain optimisme, en posant le principe d’un droit à la sécurité qui
laisse perplexe ; certes on peut trouver à l’énoncé d’un tel droit une
parenté avec le préambule de la Constitution de 1946 mais, quel que
soit le degré de généralité avec lequel ont été proclamés en 1946 les
principes particulièrement nécessaires à notre temps, ils ont valeur
constitutionnelle ; posé par une loi ordinaire, le droit à la sécurité est
24
dépourvu de substance juridique .
Les scrupules du Conseil d’État n’impressionneront pas : la loi no 95-73
er
du 21 janvier 1995 commence par un retentissant article 1 : « La sécurité
est un droit fondamental et l’une des conditions d’exercice des libertés
individuelles et collectives. L’État a le devoir d’assurer la sécurité […]. »
Ce texte traversera sans incident les péripéties politiques avec les lois des
15 novembre 2001 « relative à la sécurité quotidienne », 29 août 2002,
18 mars 2003 « pour la sécurité intérieure » jusqu’à la loi du 14 mars 2011
« pour la performance de la sécurité intérieure ». Il plastronne aujourd’hui
au premier article L. 111-1 du Code de sécurité intérieure.
Forte d’elle-même, la force met en avant l’efficacité et les résultats
qu’elle doit à la société pour démontrer que les garanties fondamentales
qu’on veut lui imposer sont au mieux des pertes de temps, souvent un luxe
improbable, et au pire un facteur d’échec et de succès pour les adversaires.
Sous tous les temps, la force risque de se déchaîner et de causer du tort à
ceux à qui elle est en principe tenue d’obéir. Dans ses Mémoires pour
l’instruction du dauphin 25 Louis XIV rappelle, parmi ses conseils les plus
impératifs, qu’il faut tenir ses troupes : « Moi-même ayant appris qu’un
capitaine d’Auvergne avait pris trois cents livres des habitants de Rethel
pour les exempter d’un séjour, je le cassais sans vouloir entendre mille
personnes de qualité qui m’importunèrent pour lui. » Déontologie de la
e
force au XVII siècle. Encore le roi ne prend-il pas cette décision par morale
mais par pur intérêt de gouvernement. Car « c’est une grande erreur parmi
les souverains de s’approprier certaines choses et certaines personnes
comme si elles étaient à eux ». La force n’est pas une troupe de rapine.
Et pourtant, au cœur du maelström périlleux, la force est dubitative, si
ce n’est même rétive, quand elle contemple la justice pour laquelle, en
principe, elle travaille. Truman Capote exprime bien ce doute. Or, comme
souvent, ce qui vaut pour les États-Unis vaut quelques années plus tard pour
la France : « Même un avocat de peu de talent arrive à ajourner la date du
châtiment pendant des années, car le système d’appels qui pénètre la
jurisprudence américaine équivaut à une roue de la fortune judiciaire, un jeu
de hasard plus ou moins établi en faveur du criminel, que les participants
jouent interminablement, en premier lieu devant les tribunaux de l’État,
puis devant les cours fédérales jusqu’à ce qu’ils arrivent au tribunal final, la
26
Cour suprême des États-Unis . » Le policier français songerait plus à la
roulette russe qu’à la roue de la fortune… Il n’en penserait pas moins, bien
souvent, que ses efforts d’enquête peuvent être dissous en quelques attendus
de justice. Dans sa vulgate professionnelle, il est bien vu de douter de la
justice.
Que n’a-t-on entendu la force de police pester contre la procédure
pénale : complication, empêchement, ralentissement, paperasserie. Et
parfois défiler devant les tribunaux quand ce n’est pas manifester place
Vendôme ! Combien de ministres ont eu la faiblesse de promettre avec
componction aux syndicats de police un « allègement », une « réforme » de
la procédure pénale… Au lieu de faire leur devoir qui est d’éduquer,
d’expliquer, de démontrer qu’une force démocratique est construite par le
Code de procédure pénale qui, lui-même, s’adosse à la Constitution.
Tocqueville l’avait bien compris, lui qui critiquait dans l’Ancien Régime
l’absence de vraie procédure pénale : « On aimait mieux faire peur que faire
mal. Ou plutôt, on était arbitraire et violent par habitude et par indifférence,
et doux par tempérament […] la douceur de l’arrêt cachait l’horreur de la
27
procédure . » Un pays qui n’a pas de procédure pénale digne de ce nom
pour canaliser la violence de ses institutions et de ses concitoyens court à la
révolution…
Les choses commencent à bouger dans l’intérêt commun de la police et
de la justice. Procureurs et commissaires travaillent à ce qui est possible,
comme le PV unique à l’issue de la garde à vue et les PV allégés tels que
pratiqués au parquet de Bobigny. Une circulaire du garde des Sceaux du
8 septembre 2016 sur les « mesures de simplification de la procédure
pénale » recommande toutes les simplifications possibles permises par un
o
décret n 2016-1202 du 7 septembre 2016. Il restera à bien veiller à ce que
la simplification, non seulement évite la répétition de formalités inutiles,
mais maintienne aussi le contrôle du procureur là où il veille directement
aux libertés essentielles comme, par exemple, sur les réquisitions
d’interceptions de communications ou de listes de clients d’établissements
privés.
Ce malaise de la force ne peut être surmonté qu’à la condition que la
force soit tenue et commandée par un exécutif démocratique, respectueux
de la loi et strictement contrôlée par le Parlement.

La force est dangereuse


Elle est explosive, à manipuler avec précaution

La force est dangereuse. La sociologue Eva Illouz marque sa réticence


au mot « force » : « Je n’utilise jamais le mot “fort-e” pour désigner les
autres. […] parce que le mot m’a toujours semblé chargé de relents de
darwinisme qui, au fond, est une philosophie de la nature divisant le monde
en organismes forts et faibles et qui voit dans la force un mécanisme tout
28
aussi naturel qu’inéluctable et nécessaire . » Dans cette perspective, la
force est tout au plus un outil, certainement pas une référence, encore moins
un idéal.
Par nature, la force est dangereuse tant pour elle-même que pour tous
les citoyens.

Dangereuse pour elle-même,


parce qu’elle use ceux qui la servent
Dans la seule police nationale, une quarantaine de fonctionnaires se
suicident par an, 55 en 2014 29. Dans la gendarmerie, 25 en 2015. Et le fait
pour les autorités de montrer leur force peut durcir la réaction des
oppositions. Nizan imagine une grève en 1910, où la seule apparition des
dragons appelle une réplique des ouvriers à la hauteur de cette menace par
force publique : « Les grévistes étaient massés dans le haut, les dragons
étaient en bas avec leur grande vache de lieutenant qui faisait cabrer son
cheval pour nous impressionner. Nous avons lâché sur eux des camions qui
étaient là : il y avait juste à desserrer les freins […], je les vois encore
dévaler la côte, nous n’avons plus rien vu que la queue des chevaux et la
queue des casques […], la police n’avait pas toujours raison 30. »
Des menaces aux tentations, d’autres fonctionnaires basculent de l’autre
côté du miroir quand ils ne savent plus exactement où se situer. Comme ce
directeur de prison qui craque pour une de ses détenues impliquée dans un
crime indigne et nous inflige sur ce naufrage personnel et fonctionnel, plus
Bidermeier que vraiment tragique, un livre puis un film aussi inutiles l’un
que l’autre 31.

Dangereuse pour tous les citoyens,


parce qu’elle ne trouve pas naturellement
ses limites dans l’attitude
de ses interlocuteurs
Elle s’habitue à ce qu’on la flatte en lui répétant qu’elle est
indispensable à tous. D’Holbach mettait en garde en 1792 : « Les hommes
ont une telle estime pour la force, qu’ils l’admirent même dans le crime ;
c’est là […] la source de l’admiration que les Peuples ont souvent pour les
destructeurs du genre humain. En général, tout ce qui annonce une grande
vigueur, une grande fermeté, une grande opiniâtreté, paraît surnaturel au
vulgaire qui s’en trouve incapable 32. » Voici bien le moteur des votes
protestataires, le motif des extrémistes de la force qui surjouent la
détermination et l’autorité contre tous les autres. Le philosophe doit jouer
un grand rôle dans ce décodage de l’envahissement par la force, contre les
fanatiques et les imposteurs.
En commençant par la nécessité de prendre conscience de ce danger. En
maintien de l’ordre, l’impératif est à la retenue. Parfois, ce peut être l’art de
33
ne rien faire et, toujours, l’art de ne pas trop en faire .
Soit l’art de ne rien faire, parce que le remède serait pire que le mal. Et
qu’une foule survoltée se gère avec subtilité. Depuis le maniement des
34
foules chez Ammien Marcellin jusqu’à La Psychologie des foules de
35
Gustave Lebon qui rappelait « la foule n’est pas seulement impulsive
et mobile. Comme le sauvage, elle n’admet pas d’obstacle entre son
désir et la réalisation de ce désir ». Opposer une contre-force à la force
incandescente de la foule manifestante, et/ou brusquement vibrionnante,
est l’un des exercices de force les plus incertains. Depuis toujours, les
autorités tentent de civiliser l’embrasement des foules comme par cet
édit du 23 août 1787 portant « règlement de police pour le jour des
expériences aérostatiques du sieur Blanchard : nous voulons prévenir
les accidents que le trop grand afflux de monde pourrait occasionner sur
l’esplanade de cette ville, le jour où le sieur Blanchard y fera ses
expériences aérostatiques ». Il n’est question que de barrières, de
contrôle des flux, d’interdiction et de nombre d’accès et de sorties.
Les fans zones de l’Euro 2016 de football ont de bien de lointains
prédécesseurs…
Ne rien faire : cette tactique de l’abstention peut susciter des critiques
virulentes (« La police n’a pas bougé ») et des atteintes aux deniers publics
car survient alors le constat de la carence des autorités de police et
36
l’engagement de la responsabilité de l’État . Mais elle a sa place dans la
stratégie de force qui laisse toujours une issue aux coulées de lave quand la
foule est volcanique.
Soit l’art de ne pas trop en faire, parce que la force sur le territoire
national est conçue pour interpeller et non pour abattre. Chaque fois
qu’un journal rapporte les cris à la lecture d’un verdict de légitime
37
défense d’un policier « la police tue et la justice acquitte ! », la
fracture se consolide entre les forces de l’ordre et certaines parties de la
population (cf. ci-après).
Le principe ne vaut pas que pour le maintien de l’ordre public.
Désormais 38, les brigades anticriminalité (BAC) et les compagnies
républicaines de sécurité (CRS) seront dotées de fusils d’assaut allemands
HKG36 pour pouvoir « répliquer aux tirs d’armes de type Kalachnikov ». Si
ces armes, légères et souples d’utilisation, sont nécessaires pour lutter
contre les criminels surarmés qui ont frappé en 2015 et pourraient frapper à
39
nouveau , il faudra organiser strictement leur usage car il s’agit d’une arme
de guerre : tir au coup par coup, à deux coups ou en rafales, nature des
munitions, blindées ou non. L’ironie du secrétaire général du syndicat
UNSA-police au printemps 2016 (« On ne va pas sortir sur un différend
familial avec un G36 ») ne nous rassure pas entièrement… d’autant que le
ministère allemand de la Défense 40 est en procès avec Keckler et Koch, le
producteur de l’arme, du fait de défauts révélés à haute température de tir
en condition de guerre. Même si le tribunal de Koblenz finit par donner
raison à l’entreprise le 2 septembre 2016 en relevant que l’arme correspond
exactement à la commande de la Bundeswehr, l’État allemand estime que
l’arme est dépassée et publie les caractéristiques de la nouvelle génération
qui remplacera le G36. En attendant, le G36, bientôt remisé en Allemagne,
prospère en France…
La dangerosité de la force publique implique de tels débats, aussi
douloureux que délicats pour la cohésion de la nation. Longtemps, par
exemple, le nom de Jacques Foccart concentrait les doutes, faits de rumeurs
d’opérations « homo » (pour homicide) contre les adversaires de la France
en Afrique et d’opérations en marge, au service du SAC (service d’action
41
civique). Une récente bande dessinée conforte l’homme dans son statut de
deus ex machina des forces souterraines. Une biographie 42 ramène le même
« homme de force » à son rôle d’ancien résistant, écouté du général de
Gaulle et boussole africaine de plusieurs présidents. Qui croire ? Le halo de
mystère renforce encore l’image de force de l’intéressé.
Sur les opérations « homo », Vincent Nouzille affirme lever une partie
43
du voile . En même temps, le livre de David Revault d’Allonnes, Les
Guerres du président, détaille 44 les opérations ciblées, c’est-à-dire les
« destructions ciblées » que la France pratique au Sahel et en Syrie sur ceux
qui s’opposent à ses armées. Il cite le président de la République : « Ce sont
les premiers morts à propos desquels je peux me dire que, si je n’avais pas
pris cette décision, ils ne seraient sans doute pas morts. C’est une très grave
responsabilité… » Il faudra un second livre pour que les mêmes
informations suscitent des réactions : imprévisibilité des lectures de la
force…
L’art de ne pas trop en faire n’interdit toutefois pas de disposer de trop
de force. Trop de force pour la montrer et pour ne pas avoir à s’en servir.
Un préfet de police raisonnablement professionnel devrait avoir lu Saint-
Simon, Comment calmer les séditions dans Paris affamé en 1709 :
« Aussitôt après on pourvut bien soigneusement au pain. Paris fut rempli de
patrouilles, peut-être un peu trop, mais qui réussirent si bien qu’on
45
n’entendit pas depuis le moindre bruit . » Le « un peu trop » est danger
mais le « pas assez » peut être catastrophe.
Pour passer du malaise suscité par la force à l’éloge de la force, il
faudra, toujours et toujours, de la formation, du commandement, du
contrôle au sein des personnels qui en sont les détenteurs légitimes.
La force sait avoir des prétentions
Cedant arma togae n’est pas une formule absolue

« L’origine de l’asservissement des peuples est la force complexe des


gouvernements. Ils usèrent contre les peuples de la même puissance dont ils
s’étaient servis contre leurs ennemis 46. » Saint-Just se méfiait et proclamait
en conséquence dans sa proposition de Constitution montagnarde de 1793
au chapitre « de la force publique » : « Il n’y a point de généralissime » et
« Dans les triomphes, les généraux marchent après leur armée ».
Dès 1959, Jean Carbonnier soulignait « la montée de la police (dont
témoigne par exemple, en France, le Code de procédure pénale de 1957). Il
y avait toujours eu une police. Mais ce n’était qu’un métier d’exécution et
médiocre. Ce qui est nouveau, c’est sa promotion au rang d’institution du
droit, d’où elle tirera une vigueur accrue ». Le danger étant que la force
s’affirme et se perçoive elle-même comme plus intelligente et plus sérieuse
que le peuple et donc apte à le commander si ce n’est à le… remplacer.
Aujourd’hui encore, quelques généraux n’ont pas admis la réaffirmation
par le décret no 2013-816 du 12 septembre 2013 47 de l’autorité du ministre
de la Défense sur le chef d’état-major : en mai 2015, dans la Revue des
Deux Mondes 48, le général de Bentejac proteste contre la réécriture de
textes qui assurent la primauté du ministre de la défense sur le chef d’état-
major :

Depuis 2013, en France [le ministre] est aussi « responsable de


l’emploi des forces », le chef d’état-major étant « responsable
de l’emploi opérationnel des forces ». Cette subtilité sémantique
permet toutes les interprétations. En pratique, ce n’est pas une
nouveauté. La plupart des ministres ayant été tentés de s’immiscer
dans la conduite des opérations. Certains, comme Charles Hernu,
ayant une quasi-délégation dans ce domaine du président de la
République. Pourtant, en consacrant ce maillon supplémentaire dans
la chaîne de commandement, on accroît la confusion dans les
responsabilités, d’autant que les moyens actuels de communication
favorisent la tentation du micromanagement. Or le chef d’état-major
a une responsabilité personnelle devant l’histoire et devant le
peuple.

Il faut se rendre compte de la philosophie qui sous-tend ce passage où le


ministre « s’immisce » et constitue un « maillon supplémentaire » face au
chef d’état-major, responsable devant l’histoire. Certes, chacun son métier :
le ministre de la Défense n’a pas plus à jouer le chef de terrain que le
ministre de l’Intérieur n’a à distribuer les forces sur la carte d’une
manifestation. Le chef d’état-major a vocation à maîtriser l’emploi des
forces et à concevoir et exécuter une stratégie. Mais l’usage du concept de
« chaîne de commandement » pour comprendre à la fois le chef d’état-
major et le ministre est réducteur, comme la « chaîne pénale » en justice.
Parce que les chefs d’état-major et le ministre n’exercent pas des missions
de même nature. Cette théorie semble participer d’une certitude sur
l’infaillibilité du chef d’état-major qui n’est pas appropriée au partage entre
professionnels et politiques.
La grandeur de la force est au contraire de se souvenir, à chaque instant,
qu’elle est au service de la nation, incarnée par son gouvernement issu des
urnes. Donc, qu’elle est commandable et commandée.

Plus généralement, la force est prise d’une irrépressible envie de


communiquer. Pour s’imposer. Elle pense, sous toutes les latitudes, qu’elle
a un droit et presque un devoir de converser avec la nation. Parce qu’elle est
la défense nationale ou la police nationale. Elle connaît alors l’un des trois
modes de communication de force : le mode syndical, politique ou
pronunciamentiste. Quand ce n’est pas à la fois les deux premiers. Le
troisième est un risque des périodes tragiques.
Le mode syndical est le mode de communication de la force le plus
compréhensible, même s’il pose question. Que les militaires français en
Afghanistan protestent contre l’insuffisance des blindages, au Mali
contre les défectuosités du ravitaillement, que les agents de police
pestent contre leurs véhicules d’un autre temps, ce qu’ils appellent entre
eux leurs « poubelles » face aux bolides des go-fast, rien de plus
normal. Comme tout organisme, les institutions de la force doivent
s’organiser pour écouter la rumeur dans leurs propres rangs, et infléchir
la politique en tenant compte des besoins des hommes de terrain.
En ce domaine précis, police et armée ne sont pas si différentes, si ce
n’est que la police reconnaît le droit syndical et ne se prive pas de l’exercer
jusqu’à s’installer dans le rôle de consultant non sollicité, de porte-parole de
l’institution au verbe catégorique ou de symbole de la colère contre le
manque de reconnaissance sociale.
Le mode de communication politique de la force est plus sensible quand
policiers et généraux commentent, regrettent ou, plus rarement, se
félicitent de la conduite des opérations de force. En mettant en question
tel ou tel choix gouvernemental, en reconsidérant publiquement la
stratégie du pays, les hommes de force peuvent affaiblir l’État en
affichant l’autonomisation de la force, le bras armé qui se permet de
critiquer la tête.
La liste est longue des hommes de force sanctionnés par le pouvoir civil
lequel ne pouvait, sans réagir, laisser s’afficher l’uniforme contre les
positions du gouvernement. Quand en Israël 49, le Forum des 200,
association d’influence qui regroupe des généraux de réserve, des anciens
chefs des services secrets Mossad, Shin Beth et des policiers à la retraite, se
permet de déclarer publiquement en 2015 que « sans processus de paix avec
à la clé un accord définitif mettant fin au conflit israélo-palestinien, Israël
court à sa perte », le coup est rude pour le gouvernement Netanyahou et,
quel que soit le bien-fondé de l’alarme, la confiance des citoyens dans leurs
autorités s’en trouve ébranlée.
En France, le général de réserve qui manifeste, devant les caméras de
télévision, contre les migrants à Calais est administrativement sanctionné en
2016. Mais il sera pénalement relaxé en mai de la même année des deux
infractions qui lui étaient reprochées : organisation d’une manifestation
interdite et non réponse aux sommations de dispersion.
S’agissant de la parole de la force, les conditions de son expression
comptent plus encore que le fond de celle-ci.
Plus grave et plus tragique, le mode pronunciamentiste de
communication de la force est la négation de la démocratie. À un
moment, la force pense qu’elle a le devoir de « sauver » la nation. La
Boétie, déjà, mettait en garde les princes et les tyrans : « Celui qui
penserait que les hallebardes des gardes et l’établissement du guet
garantissent les tyrans, se tromperait fort. Ils s’en servent plutôt, je
crois, par forme et pour épouvantail, qu’ils ne s’y fient. » Il ajoute qu’il
y a plus d’empereurs romains tués par leur propre garde que par
l’ennemi. La force est tentée de prendre la place ou au moins de la
libérer pour autrui…
Notre pays, grand consommateur de Constitutions, a une certaine
expérience en ce domaine. Il se souvient qu’il y eut Bonaparte venu
terminer une Révolution, un général Boulanger, ministre de la Guerre en
1886, déchaînant des passions, que les généraux ministres de la Guerre et
les chefs d’état-major ont voulu imposer à la nation une injustice absolue
dans l’affaire Dreyfus, que le préfet de police Chiappe, en 1934, avait des
ambitions politiques, que Maurice Papon est passé des responsabilités de
préfet en Algérie à la préfecture de police avant de poursuivre une carrière
de politique et de ministre, qu’un « quarteron de généraux » a pu croire
qu’il allait sauver l’Algérie française en 1962… Et, plus jeunes, nous avons
tous été perplexes sur les ambitions du général Alcazar de Hergé…

La force sait s’autocélébrer


Une pratique de l’obligation de réserve à géométrie
variable

Avec la force, point n’est besoin d’attaché de presse. En de rares


moments, la force est célébrée. Le choix des formes de l’éloge de la force
révèle tout d’une société. Et de l’image qu’elle entend donner de son propre
pouvoir.
L’Ancien Régime prisait les exécutions, décrites avec minutie dans le
Surveiller et punir de Michel Foucault. Le lieu du supplice est entouré de
« cavaliers du guet, archers, exempts, soldats […], c’est qu’il s’agit bien sûr
d’empêcher toute évasion ou coup de force 50 ». La force du pouvoir se
connaît trop bien pour ne pas craindre la force du public. Mieux vaut donc
se méfier du « coup de force » pour réussir la mise en scène du coup du
bourreau patenté. Et d’affirmer que le criminel est un ennemi du prince.
« Toutes ces raisons – qu’elles soient de précaution dans une conjoncture
déterminée ou de fonction dans le déroulement d’un rituel – font de
l’exécution publique plus qu’une œuvre de justice, une manifestation de
force. » Sur le bûcher ou l’échafaud, la force se montre, se vante, se
proclame, se célèbre et, peut-être se rassure.
Force qui se montre est aussi le défilé militaire : admis, attendu
commenté envers et contre tout. Pourtant, assister au grondement des chars
qui pointent leur museau vers la tribune officielle et défoncent le goudron
de la place de la Concorde chaque 14 Juillet, a quelque chose
d’anachronique et de trouble. S’y ajoutent maintenant non seulement la
police nationale mais aussi la douane ou depuis 2016, la pénitentiaire. Nul
ne pense un instant (à part quelques esprits forts comme Céline 51, critique
de la « religion drapeautique »), interrompre cette mise en théâtre de la
force nationale. De même, l’incontournable et populaire calendrier des
pompiers est relayé, selon le décret no 2001-108 du 6 février 2001, par la
cérémonie de la flamme organisée sous l’Arc de triomphe pour la Journée
nationale des sapeurs pompiers. En revanche, le 14 Juillet, ne se pratique
plus que dans quelques villages lointains la procession républicaine au
monument aux morts face auquel le maire lit les noms des citoyens de la
commune tombés « pour la France » aux combats du siècle.
Force se montre aussi dans l’échelle diversifiée des récompenses au
travers desquelles l’État « salue, chaque fois que nécessaire et
solennellement, l’engagement » et l’abnégation des forces, parce qu’elles
méritent respect et considération. Le gouvernement d’Émile Combes
prenait le 3 avril 1903 un décret « portant création d’une distinction
honorifique spéciale aux agents de la police municipale et rurale ». Au
député J.-J. Urvoas (PS) qui demandait la création d’une « décoration
spécifique destinée à récompenser l’investissement exemplaire consenti en
octobre-novembre 2015 par les personnels de police et de gendarmerie », le
ministre de l’Intérieur 52 répondait que la reconnaissance de l’État se
manifeste déjà par la Légion d’honneur, l’ordre national du mérite et aussi,
pour les gendarmes, la médaille militaire. Et que l’engagement exceptionnel
peut être « souligné par l’octroi de plusieurs distinctions honorifiques telles
que la médaille de la sécurité intérieure, la médaille pour acte de courage et
de dévouement, ou pour les policiers, la médaille d’honneur de la police
nationale. S’agissant des gendarmes, différentes récompenses, auxquelles
ils peuvent prétendre du fait de leur statut militaire, leur sont également
décernées, notamment les citations comportant l’attribution de la médaille
de la gendarmerie ou de la médaille d’or de la défense nationale ». En outre,
au plan financier, la PRE, « prime de résultats exceptionnels », est octroyée
en cas de réussite particulière.
En de plus fréquents moments, la force se célèbre aussi elle-même. Du
bal des pompiers aux prises d’armes variées, des journées portes ouvertes
aux films policiers et aux documentaires autorisés à la gloire des enquêteurs
(« Les flics infiltrent les séries 53 »), la force éprouve le besoin de monter sur
la scène. En 2016, le quotidien gratuit 20 Minutes s’associe à l’armée de
l’air pour aller « à la rencontre de ses différents métiers ». Par une sorte
d’alliance improbable de « nos amis les bêtes » et du film de guerre, ce
journal présente la caporale M., maître-chien, et son berger belge malinois
Halto : une bonne condition physique, entre 17 et 25 ans et l’amour des
bêtes, pour 1 300 euros net par mois et la conviction de servir votre pays,
vous voilà maître-chien pour protéger les bases aériennes. La force sait se
présenter pour attirer à elle…
Tous les services de force possèdent d’excellents services de
communication qui multiplient les reportages de « journalistes
embarqués », lesquels ne boudent pas leur plaisir en se calant dans un
véhicule blindé ou dans un aéronef militaire du défilé, comme maints
présentateurs télévisuels des cérémonies du 14 Juillet, désuets soldats de
plomb casqués, littéralement pris en charge et hoquetant d’émotion leurs
commentaires prédéterminés.
Préfets, policiers, magistrats, militaires, agents de renseignement – et
non exclusivement les jeunes retraités – en viennent à se raconter et à
fréquenter plus assidûment la presse et les éditeurs que la rue ou les
prétoires. Au risque de se mettre en délicatesse avec l’« obligation de
réserve 54 ». En 1890, G. Macé, ancien chef du service de sûreté de la
préfecture de police, publie son sixième (!) livre de souvenirs : Mon musée
criminel, après Le Service de la sûreté, Mon premier crime, Un joli monde,
Gibier de Saint-Lazare et Mes lundis en prison. Il déclare vouloir dénoncer
les erreurs et proposer des réformes : « J’ai voulu sortir des anciens
errements en rompant le câble afin de bien montrer les ficelles. » Cette
formule forte peut résumer bien des projets de Mémoires de policiers et de
soldats qui, toutes, servent un éloge de la force en général et de l’auteur du
livre en particulier. Sans avoir nécessairement réfléchi sur le sens et les
55
limites de l’exercice de Mémoires .
Mais la congratulation réciproque n’est pas inconnue non plus, comme
le montre le très réussi La Police pour les nuls (First, 2015) du grand
policier Claude Cancès et de l’historien de la police Matthieu Frachon,
présentation enlevée des figures de ces dernières années, à la légende dorée
sur tranche.
Le monde se partage alors entre ceux qui écrivent pour l’histoire, ceux
qui écrivent pour leur histoire et ceux qui écrivent contre le gouvernement.
Ces catégories ne sont pas exclusives l’une de l’autre.
Dans la première catégorie, celle de la force historienne, figure le préfet
Haussmann avec ses Mémoires, les préfets de police Andrieux, avec
Souvenirs d’un préfet de police 56, et Lépine, avec Mes souvenirs 57. Ils se
construisent leur propre mausolée tout en contribuant à l’histoire. Le préfet
de mai 1968, Maurice Grimaud publie en 1977 58 En mai fais ce qu’il te
plaît, et le préfet Massoni Histoires secrètes de la République 59. René
Georges Querry, « grand flic » publie, en 2013, De Mesrine à DSK, la
commissaire des renseignements généraux Brigitte Henri nous rappelle : Il
faut que vous sachiez 60, et le docteur Matthieu Langlois nous présente sa
61
mission de Médecin du RAID .
Dans la deuxième catégorie, la force satisfaite, celle de la mise en scène
individuelle des souvenirs collectifs, figure un grand nombre de récits, par
ailleurs instructifs, de policiers et militaires, entre autres : Christophe
Caupenne Négociateur au RAID, le colonel Thierry Jouan Une vie dans
l’ombre, Maurice Dufresse Vingt-cinq ans dans les services secrets 62… et
même de magistrats qui commentent « leurs » affaires tels que Laurent
Davenas Lettre de l’Himalaya 63, Éric Halphen Sept ans de solitude 64 ou
Patrick Ramaël Hors procédure. Dans la tête d’un juge d’instruction 65.
Le plus préoccupant, dans cette catégorie, s’observe aux États-Unis
avec les navy seals, ces troupes d’élite connues pour leur raid contre Ben
Laden. Depuis deux ou trois ans, les autorités américaines peinent à
maîtriser le nombre d’ouvrages, de scénarios de films et d’entretiens tarifés
dans lesquels les soldats d’élite se sont précipités. Mais voici qu’en France
l’éditeur Pierre de Taillac lance une collection « Actions clandestines » de
thrillers dits « réalistes » écrits par des agents des forces spéciales : le
premier titre paraît en mai 2016, Djihad à Paris signé sous le pseudonyme
Marc Bowman. L’autocélébration prend le large.
Dans la troisième catégorie, celle de la force militante, on trouve le
général de gendarmerie qui, après avoir pris publiquement position contre la
politique pénale du gouvernement le 18 décembre 2013, reprend les mêmes
idées dans un livre 66. Il est relevé de son commandement de la gendarmerie
d’outre-mer en avril 2016 mais il est encensé dans la presse, où il est
devenu le « général Courage ». En 2016, l’ancien procureur général de
Paris attaque la garde des Sceaux dont il a servi la politique pénale, jetant
une lumière crue sur sa conception de la loyauté professionnelle 67. En 2009,
le commandant de gendarmerie Matelly avait été radié des cadres pour prise
de position contre la politique de défense du gouvernement avant d’être
réintégré par le Conseil d’État 68 et la Cour européenne des droits de
69
l’homme . Le général est sanctionné pour sa critique directement politique.
Le commandant est réintégré parce qu’il est considéré comme ayant
utilement participé à un débat d’intérêt général entre experts. Le magistrat
peut, quant à lui, raconter « ses » criminels et scénariser ses dossiers sans
grand risque. La cohérence de la réaction de l’État n’est pas manifeste.
CHAPITRE 4

Il faut organiser la force

Si nous assumons la force, il faut la penser. « Vu qu’il n’y a de richesse


ni de force que d’hommes », selon Jean Bodin. Et la penser c’est déjà
l’assumer pour l’utiliser au mieux.
Les futurs dirigeants du pays ont lu Montesquieu. C’est utile pour se
poser les questions qui les accompagneront toute leur vie aux
responsabilités :

Comme le principe du gouvernement despotique est la crainte, le but


en est la tranquillité ; mais ce n’est point une paix, c’est le silence de
ces villes que l’ennemi est près d’occuper. La force n’étant pas dans
l’État, mais dans l’armée qui l’a fondé, il faudrait pour défendre
l’État conserver cette armée. Mais elle est formidable au prince.
Comment donc concilier la sûreté de l’État avec la sûreté de la
personne ?

Ainsi, la question est posée. Si nous ne voulons pas du silence de la


peur sous la pression de la force, mais de la liberté par la force de tous, il
convient de tenter de répondre à l’interrogation de Montesquieu. À cette fin,
les nations ont besoin d’hommes idoines et de concepts.

Des hommes responsables


Le besoin de serviteurs mesurés mais sans faille

Pour exercer la force, il faut des hommes responsables. Que dire ?


Pourquoi pas des femmes ? L’expression courante de « femme forte » a-t-
elle son équivalent au masculin ? Déjà, en juin 1981, Michel Sardou, dans
sa chanson « Être une femme », célébrait « l’amalgame de l’autorité et du
charme » pour l’exercice féminin des métiers de la force : « flic, gardien de
la paix, gardien de prison, pompier de service, général d’infanterie et
d’aviation, agent secret ». Teresa, la Reine du sud de Pérez-Reverte, règne
naturellement sur le crime intercontinental. Jeanne d’Arc règne sur le roi et
le royaume comme « Emmanuel von Orléans 1 » l’a rappelé dans son
discours johannique du 8 mai 2016.
Pour penser puis exercer la force, il faut de vrais forts et non de faux
2
durs. Restons-en à la mise en garde de Proust : « Dans l’humanité, la règle
– qui comporte des exceptions naturellement – est que les durs sont des
faibles dont on n’a pas voulu, et que les forts, se souciant peu qu’on veuille
ou non d’eux, ont seuls cette douceur que le vulgaire prend pour de la
faiblesse. » Homme ou femme, jeune ou vieux, diplômé ou non, voici les
vrais forts, les hommes de force.
Les « hommes de force », selon l’inventeur de la formule, Constantin
Melnik, le conseiller sécurité de plusieurs premiers ministres gaullistes, sont
indispensables. Les grands ministres de l’Intérieur étaient eux-mêmes des
hommes de force, de Waldeck-Rousseau à Clemenceau, de Jules Moch
jusqu’à Raymond Marcellin, Charles Pasqua 3 ou Pierre Joxe. Il ne s’agit
pas de jouer la force en mimant l’autorité, ni de se faire photographier une
arme à la main. Si possible en la tenant dans le bon sens… Il s’agit de
préférer la détermination à la posture. Le chancelier Helmut Schmidt, qui
avait dû faire face à la « bande à Baader » avec l’assassinat en 1976-1977
du procureur général national, de grands banquiers et du patron des patrons,
envoie ses troupes d’élite prendre d’assaut un avion de la Lufthansa
détourné à Mogadiscio. Interrogé, bien longtemps après, sur la durée de sa
résistance au stress dans cette lutte antiterroriste sanglante, il avait répondu 4
à sa manière, nette et forte : « Je l’espère, un temps illimité. » Car les
hommes de force, comme les espions, s’engagent dans un destin sans retour
qui les marque pour la vie. Ces hommes engagés sont des hommes
immergés. L’homme de force : « À quelque étage qu’il soit dans la machine
de la police, ne peut pas plus qu’un forçat revenir à une profession dite
honnête ou libérale. Une fois marqués, une fois immatriculés, les espions et
les condamnés ont pris, comme les diacres, un caractère indélébile 5. » Les
hommes de force se reconnaissent entre eux, ne s’aiment pas mais se
respectent et se tendent la main parfois pour se sortir d’un mauvais pas. Ils
ne détestent pas être reconnus comme tels, et apprécient que le passant
détourne le regard face à eux mais se retourne pour les suivre d’un œil mal
à l’aise. Et ils adorent recevoir un surnom, marque suprême de
reconnaissance comme « le Breton » pour le grand
policier François Le Mouel, « Bob » pour le commissaire Broussard, le
« Bigeard de la police » selon René-Georges Querry, « le Squale » pour
Bernard Squarcini…
Les grands hommes de force se trouvent dans tous les milieux sociaux
et à tous les échelons des métiers correspondants. Deux personnalités du
e
XIX siècle aussi différentes que Martin Nadaud, ouvrier maçon devenu

préfet de Gambetta, député, siégeant au conseil de la pénitentiaire et le


prêtre italien Don Bosco 6 esquissant, face au ministre de l’Intérieur de son
pays, une première législation pénitentiaire, militent pour combiner force et
éducation. Cela marque bien que la prison, institution de force, attire, aussi,
des acteurs et des réformateurs engagés.
Parmi les professionnels spécialisés, quatre préfets de police, Louis
Andrieux, Maurice Grimaud, Pierre Verbrugghe ou Philippe Massoni qui
savaient faire peur pour produire de la paix, méritent qu’on s’attarde sur
leur personnalité.
Louis Andrieux (1840-1931), en fonction de mars 1879 à juillet 1881,
est l’homme qui ne demande pas la permission. Car il pratique l’adage
selon lequel on ne demande l’autorisation d’agir au ministre que quand on
est certain de son acceptation. Et de préférence après l’action. Fermement
persuadé que la police est politique par nature dans ses raids comme dans
ses abstentions, il finira député. Il adorait marauder aux confins de la
politique, des cabinets du pouvoir et de la délinquance. Ce maître de police
avait ses humanités. Avec ses faux airs de Gabin, il léguera à son fils,
Aragon, une gueule et du talent. Il est l’un de ceux qui assurèrent
l’établissement de la jeune IIIe République.
Maurice Grimaud (1913-2009), ancien conseiller au cabinet du ministre
de l’Intérieur Mitterrand, préfet de police de janvier 1967 à avril 1971, est
l’homme qui ne voulait pas de morts. Et qui a dirigé les forces dans la
tourmente de mai 1968, à travers les brumes des gaz lacrymogènes. Il
marque la haute conception du fonctionnaire qu’il était, face au risque d’un
nouveau 6 février 1934 flétri par ses quinze morts et la démission du
gouvernement d’alors : « En mai 1968, même s’il s’est produit un certain
flottement à la tête du gouvernement et de l’État, le préfet de police pouvait
assurer la continuité du maintien de l’ordre, parce qu’il dispose
traditionnellement d’une grande responsabilité, d’une réelle autorité et de
moyens importants. Je n’aurais pas pu jouer ce rôle si j’avais simplement
été un supercommissaire de police. » Dans cette interview rétrospective de
1990 7 où le préfet Grimaud parle de lui à la troisième personne, il faut lire
ces mots pour ce qu’ils sont, la quintessence de l’homme de force. Il écrit :
« Je maintenais la continuité du maintien de l’ordre » pour : « Je maintenais
la continuité de l’État. » Et il écrit : « Je n’étais pas un simple
supercommissaire de police », pour suggérer : « J’étais un
superfonctionnaire », ce que les Canadiens nomment un « sous-ministre ».
Et c’était vrai. Ce jour-là, la force était l’État et Maurice Grimaud était la
force. Il savait bien que, le 26 mai 1968, quand ses renseignements l’ont
conduit à penser qu’il fallait autoriser la manifestation au stade Charléty,
c’est lui, et lui seul, qui a obtenu un bougonnement approbatif du Général
pour ne pas avoir à tenter de faire obstacle à cette manifestation. La force
sait se retenir pour finalement prévaloir.
Pierre Verbrugghe (1929-…) en fonction d’août 1988 à 1994, est
l’homme qui ne voulait pas de tir en l’air. Car, dans la ville de Paris, il y a
toujours une petite fille au balcon qui pourrait prendre une balle perdue. Cet
homme sans illusions, un verre de whisky à la main seulement quand c’est
l’heure, avait l’œil pour diriger ses hommes, pour placer des effectifs
surestimés destinés à dissuader, pour défendre le périmètre sacré Beauvau/
Élysée. Il ne négligeait rien de ce que doit savoir un préfet de police, n’avait
pas la pudeur de ceux qui s’estiment salis par la lecture d’une note blanche
un peu tourbeuse, protégeait François Mitterrand qui l’avait fait directeur
général de la police en 1983 et préfet de police en 1988, respectait Jacques
Chirac et jaugeait son monde en quelques secondes. Il assumait ses
responsabilités sans broncher, devant la presse comme devant un juge
d’instruction. Sans jamais les reporter ni sur ses subordonnés ni sur ses
supérieurs. Il ne s’étonnait de rien, privilégiait la police efficace, craignait le
penchant des militaires, entre deux guerres, à se mêler de la production de
la paix civile et croyait à la défense de la République.
Philippe Massoni (1936-2015), préfet de police de 1993 à 2001 et déjà
cité plus haut, est l’homme qui n’ignorait rien de la puissance du secret 8. Il
est surnommé « Bouddha » pour son flegme inaltérable que sa connaissance
approfondie des hommes lui permettait d’opposer à toute incursion
extérieure dans ses mystères. Spécialiste reconnu du renseignement, il
appliquait ce conseil des hommes de marbre : ne jamais rien reconnaître.
Au ministre de l’Intérieur qui, en 1990, restituait à SOS Racisme les pièces
dérobées par quelque plombier public des années précédentes et
l’interrogeait sur l’origine de ce « dépôt », le préfet expérimenté s’étonnait,
les yeux dans les yeux, de ce que les Renseignements généraux aient pu
disposer de ces documents. Aussi à l’aise dans le tumulte d’une
manifestation que dans les salons des palais nationaux, fils de Jean et
d’Innocence, amateur de corsitude, commensal du comte de Paris,
connaisseur de la principauté d’Andorre, enjôleur par ses récits, inflexible
dans ses stratégies, vrai chef de service et des services, il était de ceux
qu’un silence profond accueille quand ils entrent en réunion. Et qui
demeure quelques minutes après leur sortie.
Quatre préfets de périodes différentes. Qui, littéralement, occupaient
leur fonction sans la laisser les occuper ni les posséder. Le corps préfectoral
mérite ici un hommage. Derrière l’homme ou la femme en uniforme figé
devant le monument aux morts se cache le métier, unique en France, sur
lequel repose très largement l’utilisation de la force. La grande qualité du
corps préfectoral et son sens républicain de la force sont très utiles au pays.
C’est l’un des métiers épisodiquement dans la lumière, mais
fondamentalement dans l’ombre, qui contribuent pour une part significative
à l’État de droit bien compris. En ce sens, l’affirmation du préfet de la
région Île-de-France et président de l’association du corps préfectoral, J.-
9
F. Carenco, en octobre 2016 , prend tout son sens : « Le devoir des préfets
est aussi de faire confiance à la justice car un préfet qui critique la justice
n’a pas sa place dans le corps préfectoral. »
L’attitude du corps préfectoral, pilier de la force civile, est
structurellement différente de celle de la force militaire. Dans De la
politique pure 10, Bertrand de Jouvenel distinguait les responsables
attentionnels et intentionnels : les premiers attendent ce qui peut arriver,
puis, quand quelque chose arrive, se disent : « Je dois trouver très
rapidement le moyen d’y faire face » ; et les seconds se concentrent sur leur
objectif : « Je sais ce que je veux accomplir ; mon travail consiste à trouver
les moyens pour en assurer la réalisation. » Les premiers, attentifs à la
menace qui peut prendre n’importe quelle forme (manifestation incertaine,
terrorisme…), correspondent plutôt à l’attitude du gardien civil de l’ordre
public, fondamentalement défensive et adaptée aux circonstances. Les
seconds, attentifs à la mission reçue qu’il s’agit de remplir au mieux et avec
les pertes minimales, représentent plutôt l’attitude du militaire,
fondamentalement disponible et volontaire. Même si civils et militaires sont
alternativement attentionnels et intentionnels.
En matière de sécurité, le préfet, « attentionnel » par fonction, n’hésite
pas à se mêler à ses troupes, pour sentir la situation et pas seulement depuis
sa salle d’état-major. Il lui revient de « préparer et exécuter les mesures de
11
sécurité intérieure ».
Les lois d’orientation sur la sécurité des 29 août 2002 et 14 mars 2011
ont confié au préfet la mission de coordonner l’ensemble du dispositif de
sécurité intérieure, hors la police judiciaire. Le décret du 29 avril 2004
relatif aux pouvoirs des préfets a confirmé cette orientation. Responsable de
l’ordre public et de la sécurité des populations, le préfet est l’« homme de
force » patenté de l’administration française. Il doit être présent, il doit
savoir, il doit pouvoir. Ses obligations ne sont pas de moyens mais de
résultat. « Monsieur (ou Madame) le préfet, la République compte sur vous.
Dém…-vous, il faut que ces troubles cessent » : Le préfet raccroche,
perplexe sur le sens du message ministériel ou sous-ministériel qui vient de
lui tomber dessus à toute heure du jour ou, de préférence, de la nuit. Il lui
reste à bien manœuvrer, à obtenir les forces mobiles nécessaires du préfet
de zone, à menacer, informer, expliquer, séduire ou promettre… et l’ordre
public sera rétabli. Il sait que le risque est pour lui. Il aura bien servi l’État
et ses hiérarques.
Avant de poster de telles dépêches impérieuses, le premier devoir d’un
dirigeant, a fortiori d’un ministre, est de prendre du temps pour penser
avant de commander. Il s’acquittera de cette tâche avec plus ou moins de
bonheur en fonction de l’état de sa propre réflexion. Et, de toute façon, il
devra s’entourer de conseillers aptes à la réflexion comme à l’opération.
Qui pense la force auprès du Prince dit beaucoup sur le Prince. Il existe
un cabinet militaire, des conseillers police, des conseillers justice mais
quelle dynamique, quelle stratégie à long terme ? Si personne, auprès du
Prince, ne pense la force en tant que telle, le Prince est en péril.
Marc Bloch a eu raison de revenir sur les origines de l’effondrement de
1940 en analysant en 1943 « un livre trop peu connu », celui du général
12
Chauvineau, Une invasion est-elle encore possible ?. En 1939, cet
ouvrage vantait la « manœuvre bétonnée » contre la mobilité des chars. On
sait ce qu’il en est advenu. Quand les hommes se trompent aussi
profondément et préfèrent Chauvineau au de Gaulle du Fil de l’épée et des
blindés, la force n’est plus pensée.
Or une force non pensée ou mal pensée retrouve son autonomie et sa
capacité de mener au désordre. Elle reste force, donc elle impressionne et
pèse. Mais elle renverse les objections et conduit à l’abîme.
Pour disposer d’hommes de force efficaces, il faut souvent des lieux
pour les porter. C’est à Pierre Joxe que l’on doit la création de l’Institut des
hautes études pour la sécurité intérieure (IHESI) en 1989, avec un superbe
discours d’inauguration de Jean Delumeau, éclaireur du sentiment
d’insécurité dans son Rassurer et protéger (Fayard, 1989). Devenu, depuis,
au prix de quelques tensions avec le monde de la justice, l’Institut national
des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), il poursuit cet
heureux effort de penser la sécurité, si possible en rapport harmonieux avec
la justice. Il a été présidé de 2013 à 2017 par un homme de synthèse entre
justice et police, tout à la fois conseiller à la Cour de cassation, sommité de
la procédure pénale et du droit de la police 13, ancien commissaire de police
et directeur de l’école des commissaires.
Dans le numéro 31 de sa revue Cahiers de la sécurité et de la justice,
consacré au vingt-cinquième anniversaire de l’institut en 2015, plusieurs
experts de la force témoignent que cette pensée est vivace à l’université,
dans les instituts et, aussi, chez les hommes d’action, les magistrats et
certains ministres. Et le 18 novembre 2015, quelques jours après les
14
attentats, le CNRS lançait à la communauté scientifique un appel à projets
pour opposer l’intelligence de la science à la terreur. Une soixantaine de
projets sont retenus depuis le suivi, dans la durée, des victimes et témoins
des attentats jusqu’à l’analyse lexicologique utile en cas de négociation de
crise, en passant par la question de la radicalisation. La force doit
comprendre et prendre appui sur les sciences.
Enfin, ces hommes de force sont si intéressants pour les pouvoirs
publics qu’ils font l’objet de toutes leurs attentions. En conséquence, ce
sont eux qui, en priorité, font l’objet de lois ad hoc comme la loi no 2011-
15
606 du 31 mai 2011 pour prolonger leur mandat quand le gouvernement
16
les juge indispensables : ainsi du préfet de police en 2001 ou du directeur
de la DGSE en 2016 17. Le poids et l’influence de ces grands serviteurs de
l’État de force se mesurent à ces lois « personnelles » de la République
reconnaissante… Et la nomination des directeurs des grandes directions
d’administration centrale de force opérationnelle (police, gendarmerie) est
exonérée de la procédure d’audition préalable par une commission
o
introduite par le décret n 2016-663 du 24 mai 2016. La force est trop
sérieuse pour être laissée au droit commun.

Les traits de la force à prendre en compte


Statistiques, efficacité, secret, anticipation
Plusieurs traits de la force doivent absolument être pris en compte.

La force doit connaître ses limites


Penser ce que la force peut donner, n’interdit pas, bien au contraire, de
réfléchir à ce qui lui est interdit. Dans sa Féodalité européenne, Marc Bloch
décrit l’État au début du Moyen Âge : « Aussi remarquable qu’ait pu être
l’effort de réhabilitation de la monarchie entrepris par les premiers
Carolingiens après un siècle de chaos, l’incapacité du gouvernement central
à exercer une réelle autorité sur un territoire bien trop vaste pour les forces
dont il disposait était de plus en plus flagrante et, après le milieu du
e
IX siècle, clairement irréversible. »

De quelle force disposons-nous ? Pour quel usage, quel espace, quelle


durée ? Est-elle renouvelable ? Le penseur de la force est d’abord un
historien du passé et du futur. Il ne lui est pas interdit de s’intéresser aux
18
comptes et aux chiffres. Il se souvient de Machiavel : « Quomodo omnium
principatuum vires perpendi debeant », soit, en français : « De quelle
manière les forces de toute principauté se doivent mesurer. » Les ressources
de comptabilité existent. Pierre-Victor Tournier, pour la justice et la
19
pénitentiaire, et Frédéric Ocqueteau ou Sébastian Roché, pour la police ,
ont publié des travaux qui pensent la force en la mesurant. De jeunes
chercheurs renouvellent l’approche, tant du côté de la justice que de celui
des ministères de sécurité. Et le ministre de la Justice installe, le 24 mai
2016, « l’observatoire de la récidive et de la désistance » créé par le décret
er
du 1 août 2014. Cet observatoire a pour objet d’« analyser
scientifiquement et statistiquement les causes et facteurs de récidive et de
désistance, terme désignant une sortie de la délinquance ».
Longtemps, le ministère de l’Intérieur ne disposait même pas de service
statistique alors que le ministère de la Justice avait su, depuis plusieurs
années, monter progressivement un dispositif en ce sens dirigé par un haut
cadre de l’Insee. Les deux ministères collaborent au sein de l’ONDRP
(Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale). Sur cet
organisme utile (il est né d’une démarche transpartisane, le rapport des
députés Caresche [PS] et Pandraud [UMP], commandé par le gouvernement
en juillet 2001), mais dont l’indépendance aux influences politiques reste à
conforter, il a fallu l’insistance de la ministre Christiane Taubira en 2012-
20
2013 pour obtenir que la statistique, « art royal » par excellence ,
« technique d’État mais aussi privilège de l’État », retourne aux
statisticiens. À la demande du ministère de la Justice, l’ONDRP est
désormais présidé par un haut cadre de l’Insee qui apporte sa science du
chiffre mais aussi, et pour les statistiques de la délinquance c’est essentiel,
son autorité déontologique.
L’ONDRP fait partie de l’Institut national des hautes études de la
sécurité et de la justice. L’important est que cet institut, comme les autres
lieux de pensée de la force, s’ouvre et s’aère vers la diversité des thèses et
des approches. Le gouvernement rend aux statisticiens ce qui n’aurait
21
jamais dû les quitter . L’époque n’est pas si lointaine où la polémique
faisait rage sur une « culture du chiffre 22 » qui privilégiait des statistiques
de vitrine sur la réalité de l’action policière.
Les chiffres ne se réduisent pas aux statistiques. La science doit
s’intéresser à l’approche économique du crime. Combattre le crime
23
implique de démontrer que le crime ne paie pas . Cette étude reste
largement à mener.

La force doit être efficace même quand elle


ne sert pas
Ce point prête à contestation pour les missions de garde et de « plante
verte » en faction devant un bâtiment public ou privé, même si l’on
n’imagine pas tel tribunal exposé, comme le tribunal de Paris, centrale de
lutte antiterroriste, gardé par d’autres que par des fonctionnaires ou
militaires. La meilleure dénonciation de ce type de « garde statique » ne se
lit pas dans les bulletins syndicaux de police mais dans un court texte
24
d’Alfred Polgar : « Les factionnaires honorifiques qui ne sont plantés là
que pour incarner une idée de respect ne devraient pas consister de soldats
vivants mais seulement artificiels. En bois ou en plomb. Parce que,
s’agissant d’éléments décoratifs, on ne devrait pas employer des êtres faits
de chair et de sang, mais seulement de la matière morte. » Viendront au
soutien de cette recommandation, non des figurines en plomb grandeur
nature mais les caméras, les filtres électroniques et les systèmes d’alarme. Il
y a bien longtemps que la force se bat contre ce qu’elle choisit de qualifier
de « charges indues » : par sa circulaire du 16 octobre 1918, déjà, le
ministre de l’Intérieur Jules Pams alertait les préfets sur « l’emploi abusif
de la gendarmerie » et leur demandait de ne pas utiliser la force pour des
missions administratives comme « enquêtes agricoles, statistiques,
recensement d’immeubles ».

En principe, la force a pour première


vocation de se montrer pour ne pas être
utilisée
Bien sûr, tout n’est pas montrable, un certain voile de mystère peut être
utile, ne serait-ce que pour faire rêver et craindre que la force soit plus
dangereuse qu’elle n’est. Mais elle a pour mission d’être perçue et comprise
par chacun. La surprise ou la crainte qu’elle suscite font partie intégrante du
halo de la force et donc de la force elle-même.
La force sera efficace tant qu’elle arrive à imposer l’idée qu’elle sera
efficace. Elle choisit ses moyens, suggère que « force reste à la loi » (cf.
plus loin) et qu’elle est réellement prête à servir.
La force ne frappe par surprise que quand
cette surprise est indispensable à l’efficacité,
par exemple pour se saisir de bandits armés
et prêts à répliquer
L’exemple le plus retentissant de cette discrétion d’État est l’opération
d’arrestation des Templiers impeccablement organisée par Guillaume de
Nogaret pour Philippe le Bel le 13 octobre 1307 : « Notons ici
l’extraordinaire emprise du roi sur ses officiers. Des dizaines de personnes,
à travers tout le royaume, étaient au fait de ce qui se préparait, et cela
quinze jours avant l’événement. Des dizaines de copies avaient été faites, à
la chancellerie, d’une lettre fort longue pour laquelle on avait dû mobiliser
25
tous les notaires du roi. Et rien n’avait transpiré . » En dehors de ces
« opérations spéciales », et notamment en ordre public, qui dit force dit
sommation préalable. Et lors des perquisitions administratives dans l’hiver
2015-2016 de l’état d’urgence, il n’était parfois nul besoin de commencer
par fracasser la porte comme si l’ennemi était embusqué en position de tir
dans le couloir de l’appartement. Tenant compte de ses échanges avec le
Conseil d’État, le gouvernement renonce légitimement aux perquisitions
administratives lors de la troisième prolongation de l’état d’urgence en
mai 2016 mais les rétablit après l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice et de
nouveau en décembre 2016.

La force est plus dangereuse quand elle


est secrète en elle-même,
au-delà de telle ou telle de ses opérations
Hannah Arendt lie fondamentalement le totalitarisme et la police
« secrète ». La liberté est en péril. Quand tout est secret, non seulement les
noms des agents mais jusqu’au nom des services : ce sont les « organes » ou
l’« organisation » Angkar, le noyau dur de tous les pouvoirs. Car la
démocratie nomme les choses. Aussi, la maîtrise des services de
renseignement par le pouvoir civil est au cœur de la démocratie, en
commençant par l’autolimitation des services quand ils sont bien
commandés.

La force se pense à temps et non seulement


en réplique aux catastrophes survenues
Les attentats de 2015 n’en sont pas le seul exemple. Il y a eu 1958 et la
menace des militaires félons, 1986 et Malik Oussekine, 2001 avec les tours
qui flambent à New York et le mandat d’arrêt européen dans la foulée, 2005
et les émeutes en banlieue, 2015-2016 et les attentats… La pensée de la
force doit anticiper.

Contraintes, violence, « bavures »


et proportionnalité
Veiller en toutes circonstances à l’emploi légitime
de la force

La « bavure » de la force est un enchaînement bien décrit par le


romancier russe contemporain Sentchine 26. Son policier commence par
rançonner légèrement les alcooliques qu’il reçoit dans ses cellules de
dégrisement. Puis il les garde derrière les grilles plus longtemps que de
raison. Enfin, il les enferme trop nombreux dans un local trop exigu et
survient la bavure avec mort d’hommes. Le policier y laissera son honneur,
son métier et sombrera avec toute sa famille.
Le terme « bavures policières » est bien connu des Français et figure en
bonne place dans le Lexique de science politique 27 de 2011. Encore qu’« il
y a bavures et bavure. Le coup de feu qui part lors d’une interpellation
musclée n’a rien à voir avec celui qui claque dans l’arrière-salle d’un
commissariat 28 ». Les procès d’hommes de force pour brutalités, violences
ou même homicide ne sont pas rares : du général qui laisse tuer froidement
un bandit capturé par l’armée française en opération extérieure en Afrique
aux deux policiers qui auraient dû ou pu empêcher les deux jeunes de
Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) de s’enfuir dans le poste électrique
où ils trouveront la mort (les policiers seront relaxés), jusqu’au gendarme
qui a tiré la grenade suspectée d’avoir tué Rémi Fraisse en 2014 à Sivens
(Tarn) placé le 18 mars 2016 sous le statut de témoin assisté (le Défenseur
er
des droits autosaisi, déclare le 1 décembre 2016 que le gendarme n’a
commis aucune faute), la liste est longue, hélas. Même le président turc
Recep Erdogan 29, dans ses moments inspirés, n’est pas le dernier à
« condamner la violence de la police française contre des personnes qui
utilisent leur droit de manifester »… Ces procédures sont difficiles car
elles sanctionnent tant l’excès que la carence dans l’intervention. La justice
internationale elle aussi s’est intéressée aux troupes de l’ONU restées figées
ou sans initiative face aux génocides commis par les Serbes ou les Hutus.
La force n’est utilisée, en principe, que proportionnellement à la
menace. Cette « proportionnalité » qui admet la force à condition de son
exacte adaptation à la situation n’est pas une prescription secondaire. Elle
est au cœur de la pensée et de la pratique de la démocratie. Quand au
30
printemps 2016 , la presse titre avant le possible choc entre deux
manifestations d’extrême gauche et d’extrême droite : « Crainte de
l’escalade, les autonomes d’extrême gauche n’excluent pas la violence et la
police se prépare à devoir fortement intervenir », elle exprime bien le
besoin de proportionnalité qui est le contraire de l’escalade. Quand
l’escalade est subie par la force, prise à son propre jeu de puissance, la
proportionnalité est oubliée. L’événement domine et les périls se
rapprochent. Cette proportionnalité représente, en outre, la première des
quatre garanties « antibavure ».
La deuxième de ces garanties est l’histoire. L’homme de force, l’arme à
la main, voit défiler dans sa mémoire, avant d’agir, la théorie des drames
qui ont fait la police. Joinville (1225-1317) 31 raconte comment Saint Louis
(Louis IX) gracie un clerc qui venait d’abattre à l’arbalète et à l’épée trois
sergents corrompus du Châtelet. Sanction un peu définitive pour ces
gendarmes félons, mais le roi entend montrer à tous qu’il « ne soutiendrait
ses gens dans aucune de leur mauvaise action ».
Le 9 avril 1909 32, les grévistes des usines de boutons de nacre dans
l’Oise « démontent » l’un des établissements. Le lendemain, charge de
hussards pour ramener l’ordre. Dix blessés graves. Le futur généralissime
Joffre, commandant de la région, et le général Amédée Nicolas,
commandant de la 6e brigade d’infanterie de Beauvais se congratulent. Ils
ne conçoivent pas qu’ils viennent de commettre une bavure.
Le 28 octobre 1928, à l’inauguration d’une statue d’Émile Combes à
Pons (Charente-Maritime) par Édouard Herriot, Jean Guiraud, chef local
des camelots du roi, attaque à coups de masse la statue toute neuve.
Mouvements de foule et de force. Un gendarme craque et tire, Jean Guiraud
est tué. Bernanos s’indigne 33. Bavure encore.
Le 31 octobre 2015 une « marche de la dignité » proteste à Paris contre
les violences policières, particulièrement contre celles subies par les jeunes
issus de l’immigration.
Soyons certains (!) que ces cas sont rappelés dans les écoles des forces
de l’ordre d’aujourd’hui, pour enseigner la responsabilité aux hommes de
force.
La troisième des garanties antibavure est la géographie. Les Français
doivent se comparer en permanence avec les autres pays, qu’il s’agisse, par
exemple, des difficultés des États-Unis avec leur police qui suscite les
protestations des citoyens afro-américains avec le mouvement Black Lives
Matter (« la vie des Noirs compte ») ou du comportement exemplaire de
l’armée israélienne qui punit les bavures, parfois contre l’opinion du peuple
34
et du gouvernement : c’est Defense forces vs. the people of Israel .
La quatrième garantie est plus récente : il s’agit de l’omniprésence des
téléphones portables faisant office de caméras. En mars 2016, à Hébron, un
soldat israélien est filmé à son insu par un membre israélien d’une ONG, en
train d’abattre un jeune Palestinien blessé au sol. Le soldat est arrêté et va
passer en procès.
Les manifestations du printemps 2016 en France sont sous observation
constante : « Vidéos et lacrymos, leur vie de reporter en manif 35 ». Bien
rares sont les violences policières qui, désormais, ne sont pas, peu ou prou,
filmées par l’un des témoins. L’heure n’est plus aux affirmations tranchées
et fausses de la police.
Le 8 juillet 2009 à Montreuil, les forces de l’ordre utilisent pour évacuer
un bâtiment désaffecté les Flash-Ball : un manifestant perd un œil. Les trois
policiers auteurs des tirs sont condamnés le 15 décembre 2016 à des peines
de 7 à 15 mois de prison avec des interdictions de port d’armes.
En octobre 2010, à Montreuil encore, Geoffrey T., 16 ans, est atteint au
visage par un projectile de Flash-Ball. Le 2 avril 2015, le policier auteur du
tir est condamné à un an de prison avec sursis et un an de suspension. Le
PV policier racontait un jeune homme menaçant alors que deux vidéos
tournées par des témoins contredisent frontalement cette version.
Le 16 octobre 2015, une scène d’interpellation musclée à Chanteloup-
les-Vignes (coups de pied et tir de Flash-Ball), filmée et aussitôt diffusée
sur Facebook, contredit les témoignages des policiers. Une enquête est
ouverte par le parquet de Versailles après la publication de la vidéo.
Le jeudi 24 mars 2016, un policier est filmé alors qu’il frappe en plein
visage un élève du lycée Bergson dans le XIXe arrondissement de Paris au
cours d’une manifestation. Le jeune homme était immobilisé par deux
collègues du frappeur. Le jeune policier auteur des coups est condamné le
23 novembre 2016 à huit mois de prison avec sursis sans inscription au
casier judiciaire.
Les abus ne restent pas impunis.
La force dévoyée ou même simplement imprudente ou maladroite doit
savoir que, plus que jamais, elle agit sous le regard du peuple. À cet égard,
o
l’article 112 de la loi n 2016-731 du 3 juin 2016 « renforçant la lutte contre
le crime organisé » introduit les « caméras mobiles » fixées sur le casque ou
le gilet des policiers et gendarmes en intervention. Signe des temps, les
forces de l’ordre veulent se filmer elles-mêmes pour opposer leurs images à
celles du public. S’il contribue à renforcer la maîtrise de la force par les
fonctionnaires et militaires ainsi que la lutte contre les contrôles au faciès 36,
ce nouveau dispositif sera un progrès ; s’il n’est pris que comme un
justificatif antiengagement de la responsabilité, il sera un échec.
Bien avant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,
les penseurs affrontaient cette nécessaire proportionnalité de l’usage de la
force. En 1775, Les Fondements de la jurisprudence naturelle, parus en
français à Utrecht, avertissaient :

Pour nous garantir de la violence qui veut nous ravir ces biens ou
pour la faire cesser, quelques fois il n’y a pas d’autre moyen efficace
que d’y opposer une force suffisante […], l’usage de la force
employée pour détourner le dommage ou pour le faire cesser est
appelé défense par la force. […] la crainte est salutaire à l’ennemi
de la paix. Il est de l’intérêt de la société pour n’avoir rien à
craindre, d’inspirer de la terreur aux hommes turbulents.
L’auteur du XVIIIe siècle ne s’arrête pas là ; admettant la nécessité de la
force, il en mesure aussitôt le coût et recommande de l’adapter aux
nécessités : « Il est quelques fois beaucoup plus avantageux de s’abstenir
des moyens violents que de repousser la force par la force. Tel est le cas où
le mal dont nous sommes menacés, ou que nous avons souffert, est léger et
facile à réparer par nos propres forces […]. »
Aujourd’hui, le Parlement réaffirme ces principes de « mise à distance
37
et de recours absolument nécessaire, proportionné et gradué à la force ».
Le juge des pouvoirs publics, le juge administratif, veille à la « nécessité et
proportionnalité dans la mise en œuvre de la force publique » : ainsi, pour
38
les règles d’utilisation par les forces de sécurité de l’arme non létale Taser .
Le Conseil d’État a eu raison d’imposer de sérieuses conditions de
formation et d’usage de cette arme. Car, comme le constate Pierre Joxe 39 :

Avec les Taser et les Flash-Ball, il y a eu des morts dans de


nombreux pays et on sait qu’il peut y en avoir d’autres. Pourquoi ?
Parce qu’un Taser n’est pas mortel sauf quand ça tue. Ça tue qui ?
Quelqu’un qui a un cœur fragile, des problèmes de santé. Le Flash-
Ball n’est pas mortel sauf quand ça tue. Ça tue quand ? Quand ça
défonce un crâne.

En Grande-Bretagne, le Taser a tué deux fois en 2016, en juin aux Pays


de Galles et en août en Angleterre. En Allemagne, le ministre CDU de
l’Intérieur du Land de Berlin annonce l’introduction du Taser en août 2016,
mais on l’accuse d’en faire un argument électoral pour la campagne en vue
des élections du mois suivant. Même le syndicat de la police (Gewerkschaft
der Polizei, GdP) est réticent. En France, les archives de l’Inspection
générale de la police nationale et de la justice connaissent des cas
semblables, tel celui de l’étudiant Jean-François M. qui a perdu un œil à la
manifestation de Rennes, le 28 avril 2016 40 comme, encore, un syndicaliste
en septembre 2016 à Paris.
Dans ce contexte, pourquoi avoir élargi les conditions d’usage des
armes à feu par les forces de l’ordre par l’article 51 de la loi no 2016-731 du
3 juin 2016 « renforçant la lutte contre le crime organisé » contre les
« périples meurtriers » ? Et pourquoi aller encore plus loin, à l’occasion des
manifestations de policiers à l’automne 2016 41, par un nouveau projet de loi
42
en décembre 2016 ? Est-on certain que l’alignement des conditions de tir
des policiers sur le droit des gendarmes, plus large, est opportun ? Tirer sur
un individu qui est armé ou qui force un barrage a un sens différent en ville
avec les policiers et à la campagne terrain historiquement prioritaire des
gendarmes. Alors que tout cela est déjà bien normé, non seulement par la
CEDH 43 mais aussi par bien des années de textes et de jurisprudence
nationales ?
En août 1993, le ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du
territoire répondait 44 au député Jean-Louis Masson que l’harmonisation de
l’usage des armes de service entre policiers et gendarmes n’était pas
nécessaire. Il notait que « dans les faits, les gendarmes utilisent de moins en
moins » le droit que leur donne le décret du 20 mai 1903. Et surtout, il
ajoutait : « Il serait difficile d’admettre qu’un automobiliste n’ayant pas
entendu les sommations ou un adolescent circulant à bord d’un véhicule
emprunté à l’insu des parents et pris de panique en voyant qu’il va être
contrôlé puissent être blessés ou tués, alors qu’ils ne menacent pas la vie ou
la sécurité des membres des forces de l’ordre et ne sont en rien des
malfaiteurs. » La réponse de Charles Pasqua était empreinte de prudence.
En novembre 2015, le ministre de l’Intérieur rappelait encore le régime
alors en vigueur :

Le cadre légal applicable aux policiers et aux gendarmes est fondé


sur les règles de la légitime défense (article 122-5 du Code pénal) ou
de l’état de nécessité (article 122-7 du Code pénal). Pour le maintien
de l’ordre public, le Code pénal (article 431-3) et le Code de la
sécurité intérieure (articles L. 211-9 et D. 211-10 et suivants)
permettent par ailleurs aux représentants de la force publique
appelés en vue de dissiper un attroupement de faire directement
usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées
contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils
occupent. Outre les situations évoquées ci-dessus, communes aux
policiers et aux gendarmes, les militaires de la gendarmerie peuvent
déployer la force armée dans les cas énumérés à l’article L. 2338-3
du Code de la défense (notamment pour empêcher la fuite d’une
personne, après sommations faites à voix haute, et s’il n’existe pas
d’autres moyens).

Il concluait en soulignant que « ce cadre légal est parfaitement assimilé


par les policiers et les gendarmes et leur permet d’exercer leurs missions ».
En effet, sous le principe de nécessité, le RAID avait pu, en mai 1993
abattre Human Bomb, cet homme armé d’explosifs qui tenait en otage toute
une classe de maternelle à Neuilly-sur-Seine, les tireurs d’élite de la
gendarmerie avaient pu abattre l’un des quatre terroristes du détournement
du vol Alger-Paris à Marseille le 26 décembre 1994 et les forces de l’ordre
ont pu tuer des terroristes comme Khaled Kelkal en septembre 1995,
Mohammed Merah en mars 2012 ou Abdelhamid Abaaoud le 18 novembre
2015. Dans l’honneur de leur mission de force légale et sans, bien sûr, être
critiqués par la justice. Car la « défense par la force » du XVIIIe siècle
devenue désormais la légitime défense, qui vaut pour protéger autrui et non
seulement soi-même, comme l’état de nécessité fournissent la base
traditionnelle pour mettre légalement un terme aux équipées sauvages
criminelles. Le rapport Cazaux-Charles précité le montre qui indique que du
1er janvier 2010 au 11 novembre 2016 « ont été recensées 59 affaires au
cours desquelles des fonctionnaires de police ou militaires de la
gendarmerie ont fait usage mortel de leur arme dans l’exercice de leurs
fonctions dont 9 étaient relatives à un usage d’une arme consécutif à des
faits de nature terroriste. Parmi ces 59 affaires, 2 seulement ont fait l’objet
d’un renvoi devant la juridiction pénale. Pour l’une un acquittement a été
prononcé et l’autre est en attente de jugement ».
Une nouvelle législation ne va-t-elle pas susciter le doute, même
parfaitement injuste, sur les véritables intentions de la force, telles
qu’exprimées par le directeur de la police judiciaire selon Balzac : « Quand
nous rencontrons de ces hommes en façon de barres d’acier trempées à
l’anglaise, nous avons la ressource de les tuer si, pendant leur arrestation, ils
s’avisent de faire la moindre résistance […], on évite ainsi le procès, les
frais de garde, la nourriture et ça débarrasse la société » ? La « corvée de
bois » ne date pas de la guerre d’Algérie. Mais la force républicaine ne doit
jamais être mise en situation d’être suspectée.
Sur ce point de l’usage des armes, les autorités subissent la pression
répétée des syndicats policiers. Même si nous ne vivons plus à l’âge des
Scène de la vie privée, nous dépensons trop d’imagination et d’énergie
législative à tenter de faciliter l’ouverture du feu par les forces de l’ordre.
En ce sens, cette nouvelle loi de 2016 contre la grande criminalité n’est pas
rassurante. Elle allège les conditions bien établies de la légitime défense des
policiers, gendarmes et possiblement des autres militaires, même s’il ne
s’agit, théoriquement, que de mettre un terme aux « périples meurtriers ».
Devant l’Assemblée nationale le 16 mars 2016, le député vert Sergio
Coronado mettait pourtant en garde : « Autoriser les soldats à ouvrir le feu
sur des cibles terroristes au milieu d’une foule n’est pas, à l’origine, leur
métier, puisque les militaires opèrent habituellement en zone de guerre. »
La population ne sera pas rassurée de savoir que le policier ou le militaire
pourra tirer s’il perçoit ou croit percevoir la fuite d’un périple meurtrier.
Mais qui lui dira que tel individu est en cours de « périple meurtrier » ? Le
M. Bergeret d’Anatole France a certainement tort de frémir face au gardien
de la paix :

Cet homme armé nous a fait un accueil civil. Il faut lui savoir gré.
Pour moi, chaque fois qu’il m’arrive de me montrer en face d’un
porteur d’armes, je suis un peu surpris qu’il ne me passe pas à
travers le ventre le sabre que la République lui a confié, tant l’étude
de l’histoire et l’observation du monde me persuadent que ce geste
est naturel à l’homme et tant on voit d’exemples dans l’univers de
45
l’ardeur destructive qui anime les guerriers …

Mais la force est autant ce qu’elle est que ce qu’elle donne à voir. Et la
loi de 2017 revient sur le sujet.
Restons confiants, une force républicaine se définit par sa maîtrise
absolue de l’ouverture du feu. Comme l’ont montré, le 18 mai 2016, quai de
Valmy (Paris, Xe), une gardienne de la paix et un adjoint de sécurité qui
réussissent de justesse à s’extraire d’une voiture de police incendiée par des
manifestants violents. Le policier sort son arme de service mais ne tire pas.
Le drame a été évité grâce à la maîtrise parfaite des fonctionnaires. Les
auteurs de ce crime doivent être punis.
Sur ce même sujet, les États-Unis connaissent de graves difficultés entre
policiers et jeunes Noirs. Parmi le millier d’hommes tués par la police en
2015, 41 % étaient noirs alors que les Noirs ne représentent que 13 % de la
population américaine. Souvent, les autorités fédérales sont obligées
d’intervenir pour que toute la vérité soit faite sur ces excès des polices
locales. C’est le sens du rapport sur la police de Chicago, rendu public le
13 janvier 2017 par la ministre de la Justice du président Obama : « usage
excessif de la force en violation de la Constitution ». Le 4 avril 2015,
encore une fois, un policier est filmé par des voisins alors qu’il tire huit
balles dans le dos d’un délinquant noir de 50 ans, Walter Scott. Le 6 juillet
2016, les autorités fédérales annoncent l’ouverture d’enquêtes sur la mort
par balles policières de deux jeunes Noirs, le premier, Alton Sterling, le
5 juillet en Louisiane et le second, Philando Castile, le lendemain dans la
banlieue de Saint Paul (Minnesota). Le 7 juillet, peut-être « en rétorsion »,
cinq policiers blancs sont assassinés à Dallas par un sniper, vétéran noir de
l’Afghanistan. Une fois de plus, après les émeutes de Ferguson et de
Baltimore, les deux années précédentes, les États-Unis basculent dans la
tension du fait de l’usage de la force par la police. Le 13 août 2016 46, un
jeune Noir de 23 ans est abattu par un policier afro-américain à Milwaukee.
La victime était armée et avait déjà fait l’objet de poursuites en 2015 pour
une fusillade. Le soir même, des heurts entre manifestants noirs et les forces
de l’ordre amènent le gouverneur du Wisconsin à mettre la garde nationale
en alerte.
Les policiers américains du Police Executive Reseach Forum appellent
à une redéfinition plus sévère de leur propre régime de tir : sur 990 tirs
mortels de policiers aux États-Unis en 2015, 9 % des victimes n’étaient pas
armées et 16 % armées « seulement » d’une arme blanche. La légitime
défense doit être strictement entendue : « Use of force must be objectively
reasonable. » Chaque policier doit être maître de son arme, sachant qu’une
réponse létale peut être « lawfull but awful » (« légale mais excessive »).
Aussi, la règle du tir permis quand la menace approche à moins de 21 pieds
du policier, résultant d’une décision de la Cour suprême de 1989 Graham v.
Connor, devrait être revue : « The shooting is found to be legally justified
(lawfull), but to many who witness it or see it later on video, it does not
appear to be proportional or necessary (awful). In other words, just
because the police can legally use deadly force doesn’t always mean they
47
should . » En 2014, le professeur Erwin Chemerinsky lance
l’avertissement « How the Supreme Court protects bad cops 48 » et demande
un infléchissement de la jurisprudence de la Cour suprême. Celle-ci est
critiquée pour trop favoriser les policiers, comme dans Connick
c/Thompson 2011 où la Cour, par 5 voix contre 4, refuse de voir la Ville de
New Orleans responsable d’une lourde erreur judiciaire. Mais la Cour est
encore plus restrictive, d’après l’auteur, quand il s’agit de mettre en cause
individuellement des policiers : « The Supreme Court, on an opinion by
Justice Antonin Scalia in 2011, ruled that a governement officer car be held
liable only if every reasonable official would have known that his conduct
was unlawfull. »
Comme candidat, le président Donald Trump avait bien compris ce qu’il
pouvait tirer de l’irritation des policiers face à tout contrôle juridictionnel. Il
affirmait le 5 juin 2016 : « Je pense que les policiers sont traités très
injustement dans ce pays. Ils ont peur de faire quoi que ce soit car ils
craignent de perdre leur travail. » Cette affirmation, bel exemple de
démagogie, rappelle ce qu’on peut périodiquement entendre en France :
qu’il faudrait lever les contrôles, ne pas entraver les policiers, les
« couvrir » par avance, tout glissement dont les conséquences seraient très
perturbatrices pour la bonne tenue de la force dans une République. Et ce
n’est pas un hasard si cette phrase du candidat américain, isolée du discours
dans son entier, a été mise en exergue par le journal gratuit donc populaire
Direct Matin 49.
Mieux vaudrait penser la force sans avoir à y intégrer la force précipitée
ou même dévoyée. Les grands du maintien de l’ordre savent limiter
strictement l’usage des grenades ou des armes du type Flash-Ball et suivent
les opérations, seconde par seconde. Ils interdisent les « courettes » pour
éviter que policiers et gendarmes coursent inutilement des manifestants,
avec le risque d’accidents divers dans la fuite éperdue, ils savent aussi ne
pas recréer les « charges de la brigade légère » à moto sur les trottoirs. Ils
savent donner leur place aux officiers de police judiciaire chargés
d’identifier et d’appréhender les délinquants au sein d’une manifestation. Ils
savent, enfin, tracer la ligne rouge au-delà de laquelle l’intervention change
de nature et pas seulement de degré. Dans tous les cas, le maintien de
l’ordre efficace est tenu d’une main ferme, avant même d’utiliser le poing.
Ces principes « antibavures » sont plus nécessaires que jamais. Car, ainsi
que le ministre de l’Intérieur Pasqua le notait en 1988 50 : « Tout décès
survenu au cours d’une opération de maintien de l’ordre est toujours un
drame et un échec pour les responsables des forces de l’ordre comme pour
les organisateurs de la manifestation. » Certes, la responsabilité est plus ou
moins partagée mais la force a le devoir d’éviter drame et échec.
Quoi qu’il en soit, en France, les forces de l’ordre, généralement bien
entraînées et bien commandées, ne sont pas des forces de violence. Sam,
51
dans Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon, a raison de forcer son ami, le
narrateur, à cesser de crier « CRS = SS » : il lui demande, face à la police,
s’il connaît Alois Brunner :

– C’est lequel, Brunner ? dis-moi !


Sam ne me lâchait pas. Du doigt, il désignait un par un les hommes
casqués.
– Celui-là ? Celui-là ? Où se cache ce salaud ?
Et puis il m’a libéré […].
– Alois Brunner n’était pas là, Georges. Ni aucun autre SS. Ni leurs
chiens, ni leurs fouets. Alors ne balance plus jamais ce genre de
conneries, d’accord ?

Cette scène n’a pas été écrite pour complaire à la direction centrale des
CRS. Elle rappelle que, s’il existe des bad cops, même eux ne sont pas des
nazis. Et l’immense majorité des exécutants de la force sont des
fonctionnaires qui obéissent au droit.
En même temps, l’heure du changement est peut-être venue. Le
changement tant dans la conception des interventions policières à risque
que dans le traitement transparent des « bavures » et des accidents.
Sur la conception, la comparaison à trois ans d’intervalle des deux
numéros spéciaux sur l’ordre public du journal Les Amis de la gendarmerie
est significative. L’inquiétude, étrangère au numéro de juillet 2013,
imprègne, au contraire, le numéro de novembre 2016. Celui-ci fait écho aux
multiples tags ACAB (« all cops are bastards »), aux blessures par balles
subies par les fonctionnaires et militaires à Beaumont et à Persan (95) en
juillet 2016, aux embuscades, aux réseaux sociaux qui ciblent les
personnels. La création, en 2014, d’un service unique spécialisé de
logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) pour concevoir les outils et les
armes adaptés au nouvel ordre public témoigne de la menace croissante
perçue par les forces de l’ordre.
52
Sur les « bavures », l’ACAT fait campagne contre les violences
policières avec un autocollant portant l’inscription suivante : « On sait
combien de personnes sont tuées par an par des guêpes. Par les violences
policières, on ne sait pas. Violences policières, brisons le silence ! » Le
14 mars 2016, l’association publie un rapport intitulé L’Ordre et la Force
consacré au recensement des violences policières. La thèse du rapport est
qu’il existe de graves défaillances dans le relevé et dans le traitement des
plaintes pour violences policières. L’association dresse une liste des causes :
« difficulté de déposer plainte, d’obtenir une enquête effective, disparition
d’éléments probants, déclarations manifestement mensongères des forces de
l’ordre, durée excessive des procédures pénales, menace de condamnation
pour outrage et rébellion ».
L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) réagit en même
temps. Plus que par le passé, elle communique sur le nombre et les
53
modalités de ses enquêtes . C’est la bonne direction qui rend mieux
compte des contrôles internes et des résultats de ceux-ci.
Le maintien de l’ordre public « à la française », fort et ferme mais non
violent est revenu à l’ordre du jour. Une réactualisation des doctrines
d’emploi est nécessaire pour faire face aux cocktails Molotov, aux bombes
agricoles des manifestants violents, aux tracteurs de deux tonnes qui
foncent vers les rangs des fonctionnaires de CRS, et faire face tout en
évitant strictement les atteintes physiques et les blessures infligées par les
forces publiques. Car, à toute époque, l’usage de la force en situation,
mérite réflexion.
La force de la pensée vient appuyer et, quand il le faut, seconder ou
même secourir la pensée de la force.

La force de la pensée
La force comme vertu de résistance

Le Cid de Corneille est une pièce sur la force et sa portée : « J’attaque


en téméraire un bras toujours vainqueur / Mais j’aurai trop de force, ayant
assez de cœur », lance Don Rodrigue au comte (acte II, scène 2). La pensée
54
aussi est force , et de deux manières : elle permet de faire et elle permet de
résister. Elle est à la fois motrice et vertu.

La force de la pensée déplace les montagnes


Ce n’est pas une maxime du Petit Livre rouge de Mao Zedong mais une
constatation banale que chacun peut mesurer dans une nation, une
profession, une association ou une famille.
La force de la pensée, celle des fondateurs de projet comme de nation,
passe par la volonté, l’intelligence des objectifs, le réalisme de l’action pour
se trouver des alliés, et la capacité d’entraînement pour convaincre et
vaincre les obstacles.
Le sport et particulièrement les sports collectifs, forment, disciplinent,
célèbrent et donnent en représentation la force. La professeure de
55
philosophie Kintzler admire le rugbyman Sébastien Chabal comme le
« combattant généreux »… Quelle est la part de la mise en scène de la force
chez cet athlète ? Une place certaine, si l’on en croit le nombre de ses
contrats publicitaires. Il n’en reste pas moins une incarnation de la ténacité,
du dépassement, de la solidarité, de l’autocontrôle, communs à tous les
champions dans tous les sports.
En politique, la force de celui qui réalise, pour les Allemands der
Macher, repose souvent sur une certaine indifférence qui l’immunise contre
les digressions et les hésitations. Le candidat aux élections du roman de
Marc Dugain 56 constate « une fois de plus ce que faisait sa force : une
insensibilité pathologique aux succès comme aux échecs, qui lui avait fait
gravir les échelons de la méritocratie française sans jamais en tirer plus de
plaisir que celui d’un devoir accompli sans effort considérable ». Il ne faut
pas confondre le courage, la ténacité et la simple force tirée de la
distanciation dans l’action. L’homme blasé n’est pas un héros. Toute autre
est la force-vertu.

La force est vertu quand elle est celle


des stoïciens, qu’elle est la résistance au mal
La force de l’être contre le mal et la souffrance. Qui n’a jamais posé la
main sur l’épaule d’un proche le jour du deuil en chuchotant « sois fort » ?
Pâle réconfort mais nécessaire solidarité qui signifie, nous t’aiderons à ne
pas te briser. À l’été 2016, Céline Dion chante la perte de son mari dans une
chanson « Ma force » écrite par le jeune chanteur Vianney : « Si j’ai connu
des moments d’émoi / Où s’est abîmée mon écorce / Au fond de moi, je ne
savais pas / Quelle était ma force. »
La force de l’âme dépasse la force tout court, elle remplira l’être de
57
sérénité et même, comme Michelet le décrit , de joie : « La joie du vrai
fort, du héros, ferme sur le roc de la conscience, serein contre tous les périls
et tous les maux du monde. Tel le grand Beethoven, quand, vieux, isolé,
sourd, d’un colossal effort, il fit L’Hymne à la joie. »
Marie Desplechin 58 définit l’esprit de « résistance », après les attentats
de 2015, comme « opposer sa force minuscule à la force extraordinaire qui
entend vous déplacer, vous forcer et vous assigner ».
Les héros de la Résistance ont montré la force de leur pensée jusqu’au
« vive la France » crié sous les balles. Sans s’affaisser sous la force brutale
qui leur était imposée dans les interrogatoires.
Mais les moralistes ont parfaitement conscience de l’ambiguïté de la
59
force. Tel d’Holbach dans La Morale universelle : la force, écrit-il,

est une vertu quand elle a véritablement pour but la justice, la


conservation des droits de la société, la défense de la félicité
publique. Mais la force n’est plus une vertu quand elle cesse d’avoir
la justice pour base, quand elle nous fait violer les droits des
hommes, quand elle se prête à l’injustice.

La force est vertu quand elle est résistance. Comment réagissons-nous


aux attaques du terrorisme ? Toujours par des lois, moins souvent avec
calme et maîtrise. Quatre périodes de bourrasques le montrent bien :
1893, des lois mais une extraordinaire leçon de sérénité. Le 9 décembre
1893 à 16 heures, Auguste Vaillant jette sa bombe à clous dans
l’hémicycle de la Chambre des députés. Plusieurs députés sont blessés.
60
À 19 heures, le président du Conseil Casimir Périer s’exprime , alors
que l’odeur de la poudre ne s’est pas encore dissipée : « La Chambre
comprendra avec quel sentiment de tristesse je monte en ce moment à la
tribune. Je la remercie, je la félicite d’avoir écouté la voix de son
président et d’avoir poursuivi avec calme et dignité sa délibération (très
bien ! très bien !) […] la Chambre a fait son devoir, le gouvernement
fera le sien (vifs applaudissements), il est responsable de l’ordre public
et il ne faillira pas à son devoir (nouveaux applaudissements). » Cette
force de résistance de la Chambre des députés qui ne s’interrompt pas
montre au terrorisme lui-même qu’aux yeux de la nation ce n’est pas lui
qui fixe l’agenda des institutions. La Chambre poursuit aussitôt ses
discussions sur la répression des fraudes dans les ventes des beurres. Le
comte de Colbert-Laplace est parfaitement conscient qu’en revenant aux
beurres il réduit les terroristes : « La Chambre a montré un certain désir
de voir prendre en considération les propositions relatives aux beurres
(mouvements divers). Ce sont des questions d’affaires qu’on peut traiter
en ce moment. Ce n’est pas la tentative criminelle de tout à l’heure qui
nous arrêtera. (Parlez ! parlez !) » Va pour le beurre. La République en
a vu d’autres, elle ne se laisse pas impressionner. Deux jours plus tard,
le président du Conseil présente à la Chambre « à discuter aussitôt »
quatre projets de loi antiterroriste sur l’incitation au crime et l’apologie
terroriste, l’association de malfaiteurs et des crédits supplémentaires
61
pour la police . Ce seront les « lois scélérates » stigmatisées comme
telles dans le célèbre ouvrage de 1899 62 mais maintenues et reprises
jusqu’à aujourd’hui malgré leur abrogation formelle en 1992. En réalité,
lois fondatrices plus que scélérates… Ces lois ont paru d’autant plus
nécessaires à l’époque que, le 2 avril 1894, le président de la
République Sadi Carnot a été assassiné. Mais la République ne s’est pas
dispersée en propos inutiles et a montré que sa force d’âme dominait le
terrorisme. Rappelant cet épisode lors de la discussion de la loi
antiterroriste de 1986, le député Gollnisch (FN) concluait : « On
comprenait parfaitement à cette époque que faire de la publicité au
terrorisme, c’était entrer dans son jeu. » Telle était la force de résister
puis de répliquer.
1986, des lois pour le retour à une justice spécialisée. C’est le temps de
la lutte contre le « ravaillaquisme moderne » où la succession de
Ravaillac est prise par le terrorisme organisé comme le retrace le député
J.-F. Deniau dans sa belle intervention 63.
Entre février 1985 et septembre 1986, la France connaît treize attaques
terroristes qui culminent avec la bombe dans le magasin Tati, le
17 septembre 1986 (7 morts, 55 blessés) et l’assassinat de Georges Besse le
17 novembre 1986. En peu de temps, cinq lois fondatrices viennent alors
bouleverser nos institutions judiciaires et policières antiterroristes : la loi du
3 septembre 1986 no 86-1004 sur les contrôles et vérifications d’identité, les
trois lois du 9 septembre 1986, no 86-1020 « contre le terrorisme et les
atteintes à la sûreté de l’État », no 86-1021 sur l’application des peines,
o
n 86-1019 sur la lutte contre la criminalité et, enfin, la loi du 30 décembre
o
1986 n 86-1322.
La Cour de sûreté de l’État venait à peine d’être supprimée. On allait y
revenir en partie avec une cour d’assises sans jurés, composée
exclusivement de juges professionnels. En outre, l’invention de la
compétence nationale et spécialisée de la juridiction parisienne en
terrorisme est introduite en souplesse en choisissant le principe de la
compétence « concurrente » avec les juridictions de droit commun.
Le Conseil constitutionnel limitera ces procédures spécialisées en
déclarant non conforme à la Constitution l’article 4 de la loi qui voulait déjà
étendre trop largement à d’autres infractions les dispositions dérogatoires
64
valables seulement pour l’antiterrorisme . Une certaine maîtrise a prévalu.
1995, des lois encore. Face au retour du terrorisme, dont l’attentat du
RER Saint-Michel le 25 juillet 1995 (8 morts, 117 blessés), la mort de
Khaled Kelkal en septembre 1995 et l’attentat du RER Port-Royal le
3 décembre 1996, la France répond par la dignité et le courage. Le
Premier ministre Alain Juppé remet en vigueur le plan Vigipirate
65
renforcé et met en avant « le sang-froid et la détermination ». Il y aura
o
aussi des lois : celles du 22 juillet 1996 n 96-647 sur la lutte contre le
o
terrorisme, du 30 décembre 1996 n 96-1235 sur la détention provisoire
et les perquisitions de nuit qui renforce les garanties pénales et, enfin, la
o
loi du 29 décembre 1997 n 97-1273 pour permettre la délocalisation de
« mégaprocès » hors des lieux de justice habituelle, ce qui ne se révélera
pas vraiment une bonne initiative (cf. ci-après).
2015-2016 les lois sont là mais, aussi, parfois, le tumulte plus que la
retenue. Situation ambiguë que celle de ces années avec, à la fois, des
dérapages et des preuves de l’indispensable maîtrise.
Pour les dérapages, on peut citer le triste débat sur le caractère
prétendument inapproprié de l’« État de droit » comme si les terroristes
pouvaient, même une seule seconde, imposer leur propre force face à la
force du droit qui fonde notre République. Que le garde des Sceaux soit
amené à réaffirmer publiquement en juillet 2016 que « l’État de droit n’est
pas une faiblesse, il est notre force » permet de mesurer l’espace de
régression par rapport à 1893-1894.
Du côté négatif, encore, il y a la nouvelle prolongation de l’état
d’urgence sous le seul effet de l’attentat de Nice de l’été 2016, alors qu’il
peut être expliqué au peuple que ce n’est pas aux auteurs d’attentat de
décider indirectement du calendrier des mesures d’exception. Et aussi
l’excroissance de la loi no 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’état
d’urgence et « portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste »
dans laquelle on retrouve des relents de peines automatiques (art. 14 sur
l’interdiction du territoire), la suppression de la mention restrictive
« lorsque la nature de leurs interventions et les circonstances le justifient »
pour l’armement des polices municipales ou encore un « code de bonne
conduite » pour la couverture du terrorisme par les médias audiovisuels
confié au CSA, alors que la sanction des abus est déjà possible.
Pour les preuves de l’indispensable maîtrise, au contraire, la force du
peuple manifestant dans la dignité après les meurtres au journal Charlie
Hebdo. Et le Premier ministre retrouve le ton nécessaire de résistance
quand, après l’horrible assassinat de deux fonctionnaires de police à leur
domicile le 14 juin 2016. Il affirme : « Notre première arme c’est le droit
pénal […], refusons toute tentation de recourir aux aventures
extrajudiciaires, celles expérimentées dans le monde au cours des années
2000 […] », faisant ici une nette allusion critique au centre de détention
militaire américain de Guantanamo. Et lors des travaux préparatoires de la
66
future loi du 21 juillet 2016, il rappelle à l’Assemblée nationale
qu’écouter le peuple ne signifie pas « être à la traîne des injonctions de la
foule ». De même, la décision de ne pas annuler l’Euro de football ou le
Tour de France et d’examiner sans automatisme négatif le maintien ou la
suppression des grands rassemblements populaires de l’été et l’automne
2016 révèle une louable maîtrise. Il est temps, avec le député Mamère
67
(écologiste) , « d’arrêter l’addiction à la peur ». Parce que la peur n’est pas
la force. Et que résister n’est pas renoncer. Chacun à leur manière, sérieux,
économie du verbe, détermination, exemplarité, les deux ministres de
l’Intérieur, Cazeneuve en France et Maizière en Allemagne 68, honorent la
fonction de la force.

Toujours, la force sera de lutter contre soi-même et contre le


renoncement. « La force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a
perpétués 69 », écrit Rousseau. Le courage de la force en impose quand
celle-ci est vérité. Elle est alors respectée. Même si, immédiatement, dans
l’instant, la force de caractère peut froisser et provoquer, elle va demeurer
dans l’esprit de l’interlocuteur et provoquer ses effets à terme sinon même
dans l’instant.
La force est vertu nécessaire. Que la diffusion de la philosophie affirme
« l’utilité d’être fort », selon le titre du périodique Philosophie Magazine en
avril 2016, est encourageant.
À supposer enfin, qu’elle soit assumée par les pouvoirs publics et par la
population, la force n’est qu’au début de sa peine. Car, pour trouver son
sens, elle doit être subordonnée à la loi.
PARTIE III

Subordonner la force
Charles Bradlaugh 1 « célèbre en Angleterre par sa propagande acharnée
en faveur de la libre-pensée voulant faire une conférence à Devonport » ne
trouve pas de salle et loue un pré pour parler en plein air. « Tout à coup une
main s’abat sur son épaule. C’est celle de l’inspecteur de police Edwards
que le maire de Devonport envoie pour l’arrêter. Fort bien. Bradlaugh le
suit docilement. L’arrestation est illégale car on l’a empoigné avant qu’il eût
ouvert la bouche. » Un juge le remet en liberté. Bradlaugh veut
recommencer. Mais, cette fois, il s’installe sur une barque au milieu du
cours d’eau qui ne dépend pas de la police de Devonport et harangue son
public depuis le milieu du gué. Inaccessible à la contrainte.
Cette petite histoire, racontée dans les cours d’instruction civique 2 en
France vers 1900, montre doublement la subordination de la force au droit,
à l’anglaise : une première fois par l’intervention du juge, une seconde fois
par le respect absolu du droit et donc de sa propre compétence, par la
police. Ce n’est pas sans rappeler, un siècle plus tard, la police britannique
montant la garde devant l’ambassade d’Équateur où Julian Assange est
cloîtré mais s’adresse aux journalistes depuis le balcon du premier étage.
Dans nombre de pays, l’ambassade aurait été forcée, ou menacée ou
asphyxiée et dans son discours aux Nations unies de février 2015 sur le
terrorisme, Mme Taubira, alors garde des Sceaux, concluait : « De
nombreux pays dans le monde savent que, dans les situations paroxystiques,
il faut que le droit et la justice disent leur fait à la force. »
CHAPITRE 5

1
Loi de la force et force de la loi

Que serait la loi sans la force 2 ?


Qui a vu, à Lille, l’un des guetteurs des trafiquants de drogue trônant,
désinvolte, au milieu du carrefour à quelques dizaines de mètres de
l’Institut régional d’administration où 150 jeunes fonctionnaires apprennent
paisiblement leur métier de légalité, comprend comment on s’habitue à la
loi de la force. Une rue sépare tacitement mais fermement, le domaine du
trafic et celui de l’école d’administration. La loi de la force et la force de la
loi se partagent poliment les territoires. Dans un tel partage, subi par tous,
ce n’est pas la loi qui est conquérante.
La révolte gronde, les « zadistes » connaissent la « tentation de la
violence 3 » et « l’insurrection qui vient 4 ». Quand ce n’est pas « la guerre
civile qui vient » de l’éditorialiste apocalyptique Ivan Rioufol du Figaro 5
ou le « risque de guerre civile » évoqué devant le Parlement par le directeur
de la DGSI à propos des attentats de 2015-2016. La loi doit se préparer à
faire face.
C’est précisément dans cet instant que la loi ne doit pas céder devant la
force, qui appelle toujours à la fin qui justifie les moyens.
Oui à des moyens pour les forces de l’ordre, non à l’excès de
prérogatives et de facilités supplémentaires. Les parlementaires ont eu en
2015-2016 de nombreuses occasions de s’interroger sur cette économie des
lois qui définit les pays démocratiques.
Parmi d’autres mises en garde, le 4 février 2016 en séance, la députée
Le Dain (PS) rappelle, à partir de ses propres souvenirs :

Il ne faut pas non plus céder à l’arbitraire, comme cela fut jadis
parfois le cas dans le domaine de la sécurité – je pense à certains
comportements du ministre Marcellin, dont certains se souviennent
encore. Grosso modo, l’arbitraire était alors sinon la règle, du moins
la réalité. Je pense aux fouilles, aux contrôles, aux portes forcées –
lorsque j’avais une petite tendance à manifester contre certains
gouvernements, jadis, j’ai moi-même connu cela. L’équilibre est
difficile à trouver entre une loi assurant la protection des personnes
et des biens et une autre assurant le respect de l’ordre public. Il faut
tenir cette ligne de crête…

Si le législateur ne tient pas fermement à cet équilibre 6, il sera pris


passivement dans un maelström de renforcement des pouvoirs de la force
car il y a toujours un renforcement après un renforcement. Lors de la même
séance du 4 février 2016, le député Ciotti 7, bon connaisseur des questions
de sécurité, réclamait une garde à vue de huit jours au lieu de six jours pour
les terroristes (et pourquoi pas douze, seize jours ?), le droit de croiser tous
les fichiers (mais les limites à l’interconnexion sont l’une des garanties
fondamentales construites au cours des ans), les fouilles systématiques des
détenus et des visiteurs de prison (les fouilles sont nécessaires pour la
sécurité des détenus et des personnels, mais a-t-on évalué les conséquences
en tensions, violences, rancunes qu’entraînerait pour les détenus la
8
systématisation des fouilles sans sélectivité ?).
La législation de la force ne peut être un concours Lépine du toujours
plus de prérogatives. Chaque loi future, projet du gouvernement ou
proposition des parlementaires, devrait être préalablement soumis à
l’examen d’un groupe de travail réunissant les spécialistes qui auront à les
utiliser, professionnels de la police, de la gendarmerie et, bien sûr, de la
magistrature pour aider les ministres et les parlementaires à proportionner
exactement la mesure nouvelle à ce qui est à la fois nécessaire et conforme
au droit des libertés, national et européen. C’est ainsi que fut conçue et
adoptée la loi no 2012-1432 antiterroriste du 21 décembre 2012 à l’issue
d’un groupe de travail coprésidé personnellement par les deux ministres,
Manuel Valls pour l’Intérieur et Christiane Taubira pour la Justice. Les
entouraient leurs directeurs de cabinet et une dizaine de magistrats et
policiers antiterroristes dont l’avis professionnel les avait aidés à faire un tri
raisonnable dans le nombre de mesures qui, initialement, avait été
présentées par la rumeur policière comme inévitables. Dès avant les
consultations des avocats et défenseurs des droits, l’autorité
gouvernementale avait ainsi effectué un premier tri, professionnel, pour
éviter les dispositions néfastes et inutiles et aborder les consultations
nécessaires avec un texte limité au strict nécessaire.

Les incertitudes de la loi


Changement du système pénal à petits coups de lime
répétés

Le vote de la loi lui confère sa force


normative
9
Dans son ouvrage sur La Force normative , la professeure Thibierge
décrit les trois pôles de la normativité : la valeur normative en lien avec la
source du droit, la portée normative en lien avec les effets de la norme et la
garantie normative qui assure le respect de la norme, y compris par la force
de la contrainte que la société met à disposition de la norme.
Ainsi, la force est un élément éminent de la définition et plus encore de
l’utilité de la norme. Au-delà de sa force propre, la loi appelle la force
publique pour son exécution.

La loi a besoin de la force


La loi ne risque-t-elle pas de devenir la loi de la force ? C’est-à-dire une
loi instrumentalisée par la force. À son service, à sa dévotion, anticipant les
désirs de la force.
L’antiterrorisme est aussi nécessaire que perturbant pour l’équilibre du
droit et de la force 10. Il faut prendre en compte les avertissements de ceux
pour lesquels la série de mesures législatives antiterroristes agit comme un
virus mutant susceptible de propager, dans les démocraties occidentales
comme ailleurs, un affaiblissement irréversible de l’État de droit. En 1899,
Francis de Pressensé trouvait des accents prémonitoires :

Ces lois d’exception sont des armes terriblement dangereuses. On


les bâcle sous prétexte d’atteindre une catégorie d’hommes
spécialement en butte à la haine ou la terreur du public.
On commence par les leur appliquer et c’est déjà un scandale et une
honte qui devraient faire frémir d’indignation tous les cœurs bien
placés. Puis on glisse sur une pente presque irrésistible. Il est si
commode d’interprétation en assimilation, par d’insensibles degrés,
d’étendre les termes d’une définition élastique à tout ce qui déplaît,
à tout ce qui, à un moment donné, pourrait effrayer le public.
Les lois ciblées contre une partie de la population jugée potentiellement
proche des terroristes, les lois élastiques étendant leur champ d’application
à coups d’amendements discrets, les lois dérogatoires aux principes sont à
la fois des concessions à l’actualité et des menaces pour demain.
Jacques Follorou, dans son éclairant petit livre Démocraties sous
contrôle 11, soutient que « l’antiterrorisme s’est imposé comme seule
doctrine officielle en matière de sécurité en Occident. Les soldats en armes
dans les gares françaises ou les aéroports du monde entier, transformés en
bunker, en sont les images les plus visibles et elles sont devenues une
norme que la majorité des populations prennent pour un fait acquis ». Il est
vrai que sans être la « seule » doctrine, l’antiterrorisme pèse de plus en plus
sur la conception de la loi.
Comment privilégier le droit face à la demande d’antiterrorisme
stimulée d’un côté par les appareils de renseignement et de l’autre par le
peuple et les élites, pour une fois réunis, abasourdis par le risque de
nouveaux attentats ?
Deux phénomènes poussent à la loi de la force plutôt qu’à la force de la
loi comme un dissolvant des conceptions classiques : le découpage en
tranches des législations et l’explosion des techniques. Un troisième
phénomène, à la fois national et européen celui-ci, freine néanmoins les
deux premiers : la défense des libertés.
En premier lieu, la législation « en tranches » systématiquement
pratiquée rend illisibles les évolutions dans le long terme.
Deux exemples récents illustrent la méthode dénoncée il y a un siècle
par Pressensé.
La loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 prévoit en son article 15
(L. 851-2 du Code de la sécurité intérieure) que pourront être recueillies
directement sur les réseaux des opérateurs de communication électronique
les informations relatives à une « personne préalablement identifiée comme
présentant une menace ». C’est déjà une prérogative significative. Mais un
an plus tard, la loi du 21 juillet 2016 modifie l’article pour y substituer une
« personne préalablement identifiée susceptible d’être en lien avec une
menace » ce qui est beaucoup plus large.
La même loi du 21 juillet 2016, en son article 17, élargit les
autorisations d’interception de communications des documents
« nécessaires » à l’exécution de l’interception et à son exploitation à tous
documents « associés » à cette exécution et à cette exploitation. Dans les
deux cas, la simple modification d’un mot remplace une contrainte dure par
une indication molle. La loi a littéralement fondu en un an. Certes il y a eu
les attentats mais le bronze de la loi est ramené à l’état liquide.
Quand la loi biaise, le légalisme baisse.
Ainsi, et plus fondamentalement, le Code de procédure pénale est-il
constamment en train de muter depuis vingt ans. Toujours à petits pas et
suivant le même cap, vers plus de prérogatives des autorités administratives
et plus d’initiative pour le parquet. Ce glissement progressif par « petites »
touches émousse les oppositions à ce qui, présenté en bloc, aurait produit un
choc et suscité une vive réaction au nom des libertés.
En réalité, le Code de procédure pénale a été dédoublé en 2004 par les
lois Perben avec une version de droit commun et une version de contraintes
renforcées pour le terrorisme. Initialement cantonné au terrorisme, ce que
chacun peut admettre, le champ de ces procédures dérogatoires
(unilatérales, obscures et souvent nocturnes) n’a cessé de s’étendre à la
grande criminalité puis à la criminalité moyenne comme si le code
spécialisé pour les personnages dangereux devenait, non plus l’exception,
mais la référence dont tout enquêteur bien né devrait rêver. La technique de
l’« échelle de perroquet » vient renforcer cette évolution : le législateur
ouvre au renseignement des techniques jusqu’alors réservées à la police
judiciaire, puis la police judiciaire demande à bénéficier des mêmes outils
que le renseignement qui, à son tour, etc. La force et les forces progressent
par zigzag à coups de demandes reconventionnelles.
De même, l’« association de malfaiteurs » en vue d’actions terroristes
illustre bien comment, à force d’enfiler de nouvelles perles au collier, celui-
ci devient progressivement impossible à porter ou étouffe celui qui accepte
de le porter. Inventée par la loi du 18 décembre 1893, l’association de
malfaiteurs enfle progressivement avec la loi du 9 septembre 1986 sur le
terrorisme, la loi no 2006-64 du 23 janvier 2006 qui crée une association de
malfaiteurs de nature criminelle 12, jusqu’à celle du 13 novembre 2014
no 2014-1353 qui l’étend à l’entreprise individuelle et au seul fait de
« préparer » l’infraction 13.
De même, le rôle croissant du procureur dans la justice pénale déplace
les fondements de la force : de simple poursuivant à l’origine, ce qu’il
demeure fondamentalement, le procureur devient l’enquêteur en chef,
prenant peu à peu la place du juge d’instruction, auquel il emprunte, en
2016, contre toute logique sémantique, lui l’accusateur, la caractéristique
14
d’enquêter « à charge et à décharge ». Il peut mettre en œuvre des
procédés intrusifs comme les perquisitions de nuit, dans les lieux
d’habitation, et se voit doté du pouvoir de juger par la convocation sur
reconnaissance de culpabilité ou par la transaction. Puis la loi Sapin du
15
9 décembre 2016 sur la corruption permet au parquet, malgré la mise en
garde du Conseil d’État, de transiger avec n’importe quelle entreprise
corruptrice pour écarter, par une amende négociée, l’action publique elle-
même, le procès public et l’inscription au casier judiciaire. Y compris pour
les faits connexes comme l’abus de biens sociaux ou la méconnaissance des
financements électoraux. L’accusateur est devenu le négociateur et le
distributeur d’indulgences à entreprise. Le corrompu et les victimes se
partageront, eux, le procès pénal qui aura lieu sans le corrupteur. Le sens de
cette régression attendue par les entreprises et présentée comme nécessité
gestionnaire, était mis en lumière, dès mai 2009, par la professeure Delmas-
Marty :
[le parquet français] joue tantôt le rôle d’un juge d’instruction,
tantôt, par le jeu des « alternatives aux poursuites » et des
procédures simplifiées, celui d’une quasi-juridiction de jugement.
Ses pouvoirs d’enquête sont facilités par la possibilité, sans passer
par le juge d’instruction, de demander directement au juge des
libertés d’autoriser des mesures coercitives (perquisitions, accès aux
systèmes informatiques, interceptions de sécurité, etc.). Et la
création de bureaux des enquêtes dans les différents parquets, sur le
modèle mis en place auprès du tribunal de Paris, favorise la prise en
main de l’instruction par le parquet, mais une instruction sans
avocat, nous ramenant ainsi à la situation antérieure à la loi de 1897.

De même encore, le recueil de données de connexion (numéro de


téléphone appelé, durée de la communication) était apparu en soutien des
o
interceptions de sécurité puis renforcé par la loi n 2013-1168 du
18 décembre 2013 créant l’article L. 2416-1 du Code de sécurité intérieure,
encore élargi par les lois des 24 juillet 2015 sur le renseignement et 3 juin
2016 renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme.
La force dissimule et grignote. Et les années récentes montrent qu’il
n’existe pas de répulsifs contre les termites législatifs. Il faut savoir écouter
dans la nuit le léger bruit de leurs insatiables mandibules pour prévoir (et
prévenir) les possibles effondrements de demain. En sachant qu’il s’agirait
de l’effondrement de nos édifices juridiques libéraux.
En second lieu, l’explosion des techniques ne cesse de se poursuivre
comme le tonnerre qui gronde par vagues, un soir de canicule.
La vidéosurveillance ennoblie en « vidéoprotection » qui, demain,
ajoutera l’oreille à l’œil, en pouvant enregistrer les conversations dans la
rue, ne cesse de se développer sans que soient toujours évalués ses coûts et
avantages 16. La loi renseignement du 24 juillet 2015 autorise la
17
« détection » des suspects de terrorisme par la mise en œuvre, sur les
réseaux des opérateurs, de traitements automatisés appliquant des
paramètres précisés de repérage. L’épanouissement sans borne des échanges
numériques, et, parallèlement, la croissance des capacités de prélèvement
des messages par les « services » rendent la force omniprésente.
Dans ce domaine de la sécurité par la force, le rôle de la loi est délicat.
Elle reste la première garante des libertés. Ce principe est trop souvent
méconnu. Il est temps de réfléchir au fondement du droit pénal. Il n’est pas
fait pour réagir à chaque crime mais pour défendre le respect du droit.
Avons-nous, même sans le vouloir, définitivement renoncé au « libéralisme
pénal 18 » ? Ce courant de pensée inspiré des théoriciens anglais, fondé sur
l’individualisme, la neutralité, la juridicité et le dépassement de la
vengeance, a fait l’habeas corpus et la présomption d’innocence. Ou
comment punir mieux et punir moins 19 ?
Et pourtant, constamment, la loi est sollicitée, non pas pour conforter
ces libertés mais pour ouvrir de nouveaux procédés de police : inscrire dans
le droit des techniques souterraines largement pratiquées mais susceptibles
o
d’incriminer leurs auteurs (loi n 2015-912 relative au renseignement du
24 juillet 2015) ou bloquer les sites incitant à des actes de terrorisme (décret
no 2015-125 du 5 février 2015 20 pris pour l’application de la loi numérique
o 21
n 2004-575 du 21 juin 2014), et bien sûr, alourdir les peines alors même
que le facteur dissuasif est plus la certitude de la peine que son montant.
Nos « réformateurs » devraient relire la Revue des Deux Mondes de 1865
rappelant ce que tous les théoriciens de la peine connaissent :
« L’intimidation naît de la certitude du châtiment bien plus que de la
sévérité de la peine. Ce fut l’heureuse inspiration de la réforme de 1832. »
22
Et s’inspirer de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi Sécurité et
liberté d’Alain Peyrefitte en 1980-1981 qui réaffirme les principes d’un
droit pénal de la liberté : légalité des délits et des peines, « que des peines
strictement et évidemment nécessaires », individualisation des peines,
garanties égales aux justiciables, respect du rôle de l’avocat.
Illustrative de la perte de référence de ce qu’est un droit pénal
23
démocratique est la pression constante du député Wauquiez (LR) pour
soumettre à contrainte les personnes « fichées S ». Le ministre de l’Intérieur
doit lui répondre, une fois encore, que « la fiche S est une fiche de mise en
attention et non pas une fiche de culpabilité. On ne peut pas enfreindre,
compte tenu de ce qu’est le droit en France, la liberté d’aller et venir des
personnes qui font l’objet de telles fiches ». En matière de renseignement,
la mise en attention est un autre registre (l’observation) que la contrainte
(l’arrestation). Fusionner les deux registres ruinerait l’efficacité des
services. L’imagination politique peut être mauvaise conseillère.
Sous l’effet de ces apostrophes à répétition, la force de la loi que les
théoriciens du droit tiennent pour la garantie suprême, peut se transformer
en incertitude et même confusion si le dessein complet n’est pas exposé aux
citoyens. Le débat public devrait mieux marquer les franchissements de
ligne jaune qui transforment nos lois sur la force, pour les assumer ou les
critiquer. Mais jamais pour les découvrir trop tard.
En ce domaine, les sentinelles indépendantes, comme la Commission
nationale consultative des droits de l’homme, jouent un rôle précieux : son
24
bel et utile avis du 29 avril 2014 « sur la refondation de l’enquête pénale »
marque bien les évolutions en cours et les conceptions de procédure pénale
en compétition. La mise en perspective est la bonne réponse au découpage
en tranches des projets de loi.
Car, en troisième lieu, ces sentinelles peuvent s’appuyer sur la pression
des libertés en Europe, de la Cour européenne des droits de l’homme de
Strasbourg et de la Cour de justice de l’Union européenne de
Luxembourg (cf. ci-après).
La loi a besoin de la force. Dans une mesure stricte qui doit être portée
clairement dans le débat public. Pour éviter tout arbitraire qui serait le
contraire de la loi. Les gouvernants doivent suffisamment légiférer et
réglementer pour guider la force et lui fixer son mode d’emploi aussi égal
pour tous que possible. La force ne se met en œuvre ni au faciès ni à la
« tête du client ».
Elle a aussi besoin de quelques moyens matériels affirmés.

Les incertitudes du budget


Qui paye et comment pour la force publique
et qui en profite ?
25
La force se paye à prix fort . Parfois à prix trop fort si l’on suit la Cour
des comptes dans son référé du 3 février 2015 selon lequel la gestion des
carrières dans la police et la gendarmerie entre 2004 et 2012 a été coûteuse
et a manqué de vision stratégique. Parfois à prix fort, si l’on examine le
« protocole de valorisation des carrières » signé le 11 avril 2016 par le
ministre de l’Intérieur, les syndicats de police et le conseil de la fonction
militaire de la gendarmerie. De même en 2016, le ministre de l’Intérieur,
non seulement revalorise l’IJAT (« indemnité journalière d’absence
temporaire », supplément au traitement en cas de déplacement) perçue par
les forces mobiles très sollicitées pendant cette année : par jour de
déplacement : 33 euros au 1er juillet 2015, 35 euros le 1er janvier 2016,
er er
37 euros au 1 juillet 2016 et 39 euros au 1 janvier 2017, mais aussi
prolonge la tolérance excluant la fiscalisation de cette indemnité…
La force entend bien disposer des moyens qui lui paraissent nécessaires
26
à ses missions. On l’entend protester : « On a des fusils HKG36, mais ils
ne rentrent pas dans le coffre des vieilles berlines avec le reste de
l’équipement ! On a un fusil à pompe, mais pas plus de 10 cartouches… »
Elle veut des armes, des véhicules, des protections, des primes, des carrières
et des secondes carrières. Des immeubles, de l’éclairage, du chauffage et
des ordinateurs aussi.
Les parlementaires, comme la presse, le savent bien. Mais le poids des
syndicats de police et pénitentiaire, rejoints progressivement par les
27
« associations » de militaires , n’explique pas tout. La force présente ses
additions avec la force de l’évidence. Si vous ne nous donnez pas ce que
nous voulons, le pays est en péril. Pour les budgétaires, la force et la santé
sont les deux dossiers les plus difficiles. Dans les deux cas, ne pas financer
risque de mettre en cause des vies. Mais financer à guichet ouvert revient à
subir la loi de la force.
Aussi, voyons-nous prospérer, depuis une vingtaine d’années, les
montages privés pour équiper les forces : 26 % de l’ensemble des casernes
de gendarmerie sont loués auprès de bailleurs 28. Cet art de rejeter le poids
de la dépense sur les générations futures, en externalisant l’investissement
qui allège artificiellement la charge budgétaire immédiate, menace les
finances de la force pour les années futures. Le ministère de la Justice va
connaître des années immobilières noires compte tenu du poids, pendant
des dizaines d’années, des « loyers » cumulés, d’une part, de l’imprudent et
dépensier partenariat public/privé pour le projet du palais de Justice de
29
Paris , et, d’autre part, pour les prisons financées par ce même moyen.
Encore, pour les prisons, la ministre avait-elle su en 2000, contre l’avis de
son administration pénitentiaire, refuser un énorme marché de gestion
30
privée pour insuffisance de concurrence . La Cour des comptes n’a pas eu
tort de formuler des mises en garde contre ce type de financement prisé par
justice et police, dans ses rapports publics de janvier 2006 et de février
2015. Au moment où, à l’été 2016, les États-Unis renoncent aux « prisons
privées » dont ils avaient été les pionniers. Au moment, aussi, où le
président de la République annonce en mai 2015 une revalorisation des
moyens de l’armée par une modification sans précédent de la loi de
programmation militaire mais en écartant le recours aux « sociétés de
projet » qui auraient permis à l’investissement privé de secourir les finances
militaires.
La force a un coût, un juste coût. Le garde des Sceaux pousse un cri
d’alarme le 3 avril 2016 : « Le ministère n’a plus les moyens de payer ses
factures », il rejoint les chefs d’état-major au bord de la démission du fait
des retards, à leurs yeux, dans l’application de la loi de programmation
31
militaire en mai 2014 . Le ministère de l’Intérieur critique les véhicules
o
dépassés et les gilets pare-balles insuffisants. En outre, la loi n 83-8 du
7 janvier 1983 prévoit la responsabilité de l’État du fait des attroupements
32
pour les délits commis « à force ouverte » et la République indemnise à
chéquier ouvert. À cela s’ajoute désormais, après la décision du Conseil
d’État de juillet 2016 33, la possible indemnisation des portes brisées lors de
perquisitions administratives comme l’assure la justice judiciaire depuis
longtemps pour les perquisitions judiciaires.
Les budgets des forces civiles et militaires resteront l’un des sujets les
plus impérieux et risqués des prochaines années, d’autant que les lois de
programme sont en principe des éléments de garantie contre les
renoncements.

La force, toujours en attente de financement, est aussi un gigantesque


34
marché, que les salons consacrés à la sécurité et à la défense (Eurosatory ,
Milipol 35, Préventica 36…) mettent bien en lumière. Neutronic y présente ses
alarmes techniques, Sorhea ses détections périmétriques, Hik Vision ses
caméras de vidéosurveillance, Capital sécurité ses « adjoints de sécurité
canins » car « bien dressé, un chien est un complément de valeur à la
prestation de l’agent de sécurité ». Même au congrès de l’Association des
maires de France de 2016, les marchands de force sont là : au stand H26,
Redcore SAS vante son « Kann44CLR… premier lanceur de balles de
défense de calibre 44 mm à canon rayé de fabrication française… ayant les
mêmes performances que le lanceur de 40 mm utilisé par la police et la
gendarmerie nationales ». Aux États-Unis, l’une des start-up les mieux
cotées, juste après Uber, vend du renseignement, ou plus précisément, des
outils d’analyse de données à grande échelle. Palantir Technologies fait des
affaires avec la force 37. De tout temps, les marchands de canons et de
sécurité jouent, dans les politiques de sécurité au sens large, un rôle aussi
important que sous-estimé. Et qui vaut bien, en influence, le rôle de ceux
qui développent seulement, avec une persévérance exotique, la volonté de
penser la force… Et si les marchands prospèrent, c’est parce que, au-delà de
l’État, chacun rêve de sécurité pour lui et sa famille. Ce ne sont que verrous,
clés, digicodes, cartes électroniques, alarmes, portes blindées et même
reconnaissance par l’iris ou l’empreinte digitale. L’étape ultime, Tallemant
des Réaux (1619-1692) l’avait déjà prévue : « Un autre fit mettre un petit
verrou en dedans de sa bière afin d’y être en sûreté 38. »
S’agissant de la première mission de l’État, les budgets de la force
(Justice, Sécurité, Défense) devraient faire l’objet d’une trajectoire
pluriannuelle sur une longue période. Le destin du pays passe aussi par ces
budgets. C’est le cas pour l’armée, la loi no 2015-917 du 28 juillet 2015
actualise la programmation militaire de 2015 à 2019. En vue du budget
2017, le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, tente de prendre la même
direction. Il en va de même pour l’Intérieur.

Les incertitudes de la justice


Trop souvent, la justice doute d’elle-même face
à la force

« Le juge est la bouche de la loi. » Encore faut-il qu’il n’ait pas la


bouche cousue par la force. Combien de juges, dans tous pays, penchent
naturellement pour la force ? « Si je jugeais contre la force, mes jugements
ne seraient pas exécutés. Remarquez messieurs, que les juges ne sont obéis
que tant qu’ils ont la force avec eux. Sans les gendarmes, le juge serait
qu’un pauvre rêveur. Je me nuirais si je donnais tort à un gendarme. » Ce
discours romanesque du président Bourriche 39 est à la fois tragique et
dérisoire. Est-il si dépassé ? Que peut dire le juge de la force ?
Ses jugements ont beau se décorer de la force exécutoire « à tous
commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte
lorsqu’ils en seront requis », la justice doute, elle-même, de la manière dont
ils seront exécutés. Et dès qu’elle innocente la force publique de la mort
d’une personne interpellée 40, elle est soupçonnée d’indulgence illicite
comme pour le verdict du tribunal de Rennes le 18 mai 2015 relaxant les
deux policiers qui poursuivaient les deux jeunes Zyed et Bouna morts par
électrocution à Clichy-sous-Bois en fuyant les forces de l’ordre. Et
pourtant, elle remplit son office, avec constance et indépendance, comme en
juin 2016 en ouvrant une enquête préliminaire pour « violences volontaires
en réunion », « séquestration et menaces avec armes » visant cinq militaires
de la force Sangaris en Centrafrique soupçonnés d’avoir passé à tabac deux
Centrafricains.
La justice doute autant d’elle-même quand il s’agit de commander la
force. En juin 2016, le sociologue Christian Mouhanna explique que « le
parquet a du mal à poursuivre les violences policières en raison de sa
proximité avec les forces de l’ordre 41 ». Certes, nous ne proposons pas de
rattacher la direction centrale de la police judiciaire au ministère de la
Justice. Car la police judiciaire est plus forte immergée dans l’ensemble de
la police et de la gendarmerie nationales pour que circulent les informations
et travaillent ensemble les différents métiers de la police. Mais depuis
combien d’années, un nouveau directeur central de la police judiciaire
oublie-t-il systématiquement de venir se présenter au garde des Sceaux ? Il
ne s’agit pas seulement d’une discourtoisie mais d’un manquement
symbolique, résultat des confusions accélérées dans les années 2000 sur les
distinctions entre police administrative et police judiciaire comme entre
police et justice. « La police judiciaire peut devenir un instrument parfait et
la plus grande force de la préfecture de police », écrivait Macé en 1890 dans
son livre précité. Aujourd’hui, le « 36, quai des Orfèvres » devrait être la
vitrine de la préfecture de police. Malgré quelques difficultés
déontologiques en 2013-2015, la police judiciaire doit être la rencontre
précieuse et sensible entre force et justice. À préserver absolument.
Avec toutes ces incertitudes, la justice est tenue de remplir son office. Et
d’oser soulever l’incompréhension par les remises en liberté qu’elle juge
nécessaires. Quand, en avril 2016, le tribunal de Hambourg fait libérer un
délinquant sexuel parce que la prison de Fuhlsbüttel n’offrait pas les
possibilités de thérapie adaptée, le verdict n’est pas compris de tous. Le
délinquant devra porter un bracelet électronique. Mais bonne justice qui
dérange quand il le faut.
Quand à l’été 2016, un jeune, connu de la justice, assassine le curé de
Saint-Étienne-du-Rouvray, le Premier ministre évoque l’« échec de la
justice » mais ajoute qu’il ne sera pas « celui qui, au mépris de tout
équilibre des pouvoirs, tomberait dans la facilité de rendre ces juges
responsables de cet acte de terrorisme ». Pour bénéficier d’une justice
pleinement capable de prendre ses responsabilités, mieux vaut que tel ou tel
juge ne soit pas cloué au pilori pour ses décisions si difficiles soient-elles.
Dans le cas contraire, mis sous pression, certains juges, se sentant contraints
de choisir toujours la sanction la plus drastique, renonceraient à leur office
pour le plus grand danger des citoyens.

Pour remplir son office, la justice nationale compte déjà sur la justice
internationale qui crée, dans une relative discrétion, un embryon de force au
service de sanctions internationales. Au-delà même des institutions de
l’Union européenne, les premiers résultats de la justice pénale mondiale
commencent à sanctionner la violence sauvage : en mars 2016, le TPI
(Tribunal pénal international) condamne Karadzic, chef politique des
Serbes de Bosnie, à quarante ans de détention pour génocide et crimes
contre l’humanité. Et la CPI (Cour pénale internationale) juge et condamne
à la même époque le djihadiste qui avait détruit les mausolées de
Tombouctou et exercé la terreur sur les populations.
La justice peut retrouver des certitudes.

Les incertitudes de l’urgence


L’urgence est à manier avec une extrême prudence

Tous les responsables savent que l’urgence est à la fois un anesthésiant


et un dopant dangereux qui fait perdre à l’intéressé la juste mesure de sa
force. Faut-il alors instituer un contrôle antidopage pour nos processus
publics ?
Depuis la loi no 55-385 du 3 avril 1955, l’état d’urgence existe dans
notre corpus juridique : il peut éviter de confier l’ordre public à l’armée (ce
serait l’état de siège de l’article 36 de la Constitution) ou de confier tous les
pouvoirs à l’autorité (ce serait son article 16).
En soi, l’état d’urgence peut être nécessaire. Il l’a été en 2005 ou dans
les premières semaines de son institution en 2015. Mais comme tous les
stupéfiants, il devient insupportable quand il se prolonge et même
parasitaire quand il dure sans servir utilement. Il est, en lui-même, subversif
de l’ordre juridique alors que sa finalité est de lutter contre la subversion.
Pour combattre des adversaires qui veulent renverser la société, celle-ci
abandonne en partie les règles les plus élémentaires par lesquelles elle se
définit 42.
Il s’agit seulement, avant de s’en servir, de mettre en balance les coûts
spécifiques, financiers et politiques de l’urgence au regard des bénéfices
attendus.
Parmi les bénéfices, un effet de surprise et d’autorité dans les premières
semaines. Parmi les coûts, la multiplication des débats tels que « Sécurité :
43
la France en fait-elle trop ? » avec des prises de position pour (« oui, il
faut d’urgence un Patriot Act à la française ! ») ou contre (« la France a tort
de renouer avec l’état d’exception »).
Pour savoir sortir de l’état d’urgence, les autorités françaises auraient
tout intérêt à mieux s’inspirer des travaux d’universitaires comme le
professeur François Saint-Bonnet, Vincent Souty, auteur d’une thèse récente
sur La Constitutionnalisation des pouvoirs de crise, essai de droit
comparé 44 ou Olivier Beaud 45 et tout autant, de la proposition du professeur
américain Bruce Ackerman sur l’« escalier supermajoritaire » qui consiste à
exiger du Parlement, lors de chaque renouvellement de l’état d’urgence, une
majorité plus forte : 50 % lors de l’institution initiale, 60 % pour le premier
renouvellement, 70 % pour le deuxième et ainsi de suite. Il est de plus en
plus urgent de faire cesser l’état d’urgence. L’exécutif peut aussi écouter les
rappels du législatif quand le rapport 46 sur le contrôle de l’état d’urgence de
décembre 2016 des députés Raimbourg et Poisson rappelle que « la voie
judiciaire est l’outil prééminent de la lutte antiterroriste ».
Et, mieux encore, pour savoir ne pas y entrer, quelques pages de Gabriel
Naudé auraient pu refroidir leurs ardeurs 47.
Quant à Vigipirate, dont le nom est en soi tout un programme, il faut se
souvenir comment le préfet R. Pautrat avait retrouvé en 1989 ce plan qui
dormait dans les tiroirs de Matignon depuis son écriture en 1978 48. Sa mise
en œuvre donnait à bas prix, mais à grand bruit, l’occasion d’affirmer la
vigilance et la mobilisation des autorités. L’opinion était frappée à la fois
par le caractère martial du plan et par son caractère d’anticipation qui
conforte l’image d’un gouvernement prévoyant, avec une réaction préparée
pour chaque situation. L’urgence est d’abord psychologique, pour rassurer
ceux qui vont s’en prévaloir et stupéfier ceux qui voient monter contre eux
cet appareil d’exception. En même temps, Vigipirate affaiblit la distinction
police/armée en instillant une « forme de mise en état de guerre
permanent » qui n’est pas sans inconvénients 49.
L’art de faire face à l’urgence fait de moins en moins l’unanimité en
2016. François Heisbourg a choisi cet épisode pour livrer sa charge contre
le gouvernement, Comment perdre la guerre contre le terrorisme 50, en
regrettant que n’ait pas eu lieu un débat national d’examen et de contrôle
sur le fonctionnement de tous les services concernés. Et le professeur Paul
Cassia s’affirme « contre l’état d’urgence 51 » qui pourrait se révéler
dangereux s’il était manié par un pouvoir autoritaire, ce qui est parfaitement
exact. L’urgence est une dérogation. Et les dérogations, comme la loi
pénale, s’interprètent strictement. Le plus important dans l’urgence est d’en
sortir.
CHAPITRE 6

1
Force reste à la loi

La loi du 23 floréal an IV précitée prévoit que les vingt-quatre officiers


de paix créés à Paris « porteront pour marque distinctive un bâton blanc sur
lequel seront gravés ces mots : force à la loi ».
« Force doit rester à la loi » : la formule est tellement usuelle qu’elle a
été reprise par Georges Méliès, pour un de ses courts métrages en 1899, la
même année que ses films sur l’affaire Dreyfus, autre manière de traiter de
la force.

Décrivant, dans une conférence en 2016, « la justice dans la


construction de l’État en France au Moyen Âge, XIIIe-XVe siècle », entre
Louis IX et Charles VII, la professeure Françoise Autrand concluait que
« la justice n’est plus seulement le but de l’État, au fil des ans, elle est
devenue la force de l’État ».
Chacun perçoit instinctivement que la force éclate et écrase tout si elle
n’est pas maîtrisée : « La force doit hommage à la justice. L’épée de Mars
rend partout ses respects à celle de Thémis », rappelle le Dictionnaire
général et curieux de César de Rochefort (1685).
Il faut une force, une force qui, non seulement obéisse à la loi, mais une
force dont la loi soit la finalité.
Bien sûr, la loi pense et proclame sa propre force obligatoire. Un décret
non publié est dépourvu de force obligatoire : Conseil d’État, 28 décembre
2007, no 275138. Mais il faut donner à la loi les moyens de l’emporter et, si
nécessaire, pouvoir adosser la force obligatoire théorique à la force
concrète.

Le dernier mot ?
La force pour préserver la liberté

La force publique a vocation à témoigner, et éventuellement à imposer,


la force de la loi sans échappatoire possible.
Pour avoir le dernier mot, il est souvent plus prudent d’avoir le premier.
L’art de la prudence et de la prévention est inhérent à l’art de gouverner.
« Lumos kelmin pesso desmar lon Empesso », c’est-à-dire : « Je m’engage à
vivre en paix avec le Prince et son Royaume. » Telle est la promesse que
2
Gulliver est contraint de prononcer, sous menace de force, dans la langue
du pays, à son « arrivée » à Lilliput. Gulliver, cette métaphore vivante de
l’immigrant envahissant et suspect, boat-people qui fascine et gêne à la fois
la société qui l’accueille, n’est pas reçu spontanément à bras ouverts. Sur le
rivage où il a échoué, il est aussitôt et avant tout entravé, ligoté, réduit à
l’immobilité, tenu sous bonne garde de l’armée de Lilliput. La force le tient
en l’état pendant que les autorités délibèrent sur son sort. C’est la
métaphore de zone d’attente ou du hotspot avant l’heure. L’arrestation de
précaution. La force d’abord puis la « liberté si », la liberté sous conditions.
L’immigré débarqué doit s’engager à vivre en paix avec le royaume.
Accessoirement à y rendre des services. Et ne pas causer de dommage par
sa taille. Mais il finira par se perdre dans les contradictions et les rivalités
de ses deux pays d’accueil, Lilliput et Blefuscu, pour retourner dans sa
patrie, par-delà les frontières. Les rivalités et désaccords picrocholins entre
États européens pour l’accueil des migrants ne datent pas d’hier…
La force ne déteste pas prendre ses aises « à toutes fins utiles », pour
faire face « au cas où ». La force n’aime pas être surprise. Et, ce faisant, elle
s’affirme par tous les moyens, comme le bon élève habitué à être le premier,
prêt à perdre raison pour conserver son titre.
Pour que la loi ait le dernier mot, appuyée, si besoin, sur la force, celle-
ci devra se mouvoir au nom de l’autorité légitime. Telle est la fonction
première de l’institution et de l’État. Ceux-ci définissent en même temps la
finalité de la force, ses moyens et ses usages. Par le miracle de l’institution,
la force mute en garantie des libertés.
Quand tout le reste a été dit et a été fait, « la garantie des droits de
l’homme et du citoyen nécessite une force publique » selon l’article 12 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La déclaration
s’est souvenue de l’article II du premier titre de l’ordonnance royale de
1670 qui, déjà, allait dans le même sens. Les écoliers de 1903 devaient, sur
cet article 12, répondre aux (intéressantes) questions suivantes : « 1) À
quelle condition un État pourrait-il se passer de force publique ? ; 2) À quoi
servent l’armée et la police ? […] Que devons-nous désirer au sujet de la
force armée ? Pourquoi la force publique ne peut-elle pas devenir un moyen
d’asservissement ? […] Qu’est-ce qu’un coup d’État ? Que pensez-vous des
auteurs de coups d’État, et de ceux qui les approuvent 3 ? » Il serait utile de
reprendre ce manuel et d’aller le lire et le commenter dans les écoles et les
lycées du siècle suivant…
Cet article 12, encore, est cité par Marceau Long dans son article de
1991 : « La gendarmerie et l’État de droit ». « La force publique trouve
4
dans la loi à la fois son fondement et ses limites . »
La loi a besoin du « concours de la force publique », dans toutes les
hypothèses, depuis l’encadrement des grandes manifestations jusqu’aux
ordonnances d’expulsion locative 5 en passant par le vol de billets devant les
distributeurs automatiques et la lutte contre le terrorisme. De même, à
l’international, dans son avis du 14 mai 1998 sur la justice pénale
internationale, la Commission nationale consultative des droits de l’homme
appelait à une « réflexion d’ensemble sur le rôle de la France comme
“soldat de la paix” qui ne doit en aucune manière remettre en cause sa
tradition de “soldat du droit” et constituer un obstacle à la création d’une
Cour criminelle internationale… ». Le soldat de la loi 6 est là pour donner le
dernier mot à la loi. À cette fin, chaque soldat français en opération
extérieure reçoit une petite carte qui lui rappelle qu’il est « ouvert sur le
monde et la société et en respecte les différences […],
fier de son engagement, il est toujours et partout un ambassadeur de son
régiment, de l’armée de terre et de la France ».
Un système démocratique se juge aussi par la nature du « convertisseur
de force en loi », autrement dit à la qualité de son Code de procédure pénale
dont on ne soulignera jamais assez l’utilité et l’importance : la loi fait la
force pour la liberté. Dans tous les pays démocratiques, la formule est la
même comme l’analyse la secrétaire générale du SPD allemand en 2016 7 :
« La liberté est le contraire de la prévisibilité mais non de la sécurité. La
liberté et la sécurité ne sont pas contraires et la sécurité ne prime pas [sur] la
liberté ; la liberté est tout. La sécurité doit la servir. Sans liberté, la sécurité
n’est rien. C’est pourquoi nous choisissons la liberté. » Donc la force doit
être présente mais au service de la liberté.
Sinon, à qui s’adresser quand des dealers privatisent les parties
communes d’un immeuble et bientôt obligent les locataires à stocker leur
drogue ou leurs armes ?
Sinon, à qui s’adresser quand un restaurant réveille, nuit après nuit, tous
les immeubles avoisinants par sa musique tonitruante ? La justice inventera
la différence entre bruits d’activités et les bruits de comportement par les
musiques, rires et éclats de voix. L’article R. 1337-7 du Code de la santé
publique s’impose 8. Ensuite, il faudra une patrouille de police pour aller
éteindre la sono…
Sinon à qui s’adresser quand un bus est bloqué par une bande qui
entend molester tel ou tel voyageur qui n’en peut mais ?
Sinon à qui s’adresser en cas de blessure ou mort par accident de la
circulation ?
Sinon, et surtout, comment éviter le piège du terrorisme, si bien analysé
dès 1979 par Henri Noguerès 9, alors président de la Ligue des droits de
l’homme :

Si le gouvernement […] ne trouve pas d’autre moyen de lutter


contre le terrorisme que de restreindre les libertés, il s’y laisse
prendre. On connaît alors de processus : limitation des garanties
judiciaires, notamment en ce qui concerne les droits de la défense,
extension des pouvoirs de la police, mesures discriminatoires visant
en particulier la jeunesse, interdictions professionnelles, atteintes à
la liberté de pensée, aux libertés d’expression, d’information…
Du coup, ce que les terroristes dénonçaient devient vrai… et
l’accentuation de leur pression se trouve sinon justifiée, du moins
expliquée.

Pour mériter le dernier mot, la loi ne doit jamais oublier qu’elle sert la
liberté et qu’elle est servie par la force.
Parmi ceux qui, en toutes circonstances, répondent à ces appels de force
pour la liberté, il y a aussi l’armée.
Le premier mot de l’armée
L’action de l’armée sur le sol national :
à la fois utile et limitée

Les « forces armées » sont définies par la loi. Selon l’article L. 3211-2
du Code de la défense, « les forces armées de la République sont au service
de la nation. La mission des armées est de préparer et d’assurer par la force
des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation ».
L’armée, elle-même, et plus que tout autre, est encadrée par la loi pour
ses devoirs et ses droits conformément à la recommandation « les droits de
10
l’homme des membres des forces armées ». Mais toujours sous
« l’autorité et au contrôle suffisants » de leur État 11.
Force reste aussi à la loi de l’Union puisque, selon la Cour de justice de
l’Union dans sa décision du 26 octobre 1999, Mme Sirdar c/ The Army
Board : les décisions prises par les États membres en matière d’organisation
de leurs forces armées n’échappent pas au droit de l’Union 12.
L’armée française est éduquée au respect de la loi. Le magistrat Louis
Joinet 13 lui rend un hommage pour ses missions de « gardien de la paix » en
Krajina, République serbe autoproclamée quand, en 1992, un « colonel
français exceptionnel avait reconverti ses agents de renseignement en
enquêteurs (très exigeants) pour les droits de l’homme. Si bien que la SM
(sécurité militaire dont j’avais, aux temps jadis, combattu les méthodes avec
la Ligue des droits de l’homme) exfiltrait courageusement et mettait à l’abri
des victimes désignées de l’épuration ethnique… ». L’armée française est
l’une des plus engagées pour mettre la force au service du droit
international. Personne ne doit jamais l’oublier.
En même temps, l’armée, sans le dire, est fascinée par la force civile.
Elle entretient un rapport sensible avec la mission de police sur le territoire
national. Elle sait que tous les pouvoirs civils gardent un œil sur ses
tentations de présence et d’engagement. Elle attend son heure. Elle assure
qu’elle ne se dérobera pas à sa mission quand le pouvoir civil lui demandera
d’agir sur le territoire. Fin 2015, pour la première fois depuis la guerre
froide, le pays engage autant de militaires à l’intérieur et à l’extérieur. Le
mode normal alors de relation entre le pouvoir civil et l’armée est la
réquisition de celle-ci par celui-là. La réquisition est une condition légale
indispensable pour, à la fois, marquer le caractère incongru de l’armée
faisant la police et subordonner juridiquement et pédagogiquement le
militaire à l’autorité civile.
C’est la raison pour laquelle, on ne peut que regretter la décision de la
14
loi du 3 août 2009 de supprimer, en partie, le principe même de la
réquisition de la gendarmerie par les préfets instituée un siècle plus tôt par
Clemenceau et son ministre de la Guerre, Georges Picquart. Le décret
o
n 2011-794 du 30 juin 2011 « relatif à l’emploi de la force pour le maintien
de l’ordre public » marque le recul de la réquisition en forme désormais
limitée aux moyens lourds (comme les véhicules blindés). Devant la
commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le maintien de l’ordre
public républicain, le 12 février 2015, le général Favier, alors directeur
général de la gendarmerie, en convient à propos de la traçabilité des
directives données par l’autorité civile :

Jusqu’au rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur


en 2009, les ordres donnés s’inscrivaient dans le formalisme des
réquisitions. Ce cadre, certes trop rigide, n’en constituait pas moins
une garantie forte pour contrôler l’emploi de la force. Cela étant, si
une évolution s’imposait, on est peut-être allé un peu trop loin.
Il existait alors trois types de réquisitions. La réquisition générale
mettait une force à disposition de l’autorité administrative. La
réquisition particulière, ensuite, assignait une mission à cette force,
englobant les questions d’emploi de la force donc, par exemple, le
tir de grenades lacrymogènes. Enfin, la réquisition complémentaire
spéciale prévoyait l’usage des armes, donc l’emploi de certaines
munitions – il s’agissait d’un document papier donné par l’autorité
civile au responsable de la force et qui comprenait des termes très
forts.

C’est la raison pour laquelle, aussi, l’ombre de l’état de siège plane sur
l’état d’urgence. Le transfert à l’armée du pouvoir de maintenir l’ordre
transforme aussitôt le fondement de l’État démocratique. C’est l’état de
15
siège qui fait peur, pas seulement au cinéma . En cas de péril imminent
pour la nation, l’armée s’érige en pouvoir. L’effacement du pouvoir civil est
en soi un péril national pour contrebattre un autre péril.
Le débat sans précédent (et sans vote) au Sénat le mardi 15 mars 2016,
et le lendemain à l’Assemblée nationale, sur « les conditions d’emploi des
armées sur le territoire national » doit interpeller le citoyen 16. « L’armée
dans les casernes » est un cri républicain rassurant. Pourquoi devrait-elle en
sortir ? Quand le ministre de la Défense écrit que la menace terroriste
« justifie la militarisation de notre réponse » et qu’« il ne s’agit plus de se
contenter d’apporter un complément d’effectifs, mais de conduire dans le
cadre de la sécurité intérieure, de véritables opérations militaires à la
disposition de l’autorité civile », il soulève quelques questions préalables :
Qui « conduira » ces opérations militaires ? Comment se combineront
l’armée et la police à la recherche des mêmes terroristes, comment les
renseignements civil et militaire convergeront ? Quels seront les rapports
entre l’armée et la justice dans de telles opérations ?
Déjà, le ministre de la Défense offre ses capacités militaires de
« collecte des informations d’ambiance ou d’environnement ». À
l’Assemblée nationale, le 16 mars 2016, il annonce :

l’optimisation de l’emploi des forces engagées dans le cadre du


nouveau contrat de protection dans l’opération Sentinelle, mais qui
peut revêtir d’autres formes et dénominations, la réorientation d’une
partie de la préparation opérationnelle des forces terrestres au profit
de la sécurité intérieure.

Heureusement :

le gouvernement a fait le choix d’exclure expressément de cette


posture, premièrement, les actions relevant du domaine judiciaire,
hors réquisition spécifique de l’autorité judiciaire, deuxièmement,
les opérations de maintien de l’ordre public, telles que le contrôle de
manifestations, de foules ou d’émeutes sur la voie publique, en
dehors des états d’exception prévus par la Constitution, c’est-à-dire
de l’état de siège.

Sauf catastrophe nationale de grande ampleur, ces précautions sont


sages. Mais l’information précieuse que nous apporte cette discussion
parlementaire est que ces précautions résultent d’un choix et non de
l’évidence. C’est donc que, préalablement, un débat interne au
gouvernement a eu lieu et que d’autres hypothèses, élargissant plus encore
la mission de l’armée, ont pu être envisagées. Dans le même sens,
le ministre révèle qu’« a été écartée l’idée de créer des unités militaires
spécialisées pour le territoire national ». Ont finalement été refusées par le
gouvernement, l’extension de la qualité d’officiers de police judiciaire aux
militaires hors gendarmerie et l’intervention de la Direction du
renseignement militaire (DRM) sur le territoire national. C’est le choix de
la clarté. De justesse aux deux sens du mot…
Ainsi se développe discrètement, au-delà de ce débat sans vote, une
interrogation fondamentale sur le retour de la force armée dans notre vie
17
civile . « En démocratie, on ne peut pas mettre l’armée dans la rue par
glissements successifs… la question n’est pas comment le faire, mais
18
pourquoi faire ? », interroge justement, dans Le Monde en 2015, le
général Castres, sous-chef Opérations de l’état-major des armées. De son
côté, le ministre a raison de souligner qu’il n’existe qu’une seule armée, à
l’intérieur comme à l’extérieur.
Mais il existe deux façons de peser par la force sur le territoire : le civil
et le militaire. Et le député André Chassaigne (PCF) mettait en garde contre
« le retour dans le dernier Livre blanc de l’expression “ennemi intérieur”
[…] considérée par les démocrates comme une boîte de Pandore,
productrice de stigmatisations et de discriminations 19 ». Sauf urgence
impérieuse, il ne faut pas que les terroristes réussissent indirectement à
effacer la distinction entre sécurité intérieure et défense qui participe à la
fois de nos libertés et de la crédibilité des armes de la France à l’étranger.
Contrairement à l’axiome plus ou moins implicite de ce débat, le continuum
o
des menaces intérieure et extérieure (réaffirmé par la loi n 2015-97 du
28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire) n’implique
aucunement d’élargir les Opex (opérations extérieures) aux rues de nos
villes. Les Opint (opérations intérieures) doivent rester l’exception.
Il en va de même en Allemagne où la Constitution limite l’action de
l’armée sur le sol national au cas de catastrophe, attentat majeur et menace
pour l’ordre démocratique du pays.
Michael Walzer marque bien, en 2015, la différence entre police et
armée :

Pour la police, faire cinq morts au cours d’une poursuite lancée pour
capturer un terroriste de première importance serait perçu comme un
usage excessif de la force. Pour leur part, les soldats peuvent faire
des calculs de ce genre en zone de guerre (bien qu’ils les fassent
souvent de travers), mais la police n’y est pas autorisée en zone de
20
paix .
Et finalement, entre police et armée, quel dernier mot reviendra encore
à la Justice ?
L’opportunité de déléguer, puisque c’est de cela qu’il s’agit, l’exercice
de pouvoirs de police à l’armée doit vigoureusement se discuter. Comment
ne pas s’interroger quand on lit que le ministre de la Défense prépare déjà
les étapes suivantes ?
D’une part, en allégeant encore plus ce qu’il reste de réquisition : la
Défense souhaiterait que les réquisitions des préfets soient rédigées sous
forme de « buts à atteindre et non plus de listes de moyens » par
exemple « sécuriser le quartier X » plutôt que « mettre cinquante soldats
le jeudi devant tel site ». D’un point de vue militaire, la Défense, qui
aime les coudées franches, a raison de revendiquer une autonomie
opérationnelle de ses unités. Cette souplesse et cette autonomie du
colonel font la force des armées en opération. Mais cette même
autonomie dans la campagne ou la ville française serait une imprudence
si ce n’est une faiblesse. Une bonne et forte police, au service du
gouvernement quand il s’agit de prévenir et sous l’autorité de la justice
quand il s’agit d’appréhender et de punir, devrait suffire à faire face.
D’autre part, en envisageant d’engager ses blindés, drones ou radars et
grandes soucoupes d’écoute sur la terre et dans les airs de la
République. Au printemps de 2016, ce dévouement de l’armée se fait
plus pressant.
Le rapport sur l’opération Sentinelle remis au Premier ministre le
17 février 2016 21 présente « les évolutions permettant de garantir la
disponibilité, la capacité d’action et l’efficacité des effectifs militaires
engagés dans la mission de protection du territoire national ». Il y est
question de ministère de l’Intérieur « autorité menante » et de militaires
« concourants ». Les militaires ont un rôle à jouer mais seulement si le
besoin s’en fait ressentir et aux conditions du pouvoir civil. C’est le
moment d’en rester aux principes éternels que l’émotion légitime suscitée
par les horreurs terroristes ne doit pas modifier.
Ainsi encadrée par la loi et à son service exclusif, la force se civilise et
démontre son caractère à la fois indispensable et constitutionnel. Tout en
respectant à la fois :
la noblesse du métier des armes qui amène le général Jean-Pierre
22
Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre à rappeler utilement, en
janvier 2016, que son armée « ne veut ni devenir une force de sécurité
intérieure démarquée » ni être « reléguée au statut d’auxiliaire et de
supplétif » ;
la spécialité des armes qui fait écrire au chef d’état-major des armées, le
23
général de Villiers, en janvier 2016 , l’importance de la « vertu de la
Force » face à la violence et la nécessité de dépasser la force qui, si elle
est « agissante, n’est pas suffisante ».
Cette approche globale appelée de ses vœux par le général passe par une
pluralité de moyens.

Par tous les moyens ?


Seulement les moyens appropriés,
des fichiers à la contrainte

La philosophie du « dernier mot » n’est pas sans risque.


L’institution de force, ou même l’homme de force chargé de maintenir
ou de ramener l’ordre, va faire de cette mission « sa » chose. Il ne va pas
envisager de reculer, mais va hausser le degré de la force. Puis, pour ne pas
avoir à hausser le niveau de force sous l’urgence des événements, il va
vouloir se renseigner préalablement. Y compris utiliser la force de
l’intimidation ou la force brute pour quérir ces informations. Et, un jour,
une nation trop bienveillante vis-à-vis de la force des autres se réveille avec
la mort du militant Ben Barka et découvre qu’elle entretient un ou plusieurs
Guantanamo. Ou, encore, découvre que, sur son sol, d’autres services
utilisent tous les moyens pour assassiner trois militantes kurdes le 9 janvier
2013 ou manier le parapluie bulgare.
24
L’adage « la fin justifie les moyens » ou, chez Machiavel , « si le fait
l’accuse, le résultat l’excuse » a empoisonné bien des peuples jusqu’à
aujourd’hui.
Le député Vuilque (DVG) interroge le ministre de la Défense sur
l’article paru au printemps 2004 dans la revue des saint-cyriens, Casoar :
« Torture, cas de conscience : le dilemme de deux immoralités ». Selon le
député, l’auteur anonyme s’emploie à établir un cadre juridique à la torture.
Après avoir insisté sur le fait que Casoar n’est pas une revue officielle mais
seulement le bulletin d’une association, argument éditorial plutôt faible, le
ministre souligne que « l’article évoqué […] a fait l’objet de réponses très
25
fermes, notamment dans le numéro suivant en juillet 2004 ». Surtout, il
entre dans le détail de la formation déontologique des forces armées. La
question de la torture y est abordée, « au travers de témoignages et
d’interventions ». La France refuse la torture y compris dans la lutte contre
le terrorisme. La réponse ministérielle ne dit pas si la lecture de la lettre de
26
démission de Paul Teitgen (1919-1991) au ministre R. Lacoste en pleine
guerre d’Algérie est inscrite au programme : secrétaire général de la police
à Alger, il avait lutté contre la torture et préféré renoncer à son poste que
cautionner ce qu’il constatait. La tenue et l’engagement républicain
excluent l’emploi de certains moyens de force.
Comment être sûr que « force reste à la loi » signifie aussi que la force
s’en tienne aux moyens légaux ? Ceci suppose au moins deux conditions :
avoir les moyens et savoir en user.

Avoir les moyens


Et si les moyens que nous consacrons à la force étaient insuffisants ? Ou
inappropriés ? Faut-il payer plus pour ne plus entendre les forces de
27
l’antiterrorisme déclarer qu’elles sont « débordées, que l’heure est à la
saturation » ? D’autant que l’augmentation des moyens, la diversification de
ces moyens et l’innovation dans les méthodes de la force sont primordiales.
Il faut inventer de nouvelles manifestations de force, adapter les contraintes
et les sanctions à ce qui est le plus efficace pour la paix publique et le plus
respectueux de la dignité des personnes. La prison n’est ni la première ni la
seule solution, les interdictions professionnelles, les obligations de
présentation périodique au commissariat, les obligations de stage-citoyen
peuvent opportunément, et à moindre coût, mettre en œuvre la force en
fonction du profil du délinquant.
Cette obligation d’innover dans le choix des moyens de la force, conduit
à mieux utiliser la contrainte financière. Le menaçant ne doit pas trouver les
financements qu’il recherche. Le délinquant doit restituer ou rembourser le
bien mal acquis. À cette fin, la technologie financière est l’arme fatale :
c’est la force des finances contre les finances des violents. Tracfin annonce
une forte hausse des enquêtes pour financement du terrorisme. En 2015, ce
service des finances a transmis 179 dossiers à la justice ou aux services de
renseignement. Et, depuis sa création par la loi du 9 juillet 2010,
l’AGRASC (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et
confisqués) permet l’appropriation collective des produits de l’activité
criminelle parce que, comme elle le proclame fièrement dans ses
documents, « nemo ex delicto consequatur emolumentum » (« nul ne doit
tirer profit de son délit »).
La question des moyens de la force est en permanence d’actualité. La
défense et la police sont des terrains centraux d’innovation et de
performance. Du chien antidrogue au drone pour l’intérieur des bâtiments,
tout nouvel instrument est calculé, testé et contrôlé. Karl Friedrich
e
Dobermann, percepteur d’impôts allemand du XIX siècle, a croisé des
espèces pour aboutir au chien de sécurité auquel il a laissé son nom. Toutes
les grandes entreprises de transmission ou de transport par terre, mer ou air
conçoivent des versions militarisées de leurs modèles.
La force apprécie d’être un laboratoire permanent. Et l’industrie civile
regarde la force comme le futur de ses propres développements.
En matière de vidéosurveillance, nous n’en sommes plus au laboratoire
mais à la grande surface. La Lettre du cadre territorial annonce à l’occasion
du festival : « Cannes : la palme des caméras ! Plus que jamais, Cannes va
pouvoir revendiquer “le dispositif de vidéoprotection le plus dense” du
pays : la ville vient en effet d’installer sa 500e caméra. Soit une pour
147 habitants 28 ». Il est des palmes de toutes natures… Mais les communes
se convertissent largement au regard électronique permanent.

Savoir en user raisonnablement


« La police et les Jésuites ont la vertu de ne jamais abandonner ni leurs
ennemis ni leurs amis 29. » La police est méthodique, hypermnésique,
rancunière et éternelle. Elle est donc fichier. Elle les baptise de mille noms :
depuis ses antiques sommiers (Canonge) jusqu’aux STIC, TAJ, Edvige,
Cristina, PNR… La loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement crée le
fichier judiciaire des auteurs d’infractions de terrorisme (FIJAIT). La police
en demande toujours plus. Mais en demander toujours plus ne suffit pas
pour tout obtenir. La loi est là pour poser des cadres, parfois pour choisir
elle-même les fichiers et les surveillances qu’elle autorise. Et, d’abord, la
police doit impérativement apprendre à s’autolimiter elle-même.
La bataille des fichiers est devant nous. Tous les excès sont possibles,
toutes les surprises aussi.
Jusqu’où peut-on admettre fichage et captation de communications ? La
force peut elle tout embrasser ? Quand le juge administratif refuse 30 aux
autorités le droit de transférer des données du fichier « atteinte à la sécurité
publique » dans le fichier des interdits de stade et constate que les
fédérations sportives y auront accès sans titre juridique, il est aussitôt
contredit : le Parlement, à la quasi-unanimité, vote la loi no 2016-564 du
10 mai 2016 « renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le
hooliganisme ». Il autorise ainsi ces transferts de données à des personnes
privées, les fédérations et leurs agents stadiers, facilite les refus de
délivrance des titres d’accès et crée une possible interdiction de stade de
vingt-quatre mois. Il n’y aura quasiment que le député communiste
Chassaigne pour s’interroger sur la délégation aux sociétés sportives en ce
domaine si sensible de la liberté d’aller et venir et de la liberté de choisir ses
spectacles.
Et pourtant les prérogatives doivent trouver leurs limites…
Quand, dans son assemblée générale consultative du 16 juin 1994, le
Conseil d’État avait réintégré dans le champ de la CNIL (Commission
nationale de l’informatique et des libertés) la naissante vidéosurveillance, il
avait fait œuvre utile comme la suite l’a montré 31.
La CNIL rappelle que tous les moyens ne sont pas à la disposition de
32
tous : ainsi, à propos d’un projet de la commune de Gujan-Mestras, un
dispositif de lecture automatisé de plaques d’immatriculation des véhicules
à partir de caméras de vidéosurveillance n’est permis que pour les services
de police et de gendarmerie et non pour des services municipaux.
De même, le ministre de l’Intérieur Cazeneuve explique en 2016 à la
députée Brenier (LR) que la ville de Nice ne peut pas faire de la
reconnaissance faciale à l’entrée des « fan zones » de la ville. Le ministre
rappelle la décision du Conseil constitutionnel du 22 mars 2012 33 qui a
interdit, à propos des cartes d’identité, un « fichier d’identité biométrique
portant sur la quasi-totalité de la population française » sans garanties
suffisantes. L’attentat du 14 juillet 2016 ne change pas, pour l’instant, le
bien-fondé de cette position. Mais le rapport parlementaire d’information
34
des sénateurs F. Bonhomme et J.-Y. Leconte relance la question des cartes
d’identité biométriques que « plusieurs pays de l’Union européenne
possèdent déjà ». Exemple intéressant où le Parlement appelle à plus de
prérogatives que n’en souhaite l’exécutif lui-même… Faire comme d’autres
pays n’est pas une raison suffisante. Il convient, là comme ailleurs,
d’obtenir les preuves flagrantes de la nécessité de cet élargissement de la
biométrie avant de renoncer à la position actuelle de retenue prudente.
La pression sociale est forte pour que le « toujours plus de moyens »
juridiques et techniques soit accordé à la force.
Dans le même ordre d’interrogation les grands fournisseurs sont-ils
tenus de fournir aux autorités les clés de cryptage de leurs iPhone 6 et 6
plus ? En France 35 comme aux États-Unis, le bras de fer se poursuit, non
avec les délinquants mais avec les fournisseurs de terminaux et de services
achetables par tous, c’est-à-dire aussi par les délinquants. Google, ce
monstre froid dont chacun tolère des empiétements qui, menés par les
services de renseignement, susciteraient la révolte, joue le rôle du chevalier
blanc en soutenant Apple dans son face-à-face avec le FBI quand le
vendeur de communication refusait d’aider le FBI à accéder au contenu de
l’iPhone d’un terroriste abattu à San Bernardino 36. En même temps, Google
37
installe à New York 7 500 relais WLAN offrant à ses clients le téléphone
gratuit et de multiples services. Et aussi une localisation constante, l’accès à
leurs données personnelles, au point de susciter une vigoureuse protestation
de la NYCLU (New York Civil Liberties Union). En Europe, les
Allemands, plus que les Français, s’inquiètent 38.
En France, les deux institutions d’État chargées du numérique, la CNIL,
chargée de contrôler les fichiers, et l’ANSSI (Agence nationale de sécurité
des systèmes d’information) recommandent, en avril 2016, le chiffrement
des données personnelles, le but : « Protéger les personnes et leur vie
privée. » Mais contre qui ? Contre les vendeurs de données ? Contre les
États ? En Allemagne, le tribunal constitutionnel annule le 20 avril 2016
plusieurs dispositions de la loi antiterroriste allemande de 2009 au nom de
la vie privée. Pour provoquer ces précautions impérieuses, la force des
fichiers est-elle devenue folle ? « Échapper à Big Brother, une gageure »,
nous raconte la journaliste Alexandra Ranz qui produit en 2016 un
documentaire sur les traces numériques involontaires que nous laissons à
chaque instant.
Le futur grand débat sur le numérique de sécurité portera sur les moyens
des services de renseignement de collecter des masses énormes de données
avant de les trier sur la base de paramètres d’alerte 39. Cette collecte est
menée soit directement par les services officiels, soit, indirectement, par la
remise à ces services de données collectées par les « services de
renseignement parallèles » que sont devenus dans une trop grande
indifférence les opérateurs mondiaux (Google, Facebook…). La France et
l’Europe doivent inventer de nouveaux contre-pouvoirs à la hauteur de ce
que font à la fois l’Allemagne et la Cour européenne de Luxembourg. En
septembre 2016, le rapport de la protectrice allemande des données,
Mme Andrea Vosshoff (qui, utilement, supervise les missions équivalentes
à celles exercées en France par la CNIL et la CNCTR), met sévèrement en
garde contre la voracité des services de renseignement (BND 40) en matière
de données personnelles, provoquant aussitôt un débat national qui fait
défaut en France. Quant à la Cour européenne de Luxembourg, ses
décisions de 2014 et 2015 montrent qu’elle s’érige en gardienne des droits
fondamentaux et de la vie privée contre la collecte massive de
renseignements par le privé comme par le public. En France, le Conseil
d’État a saisi le Conseil constitutionnel en juillet 2016 d’une question
prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur l’article L. 811-5 du Code de la
sécurité intérieure issu de la loi renseignement de 2015. Le 21 octobre
2016 41, le Conseil constitutionnel juge l’article inconstitutionnel « faute de
garanties appropriées ».
Car ces contrôles sont d’autant plus indispensables que les
parlementaires sont rares à vérifier la gestion de ces fichiers comme le fait
le député Coronado (EELV-PS) sur le Gipasp (gestion de l’information et
prévention des atteintes à la sécurité publique 42), et comme il devrait être
fait sur le FNAEG 43 (Fichier national automatisé des empreintes
génétiques) et sur le FAED (Fichier automatisé des empreintes digitales)
avec, respectivement, plus de 3M et plus de 5M d’empreintes enregistrées.
Ces deux fichiers sont placés sous le contrôle d’un haut magistrat.
Le citoyen doit pouvoir être certain que l’on ne forcera pas ses codes et
que la force n’ira pas se distraire en pâturant dans ses bocages numériques
personnels. En même temps, il attend que bandits et terroristes puissent être
repérés. Il nous reste à inventer une force civique et légale, nationale et
internationale qui mette au pas les indiscrétions des fichiers et réseaux
privés et publics sans porter atteinte aux droits de la personne. Et qui, en
même temps, ne fasse pas obstacle aux intrusions nécessaires à la punition
mais aussi à la prévention des crimes de toute nature. L’Europe peut être
notre chance si elle sait imposer ses normes aux géants de l’exploitation de
nos données 44.
Mieux encore que les États, l’Europe a vocation à assumer
publiquement que tous les moyens de contrainte ne sont ni nécessairement
ni automatiquement accordés aux forces qui demandent à les utiliser.

Savoir utiliser tous ceux dont on dispose


L’homme de force exemplaire est un légaliste. Être légaliste en matière
d’ordre public n’est pas synonyme de « niais du sérail ». Il faut savoir être
« convaincant », voire insistant, si ce n’est importun ou même menaçant.
45
Paul Quilès, ancien ministre de l’Intérieur (1992-1993) raconte que pour
faire lever un barrage routier de poids lourds « un binôme de gendarmes
passe à l’action : le premier casse la vitre et ouvre la portière, l’autre coupe
les fils du démarreur et lance le moteur. Le premier camion est dégagé et
parqué plus loin sur le bas-côté. Puis les gendarmes s’approchent des
camions suivants pour réitérer l’opération ». Les camionneurs comprennent
et le barrage est levé. Quelques années plus tôt, un préfet avait parfaitement
pris en compte le souhait du ministre de l’Intérieur de « libérer » une ville
fermement bloquée par les camions. Le lendemain, miracle, les barrages
étaient levés. Le préfet avait gardé son secret, qui passait par un cocktail
inédit de menaces directes de suppression de permis de conduire, de
fermeture d’entreprise et de pertes de marchés de transport, toutes
« incitations » que le Code des transports comme le Code de sécurité
intérieure ne prévoient pas directement…
Mais tout responsable public est passé un jour, sous la contrainte des
événements, dans une telle phase de « créativité » méthodologique…

La force dispose-t-elle de juges


sur mesure ?
Le juge ne s’adapte pas à la force,
il la contrôle

Le 29 avril 2016, une nouvelle non judiciaire passe inaperçue : l’état-


major américain écarte toute action judiciaire contre les militaires
responsables du bombardement de l’hôpital de Médecins sans frontières à
Kundus en Afghanistan, (42 morts en octobre 2015) pour ne traiter les
responsables qu’au disciplinaire.
Le 9 mai 2016, une nouvelle judiciaire passe inaperçue. Le parquet
antiterroriste parisien requiert le non-lieu pour 31 personnes encore mises
en examen dans l’enquête sur l’assassinat, le 6 février 1998, du préfet
Érignac. Dix-huit ans après le crime, la justice antiterroriste n’avait pas
encore jugé utile d’acter son erreur persévérante ayant consisté à suivre la
« piste agricole » alors que la précaution prise par quelques policiers de
police judiciaire de geler le relevé de toutes les communications
téléphoniques d’Ajaccio le soir du meurtre avait abouti à l’arrestation du
commando assassin dès 1999, coup de filet dont seul Yvan Colonna avait
réussi à s’échapper avant d’être lui-même interpellé et jugé. Cette lenteur à
mettre hors de cause des innocents peut poser question sur le dispositif
judiciaire qui contrôle la force.
En août 1998, s’ouvrait dans le gymnase de la prison de Fleury-Mérogis
un « mégaprocès » de 138 suspects d’actions de terrorisme ciblés par les
juges antiterroristes. De ce procès, grandiloquent dans sa mise en scène, ne
ressortiraient en janvier 1999 que 87 condamnations dont 37 à des peines de
moins de deux ans, notamment pour infractions à la législation des
étrangers ou pour recel de documents. Certes, l’utilité d’un procès ne se
résume pas à l’importance des condamnations mais le procès aurait dû et pu
se concentrer sur le tiers des suspects.
Ces excès montrent que trop d’assurance, trop de communication, de
confusion des rôles entre police et justice, entre parquet et siège, peuvent
aboutir au contraire du résultat recherché dans l’exercice des missions de
justice. D’autant que la justice prend déjà en compte les contraintes des
hommes de force, comme quand la Cour de cassation 46 considère qu’un
fonctionnaire de police est en service et agit dans le cadre de ses fonctions,
dès lors seulement qu’il intervient dans sa circonscription, de sa propre
initiative ou sur réquisition pour rétablir la paix publique.
Depuis la loi de 1986, les actions judiciaires en matière de terrorisme
sont concentrées au tribunal de Paris avec une équipe de parquetiers et de
juges d’instruction qui ne traitent que de terrorisme et pour toute la France.
La cour d’assises qui juge les terroristes est, elle aussi, particulière,
uniquement composée de juges professionnels sans jurés populaires.
Est-ce la meilleure manière de contrôler la force que de disposer d’un
système quasiment intégré ? Où le juge d’instruction fait le policier et où le
policier fait le juge d’instruction ? Faudrait-il alors renforcer encore la
spécialisation en créant un parquet national antiterroriste à côté du parquet
de Paris comme cela a été fait pour le procureur de la République financier
o
national par la loi n 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte
contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ?
Ou, plus encore, recréer la Cour de sûreté de l’État supprimée en 1981 47 et
présente dans certains programmes pour l’élection présidentielle de 2017 ?
Vieux rêve français des juridictions dédiées 48, sortes de conglomérat
justice/police/renseignement où chacun se pare des plumes des autres…
Mieux vaut s’en tenir à de la spécialisation mais au sein des juridictions
de droit commun. Car il ne faudrait pas rajouter à la caricature « un
problème, une commission » la nouvelle formule « un problème, une
juridiction »…
Nous croyons que la spécialisation antiterroriste au sein de la justice –
mieux vaut cette expression que celle, dangereuse, de « justice
antiterroriste » – est une difficulté mais qu’elle est nécessaire.

Cette spécialisation est critiquable car elle renforce le soupçon d’une


justice de raison d’État, d’une justice qui écoute aux portes du ministère de
l’Intérieur et préfère la fréquentation des services de renseignement à celle
des avocats.
Mais elle est nécessaire, en premier lieu, pour protéger les magistrats
qui suivent ces affaires contre les pressions et les menaces : rendre la
compétence aux tribunaux de droit commun disperserait les procédures et
rendrait le risque plus pesant. Quant à faire appel à des jurés citoyens
comme dans le droit commun, ce serait renoncer à juger les terroristes qui
savent fragiliser les auxiliaires de justice susceptibles de les mettre en
cause.
En deuxième lieu, pour hisser le niveau de compétence des juges et des
parquetiers : s’investir dans la culture de l’antiterrorisme suppose des
références internationales et une connaissance approfondie du domaine. En
même temps, le parquet de Paris pourrait, mieux qu’aujourd’hui, partager
cette mission avec quelques grands parquets régionaux équipés pour ce
faire sur le territoire.
En troisième lieu, pour lutter sans aucun répit contre ce type de
criminalité aux caractéristiques particulières.

Mais cette spécialisation suppose un strict contrôle juridictionnel.


Satisfaisant toutes les exigences du juge indépendant. Car la première
mission des juges, de tous les juges, est de défendre la liberté comme le fait
la Cour de cassation en confirmant 49 l’abus d’autorité d’un officier de
gendarmerie qui retient, plusieurs heures sans base légale un militant à la
gendarmerie pour l’empêcher de manifester lors d’une visite du président
de la République.
La force est contrôlée non seulement par le juge judiciaire mais aussi
par le juge administratif et le juge constitutionnel.
Pendant l’état d’urgence de 2015-2016, les assignations à résidence ont
50
été revues dans 20 % des cas , les perquisitions administratives, très
dérogatoires au droit commun judiciaire des perquisitions, ont été
contrôlées, de manière effective 51, à la fois par le juge administratif
s’agissant de prérogatives administratives et par le juge judiciaire en tant
que ces perquisitions administratives mettaient au jour des infractions
pénales donc judiciaires 52.
Quelle est la latitude de la justice pour contrôler le renseignement quand
elle en a la mission ? C’est le cas de la justice administrative avec le
contentieux spécialisé prévu par la loi no 2015-912 du 24 juillet 2015 et de
la justice pénale quand elle pressent des délits ou des crimes commis par
« les services ». En mai 2016, une enquête préliminaire entend trois hauts
fonctionnaires de la DGSE à propos d’une possible « collecte frauduleuse
de données à caractère personnel et atteinte à l’intimité de la vie privée »
visant le député des Hauts-de-Seine, Thierry Solère, qui aurait été
illégalement écouté en mars 2012. Claude Guéant, alors ministre de
l’Intérieur, dément avec indignation.
Les juges doivent accomplir leur mission dans le domaine de la force
comme dans les autres domaines, sans faiblesse ni préjugé de culpabilité.
Mais ils savent que la force a aussi les moyens, et parfois la tentation,
d’évaporer preuves et indices. Dans le renseignement, c’est presque son
devoir.
Le rapport Cazaux-Charles de novembre 2016 sur l’usage des armes par
les forces de sécurité se réjouit justement que, « malgré un grave et profond
malaise, aucune organisation syndicale n’ait remis en cause le principe d’un
contrôle externe des forces de sécurité, administratif ou judiciaire, marque
d’une police républicaine ». Il faut s’en réjouir. Mais le simple fait qu’un
rapport officiel présente ce respect de la justice par la force comme une
information et non comme une évidence, témoigne des incertitudes de la
force et des ondes mauvaises qui la traversent.
La force, dans toutes ses composantes et tous ses actes, a besoin d’être
soumise au juge. Juge judiciaire et juge administratif doivent s’entendre
pour se coordonner de manière efficace, sans se mettre en compétition, aux
fins d’imposer la loi à la force. Et ceci, dans tous les cas, qu’il s’agisse de
formations juridictionnelles sur le terrorisme, de justice administrative sur
l’état d’urgence ou le renseignement ou, plus généralement, des limites de
la force chaque fois qu’est en cause un mauvais comportement de la force,
un excès de force, a fortiori une « bavure ». En même temps, le juge doit
cerner les limites de son office. Est-ce à la justice de dire quand une
surveillance de renseignement doit être interrompue ou prolongée ? Le
jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 juillet 2016 qui
condamne l’État pour faute à cause de la suppression de toute mesure de
surveillance de Mohammed Merah en fin d’année 2012 fait entrer le juge
dans l’appréciation, au jour le jour, du service de renseignement. La
juridiction s’empare d’une responsabilité bien lourde…
La justice doit toujours respecter les principes auxquels une démocratie
ne peut renoncer pour aucune affaire : la liberté et la dignité de la personne,
le délai raisonnable, la présomption d’innocence et, sous réserve du secret
de la défense, le contradictoire et les droits des avocats.
Il faut reconnaître que la garantie ultime et nécessaire de la
prépondérance du droit et de la justice sur la force restera dans les
prochaines années le Conseil constitutionnel et les cours européennes.
Le Conseil constitutionnel a refusé en 1971 la mise au pas de la liberté
associative, en 1981 l’abaissement des droits de l’avocat défenseur, en 1996
l’assimilation automatique de l’aide à l’étranger à la participation à des
activités terroristes, en 2015 la trop grande liberté laissée à la DGSE pour
ses activités à l’étranger, en 2016 la saisie de documents au cours de
perquisitions administratives.
Quant aux cours européennes, elles nous inspirent autant. Pour la Cour
européenne des droits de l’homme de Strasbourg, notamment, le contrôle
des interceptions de communications en 1990, et l’encadrement strict des
opérations de commandos aux fins d’abattre les terroristes.
Pour la Cour de justice de l’Union européenne, l’application de la
Charte des droits fondamentaux de l’Union, y compris pour rappeler le droit
et annuler 53 des mesures restrictives prises à l’encontre d’un citoyen
saoudien accusé de terrorisme parce qu’elles étaient trop peu justifiées.

La force doit s’exercer mais l’expérience a montré qu’elle peut


s’exercer tout aussi efficacement quand elle est contrôlée par la justice de
droit commun, indépendante et impartiale, que sont, outre la Cour de
cassation et le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et les cours
européennes. La force n’a pas à avoir « ses » juges ad hoc, tout au plus des
formations dédiées au sein de la justice de droit commun. Quelle que soit la
solution, la justice est une, il est important qu’elle pose des bornes à
l’exercice de la force.
PARTIE IV

Exercer la force
Nous voilà devant l’essentiel. Il ne s’agit plus seulement de penser, il
faut agir.
L’exercice de la force suppose une connaissance approfondie des
fonctions et des fonctionnaires de la force. Souvenons-nous que le slogan
des annonces de recrutement de la police nationale est
« #UtileAuxAutres ».
CHAPITRE 7

Les fonctions des forces :


quelle force exercer ?

L’autorité publique doit bien connaître ses forces et en faire le bilan


pour les mettre en état opérationnel. « Opérationnel » et « terrain », deux
mots magiques de la force, deux mots nécessaires pour entrer dans le club
des directeurs de la force. Les vrais hommes de force sont « allés sur le
terrain », prendre les risques et briguer l’onction de leurs pairs, se plonger
dans les eaux à la fois chaudes et froides de la délinquance et des menaces
en tous genres. Ils ont « exercé » et commandé « sur le terrain ». Quand en
2016, le gouvernement soumet, par décret, la nomination des directeurs
d’administration centrale à une procédure préalable d’audition des
candidats par le secrétaire général du gouvernement et quatre experts, il
prend soin d’exclure de la nouvelle discipline les futurs directeurs des
« services opérationnels de sécurité ». Comme si, s’agissant du noyau dur
des services « prioritaires », c’est-à-dire opérationnels, de l’Intérieur et de
la Défense, nul ne s’embarrasse plus des procédures, certes bien pensées,
mais qui viendraient possiblement atténuer le lien direct de confiance entre
le président de la République, les ministres et leurs centurions
opérationnels. Ceux-ci s’évertuent à manier toutes les forces. Car il
convient d’évoquer les forces au pluriel plutôt que la Force avec un grand F.
L’une des difficultés d’exercice de la force porte sur la combinaison de
forces différentes, rivales, complémentaires et fortes… surtout de leurs
traditions différentes.

À chaque besoin du citoyen,


une force adaptée
Disponibilité et diversification des forces

Toute force protège, mais elle se diversifie, aussi, compte tenu de ses
quatre objectifs prépondérants.

Protection de tous, confortation de la loi,


célébration rythment la vie de la force
publique
En premier lieu, la protection de chacun passe par la connaissance de la
force. Elle existe et par son existence tout autant que par son usage, elle
rassure, garantit et dissuade les fauteurs de troubles. Elle garantit d’abord
contre la violence et la délinquance, mais aussi contre le défi lancé au
pacifique, contre l’insolence et le mépris de celui qui intimide, évince,
détruit simplement parce qu’il est le plus fort.
La force doit toujours être présente et joignable. « Police Secours »
veille comme un vieil oncle chez qui on peut aller sonner à toute heure du
jour ou de la nuit en cas de désarroi. La force providence. Le narrateur de
1
Pierre Michon est rossé par un adversaire de beuverie :
[…] il ne me tua pas. Mais il frappait toujours du talon mon visage
insensible et enfin muet, quand passa une ronde de police
providentielle […] je revins à moi sur la terrasse […] la lumière
plongeante noyait d’ombre le visage des agents, sous la visière aiguë
des képis ; les gourmettes et les galons scintillaient, les faces
d’ombre m’offraient des traits indéchiffrables…

La force sauve la victime et veille à son réveil. Cette fois encore, ceux
qu’on apercevra en sortant de la brume de l’inconscience seront le médecin
et le policier. La force rapide, mobile. Malgré les phrases toutes faites, les
carabiniers sont souvent à l’heure.
Le képi n’est pas que jugulaire. Il peut être aussi, il est souvent, Croix-
2
Rouge… Il l’est jour et nuit. En 2015, le préfet de police de Paris explique
dans « La nuit enjeu de sécurité » comment concilier tranquillité des
riverains et attractivité de la ville lumière, ville monde.
La force a toujours à faire, et n’est jamais aussi appréciée que quand
elle est « casque bleu ». Du plus tragique au plus local. Qui tente de garantir
les différentes communautés du Liban par une force d’interposition à
Beyrouth entre 1982 et 1984 ? Qui va séparer, le 23 août 2014 à
Maubourguet (Hautes-Pyrénées), les pro- et les anticorrida ? Pour réussir à
éviter l’affrontement entre club taurin et CRAC (Comité radicalement
anticorrida), les fonctionnaires de CRS (compagnie républicaine de
sécurité) montreront leur équanimité, même « musclée ». Pour produire la
paix des braves, la force doit s’engager avec constance. Police et
gendarmerie mènent cette lourde mission. Sans état d’âme et sans état
d’armes.
En deuxième lieu, la force confirme la loi qui, elle aussi, protège. Un
peuple sans force publique jetterait le doute sur sa volonté d’imposer la loi.
Le monde n’avance pas seulement par la « force des choses » mais par la
force du droit. La force, en ce sens, ne se subit pas, elle se construit
exclusivement pour prêter main-forte à la loi.
En troisième lieu, la force ne vaut que si elle est reconnue et, pourquoi
pas, célébrée comme les autres institutions du pays. C’est pourquoi la
République assume la force. Pour la paix. C’est la nation qui salue ses
armes et ses armées par exemple lors des défilés militaires du 14 Juillet ou
des commémorations de novembre 1818 ou mai 1945.
Le héros par la force, le héros tombé pour la défense du pays dans les
armées, la police, les services d’incendie sont honorés parce qu’ils nous
protégeaient, chacun à leur façon et selon leurs fonctions.
Nous devons nous en souvenir. À cet égard, la nation pourrait faire plus
pour les familles des fonctionnaires et militaires tombés ou blessés
gravement en service. Aux États-Unis les anciens soldats se plaignent :
« Elites neglect veterans 3. » En France, les ministères de la Défense et de
l’Intérieur sont sensibles à ce devoir d’État mais la population pourrait être
mieux associée. Les formules de fondation ou d’association comme Terre
fraternité (qui, le 30 juin 2016, était reçue avec treize orphelins de l’armée
de terre par le chef d’état-major) pourraient être davantage utilisées pour
associer collègues, mais plus encore citoyens, au service de cette cause.

La force se diversifie entre ses quatre


fonctions principales
La force exerce quatre fonctions : l’enquête, le renseignement-intrusion,
l’arrêt et le maintien. Chacune de ces quatre fonctions soulève des questions
sur la finalité et l’utilité mêmes de l’institution et sur ses méthodes.

L’ENQUÊTE
Sous l’autorité directe de la justice, l’enquête reste le métier
fondamental de la police et de la gendarmerie, qui sont nées pour chercher
et se souvenir. Aussi est-il nécessaire de savoir nouer ensemble les trois
temps de l’enquête : le renseignement indispensable qui reste purement
policier, puis la phase de police judiciaire, en enquête préliminaire où le
parquet apparaît, puis la phase du juge, soit du juge d’instruction d’abord,
soit directement du juge de jugement.
L’enquête n’est pas une possibilité mais bien un impératif : la force n’a
pas le droit de ne pas savoir quand l’enquête est un devoir. En 2016, la Cour
européenne des droits de l’homme 4 condamne l’Autriche pour n’avoir pas
suffisamment enquêté sur les insultes et actes racistes survenus pendant une
marche contre les Roms, du fait d’un groupe paramilitaire d’extrême droite.

LE RENSEIGNEMENT-INTRUSION

La question du degré d’intrusion, à leur insu, dans la vie privée des


citoyens tend à prendre autant d’importance que celle de leur sûreté. Nous
ne craignons plus tant l’heure du laitier que la voie lactée du Cloud avec
captation secrète de nos agendas, de nos mails, de nos communications et,
plus simplement de nos vies.
En 1959, cinquante-six ans avant la loi renseignement no 2015-912 du
24 juillet 2015, Jean Carbonnier décrivait nos angoisses contemporaines en
pointant « ces techniques dont on parle mystérieusement, aux frontières du
droit pénal : la torture, le sérum de vérité, le lessivage des cerveaux, l’action
psychologique, toutes ces effractions de la personne […] comment se
débarrasser de la peur si son utilisation est un mécanisme normal du
droit ? ».
Il revient à la démocratie française de créer et faire vivre de nouveaux
antivols, antieffractions étatiques. Le marché des entrebailleurs
informatiques pour empêcher les incursions indiscrètes se constitue devant
nous. Et les institutions doivent donner toute leur autorité aux juges et
contrôleurs chargés d’éviter ces « effractions de la personne ». Ce sont eux
qui feront le départ entre les cas justifiant ces intrusions (terrorisme et
criminalité organisée) et l’immense majorité des situations qui ne les
justifient pas.
Nul ne conteste vraiment l’utilité et même la nécessité du
5
renseignement . Celui-ci sera d’autant plus fort qu’il sera pensé en tant que
force publique. Nul hasard à ce qu’un des livres les plus discrètement
brillants sur le renseignement, Espion. Une anthropologie historique du
secret d’État contemporain (1994), soit signé d’un historien, à la fois
victime dans sa généalogie et spécialiste des violences policières, Alain
Dewerpe (1952-2015) 6. Le renseignement a eu et possède de tout temps ses
hommes de force, des hommes du oui et des hommes du non.
Les hommes du oui sont les hommes d’action, toujours disponibles,
prêts à foncer, à prendre des risques calculés mais élevés et entraînés
pour rapporter le butin que constitue une source ou une prise de
documents quand ce n’est pas la « tête » d’un individu à « neutraliser ».
Robert Maloubier (1923-2015) en est une légende 7. Membre du SOE le
Special Operation Executive, pointe des services très secrets de Sa Majesté
britannique dès 1940, il est parachuté pour sabotage dans la France
occupée, blessé, revient à Londres avant d’être à nouveau parachuté pour
lutter contre les renforts allemands venus contrer le débarquement. Il exerça
ensuite dans les services français, toujours exposé, toujours volontaire. En
2014, la reine d’Angleterre le décore de l’ordre de l’Empire britannique.
8
En juin 1944, les armes à la main, Charles Gonard (1921-2016),
compagnon de la Libération, libère Jean-Pierre Lévy, dirigeant du
mouvement Franc-Tireur, en transfert pénitentiaire et abat le propagandiste
collaborateur Philippe Henriot quelques jours après. Forte tête et homme de
bravoure, il illustre l’honneur des commandos pour la meilleure des causes,
celle de la liberté.
Plus récemment, les deux militaires du service action de la DGSE qui
sont tombés au combat dans la nuit du 11 janvier 2013 dans la cour d’une
maison en pisé du fond de la Somalie, menaient l’assaut en prenant le
risque de leur vie, pour tenter de libérer un camarade, « Denis Allex »,
retenu en otage depuis plusieurs années par les chebabs. Ils ont échoué de
peu et honorent la volonté et le courage des hommes de force du
renseignement.
Les hommes du non sont ceux qui, dans la pleine logique de leur
mission, savent dire non au bon moment, quand ce qui leur est demandé
ne relève plus du border line mais franchement de la forfaiture.
En 1896, Georges Picquart 9 est le jeune chef, prometteur, des services
secrets de l’armée, Deuxième Bureau. Sa cible est l’ennemi allemand et rien
de ce qui survient dans l’ambassade d’Allemagne à Paris n’échappe à ses
micros, ses femmes de ménage trop curieuses et ses filatures. Quand
Picquart découvre la preuve de l’innocence de Dreyfus en cernant le vrai
coupable de trahison, Esterhazy, il n’hésite pas à risquer son poste, sa
carrière, sa réputation et même sa vie pour établir la vérité. « Il a dit la
vérité, il doit être exécuté. » Après dix ans de solitude, de persécutions et de
bannissement, Picquart et Dreyfus seront réhabilités par la Cour de
cassation puis par une loi spéciale en 1906.
10
Hans von Dohnanyi est pendu par les nazis le 9 avril 1945. En 1939,
ce « Juste parmi les nations » avait choisi de mettre ses moyens de membre
du service de renseignement extérieur de l’armée allemande au service de la
résistance antinazie et de l’exfiltration de juifs persécutés. Ce héros
paisible, homme de force pacifique est présenté comme celui qui « avait la
force de [mettre] sa propre défaite au service de l’espoir commun de
l’humanité ».
Au-delà du renseignement, la force doit user de son autorité pour
modifier le cours des choses.
L’ARRÊT

La force d’arrêt est bien connue. C’est celle qui bloque, contrôle, file,
appréhende et arrête. La herse et le portique. S’en chargent la police, la
gendarmerie, la douane et les polices municipales.
D’une part, la force arrête en faisant barrage et contrôle. « Police
nationale, vos papiers s’il vous plaît », la célèbre formule sera bientôt
souvent remplacée par l’œil électronique de la reconnaissance faciale…
D’autre part, la force arrête en appréhendant les personnes. Ce sont « les
deux mains sur le capot » comme dans les films américains. « Passer les
pinces » à un récalcitrant peut demander de la « conviction » ou de
l’insistance qu’il convient de ne pas confondre avec de la violence.

LE MAINTIEN

La force sert aussi à priver de la liberté d’aller et venir. Cela commence


avec les impératifs nécessaires du Code de la route et se poursuit jusqu’à
l’assignation à résidence, la prison ou l’hôpital psychiatrique.
La force de maintien est la plus obscure. C’est celle des geôles et des
grilles, qui reçoit le condamné, souvent le mis en cause et parfois le malade
mental dangereux. Elle sera chargée de le préparer à la sortie, de le soigner
mais aussi de le contraindre dans la durée. De le maintenir dans le
minimum d’ordre qu’elle est chargée de tenir. En sont chargés la
pénitentiaire et certains services des hôpitaux psychiatriques.
La pénitentiaire est un monde puissant d’hommes armés chargés de
faire attendre à d’autres hommes, ayant souvent été armés, le moment
où ils retourneront à la liberté et donc à la paix ou à la violence. La
pénitentiaire est un miracle de tous les instants quand elle n’explose pas
sous l’effet de ce concentré de violence et de force que la République
lui confie. La pénitentiaire poursuit par nature un rêve inaccessible et
nécessaire. Un rêve de réhabilitation, de reconstruction. Et une réalité
confrontée à bien des échecs compte tenu du double objectif que la loi
lui attribue, « garde et réinsertion », dans deux espaces, à la fois le
milieu fermé et le milieu ouvert. Cette prédétermination de l’échec pèse
sur le moral des surveillants à l’image du jeune Michel-Charles 11 qui le
perçoit à ses dépens : « Quand les plaintes d’un forçat qui se prétend
innocent lui font éprouver un pinçon au cœur, le sourire narquois d’un
garde-chiourme le ramène bientôt au sentiment des réalités. – Benêt !
semble lui dire ce représentant de l’autorité. La seule pitié ici est d’être
impitoyable. » Surtout, la pénitentiaire est confrontée à l’impossible
équation du surpeuplement. En mars 2016, la presse 12 note que « les
mesures d’aménagement de peines défendues par Christiane Taubira
n’ont pas eu l’effet escompté : le nombre de détenus repart à la hausse »
avec 67 362 détenus au 1er février 2016, soit 1,6 % de plus en un an. Ce
n’est pas une raison suffisante pour renoncer à la recherche de peines
plus appropriées alternatives à la prison.
Forte aujourd’hui, de 35 000 agents et d’un budget de 2 milliards
d’euros, en croissance constante (+ 9 % d’effectifs entre 2009 et 2014),
l’administration pénitentiaire fait régulièrement l’objet de critiques : les
prisons sont dénoncées tantôt comme trop vétustes, tantôt comme trop
favorables aux détenus et, toujours, comme ne remplissant correctement
aucune des fonctions attendues d’elles : la punition et la réhabilitation. Dès
l’Ancien Régime, les avertissements étaient nombreux, tel cet arrêt du
Parlement de Toulouse du 7 septembre 1729 qui ordonne de construire ou
de réparer dans les trois mois les établissements pénitentiaires : « La plupart
des Seigneurs n’ont point de prisons et… ceux qui en ont les ont si fort
négligées qu’elles sont presque entièrement ruinées par le défaut de
réparations, tellement que les prisonniers n’y sont point en sûreté. » Le
rappel, toujours utile aujourd’hui, de d’Aguesseau (1668-1751) à ses
magistrats d’aller visiter les prisons s’inspire du même souci : « Séances
aux prisons, quatre fois l’année, avant les fêtes de Noël, Pâques, Pentecôte
13
et Toussaint… [pour] ouïr les plaintes et requêtes des prisonniers . » Plus
récemment, en 1947, le film « rude et fort » de Jules Dassin, Les Démons de
la liberté en version française, mais Brute Force en version originale
américaine, dénonce la surpopulation carcérale et les mauvais traitements
aux détenus. Les rapports parlementaires alarmants de 1999 Prisons, une
humiliation pour la République 14 et La France face à ses prisons 15 puis le
référé de la Cour des comptes du 23 décembre 2015 sur la « gestion des
personnels pénitentiaires », qui la qualifie de coûteuse et complexe et
marque les difficultés de recrutement, ont réimposé la prison dans le débat
public. En outre, les rapports annuels du Contrôleur général des lieux de
privation de liberté incitent vigoureusement aux améliorations dans
l’installation, la gestion et la vie quotidienne des établissements 16.
La prison est un monde de force construit sur la contrainte (selon le juge
17
administratif , le détenu doit obéir au personnel même sans texte, sous
réserve que l’ordre donné ne soit pas attentatoire à sa dignité) et confronté
en permanence à la violence telle que menaces, rixes et suicides. Le
ministre de la Justice a créé en 2003 une force pénitentiaire interne dans les
neuf directions régionales, les ERIS 18 (équipe régionale d’intervention et de
sécurité) pour venir prêter main-forte aux personnels des établissements en
cas de violence, mutinerie ou prise d’otage. Bien qu’immédiatement
qualifiées par la presse de « GIGN pénitentiaire », ces équipes ne se
substituent pas aux forces de l’ordre spécialisées mais ont la double utilité
de bien connaître le monde pénitentiaire et d’intervenir immédiatement
puisqu’elles sont prépositionnées dans les régions.
Malgré ces évidentes difficultés, la pénitentiaire s’impose comme une
force attendue, indispensable, utile à la société, à cinq conditions bien vues
lors de la discussion de la loi pénitentiaire no 2009-1436 du 24 novembre
2009 votée par une large majorité transpartisane :
Admettre que la prison n’est pas la sanction par excellence, qu’elle a un
coût financier et sociétal important. Même si une grande part du parc
pénitentiaire a été construite ou rénovée depuis les grands constructeurs
(Chalandon en 1986 ; Guigou en 1998 ; Perben en 2004), le budget
pénitentiaire dépasse désormais le budget des juridictions… et le débat
sur la radicalisation en prison montre suffisamment que l’objectif de
réhabilitation n’est pas facile à atteindre.
Penser la sécurité des établissements, celle du personnel exposé
continuellement aux insultes et violences, comme celle des détenus.
Admettre une diversification des sanctions pénales (mettre en œuvre la
contrainte pénale de la loi du 4 août 2014) et des substituts à la prison
(bracelet électronique).
Veiller aux missions de l’administration pénitentiaire à l’extérieur des
murs pour le suivi des détenus libérés puisque, de la prison, on sort.
Pour favoriser la réinsertion durable des détenus sur le marché du
o
travail, le décret n 2016-531 du 27 avril 2016 relatif à l’insertion par
l’activité économique en milieu pénitentiaire propose « un parcours
d’insertion associant mise en situation de travail et actions
d’accompagnement social et professionnel aux détenus ».
Sauvegarder en toute situation, la dignité de la personne et donner toute
leur portée aux « règles pénitentiaires européennes » que le Conseil de
l’Europe a réunies en 2008 pour des prisons dignes de la République.
La force peut écouter l’Europe.
Derrière la pénitentiaire, les hôpitaux psychiatriques, régis par le décret
o er
n 2016-94 du 1 février 2016 portant application de la loi du
27 septembre 2013 relative aux droits et à la protection des personnes
faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en
charge (y compris les unités pour malades difficiles) tentent de concilier
suivi médical et force 19.
La psychiatrie de force nous immerge encore plus dans le monde de la
souffrance.
Robert Musil fait visiter à ses héros un hôpital d’aliénés : « La pensée
vide d’un châtiment et d’un tourment infinis, inimaginables et partant
inévitables, l’hypothèse d’une transformation en mal absolument
indifférente à tous les efforts contraires, sont attirantes comme l’abîme.
Telles sont les maisons de fous. Ce sont des maisons de pauvres. Elles
20
évoquent le manque d’imagination de l’enfer . » Portes blindées, clés,
grillages et clôture, nous sommes bien dans le domaine de la force absolue.
La psychiatrie fermée fascine et repousse, attire comme le mystère de
l’ultime station de l’homme perdu, au bout de la nuit. En 1887, à New York,
à la demande de Pulitzer, Nelle Bly invente le journalisme infiltré pour
investigation dans un asile de fous. Partout les abus existent et paraître
normal confirme plutôt le diagnostic de folie… En 1975, le film de Milos
Forman, Voyage au-dessus d’un nid de coucou, y a fait pénétrer le vent
fugitif de l’espoir. Dominent plutôt les plumes pessimistes de Musil,
21
Céline (l’institut psychothérapique du docteur Baryton à Vigneux-sur-
Seine) et de Pierre Michon (pour l’hôpital « spécialisé » de La Valette
(Creuse), dissimulé, dans le roman, en La Ceylette). Ils nous donnent à voir
cet enfermement profond sous le poids de la contrainte et des médicaments
expropriants de volonté. « Car à l’asile plus qu’ailleurs encore, le monde est
un théâtre : qui simule ? Qui est dans le vrai ? Lequel mime le grognement
de la bête pour qu’éclose plus pur le chant espéré de l’ange ? Lequel grogne
22
à jamais en croyant enfin chanter ?… » La force peut être d’autant plus
intransigeante vis-à-vis du « fou » qu’elle prend ombrage de la
dissimulation potentielle. Elle sait bien s’opposer et, si possible, réduire
l’opposition, la résistance. Mais elle est troublée, parfois désorientée, par la
simulation qui la nie en refusant le combat. Car la simulation remet en
cause le ressort de la force qui est la maîtrise du risque. La simulation est
risque et menace, en tout cas rupture de l’ordre de la blouse blanche.
La psychiatrie de contrainte, parce que sans consentement, est
indispensable quand le malade est dangereux pour lui et pour les tiers. Elle
devient le bout du monde du rapport social : derrière la consultation, les
clés, la cellule, la gélule, l’entrave et le silence.
Dans la ligne de la sectorisation permettant de prendre en charge le
malade à proximité de son lieu de vie et de la loi du 27 juin 1990 sur les
droits des malades de troubles mentaux, existe aujourd’hui un accès
systématique au juge des libertés et de la détention, chargé de contrôler les
hospitalisations sans consentement, depuis les deux grandes lois de liberté
o 23 o 24
n 2011-803 du 5 juillet 2011 et n 2013-869 du 27 septembre 2013 . Ce
juge partage désormais avec le psychiatre la prise de risque social que
constituent toujours l’élargissement du « malade » dangereux et sa
restitution au monde.
Enfin, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté souligne,
encore aujourd’hui 25, l’illégalité du trop grand recours à la contention et à
l’isolement dans les 121 établissements psychiatriques visités entre sa
création en 2008 et 2016 qui ne seraient pas toujours justifiés par l’état du
patient.

Mandants et mandataires de la force


Régie, partenariat et souplesse d’utilisation

En principe, la force ne se délègue pas, la police est chose d’État.


Mission éminente et consubstantielle de l’État. Pourquoi ?
Peut-être du fait de l’héritage de l’Ancien Régime. Tocqueville décrivait
cette continuité :

Le gouvernement central se chargeait seul, à l’aide de ses agents, de


maintenir l’ordre public dans les provinces. La maréchaussée était
répandue sur toute la surface du royaume en petites brigades, et
placée partout sous la direction des intendants. C’est à l’aide de ces
soldats, et au besoin de l’armée, que l’intendant parait à tous les
dangers imprévus, arrêtait les vagabonds, réprimait la mendicité et
étouffait les émeutes que le prix des grains faisait naître sans cesse.
Jamais il n’arrivait, comme autrefois, que les gouvernés fussent
appelés à aider le gouvernement dans cette partie de sa tâche,
excepté dans les villes où il existait d’ordinaire une garde urbaine 26.

Ainsi, la royauté avait réussi à transformer l’ordre public en une mission


de professionnels placés face au peuple. Les gouvernés observent, évaluent,
critiquent et subissent la force. Elle est rassemblée dans les mains de l’État.
La force au nom de tous a remplacé la force de tous. Et cette
« confiscation » de la force par l’État est double : d’une part parce que
l’État s’approprie la force et, d’autre part, parce qu’il se refuse à en
déléguer l’exercice.
27
Le Conseil d’État affirma ce principe très utile dès 1935 . Et le Conseil
constitutionnel 28 récuse la dépendance financière de la police judiciaire vis-
à-vis de personnes privées même si celles-ci se présentent sous le visage
avenant d’apporteurs de fonds : après avoir visé l’article 12 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel
note que l’article contesté de la loi « dispose que l’utilisation des crédits
ouverts par voie de fonds de concours “doit être conforme à l’intention de la
partie versante” ; que les modalités de l’exercice des missions de police
judiciaire ne sauraient toutefois être soumises à la volonté de personnes
privées ; que, par suite, en créant un fonds de soutien à la police technique
et scientifique et en lui affectant des contributions versées par les assureurs,
l’article 10 [de la loi contestée] méconnaît les exigences constitutionnelles
résultant des articles 12 et 13 de la Déclaration de 1789 ».
Pourtant, malgré ces impératifs d’indépendance de la police, une
certaine délégation de la force est-elle possible ? Dès qu’il existe une
délégation, se pose la question : qui commande ? Le déléguant ou le
délégataire ?
Le préfet et l’huissier préparent ensemble les diligences de la force
publique 29.
Depuis une vingtaine d’années, la réalité prime. Les gouvernements
successifs, tout en rendant hommage au principe de non-délégation,
organisent toutes les formes possibles de délégation. En dernier lieu, en vue
de l’Euro 2016 de football, les parlementaires ont voté une proposition de
loi contre le hooliganisme : cette loi autorise les organisateurs de
manifestations sportives à prendre une part plus active dans le contrôle des
stades. Les clubs pourront refuser de vendre des billets aux personnes
connues (et les fichiers y aideront) pour avoir contrevenu aux dispositions
des conditions de vente ou aux règlements intérieurs des manifestations
sportives.
Mais déléguée ou exercée directement, la force se diversifie.

Une force diversifiée


Avant même de lire les livres blancs de 2008, 2013 et 2015 sur la
défense et la sécurité nationales, chacun comprend que la force est
aujourd’hui diversifiée à l’extrême. Certes, l’armée et les polices d’État et
décentralisées, la pénitentiaire, la douane et les agents privés de sécurité
participent à la force mais les « services d’ordre » associatifs, syndicaux,
entrepreneuriaux se renforcent et finissent, eux aussi, par créer une force.
Cette force est souvent ignorée du public mais souhaitée par les autorités,
capable d’une mobilisation immédiate qui peut jouer un rôle face à toute
survenance de crise. Mais nul ne doit oublier qu’elle n’agit pas « au nom de
la loi » mais au nom de l’entreprise ou de l’association…
La force publique sait ce qu’elle gagne à travailler avec les partenaires
sociaux pour adapter ses interventions aux besoins de chacun. Principal
syndicat agricole, la FNSEA signe le 24 juillet 2014 une convention
nationale de partenariat avec la gendarmerie (DGGN). Un dispositif d’alerte
par SMS contre les vols a été créé en Creuse et en Haute-Vienne en
partenariat avec les chambres d’agriculture.
Mais de nouveaux impératifs diversifient encore la force vers une soft
force.
L’intelligence économique met en avant 30 deux techniques de force,
l’influence et la puissance. « La puissance, c’est le cas des États qui
souhaitent diminuer l’hostilité à leur égard, multiplier leurs alliés et faire
prédominer leur propre vision géopolitique. » Et l’influence sélectionne au
premier rang les cibles potentielles que sont les entreprises, appelées en
réponse, à renforcer leurs processus de sécurité.
La cybersécurité 31 devient un impératif seulement freiné par les
recrutements d’experts qu’entreprises et administrations s’arrachent. Et
onze pays de l’OTAN, dont les États-Unis, créent en 2013 à Tallinn
(Estonie) un centre d’excellence technique et juridique pour la cyberdéfense
que la France rejoint le 3 juin 2014.
Les lanceurs d’alerte, reconnus ou autoproclamés, forment un réseau
d’échanges internationaux avec lequel les institutions apprennent à
cohabiter dans de nouveaux rapports de forces. Et qui peut susciter de
puissants mouvements d’opinion. Pour la première fois en France, la loi sur
le renseignement 32 du 24 août 2015 protège les lanceurs d’alerte au sein
même des services et la loi Sapin du 9 décembre 2016 33 se rapproche d’un
statut général protecteur pour ces vigies de la vérité.

La physique de la force
La physique nous apprend que les forces initiales se combinent pour
devenir une force nouvelle. Et le pouvoir est un « rapport de forces ».
Grand physicien des forces, Rousseau, explique le pacte social par la
nécessité de se grouper face au risque de l’état de nature : « Comme les
hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et
diriger celles qui existent, ils n’ont plus d’autre moyen pour se conserver
que de former par agrégation une somme de forces qui puisse l’emporter
sur la résistance, les mettre en jeu par un seul mobile et les faire agir de
34
concert . » Toujours la physique des forces. Et encore : « Tous les peuples
ont une espèce de force centrifuge, par laquelle ils agissent continuellement
les uns contre les autres […] nul ne peut guère se conserver qu’en se
mettant avec tous dans une espèce d’équilibre, qui rende la compression
partout à peu près égale 35. » Cette étude de la force menée par le jeu des
forces a inspiré maints théoriciens postérieurs. Faut-il alors présenter la
force publique comme la force centripète qui réunit plutôt que comme la
force centrifuge qui disperse et explose ?
Michel Foucault, après le Marx du Capital, rapproche forces armées et
36
forces productives dans son chapitre « La composition des forces ».
Chaque élément de force, chaque soldat avec son fusil, forme avec les
autres « une géométrie de segments divisibles […]. Mêmes problèmes
lorsqu’il s’agit de constituer une force productive dont l’effet doit être
supérieur à la somme des forces élémentaires qui la composent. »
Aujourd’hui plus encore, l’appareil d’État accumule et croise différentes
forces, agrège à lui des forces de nature et de statut différents. Il se voit en
chef d’orchestre des forces pour rechercher des effets de multiplication au
service de sa stratégie et célèbre la « coproduction » de la sécurité.
Mais cette combinatoire des forces crée et révèle en même temps la
fragilité du système. Un seul élément de force nous manque et tout est
dépeuplé… Aussi les concepteurs de la force ne cessent-ils d’imaginer des
forces, spéciales ou non, décentralisées, adaptables, mobiles et autonomes
capables de faire face sans attendre leur fédération par la force globale.
Pour que, même si la combinatoire des forces échoue, puisse émerger une
force publique stable, elle-même et créatrice de stabilité pour la société.
Cette dialectique de la partie et du tout caractérise le débat stratégique
contemporain qui tente de tirer les leçons des forces éléphantesques,
coûteuses, lourdes, agissant en masse et ne pratiquant pas assez le coup de
main et le coup de force mobile, inattendu. Ce diagnostic fait la fortune,
dans le domaine militaire, des « forces spéciales » conçues pour frapper dur
en étant à la fois imaginatives, mobiles et offensives. En 2015, les effectifs
de ces forces militaires d’élite sont élargis par la création d’un septième
commando marine de 150 hommes à Lorient. Ils atteindront 4 000 hommes
en 2019. Au-delà, l’heure est venue de s’interroger sur la place dévolue à
ces « forces spéciales » en passe de s’affirmer comme le normal de la force.

Force protectrice ou force protégée ?


La force plus que jamais sur ses gardes

Comment peut-on protéger les citoyens quand on est contraint d’abord


d’assurer sa propre protection ?
La force doit protéger ses installations (le vol d’explosifs le 6 juillet
2015 dans le dépôt militaire de Miramas n’est pas rassurant), ses
ordinateurs (le piratage de la boîte e-mail du directeur du renseignement
américain en janvier 2016 n’est pas banal) et plus encore ses personnels.
Protectrice, la force l’est par son engagement et d’abord par sa
visibilité. Les agents de la force sont identifiés ou identifiables. Pourrions-
o o
nous envisager d’être appréhendés par les policiers n B27 et n S35 et jugés
par les magistrats « delta » ou « bravo » ? La question se pose aujourd’hui
puisque après l’article 706-24 du Code de procédure pénale pour le
terrorisme, une loi de 2017 permet aux policiers et gendarmes, qu’ils soient
ou non officiers de police judiciaire, de s’identifier dans les procès-verbaux,
rapports et réquisitions qu’ils établissent par un numéro d’immatriculation
administrative. La France emprunte à l’Espagne ses protections anti-ETA.
Le policier masqué peut être une nécessité en certaines circonstances mais
ce n’est pas un signe de santé démocratique.
Certes la force sait parfois se dissimuler (spécialement dans le
renseignement) entre anonymat, masques et « bureau des légendes ». Ainsi,
le 8 janvier 2016, le chef du service central du renseignement territorial
(SCRT) expose à la commission des lois de l’Assemblée nationale la
nécessité de préserver la discrétion de ses agents 37 :

Le 19 novembre [2015], j’ai adressé un message aux responsables


locaux du renseignement territorial et à tous les DDSP [directeurs
départementaux de la sécurité publique] pour attirer leur attention
sur la présence lors des perquisitions de fonctionnaires du
renseignement territorial, qui ont très souvent été à l’origine de ces
mesures. Dans un souci de protection de l’identité des personnels,
j’ai demandé que ces derniers soient laissés en dehors des
manœuvres de perquisition, sauf volonté contraire de leur part. Sur
le terrain, l’application de cette instruction a été laissée à
l’appréciation souveraine au cas par cas du responsable du
renseignement territorial. Il s’avère que des fonctionnaires ont
participé aux perquisitions, mais de nombreux autres ne l’ont pas
fait. Je tenais, en tant que chef de service, à ce que la notion de
protection soit rappelée à chacun.

Mais, en général, la force ne saurait se limiter au principe « pour vivre


heureux vivons cachés ». La force a besoin de se montrer et se montre. Elle
a créé l’uniforme obligatoire pour ses agents. Louvois est passé par là en
1670 :
On commençait alors en France à donner des uniformes aux troupes,
ce qui jusqu’alors n’avait pas été en usage. Tolède nous donna un
uniforme moitié espagnol et moitié français. Nous avions un
justaucorps écarlate qui n’allait qu’à la moitié des cuisses, un
pantalon tricoté blanc, une cotte noire avec la croix de Malte brodée
sur la poitrine, la fraise et le chapeau espagnols : tout cela nous allait
à merveille. Partout où nous abordions, les femmes étaient aux
38
fenêtres et les duègnes en campagne .

L’uniforme était prestige parce qu’affirmation du collectif de la force.


« Dans l’uniforme, l’individu disparaît […], il est à présent partie, éclat,
39
fragment qui ne prend son sens que replacé dans un tout . » Chacun est
pareil aux autres, il est partie de l’institution, il est l’institution. Comme le
facteur Roulin décrit par Pierre Michon 40 : « Il était encore un peu gauche
dans sa grande vareuse et la casquette galonnée qui ne s’étaient pas
vraiment faites à son corps, à ses gestes, qui n’étaient pas encore cette
seconde peau liturgique qu’on lui voit […]. » Participant de l’institution,
« liturgie » de l’État, l’uniforme qui défend la force, est lui-même défendu
par elle : en avril 2016, l’amateur de mode Florian W. est interpellé à
Stuttgart par la police qui lui confisque l’imperméable de la marque
parisienne Vêtements parce qu’il porte, barrant tout le dos, la mention
« Polizei ». Or l’article 121-a du Code pénal allemand (Strafgesetzbuch)
punit d’un an de prison quiconque porte sans motif un uniforme ou un
41
insigne de fonction officielle . Parce que, finalement, comme l’exprime un
policier, dans le documentaire de TF1 Vie de flics d’Antoine Baldassari en
2016, l’« homme en uniforme, c’est l’homme qui fait respecter les règles ».
Le Code de la sécurité intérieure prescrit à plusieurs reprises aux forces
de police d’agir « revêtues de leurs uniformes ou des insignes extérieurs et
apparents de leur qualité 42 ». Mais nous ne sommes plus à l’heure des
e
certitudes du XIX , quand l’uniforme rayonnait dans ses trois fonctions
« rendre professionnel, rendre visible et rendre impressionnant 43 ». Dans les
années récentes, même dans les démocraties, l’uniforme s’est fait à la fois
agressif et plus rare.
L’uniforme est plus agressif parce que la tenue devient plus souple, plus
sombre, la combinaison plutôt que le costume, le gilet pare-balles plutôt
que la pèlerine, le modèle implicite en étant le guerrier et non plus
l’homme de paix. Les hirondelles n’annoncent plus le printemps.
L’uniforme est plus rare parce que, par souci de sécurité, les agents de
la force se glissent dans le costume de la foule pour passer inaperçus et
ne plus paraître. C’est-à-dire disparaître. Du coup, le peuple n’est plus
en mesure d’évaluer la présence de la force qui, hors les actes
professionnels au sens étroit du terme, préfère se banaliser. Les agents
porteurs d’uniforme craignent dans le fond de leur cœur, et non sans
raison, que l’article 6 de l’anti-Constitution de Michel Tournier dans Le
Roi des aulnes l’emporte un jour : « Tout homme doit savoir qu’en
revêtant volontairement un uniforme quel qu’il soit, il se désigne
comme créature de Mammon et encourt la vengeance des honnêtes
gens. La loi doit compter au nombre des bêtes puantes qu’on peut
chasser en toute saison flics, prêtres, gardiens de square, et même les
académiciens » qui, somme toute, portent, eux aussi, l’épée.
L’inquiétante prévision de Tournier est devenue réalité. En juin 2016,
après le sauvage assassinat d’un couple de policiers à leur domicile, le
président de la République annonce un renforcement de l’anonymat des
policiers en service, et s’il le faut, les lois seront modifiées à cet effet ;
dès la mi-août, un télégramme du préfet de police – qui, parfois, fait la
loi en l’anticipant – annonce aux policiers qu’ils peuvent désormais
« s’identifier dans tous les actes administratifs qu’ils ont amenés à
établir […] par leur numéro [de matricule] ».
Si la loi de 2017 élargissant cet anonymat à certaines procédures
judiciaires était étendue, sous la pression des événements, à toutes les
procédures et à une forte proportion des hommes de force sur le terrain,
nous aurions changé de régime. En matière de force, le noir ou même le gris
sont toujours inquiétants. Tout dépendra de l’interprétation de la condition
légale tenant à la mise en danger de la vie ou de l’intégrité physique du
personnel.
Il n’est donc pas rassurant, depuis quelques années, de rencontrer les
policiers en cagoule. La cagoule est née pour faire peur (l’inconnu) et pour
contrer la peur (des représailles). L’heure est à l’anonymat protecteur. Et pas
seulement, là est le fait nouveau, pour les agents de renseignement dont la
loi 44 garantit l’anonymat. Une loi de 2009 45 est venue modifier le
monument de nos libertés, la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet
1881, pour punir d’une amende de 15 000 euros toute révélation de
l’identité des policiers, gendarmes, douaniers ayant basculé dans la cohorte
des « anonymes » voulue comme telle par les gouvernements. La
succession rapide 46 des arrêtés ministériels « relatifs au respect de
l’anonymat de certains fonctionnaires de police et militaires de la
gendarmerie nationale » montre l’importance qu’a prise ce sujet.
« Bénéficient » de l’anonymat la DGSI, les services antiterroristes, le
RAID, les groupes d’intervention de la police et de la gendarmerie. Et les
pays européens convergent sur l’emploi de ces techniques de protection.
Ainsi, en janvier 2016, le ministre belge de la Justice, Koen Geens,
propose-t-il de mieux protéger l’anonymat des policiers d’intervention
antiterroriste en remplaçant dans les pièces judiciaires leur nom par un
code.
Cette question de la protection des forces contre les publicités
intempestives est un sujet d’avenir : en 2012, trois pirates informatiques de
la mouvance des Anonymous avaient récupéré sur le site du syndicat SGP-
FO de la police et mis en ligne les coordonnées privées de 541 policiers.
Pour ce geste irresponsable à l’heure du terrorisme, ils sont condamnés le
22 mars 2016 par le tribunal correctionnel de Paris à des peines plus légères
que celles requises par le parquet, soit une amende de 3 000 à 5 000 euros et
le versement par chacun de 18 100 euros à l’État au titre des dommages
subis. Ce type d’« incident » est appelé à se reproduire. Le législateur
comme la justice vont s’en emparer par nécessité. Car, chez certains
terroristes interpellés ou abattus, les enquêteurs saisissent en 2016 des listes
de « cibles », qu’il s’agisse de « chrétiens, juifs, militaires, policiers,
magistrats ou politiques ».
Cette évolution, bien ancrée pour les forces de l’ordre, doit être
surveillée attentivement. Le juge, lui, est tenu de livrer son nom puisque,
rendant des jugements « au nom du peuple français ». Il doit au principe de
publicité des jugements le fait que les juges ne s’effacent pas derrière leurs
décisions. L’article 454 du Code de procédure civile prévoit que le
jugement porte « l’indication du nom des juges qui en ont délibéré » et, plus
important pour la force, le code de procédure pénale exige, y compris en
matière de terrorisme, les noms des magistrats dans le jugement ou l’arrêt
(articles 486 et 603-1).
Protégée, la force l’est moins. Qui aurait imaginé il y a quelques années
que des fusées agricoles seraient tirées contre des agents des CRS ou même
que des fusées d’artifice seraient dirigées contre un hélicoptère de la
gendarmerie au-dessus d’une manifestation 47 ? Qui plus est, les grands
criminels et les terroristes entendent subvertir l’ordre démocratique en
s’attaquant à ses institutions. Truman Capote résume en quelques mots
l’angoisse de la femme du policier. Ancienne sténographe du FBI, la femme
du commissaire Dewey comprend la difficulté du métier : « Les heures
anormales, les coups de fil l’appelant dans des régions lointaines de
l’État 48. » L’épouse a peur « quelque chose ne va pas ? – Non, ça va, le
rassura-t-elle. Seulement quand tu rentreras ce soir, il faudra que tu sonnes à
la porte, j’ai fait changer toutes les serrures. Il comprenait à présent, et il
dit : – T’en fais pas, chérie, ferme les portes à clé et allume la lumière de la
véranda. » Qui n’a pas connu le tour de clé et la lumière de la véranda, ne
comprend pas pourquoi certains agents de la force changent de métier
quand ils ont reçu des menaces, quand leur collègue a été blessé à leur côté,
quand leur enfant a été isolé ou même rossé à l’école en tant qu’« enfant de
flic ». Le gendarme et le policier paient un lourd tribut d’angoisses et de
tensions familiales : « C’est moi ou ton métier… » Dans ce contexte, la
protection est un élément central de l’organisation de la force.
La protection commence par la réaction à l’outrage et à la menace
quotidienne qui corrodent le moral des fantassins de la force. Un exemple
parmi mille autres : la même personne en 2013 menace un brigadier-chef de
police municipale « si tu me touches, je te défonce, je vais te crever ». Deux
mois plus tard, elle insulte le personnel soignant dans un hôpital et agresse
une infirmière : « Tu n’es qu’une pourriture, si je te retrouve dans la rue, je
te destroye la tête, sur la vie de ma mère ! » L’infirmière ne voudra pas
porter plainte mais le policier si. L’individu ne prendra que quatre-vingts
heures de travail d’intérêt général. Le bilan de ces assauts dans tous les
services publics mais, en premier lieu, vis-à-vis des agents de la force est
lourd. Chacun peut s’attendre au pire et voir l’insulte transformée en coup
et le coup annoncer la forte violence. Les surveillants pénitentiaires vivent
dans une certaine hantise des prises d’otages, comme celles de Réau (centre
pénitentiaire de Seine-et-Marne) une première fois en 2014 et une seconde
fois le 30 avril 2016. Dans les deux cas, les surveillants agressés avaient été
libérés sans dommage. Mais la menace est continue.
D’autant que la liste est longue des hommes et femmes de force tombés
sous la violence des malfrats et terroristes. Non seulement au cours
d’échanges de coups de feu directement liés aux infractions mais aussi,
froidement, parce qu’ils sont symboles de la force publique : le 27 juin
1975, le terroriste Carlos tue deux inspecteurs de la DST, Raymond Dous et
Jean Donatini, rue Toullier à Paris. Le 25 octobre 1981, le juge Pierre
Michel est abattu sur ordre des malfrats qu’il poursuivait. En mai 2010, la
jeune Aurélie Fouquet, policière municipale, est abattue par des braqueurs
en fuite parce qu’elle était policière. En mars 2012, les militaires Imad ibn
Ziaten, Abel Chennouf 49 et Mohamed Farah Chamse-Dine Legouad sont
assassinés par Merah parce qu’ils sont militaires. Et Loïc Liber très
gravement blessé. En avril 2012, le brigadier-chef Cédric Pappatico est
mortellement renversé par des cambrioleurs qu’il tentait d’interpeller. Les
cinq malfaiteurs sont jugés en juin 2016, quatre présents, le cinquième est
en Tunisie. En janvier 2015, le policier Ahmed Merabet et la policière
municipale Clarissa Jean-Philippe sont abattus parce qu’ils étaient des
représentants visibles de la force publique. En novembre 2015, lors d’une
opération contre un trafic d’armes, Pascal Robinson, douanier de 42 ans, est
tué par un suspect qui, pourtant, ne présentait aucun antécédent de
dangerosité. En juin 2016, J.-B. Salvaing et J. Schneider sont assassinés à
leur domicile parce qu’ils étaient policiers. Les militaires et policiers
connaissent ce risque supplémentaire. Ils l’assument. Mais les citoyens
comme le législateur ne doivent jamais l’oublier. Le ministre de l’Intérieur
le leur rappelle fermement à l’Assemblée nationale le 7 mars 2016.
À l’étranger aussi, les hommes de force sont des cibles fréquentes, du
juge antimafia Giovanni Falcone le 23 mai 1992 à la procureure
antiterroriste ougandaise Joan Kagezi, assassinée par deux hommes à moto
le 30 mars 2015, des policiers américains abattus le 7 juillet 2016 jusqu’aux
cars de policiers afghans ou turcs souvent pris pour cibles d’attentats à la
bombe. Et le 6 août 2016, Daech revendique l’attaque à la machette qui a
grièvement blessé deux policières en faction à Charleroi (Belgique).
La force face à la violence doit consacrer, de tout temps, une part de ses
ressources à son autoprotection et à la protection de ses témoins. La loi
no 2016-731 du 3 juin 2016 « renforçant la lutte contre le crime organisé et
le terrorisme » apporte aux témoins de nouvelles garanties bienvenues.
L’ancien président Giscard d’Estaing explique dans ses souvenirs 50
comment il préparait, avant 1981, un projet de loi restreignant la peine de
mort aux auteurs de « crimes créant des traumatismes profonds dans la
société […] tels que les meurtres de gardiens de prison […]. Le ministre de
la Justice […] proposait d’ajouter […] les meurtres de policiers et de
gendarmes… ». Ainsi, de tout temps, l’atteinte aux personnels de la force
est plus sévèrement punie.
Depuis quelques années, de manière significative, les lois se sont
multipliées pour renforcer la protection des fonctionnaires exposés aux
violences, menaces, outrages, injures ou diffamation (article 11 de la loi
statutaire du 12 juillet 1983), protection des militaires et de leurs familles
contre les menaces et attaques liées à leur fonction dans la loi du 21 janvier
o
1995, (article L. 4123-10 du Code de la défense issu de la loi n 2014-873
du 4 août 2014), protection des personnes concourant à la sécurité intérieure
(article L. 113-1 du Code de la sécurité intérieure issu de la loi no 2013-
1168 du 18 décembre 2013), protection des agents de police municipale
(article R. 515-17 issu d’un décret du 4 décembre 2013).
En juin 2016, la commission de la défense de l’Assemblée nationale
adopte la proposition du député Audibert Troin (LR) visant à instituer une
carte de famille de blessé de guerre « en témoignage de la reconnaissance
de la nation française des sacrifices consentis » par ces familles.
Pour remplir sa mission, la force doit se protéger. La force a inventé la
forteresse à cet effet. Et le blindé, l’obstacle antichar, la herse, le bouclier, le
51
casque, la visière renforcée, les filtres polarisants sur les cockpits , le gilet
pare-balles et les menottes. Mais le degré exact des précautions à prendre,
des ressources consacrées à l’autoprotection de la force est un des grands
sujets de la politique de la force, décidée explicitement ou implicitement
par les gouvernants.

Les coups de fureur de la force


Revendications et manifestations… en force
Méfions-nous de la force qui dort. En dressant l’oreille, les grognements
d’un sommeil agité se font entendre. La force n’est pas docile, elle
revendique, s’indigne et, c’est un comble pour une force de l’ordre, se
conduit parfois comme une foule, elle manifeste. Ce penchant pour la
revendication se partage vite : même les réservistes attaquent en justice 52
l’administration qui ne leur paye pas assez vite leur « prime de fidélité »…
Le statut de la police lui reconnaît le droit syndical. Nul ne le conteste et
chacun constate que, dans ce secteur comme dans les autres, la
représentation syndicale améliore les relations avec la hiérarchie et
finalement la qualité du service public. Elle dégage en même temps de
nouvelles élites. Mais, depuis le début des années 1990, le paysage syndical
de la police a littéralement explosé : à un syndicat fédératif et unitaire, la
FASP (Fédération autonome des syndicats de police), se sont substituées
plusieurs organisations distinctes, par les personnels qu’elles représentent et
les orientations politiques qui les inspirent. D’un côté l’UNSA-Police et le
SGP, plutôt proches de la gauche, de l’autre Alliance, et Synergie-officiers,
proches de la droite. La gestion du personnel de la police en est devenue
plus complexe. Les syndicats de police s’arrogent le droit de commenter en
direct les événements avant les autorités et ne s’interdisent pas de diffuser
53
des informations incontrôlées , comme en mai 2016, l’idée que des
consignes seraient données de ne pas réagir aux casseurs.
D’autant que, parfois, les syndicats de policiers ont fort à faire pour
garder la maîtrise des mouvements.
Du côté des gendarmes, les bleus à l’âme sont causés par le « manque
54
de moyens et l’épuisement qui minent leur action et leur moral ». Et
l’absence de syndicats ne fait pas obstacle à des mouvements de
protestation qui peuvent être lourds de conséquences ainsi que l’a montré la
manifestation des gendarmes en uniforme en 2001. En ce sens, l’ouverture
aux militaires, non du droit syndical, mais du seul droit d’association
professionnelle issue de la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme de 2014, est positive. Si elle permet de mieux organiser les
relations sociales au sein de la gendarmerie.
Or, quel que soit le gouvernement, quand « les flics sont dans la rue »,
la majorité politique du moment est proche d’y retourner elle aussi.
Les manifestations de policiers contre Robert Badinter en 1983 allaient
contribuer à la victoire de l’opposition en 1986. Les manifestations de
gendarmes en 2001 affaiblissaient le Premier ministre qui perdait les
élections présidentielles de 2002. En avril 2016, c’est au tour du SGP : la
force manifeste, elle descend dans la rue, qui devait pourtant rester son
terrain d’exercice et de chasse. Pour faire entendre quelle parole ? Ses
revendications, mais d’abord sa propre force, pour peser sur les
délibérations gouvernementales ou dénoncer la « haine antiflics » et la
violence des casseurs, comme place de la République, le 18 mai 2016. Mais
manifester sous les balcons du ministre de la Justice place Vendôme est
toujours le signe d’une République malade. Là est la ligne rouge. La haute
conscience policière devrait, à elle seule, sans même que l’autorité
hiérarchique ait à intervenir, proscrire absolument cette mutinerie
symbolique qui flétrit le rapport légal entre justice et force. Les
manifestations de policiers devant la place Vendôme, le 14 octobre 2015,
puis encore dans la rue en 2016, ne sont pas sans lien avec l’approche des
élections de 2017.
Quand l’opinion constate que le titre de la pièce est « CRS au bord de la
55
crise de nerfs », les autorités s’affairent pour éteindre l’incendie qui
couve. Le même scénario se reproduit au début et à la mi-2016. Et pendant
que les autorités s’affairent, les affaires de la délinquance prospèrent…
CHAPITRE 8

Les « fonctionnaires » de la force

La nuit tombe sur Paris. Qui veille ? La force, avec la police, le soin à
l’hôpital, et le secours avec les pompiers. Le bleu, le blanc, le rouge. La
force est partie éminente de la nation.
Le 13 novembre 2015, des coups de feu éclatent au Bataclan. Un
brigadier entre dans l’établissement, seul, une arme de poing à la main au
risque de sa vie et abat l’un des criminels 1. La force juste appelle le respect
et la reconnaissance de la nation. Tous les jours, de tels actes d’héroïsme,
souvent discrets et même inconnus du public, font la démonstration de ce
que la force protège les citoyens sans reculer ni hésiter.
Le grand Waldeck-Rousseau le savait qui, dans sa préface de 1896 à
L’Histoire du corps des gardiens de la paix, notait : « Dans une société
appelée à demander chaque jour à la science des révélations nouvelles, à
conserver son rang dans un monde où se succèdent les révolutions
économiques, l’individu veut avant tout être affranchi du soin de veiller à sa
défense. C’est là le service essentiel que rend la Police. » Vigilat ut
quiescant 2.
La police se développe, se dilate, parce que nous nous empressons de le
lui demander. Et nous lui en demandons toujours plus. « Mais que fait la
police ? » Nous lui demandons de la disponibilité, de la mobilité, de
l’autorité, de l’anticipation, de la proportionnalité, de la courtoisie et des
résultats. La force doit être à disposition permanente, cette force que le
siècle nous a désappris à manier nous-mêmes.
Et, miracle républicain, la force publique répond à ces demandes.
Parfois tardivement, parfois maladroitement, mais elle répond au numéro
17. Parce qu’elle sait, mieux que personne, que répondre à un appelant en
détresse « ne quittez pas » peut signifier sans le vouloir « ne quittez pas la
vie… ». La formule « ne quittez pas » est pour chacun d’entre nous
tellement importante qu’un documentaire télévisé 3 de 2016 sur des
« tranches de vie » dans un commissariat de Toulouse l’a prise pour titre.

Qui exerce la force ?


La guerre des polices fait la faiblesse,
l’union fait la force

La force est l’affaire de la nation, mais l’union de tous fait la force.


Comment définir et circonscrire les activités, les métiers, les missions
de la force ? Nul ne peut s’estimer prédestiné à l’exercice de la force. Car la
force ici évoquée n’est pas celle du chacun pour soi. Mais du tous pour
chacun. La force au visage tranquille qui fait son métier, remplit sa mission,
tient ses promesses et s’en va.
Policier, gendarme, militaire, surveillant, douanier, éducateur, infirmier
psychiatrique de centre fermé, sapeur-pompier en certaines circonstances,
démineur, garde champêtre 4, agent privé de sécurité, mercenaire, vigile,
détective, gardien, huissier. Le plus souvent sous l’autorité ou sous le
contrôle de la justice, ils servent tous la force mais ne sont et ne devraient
pas être semblables. Déjà, des statistiques trompeuses raffolent des
additions pour mettre en valeur cette armée sécuritaire. Mais l’unification
des statuts qui est en marche, l’armement des policiers municipaux puis
l’annonce en mars 2016 que les agents privés de sécurité pourraient être
armés, ne vont pas de soi. Pourquoi et comment unifier ? La police et la
gendarmerie ne doivent-elles pas garder le monopole de certains actes, de
certains moyens et de certaines contraintes ? Ne serait-ce que du fait de leur
objet et de leur mission judiciaire. L’uniformisation à marche forcée est
artificielle. Elle reste une facilité qui montre que la force n’est pas assez
pensée.
Chacun apprécie les acteurs de la force parce que chacun a besoin de la
force. À condition qu’elle ne se diffuse pas dans la société au point de
mettre les citoyens en péril. Pour apprécier la force, le meilleur est encore
de rester à distance. Pouvoir compter sur elle mais ne pas rêver que chacun
soit force. L’éditorialiste du Figaro résiste encore à l’américanisation de la
société, il fait un pas mais s’arrête à temps : à la question « Préconiseriez-
vous l’armement de la population ? », il répond « non, il ne faut pas armer
les citoyens. Cependant à l’instar de la société israélienne, il faut que des
permis de port d’armes soient dispensés à des professionnels formés : pas
seulement des policiers, mais aussi des vigiles 5 ». Cet élargissement de la
force peut être un piège vers une société de vigiles animée par des shérifs
prêts à dégainer comme le relevait, prémonitoire, le garde des Sceaux
Chalandon présentant la future loi de 1986 sur le terrorisme 6.
Mieux vaudrait réfléchir, plus qu’à la jungle en bataille, à la nation en
armes, sous la forme d’une réserve citoyenne ou d’une sorte de garde
nationale bien encadrée par des professionnels, prête à réagir sans faiblesse
mais maîtrisant sa force.

En principe, l’affaire de la nation


Le peuple peut-il exercer la force lui-même ? La suppression du service
militaire et son retour subreptice en service volontaire, réserve ou « garde
nationale » laissent ce débat ouvert. Derrière la force publique et le marché
privé de la force, le volontariat de la force. Le débat actuel sur les
différentes formes de service civique ou de réserve de sécurité tourne autour
du retour d’une forme de service militaire et de la participation de chacun à
la mission de force. Allons-nous réinventer les volontaires des « forces de
l’intérieur », de nouveaux « FFI » ?
Depuis la nation en armes jusqu’à la garde nationale puis le service
militaire, la nation contribue à sa propre défense, à la disponibilité de sa
force.
Or, depuis la suppression du service militaire en 1999, la « réserve
opérationnelle » n’a jamais été vraiment créée et n’a pas atteint l’objectif de
7
50 000 réservistes .
Le pays n’évitera pas ce nouveau chantier, notamment dans le sens des
propositions de Pierre Servent 8 qui plaide pour le renouveau d’un service
civique de quatre mois pour tous. Quelques mois peuvent être suffisants
pour brasser les milieux qui se sont séparés et redonner à nombre de jeunes
le sentiment que la nation les attend et les respecte en leur demandant un
engagement. Une loi sur la sécurité publique est discutée en 2017 qui crée
un « volontariat militaire d’insertion ».
Un engagement qui sera une contribution à la sécurité parmi d’autres.

En principe, l’union fait la force


L’inquiétude crée des emplois. La tension des années terroristes qui
revient à partir de 2014 appelle des recrutements massifs publics et privés.
Il s’agit de coordonner la montée des forces complémentaires
territoriales, privées et les efforts des entreprises.

En premier lieu, les collectivités territoriales reviennent à la sécurité.


Avec la fougue des nouveaux convertis à la force. Cette évolution est tout
sauf banale et transforme, sans qu’on s’en aperçoive, notre rapport à la
9
force. Alexis Jenni décrit parfaitement les anciens et les nouveaux
« policiers municipaux ». Pour les anciens :

Le policier municipal faisait sourire. Il descendait du garde


champêtre, avec une simple réduction de la moustache, et ne portait
pas de tambour. La police municipale, ce fut longtemps des
messieurs à mobylette qui s’arrêtaient furieux et disaient que non, il
ne fallait pas se garer là.

Pour les nouveaux, plus inquiétants, qui vont vers le même art de la
guerre que les soldats :

Ils allaient par groupes […], ils avaient même carrure et même
coupe que les policiers nationaux. Ils portaient à la ceinture des
bâtons de police à poignée latérale. Ils en imposaient […]. Je me
suis demandé combien la France, en plus de sa police d’État, compte
de policiers locaux, de surveillants, de vigiles, tous en chaussures
montantes, pantalons serrés aux chevilles, blouson de couleur
bleutée. La rue se militarise.

L’affirmation brutale de la force municipale est un clignotant qui


s’allume pour nous notifier que la société se durcit.
Dès lors, nul n’est plus surpris de voir au programme du 99e congrès des
maires de France, en 2016, un atelier « prévention de la radicalisation »
alors qu’ils n’ont pas été élus pour ce faire. Il est rappelé qu’une circulaire
du 2 décembre 2015 cosignée par les ministres de l’Intérieur et de la Ville
(mais non de la Justice ?) « insiste sur l’intérêt de mieux associer les
communes et les intercommunalités dans le dispositif préventif en raison du
rôle majeur qu’elles peuvent jouer dans le repérage et la prise en charge des
jeunes en voie de radicalisation et de leurs familles 10 ». Les collectivités
territoriales bénéficient de la souplesse de la fonction publique territoriale,
d’une plus grande liberté d’embauche et recrutent par petites annonces :

Ville de 80 000 habitants recrute des policiers municipaux (h/f)


postes à pourvoir dans les meilleurs délais. Au sein d’une équipe
[d’une centaine d’agents], vous participez à l’amélioration de la
qualité d’intervention auprès de la population avec qui vous
établissez une relation de proximité. Vous intégrez une équipe dotée
de larges moyens matériels : armement de catégorie B et D 11,
3
brigade motorisée comprenant trois motos 650 cm , une dizaine de
scooters, une dizaine de VTT, jumelles Eurolaser, appareil
sonométriques, Zodiac pour la surveillance [de la rivière]… vous
bénéficiez d’un réseau de vidéosurveillance d’envergure de [200]
caméras… vous partagez les valeurs du service public 12…

Avec une telle annonce en 2016, la ville ne tend pas la main au bon
élève de procédure pénale. Elle guette plutôt le biker musclé, avec
Eurolaser et instruments sonométriques en bandoulière. Il faut pourtant, à la
fois, des caméras embarquées dans le Zodiac et la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen embarquée dans le paquetage. Car la police
municipale, même montée en graine trop brutalement, est désormais
incontournable au nom de la présence et de la proximité. Qui d’autre, de
jour comme de nuit, fait des rondes et non des raids ? En outre, les textes
permettraient de passer demain d’une police municipale à une police
départementale ou régionale. D’ores et déjà, conformément à l’article
L. 511-5 du Code de la sécurité intérieure, les agents de police municipale
peuvent être autorisés par le préfet à porter une arme. Sur 16 344 policiers
municipaux, 7 500 environ 13 sont désormais dotés d’une arme à feu. Jean-
Luc Moudenc, maire de Toulouse en mars 2015, Jean-Claude Gaudin, maire
de Marseille en juillet 2015, Gérard Collomb, maire de Lyon, en
novembre 2015 ou François Bayrou, maire de Pau en août 2016, annoncent
qu’ils sont désormais prêts à armer leur police municipale. Restent des
« résistants », comme le maire de Besançon, Jean-Louis Fousseret, selon
lequel les agents de police municipale n’ont été ni recrutés, ni formés, ni
entraînés à l’usage des armes à feu. Dans le nuage de la pression sécuritaire,
il est bon qu’existent encore des références, originales, capables de dire que
tout n’est pas semblable, que police nationale et polices municipales n’ont
pas nécessairement la même mission et que la force ne se mesure pas au
calibre des armes. Nous avons besoin de police municipale. Mais que
chaque élu prenne ses responsabilités sur ses missions, son organisation et
son armement sans suivre automatiquement les sondages de l’opinion
prétendue.
En second lieu, les activités privées de sécurité (qu’il convient de ne pas
appeler « activités de sécurité privée ») prennent leur envol. Non sans poser
de nombreuses questions sur la coordination entre elles et avec les forces de
l’État, les inégalités territoriales, leurs doctrines d’emploi divergentes. La
14
Cour des comptes observe avec attention ce phénomène . 160 000 agents
travaillent dans 10 000 entreprises. Pour l’Euro 2016, la grande fête du foot,
la sécurité des stades, des camps de base, des hôtels des équipes et de
l’UEFA, ainsi que du centre des médias, sont du ressort de l’UEFA qui a
déployé dans ces zones environ 10 000 agents de sécurité privés. La
sécurité de l’événement, qui conduit le gouvernement à prolonger l’état
d’urgence, est menée par un pool État/Euro 2016 SAS société organisatrice.
Voir utiliser sans précaution particulière, dans un pays pourtant régi par
une loi antimercenaire 15, le concept de SMP (société militaire privée) peut
o er
laisser pantois. La nouvelle loi n 2014-742 du 1 juillet 2014 « relative aux
activités privées de protection des navires » franchit un pas significatif : la
force privée prend pied sur les passerelles de nos navires pour écarter les
pirates. Cette réinvention des corsaires, avec puissance de feu et prestations
armées vendues aux armateurs, ne restera pas cantonnée en haute mer. Le
modèle descendra, un jour ou l’autre, sur la terre ferme. Il reste à nous y
préparer ou à savoir nous y opposer. Le modèle de l’armée privée aux États-
Unis attire comme la lumière dans la nuit des périls même si la privatisation
partielle du pilotage de drones militaires soulève des difficultés de loyauté
et de discipline que l’armée américaine elle-même n’a pas encore levées.
Créé par le Code de la sécurité intérieure, un conseil national des
activités privées de sécurité – lui-même sinistré par le départ contraint en
2016 de son directeur empêtré dans des liens improbables avec les
entreprises qu’il était chargé de contrôler – tente de renforcer la moralité et
le professionnalisme de cette armée de second rang qui représente la force
au service des entreprises. Assumons, là aussi. Le rôle des activités privées
de sécurité est incontournable, il participe d’un effort civique des
entreprises pour contribuer par elles-mêmes, par leurs ressources et leurs
personnels, à la production de sécurité sans être suspendues au fil de
l’autorité publique. Charge à elle d’assurer à la population que le vigile
n’est pas le voyou repeint en uniforme. Les professionnels privés de la
sécurité sont tenus à tout un système d’agrément, tant pour les dirigeants
que pour les salariés. Il revient à la République de veiller aux armes qu’il ne
convient pas de mettre entre toutes les mains.
En troisième lieu, au-delà de la branche spécialisée en sécurité, les
entreprises des autres secteurs et les associations comprennent la nécessité
de penser leur force propre. Elles soutiennent le Club des directeurs de
sécurité des entreprises que préside Alain Juillet, ancien haut responsable
public chargé de l’intelligence économique. En juin 2016, ce club recrute,
comme directeur, l’ancienne secrétaire générale de la délégation chargée de
la lutte contre les cybermenaces du ministère de l’Intérieur. Expériences
publiques et privées se mêlent pour diffuser dans les entreprises une
vigilance nécessaire, et peut-être, une nouvelle culture de la sécurité si ce
n’est de la force.
Pour coordonner le tout, y compris les coordonnateurs sectoriels, le
ministère de l’Intérieur a créé par décret du 28 février 2014 un « délégué
aux coopérations de sécurité » dont la mission est de « conduire le dialogue
entre les services concernés du ministère de l’Intérieur et les acteurs
concourant à la sécurité publique, notamment les représentants des polices
municipales et du secteur de la sécurité privée. Il conduit également le
dialogue avec les professions et secteurs d’activité particulièrement exposés
à la délinquance. […] Il a un rôle d’impulsion et de coordination des actions
visant à développer les coopérations administratives, techniques et
opérationnelles avec ces partenaires ». Cette forte mission qui, prise au pied
de la lettre, équivaudrait à celle du ministre de toutes les polices, est remplie
depuis l’origine par d’anciens collaborateurs du ministre Hortefeux.

Il reste à veiller à ce que les forces restent


complémentaires
Et là, tout se dégrade, quand chaque force est tentée de marauder sur
des terrains qui ne sont pas les siens.

La force est plurielle. Il n’est jamais facile de coordonner, de faire agir


ensemble des forces diverses qui, chacune, tiennent à leurs propres
16
traditions et leurs propres modes d’action. Saint-Simon décrit le difficile
assemblage de l’opération de police qui doit protéger le lit de justice de
1718 :

Depuis une heure après minuit, M. Le duc d’Orléans manda


successivement les ducs de Guiche, de Villeroy et de Chaulnes,
colonel des gardes, capitaine des gardes du corps en quartier,
capitaine des chevau-légers de la garde. Artagnan et Canillac,
capitaines des deux compagnes des mousquetaires […] pour leur
donner ses ordres tandis que La Vrillière les donnait à tout
l’intérieur de la ville et aux expéditions nécessaires. On avait pensé
à tout, excepté aux Suisses ; car il échappe toujours quelque chose,
et souvent d’important.

Les aléas de la coordination mousquetaires/suisses ou


police/gendarmerie ne datent pas d’aujourd’hui. « Il échappe toujours
quelque chose », et l’appel à différentes forces en même temps relève certes
des nécessités opérationnelles mais, tout autant, de la considération portée à
chaque force et de la volonté de n’en offenser ni même décevoir aucune
d’une « marque de défiance ».
La force est à chaque instant marquée par la « guerre des polices », cette
physique des forces qui dérape. Si la presse avait raison de titrer, en
avril 2015 : « Les rivalités minent les services de renseignement » ou en
17
janvier 2016 : « Les attentats réveillent la guerre police/gendarmerie », le
pays serait en péril. Comme quand, au début de 2016, les deux patrons
successifs de la police de New York, le titulaire Bill Bratton et son
prédécesseur direct, Raymond Kelly, échangent des noms d’oiseaux. Bien
entendu, le phénomène est inconcevable en France où tous les chefs de
force s’adorent. De loin… Le film d’Olivier Marchal de 2004 36, quai des
Orfèvres représente bien le duel à mort entre BRI (Brigade de recherche et
d’intervention) et BRB (Brigade de répression du banditisme) qu’incarnent
jusqu’au tragique Daniel Auteuil et Gérard Depardieu. En 2009, c’est le
18
Conseil d’État qui clôt une dispute entre policiers en écartant, parce que le
principe d’égalité n’était pas méconnu, un recours du GIPN contre l’octroi
d’une indemnité pour « mission exclusive allouée au RAID ».

Il arrive donc que plusieurs services de force se heurtent au lieu de se


combiner utilement.
Il ne sera jamais inutile sur le métier de remettre l’ouvrage : le nouveau
« schéma national d’intervention » présenté le 19 avril 2016 par le ministre
de l’Intérieur est le bon exemple de ce devoir ministériel de toujours
préférer la coordination à la concurrence. Et, quand il s’agit des équipes
d’élite de la force, RAID, BRI, GIGN, le chef d’orchestre doit réussir sa
symphonie. Ce schéma montrera son utilité dès l’été de la même année,
quand le service d’intervention sera très rapidement sur place lors de
l’assassinat du prêtre de Saint-Étienne-du-Rouvray.
Il arrive, aussi, que la pénitentiaire veuille faire de la police. Elle se
lance dans le renseignement en devenant, par la loi du 3 juin 2016 sur le
renforcement de la lutte contre le crime organisé, un service de
renseignement (presque) comme un autre. Au lieu de s’en remettre aux
spécialistes du renseignement qui pourraient venir dans les prisons, comme
dans les gares ou dans les entreprises, il est décidé que la pénitentiaire
forme des surveillants de renseignement. Il est permis de penser que le
renseignement est un métier à exercer par des hommes de renseignement
même dans l’enceinte des prisons. Et la pénitentiaire, un métier spécifique
de la surveillance en espace clos. En matière de sécurité, la polyvalence
déchaînée peut être dangereuse encore plus si le « renseignement
pénitentiaire » était amené dans le futur à agir à l’extérieur des
établissements en milieu ouvert.
Les pénitentiaires sont aussi sollicités pour de pures missions de police,
comme celle du transfert des détenus entre prisons et palais de justice puis
en 2017 celle de police sur le domaine pénitentiaire c’est-à-dire hors les
murs, sur les parkings ou dans les lieux d’accueil des familles. Une
imprudente décision de 2011, malheureusement non remise en question en
2012, attribue à la pénitentiaire les missions de police urbaine pour les
transferts. Les pénitentiaires, plutôt attirés par ces nouvelles missions qui
les sortent de la détention, sont preneurs. Mais ces transferts créent un
grand désordre 19 autour de la nouvelle Autorité de régulation et de
programmation des extractions judiciaires (ARPEJ). L’appellation de cette
« autorité » est à elle seule un exemple de ces confusions. La mission
régalienne de transfert de détenus a-t-elle besoin d’une « régulation »
comme s’il s’agissait d’un secteur économique porteur de « sillons »
ferroviaires ou du prix de l’électricité ? Et les agents pénitentiaires sont-ils
les mieux placés pour appréhender et fouiller les personnes aux abords des
prisons ?
Il arrive que la police veuille exercer la justice en se lançant dans la
transaction pénale à la place des juges.
Il arrive que l’armée veuille faire de la police sur le territoire en
diffusant sa force comme dans les opérations Vigipirate et Sentinelle.
Mais l’essentiel reste que chacun pense à son métier principal.

La force dans le paysage


Architecture, mobilier, esthétique de la force

La force s’incarne dans le paysage. La France est le pays de la


« clôture » naturellement intégrée dans le Code civil (« Tout propriétaire
peut clore son héritage… ») et le Code de l’urbanisme : la clôture en ville
est soumise à déclaration préalable. La clôture distingue, protège et marque
la menace de la force en cas de franchissement. Cave canem. Les maires
savent bien, eux aussi, que l’éclairage, la hauteur des haies, les horaires des
jardins publics, la gestion des parkings ou les bancs publics cloisonnés pour
empêcher quiconque de s’étendre, en disent long sur les conceptions de la
sécurité dans leur commune. En 1994, examinant le projet de la future loi
de 1995 créant la vidéosurveillance, le rapporteur au Conseil d’État notait :
« Les infrastructures existent, mais les mobiliers urbains et les ouvrages
dans lesquels doivent être intégrés les dispositifs de surveillance, eux,
n’existent pas ; l’idée, c’est qu’au lieu de fixer des caméras de
vidéosurveillance sur des poteaux, ce soit déjà prévu dans les dispositifs du
mobilier urbain. » Depuis, ce principe, d’adapter non pas la sécurité à la
ville mais la ville à la sécurité, a notablement progressé.
Car la force a, depuis longtemps, découvert l’ambition de construire le
monde à son image et à sa mesure. Pour qu’elle remplisse sa mission avec
diligence et efficacité, elle doit pouvoir modeler la « forme d’une ville » qui
ne saurait dépendre que de l’habitat, des transports ou des réseaux. Les
enceintes gallo-romaines et les portes fortifiées du Moyen Âge ont fait les
villes comme les villes les ont faites. Telle était la description de l’histoire
militaire de l’urbanisme tentée par une équipe d’historiens, d’urbanistes et
20
de polémologues en 1996 . Haussmann créait de larges boulevards pour
faire circuler ses troupes d’ordre. Plus saisissant encore, il faut admettre,
21
avec Thierry Paquot , que « les cinq dispositifs architecturalo-
urbanistiques que sont les grands ensembles, les centres commerciaux, les
gratte-ciel, les résidences sécurisées et les grands projets ont pour traits
communs de favoriser l’enfermement de leurs résidents et leur
assujettissement à des comportements normés » et sous surveillance. En
particulier, les centres commerciaux ou les mall anglo-saxons représentent
la quintessence de la citadelle climatisée, interdite aux indigents et
contrôlée en permanence. Les architectures deviennent toujours plus
sécuritaires.
Le stade ultime de cette architecture de la force est la prison.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté relève bien
souvent que telle prison a, « depuis son ouverture, été marquée par de
nombreux incidents graves et violents qui ont successivement donné lieu à
des modifications architecturales allant dans le sens d’un renforcement de la
sécurité ». L’architecture se met ici au service de la sécurité.
e
Les prisons du XIX siècle étaient souvent construites à proximité
immédiate des palais de justice pour éviter les longs transfèrements de
détenus, coûteux en personnels et risqués en matière de sécurité et
permettre les visites des proches. Le 3 juin 1845, le député Ladoucette fait
rapport à la Chambre des députés des travaux publics nécessaires dans la
Nièvre : « La prison départementale est insuffisante, mal distribuée, et sa
reconstruction est regardée comme indispensable. Un conduit souterrain la
mettrait en communication avec le palais de justice. » La prison construite
en 1857 restera en centre-ville. Mais la revue Urbanités 22 s’est intéressée en
2015 au « divorce à l’amiable » entre justice et prison depuis les années
1980. Elle notait la proximité habituelle du palais de justice et de la prison :
« L’exemple le plus emblématique est assurément celui de la Conciergerie,
prison révolutionnaire attenante au palais de Justice de Paris, mais on
pourrait aussi citer la maison d’arrêt de Mulhouse, sise entre tribunal
d’instance et tribunal de grande instance, ou encore l’ancienne prison de
Montpellier juste à l’arrière du palais de justice. » Les architectures privées
et publiques peuvent être économes ou coûteuses en promesses de force
selon que l’usage de celle-ci est anticipé ou non par la construction.
Aujourd’hui, la prison est partie à l’extérieur de la ville, comme à Bordeaux
où elle a quitté le voisinage du palais pour atterrir à Gradignan. Compte
tenu de la généralisation de ce divorce, la force se gaspille en escortes et
transfèrements inutiles et dangereux.
o
Pour éviter ces tensions, la loi n 95-73 de programmation de la sécurité
a prescrit des études de sécurité publique pour que chaque grand
programme d’aménagement ou de construction fasse « l’objet d’une étude
préalable de sécurité permettant d’en apprécier les conséquences ».
Désormais codifiée aux articles L. 114-1 du Code de l’urbanisme,
l’obligation de telles études marque bien que la force entend rappeler aux
différentes activités que leurs préoccupations ne sauraient être uniquement
architecturales ou fonctionnelles et que l’usage de la force doit être
envisagé et intégré à la conception de l’équipement. On peut le regretter
mais c’est ainsi.
Aujourd’hui, le rapport de la ville et de la sécurité se transforme. La
ville est plus que jamais système, lieu des interconnexions et des rencontres
comme le décrivent Tristan Benhaïm et Alain Maugard dans Faire société
en ville. Une utopie réaliste 23. Les métiers de l’immobilier changent, le
travail collaboratif s’impose. Les questions de sécurité deviennent un
élément d’un ensemble plus vaste, constitué de services, de réseaux sur des
territoires. La thèse de Luce Bony, De la prison, peut-on voir la ville 24 ?,
montre que les détenus en Île-de-France viennent massivement de l’ouest
de la Seine-Saint-Denis et de l’ouest du Val-de-Marne. Sans toujours le
savoir, la force pénitentiaire, comme la police, traitent une population très
localisée. Les systèmes d’observation, d’alerte, de mobilisation et
d’information et de traçabilité prétendent prendre en charge la sécurité de
manière plus sélective et plus proche des habitants. Avec un contrôle social
à la fois plus complet, plus indolore et plus intrusif. À la question du
policier : « Où étiez-vous le 29 septembre 2016 ? », il suffira de répondre :
« Voyez mon Navigo et mon smartphone. » Ces témoins automatiques, qui
ne nous quittent plus, ne prêtent pas serment, sont dépourvus d’affect, mais
ils sont exacts et bavards. Et la géolocalisation vient brouiller la géographie.
Il importe d’explorer et de connaître le rapport de la force et des
territoires comme l’usage des capteurs et alarmes. Civiliser la force
implique de développer ce type de recherches et d’explications publiques
pour que la force soit l’accessoire de la ville et non l’inverse. Car penser ce
rapport de la force et du paysage contribue déjà à bien exercer la force.

Comment exercer la force ?


Commandement, exécution, courage, contrôle
Dans L’Étrange Défaite, Marc Bloch 25 vilipende la « mollesse du
commandement » et célèbre « la rude main du Joffre de 1914 ». Entre
« mollesse » coupable et « rudesse » victorieuse, en quelles mains confier la
force ?
La force a besoin de commandement et d’exécution.
La force civile sait qu’elle a toujours, plus immédiatement que la force
militaire, à assumer les conséquences de son action. Elle agit sous les yeux
des citoyens. Le fire and forget n’existe pas en matière de maintien de
l’ordre.

Commandement
Métier éminent que l’encadrement de la force. Le commandement de la
force implique la force de commandement. En 2015, l’historien Nicolas
Roussellier titre son étude du pouvoir exécutif La Force de gouverner 26. Et
pas seulement les forces de sécurité. Le commandement suppose de
connaître ses missions, ses moyens, ses droits et sa déontologie, ses
personnels et, surtout la population qu’il va falloir animer et, si ce n’est
maîtriser, au moins canaliser, dissuader. Surtout, il faut le courage de
commander. Bien des catastrophes sont survenues parce que les ordres
avaient été volontairement évasifs ou inexistants 27, laissant au subordonné,
qui peut prendre le silence pour une approbation, le risque et l’illégalité
éventuelle.
Le nouveau règlement général d’emploi de la police nationale 28
organise cet encadrement. Le commandement stratégique (qui revient au
ministre ou, plus largement, à l’autorité civile) aura à fixer l’objectif avec
quelques précautions fondamentales. Le commandant opérationnel (comme
le directeur départemental de la sécurité dans sa salle de commandement ou
le commandant d’une compagnie républicaine de sécurité) aura à prendre
des décisions dans l’instant : tenir, avancer, reculer, charger, déplacer des
forces, changer de matériel, appeler des moyens extraordinaires
(hélicoptères, forces d’intervention, canons à eau…), en dernier ressort,
exceptionnellement, ouvrir le feu.
Ces choix et orientations sont cauchemars récurrents tant commander
(réellement) la police est une gageure. Il faut toujours se souvenir de
l’avertissement de Jean-Jacques Gleizal 29, il y a trente ans : « La police est
une administration molle. Sa hiérarchie est faible, ses problèmes matériels
sont moins importants que ceux psychologiques, voire politiques. Y a-t-il
une police ? Nous savons qu’il en existe plusieurs. »
Commander suppose des cadres en nombre suffisant et soigneusement
formés à cette responsabilité.
Sur le nombre de cadres, une politique restrictive, sous influence des
syndicats de commissaires de police, a borné de manière insatisfaisante le
nombre de commissaires et plus encore des officiers, ce qui aboutit à un
sous-encadrement de la police nationale. Dès 2004, le rapporteur UMP du
projet de loi de finances sur la sécurité, M. Léonard notait : « Un cinquième
des effectifs de la Seine-Saint-Denis est renouvelé chaque année. Ce
mouvement déstabilise les services. Il conduit à une situation de sous-
encadrement des gardiens de la paix. » Dans le département des Yvelines
(1,4 million d’habitants) ne sont affectés, tous services confondus, que 40
commissaires, ce qui signifie qu’à un moment donné, et particulièrement la
nuit, ils sont très peu présents pour commander. Le risque est alors de
laisser les jeunes entre eux sans la sagesse de l’expérience. Alexis Jenni
perçoit physiquement ce manque de seniors à l’apparition d’une voiture de
police qui livre son équipe de jeunes fonctionnaires :

Pas un seul n’était un peu détaché du monde comme le sont ceux qui
ont un peu vécu, pas un seul qui puisse ne pas réagir aussitôt, pas un
qui puisse retarder la mise en œuvre de cette puissance de feu. Ils
étaient quatre de même âge, ces hommes d’armes dont on a aiguisé
les mâchoires de fer, très jeunes, et personne n’était là pour leur
tenir la bride. Les hommes plus âgés ne veulent plus patrouiller dans
les nuits de juin, alors on laisse rouler dans la rue des grenades
dégoupillées, on laisse des jeunes gens tendus chercher à tâtons dans
la nuit d’autres jeunes gens tendus qui jouent à leur échapper 30.

Pourtant, même les scouts ont des chefs. Et les apprentis des maîtres. La
police, plus que la gendarmerie, a sous-estimé dans la durée, le rôle des
sergents et des adjudants, ces cadres qui partagent le quotidien de leurs
hommes. La patrouille n’est pourtant pas un safari ni un parcours initiatique
mais une mission de base du service public. Elle n’est professionnelle et
légitime qu’encadrée strictement. Aujourd’hui, la police obéit plus souvent
à un RULP (responsable d’unité locale de police) qu’à un commissaire de
police. Comme dans la gendarmerie où l’arme devrait avoir moins de
généraux et plus de capitaines.
La formation et la sélection des cadres se portent mieux. Mais elles sont
toujours à améliorer.
Cela suppose, aussi, des comptes rendus exacts aux autorités. En
Allemagne, à Cologne et Hambourg le 31 décembre 2015 31, comme en
Suède, lors des festivals de Stockholm en 2014 et 2015, les chefs de la
police ont été directement mis en cause pour avoir caché les agressions
sexuelles commises en grand nombre par des groupes de migrants. Plus
généralement, l’histoire de la force publique est ponctuée de comptes
rendus effrontément erronés, où la brigade ou l’équipe se sont
manifestement concertées pour présenter à la hiérarchie une version
commune enjolivée que la justice met parfois des années à démonter. Le
meilleur compte rendu est encore celui que l’on fait avant l’événement en
l’anticipant. En 2016, la mairie et le directeur de la police de Cologne
prévoient dix fois plus de forces de police qu’en 2015 pour la nuit de la
Saint-Sylvestre. Et le font savoir.
Exécution
La force, un art d’exécution. La force n’est certainement pas
incompatible, bien au contraire, avec le tact et le sens des proportions. En
février 2016, le député de Rugy (écologiste) rappelle à l’Assemblée
nationale que, pour la sécurisation d’un match de football, des
« précautions » de police excessives relèvent de la mauvaise exécution de
l’opération de force : il s’agissait d’un match Nantes/Lens qui avait lieu à
Amiens.

À l’époque, notre pays ne vivait donc pas dans le cadre de l’état


d’urgence. Or tout déplacement de supporters avait été purement et
simplement interdit par arrêté du préfet. Des contrôles ont ensuite
été menés par la police, ce qui est normal, mais sur la base de
critères quelque peu étonnants, comme le numéro de plaque
d’immatriculation : il ne faisait visiblement pas bon arborer le
chiffre 44 sur sa voiture, ce qui, vous le comprendrez, me paraît
inacceptable. (Sourires.) Des personnes ont même été placées en
garde à vue en raison du simple port de l’écharpe jaune et verte des
supporters du Football Club de Nantes. C’est absolument
incompréhensible.

La force a besoin d’exécutants qui sachent – parce que ces qualités ne


sont pas innées et s’apprennent – être tout à la fois obéissants et inventifs,
justes et courageux.
L’obéissance 32 est nécessaire pour que l’appareil de force soit cohérent,
sans dispersion ni surenchère. Mais l’obéissance doit être intelligente,
faite de compréhension des ordres, d’initiative et de compte rendu bien
dosé. Il faut relire Foch 33 sur l’autonomie de l’exécutant. La force ne
vaut que par l’intelligence du lieutenant qui n’attend pas d’être guidé
pas à pas par le capitaine. Foch a exprimé clairement cette exigence de
l’obéissance intelligente et légaliste. Et ce n’est pas un hasard si le
principe de devoir désobéir à un ordre illégal a été reconnu très tôt par
le Conseil d’État et appliqué notamment pour un policier de la DST 34
35
(Direction de la sécurité du territoire). Plus tragique, Didier Epelbaum
évoque les gendarmes de Drancy en 1942 qui, eux, n’ont pas désobéi…
Le sens de la justice habite le policier ou le militaire capable d’exercer
36
sa fonction. Quand le narrateur de Sorj Chalandon fait semblant de
tomber mort aux pieds d’un policier, il se relève pour entendre le
fonctionnaire pester : « Il m’a fait peur, ce con ! » Expression, entre
toutes, de la police démocratique qui craint de donner la mort par
inadvertance. Et tend à la justice. D’autant que le Parlement a
récemment conféré au policier et au gendarme un rôle de quasi-juge, et
ce malgré l’avis négatif du gouvernement qui tenait à laisser la justice
aux juges 37. Par la loi du 15 août 2014 votée à l’initiative du député
Raimbourg (PS), et son décret d’application no 2015-1272 du 13 octobre
2015, policiers et gendarmes peuvent désormais rendre justice en
proposant au contrevenant une transaction par paiement d’une amende
transactionnelle. Certes l’autorisation du procureur et l’homologation du
juge du siège sont requises mais, pour la première fois, le policier ou le
gendarme OPJ (officier de police judiciaire) fixe la peine notamment
pour des délits « légers » comme le vol à l’étalage ou l’usage de
stupéfiants. La presse ne s’est pas trompée sur l’importance du texte
spécialement pour la répression de la consommation de stupéfiants :
« La répression du cannabis sort des tribunaux », proclame Le Monde.
Le prochain débat, déjà lancé, sera l’élargissement de cette transaction
d’initiative policière pour les délits routiers.
Le courage non plus ne va pas de soi. Jaurès, dans son discours célèbre
à la jeunesse de juillet 1903, rapproche force et courage : « Le courage,
ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que
la raison peut résoudre. […] le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté
au hasard des impressions et des forces ; c’est de garder dans les
lassitudes inévitables l’habitude du travail et de l’action. » Envers et
contre tout, il faut posséder ce qu’en police on appelait « le courage de
38
la nuit, car la frayeur ne se raisonne pas ». Et la frayeur, celui qui
exécute des mesures de force en toutes circonstances, peut la subir et
perdre toute raison tant le péril sera souvent aussi violent
qu’imprévisible.
Le modeste gardien de la paix prouve tous les jours ce que la force a de
courageux et de pacifique : G. Macé en 1890 et Christophe en 1899 vantent
ses mêmes qualités : le premier décrit le gardien de la paix « bravant les
difficultés, il arrête au péril de sa vie un cheval emporté, il marche à la
rencontre d’un chien enragé, il sauve au milieu des flammes de malheureux
incendiés, et il se jette à l’eau tout habillé pour sauver son semblable », le
second 39 salue lui aussi le gardien maîtrisant un cheval emballé : « L’agent
protège la sécurité publique avec l’héroïsme simple qui caractérise cet
humble fonctionnaire. S’il a seulement la chance de se casser un bras ou
deux, il aura une médaille d’argent, ou même de bronze. »
C’est finalement cette quatrième exigence qui est la plus lourde : la
disponibilité des services. Elle est tellement sollicitée que son existence
peut être mise en péril. Et cette chute de disponibilité, à effectif
constant, produira d’inévitables effets destructurants. La presse évoque,
pour les services de renseignement, « le débordement, la saturation, le
trouble ». La réplique à ces failles dans le service public doit être
trouvée.

Contrôle
Les techniques de contrôle 40 de la force doivent être bien maîtrisées. Or,
en France, elles se caractérisent par la multiplicité, la concurrence et
l’efficacité relative.
La force peut souffrir d’une multitude de contrôles, bien dénoncée à la
Chambre des députés le 26 septembre 1919 par le député Ernest Lafont :

Le contrôle qui est une excellente chose, risque de devenir nuisible


lorsqu’on le dilue ou multiplie trop. Les contrôleurs qui se
contrôlent entre eux, au lieu de contrôler la matière qui leur est
soumise, ne remplissent plus leur rôle de contrôleur. Le danger […]
est que trop de contrôle aboutit à la consolidation des fonctionnaires
fautifs, car ils ont toujours un rapport pour se défendre contre un
autre rapport.

Cette critique date d’un siècle…


Toutefois, nul ne conteste le besoin de contrôle. Le Contrôleur des lieux
de privation des libertés s’est fait sa place depuis la loi no 2007-1545 du
30 octobre 2007. Souvenons-nous des Baumettes en 2012 et du centre
psychothérapique de Bourg-en-Bresse sévèrement dénoncés en mars 2016.
Le Défenseur des droits, qui a repris la tradition de la Commission
nationale de déontologie de la sécurité, examine les plaintes relatives à
l’emploi de la force par la police et la gendarmerie 41. Enfin, aux confins du
contrôle et de la déontologie, l’Inspection générale de la police nationale 42
(IGPN) joue un rôle positif pour analyser les incidents, enquêter de manière
impartiale et conseiller les autorités pour modifier les processus dangereux
de la force. Sa directrice rend compte publiquement du bilan de ses
43
enquêtes .

Déontologie de la force
Pas de confiance sans code de bonne conduite
Depuis que la force existe, le prince lui demande le respect de quelques
principes qui la différencie de la bande, de la meute ou de la horde. La
déontologie n’est pas la seule qualité de l’agent chargé de la force mais elle
peut aider 44. La loi no 2014-1353 du 13 novembre 2014 introduit trois
articles dans le Code de la sécurité intérieure : L. 141-1, « La déontologie
des personnes exerçant des missions ou activités de sécurité est précisée par
décret en Conseil d’État » ; L. 142-1, « Le Défenseur des droits accomplit
sa mission de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant
des activités de sécurité dans les conditions fixées par la loi organique
no 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits » ; et L. 434-
1, « Un code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie
nationales est établi par décret en Conseil d’État » lequel a été pris par
décret en 2013. Il est en vigueur depuis le 1er janvier 2014.
Le dispositif est donc en principe très complet. Mais l’énoncé de la
norme déontologique ne suffit pas, n’a jamais suffi.
Dans son récent roman, Bien connu des services de police 45, Dominique
Manotti décrit un commissariat de police de banlieue qu’elle crédite de
presque toutes les turpitudes déontologiques qui menacent la force : ses
policiers sodomisent une prostituée, photocopient irrégulièrement des
documents, multiplient les perquisitions irrégulières, brutalisent les usagers,
font des comptes rendus incomplets, volent les Roms et les personnes en
situation de faiblesse, soustraient des preuves, se coalisent pour de faux
témoignages harmonisés. La force est ici désespérante.
Et pourtant…
Le premier commandement pour un homme de force est certainement :
« Tu ne tueras point. » Quand, en 2015, l’ancien chef de police chinois
Zhao Liping, en même temps auteur de poésies comme La Mort du policier,
est interpellé pour le meurtre de sa maîtresse, il avait oublié que sa bonne
gestion antérieure avait réduit le temps de réponse aux appels à Police
Secours. Grâce à cette amélioration du service (il faut toujours se méfier de
ses propres succès), sa maîtresse, blessée et poursuivie, avait eu le temps,
avant d’être abattue, de signaler à la police que Zhao était à ses trousses. Au
Brésil, aux Philippines, les militants des droits de l’homme protestent
contre les « policiers tueurs 46 ». En France, les procédures pour violences
ou viol ne sont pas rares comme pour la touriste canadienne agressée en
2014 dans les locaux du 36, quai des Orfèvres. En septembre 2015,
l’enquête amènera une centaine de policiers de cette prestigieuse unité à se
soumettre à un test ADN qui s’avérera négatif. L’affaire se termine (sous
réserve d’un appel) en juillet 2016 par un non-lieu pour les deux policiers
mis en cause.
Moins dramatique, le deuxième commandement : « Les secrets, tu
sauras garder. » Respecté, il aurait dû faire obstacle à ce qu’en moins de
deux ans, deux chefs successifs du célèbre 36, quai des Orfèvres soient
limogés : le premier en 2013 pour avoir « informé » un ancien ministre de
sa prochaine audition par la police – un « geste » qui lui coûtera son poste ;
et le second, début 2015, pour violation du secret de l’instruction. De
même, voir l’officier d’élite David Petraeus, ex-patron de la CIA, chuter
pour avoir été trop bavard avec sa biographe et maîtresse et condamné en
avril 2015 à deux ans de prison avec sursis et 100 000 dollars d’amende
prouve les conséquences imprévues d’un excès de confiance. Les propos
47
d’un ancien directeur technique de la DGSE rapportés par la presse en
septembre 2016 et relatifs à certaines opérations du service peuvent aussi
étonner.
Quant au troisième commandement, il est ultraclassique : « La probité,
tu n’oublieras jamais. » Même dans le maniement des scellés, dans les
œuvres sociales de la police 48, dans les rapports avec l’entreprise, la probité
n’est soluble ni dans l’amitié ni dans l’alcool. Les « livraisons surveillées »
sont en principe des fournitures de produits interdits tolérés par la police,
pour arriver jusqu’au chef du trafic. Il ne faut pas que ce soit l’inverse et
49
que le trafiquant profite de la protection mal avisée de la force . Enfin,
quand un « grand flic » est condamné le 5 juillet 2016 à deux ans et demi de
prison ferme pour corruption, du fait de rapports troubles avec ses
indicateurs, c’est toute la force publique qui souffre quand la presse titre
« flic et/ou voyou ». Et tout le service public quand le condamné estime
nécessaire d’écrire un livre sur ses « aventures ».
En décembre 1698, l’huissier Jean Belin « convaincu de concussion,
exactions, prévarications et malversations » est condamné à être forçat
pendant sept ans de galères. Il est exhibé « attaché au carcan à la porte du
marché public de Dijon […] portant sur la tête un écriteau contenant ces
mots : huissier concussionnaire ». On ne badine pas avec les agents de la
force qui oublient leur déontologie. Les principaux métiers de la force sont
désormais dotés de codes de déontologie : la police, pionnière à l’époque
avec le premier décret de déontologie pour les fonctionnaires du 18 mars
1986, et la gendarmerie se partagent le décret déontologique du 4 décembre
2013 50. Les fonctionnaires de la police nationale exécutent les missions
confiées par l’article R. 411-2 du Code de sécurité intérieure « dans le
respect des principes républicains et du Code de déontologie ». Les
pénitentiaires disposent de leur propre code de déontologie 51 publié après
dix ans de travaux, comme les activités privées de sécurité avec les articles
R. 631-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure, comme les agents de
surveillance de la SNCF et de la RATP 52 et, bientôt, les agents du Conseil
national des activités privées de sécurité.
Le jugement du siège général de la connétablie et maréchaussée de
France du 21 juillet 1740 interdit aux cavaliers de maréchaussée

de maltraiter les refusants de payer les amendes jugées encourues,


d’en faire charte privée, ni de les conduire dans des auberges ou
cabarets, et là d’y prendre aucune nourriture à leurs dépens ou faire
53
aucune composition avec eux .
L’homme de force respecte l’usager et ne se fait pas entretenir. Vérité
éternelle.
Sans se méfier outre mesure de la force, les gouvernements ont inventé
ces dernières années la déontologie, comme un filet jeté sur les forces pour
les conduire en douceur vers un monde de fermeté, de courtoisie
d’efficacité, de probité et d’impartialité.
La déontologie ou le ciel à la portée de tous au guichet du service
public. Mais le ciel est toujours plus rêvé que visité.
Il est acquis (et donc admis…) que les policiers et gendarmes à la
retraite émigrent dans les grandes entreprises qui prisent l’affichage d’un
« grand flic » à leur boutonnière. Dominique Manotti, encore, décrit le
fonctionnaire « quarante ans dans la police dont vingt aux RGPP,
aujourd’hui en retraite, […] mais toujours actif à Paris, plusieurs jours par
semaine, pour diriger des séminaires, faire des conférences, vendre des
conseils aux entreprises et entretenir ses réseaux. Il a su rester un homme
d’influence ». L’auteure connaît les habitudes des hommes de force qui ne
renoncent que pour mourir. Après avoir passé leurs années à déjeuner au
restaurant en laissant la facture au patron.
Renault, EDF, SNCF, La Poste, Veolia, Bolloré, Casino ont leur policier,
Engie, Alcatel, Total ou Bouygues confient leur sécurité à d’anciens
officiers. Plusieurs anciens directeurs centraux de la police judiciaire se
succèdent comme directeur du département sécurité de la fédération
bancaire française. Un ancien patron du RAID devient directeur des
stratégies d’une mutuelle (Covea). L’ancien directeur départemental de la
sécurité publique des Bouches-du-Rhône devient en avril 2016 directeur de
la sûreté d’Eurazeo, société d’investissement.
En juin 2016, le général, directeur général de la gendarmerie nationale,
la quitte pour aller assumer la fonction de directeur de la sûreté de Total
dont le P-DG affirme alors que « dans les troubles géopolitiques auxquels
est confronté le groupe, il était très utile de s’attacher les services d’un très
grand professionnel dans ce domaine de la sûreté ».
Et ceux qui ne sont pas recrutés se recrutent eux-mêmes en fondant des
sociétés privées de conseil, d’audit, de formation… parfois aux confins du
trafic d’influence.
Le festival de la force en disponibilité, le congrès de la police passée au
privé existe : les Trophées de la sécurité, sorte de Bottin mondain de la
haute police, se sont tenus à Paris le 26 septembre 2015. Gageons que
quelques policiers et officiers encore dans les cadres de la force publique y
sont venus humer l’air de la privatisation de la force. Pour préparer l’avenir.

Entendons-nous : l’essaimage des hommes de force n’est pas différent


de celui des ingénieurs, des conseillers d’État ou des anciens secrétaires
généraux adjoints de l’Élysée. Cela suppose, cependant, quelques
conditions dont, notamment, la non-utilisation des fichiers de sécurité par
ces émigrés du public, leur non-intervention à travers leurs réseaux dans les
enquêtes sensibles. La police n’est plus seulement dans la police. Mais elle
est éternelle. La déontologie sert aussi à ce que chacun se pose les bonnes
questions avant qu’il ne soit trop tard.
Conclusion

Javert était une représentation de la force, une des incarnations de la


police immanente mais une simple formule imaginée parmi d’autres.
Au bout du chemin, après s’être interrogé sur les mille manières de
pratiquer la force nécessaire, sur ses origines, ses lois, ses résultats, ses
dérives, ses hommes, et sa part d’ombre – quand ce n’est pas d’obscurité
profonde –, il reste à constater combien la force est au cœur des nations,
combien le rapport avec la force donne ses couleurs particulières à
l’exercice du pouvoir, du noir et du kaki jusqu’au vert du garde champêtre,
au bleu des casques, au rouge de la croix ou du croissant, au bleu, blanc,
rouge de l’étendard de la République. La force peut être sombre et
oppressante ou, au contraire, éclairante et rassurante. Nous avons besoin de
lumières et de couleurs.

Quand la force n’aime pas les couleurs, elle éteint la lumière de ses
geôles, déteste les veilleuses, ne croit pas en l’esprit des Lumières, agit en
secret, impose un uniforme bistre, savoure les crépuscules et attend dans la
noirceur que l’orage déchire le voile d’un coup de lumière blanche
insoutenable comme une lampe d’interrogatoire. Elle diffuse le « petit livre
rouge », organise de gigantesques manifestations en ordre noir et,
finalement, en servant fanatiquement une aube rouge ou un leader en noir,
précipite la déchéance de l’autorité qui la fondait, en accélérant la « fin de
l’homme rouge » ou le désastre des hommes en uniforme noir. La force mal
pensée, la force qui règne au lieu d’être commandée, est un bon outil de
catastrophe et le plus souvent une police d’assurance pour l’enfer. « Le
rouge et le noir » se termine dans le drame.
Quand la force sert la démocratie, au contraire, elle s’adresse à des
citoyens éclairés par l’école, ne charge pas mécaniquement la première
muleta rouge agitée sous ses canons, sait défendre quand il le faut le rouge
de la manifestation et le jaune de la liberté du travail, le vert de l’écologie et
le bleu des uniformes. Elle ne construit pas ses fichiers selon la couleur de
la peau mais seulement sur les signes objectifs des délinquants qu’elle
recherche, n’a pas peur des arcs-en-ciel et défend ceux qui sont fusillés
comme à Orlando, aux États-Unis le 12 juin 2016. Elle sait que les feux de
signalisation ne sont pas composés que d’optiques orange et rouge, mais
que le vert existe aussi. C’est la liberté. Démosthène aurait pu, comme
Diogène, porter une lanterne quand il a voulu restituer aux Athéniens le
courage de mettre la force au service de leur cité contre Philippe II de
Macédoine. Il leur enseignait que la force de leur adversaire vaut d’abord
par leur propre faiblesse et leur négligence. Ses Philippiques vont droit au
but comme une flèche, et la cible apprécie en connaisseur 1 : « Philippe […]
dit ingénument, après avoir lu ce discours : – J’aurais moi-même donné ma
voix à Démosthène pour me faire déclarer la guerre et je l’aurais nommé
général. » La vraie force sait apprécier celle de ses ennemis.
L’histoire, la géographie, la littérature, la chanson, la théorie politique
nous rappellent ce que nous savons mais préférons si souvent oublier : ne
pas subir passe par la construction d’une Autorité respectée et par
l’engagement d’une force adaptée.
Le salut de la collectivité est assuré quand celle-ci réussit à posséder
une force circonscrite à un mode d’emploi strict et, en même temps,
audacieuse et déterminée quand son emploi est décidé.
Si l’on est persuadé que la République juste doit être forte, au sens de
Pascal, la force fait partie des techniques qu’il faut confier à certains,
choisis et mandatés par la nation, au service de tous. Elle a un prix,
financier comme psychologique, généralement élevé et peut susciter des
protestations et des rancœurs. Mais, inversement, renoncer trop rapidement
à la force peut susciter aussi des révoltes sourdes et de la distance vis-à-vis
de toutes les autorités. Il s’agit donc de construire et d’entretenir une force
au service de tous et non de ceux qui l’emploient ou la servent.
Soumettons la force au droit, en commençant par quelques procédures
simples et préalables mais incontournables. Le pli se prend qui fait la bonne
police. Par la répétition, le réflexe, l’entraînement et l’exigence de
motivation. En ne perdant jamais de vue que la procédure donne la main à
la Constitution.
Peut-être – mais, dans ce peut-être, il y a toute l’espérance d’une culture
démocratique et résistante – obtiendrons-nous ainsi de construire et de faire
accepter une force raisonnable au service d’une République pacifique mais
défendue.
Index
Alain, Émile-Auguste Chartier, dit 3 31, 34

Augustin (saint) 2 26

Autrand, Françoise 199

Balzac, Honoré de 7, 8, 9, 10, 11 33-34, 75, 81, 95, 154

Beaud, Olivier 196


Bernanos, Georges 3, 4, 5, 6 32, 147

Bilger, Pierre 95

Bloch, Marc 5 34, 137, 139, 288

Boucheron, Patrick 2, 3 74
Boyden, Joseph 1, 2

Bradlaugh, Charles 173

Brink, André 2 97

Capote, Truman 3, 4 108, 263

Carbonnier, Jean 5 28, 35, 116, 240

Cassia, Pail 197

Céline, Louis-Ferdinand 3, 4 122, 249

Chalandon, Sorj 3, 4 159, 294

Christophe 2 295
Corneille, Pierre 3, 4 64, 161

Cossé, Laurence 2 75

Delmas-Marty, Mireille 183


Dewerpe, Alain 2 241

Dion, Céline 163

Dugain, Marc 2 162

Duguet (abbé) 54

Echenoz, Jean 1
Egolf, Tristan 2 18

Epelbaum, Didier 2 294

Flaubert, Gustave 98

Follorou, Jacques 2, 3, 4, 5 179

Foucault, Michel 4, 5 83, 121, 255

France, Anatole 2, 3 155

Fustel de Coulanges, Numa Denis 2 29


Gadenne, Paul 2 102

Girard, René 27, 29

Giscard d’Estaing, Valéry 2 266

Gleizal, Jean-Jacques 3, 4 102, 290

Heller, Peter 2 16

Holbach, Paul Henri Thiry d’ 3, 4 112, 164

Houellebecq, Michel 2 47

Huberson, Laurent 2, 3, 4 76
Hugo, Victor 4, 5 14-15, 103

Illouz, Eva 2 110


Jankelevitch, Vladimir 2 101

Jaurès, Jean 105, 295


Jenni, Alexis 3, 4 275, 291
Joinet, Louis 2 205

Joinville, Jean de 2 147


Jouvenel, Bertrand de 3, 4 70, 135

Joxe, Pierre 5, 6, 7 88, 131, 138, 151


Kepel, Gilles 2 34
Khosrokhavar, Farhad 2 58
Kintzler 162

La Boétie, Étienne de 3 33, 120


La Bruyère, Jean de 1

Lagasnerie, Geoffroy 2 105


Leiris, Michel 72

Long, Marceau 2 202

Machiavel, Nicolas 4, 5 22, 51, 140


Manotti, Dominique 3 298, 302

Michelet, Jules 2 163


Michon, Pierre 4, 5, 6 236, 249, 259

Mirbeau, Octave 1

Montesquieu, Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de 129

Musil, Robert 3, 4 248-249


Nizan, Paul 2 111
Nouzille, Vincent 2 115

Pérez-Reverte, Arturo 2, 3 130

Périé, Raphaël 1, 2

Pestel, Friedriech Wilhelm 1, 2


Polgar, Alfred 3, 4, 5 103, 142

Potocki, Jan 1
Proust, Marcel 2 130

Quilès, Paul 222

Rimbaud, Arthur 77
Rioufol, Ivan 2 176

Rochefort, César de 25, 200


Rolland, Romain 3, 4 36, 73

Rosanvallon, Pierre 48
Rouaud, Jean 2 102

Rousseau, Jean-Jacques 6, 7 22, 25, 32, 169, 254


Saint-Just, Louis Antoine de 3, 4, 5 56, 116

Saint-Simon, Louis de Rouvroy de 4, 5, 6 34, 116, 281


Sansal, Boualem 2 29

Saramago, José 1, 2

Sentchine, Roman 2 145


Sheldon, Rose Mary 1

Simon, Claude 106

Sinclair, Upton 1

Swift, Jonathan 1

Takiji, Kobayashi 1
Tallemant des Réaux, Gédéon 2 191

Thibierge, Catherine 2, 3 178


Thomas d’Aquin (saint) 2 34

Tocqueville, Alexis de 3, 4 109, 250

Tournier, Michel 78, 260


Voltaire 2 64

Waldeck-Rousseau 271
Yourcenar, Marguerite 1

Zola, Émile 2, 3 103


TABLE

Titre

Copyright

Dédicace

Introduction

PARTIE I - Penser la force

CHAPITRE 1 - La force n’est pas la violence

La théorie de la force - Différences entre force et violence, vraie et fausse force

Entre force et violence - L’arbitraire avec la violence, la maîtrise avec la force

Traits et techniques de la force - Renseignement/suspicion/ruse/dissuasion/sommation

La géopolitique de la force - Du quartier à l’Europe et au monde, selon les menaces

CHAPITRE 2 - La force ne doit pas être confondue avec son propre mythe

Les mots de la force - Ni inexactitude, ni excès, ni slogan : le poids des mots

La fascination pour la force - L’idée de force idéalisée, manipulée, commercialisée

La formation pour transformer la violence en force - Entraînement et réflexion, la force


intelligente

La force est un aboutissement juridique - La force reprend les choses en main

PARTIE II - Assumer la force


CHAPITRE 3 - Les malaises que suscite et subit la force

La force est injuste - Comme l’ordre social qu’elle est accusée de servir

La force est dangereuse - Elle est explosive, à manipuler avec précaution

La force sait avoir des prétentions - Cedant arma togae n’est pas une formule absolue

La force sait s’autocélébrer - Une pratique de l’obligation de réserve à géométrie variable

CHAPITRE 4 - Il faut organiser la force

Des hommes responsables - Le besoin de serviteurs mesurés mais sans faille

Les traits de la force à prendre en compte - Statistiques, efficacité, secret, anticipation

Contraintes, violence, « bavures » et proportionnalité - Veiller en toutes circonstances


à l’emploi légitime de la force

La force de la pensée - La force comme vertu de résistance

PARTIE III - Subordonner la force

CHAPITRE 5 - Loi de la force et force de la loi

Les incertitudes de la loi - Changement du système pénal à petits coups de lime répétés

Les incertitudes du budget - Qui paye et comment pour la force publique et qui en profite ?

Les incertitudes de la justice - Trop souvent, la justice doute d’elle-même face à la force

Les incertitudes de l’urgence - L’urgence est à manier avec une extrême prudence

CHAPITRE 6 - Force reste à la loi

Le dernier mot ? - La force pour préserver la liberté

Le premier mot de l’armée - L’action de l’armée sur le sol national : à la fois utile et limitée

Par tous les moyens ? - Seulement les moyens appropriés, des fichiers à la contrainte

La force dispose-t-elle de juges sur mesure ? - Le juge ne s’adapte pas à la force, il


la contrôle

PARTIE IV - Exercer la force


CHAPITRE 7 - Les fonctions des forces : quelle force exercer ?

À chaque besoin du citoyen, une force adaptée - Disponibilité et diversification des forces

Mandants et mandataires de la force - Régie, partenariat et souplesse d’utilisation

Force protectrice ou force protégée ? - La force plus que jamais sur ses gardes

Les coups de fureur de la force - Revendications et manifestations… en force

CHAPITRE 8 - Les « fonctionnaires » de la force

Qui exerce la force ? - La guerre des polices fait la faiblesse, l’union fait la force

La force dans le paysage - Architecture, mobilier, esthétique de la force

Comment exercer la force ? - Commandement, exécution, courage, contrôle

Déontologie de la force - Pas de confiance sans code de bonne conduite

Conclusion

Index
Éditions Odile Jacob
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Notes
1. A. de Musset, Lorenzaccio
(1834), Larousse, « Petits
Classiques Larousse », 2012, acte
III, scène 3.
2. F. de Pressensé, un juriste, et É.
Pouget, Les Lois scélérates, Édition
de la Revue blanche, 1899.
3. J. de La Bruyère, Les Caractères
(1688), Larousse, « Petits
Classiques Larousse », 2010.
4. De l’italien forzare, « forcer » :
celui qui est condamné aux travaux
forcés comme aux galères.
5. V. Hugo, Les Misérables (1862),
Le Livre de Poche, 2016.
6. C. Baudelaire, L’Art romantique
(1885), in C. Baudelaire, Œuvres
complètes, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », t. II,
1976, p. 1147.
7. V. Hugo, Les Misérables, op. cit.
8. P. Heller, The Dog Stars, Alfred
A. Knopf, 2012 et, en français, La
Constellation du chien, Actes Sud,
2013.
9. J. Boyden, Dans le grand cercle
du monde, Albin Michel, 2014.
10. T. Egolf (1971-2005), Le
Seigneur des porcheries, Gallimard,
1998.
11. Article 5 de la loi du 23 floréal
an IV portant des peines contre les
citoyens qui refuseraient de prêter
main-forte à la loi, lorsqu’ils ont été
requis par les officiers de paix.
Notes
1. Dans le Dictionnaire
encyclopédique de l’État (Berger-
Levrault, 2014), voir les articles
« Force » et « Violence » de Marc
Milet.
2. V. Vanneau, La Paix des
ménages. Histoire des violences
e e
conjugales XIX -XXI siècle,
Anamosa, 2016.
3. Saint Augustin, La Cité de Dieu,
édité par Bourges, Gille, 1818, t. 1,
p. 484 : « Les royaumes sans la
justice ne sont que des ramas de
brigands. »
4. R. Musil, Les Désarrois de
l’élève Törless (1906), Seuil,
« Points », 1995 : sur la violence
entre adolescents et les premières
tendances à la dictature des forts sur
les élèves plus faibles.
5. Pour ce qui arrive au faible en
prison voir Jean Echenoz, Envoyée
spéciale, Minuit, 2015.
o
6. Loi n 2010-201 du 2 mars 2010,
« renforçant la lutte contre les
violences de groupes et la protection
des personnes chargées d’une
mission de service public »
partiellement censurée par la
décision, Conseil constitutionnel, 25
o
février 2010, n 2010-604 DC.
7. J. Carbonnier, « Grand droit et
petit droit », in Flexible droit. Pour
une sociologie du droit sans
e
rigueur, LGDJ, 1995, 8 édition.
8. N. M. Fustel de Coulanges, La
Cité antique. Étude sur le culte, le
droit, les institutions de la Grèce et
de Rome, Hachette, 1885.
9. S. Marai, La Nuit du bûcher,
Albin Michel, 2015, à propos de
l’exécution par l’Inquisition en
1600 de l’intellectuel Giordano
Bruno.
10. B. Sansal, 2084. La fin du
monde, Gallimard, 2015.
11. M. L’Ange (ancien avocat au
Parlement), La Nouvelle Pratique
civile, criminelle et bénéficiale ou le
Nouveau Praticien français, 1687.
o
12. Réponse n 18658 du garde des
Sceaux P. Méhaignerie au député L.
Dominati, JO, 5 décembre 1994,
p. 6073.
13. J.-P. Wirth, La Condition
militaire, Dalloz, 2014.
er
14. Alain, « 1 décembre 1934 »,
Propos, Gallimard, « Bibliothèque
de la Pléiade », 1970, t. I.
15. Pour un exemple
d’« attroupement », constaté par le
juge administratif à Villiers-le-Bel
le 26 novembre 2007 après la mort
de deux adolescents à la suite d’une
collision entre leur minimoto et un
véhicule de police, cf. Conseil
d’État, 30 décembre 2016,
o
n 386536.
16. J.-C. Chesnais, Histoire de la
violence, Robert Laffont, 1981,
p. 305, et M. Rebérioux, « Histoire
du terrorisme en France », Après-
Demain, février 1979.
17. G. Bernanos, La Grande Peur
des bien-pensants, in Essais et
écrits de combat, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade »,
1972, t. I.
18. H. de Balzac, La Peau de
chagrin (1831), in La Comédie
humaine, Gallimard, « Bibliothèque
de la Pléiade », 1979, t. X.
19. E. de La Boétie, Discours de la
servitude volontaire, vers 1550.
20. G. Kepel, « L’État islamique
cherche à déclencher une guerre
civile », in N. Truong (dir.), Résister
à la terreur, Le Monde/Éditions de
l’Aube, 2016.
21. Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Éditions du Cerf, 2010,
partie sur les « vertus théologales ».
22. Saint-Simon, Mémoires,
Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », 1987, t. VII.
23. 20 minutes, 30 mai 2016.
24. Recueil méthodique d’extraits
des opinions et sentences des
e
juristes romains du II siècle av. J.-
e
C. jusqu’à la fin du III siècle de
notre ère, réunis sur l’ordre de
l’empereur Justinien.
25. P. Boucheron et C. Robin,
L’Exercice de la peur. Usages
politiques d’une émotion, PUL,
2016.
26. G. Bernanos, Les Grands
Cimetières sous la lune, in Essais et
écrits de combat, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade »,
1972, t. I.
27. G. Bernanos, Nous autres
Français (1939), in ibid.
28. O. Mirbeau, Le Journal d’une
femme de chambre, Fasquelle, 1900.
29. R. Rolland, Jean-Christophe,
Albin Michel, 1931.
30. H. de Balzac, Mémoires de deux
jeunes mariés, in La Comédie
humaine, Gallimard, « Bibliothèque
de la Pléiade », 1976, t. 1.
31. Cass. crim. 10 février 2009,
o
Bruno C. n 08-84339 ; voir M.
Yazi-Roman, AJDA, 12 octobre
2009, p. 1844.
32. Jacques Brel, « La quête »,
1968.
33. « La police américaine fait sa loi
à l’école », Le Monde Magazine, 28
novembre 2015.
34. Voir notamment des
contributions de Pierre Joxe, Claude
Silberzahn, Jean-François Clair,
Jean-Marie Delarue, Philippe
Rondot, dans Après-Demain, janvier
o
2016, n 37, sur « le
renseignement ».
35. Parmi les exemples de ces
jugements à l’emporte-pièce,
l’article-exécution de L. Borredon et
S. Piel, « L’antiterrorisme en état de
mort clinique », Le Monde,
29 novembre 2015.
36. L. Walesa, « Je manipulais les
services secrets », Le Monde, 20
février 2016.
37. Rapporté par P. Labro, Direct
Matin, 13 mai 2016.
38. R. M. Sheldon, Renseignement
et espionnage dans la Rome
antique, Les Belles Lettres, 2009.
39. C. Cornudet, « Les RG disparus,
l’État tente tant bien que mal de
garder ses capteurs sociaux », Les
er
Échos, 1 juin 2010.
40. Sur le plan de reconstruction
décidé par le gouvernement, voir la
réponse du ministre de l’Intérieur au
o
député E. Ciotti (LR), n 74480,
JOAN, 6 octobre 2015, p. 7623.
41. Créée à partir de la DCRI par le
décret du 30 avril 2014, elle
n’appartient plus à la direction
générale de la police nationale et est
placée directement sous l’autorité
du ministre de l’Intérieur.
o
42. Concept du décret n 2014-474
du 12 mai 2014 qui mériterait une
discussion approfondie…
43. J. Follorou, Le Monde, 18 avril
2015, à propos de la discussion sur
la loi renseignement. Voir aussi
« Une France sous surveillance ? »,
Le Monde, 16 avril 2015, avec deux
prises de position différentes sur la
portée de cette collecte de données
indifférenciée.
44. F. Dupuy, La Libération de
Paris vue d’un commissariat de
police, publication illustrée à la
Libération « autorisée par la
préfecture de police » pour parfaire
la légende.
45. M. Houellebecq, La Carte et le
Territoire, Flammarion, 2010.
46. A. Pérez-Reverte, La Reine du
sud, traduction par François
Maspero, Seuil, « Points », 2004.
47. C. Gébler, Comment tuer un
homme, Libretto, 2011 (1998 pour
l’édition originale).
48. Partout, le Code pénal prévoit
toujours la même expression des
« raisons plausibles de soupçonner »
la commission d’une infraction :
articles 55-1 sur le prélèvement
externe, 61-1 et 62 sur l’audition
libre, 62-5 et 65 sur la garde à vue,
78-2 sur le contrôle d’identité, 141-
4 sur le manquement au contrôle
judiciaire, 153 sur le témoin, 230-3
et 706-54 sur les fichiers de police
judiciaire, etc.
49. Le débat sur la dangerosité vient
de loin : cf. notamment, après
Cesare Lombroso, C. Germain, Le
Traitement des récidives en France,
Imprimerie administrative, 1953.
50. Cf. la thèse de C.-A. Greff,
L’Individu dangereux en droit
pénal, université Jean-Moulin-
Lyon-III, 2015.
51. R. Badinter, Le Monde, 25
février 2008, et J. Pratt,
« Dangerosité, risque et pouvoir »,
o
Criminologie, 2001, vol. 34, n 1,
p. 101.
52. P. Corneille (1637), Le Cid,
Larousse, « Petits Classiques
Larousse », 2008, acte IV, scène 3.
53. Machiavel, Discours sur la
première décade de Tite-Live,
Flammarion, « Champs », 1999,
livre second, chapitre XIII.
54. F. W. Pestel, Les Fondements de
la jurisprudence naturelle, Utrecht,
1775.
55. À la fois titre d’un film de M.
Scorsese (Les Infiltrés, 2006), avec
L. DiCaprio, Matt Damon et J.
Nicholson, et titre du livre de
l’ancien agent de la DEA, Edward
Follis (Infiltré, Flammarion, 2016).
o
56. Cass. crim., 30 avril 2014 n 13-
88162. Sur la définition de la
provocation à la commission d’une
infraction par agent public,
constitutive d’une atteinte au
principe de la loyauté de la preuve,
à rapprocher : Cass. crim., 7 février
o
2007, pourvoi n 06-87.753, Bull.
o
crim. 2007, n 37 (cassation).
o
57. Cass. crim 14 avril 2015 n 14-
87914.
58. J. de La Fontaine, « Le lion et le
rat », in Œuvres complètes, t. I :
Fables. Contes et nouvelles,
Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade »,1991.
59. Et le Livre blanc de détailler les
menaces, spécialement en Asie
(p. 34) et autour de la Russie
(p. 36).
60. J. Saramago, Relevé de terre,
Seuil, 2012.
61. Discours de Saint-Just le 24
avril 1793 à la Convention. Cette
disposition ne sera pas reprise dans
la Constitution du 24 juin 1793.
62. F. Khosrokhavar, « Une Europe
du jihadisme menace une Union mal
coordonnée », in N. Truong (dir.),
Résister à la terreur, op. cit., p. 82.
63. Général M. de Langlois,
L’Europe, une grande puissance
désarmée, Economica, 2016.
64. Cf. P. Bonnecarrère et S. Sutour,
La Lutte contre le terrorisme, une
priorité pour l’Europe, mars 2016,
o
rapport du Sénat n 442.
65. Cf. la thèse de A. Simon, Les
Atteintes à l’intégrité des personnes
détenues imputables à l’État.
Contribution à la théorie des
obligations conventionnelles
européennes : l’exemple de la
France, Paris-I, 2013 ; Dalloz, 2015
(prix de la recherche de l’École
nationale de la magistrature).
66. CEDH, 23 juillet 2013 Izci c/
o
Turquie n 42606/05, condamnation
de la Turquie pour usage
disproportionné des gaz à Istanbul
le 6 mars 2005.
67. Comme les cambrioleurs
géorgiens en Limousin. Voir aussi la
réponse du ministre de l’Intérieur au
député Bompard (FN), JO,
23 septembre 2014, p. 8105.
68. « La cour de Luxembourg
vérifie les conditions pénitentiaires
dans les États membres »,
Frankfurter Allgemeine Zeitung, 6
avril 2016.
69. Titre de la belle thèse de F.-X.
Roux-Demare, université Jean-
Moulin-Lyon-III, 2012 (prix de la
recherche de l’École nationale de la
magistrature).
Notes
1. Voltaire, « Remarques sur
Sertorius », in Œuvres complètes,
Furne, 1837, t. IX.
2. Même si le juge des référés du
tribunal de Paris décide le 4 avril
2007 que ces déclarations n’ont pas
porté atteinte aux droits d’Yvan
Colonna.
3. Tribunal des conflits, 12
décembre 2011, S. c/ Hortefeux
o
n 3838, recueil Lebon, p. 704.
4. La notion est admissible quand
elle ne vise que la phase judiciaire.
Cf. une étude de la protection
judiciaire de la jeunesse : Cahiers
dynamiques, 2015 avec une table
ronde « autour de la chaîne pénale »
avec T. Baranger, Me D. Attias et S.
Massoud.
5. J.-J. Urvoas ,11 propositions
chocs pour rétablir la sécurité,
Fayard, 2011.
6. Rapport du Club des juristes,
Pour une administration au service
de la justice, 2012, p. 30, qui cite un
article de 2004 de E. Sire-Marin,
ancienne présidente du syndicat de
la magistrature.
7. B. de Jouvenel, De la politique
pure, Calmann-Lévy, 1963.
8. T. Boussarie et L. Dailly,
« Vigipirate fête ses 38 ans »,
AJDA, 22 février 2016, p. 297.
9. Pujanza, « force », sculpture du
Colombien Rafael Gomezbarros
(2016) formée de 213 poings fermés
en béton et plâtre. Par rapport à
fuerza – la force classique –,
pujanza évoque davantage la
vigueur ou le dynamisme.
10. Titre original du roman du
Canadien Jospeh Boyden
(Oneworld Publications, 2013), The
Orenda, paru en français sous le
titre Dans le grand cercle du monde,
op. cit.
11. M. Leiris, L’Âge d’homme,
Gallimard, 1939.
12. R. Rolland, Jean-Christophe,
op. cit.
13. P. Boucheron, Conjurer la peur.
Essai sur la force politique des
images, Seuil, 2013 (un cahier hors
texte en couleurs présente la fresque
de Sienne).
14. M. Sanson, Le Conseil d’État au
Palais-Royal, Monum/Éditions du
Patrimoine, 2006.
15. L. Cossé La Grande Arche,
Gallimard, 2016.
16. C. Welzbacher, Monumente der
Macht. Eine politische
Architekturgeschichte Deutschlands
1920-1960, Parthas Verlag, 2016.
17. L. Huberson, Vu de l’intérieur,
Le Cherche Midi, 2014.
18. F. Dupuy, La Libération de
Paris vue d’un commissariat de
police, op. cit.
19. Voir Mad Max : Fury Road, un
film de George Miller, 2015. Quand
la furie vient se mêler à la force…
20. Elles reviennent ! créées par
W. Moulton Marston en bande
dessinée en 1941 dans All Star
Comics, elles sont chichement
adaptées au cinéma. Mais Wonder
Woman, film de Patty Jenkins avec
l’actrice Gal Gadot, sort aux États-
Unis en juin 2017. Sa promotion est
lancée, voir P. Potdevin, « Les
femmes au (super)pouvoir…
Hollywood permet enfin aux
femmes d’être les stars de films de
superhéros », Grazia, 12 août 2016.
21. Label Din Records. Il y a dix
ans, Médine avait déjà sorti
« Rappeur de force ».
22. Cahiers d’études africaines
(publications de l’EHESS), 2013/1,
p. 143-172.
23. Selon la belle expression de
Clarisse Fabre dans Le Monde, 19
décembre 2015.
24. Portrait de Vladimir Poutine
comme adepte de la force,
International Herald Tribune, 12
septembre 2016.
25. Elle est composée des
socialistes, du MRP et du
« rassemblement des gauches »,
ceux qui refusent à la fois le RPF et
le Parti communiste. Le 13 février
1948, dans Le Populaire, Blum
répond à Jacques Fauvet du Monde
qui s’est gaussé de l’idée de
« Troisième Force ».
26. Les Échos, 17 février 2016.
27. A. Juppé, Pour un État fort, J.-
C. Lattès, 2016.
28. Propos de G. Larcher en
réaction aux attentats du 13
novembre, AFP, 14 novembre 2015.
29. P. Birnbaum, Les Désarrois d’un
fou de l’État, Albin Michel, 2015.
30. E. Alloar, « Expo, la
surveillance à l’œuvre », Libération,
26 mars 2016.
31. F. W. Pestel, Les Fondements de
la jurisprudence naturelle, op. cit.,
p. 25.
32. R. Périé, L’École du citoyen,
Librairie Gedalge, vers 1890.
33. F. Challaye et M. Reynier,
Cours de morale et instruction
civiques, Librairie Félix Alcan,
e
1937, 6 éd.
34. Code de la sécurité intérieure,
art. R.434-6 créé par le décret
o
n 2013-1113 du 4 décembre 2013.
35. Réponse du ministre de
l’Intérieur au député E. Ciotti (LR),
JOAN, 6 octobre 2015, p. 7623.
36. Le Monde, 12 mars 2016.
37. Commission d’enquête relative
aux moyens mis en œuvre par l’État
pour lutter contre le terrorisme
depuis le 7 janvier 2015, Assemblée
nationale.
38. Pour l’exposé de cette offre de
formation très développée, voir la
réponse du ministre de l’Intérieur au
député J.-J. Candelier (PC), JOAN,
31 mars 2015.
39. P. Corneille, Le Cid, op. cit.,
acte III, scène 1.
40. Colloque d’avril 2016 sur la
prévention de la radicalisation
organisé par le comité
interministériel de prévention de la
délinquance où, notamment, la
fondatrice du Centre de prévention
contre les dérives sectaires liées à
l’islam, Dounia Bouzar, expose les
résultats du travail avec plusieurs
centaines de familles confrontées à
ce phénomène. Voir aussi le plan du
Premier ministre contre la
radicalisation du 9 mai 2016.
o
41. L’ordonnance n 2016-131 du 10
février 2016 sur les contrats
introduit la violence par « abus de
l’état de dépendance ». Le Conseil
d’État avait proposé de distinguer la
dépendance économique et l’abus
d’état de faiblesse.
Notes
1. L. Lépine, Du droit de police
(1872), Société anonyme de la
grande encyclopédie, 1900.
2. J. Delga (dir.), Penser et repenser
le terrorisme, MA Éditions, 2015.
3. S. Weil, Oppression et liberté,
Gallimard, 1955.
4. Son Traité de la police (1705-
1738), où la police est définie
comme l’ensemble des lois et
règlements qui organisent la cité.
5. Voir son commentaire de La
Boétie (« Liberté, malencontre,
innommable », dans Discours de la
servitude volontaire, Payot, 1976),
où il cite « les adversaires de
Socrate, Thrasymaque, notamment,
dont le dernier mot était la force et,
en conséquence, la négation du
discours ».
6. Voir son Travail de l’œuvre de
Machiavel (Gallimard, 1972).
Notes
1. A. Brink, Un turbulent silence,
Le Livre de Poche, 1983 (1981 pour
l’édition originale).
2. Maurice Hauriou, Principe de
droit public, Recueil Sirey, 1910
(rééd. Dalloz, 2010).
3. Médine, « Rappeur 2 force »,
2016.
4. Condamnation pour « faute
lourde » sur le fondement de
l’article L. 141-1 du Code de
l’organisation judiciaire validée
dans trois des dossiers par la Cour
de cassation : le contrôle est
discriminatoire lorsqu’il est réalisé
« selon des critères tirés de
caractéristiques physiques associées
à une origine, réelle ou supposée,
sans aucune justification objective
préalable ». Le Défenseur des droits
était intervenu en soutien des treize
personnes requérantes, toutes sans
casier judiciaire et contrôlées dans
la rue en dehors de tout
re
comportement suspect. Cass. 1
o
Civ, 9 novembre 2016, n 15-24207
à 214 et no 15-25872 à 877.
5. Voir la réponse négative du
ministre de l’Intérieur à la question
du député Sergio Coronado (EELV),
JOAN, 25 juin 2013, p. 6718, et les
amendements rejetés lors de la
discussion de la loi pénale du 3 juin
2016.
6. En ce sens, voir Conseil
constitutionnel, 24 janvier 2017, nº
2016-606 QPCI.
7. Saint-Just, discours à la
Convention du 28 janvier 1793 sur
les attributions du ministre de la
Guerre.
8. E. Zola, Germinal (1885),
Gallimard, « Folio Classique »,
1999.
9. U. Sinclair, La Jungle, traduction
parue aux Éditions Juven, 1905-
1906.
10. KobayashiTakiji, Le Bateau
usine (1929), Allia, 2015.
11. J. Saramago, Relevé de terre, op.
cit.
12. V. Jankélévitch, Les Vertus de
l’amour, Flammarion, « Champs »,
1986, t. II.
13. P. Gadenne, Les Hauts-
Quartiers, Seuil, 1973.
14. J. Delafosse (1843-1916, député
conservateur), Théorie de l’ordre,
Plon, 1901.
15. J. Rouaud, Les Champs
d’honneur, Minuit, 1990.
16. É. Sadin, La Vie algorithmique.
Critique de la raison numérique,
L’Échappée, 2015.
17. J.-J. Gleizal, Le Désordre
policier, PUF, 1985.
18. A. Polgar, Histoires sans
morale, Éditions du Rocher,
« Anatolia », 2004.
19. Pour le plus volontariste, voir la
création par É. Guigou en 1998 du
pôle financier du TGI de Paris, avec
des assistants spécialisés près les
juges d’instruction, et son
affaiblissement ultérieur. Voir aussi
la création du procureur financier
o
par la loi organique n 2013-1115 du
6 décembre 2013 (art. 38-2 de
l’ordonnance statutaire du 22
décembre 1958) qu’il faut soutenir
dans les temps à venir.
20. N. Kristof, International New
York Times, 13 juin 2016, à propos
de la prison pour dettes.
21. K. Olivecrona, De la loi et de
l’État, Dalloz, 2011.
22. G. de Lagasnerie, Juger. L’État
pénal face à la sociologie, Fayard,
2016.
23. É. Zola, Son Excellence Eugène
Rougon (1876), Flammarion,
« Garnier-Flammarion », 2014. Ce
portrait d’un grand ministre de
l’Intérieur qui aujourd’hui rêverait
de « terroriser les terroristes » est
l’un des grands moments de l’œuvre
de Zola.
24. Débat de l’assemblée générale
du Conseil d’État du 16 juin 1994.
25. Louis XIV, Mémoires pour
l’instruction du dauphin (vers 1662-
1668), La Documentation
française/Imprimerie nationale,
1992.
26. T. Capote, De sang froid,
Gallimard, 1972 (édition originale
américaine, 1966).
27. A. de Tocqueville, L’Ancien
Régime et la Révolution
(1856),Gallimard, « Folio
Histoire », 1985, livre 3, chapitre 6.
28. Eva Illouz, « Milena Jesenska,
la persévérance du roseau »,
Philosophie, avril 2016, p. 45.
29. Réponse du ministre de
l’Intérieur au député Y. Moreau
(LR), JOAN, 22 septembre 2015,
p. 7232.
30. P. Nizan, Le Cheval de Troie,
Gallimard, 1935 ; rééd. Gallimard,
« L’Imaginaire », 2005.
31. F. Gonçalves, Défense d’aimer,
Presses de la Cité, 2012 (sans qu’il
soit prévu de rendre les droits
d’auteur aux victimes de la
demoiselle) ; puis, en 2015,
Éperdument, film de P. Godeau, où
se fourvoient les grands acteurs G.
Gallienne et A. Exarchopoulos.
32. P. H. d’Holbach, La Morale
universelle, Marc-Michel Rey,
1776.
33. Sur le rapport entre le droit et le
maintien de l’ordre public, voir
l’audition de C. Vigouroux par la
commission d’enquête de
l’Assemblée nationale, 16 avril
2015, sur le maintien de l’ordre
républicain.
34. H. Ménard, Maintenir l’ordre à
e e
Rome (II -IV siècle ap. J.C.),
Champ Vallon, « Époques », 2004.
35. G. Lebon, La Psychologie des
foules (1895), PUF, 2013.
36. J.-F. Gipoulon, AJDA, 20
février, p. 123, sur CAA de Paris, 8
octobre 1993, Société Sobeca et
Conseil d’État, 30 décembre 2016,
o
n 389835.
37. Le Monde, 17 janvier 2016, en
fait son titre : « Le policier qui avait
abattu Amine B. d’une balle dans le
dos le 21 avril 2012 a été acquitté
au nom de la légitime défense par la
cour d’assises de Bobigny ».
38. Mars 2016, annonce du
ministère de l’Intérieur.
39. Sur le programme
gouvernemental de renforcement de
l’armement de la police et la
gendarmerie nationales, voir la
réponse du ministre de l’Intérieur au
o
député Aboud (LR) n 73038,
JOAN, 15 décembre 2015, p. 233.
40. « Gericht gibt Waffenhersteller
im Streit über Sturmgewehr G36
recht », Frankfurter Allgemeine
Zeitung, 3 septembre 2016. Un
tribunal donne raison au producteur
du fusil d’assaut G36. Mais dans le
même numéro un autre article
précise « Rehabilitiert und doch am
Ende », « réhabilité mais en fin de
course ».
41. É. Davodeau et B. Colombat,
Cher pays de notre enfance,
Futuropolis, 2015.
42. F. Turpin, Jacques Foccart dans
l’ombre du pouvoir, CNRS Éditions,
2015.
43. V. Nouzille, Les Tueurs de la
République. Assassinats et
opérations spéciales des services
secrets, Fayard, 2015.
44. Cité dans « Hollande ou la
guerre décomplexée », Le Monde, 3
novembre 2015.
45. Saint-Simon, Mémoires,
Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », 1984, t. III, p. 582.
46. Saint-Just, discours à la
Convention du 24 avril 1793, en
réponse à Condorcet.
47. Modifiant l’article R. 3111-1 du
Code de la défense relatif au rôle du
ministre « assisté du chef d’état-
major ».
48. « Le pouvoir politique et les
responsables militaires », Revue des
Deux Mondes, mai 2015.
49. D. Kriegel, « Tsahal contre
Netanyahou », Le Point, 22 octobre
2015.
50. M. Foucault, Surveiller et punir,
Gallimard, 1975.
51. L.-F. Céline, Voyage au bout de
la nuit, Denoël et Steele, 1932.
52. Réponse du ministre de
o
l’Intérieur à la question n 91141 du
député J.-J. Urvoas (PS), JO, 23
février 2016, p. 1657.
53. M. Kessous, Le Monde, 4
octobre 2015. Producteurs et
chaînes TV font appel à des
policiers en retraite ou en activité,
comme Olivier Marchal, pour
travailler sur des fictions.
54. C. Vigouroux, Déontologie des
fonctions publiques, Dalloz, 2012.
Sur l’obligation de réserve et sur
« l’obligation de NON réserve »,
qui fait devoir aux fonctionnaires et
militaires de dire la vérité à leurs
supérieurs. Cf. aussi A. Barluet,
« Les militaires doivent-ils pouvoir
prendre la parole ? », Le Figaro, 2
mai 2016.
55. J.-L. Jeannelle, Écrire ses
e
Mémoires au XX siècle, Gallimard,
« Bibliothèque des idées », 2008 qui
distingue le temps du mémorable et
le temps des mémoires…
56. L. Andrieux, Souvenirs d’un
préfet de police, Jules Rouff, 1885.
57. L. Lépine, Mes souvenirs,
Payot, 1929.
58. M. Grimaud, En mai fais ce
qu’il te plaît, Stock, 1977.
59. P. Massoni, Histoires secrètes de
la république, Éditions de La
Martinière, 2012.
60. B. Henri, Il faut que vous
sachiez, Flammarion, 2010.
61. M. Langlois, F. Ploquin,
Médecin du RAID, Albin Michel,
2016.
62. Le Parisien, 8 juin 2010.
63. L. Davenas, Lettre de
l’Himalaya à ceux qui jugent et à
ceux qui sont jugés, Seuil, 1998.
64. E. Halphen, Sept ans de
solitude, Denoël, « Impacts » 2002.
65. P. Ramaël, Hors procédure.
Dans la tête d’un juge d’instruction,
Calmann-Lévy, 2015, cf. La
Semaine juridique EG, 4 mai 2015,
o
n 18.
66. B. Soubelet, Tout ce qu’il ne
faut pas dire, Plon, 2016. Sorte de
défi à l’obligation de réserve, alors
que l’auteur a été privé de sa
o
fonction de n 3 de la gendarmerie.
Cf. Le Canard enchaîné, 16 mars
2016.
67. F. Falletti, Confidences d’un
procureur général de Paris, Michel
Lafon, 2016. Le Nouvel
Observateur du 8 septembre 2016
commente ainsi l’ouvrage : « Le
procureur flingue Taubira ».
68. Conseil d’État, 12 janvier 2011,
o
M. Matelly n 338461. Annulation
du décret radiant M. Matelly de la
gendarmerie.
69. Lieutenant-colonel (en retraite),
il est, depuis, devenu le président de
l’association professionnelle
nationale des militaires de la
e
gendarmerie du XXI siècle (APNM-
GendXXI).
Notes
1. Frankfurter Allgemeine Zeitung,
rapportant (favorablement) les
propos du ministre Macron à
Orléans le 8 mai 2016.
2. M. Proust, Sodome et Gomorrhe,
Gallimard, 1921 (rééd. 1992).
3. « Ce que Pasqua veut faire de la
police », en couverture du Point, 30
avril 1993.
4. D. Vernet, Le Monde, 12
novembre 2015, à l’occasion du
décès de l’ancien chancelier.
5. H. de Balzac, Scènes de la vie
parisienne, op. cit.
6. Voir la vie et l’œuvre de Jean-
Marie Petitclerc, né en 1953, prêtre
salésien, fidèle de Don Bosco,
polytechnicien et éducateur
spécialisé, penseur et acteur de
l’éducation des mineurs.
o
7. Histoire, avril 1990, n 132, p. 11.
8. P. Massoni, Histoires secrètes de
la République, op. cit. Ce livre de
souvenirs commence par « Je suis
corse »…
9. Acteurs publics, septembre-
octobre 2016, p. 25.
10. B. de Jouvenel, De la politique
pure, op. cit.
11. Article 150-3 du Code de la
sécurité intérieure.
12. Général Chauvineau, Une
invasion est-elle encore possible ?,
Berger-Levrault, 1939.
13. J. Buisson. Serge Guinchard,
J. Buisson, Procédure pénale,
LexisNexis, 2014 ; J. Buisson,
A. Decocq, J. Montreuil, Droit de la
police, LexisNexis.
14. « Face au terrorisme, la
recherche en action », CNRS le
o
journal, automne 2016, n 286.
15. Loi relative au maintien en
fonctions au-delà de la limite d’âge
de fonctionnaires nommés dans des
emplois à la décision du
gouvernement.
16. Conseil d’État, 16 mai 2001,
o
n 231717.
17. Article 89 de la loi sur la
déontologie des fonctionnaires du
20 avril 2016.
18. Machiavel, Le Prince (1532),
Gallimard, « Folio Classique »,
2007.
19. F. Ocqueteau, « La main
courante informatisée, outil
méconnu de la sécurité publique »,
La Lettre du CESDIP, questions
pénales, août 2015.
20. H. Le Bras, « La statistique
générale de la France », in P. Nora
(dir.), Les Lieux de mémoire, t. II :
La Nation, Gallimard, 1997
(nouvelle édition).
21. Sur ce retour à une approche
scientifique, voir la réponse au
o
député Aboud (LR), n 70080,
JOAN, 7 avril 2015, p. 2715.
22. S. Roché, « Culture du chiffre et
efficacité de la police », La Tribune,
23 avril 2017.
23. E. Combe et S. Saziano,
Fondation pour l’innovation
politique (proche du mouvement
LR), mai 2015.
24. A. Polgar, « Le factionnaire »,
in Histoires sans morale, op. cit.
25. Jean Favier, Philippe le Bel,
Fayard, 1998 p. 438.
26. R. Sentchine, Les Eltychev, Noir
sur blanc, 2013.
27. Pr Olivier Nay (dir.), Lexique de
e
science politique, Dalloz, 2011, 2
éd. Voir aussi F. Jobard, Bavures
policières ? La force publique et ses
usages, La Découverte, 2002.
28. André Lamblin, « Enquêtes sur
deux bavures », Le Point, 30 avril
1993.
29. Le Figaro, 12 juin 2016.
30. « Sorge vor einer Eskalation…
die Polizei bereitet sich auf einen
grösseren Einsatz vor », Frankfurter
Allgemeine Zeitung, 29 avril 2016.
31. J. de Joinville, Vie de Saint
Louis, Classiques Garnier, 1998.
32. A. Steiner, Le Goût de l’émeute.
Manifestations et violences de rue
dans Paris et sa banlieue à la Belle
Époque, L’Échappée, 2012.
33. G. Bernanos, « Discours aux
étudiants d’Action française »,
L’Étudiant français, 25 décembre
1928. Le capitaine de gendarmerie
n’aurait prononcé que les mots
suivants : « Qu’allons nous faire du
macchabée ? »
34. S. Rosne, International New
York Times, 12 mai 2016.
35. V. Morin et A. Piquard, « Le
mouvement contre la loi travail a
placé des preneurs d’images aux
profils variés dans la lumière », Le
Monde, 5 juin 2016.
36. Réponse du ministre de
l’Intérieur à la députée Attard
o
(EELV) n 72690, JOAN, 10 mars
2015, p. 1795.
o
37. Rapport n 2794 de la
commission d’enquête de
l’Assemblée nationale « chargée
d’établir un état des lieux et de faire
des propositions en matière de
missions et de modalités du
maintien de l’ordre républicain dans
un contexte de respect des libertés
publiques et du droit de
manifestation, ainsi que de
protection des personnes et des
biens. » Ce titre est un programme
en soi.
38. Cf. Conseil d’État, 2 septembre
2009, Association réseau d’alerte et
d’intervention pour les droits de
o
l’homme n 318584. L’usage du
Taser par les polices municipales
sera ensuite autorisé compte tenu
des précautions d’emploi (Conseil
er o
d’État, 1 juin 2011 n 341917).
39. L. Huberson, Vu de l’intérieur,
Le Cherche Midi, 2014, entretien
avec P. Joxe, p. 48. Sur ces armes
« de force intermédiaire » selon les
termes du vocabulaire officiel, voir
la réponse du ministre de l’Intérieur
o
au député Premat (PS) n 75603,
JOAN, 13 octobre 2015, p. 7795.
40. Le Monde, 14 mai 2016.
41. Le Monde, 25 novembre 2016 et
le rapport de Mme Cazaux-Charles
au Premier ministre, Mission
relative au cadre légal de l’usage
des armes par les forces de sécurité,
novembre 2016.
42. Qui crée un nouvel article
L. 435-1 du Code de sécurité
intérieure.
43. J. Andriantsimbazovina, RFDA,
mai 2010, p. 594 et M. Afroukh,
RFDA, novembre 2011, p. 1153.
o
44. Réponse n 2585 du ministre de
l’Intérieur et de l’Aménagement du
territoire au député J.-L. Masson,
JO, 9 août 1993, p. 2470. Même
tonalité prudente dans la réponse
o
n 31441 du ministre de l’Intérieur
au député P. Cardo, JO, 25
décembre 1995, p. 5487.
45. Anatole France, « Appendice à
M. Bergeret à Paris », in Œuvres,
Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », 1991, t. III.
46. Le Monde, 16 août 2016.
47. C. Wexler et S. Thomson,
« Making policing safer for
everyone », International New York
Times, 3 mars 2016.
48. E. Chemerinsky, doyen de
l’école de droit de l’Université de
Californie, « How the Supreme
Court protects bad cops »,
International New York Times,
26 août 2014.
49. Direct Matin, 6 juin 2016.
50. Réponse du ministre Pasqua au
er
député Puaud, JO, 1 février 1988,
p. 502.
51. S. Chalandon, Le Quatrième
Mur, Grasset, 2013.
52. ACAT : Action des chrétiens
pour l’abolition de la torture,
association reconnue d’utilité
publique, créée en 1974.
53. Cf. C. Moreau de Bellaing,
Force publique. Une sociologie de
l’institution policière, Economica,
2016.
54. M. Crépon et F. Worms, La
Philosophie face à la violence,
Éditions des Équateurs,
« Parallèles », octobre 2015.
55. C. Kintzler, Philosophie, avril
2016, p. 42.
56. M. Dugain, L’Emprise,
Gallimard, « Folio », 2014.
57. J. Michelet, Histoire de France,
t. VIII : Réforme, Chamerot
Libraire-Éditeur, 1855, chapitre V.
58. M. Desplechin, « Ce présent
obscur et impératif », Le Monde, 26
mars 2016.
59. P. H. d’Holbach, « De la force.
De la grandeur d’âme. De la
patience », in La Morale
universelle, op. cit., chapitre XIII.
60. JO, Chambre des députés,
séance du 9 décembre 1893, p. 212.
61. J.-N. Jeanneney incite, dans ses
« Leçons de l’histoire ? », in N.
Truong, Résister à la terreur (op.
cit., p. 45), « à ne pas laisser jeter
aux orties les raisons mêmes qui
définissent [la République] comme
différente » : les valeurs des
Lumières.
62. F. de Pressensé, (un juriste) et É.
Pouget, Les Lois scélérates, op. cit.
Le « juriste » était Léon Blum.
63. JOAN, 25 juin 1985.
64. Conseil constitutionnel, décision
o
n 86-213 du 3 septembre 1986 :
« Considérant que les règles de
composition et de procédure
dérogatoires au droit commun qui
trouvent, selon le législateur, leur
justification dans les
caractéristiques spécifiques du
terrorisme ne sauraient, sans qu’il
soit porté atteinte au principe
d’égalité devant la justice, être
étendues à des infractions qui ne
présentent pas les mêmes
caractéristiques et qui ne sont pas
nécessairement en relation avec
celles visées à l’article 706-16 du
nouveau du Code de procédure
pénale ; que, dès lors, et sans qu’il
soit besoin de statuer sur le moyen
invoqué, l’article 4 de la loi, qui
modifie l’article 702 du Code de
procédure pénale, est contraire à la
Constitution […]. »
o
65. Réponse n 2040 au député
Robien le lendemain de l’attentat du
3 décembre 1996, JO, 5 décembre
1996, p. 7952.
66. Assemblée nationale, 19 juillet
2016. Il faut se reporter aux débats
de cette journée pour mesurer les
incertitudes et les aléas de cette
discussion (notamment sur la notion
de « législation d’exception », sur le
retour à la Cour de sûreté de l’État)
qui ne restera pas dans les annales
des grands débats parlementaires…
67. Le Parisien, 20 juillet 2016.
68. « Profonde conscience civique,
raison et religiosité », portrait de
Thomas de Maizière après l’attentat
de Berlin, Frankfurter Allgemeine
Zeitung, 22 décembre 2016.
69. J.-J. Rousseau, Du contrat
social (1762), chapitre 2.
Notes
1. Cahiers de la sécurité et de la
o
justice, 2015, n 31, p. 23.
2. A. Pérez-Reverte, Cadix ou la
Diagonale du fou, traduction
François Maspero, Seuil, « Points »,
2014.
3. H. de Balzac, Scènes de la vie
parisienne, II, in La Comédie
humaine, Gallimard, « Bibliothèque
de la Pléiade », 1936, t. 6.
Notes
1. Formule souvent reprise. J.-C.
Chesnais, Histoire de la violence,
Robert Laffont, 1981, p. 407.
2. Cf. A. Le Hénaff, Le Droit et les
Forces, Félix Alcan, 1931.
3. Deux notes d’avril 2016 de E.
Fougier pour la Fondation pour
l’innovation politique, proche de la
droite, annoncent ce durcissement et
décrivent les méthodes des
« écoguerriers ».
4. Comité invisible, L’Insurrection
qui vient, La Fabrique Éditions,
2007.
5. I. Rioufol, La Guerre civile qui
vient, Éditions Pierre-Guillaume de
Roux, 2016.
6. Qui, en principe, lui est rappelé
par les deux statues de marbre de
Pradier, commandées par Guizot,
qui trônent dans l’hémicycle de
l’Assemblée nationale : la Liberté et
l’Ordre public. Jamais l’un sans
l’autre…
re
7. E. Ciotti, député (LR) de la 1
circonscription et président du
conseil départemental des Alpes-
Maritimes.
8. Voir sur ce sujet, la position
équilibrée et prudente du SNDP
(Syndicat national des directeurs
pénitentiaires) du 19 mars 2016 qui
ne demande pas la généralisation
des fouilles intégrales.
9. C. Thibierge (dir.), La Force
normative. La force d’un concept,
LGDJ, 2009.
10. Voir l’intéressant article du
professeur Saint-Bonnet « Le droit
français à l’épreuve du terrorisme »,
dans la première livraison de la
revue Panthéon-Assas, avril 2016.
11. J. Follorou, Démocraties sous
contrôle, CNRS Éditions, 2014.
12. Cass. crim., 12 juillet 2016,
o
n 16-82692.
13. Nouvel article 421-2-6 du Code
pénal.
14. Nouvel article 39-3 du Code de
procédure pénale issu de la loi
o
n 2016-731 du 3 juin 2016
renforçant la lutte contre le crime
organisé, le terrorisme…
o
15. Loi n 2016-1691 du 9 décembre
2016 relative à la transparence, à la
lutte contre la corruption et à la
modernisation de la vie
économique, article 22 sur la
« convention judiciaire d’intérêt
public ».
16. Cour des comptes, rapport
public thématique L’Organisation et
la gestion des forces de sécurité,
juillet 2011.
17. Nouvel article L. 851-3 du Code
de sécurité intérieure.
18. Thèse de R. Théry, Libéralisme
pénal, principes, contradictions et
enjeux d’une institution non idéale,
EHESS, 2015.
19. D. Fassin, Punir, une passion
contemporaine, Seuil, 2016.
20. Cf. réponse du ministre de
l’Intérieur au député Tardy
o
n 74166, JOAN, 22 décembre 2015,
p. 10598.
o
21. Dernier exemple : la loi n 2016-
987 du 21 juillet 2016 élève de
vingt à trente ans la peine de
l’article 421-5 du Code pénal.
22. Conseil constitutionnel, 19 et 20
o
janvier 1981 n 80-127 DC.
23. Question orale à l’Assemblée
nationale du député L. Wauquiez
(LR) lors de la séance du 31 mai
2016 avec réponse du ministre de
l’Intérieur.
24. Christine Lazerges (dir.), Les
Grands Avis de la Commission
nationale consultative des droits de
l’homme, Dalloz, 2016.
25. « Prisons : la paix sociale
achetée au prix fort », Le Monde, 19
mars 2016. Le quotidien, qui
reprend sans distance le dernier
placet de la Cour des comptes, ne
traite que du poids syndical et non
des difficultés de recrutement par
rapport à celui de la police, ni
d’aucune des quelques
caractéristiques particulières de ce
difficile métier pénitentiaire.
26. Grand angle, 17 juin 2016.
27. Elles sont reconnues par la loi
o
n 2015-917 du 28 juillet 2015
actualisant la programmation
militaire, article 9 et suivants : « Les
militaires peuvent librement créer
une association professionnelle
nationale de militaires… y adhérer
et y exercer des responsabilités. » Et
o
le décret n 2016-997 du 20 juillet
2016.
o
28. Réponse n 89369 du ministre
de l’Intérieur au député Morel-A-
L’Huissier (LR), JOAN, 23 février
2016, p. 1657.
29. Contrat de partenariat
public/privé signé trois mois avant
la présidentielle de 2012 pour…
trente-trois ans de lourds loyers à
l’entreprise Bouygues. Cf. J.-
P. Sueur et H. Portelli, Le Contrat
de partenariat : une bombe à
retardement ?, rapport
d’information du Sénat, 2014.
30. Garde et réinsertion. La gestion
des prisons, rapport de la Cour des
comptes, 2006, p. 156.
31. Le Parisien (23 mai 2014)
recense des réactions : « L’armée
française s’inquiète et gronde ».
Alors que le gouvernement
s’apprête à demander de nouvelles
coupes budgétaires à la Défense, les
quatre chefs d’état-major montent
au créneau. Selon Le Canard
enchaîné, les chefs d’état-major des
trois armées (terre, air, marine)
envisageraient de démissionner en
bloc si le budget devait être encore
rogné.
32. La Semaine juridique EG, 27
o
mars 1996, n 22612, note de F.
Dupont-Marilla.
33. Conseil d’État, Ass., Avis 6
o
juillet 2016 n 398234, La semaine
o
juridique EG, 11 juillet 2016, n 28 :
indemnisation si la police a commis
une faute.
34. En juin 2016, à Villepinte, 1 572
exposants de 56 pays ont reçu
57 018 visiteurs de 151 pays.
35. En novembre 2015, Milipol,
salon de la sécurité intérieure des
États, ouvre quatre jours après les
attentats de Paris. Nul n’a songé à
reporter ce salon qui accueille alors
922 exposants et 27 000 visiteurs
professionnels.
36. Salon de la sécurité des
personnes et des biens à Lille-
Europe, du 7 au 9 juin 2016. Placé
sous le haut patronage du ministère
de l’Intérieur.
37. Et tout naturellement aussi avec
les laboratoires pharmaceutiques.
38. G. Tallemant des Réaux,
Historiettes, édition d’Antoine
Adam, Gallimard, 1960.
39. A. France, Crainquebille, in
Œuvres, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade »,1991,
t. III.
40. Par exemple, quand la Cour de
cassation confirme le 17 février
2016 le non-lieu pour la mort d’un
retraité algérien à Argenteuil en
2009 après une interpellation
policière lors d’un contrôle routier.
41. C. Mouhanna, « Mission
impossible ? », Le Monde, 11 juin
2016.
42. G. Agamben, « De l’État de
droit à l’État de sécurité », Le
Monde, 24 décembre 2015.
43. Le Monde, 26 novembre 2015.
44. V. Souty, La
Constitutionnalisation des pouvoirs
de crise. Essai de droit comparé,
thèse de droit, université Paris-III-
Sorbonne nouvelle, janvier 2015.
45. O. Beaud, C. Guérin-Bargues,
L’État d’urgence. Étude
constitutionnelle, historique et
critique, LGDJ, 2016.
46. Assemblée nationale, décembre
o
2016, rapport n 4281.
47. G. Naudé (1600-1653),
Considérations politiques sur les
coups d’État, 1639, avec la
justification des massacres de la
Saint-Barthélemy…
48. Vigipirate date d’une instruction
du 7 février 1978 « portant création
d’un plan d’alerte et de prévention
pour le territoire national » (cf.
T. Boussarie et L. Dailly,
« Vigipirate fête ses 38 ans », art.
cit., p. 297).
49. F. Johannès, Le Monde,
8 septembre 2015.
50. F. Heisbourg, Comment perdre
la guerre contre le terrorisme,
Stock, 2016 ; et sa critique de M.
Wiegel, « Ainsi gagnent les
terroristes, F. Heisbourg critique
F. Hollande », Frankfurter
Allgemeine Zeitung, 27 avril 2016.
51. P. Cassia, Contre l’état
d’urgence, Dalloz, 2016.
Notes
1. Formule universelle même en
droit fiscal : P. Martin,
« L’application dans le temps des
règles de procédure fiscale : force
reste à la loi », Droit fiscal, 5
o
novembre 1997, n 45, p. 1325.
2. Jonathan Swift, Les Voyages de
Gulliver (1721), Gallimard, « Folio
Classique », 1976.
3. B. Delagrave, La Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen,
Belot, 1903.
4. M. Long, « La gendarmerie et
er
l’État de droit », RFDA, 1
décembre 1991, p. 881.
5. La Semaine juridique, 6
septembre 2010, comm. 2260 par F.
Dieu, CEDH, 21 janvier 2010
o
n 13829/03 ; et J.-M. Pontier, « Le
refus du concours de la force
publique pour l’exécution d’une
décision de justice », La Semaine
juridique, 5 mai 2015.
6. Selon la définition du gendarme
dans le Code de déontologie de
2013 commun aux policiers et aux
gendarmes.
7. K. Barley, « Freiheit und
Sicherheit sind keine Gegensätze »,
Frankfurter Allgemeine Zeitung, 3
septembre 2016 : la liberté et la
sécurité ne sont pas contradictoires.
o
8. Cass. crim., 8 mars 2016 n 15-
83503. Cf. Dalloz, 24 mars 2016.
9. Dans le numéro de 1979 du
mensuel Après-Demain consacré au
terrorisme.
10. CM/Rec (2010)4 du comité des
ministres et rapport explicatif du
Conseil de l’Europe sur les droits
dont doivent bénéficier les forces
armées.
11. CEDH Loizidou c/ Turquie, 18
décembre 1996.
12. J.-L. Clergerie, Dalloz, 8 juin
2000, p. 485, sur le refus d’engager
une femme dans les Royal Marines.
13. L. Joinet, Mes raisons d’État,
La Découverte, 2013. L’ouvrage est
sous titré Mémoires d’un épris de
justice…
14. Nouvel article L. 1321-1 du
Code de la défense.
15. État de siège, film de Costa-
Gavras, 1972, avec Y. Montand, sur
les violences en Uruguay.
16. « Les militaires pourront
riposter à des attaques terroristes sur
le sol national », Le Monde, 16 mars
2016.
17. « L’engagement des forces sur le
territoire national », Revue de la
o
défense nationale, 2017, n 1.
18. N. Guibert, « Les missions
intérieures de l’armée restent à
définir », Le Monde, 17 novembre
2015.
19. Voir les incertitudes du concept
d’« ennemi intérieur » dans
l’ouvrage éponyme de M. Rigouste,
L’Ennemi intérieur, La Découverte,
2009.
20. M. Walzer, « Nous devons
mener une guerre idéologique », in
N. Truong (dir.), Résister à la
terreur, op. cit., p. 155.
21. J.-D. Merchet, « Ce que dit le
rapport confidentiel remis à Manuel
Valls », L’Opinion, 18 mars 2016.
22. Revue de la Défense nationale,
janvier 2016.
23. P. de Villiers, chef d’état-major
des armées, « Gagner la guerre ne
suffit pas à gagner la paix », Le
Monde, 21 janvier 2016.
24. Machiavel, Discours sur la
première décade de Tite-Live, livre
I, chapitre IX : « qu’il faut être seul
pour fonder une république ou pour
la réformer totalement ». À ne pas
lire par des candidats à une élection
présidentielle…
o
25. Réponse n 57529 du ministre
de la Défense au député Vuilque
(DVG Ardennes), JOAN, 5 avril
2005, p. 3474.
26. Voir sa lettre de démission à R.
Lacoste le 29 mars 1957.
27. W. Le Devin, « En France, des
services débordés face à la
menace », Libération, 23 mars
2016.
28. La Lettre du cadre territorial,
mai 2016.
29. H. de Balzac, Une ténébreuse
affaire (1841), in La Comédie
humaine, Gallimard, « Bibliothèque
de la Pléiade », 1978, t. VIII.
30. Conseil d’État, 21 septembre
o
2015 n 389815, Association de
défense et d’assistance juridique
des intérêts des supporters.
o
31. Dans sa décision n 94-352 DC
du 18 janvier 1995, le Conseil
constitutionnel reprend les garanties
de la loi CNIL (Cdt 10) et renforce
encore les garanties pour les libertés
et la vie privée concernées par la
vidéosurveillance.
o
32. Réponse n 76171 du ministre
de l’Intérieur au député Berrios
(LR), JOAN, 15 décembre 2015,
p. 237.
o
33. Conseil constitutionnel, n 2012-
652, DC du 22 mars 2012, sur la loi
relative à la protection d’identité.
34. L’Usage de la biométrie en
France et en Europe, Sénat, 2016,
o
rapport d’information n 788.
o
35. Réponse n 65915 du ministre
de l’Intérieur au député Meslot
(LR), JOAN, 26 mai 2015, p. 3975.
36. En France, une disposition de la
loi de 2016 contre le crime organisé
et pour la réforme pénale impose
aux entreprises de
télécommunications de collaborer
aux enquêtes judiciaires.
37. Wireless local area network.
38. A. Lobe, « Des caméras à tous
les coins de rue, comment une
filiale de Google surveille New
York », Frankfurter Allgemeine
Zeitung, 18 mai 2016.
39. J. Follorou, « Ce Big Brother
dissimulé au cœur du
renseignement », Le Monde, 12
avril 2015, article publié le
lendemain du jour où son journal
attire l’attention sur la plainte de la
Ligue des droits de l’homme contre
l’existence de cette plateforme
d’interceptions commune à
différents services de
renseignement.
40. Bundesnachrichtendienst,
l’équivalent de la DGSE.
41. Conseil constitutionnel, 21
o
octobre 2016 n 2016-590, QPC La
quadrature du Net.
42. Ce qui permet d’apprendre que
ce traitement contient, au 29 juin
2015, 12 985 noms (réponse
o
n 79733, JOAN, 29 septembre
2015, p. 7483).
43. Article 706-54 du Code de
procédure pénale.
44. « Big Data : action publique et
communication à l’ère de
l’algorithme », dossier dans Parole
publique, printemps 2016.
45. Cité par L. Huberson, Vu de
l’intérieur, op. cit.
46. Cour de cassation, 15 décembre
o
2015, n 15-81322 ; Droit pénal,
2016, comm. 37, note d’A. Maron
et M. Haas.
o
47. Loi n 81-737 du 4 août 1981.
48. V. Codaccioni, Justice
d’exception, CNRS Éditions, 2015,
notamment sur la logique de la Cour
de sûreté de l’État.
o
49. Cass. crim., 24 mai 2016, n 15-
80848, commentaire Dalloz, 2 juin
2016.
50. Début décembre 2016, il y avait
eu 230 procédures de référé devant
les tribunaux administratifs dont
plus de 50 avaient été suspendues
totalement ou partiellement ou
avaient fait l’objet de non-lieu parce
que le ministre avait retiré lui-même
l’assignation en fonction des
discussions devant le juge.
51. Début décembre 2016, sur 19
recours jugés 8 avaient conduit à
l’annulation de la mesure de
perquisition et/ou à l’indemnisation
du requérant.
52. Cass. crim., 13 décembre 2016,
o
n 16-82176.
53. CJUE, 18 juillet 2013, KADI
o
n C-584/10P.
Notes
1. Homme politique anglais,
membre du Parlement célèbre par
son militantisme libéral et athée
(1833-1891).
2. R. Périé, L’École du citoyen, op.
cit.
Notes
1. P. Michon, Vies minuscules,
Gallimard, « Folio », 1984.
2. B. Boucault, « La nuit, enjeu de
sécurité », L’ENA hors les murs,
Revue des anciens élèves de l’ENA,
juillet 2015. Ce numéro est consacré
aux « voyages au bout de la nuit »
sous différents aspects (social,
culturel, sanitaire, économique).
3. F. Bruni, New York Times, 8
septembre 2016, sur les difficultés
des vétérans à reprendre des études
supérieures, notamment dans les
grandes universités.
4. Cour européenne des droits de
l’homme, 12 avril 2016, RB c/
o
Hongrie n 64602/12 : violation de
l’article 8 de la convention
européenne.
5. Cf. ci-dessus p. 41, et voir le
numéro spécial de la revue
Autrement sur le renseignement
avec des articles de P. Joxe,
o
C. Vigouroux (janvier 2016, n 37).
6. A. Dewerpe a perdu son père lors
d’une manifestation en septembre
1952 contre la venue du général
américain Ridgway, et sa mère à
Charonne. Il publie en 2006
Charonne, 8 février 1962.
Anthropologie historique d’un
massacre d’État (Gallimard,
« Folio »). Il construit une pensée
sur le lien et l’échange entre
« meurtre d’État » et « mensonge
d’État ».
7. Beau récit de sa vie par É. Albert,
Le Monde, 23 avril 2015.
8. Nécrologie admirative par B.
Hopquin, Le Monde, 14 juin 2016.
9. C. Vigouroux, Georges Picquart,
dreyfusard, proscrit, ministre,
Dalloz, 2008.
10. H. von Dohnanyi, Verschwörer
gegen Hitler, lettres de prison, édité
par W. Meyer, Deutsche
Verlagsanstalt DVA, 2015.
11. M. Yourcenar, Archives du
Nord, Gallimard, 1977 ; « Folio »,
1998.
12. Le Monde, 10 mars 2016.
13. Chevalier d’Aguesseau, Œuvres,
1767, t. V.
14. J.-J. Hyest et G.-P. Cabanel,
Prisons, une humiliation pour la
République, Sénat, juin 2000,
o
rapport n 449.
15. L. Mermaz et J. Floch, La
France face à ses prisons,
Assemblée Nationale, juin 2000,
o
rapport n 2521.
16. Contrôleur général des lieux de
privation de liberté, 14 décembre
2016, rapport très sévère sur la
maison d’arrêt de Fresnes, situation
dégradée depuis 2012, un taux
moyen d’occupation entre 188 et
200 %.
17. Conseil d’État, 20 mai 2011,
o
Letona Biteri n 326084.
18. Le Conseil d’État valide la
position du ministère et rejette un
recours du syndicat qui demandait
la création d’une ERIS pour les
collectivités d’outre-mer : Conseil
d’État, 16 juin 2004, syndicat lutte
o
pénitentiaire n 261246.
19. AJDA, 8 février 2016, p. 179.
20. R. Musil, L’Homme sans
qualités (1933), Seuil, « Points »,
1982.
21. L.-F. Céline, Voyage au bout de
la nuit, op. cit.
22. P. Michon, « Vie de Georges
Bandy », in Vies minuscules, op. cit.
23. Loi « relative aux droits et à la
protection des personnes faisant
l’objet de soins psychiatriques et
aux modalités de leur prise en
charge ».
24. Code de la santé publique
article 3211-12-1.
25. Contrôleur général des lieux de
privation de liberté, rapport
thématique Isolement et contention
dans les établissements de santé
mentale, 25 mai 2016.
26. A. de Tocqueville, L’Ancien
Régime et la Révolution, op. cit.
27. Conseil d’État, 17 juin 1932,
Ville de Castelnaudary Rec. p. 595.
Et Conseil constitutionnel, 25
février 1992.
28. Conseil constitutionnel, 10 mars
o
2011, n 2011-625 DC.
29. Conseil d’État, 25 novembre
2009, ministre de l’Intérieur
o
n 323359.
30. Intelligence économique,
rapport au Premier ministre, juin
2015, p. 39.
31. J. Massol, « La cybersécurité
exige une politique nationale et des
compétences de terrain », Le
Monde, 27 février 2016.
o
32. Loi précitée n 2016-564 du 10
mai 2016.
o
33. Loi n 2016-1691 du 9 décembre
2016 relative à la transparence, à la
lutte contre la corruption et à la
modernisation de la vie
économique, et, pour le chapitre sur
la « protection des lanceurs
d’alerte », voir articles 6 à 16.
34. J-J. Rousseau, Du contrat
social, op. cit., livre 1, chapitre 6.
35. Ibid.
36. M. Foucault, Surveiller et punir,
op. cit. Voir aussi l’article Isaak
Dore, « La force normative du
pouvoir étatique dans la philosophie
de Michel Foucault »,
in C. Thibierge (dir.), La Force
normative, LGDJ, 2009, p. 57.
37. Lors des perquisitions
administratives de l’état d’urgence
de 2015-2016.
38. J. Potocki (1761-1815),
Manuscrit trouvé à Saragosse,
Flammarion 2008.
39. A. Polgar, « L’uniforme », in
Histoires sans morale, op. cit. Et
Polgar continuait : « L’uniforme est
une conscience usinée dans une
fabrique de vêtements. Elle rappelle
constamment à l’uniformé : tu as
cessé d’être une fin quelle qu’elle
soit. Tu es moyen. Ne l’oublie pas
quand l’envie te démange d’être
quelqu’un. »
40. P. Michon, Vie de Joseph
Roulin, Verdier, 2015, sur le postier
Roulin, ami et modèle de Van Gogh.
41. Même sanction prévue par
l’article 433-14 du Code pénal
français (« le fait pour toute
personne, publiquement et sans
droit : 1° de porter un costume ou
un uniforme ou une décoration
réglementés par l’autorité
publique… ».)
42. Code de la sécurité intérieure,
article L. 214-2.
43. A.-D. Houte, « Prestiges de
l’uniforme. Policiers et gendarmes
e
dans la France du XIX siècle »,
Clio, 2012, p. 153.
44. Code de la sécurité intérieure,
article L. 861-1 issu de la loi sur le
renseignement du 24 juillet 2015.
45. Article 39 sexies de la loi du 29
juillet 1881 modifié par la loi
o
n 2009-971 du 3 août 2009 sur la
gendarmerie.
46. Arrêtés des 5 mai 1995, 5
décembre 1995, 9 mai 1996, 15
septembre 2006, 27 juin 2008, 7
avril 2011, 15 avril 2015.
47. Le Parisien, 17 août 2016 : des
manifestants protestant contre le site
d’enfouissement de déchets
nucléaires dans la Meuse tirent ces
fusées contre l’appareil contraint en
urgence à des manœuvres
d’écartement. Une procédure pour
« violences volontaires en réunion
avec arme par destination sur
personne dépositaire de l’autorité
publique » est ouverte par le parquet
de Bar-le-Duc. Les auteurs
encourent dix ans de prison.
48. T. Capote, De sang froid, op. cit.
49. Voir le combat du père de la
victime M. Albert Chenouf-Meyer
pour le souvenir de son fils : « Mon
métier, c’est père de victime »,
JDD, 6 mars 2016.
50. V. Giscard d’Estaing, Le
Pouvoir et la Vie, Compagnie 12,
1988.
51. Pour éviter l’aveuglement des
pilotes par des lasers agressifs.
52. Conseil d’État, 14 mars 2016,
o
M.B. n 391418. Le juge donne
raison au requérant.
53. J.-M. Leclerc, « Nouvelles
violences dans les manifestations »,
Le Figaro, 27 mai 2016.
54. A. Brelet, « Bleus à l’âme chez
les gendarmes », Valeurs actuelles,
30 juin 2016. Et Nadège Guidou,
Malaise dans la police, Eyrolles,
2012 : l’auteur, psychologue du
travail, met à nu l’organisation
traditionnelle de la police,
taylorienne et centralisée.
55. A. Cadorel, Le Parisien, 8 avril
2015.
Notes
1. Voir le récit de son intervention
dans La Tribune du commissaire de
police, décembre 2015 : « Nous
avons pris appui et ajusté notre
visée. À cette distance nous étions
sûrs de le toucher… mais nous
savions aussi que, si nous
manquions notre cible et compte
tenu de sa puissance de feu, nous
étions morts… »
2. « Il veille pour qu’ils reposent »,
devise de la police parisienne depuis
Saint Louis.
3. F. Chilowicz et A. Bettenfeld,
Police ne quittez pas !, France 2,
diffusé en mars 2016 : « Les
fonctionnaires de police, greffiers
de la détresse humaine ? »
4. Leur armement, y compris par
armes à feu, est précisé dans la
réponse du ministre de l’Intérieur à
la députée Zimmermann (LR),
o
n 71080, JOAN, 9 juin 2015
p. 4350.
5. Figaro Magazine, 4 mars 2016,
p. 103.
6. JOAN, 24 juin 1985 p. 2415.
7. « Des pistes pour mettre en place
une garde nationale », La Croix, 8
février 2016.
8. P. Servent, Extension du domaine
de la guerre, Robert Laffont, 2016.
9. A. Jenni, L’Art français de la
guerre, Gallimard, 2011.
10. J.-C. Le Neindre, « Comprendre
et se coordonner pour agir », Maires
de France, mai 2016.
11. Catégorie B : armes à feu de
poing et d’épaule, tasers, aérosols
incapacitants. Catégorie D :
notamment matraques, poignards,
certaines bombes aérosols.
12. Offre d’emploi parue dans la
presse à l’été 2016.
13. Réponse du ministre de
l’Intérieur au député F. Lefebvre
o
(LR) n 81529, JOAN, 10 novembre
2015, p. 8235.
14. Cour des comptes, rapport
public thématique, L’Organisation
et la gestion des forces de sécurité,
juillet 2011, p. 107 et suiv. sur « le
rôle grandissant des polices
municipales ».
o
15. Loi n 2003-340 du 14 avril
2003 relative à la répression de
l’activité de mercenaire.
16. Saint-Simon, Mémoires, op. cit.,
t. VII.
17. S. Joahny, « Dans une lettre au
vitriol, les syndicats de police
dénoncent les manœuvres de
déstabilisation qui seraient
orchestrées par la gendarmerie
contre le RAID et la BRI », JDD,
24 janvier 2016.
18. Conseil d’État, 29 juin 2009
o
Pelletier n 307897, le RAID est
spécifique par rapport aux GIPN par
les missions de renseignement qu’il
assure et par son champ territorial
national.
19. Le Figaro, 7 juin 2016.
20. A. Picon (dir.), La Ville et la
Guerre, Les Éditions de
l’Imprimeur, 1996. Cf. commentaire
dans Le Monde, 13 décembre 1996.
21. T. Paquot, Désastres urbains.
Les villes meurent aussi, La
Découverte, 2015.
22. Article de O. Milhaud qui avait
fait sa thèse en 2009 sur Séparer et
punir, les prisons françaises : mise à
distance et punition par l’espace.
23. T. Benhaïm, A. Maugard, Faire
société en ville. Une utopie réaliste,
L’Aube, 2016.
24. Thèse présentée en 2014, à
l’université Paris-X-Nanterre.
L. Bony, chercheuse au CNRS,
sociologue et géographe, travaille
sur la géographie de la force : les
prisons comme annexes des
quartiers. Cf. Dedans dehors, juillet
o
2016, n 92.
25. M. Bloch, L’Étrange Défaite,
Franc-Tireur, 1946.
26. N. Roussellier, La Force de
gouverner. Le pouvoir exécutif en
e e
France XIX -XXI siècle, Gallimard,
2015. Réflexions sur la méfiance
contre le pouvoir personnel et
l’efficacité de la décision.
27. Sur ce risque, voir C.
Vigouroux, Déontologie des
fonctions publiques, Dalloz, 2012,
points 32.11 et suivants.
28. C. Burg-Boillot, Actualité
juridique – Fonctions publiques,
juillet-août 2007, p. 179.
29. J.-J. Gleizal, Le Désordre
policier, PUF, 1985.
30. A. Jenni, L’Art français de la
guerre, op. cit.
31. N. Minkmar, « Cologne :
Angela Merkel doit s’expliquer »,
Le Monde, 14 janvier 2016 ; et
« Prise de conscience lente que, lors
de la Saint-Sylvestre à Cologne,
quelque chose de plus que la
confiance dans la police s’est
brisé », Süddeutsche Zeitung,
8 janvier 2016, ce journaliste
analyse de près le déroulé de la
dissimulation puis de la révélation
progressive des événements.
32. C. Vigouroux, Déontologie des
fonctions publiques, op. cit., p. 343-
380 sur l’art de l’obéissance.
33. Maréchal Foch, Des principes
de la guerre (1903), Economica,
2007.
34. Conseil d’État, 3 mai 1961,
Pouzelgues Rec, p. 280. Voir aussi
la thèse de E. Magniez, L’Ordre de
la loi et le Commandement de
l’autorité légitime, université de
Paris, 1902.
35. D. Epelbaum, Obéir. Les
déshonneurs du capitaine Vieux,
Drancy, 1941-1944, Stock, 2009.
36. S. Chalandon, Le Quatrième
Mur, op. cit.
37. D’autant que, par la loi du 23
juin 1999 prise à l’initiative de
É. Guigou, a été créée la
composition pénale qui permet au
procureur, et non au policier, une
sorte de transaction avec le
délinquant pour certains délits.
38. G. Macé, Mon musée criminel,
Hachette, 1890, p. 57.
39. Christophe, « Fin du cinquième
voyage », L’Idée fixe du savant
Cosinus, Armand Colin, 1899.
40. C. Vigouroux, « Contrôle de la
police », in L’État de droit.
Mélanges en l’honneur de Guy
Braibant, Dalloz, 1996.
o
41. Article 24 de la loi n 2014-1353
du 13 novembre 2014 qui introduit
un nouvel article L. 142-1 au Code
de sécurité intérieure : « Le
Défenseur des droits accomplit sa
mission de veiller au respect de la
déontologie par les personnes
exerçant des activités de
sécurité… »
42. Cédric Moreau de Bellaing,
Force publique. Une sociologie de
l’institution policière, Economica,
2016, et la critique du livre par F.
Ocqueteau dans Gouvernement et
action publique, janvier 2016,
p. 134. Le livre de C. Moreau de
Bellaing est fondé sur l’analyse du
contenu de sept années de rapports
de l’IGPN et de 245 dossiers
disciplinaires.
43. Voir les comptes rendus de la
conférence de presse du 6 juin 2016
où l’on apprend qu’en 2015 les
lanceurs de balles de défense, dont
le célèbre Flash-Ball, ont été utilisés
1 025 fois, les grenades de
désencerclement 455 fois et les
pistolets à impulsion électrique 872
fois.
44. E. Dupic, F. Debove,
Déontologie policière,
Gualino/Lextenso, 2014.
45. D. Manotti, Bien connu des
services de police, Gallimard,
« Folio Policier », 2010.
46. C. Gatinois, « Les Brésiliens
face à leurs policiers tueurs », Le
Monde, 10 septembre 2015.
47. J. Follorou, « L’espion qui
parlait trop », Le Monde, 4
septembre 2016.
48. M. Suc, « La place Beauvau
remet de l’ordre dans la œuvres
sociales de la police », Le Monde,
11 septembre 2015, après plusieurs
sinistres sur l’ANAS (Association
nationale d’action sociale).
49. « Le grand flic, son indic et les
15 tonnes de cannabis », Le Monde,
7 avril 2016, dans cette affaire mise
au jour par les douanes, le chef de
l’Office central pour la répression
du trafic illicite de stupéfiants
(OCRTIS) de la police judiciaire
change d’affectation… Voir aussi,
pour les aventures amères d’un ex-
aviseur des douanes, Conseil d’État,
o
13 janvier 2017, M. X. n 386799.
50. Code de la sécurité intérieure,
articles R. 434-1 à R. 434-33.
o
51. Décret n 2010-1711 du 30
décembre 2010 portant Code de
déontologie du service public
pénitentiaire.
52. Décret N° 2016-1495 du
4 novembre 2016 portant code de
déontologie des agents des services
internes de sécurité de la SNCF et
de la RATP.
53. E. de La Poix de Freminville,
Dictionnaire ou Traité de la police
générale, Paris, 1758.
Notes
1. Philippiques de Démosthène et
Catilinaires de Cicéron, traduction
de l’abbé d’Olivet, Paris, Barbou,
1765.
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